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Depuis 1985 François Place construit une œuvre d'auteur illustrateur pour la jeunesse tout à fait singulière. Il vient de publier cette année son premier roman. Entre documentaire et fiction, récit d'aventure et conte philosophique, évocation réaliste de lieux ou d'époques lointains et construction de mondes imaginaires, ses livres emmènent les jeunes lecteurs à la découverte d'autres peuples et d'autres cultures. Danielle Dubois-Marcoin nous propose quelques clés pour appréhender ce qui donne à cette œuvre, au-delà de la diversité de ses déclinaisons, une cohérence et une profondeur remarquables. *Danielle Dubois-Marcoin, spécialiste de théâtre et littérature de jeunesse, a enseigné en IUFM puis à l'université d'Artois à Arras. Elle a dirigé une équipe de recherche sur l'enseignement de la littérature à l'INRP Lyon de 2004 à 2008. L’ auteur illustrateur François Place est une grande figure de la littéra- ture de jeunesse. Né en 1957, il a étudié à l’école des arts et industries gra- phiques Estienne à Paris. S’il s’est fait longtemps connaître comme illustrateur, il s’affirme de plus en plus comme un auteur exigeant : en témoigne son premier roman La Douane volante paru chez Gallimard Jeunesse en 2010, sans autre illustration que la première de couverture. Grand lecteur, érudit sensible, François Place sait faire jouer, à travers des registres divers, la puissance de l’image, vive et minutieuse, qui nécessite un patient travail de documentation (il s’en explique à travers la vidéo produite par les éditions Casterman pour accompa- gner la parution de l’album La Fille des batailles en 2007), ainsi qu’un grand talent d’observation (comme le prône le célèbre dessinateur d’estampes Hokusai auprès du jeune Tojiro dans l’album Le Vieux fou de dessin paru aux éditions Gallimard Jeunesse, d’abord dans la col- dossier / N°254-LA REVUE DES LIVRES POUR ENFANTS 87 ill. F. Place, in Le Vieux Fou de dessin, Gallimard Jeunesse François Place, ou l’exigence d’une œuvre par Danielle Dubois-Marcoin* ill. F. Place, in Les Derniers Géants, Casterman

François Place, ou l’exigence d’une œuvre - BnFcnlj.bnf.fr/sites/default/files/revues_document_joint/...en 2010, sans autre illustration que la première de couverture. Grand

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Depuis 1985 François Place construit une œuvre d'auteurillustrateur pour la jeunesse tout à fait singulière. Il vient depublier cette année son premierroman. Entre documentaire etfiction, récit d'aventure et conte philosophique, évocation réalistede lieux ou d'époques lointainset construction de mondes imaginaires, ses livres emmènentles jeunes lecteurs à la découverte d'autres peuples et d'autres cultures. Danielle Dubois-Marcoin nouspropose quelques clés pourappréhender ce qui donne à cette œuvre, au-delà de la diversité de ses déclinaisons, une cohérence et une profondeurremarquables.

*Danielle Dubois-Marcoin, spécialiste de théâtre et littérature de jeunesse, a enseigné en IUFM puis à l'université d'Artois à Arras.Elle a dirigé une équipe de recherche sur l'enseignementde la littérature à l'INRP Lyon de 2004 à 2008.

L’ auteur illustrateur François Placeest une grande figure de la littéra-ture de jeunesse. Né en 1957, il a

étudié à l’école des arts et industries gra-phiques Estienne à Paris.S’il s’est fait longtemps connaîtrecomme illustrateur, il s’affirme de plusen plus comme un auteur exigeant : entémoigne son premier roman La Douanevolante paru chez Gallimard Jeunesseen 2010, sans autre illustration que lapremière de couverture.Grand lecteur, érudit sensible, FrançoisPlace sait faire jouer, à travers desregistres divers, la puissance de l’image,vive et minutieuse, qui nécessite unpatient travail de documentation (il s’enexplique à travers la vidéo produite parles éditions Casterman pour accompa-gner la parution de l’album La Fille desbatailles en 2007), ainsi qu’un grandtalent d’observation (comme le prône lecélèbre dessinateur d’estampes Hokusaiauprès du jeune Tojiro dans l’album LeVieux fou de dessin paru aux éditionsGallimard Jeunesse, d’abord dans la col-

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ill. F. Place, in Le Vieux Fou de dessin, Gallimard Jeunesse

