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357 Arch Mal Prof Env 2007 © 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés Article scientifique M É M O I R E Étude de la santé mentale d’agents commerciaux gare S. François 1 M.C. Bruder 1 L. Vergès 1 D. Treyve 2 1. Service médical SNCF, 9, rue de Château Landon, 75475 Paris Cedex. 2. Service médical SNCF, place Louis Armand, escalier X, 75012 Paris. Correspondance : D. Treyve, 53, avenue Victor Hugo, 92160 Antony. E.mail : [email protected] Summary Aim of the study Due to signs of psychological distress and unhappiness in the workplace shown by ticket agents and cus- tomer service representatives during medical check- ups, nine occupational physicians have completed a study aiming at evaluating anxiety and depression problems in that segment of population. Method An anonymous questionnaire eliciting social, personal and professional data and the Hospital Anxiety and Depression (HAD) test was given to all sales agents and representatives during annual medical check-ups occurring between 1 st of January 2005 and 30 th June 2005. Results A total of 1040 questionnaires were distributed. Interpretable answers amounted to 91.4% and 950 questionnaires were used. Based on the results of the HAD test, the sales agents were classified into three categories: non-suffering agents, agents possibly affected, and agents likely to be affected. 27.4% of the people in this survey were likely to be affected by anxiety and depression, whereas 52.8% were possibly affected. Conclusion The results fit the literature data for sales professions. Links between types of work, schedules, family status, working environment, and social and financial diffi- culties were analysed. The study highlights a few strategies implemented by the agents. It also suggests further paths for analysis and provides research infor- mation to the company. Study of the mental health of train station employees Arch Mal Prof Env 2007; 68: 357-364 Key-words: Anxiety, depression, railways. Résumé Objectif Devant les signes de souffrance psychologique et l’insatisfaction au travail exprimés par les agents com- merciaux de gares d’Ile-de-France lors des visites médicales du travail et dans les différentes instances, neuf médecins du travail ont mis en place une étude visant à évaluer la prévalence des troubles anxio- dépressifs dans cette population. Méthode Un questionnaire anonyme, recueillant des données sociales, personnelles et professionnelles, ainsi que le test Hospital Anxiety and Depression (HAD), ont été proposés à tous les agents commerciaux lors des vis- ites médicales annuelles entre le 1 er janvier 2005 et le 30 juin 2005. Résultats Nous avons remis 1040 questionnaires et le taux de réponses interprétables est de 91,4 %. 950 question- naires ont été exploités. Selon les scores du test HAD, les agents ont été classés en trois catégories : les agents ne présentant aucun signe, les agents possible- ment atteints ou les agents probablement atteints. La prévalence des troubles anxio-dépressifs est com- prise entre 27,4 % et 52,8 % dans notre population d’agents commerciaux, selon que l’on cherche à dépister les agents possiblement atteints ou les agents probablement atteints. Conclusion Ces données sont proches des données de la littéra- ture concernant les métiers de la vente. Des liens entre type de travail, horaires, statut parental, satis- faction des locaux, difficultés sociales et financières ont été étudiés. Cette étude met également en évi- dence des stratégies de défense des agents et propose des axes de réflexion et des pistes de recherche pour l’entreprise. Mots-clés : Anxiété, dépression, transport ferroviaire.

Étude de la santé mentale d’agents commerciaux gare

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Page 1: Étude de la santé mentale d’agents commerciaux gare

357 Arch Mal Prof Env 2007© 2007. Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés

Article scientifiqueM É M O I R E

Étude de la santé mentale d’agents commerciaux gare

S. François1 M.C. Bruder1 L. Vergès1 D. Treyve2

1. Service médical SNCF, 9, rue de Château Landon, 75475 Paris Cedex.

2. Service médical SNCF, place Louis Armand, escalier X, 75012 Paris.

Correspondance : D. Treyve, 53, avenue Victor Hugo, 92160 Antony.

E.mail : [email protected]

Summary

Aim of the studyDue to signs of psychological distress and unhappinessin the workplace shown by ticket agents and cus-tomer service representatives during medical check-ups, nine occupational physicians have completed astudy aiming at evaluating anxiety and depressionproblems in that segment of population.

