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Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

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Auteur : Antonio de Herrera / Partie 1 d'un ouvrage patrimonial de la bibliothèque numérique Manioc. Service commun de la documentation Université des Antilles et de la Guyane. Conseil Général de la Guyane. Bibliothèque Franconie.

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H I S T O I R E G E N E R A L E

DES VOYAGES E T C O N Q V E S T E S des Caft i l lans dans les Ides &: T e r r e - f e r m e

des Indes O c c i d e n t a l e s .

Traduite de l'Efpagnol d ' A N T O I N E D ' H E R R E R A , Hiflonographe de fa Majefté Catholique, tant

des Indes, que des Royaumes de Caflille.

Par N . D E L A C O S T E .

O u l'on voie la prife de la grande ville de Mexique, Se autres Provinces par Fernand Cortes Sa fondation -, Les Rois qui la gouvernerent ; Le commencement & fin de cet Empire ; Leurs coutumes & cérémonies ; Les grandes révoltes qui y font arrivez ; Les conteftations qu'eurent les Caftillans & les Portugais, fur l'adiette de la ligne de partage de leurs conqueftes ; La découverte des Ifles Philippines par Hernando de Magellan ; Sa mort de autres choies remar-

quables. Dediée à monfeigneur le premier Prefident.

A P A R I S , 62 La Veuve N i c o l A s D E L A C O S T E , à l'Ecu demeurant tous

de Bretagne. proche l'Hoftel FRANÇOIS CLOVZIEB. l'aimé, à l'Image noftre. Dame de Monfeigne.is

E T le premier Pre-P I E R R E A v B o ü i N , à la Fleur de Lys. fident,

M. DC L X XI AVEC PRIVILEGE DV ROy,

Chez

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A H A U T E T P U I S S A N T S E I G N E U R .

M O N S E I G N E V R

DE L A M O I G N O N C H E V A L I E R , M A R Q U I S DE B A S V I L L E ,

Comte de Launay-Courfon, Baron de S. Y o n , Con-

feiller ordinaire du Roy en tous (es Confeils, Premier

Prefident de fon Parlement.

M O N S E I G N E U R ,

V Auteur de cette Traduction vous en ayant dédié les deux

premiers volumes pendant fa vie ; Nous fommes obligez de

fuivre fon exemple de vous supplier très-humblement d'ac­

corder au refte de fin ouvrage la mefne protection après fa

mort. Elle eft fi glorieufe & futile à tous ceux qui écrivent,

que quand il n'en auroit pas eu l intention, nous vous l'aurions

demandée pour noftre propre intereft. Les deux premiers tomes

ont eu affez de fuccez,on nous a demandé celuy-cy avec

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beaucoup d'emprefemcnt, comme il contient la principale con­

quefte des Espagnols dans les Indes, qui cft celle de Mexique,

on aura encore plus de plaifir à le lire que les deux precedens.

En effet, Monfiigneur ,il n'y a rien dans t'Hiftoire ancienne ny dans celle des derniers fiecles de plus merveilleux que ce

fameux fiege, ou neuf cens Espagnols naturels avec peu de

munitions dix dept pièces d artillerie prirent une grande Ville

fituée au milieu d'nn Lac, coupée de plufieurs canaux, gagnant

une rue, après l'autre, forcèrent en trois mois un million

d'hommes en tuerent cent mille, fins perdre que cinquante

fildats. Si cette lecture, Monfeigneur, peut fervir quelquefois

à vous de la fer de l'application prefque continuelle, que vous

avez, à rendre la juftice comme Chef de la plus augufte Compa­

gnie qui foit au monde, le public nous aura quelque obligation

d'avoir rendu ce petit fervice à une perfinne qui en rend tous

les Jours de f grands à l'Eftar. Agréez donc, s'il vous plaist,

le prefent que nous vous faifons au nom d'un amy, dont la

memoire nous eft chere, que vous avez, honoré de voftre efti-

vie. Nous ne perdrons point d'occafion de la meriter par nos

refpects, de vous témoigner avec quelle foûmiffion nom

fommes,

MONSEIGNEVR,

Vos tres-humbles, très- obeïffans. & tres-fideles ferviteurs ,

La Veuve N I C O L A S DE L A C O S T E , F R A N Ç O I S C L O U S I E R , l'aifné, P I E R R E A U B O U Y N .

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SOMMAIRE DES CHOSES PLVS NOTABLES,

contenues dans cette troifiéme Decade.

N I V R A T I O N d'Antonio de

Villa fana contre Fernand Cortés ; le­

quel fubjugua lagrande Ville de Mexi­

que, d'autres Provinces. Salua-

ble entreprife de las rbueras. Les per-

ficutions qu'il fouffrit dans cette découverte. De la

fondation de cette grande Ville de Mexique ; des Rois

qui la gouvernerent ; du commencement fin de cet

Empire ; de leurs couftumes ceremonies, Dé­

couverte de la Province de Nicaragua de l'armée

que François de Garay mena à Panuco , fa mort.

Des differens qu'il y eut entre Pedrarias Davila, Fer­

nand Cortés fes Capitaines, de ceux de Pedra­

rias de Diego Lopez de Salcedo. Les contestations

qu'eurent les Caftillans les portugais fur l'affiette de

la ligne du partage l'affemblée des luges arbitres de

part d'autre, touchant les confins limites de Caftil

le de Portugal. La navigation d'un navire Fran-a ÿ

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çois en l'an 1524. Les grandes revoltes de Mexique

par l'abfence de Fernand Cortés. François Piçarro

Diego d'Almagro vont en découverte peuplent

Santa Marta. Hernando de Magellan trouve les Isles

Philippines. Sa mort. Le navire Victoria fait le tour

du monde, retourne en Caftille. Le Roy envoye une

autre armée aux Moluques fous la conduite de frere

Garcia de Loayfa de l'Ordre de S. le an ; une autre

encore fus celle de Sebaftien Gaboto, qui demeure dans

la riviere de la Plata. Cortes fait pendre le Roy quan-

timoc. Panfile de Narvaez. François de Montejo

traittent avec le Roy pour peupler ; l'un en la Floride,

l'autre a Tucatan. Traité de plufieurs chofes naturelles

morales de diverfes Provinces, de plufieurs effets

de la pieté Catholique des Rois de Caftible pour planter

la Foy dans les nouvelles terres.

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T A B L E D E S C H A P I T R E S

contenus en ce L i v r e .

L I V R E P R E M I E R .

Chap . I. Fernand Cortés arrive a Tezcuco. il donne la Sel-fleurie de cette Ville à Dom F Fernand. La conju­

ration d'antoine de Villafaria. Des Villages qui demandoient la Paix amitié de Fernand Cortés. page I.

Du peril ou l'armée Caftillane fe trouva d'une bataille qu'eut Goncale de $andoval, contre l'armée de Mexique. Ceux de Tez cuco preftentferment à Dom Fernand. s

Desfles que Magellan découvrit en la mer du Sud particulière­ment de celle de Zebu. 9

De la mort de Fernand de Magellan. Le navire de faim Antoine à Seville.

Les Brigantins que Cortés avoit fait faire font achevez tranf portez à Tezouco. 16

De la grande induftrie que l'on apporta pour expofer dans le Lac de Mexique Us Brigantins. 21

De quelques courfes que fit Cortés dans les terres de Mexique, de Tezcuco. 24

Cortés fort de Tezcuco en faveur de ceux de Chalco, prend Quan-tiavac, forte place.

a iy

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T A B L E DE ce qui arriva à ceux qui cherchaient l'Epicerie, ils abandonnent

Ican Serrano, arrivent à Bumey. 3 3 Les Caftillans élifent pour leur Capitaine Major Gonçale Gomez

d'Efping fa. Ils arrivent aux Ifles des Moluques. De ce qui arriva aux Caftillans dans les lfles des Moluques,jufques

à ce que le navire de la Victoire partit pour aller en Caftille. 42 Le Roy Quantimoc parle à la Nobleffe Mexiquaine, qui va re­

prendre Suchimilco ce que fit Cortes. 4 7 Fernand Cortés divife l'armée en trois corps ; commence le fiege de

Mexique. 52 De quelques ordres qui furent envoyez aux Indes pour faire une ar­

mée contre les Corfaires. Mert de lean Ponce. Accord fait avec Rodrigue de Baftidas} pour la découverte de la terre de Santa Maria. 56

De la Commiffion que le Roy ordonna d'envoyer a Chriftofle de Ta-pia pour aller dam la nouvelle Efpagne contre Fernand Cortés. 62

Des ordres qui furent envoyez en ce temps dans Caftilla del Oro, dans la ville de Panama. 65

L'onrefolut dans Mexique de continuer la guerre. Des victoires que Cortés obtient furie Lac, dans les Chauffées,. 68

Continuation du fiege de Mexique. Plufieurs villages fe viennent offrira Fernand Cortés. 7 7

Des diverfes entrées que Cortés faifoit dans Mexique , du grand nombre de gens qu'il avoit dans fon armée. 81

D'une difgrace qui arriva à Cortes, des grandes réjouyffances que les Mexiquains firent3 de la retraite des Caftillans. 8 5

De quelques Provinces qui fe rebellèrent contre Cortés, des in ci-dens dignes de remarque, qui arriverent en cette guerre. 92

Cortés envoye demander des vivres à Tlafcala ; Du courage ma­gnanimité de quelques femmes Caftillanes au fiege de Mexi­que. 9 7

L I V R E S E C O N D .

Chap. Des entrées et et forties que Cortés fit dans la ville de Mexique refout enfin de la mettre à feu et

fang 103

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D E S C H A P I T R E S . Continuation du mauvais eflat auquel fe trouvent les Mexiquains.

1 0 9

Le Pere de las Cafas va par l'ordre de l'Audience de l'Efpagnolle four mettre fes provifions en execution à Cumana. 115

Le Pere de las Cafas retourne à l'Efpagnolle, & ce qui arriva dans Cumana en fon abfence. Les Indiens brident le monafiere de Saint François. 118

Les Indiens ruinent le Monaftere. Le Pere de las Cafas entre dans le Monaftere de S. Dominique,& prend l'habit de cet Ordre. L'au­dience envoye le Capitaine Caftellon pour chaftier les indiens, 122

Continuation des attaques de la ville de Mexique. 127 Prife de la ville de Mexique. Le Roy Quantimoc eft auffi fait pri-

fonnier. 131 Cortes congedie l'armée-, et fait diligence pour chercher le trefor de

Montezume. 136 Continuation des prodiges qui arriverent avant la perte de l'Empire

Mexiquain. Frere Martin de Valence de Dom Iean, arrive avec fes compagnons. 1 4 1

Des anciens Habitant de la nouvelle Efpagne. Comment et d'ou ils y arriverent. 147

De la fondation de la grande ville de Mexique Tenuchtitlan. 1 5 2 De l'origine des Rois de Mexique, jufques au troifiéme appelle Chi-

malpopoca, 157 Des Rois de Mexique jufques au fixrtme, appelle Tizocic. 162 Suite du regne des Rois Mexiquains jufques au fecond Montezume.

166 De U Religion des Mexiquains. 170 Continuation de la Religion que tenoient les Mexiquains. 177 Continuation de la mefme matiere. 183 Fin des chofes qui touchent la Religion. Des Loix des Couflumes,

& Police des Mexiquains. 191 Continuation des Couftumes des Mexiquains. 200

L I V R E T R O I S I E S M E .

Chap. I. Fernand Cortés envoye des Meffagers en Caftille pour F porter les nouvelles de fes vi eoires, Ce qui arriva

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T A B L E à ceux qui allèrent recennoiftre s'il y avait du fouffre dans le Vul can de Tlafcala. 2 0 3

Continuation de la découverte du Vulcan de Tlafcala. 211 De quelle façon fut découverte la Province de Mechoacan, par

qui, 216 Continuation de la découverte du Royaume de Mechoacan. 221 Cazauzin, Roy de Mechoacan a deffem de facrifer les Caftillans

mats il en fut détourné par un Seigneur de fon Confeil. 225 Le Roy de Mechoacan congedie les Caftillans, & envoye des Am-

baffadeurs a Cortés. 231 Les Caftillans fortent de Mechoacan & arrivent à Guyoacan, d'où

Cortés n'avoit bougé. 233 Le Roy de Mechoacan envoye fon frère vifiter Cortés s et y vint puis

après luy-mefme. 137 Des qualitez de la terre du Royaume de Mechoacan. 243 Continuation des raretez du Royaume de Mechoacan. 248 Fernand Cortés envoye a Mechoacan le Capitaine Chriftofle d'Olid ;

Gonçale de Sandoval dam les Provinces, qu'ils appellent de Puer-tos Abaxo ; Et Pierre d'Alvarado, et François d'Orozco à Gua-xaca. 253

De la valée de Guaxaca au Royaume de Mifteque, & des particu laritez de fes Provinces. 257

Continuation de la matiere precedente. 262 F i n des particularitez du Royaume de Mifteque. Autres particula-

ritez^des Provinces des Zapoteques-, & autres. 266 Continuation de la Religion, façons & couftumes des autres Natiors

de la nouvelle Efpagne. 2 7 0 Chriftofte de Tapia arrive avec fes provifions Royales dans la nou­

velle Efpagne, qui les prefente ; mais comme on ne le voulut pas écouter il en retourne à l ' i f le Efpaçnole. 274

Fernand Cortés envoye reconnoiftre la cofte de la mer du Sud, &y fait armer des Navires.

Diego Velafquez veut aller voir Cortés. François de Garay arme pour aller à Panuco. Fernand Cortés va dans cette Province avec fon armée, & la dans l'obeyffance. 284

L I V R E

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T A B L E .

L I V R E Q V A T R I E S M E ,

C h a p . I. T Es Procureurs de la nouvelle Efpagne arrivent à l'ifle des Açores. ils perdent deux Caravelle.

Le Navire Victoire arrive en Capftille. 291 De ce qui arriva au navire de la Tri nité qui eftoit refté en l'ifle de

Tidore des Moluques} pour eftre radoubé. 296 L'Evefque de Burgos eft reçu fé de la part de Fernand Cortés. La dé­

claration qui fi fit fur la différence qu'il y avoit de luy à Diego Velafquez 3 0 0

L'on fait décharger le Nauire Victoire. Quelles gens eftoient de­dans. Le Roy fait venir en Cour lean Sebaflien del Camo. 308

Gilles Gonçalei Davila fort avec fon Armée, découvre la mer du Sud, avec h Pilote André Nino, & demeure à Nicaragua.

De ce qui fe paffa dans cette Terre. 310 De la découverte que fit Gille Gonçales. Davila par mer et par

terré. 314 Frere Blaife d'Yniefta entre dans le Vulcan de Maffaya. Des cho-

fes notables de la Province de Nicaragua. 317 Ce que faifoit Fernand Cortés dans la nouvelle Efpagne, cependant

que l'on travaillait a fes affaires en Caftille fuivant ce qui a efté dit cy-devant. 325

De la rebellion des Negres dans Elfpa Efpagnolle. De ce qui fe paffa dans la Caftille de l 'Or , & dans la cofle des Perles et de quel­ques particulantez de cette Terre. 330

Des Couftumes des Indiens de Cumana ; & des particularitez de cette terre. 335

Continuation des particularitez de Cumana. 339 De quelques chofes a quoy l'on pourveut pour le bon Gouvernement

des Indes ; Et ce que le Roy de Caftille envoya dire au Rey de Por­tugal par chriflofle. Barrofo fon Secrétaire. 546

De l'Ordre qui fut donné pour faire une autre armée en Seville, de ce qui procedoit des Avaris. Des faveurs que le Roy fit à. Iean Sebaftien del Cano, & à fies com­

pagnon;, 353 Des Couftumes des autres Provinces de la nouvelle Efpagne, de

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T A B L E leurs aFlions & gouvernement. 3.3 5

Des Couftumes des Mexiquains, & d'autres de la nouvelle Ef-pagne. 3 60

Continuation de la mefme matiere. 366 De Matalzingo & d'Vtlatlan, en continuant la mefme matiere

du Chapitre precedent. 372 Des Otomans & de Xilotepec Les troupeaux multiplient beau­

coup en ces terres. 3 7 7 Ruy Falero écrit à l'Empereur, & luy mande l'accord qui avoit eftè

fait avec Eftienne Gomez)our aller au Non, & chercher le dé-troit, d'autres chofes de Cafiille de l'or ; Et que des Rochelois avoient tué Antoine de Quinonez, & pris Alonfe Davila.

L'armée des Avaris part, qui amene à Seville les cinq Navires des Indes. L'Empereur commande que l'on emprunte trois cent mille ducats. 386

L I V R E C I N Q V I E S M E .

Chap. I. DE l'ordre qui fut envoyé à Fernand Cortés pour le bon Gouvernement de la nouvelle Efpagne.392

Le Roy envoye d'autres ordres a Fernand Cortés. De l'Ordon nance des habits. 298

le Roy promet de ne point aliener de la Couronne Royale les Pro­vinces de la nouvelle Efpagne & des autres faveurs qu'il fit aux peuplades de cette terre. 4 0 3

Des Ordres que l'Empereur donna pour l'lfie Efpagnole. 410 François de Garay part avec fon armée de l'lfie de lamayca pour

aller à Panuco. Ce qui fe paffa entre Garay & les Capitaines de Fernand Cortez Le naufrage du Licentié Zuazo. 415

François de Garay s'accorde avec les Capitaines de Cortés. Ses gens le qui tient pour fe mettre du party de Cortes. 425

Fernand Cortés envoye fin armée fous la conduite de Chriftofle d'O-lid, pour découvrir le long de la mer du Nor t , & pour peupler les Y bueras. il donne ordre auffi que l' on découvre par le Sud. La fin qu'eut François de Garay. 425

pierre d'Alvarado & autres Capitaines entrent dans le pays, Cortés refont d'aller en perfonne contre. Qhrftofie d'Olid. 430

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D E S C H A P I T R E S . De ce que firent les Capitaines Diego de Godoy & P i e r r e d'Alva

rado dans les voyages que Cortés leur ordonna. 4 3 4 Des pogrés que fit Pierre d'Alvarado dans Guatemala. 438 Des particularitez, de Guatemala. Rodrigue Rangel affujettit les

Zapoteques. Gonçalle Davila donne avis au Roy qu'il va à las Tbueras ce qu'il luy demande. Pedrarias ordonne a Fran­çois Mernandez de Gordouë d'aller à Nicaragua, & luy donne la qualité de Capitaine. 4 4 4

Francifico Hernandez, de Cordouë peuple Grenade en Nicaragua, ce qui fe paffa entre ces gens & Gille Gonçalez Davila de Cordoue. 449

Chrifiofle d'Olid prend François delas Cafas, & Gille Gonçalez Davila ; il eft tué par eux. Le Bachelier Moreno part de l'Ef-pagnolle pour aller à las Ybueras.

Les Officiers Royaux arrivent à Mexique. De l 'avis qu'ils don­nent au Roy. Cortés envoye à Chiapa le Capitaine de Maza-riegos. 458

L I V R E S I X I E S M E .

Chap. I . 1 V foin que le Roy avoit pour le fpirituel & le tem-D porel, du Gouvernement des Indes. Par l'ar­rivée de quelques navires qui viennent de ces quartiers l'on folicite il Armée que l'on envoyait à l'Efipicerie.4.61

Les Officiers Royaux de Mexique continuent d'écrire en Cour con­tre Cortés. Autres affaires des Indes. 4 6 7

De l'inftance que le Roy de Portugal fit à l'Empereur, pour qu'il luy laiffaft les ifles de l'Efpicerie & ce que l'Empereur luy envoya dire parle Docteur lean Cabrero Confieiller d'Eftat, & le Se­crétaire Barrofo. 4 7 0

Le Roy de Portugal envoye des Ambaffadeurs à l'Empereur.Ils luy parlent dans Pampelune ; & la réponfe qu'il leur fit. 474

Continuation de la reponce de l'Empereur, & la refolution du Con­fie il là deffus. 477

Apres plufieurs conteftations, il fut accordé enfin que l'on nommeroit e ij

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T A B L E des luges pour terminer le différent de l'alignement. 482

Les Commiffaires Caftillans & Portugais fevoyent , & conviens nent enfemble du lieu ou fe doit faire l'Affemblée. Ils commment à traiter fur les points de leurs Commiffions

De la refiolution des Commiffaires fur le point de poffeffiton ; en fuite dequoy l'affemblée fut rompue, parce que le terme efyoit ex­pire.

De la navigation que fit un navire François qui fortit de Diepe cette année pour faire quelque découverte dans les Indes. 497

Fernand de Cortés refout de faire le voyage de las Ybueras. Il part de Mexique pour cet effet. L'ordre quillaiffe a cette Ville. Les revoltes qui y arrivent pendant fon abfence 5 & les travaux qu'il fouffrit en ce voyage. 506

Gonçale de Salazar, & Paralmindez vont d Mexique. Ce qui leur arriva en chemin. 551

Continuation des revoltes de Mexique. Mort de Rodrigue de P a z . Continuation du voyage de Cortés à las Y bueras. 519 François Piçarro, Diego d' Almagro, & Hernando de Luque, ont

permiffion de Pedrarias pour aller en découverte. Du Confeil fuprême des Indes. L'Evefque d'Ofma Frere Garcia

de Loayfa, en eft fait Prefident. 556

L I V R E S E P T L E S M E .

Chap. I. 1 Es Navires qui arrivèrent des Indes. De l'ar-D mée qui fut accordée aux Officiers de la Mai-fon de ContraElation peur aller contre les Corfaires.L'on donne avis aux Miniftres des Indes de la Victoire de L'Empereur devant Pavie. 560

Des ordres qui firent donnez pour le Gouvernement de la Terre-ferme. Le Licencié Villalobos s'oblige de peupler l'lfie Mar­guerite, 515

Quel fut celuy qui alla pacifier la Province de Tabafco ; & des chofes qui fe prefentent à reciter en ce lieu. 573

Du traité qui fut fait avec le Roy, de la part & au nom de Fernand, Cortés & des faveurs & honneurs que le Roy luy fit.

L'armée fe prépare pour paffer aux Moluques. Les perfonnes qui

Page 21: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

D E S C H A P I T R E S ; y vont ; & l'ordre qui leur fut donné. 584

Continuation de l'infiruction qui fut donnée a l'armée qui alloit aux Moluques. 588

L'armée part de la Cornua pour paffer aux Moluques. Les routes qu'elle tint avant que d'entrer dans le détroit de Magellan. 596

L'Adelantado Fernand Cortés centime fa route aux Y bueras Et ce qui fe paffe cependant dans Mexique. 600

Fernand, Cortés continuant fon chemin, paffe par des terres non en­core découvertes. On luy donne avis que le Roy Quantimoc le veut tuer. La juftice qu'il en fa i t , de quelques autres 609

L I V R E H V I T I E S M E .

Chap. I. FErnand Cortez continué fa route, & ce qui luy F arriva. 619

Fernand Cortés a connoiffance de Nito ; & les travaux que fes gens fouffrent. 6 2 4

Fernand Cortés arive a Nito. La faim qu'il fouffrit & la diligence dont il ufa pour chercher des vivres. 616

Fernand Cortés paffe à Truxillo ; ou il apprend les mouvemens de de Mexique. Il y envoye des ordres pour y remédier. 632

Les amis de Cortés ayant appris qu'il eftoit vivant fe bandent con­tre Salazar & Peralmindez, 3 & apres les avoir pris ils les font mettre dans des Cages. 637

Fernand Cortés découvre une nouvelle Terre. Le Confeil qu'il don-ne d François Hernandez deCordoue. 6 4 2

Les ennemis de Cortés donnent au Roy de mauvaifes imprefions contre luy. Il refelut de retourner à Mexique. Qualitez de la Province de Truxillo. 647

Du voyage du Pilote Eftienne Gomez ; &de celuy que firent les navires du Linentié Ayllon à Chicora. 652

L'Adelantado Baftidas va à fanta Marta. Ce qui luy arriva en ce lieu,fa Mort, 655

L'on declare les Caribes pour efclaves, & l'on ordonne que les In­diens des Ifles foient mis en liberté. L'Empereur donne avis aux Indes de fon mariage. 6 6 1

e i i j

Page 22: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

T A B L E Des chofes qui fe paffent dans la découverte de Francois Pi-

carro. 666 François Piçarro & Diego d'Almagro continuent leur décou­

verte. 6 69 prancifco Piçarro & Diego d'Almagro fartent enfemble de Qhicama

pour continuer leur découverte. 674. le Roy pourvoit aux affaires de la nouvelle Efpagne, Panuco , les

Y bueras, & Terre-ferme. Des ordres qu'il donna au Licencié Louis Ponce de Léon, qu'il envoye pour examiner les comptes de Fernand Cortés. 677

Continuation de la teneur des dépeches qui furent données au Licen­cié Louis Ponce de Leon ; & ce que l'on difoit de Fernand Cortés. 682

L I V R E N E V V I E M E .

Chap- I. D Edrarias Davila va a Nicaragua. L'inftruetion P que Pedro de los Rios emporte pour gouverner la

Caftille de l'or. 683 (Des demandes que fit Pedrarias dans le Confeil 3 & ce qui fut or­

donne touchant la liberté des Indiens. 693

De l'Armée que Sebafiien Gaboto leva pour l'Epicerie ; & du fejour qu'il fit à la rivière de Plat a. 69 7

Le Commandeur frère Garcia de Loay fapaffe le détroit de Ma-gellan, entre dans la mer du Sud. 6 0 1

l'armée du Commandeur Loay fia entre dans la mer du Sud ; La difgrace qui luy arrive. 707

Les Indiens de la nouvelle Efpagne traitent bien ceux de la Pata. che, & confentent que le Preftre aille à Mexique pour faire rela­tion de fon voyage. 7 0 8

Fernand Cortés retourne a mexique. Le Licencie Louis Ponce y arrive pour eftre L'Intendant de Iuftice. 713

Le Licencié Louis Ponce prend le Gouvernement de Mexique. Sa mort, & celle de Marc d'Aguilar. Alonfie d'Eftrada gouverne en

fa place. 7 2 0 Fernand Cortés refout d'armer pour aller aux ifles de l'Efiicerie.La

Capitaneffe du Commandeur Loayfia y arrive. 7 2 4

Page 23: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

D E S C H A P I T R E S . De ce qui fe paffa entre les Caftillans de las Ybueras & de Nica­

ragua. 730 De l'Ambaffade que le Capitaine des Caftillans envoya aux Rois

de Gilolo & de Tidore. Des inftances qu'en firent les Portuguais. Le navire Caftillan arrive à Tidore. 73 4

L I V R E D I X I E S M E .

Chap. I, Diego Lopez de Saisie do part pour occuper la place de Gouverneur de Honduras. Accord fait avec

François de M o n t e j o & Panfile de Narvaez pour aller en découverte ; & avec le Comte don Fernand d'Andrada & autres. 739

Pedro de los Rios eft receu Gouverneur de Caftille de l'or, ne veut point favorifer l'entreprife de François Piçarro, & de Diego d'Almagro. Ce qu'ils firent en continuant leur doffein. 7 4 5

Continuation des travaux que François pifarro & fes compagnons fouffrent en leur découverte ; du fecours que Diego d Aljmagro leur envoye. 7 4 9

Le Gouverneur pedro de los Rios envoye un navire a François Pi­farro, lequel avec ceux qui luy eftoient reftez va découvrir la terre de Tumbez

Continuation de la découverte de Fran çois piçarro & de fes com pagnons le long de cette cofte , qu'ils appellent du Perou. 760

François Piçarro continuë fa découverte, Ses compagnons le prient de ne pas paffer plus avant. 7 63

D e plufieurs chofes dont le Roy pourveut cette année pour le bon gou­vernement de la nouvelle Ffpagne. 766

Continuation des ordres que le Roy donne pour la nouvelle Efi-fagne. 7 7 0

Autres ordres qui furent donnez cette année pour le bon gouverne­ment de diverfes parties des Indes. 7 7 3

Continuation des provifions Royales de cette année. 7 7 S L'on ordonna de ne laiffer fortir des Indes pour paffer en Caftille, ny

de Caftille pour paffer aux Indes aucuns navires fi ce n'eft en fiote. L'on donna commiffion à Fernand Colon de faire une affem­blée de Pilotes, pour corriger les Cartes marines. D'autres chofes qui arrivent fur la fin de cette année. 7 8 4

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E X T R A I T D V P R I V I L E G E

du Roy.

DAr grâce Se Privilege du R o y , donné à Paris le vingt-Punième jour de Mars , l'an de Grâce 1659. Se de noftre Regne le feiziéme,Signe MABOUL. Ileft permis à NICOLAS DE LA COSTE Marchand Libraire en no lire bonne Ville de Par i s , d ' imprimer ou faire imprimer un Livre int i tulé I Hiftoire des Voyages & Conqueftes des Caftillans dans les Ifles Terres et Fermes des Indes Occidentalle, traduite de l'Efpagnol D'ANTHOINE D ' H E R R E R A . Et deffences font faites à tous Imprimeurs & Marchands Libraires , et autres perfonnes de quelque qualité Se condition qu'ils foient, d'imprimer ou faire imprimer, vendre ny debiter ledit L iv re , en quel­que forte & maniere que ce fait, fans le confentement dudit Expofant , à peine de confifeation des Exemplaires, et de quinze cens livres d ' amende , & de tous defpens, domina-ges Se interefts, comme il eft. plus amplement por té aufdites Lettres de Privilege.

Et la veuve NICOLAS DE LA COSTE a f f o c i é audit Pri­vilege, FRANÇOIS CLOUSIER l 'aifné, et PIERRE AUBOUIN, auffi Marchands Libra i res , fuivant l'accord fait entr 'eux.

Regiftré fur le Livre de la Communauté des Libraires fuivant l'Arreft du Parlement du troifiéme Avril 1653, Fait à Paris le 8. Aouft 1659. G . I O S S E , Syndic.

Achevé d'imprimer pour la premiere fois, le douzième Mars, 1 6 7 1 .

Les Exemplaires ont efté fournis.

H I S T O I R E

Page 25: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

I

H I S T O I R E G E N E R A L E

D E S V O Y A G E S E T C O N Q V E S T E S

des Caftillans dans les Ifles & Terre-ferme

des Indes Occidentales.

TROISIESME DECADE. L I V R E P R E M I E R .

C H A P I T R E P R E M I E R .

Fernand Cortés arrive a Tezçuco. Il donne la Seigneurie

de cette Ville a Dom Fernand. La conjuration d'An­

toine de Villafana. Des Villages qui demandoient

la paix & l'amitié de Fernand Cortés.

C O M M E l 'armée de Cortés defcendoit du détroit de cette haute montagne dont nous avons parlé cy-devant ,pour entrer dans la p la ine , ils commencerent à voir cette grande ville de Mexique, le Lac, & toute la contrée qui l 'environ­

ne. O r le deffein de Cortés eftoit d 'entretenir la guerre dans les Bourgs & les Villages d'autour de Mexique, en

A

A NNEE

1 5 2 1 .

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2 H I S T O I R E

attendant que les brigantins arrivafient. Et les Indiens de là autour ayant auffi découvert l 'armée des Chre -ftiens à la defcente des montagnes, fe donnèrent le li­gnai les uns aux autres par des fumées qu'ils firent, & s'affemblerent plus de cent mille hommes, qui fe faifirent d'un pofte, par où de neceffité l 'armée devoir paffer. & l 'attendirent là. Et le troifiéme jour de cette année Cortés les ayant découverts, les alla attaquer avec vingt chevaux ; & quoy qu'ils tirerent fur luy une infinité de fléches, il ne laiffa pas de les charger ; Se citant fecouru de l 'armée il les mit en déroute , aprrs en eftre demeuré quantité de morts fur la place. Les Caftillans ravis de cette victoire s'en allerent loger dans une ville du Sei-gneur de Tezcuco, qu'ils trouverent deferte ; & comme l'on apprit que là aupres il y avoit une autre grande ar­mée de Mexiquains, l'on fetint toujours fur fes gardes. Le lendemain l'armée fortit de ce lieu pour aller à Tez cuca, où il y a trois lieues de chemin dans une campagne, qui eft fort peuplée, & remplie de beaux édifices 5 parce que la Seigneurie & la Ville n'eftoient pas moins gran­des que celle de Mexique. Il fortit au devant de Cortés dans le chemin quatre Indiens fort bien équipez , qui portoient une baguet te , où eftoit attaché un guidon d'or. Cortés fçachant bien que c'eftoit un témoignage de paix, fit faire alte. Apres qu'ils l 'eurent falüé, ils luy d i ren t : Que C U A N A C U Z I N T leur Seigneur luy offroit fon fervice, & le fupplioit que fes gens ne fiffent aucun mal dans fes terres, & qu'il s'en vinft loger dans la ville, ou il feroit en toute affeurance. Cortés fut ravy de cette ambaffade, quoy qu'elle luy parût diffimulée : mais néanmoins il leur fit réponfe, qu'il agreoit fa bonne volonté ; & leur dit, que puis qu'il n'y avoit point de remede à la mort de quarante-iinq Caftillans, cinq chevaux, plus de trois cens Tlafalte-ques qu'ils avaient tuez que du moins on rendît for, l'ar­gent les joyaux que l'on avoit prit à fes gens dans cette terre ; ou qu'autrement il feroit en forte que pour chaque Caftillan il ferait mourir mille des leurs. Ils firent réponfe, que cela s'é tait fait par l'ordre du Seigneur de Mexique, que les Mexi-

1521.

l e s Caftillans g a g n e n t une Vi e t o i r e con t re les M e x i q u a i n s .

Le Seigneur de Tezcuco offre sô fervice à Cor­ses.

Page 27: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S . Liv. I 3 quains en emporterent les dépouilles : Mais qu'ils feraient ce qu'ils pourraient pour les chercher, & les luy reflituer. L'ar­mée fut fort bien receuë dans tous les Villages de là au­tour. Elle arriva à Guaxuta, à demy lieuë de Tezcuco, enfin dans cet te Ville. O n le logea dans de grandes mai-fonsqui avaient appartenu au pere du Seigneur de Tez-cuco-, où. les Caftillans, & bon nombre d'Indiens alliez t rouverent affez de lieu,, afin de ne fe point feparer. O r comme ils ne virent paroiftre aucunes femmes ny d'en-fans, Cortés défendit que perfonne nefor t î t du loge­ment, de crainte de quelque trahifon, & pour s'affurer de la Ville. Cependant l'on découvrit de deffus les ter-raftes des maifons, que les habitans fe ret i ra ient , & en-le voient leurs hardes, leurs femmes & leurs enfans, & les mettoient dans des canos pour les faire paffer à t e r r e , et gagner les montagnes qu'ils y apportaient toute la di­ligence poffible. Cortés ayant eu avis de cela, fit appel-1er quelques-uns des pr incipaux, «Scieur dit : Q u e D o m Fernand qu'il avoit avec luy, eftoit fils de Nefzaval Pil-cintle leur grand Se igneur ,& qu'il le leur donnoit pour Seigneur de fa main, puis que Cuanacuzint avoit paffe avec les ennemis, & qu'il avoit traitreulement tué fon frere par une ambition de regner. Ainfi D o m Fernand fut receu pour Seigneur de Tezcuco, & ceux qui s'eftoient retirez dans les montagnes revinrent ; la Ville fe repeu­pla, & les gens furent bien traitez.

Trois jours apres les Seigneurs de Guatinchan, de Gua-xuta} & d'Autengo, vinrent trouver Cortés les larmes aux yeux , luy demandant excufe de ce qu'ils s'eftoient ab-fentez, luy en demanderent pardon, & le prierent de les vouloir remettre en g r â c e , et que s'ils avoient quelque­fois combatu contre luy, ils y avoient efté contraints. Il leur accorda leur demande , à condition que s'ils le tra-hiflbient encore une fois, ils recevroient double chafti-ment de leur c r ime , comme des traittres. Cependant ceux de Mexique ne pouvant bien goûter cette réu­n ion , envoyerent des meffagers pour tâcher de les dé­tourner de cela. Mais les trois Seigneurs en donnerent

A ij

1521

Cortés entre dans T e z c u c o .

Certes d o n n e la Seigneurie de Tezcuco à D o r a Fe rnand .

Page 28: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

4 H I S T O I R E avis à Cortésj et luy envoyerent les meffagers liez & ga-rotez ; lefquels nierent l'ambaffade, & dirent qu'ils n'é-toient venus que pour prier ces Seigneurs d'eftre mediateurs pour faire une paix entre les Chreftiens & les Mexiquains. O r quoy que Cortés s'apperceut bien de leur aftuce, il les fit mettre en liberte il leur donna quelques jolivetez, & les chargea de dire à la Vil le , lors qu'ils y feroient de retour ; que puis que ceux qui efioient caufe du mal eftoient morts, que xeux qui reftoient au moins fuffent bons amis. Ils luy promirent de fe bien acquitter de cette charge, & de ve­nir rendre réponfe, mais ils ne parurent plus. Cependant que les chofes fe paffoient de la forte comme les Capi­taines ne peuvent pas toujours contenter tout le monde, quelques mal-contens procurerent par le moyen d'An­toine de Villa-fana de fe foulever contre Cortés, & d'éli­re en fa place Francifco Verdugo , homme d'authorité & vaillant, beau-frere de Diego Velafquez, & dont l'af­fection ne pouvoit fortir de fon cœur. Cette conjura­tion eftoit compofée de trois cens rebelles, qui eftoient tous demeurez d'accord de contraindre Verdugo d'ac-cepter cette charge , fans le luy avoir communique. Eftant donc tous préparez pour poignarder Cor tés , & que pour cet effet ils l 'attendoient de pied ferme, l 'un des complices l'alla t rouver , & d'un vifage tout efaré luy dit en tremblant Que s'il luy vouloit accorder la vie, & garder le fecret, il luy découvrir oit une chofe qui luy eftoit de grande importance. Cortés qui eftoit un homme fort libre & prompt luy accorda fa demande. Il luy dit donc, qu'il

fe falloit faifir au plufioft de Villa-fana, & qu'il eftoit le chef de la confpiration. Cortés commanda auffi-toft à Gonçale de Sandoval de l'aller prendre, et de qu'il fe faifift. d'un pa­pier qu'il portoit dans le fein, fur lequel eftoient écrits les noms des conjurez. Mais quelque diligence qu'y ap­porta Sandoval, Villa-fana avoit déjà la moitié du papier dans la bouche lors qu'il le faifit, & on luy ferra le gofier pour l'empêcher de l'avaler ; & toutefois il n'en jet ta qu'une partie, dans laquelle on trouva les noms de qua­torze perfonnes, de bon compte. Quant à luy il confeffà

1521.

Cor tés envoyé offrir la paix au M e x i q u a i n s .

Conjura t ion co-tre Cor t é s .

torze perfonnes, de bon compte. Quant a luy il coruefta

Page 29: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I . 5 auffi-toft, fon crime ; mais quelques tourmens que l'on luy fit fouffrir, qu'il endura conftamment,il ne voulut ja­mais accufer perionne ; & pour les noms que l'on luy avoit trouvez, il dit qu'il les avoit écrits pour leur parler & les folliciter ; mais que jufques-là il n'en avoit parlé à aucun. Cortés ne fut pas fâché de n 'en chaftier qu'un, parce que les autres fe pourroient reconcilier, & ainfi il fitpendre Villa-fana. Le lendemain comme les Caftil-lans eftoient affemblez, il leur dit : Que villa-fana avoit agien Chreftien de n'avoir pas voulu accufer ceux qui efioient écrits fur ce papier, et en celuy qu'il avoit mangé ; & que puis qu'ils eftoient innocens^ il les prioit que fi quelqu'un avoit quel­que fujet de plainte, il euft à le déclarer, & qu'il luy donneroit toute forte de fatisfaction ; & que s'il avoit erré, quils l'en advertiffent, & qu'ils ne luy pourroient pas faire un plus grand plaifir. Il leur dit encore quantité de raifons avec amour, pa r l e moyen defquelles ils fe réconcilièrent, & demeu­rèrent fatisfaits, diffimulant le paffe, & fort joyeux de n'avoir pas efté découverts. Mais de-là en avant Cortés vivoit avec plus de précautions.

C H A P I T R E I I .

Du peril où l'armée Caftillane fe trouva, & d'une bataille qu'eut Gonçale de Sandoval, contre l'armée de Mexique,

Ceux de Tezjuco preftent fermenta Dom fernand.

PEndant huit jours que Cortés demeura dans T e z c u -co, fans enfortir,il s'occupa à fortifier fon logement,

6c à le garnir de vivres, parce qu'il apprehendoit que les ennemis ne l'y allaffent affieger ; mais comme il vit qu'ils ne branloient pas , il fortit de la Ville avec deux cens hommes d 'Infanterie, & dix-huit de Cavaler ie , avec quatre mille Tlafcalteques. Il cottoya la rive du Lac, de alla à la ville d'yztapalapa,où il y avoit bien dix mille ha-bi tans , & cette Ville alors eftoit baftie la moitié dans l'eau. Le Seigneur de ce lieu eftoit frere de Montezu-

A iij

1521

f C o r t é s parle fes foldats.

Corresva contre la vil le d 'Yzsas palapao

Page 30: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

6 H I S T O I R E me ,& ce fut luy qui chaila les Cafëillans de Mexique* Mais Cortés n'en pût pas approcher fi fecrettement qu'il ne fut découvert par les Habitans, qui commencè­rent à retirer toutes leurs hardes , leurs femmes de leurs en fans dans les maifons qui eftoient bafties dans Peau. A deux lieues avant que d'y arriver il rencontra des troupes de foldacs, qui Je conduifirent toujours en com, bâ tan t , vers la ville. Il y en avoit encore d'autres dans des canos qui faifoient la mefme chofe ; & lors qu'ils ap­prochèrent tout contre la Ville, il en fortit d'autres en grand nombre qui enveloperent impetueufement l'ar-mée de Cortés. Le combat dura trois heures avec beau­coup d'opiniaftreté ; mais enfin ceux d'Yztapalapa ne pouvant pas refifter, fe retirèrent dans l'eau , où plu-lieurs le noyèrent, de d'autres fe fauverent dans des ca­nos- Il en fut tué cinq mille , peu de Tlafcateques y de­meurèrent, de pas un Caftillan La dépouille fut gran­de, & les Indiens alliez mirent le feu à quelques maifons. Quelque peu avant la victoire, les ennemis avoient rompu une chauffée, par où l'onpaffoit de l'eau falée à la douce ; de comme les Chreftiens pourfuivoient les enne­mis , ne prenant pas garde que l'eau croiffoit , Cortés l'ayant apperceu, luy qui avoit l'efprit prefent en toutes chofes, qui le faifoit confiderer de admirer, rien ne luy pouvant eftre caché, fit grande diligence de les tirer de­là, & avec toutes fes diligences néanmoins, il eftoit déjà fept heures de nuit ; de forte que lors qu'ils fe ret irèrent de l'eau les uns en avoient jufques aux genoux, de d'au­tres jufques à l'eftomac. Les dépouilles y demeurèrent, de quelques Tlafcalteques y furent noyez 5 s'ils y fuffent demeurez encore trois heures,il n 'en fût revenu pas un. Ils en fortirent furies neuf heures, &fourffirent bien du froid & de la faim, car ils n'avoient rien à manger ny de-quoy fe chauffer. Le lendemain les Mexiquains les vin­rent attaquer, de ils combatirent toujours en retraite jul-ques à Tezcuco. Il mourut en ce rencontre quelques Indiens alliez, & un Caftillan, qui fut le premier qui mourut dans la campagne en combatant ; & fut enlevé

1 5 1 1 .

Il eft attaque par une multitu­de d'Indiens.

L ' a rmée de Cor ses cil en péri l .

Cor tés fe retire dans Tezcuco .

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D E S I N D E S OCCIDENTALES, Liv. L 7 mort par fes compagnons dans Tezfuco , de crainte que les Indiens ne le viffenc. Le lendemain il arriva des Mef-fagers de la ville à'Otumba ,& de quatre autres Villes voilines pour demander pardon du trouble qu'ils avoient caufé à la guerre , priant Cortés de les vouloir recevoir pour amis. Il les récent en grâce , a condition qu'ils luy ammeneroient prifonniers tous les Mexiquains qu'ils rencontreroient.

Cependant Cortés voyant que les garnifons Mexi-quainesoccupoient toujours les palfages de la Fera Cruz & de Tlafcala, il y envoya Gonçale de Sandoval, avec deux cens Caftillans & vingt chevaux , avec ordre qu'a­près avoir conduit dans les limites de Tlafcala, les Mef-lagers, qu'il envoyoit pour diligenter les Brigantins, il re­tournât dans la Province de Chalco, qui confinoit avec celle de Cuyoacan, parce qu'ils avoient envoyé dire que la crainte des garnifons Mexiquaines les empéchoit de fe déclarer pour amis, & qu'il les affurât. Quelques Tlafcaltef quess'en retournant parmefme moyen en leur ville, chargez de quelque butin qu'ils avoient fait ,& d'antres qui avoient fervy de Vivandiers, s'imaginant eftre en feureté à caufe qu'ils cheminoient derrière les Caftillans,allerent tomber dans une embufcade de Mexi-quains qui en tuèrent quelques-uns,& leur ofterent leur butin. Comme ceux qui eftoient devant eurent enten­du les cris, car ceux des Indiens font plus vehemens que ceux de quelque autre nation que ce (bit, et voyant la pouffiere qu'ils faifoient, Sandoval y accourut auffi-toft avec la Cavalerie ; il chargea les Mexiquains,, il fecou-rut fes amis, & recouvra le butin ; puis l'Infanterie étant venue au fecours,ils achevèrent de vaincre les enne­mis , qui fe fauvant par la fuite fe jetterent dans le Lac ; & les Tlafcalteques chargez de leur butin , de celuy de leurs ennemis , & de leurs armes, s'en retournèrent fort contens dans leur terre.

Apres que Sandoval les eut mis en feureté , en chemi­nant vers chalco, il rencontra dans une plaine douze mil­le Mexiquains, qui luy prefenterent bataille, en bon

1 521.

GonçaledeSan-doval va à Chal co.