François Place, ou l’exigence

d’une œuvrepar Danielle Dubois-Marcoin*

ill. F. Place, in Les Derniers Géants, Casterman

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lection « Folio Junior » en 1997, puisrepris sous forme d’album illustré en2001).Par ailleurs, son œuvre se caractérise pro-gressivement par une tension entre ledocumentaire et la fiction, un jeu trou-blant entre réalités historiques, géogra-phiques et univers imaginaires. Prenantde plus en plus souvent plaisir à enbrouiller les frontières, il s’inscrit dans lalignée des romanciers du XIXe sièclecomme Edgar Poe (Les Aventuresd’Arthur Gordon Pym), Jules Verne(Voyage au centre de la Terre, Vingt millelieues sous les mers…) ou, un peu plustard, Joseph-Henri Rosny Aîné (L’Éton-nant Voyage de Hareton Ironcastle). Il ménage ainsi de fantastiques passages,ou confusions, entre monde réel et mondeparallèle à la manière d’Henri Michaux(Voyage en grande Garabagne), JorgeBorges (Tlön, Uqbar, Orbis Tertius), ouItalo Calvino (Les Villes invisibles) : del’encyclopédisme à la fiction ouvrant surdes mondes inventés, réinventés, il n’y abien souvent qu’un pas à franchir.Sa production, très personnelle, touffue,se nourrit d’une infinité de références,mais se nourrit aussi d’elle-même : dans

cette œuvre palimpseste, les motifs réap-paraissent, insistants, en se transformantd’un livre à l’autre de façon assez verti-gineuse, un peu à l’image de ce qui sepasse sur la Carte-Mère de l’île d’Orbæ :« C’est un très grand parchemin doubléde soie. Les Terres Intérieures sont repré-sentées avec toutes leurs transformationset leurs âges successifs, on peut y discer-ner une infinité de paysages superposésqui composent un tableau bigarré. […]Elle est aussi ornée de nombreuses lé-gendes et d’écritures vénérables, toutesconnues du Vieillard-Cent-Noms. Cevieillard [être en quelque sorte anonyme –cent noms/sans nom – qui condense toutle savoir universel] est doué d’unemémoire prodigieuse, mais il est trop âgépour lire la carte. C’est un enfant de dixans qui en est chargé, car ses yeux peuventdéchiffrer les plus infimes détails et fairerenaître sous l’encre des textes récents lemurmure de ceux qu’ils ont recouverts.On l’appelle l’Enfant-Palimpseste ».(Atlas du Pays des Géographes d’Orbæ,Du Pays de Jade à l’Île Quinookta, « L’Îled’Orbæ », Casterman / Gallimard, 1998,p.98, 100). Curieux paradoxe : c’est l’a-cuité d’un regard d’enfant qui permet

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Remise à jour de la Carte-Mère d’Orbæ, ill. F. Place, in Atlas du Pays des Géographes d’Orbæ, Du Pays de Jade à l’Île Quinookta, Gallimard / Casterman

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de remettre au jour les signes dont levieillard a conservé une mémoire inté-grale mais plus ou moins brouillée. D’oùs’opère l’entendement de ces signes ? Sil’œuvre de François Place ne s’adressepas à la petite enfance, elle s’adresse àla part d’enfance et d’imaginaire pré-sente chez le lecteur adulte et toutautant qu’à la part de curiosité, deréflexion et de gravité présente chezl’enfant lecteur.

François Place illustrateur François Place, qui dessine, écrit et,naturellement, lit beaucoup depuis qu’ilest enfant, est fils d’une institutrice,comme le rappelle François Bon dansFrançois Place, illustrateur (Casterman,1994) : « François Place a grandi dansune école primaire jumelle de celle duGrand Meaulnes, et dans les classes, ledimanche matin quand il allait y jouer,il y a avait près du tableau les cartes degéographie suspendues, la grosse map-pemonde et le poêle… »Évocation rassurante aux allures d’imaged’Épinal : l’espace de son enfance seconstitue en petit musée pédagogiquecomposé de cartes géographiques,d’outils de mesure, d’objets d’histoirenaturelle ou d’astronomie, familiermagasin de curiosités, fascinant bric-à-brac sous-tendant la construction despremiers savoirs scolaires, des échap-pées fondatrices vers les mondes ima-ginaires, qui se nourrissent mutuelle-ment.

