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de la conscience

CHAPITRE 2

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BERGSON

Essai sur les donnéesimmédiates

de la conscience

CHAPITRE 2

•PRÉSENTATION

NOTES

DOSSIER

CHRONOLOGIE

BIBLIOGRAPHIE

par Raphaël Ehrsam

GF Flammarion

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© Flammarion, Paris, 2013ISBN : 978-2-0812-8964-2

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Acteur majeur de la scène intellectuelle au début duXXe siècle, prix Nobel de littérature en 1927 pourl’ensemble de son œuvre, professeur au Collège de Franceoù le Tout-Paris se pressait pour assister à ses cours,Bergson fut l’un des plus grands philosophes français.Né le 18 octobre 1859 d’un père d’origine polonaise,musicien et compositeur, et d’une mère anglaise, il se dis-tingua très tôt par une scolarité exceptionnelle. Aprèsavoir obtenu, à dix-huit ans, le premier prix au concoursgénéral de mathématiques, il fut admis, l’année suivante,à l’École normale supérieure, où il devint notamment lecondisciple de Jean Jaurès et d’Émile Durkheim. À cetteépoque, l’enseignement philosophique était dominé parle positivisme et le kantisme. Jules Lachelier, l’inspecteurgénéral dédicataire de l’Essai sur les données immédiatesde la conscience, et Émile Boutroux, dont Bergson suivitles cours à l’École normale supérieure, s’appliquaienttous deux à perpétuer en France l’héritage du philosophede Königsberg. Le mathématicien et philosophe Cournot,de même que les disciples d’Auguste Comte, valorisaientquant à eux l’approche scientifique des problèmes en philo-sophie. C’est en réaction aux conceptions du temps issues

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de ces courants 1 que Bergson formula au cours de sesannées de formation une notion appelée à devenir lecentre névralgique de sa pensée : la durée. Par la suite, ildira même que toute son œuvre a résulté de l’effort pour« penser en durée 2 ». Or le chapitre II de l’Essai sur lesdonnées immédiates de la conscience, qui fut tout à la foisla thèse de Bergson et son premier ouvrage, constitue lelieu de naissance de cette notion.

I. SITUATION DE L’ESSAI SUR LES DONNÉES

IMMÉDIATES DE LA CONSCIENCE

1. LA QUESTION DU TEMPS EN PHILOSOPHIE

Afin de saisir l’apport spécifique de Bergson à la philo-sophie du temps, il convient d’abord de mettre en évi-dence les grandes lignes du champ problématique au seinduquel s’inscrit le chapitre II de l’Essai.

Lorsque l’on réfléchit à nos expériences et représenta-tions du temps, deux directions se présentent. D’un côté,nous appréhendons le temps par le biais des mesures quescandent les montres, les horloges, les agendas et lescalendriers. Il nous semble alors que nous vivons dans letemps, que celui-ci forme un cadre au sein duquel nousnaissons et vieillissons avant de disparaître. Nous asso-cions le temps à l’évolution physique de l’univers, auxdates des événements historiques et à la chronologie denotre vie personnelle. Le temps nous apparaît comme unaspect du monde, existant hors de nous et qui subsisterait

1. Voir Dossier, infra, p. 127-130 et 132-134.2. Voir Dossier, infra, p. 153-154.

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aussi bien sans nous. D’un autre côté, pourtant, nousavons du temps une expérience plus intime. Il paraît sou-vent nous manquer pour nos projets ; il s’étire quandnous sommes en proie à l’attente, à l’ennui ou à la mélan-colie ; il nous semble s’accélérer ou se contracter lorsquenos activités nous procurent un plaisir vif. La fugacité desinstants, l’impossibilité de retrouver certains momentspassés et la représentation de nos actions futures setrouvent ainsi étroitement associées à des états affectifs– joie, frustration, nostalgie, impatience, etc. Le tempsnous apparaît à cet égard comme un aspect de notre vieintérieure, modulé en fonction de nos dispositions et denos attitudes ; il nous paraît être en nous plutôt qu’horsde nous, temps de la conscience plutôt que temps dumonde.

