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    Ph

    iloSophie

    Freud et Breuer

    Anna O.

    (Etudes sur lhystrie)

    Traduction de Anne berman

    Introduction par Yvon Brs

    http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/http://www.ac-grenoble.fr/PhiloSophie/
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    Table des matires

    Introduction..............................................................................3

    Rminiscence, remmoration, inconscient, catharsis.................6

    La vulgate psychanalytique ........................................................ 13

    Perspectives critiques .................................................................18

    I. Le mcanisme psychique de phnomnes hystriques ......24

    Communication prliminaire.....................................................24

    II ..................................................................................................30

    III ................................................................................................34

    IV.................................................................................................36

    V ................................................................................................. 40

    II. Histoires de malades..........................................................42

    A. Mademoiselle Anna 0 .........................................................42

    Elments biographiques .........................................................72

    Sigmund FREUD de 1873 1900...............................................72

    Josef BREUER............................................................................ 77

    Bertha PAPPENHEIM (Anna 0.) ...............................................79

    propos de cette dition lectronique...................................82

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    Introduction

    Vers le milieu de lanne 1880, le mdecin viennois JosefBreuer est appel soigner une jeune fille de 21 ans qui pr-sente des symptmes graves en apparence (par exemple, la pa-ralysie du bras droit) mais qui, en labsence de toute cause neu-rologique visible, semblent devoir tre rattachs une mala-die connue depuis longtemps mais redevenue fort la modedans ces dernires dcades du XIXe sicle, lhystrie. Pendantplus dun an, Breuer suit sa malade, dont ltat semble tanttsamliorer, tantt saggraver, mais croit sapercevoir, un cer-tain moment, quen lui faisant retrouver sous hypnose le souve-nir dvnements qui lavaient affecte et quelle avait oublis, illa dlivre des symptmes lis ces vnements.

    La malade nest pas gurie . Breuer prouve mme le

    besoin de la faire admettre dans une institution psychiatrique.Mais certains des processus quil a dcels au cours du traite-ment lont suffisamment frapp pour que, le 18 novembre 1882,il en parle un jeune ami de 26 ans qui hsite encore quant lorientation donner sa carrire mdicale, Sigmund Freud.

    Quelques annes passent. La vogue de lhystrie et celle delhypnose augmentent. Au grand succs de Charcot la Salp-

    trire fait cho le succs, plus modeste, de Libault et de Bern-heim Nancy. Freud obtient une bourse qui lui permet de s-journer Paris du 13 octobre 1885 au 28 fvrier 1886 et dy sui-vre lenseignement de Charcot. Pendant lt de 1889, il passeraquelques semaines Nancy et assistera du 1er au 9 aot auCongrs International de lHypnotisme Paris. Entre 1881 et1889, les principales publications de Freud sont encore dordreneurologique. Mais il na pas oubli la mthode suivie par

    Breuer pour traiter sa jeune hystrique en 1881 ; il lapplique

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    lui-mme, partir de mai 1889, une patiente quil appelleraplus tard Emmy v. N. Ainsi les deux amis vont-ils publier, dansles numros des 1er et 15 janvier 1893 de la revue Neurolo-

    gisches Zentralblatt, un article intitul Le mcanisme psychi-que de phnomnes hystriques , qui dgage les conclusionsthoriques auxquelles ils croient pouvoir parvenir partir decette mthode de traitement et, tout particulirement, du pre-mier cas auquel elle a t applique.

    Deux ans et demi plus tard (mi-mai 1895) parat, sous lamme double signature, le gros ouvrage intitul tudes sur

    lhystrie, dont le premier chapitre ( Communication prlimi-naire ) nest autre que larticle du Neurologisches Zentralblattde janvier 1893, et dont la premire des cinq Histoires de ma-lades (qui constituent le chap. II) est le rcit, crit de la mainde Breuer, de la maladie et du traitement de cette jeune hystri-que quil croyait avoir, douze ou treize ans auparavant, dlivrede certains de ses symptmes par remmoration sous hypnosedvnements traumatiques oublis. A cette patiente, Breuer

    donne le pseudonyme dAnna O., appellation sous laquelle elledeviendra clbre et par laquelle on continuera souvent la d-signer, mme aprs que les historiens de la psychanalyse aurontrvl son vrai nom.

    Communication prliminaire et histoire dAnna O., voi-l deux textes dont la vogue ultrieure peut paratre tonnante.En effet, en 1895, nous ne sommes qu laube de la psychana-

    lyse. Avant den poser les vritables fondements, Freud devra,entre 1895 et 1900, franchir assez rapidement, il est vrai destapes importantes. Dautre part, de toutes les histoires de ma-lades des tudes sur lhystrie, celle dAnna O. est la plus an-cienne, et elle nest mme pas de la main de Freud ! Cest pour-tant lui qui sera le premier responsable de limportance recon-nue ces pages. En effet, chaque fois que, par la suite, il seraconduit donner de la psychanalyse un tableau densemble etune histoire, il tiendra voquer sa premire collaboration avec

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    Breuer, dire sa dette envers lui, et raconter ou voquerlhistoire dAnna O. Peu importera quil ft, depuis 1896, pres-que fch avec Breuer ; peu importera que la psychanalyse ait

    volu au point de pouvoir difficilement se reconnatre dans lamthode employe cette poque lointaine : Freud na proba-blement jamais cess de penser que ces deux textes avaient,pour ainsi dire, valeur initiatique et quils exprimaient dunemanire spcifique des ides dont la porte, pour ce quiconcerne la psychanalyse, mais aussi peut-tre la psychologie etla culture en gnral, ne pouvait tre ignore.

    Aussi est-ce bien dans une telle perspective quil convientdabord de les lire et que pourra en tirer parti mme le lecteurdont linformation psychanalytique est encore sommaire : illus-trant de manire originale les notions de rminiscence, de re-mmoration, dinconscient, de symptme hystrique, voiredexpression symbolique et de catharsis, la Communicationprliminaire et lhistoire dAnna O. sinscrivent dans les gran-des problmatiques philosophiques, psychologiques et littrai-

    res qui perdurent dans la culture occidentale depuis lAntiquit.Bien entendu, ces pages appartiennent galement lhis-

    toire de la psychanalyse entendue au sens strict. Il faut savoirnon seulement que Freud a assez rapidement abandonn la mthode cathartique de Breuer pour des thories plus auda-cieuses et pour des pratiques plus subtiles, mais aussi quil a,par la suite, interprt rtroactivement certains des processus

    ayant caractris les relations de Breuer et dAnna O. en fonc-tion de concepts (sexualit, transfert) quil nutilisait pas encoreen 1893 et en 1895. Et lhistorien de la psychanalyse ne man-quera pas de se demander quel est le rapport pistmologiqueentre les notions utilises cette poque et celles qui seront la-bores ultrieurement. La question sera dautant plus intres-sante que, lvolution des concepts ntant pas linaire, on pour-ra avoir la surprise dassister des reniements et des retours.

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    Il sera enfin possible de lire ces deux textes dans une pers-pective plus nettement critique. Le simple fait quAnna O. naitpas t gurie en dpit de ce que suggre Breuer incite dj

    une certaine mfiance. Mais les travaux rcents sur la vie deFreud, de Breuer et dAnna O. font apparatre, dans les critsdes deux auteurs, bien des glissements qui pousseront le lecteurinform rflchir aux raisons qui ont pu les provoquer et peut-tre interprter autrement les faits historiques.

    Ainsi est offerte au lecteur de ces textes classiques la possi-bilit de choisir entre pour ainsi dire trois niveaux

    dutilisation, suivant le degr davancement de son informationpsychologique et psychanalytique.

    1. Au lecteur peu inform de luvre de Freud et de lhis-toire de la psychanalyse, on conseillera dadopter une perspec-tive philosophique et psychologique gnrale et dy voir lillus-tration de certains thmes classiques.

    2. Le lecteur qui commence avoir une bonne connais-sance de luvre ultrieure de Freud aura intrt essayer devoir quelle volution a conduit ce dernier, partir de sa collabo-ration avec Breuer, vers les thories psychanalytiques classiqueset comment celles-ci permettent de rinterprter les textes decette poque.

    3. A un troisime niveau de culture psychanalytique et his-

    torique, on pourra les lire dans une perspective critique.

    Rminiscence, remmoration, inconscient,catharsis

    Cest de rminiscences surtout que souffre lhystrique. Cette phrase clbre, qui clt le I de la Communication pr-

    liminaire et que Freud rappellera bien souvent par la suite

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    dans ses allusions aux origines de la psychanalyse, est affectedune note dans laquelle les auteurs avouent modestement nepas pouvoir distinguer ce qui, dans cette thse, est vraiment

    nouveau et ce qui, dans une certaine mesure, se trouve dj chezleurs prdcesseurs (sont ici nomms : Mbius, Strmpel et Be-nedikt). En fait, elle sinscrit dans une tradition philosophiqueet psychologique.

    En quoi consiste, en effet, le processus dcrit et interprtdans la Communication prliminaire et dans lhistoire dAn-na O. ? Un symptme hystrique 1, par exemple

    limpossibilit de boire dans un verre ou de parler allemand, estrattach comme une sorte de cause un vnement (lascne au cours de laquelle la gouvernante anglaise dAnna O.avait essay de faire boire un petit chien dans un verre) qui avaitt oubli et dont le souvenir se manifestait ainsi sous forme desymptme. Ce rattachement ne devient, bien entendu, pos-sible que parce que, lorsque sous hypnose le souvenir sera re-trouv, le symptme disparatra. Cest dailleurs cette ncessit

    dclairer le processus morbide partir du moment thrapeuti-que qui rend parfois difficile la lecture du texte. Mais si lon saity percevoir le rle quy jouent ces indispensables retours en ar-rire (dans le cas dAnna O., il sagit parfois de retour des sc-nes de lanne prcdente), il est facile de voir que la thorie dusymptme hystrique comme rminiscence illustre merveille

    1Si banale que soit la notion dhystrie, il nest gure possible de la

    dfinir, ni mme de la cerner par une simple numration de symptmes.Une des deux grandes catgories dhystries est lhystrie dangoisse,mais il y a de langoisse ailleurs que dans lhystrie ! Quant la seconde,lhystrie de conversion, elle se dfinirait par le fait quen labsence detoute maladie organique un conflit psychique sy exprime par un troublesomatique. Mais cette dfinition a deux inconvnients :

    1) elle est trop large : tous les dsordres psychosomatiques ne sontpas hystriques :

    2) elle fait intervenir dans la caractrisation du syndrome une hypo-

    thse tiologique : ce nest quune fois mis au jour lventuel conflit psy-chique quon peut penser quil est la cause des symptmes.