C’est dans cette tradition que FrançoisPlace commence par illustrer Le Livre dela Découverte du Monde (texte deBernard Planche, 1986), puis assure texteset illustrations de la série « Découverte dumonde », en trois volumes Le Livre des

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Le Livre de la découvertedu monde, ill. F. Place,Gallimard Jeunesse, 1986

Enfant-Palimpseste étudiant les ancienneslangues d’Orbae, ill. F. Place, Atlas des Géographes d’Orbæ, Casterman/Gallimard, 1998

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Navigateurs (1988), Le Livre desExplorateurs (1989), Le Livre desMarchands (1990) dans la collectiond’ouvrages documentaires Gallimard « Découverte Cadet », alors dirigée parPierre Marchand.Il y reprend la facture des manuelscomme Le Tour de la France par deuxenfants – un classique des bibliothèquesscolaires du XIXe siècle – s’appuyant surle principe de la mise en récit dessavoirs, illustrés d’images précises etinformatives, souvent stylisées, sur les-quelles l’œil s’attarde à loisir. Chaqueséquence est organisée sur une doublepage, le texte central se découpe surfond d’illustration pleine page figurantune scène historique et géographique,saturée d’informations minutieuses, à lamanière d’une planche d’encyclopédie ;de part et d’autre, deux marges où s’ins-crivent des vignettes pittoresques agré-mentées d’un bref commentaire et repré-sentant des personnages (DavidLivingstone au pied des chutes duZambèze ; Moine pèlerin chinois avecson kakkhara et son sûtra ; PremièreIndienne de haut rang qui visital’Angleterre…), des objets typiques(Trompettes géantes des moines boud-dhistes ; Masque iroquois ; Pierrerunique portant des inscriptions enalphabet germanique, représentant unevoile rectangulaire, en laine ; Habit deprêtre tahitien pour les cérémonies dedeuil, rapporté par Bougainville…), deséléments de la faune ou de la flore etnaturellement, une multitude de cartesanciennes ou modernes où s’inscriventles trajectoires des grands voyageurs. Àla fin du livre, un petit lexique, auxentrées agrémentées de lettres histo-riées, reprécise les éléments d’informa-tion essentiels.

Dix ans après, l’organisation des vingt-six rubriques de L’Atlas des Géographesd’Orbæ apparaît comme un décalque deces petits ouvrages, opéré sur un mode àla fois fantaisiste et fantastique.

François Place a illustré aussi des clas-siques de la littérature de jeunesse :chez Hachette Jeunesse, La Comtesse deSégur : Les Bons enfants (1985), LesDeux nigauds, Jean qui grogne et Jeanqui rit (1991), Les Nouveaux contes defées (1991) ; Henriette Bichonnier : LesDiamants de Lizy Jones (1987).Chez Gallimard Jeunesse, AlphonseDaudet : La Chèvre de M. Seguin (2005) ;Robert Louis Stevenson : L’Île au trésor(1995), L’Étrange cas du Dr Jekyll et deM. Hyde (1999).Il a illustré des textes contemporains,notamment des contes à caractère philo-sophique : Contes d’un royaume perdu(texte d’Éric l’Homme), « Folio Cadet »2005 ; Le Peintre et le guerrier, texte deJean-Pierre Kerloc’h (2000), La Légendedu jardin japonais, texte d’ArnaudPontier (2003), dans la collection « Petitscontes de sagesse » chez Albin MichelJeunesse.Il est l’illustrateur des romans d’aventuresde Michael Morpurgo, dont il partagelargement l’imaginaire – Le Roi de laforêt des brumes (1992), Le Naufrage du Zanzibar 1994, Le Royaume de Kensuké(2000) – tous édités chez GallimardJeunesse – ainsi que du roman deTimothée de Fombelle, Tobie Lolness,(même éditeur, deux volumes 2006,2007).Au-delà de la simple illustration, on peutdire qu’il y a conjugaison entre l’universde ces contes, ou de ces romans et celuide François Place, qui se rencontrent,s’imprègnent et se révèlent réciproque-