En conséquence, la réflexion philosophique sur letemps s’est partagée depuis l’Antiquité selon deux lignesd’analyse, qui font directement écho à ces deux possibili-tés d’appréhension du temps. Platon et Aristote pro-posent chacun une conception du temps selon laquellecelui-ci serait indépendant de la conscience humaine etlié aux changements du monde. Saint Augustin, lui, meten œuvre la première défense radicale de l’idée selonlaquelle le temps n’existe que pour et par la consciencehumaine.

Dans le Timée, Platon aborde la question du temps àl’occasion d’un mythe sur l’origine du monde. LeDémiurge, dieu artisan du cosmos, est chargé d’y intro-duire ordre, beauté et harmonie. Il choisit donc de forger« une image mobile de l’éternité ; et, tandis qu’il met leciel en ordre, il fabrique de l’éternité […] une certaineimage […] progressant suivant le nombre, celle-là même

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que précisément nous appelons “le temps” 1 ». Timée faitremarquer à Socrate que les principales divisions dutemps (les jours et les années) répondent au mouvementdes astres : les jours correspondent au lever et au coucherdu soleil, les années correspondent au retour des saisons.Le temps est nommé « image de l’éternité » parce queson existence et celle du monde sont indissociables ; ilprogresse « suivant le nombre » parce que l’on compteen lui des intervalles réguliers en se référant aux astres.Aristote prolonge dans sa Physique cette approche plato-nicienne en soutenant que le temps est un aspect nom-brable des mouvements physiques 2. Cosmogoniesphilosophiques et représentations du temps en astrono-mie convergent.

En réaction à cette occultation de l’importance dutemps vécu, saint Augustin fait valoir dans les Confes-sions une thèse radicalement opposée. Ceux qui rat-tachent le temps au devenir du monde et prétendent lemesurer uniquement suivant le mouvement des astresdeviennent incapables de comprendre son mode d’exis-tence original. En effet, le passé n’est plus, le futur n’estpas encore, et le présent est à peine qu’il n’est plus. Enomettant de souligner que seule une conscience vivanteet agissante, capable de mémoire et d’anticipation, peuttenir ensemble les trois dimensions du temps (passé, pré-sent et futur), les Anciens ont réduit sans s’en aperce-voir le temps à un pur non-être. Le temps pour Augustinn’est pas quelque chose du mouvement, mais quelque

1. Platon, Timée, 37d, trad. L. Brisson, GF-Flammarion, 1992,p. 127.

2. Voir le texte d’Aristote reproduit dans notre Dossier, infra,p. 126-127.

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chose de l’âme. Par conséquent, le temps vécu ne peutplus être représenté comme un phénomène inessentiel etsubjectif, trop humain au regard du temps du monde. Ilest le seul et unique temps véritable.

La tension destinale de la philosophie du temps estdésormais fixée. On la retrouve de loin en loin jusqu’àBergson et par-delà son œuvre. Dans la lignée de Platon etAristote, les stoïciens décrivent le temps comme l’« inter-valle du mouvement », tout en s’efforçant de montrer queles actions humaines constituent un point de référenceprivilégié pour penser le présent 1. Kant, au XVIIIe siècle,affirme que le temps est une forme fondamentale del’expérience humaine ; les événements physiques sontordonnés successivement dans le temps parce qu’ils ontle statut de phénomènes pour notre conscience 2. AprèsBergson, Heidegger oppose le « temps vulgaire » – celuides horloges, des astres et du calendrier – au « tempsauthentique » – lié aux aspects fondamentaux de l’exis-tence humaine (la préoccupation, le souci, le rapport à lamort, etc.) 3. Dans Temps et récit, Paul Ricœur identifie latension entre théories du temps de l’âme et théories dutemps du monde comme la ligne centrale de ce qu’ilnomme l’« aporétique de la temporalité 4 ». Les réflexionsde Bergson dans l’Essai sur les données immédiates de la

1. Si l’on souhaite apprécier la complexité de leur conception àsa juste valeur, voir V. Goldschmidt, Le Système stoïcien et l’Idéede temps, Vrin, 1979.