Bataille de San-dovai cotre une armée de Mexi­quains,

Page 32: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

8 H I S T O I R E ordre ; elle dura deux heures, & furent mis en déroute nonobftant leur grand nombre. Ceux de Chalco, ayant appris les nouvelles de cette victoire, fortirent au devant de Sandoval, pour le recevoir , et s'en retourna auffi-tofl: après retrouver Cortés avec les fils de ces Seigneurs qui le defiroient reconnoiftre. Ils luy portèrent un pre-fent d'or, que Cortés receut, & les remercia. Il les re­gala fort bien, & les renvoya contens & fatisfaits, & avec Sandoval pour les efcorter le long du chemin. Apres qu'il les eut conduits en feureté, non fans avoir fait quelques rencontres, il paffa à Tlafcala, où ayant demeure fix jours , il s'en revint trouver Cortés , avec les Caftillans qui eftoient demeurez-là, & Dom Fer-nand. Cortés avec fes cérémonies ordinaires envers les Indiens, & avec une gravité qui luy edoit naturelle, luy fit prefter ferment de fidélité, & le fît reconnoiftre pour Seigneur de Tezcuco, dont Sandoval fut le témoin & le certificateur, à caufe qu'il connoiflbit que fon intention eftoit bonne ; de quoy ceux de Tezcuco en receurent un grand contentement. Deux jours après cette éle­ction de Dom F e r n a n d e tout le monde eftant à la Ville, la réputation de Cortés augmentant toujours ; les Sei­gneurs de Guatinchan et de Guaxuta, l'allerent trouver tout tranfportez, et luy dirent que toutes les puiffances & les forces des Mexiquains alloient fondre fur eux , & qu'il prît garde auffi à luy ; et qu'il leur d î t , s'il eftoit à propos qu'ils amenaffent là leurs femmes & leurs en-fans, ou s'ils les meneroient à la montagne. Il leur dit qu'ils n'euffent point de crainte, & qu'ils miflent feule­ment les gens inutiles dans les maifons les plus fortes, et que ceux qui eftoient capables de porter les armes fe tinffent prefts; qu'il les vouloit fecourir, & qu'ils ver-roient les maux qui en arriveroient aux Mexiquains. Cortés de fon cofté fe tint fur fes gardes 5 mais les enne­mis n'attaquèrent point alors ny Cortés ny ces Sei­gneurs, ils ne s'amuferent qu'à prendre quelques Indiens qui portoient des vivres au Camp, & particulièrement dans Tlafcala, pour les facrifîer. Et pour cet effet ils re­

cherchèrent

1521

Autre Bataille de Sandoval co­tre les Mexi­quains .

D o m Fernand prefte ferment en qual i té de Seign. de Tez­cuco.

Les Mexiquains donnent la chaf-fe aux Tlafcal-teques pour les facrifîer.

Page 33: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I. 9 chercherent de paix deux peuplades de lafeigneurie de Tezcuco, les plus proches du Lac, où ils firent des foriez par où l'eau entroit, des tranchées, Se d'autres défenfes

pour faire tous les maux qu'ils pourroient.

C H A P I T R E I I I .

Des Ifles que Magellan découvrit en la mer du Sud, & particulièrement de celle de Zebù.

AV commencement de cette année , Fernand de Magellan navigeant avec fes trois Navires dans la

mer du Sud, qui luy fembloit toujours plus vafte que de­vant , & ayant le Soleil pour Zenit, éloigné de l'Equino-d ia lau Sud de 21. degrez, 50. minutes, il commanda que l'on continuât la route du N o r t , afin de rencontrer plû-toft des Ifles pour trouve quelques vivres. Ils navigerent deux mille lieues fans voir davantage de terre que les deux Ifles infortunées dont nous avons déjà par lé , au milieu du Golfe. Ils navigerent encore après cela huit cens lieues jufques au vingt-troifiéme de Ianvier qu'ils arrivèrent au 15. degré 48. minutes, où ils trouvèrent deux Ifles extrêmement belles, qui eftoient habitées par des gens farouches & qui adoroient des Idoles, & na-vigeoient dans des canos huit lieues qu'il y avoit d'une Ifle à l'autre. Il ne tenoit pas dans ces canos plus haut de dix hommes. Leurs voiles eftoient de feuilles de Pal­mier, comme les Latines, & fort bien faites. Leurs vi­bres eftoient des Cocos, des Tfiames et du Riz Or comme il arrivoit tant d'Indiens aux Navires, qu'ils ne les pou-voient pas contenir: Magellan les fît mettre dehors, & il en falut venir à la violence, parce qu'ils n'en vouloient pas fortïr. Les Indiens en colère de cela retournèrent aux Navires dans leurs canos,& jettoient tant de pierres & de baitons brûlez, qu'encore que le General défendît au commencement qu'on ne leur fift point de mal, & ne les pouvant fouffrir davantage, il commanda de tirer

1521.

Magellan fe trouve le 10. de Ianvier au 15. degre 48. min.

B

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1 5 2 1

10 H I S T O I R E l 'artillerie. Mais quoy que l'on en eût tué plusieurs, ils eftoient tellement ruftics qu'ils ne laiffoient pas que d'apporter de leurs danrées , pour les troquer contre celles qui eftoient dans les vaifféaux. Vn foir navigeant proche de l'une de ces Ifles}les Indiens détachèrent l'Ef-chif de la Capitaineffe qui eftoit à la poupe, et l'emme­nèrent à terre. Le lendemain au matin le General en­voya deux Chaloupes avec quatre-vingt dix hommes ar­mez dans un Village qui eftoit au pied d'une montagne, où ils avoient mené l'Efquif. Les Indiens montèrent à la montagne, et jetterent une fi grande quantité de pierres qu'il fembloit à voir qu'il gréloit. Mais comme l'on vint à tirer les Arquebufes, ils gagnèrent le haut , et les Caftillans entrèrent dans le Village, y mirent le feu, tuè­rent ceux qui s'y rencontrèrent, & enlevèrent les vivres qui étoient dedans.Les lndiens jugeant que ce châtiment ne fc faifoit que pour l'Efchif, le lâchèrent en mer. Ma­gellan l'envoya quérir, fit charger de l'eau, & commen-da que chacun entrât dans les vaiffeaux. Il fit départie les vivres qu'ils avoient eus dans ce Village entre-tous, parce que la plufpart pâtiffoient beaucoup par la faim, et en eftoient prefque tous malades. Le lendemain le Ge­neral partit de ces Ifles, et leur donna le nom de Latines-, 6c fit trois cens lieues vers le Ponant. Il découvrit quan­tité d'autres Ifles, où il trouva abondance de vivres, car ces Indiens entendoient la langue d'un Indien que Magellan avoit avec luy. Puis navigeant entre deux, ils allèrent furgirà une petite Ifle appellée Managua-, pro che d'une petite peuplade. Le Roy de cette ifle en­voya auffi-toft un cano, où eftoient dix Indiens, pour fçavoir quelles gens il y avoit dans les navires, ce qu'ils cherchaient ; et comme on les entendoit par le moyen de l'interprète qui y eftoit, Magellan fit réponfe , qu'ils eftoient vaffaux du Roy de Caftille, & qu'ils defiroient faire faix avec luy, & troquer des marchandifes qu'ils avoient que s'ils avoient des vivres, qu'il le prioit de luy en vouloir donner-, & qu'il les luy payeroit. Le Roy fit réponfe, qu'il n'en avoit pas pour tant de monde, mais qu'il partageroit ce qu'il avoit

Les Indiens dé t achen t I'Efchif de la Capitaine f-fe,& l'emmè­n e n t .

Magellan part des Ifles des voi­les Latines.

Les Caftillans arr iventen l f l e de Mazaguà.

Page 35: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

D E S I N D E S O C C I D E N T A L L E S , Liv. 11 avec eux. Ils apportèrent aux vaiffeaux quatre porcs, trois chèvres, & un peu de riz. Or comme cela ècheut le le jour de Pafques, Magellan commanda que tous fortif-fént pour entendre la Méfie, & que l'on plantât une grande Croix fur une haute montagne qui eftoit là tout proche, afin que s'il arrivoit quelques autres navires en cet endroit, ils reconnuffent qu'il eftoit arrivé des Ca-flillans en cette Ifle.

Magellan demanda au Roy s'il ne pouvoit point trou­ver des vivres en quelque lieu, & qu'il en avoit befoin. Il luy repartit, qu'à vingt lieues de là il y avoir une gran­de Ifle, où il y avoit un Roy qui luy eftoit parent, qui luy bailleroit de tout ce qu'il voudrait. Et parce que Ma­gellan le pria de luy donner quelque Pilote pour le gui­der, il s'offrit d'y aller luy-mefme. Magellan luy donna quelques prefens, outre ceux qu'il luy avoit déjà don­nez ; & le Roy s'eflant embarqué avec quelques Indiens, ils arrivèrent à ifle de Zebu, qui eftoit fon propre nom. Auffi-toft après il fortit de là ville plus de deux mille hommes armez de Lances,et de Boucliers, qui s'arrefte-rent fur la plage pour contempler les Navires avec beau­coup d'eftonnement, parce qu'ils n'en avoient jamais veu de femblables. Le Roy de Muzaguà defcendit à terre, & raconta au Roy fon neveu, que ces gens ne de­niandoient que la paix, & qu'ils portoient de riches mar-chandifes pour troquer & que fur tout il leur fournît des vivres, parce qu'ils en avoient grande difette. Le Roy de Zebù envoya dire à Magellan qu'avant toutes chofes, il vouloit qu'il fift paix avec luy ; Et comme Ma­gellan luy fit dire qu'il en eftoit d'accord, le Roy luy fit d i re , qu'il avoit accouftumé, lors qu'il faifoit paix avec des E t r ange r s , que les deux Chefs fe tiroient du fang de l'eftomac, & qu'ils beuvoient le fang l'un de l'autre. Magellan luy mande qu'il en eftoit content ; fi bien que Magellan attendant le Roy le lendemain au matin dans la Capitain effe pour faire cette cérémonie, il luy en­voya dire, qu'il eftoit fatisfait de fa bonne volonté ,& qu'il tenoit la paix pour conclue. En confideration de

B ij

15 21. Les Caftillans fortenr à terre pour oüirMeffe,

Magellan arrive en l'Ifle de Z e ­bù .

Magellan fait paix avec c Roy de Zebù.

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12 H I S T O I R E cela Magellan commanda que l'on tirât toute l'artille­rie des Navires, dont les Indiens furent tellement émer­veillez & épouvantez tout enfemble de cette nouveau­t é , que fi cela fe fût fait devant l'eftabliffement de la paix, il ne fût demeuré aucun homme dans la Ville qui n'eût pris la fuite. L'on porta auffi-toft après dans les vaiffeaux quantité de volailles, des porcs, des chèvres, du riz , des cocos ,& de diverfes fortes de fruits ,et les Caftillans ne baillèrent en échange de toutes ces chofes que des fonnettes, des grains de chapelets, & autres babioles de verre. Quatre jours après, pendant lef-quels les Caftillans fe donnèrent au cœur joye des vi­vres qui leur coûtaient fi peu , Magellan commanda de faire en terre une maifon de pierre, où l'on pût di­re la Méffe. Cette Maifon ayant efté baftie en peu d e temps, il fortit des vaiffeaux avec tons fes gens pour oüir la Meffe. Le Roy y vint, la Reine & fon Fils, avec les principaux de fa maifon, pour voir ce que les Chré­tiens vouloient faire. Ils furent fort attentifs à voir fai­re les cérémonies de la Meffe, & par le moyen de l'in­terprète le Preftre leur déclara les principaux points de lafoy Catholique 3 Puis après qu'ils en furent éclair-cis, ils dirent qu'ils vouloient eftre Chreftiens, fi bien que le Preftre les baptifa, & en fuite tous ceux de la Ville ; & Magellan commanda que l'on mît devant l'E-ojife une grande Croix.

C H A P I T R E I V .

De la mort de Fernand de Magellan. Ze navire de faint Antoine arrive a Seville.

A Pres que les Indiens furent baptifez, Magellan croyant que toutes ces chofes s'acheminoient fe­

lon fon intention, commanda que l'on fift une maifon de Contractation, qu'ils appellent Factorerie, ou pour mieux dire Magafin, pour troquer des vivres ; & il y

1521.

Les Indiens en-ten lent la Mef-fe, et Ce font ba-p t i f .

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , LIV. I. 13

âvoit quelque apparence qu'on luy avoit donné quel­que connoiffance de rifle de Burney, & pour ce fujet il faifoit entendre qu'il vouloit fortir de-là pour y aller, parce qu'il y avoit grande quantité de vivres, & qu'il y apprendrait pluftoit des nouvelles des Ifles des Molu-quesy qu'il cherchoi t , dont les Caftillans eftoient fort joyeux. Or il y avoit plufieurs Rois dans cette Ifie de Z e b u , qui eft l'une des Philippines ; & il arriva qu'ils avoient guerre entr'eux ; & parce que ce Roy eftoit déjà Chreftien , qu'il s'eftoit déclaré vaffai de la cou­ronne de Caftille, & qu'il préparait un grand prefent pour envoyer au Roy, Magellan luy voulant faire voir combien il avoit gagné en l'amitié des Caftillans, en­voya dire aux autres Rois de i f l e , qu'ils euffent à ve­nir reconnoiftre le Roy Chreflien. Il y en eut deux qui obeïrent, mais les antres deux ne fe mirent pas fort en peine de fon mandement. Sur ce refus Magellan partit dans deux Barques fur le minuit, & alla brûler le village de l'un de ces Rois, Remporta tous les vivres qu'il y ren­contra. Le lendemain il envoya dire au Roy de Matau qu'il bruleroit fes Villages comme il avoit fait les autres, s'il n'obe'ijfoit au Roy chrétien. Il luy fit réponfe, qu'il y vinft, & qu'il l'attendroit ; Et que ce Roy Chreilien dît à Ma­gellan qu'il abandonnât cette entreprife, parce qu'on luy avoit donné avis que les deux Rois qui luy avoient obey, & l'autre dont on avoit brûlé le Village, eftoient déjà dans Matau, qui l'attendoient avec plus de fix mil­le hommes. Mais nonobftant tout cela Magellan ne laif-fapas de faire armer les trois Barques, dans lefquelles il mit foixante hommes , parce que les autres eftoient fort langoureux de la faim qu'ils avoient endurée , et eftoient malades.Le Roy Chreilien voyant fa refolution voulut Raccompagner avec mil hommes , qui s'embar­quèrent auffi toft dans des canos. Comme tout fut preil pour partir, le Capitaine Serrano luy dit,-qu'ilne troir-voit pas beaucoup à propos de vouloir entreprendre cette guerre. Car, difoit-il, quel profit en pourra-t-il arri­ver ? Outre que les Navires eftoient en fi mauvais eftat, que

B iij

1521

Ambaffa de de Magellan au Roy de Zebù,

t e Roy C i t é -tien confeille Magellan de n'aller pas c o n ­tre le Roy de Matau.

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14 H I S T O I R E feu de gens s'en peurroient faifir. Et que fi néanmoins il avoit tant d'envie d'exécuter fon deffein, qu'il n'y allaft pas , & qu'il y envoyaft quelque autre en fa place. Enfin il ne voulut recevoir aucun confeil. 11 partit, & arriva à Matau deux heures avant le jour 5 mais parce que la mer s'eftoit reti­r ée , fes Barques ne purent approcher du Village que d'un trait d'arbalefte.

Magellan vouloir auffi-toft l 'entourer , mais le Roy luy confeilla d e ne le pas faire jufqu'à ce que le jour fût venu ; parce qu'il fçavoit bien qu'ils avoient fait quan­tité de foffes, & y avoient fiché des pieux fort pointus ; que fes gens y periroient, & qu'il ne falloit pas s'expo-fer dans un fi grand péril. Il le pria de le laifTer atta­quer premièrement avec fes mille Indiens, et que le fecourant avec fes Caftillans, ils emporteroient infail­liblement la victoire. Mais tout au contraire de cela Magellan ne voulut pas feulement y confentir , le pou-vant faire en s'excufant honeftement, & luy dit qu'il fe tint en repos, & qu'il confiderât feulement comment les Caftillans fçavoient combattre fans avoir befoin de luy. Le jour eftant arrivé, il ordonna que quelques-uns desfiens demeuraffent dans les Barques pour les garder. Il fortit donc avec cinquante-cinq hommes ; il alla au ViL lage , et n'y trouva perfonne ; mais fi-toft qu'il eut mis le feu aux maifons, il parut un efcadron, qui l 'attaqua d'un cofté, & cependant qu'il eftoit occupé à fe défen­dre contre celuy-là,il s'en découvrit un autre de l 'autre cofté, qui contraignit les Caftillans de fe divifer. Mais ils chargèrent fi furieufement les ennemis, qu'ils fe réu­nirent. Ils combatirent une grande partie de la jour-née,jufques à ce que la poudre vint à maquer auxArque-bufiers, & les flèches aux Arbaleftriers ; de forte que les Indiens voyant que l'on ne tiroit plus fur eux,s 'ap­prochèrent de plus p rés , jettant une grande quantité de lances. Comme Magellan vit que les Caftillans eftoient pourfuivis de trop prés , il jugea qu'il eftoit à propos de fe retirer ; & le Roy Chreftien qui regardoit toujours tout ce qui fe paffoit, ne fe remua point. Or

1521.

Magellan ne veut pas fuivre le confeil d i S r -xano.

I l refufe auffi le coufeil du Roy Chreftien..

Granit combat d ' Indiens con-

JesÇaftil âs.

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , L V . T. 15 les Barques , comme nous avons déjà d i t , eiloient éloignées de la rive d'un trait d'arbaleile, & les Cailil­lans s'y voulant retirer eftoient accablez de pierres, de flèches empoifonnées, & de lances que les Indiens leur jettoient. Ils firent tomber le calque de Magellan d'un coup de pierre ; ils le Méfièrent à une jambe, & le jet-terent par terre avec d'autres pierres ; & eftant contre terre ils le percèrent d'une de ces longues lances de cannes Indiennes. Ainfi mourut ce grand Capitaine par fa trop grande valeur, & pour avoir par trop de té­mérité voulu tenter la fortune, & l'avoir voulu comme affujetir à efcient après luy avoir tourné le dos. Cette, mort fut bien regretée de fes gens, fe voyant abandon­nez de toute efperance, par cette perte. Chriftofle Ra-belo Capitaine de la Capitainerie y mourut auffi, & fix autres foldats. Le Roy Chreftien voyant que Magel­lan eftoit mor t , & que les Caftillans dévoient périr , & luy auffi , refolut de les fecourir ; & il le fît fi à propos, qu'ils curent tout le temps de fe retirer dans leurs vaiff-feaux, où les lamentations commencèrent lors qu'ils fe virent fans Capitaine, à caufe de la grande affection qu'ils luy portoient, et qu'il les et Fectionnoit ;& ils avoient tant d'amour pour luy, qu'ils euffent fouffert tous les travaux imaginables pour l'accompagner. Ce defaftre arriva le 2.7. Avril de cette année Et ce fut cette fois-là que les Philippines furent- découvertes.

Cependant que ces choies arrivèrent à Magellan, le Navire de faint Antoine, navigeant depuis la Guinée en Caftille, arriva à faint Lucar à la fin du mois de Mars, avec le Capitaine Alvaro de la Mezquita, qu'ils tenoient prifonnier par l'ordre de ceux qui l'avoient pr is , & qui luy avoient fait confeffer à force de tourmens tout ce qui leur avoit femblé à propos pour leur décharge, & dirent tous d'un commun accord, que les cruautez que Magellan avoit exercées, ne procedoient que de ce qu'ils l'avoient requis en vertu des provifions Royales, qu'il gardât L'ordre qui luy avoit efté donné, pour obferver la route des Moluques en découvrant l'ifle de l 'Epice-

1 5 2 1 .

M o r t de Fernad de Magellan ;.

LeRoy Chreftien fecourt les Ca­ftillans avec les Ind iens ,

Découver te dès Iftes Phi l ippi­nes»

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1521

16 H I -S T O I R E

rie, parce qu'il ne tenoit pas cette voy; car il tenoit celle de la cofte du Brefil en de là par la terre ferme, en confumant les vivres fans aucun profit, & perdant le temps, eftant party il y avoit plufieurs mois de faint Lucar. Ils mirent le prifonnier entre les mains des Of­ficiers de la maifon de Contraction de Seville, lefquels receurent auffi les informations de cinquante-cinq per­fonnes qui eftoient venues dans le vaifleau. Ils le mi­rent en feureté,& prirent auffi Hierôme Guerre ,Eftien-ne Gomez, Chinchilla & Angulo, & quelques autres, & laidèrent aller le refte, parce que leur garde eut efté de trop grande dépenfe. Ils mirent auffi le Navire en feu-r e t é , & tout ce qui eftoit dedans, & donnèrent avis de tout aux Gouverneurs, & au Prefîdent du Confeil des Indes , au grand regret des Capitaines Iean de Cartage-ne, Louis de Mendoce, Gafpard de Quefada, & des au­tres, de ce qui eftoit arrivé. Ils ordonnèrent que l'on mît en bonne garde la femme & les enfans de Magel­lan, qui eftoient alors dans Seville, afin qu'elle ne pût pas paffer en Portugal, jufques à ce que l'on fceût au vray toutes les particularitez de ce qui s'eftoit paffé ; & qu'ils euffent envoyé à Burgos, où eftoit le Confeil les prifonniers Alvaro de la Mezquita , Hierôme Guer­r e , Eftienne Gomez , & les autres, & que l'on gardât exactement ce qui eftoit dans le vaiffeau , de crainte que quelqu'un n'y touchât ; que l'on ne payât aucun falaire jufques à ce que l'on eût rendu compte de tou­tes ces chofes ; & que l'on donnât ordre d'aller cher­cher Iean de Cartagene.

C H A P I T R E V.

Les Brigantins que Cortès avoit fait faire font achevez & tranfportez à Tezcuco.

D Ans ce mefme-temps Cortés ayant eu avis que les deux Villages qui eftoient proches du Lac, &

qui

te Navire de S. Antoine arrive à Séviille.

iL'qn o rdonne cjucles prifon­niers foient me­nez en Cour.

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D É S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 17

qui dependoient de la Seigneurie de Tezcuco , fe forti-fioient ; il y alla avec douze chevaux, deux cens hom­mes d'Infanterie, deux pièces d'artillerie, & quelques Tlafcaltefques ; & à une lieue & demie d'où pouvoient eftre les Villages,il fit rencontre de quelques efpions qui en eftoient fortis pour découvrir ce qui fe paffoit à la campagne. Il en prit quelques-uns 3 il arriva aux Vil­lages ; il prit les forts 3 il fit brèche, par où il entra, & brûla quantité de mailons. Les Habitans prirent la fuite ; mais il y en eut beaucoup de tuez. Le lendemain trois des principaux vinrent trouver Cor tés , luy demande rent pardon, & luy offrirent de le fervir ; lequel p o u r eftre vaffaux de Dom Fernand, les récent en grace ; outre que comme il eftoit clément de fon naturel , il ju-geoit qu'il eftoit à propos de l'eftre en cette guerre, Le lendemain il arriva des Indiens de ces mefmes Vil­lages qui eftoient bleffez, et fe plaignoient de ce que les Mexiquains eftoient entrez chez eux ; qu'ils s'y eftoient fortifiez., & qu'il les en avoient chaffez ; qu'ils apprehen-doient d'y retourner; & qu'ils prioient qu'on les fe-courût. Cortés les fit penfer, & leur dit que lorsqu'il feroit temps ils l'en advertiffent. Ceux de Chalco vin­rent auffi le plaindre, demandant dufecours. On leur promit de leur en donner , lors qu'on envoyeroit au de­vant des Brigantins, & que l'on ne le pouvoit pas faire pluftoft. Mais comme il arriva des Ambaffadeurs de Guaxocingo} de Chulula, & de Guchachula, pour fçavoir comment le tout alloit, & fi on avoit affaire de davan­tage de gens, parce que depuis que l 'armée eftoit par­tie on n'en avoit receu aucunes nouvelles ; il leur re­commanda d'avoir foin de ceux de chalco, à caufe qu'ils eftoient fujets de la couronne de Caftille,, auffi bien qu ' eux , & qu'ils ne fe reffouviniffent plus des anciennes querelles & inimitiez Ils tombèrent d'accord de cela, & deflors ils demeurèrent tous bons amis.

Ceux qui affiftoierit Martin Lopez en la fabrique des Brigantins , apprirent qu'il eftoit arrivé à la VeraCruz un Navire dans lequel il y avoit quarante foldats et huit

C

15 2 1 . Des Villages qui fe fortifient,puis demander par­don à Corsés.

Ceux de Chalco demandent du feeours à Certes.

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18 H I S T O I R E chevaux, avec quelques arbaleftes, des efcoupettes,& de la poudre ; & comme le chemin n'eftoit pas feur, & que Cortés avoit défendu que perfonne n'y allât fans fa permiffion, de crainte de courir rifque de la vie ; de n'ofant pas contrevenir à fes ordres, ils ne fçavoient par quelle voye luy donner avis de ce fecours qui eftoit ar­r ivé. Mais un fien ferviteur âgé de vingt - cinq ans fe chargeant de cette nouve l l e , & de l'avis que l'on avoit , que les Brigantins eftoient a c h e v e z , penfanc rendre un bon office à fon Maiftre, fortit de nuit . & faifant diligence en ce voyage, après avoir pris des vi­vres fuffifamment ce qui luy en falloit, il fe cachoit de jour , et ne cheminoit que de nuit ; quoyque quel­quefois il fe vît en péril, il ne laiffa pas que d'arriver heureufement à l'armée , au grand eftonnement de tous au grand contentement de Cortés de recevoir de fi bonnes nouvelles. Sans perdre de temps, il en­voya auffi-toft. Gonçalede Sandoval avec quinze che­vaux, & deux cens hommes d'Infanterie pour faire ap­porter les Brigantins ; avec ordre de ruiner en panant le village de Zulapeque, qui depuis fut appelle , le villa­ge des Maires, qui confine avec la Seigneurie de Tlaf cala, parce que ce fut de ce lieu que fortirent ceux qui tuèrent & prirent les trois cens Tlalcalteques, cinq chevaux, & vingt-cinq foldats Caftillans qui alloient de la Vera Cruz à Mexique, lors que Cortés y eftoit com­me affiegé, lefquels mirent dans les Oratoires de Tez CUCO , les peaux des chevaux , avec leurs quatre pieds & leurs fers, auffi adroitement que l'on l'auroit pu faire dans l 'Europe, & attachèrent les habits & les ar­mes des Caftillans dans leurs Temples par trophée , & leurs peaux comme colées contre les murailles. Tant y a que Sandoval partit avec un defir extrême de châtier cette cruauté 5 parce que tout cela fe trouva dans Tez -cuco, chaque jour ils fe le reprefentoient devant les yeux. Le cas écheut de cette forte ; Que les Indiens les ayant receus dans Zulapeque fous une apparence de paix, & bien traitez, pour leur ofter toute force de

15 2 1.

Gonçale de San­doval va pour apporte : les Bri-gantins.

Caftillans-facri-fiez d a n s Tezcu-Co.

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I . 1 9 foupçon y ils forcirent puis après fur eux comme ils a voient defcendu de cheval pour monter une montagne fort âpre 5 & furprirent auffi l 'Infanterie dans un lieu où les foldats ne fe pouvoient pas fervir de leurs ar­mes , & les menèrent dans T e z c u c o , où ils facrifièrent ceux qui eftoient reliez e n v i e , defquels l'on fit ce que nous venons de dire.

Sandoval arriva à de certains Palais, avant que d'en­trer dans Zulapeque , où il trouva écrit avec du char­bon ; Icy fut le mal-heureux Jean Iufte , ce qui émeut toute l'armée à compaffion. Ceux de Zulapeque ayant apris que les Caftillans les alloient vilîter fe fauve-rent auffi-tofl par la fuitte. Ils furent pourfuivis. L'on en tua ,& prit quanti té , qui furent tous faits efclaves pour punition de leur perfidie. Et aux autres qui vin­rent puis après demander pardon, Sandoval leur don­na la v ie , parce qu'ils confefferent leur faute, & pro­mirent que de-là en avant ils ne fe laifferoient plus tromper par le Démon. Cependant que les chofes fe paffoient de la forte,, Martin Lopez , que Cortés foli-citoit toujours de mettre les Brigantins en eftat de naviger , fit par le moyen de quantité d'Indiens un grand canal en la rivière de Zahualt, qui paffe par Tlafcala, & en trouva l'invention fort bonne,, ainfi qu'il fe dira cy-apres. Et Alonfe d 'O jeda , Iean Marquez, Iean Gonçalez & deux autres Caftillans, ne trouvant pas à propos de tarder davantage, les furent defarmer & charger. Il fortit donc cent quatre-vingt mille hom­mes, que la Seigneurie donna ,en bon ordre jufques au village appelle Guarilipa, de la Iurifdi&ion de Tlafcala, où il avoit efté arrefté que l'on les devoit trouver. Et comme ils tardoient trop, les Tlafcalteques difoient qu'ils citaient affez baftans pour les conduire , & que l'on n'attendît pas davantage : mais les Caftillans les entretenans de paroles, leur difoient qu'encore que cela fut véri table, il falloit garder l'ordre du General ; E t nonobstant tout cela au bout de huit jours qu'ils

/ eurent attendu, parce que Sandoval tardoit trop à v e -C ij

15 2 1.

Sandova! châtia ceux de Zu lape ­que pour leur peifidie.

Les Brigantins par tent de T l a £ cala.

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2 0 H I S T O I R E nir j ils partirent, ila première journée furie minuit les fentinelles entendirent cheminer des chevaux que San­doval avoit envoyé pour reconnoiffre la quantité de feux qu'il avoit apperceus ; & comme ils retournoient pour donner avis de ce que c'eftoit , ils rencontrèrent Sandoval, qui les fuivoit avec deux cavaliers, &; l'ar­mée eftoit demeurée à une lieue de-là. Le lendemain, ils fe visent tous , Enfeignes déployées, au grand con­tentement des uns & des autres , et commencèrent à marcher. Huit mille hommes cheminoient devant., deux à deux, qui portoient la charpenterie & les ais des Bri-gantins. Pour l'avant-garde de l'armée il y avoit huit chevaux, & cent hommes de pied, Caftillans, & au­tant pour l'arriere-garde. Aux deux aifles cheminoient Jyutecatl, et Teutepil principaux Seigneurs de Tlafcala,, qui avoient chacun dix mille Indiens, chechimocatl, au­tre Seigneur Tlafcalteque, cheminoitaufîi accompagné de dix mille , qui menoit l'arriére - garde. Les autres pour n'eftre pas neceffaires s'en retournèrent. Comme ils commencèrent à entrer dans les terres Mexiquaines, ils jugèrent à propos de prendre un autre ordre pour la marche ; et firent cheminer la charpenterie , & les ais derrière à caufe de l'embarras. Chichimecatl, Capi­taine des gens qui la conduifoient, prit cela pour un affront, dilant qu'enterre d'ennemis il vouloit aller le premier 5 que dans les batailles les plus fanglantes il avoit toujours marché devant ; & que fes devanciers l'avoient obfervé ainfi ; et que quand mefme il feroit queflion d'entrer dans Mexique, c'efloit luy qui devoit foûtenir le premier choc. Mais Gonçale de Sandoval luy ayant dit plusieurs raifons là-deffus, cela l'adoucit quoy qu'avec grande difficulté. Ils entrèrent le qua­trième jour dans Tezcuc, & pour les bien recevoir ceux de la ville s'eftoient vêtus plus proprement qu'à l'ordinaire. Ils mirent leurs pennaches avec leurs de vifes, qui paroiffoient beaucoup. Cortés fortit au de ­vant de l'armée en bon ordre ,& bien accompagné. Il embraffa les Seigneurs Tlafcalteques, &i leur fit beau-

1521.

L'ordre que tiët l 'armée pour la cô lu i t e des Bri-gaa t ins .

L'ordre que l'on obferve pour t ranfporter les Br igant ins .

Chichimecat l fe forma'îfe de ce qu 'ô ne luy bail­le pas la pointe.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I . 21coup de civilitez. Il confiderala marche de l'armée qui dura plus de frx heures. Il la logea & regala ; et tous ceux qui la compofoientluy témoignèrent qu'ils étoient dans l ' impatience, qu'ils ne funent aux prifes avec les Ennemis.

C H A P I T R E V I .

De la grande induflrie que l'on apporta pour expo fer dans le Lac de Mexique les Brigantins.

D Ans ce mefme-temps Cortés eut avis qu'il eftort arrivé à la Vera Cruz quatre Navires qui ve-

noient de faint Dominique, dans lefquels eftoient ve­nus deux cens Caftillans, quatre-vingt chevaux, des ar­mes & des munitions , fous la conduite de Iulien d'AI-de re te , qui fut le premier Treforier que le Roy eut dans la nouvelle Efpagne. Ils en partirent auffi-toft, & arrivèrent à Tezcuco en fort eon eftat. Cortés fut fort joyeux de voir ainfi augmenter fes forces. il fit di­ligence d'armer les Brigantins. Et comme ils eftoient a demy lieue du Lac, et dans un ruiffeau où il y avoit peu d 'eau, ils firent ( félon ce qu'en a écrit Martin Lo-pez ) par le travail de dix mille Indiens un grande foile, comme un eftang, & fi grande qu'elle pouvoit contenir tous les Brigantins ; puis de diftance en di-ftance ils rirent des foffez pour les faire parler les uns après les autres 5 avec des engins. Mais comme ils eftoient garrez il furvint une fi grande bourafque d'eau,

de vents, que fi l'on n'y eut donné ordre en diligen­ce , ils fe fuffent brifez les uns contre les autres. Et dans le dernier foffé qu'ils creuferent, il s'y rencon­tra une roche , qu'il fallut de neceffite caffer à force de pics & de maillets de fer , & y faire une gliffoire, afitt que les Brigantins venant à couler avec l'abon­dance d'eau les uns fur les autres, ne fiftent point de naufrage en entrant dans le Lac } par le trop grand

C iij

1 5 2 1 .

Iulien d'A'dere-t e a r r i v e à la V e - . ra Cruz arec du-fecouçs.

Invent ion p o u r faire couler les Brigantins dans le Lac.

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22 H I S T O I RE faut'qu'ils feroicnt. Le matin que cela fe devoit faire l'on mit toute l'armée le longkie la rive du Lac. L'on y dit la Meffe du faint Efprit en grande folemnité. Tous les Caftillans fe conférèrent & communièrent, dont le Capitaine fut le premier qui en montra l'exemple. Le Preftre bénît les V ai {féaux, dit planeurs Oraifons^& fit une dévote exhortation aux foldats fur le fervice qu'ils rendoien tàDieu ,e t fainte intention qu'ils dévoient avoir dans une action de fi grande importance, & com­me ils la dévoient exécuter. Le fignal eftant donné, l'on déboucha le canal, & les Brigantins fortirent fans fe tou­cher l'un l 'autre, & s'eftant feparez dans le Lac, l'on dé­ploya auffi toft les Enfeignesi la mufique commença à frâper les oreilles., et l'artillerie fit retentir l'air, & fur le Lac, & fur la terre dans les deux armées, tant Caftillane, qu'Indienne. L'on dit auffi-toft le TeDeum laudamm, de ce qu'une affaire de fi grande confequence 3& où il avoit falu employer beaucoup d'efprit & de diligence, avoit reiiffi fi heureufement. Et il eft tres-conftantque treize navires tels que ceux-là, portez furies épaules des hom­mes vingt lieues durant, fabriquez dans une terre où il n'y avoit point de préparatifs pour cela, ny aucune ap­parence des matériaux qui y pouvoient fervir, fut un ou­vrage du Ciel, pour avoir efté fait & mis en perfection avec tant de facilité.

Cet te affaire eftant achevée, qui eftoit ce que Cortés fouhaitoit le plus, il envoya à la Villa Rica Alonfe d 'O-jeda avec cinq mille Tlafcalteques, pour faire venir deux grandes pièces d'artillerie, de fer , qu'un Navire de lamayca y avoit laiffez. Il arriva donc à la Ville Ri ­ca, quoyqu ? i leut eudiverfes efcarmouches en chemin contre les ennemis. Il démonta les canons & les mit dans des goutieres de bois , & fît mettre les futs à part, chacun eftant porté par vingt Indiens, que l'on rechan-geoit de fois à autre. Il fit porter quelques barils defar-dines pour l'armée, qui n'avoit jamais affez de vivres. Il fitplufieurs rencontres dans le chemin ; parce que corn-me les ennemis le voyoit embarafle avec ces charges,

1551.

L'on fait couler les Brigantins dans le L a c

La façon dont d 'Ojeda fe fer vit pour faire tranf-por ter deux ca­n o n s .

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Lîv. ï. 23 cela leur donnoit fujet de rifquer, mais les Tlafcalte-ques combattoient vaillamment. En entrant dans les li­mites de Tlafcala, ils fortirent au devant d'eux dans les chemins avec des vivres, & ils en tiroient mefmes des maifons des champs. Il fut fort bien receu & logé dans Tlafcala. Il y repofa un jour & ces Seigneurs luy don­nèrent d'autres Indiens de charge, & d'autres gens de guerre 3 parce que ceux-là eftoient fort fatiguez, & luy fournirent de tout ce qu'il avoitbefoin de bonne volon­té ; &c luy dirent qu'ils n'avoient jamais voulu enten­dre à aucun party que les Mexiquains leur ofFroient, lefquels quoy que barbares faifoient toutes les diligen­ces poffibles, tant en fecret qu'en public de les aider ; mais qu'ils ne voudraient pas,pour quoy que ce fut man­quer à la promemé qu'ils avoient faite à Cortés. Ojeda alla coucher la première journée qu'il fortit de Tlafcala à Xaltoca, le fécond jour à Guaulipan 3 où il repofa deux jours. De-là il alla à Capulalpa, & le lendemain il entra à deux heures de nuit dans Tezcuco, & Cortés pour re-eompenfe de ce fervice, & des autres qu'il luy avoit rendus, outre qu'il entendoit & parloit bien la langue, il le fit General de cent quatre-vingt mille Indiens qui eftoient dans le Camp.

Cortés voyant que fes Indiens eftoient ennuyez de ce qu'ils n'avoient rien à déméler avec les Mexiquains, for­tit à la campagne avec trente chevaux, & trois cens hom­mes de pied, & Ojeda avec quarante mille Tiafcalte-ques,laifTantle refte de l'armée à Sandoval ; & de crainte que ceux de Tezjuco n'en donnaffent avis aux Mexi­quains, fans faire fçavoir où il alloit, il prit la route d'un cofté du Lac en tirant vers le Nort . A quatre lieuës de-là il rencontra un grand efcadron d'Ennemis. Il les inveftit avec les chevaux, & les mit en fuite. Les Tlafcalteques leur donnerent la chaffe, ils en tuerent quant i té , & eu­rent un grand but in , de couvertures, de boucliers, de pennaches, & de joyaux. Ils dormirent cette nuit au mi­lieu de la campagne. Le lendemain l'armée continua fa marche, & alla à Xaltoca, qui eft fitué dans un autre. Lac

1521.

Ojeda en t re das Tlafcala avec les deux canons .

Ojeda eft crée General des in-diens .

Cor tés va c o n ­tre les Mexi­quains pour c o -tenter les Tlaf-c a t e q u e s .

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24 H I S T O I R E different de celuy qui entre dans Mexique de Tezcuco ; & d'autant que ceux du vilage fe gauffoient des Caftil-Jans à caufe de la quantité de ruiffeaux qui les ren­dement forts, ils entrerent dans l 'eau jufques à la cein­ture 3 de quoy que ces gens combatiffent avec des pier­res, des Macanas, des f léches , de autres armes, de qu'ils Blefferent plufieurs Caftillans, ils furent enfin forcez. Le vilage fut pris , il en fut bruflé une grande partie, ayant enlevé tous les vivres qui s'y rencontrerent, l'ar­mée paffa plus avant , & fit un foupé allez maigre. Le lendemain ils partirent de grand matin, de rencontre­rent les ennemis, qui fans les ofer at taquer , fe conten-toient de crier apres e u x , de allerent à un autre village appelle Gautitlan, à quatre lieues de Mex ique , qu'ils trouverent abandonne. Ils y pafferent la nuit. Delà ils allerent à Tenayuca, à deux lieuës de Mexique jufques ou le Lac alors aboutiffoit, où ils ne trouverent aucu­ne refiftance. Delà ils pafferent à Efcapuzatco,qui efloit auffi fur le L a c , de qui n'eftoit qu'à une lieuë de la Vil­le. Il paffa à la ville de Tacuba, de la trouva forte de gens, de fortifiée par plufieurs canaux plus larges de plus profonds que ceux des autres villes. Mais quoy que les Habitans fe miffent en defenfe, la place fut prife & il y en eut quelques-uns de tuez. Cortés refolut de fe lo­ger dans la vil le, où il fut toufiours fur fes gardes.

C H A P I T R E V I I .

De quelques courfes que fit Cortés dans les terres de Mexique & de Tezcuco.

LE lendemain les Tlafcalteques pillerent Tacuba, de bruflerent quantité de maifons, de en fix jours que

Cortés y féjourna, à caufe que ce lieu luy fembloit fi proche de M e x i q u e , que fon affiette eftoit fort bon­n e , de quelle vouloit faire fçavoir qu'il eftoit là ; il fit des forties, où les Tlafcalteques fe fignaloient, tant en

general

1 5 2 1.

Iufques où s'e-tendol t le Lac de Mexique .

Cortés arrive à T a c u b a avec l ' a i m é e .

Les Tlafcalte­ques pillent Ta cuba.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I 25 general qu'en particulier, en vainquant la plufpart du temps. 11 s'y fit plufieurs défis d'homme à homme, de deux contre d e u x , & de quatre contre quatre ; & c'e-ftoit une chofe belle à voir & d'entendre ce qu'ils fe di­foient les uns aux autres , & la rage avec laquelle ils combattoient ; parce qu'eftant venus aux prifes, il ne faloit point parler d'autre chofe que de vaincre ou de mourir. Les Mexiquains difoient ; Infames valets des Chreftiens, qui n'euftes jamais la hardieffe de mettre le pied ou vous eftes maintenant, que fous leurs aufpices, nous vous mangerons, & eux auffi à la capilotade & en fopiquets, parce que nous vous ferions trop d'honneur de vous tenir pour des ef claves. Les Tlafcalteques leur repondoient ; Nous vous avons toujours fait fuir comme des poltrons, & fans foy ; & vous n'eftes jamais échapez de nos mains fans avoir efté vain­cus. Vous efles les femmes, & nous femmes les hommes ; puis que vous efles en fi grand nombre & que nous fommes fipeu, jamais vous n'avez pû entrer dans nos limites, comme nous avons fait dans les voftres. Les Chreftiens ne font pas des hommes, mais des Dieux, puis qu'un feul efl baftant de vaincre mille des voftres. D e forte donc que par ces inju­res ils s'échaufoient tellement que par une furie enra­gée ils fe déchiroient en pieces. E t les Mexiquains ufoient de toute forte d'adreffe & de fubtilité pour en prendre quelqu'un, afin de le facrifier, & pour affouvir leur rage. Ils fe mettoient en embufcade, puis ils fei-gnoient de prendre la fuite pour les faire avancer juf-ques dans la chaufféc, afin de les y attraper. Ils ufoient quelquesfois de ftratagemes, & difoient en fe gauffant, Venez Meffieurs les braves & les vaillans, venez, combattre* vous ferez^aujourd'huy Seigneurs de Mexique. D'autres di­foient; Venez vous réjoüir, vous trouverez la table mife, & les viandes toutes preftes. E t d'autres difoient encorie, il n'y a plus ny a plus de Montezume pour faire ce que vous voudriez, re-tournez vous-en à voftre terre. Cortés arriva à un pont qui eftoit levé, il fit impofer filence, puis demanda aux Me­xiquains fi le Seigneur eftoit là, & qu'il luy voulait parler. Ils firent réponfe, qu'ils eftoient tous Seigneurs, & qu'il

D

1 5 2 1 .

Des injures que les Mexiquains & les Tlafcalte­ques s ' entredi-foient.

Ce que les M e ­xiquains répon­dent à Cortés .

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26 H I S T O I R E decla f t hautement ce qu'il avoit envie de dire. Cortés fe t eu t , car il eftoit fafché de cette reponfe ; & ils luy re­partirent encore ; Penfe-tu, Cortés, que les chofes foient difpofées comme elles eftoient far le paffé ? certes fi tu te l'es imaginé ainfi, tu t'es bien trompé en ton calcul, car & de toy & des tiens nous devons faire un grand banquet, & une gran-de fefte à nos Dieux. Il y eut un Caftillan qui leur dit, qu'ils ne devoient pas tant faire les rodomons, eftant enfermez comme ils eftoient ; & ils firent reponfe, que quand ils au-roient faute de pain ils mangeroient les Caftillans & les Tlaf­calteques, puis qu'ils avoient la chaffe devant eux, ils jet-terent des gaffe aux de mayz , en difant, mangez mal-heureux, car vous avez faim, mais nous par la grâce des Dieux nous en avons de refte ; puis ils remuoient les bras & les mains, témoignant avoir un defir d'en venir aux prifes. Cortés voyant qu'il ne pouvoit parler à Quantimoc, qui eftoit ce qu'il avoit le plus fouhaité, s'en retourna à Tezcuco. Avant que de fortir de Tacuba, il arriva dans un Cano un Indien feul, grand, & le corps bien fait, bien ajufté, avec l'épée & le bouclier, & mettant pied à terre fur la chauffée, dit qu'il défioit les Caffillans un à un, parce que leurs Dieux eftoient alterez de leur fang & comme perfonne ne luy difoit mot , il dit 5 Sus donc, à quoy penfez-vous, coüards que vous elles ? Il y eut un foldat appelle Gonçale Hernandez qui ne pou­vant fouffrir cela prit fon bouclier & fon epée , & s'en alla à luy : mais le Mexiquain s'enfuit. Le foldat voyant cela fe jetta en l'eau pour l'attaindre, & luy donna des coups d'eftocade qui le firent tomber dans le Cano , de comme il luy vouloit couper la te l le , il arriva tant de Canos qu'ils enleverent le Caftillan, quoy que les au­tres Caftillans fiffent tout ce qu'ils pouvoient pour le fe-courir ; mais enfin comme Diego Caflellanos avoit tué un grand Seigneur d'un coup de pierre qu'il luy avoit jettée à la tefte, les Ennemis furent tellement occupez à le fecourir que Goncale Hernandez trouva moyen de s'échaper.

Comme Cortés vit que les Tlafcalteques eftoient

1521,

Cortés retourne à Tezcuco.