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ment dans le jeu d’interprétation qu’estle dessin – mise en espace, mise en scènedes possibles du texte. François Placeintègre effectivement dans sa proprecréation d’auteur les univers qu’il achoisi d’illustrer ; cela vaut par exemplepour les légendes liées à la société tradi-tionnelle du Japon précédemment citées,dont on retrouve des éléments dans letexte et les illustrations de l’album LeVieux fou de dessin.Cela vaut aussi pour Le Roi de la forêtdes brumes : l’univers décrit parMorpurgo en 1992 entre en écho aveccertaines pages de L’Atlas desGéographes d’Orbæ, dans lequel le motifde la rivière de brume est essentiel. Onle retrouve dans son roman La Douanevolante (Gallimard Jeunesse 2010), lebrouillard signifiant toujours plus oumoins la frontière aveugle qui signaleet/ou interdit les mondes inconnus, lesmondes rêvés. Quant aux Yétis, êtresvelus de taille gigantesque, dotés d’unlangage fruste monosyllabique, vivantde chasse et de cueillette, qui ont été misen scène par le romancier anglais, ilsentretiennent des liens de parenté évi-dents avec les derniers géants imaginéspar François Place la même année. Dureste, il le constate lui-même dans unrécent article : « [L]’univers et [l’] écri-ture [de Morpurgo] ont du souffle, de lagénérosité, beaucoup de “tendresse”aussi, pour la plupart des personnages.Je prends un grand plaisir à les illustreret ce n’est pas difficile pour moi de mecouler dans ses récits. Nous avons desthèmes parallèles : Le Roi de la forêt desbrumes et Les Derniers Géants, LeRoyaume de Kensuké et Le Vieux fou dedessin, ce qui témoigne de notre compli-cité » (« Rencontre avec François Place »,Lecture Jeune, n°134, juin 2010, p.6).

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Les Bons enfants, ill. F. Place, Hachette, 1985

(Bibliothèque Rose)

M. Morpurgo : Le Roi de la forêt des brumes, ill. F. Place, Gallimard Jeunesse, 1992

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François Place auteur-illustrateurLes Derniers Géants, album de fictionqui a reçu de nombreux prix, à com-mencer par le Totem Album du Salon dulivre de jeunesse de Montreuil dès saparution (Casterman 1992), raconte l’his-toire des aventures étranges d’ArchibaldLéopold Ruthmore, caricature de l’explo-rateur anglais du XIXe siècle, parti à larecherche d’un pays lointain, dont lacarte minuscule figurait parmi unentrelacs de gravures sur la face interned’une molaire – de la taille d’un poing –achetée à un marin sur le port… C’est uncarnet de voyage, accompagné de des-sins alertes aux couleurs vives, qui setransforme en une confession pleine deremords, celle de l’intrusion désastreusedans l’univers étrange et préservé deneuf titans pacifiques, calmes « colossesà voix de sirènes ». Le corps puissant etlisse, la peau entièrement tatouée, coiffésen chignon tiré sur le haut du crâne, ils

ont à la fois des airs de Maoris et deBouddhas. Ils vivent en harmonie avec lerythme des étoiles dans une spiritualitécontemplative totalement oubliée de nossociétés matérialistes contemporaines :l’illustration propulse alors le lecteurdans une dimension cosmique ; du chaosde la Terre et des couches nuageusesjaillissent, en arrière-plan, les immensesmontagnes neigeuses ; de bouillonnantescataractes bondissent des blocs rocheuxcouverts de mousse, selon un mouve-ment qui paraît pourtant d’une ampleuret d’une lenteur toutes majestueuses.Malheureusement, les conférencesdonnées auprès de sociétés savantespar Archibald à son retour en Europeprovoquent la ruée de « faux savants,de vrais bandits, et de trafiquants detoutes sortes » dans cette contrée jus-qu’alors inviolée des derniers géants. « Mes livres les avaient tués bien plusfacilement qu’un régiment d’artillerie »,

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Les Derniers Géants, ill. F. Place, Casterman, 1992

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reconnaît l’explorateur contrit devenuconteur auprès des enfants. Le savant,tout comme l’artiste, est responsable dela curiosité aiguisée qu’il exerce sur lemonde et qui fait de lui un « passeur ».