2. Voir les textes de Kant reproduits dans notre Dossier, infra,p. 132-134.

3. Voir Être et temps, 2e section, chap. VI, « La temporalité etl’intratemporalité comme origine du concept vulgaire du temps »,§ 78-83, trad. E. Martineau, Authentica, 1985, p. 277-296.

4. Temps et récit, Seuil, 1985, t. III, p. 9.

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conscience s’inscrivent directement dans ce champd’interrogation, ouvert dès l’Antiquité et poursuivi jus-qu’à nos jours.

2. BERGSON OU LA DÉCOUVERTE DE LA DURÉE

L’Essai sur les données immédiates de la conscience,publié en 1889, est la thèse d’Henri Bergson. Lorsqu’il lasoutient à la Sorbonne le 27 décembre 1889 – notammentdevant Émile Boutroux, spécialiste fameux de la philoso-phie kantienne, et Paul Janet –, il vient d’avoir trente ans.La notion de durée s’est imposée à lui à partir d’uneréflexion sur le statut de l’idée de temps en physique, etce sont précisément les lacunes de la représentation asso-ciant d’abord le temps aux mouvements du monde quil’ont amené à reconcevoir le temps vécu. Dès ses jeunesannées au lycée Fontane (aujourd’hui Condorcet), Berg-son s’était passionné pour les mathématiques et pour lessciences. Il avait remporté – on l’a dit –, en 1877, le premierprix du concours général de mathématiques, et lu très tôtCournot et Spencer. Deux lettres capitales de Bergsonmontrent l’itinéraire intellectuel qui l’a conduit à former leprojet dont le chapitre II de l’Essai est le fruit :

En réalité, la métaphysique m’attirait beaucoup moins queles recherches relatives à la théorie des sciences, surtout à lathéorie des mathématiques. Je me proposai, pour ma thèsede doctorat, d’étudier les concepts fondamentaux de lamécanique. C’est ainsi que je fus conduit à m’occuper del’idée de temps. Je m’aperçus, non sans surprise, qu’il n’estjamais question de durée proprement dite en mécanique, nimême en physique, et que le « temps » dont on y parle esttout autre chose. Je me demandai alors où est la durée réelle,et ce qu’elle pouvait bien être, et pourquoi notre mathéma-

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tique n’a pas de prise sur elle. […] De ces réflexions est sortil’Essai sur les données immédiates de la conscience où j’essaiede pratiquer une introspection absolument directe et de saisirla durée pure 1.

Ce fut l’analyse de la notion de temps, telle qu’elle inter-vient en mécanique ou en physique, qui bouleversa toutesmes idées. Je m’aperçus, à mon grand étonnement, que letemps scientifique ne dure pas, qu’il n’y aurait rien à changerà notre connaissance scientifique des choses si la totalité duréel était déployée tout d’un coup dans l’instantané, et quela science positive consiste essentiellement dans l’éliminationde la durée. Ceci fut le point de départ d’une série deréflexions qui m’amenèrent, de degré en degré, à rejeterpresque tout ce que j’avais accepté jusqu’alors […] 2.