Defy d'un M e ­xiquain.

Cortés fait ofter l ' o raux Tlafcal-

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DES I N D E S OCCIDENTALES , Liv. I. 27 tout éclatans des dépouilles, ce qu'ils n'avoient pas ac­cou tumé de porter à caufe de leur pauvreté , il dît à Ojeda & à fon compagnon Iean Marquez. Vous eftes

fafchez, ce me femble, de cela ; mais prenez leur or , & laiffez leur les bardes. Or il ne dit pas cela à des fourds , parce qu'ils le tirent auffi-toft, & ils en trouvèrent plus de trois mille poids. Mais auffi le lendemain l'on trouva faute de dix mille Tlafcakeques , qui s'en eftoient allez par de -pic. Le lendemain il fe fit une autre recherche , & il s'en trouva encore autant de manque. Et le troisiéme jour il s'en manqua la troifiéme par t ie , que l'on préten­doit avoir emporté plus de cinquante mille poids, & la valeur de plus de deux cent mille ducats de hardes. D e forte qu'après que l'on eut vu qu'ils n'eftoient parcon-tens qu'on leur oftaft leur butin , on ne leur ofta plus ce qu'ils avoient eu de bonne guerre ; & les Seigneurs n 'en faifoient point de recherche , & ainfi ils fe remi­rent dans le devoir. Auffi toft après ceux de Chalco vinrent demander du fecours,parce que les Mexiquains confiderant le tort que la perte de cette place leur cau-foit, vu que la plupart de leur provifion de maiz , de bois, &; d'autres chofes venoit de- là , ils avoient envie de les ruiner ; & Cortés eftoit obligé de les fecourir pour empêcher qu'ils ne les afliegeaffent. Il y envoya Gon-çale de Sandoval avec trois cens hommes de pied , & vingt chevaux. Il paffa la nuit dans Tlamanalco , & com­me il fut arrivé à Chalco , il trouva des gens de guerre de Guaxocingo, & de Guacachuha, qui l 'attendoient, & allerent tous enfemble à Guaftepeque, où eftoient les gar-nifons Mexiquaines qui fortirent au devant d 'eux pour les combattre Ceux de Chalcolts attaquèrent des pre­miers , qui furent fecourus parles Caftillans, mirent les Mexiquains en déroute. Gonçale de Sandoval & André de Tapia fe fignalerent cette journée-là. Les Tlafcakeques s'occupèrent à piller la p lace , parce que l 'ony faifoit quantité de pièces de cotton ; & pendant le lac de la p lace , Gonçale de Sandoval apprehendoit que les Ennemis ne re tournaient ; ce qu'ils ne manque-

D ij

1521. teques dont ils font mal con-tens.

Ceux de Chalco demandent du fecours à Cor­tés.

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28 H I S T O I R E rent pas de fa i re , & entrerent combatant jufques au milieu de la place, mais ils furent bien-ton ; repouffez & pourfuivis plus d'une lieuë avec beaucoup de perte des leurs. Delà l'armée paffa à Capiftla lieu fitué fur une haute montagne ; mais la quantité de pierres que ceux de dedans jettoient,jointe à la difficulte de la fituation, les chevaux n'y pouvoient monter,ny les Tlafcalteques n'en ofoient approcher. On les fomma de fe rendre,ou de faire la paix ; & ils ne répondoient que des extrava­gances 6c des faletez. Gonçale de Sandoval & André de Tapia, tinrent cela pour un affront, & dirent que c'e-ftoit une honte à eux que l'on dift qu'il y euft une place forte pour des Caftillans, & prenant leurs boucliers en invoquant faint lacques, commencerent à monter , & apres eux quantité de foldats, les uns tombant , les au­tres fe foutenant avec leurs mains pour s'aider à mon-ter ; & quoy que les Indiens fiffent tous leurs efforts pour refifter, la place fut neanmoins prife de force. An­dré de Tapia, Hernand de Ofma, & plufieurs autres furent blefiez. Les Indiens alliez voyant que les Caftil-ians avançaient dans la place combatirent a u f f i , Il en fut tué quantité du cofte des Ennemis, & l'on en jetta tant, du haut en bas de la roche qui eftoit à cofté du lieu, qu'une petite rivière qui paffoit par le bas fut tellement teinte du fang qui ruiffeloit dedans,que quoy que la foif que les foldats fouffroient fuft grande,ils furent un long efpace de temps fans en pouvoir boire. Apres cette pri­f e , Sandoval ayant fatisfait aux. plaintes de ceux de Chalco, il s'en retourna à Tezcuco , mais à peine y fut-il entré, que les Chalcoteques revinrent fe plaindre que les Mexiquains les attaquoient tout de nouveau avec beaucoup de furie, afin de leur empécher de pouvoir eftre fecourus. Cortés commanda à Sandoval d'y retour­ner avec les mefmes gens qu'il y avoit déjà menez. Ceux de Chalco fortirent au devant des Ennemis pour les re­cevoir. Ils combatirent contre e u x , 6c la bataille fut fanglante de part & d'autre , & enfin les Chalcoteques vainquirent les Mexiquains. Ils en prirent quarante, &

1521. Bataille des Me-xiquains contre les Caftillans.

Vaillante refo-lution des Ca-ftillans à l'affaut de Capiftla.

Les Cha l to t e -ques combaten t contre les Me­xiquains,

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I.29 un Capitaine, & les vaincus fe fauverent dans les Ca-nos. Sandoval arriva là deffus, & trouva la campagne pleine de morts , & les Chalcoteques glorieux. Ils luy donnerent les prifonniers, & s'en retourna à Tezcuco. Mais Cortés bailla la liberté aux Mexiquains, & les re­gala. Il faifoit la mefme chofe envers tous ceux qu'il prenoit , parce qu'il avoit envie de donner une bonne fin à cette gue r r e , & de gagner le cœur des peuples.

C H A P I T R E V I I I ,

Cortès fort de Tezcuco en faveur de ceux de Chalco, & prend Quaunavac, forte place.

D eja le chemin de la Vera Crux eftoit plus feur qu'il n'avoit eftépar le paffé, & l'on recevoit des avis

plus fouvent du cofté de la mer ; il arriva donc un mei-fager qui avoit apporté quelques arbaleftes & des arque-bufes, qui donna avis qu'il eftoit arrivé des Navires à la Vera C r u z , avec du monde. Le Samedy Saint ceux de Chalco vinrent encore demander du fecours, à caufe que plufieurs peuplades fe revoltoient contre eux. Cortés dit qu'il y vouloit aller en perfonne, & comme il fut preft de partir, il arriva des Ambaffadeurs des Provinces de Tucapan,de Maxcalcingo, & d 'Aut lan , avec de grands prefens, qui requeroient fa faveur, & s'offrirent d'effre vaffaux du grand Seigneur des Chreftiens. Cortés les reçeut fort honneflement, & les depécha incontinent, & leur dit qu'il alloit fecourir les chalcoteques, tout ainfi qu'il les fecourroit eux lors qu'ils en auroient befoin. Il fortit donc le cinquiéme jour d'Avril avec trois cents hommes de pied, trente de cheval,& vingt mille tans Tlafcalteques, que Tezuquois, & laiffa le refte de l'ar­mée à Sandoval ; avant qu'il fut arrivé à chalco quaran­te mille Indiens alliez s'eftoient encore joints avec que luy. Il s'y arrefta peu, parce qu'il avoit deffein de fai­re un tour vers le Lac ; & comme il eftoit en chemin on

D iij

1521

Cortés fait b o n ­ne guerre aux Mexiqua ins .

Cortés va fecou­rir les Chalco te ­ques .

Et reçoit en chemin quaran­te mille lndiens.

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30 H I S T O I R E luy donna avîs qu'ils l'atcendoient dans la campagne. Il paffa la nuit dans une peuplade de la Seigneurie de Chalco} coordonna que l'armée fuit prefte à la pointe du jour. Il partit apres avoir oüy Melfe, & alla paffer à deux heures de relevée entre de certaines montagnes fort afpres , où il rencontra dans l'antre d'une roche quantité de femmes & d'enfans, & à la defcente , des gens de guerre qui firent des huées. Cortés s'imagina auffi-toft que de paffer outre fans attaquer ces gens, ce feroit donner occafion de l'açcufer de coüardife, & que de les vouloir inveftir dans cette fortereffe ce feroit une temerité ; mais nonobstant tout cela, jugeant qu'il n 'e -ftoit pas à propos de laiffer ces Ennemis derriere eux ; ny de les pouvoir prendre par la faim, parce qu'il euft falu trop de temps pour cela 5 il refolut de les attaquer par trois endroits. Il bailla le premier 6c le plus afpre à Chriftofle de Corra l , Enfeigne, homme courageux 6c vaillant. Le fecond aux Capitaines François Verdugo, Se à Iean Rodriguez de Ville-Fuerte, & le troifiéme, aux Capitaines Petro de Irzio, & à André de Monjar-vaz , avec ordre que fi-toft qu'ils entendroient le fignal, ils attaquaffent tout d'un temps. Ce commandement fut executé vaillamment. Ils prirent les deux coftez de la roche , Se ne purent paffer outre à caufe de l'afpreté du lieu Se pour la quantité de pierres 6c d'autres chofes qu'ils jettoient d'enhaut qui les incommodoient fort ; & il y eut vingt Caftillans de bleffez 6c deux de tuez ; ou­tre qu'il y montoit force fecours de gens qui y montoient de la campagne, dont elle eftoit pleine ; fi bien que l'on trouva à propos de fe retirer, & que la Cavalerie atta­quaft ceux de la campagne 5 ce qui fut fait, Se on les re­lança de telle forte qu'ils furent contraints de l'aban-donner. Ceux de la roche fe voyant privez de fecours, defcendirent pour demander pardon, Se fe rendirent, 6c s'offrirent d'aider à faire la mefme chofe contre ceux qui deffendoient un autre paffage femblable. Apres la reddition de deux places fi importantes, qui acquit beaucoup de reputation à Cortés, & qu'il euft perduë

1521

Sortes fonge à conferver la re­putation.

Cortés at taque une roche.

Çortés arrive à Guaftapeque.

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DES INDES OCCIDENTALES, LÎV. I. 31 s'il ne l'euft pas fait, il alla à Guaftapeque, & fe logea dans l'une des maifons du Seigneur, qui eftoit un jardin qui contenoit deux lieuës de circuit, au milieu duquel paffoit une riviere, dont les rives eftoient toutes bor­dées de quantité d'arbres, & il y avoit d'efpace en efpa-ce des chambres avec des jardins pleins de fleurs & de fruits. Il y avoit de differentes chaffes, des terres la­bourables & des fontaines. Il y avoit dans plufieurs ro­chers 6c grottes des cabinets pour prendre la refection, 6c des oratoires avec des veuës ; & les degrez eftoient entaillez dans le roc. L'armée demeura un jour dans ce jardin. Il paffa le fecond jour à Tanrepeque, où les gens de guerre qui y eftoient ne l 'attendirent pas,quoy qu'il y en euft quantité. Il les pourfuivit jufques à Xicitepe-que, où il en fut tué quant i té , & l'ony prit quantité de femmes ; & comme le Seigneur ne fe prefenta pas, l'on mit le feu au village. Comme Cortés en fortoit il arri­va des Meffagers d'un autre village appelle Tantepeque, qui fe declarerent vaffaux du Roy de Caftille.

Cortés arriva ce mefme jour à la veuë d'une peupla­de tres forte appellée quaunavac , où on n'entroit que par deux endroits, à caufe de quantité de murailles & de barricades & fondrieres,& les Caflillans ne fçavoient pas où eftoient les entrées ; mais après avoir reconnu la place ils les trouverent. Ils s'en approcherent , s'imagi-nant qu'il n'y avoit qu'à entrer dedans , & cependant ceux qui y eftoient faifoient beaucoup de maux, & fi l'on n'avançoit rien ; & comme on y penfoit le moins, un Tlafcalteque vaillant, paffa par un lieu fort peril­leux ; & ceux de la place croyant que les Caftillans en­troient par là,épouvantez de ce la , fe mirent à fuir ; & fix Caftillans ayant fuivy le Tlafcalteque eftant entrez dans ce lieu attaquerent à dos ceux qui deffendoient d'un autre cofté une muraille que Cortés attaquoit , 6c où il n'y avoit qu'une fondriere au milieu qui fervoit de foffé. Ceux de dedans troublez de voir ce qu'ils ne fe fuffent jamais imaginé, abandonnerent ce poile, qui furent pourfuivis par d'autres Caftillans & des Tlafcal-

1521.

Iardin delicieux du Seigneur de Guaftapeque,

Ceux de Yan tc -peque obeïffent aux Caft i l lans,

Quaunavac l ieu tres-fort .

Hardieffe d 'un Tlafcalteque.

Prife de Quauna­vac,

Page 56: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

32 H I S T O I R E teques qui eftoient déja entrez dans la place.

Ainfi fut prife cette forte place, & ceux qui la gar-doient fe fauverent dans les montagnes : mais le lende-main le Seigneur y arriva qui demanda pardon, 6c rendit obeïffance. Apres que Cortés leur eut pardonne,il con­tinua fa marche vers Mexique au travers de quantité de pins & d'une terre abandonnée, fans guide. Il paffa un détroit de montagne qui dura trois lieues, où l'armée eut grande difette d'eau & de telle forte, que quelques Indiens moururent de foif. Le lendemain ils arriverent à la veuë de Suchimilco, belle ville, fituée dans le Lac doux , à quatre lieues de Mexique,& bien fortifiée de tranchées 6c de foffez. Cette ville refufant l'offre qu'on luy faifoit de vouloir entendre à la paix, les Caftillans attaquerent la première t ranchée, & la prirent en de-my heure de temps, & pourfuivant la victoire, ils pal-ferent un grand ruiffeau, & nonobftant qu'ils fuffent moüillez ils ne laifferent pas de gagner la moitié de la ville. Il y eut une grande confufion de voix, les uns di-fant, T u ë , Tuë ; les autres demandant la paix. Mais les Caftillans reconnoiffant que c'eftoit une aftuce donc ceux de dedans fe vouloient fervir, pour fauver leur bien, pour mettre les gens inutiles à couvert , & pour faire entrer du fecours,on continua l'affaut. Il y mourut deux Caftillans, qui pour une avidité de piller, eftoient fortir de leurs rangs. Les Indiens attaquerent les Ca­ftillans à dos au mefme lieu par où ils eftoient entrez : mais Cortés fe retourna vers eux avec quelques Cava­liers, & les mit hors de combat , quoy que quelques Mexiquains les foutinrent vaillamment avec l'épée & le bouclier. Cependant comme le cheval de Cortés eftoit fort harraffe, il fe coucha par t e r r e , & le maiftre fut obligé de combattre à p i e d , entouré de quantité d'ennemis qui avoient repris une nouvelle vigueur par le moyen du fecours qui leur eftoit arrivé. Dans ce mef­me moment il fe prefenta un Tlafcalteque qui vint pour le fecourir avec l'épée & le bouclier,quiluy dit. N'ayez point de crainte, ie fuis Tlafcalteque. Ainfi ils comba

tirent

1521.

Quelques I n ­diens meurent 4e foif.

Suchimilco af-liegé.

Valeur des Me­xiquains.

Cottes en péril, un Tiafcaheque le fecour.

Page 57: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 33 tirent un efpace de temps pour fe debaraffer des Enne­mis. Il l'aida à relever ion cheval , qui s'eftoit un peu délalfé ; ; confidera cet Indieh , qui luy parut vaillant & de bonne mine. Aufïi-toft après il arriva quantité de Caftillans & d'Indiens, qui acheverent d'écarter les En­nemis. L'armée eftant ramaiTée, Cortés repofa cette nuit-là dans la ville, en faifant faire une e x a d e garde. Le lendemain Cortés fit chercher l'Indien qui l'avoit fe-couru , mais il ne parut jamais ny mort ny vif, & Cor­tés par une devotion qu'il avoit à S. Pier re , jugea que c'eftoit luy qui l'avoit aidé.

C H A P I T R E I X .

De ce qui arriva à ceux qui cherchaient l'Epicerie, ils aban­donnent lean Serrano, & arrivent à Burney.

A Près la mort de Magellan, dés le lendemain fes gens efleurent Duar te Barbofa Ion neveu pour

leur G e n e r a l , & pour Capitaine du Navire de la Vi­ctoire Louis Alfonfe Portugais. Eftant tous rentrez dans les Vaiffeaux, blelTez & affligez, le Roy Chre-ftien leur envoya dire qu'ils defcendilTent tous à ter­re , & qu'il les vouloit conv ie r , & les charger du prefent qu'il avoit offert à Magellan pour envoyer au Roy de Caftille. Duar te Barbofa fit appeller les Ca­pitaines, y leur dit qu'il avoit promis de fe trouver au feftin que le Roy Chreftien leur vouloit faire, & qu'il defiroit que l'on allaft querir le prefent qu'il vouloit donner au Roy pour marque de valTalage. Le Capitaine lean Serrano luy dit que c'eftoit une temerité de fortir des Vaiffeaux , & que le Roy Chreftien pouvoit bien envoyer le prefent : Parce que de les abandonner après avoir efté mis en déroute,& les laifler en fi mauvais équi, page , il y avoit à craindre quelque defaftre ; & qu'ainfl il euft elle plus à propos d'y demeurer, afin de mieux découvrir s'il n'y avoit point quelque tromperie.Duarte

E

1521.

Pienfe réflexion de Cortés.

Les Caftillans eflifent pour General Duar te Barbofa neveu de Magel lan.

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1 5 2 1 . T é m é r i t é de Duarre Barbofa.

34 HISTOIRE Barbofa dit que pour luy il avoit refou d'y a l l e r , & que ceux qui le voudraient fuivre, le fuiviflent ; & que fi lean Serrano apprehendoit quelque chofe, qu'il de­meurai!: à la bonne-heure. Serrano piqué de cette pa­ro l e , fauta auffi-toft tout le premier dans la barque. Tous ceux qui eftoient les plus fains eftant à te r re , le Roy Chreftien les receut avec peu de gens ; mais il avoit. quantité de gens armez qui eftoient cachez à la fufci-tation des autres quatre Rois qui l'avoient menacé, que s'il ne tuoit les Caftillans & qu'il ne prift leurs Vaif-féaux, ils ruineroient fa terre & le tuëroient luy-mefme. Ce Roy mena les conviez fous de certains palmiers, où les tables eftoient preparées. Ils s'affirent pour difner ; mais lors qu'ils penfoient le moins qu'à ce qui leur arri­va , un gros de gens vint fondre fur eux qui les tua tous, excepté le Capitaine lean Serrano, à caufe qu'il eftoit fort aimé des Indiens. Incontinent apres ceux qui ef­toient dans les N a v i r e s , virent traifner des hommes morts que l'on jettoit dans la mer. Comme ils prirent cela pour un mauvais prefage, quoy que bleffez & fort triftes, ils fe mirent tous en armes, en s'animant les uns les autres, de mourir en gens de cœur. Mais auffi-toft. apres ils virent ce mefme gros d'Indiens qui menoient le Capitaine Serrano, les mains liées, & tout n u d , le­quel recita comme ces gens avoient tué tous leurs com­pagnons , & que pour luy, ils le rendra ient , pourveu qu'on leur baillaft deux pieces de canon, & qu'ainfi il les prioit que pour l'amour de Dieu ils le dehvraffent, parce qu'autrement ils le tueroient. Mais ceux des vaif-feaux ne jugeant pas à propos de fe mettre plus avant dans le peril, leverent les ancres,& fe mirent à la voile, & virent remener Serrano au village. A peine fut-il en­tré dans le village qu'ils entendirent de grands cris, & ils s'imaginerent auffi-toft qu'ils tuoient Serrano, & vi­rent quantité de gens qui abatirent la Croix qui eftoit devant l 'Eglife, & tant que leur veuë fe put eftendre en navigeant,ils remarquerent que ces gens ne pou-voient arracher la Croix de fon lieu. Voila donc ce qui

Les Caftillans font conviez à un fef t in , où ils fon t tous tuez.

M o r t de l ean Ser rano .

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 35 fe paffa dans L'lfle de Zebu , l 'une des Philippines qui fe découvrirent après qu'on leur eut donné ce nom.

Les Navires citant arrivez à une autre Ifle, à dix lieues de Zebu , voyant que ceux qui avoient pery avec Magellan , & ceux qui avoient efté tuez au feftin du R o y Chreftien faifoient le nombre de trente-cinq, & qu'ils n'avoient pas allez de gens pour gouverner trois Navi res , ils s 'accordèrent de brufler celuy de la Con­ception qui eftoit-le plus v ieux , & efleurent pour G e ­neral Iean Carvallo , qui eftoit le Pilote Major , & pour Capitaine du Navire appelle Victoi re , Gonçale Comez d'Efpinofa , & promirent tous d'accomplir les Ordres du Roy. Ils prirent la route de l'Ifle de Burney, & navigeant entre ces Ifles ils abordèrent à l 'une ap-pellée Quepindo fort grande , & peuplée de Gentils, excepté que dans les ports il y avoit des Marchands Maures de Malaga & de lava. Ils y furgirent par les bancs qui font à demy lieuë dans la mer. Le Roy de cet­te Ifle vint vifiter les Navires dans la barque ; de quoy qu'il avoit promis de leur donner des v iv res , voyant qu'il ne leur donnoit point de r i z , qui eftoit leur prin­cipal alimentais pafferent à l'Ifle de Pulvan , où ils trou­vèrent force r i z , des porcs , des volailles , des chèvres, & quantité d'autres danrées , qu'ils donnoient pour des pièces de toile, pour des couteaux, des cifeaux, des pa­tenôtres de v e r r e , & autres, femblables chofes. Les N a ­vires eftant bien chargez de toutes ces chofes, ils d e ­mandèrent la route de l'Ifle de Burney, car quoy qu'ils la fçeuffent bien ils ne le vouloient pas d i r e , à caufe dequoy ils prirent un Maure & fe mirent à la voile ; le­quel après plufieurs promeffes qu'ils luy rirent, dit ; que jufques à la première partie de l'Ifle il y avoit dix lieuës, & trente jufques à la vi l le , dont les Caftillans furent fort fatisfaits, parce qu'ils fçavoient bien que delà ils auroient de certaines nouvelles des Moluques. Il y avoit bien dans chaque Navire cinquante hommes, fains & difpofts ; ils coftoyerent le long de l'Ifle , & arrivèrent en peu de temps à la barre de Burney ; ils avancèrent

E iij

1521

Les Caftillans a r r iven t à l'Ifle de Q u e p i n d o ,

Puis à celle de Pulvan.

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1521. Ils arrivent à la ville de Burney

36 H I S T O I R E avec les barques dans la barre jufques à une lieue, mais n'ayant pas trouvé allez de fond ils retournerent en ar­r ière , d'où il y avoit trois lieues jufques à la Ville.

Le lendemain il arriva aux Vaiffeaux trois Navires du R o y , qu'ils appellent Canamizes, qui eftoient com­me des fufteS dont les prouës eftoient faites en façon de teftes de ferpens dorées,pour apprendre quelles gens eftoient dans ces Vaiffeaux, & ce qu'ils demandoient. Il y avoit dans l'un de ces Navires un vieillard, qui eftoit le Secrétaire du Roy. Ils faifoient grand bruit de trom­pet tes , de tambours, & d'autres femblables inftrumens de mufique. Les Vaiffeaux des Caftillans faluërent les autres avec l'Artillerie ; & les fuftes tournèrent autour des Vaiffeaux, avec leur Mufique, & abordèrent à la Capitainerie. Le Secrétaire entra dedans avec quelques Maures , qui embrafferent le General avec autant de contentement ce autant de familiarité comme s'ils fe fuf-ient connus de longue main. Comme le Secrétaire luy eut demandé ce qu'ils cherchoient ; il luy lit reponfe qu'ils eftoient vaffaux du Roy de Caftille, & qu'ils por-toient de la marchandife pour troquer contre celles qu'ils avoient. Il luy demanda quelles marchandifes ils avoient ; il luy repartit que c'eftoit de l'efcarlate d'au-tres draps,& de la foye de diverfes couleurs, & d'autres chofes encore , dont le Secrétaire fut ravy. Il comman­da de mettre dequoy manger dans les Vaiffeaux des Ca­ftillans ; & l'y on mit diverfes fortes de viandes, & de quantité de vins differens. Ils furent dans les Navires jufques à la nuit prefque, car ils s'y plaifoient for t , & lors qu'ils en voulurent fortir, le Capitaine donna au Secrétaire un manteau de Velours cramoify ,une chai­re à docier , garnie de Velours bleu, & d'autres pour le Roy, & aux autres il leur fit quelques prefens qu'ils départirent entre eux. Le Roy fe réjouit fort de ce que le Secrétaire luy avoit raconté ; & commanda que l'on priaft le Capitaine de luy envoyer deux de fes hom­mes , parce qu'il avoit envie de les voir. Le Capitaine en fut fort joyeux, & y envoya entr 'autres, Gonçale

Le Roy de Bur-ney envoyé fça-voit quels eftoient les Ca­ftillans,

Les Caftillans envoyent un prêtent au Roy de Burney.

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , LIV. T. 37 Gomez d'Efpinofa, Capitaine de la Victoire. Il fortit de la Ville au devant d'eux par le commandement du E.oy plus de deux milles hommes armez d'arcs 6c de flé­ches empoifonnées, des cerbatanes , des boucliers, des coutelas auff i longs que les efpées des Caftillans ; avec des cuiraffes de conques de tortues. Leurs veftemens eftoient de draps de foye. Ils menoient un Eléphant armé , chargé d'un chafteau de bois, dans lequel y avoit cinq ou fix hommes armez. Comme les Caftillans s'en approchèrent l'Eléphant s'abaiffa , & ceux qui eftoient dans le Chafteau en fortirent pour y faire entrer Efpino-fa. Il alla voir le R o y , auquel le Secrétaire parla par une cerbatane , paffée par un trou ; ainfi Gonçale d'Ef­pinofa parla à luy , & luy rendit compte de tout ce qu'il avoit envie de fcavoir. Le lendemain il pria qu'on le laillaft retourner aux Vaffeaux. Le Roy luy fit donner deux pièces, de Damas de la Chine , 6c une à chaque Caftillan qui eftoit avec luy. Gonçale d'Efpinofa racon­ta au General tout ce qu'il avoit vu , & luy confeilla qu'attendu que cette ville eftoit grande , ils s'en efloi-gnaffent, jufques à ce qu'ils euffent une plus particuliè­re connoillance des peuples ; ce qu'ils firent.

C H A P I T R E X

Les Caftillans eslifent pour leur Capitaine Major Gonçale Go-mez^cCEfpinofa. Ils arrivent aux Isles des Moluques

I Es Caftillans ayant grande neceffité de Gouldron, Lou de poix , & jugeant à propos que cinq hommes allaifent à la Ville pour acheter ou troquer quelque marchandife contre de la cire pour faire du bitume afin de poiffer les Vaiffeaux, parce qu'il n'y avoit point d'au­t re poix ; & après avoir demeuré trois jours dans la Vil­le , & que l'on ne les vouloit pas laiffer re tourner ,ceux des Vaiffeaux prirent cela pour un mauvais augure. Le lendemain au matin ils virent trois luncos, qui font les

E iij

1521.

Q u e l q u e s Ca-ftilans vont v i -f i ter ce Roy.

Ceux de Burney r e t i ennen t les. Caft i l lans,

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1521.

38 HISTOIRE plus grands Navires dont ils ufent en cette Ifle , arre-ifez a demy lieuë de la Ville , & creurent que c'eftoient quelques marchandifes qui eftoient dedans, & qu'ils vou-loient entrer dans la Ville ; mais ils furent bien étonnez lors qu'en fort peu de temps ils découvrirent plus de cent cinquante voiles, qu'ils appellent Canamizes , com­me nous l'avons déjà dit au chapitre précèdent. Les Ca­ftillans voyant cela , levèrent les ancres , & fe mirent à la voile, & les luncos firent la mefme chofe en fuyant ; mais comme ils virent que les Navires les pourfuivoient, ils fe mirent dans leurs chaloupes & abandonnèrent les Iuncos. Les Caftillans les voyant fuir fe faillirent des deux luncos ; & les Vaiffeaux qui eftoient fortis de la Ville fe retirèrent. Au bout de deux jours les Caftillans voy­ant que leurs compagnons ne revenoient point , ils pri­rent l'un de ces luncos, quoy qu'il fe mift en defenfe, dans lequel eftoit l'un des fils du Roy de Luzon, cent hommes, cinq femmes , & une jeune fille qui n'avoit que deux mois. Le lendemain le Capitaine Major s'a-vifade renvoyer ce Seigneur avec fes gens,s'imaginant qu'ayant ufé de cette l ibéra l i té , ils feroient la mefme chofe envers les Caftillans qu'ils retenoient dans la vil­le. Et en effet le fils du Roy de Luzon jura félon fa Loy qu'il les renvoyeroit auffi-toft, &laiffa pour oftage huit Maures des pricipaux de fa fuite , & deux femmes ; & le Capitaine Major manda par cette mefme voye au Roy de Burney , que s'il ne luy renvoyoit fes hommes, qu'il mettroit à fond tout autant de luncos qu'il rencon-treroit. Apres que les Maures furent partis, les Caftil­lans trouvèrent dans l'autre lunco, quantité d'armes, de vivres , de draps de foye & de cotton. Au bout de deux jours, ceux de la ville renvoyèrent deux hommes feu­lement, & retinrent les. trois autres. Les Caftillans voy­ant cela, après avoir pris quelques luncos, fans profit, re-folurent de continuer leur rou te , & de n'attandre pas davantage. Burney eft une grande Ifle 6c riche , fort abondante en riz & en fucre ; il y a quantité de chèvres, de porcs 6c de chamaux. Il n'y a point de bled, d'afnes,

Les Caftillans p r ennen t l 'un des fils du Roy de Luzon pour racheter les p r i -fonniers.

Les Caftillans con t i nuen t leur rou te .

Part icular i tez de l'Ifle de Bur­ney .

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. T. 39 ny de brebis. Il y croit du G i n g e m b r e , du Camphre , des Mirabolans, de d'autres drogues. Il y a de certains a rb res , dont les feuilles tombant à terre rampent com­me des vers, Tous les peuples portent des efcoffions de cotton. C e font Maures de Gentils, ils fe baignent fort fouvent. Ils fe fervent de quelques lettres, de eferivent fur des efcorces d'arbres. Ils font beaucoup d'eftime du verre, du l in , de la l a ine , du cuivre , du fer pour les cloftures, de ferremens, de pour les armes ; de du vif argent pour les onctions de les médecines. Ils expofent leur Roy tout le premier à la bataille 5 de il ne fort point fi ce n'eft pour aller à la chaffe & à la guerre. Perfon­ne ne parle à luy que fa femme & fes enfans, de tout le refte par cerba tanes , comme nous l'avons déjà dit. Les Gentils croyent qu'il n'y a qu'à naiftre de à mourir. La ville ou le R o y fait fa refidence eft tres-grande ; les maifons font de bois , avec de grands portails. Mais cel­les du R o y , de des Seigneurs , de les Temples font de pierre.

Apres que les Caftillans furent fortis de la barre de Burney ils alloient cherchant quelque lieu propre pour radouber leurs Navires,& coftoyant l'Iffle dans un beau-temps , la Capitainerie demeura à fec , de pendant une nuit & un jour elle eut tant de fecouffes par les vagues qui l'agitoient, qu'il fembloit à tous momens qu'elle s'al-loit brifer. Il vint cet te nuit-là une fi furieufe tempe-fte qu'il fembloit que tout alloit abyfmer ; mais il leur fembla avoir veu le glorieux corps de Saint E l m e , ce qui les confoia tous , de comme le jour vint à paroiftre avec la marée qui montoi t , la Capitaineffe fortit d'où elle eftoit ; & commencèrent à naviger le jour de noftre Dame de la my-Aouft.Ils rencontreret un Iunco, de ceux qui eftoient dedans l 'abandonnant ils le prirent. Ils trou­vèrent dedans plus de t rente mille Cocos, qui furent di-vifez pour les deux navires. Ils rencontrèrent dans la mefme colle un fein de mer , où ils demeurèrent t ren­te fept jours, pendant lequel temps ils radoubèrent leurs Vaiffeaux. Eftant prefts de part i r , ils refolurent

1521,

Le corps de faint Elme p a -roift au mil ieu d 'une tempef te .

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1521. Ils oftent la charge de Capi­ta ine à lean Çarva l lo , & la donnent au Ca­pitaine Gonçale

40 HISTOIRE tous d'un commun confentement de remettre lean Car-vallo dans ion Office de Pilote Major , & luy ofter la charge de Capitaine Major, parce qu'il n'obfervoit pas bien les règles qui avoient efté prefcrites par le Roy, & mirent en fa place Gonçale Gomez d'Efpinofa du con­fentement de tous, & nommèrent pour Capitaine du Navire de la Victoire Iean Sebaftien delCano,qui eftoit forty de la Caftille avec la charge de Maiftre du Na­vire de la Conception, & continuèrent ainfi à chercher les Moluques. Le lendemain ils prirent Iunco, à une Ifle qu'ils appellerent de la Trinité, quoy qu'il fe mift en eftat de fe vouloir deffendre , dans lequel ils trouvèrent un Gouverneur du Roy de Borney , avec un fien fils & un f rère , accompagnez de cent hommes. Ils avoient une grande quantité de conferves, des vins de divirfes fa­çons , des draps de cotton , & quelques-uns de foye. Et parce qu'il eftoit Gouverneur de Pulvan, où autant que d'arriver à Borney, on avoit fait une fi bonne réception aux Navires, & qu'ils avoient donné des vivres en troc, ils refolurent de luy donner la l iberté, moyennant qu'il baillaft, des vivres pour les Navires. Lors qu'on luy an­nonça cette nouvelle, il leva les yeux 6c les mains vers le Ciel de ravinement. Ils approchèrent de la terre , & quantité de gens leur apportèrent d'une Ville qui eftoit tout proche de la plage quantité de riz, des chevres,des porcs, des volailles, des cannes de fucre & des Cocos.

Deux jours après qu'ils furent partis de l'Ifle de la Trinité, ils arrivèrent à celle de Guepid, où ils rencon­trèrent un Iunco, dont les gens qui eftoient dedans ar­mez de coutelas & de boucliers, appelloient les CaftiL lans ; mais à caufe des grands calmes les Navires n'en pouvant pas approcher, y envoyèrent leurs chaloupes, avec trente hommes bien armez. Ils attaquèrent le Iun­co, ils entrèrent dedans, tuèrent vingt Maures , & e n prirent trente , fans qu'il y demeurait un feul Caftellan, excepté qu'il y en eut quelques-uns de bleffez. Ils de­mandèrent quel eftoit le pilote ; lequel dit qu'il ne fça-voit pas où eftoient les Moluques, mais les Maures di­

rent

l e s Caftillans combat tent contre un Iunco de Maures .

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DES INDES o c c i D E N t a l e s L iv . I . 41 ren t qu'il les fçavoit fort bien. 11 fit prendre aux Navi­res la route de deux Ifles, où il affura que l'on y trou-veroit du clou , & qu'ils en pourroient charger ; mais il n e difoit pas vray ; car ce qu'il en difoit eftoit parce qu'il eftoit originaire de ces Ifles, & il pretendoit s 'echaper par ce moyen. En y abordant il fortit un Seigneur dans un Parao , ou barque , qui leur demanda où ils alloient ; & ayant appris qu'ils alloient aux Moluques, dit qu'il y avoit là un pilote qui les guideroit , mais qu'il vouloit eftre bien payé. O n luy donna tout ce qu'il demanda, parce qu'il dit qu'il le vouloit laiffer à fa femme. Com­me il fut entré dans le N a v i r e , il fe trouva qu'il eftoit f rère de l 'autre pilote qu'ils avoient; & ayant parlé quel­que peu avec que luy, il fe jetta dans un Parao pour s'en­fuir. Mais quelques Caftillans fe je t terent après luy, & l 'enlevèrent par les cheveux dans le Navire ; à caufe dequoy tous les autres Paraos qui eftoient là s'en retour­nèrent auffi-toft après il en fortit quantité d'autres pour aborder les Navires 5 mais les Navires eftoient d é ­jà à la voile , outre que l'on leur tira quelques coups de canon qui leur rirent reprendre le chemin d 'où ils ef­toient venus. Les Caftillans eftant fortis de cette Ifle qu'ils appelloient Sangi, tenoient les deux frères pilotes dans les fers,avec un de leurs enfans,au deffus du pavil­lon de poupe,afin qu'ils guidaflent les Vaiffeaux. Comme ils arrivèrent a une lieue d'une Ifle qu'ils alloient co­ftoyant, & que les Vaiffeaux n 'avançoient pas beaucoup à caufe des calmes qu'il faifoit, fur le minuit les deux pi­lotes & leur fils fejet terent en mer avec leurs fers. Le lendemain quelques Paraos abordèrent aux Navires , & l 'on fceut de ceux qui eftoient dedans , que les pilotes eftoient prifonniers, mais que le fils s'eftoit noyé. A l'In­i tant le vent commençant à fe rafraifchir, les Navires fuivirent leur r o u t e , tous fort attrifteZ de ce qu'ils n'a-voient point de pilotes. Mais un Maure qui eftoit b le f fé des trente qu'ils captivèrent dans le leur dit qu'ils eftoient à cent lieues des Ifles des Moluques, & qu'il les guideroit. Si bien que navigeant par un bon temps, a u

F

1521

Les ceux pilotes & leur fils fe j e t ­tent en m e r l'es fers aux p ieds .

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1521. Les Caftillans arrivent aux Moluques.

4 2 H i S T O I R E bout de trois jours le Maure dit qu'elles eftoient pro­ches. Ils continuèrent donc leur route cette nuit avec peu de voiles, & le lendemain fur le midy le huitième jour de Novembre ils arrivèrent à l'une de ces Ifles, ap-pellée Tidore, & furgirent tout proche de la Ville, à cau-le que la mer y eftoit fort profonde, où ils firent une falve. Le Roy envoya fçavoir quelles gens c'eftoient, & fut fort aife de leur arrivée.

C H A P I T R E X I .

De ce qui arriva aux Caftillans dans les Ifles des MoluqueS, jufques à ce que le Navire de la Victoire partit

pour aller en Caftille,

LE Roy de T ido re ,qu i fe nommoit Almançor , fe mit dans une barque , & aborda les Navires , vef-

tu d u n e chemife , piquée d'or à l'aiguille , fort riche , & une façon de hoqueton attaché à la ceinture qui ai-loit jufqu'à terre. Il eftoit nuds pieds. Il portoit à la tefte un tres-beau voile de foye en façon de Mitre. Il dit aux Mariniers qui accommodoient les ancres , qu'ils fuffent les bien venus. Il entra dans la Capitai-nefTe , en fe bouchant le nez , à caufe de l'odeur du lard qu'il fentoit, parce qu'il eftoit Maure , quoy qu'il n'y euft pas plus de cinquante ans qu'il eftoit entré des Maures dans ces Ifles ; car elles eftoient habitées par des Gentils ; encore demenroient-ils dans les Monta­gnes. Les Caftillans luy firent de grandes révérences, & luy prefenterent une Chaire de velours cramoify, une Robbe de velours jaune , une faye de toile d'or faux, quatre aunes d'efcarlate , une pièce de damas j aune , une autre de l in, une toüaille à main de toille brochée d'or & de foye , deux Couppes de v e r r e , fix Cordons enfilez de patenoftres de la mefme eftofFe,trois Miroirs, douze Couteaux , fix paires de Cifeaux, & demy dou­zaine de Pignes. Ils donnèrent auffi à fon Fils, un Bon-

Le Roy.de T i d o -re entre dans les Navires des Ca­stillans.

Prefent que font les Caftillans au Roy Almançor .

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 4 3 n e t , un Miroir , deux couteaux ; & autres chofes fem » blables aux Seigneurs qui l 'accompagnoient. Les Ca­ftillans luy demandèrent de la part de leur Empereur , la permiffion d 'entrer dans fon Ifle, & d'y trafiquer. Il la leur donna de bon c œ u r , de leur dit qu'ils tuaffent quiconque les offenferoit. il confidera l 'Etendart avec les Armes Royales & le Portrait de l 'Empereur. Il de­manda à voir la monnoye & le poids qu'elle avoit, de l 'ayant bien regardée , il dit qu'il fçavoit par fon Aftro-logie , qu'il devoit aller-là des Chreftiens pour cher­cher des efpiceries, de qu'ils enpriffent à la bonne heu­re . Puis il ofta la Mit re de fa tefte, les embraffa , & s'en alla. D'autres difent qu'il le fongea, & d 'autres , que ce n e fut que par conjecture, ou qu'il l 'avoit entendu di­re par les Maures qui trafiquoient en Zamatia , Malaca, & en la Cofte de la Chine. Les Caftillans fortirent donc à terre pour fe rafraifehir. Au bout de quatre jours on leur demanda la charge du clou, pour les Navires. Ils dirent que l'on en fift le prix , car ils ne fçavoient pas que quatre quintaux de clou valoient entre ceux de l'Ifle ,deux Ducats ; fi bien que s'eftant p a f f é quelques jours fans qu'on leur baillaft leur charge, ils dirent qu'ils s'en vouloient aller. A caufe dequoy le Roy alla t rou-Ver le Capitaine , & luy demanda pourquoy il s'en vou­loit aller , & que s'il le faifoit il ne donneroit pas fujet de dire du bien de luy ; Parce qu'il avoit déjà envoyé dans les autres Ifles pour faire fçavoir que ceux qui voudraient apporter du clou , qu'ils le fiffent , parce qu'ils n'euffent pas ofé le faire fans fa permiffion; & qu'il vouloit jurer en fa Loy qu'ils feraient en toute affeu-rancedans fon p o r t , d e qu'on leur chargerai t leurs N a ­vires de c lou, pourven que le Capitaine juraft auffi de fon cofté de ne partir du Port jufques à ce que les N a ­vires fuflent chargez. Il defcendit deux Maures à terre , qui portèrent dans les Vaiffeaux un p a q u e t , tant que l'un d'eux pouvoit porter des deux mains ; de parce qu'il eftoit enveloppé de toille de foyefort riche , ils né pu­rent fçavoir ce que c'eftoit, Almançor mit les mains

F ij

1521

Almançor ac ­corde aux C a ­ftillans d ' en t re r d a n s T i d o r e ,

Accord que le Roy de Tidote fait avec las Ca-ftillans.

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1521. Et les Caftillans avec luy.

4 4 H IS T O I R E

dedans, & enfüite fur la tefte, fur l'eftomac , & puis ils s'en retournèrent à terre. Le Capitaine Gonzale G o -niez d'Efpinofa jura auffi devant une Image de la Vierge ; & il fut arrefté qu'Almançor feroit toujours amy des Rois de Caftille, de qu'il donneroit du clou 6c les autres Efpiceries, continuellement tant que les Caftil­lans voudraient aller dans fon Ifle,pour un certain prix qu'ils accordèrent enfemble, qu'ils payeraient en toile, draps & foyes. Les Caftillans luy donnèrent à l 'heure mefme les trente Maures qu'ils tenoient captifs dans leurs Vaiffeaux, dont le Roy fut fort fatisfait. Corala, Seigneur de Terronate,neveu d'Almancor, alla à Tido-re , pour offrir fon fervice au Roy de Caftille , & s'of­frit pour fon Vaffal. Luzuf, Roy de Gilolo, amy d'AL mançor , y alla auffi, pour faire la mefme chofe ; l'on dit que celuy-cy avoit fix cens enfans , qui n'eft pas une figrande nouvelle, veû la quantité de femmes qu'il avoit. Il en vint encore d'autres qui s'offrirent pour a-misôcpour Tributaires du Roy de Caftille à la prière d'Almancor. Les Navires furent bien toft chargez. Et le Capitaine Major reçeut un Prefent , & des lettres d'Almancor , de Luzuf, 6c de Corala, de la foumiffiou 6c vaffelage qu'ils faifoient à l 'Empereur. Le priant qu'il leur envoyait nombre de Caftillans pour vanger la mort de fonpere , & pour leur enfeigner les points de la Religion Catholique & les Couftumes de Caftille. Puis leur ayant fourny encore des Perroquets rouges & blancs, qui ne parloient pas bien, du miel d'abeilles , qui pour eftre petites ils ne les appelloient que des mou­ches, & quantité d'autres chofes, avec quelques j e u -nés enfans des Ifles pour emmener en Caftille ; & les Antennes eftant préparés pour faire voile , après avoir pris congé du Roy & de tous les autres Seigneurs & du Peuple , l'on defcouvrit dans le Navire de la Tr in i t é , qui eftoit la Capitain effe , un amas d'eau qui venoit parla Quille , & il falut tout décharger pour y remédier. Ils y employèrent huit jours fans le pouvoir étancher ; à caufe de quoy il falut luy donner carène, & mettre

Les autres Rois deces Ifles vien-nent s'offrir p o u r Vaffaux du Roy de Camille-

Almançor fait un prefent aux Caftillans.

La Capitaine ffe fait eau.

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1521. D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I . 45

la Quille au deffus de l'eau. E t d 'autant qu'il faloit bien trois mois pour le remettre en eflat de voguer ; il fut arrefté que le Capitaine lean Sebaftien De l -Cano partiroit dans le Navire de la Victoire pour aller en Caftille par la route que les Portugais prenoient , & qu'il porterait les Lettres des Rois de Moluques , de les autres chofes que Gonçale Gomez d'Efpinofa de-voit porter. E t il fut auffi accordé que le Navire de la Trini té eftant r 'adoubé & en un bon eftat , prendrait la route de Panama , de irait par Caftilla-Del-Oro , pour après y avoir déchargé , paffer fa charge en la M e r du N o r t , ainfi que l'on avoit déjà fouvent mis fur le ta ­p is , qu'il falloir faire afin que l'Efpicerie peut paffer a-vec beaucoup plus de facilité en Caftille. Enfin le Nav i re de la Victoire partit incont inent , de celuy de la Tr ini té demeura pour eftre r 'adoubé.