Dans l’album Le Vieux fou de dessin – àla fois récit de formation et ouvragedocumentaire sur l’œuvre d’Hokusai(1760-1849) durant l’époque d’Edo auJapon – c’est aussi l’idée que développele célèbre peintre auprès du jeune Tojiro,un « moineau » qu’il a pris sous sa pro-tection pour le soustraire à la violence deson oncle. Dans le quotidien de l’atelier,des rencontres avec les autres artistes, lemaître attentif et exigeant guide patiem-ment et discrètement le long apprentis-sage de l’enfant dont il a pressenti lesdons. « Regarde [ces man-ga], “dessinsau fil de la pensée”, Tojiro, c’est le fruitde toute une vie d’observation. L’âgevenant, je me suis de plus en plus inté-ressé à la diversité des formes dans lanature : ce que tu as sous les yeux, c’estune véritable encyclopédie de dessins.Quand tu les auras bien étudiés tu ensauras beaucoup ; mais l’essentiel, tul’apprendras avec ta main, tes yeux,ton cœur ». Sage et généreux, le maîtredécide d’envoyer l’enfant parfaire sonéducation à Nagasaki, comptoir de mar-chands ouvert sur le monde, et le metsur la voie célèbre du Tôkaido le jour dela fête des garçons : l’album se refermesur les sinuosités du chemin qui inspiratant d’artistes japonais (c’est le cheminqui clôt le dernier volume de L’Atlas desGéographes d’Orbæ). Hokusai, de mêmeque le personnage de Kensuké imaginépar Morpurgo, apparaissent comme desfigures tutélaires capables de forger lecourage, l’intelligence et le talent desenfants dont ils ont, pour une raison ou

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Le Vieux fou de dessin, ill. F. Place, Gallimard Jeunesse, 1997

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pour une autre, la charge, sans pourautant les rendre captifs de l’affectionprofonde qui leur est portée.

Sur la couverture de l’album Grand Ours(Casterman, collection « Albums Ducu-lot », 2005), aux dimensions impression-nantes 26,6 x 36,2 cm, un ours se dresse,le regard sérieux et grave. L’illustrationn’a pas le caractère à la fois épuré etdynamique inspiré d’Hokusai dans l’al-bum précédemment évoqué, ni celuiprécis et précieux des Contes d’unroyaume perdu imité des miniatures per-sanes. François Place s’en explique :« Pour Grand Ours qui est un conte surla Préhistoire, je ne pouvais pas fairedes illustrations “précieuses”. J’ai préfé-ré dessiner au bambou et à l’encre deChine, avec un trait plus rugueux etplus relâché. Je suis toujours influencépar le contexte d’une histoire quand jeveux la dessiner. Mon style varie enconséquence. » C’est Grand Ours qui conte l’histoire deKaor, un bébé « marche debout », et celaconfère au texte une force et une solen-nité toutes primitives : « Moi, GrandOurs, j’étais présent dans les rêves de samère le jour de sa naissance, si bien quece petit être a crié avec la force des ours,la force de ceux qui, comme moi dor-ment dans la bouche de la terre ». Cetterude aventure initiatique située auxdébuts de l’humanité, empreinte de spi-ritualité chamanique, met le jeuneenfant aux prises avec des interdits qu’ilva transgresser contre sa volonté : ainsiest-il amené à croiser le regard de Tanda,la femelle qui dirige le troupeau de « têtes boisées » (une autre figure tuté-laire), ce qui rompt momentanément l’al-liance naturelle passée entre les hommeschasseurs et les animaux. Sous la protec-

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Grand Ours, ill. F. Place, Casterman, 2005

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tion de Grand Ours, Kaor quitte son clan,mis au défi par son oncle d’affronter « l’ours tapi dans la grotte ». « Frère Oursqui dort dans la bouche de la Terre,montre-toi ! Je suis Kaor, fils de Wouhôn !Je viens te demander ton souffle. Tuseras honoré dans mon clan. Et touspourront voir que je suis un marche-debout ! » Le combat est inégal, « l’ours,d’un seul coup de patte, le projette dansles airs. Kaor retombe dans un buisson[…] Kaor voyage dans le monde desesprits » ; Grand Ours intervient alorspour le sauver (alors que Kaor vient del’affronter au péril de sa vie), il envoieauprès de l’enfant mourant un vieuxsage, Frân, accompagné de la jeuneThia, qui le soigne. Ayant été initié parle sage Frân au dessin sur les parois desgrottes au cours de son douloureux trajetde retour (il a perdu l’usage d’unejambe), Kaor revient auprès des siensavec une femme, Thia, et un enfant ànaître. Cette série d’épreuves terribles,traversées par des pactes avec les espritsde la nature, a fait de lui un homme.Contrairement à ce qui se passe dansL’Ombre du chasseur – texte de FrançoisPlace, illustrations de Philippe Poirier (« Petits Contes de sagesse », AlbinMichel Jeunesse 1998) – Kaor n’est pasun chasseur fou et solitaire, unique-ment avide de trophées et de sang, quimourra en tirant sur sa propre ombre.C’est, au contraire, l’affrontement avecl’autre, plus fort et pourtant aimant (sil’on admet que les deux ours ne fontqu’un), qui permet au petit « marche-debout » de vivre et de devenir adulte.Toute formation passe par de rudescombats, ceux qui sont commandés parles proches, ainsi que ceux qui sontinfligés par le destin ou les circonstanceshistoriques.