La conception bergsonienne de la durée s’est ainsiconstituée à partir d’une critique de la conception phy-sique du temps. La structure d’ensemble du chapitre II

de l’Essai, intitulé « De la multiplicité des états deconscience. L’idée de durée », doit être abordée danscette perspective. Toute la première partie de ce chapitremontre en effet que notre manière ordinaire de considé-rer le temps est empreinte de représentations et deconcepts issus des mathématiques et de la science engénéral. Bergson entame alors une réflexion sur lesnombres, les mesures temporelles, les horloges, les mou-vements et leurs vitesses, afin de faire ressortir l’impossi-bilité de concevoir adéquatement le temps par ces biais.Progressivement, au fil des examens menés, il peut donc

1. Lettre à G. Papini, 21 octobre 1903, in Mélanges, éd. A. Robi-net, PUF, 1972, p. 604.

2. Lettre à W. James, 9 mai 1908, ibid., p. 765-766. Noussoulignons.

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opposer le temps vécu de la conscience humaine, seulréel, à la représentation déformée que nous avons forgéedu temps en nous référant à des mesures mathématiqueset à des mouvements physiques. L’ordre des matièresdans l’Essai épouse ainsi l’ordre biographique de ladécouverte de la durée par Bergson. C’est en montrantcomment nous occultons le temps vécu dans notre exis-tence quotidienne et dans nos entreprises de connais-sance que nous pourrons finalement le reconquérir.

Dans la première version de sa thèse de doctorat, rédi-gée à Clermont entre 1884 et 1886, Bergson n’avait prévuque deux chapitres, à savoir le chapitre sur la durée etcelui sur la liberté, qui deviendront en 1889 les cha-pitres II et III de l’Essai. La critique de la conceptionquantitative (physico-mathématique) du temps et la miseen lumière de la nature purement qualitative de la duréeconstituent d’emblée à ses yeux l’essentiel de son propos.En vue de fortifier l’ensemble de la thèse, il choisit fina-lement de consacrer un chapitre supplémentaire (lechapitre I de l’ouvrage) à la notion d’intensité : « ilm’apparaissait qu’une étude de la notion d’intensitéconstituerait, entre les notions de quantité et de qualitédont traitait le reste de l’ouvrage, un trait d’union sus-ceptible de rendre mes vues beaucoup plus claires et plusaccessibles 1 ». Pourtant, l’axe philosophique de toutl’Essai demeure selon Bergson l’étude de la durée. Dansle récit qu’il fait de sa soutenance de thèse, il déplored’ailleurs que ses rapporteurs aient négligé le caractèreaxial de la durée et se soient presque exclusivement inté-ressés à la question psychologique de l’intensité des sen-

1. Œuvres, « Notes historiques », éd. A. Robinet, PUF, 1959,p. 1542.

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sations et des sentiments : « le jury porta toute sonattention sur le premier chapitre pour lequel il medécerna même des éloges, mais ne vit goutte au second.J’étais furieux, car le seul second m’importait 1. »

Dès lors, il est loisible au lecteur d’aborder frontale-ment le chapitre II de l’Essai en lui accordant une consis-tance autonome. Loin de supposer l’étude de l’intensitédes états psychologiques (chap. I) ou celle de la liberté(chap. III), l’étude de la durée constitue la clé del’ensemble du livre. Que le temps n’est pas une réalitéphysique, mais bien une dimension de la consciencevivante : voilà l’intuition qui ouvre la réflexion de l’Essai.

II. REPRÉSENTER LE TEMPS

La méditation bergsonienne sur la durée part donc denotre représentation ordinaire du temps, afin d’en déga-ger les présupposés et finalement de la critiquer. Parconséquent, on doit d’abord s’attacher à relever dans lechapitre II de l’Essai les marques caractéristiques denotre représentation courante du temps et la place qu’elleoccupe en particulier dans la science, avant de mettre enlumière les racines de cette représentation et d’en déduireles limites.

1. UN TEMPS HOMOGÈNE, MESURABLE,CADRE DE CHANGEMENTS RÉVERSIBLES

Trois marques caractéristiques identifient selon Berg-son notre représentation ordinaire du temps : (a) le vide

1. Ibid., p. 1542. Nous soulignons.

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et l’homogénéité, (b) la possibilité de la mesure et(c) l’attribution d’une réversibilité aux phénomènes quiprennent place dans le temps.