Ces Ifles des Moluques font cinq principales, à fça­voir Ter rena te , T idore , Maquian , Motir , de Patian. Elles ne font pas g randes , de font peu diftantes les unes des autres. Elles font fituées fous la ligne Equinoctial-le , de toutes au Nort-Sud. La principale eft celle de T e r r e n a t e , de où il y a plus de clou ; elle eft à un de­gré de deux tiers du cofté du Nor t . T idore eft à un demy degré auffi du collé du Nor t . Les autres font du cofté du Sud, vis-à-vis les unes des autres. Te r r ena t e de T idore font les plus hautes qui paroiffent en forme de pain de fucre ; de les autres font plus unies. Tous les Rois de ces Ifles efloient Maures , Almançor avoit vingt-fix en fans , tant garçons que filles , de deux cens femmes ; & nonoftant cette quantité de femmes , il ne laiffoit pas d'eftre jaloux., comme le font tous ces Infti-laires. Le Roy de Gilolo , qui eft une Ifle tout proche e n avoit au tan t , de plus, puis qu'il avoit fix cens enfans. Toutes ces Ifles de celles qui font autour praduifent du clou, de la canelle, du gingembre, de des noix mufcades. L 'Arbre de la Canelle eft femblable au laurier ; fon é-corce croift de fe fend par le moyen du Soleil, de ils l'ô rent & la nettoyent au Sole i l , & tirent de l 'eau de la

F iij

Sebaftien D e l -C a n o par t t o u t feul p o u r Gal t i l -le .

Par t icular i tez des Ifles des M o -u q u e s .

Almançor avoir deux ce ns f em­m e s .

Le Roy de Gi lo lo a fix c e n s e n -fans.

C o m m e l 'on ne t toyé la caue le.

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1521

46 H I S T O I R E fleur. L'Arbre du clou eft gros & grand ; fa feuille cft auflî femblable à celle du laurier ; & fon efcorce eft comme celle de l'olivier , il jette fon clou en grappes comme du lierre , ou d'efpine, ou de genevre. il eft vert au commencement, incontinent après blanc , & en meuriffant il devient rouge , & eftant fec il devient noi r , comme on nous les apporte en l'Europe , après les avoir moüillez dans de l'eau de la mer. On le cueille deux fois l'année. Ils les gardent dans les lieux fouz-terrains. Ils croiffent fur des colines, où ils font cou­verts d'un certain brouillard plufieurs fois le jour ; ce qui n'arrive pas dans les Plaines ny dans les Valées. Le Gingembre eft une racine rougeatre, ou de la couleur du Saffran. Ils en ont en quantité dans l'Ifle Epagnolle, 6c en d'autres contrées , que les Portugais y tranfpor-toyent. Les Noix Mufcades viennent fur des Arbres comme de petits chefnes ou d'yeufe ; 6c naiflént com­me le gland, dont le petit chaperon , comme celuy du gland, efl gluant comme du maftic. Il y a dans ces lfles de certains petits oyfeaux appeliez Mamuchos, qui ont les jambes longues de fix poulces, la tefte pe t i t e , le bec fort long, & le plumage de fort belle couleur ; ils n'ont point d'ailles, ce qui fait qu'ils ne peuvent voler qu'avec le vent. Ils ne fe corrompent jamais ,ny ne pourriflent, ny ne touchent point à terre. L'on ne fçait où ils pren­nent naiffance , ny ce qu'ils mangent. Les Maures croyent qu'ils vont en Paradis. Et les Caftillans cro-yoient qu'ils fe repaiffoient de la rofée , & des fleurs des Efpiceries, & en portoient en façon de pennaches. Mais les Moluquoiss'en fervoient pour la guerifon de l eu r s playes.

Duclou de Giro-fle.

Du Gingembre..

De la noix muf-cade.

Oifeaux de Pa­radis , dont plu­sieurs ont efcrit.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S } LlV. I. 4 7

1 5 2 1 .

Quantiamoc par­le à la nobleffe de Mexique.

Les Mexiqua ins vont reprendre S u c h i m i l c o .

C H A P I T R E X I I .

Le Roy de quantimoc parle à la Nobleffe Mexiquaine, qui va reprendre Suchimilco ; & ce que fit Cortés,

D Ans ce mefme temps , les nouvelles arrivèrent à Mexique , que Cortés avoit pris Suchimilco ; à

caufe de quoy le Roy Quantimoc fit une exortation à la Nobleffe de la Ville ; Il leur reprefenta le péril ou ils fe trouvoient, & qu'il faloit employer toute la valeur & l'in-dufirie, pour faire voir aux Caffillans qu'ils eftoient gens de cœur auffi bien qu'eux ; & qu'en ce la ils rendroient grand fer-vice à, leurs Dieux, qui eftoient par trop offenfez des outrages que les Caftillans faifoient. Et que pour rabatre quelque cho-fe de leur audace, Il falloit neceffairement employer tout de bon leurs forces & leurs Armes ; & que quand cela leur man­querait, il faudroit daiffer croître les ongles pour déchirer & mettre en pièces les Ennemis , contre lefquels il faloit comba-îre jufques au dernier période de la vie , pour l'honneur & pour la feuretê de tout ; à caufe dequoy il falloit recouvrer Suchimilco. Pour parvenir à ce deffein, il fit embar­quer dans deux milles Canos , plus de douze mille hommes. Ceux qui y allèrent par terre eftoient fans nombre ; ils ne portoient ny Enfeignes ny T a m b o u r s , ny ne fonnoient aucun Infiniment de Mufique , comme ils ont appris de faire , afin de n'eftre point découverts. Cortés neantmoins ayant eu avis de cela par fes ef-pions , monta au haut d'une T o u r pour reconnoiftre ceux qui venoient. Il difpofa fes gens en trois corps. Les Ennemis , cependant avançoient fort tant par eau que par t e r r e , afin de donner le choc tout d'un temps. Ils avoient quantité d'efpées de celles qu'ils avoient pris fur les Caftillans lors de la déroute de Mexique. Ils cri oient à haute voix , Mexique , Mexique. Cortés commanda à cinq cens Tlafcalteques , & à vingt Ca­valiers de donner tefte baiffée au travers des Ennemis ,

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1 5 2 1 ,

48 H I S T O I R E , & de s'aller pofter fur une Montagne qui eftoit-tous proche , & qu'ils retournaient faire la mefme chofe lors qu'il leur ordonneroit. Ils le firent fort heureufe-mcnt , & avec beaucoup de valeur ,& tout d'un temps les Caftillans attaquèrent par les autres endroits, fi bien que la meflée fut grande. Dans ce mefme temps Cor-tés envoya dire aux Tlafcalteques & aux vingt Cava­liers de la Montagne, qu'ils attaquaient les Ennemis par derrière, ce qui les mit en déroute ; parce que les chevaux d'une viteffe incroyable entroient & fortoient au milieu des Ennemis, tuant & bleffant tout ceux qu'ils rencontroient. Mais fi toft., qu'un efcadron eftoit rom­pu , un autre rentroit en fa place ; fi bien que l'on com­patit trois jours durant de la forte , où l'on reprit quel­ques efpées Caftillanes. Puis la Place ayant elle brû­lée , qui eftoit remplie de beaux édifices, Cortésfe reti­ra , &les Ennemis le pourfuivirent fans aucune relâche jufques à Cuyoacan, à deux lieues de Suchimilcoi

Cortés voulant reconoiftre la manière dont il fe de-voit fervir pour faire le Siège de Mexique , il entra dans la Chauffée ayant pris fur ceux qui la gardoient une trenchée, & faifant une courfe de lieue & demie il alla donner jufques à la porte de la Ville 5 Et après avoir confideré la fcituation & la difpofition du lieu, il s'en retourna r'amaffer fes gens pour retourner à la Ville de Tacuba, pour confiderer où il pouroit mettre des gens de guerre de ce cofté-là pour affieger Mexi­que. Il fit ces deux lieuës-là en faifant main baffe a tous les Indiens qui fortoient du lac comme des volées de perdreaux pour piller le bagage de l'Armée. Ce­pendant les Ennemis enorgueillis de leur victoire , s'i-maginant que Cortés ne s'eftant pas arrefté dans Tacuba, apprehendoit d'y eftre affiegé ; attaquoient toujours le bagage. Mais comme les chevaux eftoient difperfez & que la Campagne eftoit unie, ils tuerent quantité d'En­nemis. Ils prirent deux jeunes garçons , qui eftoient ferviteurs de Cortés, fort difpofts , & qui le fuivoient toujours à pied, & les emmenèrent en lieu où on n'eut

jamais

Cortes- combat cont re les M e ­x i c a i n s trois jours durant.

Cortés remar ­que par où il pourra affieger Mexicains.

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DES INDES 0 c c i D EN TAL E S , Liv. T. 49 jamais de leurs nouvelles ; & l'on croit qu'ils les facri-fierent. Cortes paffa à quelques peuplades où il ne man­qua pas de rencontres , outre la multitude de Mexi-quains qui le fuivoient continuellement. Mais il leur dreffa une embufcade où ils ne s'attendoient pas, & tua plus de deux cent Gentils hommes, dont les dépouilles furent grandes, que les Tlafcalteques emportèrent. Il arriva avec fes gens fort fatiguez & mouillez , à caufe des ruiffeaux qu'il falloit qu'ils paffaffent ; joint qu'il avoit plû beaucoup , à la ville de Guatitlan , qu'ils trou­vèrent dépeuplée , & fans aucuns vivres. Ils y repofe-rent cette nuit affez franchement ; car comme le bois eitoit verd ils ne pouvoienr faire de feu. Le lendemain comme ils vinrent à fortifies Indiens crioient après eux en fe moquant, à caufe qu'ils les voyoient ainfi moüil­lez 6c mal-traitez ; mais les Caftillans piquez de la gauf-ferie , fortoient fur eux & fe vangeoient fur ceux qu'ils rencontroient.

Cortés avançant toufiours chemin pour retourner à Tezcuco, paffa par Atlaltepeque, & la trouva auffi dépeu­plée. Il y repofa un jour , où ceux qui eftoient encore mouillez , achevèrent de fe fecher. Delà il paffa à une autre ville, de la Seigneurie de Tezcuco, appellée A cul-ma, où ils trouvèrent quelques rafraifchiffemens, & de­là à Tezcuco, où l'armée les reçeut avec beaucoup de joye. Cer tes raconta ce qui s'eftoit paffé , & comme il avoit remarqué la manière dont il fe falloit fervir pour camper l'armée devant Mexique, qui eftoit une entre-prife, où il falloit que chacun travaillaft pour vanger la honteufe retraite que l'on avoit efté contraint de fai­re. Il rencontra-là comme il arrive ordinairement aux vainqueurs } quelques Caftillans qui eftoient venus de la Vera-Cruz & des Ambaffadeurs de diverfes villes & Provinces, les uns par crainte , les autres pour la haine qu'ils avoient contre les Mexiquains de qui ils fe vou-loient vanger, pour l'arrogance dont ils ufoient envers leurs fujets. Se voyant donc avec une puiffante armée, il refolut de faire faire montre aux Caftillans ; il trou-

1521. Les Mexiequains prennent deux ferviteurs de C o r t é s , qui ne parurent plus.

Les Caftillans arrivent fort fatiguez à Gua­titlan.

Cortes arrive à Tezcuco.

Cortes fait faire mont re à fon armée.

G

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1521.

5 0 H I S T O I R E va neuf cens hommes d'Infanterie, & quatre-vingt fix de Cavalerie ; & parmy l'Infanterie cent dix-huit Ar-baleftriers &; Arquebufiers , le refte eifoient des pi-quiers , & cuiraffers, avec quelques cottes d'armes de cotton piquées ; trois groffes pièces d'artillerie de fer,-quinze petites de bronze , avec dix quintaux de pou­dre , de quantité de balles. L'on acheva de fournir les brigantins de ce qui eftoit neceffaire ; l'on mit une pièce dans chacun ; Chriftofle d'Olid natif de Baeza , fut fait Meftre de Camp , & pour Lieutenans Pierre d'Alvara-do, qui comme il a déjà eflé dit cy-devant,efloit de Ba-dajoz, & Gonçale de Sandoval natif de Medellin. Pour Capitaines, George d'Alvarado, frère de Pierre d'Al-varadoj André de Tapia , natif de Medellin , Pierre d 'Yrcio, natif de Briones, Gutiere de Badajoz , natif de Cindarodrigo , André de Monjarraz , d'Efcalona., Fernand de Lerma , de Galice. Pour Capitaines des Brigantins lean Rodriguez de Villa-Fuerte, de Medel­lin , Iean de Aramillo de Salvatierra, en Eftremadure, François Verdugo d'Arevalo, François Rodriguez Ma-gatino de Mer ida , Chriftofle Flores , de Valence de Dom Iean,Garcias Holguin ,de Caceres , Antoine de Carvajal, de Zamora , Pierre Barba , de Seville, H ie -rofme Ruiz de la Mota , de Burgos, Pierre de Briones, de Salamanque, Rodrigue de Morejon de Lovera , de Medina del Campo , Antoine de Sotelo, de Zamora, Iean de Portillo, natif de Portillo. Il donna à Sandoval de à Alvarado fix brigantins, dont il en fut mis deux en la chauffée qui va de Tlatelulco à Tenayuca comme il fe dira cy-apres. Apres que les Capitaines furent efleus, Cortés fît publier tout de nouveau les Ordonnances qu'il avoit faites, pour le bon Gouvernement, la paix, de confervation de fon armée entre eux, pour avoir plus de force contre les ennemis. Il parla en particulier aux Capitaines, pour les leur faire garder & obferver pon­ctuellement ; de luy-mefme en donna beaucoup d'exem­ple , en telle forte que pour les avoir bien obfervées, toutes les chofes réunirent au contentement de tous.

Il difpofe des Chefs, & donne les Offices & inftructions.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I. 51 Comme il vouloit fçavoir fi l'armée eftoit bien difpofée, Se comment il falloit agir dans les combats , luy eftant ;au milieu , il fit donner une fauffe alarme, de laquelle il demeura fort fatisfait, de voir comme chacun fe ran-geoit à fon pofte. Ceux de Chulula fe vinrent plaindre de ce que ceux de Topoyanco anticipoient fur leurs limi­tes , de ceux-cy difoient la mefme chofe contre les au­tres. Cortés y envoya Alonfe d'Ojeda pour les mettre d'accord, de que tout d'un temps il paffaft, à Tlafcala pour faire venir les gens de guerre avec des vivres, de que s'ils ne venoient dans dix jours l'on feroit la guerre fans eux , de perdraient les grandes dépouilles que l'on y devoit gagner. Ojeda accorda ceux, de Chulula de de Topoyanco, de les rendit bons amis. Puis il leur demanda combien de gens de guerre ils pourroient donner. Ceux de Topoyanco offrirent douze mille hommes 5 de ceux de Chululaen promirent beaucoup davantage. En fuite de cela il parla aux Seigneurs de Tlafcala, de particuliè­rement aux quatre Chefs des Provinces de cette Seig­neurie, qui luy dirent que tous les gens de guerre qui dévoient affeurer Cortés fe preparoient. Mais comme ils ne faifoient pas toutes les diligences qu'Ojeda euft bien defiré,il emmena feulement ceux qui eftoient prefts de partir, & alla loger à Guaulepa avec environ quatre mille hommes & de comme le jour commençait à paroi-ftre,il en eftoit déjà arrivé plus de trente mille, & la nuit fuivante prefque deux cent mille, qui avoient tous efté comptez avec des Xiquipeles, qui eft le Cacao , ou aman-Acs, avec quoy ils font leur compte. Ojeda eftant par->ty de Guaulipa , alla loger à Acafulagot, & en fuite à

Tezcuco.

G IJ

1521 .

Cortés fait faire une fauffe al lar­me pour éprou­ver les foldats.

Il fort cent mil le hommes de Tlafcala & de fes l imites.

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1 5 2 1 .

52 H I S T O I R E

C H A P I T R E X I I I .

Fernand Cortés divife l'armée en trois corps ; & commença le fiege de Mexique.

C Onés avoit ordonné que les gens de chulula & de Guaxocingo allaffent à Chalco , parce qu'il avoit

deffein de commencer le fiege en cet endroit-, & ayant appris que les Tlafcalteques approchaient de Mexique,-il les alla recevoir avec quelques gens de cheval ; il em-bralTa les Seigneurs, & leur fit quantité de complimens, il les logea, les regala, & les honora beaucoup , & fe réjouit de voir tant de gens fi bien équipez , & leur dit que Dieu luy faifoit voir de grandes apparences des fa­veurs qu'il efperoit de luy. Ils entrèrent dans Tezcuco deux jours avant la fefte de la Pentecofle, & toute l'ar­mée fut trois jours à entrer dans la Ville, félon qu 'O-jeda le dit dans fes Mémoires ; & quoy que Tezcuco ne fût pas une grande ville, ils ne laiffoient pas que de con­tenir tous dedans. Ils efioient galanifez, bien armez & paffionnez pour combattre, ainfi qu'ils le firent bien pa-roiflre en effet. Eftant tous préparez pour commencer le fiege , Cortés fit appelier tous les Caftillans, & tous les Seigneurs Tlafcalteques ; & afin qu'ils puffent enten­dre ce qu'il diroit, il leur bailla les Interprètes,& fit une harangue affez ample. Il loüa premièrement le fujet de l'entreprife ; l'honneur que l'on emporteroit en affujettiffant la plus belle & la plus grande ville du monde. Et qu'outre le fer-vice de Dieu, qui eftoit la chofe la plus importante, l'on ac­querrait une grande gloire , avec la vangeance de l'affront que l'on avoit receu, & l'on donneroit a fon Prince un domaine que tous les hommes du monde n'en ont jamais acquis de fem~ blable. il dit qu'ils eftoient Caftillans, nation belliqueufe-, & tres-forte, qu'ils avoient-la quantité d'amis , & des armées toutes entières plus grandes que les Romains ayent jamais euë, qu'ils avaient treize brigantins pour renverfer la multitude des

Cortés fort pour recevoir les Tlafealteques.

| H o r a n g u e de Coués à toute l 'armée.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I . 53 Canos que les ennemis tenaient ?pour entrer dans les rues de la ville , & pour combattre leur fortereffe ; qu'ils assoient- fait provifion de vivres pour toute l'armée , & deffendu que l'on ne fift aucunes courfes fur les ennemis ; & que puisque par le moyen des brigantins l'on eftoit maiftres du lac} & de la cam­pagne par la cavalerie, & placez en terre ferme pour faire retraite quand l'on voudroit , l'on devoit conftâerer la gran­deur de l'entreprife qu'ils tenoient comme entre leurs mains ; que jamais beaucoup ne coufta peu , ny aucune force ne fe pou­rvoit vaincre que par une autre & que fi Dieu leur donnoit la v.'&oire , ils auroient dequoy s'enrichir tous , & le moyen dannoblir leurs lignées, & fi délafferoient tout à loifir, puis qu'après avoir affujetty cette grande ville toutes les autres leur ebeiroient ; que tout ce qu'il leur difoit n'eftoit pas pour leur donner courage, parce qu'il fçavoit bien qu'ils ri en manquoient pas : mais pour les faire reffouvenir qui ils eftoient, & que ce qu'ils vouloient entreprendre, ils le fiffent de gayeté de cœur fans aucune contrainte , puis que comme hommes d'honneur ils n'entreprenaient cette guerre que pour Dieu, & pour eux mef-mes. Les principaux de l'armée fe regardoient les uns les autres pour voir qui prendrait la parole ; & enfin Pierre d'Alvarado , Gonçale de Sandoval, & Alonfe d'Avila luy repartirents ; que toute cette armée eftoit refoluë de ne point lafcher le pied du fiege, jufques à ce qu'elle euft vaincu , ou qu elle euft efté entièrement deffaite ; & que tous le fuhaitoient d'auffi bon cœur, qu'ils le tenoient four leur Capitaine , dont ils eftoient fort contens, a in f i qu'il reconnoi-

firoitfar les effets. Voila la manière dont Cortés fe fervoir en l'Office de Capitaine géneral ; enquoy il eftoit auffi adroit que s'il n'euft fait autre chofe en toute fa vie. O r cette charge confifte en trois points ; l'election des fol-dats , la bonne difcipline, & la fçavoir obferver. Pour ce qui touche l'élection des foldats, &; d'en bien ufer, il avoit déja affez fait paroiffre la prudence qu'il avoit eue en pareil cas. Quant à la difcipline, on l'avoit en­core affez reconnue en luy, & fe reconnoiftra cy- après, comment il tenoit fujets, obeïffans & bien appris ceux qu'ilconduifoit ; parce qu'il ne s'efl jamais trouve que

G iij

1521

En quoy confi­fte la charge d'un General d 'a rmee .

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5 4 HISTOIRE fes foldats euffent des courages barbares, arrogans,, vin-dicatifs, ny imperieux, mais qui fe font toufiours accom-modez félon la volonté de leur Capitaine ; & pour cela l 'on peut dire que ces louables parties n'ont point en­core efté reconnues en pas une autre armée fi manife-itement qu'en la fienne ; D 'où l'on reconnoift qu'il eft neceffaire que les foldats foient pluftoft. choifis qu'en grand nombre ; & il n'y a chofe plus convenable que de tenir les armées nettes de gens inutiles, parce que la promptitude 6c l'agilité qui font les principales parties dans la milice, ne peuvent pas fubfiiter dans une cam­pagne pleine de toute forte de gens, parce que cela embaraffe & donne occafion à l'ennemy de venir à bout de fon deffein. C'eft pourquoy Cortés founaitoit à fes foldats, la volonté , la honte , & l'obeiffance , d'où dé­pendent la valeur, & la patience,par le moyen de la-quelle il avoit vaincu dans des guerres très-importantes, non par l'abondance des trefors, mais par une genero-fité de courage , & dans la tolérance des travaux par l'exemple de fa perfonne, ayant toufiours efté le pre­mier dans les batailles , dans les veilles, dans les affidui-tez , & dans l'exécution de quelque chofe que ce fuft fans confiderer les hazards & les périls de la vie.

Le Second jour de la Pentecofte , Cortés divifa fes gens de cette forte ; il referva auprès de fa perfonne trois cent foldats, avec lefquels il fe devoit mettre dans les brigantins ; & fit trois corps d'armée du refte. Il don-na à Pierre d'Alvarado trente hommes de cheval,& cent cinquante de pied, à l'épée & au bouclier, dix-huit tant Arbaleftriers qu'Arquebufiers, deux pièces d'artillerie, & plus de trente mille Indiens Tlafcalteques,avec ordre de camper à Tacuba. A Chriftofle d 'Ol id , trente trois hommes de cavalerie, dix-huit Arbaleftriers & Arque-bufiers, cent foixante d'infanterie, deux pièces d'artil­lerie , & prés de trente mille Tlafcalteques,- & pour po-fte Cuyoacan. Et à Gonçale de Sandoval, trente trois Cavaliers, quatre Arquebufiers , treize Arbaleftriers, cent cinquante hommes d'épée & de bouclier,ayec tous

1521.

Belles qualités de Cortés.

Ord re de Cortés p e u r la divifion DE fon a i m é e .

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D E S I N D E S O C C l D É N T A L E S , Liv. I. 55 les Indiens de Guaxocingo , de Chulula, de de chalco, qui faiibient enfemble plus de quarante mille hommes ; & ceux-cy dévoient aller ruiner la ville dïztapalapa , & prendre leur pofte ou ils Je iugeroient plus à propos ; après avoir premièrement pris la garnifon de Cuyoacan, & paffé devant par une chauffée du lac , pour épauler les brigantins, afin que Cortés venant à entrer au milieu d ' eux , Sandoval peuft avec plus de facilité & moins de rifque , fe camper où bon luy fembleroit. Il y avoit dans les brigantins, Martin Lopez, homme de bon confeil, & vaillant, & les gens eftoient accouftumez à naviger en mer. Il y avoit vingt-cinq Caftillans dans chaque bri-gantin avec leur Capitaine de fix Arbaleftriers de Ar-quebufiers. Alvarado de Chriftofle d'Olid fortirent de Tezcuco le 22 jour de May pour fe camper dans leur pofte ; & dans Aculma, où ils allèrent repoler cette nuit-là,ils eurent différent enfemble pour le logement. Cor­tés y envoya auffi-toft Alonfe d'Avila pour les répri­mander, en leur reprefentant le préjudice que cela pou-voit caufer en pareille rencontre. Mais ils s'accordè­rent auffi-toft à caufe du refpect qu'ils portoient à leur Genera l , de qu'ils eftoient affez prudens pour recon-noiftre leur faute. Ils arrivèrent à Tacuba , qu'ils trou­vèrent dépeuplé. Ils fe logèrent dans les maifons du Sei­gneur ; & quoy qu'il fuft tard , les Tlafcalteques allè­rent en veuë de Mexique , & combatirent trois heures durant contre ceux de la ville. Le lendemain les Capi­taines refolurent de détourner le cours de l'eau qui en­trait dans la ville , dont l'un d'eux alla à la fource, ac­compagné de vingt Cavaliers de grand nombre d'In­diens ; & quoy qu'il y trouvaft grande refiftance,& que l'on y combatit fort de ferme, l'on ne laiffat pas que de rompre les canaux de bois,garnis de pierre & de chaux, par ou l'eau entrait dans la ville, de ainfi elle f u t fru-ftrée de cette eau , qui luy caufa un grand dommage de dont les Mexiquains eurent un grand reffentiment. Cet te mefme journée les deux Capitaines firent racom-moder plufieurs paffages qui eftoient rompus, des ponts

1521.

Différent entre Alvarado & Olid.

Les T l a f c a t o ­ques vont en veuë de Mexi--que & comba-tent contre les Mexiquains .

Page 80: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1521 56 H I S T O I R E & des canaux autour du lac, afin que les gens de che­val puffent faire librement leurs courfes de cofté & d'autre , Se gagnèrent quelques tranchées dans des paf-fages difficiles, où ils çombatirent quatre jours contre les Mexiquains, pendant lefquels il y eut plufieurs dé­fis contre ceux de Tlafcala, & quantité d'injures qu'ils le dirent les uns aux autres, Dans ce mefme temps Chri-ftofie d'Olid paffa à Cuyoacan. Vn autre iour il fortit avec vingt Cavaliers , quelques Arbaleftriers, & fept mille Tlafcalteques pour vifiter la chauffée qui eft en­tre Mexique Se Yzfapalapa , Se trouva les ennemis bien préparez pour combattre, la chauffée rompue, Se forti­fiez de tranchée Se de barrières. L'on combatit forte­ment de part Se d 'autre , & ce combat dura fept iours & une nuit. En fuite de cela les Mexiquains approchè­rent des fentinelles des Caftillans, enfaifant de grands cris à leur mode. L'on fonna l'alarme, Se l'on courut fur eux ; mais on ne trouva perfonne, & cependant on ne laiffa pas de fe tenir fur fes gardes.

C H A P I T R E X I V ,

De quelques ordres qui furent envoyez aux Indes pour faire une armée contre les Corfaires. Mort de Jean Ponce.

Record fait avec Rodrigue de Baftidas ,four la découverte de la terre de Sancta Marta.

cependant que ce que nous venôs de reciter fe pa f -Ce foit dans la nouvelle Efpagne, il eftoit arrivé plu­fieurs plaintes au Cardinal de Tortofa,au Conneftable,& à l'Admirai qui gouvernoient les Royaumes de Caftille, contre le Licentié Figueroa, Se pour ce fujet ils ordon­nèrent que l'on le dépoffedaft, que l'on examinait fes comptes,& que cependant l'on mift en fa place le Licen­cié Chriftofle Lebron. Et on trouva à propos que l'Au­dience de l'Efpagnolle qui eftoit eftablie dans la ville de faint Dominique envoyait delà en avant au nom du

Roy,

Chriftofle d'O­lid paffe à Cuyo­acan avec fon armée.

Figuerio a depof-fedé de fon Gou-vernerment.

Page 81: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I . 57 Roy , des Lettres patentes , feellées du Sceau Royal, comme les autres Chancelleries de cette Couronne, afin que l'on euft la connoiffance de toutes les chofes de la Terre-ferme, en forme d'appellation. Et pour autori-fer davantage l'Audiance l'on y pourveut d'un Prefi-den t , qui eftoit l'Evefque de la Conception. Au corn-mancernent du mois d'Avril cinq Piragues de Caribes entrèrent un jour au lever du Soleil dans l'Ifle de faint Jean, qui attaquèrent quelques quartiers de Caftillans, ils les prirent au dépourvu ; & quoy qu'ils firent tout ce qu'ils purent pour fe deffendre, il y en eut quelques-uns de tuez , les autres fe fauverent par la fuite ; & lors que l'on apprit ces nouvelles en la ville de Puerto-Rico, les Caribes s'eftoient déjà retirez, & embarquez, emme­nant quantité d'Indiens captifs, ce qui caufa bien de la fafcherie aux Gouverneurs , & au Confeil. Et d'autant qu'il fembloit neceffaire pour empefcher les courfes qu'ils faifoient, d'avoir un brigeantin de quinze bans dans Puerto-Rico, il fut ordonne aux Officiers de Sevil-le qu'ils l'envoyaffent aux dépens de l'Audience Roya­le Dans ce mefme temps l'Admirai Diego Colon avoit envoyé de l'Efpagnolle le Licencié Alonfe Zuazo dans l'Ifle de Cuba pour en prendre poffeffion & faire rendre compte à l'Adelantado Diego Velafquez. Mais parce qu'il eftoit favorifé de tous, par la bonne opinion qu'on avoit de luy , & qu'ils avoient appris que l'authorité de l'Admirai n'avoit point de pouvoir en cette Iurifdiction, il fut ordonné que le Licencié Zuazo n'executeroit point fa commiffion jufques à ce qu'il euft rendu com­pte luy mefme des Offices & des charges de Iuftice qu'il avoit exercées ; parce qu'il ne pouvoit pas eftre pourveu d'autre charge , puis qu'il ne quittoit pas les au­tres ; & que l'Adelantado euft comme il avoit eu cy-de-vant,le Gouvernement & la Iuftice pour l'Admirai. Et d'autant qu'il pouvoit arriver que lors que cet ordre ar-riveroit dans l ' ifle, l'Adelantado pourroit eftre abfout, afin que la Iuftice ne manquaft pas d'eftre exercée , il fut ordonné que Gonçale Nunez de Guzman feroit

H

1 5 2 1 .

Les Caribes e n ­trent dans Ifle de S Iean & en­lèvent des I n ­diens captifs,

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1521

58 H I S T O I R E l'office de Diego Velafquez: Si-toft que le licencié Zua-zo fut arrivé à Cuba il ofta le partage d'Indiens que Ma-nuel de Rojas avoit ,à caufe qu'il eftoit parent de Diego Velafquez, & le luy fit rendre & prolonger le terme de huit mois qu'il luy avoit donné pour enlever fa femme pour trois ans, attendu qu'il eftoit venu en Caflille pour informer l'Empereur des chofes qui regardoient fon fervice ; & le mefme Manuel de Rojas qui eftoit natif d e Cuellar, patrie de Diego Velafquez,& fon amy pro­curait en ce temps-là que l'on luy fift juflice à l'encon-t re de Fernand Cortés, & il n'eftoit pas mal venu au­près du Prefident du Confeil des Indes , Iean Rodrigue de Fonfeque, & d'autres. L'on avoit ordonné cy-de-vant que pas un Miniftre Royal n'empefchaft ceux qui voudraient venir des Indes en Caflille pour informer le Roy des chofes qui dépendoient de fon fervice, & que l'on n'empéchaft pas non plus ceux qui voudraient ef-crire. Et parce que les Officiers Royaux ne gardoient pas cet ordre ponctuellement, qu'avec beaucoup de ri­gueur , en telle forte qu'ils ne le fouffroient qu'à grand peine, on leur manda derechef qu'ils fe déportaffent de cela, & qu'ils laiffaffent la liberté entière pour paffer en Caftille, & écrire ce que bon fembleroit à ceux qui le voudraient faire.

Il y eut en ce temps-là quelques Corfaires qui rodè­rent le long de la Colle de l'Andaloufie & de l'Algar-ve ,qu i pilloient, & efpioient les Navires qui venoient des Indes. Pour remédier à ces inconveniens ; l'on or­donna de lever une armée de quatre ou cinq Navires, & que l'on tirafl la depenfe de cet armement fur tous les Navires , or , argent , & marchandifes qui arrive­raient aux ports de l'Andaloufie & en ceux des Royau­mes de Grenade 6c de Murcia , des Indes, & des lfles de Canarie ; & mefme du Roy & des perfonnes particu­lières ; & dans les Communautez & ports qui pouvoient recevoir quelque dommage des Corfaires, & que cela fufl taxé au fol la livre pendant tout le temps que cela dureroit. L'on recommanda le foin & la diligence de la

Le Confeil def-fend d ' empe-cher ceux qui veulent paffer en Cifti l le,ou y cferire.

O n levé une ar­mée dans la Ca-ftille pour aller contre les Cor­saires..

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I . 59 levée pour cet armement au Comte d'Oforno , Prefi-dent de Seville, & aux Officiers de la maifon de Contra-dationr Les Vaiffeaux furent équipez & armez, & l'on y mit pour General Pierre Manrique frère du Comte, L'on ordonna pour Pilote Eftienne Gomez. Et d'autant qu'Alvaro de Mezquita, Capitaine du Navire faint An­toine, qui revenoit du détroit de Magellan,faifoit une relation différente de ce qu'avoit fait Eftienne Gomez, & que l'on luy avoit faifi fes biens ; on ordonna de luy donner ce qu'il auroit befoin jufques à définition de procez, pour fa dépenfe , à. condition qu'il allaft fervir en cette armée. Mais comme ils eftoient prefts de par­t i r , l'on eut avis par ceux de France, que trois caravel­les qui venoient des Indes les Corfaires en avoient pris deux, & que l'autre qui apportoit le plus d'or eftoit ar­rivée à bon por t , 6c que les Corfaires attendoient en­core cinq autres Navires qui venoient ; l'on depécha un Navire fort léger pour aller aux Ifles des Açores pour leur en donner avis. L'on manda auffi à Pierre Manri­que qu'il s'allaft joindre avec eux , ce qu'il fit. Et le iour de faint Iean ils découvrirent fept Navires de Corfaires autour du Cap de faint Vincent. Les Caftillans les at­taquèrent , ils fe batirent à coups de Canon un bon efpace de temps ; mais enfin les Corfaires fe retirerent. Les Caftillans leur donnèrent la chaffe toute la nuit ; mais le lendemain au matin les Corfaires fe raffemble-rent pour attendre Pierre Maurique, lequel prit le def-fus du v e n t , mais le vent venant à tourner ils fe reti­rèrent. Manrique les fuivit plus de quarante lieues, & leur reprit un Navire qu'ils avoient pris , chargé de bled , & un autre où il y avoit quelques pièces d'artille-r i e , 6c autres armes & Se tous les Navires des Corfaires perdirent leurs barques. Pour Pierre Manrique il fut contraint de retourner à faint Lucar pour reparer la perte qu'il avoit faite , parce qu'autrement il n'auroit pas pu paffer outre. O r d'autant que l'on avoit eu avis qu'il y avoit d'autres Corfaires qui attendoient les cinq Navires que l'on difoit qui apportoient cinq cent mille

H ij

L'armée des Ca­ftillans combat cont re les Cor ­faires.

Manr ique va à S. Lucar pour reparer fa per te .

1521

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1521

60 H I S T O I R E ducats en or , deux mille cinq cent marcs de perîes,cinq cent mille pefant de fucre, & grande quantité de Caffe, & de cuirs cruds ; De forte donc que pour faire fortir cette armée en bref, pour efcorter ces Navires & les faire arriver à bon port , l'on fit une levée de deniers fur les Marchands de Seville, & l'on fit diligence pour la fai­re joindre avec une autre armée que le Roy de Portu­gal envoyoit aux Ifles Açores pour accompagner les Navires de Calicut. Et parce que les Mariniers d'une caravelle qui fut dérobée en la cofte de Galice, dirent qu'ils avoient vû vingt-fix Navires de Corfaires,& qu'il y en avoit encore vingt autres qui alloient par un au­tre coflé ; & que les Navires de Calicut n'arrivant pas aux Ifles Açores dans le mois d'Aouft, ils ne pouvoient pas arriver en Caflille de l 'année, on ordonna à Pierre Manrique que puifque l'on ne pouvoit pas éviter la dé-penfe,qu'il fift en forte de retenir l'armée Portugaife pour l'efcorter jufqu'à ce qu'il fuit hors de péril ; & qu'il fe fournît de poix, d'étoupes & autres chofes ne-ceffaires pour reparer les cinq Navires, parce que l'on difoit qu'ils faifoient eau, & qu'ils eftoient fort mal en ordre à caufe de leur trop longue navigation. Or ilar-rivoit en ce temps-là tous les ans quarante à cinquante mille efcus d'or de l'Ifle Efpagnolle, tant pour le Roy, que pour des particuliers ; mais non pas toufiours dans une mefme flotte,

Dans ce mefme temps la réputation des valeureux faits de Cortés fe divulgoit par tou t , de telle forte que cela donnoit de l'émulation à la plufpart des plus anciens & principaux Capitaines des Indes pour entreprendre auffi de leur part quelques actions fignalées , parce que comme ils eftoient en pareil degré que luy, ils ne s'efti-moient pas moins. L'Adelantado Iean Ponce de Léon fut celuy qui s'émancipa le premier, parce que dés l'an 1512. qu'il defcouvrit la Floride , & qu'il alla chercher cette fontaine appellée par les Indiens Santatan , & cette Rivière qui rajeuniffoit les Vieillars ; que depuis qu'il fut maltraité par les Caribes de l'lfle de Guadalupe,

D e l'or qui ve-noi t tous les ans de l'Efpagnolle.

Iean Ponce Léon va a la Flo-ride.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I . 61 il s'eftoit retiré : il réfolut alors d'armer deux Navires dans l'lfle de Saint Iean de Puerto Rico, où il faifoit fa refidence, enquoy il def penfa une bonne partie de fon bien. Il s'embarqua dans ces Vaiffeaux & paffa à la Flo-ride, que l'on croyoit encore Iftre Ifle, pour s'affurer en chemin faifant, fi c'eftoit terre ferme ou non , com­me ille témoigna parles Lettres qu'il écrivit cette an­née-là à l'Empereur , au Cardinal Adrien , alors Gou­verneur de ces Royaumes , & au Secrétaire Samano. Comme il voulut prendre terre dans la Floride , après avoir fouffert de grands travaux en la navigation,les In­diens fortirent au devant de luy en Armes pour luy refi-fter, & combatant contre luy avec beaucop d'obftina-t ion, ils tuèrent quelques-uns de fes gens, & luy bleffé à la cuiffe ; enfuite dequoy il s'en retourna à C u b a , avec ceux qui luy reftoient, où il mourut. Le Roy en confideration de fes Services, donna la charge d'Ade-lantado , & les autres qualitez qu'il avoit , à Louis Pon­ce de Léon fon fils.

En ce temps-là auffi le Confeil du Roy fouhaitoit avec paffion que l'on fift quelques peuplades de Caftil­lans en la partie de la Terre ferme,appellée Santa Mar-ta , & Rodrigue de Bartidas natif de Santo Domingo, s'eftant prefenté pour cela , l'on concerta avec que luy pour c e t effet , le quinzième jour de Décembre de cette année ; qu'il euft à faire baftir un Vilage en de­dans deuzans , où il y euft au moins cinquante Habi-tans, & que quelques-uns d'entr'eux fuffent mariez, ayant leurs femmes avec eux. Et afin que Rodrigue

, de Baftidas agift genereufement en cette affaire , on luy donna la Lieutenance de la première Fortereffe qu'il baftiroit , & encore d'autres avantages qui luy furent octroyez, dont il fe tint pour fatisfait : Outre qu'on luy bailla encore la permiffion de prendre dans rifle Efpagnolle, celle de Saint Iacques , appellée la-mayea, & dans celle de Saint Iean , des gens , & des Troupeaux dont il auroit befoin. Et le Roy envoya pour fon Controlleur e n c e t t e entreprife Iean de Le-defma. H iij

1 5 2 1 .

Il y re tourne avec deux Navi-r e s , où il fut bl ffé dont il meurt .

Le Roy defire que l 'on peuple Santa Marta.

Accord fait avec Rodrigue de Ba-itidas pour cet effet.

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H I S T O I R E 1511. , , , ,

C H A P I T R E X V .

De la Commiffon que le Roy ordonna d'envoyer à chrifiofte de Tapia , four aller dans la nouvelle Efpagne contre

Fernand Cortés.

OVoy que l 'onne fuft, pas ignorant en Cour des va­leureux faits & actions de Cortés dans les Indes,,

&, que l'on y parlait de luy fort avantageufement, ceux qui ne luy eftoient pas amis ne ceffoient de l'accufer & luy donner le nom d'ufurpateur , ayant emmené & pris à Diego Velafquez ce qui luy appartenoit de droit par l'authorité Royal le , & dont il en avoit les provi-fions. Et comme Manuel de Rojas , & d'autres , por-toient cette affaire à toute extrémité ; il fut arrefté dans le Confeil Royal des Indes ; Que l'Admirai Diego Colon , & l'Audience de l'Efpagnolle, ne procédaffent point à l'encontre de Panfile de Narnaez, pour ce qui s'eftoit paffé dans la nouvelle Efpagne avec le Licencié Lucas Vafquez d'Aillon, & les Officiers qui eftoient avec luy, mais qu'ils donnaffent ordre qn'on le mit en liberté, en le tirant de la pri-fon où il eftoit dans la Vera-Cruz ; & que l'on reftituaft à Diego Velafquez, les frais & defpenfes de cette affaire, pour ce qu'ils l'avoient exécuté, qui montoit à quatre mille ducats ; Et que le Vifiteur Chrifiofle de Tapia, qui refidoit dans l'Ef­pagnolle , fe tranfportaft dans la nouvelle Efpagne, & quil prif t le Gouvernement pour le Roy, & donnaft fatisfaïlion a Diego Velafquez pour les interefts qu'il prêt endoit , & nom-maft une perfonne qui certifiaft ce qui s'eftoit paffé entre Fer-nand Cortés & Panfile de Narnaez Il ne manquoit pas d e gens en Cour qui infiftaffent à ce que l'on envoyait des perfonnes pour examiner & vérifier l'affaire d'entre ces deux Capitaines, & d'autre chofes encore pour ca­lomnier Cortés : mais ils difoient qu'il n'eftoit pas temps alors de le vouloir tirer de ce Gouvernement , veû qu'il n'y eftoit pas encore bien étably , & que l'ayant conquis

62

L'on ordonne que Panfile de Narnaez foir dé livré de pfifon.

Chriftophe A Tapia a comif-fion pour paffer à la nouvelle Ef-pagne.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I. 63 par une infinité de travaux &d'induftrie , ce feroit le mettre à la defefperade , & donner entrée à quelque grand changement qui pourroit eftre grandement pré­judiciable. Mais l'Evefque de Burgos qui eftoit un homme hardy, ne pouvant ftipporter patiemment , le trait qui avoit efté fait à Diego Velafquez, l'emportoit fur tous, quoy qu'il ne pouvoit pas eftre loué en cette élection de Chriftofle de Tapia , pour avoir efté fon ferviteur. Out re que pour une femblable commiffion, quoy que l'on prefuppofe qu'il fut honnefte homme, cela requeroit neantmoins une perfonne d'une autre cftoffe. Et il n'eft pas hors de propos de dire en cet en­droit , qu'il y en a qui difent que la confcience de Cor­tés luy reprochant cette action,il donna cinquante mille efcus à Panfile de N a r n a e z , pour les porter à Diego Velafquez pour fatisfaire à fes dommages & interefts. Mais cela n'a aucune apparence de vérité , & en effet cela ne s'eft pas paffe de la forte par beaucoup de rai-fons, qui pour n'eftre pas del 'Hiftoire ne fe mettent en ce lieu.

L'on donna à Burgos les dépefehes pour Chriftofle d e T a p i a , fignées des trois Gouverneurs , l'onzième d'Avril de cette année, qui luy Rirent envoyées. Si toft qu'il les eut en fapoffeffion,il fe prépara pour paffer dans la nouvelle Efpagne. Mais comme l'Admirai Diego Colon & l'Audience de l'Efpagnolle avoient une par­faite connoiffance des grands avantages que Cortés s'e­ftoit acquis dans toutes ces Provinces, ils firent les mef-mes réflexions que quelques-uns avoient fait en Caftil-le , & dans le Confeil, que cela pourroit caufer de la confufion, & confeillerent â Tapia de retarder fon vo­yage pour quelque temps, de crainte des inconveniens qui enpourroient arriver, & le luy firent lignifier. Quel­ques Confeillers de l'Audience difoient qu'il fe falloit faifir de fa perfonne , puis qu'il eftoit arrivé à ce deffein. L'on donna avis en Caftille des altérations que cela caufoit , & qu'il pourroit arriver des révoltes dans la nouvelle Efpagne., en cas que Chriftofle de Tapia y paffaft.

1521.

L'Evefque de Burgos veut que T a p i a aille d é ­poffeder Cortes de la Nouvelle Efpagne.

Ils avoient def­fein dans San to D o m i n g o de prendre Tapia prifonnier.

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1521. 64 H I S T O I R E

Mais les Miniftres de l'Efpagnollene tardèrent guè­re à fortir de l'inquiétude ou ils eftoient i parce qu'ils reçeurent autTi-toft des lettres , 6c Padrarias d'Avila auffi pour tous les Miniftres des Indes , par lefquelles les Gouverneurs de la Ville de Burgos, leur donnoient avis que le trouble arrivé dans quelques places de Ca-ftillefans aucun fait , eftoient par la grâce de Dieu ap-paifez. Parce que le vingt-troifiéme d'Avril, le propre jour de SaintGeorge l'ArméeRoyale avoit livre Bataille aux Rebelles, 6c ayant efté vaincus, 6c les principaux, coupables pris prisonniers , l'on en avoit fait juftice, pour avoir abufé les Peuples, & leur avoir fait pren­dre les Armes contre le Roy. Qu'enfuite de cette Vi­ctoire ? la mefme Armée alla contre les François , qui s'eftant voulu fervir de Poccalion des troubles de Ca-ftille eftoient entrez dans l'Efpagne, & s'eftoient rendus maiftres de la Navarre , & combatant le dernier jour de Iuin de cette année, auprès de la Ville de Pampe-lone , proche d'un vilage appelle Noayn , les François furent vaincus, l'Afperrant General pris prifonnier ,& quantité de Seigneurs 6c de Capitaines y furent tuez & d'autres furent faits prifonniers ; que l'on y avoit pris quelques pièces de canon , & le bagage ; & l'on en-chargea à tous de rendre grâce à Dieu de cette Vi­ctoire. En cette bataille Alonfe Ruyz d'Herrera , ori­ginaire de la Ville de Cuellar, fut celuy qui bleffa le General d'Afperrant au vifage, dont il devint aveugle, quoy qu'il tombait entre les mains de François de Beaumont, Capitaine de Gens d'Armes, contre lequel le mefme Alonfe Ruyz d'Herrera eût différent , que les Gouverneurs appaiferent ; lequel dans la mefme Bataille prit de fes propres mains le Guidon de Mon-fieur d'Afperrant, & le prefenta aux Gouverneurs, par­ce que les Enfeignes & les Guidons pris en Bataille appartiennent aux Généraux , en payant un droit. Ainfi ce Guidon fut porté dans Burgos , & mis dans la Chapelle du Conneftable, & Alonfe Ruyz d'Herrera eût des Privilèges de l'Empereur pour cette action.