Dans La Fille des batailles (Les AlbumsDuculot, Casterman 2007, Prix Baobabdu meilleur album au Salon deMontreuil la même année), Garance,une enfant muette à la peau sombre,seule survivante d’un naufrage sur lescôtes de l’Océan Atlantique, est confron-tée aux rudes réalités de la France duXVIIe siècle : les guerres menées par le roi,qui éloignent son amoureux Bastien, unvioloneux enrôlé malgré lui comme tam-bour, la convoitise d’un « Seigneur »…Après une série de terribles épreuves etpéripéties, telles que celles que l’ontrouve chez les grands romanciers duXIXe siècle comme Alexandre Dumas, lecouple finit par revenir au relais de postedes aubergistes qui avaient généreuse-ment élevé l’enfant arrivée de la mer.Une petite fille est née, Séraphine, « lafille des batailles », qui sera comédiennepour porter la parole des autres surscène. Ce récit d’aventures mis enalbum, s’inscrivant dans un contextehistorique bien déterminé, est riche d’é-léments historiques qui ont exigé del’auteur illustrateur un travail de docu-mentation particulièrement minutieux.Dans la vidéo d’accompagnement pro-duite par l’éditeur, François Placeraconte l’élaboration de son livre etexplique la nécessité pour lui de mettreson histoire en images pour mieux enmaîtriser (visualiser) la progression. Onle voit reprendre et affiner une multitudede croquis, à la mine, à la plume, au lavis,puis à l’encre de couleur ou à l’aquarelle.Il dit toutes les recherches menées à par-tir des tableaux de maîtres flamands ouhollandais de l’époque, de peintrescomme Watteau, pour parvenir à imagi-ner et représenter les paysages, les costu-mes et les attitudes des personnages. Il ditégalement le travail de réécriture du texte,

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les cinq ou six moutures successives pourparvenir à un rythme, une cadence et unequalité de langue qui le satisfassent. Laqualité de la réalisation a, du reste, étélargement saluée par les critiques.Dans la production de François Place, ilconvient évidemment d’accorder uneplace toute particulière à l’Atlas desGéographes d’Orbæ (trois volumesparus chez Casterman-Gallimard, 1996-2000), atlas imaginaire, qui concentrel’univers de l’auteur illustrateur (cesrécits ont été réédités séparément dans lasérie « Les 26 histoires extraordinaires »des « Albums Casterman »). « C’est venu des documentaires de la collection « Découverte Cadet »,pour lesquels j’avais réalisé un lexiquecartographié, il y a une dizaine d’années.D’avoir sous les yeux les dessins desvingt-six lettres de l’alphabet cartogra-phiées, avec des cartes persanes, médié-vales, etc., m’a fait penser qu’ellesétaient porteuses de quelque chose,

qu’il fallait donc aller les visiter. Cettevisite s’est faite à partir de la lecture derécits de voyage. Ce qui m’a intéressé,c’est d’explorer un endroit qui nous estmaintenant presque interdit, celui de lasurprise, de l’émerveillement géogra-phique, celui de la vastitude de la Terre.L’afflux des images télévisuelles émous-se notre curiosité et notre naïveté. Fairedes livres qui rattrapent ces sentiments-là n’est pas évident, car cela impliqued’occulter une partie de ce qu’on sait,pour remonter vraiment aux sources,pour retrouver des émotions perdues,disparues. Il s’agissait pour moi deconstruire un grenier, de le construireavec des lectures et des références, puisde se promener dedans, d’ouvrir desmalles, sortir des objets, travailler surdes analogies. L’imaginaire, dès qu’onl’ancre un peu, nous parle de l’intérieurde nous-mêmes. » L’ensemble est plus ou moins centré surle personnage d’Ortélius, cosmographe

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La Fille des batailles, ill. F. Place, Casterman, 2007

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d’Orbæ, jugé coupable d’hérésie etcondamné à quitter son pays pour avoirosé franchir – les yeux ouverts et sansêtre conduit par la guilde des aveugles –les Fleuves de Brume, dans le cadre d’unprojet d’expédition qui a lamentable-ment échoué : le seul trophée rapportéest un oiseau criard, déplumé et contre-fait (qui réapparaît plus ou moins dansle roman La Douane volante).Le procès intenté contre Ortélius par lesInquisiteurs d’Orbæ tourne autour del’intéressante question, déjà posée parBorges : l’imaginaire précède-t-il ouentraîne-t-il la réalité ? « On ne peut des-siner sur la carte que ce que l’on a d’abord vu sur le terrain et non l’in-verse ! – C’est aussi ce que je croyais. »répond Ortélius, qui « préfère rêver lesyeux ouverts ».