(a) La représentation ordinaire du temps est représen-tation d’un milieu vide et homogène, indifférent auxchangements qui se produisent en lui, et dont lesmoments se succéderaient de façon uniforme. Bergsonsouligne le profond ancrage chez l’homme de cettemanière de voir le temps en employant à dessein la pre-mière personne du pluriel, de façon à montrer que chacunde nous (y compris lui-même) doit commencer par enprendre conscience : « lorsque nous parlons du temps,nous pensons le plus souvent à un milieu homogène 1 ».Que signifie l’homogénéité, et en quoi est-elle indisso-ciable de la représentation du temps comme un milieuvide ? Est homogène ce dont les parties sont toutes iden-tiques entre elles en nature. Concevoir le temps commeun milieu homogène implique que les différentes partiesdu temps – les instants ou les intervalles qu’on pourra ydécouper – soient toutes équivalentes, toutes identiquesles unes aux autres, et donc sans qualités propres. Letemps ainsi représenté est vide, dans la mesure où on sele représente comme un simple cadre neutre, où les mou-vements physiques et tous les changements pensables (enparticulier les inflexions de notre vie intérieure) pren-draient place et pourraient être datés. Le temps équivautalors à un système de repérage stable, dissocié de ce quile remplit et indifférent au fait que tel ou tel événementait lieu. Et de vrai, nous le représentons bien ainsi. À nos

1. Essai sur les données immédiates de la conscience, chap. II,p. 37 (toutes les références au chapitre II de l’Essai renvoient à laprésente édition). Nous soulignons.

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yeux, le temps passe de façon constante et inéluctable, sibien que la différence entre hier, aujourd’hui et demainparaît subsister indépendamment du fait que telle émo-tion nous ait affectés ou que tel fait divers se soit produit.

(b) La représentation ordinaire du temps le figurecomme une réalité qui se prête au calcul et à la mesure.Là encore, Bergson prend soin dans l’Essai d’employerla première personne du pluriel : « par ses rapports avecle nombre, le temps nous apparaît d’abord comme unegrandeur mesurable 1 ». Tout le chapitre II de l’Essai estainsi parsemé d’exemples illustrant le fait que nouscomptons des instants ou des moments étendus dutemps, comme si celui-ci était formé par une suite d’inter-valles. Bergson mentionne les sons des cloches 2, lessoixante oscillations du pendule que nous additionnonspour penser les minutes 3 ou encore « le temps quel’astronome introduit dans ses formules 4 ». Le pointcapital de tous ces exemples réside dans leur rattache-ment direct ou indirect avec la pratique scientifique etson objectif premier : la prévision. Parce que les calculsde la mécanique l’introduisent comme une variable, nousconcluons que le temps doit par nature se prêter à l’appli-cation des idées de nombre : « On mesure la vitesse d’unmouvement, ce qui implique que le temps, lui aussi, estune grandeur 5. » « La mécanique opère nécessairementsur des équations 6 », elle doit donc affirmer qu’on peutcomparer des intervalles de temps, les dire égaux ou

1. Ibid., p. 61. Nous soulignons.2. Ibid., p. 29.3. Ibid., p. 61.4. Ibid., p. 67.5. Ibid., p. 67. Nous soulignons.6. Ibid., p. 87.

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inégaux, plus petits ou plus grands, etc. Notre manièrede concevoir la « vitesse » des mouvements apparaît dèslors comme l’emblème de la conception ordinaire dutemps : elle intervient comme une quantité dans un sys-tème de rapports qui permettent l’anticipation des étatsterminaux des déplacements 1.