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    la distinction quimpose toute thorie de la mmoire entre sou-venir, rminiscence et remmoration.

    Appelons souvenir le fait que, dun vnement pass,soit conserv dans le psychisme une trace (il sagit, bien enten-du, ici dune reprsentation vulgaire, ne prjugeant en aucunemanire de la lgitimit philosophique des notions de trace etde conservation). On appellera remmoration le phnomnepar lequel cet vnement revient la conscience et est reconnucomme pass. Quant au mot rminiscence , il dsignera trsprcisment ce retour sous forme de reprsentation, ou la

    rigueur sous forme dacte sans reconnaissance, sans la mar-que du pass.

    De ces notions, lillustration la plus ancienne et la plusconnue se trouve dans leMnon de Platon : le petit esclave ne serappelle pas avoir appris la gomtrie, et pourtant il connat lamesure de la diagonale du carr ; cest donc quil la apprisedans une vie antrieure. Ce nest pas une remmoration, cest

    une rminiscence. Certes, la signification psychologique dutexte de Platon est un peu estompe par lusage mythique et m-taphysique qui est fait ici de la notion (appel une vie ant-rieure, allusion probable la thorie des Ides), mais cette no-tion y est bien utilise au sens quelle aura, par la suite, danslusage courant de la critique littraire (qui repre, chez les au-teurs, les rminiscences de lectures antrieures et les distin-gue des citations ) et, finalement, sous la plume de Breuer et

    de Freud : retour du pass sans reconnaissance.Ici, dailleurs (une fois nest pas coutume), la langue fran-

    aise se rvle plus riche et plus prcise que la langue alle-mande. Car si lallemand dispose bien dun mot (Reminiszenz)pour dsigner le retour dun vnement du pass non reconnucomme tel, il a un seul mot (Erinnerung) pour le souvenirentant que trace conserve et pour la remmoration commeretour du pass avec reconnaissance. De cela rsulte une cer-

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    taine difficult pour la lecture des textes de Freud et de Breueret, a fortiori, pour leur traduction, qui nest pas exempte dequelques contresens. Mais les notions se distinguent assez clai-

    rement les unes des autres pour que la difficult ne soit pas in-surmontable et que soit sauvegard lintrt thorique de cestextes. Cest donc comme une illustration et une confirmationdune analyse psychologique classique de certaines fonctionsmmorielles que peuvent en premier lieu tre lues ces premi-res pages destudes sur lhystrie. Freud lindique sa manirelorsque, quelques annes plus tard, il y voit le germe dune tho-rie purement psychologique de lhystrie.

    Ces descriptions et ces analyses rpondent galement enpartie la question de savoir o est conserv ce souvenir quise manifeste dabord sous forme de symptme hystrique (r-miniscence) et ensuite dans la remmoration libratrice. O est-il conserv ? Pour autant que la question ait un sens, la rponsene fait aucun doute : dans linconscient.

    On stonnera peut-tre quil soit si peu question de lin-conscient dans ces textes. Daucuns seront tents de dire queFreud ne lavait pas encore vraiment dcouvert . Mais cestpeu vraisemblable. Freud na jamais eu dcouvrir lincons-cient, car la notion existait ds le XVIIe sicle et le mot ds leXVIIIe. Quant au XIXesicle, on peut presque dire quil ne parleque de cela. Savants, philosophes et psychologues avaient lu laPhilosophie de lInconscient de Eduard von Hartmann (1869),

    et les salons berlinois de cette poque taient pleins de conver-sations sur ce sujet. Donc, si Freud et Breuer sabstiennent defaire des phnomnes tudis ici une preuve de la pertinence dela notion dinconscient (usage quen fera Freud dans certainsexposs ultrieurs), ce nest pas parce quils ne la possdaientpas encore, mais parce quils hsitaient quant la forme spcifi-que lui donner. En fait, le dbat tourne autour de la notion de double conscience (cf. Communication prliminaire , III). Cette notion, emprunte Janet et Binet, nest certes pas

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    synonyme de ce que va tre, quelques annes aprs, le premierinconscient proprement freudien. Il y manque, en particulier, lanotion de refoulement (car si le mot se rencontre bien dans la

    Communication prliminaire , p. 7, cest en un sens non sp-cifique, comme synonyme de rejet, et sans exclusion de la vo-lont consciente). Mais, comme illustration du lien entrelinconscient et loubli avec possibilit de rminiscence ou deremmoration, ces pages peuvent tre malgr les diffrencesthoriques mises en parallle avec un autre livre classique surla mmoire qui leur est contemporain, Matire et mmoire deBergson (1896). Cest donc encore dans une problmatique clas-

    sique que, de ce point de vue, elles sinscrivent.

    Mais linterprtation du processus de gurison qui, dor-dre plus mdical, semblerait devoir dborder les questions phi-losophiques, psychologiques et littraires classiques peut, elleaussi, tre insre dans une tradition du mme ordre.

    La gurison, ou plutt, car, comme on la dj vu, Anna

    O. na jamais t gurie par Breuer, la disparition de certainssymptmes hystriques seffectue par remmoration soushypnose de lvnement traumatique oubli. Cette disparitionnest effective que si la remmoration est accompagne delmotion qui aurait d se produire au moment de lvnementet ne sest pas produite. Les auteurs disent (Cf. p. 38) de ma-nire pittoresque que laffect est rest coinc (eingek-lemmf). De plus, cette dcouverte de souvenir traumatique ou-

    bli ne se fait, en gnral, quau terme dune longue priodeprparatoire au cours de laquelle le patient entretient des rve-ries et des fantasmes relatifs au pass, comme sil cherchait,dans une exploration confuse mais affectivement charge, sereplacer dans la tonalit de cet vnement. Voil donc un pro-cessus apparemment assez original, dont la mise au jour pour-rait facilement passer pour une dcouverte de Freud et Breuer.Mais ce nest nullement diminuer leur mrite que de rappelerquils eurent des prcurseurs. A preuve le passage bien connu,

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    mais non moins admirable, de la lettre de Descartes Chanutdu 6 juin 1647 :

    Par exemple, crit Descartes, lorsque jtais enfant, jai-mais une fille de mon ge, qui tait un peu louche ; au moyen dequoi, limpression qui se faisait par la vue en mon cerveau,quand je regardais ses yeux gars, se joignait tellement cellequi sy faisait aussi pour mouvoir en moi la passion de lamour,que longtemps aprs, en voyant des personnes louches, je mesentais plus enclin les aimer qu en aimer dautres, pour celaseul quelles avaient ce dfaut ; et je ne savais pas nanmoins

    que ce ft pour cela. Au contraire, depuis que jy ai fait rflexion,et que jai reconnu que ctait un dfaut, je nen ai plus t mu.Ainsi, lorsque nous sommes ports aimer quelquun, sans quenous en sachions la cause, nous pouvons croire que cela vient dece quil y a quelque chose en lui de semblable ce qui a t dansun autre objet que nous avons aim auparavant, encore quenous ne sachions pas ce que cest. 2

    Que de choses, dj, dans cette lettre : lignorance de lacause du symptme , le souvenir oubli, la disparition dusymptme par la rcupration du souvenir ! Certes, laffectionde Descartes pour la petite fille qui louchait nest peut-tre pastout fait un traumatisme, ni son inclination dadulte pour lesfemmes affectes du mme dfaut , un symptme hystrique.Mais le cadre psychologique gnral dans lequel il pense cesprocessus est bien celui que retrouveront Freud et Breuer. Cest

    donc, l encore, dans une tradition fort classique que sinscri-vent Breuer et Freud.

    Mais il y a plus : commentant lide que laffect initial a t coinc , les auteurs font allusion des expressions de la viecourante qui suggrent quen pleurant ou en clatant en colre,

    2Descartes. uvres et Lettres, Paris, Gallimard. 1952. p. 1277. coll.de la Pliade .

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    on se libre des affects (les termes allemands sich auswei-nen , sich austoben tant ici particulirement parlants3) ;quant au processus par lequel les symptmes hystriques dispa-

    raissent lorsque, sous hypnose, rapparat le souvenir delvnement traumatique oubli en mme temps quest vcuelmotion qui aurait d laccompagner ( abraction ), il reoitle nom de mthode cathartique . Or Aristote fonde la produc-tion de leffet tragique sur la catharsis par la terreur et lapiti4. Cette notion, probablement emprunte la mdecinehippocratique, est reste mystrieuse, peut-tre par suite de laperte du livre II de laPotique, peut-tre tout simplement parce

    quelle pose plus de problmes quelle nen rsout5. Mais laquestion des ressorts du tragique na cess de proccuper lacritique littraire et la philosophie. Freud et Breuer la connais-saient fort bien ds leurs annes de lyce, et le mot catharsisavait certainement pour eux la mme rsonance que pour tousceux de leurs contemporains qui taient familiers des grandstragiques grecs du Ve sicle. Freud avait mme une raison per-sonnelle de sy intresser plus particulirement : Jakob Bernays,

    un oncle de sa femme, avait publi en 1857 un petit trait sur laquestion. Mais cest surtout la suite de son uvre, avec la pr-sence constante de la question de l effet tragique (linventiondu complexe ddipe propos ddipe Roi en est laspect leplus connu), qui prouvera combien le problme de la catharsistragique est prsent dans la psychanalyse.

    Mais sans attendre les crits proprement psychanalytiques,

    certains lecteurs des tudes sur lhystrie en ont bien vu les

    3Cf. ci-dessous, p. 28.4Aristote,Potique, 1449 b 24-28.5Cest pourquoi il est prfrable de ne pas traduire le mot cathar-

    sis et de conserver le terme grec. Les traductions littrales (purgation.purification) font penser llimination dun mal, alors quAristote pen-

    sait peut-tre une transposition, une transmutation. Les deux sriesde perspectives mritent dtre prises en considration.

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    liens avec la problmatique aristotlicienne de leffet tragique : preuve les rapprochements trs explicites que fait, ds 1897,lhistorien de la littrature, dramaturge et directeur de thtre,

    Alfred von Berger. Ainsi, par l encore, la Communicationprliminaire et lhistoire dAnna O. se rattachent luniversconceptuel des grandes questions philosophiques et littrairestraditionnelles et dbordent la problmatique strictement mdi-cale qui paraissait tre la leur.