MethodAn anonymous questionnaire eliciting social, personaland professional data and the Hospital Anxiety andDepression (HAD) test was given to all sales agentsand representatives during annual medical check-upsoccurring between 1st of January 2005 and 30th June2005.

ResultsA total of 1040 questionnaires were distributed.Interpretable answers amounted to 91.4% and 950questionnaires were used. Based on the results of theHAD test, the sales agents were classified into threecategories: non-suffering agents, agents possiblyaffected, and agents likely to be affected. 27.4% ofthe people in this survey were likely to be affected byanxiety and depression, whereas 52.8% were possiblyaffected.

ConclusionThe results fit the literature data for sales professions.Links between types of work, schedules, family status,working environment, and social and financial diffi-culties were analysed. The study highlights a fewstrategies implemented by the agents. It also suggestsfurther paths for analysis and provides research infor-mation to the company.

Study of the mental health of train station employees

Arch Mal Prof Env 2007; 68: 357-364

Key-words: Anxiety, depression, railways.

Résumé

ObjectifDevant les signes de souffrance psychologique etl’insatisfaction au travail exprimés par les agents com-merciaux de gares d’Ile-de-France lors des visitesmédicales du travail et dans les différentes instances,neuf médecins du travail ont mis en place une étudevisant à évaluer la prévalence des troubles anxio-dépressifs dans cette population.

MéthodeUn questionnaire anonyme, recueillant des donnéessociales, personnelles et professionnelles, ainsi que letest Hospital Anxiety and Depression (HAD), ont étéproposés à tous les agents commerciaux lors des vis-ites médicales annuelles entre le 1er janvier 2005 et le30 juin 2005.

RésultatsNous avons remis 1040 questionnaires et le taux deréponses interprétables est de 91,4 %. 950 question-naires ont été exploités. Selon les scores du test HAD,les agents ont été classés en trois catégories : lesagents ne présentant aucun signe, les agents possible-ment atteints ou les agents probablement atteints.La prévalence des troubles anxio-dépressifs est com-prise entre 27,4 % et 52,8 % dans notre populationd’agents commerciaux, selon que l’on cherche àdépister les agents possiblement atteints ou les agentsprobablement atteints.

ConclusionCes données sont proches des données de la littéra-ture concernant les métiers de la vente. Des liensentre type de travail, horaires, statut parental, satis-faction des locaux, difficultés sociales et financièresont été étudiés. Cette étude met également en évi-dence des stratégies de défense des agents et proposedes axes de réflexion et des pistes de recherche pourl’entreprise.

Mots-clés : Anxiété, dépression, transport ferroviaire.

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euf médecins du travail ont décidé d’entre-prendre une étude destinée à évaluer la santémentale des agents commerciaux employés

dans les gares d’Ile-de-France. Cette étude a été inclusedans leur plan d’activité 2005-2006. Ce thème a étéchoisi devant les signes de souffrance psychologique etl’insatisfaction au travail exprimés par les agents lorsdes visites médicales du travail et dans les différentesinstances. Il nous a semblé que, lors des visites médica-les, nous étions de plus en plus sollicités directementpar les salariés afin d’obtenir des mesures individuellesd’adaptation du poste de travail. Les partenairessociaux à tous les niveaux de l’entreprise réclamaientl’évaluation du stress chez les agents. Nos établisse-ments se plaignaient de l’importance de l’absentéisme.L’objectif de notre étude a été d’évaluer la prévalencedes troubles anxieux et dépressifs de cette population.Le but était de dégager des facteurs de risque et de per-mettre aux CHSCT des établissements de mettre enplace des actions de prévention.