(c) Parce que le temps est ordinairement représentécomme un milieu homogène, on estime couramment queles phénomènes qui se produisent en lui sont réversibles,c’est-à-dire que leur ordre peut être renversé (au moinspar l’imagination). Bergson énonce ce dernier point àl’occasion d’une remarque sur la figuration du cours dutemps par une « ligne continue » ou par « une chaîne,dont les parties se touchent sans se pénétrer 2 ». Lorsquel’on s’imagine les instants du temps à la manière despoints d’une ligne ou des parties d’une chaîne, et que l’onprésente les étapes des mouvements ou des changementscomme correspondant à ces points ou ces parties, onestime spontanément que leur ordre pourrait être modifiéà loisir. Par exemple, les notes qui composent une mélo-die paraissent pouvoir être interverties, les positions d’unmobile reproduites en sens inverse, de même que les pen-sées ou les sentiments d’une personne. C’est pourquoi« on parle d’un ordre de succession dans la durée, et dela réversibilité de cet ordre 3 ». En distinguant desséquences au sein du temps, on distingue par là mêmedes séquences au sein des changements que l’on placedans le temps, et on aboutit naturellement à penser queles positions relatives de ces séquences pourraient êtreréarrangées.

1. Ibid., p. 83.2. Ibid., p. 57.3. Ibid.

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Les caractéristiques du temps que Bergson entend sou-mettre à l’examen sont donc son homogénéité, sa mesu-rabilité et sa réversibilité supposées.

2. UN TEMPS SOLIDAIRE

DE NOTRE REPRÉSENTATION DE L’ESPACE

Le basculement de la description du temps homogèneà l’enquête sur la provenance de ses déterminations estcondensé dans un énoncé clé :

il y aurait […] lieu de se demander si le temps, conçu sousla forme d’un milieu homogène, ne serait pas un conceptbâtard, dû à l’intrusion de l’idée d’espace dans le domainede la conscience pure 1.

Le pas décisif franchi par l’Essai consiste à examinerl’origine de la conception objectiviste du temps que nousavons présentée, en mettant progressivement en lumièreson caractère (a) mixte et (b) utilitaire.

(a) La représentation du temps comme un milieu videhomogène provient du fait que nous calquons les détermi-nations du temps sur celles de l’espace. La démonstrationde cette thèse massive occupe l’essentiel du chapitre II.Quelles en sont les principales étapes ? L’argumentationde Bergson est d’abord indirecte. Elle s’attache à montrerque « toute idée claire du nombre implique une visiondans l’espace 2 », pour en déduire le fait que toute appli-cation d’idées numériques au temps implique nécessaire-ment la spatialisation de celui-ci. D’abord, pour penserun nombre quelconque, nous devons former une repré-

1. Ibid., p. 51.2. Ibid., p. 17.

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sentation mentale où nous juxtaposons dans un espaceidéal les unités que nous souhaitons compter (moutons,bâtonnets, points, etc.). L’espace intervient donc à unpremier égard comme détermination de la figurationmentale de toute collection d’unités. Ensuite, pour qu’unobjet quelconque soit considéré comme une unité suscep-tible d’être additionnée à d’autres unités, il faut le consi-dérer comme identique à d’autres objets avec lesquels onpuisse le compter (on compte en effet toujours despommes, des points, des X). Il faut donc que l’on ait à sadisposition un principe de différenciation des unités autreque la différence qualitative des impressions que lesobjets nous procurent. Ainsi, la représentation d’objetscomme unités numériques homogènes repose pour uneseconde raison sur l’espace, défini comme « un principede différenciation autre que celui de la différenciationqualitative 1 ». Enfin, la possibilité de fractionner touteunité, de la représenter elle-même comme une somme departies plus petites, est solidaire du fait que nous la repré-sentions au moyen d’une grandeur déployée dansl’espace : « par cela même que l’on admet la possibilitéde diviser l’unité en autant de parties que l’on voudra,on la tient pour étendue 2 ».