    A tout ce quils apportent concernant la mmoire, lincons-cient, les affects, la catharsis, il serait mme possible dajouter

    des indications non dnues dintrt sur le rapport symboli-que entre le traumatisme oubli et le symptme/rminiscencequi lexprime. A cette notion dexpression symbolique si richephilosophiquement elle seule on serait conduit rattacher laquestion traditionnelle des relations de lme et du corps que pose, dune certaine manire, la notion de conversion hyst-rique. Bref, en dehors mme de toute rfrence la psychana-lyse future, la Communication prliminaire et lhistoire

    dAnna O. offrent au lecteur une ample matire rflexion etune occasion de mditer sur les rapports entre les problmesque pouvait se poser le mdecin devant ses hystriques et lesgrandes questions philosophiques. Mais la lecture de ces textessera galement fort instructive pour quiconque sintresse lhistoire de la psychanalyse.

    La vulgate psychanalytique

    Cest vers le milieu de notre sicle que, grce avant tout augrand ouvrage dErnest Jones, La vie et luvre de SigmundFreud (1953-1957), les milieux psychanalytiques et le publiccultiv en gnral commencrent tre mieux renseigns sur lescirconstances dans lesquelles est ne la psychanalyse et sur lestapes du dveloppement de luvre de Freud. Ainsi devint pos-

    sible une apprciation de la place quy occupent ces premires

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    pages des Etudes sur lhystrie et, plus particulirement, lhis-toire dAnna O. Tout cela eut tendance seffectuer dans uneperspective passablement hagiographique (comme si, tant du

    point de vue moral que du point de vue scientifique, Freud taitau-dessus de toute critique) et dogmatique (comme si la miseen place de la doctrine psychanalytique obissait une logi-que pistmologique inflexible). Ainsi est ne une sorte de vulgate psychanalytique, qui sera partiellement mise enquestion par la critique ultrieure, mais qui, malgr les erreursquelle charrie, permet de voir dans le dbut des tudes surlhystrie non seulement la reprise de thmes philosophiques et

    psychologiques traditionnels, mais aussi le point de dpart de ceque sera, par la suite, la psychanalyse. On peut considrer quil ya l un second niveau de lecture.

    On relvera donc dabord la rvlation du vrai nom dAnnaO. : elle sappelait Bertha Pappenheim : elle tait ne le 27 f-vrier 1859 et devait, bien des annes aprs sa maladie, avoirdimportantes activits sociales et littraires ; elle tait morte le

    28 mai 1936.

    Mais si, tels quels, de tels renseignements relvent delanecdote, il nen est pas de mme de tout ce qui concerne ledveloppement des thories de Freud et des essais dinterprta-tion rtroactive, laide de ces thories, des vnements lis lhistoire dAnna O.

    On ne peut, en effet, lire les textes de Freud et de Breuerdes annes 1893-1895 comme une initiation la psychanalysequ condition de bien apprcier toutes les tapes qui les spa-rent de la constitution de celle-ci comme telle. La mthode ca-thartique quillustre lhistoire dAnna O. repose sur le re-cours lhypnose. Or, pour de nombreuses raisons dont il sest,

    Pour tout ce qui suit, on est pri dutiliser les indications biogra-phiques concernant Freud, Breuer et Anna O. (ci-dessous, p. 72).

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    par la suite, amplement expliqu, Freud abandonna lhypnoseds octobre 1892. Pour obtenir du patient la dcouverte du sou-venir traumatique, il lui arrivera de remplacer lhypnose par

    limposition de la main sur le front. Mais surtout, ds 1895,Freud largira la doctrine de la Communication prlimi-naire , qui ne prtend rien de plus qu linterprtation du mcanisme psychique de certains phnomnes hystriques,en une thorie gnrale des nvroses laquelle il donnera lenom de neurotica .

    Suivant cette thorie, il y aurait deux types de nvroses, les

    nvroses actuelles et les psychonvroses. Les nvroses actuelles(neurasthnie et nvrose dangoisse) auraient pour cause descomportements sexuels incomplets dans, la vie adulte (mastur-bation, cot interrompu). En revanche, les psychonvroses (hys-trie et nvrose obsessionnelle) proviendraient dexpriencessexuelles prpubertaires, agrables dans le cas de la nvroseobsessionnelle, dsagrables dans le cas de lhystrie.

    Cette conception de lorigine des psychonvroses, connuesous le nom de thorie de la sduction , sera son tourabandonne lautomne de 1897, et la lettre Fliess du 21 sep-tembre donne, pour cet abandon, de nombreuses raisons surlesquelles ont mdit les historiens de la psychanalyse. Troissemaines aprs, dans la lettre du 15 octobre, Freud annonce son correspondant la dcouverte du vu inconscient infan-tile de parricide et dinceste, notion qui recevra quelques annes

    plus tard le nom de complexe ddipe .La vulgate psychanalytique fait dater de cet abandon et de

    cette dcouverte la vritable naissance de la psychanalyse. Eneffet, la prise en compte de lvnement (sduction infantile)se substituerait la prise en considration de la ralit psychi-que (dsir).

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    Ainsi, mme si ce que dit cette vulgate nest vrai que trsapproximativement (Freud ne cessera jamais de rechercher lesvnements de lenfance), elle conduit considrer que la

    Communication prliminaire et lhistoire dAnna O. appartien-nent plus la prhistoire de la psychanalyse qu son histoire ;de la naissance de la psychanalyse, elles sont loignes daumoins trois degrs : abandon de lhypnose, invention de la tho-rie de la sduction, abandon de cette thorie et invention ducomplexe ddipe. Elles sont, videmment, encore plus loi-gnes de tous les dveloppements ultrieurs de la psychanalyse(dcouverte du narcissisme, invention de la trilogie a-moi-

    surmoi, laboration de la distinction des pulsions de vie et despulsions de mort).

    Cest pourtant la lumire de thories ultrieures quellessont souvent lues de nos jours. En effet, linstar de Freud lui-mme, les psychanalystes actuels ne se contentent pas den sou-ligner lloignement par rapport la naissance de la psychana-lyse ; ils essaient dinterprter rtroactivement les vnements

    de cette lointaine poque en leur donnant un sens que ni Breuerni Freud lui-mme navaient aperu. Le sens ainsi restituconcerne essentiellement la sexualit et le transfert, disons letransfert sexuel.

    Chacun sait que la psychanalyse constitue comme doc-trine fait la sexualit entendue en un sens trs spcifique uneplace tout fait originale et que bien des prtendues rsistances

    la psychanalyse sont attribues au refus (inconscient) de re-connatre limportance de la sexualit. Aussi les premires pagesdestudes sur lhystrie sont-elles souvent considres, dans lavulgate psychanalytique, comme marques par la mconnais-sance du rle de la sexualit dans lhistoire dAnna O. Il parat vident que lhystrie de Bertha Pappenheim, jeune fillevierge, romantique, terriblement attache son pre en train demourir, relve dune interprtation mettant en jeu le complexeddipe et la sexualit infantile. Faute de connatre ces notions,

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    Breuer naurait pu, en 1881, avoir de ce cas quune vue trs par-tielle, et cela dautant plus quil tait lui-mme engag sans lesavoir dans un jeu compliqu de transfert et de contre-transfert

    avec sa patiente.

    Cest Freud lui-mme qui, partiellement fch avec Breuer,et peut-tre irrit de voir que la thorie de la sexualit et la tho-rie du transfert quil tait en train de mettre au point ne ren-contraient pas, dans les milieux mdicaux, laccueil quil auraitsouhait, a soulign ces mconnaissances et le caractre pr-tendument erron parce que partiel de la Communication pr-

    liminaire et de lhistoire dAnna O. De ces interprtations r-troactives, le point culminant est peut-tre la lettre StefanZweig du 2 juin 1932 o Freud rvle une circonstance qui estcense donner de linterprtation transfrentielle et sexuelle delhistoire dAnna O. une preuve particulirement forte :

    Ce qui arriva rellement la patiente de Breuer critFreud , jai t en mesure de le deviner plus tard, longtemps

    aprs la rupture de notre collaboration, quand je me suis sou-dain souvenu dune chose que Breuer mavait dite un jour, avantque nous collaborions, dans une tout autre circonstance, et quilnavait plus jamais rpte. Le jour o tous les symptmes de lamalade avaient t matriss, il avait t rappel dans la soireauprs delle et lavait trouve dans un tat de confusion men-tale, se tordant dans des crampes abdominales. Quand illinterrogea sur ce qui se passait, elle rpondit : Cest lenfant

    que jai du Dr Breuer qui arrive. Breuer ce moment-l avaiten main la cl qui nous aurait ouvert les portes des Mres ,mais il la laiss tomber. Malgr ses grands dons intellectuels, ilnavait en lui rien de faustien. pouvant, comme tout mdecinnon psychanalyste laurait t en pareil cas, il prit la fuite, aban-donnant sa patiente un collgue.

    Un tel fantasme de grossesse, fruit de lamour transfren-tiel de Bertha Pappenheim pour Breuer, signerait, en croire

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    Freud, la signification rotique de ce cas dhystrie ainsi que dutraitement lui-mme, signification qui chappait Breuer maisque mettra facilement au jour la psychanalyse.

    Tels seraient ainsi les principaux traits quune lecture ins-pire par la vulgate psychanalytique de la seconde moiti duXXesicle permettrait dapercevoir dans la Communication pr-liminaire et dans lhistoire dAnna O., qui apparatraient ainsicomme une sorte dintroduction la psychanalyse par le biaisde sa prhistoire et de ses possibilits dinterprtation rtroac-tive.

    Resterait savoir jusqu quel point cette lecture, hagio-graphique et dogmatique en ce qui concerne Freud, rendcompte de la complexit des phnomnes tudis et rend justice Breuer. Telle fut la question laquelle sefforcrent de rpon-dre un certain nombre dauteurs plus rcents qui, quelque peumfiants devant les thses de Freud et de Jones, allrent inter-roger les documents de lpoque et aboutirent des conclusions

    plus nuances. Ainsi devient possible, de ces deux textes, unelecture critique dont on ne donnera ci-aprs que quelqueschantillons.

    Perspectives critiques

    Si la lecture de la Communication prliminaire et de

    lhistoire dAnna O. lie ce que lon a appel la vulgate psycha-nalytique se fonde sur les textes de Freud et de Jones, cest louvrage plus rcent (1978) dAlbrecht Hirschmller, Physiolo-gie und Psychoanalyse in Leben und Werk Josef Breuers6( Physiologie et Psychanalyse dans la vie et dans luvre deJosef Breuer ), que lon peut le plus utilement sadresser afindeffectuer ce troisime type de lecture qui permet de rectifier ce

    6Bern. 1978. Hans Huber.

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    que certaines affirmations la mode dans les milieux psychana-lytiques ont de trop abrupt. Ce livre comporte, en effet, outre uninventaire peu prs complet des recherches dj effectues sur

    Breuer et sur Bertha Pappenheim, un compte rendu du contenudes archives de divers tablissements de soins concerns parcette histoire.