Méthodologie

Nous avons réalisé une étude transversale basée sur unauto-questionnaire anonyme. Le questionnaire étaitremis systématiquement à chaque agent commercial seprésentant à la visite médicale annuelle de janvier à juin2005. Les agents vus dans le cadre d’une visite médicaled’embauche, occasionnelle, de reprise ou à la demanden’ont pas été sollicités. Ce questionnaire était rempli surla base du volontariat en salle d’attente, sans interven-tion de l’infirmière ou du médecin, et déposé ensuitedans une urne. Il reprenait des données d’ordre socio-démographique (âge, sexe, nombre d’enfants, vie encouple), des données d’ordre professionnel (poste de tra-vail, ancienneté dans l’entreprise, mode d’entrée dans lemétier, statut handicapé, type d’horaires, aménagementde poste, souhait de changement professionnel, satis-faction des locaux de travail et de vie au travail), desquestions d’ordre social (temps de loisirs par semaine,importance des tâches domestiques, existence de diffi-cultés liées au mode de garde d’enfants, financières,judiciaires ou autres, appel à l’aide sociale), un ques-tionnaire médical de dépistage des maladies anxieusesou dépressives et la prise quotidienne ou occasionnelle,au moins une fois par semaine, de psychotropes.Les données recueillies ont été traitées grâce au logicielEpi Info 6. Les comparaisons ont été faites par test duChi 2, calcul d’odds-ratios (OR) et d’intervalles de con-fiance à 95 %.

Le questionnaire HAD comprend deux séries de ques-tions ou sous-échelles, l’une explore les symptômes del’anxiété, l’autre les symptômes dépressifs (1, 2). Selonles auteurs de l’échelle, si l’on désire étudier les patientsayant une probabilité élevée de souffrir d’un troubleanxieux ou dépressif, la valeur seuil de 11 doit être rete-nue pour chacune des sous-échelles, cette valeur garan-tissant une faible proportion de faux positifs (1 % defaux positifs pour la dépression et 5 % de faux positifspour l’anxiété). En revanche, si l’on souhaite incluretous les cas possibles, c’est-à-dire une faible proportionde faux négatifs, la valeur seuil de 8 doit être adoptée(1 % de faux négatifs pour la dépression et 1 % pourl’anxiété). Nous avons déterminé deux groupes. Lesagents possiblement atteints de troubles anxieux oudépressifs ont une valeur seuil de 8 à au moins une desdeux sous-échelles d’anxiété ou dépression ou sont soustraitement psychotrope au moins une fois par semaine.Les agents probablement atteints de troubles anxieux oudépressifs ont une valeur seuil de 11 à au moins une desdeux sous-échelles ou sont sous traitement psychotropequotidien. Lors de l’analyse, le groupe des agents possi-blement atteints inclut tous les cas possibles et donc évi-demment les agents probablement atteints. Ainsi nousavons déterminé une prévalence des troubles anxieuxou dépressifs comprise entre deux bornes, celle desagents possiblement atteints et celle des agents proba-blement atteints.Ce type d’enquête n’est qu’une image à un momentdonné de l’état de santé de la population étudiée et nepeut donc pas établir de lien de cause à effet. En revan-che, elle permet d’appréhender le problème de santé enestimant une prévalence et d’émettre des hypothèses.Elle peut évoquer des prédicteurs ou des modérateursde la maladie et ainsi être une aide à la décision dans laplanification et la gestion des démarches à mettre enœuvre.

Résultats

Nous avons remis 1040 questionnaires dont 950 ontété retenus. Nous avons retenu les questionnaires donttous les items d’évaluation de la santé mentale étaientcomplètement remplis, même si les agents avaient omisquelques données personnelles. Le taux de réponsesinterprétables a été de 91,4 %.Notre échantillon diffère de la population globale del’entreprise. En effet, l’âge moyen dans l’entreprise estde 40 ans et 10 mois. Les femmes représentent 16,6 %de l’effectif global et 19,6 % de l’effectif cadre. Ellesreprésentaient 18,7 % des embauches en CDI. La

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population étudiée comprend 52,7 % de femmes (501agents) et 46,9 % d’hommes (446 agents), avec un âgemoyen de 30,9 ans pour les femmes et 35,9 ans pourles hommes. Les femmes sont en moyenne significati-vement plus jeunes.Quel que soit le sexe, 64,2 % des agents vivent encouple, et 46,3 % ont la charge d’au moins un enfantau foyer, mais les femmes seules ont significativementplus souvent la charge d’enfants que les hommes seuls(23,9 % versus 8,5 %). Notre questionnaire ne prend pasen compte l’âge des enfants au foyer. 2,9 % des agentsdéclarent relever du statut de travailleur handicapé.