Des allures de contes philosophiquesLes récits constituant l’Atlas sont parfoisdes contes réparateurs, qui dialoguententre eux au sein de l’œuvre de l’auteur :au moment où le voyageur Jaoa décidede quitter le pays de la Rivière rougepour retourner chez lui, le « devoir d’ou-bli », dans le cadre du rituel de l’enter-rement des paroles, fonctionne un peudans l’œuvre de François Place commeune réparation du désastre perpétré parle trop bavard Archibald qui avait entraî-né la destruction de la tribu formée parles derniers géants.Ces contes ne sont pas toujours très ras-surants : dans « La Cité du Vertige », lesmanigances fanatiques et destructricesde la secte menée par Buzodîn autourde la Pierre de Baliverne, promettant l’anéantissement de la cité (l’écroule-ment de la tour de Babel ?), sont heu-reusement désamorcées par Izkadâr, unmembre de la confrérie des maçons-

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Membre de la Police des Pigeons, extrait de « La Cité du Vertige »,

in Atlas des Géographesd’Orbæ : de la Rivière

rouge au Pays des Zizotls,Casterman / Gallimard

2000

in Atlas des Géographesd’Orbæ : Du Pays

de Jade à l’Île Quinookta,Casterman / Gallimard

1998

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volants (ils doivent leur équilibre à leurlongue natte terminée par un grappin), etson compagnon, un face-bleue nomméKholvino. Clin d’œil à Italo Calvino quiimagina lui aussi des villes invisibles,notamment, celle, vertigineuse, d’Octavie :« Suspendue au-dessus de l’abîme, lavie des habitants d’Octavie est moinsincertaine que dans d’autres villes. Ilssavent que la résistance de leur filet aune limite… »Le cosmographe Ortélius, que l’onretrouve au dernier chapitre, est animéjusqu’au bout par l’espoir, toujoursrepoussé et finalement déçu, d’atteindrela terre espérée, l’île Indigo, l’île sacréequ’il n’aperçoit finalement qu’au loin,des hauteurs du pays des Zizotls, cesmystérieux Indiens qui continuent depratiquer « la politesse des pieds », et quine connaissent pas la carte : « Chez lesZizotls, il n’existait pas d’autre carte quela trace des pas. C’était leur paraphe etleur écriture. Ils dessinaient leursempreintes comme des petites plantessuccessives et jugeaient un homme à ladiscrétion de son passage, à l’élégancede son chemin. Ils pensaient qu’il fallaiteffleurer la terre, et laisser derrière soiun jardin. Ils pratiquaient une sorte depolitesse des pieds. »À une époque où l’espace est cartogra-phié dans ses moindres recoins, FrançoisPlace décide donc de terminer son Atlaspar un questionnement sur la relationentre les hommes et le monde. Le corpstatoué du dernier des géants était déjà, enquelque sorte, une carte toujours mou-vante, inscrivant et accumulant la tracedes événements vécus par chacun d’eux(une autre version de la « carte-mère »).Ici c’est sur le sol même que se dessinentles faits et gestes des Zizotls qui, lesachant, vont agir en conséquence.

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Entraînement des Maçons-volants,in Atlas des Géographes d’Orbæ :

de la Rivière rouge au Pays des Zizotls, Casterman / Gallimard, 2000

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François Place auteur François Place s’est souvent exprimé surson travail d’écriture, qu’il envisagefinalement à la manière d’un plasticien,ou plus exactement en relation avec sontravail de plasticien : « J’ai le goût dudétail, et ce depuis mon enfance, ça sevoit dans mon écriture, dans mes des-sins… J’ai une écriture naturellementdescriptive. Je reviens souvent poursupprimer des adjectifs par peur d’en-combrer le lecteur et de ne pas lui lais-ser suffisamment de place. […] Je suistrès admiratif des “écritures blanches”,donnant peu d’indications, et quiemportent le lecteur sur un fil ténu.[La Douane volante] m’a permis dedresser des portraits, ce que j’ai tou-jours eu un peu peur de faire en des-sin. Avec ce roman, j’ai pu typer mespersonnages, les caractériser ; je croisque les héros intéressants sont tou-jours un peu “bancals”. »L’on pourrait dire, pour caractériser cepremier roman, que l’auteur y pratiquela « politesse de la plume » à l’égard dulecteur, comme il pratique la « politessedu crayon » en se refusant à figer unportrait par le dessin. Et pourtant, cettevolonté de discrétion n’aboutit pas à lafadeur, bien au contraire.

