FÉMINAIRES

DU MÊME AUTEUR

L'OUVERTURE DU SEPTIÈME SCEAU. De Rache, Bruxelles.

j e a n - p a u l g a l l e z

F É M I N A I R E S

collection dirigée par marc alyn flammarion

IL A ÉTÉ TIRÉ DE CET OUVRAGE :

TRENTE EXEMPLAIRES SUR VÉLIN PUR CHIFFON

DES PAPETERIES D'ARCHES,

DONT VINGT-CINQ EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS DE 1 A 2 5

ET CINQ EXEMPLAIRES, HORS COMMERCE, NUMÉROTÉS DE I A V ; MILLE SIX CENT CINQUANTE EXEMPLAIRES

SUR VÉLIN « FLEUR D'ALFA » DES PAPETERIES ALFA FRANÇAIS, DONT MILLE CINQ CENTS EXEMPLAIRES

NUMÉROTÉS DE 26 A 1 5 2 5

ET CENT CINQUANTE EXEMPLAIRES RÉSERVÉS A LA PRESSE.

EXEMPLAIRE N° 1461

Tous droits de traduction, de reproduct ion et d 'adaptat ion réservés pour tous les pays.

@ FLAMMARION, 1967.

« Et que veut le démon — Un livre

(...) Et le poète était encore une fois illuminé Il ramassait les morceaux du livre, il redevenait aveugle et invisible, Il perdait sa famille, il écrivait le mot du premier mot du livre.

Pierre Jean JOUVE, Les Noces.

PROLOGUE

C'était le bel enfant — je pensais au ciel — beaux nuages je vous ai connus ! connue sa chai r de suave pra i r ie : une lyre, le doux ange sculpté de lèpres fines.

C'était le mangl ier des velours d 'haras — je pensais à l 'or et ses poulpes de velours pourpres — peu peu de lumière, des condors allumés brûlaient la voûte.

C'était le bel enfant la belle ruine — je pensais ces nocturnes poulpes — sa face était une lanière solide sa bouche une lumière solide.

J 'ent ra is l ' immonde enfant cabré entre mes bras — les cierges avaient des clignements d 'eaux folles — le lit était ouvert et le serpent au bas le bel anneau au pied de tristes lies.

J 'hurlais le bleu enfant sa bouche baisant la douceur fine de ma colère, le lit avait l 'odeur de flammes des grabats. L'enfant avait les dents de la couleur des draps.

J'avais la blanche ébène pour armure le sulfure pour clef et le roseau pour la triste sainteté des lèvres trines. L'enfant était un chien sa couronne une épine.

Je dénudais alors mes membres solitaires. La blanche mer lavait son ombre sous mes pas. Les draps montaient avec lenteur et mousselines. L'enfant était couché saignant à mes pieds las.

Le lit était ouvert en purpurale tristesse — l'enfant était un ange et sanglotait tout bas — je pleurais avec lui je ne tressaillais pas mais tressaillais d'un triste calice.

J'allais en ses yeux pallides — cet enfant plein de cieux brûlait ne vivant pas — un encensoir battait des lunes divines sa bouche palpitait des flammes d'un bleu glas.

Ces bouches m'entouraient neigeuses et d'harmonie digne du chœur des mers — âmes de Gabala — la flamme était éteinte aux trépieds de Bagdad, la nuit allumée belles paupières.

J'entrais dans le silence de la blessure : ce ciel pleuvait du sang et de puissants lilas et je voyais Jésus et j'entendais sa croix par les plaies qui grillaient roses milices.

J'avais le firmament pour lampe, — l'enfant de l'océan m'attirait des noirs mâts jetaient des feux épais violents sous le toit épuisant les oiseaux livides.

Et je naviguais seul par l'heure triste et la nuit des rochers des palmes de blanc glas. L'enfant était tué j'étais lui c'était moi. L'aube faisait aux cieux des doux temples d'Allah.

Et je courais au vent ! le mal des fênes retentissait perçant les palais califats de la nue de mince voilure.

Et j 'apparus nageant aux lèvres d 'Adona aussi peu vêtu dans Sa brûlure.

LA FEMME HORS DE L'AURORE

« Ne prenez garde à mon teint noir, c'est le soleil qui m'a brûlée. »

(Le Cantique des Cantiques.)

céleste sous le sang la messagère de Dieu et dégrafée comme les forêts du matin à son approche les monts chantèrent et les sources la délivrèrent du sommeil

car douloureux secret au vase clos fermée mortellement la nuit sous l'arche la scella des monts intérieurs où nulle constellée son corps au bleu parfum des Sargasses sombra

mûrissante à l'Enfer amoureuse très sombre nul chant ne t'enfantait d'entre les rochers doux rien ne venait attiser cette forge entre tes seins dormante et recueillie

sinon les doigts orphiques de la braise au noir Eté qui pèse dans le sol sinon l'oiseau zénith aux clefs des voûtes dont l'aile à contre-ciel approfondit ta Mort

là sans repos dans l'envers de la vie tu respires la nulle brise des eaux noires et ta bouche noyée dans le tranquille grès est un chiffre de feu qui fait battre le blé

car tu es morte ô Femme et es la Mort

déesse à dents de craie qui dévore le sang tu es Isis et Nuit et bleue tu es la Lune

lampe dessous le drap qui recouvre les clefs

et Marie de l 'Enfer épouse des nocturnes ceux qui lèvent à Minuit leur grande face tu es la torche encor flambeau flambeau et ruine sein recélant le crime des colombes

dans la dure nuée qui rêve sur le pui ts dans la pierre scellée qui geint sur le tombeau c'est ton œil irisé qui rompt toute la vie la clôt en cette rose où l 'or médite

dans l 'orbe au sang d'Adam où se greffe ton fruit dans le palais de froid des grands silences et l 'œil de l 'épervier la serre des grands-ducs c'est ta face et ton front que l 'or profère

le triangle de l'Un qui baise la ténèbre et la bouche enflammée d'un ventre d 'herbe l'aile que ton sein fait battre c'est l 'ancolie c'est la Mort aux doux yeux de faisans et de fênes

— et puis la neige fond tes cheveux dans les flammes tu es un vert brûlot que la mer crie une barque où tout le ciel s 'approfondit sur ta poitr ine une empreinte de sang qui ferme le soleil

tu es Cybèle tu es la Terre je te connais j'ai vu tes yeux s 'ouvrir en des fontaines enfants et noirs en le rocher je les ai vus cil ler la bouche de gaz bleue faisait couler une eau i r réparable

FÉMINAIRES

à Morgane.

« Quand notre âme fut, des mains de Dieu, jaillie Je vis la tienne... »

MICHEL-ANGE, Sonnets.