Difficultés sociales

Les agents peuvent évoquer une ou plusieurs difficultésen consultation. Ces difficultés sont en général de4 ordres : la garde des enfants, les finances, le domainejuridique ou autre. La figure 1 représente la répartitiondes plaintes recueillies.Le pourcentage d’agents évoquant des difficultés aug-mente quand des enfants sont présents au foyer (58 %versus 47 %). Les femmes rapportent plus souvent desdifficultés liées à la garde des enfants que les hommes(OR = 1,35 [1,03-1,76]). Elles recourent plus souventque les hommes à un système de garde d’enfants etévoquent plus de difficultés liées au système de garde(OR = 1,78 [1,19-2,66]). On ne retrouve pas de diffé-rence liée au sexe pour les autres ordres de difficultés.L’aide sociale est sollicitée par 7,5 % des agents ; lesfemmes y sont plus représentées (9,6 %-5,1 %), mais ladifférence de genre n’apparaît plus parmi les agentsayant des enfants. Quatre agents sur cinq qui deman-

dent de l’aide décrivent des difficultés : 24 % de diffi-cultés financières, 20 % de difficultés juridiques, 4 %de difficultés de garde d’enfants et 32 % d’autres diffi-cultés. L’aide sociale est donc peu consultée pour lagarde d’enfants. Il faut noter une mise à dispositionquasi systématique de l’aide sociale dans notre entre-prise dès qu’une grossesse est déclarée.

Difficultés au travail

Le mode d’entrée dans l’emploi varie avec le sexe, lesfemmes étant recrutées plus souvent sur la filière (55 %des embauches sur la filière) ou comme emploi jeune(53 % de ces embauches). Les hommes sont plus sou-vent issus d’un reclassement (64 % de reclassés). Dansl’ensemble, les femmes, plus jeunes, ont moinsd’ancienneté dans le poste. Elles exercent plus souventà temps partiel (15,6 % versus 4,5 %).Nous avons différencié 6 catégories de métiers : lesvendeurs, les agents d’accueil, les agents polyvalents,l’encadrement, le back-office et les agents commer-ciaux étiquetés indéterminés qui n’ont pas défini leuractivité. Les femmes sont plus nombreuses dans lescatégories vendeurs, agents polyvalents, et les agentscommerciaux étiquetés indéterminés (tableau I).Les horaires typiques sont définis par le travail entre8 heures et 18 heures avec repos samedi et dimanche,les horaires atypiques correspondent à un travail habi-tuel au-delà de cette période et peuvent inclure ou nonune période de nuit (21 heures à 6 heures) ; 12,1 % desagents travaillent en horaires typiques, 59,7 %travaillent en horaires atypiques sans nuit, et 28,2 %travaillent en partie de nuit. Les agents avec des enfantsau foyer bénéficient plus souvent d’horaires typiques(OR = 2,3 [1,51-3,52]) et travaillent moins souvent denuit (OR = 0,71 [0,52-0,95]). Nous ne retrouvons pas dedifférence liée au sexe en matière d’horaires typiques.Par contre les femmes bénéficient plus souvent d’horai-res de journée en travaillant le week-end (OR = 1,38[1,02-1,87]) ; 7,3 % des agents interrogés ont bénéficiéd’aménagements de poste, soit à titre provisoire, soit àtitre définitif, soit liés à la maternité. Les femmes enbénéficient plus fréquemment (9,8 % versus 4,5 %).Plus de la moitié des agents souhaitent changer de postede travail (53,7 %). Les femmes sont plus demandeuses,en particulier de changer de métier (OR = 1,51 [1,13-2]).Les désirs évoqués par les agents sont repris à la figure 2.