CHAP.

Bataille de Fran-çois & d'Efpa-gnols dans la Navarre .

Afperrant pris p r i o n n i r .

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I. 65

521.

C H A P I T R E X V I .

Des Ordres qui furent envoyez en ce temps-là dans Caftilla del Oro , & dans la Ville de Panama.

LEs Gouverneurs de ces Royaumes , nonobstant l'abfence du Roy , ne laiffoient pas que d'avoir

loin des affaires qui concernoient le Gouvernement des Ifles, du confentement de ceux qui en traitoient, & à la fufcitation de François de Lifaur , Procureur de la nouvelle Peuplade de Panama. L'on manda donc à Pedrarias d'Avila, qu'il fift faire quantité de laboura­ges en la Terre que lon devoit peupler , afin que l'on n'y euft point de difette de vivres , & que l'on ne prift pas ceux des Indiens, afin qu'ils traitaffent avec les Caftillans de meilleure grâce & plus franchement} Q u e l'on apportait tous les foins poffibles envers Gille Gonçalez d'Avila de partir en toute diligence avec l 'Armée qui fe preparoit , pour ailer en defcouverte du cofté du Ponant , par où l'on efperoit de trouver dans les Ifles des Epiceries , puis que par la mort de Valco Nunes de Balboa l'on en avoit perdu la volon­té qu'il difoit avoir dans l ' idée, & le tout par la mefin-telligence que l'on difoit y avoir entre Pedrarias & Gil-le Gonçalez. Cependant Pedrarias avoit demandé que l'on envoyaft des Vifiteurs pour avoir l'œil fur ceux qui mal-traitoient les Indiens, mais d'autant que cet te demande fut trouvée cauteleule.eu égard aux nouvel­les que l'on recevoit de ces Provinces ; on luy fît ref-ponie qu'il y apportai! les remèdes convenables, puis que c'eftoit à luy à rendre compte des mauvais trai-temensque l'on feroit aux Indiens. Et que puis que le principal remède eftoit de les ofterà ceux qui les mal-traitoient , on luy donnoit toute l'authorité requife pour les ofter, pour les donner, & chaftier ceux qu'il conviendroit. Et que pour ce qui eftoit desdefpenfes

Ordre que les Gouverneurs d 'Espagne envo yent aux Indes.

Le R o r a beau­coup de foin pour le bon t ra i ­tement des I n ­diens .

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66 H I S T O I R E qu'il faloit faire pour ouvrir les chemins , faire des Ponts ,& envoyer des Procureurs en Caflille, veû que les nouvelles Peuplades n'avoient point de propres l'on donna permiffion de faire des levées fur les Ha­bitans, & que pour une fois feulement l'on prift des de­niers des peines appliquées à la Chambre Royale ; Parce que le Roy a toujours voulu aider aux eflablif-cemens de cette Republique. Or afin que les gens euffent encore plus d'inclination pour paifer aux In­des , l'on ordonna que ceux qui y meneroient leurs femmes & leur famille ne payeraient aucuns impots ny fubfides, & que leur paifage leur fuit donné aux def-pens des droits Royaux, & que l'on prifl auffi des mef-mes droits pour la defpenfe qui fe ferait pour la gua-rifon des pauvres malades qui fe retireraient dans l 'Hô­pital de Panama pour fe faire penfer. Et fur l'avis que l'on eût que les Habitans faifoient de grands frais pour équiper desNavires pour aller en defcouverte en la mer du Sud par la route du Levant. & que pour élire une Ter re qui ne leur eftoit pas connue , ils enduraient de grands travaux , on leur fit largeffe du Quint qui appartenoit au Roy ; à condition que pour reconnoif-fance de cette grâce , ils donnafient les plus grands joyaux qu'ils trouveraient ou gaigneroient pour la Chambre au jugement du Gouverneur. Et afin qu'ils puffent mieux faire le voyage & avec plus de facilité, l'on envoya pour le compte des droits Royaux pro-vifion de Voilles, de doux & ferremens , de poix , d'efloupe, & autres chofes neceffaires pour aidera re­parer les Navires qui dévoient fervir à cette naviga­tion. L'on pourveut auflî à ce que le Licencié Efpino-fa , ou autres Officiers Royaux quels qu'ils fuffent, qui euffent enlevé quelque part du gain qui aurait efté fait dans les courfes que les Habitans auraient faites en cette terre,Se qui n'y auraient pas affifté en perfon-n e , euffent à la raporter , foit de Pedrarias auffi bien que des autres.

L'on ordonna auffi que les Efclaves noirs n'allaffent

1521.

Divers ordres pour Caftilla Dd- Or t.

Le Roy favorife les Habitans de Panama , pour la navigat ion de la mer du Sud.

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1 5 2 1 ,

DES INDES OCCIDENTALES, Liv. T. 6 7 point en defcouverte ny aux courfes cy-apres , parce que l'on avoit raporté qu'ils eftoient fort préjudicia­bles aux Indiens ; & que ceux qui porteroient des vi­vres dans Caftilla del Oro , fuffent exemps de fublides 6e d'impofts pour dix ans ; Que la ville de Panama , ne payerait en dix ans que la dixième partie de l'or qu'ils recùeilleroient , & dans les autres cinq ans , la premiè­re année la neufieme partie , & confecutivement juf-ques à arriver à la cinquième année, qu'ils payeroient la cinquième partie. L'on confirma à la ville les limi­tes que le Gouverneur avoit bornées, en laiffant trois lieues au milieu pour y baftir vne peuplade. L'on donna la faculté aux Habitans de pouvoir trafiquer avec les Indiens par la voye des trocs 6e échanges au gré des parties. Et d'autant qu'il n'y avoit point dans cette Te r re de monnoye, ny d 'argent , ny de billon pour pouvoir trafiquer , & qu'ils coupoient des mor­ceaux d'or fort menus & en quanti té , par le moyen defquels ils maintenoient leur commerce, l'on y fit por­ter de la monnoye d'argent & de billon. L'on permit que chaque perfonne qui repafferoit en Caftille pour­roit emmener avec luy un Indien ou une Indienne de ceux qu'ils avoient en partage, pourveu qu'ils y vou-luffent venir de leur bon g r é , fans y eftre contraints ny forcez ; parce que félon les apparences en y appre­nant les Couftumes de Caftille , & qu'y eftant endo­ctrinez dans les points de la Foy , cela feroit un grand progrés, lors qu'eftant de retour en leur Païs nata l , ils viendroient à manifefter ce qu'ils auroient veû & ap­pris , & feroient en paix avec les Caftillans. L'on don­na le Ti t re de Ville à Panama , & pour l'ennoblir da­vantage , on dépefcha des Privilèges, 6e des Armes, qui eftoit un Efeu en champ d'or 6e au milieu à droit un j oug , & une trouffe de flèches gris blanc , le cafque d'azur , les plumes argentées, qui eftoit la devife des Rois Catholiques, Dom Fernand , & Dona lfabel ; & dans l'autre moitié de l'efcu, deux Caravelle, pour mar­que que l'on efperoit en Dieu , que par-là l'on devoit

Deffence de me­ner des Efc avec noirs aux def-couvertes & aux Courfes,

Q u e les Gaftit lans pourroienf trafiquer avec les i n d i e n s .

Lon porte de la monnoye aux Indes.

Titre & Armes de la Ville de Pa­nama.

I ij

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1521

68 H I S T O I R E faire la découverte des Epiceries, & au deffus des Ca­ravelles une toille en mémoire du Pole-arctique , & pour orle de Efcu, Caftillosy Leones.L'on pourveut auffi de Magiftrats , qui furent le Capitaine Gonçales de Badajoz , & le Capitaine Rodrigue Enriquez de Col-menares, Roger de Loris, Pafcal d'Andagoya, Martin Eftete , Benito Hur tado , Louis de la Rocha , & Fran­çois Gonçalez. Le Licencié Fernand de Salaya fut pourveu de la charge de Lieutenant de Pedrarias , dans la Ville de Panama, & cinq cens cinquante mille Maravedis de gage ; Et d'autant que frère Iean de Quevedo Evefque de Santa Marta del antigua des Da-rien , efloit decedé , on mit en fa place frère Vincent Peraza,de l 'Ordre de S. Dominique , natif de Seville. Et l'on ordonna de prendre fur les droits du Roy pour acheter des Orgues 6c une Orloge pour le fervice de 1 Eglife ; & l'on enchargea à l'Evefque & au Gouver­neur Pedrarias , comme l'on avoit fait cy-devant , d'avoir foin de la converfton & bon traitement des Ca­ciques , & des Indiens , remettant le tout fur leur confcience.

C H A P I T R E X V I I .

L'on rêfolut dans Mexique de continuer la guerre. Des Vi-cloires que Cortés obtient fur le Lac, & dans les

Chauffées.

LE Roy quantantimoc voyant que fes Ennemis appro-choient toujours de Mexique , & que l'on appre-

itoit tout de bon les chofes neceffaires à la Guer re , refolut d'affembler de rechef les Seigneurs 6c les Ca­pitaines qui eftoient dans Mexique ; & après leur avoir reprefenté l'eftat ou fe trouvoient la plufpart des Provin­ces qui s'eftoient foulevées , &avoient fait paix avec les En­nemis ; fe trouver fans eau, & qu'il faloit comme dérober fi peu qu'ils en beuvotent avec des canos ; la force des Bri-

L'on y envoyé des Magiftrats.

Vincent Peraza Domin iqua in Evefque de Da-r ien .

Le Roy de Mexi­que parle à la Nobleffe, t o u -chant la paix ou la guerre.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I. 69 gantins les Paffages pris , les périls & les miferes qu'il faloit fouffrir pour fournir à la Guerre , leur demanda leur fentiment là deffus , pour la maintenir , ou pour faire la paix parce qu'il avoit eu avis que Cortes la defiroit , & plufieurs la perfua-doient. La jeuneffe,& les gens alegres & difpots vou-loient la guerre , d'autres difoient que l'on differaft de fa crifier quatre Caftillans, & quantité d'Indiens qu'ils tenoient frifonniers ; afin que par leur moyen quelques jours apres s'ils fe voyaient affiégez de trop près , ils puffent faire la paix, & que l'on ne fe preffaft point. D'autres qui ne vouloient point entendre deraifons, difoient qu'il faloit faire quantité de Sacrifices, d'oraifons , & fe recommander aux Dieux , puis que c'eftoit pour leur caufe qu'ils combatoient, fe confiant en leur bonté qu'ils ne les abandonneraient point. Cette dernière propofition eut plus de force que les autres ; & l'on commença incontinent à facrifier les quatre Caftillans & quatre mille Indiens félon la commune opinion. Et après que l'on eut fait l'Oraifon , le Démon perfuada au Roy de ne rien appréhender ; que les Caftillans eftoient en petit nombre, & mortels ; que les Tlafcalteques ne perfevere-raient pas dans le Siége ; qu'ils fe deffendiffent vaillamment , & qu'illes ayderoit. Quantimoc recevant cet oracle com­me une véri té , devint tout joyeux 5 il fit fortifier quan­tité de places dans la Ville ; il fit hauffer les Ponts ; il fit armer cinq millecanos, & les fournit de vivres ; & les Mexiquains travailloient après cela, lors que Crifto-fle d'Olid battoit fon Quartier. Les Mexiquains leur difoient alors ; Hà mal-heureux hommes , vous payerez la peine deuë à voftre folie ; nous appaiferons l'ire des Dieux par voftre fang, & nos Couleuvres le boiront ; Vos chairs foule­ront nos Tigres & nos Lyons, qui font déjà tout engraiffez, de vos compagnons. Ils traitoient les Tlafcalteques , d'infâ­mes^' Efclaves & de Traîtres ; & leur difoient : Puis que vous eftes fi infenfez , nous mangerons de vos chairs. Prenez ces bras & ces jambes de vos femblables que nous avons facrifiez : & les leur jettoient, leur proteftant qu'ils ne mettroient point bas les Armes qu'ils n'euffent ruiné & defolé leur T e r r e , fans y laiffer homme ny femme , dont il peut

I iij

1521.

Les Mexiquains facrifient qua ­tre Caftillans & quatre mille I n ­diens.

Ils injurient les Tlafcalteques.

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1521. Reproches des Tlafcalteques aux Mexiquains.

70 H I S T O I R E renaiftre des rejettons de leur maudite race. Et les Tlaf calteques leur refpondoient ; Qu'il eftoit bien plus expé­dient pour eux de fe rendre, que de s'obftiner cotre des gens qui les avoient toujours vaincus ; qu'ils ne dévoient pas ufer de mena­ces comme des femmes ; que s'ils eftoient fi vaillants comme ils le prefumoieut, qu'ils le fiffent paraiftre par les effets & par les paroles 5 puis qu'ils eftoient arrivez au but où toutes leurs mé­chanceté fe dévoient terminer , & pour tout dire en peu de mots,qu'ils feroient tous ruiner , fans qu'il reftaft aucune chofe vivante , fi dans le temps ils ne changeoient de réfolution. Quelques-uns ont eu opinion que le Démon n'aparoif-foitpoint aux Indiens, ou que s'il le faifoit c'eftoitde loing à loing & de nuit ; mais que c'eftoit une invention dont fe fervoient les Preftres , pour conferver l'Empire qu'ils avoient fur ces gens ; leur faifant entendre ce, qu'ils defiroient d'eux 5 & leur difoient qu'ils avoient des virions & des révélations ; & qu'à caufe de cela ils ne di-foient que des chofes où les Peuples recevoient du gouft, comme fut celle de la guerre, à laquelle la plufpart du Peuple eftoit enclin.

Xicotencatl eftoit Capitaine de foixante & dix mille Tlafcalteques, & eut envie d'aller avec Pierre d'Alva-rado. Mais il arriva que quelques Caftillans blefferent un Seigneur, appelle Piltectetl, coufin germain de Xi-cotencatl) en voulant charger un autre Indien ; mais Alon-fe d'Ojeda appaifa l'affaire auffi- toft ; car fans doute fi cela fût venu à la connoiffance de Cortés, il euft fait pendre les Caftillans felon fa feverité ordinaire, tant il eftoit régulier à faire obferver fes inftitutions & bonne difcipline. Tout ce que l'on put faire pour terminer ce different,fut de donner permiffion au bleffé de retour­ner à Tlafcala, ce que beaucoup qui eftoient las de la guerre euffent fouhaitté volontiers. Xicotencatl eut avis de cela ; & quelques-uns difent que pour l'amour d'une Dame, envieux de ce que fon coufin eftoit retourné à Tlafcala, il s'échapa avec| quelques autres de fes amis, D'autres difent qu'il le fit à mauvaife intention , afin d'attirer après luy les gens de guerre, parce qu'il n'avoir,

Opin ion que le Démon ne parloir pas aux Indiens.

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DES INDES OCCIDENTÀLES, Liv. I. 71 jamais eu d'affection pour les Caftillans. Pierre d'Al-varado ne le rencontrant pas , en advertit auffi-toft Cortés ; & trouvant cela de mauvaife grâce , dépêcha Ojeda & Marquez à Tlafcala , pour prendre Xicoten-catl prifonnier, & les autres Seigneurs qui s'en eftoient allez avecque luy. Lors qu'on le prit,il demanda four-quoy l'on ne prenoit pas auffi Piltectetl ? mais oh luy fit ré-ponfe qu'il y eftoit venu pour fe faire penfer avec licence , & néanmoins il fut auffi emmené prifonnier. Comme ils furent arrivez à Tezcuco, Cortés fit pendre Xicotencatl à une potence fort haute , & l'Interprète leut fa fen-tence à haute voix & quoy qu'il fuft orgueilleux & vaillant, il mourut avec peu de reffentiment. Apres qu'il fut expiré plusieurs Indiens vinrent au lieu du fupplice , & prirent la potence , & une liziere fort lar­ge qu'il tortilloit autour de fes cuiffes en façon de brayes, ou plûtoft un voile fort long dont il fe fervoit à cet ufage, & chacun d'eux qui en avoit quelque pie-ce s'imaginoit tenir une grande relique. Cependant cet­te mort les intimida tous, à caufe que cet Indien eftoit fort fignalé & l'un des principaux. Or touchant cette prifon il fe trouve que Cortés en avoit écrit à la Sei­gneurie de Tlafcala, en fe plaignant de Xicotencatl ; & faifoit voir par fa Lettre que le crime qu'il avoit com­mis entre les Caftillans eftoit digne de mort ; & que la Seigneurie donna la main à Ojeda & à Marquez pour le prendre , & que la Republique répondit qu'entr 'eux ils obfervoient la mefme feverité. C'eft pourquoy il eft a croire que fans l'authorité de la Seigneurie on ne l'euft pas pu prendre prifonnier, ny Cortés ne l'auroit pas fait pendre de la forte. Pictectetl courut auffi rifque de la v ie , car Cortés l'avoit condamné à fubir le mefme fu-plice que l'autre ; mais Ojeda intercéda pour luy , di-fant qu'il luy avoit donné congé ; & Cortés le repri-menda fort de l'avoir amené prifonnier, puis qu'il luy avoit donné licence. Mais après tout il femble que Cor­tés fe mit en grand hafard par la mort de Xicotencatl, s'il n'euft efté favorifé de la fortune , qui ne l'abandon-noit point.

1 5 2 1 , Xicotencatl fe retire à Tlafca-la.

Ojeda & Mar­quez l'y v o n t prendre prifon-nier.

Cortés fait pen-die Xicotencatl»

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1521

C o r t é s s'em-

barque dans les brigant. dans

72 H I S T O I R E Les trois armées d'Alvarado,de Sandoval, Se de Chri­

ftofle d'Olid eftant dans leurs poftes, Cortes s'embarqua dans les brigantins & alla du cofté de la ville d ' y T a p a l a ­pa, juftement dans le temps que Gonçale de Sandoval la battoit & brufloit. Il arriva à la veuë d'une roche tres-forte proche de cette ville, toute entourée d'eau, Se fur le haut quantité de gens de guerre,qui s'y eftoient retranchez avec leurs femmes & les enfans des villages du Lac , à caufe qu'ils fçavoient bien que les premiers affauts de cette guerre le dévoient livrer contre yzta-palapa, ils eftoient là exprés pour la fecourir. Cortés qui ne vouloit point voir d'obftacles qui luy puffent nui r e , refolut de fortir pour attaquer cette roche , parce qu'ils y faifoient de grands cris , &s'efforçoient de l'in­commoder, il fortit donc à terre avec cinquante fol­dats , & leur ayant déclaré combien il importait à la ré­putation Caftillane de ne pas laiffer ces gens derrière fans les chaftier de l'affront qu'ils, faifoient ; & que s'en-orgueilliffant de cela ils en deviendraient encore plus fuperbes, Se puis après très-difficiles d'affujetir, il s'of­frit d'eftre le, premier à les attaquer avant qu'il leur vinft davantage de monde , comme il leur en devoit ar­river infailliblement lors qu'ils verroient qu'on auroit paffé outre fans les en chaffer. Ceux qui eftoient avec luy luy repondirent,qu'ils luy obeïroient & l'accompag-neroient gayement Se courageufement par tout où il voudrait aller, 11 monta donc le premier ; Se quoy que la roche fuft de difficile accès & fort haute , ils y montè­rent tous & gagnèrent d'abord les retranchemens & Se eftant entrez dedans tefte baiffée,ils tuèrent tous les hommes } Se referverent les femmes Se les enfans. Il y eut vingt Caftillans de bleffez, fans qu'il en mouruft pas un ; Se cette victoire donna bien de l'épouvante aux En­nemis, parce qu'ils eftimoient cette place imprenable. C'eftoit-là où. ils donnoient le lignai avec des fumées qu'ils faifoient exaler en hau t ,à ceux d'yztapalapa, de Mexique , Se des autres lieux fituez aux environs du lac. Comme les ennemis virent que Cortés entrait

dans

portés attaque une roche & la prend de force.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. L 73 dans cette roche , & qu'ils eftoient tous armez dans leurs canos, certains Seigneurs choifirent cinq cent hommes bien équipez, & s'avancèrent pour combatre les brigan­tins , les autres les fuivant en bon ordre. Mais Cortés reconnoiffant qu'ils prenoient leur brifée pour venir à luy , il ramaffa les dépouilles de la roche , & s'embar­qua auffi-toft. Il commanda aux Capitaines de fe tenir prefts , & en bon ordre ; parce que comme il voyoit que les Ennemis n'attaquoient pas, il jugea qu'ils apprehen-doient le choc ; & qu'ainfi les voyant comme en defor-dre,on commenceroit à les attaquer des premiers. Com­me ils virent donc qu'on les approchoit, ils commencè­rent à faire de grands cris, & à dire quantité d'injures. Mais comme l'on fut à la portée d'une Amuebufe, les cinquante Canos s'arrefterent, & attendirent les autres qui venoient en fort bon ordre , & bien garnis de pa­vois 6c de boucliers. Les deux armées eftant donc en veuë l'une de l'autre & preftes à livrer le combat, Dieu voulut qu'il vinft un vent de terre qui fouf lan poupe des brigantins, qui fut fi favorable que cela parut com­me un Miracle 5 6c ayant rendu grâce à Dieu, Cortés dit à fes gens qu'ils priffent garde comme Dieu les favori-foit, & quils fe ferviffent de l'occasion. Auffi-toft après ils partirent à rames 6c à voiles 6c allèrent fondre fur les Ennemis, qui ayant le vent contraire , commencèrent par le defordre & à fe fauver par la fuite fi confufé-ment,que plufieurs Canos renverferent 6c furent cou­lez à fond. Il y en eut quantité de tuez & de noyez, & les Caftillans favorifez du vent leur baillèrent la chaffe plus de trois lieues durant , jufques dans les rues de Me­xique. Il fut pris en cette défaite plufieufs Gentilshom­mes, & autres gens, parce que cette multitude de Ca­nos s'incommodoient les uns les autres par la trop gran­de précipitation dont ils ufoient pour fe fauver, ce qui les faifoit trébucher ainfi. D e forte donc que par le gain de cette victoire, Cortés demeura maiftre du Lac.

Cependant que tout cela fe paffoit ainfi, Chriftofle d'Olid qui eftoit avec l'armée de Çuyoacan , en ordre de

K

1521

Bataille Navale entre les bri­gant ins & les Canos .

Cortes demeu­re maiftre du Lac.

Chriftofle d 'O-lid entre par la chauffée en, combatan t .

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7 4 H I S T O I R E combat, qui épioit ce qui fe paffoit dans le lac,& ayant reconnu que Cortés avoit emporté la victoire , entra par la chauffée,combatit contre les Mexiquains 5 prit leurs tranchées ; leur prit plufieurs ponts ; & à la faveur des brigantins qui eftoient venus tout proche de la chauffée , les Tlafcalteques baillèrent la chaffe aux En­nemis ; ils en prirent plufieurs, en tuèrent quantité ; & les autres pour ne vouloir pas fubir la loy du vain­queur , fe jettoient dans le lac de l'autre cofté de la chauffée , par où. les brigantins ne pouvoient pas alleri de fuivirent cette victoire plus d'une lieuë. Apres que les Canos fe furent retirez dans les maifons de Mexique, Cortés fauta à terre avec trente hommes pour s'aller faifir de quelques Tours où les Mexiquains tenoient des Idoles, & dont l'enceinte eftoit baffe, & baftie de pier­re , de à ciment, de quoy qu'elles furent deffenduës par les ennemis, elles ne laifferent pas d'eftre prifes. Cor­tés y fît mettre trois pièces de canon , qu'il fît fortir des brigantins ; Et comme la demy-lieuë qu'il y a depuis la chauffée jufques à la ville eftoit pleine de gens, de de chaque collé quantité de canos, il rit pointer une pièce de canon , & la fît tirer tout au travers qui en tua quan­tité , parce qu'ils y eftoient en confufion. Ainfi ils fe retirèrent tous pour quelque-temps. Mais par malheur le feu fe mit à la poudre par la négligence d'un cano-nier , & il falut envoyer en diligence un brigantin à Yztapalapa, d'où il y avoit deux lieuës pour avoir d'au­tre poudre.Cependant Cortés ne jugeant pas à propos de quitter ce pofte, qu'il avoit fi heureufement gagné ; il re-folutd'y demeurer,& d'envoyer quérir des gens dans les armées de Sandoval, de de Chrifiofle d'Olid , de tenir proche delà les brigantins. D'autre cofté les Mexiquains s'imaginant que les Caftillans feraient fatiguez des tra­vaux paffez, qu'ils feroient endormis, de dans la négli­gence, jugèrent qu'il feroit à propos de les attaquer fur le minuit 5 ce qu'ils firent, quoy que contre leur cou-flume. Ils fortirent donc à grand nombre le long de la chauffée de dans des Canos ; mais comme ces gens ne fai-

1521.

Cortés faute à terre & gagne queiques Tours .

Il refout de ne point quitter ce pofte.

L 'on combat de nuit dans la chauffée.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S Liv. I. 75 foient rien qu'ils ne le donnaient à connoiftre par leurs braillemens, Se que Cortés eftoit toufiours aux aguets, ils furent auffi-toft découverts Se battus par les Canons des brigantins, par les Arquebufiers Se les Arbaleftriers. Car comme ils eftoient grand nombre, l'on ne tiroit coup qui ne portail: , au contraire de leurs flèches qui leur eftoient inutiles , parce qu'elles n'atteignoient pas au milieu de toutes ces arquebuzades & des arbaleftes qui tiroient inceffamment & de forte que comme ils virent que la place n'eftoit pas tenable, ils fe retirèrent. Alon-fed'Avila & Martin Lopez firent des merveilles en ce rencontre.

Le jour eftant venu, il fortit de Mexique un nombre incroyable de gens, pour tafeher de reprendre la chauf­fée ; mais foit du cofté de l'eau par les brigantins, ou tous enfemble avec le fecours qui eftoit arrivé à Cortés, de Cuyoacan, on les ferra de fi prés que l'on les recoigna dans les premières maifons de Mexique.

Il y en fut tué quanti té , & l'on gagna les ponts qu'ils avoient fortifiez extrêmement. Et parce que de l'autre cofté de la chauffée , où les brigantins ne pouvoient pas aller, les Indiens incommodoient fort , jettant des pierres, des baftons & des flèches, Cortés la fit rom­pre , Se y fit paffer quatre brigantins, & par ce moyen-là les deux coftez de la chauffée furent defFendus ; Si bien que delà en avant les brigantins bailloient la chaffe aux Canos, & entroient jufques dans la Ville, mettant le feu à quelques maifons, puis fe retiroient. Il y a une autre chauffée qui dure une lieu.- Se demie , qui com­mence depuis la terre ferme d'yztapalapa, jufques à Cuyoacan, Gonçale de Sandoval entra dedans avec tou­te fon armée, Se à un quart de lieuë delà il arriva à une petite ville, qui eftoit auffi fituée dans le l ac , où ils firent refiftance. Il les batti t , les vainquit, & brufla la ville ; & comme la chauffée eftoit rompuë, Cortés y envoya deux brigantins, avec lefquels ils firent un pont, Se pafferent ainfi. L'armée eftant arrivée à Cuyoacan, Sandoval alla voir Cor tés , & le trouva combatant ; Se

1521.

Cortés f a i t r onv p re la chauffée & fait palier des br igant ins de l 'autre cofté.

Les br igant ins entrent dans la ville & y font beaucoup de tort .

k ij

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1521

76 H I S T O I R E comme il voulut éftre de la partie , il receut un coup de baguette bruflée par le bout , qui luy traverfa le pied, Mais nonobftant tout cela les Ennemis furent contraints de fe retirer, pour l'incommodité qu'ils recevoient de l'artillerie , des & coupetes, de des arbaleftes & cepen­dant l'on combatit fix jours durant de la forte, fans au­cun relafche ; de les brigantins portant le feu par tout où ils pouvoient dans les maifons, ils trouvèrent un canal qui tournoit tout autour de la Ville, & entrèrent par ce canal au milieu , où les Canos n'oloient entrer à plus d'un quart de lieuëde l'armée, parce que leur multitude failoit qu'ils s'épouvantoient d'eux-mefmes.

Pierre d'Alvarado donna avis à Cortes, que par le coflé de Tepeacquilla, par une chauifée qui va à de cer­taines peuplades de terre ferme, &par une autre peti­te qui eft tout proche , les Mexiquains entroient dans la Ville 6e en fortoient quand ils vouloient ; & de qu'il croyoit que fe voyant réduits à l'extrémité ils pouroient fortir par là ; Et quoy que Cortés fouhaitaft cela , afin de les pouvoir mieux dompter dans la campagne : il com­manda à Gonçale de Sandoval, quoy que bleffé , d'aller camper fon armée dans un village où l'une de ces deux chauffées aboutiffoit. Et Chriftofle Flores, de Hierofme Ruyz avec leurs brigantins, fe mirent dans une autre petite chauffée qui eftoit rompue en quelques endroits, entre Sandoval de Alvarado ; de forte que par ce moyen la ville de Mexique fut entièrement bloquée. En fuitte de cela Cortés refolut d'entrer dans la Ville; & de crain­te que les villes d'Ocholobufco, de Mexicalungo, de Cuyt-lanaCj&L de Mezguique, qui s'eftoient rebellées,ne luy donnaffent à dos, illaffa dix Cavaliers,avec dix mille Indiens alliez pour garder le paffage , de commanda à Pierre d'Alvarado qu'il attaquait auffi la ville tout d'un temps. Cortés entra donc dans la chauffée à pied à la tefte de fon armée, de rencontra auffi-toft après les en­nemis , qui deffendoient une brèche que l'on avoit faite à la chauffée , de qui eftoient fortifiez d'une tranchée. L'on y combatit un bon efpace de temps , parce que

Gonçale de Sandoval va fe n i e t t r e i un au­tre pofte pour ferrer de plus prés les Mexi­quains .

La ville de Me­xique eft entiè­rement blo­quée".

Cortés entre dans Mexique.

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.I . 7 7 les deffenfes eftoient fortes & bien faites 5 joint que les Indiens eftoient beaucoup, & combatoient comme des enragez 3 mais les Caftillans les ferrèrent de fi prés qu'ils gagnèrent ce pofte.

C H A P I T R E X V I I I .

Continuation du fiege de Mexique. Plufieurs villages fe viennent offrira Fernand Cortés.

FErnand Cortés continuant fon chemin le long de la chauffée, arriva à l'entrée de la ville, ou il y avoit

une Tour d'Idoles,tres-forte ; & au pied de cette T o u r un pont fort grand , eflevé fur une forte tranchée , & l'eau couroit deffous par impetuofité,& abondamment. Les gens qui deffendoient cepaffage eftoient enfi grand nombre , que la furie de l 'eau, les braillemens, la quan­tité de pierres, de flèches & de ballons qu'ils jettoient, tint quelque temps les Caftillans en fufpens, fçavoir s'ils l 'at taqueroient, ou non. Mais Cortés ordonna que les cuiraffiers chemineroient les premiers, & qu'après eux les arbalétriers & les arquebufiers divertiroient les In­diens , & que cependant que des deux collez les brigan-tins attaqueraient, l'on jettaft du monde pour gagner la tranchée ; ce qui fe fit heureufement & avec beau­coup moins de péril que l'on ne fe l'eftoit imaginé, car les ennemis abandonnèrent auffi toft la place, & fe fau-verent par la fuite. Cortés paffa l'eau avec fes Caftil-lans & Indiens qui faifoient plus de quatre-vingt mille hommes , lefquels eftancherent l'eau de ce pont avec des pierres & de la t e r re , à quoy Diego Hernandez, fcieur d 'aix, qui avoit travaillé à la fabrique des bri-gantins fervit beaucoup, & fit plus de befogne luy feul que mille Indiens ; parce qu'il eftoit fort diligent, & ex­trêmement fort ; & lors mefme qu'il jettoit une pierre de la groffeur d'une orange au milieu des ennemis, il affenoit fi bien fon coup qu'il renverfoit fon homme

K iij

1 5 2 1 .

Cortés Ce faifit d'un paffage fort impor t an t .

Les Caftillans eftanchent ma pont.

Grande force d'un Caftillan à jetter une p i e r -re.

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1521. Iles Caftillans pourfuivent leur encrée dans Me­xique .

78 H I S T O I R E comme fi c'euft efté d'un boulet de canon ; outre qu'il eftoit fort courageux. Les Caftillans gagnèrent encore une autre baricade plus avant, qui eftoit dans une rue fort large , & la principale de la vilie,laquelle pour n'e-ftre pas embaraffée d'eau en fut tant pluftoft prife. Ils continuèrent leur chemin plus avant dans la rue jufques à un autre pont que l'on avoit levé, excepte une pou­tre qui y reftoit encore, qu'ils ofterent après que quel­ques-uns furent paffez. Et comme ils avoient de l'autre cofté de l'eau une autre barricade de terre & de fange, l'on y fut plus de deux heures à combattre, chacun fe deffendant bien de part & d'autre. Les Caftillans furent mal-traitez dans ce pofte, à caufe des pierres & des ba-. fions qu'ils jettoient de deffus les terraffes. Cortés ordon­na qu'en s'approchant le plus prés que l'on pourroit, les arquebufiers & arbaléftriers, avec deux pièces d'ar­tillerie tiraffent inceffamment ; mais ils n'eurent pas fait cela un efpace de temps que les ennemis abandonnè­rent la deffenfe ; à caufe dequoy les Caftillans armez de ces jacquettes de cotton piquées, quoy que fort pefan-tes, fe jetterent dans l'eau; & le payèrent au péril de quantité de flèches que l'on tiroit fur eux. Comme les ennemis virent cette grande hardieffe, ils achevèrent d'abandonner ce pofte & les terrafles.Enfin l'armée paf-fa,& eftancha ce pont avec les matériaux de la barica-de ; & pafferent jufqu'à un autre pont,qui n'eftoit pas le­v é , ny qui n'avoit aucune barriçade, proche de l'une des plus principales places de la ville, & ils l'avoient laiffée ainfi parce qu'ils ne s'imaginoient pas que les Caftillans oferoient entrer fi avant. Trouvant cette occafion fi à propos, & que c'eftoit défia toute terre ferme, Cortés fit tirer une pièce de canon au milieu de la place ; & comme elle eftoit tellement pleine de Mexiquains, qu'à peine y pouvoient-ils tenir, on ne tiroit coup qu'il ne fift une grande efcarre ; mais nonobftant tout cela les Caftillans n'ofoient pas fe hafarder dans la place ; & pour cela Cor­tés leur dit qu'il n'eftoit pas encore temps de faire pa-roiftre leur laffitude ny leur lafeheté ; & tout d'un temps

Grande har dieffe des Ca-

Cortes a t taque le premier avec ] 'épée & le bou­clier.

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D E S I N D E S OCCIDENTALES, Liv. I . 7 9 il entra le premier dans la place, le bouclier en main, en invoquant faint Iacques.

Les Mexiquains ne pouvant fouffrir la furie des Ca-ftillans & des Indiens alliez, fe retirèrent dans le circuit du Temple,dont l'enceinte eftait baftie de pierre & de chaux, & c'eftoit une place qui pouvoit contenir qua­tre cens habitans ; mais ils l'abandonnèrent auffi & mon­tèrent au haut des Tours & dans d'autres lieux où ils te-noient bon. Mais comme les Mexiquains virent qu'il n'y avoit point de chevaux , ils retournèrent attaquer les Caftillans, & combatant avec beaucoup de valeur, ils les repoufferent jufques dans la place, qu'ils leur firent abandonner encore , & une pièce de canon, & les chaf-foient devant eux comme triomphant le long de la rue, par leur trop grande prefomption au mépris des Indiens. Mais il arriva trois Cavaliers qui d'une fougue précipi­tée entrèrent parmy les ennemis, & qui firent reprendre

que l'on venoit de perdre jufques dans la place & dans la court du Temple que l'on reprit, où il y eut quantité de Mexiquains de tuez , qui croyoient que les chevaux efloient autre chofe que ce n'eftoit. Et quoy qu'il fe fuft retiré trente Mexiquains dans une Tour où ils te-noient bon , & où il y avoit plus de cent degrez à mon­t e r , quatre Caftillans combattant vaillamment la pri­ren t , & tuèrent les defenfeurs. Mais s'il ne fuft venu fix autres chevaux, les Indiens euffent chaffé une fé­conde fois les Chreftiens de la ville. Cortés fit fonner la retraitte & ramaffer l 'armée, & fi les paffages n'enflent pas efté bien eftanchez, les Caftillans euffent efté mal-trai t tez, parce que les Mexiquains les chargeoient avec une grande furie, quoy que les chevaux diminuaffent beaucoup de leur ardeur à leur grand préjudice ; car les Cavaliers faifoient des caracoles de fois à autre. Cet­te retraitte reüffit allez bien,, quoy qu'il y en euft beau­coup de bleffez à coups de pierres qu'on leur jettoit de deffus les terrafles ; mais auffi ils mirent le feu à plufieurs maifons, afin que ceux qui eftoient dedans fongeaffent pluftoft à l'efteindre qu'à jetter des pierres. Dans ce

1521

Les Mexiquains re tournent fut les Caftillans, qui font en pé ­ril .

Les pierres que les Indiens jet­t en t de deffus les terraiîes in ­c o m m o d e n t fort les Caftil­lans.

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1521.

80 H I S T O I R E mefme temps les autres armées entrèrent auffi dans la ville, & combatirent beaucoup ; & quoy qu'elles fuffent efloignées les unes des autres de plus d'une lieuë & de­mie , tant cette ville eft grande , car elle s'eftendoit en­core autant de chaque cofté, il y avoit une fi grande multitude de monde qui accouraient de tous coftez,qu'il fembloit à voir que toutes les puiffances du monde envoi­ent en chaque partie.

Don Hernando, Seigneur de Tezcuco, reconnoiffant le bien qu'il avoit receu de Cortes,de luy avoir baillé une fi grande Seigneurie, nonobftant les pretenfions qu'il y avoit, délirant le recompenfer par la bonne volonté de fes fujets & de fept frères qu'il avoit, leur d i t , Que puis qu'ils fçavoient bien que les Me xiquains avoient toufiours efté des Tyrans, s'ils avoient quelque affetion pour luy , ils ne luy convoient faire un plus grand plaifir que d'embraffer le party de cette guerre en faveur de l'invincible Cortès, puis qu'il fembloit que fin Dieu le favorifoit tant que de lavoir envoyé de fi loin pour chaftier les Tyrans, & pour les vanger, eux, des torts qu'ils en avoient receus ; Et qu'ainfi il croyoit que ceux qui n'auraient pas fecouru Cortès en feroient mal­traite, & qu'au contraire ceux qui l'auraient favorisé, en re­cevraient des faveurs ; Et fe tournant vers yztlixuchtl, le plus aifné de fes freres,luy dit ; Vous ferez le General de cette armée, & la dèpartirez entre vos frères, puis que vous efies défia expérimenté dans le méfier de la guerre, & faites en forte que Cortès & les Mexiquains Cachent jufqu'où fe peut eftendre la valeur & le pouvoir de ceux de Tezcuco. Ce frère qui eftoit âgé de vingt-fix ans, luy fit réponfe, en luy baifant les mains pour la faveur qu'il leur faifoit à tous, qu'ils s'offraient de le fervir, de cœur & d'affection. Il fortit donc de Tezcuco avec une armée de cinquante mille hommes. Il en prit trente mille & s'alla joindre avec Cortés, & diftribua les autres vingt mille dans les deux autres armées. Cet Vztlixuchtl fut fort vaillant. Il fe fit baptifer après, & fe fit auffi appeller Don Hernando,

CHAP,

Le Seignear de Tezcuco veut fiscourit Cartes.

Yztlizuchtl va trouver Cortés avec c inquante mille h o m m e .

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I . 81

C H A P I T R E X V .

Des diverfes entrées que Cortés faifoit dans Mexique , & du grand nombre de gens qu'il avoit dans fon armée.

OVtre le fecours dont nous venons de parler, qui vint fort à propos, & qui donna bien de la peine

aux Mexiquains par leur exemple ; il y en vint encore un autre de Suchimilcho, ville fituée fur le Lac à quatre lieues de Mexique, & de certains villages Otomies, qui font gens de montagnes, avec plus de vingt mille hom­mes & quantité de vivres. Cortés confiderant que les brigantins avoient tellement épouvanté les Canos, que pas un n'ofoit paroiftre fur le L a c , & qu'il fuffifoit d'en retenir fept auprès de luy, & en envoyer trois à Sando-val , & les autres trois à Alvarado ; parce que défia l'ar­mée de Chriftofle d'Olid s'eftoit jointe avec Cortés. Ces brigantins furent fort neceffaires en ces endroits-là, parce qu'ils faifoient grand butin fur les Canos qui en­troient dans la ville pour y porter des vivres ; ce qui ex-citoit encore davantage les armées. Les gens de guerre des alliez eftant arrivez , Cortés difpofa & prépara les Caftillans auffi bien que les Indiens pour battre la ville de Mexique tout de bon , & leur dit que dans deux jours il avoit deffein de commencer. Le troifiéme jour dés le matin, après avoir oüy Meffe, il fortit des quartiers avec vingt chevaux , trois cent Caftillans, & grand nombre d'Indiens alliez, & trois pièces d'artillerie. Il rencontra les ennemis à trois traits d'arbalefte qui l 'attendoient, & qui receurent les Chreftiens avec de grands cris, & des gaufferies, fe fiant en leur multitude, & aux fortifica­tions qu'ils avoient faites pendant ces trois jours , quoy qu'ils ne fe parffèrent pas fans efcarmouches. L'on com­batif de tous collez , & les brigantins des deux collez de la chauffée incommodoient fort les ennemis. L'artil­lerie faifoit de grands effets, parce que comme les In-

1 5 2 1 .

Ceux de Suchi­milcho , & au. très vont fecou-rir Corccs.

Olid fe joint avec Contés,

Autre entrée de Cortés dans Mexique.

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1521 Il entre dans la ville en c o m -batant.

82 H I S T O I R E diens eftoient en grand nombre tous les coups portoient, 6c ainfil ils commencèrent à s'affoiblir, ce qui donna lieu de prendre le Fort , & l'on paffa outre en fuivant la vi­ctoire jufques à un autre pont 6c des retranchemens,que l'on prit , & plufieurs autres. En fuitte dequoy on arri­va dans une place, & Cortés ne voulut pas palier outre que l'on n'euft eftanché les canaux, afin que les paffa-ges fuffent libres en cas de retraite ; Et quoy qu'il y fuit employé plus de dix mille Indiens, ils y trouvèrent de l'employ jufques aux Vefpres ; pendant lequel temps les Caftillans & les autres Indiens combatoient, & fai-foient grand progrés contre les Ennemis,& les chevaux qui en mettoient par terre quantité. Les Mexiquains cependant fe confiant en leurs terraffes y faifoient tout du pis qu'ils pouvoient ; mais le General Teéçucano dit à Cortés que tout ce qu'il faifoit luy ferviroit de peu , fi à mefure qu'il prenoit de ces terraffes il ne les démolif-foit. Il refolut donc de fuivre ce confeil,quoy que con­tre fa volonté, parce qu'il n'en vouloit pas toufiours ve­nir aux extremitez, croyant les gagner en repouffant la force par la force. Il lit mettre le feu à de grands Pa­lais dans cette place où il eftoit. L'on brufla auffi la maifon desoyfeaux de Montezume, qui eftoit très bel­l e , & plufieurs autres chofes dont ils eurent un grand reiffentiment ; parce qu'ils ne fe fuffent jamais imaginé félon les fortereffes de la ville, que les forces humaines puffent pénétrer fi avant. Comme il fe faifoit défia tard, Cortés ordonna que l'armée fe retirait ; & ce fut alors une chofe admirable de voir de quelle façon les Mexi­quains alloient à la charge ; ils combattoient comme des enragez,à caufe des incendies que les Caftillans avoient faites des plus beaux Palais de leur Ville ; pour la mort d'un fi grand nombre des leurs; de voir ceux de Chalco, de Suchimilco, des Otomies, & d'autres lieux encore, qu'ils avoient tenus pour efclaves, combatre contr'eux, ce qu'ils tenoient pour un grand affront. Ils eftoient en­core en colère d'entendre les Tlafcalteques, qui leur montraient les bras & les jambes de leurs morts , leur

Cortés fait Bru-fiet des Palais,& autres maifons à caufe des ter-raffes

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.I . 8 3

difant qu'ils en fouperoient cette nuit, Se en déjeune-roient le lendemain ; ce qu'ils firent en effet. L'armée acheva de fe retirer fans qu'il manquait un feul Caftil-lan , mais il y demeura quelques Indiens. Alvarado & Sandoval combatirent auffi cette journée, & fort à pro­pos pour faire diverfion ; parce que fi toutes les forces de Mexique euffent combattu en un feul endroit, elles euffent efté invincibles ; & en cela Cortés fit voir fa gran­de prudence & prévoyance, qui luy eftoient ordinaires en tout ce qu'il entreprenoit, & ainf i il eftoit fort peu fouvent trompé.