À un second niveau, l’argumentation progresse sansdétours, et Bergson montre qu’on ne peut découper spé-cifiquement des instants ou des intervalles temporelsqu’en surimposant au temps le filtre d’images spatiales.L’argumentation se concentre cette fois-ci sur les « don-nées immédiates de la conscience », c’est-à-dire sur le fluxde nos sensations, sentiments, pensées, volitions, etc. tel

1. Ibid., p. 45.2. Ibid., p. 23.

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que nous le vivons, pour montrer qu’il ne possède aucuneressemblance avec la multiplicité numérique. « La sensa-tion […], envisagée en elle-même, est qualité pure 1 », demême que l’ensemble de nos autres vécus. Or, si touteconscience prend la forme d’un flux de « données immé-diates » et par là même qualitatives, notre expérience dutemps se tient en deçà de toute représentation de la quan-tité. Le temps ne saurait être représenté comme un milieuhomogène que si l’on projette sur lui les propriétés del’espace : « si l’espace doit se définir l’homogène, ilsemble qu’inversement tout milieu homogène et indéfinisera espace 2 ».

Dès lors, les notions géométriques au moyen des-quelles nous schématisons le temps prennent la valeur desymptômes. La nature spatiale des images de la ligne etde la chaîne éclate en pleine lumière. La décompositionet la mesure du mouvement se révèlent prendre appuisur le trajet spatial parcouru par les mobiles ; nous nousapercevons que les positions de l’aiguille sur les cadransd’horloge ne nous livrent pas le temps qui s’écoule, maisun arrêt sur image dans l’espace – « la simultanéité,qu’on pourrait définir l’intersection du temps avecl’espace 3 ». La notion de vitesse ne fait intervenir letemps à titre de variable qu’en relation avec des mesuresayant pour objet premier des déplacements spatiaux (« iln’est question que d’espaces une fois parcourus 4 »). Lapossibilité de réarranger un ensemble d’éléments et lanotion d’ordre réversible renvoient à la possibilité spa-

1. Ibid., p. 37.2. Ibid., p. 49.3. Ibid., p. 71.4. Ibid., p. 87.

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tiale de disposer plusieurs objets côte à côte de plu-sieurs façons.

(b) Or, dans le chapitre II, Bergson ne se contente pasde montrer que la représentation physique et objectivistedu temps est en fait un temps spatialisé, un mixte dedurée et d’étendue. Il souligne à plusieurs reprises le faitque la spatialisation du temps et le mélange auquel elleaboutit résultent de nécessités pragmatiques, notam-ment sociales.

On a déjà souligné l’importance de la prévision pourla science 1. Mais la prédominance du temps des horlogeset des mesures dans notre existence outrepasse ce point.Bergson souligne de manière générale l’importance vitalede cette prédominance. Agir sur le monde qui nousentoure (le « monde extérieur 2 ») suppose qu’on s’yréfère comme à un ensemble d’objets dans l’espace :« quand nous parlons d’objets matériels, nous faisonsallusion à la possibilité de les voir et de les toucher ; nousles localisons dans l’espace 3 ». En outre, l’action quoti-dienne suppose de notre part que nous nous concen-trions sur nos sensations ou nos pensées présentes 4, enles séparant des états antérieurs qui ne revêtent pas d’uti-lité au regard de la situation ; elle suppose ainsi que l’oninterrompe le flux de la vie intérieure et que l’on isole leprésent d’une partie du passé. Enfin, pour nous coordon-ner avec d’autres hommes au sein d’une société, nousavons besoin de repères et de segmentations chronolo-

1. Cf. « Lorsque l’astronome prédit une éclipse […] », ibid.,p. 83.

2. Ibid., p. 37.3. Ibid., p. 27-29.4. Elle suppose de « s’absorber tout entier dans la sensation ou

l’idée qui passe » (ibid., p. 55).

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No d’édition : L.01EHPN000553.N001Dépôt légal : juin 2013

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