Dépistage des troubles anxieux et dépressifs

La prévalence des troubles anxieux ou dépressifs del’ensemble de notre population est comprise entre

POPULATION GLOBALE

FINANCE34%

JUSTICE10%

AUTRE33%

ENFANT23%

SANSDifficulté

53%SANS ENFANT

SANS Difficulté

63%

FINANCE37%

JUSTICE11%

AUTRE52%

PARENTS

SANSDifficulté

41%

ENFANT35%

FINANCE32%

JUSTICE9%AUTRE

24%

Figure 1. Évocation des difficultés en fonction de la situationparentale.Nb : ce graphe représente le pourcentage d’agents n’évoquantaucune difficulté dans l’année et la répartition des types dedifficultés recueillies, en sachant que chaque agent peutdéclarer plusieurs difficultés.

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27,4 % et 52,8 %. Elle est plus élevée chez les femmes(34,6 % à 60 %) que chez les hommes (19,3 % à 44 %).La différence liée au sexe est une donnée habituelle dela littérature.En affinant l’analyse, la présence d’enfants au foyeraugmente la prévalence des agents probablementatteints. Quand le parent vit seul, la prévalence desagents possiblement atteints augmente aussi de manièresignificative (figure 3). Dans ce dernier cas, la diffé-rence liée au sexe n’apparaît plus, mais l’effectif est fai-ble. L’analyse du retentissement du mode de vie enfonction de la présence ou non d’enfant montre unenette augmentation de la prévalence des maladiesanxieuses ou dépressives dans notre population quandles agents vivent seuls avec au moins un enfant aufoyer (tableau II).Le nombre d’agents actifs sous traitement psychoactif,tableau III, est loin d’être négligeable. Il est proche deschiffres nationaux retrouvés en population générale,chiffres qui incluent les inactifs ne bénéficiant pas del’effet travailleur sain. Il devient très important chez lesparents isolés.

Lien entre santé et contraintes professionnelles

Métier

Il existe une différence significative des prévalencesentre les six catégories de postes de travail décrits, plusimportante en cas d’enfant au foyer. Mais comme larépartition homme - femme n’est pas homogène selonles métiers, il peut exister un biais de sélection qui nenous permet pas de conclure.Pour garder leurs conditions de travail, 9,3 % desagents ont déclaré avoir refusé une promotion. Ce refusest significativement plus fréquent chez les agents pré-sentant des signes d’atteinte probable (14 % versus 7 %)ou possible (11,5 % versus 6,7 %). Les femmes refusentplus souvent que les hommes (17 % versus 8 %).

Locaux de travail

Les agents expriment une satisfaction de leurs locauxde travail à 61,6 % et de leurs locaux de vie au travail à53,2 %. Les agents qui présentent une insatisfaction deleurs locaux de travail présentent significativement

Tableau I : Répartition suivant les métiers et le genre.

Effectif n = 950 Femmes * n = 501 Hommes * n = 446Accueil 210 22% 96 19% 112 25%Vente 270 28% 157 31% 113 25%Polyvalent 126 13% 77 15% 49 11%Indéterminé 195 21% 109 22% 86 20%Encadrement 96 10% 38 8% 58 13%Back-office 53 6% 24 5% 28 6%

p 0,002

* donnée genre absente pour 3 agents.

Population globale

MÊMEPOSTE46,32%

REGION33%

METIER51%

AGECIF16%

Hommes

MÊMEPOSTE52,5%

REGION36%

METIER48%

AGECIF16%

Femmes

MÊMEPOSTE 40,7%

REGION31%

METIER54%

AGECIF15%

Figure 2. Souhaits d’évolution professionnelle en fonction dugenre.Nb : ce graphe représente le pourcentage d’agents satisfaits deson poste et la répartition des souhaits recueillis, en sachantque chaque agent peut évoquer plusieurs souhaits.

27,4%

25,4%

47,2%

30,2%

26,3%

43,5%

42,1%

28,1%

29,8%

0%

20%

40%

60%

80%

100%

prévalence

Global parent en couple parent isolé

atteinte probable atteinte possible pas d'atteinte

p<0.05

p<0.05

p<0.05

Figure 3. Prévalence en fonction de la situation parentale.