    Dans cette troisime perspective, peut-tre convient-ildabord, sans mme avoir recours des recherches rudites, detemprer quelque peu le reproche fait par Freud Breuerdavoir mconnu limportance de la sexualit dans lhystrie. En

    effet, mme sil nen est gure question dans lexpos du cas An-na O. et si, probablement, dans les annes qui suivirent, Breuerna pas accept la thorie de la sduction de Freud, le chapi-tre III des tudes sur lhystrie, qui est de la main de Breuer,abonde en allusions au rle de la sexualit dans la gense desnvroses. Cest l quon trouve (p. 2007) la phrase clbre : Jene pense pas exagrer en prtendant que le lit conjugalest, chez les femmes, lorigine de la plupart des n-

    vroses graves. Breuer na peut-tre pas suivi Freud dans sa thorie de la sexualit telle quelle apparat dans les TroisEssais de 1905, mais la pudibonderie de Breuer, pudibonderiequi lui aurait fait manquer la vraie tiologie des nvroses, estune pure lgende.

    Quant lhistoire de la grossesse nerveuse de Bertha Pap-penheim, il semble bien quelle ait t passablement romance

    par Jones. Celui-ci prtend, en effet, quaprs avoir t appelau chevet de sa patiente et lavoir hypnotise pour la calmer,Breuer dont la femme commenait sinquiter de cet amourde contre-transfert aurait pris la fuite et entrepris avec safemme une sorte de second voyage de noces Venise, voyage aucours duquel aurait t conue leur cinquime enfant, Dora. Or,celle-ci est ne le 11 mars 1882 et, neuf mois avant, la famille

    7dition P. U. F., 1989.

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    Breuer ntait pas Venise mais Gmunden, sur les bords duTraunsee. Dailleurs Breuer nutilisait jamais lhypnose pour calmer ses patients (il leur donnait de la morphine ou du

    chloral). Bref, un certain dsir de prouver conduit le biographede Freud inventer une histoire dont la figure de Breuer sortsinon affecte, du moins en un certain sens diminue.

    Dune manire plus gnrale, les travaux actuels ont ten-dance prsenter de Breuer une image plus flatteuse que cellequi tait transmise par la vulgate psychanalytique. Certes, bienque fch avec lui, Freud nen a jamais vraiment dit du mal ; il

    na mme jamais reni sa dette son gard. Pourtant, force desouligner son incomprhension de la psychanalyse, il donneparfois limpression que les capacits scientifiques de Breuertaient limites. Or, en face des audaces de Freud, la prudencede Breuer reposait parfois sur des bases pistmologiques plussolides.

    On sait, par exemple, que lentreprise commune de publi-

    cation des tudes sur lhystrie a dabord rencontr, de la partde Breuer, bien des rticences, que Freud a eu quelques peines vaincre. Mais si celui-ci brlait, peut-tre, dutiliser lhistoiredAnna O. afin dillustrer le thme de la disparition du symp-tme hystrique par remmoration sous hypnose de lvne-ment traumatique, Breuer tait probablement plus sensible aufait que Bertha Pappenheim navait pas t, en 1882, gurie deson hystrie et que, au cours des annes suivantes, elle avait d

    faire plusieurs sjours dans des tablissements de soins(dabord Kreuzlingen sur le lac de Constance, en 1882, et en-suite Inzersdorf, Vienne, du 30 juillet 1883 au 17 janvier1884, du 4 mars au 2 juillet 1885, du 30 juin au 18 juillet 1887).Bien plus : non seulement elle navait pas t gurie de son hys-trie (ce quoi ne prtendait pas la mthode cathartique, vala-ble seulement pour llimination de symptmes), mais on re-trouve, parmi les symptmes dont souffrit occasionnellement lamalade au cours de ces annes, certains de ceux qui taient cen-

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    ss avoir t limins par les remmorations de 1881-1882 ! Centait donc pas sans raison que Breuer hsitait en faire tatdans un livre. On peut, certes, admirer laudace de Freud dont le

    gnie spculatif nhsitait pas faire fi de quelques dtails clini-ques (qui, en fait, lui taient parfaitement connus) afin de poserles premires bases de cet difice thorique que sera la psycha-nalyse. Mais il faut savoir gr Breuer (qui fera dailleurspreuve, dans le ch. III des tudes sur lhystrie, dune audacespculative non ngligeable) davoir dout de lefficacit de cettecure et davoir peut-tre pens que, dans le grand concert destravaux alors la mode sur lhystrie, sa voix et celle de Freud

    ne seraient pas forcment dominantes.

    Dailleurs Bertha Pappenheim tait-elle vraiment hystri-que ? Beaucoup en ont dout. Les symptmes de sa maladie pa-raissant parfois plus psychotiques que nvrotiques, on sest de-mand si elle ntait pas plutt schizophrne. Dans ce cas, la gurison ultrieure ne serait pas due aux soins de Breuer : ilsagirait simplement dune de ces rmissions (peu explicables)

    que lon rencontre souvent dans la schizophrnie. Aprs avoirdiscut les arguments avancs par les divers auteurs, Hirchml-ler conclut sagement quil est toujours tmraire de porterrtroactivement un diagnostic en fonction de catgories noso-graphiques cres une poque ultrieure (ce qui est le cas pourla notion de schizophrnie, invente par Bleuler en 1912).

    Il reste tout de mme sinterroger sur la gurison de

    Bertha Pappenheim.On sait quelle ntait nullement acquise la fin de la p-

    riode pendant laquelle Breuer lavait soigne de faon continue : preuve les sjours en tablissements de soins et le contenu deleurs archives, passablement loquent pour ce qui concerne lagravit des symptmes. Il demeure que Bertha Pappenheim r-ussit peu peu sadapter la vie et qu partir dune cer-taine poque difficile fixer elle cessa de souffrir, ou du

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    moins de se plaindre. Ds lautomne de 1882, sa mre, estimantprobablement que les soins quelle recevait au sanatorium Bel-levue ( Kreuzlingen) namlioraient gure son tat, la retire de

    cet tablissement et lenvoie chez sa tante, Francfort, o, le 3novembre, elle entreprend des tudes dinfirmire. Au dbut,cela ne marche pas trs bien. Bertha est oblige de revenir Vienne et de se faire soigner. Mais au bout dun certain tempselle russit avoir une certaine activit littraire et sociale. En1888, elle publie un volume dhistoires pour enfants et en 1894elle entre dans ladministration dun orphelinat isralite. Cesdeux formes dactivit se poursuivront jusqu la fin de sa vie et

    il est intressant de sinterroger sur leurs rapports avec la gu-rison .

    Dun certain point de vue, en effet, on peut dire que, mmesi les symptmes les plus graves de son hystrie de jeunesseavaient disparu, Bertha ntait pas gurie, en ce sens quelle nesest jamais marie et quelle ne semble pas avoir eu de viesexuelle (un projet de mariage avec un violoniste se heurta

    lopposition de sa mre). Mais en un autre sens, sa relative rus-site sociale comme assistante sociale et comme crivain peut tre considre comme un effet, ou mme un facteur de lagurison, suivant un processus assez frquent et que, dans uneperspective psychanalytique, on pourrait tre tent dclairerpar la notion de sublimation. Bien plus, le contenu mme de sesactivits sociales et littraires nest pas sans lien avec les conflitsqui taient la base de son hystrie. Cest au service des enfants

    sans pres et des mres abandonnes que se consacra essentiel-lement Bertha Pappenheim, comme si elle avait eu toute sa vie se dfendre du fantasme de lexploitation sexuelle de la femmepar lhomme. Quant aux histoires que racontent ses crits(1921 : Histoire du petit ours ; 1928 : Le Collier de perles ;1934 : La Colline des martyrs ; 1936 : Lglantier tordu), ellesne sont pas sans rappeler les rveries auxquelles elle se livraitdans ses tats seconds en 1881, illustrant ainsi un processusdautogurison par la cration littraire assez diffrent de la

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    suppression de symptmes par remmoration dvnementstraumatiques, ainsi que, dune manire plus gnrale, des pro-cessus de gurison dcrits classiquement par la psychanalyse.

    Il apparat donc que, loin dtre, comme le donne penserla vulgate psychanalytique, un cas privilgi livrant, pour ainsidire in statu nascendi8, le germe partir duquel se dvelop-pera la psychanalyse, le cas de Bertha Pappenheim pose djtous les problmes que poseront plus tard bien des checs oudes semi-succs des cures psychanalytiques. Au moment de lardaction des tudes sur lhystrie, et encore plus par la suite,

    Freud en a, pour des raisons pdagogiques, simplifi et forc lasignification. Mais on ne saurait reprocher Breuer ses rticen-ces : elles permettent de mieux comprendre la complexit ducas et deffectuer des premires pages du livre une lecture-critique diffrente de la lecture dogmatique propose par la vul-gate psychanalytique.

    8Au moment prcis o il se produit

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    I. Le mcanisme psychique de phnomneshystriques

    Communication prliminaire

    Par j. Breuer et s. Freud

    Une observation fortuite nous a amens rechercher de-puis quelques annes dj, dans les formes et les symptmes lesplus divers de lhystrie, la cause, lincident, qui a, pour la pre-mire fois et souvent trs loin dans le pass, provoqu le ph-nomne en question. Dans la plupart des cas, un simple examenclinique, si pouss soit-il, ne russit pas tablir cette gense,en partie dabord parce quil sagit souvent dun vnement dontles malades naiment pas parler et surtout parce quils en ont

    rellement perdu le souvenir et quils ne souponnent nulle-ment le rapport de cause effet entre lincident motivant et lephnomne. Il est gnralement ncessaire dhypnotiser les ma-lades et dveiller ensuite, pendant lhypnose, les souvenirs delpoque o le symptme fit sa premire apparition. Cest en-suite seulement que lon russit tablir de la faon la plusnette et la plus convaincante le rapport en question.

    Cette mthode dinvestigation nous a donn, dans un grandnombre de cas, des rsultats qui nous semblent prcieux auxdeux points de vue thorique et pratique.

    Au point de vue thorique, ils montrent que le facteur acci-dentel est, bien au-del de ce que lon pensait, dterminant dansla pathologie de lhystrie. Quand il sagit dune hystrie trau-matique , nous reconnaissons de faon vidente que cest lac-

    cident qui a provoqu le syndrome. Lorsque, en traitant des

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    hystriques, nous apprenons de leur bouche que, lors de chacunde leurs accs, ils ont la vision hallucinatoire de lincident qui aprovoqu la premire attaque, nous apercevons nettement ici

    encore le rapport de cause effet. Ltat de choses reste plusobscur dans les autres phnomnes.