Concernant la facture, c’est le premiertexte long de François Place, contraintjusque-là par l’album à la brièveté, à l’écriture sous forme de nouvelle : « J’aitrouvé dans l’écriture de roman le plai-sir du souffle, comme si je passais dudemi-fond au marathon. ». Pourtant, cequi frappe à la lecture, c’est qu’on aaffaire à un récit un peu « troué » : desinterrogations demeurent, des explica-tions ne sont pas fournies au lecteur,des hiatus l’interpellent.

C’est précisément ce qui maintient laforce de ce roman de formation, conduità la première personne par le hérosGwen qui n’est pas omniscient (et l’au-teur ne joue pas à l’être non plus…),constitué d’affrontements, de rencontresbrutales, de situations déroutantes, derelations complexes entre les différentsprotagonistes qui évoluent eux-mêmesdans un univers pas tout à fait d’aplomb.Dans un port, situé probablement enBretagne, au moment de la PremièreGuerre mondiale, Gwen le Tousseux, enbutte à la violence des autres garçons duvillage, recueilli par un rebouteux, levieux Braz – un homme bourru qui l’ini-tie à son art –, bascule dans un autremonde à la mort de celui-ci, emportédans une charrette par l’Ankou.Il est impossible de s’échapper de cepays étrange, largement bordé de zonesmarécageuses et brumeuses, où l’on seperdrait infailliblement. Il semble quel’on se situe au Moyen Âge, dans uneville du nord de l’Europe. Les « Égarés »y sont implacablement surveillés par laDouane volante. Gwen (qui doit cacherqu’il a été emmené là par l’Ankou, autre-ment dire taire son étrange différence)est d’abord recueilli par Jorn, un officierde la Douane qui épie sans relâche legarçon dont il prétend diriger d’unemain de fer les moindres faits et gestes.Les risques sont grands pour Gwen de seretrouver aux Jardins de Fer (des ateliersde construction de canons où les condi-tions de travail sont terribles), mais ils’en sortira grâce à ses talents de guéris-seur, qu’il va parfaire auprès de maîtressuccessifs, aidé de Daer-le-pibil, oiseauqui rappelle un peu l’étrange oiseaud’Ortélius. L’adolescent est amené àcôtoyer toutes sortes de gens, qui le tra-hissent ou l’aident. Finalement, il par-

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viendra à rejoindre son village natal,c’est la fin de la guerre, des désastres dumonde réel.L’on retrouve dans ce roman déroutantles motifs chers à François Place, celuidu parcours d’épreuves initiatiques,guidé par des figures tutélaires, parfoisaimantes, souvent brutales, mais quipermettent au héros de mener à bien sesapprentissages ; celui du passagepérilleux vers un ailleurs qui prive pro-visoirement de tout repère social ; celuide la quête et de la construction pro-gressive d’une identité, pourtant jamaisdéfinitivement arrêtée. On retrouve éga-lement le goût de l’auteur pour la per-méabilité entre les genres ; ici le réalismese mêle au fantastique, voire à l’ésoté-risme, qui peut s’attacher aux objets

– notamment aux livres (les manuscritsd’Abraham Sternis) – ou aux animaux(le pibil ou la tortue Mère-Grand autourde laquelle s’organise un festin rituel).Car François Place ne soumet pas sacréation aux contraintes de la catégori-sation, ce qui lui donne toute sa puis-sance et son intérêt : « Je n’écris paspour une tranche d’âge. Je ne sais pas lefaire. J’ai envie de proposer des “passe-relles”, un peu sur le fil du rasoir […]L’Atlas des Géographes d’Orbæ, parexemple, est un peu sur cette frontière.Il me semble que la littérature de jeu-nesse offre un partage autour de la lec-ture. »

Aux passeurs de textes que nous sommesd’opérer au mieux ce partage.

Lecture du « Vénérable » sur les berges de la Rivière Rouge, in Atlas des Géographes d’Orbæ : de la Rivière rouge au Pays des Zizotls, Casterman / Gallimard

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