Le lendemain Cortés fuivit le mefme o rd re , dans le mefme l ieu, & avec les mefmes gens que le jour précè­dent contre les Ennemis: & quoy qu'il fe fuit, levé de grand matin, de crainte qu'ils n'euffent fortifié ce qu'il avoit pris le jour de devant ; les réparations eftoient défia faites, & plus fortes que devant , & l'on comba-tit ce jour-là avec plus de péril que l'on n'avoit point encore fait. L'on fut jufques à deux heures de relevée à prendre feulement deux ponts , & deux tranchées, parce que pour en prendre une feule il falloit que les Caftillans fe miffent à nage ; & s'ils n'euffent efté favo-rifez des brigantins, tous leurs travaux n'euffent de rien fervy, ny avec les brigantins non plus, s'ils n'euffent au­paravant bruflé les maifons à caufe des terraffes. Cortés fe ret i ra , chargé par les Ennemis, & Alvarado & San­doval de leur cofté firent des merveilles,& blafmerent Cortés de tant de retraites, beaucoup fouhaitant qu'il euft gardé ce qu'il avoit pris, pour éviter de n'y pas re­venir fi fouvent. Mais il leur fit refponfe qu'il n'avoit pas affez de forces pour fouftenir contre les ennemis,, & qu'il fe mettoit dans des périls manifeftes, puis qu'eftant dans la ville comme il eftoit, il combattoit contre eux à tou­te heure : Outre qu'il ne pourroit pas empefcher les vi­vres d'entrer dans la ville, comme il faifoit au lieu où il eftoit. Iufques à ce temps ceux d'yztapalapa , d'Ocholo-éufiûjde Mexicalcingo, de Mezguique , de Cuitlabaca, & les Habitans d'autres villages qui eftoient fur le lac

L ij

1521 L 'armée de cortés

Ce retire.

Cortés qui t te ce qu'il avoir puis, & pourquoy.

Cinq villes s'o-frent à Cor tés .

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1521.

84 H I S T O I R E doux, avoient toufiours efté neutres ; & voyant que les affaires des Chreftiens profperoient , ils envoyèrent des Meffagers pour faire offre de leur fervice à Cortés. Il les receut fort bien , & leur dit qu'ils envoyaient leurs Canos bien armez pour accompagner les brigantins,6c qu'ils miffent dedans des matériaux pour faire des cafe-mates 6c mettre à l'abry les foldats dans les quartiers. Les uns 6c les autres le firent tres-volontiers, & en peu de temps. 11 y avoit aux deux collez de la chauffée des diftances de quatre traits d'arbalefte où eftoient les Ca­ftillans avec plus de deux mille Indiens de fervice ; par­ce que les autres qui eftoient plus de deux cent mille, fe retiraient dans Cuyoacan à une lieuë 6c demie du camp. Ils apportèrent auffi des vivres qui firent grand bien ; car la principale chofe dont ufoiet les Caftillans eftoient des cerifes, y en ayant beaucoup en ces quartiers , & qui duraient bien plus long-temps que celles de Caftille. Ils ne fe raffafierent pas de poiffon, car il dura fort peu ; 6c outre la faim qu'ils enduraient , outre les combats qu'il failoit faire ,le Soleil & le froid les incommodoient encore beaucoup. Cortés voyant que la quantité de morts des Mexiquains, & le travail de la faim qu'ils en­duraient , ne les attirait pas à la paix , refolut de ne paffer aucun jour fans les combattre. Et pour cet effet il ordonna que quatre brigantins avec la moitié des ca­nos, dont il y en avoit bien quinze cent, paffaffent d'un cofté , & qu'avec l'autre moitié , les autres paffaffent de l'autre cofté, courant autour de la ville, mettant le feu pa r tou t , 6c faire tous les degats poffibles. Il entra luy-melme dans la principale ruë qu'il trouva fans obftacle ; puis il paffa dans celle qui conduit vers Tacuba, où il y avoit quelques ponts. Il commanda à Alonfe d'Avila d'entrer dans l'autre rue avec foixante & dix Caftillans, & que fix Cavaliers cheminaient en queuë pour les ef-corter , & qu'il menaft avec luy douze mille Indiens. Il envoya André Tapia dans une autre rue , & avec les gens qui luy reftoient il fuivit dans celle de Tacuba. Il prit trois ponts 6c les eflancha , puis s'en retourna au

Cortés avoit deux cent mille Indiens devant Mexique.

Cortés fait divi-fer les brigan­tins en deux bar

Autre entrée de Cortés dans Mexique.

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1521.

DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I . 85 quartier. Le lendemain Cortés rentra dans la ville , à deffein de fe faifir de toute la rue de Tacuba pour fe pouvoir communiquer avec l'armée d'Alvarado 5 mais les Mexiquains fe retirèrent ce jour-là dans le fond de la ville, de telle forte qu'il fembloit aux Caftillans qu'ils tenoient défia les trois quarts de la ville en leur poffef-fion. Alvarado & Sandoval de leur part firent auffi des merveilles ; ils gagnèrent plufieurs ponts avec peu de perte; fi bien que cette journée fe paffa fi heureufement que Cortés s'imaginoit que les Mexiquains eftoient fur le point de traiter de paix , ce qu'il procuroit par toutes fortes de moyens, en envoyant des Meffagers à Quoti-mac pour cet effet , & faifant d'autres diligences, pour tafcher de les y attirer tous.

C H A P I T R E X X .

D'une difgrace qui arriva à Cortés, & des grandes rêjouyffances que les Mexiquains firent, de

la retraitte des Caftillans.

P ierre d'Alvarado s'imaginant que toutes chofes luy dévoient fucceder avec profperité , négligea d'e-

ftancher les canaux, & les ponts qu'il prenoit , ce que Cortés fur tout luy avoit enchargé ; il refolut de palier avec fon armée au bout de la chauffée qui va rendre au marché de Mexique , qui eft une place fort grande, tou-te entourée de portiques, & il ne manquoit plus pour y arriver qu'à fe rendre maiftre de deux ponts fort lar­ges & périlleux. Il refolut de prendre le premier, qui contenoit plus de foixante pas de largeur & plus de dou­ze pieds de profondeur, il le paffa néanmoins non fans grande difficulté, & commanda de l'eftancher mais de-fireux d'emporter la victoire, il ne prit pas garde files chofes fe faifoient de la bonne forte, & comme il con-venoit. Car comme les Mexiquains virent que les Ca­ftillans n'eftoient pas plus de cinquante avec quelques

Cortes procure la paix.

Négl igence d'Alvarado pas t rop de confian­ce.

L iij

Page 110: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1 5 2 1 .

86 H I S T O I R E Tlafcalteques, & qu'il y avoit deux Cavaliers à l'au­tre bord qui ne pouvoient paffer ; ils vinrent fondre fur eux avec tant de. furie , qu'ils leur firent prendre la fui­te , Se furent contraints de fe jetter dans l'eau pour fe fauver. Ils prirent quatre Caftillans , qu'ils facrifierent en la prefence d 'Alvarado, lefquels moururent avec des paroles de véritables Chreftiens, quoy qu'ils n'eu­rent pas le temps d'en dire beaucoup, parce qu'ils leur arrachèrent le cœur encore tout vivant. Cortés eut un grand reffentiment de cette difgrace, & de la fuperbe dont les Mexiquains uferent en ce rencontre ; parce qu'ils s'approchoient des Caftillans en les bernant & fe gauffant d 'eux, & leur difoient ; Ay Santa Malia , com-mandez Capitaine, apportez icy vos fouliers. Il reprimen-da modeftement Pierre d'Alvarado d'avoir fi mal foig-né à faire eftancher ce pont, luy difant qu'il devoit y avoir l'œil avant que de pafter plus outre, fans en com­mettre d'autres ; veû qu'il le luy avoit tant de fois en-chargé. L'on combatit encore quelques jours affez heu-reufement dans la ville, & en faifant la retraitte fans perte. Mais cette dernière a&ion donna fujet à Iulien d'Alderete, Treforier du Roy , & à d'autres encore d'importuner Cortés de gagner la marché,veû qu'il s'e-ftoit défia paffé vingt jours continuels à toufiours com­battre , fans que cela avançait de quelque chofe, & qu'il luy fembloit que par ce moyen la guerre fe pourroit pluftoft achever. Or afin que l'on ne dift point que Cor­tés fuft d'un autre fentiment, il leur dit ; Qu'ils priffent bien garde à ce qu'ils difoient , & que fi l'on faifoit ce qu'ils propofoient, il fe falloit refoudre à bien jouër des coufteaux. Alderete repartit , Qu'ils y avoient tous avisé, & qu'ils aimoient mieux fe mettre dans quelque péril que ce fuft, que de combattre fi fouvent fans aucun profit. Enfin Cortés ne voulut pas eftre feul de fon opinion. Il en donna avis à Alvarado & à Sandoval, Se luy manda qu'il vinft par le chemin de Tacuba, avec dix Cavaliers, cent fantaffins, quinze Arbaleftriers Se Arquebufiers, au quartier d'Al­varado ; & qu'il laiffaft dans le lien autres dix Cavaliers

Les Mexiquains sacrifient quatre Caftillans.

Ord re de Cortés p o u r combattre la ville.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 87 avec ordre de fe mettre en embufcade derrière de cer­taines maifons , & faire femblant d'abandonner le quar­tier, & de fuir avec le bagage , pour donner fujet aux Mexiquains de courir après e u x , & que cependant les Cavaliers qui feroient en embufcade les chargeroient à dos. Et qu'avec les brigantins l'on gagnaft ce mauvais paffage où Alvarado avoit efté mis en déroute ; que l'on l'eftanchaft, & qu'ils paffaffent adroitement plus avant en eftanchant les pallages ; & que s'ils pouvoient fans pé­ril,ils fe rendirent maiftres du marché ; le tout à con­dition qu'ils en puffent venir à bout fans courir rifque d'eftre repouffez, & eftre contraints de prendre la fui­te.Et parce que ceux-là dévoient combattre d'un cofté, 6c luy en pîuileurs, il leur envoya demander quatre-vingt fantaffins Caftillans,

Le lendemain Cortés ordonna que les brigantins con-duififîent les trois mille canos par les chauffées. Il di-vifa fes gens en trois corps, parce qu'il y avoit trois rues pour arrivera la place appellée Tlateluico Il commanda au Treforier Alderete, & au Controlleur d'entrer dans l'une avec foixante-&-dix Caftillans , vingt-mille In­diens , huit chevaux, & quantité de pionniers pour apla­nir les ponts, pour eftancher les canaux 6c pour démolir les maifons. Pour la féconde rue il ordonna à André de Tapia,& George d'Alvarado d'y ent rer , avec quatre vingt Caftillans, dix mille Indiens, 6c huit chevaux 5 6c à l'embouchure de cette rue, qui eftoit celle de Tacuba il y devoit avoir dix pièces d'artillerie pour l'affurer. E t Cortés devoit aller par l 'autre rue qui eftoit étroite, avec cent fantaffins, huit Cavaliers. Parmy les gens de pied il y avoit vingt-cinq tant Arbaleftriers qu'Arquebufiers, 6c une infinité d'Indiens alliez ; Et les Cavaliers eftoient advertis qu'ils dévoient s'arrefter à l'embouchure de la rue , & de ne le pas fuivre jufqu'à ce qu'il leur mandaft. Cortés e f tant entré dans la ruë affez avant fans trouver de refiftance, defcendit de cheval, prit un bouclier, & attaqua un pont & une tranchée. Il y combatit un bon efpace de temps, encourageant les foldats, & ordonnant

1521,

Cortes c o m b a t de fa perfonne.

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1521. 88 H I S T O I R E à chacun ce qu'il devoit faire. L'ayant gaigné il paffa outre par une chauffée, rompue en trois endroits, & tous fortifiez : mais les Ennemis n'y refifterent pas long­temps , parce que comme il y avoit grand nombre d'In­diens alliez , ils entroient dans les terraffes & autres lieux. Les Indiens alliez entrèrent plus avant dans la ruë, fans trouver de refiftance ; & Cortés demeura dans une Iflete qui fe formoit-là, avec vingt Caftillans, par­ce qu'il apperçeut que les Indiens combattoient contre quelques Caftillans ; & les chargeoient tellement qu'ils eftoient contraints quelques fois d'entrer dans l'eau , & par le moyen de fon fecours il leur fit reprendre de nou­velles forces. Il s'y arrefta encore, de crainte qu'ils ne fuiviffent les fiens en queuë par de certaines rues qu'ils laiffoient derrière Se qui venoient à la traverfe dans celle-là. Dans ce mefme-temps Iulien d'Alderete en­voya dire à Cortés qu'il eftoit proche de la place, parce qu'il entendoit les cris que les Mexiquains faifoient, à caufe qu'Alvarado & Sandoval y vouloient entrer. Il luy envoya dire qu'il ne paffaft pas outre, de quelque façon que ce fuft, que premièrement les ponts 6e les canaux ne fuffent en bon eftat, Se en feureté, au cas qu'il falluft faire retraite, parce que delà dépendoit le bien ou le mal de cette entreprife. Alderete luy fit fça-voir , que tout eftoit en bon eftat, & que pour plus gran­de affurance de fon dire, s'il vouloit prendre la peine de le venir voir,il trouveroit qu'il difoit vérité. Il arri­va incontinent après, qu'ayant pris un pont de douze pas de large fur douze pieds de profondeur, il fembloit qu'il eftoit bien eftanché avec du bois 6c des cannes de ro-feaux, & peu de terre par deffus, fi bien que les Ca­ftillans y pafferent fans aucune difficulté, confiderant pluftoft la Victoire que la feureté du paffage qu'ils ve­noient de quitter. Mais les Mexiquains qui reconnu­rent cela, profitant de leur négligence, chargèrent fi fortement fur eux,qu'ils les firent reculer. Cortés arri-va-là comme ils fuyoient, mais fes paroles, ny le cou-rage qu'il leur donnoit ne les put jamais arrefter. Ils fe

jetterent

Prudence de Contés a donne) les ordres.

Les Caftillans prennent la fuitte.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv-I. 8 9 jetterent tout pefle-mefle , Caftillans & Indiens , au paffage du pont , qui vint à fondre fous eux , fans qu'il parait que l'on y euft rien mis. Les Mexiquains fe jet-terent après eux dans l 'eau, en pourfuivant les fuyars d'un cofté , & de l'autre il y arriva une infinité de canos qui prenoient les Caftillans & les Tlafcalteques tout en vie, & les enlevoient ainfi fans aucune efperance de fe-cours. Ils tendoient les mains à ceux qui s'approchoient pour les tirer de l 'eau, les uns blefféz, les autres à demy noyez, qui en fortant expiroient. D'autres formant de pitoyables plaintes, demandoient d'eftre fecourus. Cor­tès adverty de cela , qui n'avoit pas plus de quinze Ca­ftillans autour de luy, fut entoure de grand nombre de Mexiquains qui vinrent là dans des canos, & qui le char­gèrent de telle forte qu'ils le faifirent au corps , criant Melinche, Melinche ; Et en effet ils l'auroient ammené , fi François d'Olea fon ferviteur par une merveilleufe ad-dreffe n'euft donné un coup d'eftramaçon dont il cou­pa la main de celuy qui tenoit fon Maiftre ; & neant-moins les Mexiquains chargeoient de tous coftez ,& de telle forte qu'ils tuèrent Olea en prefence de fon Mai­ftre , qui fut une mort glorieufe pour une telle caufe. Le fécond qui fecourut Cortés fut un Tlafcaheque appel-lé Tamaxant zin, natif du village de Gueymlipan, de la Province de Tlafcala, lequel fe mit entre Cortés en luy tournant le dos , & l'eftomach contre les Mexiquains, combatant contr'eux. Celuy- cy fe fit baptifer, & fut bon Chreftien,& le premier qui receut le Sacrement de l'Ex-treme-Ondion dans cette terre.

Dans ce mefme inftant, Antoine de Quinones , Ca­pitaine de la Garde de Cortés arriva fort à propos, qui le tira par le bras d'entre les Ennemis ; & comme le bruit couroit défia qu'il eftoit prifonnier, & que cela fut di­vulgué,quantité de Caftillans accoururent de tous co­ftez. Vn Cavalier fit faire place, mais il receut auffi-toft un coup de pique à la gorge qui luy fit tourner le dos. L'on amena un cheval à Cortés, mais au mefme temps qu'il le montoit ils tuèrent Guzman fon valet de Cham-

M

1521.

Cortés eft en grand péril,

Il eft fecoum par fon ferviteur & un Tlafcalte-que.

Antoine de Qui -nones tire Co t ­tes de péri l .

Le valet de Chambre de

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1521. Cortés eft tué en luy donnant un cheval.

90 H I S T O I R E bre. Certes ramaffa les gens , & entra dans la rue de Tlacopan, qui eft large, mais il y eut fort à faire dans le détroit d'un paffage d'une petite chauffée , où il y avoit un cas de fange, & cela les embarraffoit les uns & les au­tres pour palier, car ils paffoient en foule, qui fut cau-ie que deux cavales tombèrent dans l'eau, dont l'une fut tuée par les Mexiquains, & l'autre fe fauva. Ce­pendant que ces chofes fe paffoient ainfi , ceux qui eftoient avec Alderete combatoient à une tranchée, Se on leur jetta d'une feneftre trois telles de Caftillans ; Se ceux qui les jetterent leur dirent, que fi l'on ne levoit le fiege ils en feroient autant de tous ceux qui reftoient ; Se ayant appris ce qui eftoit arrivé à Cortés, ils refolu-rent de fe retirer , quoy qu'avec beaucoup de péril. D'ailleurs, Alvarado & Sandoval alloient combattant du collé du Nord , avec beaucoup de péril , dans une rue qui va de Tacuba à Tlatelulco. Et d'autant que les canos des Mexiquains qui eftoient en grand nombre les incommodoient fort, ils s'aviferent de palier le brigan-tin de Pierre de Briones par une rupture de la chauffée dont le paffage eftoit prefque bouché ; & néanmoins comme il y avoit quantité d'Indiens alliez, ils l'enlève-rent à force de bras. Delà ils allèrent combatant juf­ques proche du marché fort heureufement, fans perte d'aucun Caftilian. Ils s'arrefterent là jufques à ce qu'ils virent le facrifice des Caftillans,& jufques à ce qu'il leur vint deux Cavaliers de la part de Cortés pour leur don­ner avis de la difgrace qui luy eftoit arrivée, afin qu'ils le retiraffent. Les Indiens alliez qui l'entendirent , & qui dévoient repaffer le brigantin du cofté d'où on l'a-voit tiré, l'abandonnèrent ; & les Mexiquains après que Cortés le fut retiré Se les autres , fe jetterent tous fur Alvarado & Sandoval, de telle forte que l'on ne trouva point d'autre remede, & qu'il fallut que Sandoval courût avec les Cavaliers dans l'efpace qu'il y avoit entre le brigantin Se la Ville ; mais il fut fort incommode des pierres & des ballons qu'on luy jettoit , & il entretint néanmoins, ainfi les Mexiquains jufques à ce que la nuit

Ioarnée mal -heureufe pour

Ils paffent vn brigantin a for­ce de bras de l'autre cofté de la chauffée.

Les Mexîquains incommodent fort Alvarado & Sandoval.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 91 eftant venue, les feuls Caftillans repafferent le brigan-tin. Les autres deux brigantins allèrent cette journée-Là enfémble , & entrèrent jufques au Temple , où eft maintenant le Monaftere de S. François ; & le Capitai­ne Flores pour s'eftre avancé davantage pafta avec fon brigantin dans une rue étroite, laiffant lerriere luy le Capitaine Mota avec le fien dans une petite place d'eau, où ils demeurèrent jufques à trois heures de relevée, qui fut caufe qu'ils virent le facrifice des Caftillans, & qu'on jetta dans le brigantin de Flores un haut de chauf­fes & un pourpoint, & vinrent vers luy à coups de pier­r e s , de ballons, & d'autres chofes, de telle forte qu'e-ftant contraint de fe retirer honteufement, il alla don­ner dans un lieu plein de rofeaux , ou il fut accablé d'une infinité de Mexiquains, qui ne l'efpargnerent pas. Mais comme il voulut fécourir Mota , il aborda contre les Ennemis avec fon brigantin, & mit pied à t e r r e , & avança vers eux , fuivy de quelques Caftillans,qui com­battirent il vaillamment qu'ils les écartèrent ; & ainfi les brigantins eurent le temps de fe retirer en feureté. Alderete commença donc à fe retirer ; ce que rirent André de Tapia & George d'Alvarado, parce que Cor­tés leur avoit mandé qu'ils le fiffent ainfi, & de bonne forte ; car s'ils ne l'euffent fait,ils euffent couru rifque de fe pe rd re , à caufe de la trop grande quantité d'En­nemis qui combattoient courageufement 6c par une ob-ftination intrépide. Cortés arriva à fon quartier fort mé­lancolique, reconnoiffant que cette difgrace venoit de la part de Dieu , veû qu'ayant paffe fi avant , l'on n'a-voit pas pu prendre le marché ce jour-là. Le bruit cou­rut que l'on avoit perdu les brigantins, mais l'on apprit incontinent après que cela n'eftoit pas véritable. Il fut perdu cette journée-là trente-cinq ou quarante Caftil­lans , que les Mexiquains prirent, les uns en vie, les au­tres morts. L'on y perdit une pièce d'artillerie , & mil­le Indiens alliez. Les Preftres du Temple pour celebrer la victoire , allumèrent quantité de brafiers dans les tours, & y bruflerent dedans quantité d'animé. Ils fa-

M ij

1521,

Deux brigan t ins combaten va i l l amment .

De la perte que les Caftillans fi­rent cette jour née .

Page 116: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1 5 2 1 .

92 H I S T O I R E crifierent les Caftillans Se morts., Se vi vans , à la veuë des Chreftiens comme nous l'avons défia dit cy-devant,avec une incroyable compaffion de ne les pouvoir fecourir, Car quoy que l 'on ne les vift pas partir,on entendoit les voix plaintives des mourans, lors qu'ils leur arrachoient les entrailles des douleurs qu'ils fouffroient par une fi grande cruauté. Cortés fut bleffé à une jambe , & il y eut auffi trente Caftillans de bleffez. L'on y perdit qua­tre chevaux & plufieurs barques. Chriftofle Flores mou­rut des bleifures qu'il avoit receuës au bout de huit jours. La réjouiffance des Mexiquains dura toute la nuit à caufe de cette victoire, avec des tambours, des cor­nets , des clairons, & autres inftrumens de Mufique Me-xiquaine , & firent quantité de feux,chantant, danfant, & s'animant dans leurs chanfons. Ils rendirent grâces à leurs Dieux pour la victoire , leur demandant faveur pour l'avenir. Ils ouvrirent les ponts,& les rués, comme ils avoient fait par le paffé, & mirent des fentinelles pro­che des armées.

C H A P I T R E X X I .

De quelques Provinces qui fe rebellèrent contre Cottes, & des incidens dignes de remarque, qui arrivèrent

en cette guerre.

A Près cette deffaite les Mexiquains ne furent pas negligens à envoyer des Meffagers par toutes les

Provinces qui leur eftoient fujettes, pour leur donner avis de la victoire qu'ils venoient de gagner,& pour té­moignage de cette verité ils envoyèrent par les mefmes hommes deux teftes de chevaux, & deux autres de Ca­ftillans, en l'exaltant beaucoup , &leur mandoient auffi que dans peu de temps ils les vaincraient tous. Et ils perfuadoient par mefme moyen à ceux qui avoient fait prix avec eux , de les abandonner, & de fecourir les Mexiquains , ou qu'à faute de le faire ils les me-

Cortés fut b lef fé cette journée-là.

Grande rejoüif-fance des Me­xiquains,

Les Mexiquains envoyent par les Provinces confédérées les nouvelles de la victoire.

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1521,

D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I 93naço ien t , en achevant la guerre de les aller vifiter. Ce t te aftuce eut tant de pouvoir fur eux , que les uns rentrèrent dans leur neut ra l i té , & d'autres fe rebellè­rent contre les Caftillans.Cependant Cortés voyant l'in-folence que faifoient les Mexiquains,& que leurs fenti-nelles qu'ils pofoient proche de l 'armée, s'avançoient un peu de trop prés pour dire quantité d'injures aux Chreftiens ; pour ne pas paroiftre lafches, entra le len­demain dans la chauffée, & alla jufques au pon t , puis ils s'en revinrent ; en in ten t ion , s'eftant un peu ra-fraifchis d'y retourner en meilleur o r d r e , & en atten­dant ils ne laiffoient pas de faire tous les jours des efcar-mouches. Pendant ce temps-là Cortés eftoit dans l'in-quietude quelle refolution prendraient les Indiens al­liez à caufe de ce mauvais fuccés, pour eftre une nation changeante & légère d'efprit ; outre ce qu'il entendoit dire aux Caftillans, qui le blafmoient d'avoir entrepris fi déterminément cette guerre,, quoy qu'ils ne laiflaffent pas défaire paroiftre extérieurement un courage mag­nanime 6c une ferme confiance. Auffi-toft après il eut avis que ceux de Malivalco , & de la Province d'Evixco commençoient à vouloir faire la guerre à ceux de Coau-nahac, à caufe qu'ils aidoient les Chreftiens, dont il re­ceut un grand mécontentement. Mais pour donner courage à ceux-cy & aux autres alliez, quoy qu'il man­quait de forces,il ne laiffa pas que d'envoyer le Capitai­ne André de Tap ia , avec dix chevaux & quatre-vingt Caftillans pour aller fecourir ceux de Coaunabac, avec ordre de retourner dans dix jours , parce qu'il y avoit beaucoup de contradiction dans l 'armée, à caufe de cet envoy, reprefentant que cela ne fe devoit pas faire pour plufieurs raifons. André de Tapia rencontra plufieurs ennemis qui l 'attendoient dans une campagne ordon­na fes gens , & avec ceux de Coaunabac, il livre batail­le , & comme la campagne eftoit unie les Cavaliers fi­rent grand progrés. Il gagna la ba ta i l le , & bailla la chaffe aux ennemis jufques à Malivalco, qui eft fur un

M iij

Courage invin­cible de Cor tés .

André de Tap ia gagne une ba­taille con t re ceux de Mal i -ualco.

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1521. 9 4 H I S T O I R E haut ; c'eft une grande peuplade, qui a fort peu d'eau ; mais à caufe de fa fortereffe & du peu de terme que Cor­tés luy avoit donné, il ne put pas faire davantage que d'a­voir vangé & mis en feureté ces alliez,& chaftie les en-nemis. Auffi-toft apres arrivèrent quinze Meffagers des Otomies, qui eftoient comme efclaves des Mexiquains, pour faire des plaintes contre ceux de la Province de Matalzingo , qui les ruinoient , à caufe qu'ils eftoient amis des Chreftiens, & menaçoient d'aller contre l'ar­mée Caftillane. Et d'autant que cette Province eft gran­de ; que ce font gens vaillans, & que l'on avoit oüy dire plufieurs fois aux Mexiquains, après leur victoire que ceux-cy dévoient venir attaquer les Chreftiens à dos, pour les aider, Cortés refolut de les fecourir,avant que fuivant l'exemple de ceux de Matalzingo , quelques-autres ne fe rebellaffent. Il y envoya Gonçale de San­doval , & luy ordonna de prendre dix-huit Cavaliers, 6c cent hommes de pied,parmy lefquels il n'y avoit qu'un Arbaleftrier. Sandoval entr'autres bonnes qualités,eftoit fort prompt

dans fes entreprifes ; il chemina donc en diligence , & rencontra des gens de guerre tout proche de certains vilages d'Otomies qui eftoient ruinez. Si-toft qu'ils eu­rent découvert les Caftillans,ils fe mirent à fuir & aban­donnèrent plufieurs charges de mayz & quantité d'en-fans roftis qu'ils portoient pour leur provifion. Ils paf-ferent une rivière, & firent face auffi-toft. Les Cava­liers allèrent après e u x , mais ils fe mirent auffi-toft à fuir pour s'aller fortifier dans Matalzingo qui eftoit à trois lieues delà. Ils furent chargez par les Caftillans & les Indiens alliez qui eftoient bien dix mille. Les enne­mis les attendirent jufques à ce qu'ils eurent mis les femmes & les enfans en feureté dans une montagne qu'ils avoient fortifiée , proche de Matalzingo, & puis ils fe fauverent par la fuite. Les Caftillans entrèrent dans le village,le bruflerent ; & voulant aller le lende­main du matin inveftir la montagne, les ennemis ayant

Sandoval va fe-courir les O t o m i e s .

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D E S I N D E S OCCIDENTALES, Liv. I . 95 fait dé grands tintamares de voix, de tambours , & de cornets, il fe trouva qu'ils avoient pris la fuite. Delà Sandoval alla devant une forte place, dont le Seigneur ouvrit les por tes , & s'offrit d'eftre le médiateur pour faire la paix avec ceux de Matalzingo, & de Malinal-co 3 6c il effectua fa promeffe , & rit faire la paix ; fi bien que ces peuples fervirent beaucoup au fiege de Mexi­que 6c fournirent de vivres. Les Mexiquains furent bien fafchez de cette paix, parce qu'ils efperoient un grand fecours de cette Province , & d'autres encore. Le jour que Sandoval revint de ce voyage, les Chreftiens combattoient contre les Mexiquains, & ils avoient dit que l'on leur envoyait l'interprète,qui eftoit Iean Ferez d'Artiaga, parce qu'aucun Caftillan n'avoit encore pu apprendre la langue Mexiquaine en fi peu de temps que luy , ny f i bien ; à caufe dequoy les Indiens l'appelloient Malinzin, parce qu'il fut le premier qui entendit Mari­na ; & il l'avoit en fa charge. Ils dirent, qu'ils defiroient la paix. L'on en traitta quelques jours, dont les condi­tions eftoient que les Caftillans fortiffent, & laiffaffent la terre libre. Et l'un de ces jours Cortés arriva à un pont , & leur dit que la paix valoit mieux que la guerre, puis qu'ils fouffroient défia beaucoup de faim. Mais il y eut un vieillard qui tira de fa beface fa pitance , & la mangea fort à loifir, pour donner à connoiftre qu'ils ne manquoient pas de vivres,& congédia Cortés en luy di-fant qu'il n'y avoit aucune efperance de paix.

Dans ce mefme temps Chichimecatl, l'un des Princes Tlafcalteques defirant acquérir de l'honneur ,6c ayant efté toufiours dans le quartier de Sandoval avec fes gens, le voyant abfent, & que l'on ne combatoit pas tout de bon, après la déroute des Caftillans, advertit les fiens de fon deffein,& leur dit qu'il avoit envie de faire paroiftre aux Chreftiens que les Tlafcalteques fçavoient bien combattre fans eux , & les Mexiquains auffi ; & luy ayant accordé ce qu'il defiroit d'eux , il les difpofa en cette forte ; Il laiffa premièrement fix cent tireurs d'arc

1 5 2 1 .

San. oval fait paix avec ceux de M a l i n a k o , & de Mata lz ingo .

Valeur de Ch i -ch imaca r l , Ca­pi ta ine Tlafcal -teque.

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1521.

96 H I S T O I R E à l'arriére garde pour en eftre fecourus en cas de be-foin. Il attaqua un pont , le paffa, parce que les Mexi­quains par fineffe ne le dépendirent pas beaucoup à

i deffein de l'attraper au retour. Il en attaqua encore un au t re , en reclamant fa lignée 6e Tlafcala, & ils com-bâtirent icy vaillamment ; mais enfin il gagna encore ce-luy-cy, avec perte de fang des deux coftez. Il pour-fuivit les Ennemis, qui firent face, 6e il fe fit un furieux combat. Il y en eut plufieurs de bleffez & de morts, & plufieurs défis, & fur tout quantité d'injures qu'ils fe di­foient les uns aux autres. Chichimecatl fe retira enfin, & les ennemis le pourfuivirent furieufement toufiours bat­tant , prétendant l'arrefter à un paffage ; mais il en for-tit heureufement par le bon ordre qu'il avoit obfervé, d'avoir laiffé les tireurs d'arc derrière. Auffi-toft après qu'il fut paffé,les Mexiquains enrageoient de bon cœur de la hardieffe des Tlafcalteques, quoy qu'il y euft des Caftillans tout prefts pour les fecourir. Mais comme les Mexiquains virent que les Caftillans ne combattoient point , s'imaginant qu'ils le faifoient par lafcheté, ou pour les bleffures, ou à caufe de la faim, ils fe je t te-rent dans le quartier d'Alvarado ; mais ils y trouvèrent une fi bonne refiftance,que beaucoup s'en retournèrent eftropiez. Mais pour cela leur furie ne fut pas appaifée, au contraire ils affemblerent quantité de canos & atta­quèrent du cofté de Cortés les brigantins avec une ra­ge endiablée. Ils les trouvèrent écartez les uns des au­tres , & les chargèrent avec tant de promptitude qu'ils penferent eftre perdus cette journée-là. La Capitai-neffe s'arrefta à une poutre qui eftoit en l'eau ; le Ca­pitaine qui eftoit dedans , appelle lean Rodriguez de Villa-Fuerte paffa dans un autre pour fe fauver. Mar­tin Lopez qui gouvernoit toute la Flote , comme Pilo­te Major , & qui pour ce fujet eftoit auffi dans la Ca-pitaineffe, la deffendit avec le refte de fes compagnons, & la tira d'où elle eftoit arreftée. Il jetta deux Caftil­lans dans l'eau à caufe qu'ils vouloient fortir de la Ca­

pitaine,

Les Tlafcal te­ques combaten va i l l amment pour un p o n t .

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D E S I N D E S O c c I D E N T A L E S , - L i v . I . 97 pitaineffe. Il en bleffa huit,à caufe qu'ils fe mettoient lafchement fous le tendelet de peur des coups. Il tua un Indien, qui eftoit Lieutenant General de Quantimoc, il luy ofta un penache Se un bouclier d'or. Il tua encore d'autres Capitaines 6c Seigneurs. C'eftoit un homme ro-buf te , membru , vaillant, & doué de grandes forces. Ce t te mort du Lieutenant de Quantimoc fut caufe que la ville fut pluftoft prife qu'elle n'euft efté. Cortés honora & careffa publiquement Martin Lopez , Se le favorifa dans l'armée. Il le fit Capitaine de la Capitaineffe qu'il avoit fauvée ; Se ordonna que d'orefhavant les brigan­tins iroient toufiours quatre à quatre. Les ennemis atta­quèrent ce jour-là le brigantin de Pierre Barba, & com­me il fe deffendoit avec un montant , comme un hom­me de cccur,ils luy jetterent de deffus une terraffe une pierre , dont il fut accablé Se mourut ainfi.

C H A P I T R E X X I I .

Cortés envoyé demander des vivres à Tiafcala ; Du courage & magnanimité de quelques femmes Caftillanes

au fiege de Mexique.

COmme Cortés eftoit un homme prévoyant & qu'il fçavoit qu'il y avoit difette de vivres, il envoya à

Tlafcala Alonfe d'Ojeda & Iean Marquez pour cet ef­fet. Ils fortirent accompagnez feulement de vingt In­diens, du quartier d 'Alvarado, fur l 'heure deminuicl, en tournoyant une grande partie du lac , parce qu'ils ne pouvoient aller d'autre cofté que par là. Eftant arrivez entre Tepeaquilla & le quartier de Sandoval, ils enten­dirent un grand bruit de gens , & aperceurent qu'il dé-cendoit de la montagne plus de quatre mille hommes, chargez de vivres & d'armes, Se que plus de trois mille canos les recevoient. Ils fe cachèrent cependant, n'at­tendant que la mort à tous momens ; parce que ceux qui

1 5 2 1 .

Mort du Capi-taine Pierre Barba.

Ojeda & Mar­quez voyent en­trer de nuit un fecours dans Mexique.

N

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1521.

ILs arrivent à Tlafca la .

l e a m m e n e n t des vivres à l ' a i m é e .

98 H I S T O I R E portoient les charges, & ceux qui les recevoient eftoi­ent plus de dix mille hommes ; mais comme ils eftoient embaraffez à ce fecours, ils ne les virent pas. Ils defcen-dirent au quartier de Sandoval, & le trouvèrent à che­val avec Diego de Rojas, & ils luy racontèrent ce qu'ils avoient veu. Il s'eftonna de ce qu'ils n'avoient point efté découverts. Il fit faire garde en cet endroit par où eftoit entré ce fecours par des gens de cheval. Apres quoy Ojeda & Marquez fuivirent leur chemin, & alle­rent à Oculma cette nuit , & le lendemain à Gualipan, & le troifiéme jour ils entrèrent dans Tlafcala. Ils y furent fort bien receus. Ils recueillirent quinze mille charges de mayz , mille charges de volailles, Se trois cent tran­ches de venaifon. Ils emportèrent les biens de Jficoten-catl qui eftoient confifquez pour le Roy , dont il y avoit quantité d'or, de plumaches, chaltutles, & quantité de hardes très-riches , trente femmes, tant filles, nièces, que fervantes. Tou t cela arriva dans Tezcuco , bien es­cortez de gens de guerre. Ils baillèrent une partie des vivres par l'ordre de Cortés , à Pero Sanchez farfan, & à Marie d'Eftrada, Se portèrent le refte à Cuyoacan-

Cependant les efcarmouches, les défis Se les combats continuèrent avec grande perte de fang ; Et comme les Caftillans qui eftoient bleffez avoient peu de douceurs, Se que de la part des Indiens alliez il n'y avoit jour qu'il n'y en eut cent de bleffez, Dieu y voulut pourvoir,en ce qu'une femme Caftillane, appellée Y fabelle Rodriguez leur bandoit les playes, & les beniffoit en difant ; Au nom du Pere, du Fils, du faint Efprit-, un feul Dieu vé­ritable , qu'il te penfe & te gueriffe ; Elle ne faifoit cela que deux fois, Se encore le plus fouvent, qu 'une , & il arri-voit que ceux qui avoient les cuiffes percées d'outre en outre , retournoient le lendemain au combat ; qui eft un témoignage indubitable que Dieu eftoit avec les Caftil­lans, puis qu'il rendoit la fanté à tant de gens par les mains de cette femme. Il arriva auffi que quelques Caftillans ayant la tefte fenduë, en mettant un peu

Vne femme C a -ftillane guéri t les bleffez par le signe de la Croix.

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D E S I N D E O C C I D E N T A L E S , Liv. I 99 d'huille dans la playe , eftoient guéris en fort) peu de temps , parce qu'il n'y avoit point d'autres medicamens ; E t il s'en eft trouvé mefme qui ont efté guaris avec de l 'eau, pour monftrer les effets de Dieu en ce rencon­t r e , & des grandes faveurs qu'il faifoit à ceux qui com-batoient pour fon Saint Nom. Or les Mexiquains fe fça-voient fort bien retirer du combat & y r 'entrer auffi-toft après avec de plus grandes forces , & dreffer des embufcades dans le temps, & les lieux qu'ils jugeoient à propos ; ainfi que faifoient auffi les Caftillans , & le fignal eftoit d'un coup d'arquebufe, & fi-toft que les In­diens l 'entendoient ils s'en alloient fautant & courant pour faire forcir ceux qui eftoient dans les maifons & derrière les murailles. Vn jour comme la compagnie d'André de Tapia fe ret iroi t , & que les Arbaleftriers s'eftoient arreftaz pour faire parler le refte, il y eut un foldat que la neceffité obligea de demeurer derrière, appelle Antoine Peynado. Ce foldat eftant arrivé à la porte , que la compagnie eftoit defia retirée il y avoit un bon efpace de temps, & fe voyant perdu, parce qu'il eftoit pourfuiuy, il s'avifa de frapper de grands coups de fon épée fur fon bouclier en tournant la tefte vers la maifon, pour faire entendre à ceux de dedans qu'ils luy ouvriffent ; mais que les Mexiquains entendant cela & penfant que ce fuft un ftratagefme pour les furpren-d r e , fe jetterent dans l'eau. André de Tapia commen­ça à crier aux armes & en tua plus de foixante, & fauva parce moyen Antoine Peynado. L'on combatoit un jour du matin proche du Palais de Quantimoc, & le Treforier Alderete defcendit de cheval , & le donna à Ojeda ; il commanda à un page qu'il luy bandaft l'arbalerte, & ti­ra fur quelques Indiens de condition qui eftoient fur une terraffe, il y employa tous les dards & en tua plu-fieurs. Ojeda ayant de la peine à fe tenir fur le cheval, à caufe d'vn coup de pierre qu'il avoit receu à la tefte, qui luy faifoit faire des tours de cofté & d'autre, le T r é ­sorier monta deffus, & comme fi le cheval euft eu de

N ij

1521

Strarageme d'un Caftillan.

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100 H I S T O I R E l 'entendement, il devint furieux de telle forte qu'il mordoit , & donnoit des ruades fur les ennemis, & fai­foit bien plus d'exécution que fon Maiftre. Il fut bleffé dans ce rencontre un vaillant foldat appelle Magellan, d'un coup de bafton,qui le frappa à la gorge, & comme il en fortoit abondance de fang, il s'en alla promptement au quartier pour fe mettre entre les mains de cette pieufe femme Yfabelle Rodriguez, & en difant, le mere­commande à Dieu, il mourut. Sa mort fut vangée par un appelle Diego Caftellanos, fort adroit à jetter des pier­res , à l'arbalefte & à l'arquebufe ; car il mira un Indien qu'il croyoit eftre celuy qui avoit frappé Magellan, & tomba mort de la terraffe embas.

Il falloit que cet Indien qui venoit d'eftre tué fuft un homme de condition, parce que les Mexiquains furent tellement indignez de cette mort , qu'ils commencèrent à livrer un grand combat aux Chreftiens ; en difant, Voyez Seigneurs, voyez, qu'il nous importe peu de nous reti­rer , nous vendons du courage à nos Ennemis , fi nous devons mourir , mourons en combattant, & ne fuyons point ; ainfi ils firent face & fe retirèrent lors qu'il fut temps , après avoir efté chargez d'importance , juftement dans le temps qu'ils eftoient en plus grand hafard. Beatrix de Palacios à demy Maurefque qui ayda beaucoup , lors que Cortés fut chaffé de M e x i q u e , & qui pendant ce fiege eftoit mariée avec un foldat appelle Pierre d'Ef-cobar , rendit tant de fervice à fon mary & à fes cama­rades , qu'eftant laffez de combattre de j ou r , comme l'on fonnoit pour monter à la garde, 6c qu'il falloit fai­re la fentinelle , elle faifoit ces fonctions pour luy avec beaucoup de foin ; puis ayant pofé les armes dans le corps de garde , elle fortoit à la campagne & apportoit de la porée qu'elle faifoit bouillir, 6e en appreftoit pour luy & fes camarades. Elle penfoit les bleffez , elle fel-loit les chevaux , & rendoit encore d'autres fervices auffi adroitement qu'euft peu faire le meilleur foldat. Ce fut elle , & quelques autres qui penferent Cortés

1521.

V n cheval mord & rue les I n ­diens.

V n Caftillan vange la m o r t de Magellan.

Les Caftillans font preffez.

Valeur de la f emme d'un Caftillan.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.I . 101 & fes Compagnons , lors qu'ils arrivèrent à Tlafcala, Se les rirent changer de linge du païs ; & celles que Cortés defiroit qu'elles fe repofaffent dans Tlafcala, qui firent réponfe que ce n'eftoit pas le devoir des hon-neftes femmes Caftillanes d'abandonner leurs maris lors qu'ils alloient à la g u e r r e , & que s'ils y dévoient mourir qu'elles mourroient auffi. Ces vertueufes fem­mes eftoient Beatriz de Palacios, Marie d'Eftrada, leanne Mart in, Y label Rodr iguez , & la femme d'A-loufe Valiente, Se encore d'autres. Le lendemain l'on retourna au combat, & l'on prit les maifons de Quan-timoc ; l'on en abatit une partie ; l'on avança jufques au Temple Major, & les Indiens mirent des planches fur l'eau , & firent quelques réparations , quoy que cela ne leur fervit que pour peu de jours. Comme ils comba-toient ce jour-là, il y eut un Indien qui monta fur une terraffe , qui eftoit fort lefte & bien porportionné de membres , veftu de verd , avec un penache verd qui luy tomboit fur les épaules , auquel eftoit attachée une ba­guette qui paffoit au deffus de fa tefte , ou eftoient at­tachées plus de fix cent p lumes , avec beaucoup d'ar­genterie. Il portoit une efpée Caftillane & un bouclier, Se s'en ef crimoit de la belle manière ; Se parla fi haut que les Interprètes l 'entendirent, & dit ; H a chiens de Chreftiens ! y en a-t'il aucun d'entre vous qui veuille venir contre moy faire un défy ; s'il eft allez hardy, qu'il vienne, ie l 'attens, afin que de voftre épée mefme ie vous tuë les uns après les autres, un à un. Plufieurs fe voulurent prefenter pour y aller. Mais fur tous, Her -nando d'Ofma feprefenta, & luy donna un fi rude coup que fon bouclier fut fendu ; mais Ofma luy lança par deffous un coup d'eftocade qui luy traverfa le corps,& tomba mort furie champ tout auffi-toft. Il luy prit l'ef-p é e & l e pennache. Mais quantité d'Indiens vinrent en foule fur luy , qui luy euffent joüé un mauvais party, Il Cortés n'euft envoyé promptement des gens pour le fe-courir, quoy qu'il fe deffendift vaillamment 3 mais ils

N iij

1521.

Vertu de que l ­ques femmes Caftillanes.

L'on prend l e s maifons du Roy quantimoc.

Hervando d'ofma combat contre un Mexiquain & le tuë.

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1521

102 H I S T O I R E l'euffent enlevé. Et nonobftant tout cela il emporta l 'é-pée & le pennache ; qu'il prefenta à Cortés de bonne grâce. Cortés les receut tout de mefme , mais il les luy rendit , & luy dit que perfonne n'eftoit digne de por­ter des trophées fi bien acquifes comme luy ; il l 'hono­ra fort alors ; & luy continua toufiours cette affection.

Fin du premier Livre.

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103

H I S T O I R E G E N E R A L E

D E S V O Y A G E S E T C O N Q V E S T E S

des Caftillans dans les Ifles & Terre-ferme

des Indes Occidentales.

LIVRE SECOND.

C H A P I T R E P R E M I E R .

Des entrées & forties que Cortés fait dans la ville

de Mexique , & refout enfin de de mettre

à feu & à fang.

Rlvs les Mexiquains eftoient oppreffez, d'au­tant plus ils étoient obftinez,& leur rage croif-foit de telle forte , qu'il n'eftoit jufques aux femmes âgées , qui balioient les terraffes pour

en ramaffer la terre & la poudre, & la jetter furies Ca­ftillans pour tafcher de les aveugler. Les enfans mefmes leur jettoient des pierres & des baftons en leur difant toutes les injures qu'ils entendoient dire à leurs pères. Les Mexiqua ins apprehendo ien t fort un nommé R o -drigue C a f t a n e d a , qui fut l'un de ceux qui apprirent

1521.