    Lexprience pourtant nous a enseign que les symptmesles plus diffrents, qui passent pour tre des productions spon-tanes et, pour ainsi dire, idiopathiques9, de lhystrie, ontavec le traumatisme motivant un rapport tout aussi troit queles phnomnes, si clairs ce point de vue, dont nous venons de

    parler. Nous avons russi retrouver les motivations de toutessortes daffections : nvralgies, anesthsies les plus diverses etsouvent trs anciennes, contractures et paralysies, accs hyst-riques et convulsions pileptodes que tous les observateursavaient prises pour de lpilepsie vraie, petit mal et affections tics, vomissements persistants, anorexies allant jusquau refusde toute nourriture, troubles de toutes sortes de la vue, halluci-nations visuelles toujours rptes, etc. La disproportion entre

    le symptme hystrique qui persiste des annes et une motiva-tion due un accident unique est celle mme que nous sommeshabitus rencontrer dans la nvrose traumatique. Trs sou-vent, ce sont des vnements survenus dans lenfance qui ontprovoqu, au cours de toutes les annes suivantes, un phno-mne pathologique plus ou moins grave.

    Le lien est souvent si vident que lon saisit parfaitement la

    raison pour laquelle lincident considr a justement cr telphnomne et non tel autre. Celui-ci est donc ensuite claire-ment dtermin par son occasion de survenue. Prenons lexem-ple le plus banal, celui dune motion douloureuse survenue aucours dun repas mais que lon a touffe et qui, par la suite,provoque des nauses et des vomissements ; ceux-ci, de nature

    9Qui prsentent des caractristiques propres une seule maladie.Il sagit ici de lhystrie.

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    hystrique, peuvent persister des mois durant. Une jeune filleinquite et angoisse qui veille au chevet dun malade tombedans un tat de somnolence pendant lequel lui vient une terrible

    hallucination, tandis que son bras droit, pendant sur le dossierde la chaise, sengourdit. Une parsie de ce bras, avec contrac-ture et insensibilit, se dclare. Elle veut prier et ne trouve plusses mots, mais russit enfin dire une prire enfantine anglaise.Lorsque, par la suite, une hystrie trs grave et trs compliquese dveloppe chez elle, elle ne comprend plus que langlais,ncrit plus que dans cette langue et cesse, pendant un an etdemi, de comprendre sa langue maternelle. Un enfant trs ma-

    lade finit par sendormir. Sa mre fait limpossible pour se tenirtranquille, pour ne pas le rveiller ; mais justement cause decette dcision, elle met une sorte de claquement de la langue( contre-volont hystrique ) qui se rpte ultrieurement une autre occasion o il faut aussi quelle se tienne parfaitementtranquille. Il y a alors production de tic, sous la forme dun cla-quement de langue se reproduisant, pendant toutes les annessuivantes, chaque fois quelle a un motif de snerver. Un

    homme des plus intelligents assiste lopration subie par sonfrre sous anesthsie : une extension de larticulation de la han-che. A linstant prcis o larticulation cde en craquant, il res-sent dans sa propre hanche une violente douleur qui persisterapendant toute une anne.

    Dans dautres cas, la connexion nest pas aussi nette. Ilnexiste plus, pour ainsi dire, quun lien symbolique entre le

    phnomne pathologique et sa motivation, un lien semblable ceux que tout individu normal peut former dans le rve quand,par exemple, une nvralgie vient sajouter quelque souffrancepsychique ou des vomissements un affect de dgot moral.Nous avons pu voir des malades qui faisaient de cette sorte desymbolisation le plus grand usage. Dans dautres cas encore,une dtermination de cet ordre nest pas immdiatement com-prhensible. Cest justement cette catgorie quappartiennentles symptmes typiques de lhystrie, tels que lhmi-anesthsie,

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    le rtrcissement du champ visuel, les convulsions pileptodes,etc. Nous nous rservons dexposer notre point de vue dans unexpos plus dtaill.

    De semblables observations nous paraissent dmontrerlanalogie existant, au point de vue de la pathognie10, entrelhystrie banale et la nvrose traumatique et justifier une ex-tension du concept dhystrie traumatique. Dans la nvrosetraumatique, la maladie nest pas vraiment dtermine par unepassagre blessure du corps, mais bien par une motion : lafrayeur, par un traumatisme psychique. Nous avons, de faon

    analogue, constat que la cause de la plupart des symptmeshystriques mritait dtre qualifie de traumatisme psychique.Tout incident capable de provoquer des affects pnibles :frayeur, anxit, honte, peut agir la faon dun choc psycholo-gique et cest videmment de la sensibilit du sujet considr (etgalement dautres facteurs dont nous parlerons plus tard) quedpendent les effets du traumatisme. Dans lhystrie banale, ilarrive assez souvent quil y ait non point un unique incident

    traumatisant, mais plusieurs traumatismes partiels, plusieursmotifs groups qui ne deviennent actifs quen sadditionnant etqui se conjuguent parce quils constituent des fragments delhistoire dune maladie. Ailleurs encore ce sont des circonstan-ces dapparence anodine qui, par leur concidence avec linci-dent rellement dterminant ou avec une priode de particu-lire excitabilit, ont t leves la dignit de traumatismes,dignit qui ne leur appartenait pas, mais quelles conservent

    dsormais.Mais en ce qui concerne la relation causale entre le trauma-

    tisme psychique motivant et le phnomne hystrique, il faut segarder de croire que le traumatisme agit la faon dun agentprovocateur qui dclencherait le symptme. Celui-ci, devenu

    10 lude des processus pathognes, cest--dire qui agissent surlorganisme et dterminent des maladies.

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    indpendant, subsisterait ensuite. Mieux vaut dire que le trau-matisme psychique et, par suite, son souvenir agissent la ma-nire dun corps tranger qui, longtemps encore aprs son ir-

    ruption, continue jouer un rle actif. Une preuve de ce faitnous est fournie par un phnomne extrmement curieux etbien fait pour confrer nos dcouvertes une grande impor-tance pratique.

    A notre trs grande surprise, nous dcouvrmes, en effet,que chacun des symptmes hystriques disparaissait immdia-tement et sans retour quand on russissait mettre en pleine

    lumire le souvenir de lincident dclenchant, veiller laffectli ce dernier et quand, ensuite, le malade dcrivait ce qui luitait arriv de faon fort dtaille et en donnant son motionune expression verbale. Un souvenir dnu de charge affectiveest presque toujours totalement inefficace. Il faut que le proces-sus psychique originel se rpte avec autant dintensit que pos-sible, quil soit remis in statum nascendi11, puis verbalementtraduit. Sil sagit de phnomnes dexcitation : crampes, n-

    vralgies, hallucinations, on les voit, une fois de plus, se repro-duire dans toute leur intensit pour disparatre ensuite jamais.Les troubles fonctionnels, les paralysies, les anesthsies dispa-raissent galement, naturellement, sans que leur recrudescencemomentane ait t perue12.

    11Dans la situation o il sest produit pour la premire fois.12Delbuf et Binet ont nettement reconnu la possibilit dun sem-

    blable traitement, comme le montrent les citations suivantes : Delbuf,Le magntisme animal, Paris, 1889 : On sexpliquerait ds lors com-ment le magntiseur aide la gurison. Il remet le sujet dans ltat o lemal sest manifest et combat par la parole le mme mal, mais renais-sant. Binet,Les altrations de la personnalit, 1892, p. 243 : Peut-tre verra-t-on quen reportant le malade par un artifice mental, au mo-ment mme o le symptme est apparu pour la premire fois, on rend ce

    malade plus docile une suggestion curative. Dans lintressant livre deP. Janet, Lautomatisme psychologique, Paris, 1889, on trouve lhistoire

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    On pourrait aisment souponner l quelque suggestion

    inintentionnelle ; le malade sattendrait ce quon le dbarras-

    st de ses maux par ce procd et ce serait cette attente et nonses rvlations verbales qui agiraient alors. Toutefois il nen estrien. La premire observation de ce genre ayant eu pour objetun cas extrmement complexe dhystrie date de 1881, doncdune poque prsuggestive . Lanalyse fut pratique de cettefaon et les symptmes provoqus par des causes diverses fu-rent isolment supprims. Or cette observation fut rendue pos-sible par lauto-hypnose spontane de la malade et provoqua

    chez lobservateur le plus grand tonnement.

    Contrairement ce que dit laxiome : cessante causa, ces-sat effectus13, nous pouvons sans doute dduire de ces observa-tions que lincident dterminant continue, des annes durant, agir et cela non point indirectement, laide de chanons inter-mdiaires, mais directement en tant que cause dclenchante,tout fait la faon dune souffrance morale qui, remmore,

    peut encore tardivement, ltat de conscience claire, provo-quer une scrtion de larmes : cest de rminiscences surtoutque souffre lhystrique14.

    dune gurison obtenue, chez une jeune fille hystrique, par lemploi dunprocd analogue au ntre.

    13Leffet cesse ds que la cause disparat.14 Dans le texte de cette Communication prliminaire, nous ne

    pouvons dlimiter ce qui est nouveau et ce qui se trouve chez dautresauteurs tels que Mbius et Strmpel, ceux-ci ayant formul sur lhystriedes opinions analogues aux ntres. Cest dans certaines observationspublies, loccasion, par Benedikt que nous avons trouv les vues les

    plus rapproches des ntres. Nous en reparlerons ailleurs (note deldition P.U.F.).

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    II

    Il semble au premier abord surprenant que des vnementsdepuis longtemps passs puissent exercer une action aussi in-tense et que leur souvenir ne soit pas soumis lusure, commecela se produit pour tous nos autres souvenirs. Peut-tre lesconsidrations suivantes nous permettront-elles dclairer unpeu ces faits.

    Leffacement dun souvenir, ou la perte en affect quil subit,

    dpend de plusieurs facteurs. En premier lieu, il importe de sa-voir si lvnement dclenchant a ou non provoqu une ractionnergique. En parlant ici de raction, nous pensons toute lasrie des rflexes volontaires ou involontaires grce auxquels,comme le montre lexprience, il y a dcharge daffects, depuisles larmes jusqu lacte de vengeance. Dans les cas o cette r-action seffectue un degr suffisant, une grande partie delaffect disparat ; nous appelons ce fait dobservation journa-

    lire se soulager par les larmes , dcharger sa colre 15

    .Quand cette raction se trouve entrave, laffect reste attach ausouvenir. On ne se souvient pas de la mme faon dune offensevenge ne ft-ce que par des paroles ou dune offense quelon sest vu forc daccepter. Le langage lui-mme tient comptede cette diffrence dans les consquences morales et physiquesen donnant, trs propos, cette souffrance endure sans ri-poste possible, le nom d affection . La raction du sujet qui

    subit quelque dommage na deffet rellement cathartique

    16

    que lorsquelle est vraiment adquate, comme dans la ven-geance. Mais ltre humain trouve dans le langage un quivalent

    15Les mots allemands sich austoben. sich ausweinen signifiant se vider par la colre, par les pleurs , sont intraduisibles en franais(N. d. l. Tr.).