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plus souvent des signes d’atteinte probable (OR = 2,02[1,50-2,73]) ou possible (OR = 2,11 [1,06-2,79]), toutcomme ceux qui présentent une insatisfaction de leurslocaux de vie au travail (atteinte probable OR = 1,95[1,44-2,63] ou possible OR = 2,16 [1,65-2,84]) sans dif-férence liée au sexe.

Horaires

Dans notre étude, nous ne retrouvons aucun lien signi-ficatif, mais un biais de sélection important ne permetpas de conclure.

Stratégies de défenses

Devant leurs difficultés, les agents mettent en placedes stratégies de défense individuelles. Ainsi, plus de7 % des agents interrogés ont obtenu un aménage-ment de leurs conditions de travail et 9,3 % ont refuséune promotion pour garder ces conditions. Les listesde demandes (horaire de journée, changement deposte, changement de région…) s’allongent tellementque les directions des ressources humaines perdenttoute possibilité de réactivité, notamment devant lesproblèmes liés à la maternité et la petite enfance. Cemanque de réactivité favorise l’évolution d’un malaisesocial vers la maladie. Ces dossiers, alors ballottésentre service social et médical, sont difficilement lisi-bles par les services de l’entreprise. Les agents utilisentdes stratégies d’évitement : demande de temps partiel

(16 % des femmes et 4 % des hommes), congé paren-tal, formation (maîtrise ou AGECIF). Nous retrouvonsun risque majoré d’être malade chez les agents à tempspartiel ! En cas de dépassement des limites individuel-les, le médecin est sollicité pour un retrait temporairedu poste (arrêt maladie ou aménagement temporairedu poste de travail).

Données de la littérature

Les données de la littérature concernant les troublesmentaux, aussi bien en milieu de travail qu’en popula-tion générale, sont nombreuses. La différence de chif-fres entre les études est liée à l’usage d’outils qui nemesurent pas tout à fait la même chose et rendentl’interprétation délicate.L’absentéisme est un marqueur objectif d’une désadap-tation au travail où les conditions de travail semblentjouer un rôle majeur, d’après la CNAMTS : « Plus de lamoitié des personnes arrêtées interrogées juge leur tra-vail plutôt pénible, quelle que soit la durée d’arrêt… »(3). Le BIT estime qu’un travailleur sur dix souffre dedépression, d’anxiété, de stress ou de surmenage, que lecoût lié aux problèmes de santé mentale dus au travailaugmente, et que les pays de l’Union européenne yconsacreraient entre 3 et 4 % de leur PIB (4). Une étuderécente de la DREES en population adulte générale(hors personnes vivant en institutions, incarcérées,

Tableau II : Prévalence des atteintes de la santé mentale en fonction de la charge familiale.

Atteinte possible Atteinte probable Effectif

n % p n % P

Agent seul sans enfant 143 51 % NS 76 27 % NS 281

Couple sans enfant 109 48 % NS 51 22 % NS 227

Couple avec enfant au foyer 208 54 % OR = 1,98 108 28 % OR = 1,85 383

Parent seul avec enfant au foyer 40 70 % P = 0,03 24 42 % P = 0,03 57

Tableau III : Prévalence des traitements psycho-actifs en fonction du genre.