Caftaneda tuë des Indiés en Ce gauffant avec eux.

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1521

104 H I S T O I R E parfaitement la langue Mexiquaine , & reflembloit quant à la prefomption à Xicoteucatl , & il portoit des plumes comme les Indiens. Ils luy difoient des paroles fcandaleufes , & l'appelloient Xicoteucatl Cuycone, mais il ne faifoit que rire de tout cela , & les remer-cioit , fi bien qu'agiffant de la forte avec eux , il les af-feuroit, mais de temps en temps il bandoit fon arbale-fte & ne manquoit pas d'en mettre quelqu'un par terre, & en tua ainfi beaucoup , iufques à ce qu'ils le recon­nuren t , & s'efloignerent de luy , l'appellant méchant & perfide, de ce qu'il les tuoit ainfi en fe gauffant, & non en vaillant homme, fans tromperie 8e en trahifon. Les manchots, les boi teux, & ceux qui ne pouvoient monter fur les terraffes ramaffoient des pierres pour ti­rer avec des frondes, de forte qu'ils ne tenoient perfon-ne qui ne travaillaft à quelque chofe pour la deffenfe de la ville. Ils eftimoient beaucoup Chriftofle d'Olid Com-me homme fort vail lant, & l'appellerent par fon nom, & luy demandèrent s'il vouloit manger ; & leur ayant dit qu'il le fouhaitoit,il defcendit un Mexiquain avec des gafteaux 8c des cerifes, pour faire voir que les vivres ne leur manquoient pas. Mais Olid les donna à un ferviteur, en fe moquant de leur prefent. Il s'affit en un lieu où il ne pouvoit pas eftre offenfé, & fit femblant de manger du prefent,& fe releva auffi-toft en leur monftrant fes feffes. Ils furent tellement offenfez de cet affront,qu'ils firent pleuvoir une multitude de pierres 8c de baftons après luy. L'on recommença à combattre d'importance, & les Mexiquains ouvrirent plufieurs ponts, & les couvrirent avec des baflons & de la paille, afin d'y faire trébucher les Caftillans. Criftofle de Corral Enfeigne chemina des premiers fon drapeau en la main , & tomba dedans le piège ; ils fe jetterent auffi toft après luy ; mais il tua les premiers qui l'approchèrent de fon poignard 3 puis fai-fant un faut en arr ière , il fortit fur la chauffée, a d o n ­na avis à tous les autres de ne pas paffer outre. Les M e ­xiquains épouvantez de cette action, dirent qu'ils euf­fent mieux aimé prendre l'Enfeigne , que celuy qui la

portoit ;

Les Mexiquains ont de l'affe­ction pour Olid.

Hirdie action de C o r r a l , En­feigne.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I. 105

parce qu'entr'eux quand ils ont perdu leurs guidons,le courage leur manque auffi-toft, & ils s'imaginoient qu'il en eftoit ainfi des Chreftiens. Cependant les Caftillans s'eftoient tellement méfiez avec les ennemis,& fi incon-fiderément, que fe battant en diverfes avenuës de rues avec quantité , ils s'en revinrent fuyant pefle-mefle les uns avec les autres. Beatrix Bernardez de Velafco, femme de François d 'o lmos , armée d'une jaquette de cotton piquée , le cafque en tefte , l'épée & le bouclier en main, fortit à la chauffée, & dit ; N'avez^-vous point de bonté, Caftillans, de fuir de la forte ? Retournez contre ces infâmes, & fi vous ri en voulez rien faire , il ne paffera au­cun homme par icy que ie ne le tuë Les Caftillans furent tellement honteux d'eftre réprimandez par une fem­me qu'ils retournèrent contre les Mexiquains, & com-batirent fi vaillamment que la victoire leur demeura. Cortés voyant donc que les Mexiquains ne fe deffen-doient pas fi fortement qu'ils avoient fait par le paffé, & que ce fiege tiroit de long , il conclut avec tous les Capitaines d'attaquer la Ville par plufieurs endroits, prétendant de trouver quelque avenuë par où l'on pou-rbit entrer de force & finir la guerre par ce moyen. Toutes chofes eftant concertées, l'on donna donc le li­gnai & l'affaut fut livré, mais l'on y trouva plus de re-fiftance que l'on ne s'eftoit imaginé.; car quoy que tous combatirent vaillamment cette journée-là, & que l'on y fit des actions admirables, chacun fe fignalant à l'envy, la valeur & la grande multitude des ennemis obligè­rent les Caftillans de fe retirer avec beaucoup de perte des affiegez, fans toutefois pouvoir venir à bout de ce que l'on s'eftoit propofé.

Le lendemain Cortés refolut d'y retourner avec tou­tes les forces qui furent divifées en deux corps. Il prit avec luy Chriftofle d'Olid, Gonçale de Sandoval, An­dré de Tapia , Alonfe Davila, & encore d'autres Capi­taines. Et avec Pierre d'Alvarado qui menoit l'autre a rmée, il commanda à George d'Alvarado , à Pierre d'Yrcio,& à autres de l'accompagner. Comme l'on com-

O

1 5 1 1 ,

Vne CafliiUnês réprimande ceux de fa da­tion.

Cortés at taque la ville avec deux armées.

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1521.

106 H I S T O I R E mença à livrer Faffaut, on euft dit que la ville abifmoit, d'entendre les cris & les braillemens qui s'y faifoient. Les Indiens fe deffendoient dans des tours, deffus des planchers & des terraftes, dans les rues Se de tous co­llez auffi vertement que s'ils n'eufFent point encore combatu. Les Caftillans d'ailleurs, pour vouloir ache­ver la guerre fe mettoient en grand péril ; & les Mexi­quains qui combatoient endefefperez ne fefoucioient, pas de mourir pour la deffenfe de leur liberté. L'on fit cette journée des chofes fignalées,& néanmoins fort pe-rilleufesjPierre d'Yrcio & Gonçale de Sandoval hazar-derent beaucoup ; Et fi Chriftofle d'Olid & Martin de Gamboa n'euffent fecouru Cortés, qui avoit attaqué Se s'eftoit méfié parmy les ennemis avec trop de précipi­tation , il eftoit envelopé d'une centaine d'Indiens qui l'euffent enlevé. Alonfe Nortés foldat d'un brigantin le défendit un bon efpace de temps,les gens de mer eftant defcendus à terre , en attendant que les Indiens amis le vinffent aider. C'eft pourquoy plufieurs luy dirent que puis qu'il connoiffoit le danger qu'il pouvoit encou­rir par fa trop grand valeur , il ne devoit pas fe profti-tuer de la forte au milieu de tant de périls pour une vi­ctoire en balance, luy qui fçavoit fort bien les incidents qui arrivent en de femblables rencontres, où le Chef eftant une fois à bas , le refte de l'armée court grand rifque. Cet Alonfe Nortés ayant fait cette genereufe adion,bleffé de cinq playes, & fur tout une mortelle,alla pour fecourir un autre Caftillan, & tomba dans l'eau,& nageant entre deux eaux , (car il eftoit grand nageur) il échapa d'une quantité de canos. Vn autre foldat ap­pelle André Nunez fecourut deux brigantins avec le lien que les canos des ennemis emmenoient , & fauva quelques Caftillans, & particulièrement Caftillo,& D o ­mingo Garcia. Et le Capitaine du brigantin qui eftoit defcendu à terre eftant de re tour , Nunez ne l'y voulut pas recevoir, difant qu'il avoit perdu le droit de Capi­taine , puis qu'il ne s'eftoit pas voulu rencontrer dans le péril ; qu'il avoit fauvé le brigantin, & qu'ainfi la Capi

Cor tés eft en g r and pér i l , & eft fecouru à t e m p s .

Genereufe re-volut ion d 'un foldat.

Genereufe ac ­tion d'un autre foldat

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.I . 107 tainie luy appartenoit. Cortés ayant fceu la contefta-tion, dit qu'André Nunez avoit raifon, parce que fans luy le brigantin eftoit perdu : Et quoy qu'il fuit impor­tuné de plufieurs de le remettre dans fon brigantin, Cortés fit réponfe qu'il eftoit obligé de rendre juftice égale à tous , il bien que les chofes en demeurèrent là. Or ce mefme Nunez dans un autre rencontre, ou il fe trouva depuis avec fon brigantin, mit en déroute plus de trois mille Indiens, & mit les chofes en tel eftat que l'on pouvoit prendre la ville plutoft 6c avec plus de fa­cilité. Vn nommé Montano, Enfeigne de Pierre d'Al­varado , monta avec fon drapeau au haut d'une Tour fort haute , dont il fe rendit maiftre par la mort de plu-fleurs Indiens qui la gardoient.

Cortés voyant qu'encore que l'on euft tué quantité d'Indiens,(car l'on tient qu'il en mourut plus de vingt mille dans la ville) & que la guerre ne fe pouvoit pas encore terminer , à caufe que l'on avoit auffi perdu quelques Caftillans, & des Indiens alliez, & qu'il y avoit quantité de bleffez de part & d'autre ; il refolut de fe retirer au meilleur ordre qu'il put , parce que dans ces retraites ordinairement les Indiens preffoient de prés les Caftillans. Il arriva en cette retraitte que Pier­re d'Yrcio voulant faire parler un brigantin au tra­vers d'un pont , comme le brigantin fut embaraffé au paffage, il fe mit en l'eau ; & quoy que fort bielle & laf-fé tout enfemble,il ne laiffa pas de le pouffer des épau­les, avec l'aide de quelques autres,& rirent fi bien qu'ils le foulagerent, & l'enlevèrent s'il faut ainfi dire,de l'au­tre cofté du pont, fans fortir de l 'eau, quoy que les En­nemis le fatigaffent fort, jufques à ce qu'il fuft hors de danger. Cette fois-là Cortés , de l'avis des Capitaines Caftillans & Tlafcalteques, refolut de ne plus prendre de pont, fans abbatre premièrement les maifons qui en feroient proches, afin de n'en point eftre incommodez.

Nous avons dit cy-devant, comme Iean Ponce de Léon , fut défait en cette armée dans la Floride, ou il eftoit allé avec deux Navires ; l'un de ces deux Na-

O ij

1521

André N u n e t met en dé rou te plus de trois mille Indiens.

Il mourut ce t t e jou née vingt mille Indiens .

Grand effort de Pierre d ' Y r -zio-

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1521. Vn Navi re de lean Ponce ar­rive à la Villa Rica.

108 H I S T O I R E vires , foie par fortune, ou pour retirer les frais qu'il avoic faits pour cette entreprife , voyant que lean Ponce ne la pouvoit pas continuer , vint fingler à la villa R i c a , avec de la poudre , des arbaleftes & au­tres munitions dont Cortés avoit befoin. A caufe de-quoy il rendit grâces à D i e u , voyant qu'il le favorifoit de fon affiftance au befoin, & commanda que l'on fal­lait faire venir pas toutes les diligences poffibles. Com­me donc il avoit refolu d'abatre les maifons qui eftoient proches des ponts , il trouva à propos de commencer par celles de la ville qui fembloient les plus neceffai-res , & des mefmes matériaux en emplir les ruiffeaux & les canaux, voyant que cette génération eftoit fi en­durcie dans leur obftination , que ny la quantité de mortS ny la famine,& les autres maux qu'ils enduroient, ne les pouvoient adoucir pour embraffer la paix qu'il leur avoit offerte tant de fois. Il le communiqua aux Capitaines Caitillans, à ceux des Tlafcateques, & d'au­tres Nations ; & approuvant tous les deffeins de Cortés, il les pria d'envoyer quérir dans leurs peuplades des maifons & des manœuvres pour travailler aux démoli­tions , afin de ne point employer à cet ouvrage des gens qui dévoient combattre. Comme l'on attendoit que ces gens - là fuffent venus , les Ennemis s'imaginans que les Caftillans fe repofoient, pour combattre puis après avec plus de forces,faifoient auffi quantité de répara­tions. Comme donc toutes chofes furent préparées, les armées entrèrent dans la ville ; & Cortés eftant arrivé à un pont pour l'attaquer qui eftoit très fort, qui eftoit à l'entrée de la place, les Mexiquains dirent qu'ils de-firoient la paix, & leur ayant donné un peu de relafche pour envoyer appeller Quantimoc pour en traiter, l'on fut tout eftonné qu'un moment après ils commencèrent à jetter quantité de pierres & de baftons & une nuée de flèches ; fi bien qu'ayant reconnu leur mauvaife foy, on les attaqua fortement , on prit le fort, on entra dans-la place, que l'on trouva remplie de pierres pour empê­cher la courfe des chevaux, une rue bouchee de pierre

Perfidie des Mexiquains.

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D E S I N D E S OCCIDENTALES, Liv.I . 109 feche de l'autre pleine de pierres. L'on combla cette journée toute la rue d'eau qui conduifoit à la place, de telle forte que les Mexiquains ne la purent jamais dé­boucher, de l'on fît encore la mefme chofe à d'autres. On abatit des maifons ; en forte que l'on y pouvoit aller avec plus de feureté. Or comme Cortés avoit cette jour­née-là plus de cent cinquante mille hommes, fans com­pter les pionniers de manœuvres, & que les brigantins avoient auffi fait la guerre , il fembloit que c'eftoit dé­jà un acheminement pour parvenir à la fin.

C H A P I T R E II

Continuation du mauvais eftat auquel fe trouvent les Mexiquains.

CE mefme jour il fe prefenta un Indien fort puif-fant de corps, qui portoit une épée & un bouclier

de Caffille,fort empennaché de en tres-bonne pofture, qui demanda à Cortés par le moyen de l'Interprète, qu'il luy envoyaft quelque Caftillan avec lequel il peuft com­battre , parce, difoit-il, qu'en mourant par la main d'un vail lant homme il feroit fort contant &fatisfait, & qu'en le vain­quant il acquerrait une gloire. Cortés luy dit qu'il en ame­na// encore dix auecque luy, & femblables à luy , parce que celuf qu'il devoit envoyer devoit combattre contre tous. L'In­dien luy repartit, qu il eftoit auffi vaillant que celuy qui de­voit fe batre , & qu'il le fift fortir. Cortés luy répliqua ; Puis que tu n'en veux pas appeller d'autres pour Raccompa­gner , afin que tu voyes ce que la jeuneffe de Caftille fçait faire ; Voicy mon Page, qui eft un jeune homme fans barbe qui te pourra jouer un mauvais party. Iean Nunez de Mer-cado , ainfi fe nommoit le Page , fe prefenta , de quoy que l'indien fuft hardy, de vaillant, à peine eurent-ils mefuré leurs épées,que l'Indien fut tué d'vn coup d'ef-tocadej dequoy les Mexiquains furent fafchez, de tin­rent cela pour un mauvais augure ; mais Iean Nunez de

O iij

1521.

Combat d'un page de Cortés contre un In ­dien.

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1521

110 H I S T O I R E Mercado fut fort eftimé de Cor tés , auquel il prefenta les armes & les pennaches du Mexiquain. Le lendemain les armées rentrèrent dans la ville, & ne s'occupèrent qu'à combler les mauvais paffages & d'abattre des mai-ions jufques au point de combattre , avec ordre aux Cavaliers de tenir l'arriere garde. Comme donc l'on vint à combattre , l'on joua des coufteaux fortement des deux collez, & Cortés monta dans une Tour fort haute , d'où il ordonnoit de tous coftez ce qui elloit à propos de faire ; ce qui fafcha fort les Mexiquains, car ils en furent tous fpectateurs. L'on combattit de cette forte fix jours durant, & lors que l'on faifoit les retrai­tes, les Indiens alliez paffoient devant,& les Caftillans conduifoient l'arriere-garde, & quelques Cavaliers qui eftoient en embufcade fortoient, & relançoient les En­nemis jufques à ce que tout fuft paffé. Le dernier jour les Cavaliers voyant que les Indiens ne paroiffoient pas, fe doutant de quelque embufcade ,comme les Cavaliers s'en retournoient ils vinrent fondre fur eux avec leurs braillemens, toufiours combattant, & puis s'en retour­nèrent. Cependant il y avoit défia tant de monde fur les terraffes, & qui jettoient tant de pierres , qu'il falut que les Cavaliers revinffent plus ville que le pas , & nonobftant toute cette diligence il y eut deux chevaux de bleffez. La plupart des Caftillans combatoient dans dans la chauffée , & les Indiens alliez dans les terraffes. Et il arriva que Hernando d'Ofma qui eftoit dans le bas de la chauffée, voyant que les Mexiquains mettoient en quelque façon les Tlafcalteques en defordre,fejetta dans l'eau, quoy qu'armé, paffa par milieu où il y avoit du feu , d'où il fortit tout enfumé, & à la veuë de l'ar­mée combatit contre un Capitaine Mexiquain qui avoit une épée & un bouclier ; ils fe donnèrent quelques coups fur leurs boucliers, mais Ofma donna un coup d'eftocade à l'Indien au travers du corps, dont il fut tué ; ce que les Indiens alliez ne pouvoient pas faire,ny apporter aucun remède à leur déroute. Mais la perte de cet homme fit reprendre coeur aux Tlafcalteques, &

L'affaut dure fix jours tou­jours d'une mefme façon.

Vaillante act ô d'Ofma.

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DES I N D E S OCCIDENTALES LIV. I . 111 ils vainquirent les Mexiquains,qui furent bien eftourdis cette journée-là.

Dans ce mefme temps Cortés commanda à Gonçale de Sandoval qui eftoit avec Alvarado, de le venir trou-ver avec quinze chevaux, & quelques autres qu'il avoit, qui pouvoient faire en tout quarante hommes. Il en en-voya dix avec l 'armée, pour combattre & pour abatre des maifons, comme faifoient les autres , avec ordre que lors de la retraite il accompagnaft les autres. il leur ordonna de ferrer les Ennemis de prés le plus qu'ils pour-roient, & les entretinffent toujours combattant ; & ju-ftement à une heure après midy Cortés s'alla mettre en embufcade avec trente Cavaliers, & pour mieux diffi-muler il monta à la Tour qu'il avoit ey-devant prife ; & lors qu'il fut temps d'exécuter fon deffein il defcendit & donna l'ordre, & fe mit parmy ceux qui eftoient en embufcade ; fi bien que l'heure eftant venue, l'armée commença à fe retirer. Dans ce mefme temps les dix Cavaliers fe retiroient auffi fi lentement félon l'imagi-nation des Mexiquains, s'imaginant qu'ils eftoient hors de combat, qu'ils fortirent pour leur donner la chaffe avec leurs épées de bois. Et comme c'eftoit une feinte retraite, les Indiens y furent tellement amorcez qu'il en fortit une infinité pour avoir part à la victoire. Mais l'heure eftant venue , lors qu'ils y penfoient le moins, ceux de l'embufcade fortirent qui enveloppèrent les en­nemis , & il s'y fit un tres-grand carnage ; les Indiens eftant épouvantez de voir tant de chevaux. Il n'y eut pas un Indien allié qui n'emportaft un bras ou une jam­b e , dont ils firent un bon repas cette nuit-là. Il fut tué plus de fix cent des principaux de la ville. Cependant que l'on combatoit avant la retraite les Caftillans trou­vèrent une fepulture, où il y avoit de l'or environ quin­ze cent poids 5 parce que jamais les Caftillans pendant la guerre ne peuvent demeurer oififs. Les Caftillans eftant prefque retirez, certains Seigneurs de Mexique enuoyerent leurs efclaves pour voir fi l'armée campoit ; mais ayant efté découverts par les Cavaliers ils leur

1521

Cortés dreffe une embufcade pour furprendre les Mexiquains.

Les Caftillans trouvent de l'ot dans une fepul-tute.

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1521 112 H I S T O I R E baillèrent la chaffe, & en prirent quelques-uns. Apres cette défaite les Mexiquains n'allèrent plus à la place qu'ils ne s'en fouvinffent. 11 arriva auffi dans ce mefme temps que lean Rodrigue Bejarano eftant entré dans une maifon combatant & ayant écarté les Ennemis, il rencontra une femme fort bien mife,& qui avoit efprit, qu'il mena à Cortés ; & ayant appris qu'elle eftoit de con­dition, il luy dit qu'elle n'apprehendaft rien ; & que les Caftillans ne faifoient point de mal aux femmes, quoy qu'elles fuffent mères & filles de leurs Ennemis. Marina qui eftoit prefente à toutes ces chofes communiqua avec elle, & veû les careffes que Cortés luy faifoit, jointes à la liberté qu'il luy promettoit, & d'autres chofes enco­re pour luy ; faire déclarer l'eftat de la ville & des Habi-tans, elle luy dit , Que l'intention des Ennemis eftoit de fe rendre ; mais que quelques bons succcs qui leur eftoient arri-vezjeur avoient fait changer de deffein, que Quantimoc &

fes parens eftoient refolus de mourir plûtoft que de fe rendre ; quoy que la plus grand part des gens combattoient contre leur volonté ; Que les vivres leur manquaient ; qu'il y avoit de la difcorde entre eux} Que fi on les attaquoit fortement de tous coftez, on les vaincroit ; qu'il falloit prendre tous les paffages far ou entroit l'eau les vivres, les munitions ; qu'ils avoient bafty des maifons de bois, à caufe que l'on leur abattoit celles de pierre ; qu'on les preffaft de jour & de nuit, avec les armes & le feu, & que par ce moyen , avec la famine ils ne pour -nient pas refifter ; & que ceux de fa lignée efloient de contrai-re avis à celuy de Quantimoc.

Les Caftillans n'eurent point de difgrace cette jour-née-là, excepté lors que l'on fortit de l'embufcade , il y eut deux Cavaliers qui s'entrechoquèrent, dont l'un eftant tombé de deffus fa cavalle, elle prit le chemin des Ennemis, qui luy tirèrent quantité de flèches, de forte qu'ayant efté fi mal receuë elle s'en revint trou-ver les Caftillans, & mourut dans leur quartier. Dans la nuit les fentinelles prirent deux Mexiquains,,qui ayant efté menez devant Cortés , luy dirent qu'ils eftoient entrez dans des maifons ruinées pour amaffer du bois

fie

Cortés apprend d'une Dame Mexiquaine le mauvais eftat de la ville.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. II 113 & des herbes pour manger, à caufe qu'ils avoient gran­de difette de vivres. Cortés leur fit donner à manger,, & comme ils mangeoient, ils ne pouvoient fe tenir d'ad­mirer la vertu de leurs Ennemis. Ils dirent que la fami­ne eftoit grande dans Mexique, & que néanmoins on eftoit refont de mourir pluftoft que de fe rendre. Cor­tés en donna avis aux Capitaines, & voyant que ce que ces deux Indiens difoient avoit du raport à ce qu'avoit dit cette Dame , il fut refout de ne point perdre un mo­ment de temps fans faire la guerre. Et pour cet effet Cortés envoya dés la pointe du jour dreffer des embuf-cades, & des gens qui prirent plus de huit cent pauvres femmes & enfans qui fortoient pour chercher à man­ger , dont il en fut tué quelques-unes qui ne purent pas éviter la mort par mégarde ou autrement. D'ailleurs les brigantins rompirent quantité d'échafaudages que les Indiens avoient fait pour paffer, qui fut caufe que plu­fieurs furent noyez, & ils mirent quantité de canos qui alloient à la pefche , & firent quantité d'autres maux; & comme cela fe fit dans une heure extraordinaire,les Me-xiquains en furent tellement furpris que perfonne ne fortoit pour combattre. Le lendemain Cortés fortit en bon ordre ; ce que firent auffi les Indiens alliez ; lefquels ayant appris le mauvais eftat des Mexiquains,joint qu'ils les avoient fort en horreur, s'eftimant heureux de pou­voir fortir de leur domination, il en eftoit arrivé un fi grand nombre pour combattre contr'eux,qu'on ne les pouvoit nombrer. Ils eftancherent tous les mauvais paf-fages de la rue de Tacuba, par laquelle on avoit défia de la communication avec l'armée d'Alvarado , parce que l'on avoit défia eftanché plufieurs canaux , outre que l'on gagna plufieurs ponts pour paffer dans d'autres rues. Outre que l'on brufla les maifons de Quantimoc qui eftoient grandes & fplendides, ou les Mexiquains fe fortifioient, & incommodaient fort les Caftillans, & par ce moyen les trois parts de Mexique furent prifes. Mais nonobftant cela le lendemain, qui fut le jour du Bien-heureux Apoftre S. lacques, que l'on y retourna,

P

1521.

L'on prend huit cent femmes Mexiquaines qui cherchoient des herbes à la campagne pour manger.

Les Caftillans buflent les maifons de Quantimoc,

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1521

Paroles des Mexiquains aux Indiens alliez.

Les Caftillans trouvent des te­ftes de leurs ca­marades facri-

l e s Soldats d'Alvarado combattent plus que des hommes.

114 H I S T O I R E & que l'on arriva au marché , après avoir pris une rue fort large, où il y avoit quantité d 'eau, les Indiens ne laifferent pas de foutenir un furieux choc, fe confiant en ce que les chevaux ne pouvoient pas faire leurs ca-racols dans la Place , à caufe de la quantité de pierres dont elle eftoit remplie: mais les Arbaleftes leur firent grand tort , & les piques auffi y fervirent beaucoup, par­ce que ceux qui les portoient les fçavoient bien manier, Il y mourut une infinité de Mexiquains, fort affligez de voir réduit en terre ce qui auparavant n'eftoit qu'eau,& abattre ôcbrufler les plus beaux édifices de ce nouveau Monde. Et c'eftoit ce qui faifoit dire aux Mexiquains, parlant aux Indiens de l'armée des Caftillans ; Bruflez & abatez les maifons tant que vous voudrez,, nous vous en fe-rons faire de meilleures fi nous vainquons; Et quand les Chre­ftiens nous vaincroient, il faudra toufiours que vous les reba-tiffiezjtour eux. Le lendemain du jour de S. lacques l'on fit encore une autre entrée dans la ville ; & l'on trouva la grande rue d'eau en mefme eftat qu'on l'avoit laiffée le jour précèdent. L'on paffa à une Tour d'Idoles, où l'on trouva les teftes de quelques Caftillans facrifiez,quï furent reconnues avec beaucoup de douleur 6e de tri-ftefîe. Et les Ennemis combatoient avec autant de va­leur 6e de refolution que le premier jour, jufques furie foir, que Cortés jugea à propos de faire retraitte. Le jour d'après fur les neuf heures du matin comme Cor­tés entendoit la Meffe pour rentrer dans la ville, il ap~ perceut de la fumée dans les Tours du Tlatelulco , & que cette fumée eftoit bien plus forte que lors que les Indiens faifoient leurs facririces. Il jugea auffi toft qu'-Alvarado devoit eftre entré dans le marché ; ce qui eftoit véritable, & avoit perfuadé à fes gens d'entreprendre de gagner le Tlatelulco, & que c'eftoit le moyen de ne-riter une double gloire, parce que de ce lieu dependoit toute la force des Ennemis. Ils combatirent vaillam­ment, & arrivèrent en veuë du marché ; mais ils ne pu­rent gagner que ces Tours , quoy qù'ils euffent fait des actions plus qu'humaines ; où Alvarado fit faire ces fu-

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S LiV. II 115 mées pour le faire fçavoir à Cortés, & pour découra­ger les Ennemis. Cortés entra auffi-toft dans la Ville, mais il ne fit autre chofe que d'étancher des ponts & ap-planir les paffages, toufiours combatant, & fe battant en retrait te, avec autant d'obftination que les Ennemis avoient appris de faire ; & il fallut auffi qu'Alvarado de fon cofté monftraft fon courage & fa prudence, car les Mexiquains le ferrèrent de fort prés.

C H A P I T R E I I I .

Le Pere de las Cafas va far l'ordre de l'Audience de l'Efpa-gnolie pour mettre fes provifions en exécution à Cumana.

POur ne point perdre le fouvenir de ce qui touche le Pere de Jas Cafas, il n'y a point de danger de luy

faire tenir fon rang en ce lieu , &dans les temps que les chofes font arrivées. Cependant que toutes les chofes fe paffoient dans la nouvelle Efpagne , avec beaucoup de travaux comme nous le venons de faire voir, il pro-curoit fes depefches dans l'Ifle Efpagnolle avec beau­coup de folicitation ; & difoit que puis que fes provifions avoient eft publiées avec tant de folemnité, qu'elles s'effectuaffent donc. Mais d'autant qu'il y avoit plufieurs avis pour l'exécution , cela faifoit que l'affaire fe retar-doit ainfi ; quoy que le Pere de las Cafas les menaçoit derepaffer en Caftille pour fe plaindre au Roy, du tort que cela faifoit par ces retardemens. Enfin ils pafferent encore quelques jours, & après avoir fait plufieurs af-femblées entr'eux pour ce fujet, ils refolurent de ne point donner au Pere un fujet de mécontentement, & faire quelque accommodement avec luy. Il fe faifoit de quatre fortes de trafics dans la terre que le Roy avoit donnée au Pere de las Cafas en gouvernement 5 La pre­mière eftoit la pefche des perles qui fe faifoit dans Cuba-gua, où les Habitans de l'Efpagnolle tenoient leurs ef-couades d'Indiens efclaves ; La féconde eftoit le trafic

p ij

1521.

Le Pere de la Cafas preffe pour l'exécution de fes dépéches.

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116 H I S T O I R E

de For qui le faifoit par toute cette colle jufques à la Province de Veneçuela, & encore plus outre au dé la ; La troifiéme elloit le négoce des Efclaves ; Et la der-niereja guerre des Indiens, pour y faire des Efclaves. Et fçachant bien qu'il n'y en avoit point de plus capa­ble que le Pere de las Cafas pour faire valoir ces for­tes de négoces ; ils traitterent avec luy pour mettre co­la en compagnie, & d'en faire vingt - quatre parts qui feraient partagées également ; dont il y en auroit fix pour les droits du Roy , fix autres pour le Pere de las Cafas & pour les cinquante Cavaliers aux Efperons do­r e z , qu'il devoit recevoir ; & que les douze autres fe-roient appliquées trois pour l'Admiral ; quatre pour les quatre ConieillerS, qui eftoient les Licenciez Marcel de Villalobos , Iean Ortiz de Matienzo , Luc Vafquez d'Ayllon , & Rodrigue de Figueroa ; trois pour Michel de Paffamonte, le Controlleur Alonfe d'Avila, & le Vi-fiteur Iean d'Ampuës ; & les deux autres pour les deux Secrétaires de la Chambre de l'Audience,Pierre de Le-defma , & Iean Cavallero ; moyennant quoy chacun contribua pour les frais & dépenfes. L'on fit donc le traité en cette forte ; que l'on donneroit au Pere de las Calas de l'armée que Gonçale d'Ocampo. avoit ame­née , cent vingt-hommes choifis, & à la folde, & que les autres feroient congédiez. Et d'autant que ces foldats devoient eftre fous la charge d'un Capitaine,on les laif-fa avec Gonçale d'Ocampo, parce qu'il avoit défia pa­cifié la terre , & que cette armée ne fe faifoit qu 'a f in que le Pere de las Cafas témoignaft avec plus de certi­tude comme le tout s'eftoit paffe, les gens 6c les Provin­ces ou Fon mangeoit de la chair humaine , & ceux qui ne vouloient point faire de paix avec les Caftillans, ny recevoir la Foy, ny les Prédicateurs ; afin que le Capi­taine , & les gens qui eftoient à la folde, leur puffent fai­re la guerre.

Cette refolution eftant prife, & toutes chofes eftant en eftat, l'on bailla au Pere d e las Cafas, les Navires bien-armez, & munis de vivres, de munitions,& de mar-

Ceux de l 'Au-dience de l'Ef-pagnolle en­trent en party avec le Pere de las Cafas.

D e las Cafts par t de S. D o ­minique pour aller à Cumana.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L I V . I I . 1 1 7 chandiles pour faire les crocs, & ordre pour prendre unze cent charges de pain cazabi de l'Ifle de la Mona, de celuy qui eftoit dans le Magazin du Roy ; il partit du port de S, Dominique au mois de Iuiliet, mais comme fon deffein eftoit d'emmener les Laboureur qu'il avoit il laiffez en l'Ifle de S. lean, il n'y en trouva pas un, parce qu'ils s'eftoient difperfez en differens endroits. Enfin il arriva en terre ferme,& trouva Gonçale d'O-campo dans fa nouvelle ville, qu'il avoit nommée T o ­lède , & dont les gens eftoient fort mal. contents , parce qu'ils y mouroient de faim , à caufe que les Indiens des environs s'oftoient retirez plus avant dans lepaïs. Com­me ils eurent appris la teneur de la commiffion du Pere de las Cafas,perfonne ne voulut demeurer avec que luy, & ils s'en retournèrent à l'Efpagnolle ; fi bien que le Pe­re demeura feul , excepté fes fervitenrs, fes amis , & quelques autres qui voulurent demeurer à la folde ; ainfi Tolède demeura dépeuplé. Le Capitaine Gonçale d'O -campo eut un grand reffentiment de voir le Pere ainfi abandonné. Il le confola du mieux qu'il put j & neant-moins il s'en retourna auffi à l'Efpagnolle. Il y avoit-là un Monaftere de Religieux de S. François,dont le Gar­dien eftoit frère Iean Garceto. Ils avoient un fort beau jardin, ou il y avoit quantité d'Orangers, une pièce de vigne, & des herbes potagères ; de bons melons & au­tres chofes neceffaires à la vie ; &tout cela n'eftoit qu'à un trait d'arc de la cofte de la mer, tout proche de la ri-ve du Fleuve de Cumana, d'où toute cette terre tire fon nom. Le Pere de las Cafas commanda de baftirune cran-de maifon à cofté de ce jardin, ou il y euft une grande hale ou Magazin, pour mettre à couvert toutes les vi-v e s , les munitions, & les merceries pour faire les trocs qu'il avoit amenez. Il fit fçavoir au plultoft aux Indiens, par le moyen des Religieux 6c d'une Dame Indienne appellée Marie , qui fçavoit quelque peu la langue Ef-pagnolle ; qu'il eftoit venu de la part du Roy,qui eftoit nouvellement arrivé à la Couronne de Caftille, duquel ils recevroient de grandes courtoifies, & les maintien-

P iij

1521.

Les Caftillans quit tent le pere de las cafas.

Le Pere com-, mence de s'é­tablir à Cuma­na .

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1521.

118 H I S T O I R E droit en paix , ainfi qu'ils le reconnoiftroient plus am­plement ; & pour les amadouer davantage il leur donna des babioles qu'il avoit. Il a défia efté dit cy-devant que dans l'lfle de Cubagua il n y avoit que de petites mares d'eau falée, & que pour avoir de l'eau douce il falloit aller à la rivière de Cumana qui en eftoit efloignée de fept lieues, à l'embouchure de laquelle le Pere com­mença à baftir une Fortereffe, efperant que cela tien-droit non feulement les Indiens en affeurance ; mais qu'elle ferviroit encore pour reprimer les infolences qu'il croyoit que ceux de Cubagua pourroient commet­tre, Mais comme ils eurent reconnu fon deffein , ils fi­rent en forte de luy deftourner l'entrepreneur avec le­quel il eftoit convenu pour la fabrique ; fi bien que par ce moyen- là l'ouvrage de la forterefte ceffa ; & ceux de Cubagua continuèrent leur négoce avec les Indiens, bien plus hardiment qu'ils n'avoient point encore fait par le paffe.

C H A P I T R E I I I ,

Le Pere de las Cafas retourne à l'Efpagnolle, & ce qui arriva dans Cumana en fon abfence. Les Indiens bru fient

le Monafere de S. François,

LA plus precieufe monnoye que les Indiens afFe-dionnoient, eftoit le vin, & pour en avoir ils cher-

choient dans les concavitez de la terre tout ce qui s'y pouvoit rencontrer de rare , & le portoient aux Ca­ftillans pour avoir du vin, & ils donnoient enfin tout ce qu'ils pouvoient poffeder pour en avoir. Mais il arriva de cela que comme ils ne s'en fervoient pas modéré­ment , & qu'ils ne le trempoient pas , ils s'eny vroient facilement, & querelloient auffi-toft les uns contre les autres ; & dans cette chaleur ils prenoient leurs arcs 6c leurs flèches empoifonnées, & fe tuoient ainfi les uns les autres. Comme donc le Pere de las Cafas pour dé-

D e las Cafas veut batir; une fortereffe à Cumana .

l e s Indiens a i ­m e n t furrout le vin de Caftil-le .

let Indiens font grands yvrog-nes.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.II . 119 tourner cette forte de negoce des Caftillans avec les In-diens, fouffrit beaucoup au commencement , il paffa à Cubagua, & pria l'Alcalde Major de ne point empê­cher le cours de fa négociation ny que les gens de cette Iflc ne fe meflaffent point de fon gouvernement, parce que tout cela ne ferviroit à rien. Tout fon entretien n'eftoit qu'avec les Religieux , & ils jugèrent bien en-tr'eux que tous les empefchemens que ceux de Cuba­gua luy faifoient n'aboutiffoient à rien, & que pour ve-nirà bout de fon deffein il n'avoit qu'à paffer en Ga-ftille pour demander au R o y , ou à l'Audience de l'Ef­pagnolle , que deffenfes fuffent faites fur de grandes peines, de l'inquiéter. Le Pere de las Cafas ayant trou­vé cet avis à propos refolut de repaffer à l'Efpagnolle dans deux Navires qui eftoient chargez de fel, & laiffa pour Capitaine des gens qui y eftoient, François de So-to , natif d'Almedo, avec ordre de ne pas permettre en aucune façon que ce fuft que les deux Vaiffeaux qu'il laiffoit au port s'en efloignaffent, dont l'un s'appelloit S.Sebaftien, qui eftoit léger, & fort bon voilier 5, l'au­tre eftoit une fuite de Maures, que les Indiens appel­a i en t cent pieds, à caufe qu'elle les avoit joint qu'ils la craignoient fort Et que fur tout il prift garde que les In­diens ne fe foulevaffent point , parce qu'en ce cas s'il voyoit du péril il faudroit qu'il fift embarquer les gens-dedans les Navires, avec tout le bien,& qu'il paffaft à Cubagua ; & que s'il ne pouvoit pas enlever le bien qu'il fauvaft du moins les gens. Mais François de Soto garda mal l'ordre que le Pere de las Cafas luy avoit Iffé , parce que fi- toft qu'il fut party , il envoya les Navires en divers lieux de la cofte pour négocier en or, en perles, & en efclaves. Cependant les Indiens de la terre qui font toujours enclins à mal faire, résolurent de tueries Religieux, qui leur avoient toufiours fait du bien, & avec beaucoup de charité , & tout autant de Caftillans qu'ii s'y en pourroit rencontrer. Cette refolu-tion citant prife quinze jours après le départais la vou­lurent mettre en exécution ; ce qui fait juger que cela

1521,

De las Cafas re ­tourne à l'Efpa­gnolle.

François die So­to ne fuit pas l 'ordre du Pere de las Cafas.

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1521. Les indiens re­foulent de tuer des Religieux,

120 H I S T O I R E fe fit par un un deffein prémédité auparavant. Les Reli­gieux ayant eu avis de cela trois jours avant qu'ils l'exé­cutaient , & ayant demandé à la Dame Indienne Ma­rie par les Indiens qui eftoient prefens,fi cela eftoit vé­ritable 5 elle dit hautement que non ; mais elle fit figne des yeux , & par les mouvemens de la tefte que cela eftoit vray. Dans cet intervalle il arriva-là une barque qui venoit pour troquer, les Caftillans prièrent le Pa­tron de les vouloir recevoir, & les Religieux auffi de crainte d'accident 5 mais il n'en voulut rien faire.

Cependant tant que les trois jours qu'ils avoient de delay durèrent, les Religieux & François de Soto , fu­rent dans de grandes inquiétudes , demandant à tous momens aux uns & aux autres de ces Indiens,quand ils vouloient exécuter leur deffein, Enfin la nuit avant que cela arrivait ils mirent le peu de gens qu'ils avoient au­tour de la maifon avec quatorze petites pièces de cam­pagne 5 mais comme ils éprouvèrent la poudre , ils trou­vèrent qu'elle eftoit fort humide, & qu'elle ne pouvoit prendre feu. Le lendemain au matin comme ils l'eurent pofée au Soleil pour fecher, les Indiens arrivèrent, fai-faut de terribles cris, & mirent d'abord le feu à la mai­fon, ou Arfenal, & tuèrent deux ou trois hommes, & le feu gaignoit toufiours. Cependant que les Indiens eftoient occupez autour de ce feu ; ils firent une brèche à la maifon , & une autre au jardin des Religieux qui eftoit entouré d'une haye de canos ; par ou les Reli­gieux entrèrent. Dans ce mefme temps François de So­to revenoit de voir ce qu'il y avoit dans le village des Indiens qui eftoit fur le rivage de la mer , à un trait d'arbalefte de la maifon & du Monaftere, qui fut bief-fé à un bras d'une flèche empoifonnée, & nonobftant cela il ne laiffa pas d'entrer dans le jardin. Les Religieux avoient un tuyau qui leur fourniffoit de l'eau de la ri­vière , qui eftoit à un bon jet de pierre delà , & qui en­trait dans le jardin, & où il y avoit auffi un cano, dans lequel pouvoient tenir cinquante perfonnes. Ils fe mi­rent tous dedans, excepte frère Denis laïc, homme de

bonne

Les Religieux fe mettent en defenfe,

l e s Indiens at­taquent les Ca-ftilans.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. II. 121 bonne vie. Comme il entendit les cris des Indiens,il s'en­fuit Se s'alla cacher parmy des cannes Se des rofeaux fans que perfonne l'aperceut; & tous les autres , qui pouvoient eftre vingt perfonnes, dans le Cano,fe mirent fur la rivière pour descendre à la mer ; à deffein d'aller aborder a la pointe d'Araya où eftoient les Salines, & ou chargeoient quelques Navires ; mais pour y arriver il falloit paffer un golfe de deux lieues. Comme frère Denis vit le Cano au travers de ces rofeaux où il eftoit il en fortit promptement Se courut auffi-toft vers le ri­vage ; & quoy qu'il luy fembloit defcendre plus bas qu'il ne falloit, ceux du Cano firent tous leurs efforts pour le recevoir 5 mais comme ce fleuve eft rapide,ils ne purent vaincre le courant ; & le pauvre Religieux voyant cela , leur fit ligne des mains qu'il paffaft outre. Cependant les Indiens qui s'occupoient au feu de l'Ar-fenal , s'imaginant que les Caftillans eftoient dedans, eftoient tout eftonnez de ne les pas voir fortir ; mais après qu'ils fe furent efclaircis de cela par le moyen d'u­ne Pirague , qui eft une façon de vaiffeau différente des Canos,& fort legere fils allèrent apres eux,qu'ils eftoient delia une lieuë en m e r , les mains pleines d'empoules, & tout rompus à force de ramer. Le Cano arriua à terre,& la Pirague tout d'un temps, affez proche les uns des au­tres. Or cette plage eft fi remplie de chardons, dont les cfpines font fi longues & fi aiguës, qu'un homme armé n'oferoit fe fourer dedans qu'en taffonnant avec quel­que bafton pour fe faire place ; mais comme les Indiens font tout nuds , ils tardèrent beaucoup à arriver,depuis qu'ils eurent quitté la Pirague jufques aux Caftillans, quoy qu'il y euft peu de diftance ; & nonobftant tout cela frère Iean Garccto dit depuis, qu'il avoit veu tout proche de luy des Indiens qui l'avoient voulu fraper avec une Macana, & qu'ayant mis les genoux en terre, fermé les yeux,, & eflevé fon cœur à Dieu en atten­dant le coup de la mor t , & voyant qu'il tardoit beau­coup à le frapper, qu'ayant ouvert les yeux , il ne vit perfonne auprès de luy ; ce qui fait juger que les In-

P

1521. Les Religieux fe fauvent , ex-cepté frere D e ­nis .

Les Indien s fut-vent les Rel i ­gieux avec une Pirague.

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1521. Les lndiens n'o-fent entrer dans des chardons qui eft caufe que les Reli­gieux fe fau-vent.

François Soro meurt enragé.

122 H I S T O I R E diens n'en avoient ofe approcher à caufe de ces poin­tes de chardons ; ce qui fut caufe qu'ils efchapperent tous par ce moyen-là. Ils attendirent dans cette forte­reffe d'efpines , & ils en fortirent enfin après un bon ef-pace de temps bien piquez & fort affligez ; mais enfin ils arrivèrent où les Navires chargeoient du fel , où ils furent fort bien receus faifant compaffion de leur mi-fere. Il manquoit François de Soto, qui eftoit bleffé de cette flèche empoifonnée, & comme quelqu'un dit qu'il l'avoit veu deffous une roche à cofté de ces chardons, on le fut chercher dans une barque à une lieuë & demie delà, & le trouvèrent encore en vie au bout de trois jours qu'il avoit efté bleffé fans qu'il euft ny bu,ny man­gé. Eftant entré dans la barque , comme cette herbe empoifonnée caufe une grandiffime foif, il demanda de l'eau,parce qu'il brufloit, mais fi-tofl qu'il en eut pris il commença à enrager, & mourut incontinent après. Par­ce que c'eft une chofe qui a efté éprouvée, que celuy qui eft frappé de cette herbe venimeufe , c'eft à dire de ce que l'on en a frotté, il en doit ny boire ny manger jufques à ce qu'on luy ait appliqué les remèdes pour fa guerifon, parce qu'en beuvant ou mangeant, cela fait faire l'opération au poifon, & ne ceffe point qu'il ne foit mort.

C H A P I T R E V.

Les Indiens ruinent le Monaftere. Le Pere de las Cafas en­tre dans le Monaflere de S. Dominique, & prend l'habit

de cet Ordre. L'audience envoyé le Capitaine Caftellon pour chaftier les Indiens.