    16Cf. note de lintroduction (p. 3).

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    de lacte, quivalent grce auquel laffect peut tre abragi17 peu prs de la mme faon. Dans dautres cas, ce sont les pa-roles elles-mmes qui constituent le rflexe adquat, par exem-

    ple les plaintes, la rvlation dun secret pesant (confession).Quand cette sorte de raction par lacte, la parole et, dans les casles plus lgers, par les larmes, ne se produit pas, le souvenir delvnement conserve toute sa valeur affective.

    Toutefois, l abraction nest pas lunique mode de d-charge dont peut disposer le mcanisme psychique normal dunindividu bien portant quand ce dernier a subi un traumatisme

    psychique. Le souvenir, mme non abragi, sintgre dans legrand complexe des associations, y prend place ct dautresincidents pouvant mme tre en contradiction avec lui, et setrouve corrig par dautres reprsentations. Aprs un accident,par exemple, le souvenir de ce qui la suivi, du sauvetage, la no-tion de la scurit actuelle, viennent se rattacher au souvenir dudanger couru, la rptition (attnue) de la frayeur prouve.Le souvenir dune humiliation est modifi par une rectification

    des faits, par un sentiment personnel de dignit, etc. Cest ainsique ltre normal russit, par les effets de lassociation, fairedisparatre laffect concomitant.

    A cela, ajoutons encore une attnuation gnrale des im-pressions, un effacement des souvenirs, tout ce que nous appe-lons oubli et qui grignote surtout les reprsentations ayantperdu leur efficience affective.

    Nos observations prouvent que, parmi les souvenirs, ceuxqui ont provoqu lapparition de phnomnes hystriques ontconserv une extraordinaire fracheur et, pendant longtemps,leur pleine valeur motionnelle. Il faut cependant souligner,comme un fait remarquable dont il y aura lieu de se servir, queces souvenirs, contrairement bien dautres, ne sont pas tenus

    17Cf. introduction p. 3.

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    la disposition du sujet. Tout au contraire, la mmoire des mala-des ne garde nulle trace des incidents en question ou alors neles conserve qu ltat le plus sommaire. Ce nest quen interro-

    geant des patients hypnotiss que ces souvenirs resurgissent,avec toute la vivacit dvnements rcents.

    Six mois durant, une de nos malades revcut avec une net-tet hallucinatoire tout ce qui lavait mue le mme jour de lan-ne prcdente (pendant une hystrie aigu). Un journal, tenupar sa mre et dont elle ignorait lexistence, vint prouver lexac-titude impeccable de cette ritration. Une autre malade revi-

    vait, en partie sous hypnose, en partie au cours daccs sponta-ns, et galement avec une nettet hallucinatoire, tout ce qui luitait arriv dix ans auparavant alors quelle tait affecte dunepsychose hystrique. Jusquau moment de cette rapparition,les faits en question avaient, pour la plus grande part, succomb lamnsie. Dautres souvenirs encore, vieux de quinze vingtans et trs importants au point de vue tiologique, rapparurentaussi dans leur surprenante intgralit et toute leur force senso-

    rielle, dployant, lors de leur retour, toute la puissance affectivepropre aux vnements nouveaux.

    Comment expliquer pareil fait sans penser que ces souve-nirs occupaient, dans tous les cas prcits, une place exception-nelle en ce qui touche leur usure. On constate, en effet, que cessouvenirs correspondent des traumatismes qui nont pas tsuffisamment abragis . En tudiant de plus prs les motifs

    qui ont empch cette abraction de seffectuer, nous dcou-vrons deux sries, au moins, de conditions capables dentraverla raction au traumatisme.

    Dans le premier groupe, nous rangeons les cas o les mala-des nont pas ragi au traumatisme psychique parce que la na-ture mme de ce dernier excluait toute raction, par exemplelors de la perte dun tre aim paraissant irremplaable ou parceque la situation sociale rendait cette raction impossible ou en-

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    core parce quil sagissait de choses que le malade voulait ou-blier et quintentionnellement il maintenait, repoussait, refou-lait, hors de sa pense consciente. Lhypnose nous permet de

    constater que ce sont justement ces choses pnibles qui donnentles fondements des phnomnes hystriques (dlires hystri-ques des saints et des religieuses, des femmes continentes, desenfants svrement duqus).

    Dans la seconde srie des conditions ncessaires, la mala-die nest pas dtermine par le contenu des souvenirs mais bienpar ltat psychique du sujet au moment o sest produit lv-

    nement en question. Lhypnose montre, en effet, que le symp-tme hystrique est d des reprsentations qui, sans impor-tance propre, doivent leur maintien au fait quelles ont concidavec de fortes motions paralysantes, telles, par exemple,quune frayeur, ou quelles se sont produites directement aucours de certains tats psychiques anormaux, pendant un tatdengourdissement semi-hypnotique, de rverie, dauto-hypnose, etc. Cest ici le caractre mme de ces tats qui a rendu

    impossible une raction lincident.Les deux conditions peuvent videmment concider, ce qui

    nest pas rare. Cest ce qui advient quand un traumatisme djactif en soi se produit au moment o le sujet se trouve dans unepriode de graves et paralysantes motions ou dans un tat deconscience modifie ; il semble bien aussi que, chez nombre degens, le traumatisme psychique provoque lun de ces tats

    anormaux qui rendent eux-mmes toute raction impossible.Un point reste commun ces deux groupes de conditions

    ncessaires : les traumatismes psychiques quune raction napas liquids ne peuvent ltre non plus par laboration associa-tive. Dans le premier groupe, le malade essaie doublier lv-nement, de lexclure, dans toute la mesure du possible, de sesassociations. Dans le second cas, cette laboration choue parcequil nexiste entre ltat conscient normal et ltat pathologique

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    o ces reprsentations sont nes aucun lien associatif utile.Nous aurons tout de suite loccasion de revenir sur ce point.

    On peut donc dire que, si les reprsentations devenues pa-thognes se maintiennent ainsi dans toute leur fracheur ettoujours aussi charges dmotion, cest parce que lusure nor-male due une abraction et une reproduction dans des tatso les associations ne seraient pas gnes leur est interdite.

    III

    Nos expriences nous ont montr que les phnomnes hys-triques dcoulaient de traumatismes psychiques. Nous avonsdj parl des tats anormaux du conscient dans lesquels seproduisaient ces reprsentations pathognes et avons t forcsde souligner que le souvenir du traumatisme psychique actif nepouvait se dcouvrir dans la mmoire normale du malade maisseulement dans celle de lhypnotis. En tudiant de plus prs

    ces phnomnes, nous nous sommes toujours davantageconvaincus du fait que la dissociation du conscient, appele double conscience dans les observations classiques, existerudimentairement dans toutes les hystries. La tendance cette dissociation, et par l lapparition des tats de cons-cience anormaux que nous rassemblons sous le nom dtats hypnodes , serait, dans cette nvrose, un phnomne fon-damental. Nous partageons avec Binet et les deux Janet cette

    opinion, mais sans disposer encore dexpriences relatives auxtrs surprenantes dcouvertes quils ont faites chez des anesth-siques.

    Nous voudrions ainsi substituer la formule frquemmentemploye, et daprs laquelle lhypnose serait une hystrie arti-ficielle, la proposition suivante : le fondement, la condition n-cessaire dune hystrie est lexistence dtats hypnodes. Quelles

    que soient leurs diffrences, ces tats concordent entre eux et

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    avec lhypnose sur un point : les reprsentations qui y surgissenttout en tant fort intenses nont aucune corrlation avec le restedu contenu du conscient. Mais ces tats hypnodes peuvent sas-

    socier entre eux et leur contenu en reprsentations peut, parcette voie, parvenir des degrs diffrents dorganisation psy-chique. Au reste, la nature de ces tats, leur degr disolementdu reste des processus qui seffectuent dans le conscient, varientcomme nous le voyons dans lhypnose, allant dune lgre som-nolence au somnambulisme, dune parfaite possession des sou-venirs jusqu lamnsie totale.

    Lorsque ces tats hypnodes ont dj prcd la maladiemanifeste, ils fournissent le terrain sur lequel laffect va difierle souvenir pathogne avec ses consquences somatiques. Cefait correspond une prdisposition lhystrie. Mais nos ob-servations montrent quun traumatisme grave (comme celuidune nvrose traumatique), une rpression pnible (celle delaffect sexuel, par exemple) peuvent provoquer, mme chez unsujet normal, une dissociation des groupes de reprsentations et

    cest en cela que consisterait le mcanisme de lhystrie psychi-quement acquise. Il faut tenir compte du fait quentre les casextrmes de ces deux formes il existe toute une srie de repr-sentations au sein desquelles la facile production dune dissocia-tion, chez un sujet donn, et limportance de la charge affectivedu traumatisme varient en sens inverse.

    Sur quoi sdifient donc les tats hypnodes prdisposants ?

    Nous ne pouvons, sur ce point, rien dire de nouveau. Nouscroyons quils se dveloppent partir des rveries diurnes ,si frquentes mme chez les gens bien portants et auxquelles lesouvrages de dames, par exemple, fournissent tant doccasion dese produire. La question de la tnacit des associations patho-logiques formes dans ces tats et de leur action sur les pro-cessus somatiques, bien plus forte que celle des autres associa-tions, sintgre dans le problme relatif aux effets de la sugges-tion hypnotique. Nos expriences ne nous ont rien apport de

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    nouveau sur ce point ; en revanche, elles mettent en lumire lacontradiction existant entre lassertion selon laquelle lhystrieserait une psychose et le fait quon trouve parfois parmi les hys-

    triques des personnes possdant une grande clart de vues,une trs forte volont, un caractre des plus fermes, un espritdes plus critiques. Tout cela est exact, dans ces cas-l, quand lesujet se trouve dans ltat de veille normal. Dans les tats hyp-nodes, il ne sagit plus que dun alin, comme nous le sommestous dans nos rves. Toutefois, tandis que nos psychoses oniri-ques nexercent, ltat deveille, aucune action, les productionsde ltat hypnode pntrent dans la vie du sujet veill sous la

    forme de phnomnes hystriques.