Traitement Femmes Hommes Ensemble

psycho-actif nombre % nombre % nombre %

Population étudiée n = 501 n = 446 n = 950

51 10,20% 23 5,20% 74 7,80%Agent avec enfant au foyer n = 237 n = 203 n = 440

26 11,00% 9 4,40% 35 7,90%Agent seul avec enfant au foyer n = 44 n = 13 n = 57

9 20,45% 2 15,38% 11 19,30%

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hospitalisées ou sans domicile fixe) recueille une pré-valence de la dépression de 11 % et une prévalence del’anxiété généralisée de 12,8 % (5). Le rapport de lasanté mentale en population générale (1998-2000)retrouve une prévalence de l’anxiété généralisée de11 % (entre 7 à 14 % suivant la localisation géographi-que en France) (6).Les différentes enquêtes en milieu de travail montrentdes pourcentages variables. L’étude Epigrandis, engrande distribution, chiffre les troubles mentaux entre28 à 30 % chez les hommes et 39 à 42 % chez les fem-mes. Elle relève des signes de dépression sévères chez4,7 % des hommes et 12 % des femmes (7). L’enquêteGazel réalisée chez les salariés d’EDF-GDF évalue lestroubles mentaux à 14,2 % chez les hommes et 32,4 %chez les femmes (8). Une étude de cohorte en Grande-Bretagne retrouve une prévalence des troubles men-taux de 27,6 % chez les hommes et de 33,8 % chez lesfemmes ; Stansfeld y avait mis en évidence un lienentre la charge mentale et la prévalence des troublesmentaux (9, 10).D’après Gadbois, les horaires atypiques aggravent lemal, être social et physique par la désynchronisationdes relations du travailleur avec son univers social,ainsi que par la désynchronisation des rythmes biolo-giques circadiens (11). Rappelons que la désynchroni-sation des rythmes biologiques a pour conséquence destroubles du sommeil, des troubles gastro-intestinaux,des troubles cardiovasculaires, des troubles neuropsy-chiatriques, dont les troubles anxio-dépressifs, commele démontrent plusieurs études. Koller a retrouvé untaux de morbidité psychique (CIM 290-319) plus élevéparmi les ouvriers postés d’une raffinerie autrichienne(10,6 %) et les ouvriers ex-postés (5,9 %), par rapportaux ouvriers en horaire de jour (1,5 %) (12). Scott et al.ont montré une augmentation de la prévalence dutrouble dépressif majeur chez des postés et des ex-postés (appartenant à différentes entreprises), avec uneprévalence plus importante chez les femmes que chezles hommes (13). Ils ont également mis en évidence queplus l’exposition aux horaires postés est longue(> 20 ans), plus le risque de trouble dépressif majeuraugmente. Par opposition, l’étude de Fischer et al. sem-ble montrer qu’être en horaire posté depuis plus de10 ans n’augmenterait pas le risque de dépression(OR = 0,23 ; p à 0,027), mais il n’est pas exclu que lessalariés souffrant de dépression en raison de ces horai-res n’aient pas mis en place des stratégies d’évitementet n’aient pas changé de poste de travail (14).L’enquête SUMER 2002 a montré également la grandedétresse des agents en contact avec le public en lesnommant « les obligés du public » (15).

Discussion

Notre questionnaire n’a pas exploré le contenu du tra-vail, en particulier la latitude décisionnelle, le supportsocial ou la charge mentale comme la plupart des étu-des en santé au travail utilisant le questionnaire deKarasek (16). Nous avons souhaité rester dans une ana-lyse médicale de la santé mentale au travail en raisonde l’absence de ressources spécialisées dans notreéquipe et dans l’objectif d’engager une démarche pluri-disciplinaire avec les autres intervenants en santé autravail.Un audit national de notre entreprise chiffre, en 2002, à22 le nombre de jours d’absence de courte et longuedurées par agent et par an, avec une grande disparitésuivant les filières. Les Établissements de contrôle destrains ont l’indice le plus élevé avec 27,3 joursd’absence, suivis des Établissements exploitation, oùtravaillent les agents commerciaux-gare avec 26,6 joursd’absence. L’absentéisme dans les Établissementsd’exploitation est donc supérieur à celui des services del’État et d’EDF. La différence de statut et de mode decomptabilisation rend difficile la comparaison avec lesecteur privé.Nous constatons, dans nos établissements, des plaintesfonctionnelles fréquentes, une augmentation desdéclarations de maladies professionnelles, en particu-lier des troubles musculo-squelettiques (TMS), et unfort taux d’accidents du travail et d’agressions au tra-vail. Notre enquête montre l’importance des difficultésvécues par les agents (47 % de l’ensemble des agents et58 % des agents ayant au moins un enfant au foyer).Ces difficultés relèvent du plan personnel : importancedes difficultés financières, citées chez 35 % des sala-riés, et problématique de la garde des enfants citée par29 % des parents ; elles relèvent également du planprofessionnel : 88 % des agents travaillent en horairesatypiques, plus de 50 % souhaitent un changementprofessionnel, 33 % souhaitent changer de métier et10 % sont prêts à s’investir dans une formation typeAGECIF.L’atteinte de la santé mentale d’une partie non négli-geable des agents au travail est d’autant plus marquéeque les contraintes sociales sont grandes et que les per-sonnes bénéficient d’un moindre soutien familial.Ainsi, la charge d’un enfant pour un parent isolé aug-mente le risque de maladie mentale de manière trèssignificative. En cas d’horaires atypiques, l’impossibi-lité d’avoir recours à des services structurés comme lescrèches augmente l’isolement de ces personnes. Lemédecin intervient donc plus fréquemment pourdemander un aménagement de poste.