    IV

    Ce que nous venons de dire des symptmes hystriquespermanents sapplique, peu de chose prs, aux accs dhyst-rie. On sait que Charcot nous a donn une description schma-

    tique du grand accs hystrique. Dans cet accs complet, onreconnat quatre phases : 1) La phase pileptode ; 2) Celle desgrands gestes ; 3) Celle des attitudes passionnelles (phase hallu-cinatoire) ; 4) Celle du dlire terminal. Charcot fait dcouler dela dure longue ou courte de laccs, de labsence ou de lind-pendance des diverses phases, toutes les formes dhystries bienplus frquentes que la grande attaque totale.

    En ce qui nous concerne, nous nous proposons ltude de latroisime phase, celle des attitudes passionnelles. Quand cettephase est trs marque, on y retrouve, mise nu, une reproduc-tion hallucinatoire du souvenir qui a jou un rle importantdans la production de lhystrie. Il sagit l de la remmorationdu grand traumatisme unique, de ce quon appelle 18, hystrie traumatique, ou encore dune srie de trau-

    18Par excellence.

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    matismes partiels et concomitants, comme ceux sur lesquelssdifie lhystrie banale. Ou bien, enfin, laccs fait rapparatreles incidents qui, par leur concidence avec un moment de parti-

    culire disposition, ont t levs au rang de traumatismes.

    Mais certains accs ne se manifestent, en apparence, quepar des phnomnes moteurs et sont dpourvus de phase pas-sionnelle. Si, pendant ces sortes daccs de contractions gnra-lises, de rigidit cataleptique ou pendant une attaque de som-meil19, on russit entrer en contact avec le malade ou, mieuxencore, provoquer, sous hypnose, cet accs, on dcouvre, l

    encore, que ces manifestations reposent sur le souvenir dun oude plusieurs traumatismes. En gnral, ce souvenir ne devientvident quau cours de la phase hallucinatoire. Une petite fillesouffre depuis des annes de crises de crampes gnralises quelon serait tent de qualifier dpileptiques, comme dailleurs onla fait. Afin dtablir un diagnostic diffrentiel, on lhypnotise etaussitt sa crise se manifeste. Interroge sur ce quelle voitalors, elle rpond : Le chien, voil le chien qui arrive ! , et

    lon apprend que la premire crise de ce genre est survenueaprs quelle eut t poursuivie par un chien sauvage. Le succsde la thrapeutique confirme ensuite le diagnostic tabli.

    Un employ, devenu hystrique la suite des procds bru-taux de son chef, souffre daccs pendant lesquels, furieux, ilscroule par terre, sans prononcer une parole ou rvler quel-que hallucination. On russit provoquer la crise sous hypnose

    et alors le malade nous apprend quil revit un incident o le chefen question lui fit une scne en pleine rue et le frappa coupsde canne. Quelques jours aprs cette sance, le malade vient seplaindre davoir eu un nouvel accs. Cette fois, lhypnose montrequil a revcu la scne qui dclencha vraiment la maladie, lascne du procs o il ne put obtenir satisfaction des svices su-bis, etc.

    19En franais dans le texte.

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    Les souvenirs apparaissant au cours des accs hystriques

    ou qui sy veillent correspondent aussi sur tous les autres

    points avec les incidents que nous tenons pour responsables dessymptmes hystriques durables. Comme eux, ils se rapportent des traumatismes psychiques ayant chapp toute liquida-tion par abraction ou par travail mental dassociation. Commeeux encore, la totalit ou une partie essentielle deux-mmeschappent au souvenir conscient et appartiennent au contenuen reprsentations des tats hypnodes de la conscience, avecpouvoir dassociation limit. Enfin, ils peuvent se prter aux

    tentatives thrapiques. Nos observations nous ont maintes foispermis de constater quun souvenir ayant jusqualors provoqudes accs nen est plus capable une fois quon lui a fait subir, aucours dune hypnose, une raction et une correction associative.

    Les phnomnes moteurs de laccs hystrique peuventtre considrs, en partie, comme des formes ractionnelles or-dinaires de laffect li au souvenir (cest ce qui se produit chez le

    nourrisson qui gigote et agite bras et jambes), en partie commedes mouvements exprimant ce souvenir. Toutefois, comme lesstigmates hystriques des symptmes permanents, ils restentpartiellement inexplicables.

    On acquiert encore une connaissance particulire de laccshystrique en tenant compte de la thorie ci-dessus mentionnedaprs laquelle les groupes de reprsentations prsents dans les

    tats hypnodes de lhystrie et qui demeurent isols des autresreprsentations tout en pouvant sassocier entre eux, reprsen-tent le rudiment, plus ou moins organis, dun second cons-cient, dune condition seconde. Ensuite, le symptme hystriquepermanent correspond une infiltration de ce second tat danslinnervation corporelle que domine gnralement le conscientnormal. Laccs hystrique rvle, lorsquil vient dapparatre,que cette condition seconde sest mieux organise et qu unmoment donn le conscient hypnode a envahi toute lexistence

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    du sujet, donc quil sagit dune hystrie aigu ; mais si lon aaffaire un accs ritr contenant quelque rminiscence, cestquil y a retour dun incident antrieur. Daprs Charcot, laccs

    hystrique serait le rudiment dune condition seconde. Au coursde laccs, cest le conscient hypnode qui rgirait lensemble delinnervation corporelle. Comme le montrent des expriencesbien connues, la conscience normale ne se trouve pas toujoursentirement touffe ; elle reste capable de percevoir elle-mmeles phnomnes moteurs de laccs alors que les phnomnespsychiques lui chappent.

    Nous savons comment volue typiquement une hystriegrave : dabord on voit se former, dans les tats hypnodes, uncontenu en reprsentations qui, une fois suffisamment dvelop-p, se rend matre, pendant une priode dhystrie aigu , delinnervation corporelle du malade et gouverne toute lexistencede celui-ci. 11 cre aussi les symptmes durables et les accs,puis, lexception de quelques squelles, gurit. Dans les cas ola personne normale russit prdominer, le reste des repr-

    sentations hypnodes reparat sous forme daccs hystriques etreplonge de temps en temps le sujet dans des tats semblablesaux prcdents, tats nouveau influenables et accessibles auxtraumatismes. Une sorte dquilibre stablit alors entre lesgroupes psychiques prsents chez un mme sujet, les accs et lavie normale subsistent cte cte sans sinfluencer mutuelle-ment. Laccs survient alors spontanment, de la mme manireque surgissent en nous les souvenirs, mais il peut galement

    tre provoqu, comme toute rminiscence, daprs les lois delassociation. Cette provocation laccs seffectue soit par exci-tation dune zone hystrogne, soit la suite dun incident nou-veau rappelant lincident pathogne. Nous esprons pouvoirdmontrer quil nexiste aucune diffrence essentielle entre desconditions en apparence si peu semblables et que, dans les deuxcas, cest un souvenir hyper-esthsique qui est en cause. Dansdautres cas, cet quilibre est fort instable ; laccs apparatcomme manifestation des lments hypnodes du conscient,

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    chaque fois que le sujet est surmen et incapable de travailler.Ne nions pas quen pareils cas laccs dpouill de sa significa-tion primitive puisse reparatre sous forme de raction motrice

    dnue de tout contenu. Il reste rechercher les facteurs quidterminent le genre des manifestations hystriques : par accs,par symptmes permanents ou par mlange de ces deux formes.

    V

    On comprend maintenant pour quelle raison le procd

    psychothrapique que nous venons de dcrire agit efficacement.Il supprime les effets de la reprsentation qui navait pas tprimitivement abragie, en permettant laffect coinc decelle-ci de se dverser verbalement ; il amne cette reprsenta-tion se modifier par voie associative en lattirant dans leconscient normal (sous hypnose lgre) ou en la supprimantpar suggestion mdicale, de la mme faon que, dans le som-nambulisme, on supprime lamnsie.

    A notre avis, le gain thrapeutique ainsi obtenu est consi-drable. Il va de soi que si lhystrie rsulte dune prdisposi-tion, nous ne la gurissons pas, nous restons impuissants de-vant le retour des tats hypnodes. Et dans le stade de produc-tion dune hystrie aigu, notre procd ne saurait empcher leremplacement immdiat de manifestations pniblement sup-primes par dautres phnomnes pathologiques. Toutefois, une

    fois ce stade dpass et quand ses squelles napparaissent plusque sous la forme de symptmes permanents et daccs, notremthode supprime souvent et jamais ces derniers, parcequelle est radicale et nous semble dpasser de trs loin leffica-cit du procd par suggestion directe, tel que le pratiquent au-jourdhui les psychothrapeutes.

    Si la dcouverte du mcanisme psychique des phnomnes

    hystriques a pu nous faire faire un pas de plus dans la voie o

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    sest dabord, avant tant de succs, engag Charcot, lorsquil aexpliqu et reproduit exprimentalement les paralysies hystro-traumatiques, nous ne nous dissimulons pas, pour cela, le fait

    que seul le mcanisme du symptme hystrique nous apparatplus comprhensible. La cause interne de lhystrie reste encore dcouvrir. Nous navons fait queffleurer ltiologie delhystrie, jeter quelque lumire sur la causation des formes ac-quises et mettre en valeur le facteur accidentel des nvroses.

    Vienne, dcembre 1892.

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    II. Histoires de malades

    A. Mademoiselle Anna 0

    Par J. Breuer

    Frulein Anna O, ge de 21 ans lpoque de sa maladie(1880), semble avoir une hrdit nvrotique assez charge. Ontrouve, en effet, dans sa nombreuse famille, quelques cas depsychose ; ses parents sont des nerveux bien portants. Elle-mme sest jusqualors fort bien porte, na jamais prsent dephnomnes nvrotiques pendant tout son dveloppement. Elleest remarquablement intelligente, tonnamment ingnieuse ettrs intuitive. tant donn ses belles qualits mentales, elle au-

    rait pu et d assimiler une riche nourriture intellectuelle quonne lui donna pas au sortir de lcole. On remarquait en elle degrands dons potiques, une grande imagination contrle parun sens critique aiguis qui, dailleurs, la rendait totalementinaccessible la suggestion ; les arguments seuls pouvaient agirsur elle, jamais de simples affirmations. Elle est nergique, opi-nitre, persvrante. Sa volont se mue parfois en enttement etelle ne se laisse dtourner de son but que par gard pour autrui.

    Parmi les traits essentiels de son caractre, on notait unebont compatissante. Elle prodiguait ses soins aux malades etaux pauvres gens, ce qui lui tait elle-mme dun grand se-cours dans sa maladie parce quelle pouvait, de cette faon, sa-tisfaire un besoin profond. On observait encore chez elle unelgre tendance aux sautes dhumeur. Elle pouvait passer dunegaiet exubrante une tristesse exagre. Llment sexuel

    tait tonnamment peu marqu. Je ne tardai pas connatre

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    tous les dtails de son existence et cela un degr rarement at-teint dans les relations humaines. La malade navait jamais eude relations amoureuses et, parmi ses multiples hallucinations,

    jamais cet lment de la vie psychique ne se manifestait.

    Cette jeune fille dune activit mentale dbordante menait,dans sa puritaine famille, une existence des plus monotones etelle aggravait encore cette monotonie dune faon sans doute la mesure de sa maladie. Elle se livrait systmatiquement desrveries quelle appelait son thtre priv . Alors que tout lemonde la croyait prsente, elle vivait mentalement des contes

    de fes, mais lorsquon linterpellait, elle rpondait normale-ment, ce qui fait que nul ne souponnait ses absences. Parall-lement aux soins mnagers quelle accomplissait la perfection,cette activit mentale se poursuivait presque sans arrt. Jauraiplus tard raconter comment ces rveries, habituelles chez lesgens normaux, prirent, sans transition, un caractre pathologi-que.

    Le cours de la maladie se divise en plusieurs phases biendistinctes :

    a) Lincubation latente : partir de la mi-juillet 1880 jus-quau 10 dcembre environ. Nous ignorons la plus grande partiede ce qui dordinaire se produit dans cette phase, mais le carac-tre particulier de ce cas nous permet de le comprendre si par-faitement que nous en apprcions beaucoup lintrt au point de

    vue pathologique. Jexposerai plus tard cette partie de lobserva-tion.

    b) La maladie manifeste : une psychose singulire avec pa-raphasie, strabisme convergent, troubles graves de la vue,contracture parsique totale dans le membre suprieur droit etles deux membres infrieurs, et partielle dans le membre sup-rieur gauche, parsie des muscles du cou. Rduction progressivede la contracture dans les membres droits. Une certaine amlio-

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    ration se trouva interrompue par un grave traumatisme psychi-que en avril (dcs du pre) ; cette amlioration succda :

    c) Une priode de durable somnambulisme alternant, parla suite, avec des tats plus normaux ; persistance dune srie desymptmes jusquen dcembre 1881.

    d) Suppression progressive des troubles et des phnom-nes jusquen juin 1882.

    En juillet 1880, le pre de la malade quelle aimait passion-

    nment fut atteint dun abcs pripleuritique qui ne put guriret dont il devait mourir en avril 1881. Pendant les premiers moisde cette maladie, Anna consacra toute son nergie son rledinfirmire et personne ne put stonner de la voir progressi-vement dcliner beaucoup. Pas plus que les autres, sans doute,la malade ne se rendait compte de ce qui se passait en elle-mme, mais, peu peu, son tat de faiblesse, danmie, de d-got des aliments, devint si inquitant qu son immense cha-

    grin on lobligea abandonner son rle dinfirmire. De terri-bles quintes de toux fournirent dabord le motif de cette inter-diction et ce fut cause delles que jeus, pour la premire fois,loccasion dexaminer la jeune fille. Il sagissait dune toux ner-veuse typique. Bientt, Anna ressentit un besoin marqu de sereposer laprs-midi, repos auquel succdaient, dans la soire,un tat de somnolence, puis une grande agitation.

    Un strabisme convergent apparut au dbut de dcembre.Un oculiste attribua (faussement) ce symptme une parsie dunerf abducens. A partir du 11 dcembre, la patiente dut saliterpour ne se relever que le 1eravril.

    Des troubles graves, en apparence nouveaux, se succd-rent alors rapidement. Douleurs du ct gauche de locciput ;strabisme convergent (diplopie) plus prononc chaque contra-rit ; peur dun croulement des murs (affection du muscle

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    oblique), troubles de la vue difficilement analysables, parsiedes muscles antrieurs du cou, de telle sorte que la patiente fi-nissait par ne plus pouvoir remuer la tte quen la resserrant

    entre ses paules souleves et en faisant mouvoir son dos,contracture et anesthsie du bras droit, puis, au bout de quelquetemps, de la jambe droite, ce membre tant raidi et recroquevil-l vers le dedans ; plus tard, les mmes troubles affectent lajambe et enfin le bras gauches, les doigts conservant pourtantune certaine mobilit. Les articulations des deux paules nesont pas non plus tout fait rigides. La contracture affecte sur-tout les muscles du bras puis, plus tard, lorsque lanesthsie put

    tre mieux tudie, la rgion du coude qui savra la plus insen-sible. Au dbut de la maladie, lexamen de lanesthsie ne futpas suffisamment pouss, cause de la rsistance quy opposaitla malade apeure.

    Cest dans ces circonstances que jentrepris le traitement dela malade et je pus tout aussitt me rendre compte de la pro-fonde altration de son psychisme. On notait chez elle deux

    tats tout fait distincts qui, trs souvent et de faon imprvisi-ble, alternaient et qui, au cours de la maladie, se diffrencirenttoujours davantage lun de lautre. Dans lun de ces tats, ellereconnaissait son entourage, se montrait triste, anxieuse, maisrelativement normale ; dans lautre, en proie des hallucina-tions, elle devenait mchante , cest--dire quelle vocifrait,jetait des coussins la tte des gens et, dans la mesure o sacontracture le lui permettait, arrachait avec ses doigts rests

    mobiles, les boutons de ses couvertures, de son linge, etc. ; si,pendant cette phase, lon modifiait quelque chose dans la pice,si quelquun venait entrer ou sortir, elle se plaignait de nepas avoir de temps elle et remarquait les lacunes de ses pro-pres reprsentations conscientes. Dans la mesure du possible,on la contredisait et on cherchait la rassurer, quand elle seplaignait de devenir folle, mais alors, chaque fois quelle avaitjet au loin ses coussins, etc., elle gmissait de labandon, dudsordre o on la laissait et ainsi de suite.

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    Ds avant quelle salitt, on avait dj not chez elle de

    semblables absences. Elle sarrtait au milieu dune phrase, en

    rptait les derniers mots pour la poursuivre quelques instantsplus tard. Peu peu ces troubles prirent lacuit que nous avonsdcrite et, au point culminant de la maladie, quand la contrac-ture affecta aussi le ct gauche, elle ne se montra moitinormale que pendant de trs courts instants de la journe. Tou-tefois, mme pendant les priodes de conscience relativementclaire, les troubles rapparaissaient : sautes dhumeur des plusrapides et des plus prononces, gaiet trs passagre, en gn-

    ral, vifs sentiments danxit, refus tenace de toute mesure th-rapeutique, hallucinations angoissantes o cheveux, lacets, etc.,lui semblaient tre des serpents noirs. En mme temps, ellesadjurait de ntre pas aussi stupide puisquil ne sagissait quede ses propres cheveux et ainsi de suite. Dans ses moments depleine lucidit, elle se plaignait de tnbres dans son cerveau,disant quelle narrivait plus penser, quelle devenait aveugle etsourde, quelle avait deux moi , lun qui tait le vrai et lautre,

    le mauvais, qui la poussait mal agir, etc.Laprs-midi, elle tombait dans un tat de somnolence qui

    se prolongeait jusquau coucher du soleil. Ensuite, rveille, ellese plaignait dtre tourmente ou plutt ne cessait de rpterlinfinitif : tourmenter, tourmenter.

    Un grave trouble fonctionnel du langage tait apparu en

    mme temps que les contractures. On observa dabord quellene trouvait plus ses mots, phnomne qui saccentua peu peu.Puis grammaire et syntaxe disparurent de son langage, elle finitpar faire un usage incorrect des conjugaisons de verbes, nutili-sant plus que certains infinitifs forms laide de prtrits deverbes faibles et omettant les articles. Plus tard, les mots eux-mmes vinrent lui manquer presque totalement, elle les em-pruntait pniblement 4 ou 5 langues et narrivait plus gure se faire comprendre. En essayant dcrire, elle se servait du

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    mme jargon (au dbut, car ensuite la contracture len empchatout fait). Deux semaines durant, elle garda un mutisme totalet, en sefforant de parler, nmettait aucun son. Cest alors

    seulement que le mcanisme psychique de la perturbation pusexpliquer. Je savais quune chose quelle avait dcid de tairelavait beaucoup tourmente. Lorsque jappris cela et que je lacontraignis en parler, linhibition, qui avait rendu impossibletoute autre expression de penses, disparut.

    Cette amlioration concida, en mars 1881, avec la mobilitrcupre des membres gauches ; la paraphasie disparut, mais

    elle ne sexprimait plus quen anglais, en apparence sans senrendre compte ; elle querellait son infirmire qui, naturelle-ment, ne la comprenait pas ; quelques mois plus tard seule-ment, jarrivai lui faire admettre quelle utilisait langlais. Tou-tefois, elle navait pas cess de comprendre son entourage quisexprimait en allemand. Dans les moments dangoisse intenseseulement, elle perdait entirement lusage de la parole ou bienelle mlait les idiomes les plus diffrents. A ses meilleurs mo-

    ments, quand elle se sentait le mieux dispose, elle parlait fran-ais ou italien. Entre ces priodes et celles o elle sexprimait enanglais, on constatait une amnsie totale. Le strabisme gale-ment sattnua pour ne plus apparatre que dans des momentsde grande agitation. La malade pouvait maintenant redresser latte et quitta son lit, pour la premire fois, le 1eravril.

    Mais le 5 avril, son pre ador, quelle navait que rarement

    entrevu au cours de sa propre maladie, vint mourir. Ctait lle choc le plus grave qui pt latteindre. A une agitation intensesuccda, pendant deux jours, un tat de prostration profondedont Anna sortit trs change. Au dbut, elle se montra bienplus calme avec une forte attnuation de son sentiment dan-goisse. Les contractures de la jambe et du bras droits persis-taient ainsi quune anesthsie peu marque de ces membres. Lechamp visuel se trouvait extrmement rtrci. En contemplantune gerbe de fleurs qui lui avait fait grand plaisir, elle ne voyait

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    quune seule fleur la fois. Elle se plaignait de ne pas reconna-tre les gens. Autrefois elle les reconnaissait sans effort volon-taire, maintenant elle se voyait oblige, en se livrant un trs

    fatigant recognising work , de se dire que le nez tait commeci, les cheveux comme a, donc quil sagissait bien dun tel. Lesgens lui apparaissaient comme des figures en cire, sans rapportavec elle-mme. La prsence de certains proches parents luitait trs pnible et cet instinct ngatif ne faisait que crotre.Si quelquun, dont la visite lui faisait gnralement plaisir, p-ntrait dans la pice, elle le reconnaissait, demeurait quelquesinstants prsente pour retomber ensuite dans sa rverie et, pour

    elle, la personne avait disparu. Jtais la seule personne quellereconnt toujours. Elle demeurait prsente et bien dispose tantque je lui parlais jusquau