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La loi de modernisation sociale prévoit de réduire lesuivi médical renforcé des mères d’enfants de moins dedeux ans à une période de 6 mois après l’accouche-ment. Cette étude souligne l’importance d’un suivimédical renforcé de cette catégorie de salariées et pour-rait justifier l’allongement possible de cette période à lademande du médecin du travail.On relève également que les agents qui souffrent leplus se plaignent le plus de leurs locaux de travail, etsurtout de leurs locaux de vie au travail. Nos études depostes et visites de locaux montrent des améliorationsà envisager, en particulier en matière d’éclairage natu-rel, de bruit et de pollution de l’air.

Conclusion

Dans notre travail, la prévalence des agents possible-ment atteints de troubles anxieux et/ou dépressifs estde 52,8 % et celle des agents probablement atteints detroubles anxieux et/ou dépressifs est de 27,4 %.Le sens qui se dégage de cette étude est qu’il peut exis-ter un conflit entre les difficultés personnelles desagents et les contraintes de l’organisation du travail.Pour cette population qui diffère totalement de lapopulation habituelle de l’entreprise, il est souhaitablede mener une réflexion innovante par rapport auxorganisations du travail habituelles de notre entreprise,majoritairement et historiquement technique et mascu-line.Une réflexion collective pluridisciplinaire intégrant lesdirigeants, le CHSCT, les services sociaux, les ergono-mes et les psychologues du travail pourrait être mise enplace. Elle aurait à charge de comparer certains indica-teurs avec ceux d’autres métiers de l’entreprise, comme,par exemple, le turnover, les demandes des agents(changements de postes, d’horaires, mutation, forma-tion), les indisponibilités totales ou partielles, lesrecours à l’aide sociale, le pourcentage de visites médi-cales non périodiques (hors embauches). Une forte dif-férence pourrait constituer un signe d’alerte sur desconditions particulières liées à l’établissement ou l’unitéde travail (organisation du travail, contexte régional àprendre en compte).Le travail en pluridisciplinarité pourrait s’appuyer surle dossier de l’INRS particulièrement complet et quipropose une méthode de travail (17). Il permettrait demieux soutenir les besoins de chaque partenaire dansses missions. Il aiderait les managers, surtout enmatière organisationnelle mais également en matièred’aménagement des locaux. Ainsi, ils pourraient mieuxoptimiser les ressources humaines de l’entreprise en

prenant en compte le coût social et en remplissantl’obligation de l’employeur de préserver la santé desagents. Ce travail soutiendrait les services sociaux dansla mise en place d’aides, particulièrement chez lesparents et les parents isolés, et le service médical desanté au travail afin de prévenir toute altération de lasanté des agents, et non d’intervenir seulement en ter-mes d’aptitude ou inaptitude.

RemerciementsNous remercions B. Delalleau, I. Duperrier, A. M. Koening, V.Le Rest, A. Morand et M. Viltart ainsi que toutes les infirmièresqui nous ont assistées tout au long de l’étude et I. Niedhammerqui nous a conseillées.

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