LA maifon que le Pere de las Cafas avoit fait baftir ayant efté bruflée, comme nous le venons de dire,

par les Indiens,& le Monaftere ruiné & defolé au grand mépris des chofes facrées qui eftoient dedans , & tué jufques à un petit mulet dont les Religieux fe fervoient ;

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DES I N D E S OCCIDENTALES , Liv. II . 113 car ils ne laifferent rien de vivant qui leur appartint pour affouvir leur rage , pour recompenfe des bien-Faits qu'ils avoient reçeus d'eux ; Ils arrachèrent tout ce qui eftoit dans le jardin, & en bruflerent ce qu'ils pu­rent . Cependant qu'ils executoient ainfi leur paffion frère Denis qui eftoit refté parmy ces rofeaux & ces cannes , y ayant paffe trois jours fans manger , refolut enfin d'en fortir, après avoir prié Dieu de faire de luy à fa volonté , à caufe qu'il voyoit quelques Indiens À qui il avoit rendu de bons fervices. Ils le gardèrent trois autres jours, avant que de refoudre ce qu'ils feroient de luy. Les uns difoient qu'il le falloit fauver , difant qu'il ferviroit de médiateur pour eux envers les Caftil­lans. D'autres perfeverant en leur malice,difoient qu'ils le vouloient tuer. Mais enfin la cruauté l'emportant par deffus toutes ces confiderations, particulièrement d'un nommé Orteguilla qui avoit efté ferviteur en ce Mona­ftere, ils le tuèrent , après que ce bien-heureux Reli­gieux eut demeuré trois jours en Oraifon. Ils luy mi­rent une corde au col , & après luy avoir donné un coup de Macana fur la tef te , eftant à genoux comme il fe recommandoit à Dieu ; puis ils le trainerent faifant mille ignominies au corps privé de vie. Orteguilla prit fon habit & le porta plufieurs jours, jufques à ce que l'heure de fon chaftiment fuft arrivée. Leur infolence n'en demeura pas l à , car comme ils s'imaginoient que toutes chofes leur feroient faciles , ils fe préparaient défia pour aller à l'Ifle de Cubagua contre les Caftil­lans qui y eftoient ; & comme Antoine de Flores qui eftoit l'Alcade Major n'avoit pas affez de cœur pour leur refifter , quoy qu'il euft des armes & trois cens hommes dans deux caravelles , & d'autres barques qu'il avoit encore , ils s'en allèrent tous dans l'Efpagnolle, abandonnant quantité de vivres, de vin , & autres cho­fes de valeur. Si bien que les Indiens voyant l'Ifle aban­donnée y pafferent, ils beurent le vin , & pillèrent tout ce qu'ils y rencontrèrent.

D'ailleurs le Pere de las Cafas par la faute des Ma-

1521.

Ingrat i tude des Indiens.

Les I n d i e n s tuent frere D e ­nis c o m m e il faifoit fo orai-fon.

Les Cafti l lans a b a n d o n n e n t Cubagua.

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1521 124 H I S T O I R E riniers,qui penfoient que la coite de l'Efpagnolle par où ils navigeoient , eftoit de l'Ifle de S.Iean , allèrent furgir au port de Yaquimo plus bas de quatre vingt lieues que celuy de S.Dominique. Si bien qu'ils furent deux mois à remonter contre les courants, qui font fort grands dans cette mer en tirant vers S. Dominique ; Et il eftoit arrivé dans le commencement des découvertes qu'un Navire pour doubler l'Iflette de la Beata fut huit mois en chemin. Et pour ce fujet l'on trouva bien moins de difficulté de tournoyer quatre cent lieuës & plus en allant à Cartagena, Santa-Marta Nombre de Bios par le Hanana, que d'aller par le droit chemin à faint Domi­nique. C'eft pourquoy le Pere de las Cafas refolut d'al­ler par terre au village de Yaquana, neuf lieues en de­dans le païs. Dans ce mefme temps les Navires qui eftoi-ent chargés du fel à la pointe d'Araya arrivèrent à faint Dominique avec les Religieux , & ceux qui s'eftoient fauvez avec eux. Ils déclarèrent comme le tout s'eftoit paffe ; & comme le Pere de las Cafas ne paroiffoit point, & qu'on n'avoit eu aucunes nouvelles de luy ; l'on fît auffi-toft courir le bruit que les Indiens Pavoient auffi tué. Mais le Pere de las Cafas partit auffi-toft de la Yaguana, accompagné de quelques Caftillans , & comme il alloit du cofté de faint Dominique , s'eftant mis fous un arbre fur le bord d'une rivière, pour paffer la chaleur du midy , il s'endormit ; Et comme il dor-moit il paffa par - là trois voyageurs Caftillans, qui fe demandèrent les uns aux autres ce qu'il y avoir de nou­veau ; ils dirent que les Indiens de la cofte des perles avoient maffacré le Pere de las Cafas, & tous ceux de fa compagnie. Mais ceux qui fe repofoient avec luy di­rent qu'ils eftoient témoins de ce que cela ne pouvoit pas eftre , & fur cela de las Cafas fe réveilla tout con­fus ; parce que félon la difpofition des chofes de cette t e r re , il luy fembloit qu'il devoit appréhender quelque mauvais fuccés ; ce qui fe trouve véritable. Lors qu'il fut arrivé à faint Dominique il raconta tout ce qui s'e­ftoit paffé, & refolut d'attendre refponfe, pour n'avoir

L'on apprend d a n S . D o m i ­nique i accident arr ivé à Cuma­na .

D e las Cafas entend dire à d'autres qu'il avoit efté tué.

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv.II. 125 pas allez de matière pour aller à la Cour . fi bien qu'ayant attendu là quelques mois , comme toute fa conversa­tion eftoit avec les Pères de faint Dominique ,le Pere Dominique de Betanzo luy perfuada de prendre l'ha­bit de leur Ordre , & d'entrer dans leur Religion, & qu'il avoit agy de fa perfonne autant qu'il fe pouvoit faire en faveur des Indiens ; à quoy il s'accorda. Et voi­la l'hiftoire du Pere de las Cafas qui fut puis après Evef-que de Chiapa ; En quoy Gonçale Fernandez d'Oviedo, & François Lopez de Gomara , n'ont pas efte affez pon-due l s , dont le mefme Evefque avec jufte raifon en a fait paroiftre un jufte reffentiment.

L'Admirai Diego Colon & tous ceux du Confeil de l'Ifle Efpagnolle après la relation que rirent les Reli­gieux , & la fuite de Cubagua , conclurent qu'il n'eftoit pas jufte de laiffer cette lue à l'abandon , ny que les In­diens demeuraffent impunis. Ils ordonnèrent auffi-toft de lever une armée ; & nommèrent pour Capitaine Iac-ques de Caftellon ; de force qu'avec les gens qu'il peut lever & ceux de l'Ifle de Cubagua, il paffa en terre fer­me dans quatre ou cinq Navires ; & laiffant des gens dans Cubagua , afin de continuer le trafic des perles, il paffa avec le refte la rivière de Cumana, où il s'eftablit,pour afleurer l'eau à ceux de l'Ifle , & envoya des efquoades dans la terre pour faire la guerre aux Indiens. Ils en tuè­rent quantité. Ils en captivèrent d 'autres , & fit pendre les plus coupables qu'il put attraper, entre lefquels eftoit l'un des Frères d'Orteguilla, qu'ils prirent avec le faine habit de faint François, avec un Bréviaire dans fa man­che , & depuis encore le mefme Orteguilla. Et quant à ceux qu'il ne peut a t t r ape ra i leur bailla une amniftie par le moyen du Cacique Don Diego , afin qu'il les fift revenir tous dans leurs villages, moyennant quoy cet­te révolte fut appaifée. Il baftit à l 'embouchure de la rivière une fortereffe où le Pere de las Cafas l'avoit voulu baftir, par le moyen de laquelle il affeura l'eau à ceux de Cubagua ; & ils commencèrent à fabriquer des maifons de p ier re , & on fit un lieu tres-noble qui fut ap-

P iij

1521. Il Ce fait Reli­gieux de s.do

l 'audience de l 'Efpagnolle en voye chaftier les Indiens de C u m a n a .

L'on édifie la nouvelle Cadiz

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1521. 126 H I S T O I R E pelle la nouvelle Cadiz, & la pefche des perles y aug­menta de telle forte,que pendant qu'elle dura,l on tient que le profit que l'on y fît monta à plus de deux milions ; mais enfin elle finit & le lieu fe dépeupla à caufe de cela. Il arriva en ce temps-là un cas effrange. Vn In­dien s'eftant plongé dans la mer pour pefcher les écail-les où fe trouvent les perles, vit tout proche de luy un poiffon affreux qu'ils appellent un Marrajo, & comme il eftoit extrêmement grand , & avoit auffï la bouche fort grande , il eut frayeur ôc remonta au deffus de l'eau. Vn moment après, l'Indien fe replongea dans l 'eau, & le Marrajo, qui l'attendoit, l'avala auffi-toft. Les autres Indiens étonnez du triboüillement qu'ils avoient enten­du dans l 'eau, s'imaginant la chofe comme elle eftoit arr ivée, tuèrent promptement un petit chien, & le mi­rent au bout d'une corde avec un ameçon de chaine fort grand, qu'ils portent ordinairement dans les Vaiffeaux pour ces fortes de poiffons ; Puis l'ayant jette dans l'eau, le Marrajo ne manqua pas de s'y prendre. Ils appellerent des gens pour les ayder, & ayant tiré le poiffon dehors, à coups de haches, de pierres, & ce qu'ils purent, ils le tuèrent. Ils luy ouvrirent le ventre, & trouvèrent de­dans le pauvre Indien. Ils le tirèrent dehors, mais après avoir fait deux ou trois foupirs il rendit l'efprit. Il y a bien d'autres fortes de beftes tres-cruelles dans ces mers, comme les Caymanes ainfi appeliez par les Indiens,& par les Caftillans, lezarts, mais leur véritable nom eftero-codille , qui mangent la chair humaine, dont on a dé­fia fait mention en plufieurs endroits de ce livre, & que l'on fera encore. Les autres font les Tiburons qui faifif-fent les hommes par où ils peuvent, 6c les enlèvent au plus profond de l'eau , où ils les déchirent 6c les man­gent. Mais les Marrajos font plus grands, & ont une fi grande bouche qu'ils avalent les hommes entiers, com-me il s'eft veù en celuy-cy.

Marrajo poif­fon , qui avale un indien.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L I V . I I . 127

1 5 2 1 .

C H A P I T R E V I .

Continuation des attaques de la ville de Mexique.

LOrs que Cortés vouloit continuer les entrées qu'il faifoit dans Mexique , il en donnoit toufiours avis

aux autres Capitaines, afin que tout d'un temps ils fif-fent tous la mefme chofe. Il entra donc dans la ville le huitième jour d'Aouh, le plus matin qu'il put,& ne trou­va rien à prendre qu'une traverfe de rue , avec fa bari-cade tout auprès d'une tour , qu'il commença à battre. Mais il y eut un Enfeigne avec deux autres Caftillans qui fe jetterent dans l'eau , & nonobftant quelque refi-ftance ils ne laifférent pas que de paffer, & la prirent ; & Cortés s'arrefta-là pour l'affeurer. Pedro d'Alvarado ar-riva-là auffi par la mefme rue , accompagné de quatre Cavaliers. L'on ne peut affez exprimer la joye qu'ils eurent 6c les uns & les autres , pour beaucoup de rai-fons, & pour avoir trouvé le chemin par où les deux ar­mées fe pouvoient communiquer. Cortés alla auffi-toft voir le marché , & deffendit que perfonne paffaft outre ; & fe promenant dans la place il vit que moins il y avoir de gens fous les arcades, il y en avoit d'autant plus dans les maifons & fur les terraffes , à caufe de quoy les Ca-ft-illans apprehendoient de fe répandre par la place ; joint que la Cavalerie n'y pouvoit pas aller à caufe de l'em­barras des pierres dont elle eftoit remplie. Cortés voyant cela monta fur une grande tour , où il trouva des telles de Caftillans & de Tlafcalteques qui avoient efté facri-fiez; pofées devant des Idoles , qui luy cauferent une grande trifteffe. Il vit de cette Tour que de huit par­ties de la ville, ils en avoient gagné fept ; d'où il conje­ctura que cela procedoit de la grande famine que les affiegez enduroient ; parce qu'il voyoit qu'ils avoient rongé jufques aux efcorces des arbres & aux racines,& que la puanteur des corps morts eftoit tellement infup-

Cortés fait une autre entrée dans Mexique ,

Cortés & Alva-rado fe rencon­trent avec une grand iffime joye.

Cortés t rouve des teftes de Ca ftillans & de Tlafcal teques facrifiez.

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1521.

128 H I S T O I R E portable qu'il eftoit impoffible d'y fubfifter. A caufe de-quoy Cortés refolut de ne les point perfecuter quelques jours , & leur offrir des moyens de paix ; & envoya pour cet effet des Meffagers qui parlèrent à Quantimoc,& luy reprefenterent le miferable eftat ou les Mexiquains fe trou-voient, & la bénignité de Cortés, Mais fans permettre qu'ils par laffent davantage il leur dit ; Dites a Cortés que noftre deffein eft de mourir comme nos parens garnis pur la deffen-ce de noftre liberté ; & qu'il n'efpere aucune paix de nous, par-ce que nom voulons refifter jufques à toute extrémité ; qu'il ne s'imagine pas de jouir de nos trefors , parce que lors que nous verrons que nous ne pourrons plus fubfifter, nous les jetterons tous dans l'eau. Cortés ayant receu cette réponfe, & que la poudre manquoit aux Caftillans , il refolut de faire faire une Bacule, qui eft une certaine machine à jetter des feux d'artifice ; & comme les architectes n'en avoient jamais fait, ils ne pouvoient s'accorder comment il s'y falloit prendre ; & toutefois la chofe fe fit. Ils la mirent dans la place du Tlatelulco dans un baftiment en façon de tripot qui eftoit tout au milieu, fait à chaux 6c a ci-ment, de la hauteur de quinze pieds,de forme quarrée, & qui avoit de coin en coin trente pas ; ce lieu fervoit à faire des jeux & des réjoüiffances, Mais cette machine reüffit fi mal , qu'elle épouvantoit ceux de dehors, & tuoit ceux de dedans, en chaffant les pierres derrière. Si bien que comme l'on vit cela l'on recommança à bat­tre la ville, & l'on trouvoit dans les rues quantité de me-nues gens qui mouroient de faim ; mais Cortés deffendit aux Indiens alliez de leur faire aucun mal. Les autres gens de condition, & artifans ne vinrent point comba-t r e , ils ne bougeoient de deffus les terraffes , couverts de leurs robes, & les Tlafcalteques leur difoient, Ren-dez^vous^ouvoris mourrez, de male mort. Mais ils répondoient, mourir ou vaincre. Cortés les fomma par un Notaire & des témoins, qu'ils euffent à accepter la paix, & les in­terprètes ne difoient ny oüy, ny non ; mais après en avoir efté bien importunez, ils dirent que l'on ne fift point de mal à ces pauvres gens , qui fortoient pour chercher à

manger,

Réponfe de Quantimoc à Cortés.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I I . 129

manger , qui eftoient les femmes & les enfans, & qu'ils defiroient la paix , & firent femblant d'envoyer appel-ler Quancimoc ; mais ce n'eftoit que par gaufferie car ils efloient tous préparez pour combattre, & attaquèrent en mefme temps. Cortes ordonna à Pierre d'Alvarado de le faifir d'un quartier de plus de mille maifons, & luy eftant à pied, parce que les chevaux ne pouvoient pas en approcher , il s'en alla par un autre endroit, où l'on çombatit avec plus d'obftination que jamais, & avec beaucoup plus de perte de fang du collé des Mexi-quains, lelquels defefperez , & enfermez, fans aucune efperance de fe pouvoir fauver , fe fourroient au mi­lieu des épées par un grand courage, & ainfi ce n'eftoit que fang , parce que les Cailiilans & les Tlafcalteques combattoient vaillamment , non pas tout à fait fans dan­ger , parce qu'ils avoient à faire à des gens qui ne cher-choient que la mort.

Pierre d'Alvarado prit tout ce quartier, & Cortes de fon cofté les recogna jufques dans leurs maifons ; fi bien que l'on tient que ce jour-là il en fut tué ou pris plus de douze mille , furlefquels les Indiens alliez exercè­rent tant de cruauté qu'ils ne donnoient quartier à pas un , nonobftant toutes les réprimandes que Cortés & les autres Capitaines leur faifoient. Le lendemain Cortés rentra dans la ville avec toutes fes forces, mais ayant horreur de ce qu'il voyoit, il deffendit de combattre ; car ce n'eftoient que clameurs par toute la vil le, de gens defefperez qui ne pouvoient mettre leurs pieds que fur des corps morts de leurs parens & amis, & de fe voir per-fectitezpar ceux qui avoient efté leurs vaffaux, de for­te qu'ils ne demandoient auffi que la mort , & prioient que l'on les achevait en bref. Quelques-uns des princi­paux demandèrent à parler en diligence à Cortés ; & luy dirent , Que puis qu'il eftoit le fils du Soleil, qui d'une fi grande viteffe en un jour & en une nuit faifoit tout le circuit du monde, pourquoy il tardoit tant à les exterminer ? Parce, qu'encore que la mort fuft fi affreufe , & qu'ils voyoient bien que leur vie luy eftoit infupportable , ils aimoient beaucoup Q

1 5 2 1 . Les Indiens de­mandent la paix , puis n'y veulent pas en­tendre.

Cruauté des diens alliez-

Paroles de Q u a t i m o c à à cortés-

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1521

130 H I S T O I R E

mieux faire efecthon de la mort ; Et que partant ils le priaient d'ufer tant de clémence envers eux, que de les vouloir tirer fromptement de cette mifere. Cortés les confola, il leur of­frit la liberté, & leur dit beaucoup de bonnes raifons ; parce qu'iL n'avoit jamais aucun deffein d'vfer de cruau­té envers eux ,ny encore moins d'ufer de vangeance. Et d'autant que toutes ces paroles, quoy qu'affables ne purent pas amolir leur dureté,il refolut de leur envoyer un Seigneur de leur nation qu'il y avoit quatre jours qu'un Oncle du Seigneur de Tezcuco avoit pris ; pour leur offrir la paix, & dire à Quantimoc , que Cortés luy promettoit de luy laiffer la qualité de grand Seigneur comme il eftoit ; & qu'il n'avoit autre deffein que d'obliger la ville à rendre obeyffance au grand Roy de Caftille ; Et cependant il fit préparer fon armée, afin d'eftre préparez à l'attaque après avoir receu fa refolution. Ce Seigneur alla faire fon meffage. Il dit premièrement que les Caftillans l'a-voient bien pensé de fes bleffures ;qu'ils l'avoient fort bien trai­té & comme il commença à luy parler de la paix, fans vouloir permettre qu'il pafTaft plus outre le Roy com­manda qu'on le facrifiaft, & auffi-toft après les Mexi-quains commencèrent à combattre contre les Caftillans de grande furie, jettant des pierres, des baftons,& des flèches. Ils tuèrent un cheval d'un coup de poignard qui avoit efté fait d'une épée Caftillane ; & cependant qu'ils combatoient ainfi,les Indiens alliez fe repofoient dans la ville ; & quoy que Cortés y retournaft le jour d'après il ne voulut pas que l'on combatift fe confiant que les Me-xiquains voyant les maux 6c les miferes qu'ils endu-roient, ou abandonnèren t la ville, ou le viendroient trouver. Il vit certains Seigneurs dans une tranchée., qu'il connoiffoit, aufquels il demanda pourquoy ils fe laif. foient ainfi tuer comme des brutes, plufloft que de vouloir trai­ter de paix, veu les offres de bon traitement qu'il leur avoit faites, comme homme qui connoiffoit les miferes humaines, & qu'il avoit un grandiffîme regret de leur difgrace, & particu­lièrement de leur Roy , qui fe pouvoir bien fer a luy , eftant le propre des Capitaines Caftillans d'accomplir leur promeffe.

Quant imoc or­donne de facri-fier un Indien, pour luy avoir perfuadé de fai­re la paix.

Cortés évite t a n t qu'il peut le combat voy­an t les Mexi-quains dans un fi mauvais eftat.

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D E S I N D E S O c c I D E N T A L E s , L iv . I I . 131 Les Seigneurs luy répondirent en pleurant , qu'ils recon-noiffoient leur faute , & leur perdition ; & qu'il ne s'en ailafi fas , qu'ils iroient parler à leur Seigneur Quantimoc. Ils y fu­rent , & retournèrent auffi-toff., & dirent à Cortés que le lendemain fur le midy Quantimoc iroit parlera luy dans la place du marché ; Cortés tenant cela pour tout affuré , ordonna que le lendemain l'on dreffaft au milieu de la place un échafaut fomptueux pour Quantimoc & fes Confeillers, & bien à difner.

C H A P I T R E VII

Prife de la Ville de Mexique. Le Roy Quantimoc eft auffi fait prifonnier.

LE lendemain Cortés ayant mis fes gens en bon or­dre , s'en alla au lieu defigné , & commanda fur

tout que chacun portait fes armes defrenflves ; & avoit mandé tout d'un temps à Pierre d'Alvarado de faire faire la mefme chofe à fes gens , où ils fe trouvèrent tous en attendant que Quantimoc arrivait félon la pa­role donnée. Il arriva de la part cinq Seigneurs que Cor-tés connoiffoit de veuë, & par leurs noms,qui le prièrent d'excufer le Roy , de ce que la crainte & quelques af­faires qui luy eftoient furvenuës l'avoient empêché de venir , qui font des excufes ordinaires dont les Indiens fe fervent ; outre qu'il eftoit indifpofé ; qu'il avifaft ce qu'il defiroit de luy , & qu'ils eftoient venus pour l'ac­complir. Quoy que Cortés fuft piqué de cette gauffe-rie , de luy avoir promis qu'il communiqueroit avec Quantimoc pour tafcher d'accommoder les chofes , & voyant que cela a voie manqué, il ne fit pas feniblant de rien ; au contraire il leur témoigna une joye ; il les fit affeoir fur cet échafaut qu'il avoit fait dreffer ; il leur fit donner à manger , fçachant bien qu'ils avoient plus be-foin de cela que d'autre chofe.il leur perfuada tout d'un temps de donner confeil à leur Seigneur de faire la paix, Q ij

1521

Cortés perfuade aux Mexiquains défa i re la pa ix .

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1521

132 H I S T O I R E

& raffeuraffent qu'il ne recevroit aucun mécontente­ment , & qu'il vinft en toute affeurance, parce que l'on ne pouvoit traiter autrement. Il leur donna quelques prefens , qu'ils receurent volontiers,& les congédia. Au bout de deux heures ils revinrent, & dirent à Cortés qu'il n'y vouloir pas venir, quelque implication qu'ils luy euflent faite. Cortés les renvoya encore une fois, & ils luy promirent de le faire,& de luy dire des chofes impor­tantes pour fon intereft. Apres quoy Cortés s'en retour­na au quartier,témoignant à fes Capitaines & aux prin-cipaux Tlafcalteques que les Mexiquains fe moquoient de luy. Mais il avoit un fi grand defir de la paix, qu'il, eftimoit fort peu toutes les peines qu'il prenoit pour y parvenir, quoy qu'ils fe fuffent moquez de luy pendant deux jours. Le lendemain ces cinq Seigneurs vinrent au logement, & dirent à Cortés qu'il prift la peine de re­tourner à la place du marché,& que Quantimoc l'y vieil -droit trouver. Il y alla avec fon équipage de guerre, où, il l'attendit quatre heures, & comme il vit qu'il ne ve-noit point, il envoya appeller les Indiens alliez ; parce que les Mexiquains avoient prié que pour traiter de paix ils ne fuffent point dans la ville ; à caufe dequoy il leur avoit ordonne de ne point paffer un certain portes Et leur d i t , que puis que ces miferables ne vouloient point de paix, qu'ils leur fiffent la guerre tout de bon. L'on commença donc à combattre , & quoy qu'ils euf­fent des rues où il y euft de l 'eau, & des baricades, le courage des Tlafcalteques eftoit fi grand, joint à l'ani-mofite qu'ils avoient contre eux,qu'ils parffoient par def-fus toutes les difficultez ;& les Indiens alliez ne faifoient pas moins d'exécution qu'eux. Ils alloient combattant parmy les Caftillans avec l'épée & le bouclier, & fai­foient des merveilles. Et comme Cortés avoit envoyé Gonçale de Sandoval avec les brigantins par derrière pour prendre le cofté de la ville que les Mexiquains oc-cupoient de tous collez, ce n'eftoit que fang, que plain­tes & gemiffemens des femmes & des enfans. Et les Ca­ftillans eftoient plus empêchez de retenir la cruauté de Pitoyable eftat

des Mexiquains,

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D E S INDes O C C I D E N T A L E S , Liv. II 133 fes alliez, qu'à combattre. Mais que pouvoient faire en ce rencontre neuf cens hommes contre cent cinquante mille qui eftoient les Indiens alliez,gens enclins deleur nature à la cruauté ? L'on tient pour tout affeuré qu'il mourut ce jour-là quarante mille Mexiquains ; à caufe dequoy, & de la puanteur des corps morts il eftoit impo-fïïble d'y pouvoir demeurer. C'eft pour quoyCortés refo-lut de fe ret irer , & ordonna qu'à caufe de la multitude d'Ennemis qui s'eftoient defia retirez dans un lieu fort étroit ,que les Caftillans ne s'y allaffent pas fourer,& que l'on préparait trois pièces de canon des plus groffes pour les offenfer de loin ; & que Sandoval avec les brigan-tins entraffent par un grand lac qui fe formoit entre de certaines maifons, où tous les canos de la ville s'eftoient retirez.

Cortés envoya dire à Pierre d'Alvarado qu'il l'allaft a t tendre , & luy s'y en alla le lendemain avec les trois pièces de canon. Comme ils fe furent joints , Cortés manda à Sandoval & aux autres Capitaines , qu'en leur donnant un certain fignal , ils combatiilent dans leurs poftes tout d'un temps , & faire en forte de relancer les Ennemis du cofté de l'eau, & que Sandoval avec les bri-gamins & les canos des alliez s'approchafîent le plus qu'ils pourroient par derrière ; & qu'ils jettaffent tous la veuë fur Quantimoc, pour tafeher de le prendre vif,par-ce que de la prife de fa perfonne dépendait la fin de la guerre. Cortés monta fur une terraffe où eftoient quel­ques Seigneurs Mexiquains, il les pleignit de leur de-faftre ; & que Quantimoc faifoit tres-mal de leur eftre fi cruel de ne vouloir point entendre à la paix , puis que fon intention eftoit de le traiter comme Roy, & s'il n 'y vouloit point entendre il eftoit impoffible qu'il peuft échaper de tomber mort ou vif entre fes mains.Ainfi il les pria de tafcher de le tirer de cette obftination. Il y en eut un qui fortit,& retourna auffi-toft avec Guacoa-zin , principal Confeiller du R o y , & fon Lieutenant, de après plufieurs raifonnemens , dit que Quantimoc ne pa-roiftroit jamais devant luy, parce que l'on n'avoit jamais pû

Q iij

1521,

Il meur t cette journée qua­rante mil le Me-xi^uan s.

L'on donne or­dre que les ar­mées comba-tant tout d'un t emps .

Cortés ordonne de prendre le Roy m o r t ou vif.

Q u a n t i m o c ri-four de mouri r plutoft que de fe rendre.

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1521.

134 H I S T O I R E gagner cela fur fon efprit , & qu'il aimoit mieux mourir que de le faire, dont cela le fafchoit extrêmement ; & que fartant il fift ce qu'il voudrait. A ces paroles Cortés fe mit en co­lère , & leur dit ; Que puis qu'ils eftoient fi barbares & dénaturez, qu'il ne laifferoit pas une ame vivante dans la ville, & qu'ils s'en allaffent le dire à Quantimoc. En moins de cinq heures après cette converifation, l'on vit fortir grande quantité de femmes 6c d'enfans, qui al-loient à grand hafte en s'entre-pouffant les uns les au très & tomboient dans l'eau ; & fe noyoient ainfi. Enfin, les chauffées, les canaux & les maifons eftoient pleines de corps morts, dont la puanteur eftoit infupportable; l'on en jettoit quantité clans le lac qui n'en bougeoient ; d'autres en nageant tafchoient de fe fauver ; & d'au­tres qui fe noyoient par defefpoir pour ne fouffrir plus tant de miferes. Dans le lac des çanos, les Mexiquains eurent un foin particulier que les Caftillans ne viffent point les corps morts des leurs , ils les ramafferent de telle forte qu'il s'en trouva de gros tas dans les mai­fons , & comme nous avons défia dit, dans les ruës, & dans les ruiffeaux , & en fi grande quantité que l'on ne pouvoit mettre les pieds nulle part que fur les corps, Cortés commanda aux Capitaines de Caftillans & d'In­diens, qu'ils tafçhaffent d'empêcher les Tlafcalteques d'exercer tant de cruautez qu'ils faifoient, puis que les Mexiquains ne pouvoient plus fe deffendre, comme ils avoient fait cy devant , & qu'ils épargnaient la mort de ces pauvres miferables ; & pour les épouvanter da­vantage à caufe que la nuit commençoit d'approcher, & éviter en quelque façon de faire autant de maffacre que les foldats faifoient , il fit tirer les canons , au grand dommage quelquefois de ces pauures mal-heu-reux. Mais après tout comme il vit qu'il ne pouvoit ve-nir à bout de ces obftineZ il donna permiffion à l'armée de faire main-baffe par tout par le fignai , qui eftoit un coup d'efcoupette qui fut tiré.

Enfin l'armée & les brigantins commencèrent tout d'un temps, tuant & maffacrant une infinité de perfon-

Les Mexiquains cachent les Corps m o r t s , & pourquoy.

Cor tés com­m a n d a de faire main baffe.

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CES INDES OCCIDENTALES ,Liv. I I . 135 nes fans aucune exception , & gagnèrent le lien où la plupart des Mexiquains s'eftoient re t i rez , & où ils te-noient bon , qui eftoit leur dernier refuge, & jetterent dans l'eau tout ce qu'ils y rencontrerent,excepté ceux qui fe rendirent fans combattre. Les brigantins entrè­rent de furie dans le lac , tout au travers de la flote des canos , & trouvèrent que les gens qui eftoient dedans eftoient tous troublez & langoureux , fans fe pouvoir fervir de leurs armes,qui eftoit la Nobleffe ; parce que les autres gens eftoient fur les terraffes, appuyez con­tre les murailles, diffimulant leur perte & leur triftef-fe. Dans ce rencontre, le bon-heur de Garcia Holquin, Capitaine de l'un des brigantins, fut grand 5 parce que comme il apperçeut que dans un cano plus grand que les autres, il y avoit des gens en meilleure pofture que les autres , empennachez & bien équipez , & qu'il for-toit d'entre les autres en fuyant à voile 6c à rames,il luy donna la chaffe, & commanda à trois Arbaleftriers de prouë de coucher en jouë dans le cano. Mais ceux de dedans firent ligne de ne pas tirer, voyant l'avantage que ceux du brigantin avoient fur eux avec leurs arba-leftes 6c leurs épées ; & comme le Roy eftoit dans le ca­no , le Capitaine du brigantin fauta dedans, accompa­gné d'autres Caftillans. Il prit Quantimoc , & Guaco-zin , Seigneur de T a c u b a , avec d'autres Seigneurs ,& les fit entrer dans le brigantin. il traita le Roy avec grande civilité, & le plaignit de fon infortune ; Et fort joveux , & bien accompagné de Caftillans & d'Indiens alliez , il le mena fur la terraffe où eftoit Cortés, qui le receut avec un vifage & une demonftration de grande clémence. Il le fit affeoir auprès de luy, & luy fit en­tendre fort diftinctement, qu'il avoit fait tout ce qu'il avoit pu pour le deffendre, luy & les fiens ; & que f ifes Dieux luy avoient efté contraires, qu'il n'en eftoit pas la caufe ; qu'il eftoit fon prifonnier, & qu'il fift ce que bon luy fembleroit. Il mit la main fur le poignard de Cortés, & luy dit qu'il le tuaft de ce t instrument, & qu'il troit fort content où fes Dieux eftoient, & princi-

1521.

Prife du Roy

Q u a n t i m o c eft m e n é a Gorté '^ & les difcours qu'il luy t in t .

Paroles du Roy à Cortés .

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1521

136 H I S T O I R E

paiement en recevant la mort des mains d'un il vaillant Capitaine. Cortés le confola, & luy dit qu'il ne fe de­voit plaindre que de fon infortune , & qu'elle feule eftoit caufe de fon defaftre , & qu'il ne le tiendrait pas en moindre eftime que s'il eftoit vainqueur ; Qu'il fe ré-joùift, 6c qu'il l'aimoit mieux vivant que mort ; Et le pria que du lieu où il eftoit il dift à fes gens qu'ils fe rendif-lent , afin d'éviter la perte de tant de fang qui fe répan­drait , dont il eftoit ennemy. Quantimoc fit ce qu'il luy di t , & ils cefferent auffi toft ; il pouvoit y avoir environ trente mille hommes, fort débiles, car à peine la plupart pouvoient-ils fe fervir de leurs armes. Ce fut donc icy où s'acheva ce grand Empire Mexiquain.

C H A P I T R E V I I I .

Cortés congédie l'armée, & fait diligence pour chercher le trefor de Montezttme,

CEtte victoire fut obtenue un Mardy treizième jonr d'Aouft, jour de S.Hippolite , en commémoration

dequoy l'on fait une grande folemnité tous les ans à pa reil jour pour rendre grâces à Dieu , & l'on y porte l'En-feigne de l'armée pour baniere. Le blocus dura trois mois , mais le fiege de la ville ne dura que quatre vingt jours, pendant lefquels il fe fit plufieurs combats,& plus de foixante batailles fanglantes. Cortés avoit dans fon armée deux cent mille Indiens des villes alliées & con­fédérées, neuf cens hommes d'infanterie, Caftillans, & quatre-vingt de Cavalerie , dix-fept pièces d'artillerie, légères, treize brigantins, & fix mille canos. Il y mou­rut environ cinquante Caftillans, fix chevaux, & pas beaucoup d'Indiens alliez : mais du cofté des Mexi-quains il mourut cent mille hommes ; quelques-uns di-lent davantage,entre lefquels il y avoit quantité de No-bleffe, fans ceux qui moururent de faim & de pefte ; parce qu'ils mangeoient peu & beuvoient beaucoup

d'eau

L'on folemnife dans Mexique tous les ans le jour de fa prife,

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv II. 137

d'eau falée, & dormoient parmy les morts qui leur cau-foient une perpétuelle infection, d'où la pefte prit naif-fance, & qui ne s'acheva que par leur trop grande obfti-nation, parce que tandis qu'ils trouvoient des branches 6c des écorces d 'arbres, & leurs racines, & autres chofes femblables,ils n'avoient jamais voulu entendre à la paix, & quoy qu'ils euffent efté bien aifes de la recevoir , le Roy n'y vouloit pas confentir, à caufe qu'au commen­cement contre fon confeil ils l'avoient refufée. Ils avoi­ent entaffè les corps morts dans les maifons afin que les Ennemis ne reconnuffent pas leur foibleffe, & ils ne les mangeoient pas , parce que les Mexiquains avoient eu horreur de manger leurs confrères. Les femmes s'occu-poient à penfer les malades 6c à guérir les bleffez, à fai­re des frondes 6c tailler des pierres pour je t ter , & à en jet ter auffi de deffus les terraffes. Dans le pillage de la vil le, les Caftillans prirent l 'or , l 'argent, & les plumes, & les Indiens prirent les hardes & tout le refte des dé­pouilles qui eftoient très-riches. Cortés fit faire des grands feux de joye dans les rues à caufe de cette vi-cloire ; & pour purger l'air à caufe de la putréfaction, & que l'on puft agir à enterrer les morts. Il fit marquer un certain nombre d'hommes & de femmes avec un fer chaud pour fervir d'efclaves, & mit le refte en liberté. Il fit garrer les brigantins, & y mit pour Capitaine Iean Rodriguez de Villa-Fuerte, pour les garder , & pour la feureté de la ville, avec quatre-vingt Caftillans ; & au bout de quatre jours , après avoir rendu grâces à Dieu pour une fi grande victoire, défirant mettre les chofes concernant le culte divin en l'eftat qu'un véritable en­fant de l'Eglife devoit faire, il mena l'armée à Cuyoa-can , à une lieuë & demie de Mexique , au bout de la chauffée, en terre ferme, qui eftoit un lieu d'Indiens bien peuplé, & remercia les gens de cette peuplade & des autres lieux qui l'avoient affifté , & les congédia, leur promettant de les gratifier 6c maintenir en juftice & l iber té , & de les employer au cas qu'il y euft guerre. Ainfi ils s'en allèrent fort contens 6c riches des dépoüil-

R

1521.

Employ des femmes de Me-xique pendant le fiege,

Les Ind iens a l ­liez riches du pillage de Mexi -que .

Cortés conge-die les Indiens alliez.

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1521. il fait des p re -fens aux lndiens alliez.

138 H I S T O I R E les de Mexique, & particulièrement les Tlafcalteques ; & donna aux Capitaines qui s'eftoient fignalés en ce liè­ge , des boucliers, des armes, des hardes , des joyaux, & autres dépouilles, dont ils furent fort fatisfaits,& s of­frirent de luy rendre fervice toutesfois & quantes qu'il les en requerroit. Il mit en liberté quantité de gens de condition qu'il tenoit prifonniers, Se qui s'en retournè­rent en leur païs fort contents. Il donna la permiffion à tous les Indiens qui voudraient s'eftablir dans Mexi­que de le faire.

Cependant les Caftillans qui avoient vu les grands trefors qu'avoit Montezume, s'imaginoient de les trou­ver après la prife de la ville, ou du moins ceux qu'ils y avoient laiffez lors qu'ils en furent chaffez ; mais com­me ils ne voyoient rien de tout cela , & que pas un In­dien n'en parloit point, fçachant bien ce que l'on avoit toufiours dit que les Dieux & le Roy poffedoient de grandes richeffes, ils trouvèrent à propos,ou pluftoft ex­pédient d'ufer de diligence, tant pour la confideration de la chofe, que pour donner de la fatisfaction à l'ar­mée , où comme l'on peut juger il fe faifoit divers juge-mens, pour la plupart téméraires ; Car les uns difoient que Cortés eftoit un ufurpateur,& qu'il avoit caché ces trefors ; d'autres, que les Officiers Royaux par leur trop grande avarice, le permettoient, Se qu'ils s'entendoient avec Cortés ; Et plufieurs autres menaçoient d'en écrire au Roy pour s'en plaindre, n'eftant pas raifonnable, di foient-ils, après tant de travaux Se de perils,d'eftre pri­vez de cette efperance. Ces murmures , joints avec la crainte de quelque foulevement, qui euft pû faire per­dre ce que l'on avoit acquis, excita Cortés à chercher quelque moyen de donner fatisfaction à ces gens. Se voyant d'ailleurs importuné par les Officiers Royaux, qui s'imaginans de rendre fervice au Roy beaucoup plus qu'ils ne dévoient, le perfecutoient pour faire diligence en cette recherche. Enfin plufieurs demenrerêt d'accord qu'il falloit appliquer Quantimoc dans les tourmens, avec un autre Seigneur,quoy que Cortés contredît tou­

t e s Caftillans s ' imaginent de trouver le t re -for de Monte­z u m e .

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D E S I N D E S 0 C C I D E N T A L E S LiV. II. 139

fiours, difant qu'il ne falloit pas irriter Dieu qui leur avoit donné une victoire fi glorieufe. Le Seigneur mou­ru t dans les tourmens, fans rien confeffer,ou pour ne le fçavoir p a s , ou parce que les Indiens gardoient con-ïtamment le fecret que leur Seigneur leur confioit. Lors qu'il eftoit aux abois, & que les tourmens l'obligeoient peut-eftre à découvrir quelque chofe, il regardoit at­tentivement Quant imoc, dont l'on fît divers jugemens ; Quelques-uns difoient que ce qu'il en faifoit eftoit pour luy donner de la compaffion , & de luy permettre de déclarer le fecret. Mais il le traita m a l , & luy dit, qu'il eftoit trop lafche , & qu'il n'avoit point de c œ u r , & que ny l'un ny l'autre ne trempoient point dans ce cri­me. Enfin Cortés fît ofter Quantimoc des tourmens d'authorité abfoluë, comme par dépit ; difant que c'e-ftoit une chofe inhumaine & extrêmement mefquine de traiter un Roy de la forte pour un tel fujet ; & s'ex-cufa du fait, difant qu'il avoit efté importuné , pr ié , & mefme menacé par Iulien d'Alderete,Treforier du Roy, qui l'accufoit d'avoir caché ces richeffes , & le reque-roit hautement de le faire appliquer à la queftion,& le follicitoit infolemment, à caufe qu'il eftoit ferviteur de lean Rodriguez de Fonfeque Evefque de Burgos,Pre-fident du Confeil des I n d e s , qui n'eftoit pas amis de Cortés. Enfin de l 'avis, & par une compafîion univer-felle de toute l 'armée, l'on ofta Quantimoc des tour­mens , & tous les foldats en géneral témoignèrent avoir un grand reffentiment de cette action, après avoir pre­mièrement blafmé les Supérieurs de ce qu'ils n'avoient pas cherché le trefor. Mais cette inconftance eft allez ordinaire parmy les peuples. Et plufieurs dirent que le tourment avoit ceffe alors ; parce que Quantimoc avoit confeffé que dix jours avant fa prifon il avoit j e t t é dans le lac la pièce de canon que les Caftillans avoient laif-fée lors qu'ils furent chaffez de Mexique , & que le mef­me Quantimoc avoit dit auffii cy devant qu'il jetteroit dedans le lac tout l'or & les joyaux qu'il avoit, à caufe que le Diable luy avoit dit qu'il devoit eftre vaincu. Et

R ij

1 5 2 1 . L'on donne la queft ion à Q u a n t i m o c & à un Seigneur qui meur t dans les tou rmens .

Cortes fait for-t ir le Roy des tourmens .

Q u a n t i m o c jette lès rrefots dans le lac de Mexique.

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1521

1 4 0 H I S T O I R E quoy que l'on cherchait ce trefor forr exactement par tous les endroits du lac Jamais on ne le put trouver ; & d'ailleurs cela eft inconcevable de croire que l'on aye pu cacher de fi grandes richeffes , fans en pouvoir dé­couvrir quelque chofe. Quelques-uns des principaux Mexiquains que Cortés tenoit prifonniers, indiquèrent certaines fepultures, dans lefquelles il fe trouva un peu d'or , dont on en fit des partages-.

Enfin ce grand Empire des Rois de Mexique prit fins & Dieu avoit permis quelque temps auparavant que l'on en euft des fignes & des indices tres-evidents lors que le Roy de Mexique eftoit tenu 6c adoré comme un Dieu , & que fa Monarchie eftoit dans fa plus hauts fplendeur. Car fes Eftats s'eftendoient jufques à Nica-ragua, dont il tiroit pour tributs de grandes richeffes, des plumes, des parfums, des ouvrages de cotton, & au­tres danrées fort eftimées. Entr'autres pronofrications que l'on eut de la perte de ces grands Royaumes, foc qu'une Idole de Chulula , ville alliée de Montezume d é ­clara qu'il iroit des gens effranges poffeder ce t Empi­re. Vn Seigneur de Tezcuco, neveu du dernier Mon­tezume, luy dit un jour , qu'à luy & à tout fon Royau­me il fe preparoit de grands travaux. Plufieurs forciers luy dirent la mefme chofe ; & entr'autres remarques que l'on fit encore, c'eft qu'il avoit moins d'un doigt à un pied & à une main. Il fit prendre ces foreiers ; mais ils difparurent dans la prifon, ce qui luy caufa bien de la trifteffe. Mais enfin comme il fe vit plongé dans une mé­lancolie il eut recours à fes Dieux, & pour les appaifer il leur fit de grands facrilices. Entr'autres chofes il fit porter une grande pierre pour facrifier dedans ; mais quoy que l'on fift tous les efforts poffibles pour la faire charier avec de gros cables , jamais on n'en put venir à bout ; & comme l'on vouloir infifter à le vouloir faire l'on entendit une voix qui di t , Que le Dieu qui avoit créé toutes chofes, ne voulait vas que l'on fift davantage de fa cri-fices. Et voulant que l'on fift les facrifices où eftoit la pierre , on entendit une autre voix qui dit ; le vous ay

Pronoftications de la perte de l 'Empire Mexi­c a i n .

Ces pronoftica­tions donnent de l 'affiction à Montezume.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I I . 141 défia dit que c'eftoit la volonté du Créateur de toutes chofes, que les facrifices ne fie fiffent plus & afin que vous le croyiez, le me laffiray porier un moment , & vous ne pourrez puis après m'enlever delà. Ce qui arriva ainfi, jufques à ce par quan­tité de prières elle fe laiffa porter jufques à l'entrée de Mex ique , où on la laiffa tomber dans un canal d'eau, & on ne la put jamais trouver depuis quelque recherche que l'on en ait pu faire , que dans le mefme lieu d'où on l'avait tirée, dont ils furent tout é tonnez , & admirè­rent fort de voir une fi effrange metamorphofe.

C H A P I T R E I X .

Continuation des prodiges qui arrivèrent avant la perte de l'Empire Mexiquain. Frère Martin de Valence de Don

Jean , arrive avec fes Compagnons.

D ans le mefme temps dont nous venons de par­ler , il parut dans le Cie l , au grand eftonnement

de ceux qui le virent , une flame de feu en forme de Pi-ramide, qui s'eflevoit vers le my-nui t ,de la t e r r e , & montoit toufiours en l'air jufques à la levée du Soleil, en prenant fa brifée vers le midy, où elle finiffoit. Cet­te flamme continua plufieurs jours , & lors qu'elle com-mençoit à paroiftre, tout le peuple faifoit de grands cris, fe doutant bien que c'eftoit une pronoftication de quel­que grand defaftre ; parce que cette nation a toufiours donné beaucoup de croyance aux fignes, & à de fem-blables apparences. L'on vit une Comète en plein jour & ferain,qui courut du Ponant à l 'Orient , & jettoit quantité d'eftincelles ; elle avoit une longue queue, & trois formes de teftes. Le lac de Mexique du cofté de Tezcuco fans aucun fujet d'émotion,commença à bouil­lir , & croiffoit en bouillonnant; & quantité d'édifices qui eftoient baftis deffus & aux environs tombèrent. L'on entendit dans ce mefme temps quantité de voix comme de femmes qui fe plaignoient, & qui difoient

R iij

Les peuples font troublez des figues qu'ils voyent .

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1521 142 H I S T O I R E queiquesfois ô Enfans ; l'heure de voftre deftruction eft arri vée, & autres chofes femblables. Il parut divers monfrres qui avoient deux telles, & comme on les portoit devant le Roy , ils devenoient invifibles. Les pefcheurs du lac prirent un oifeau de la grandeur d'une grue, & comme ils n'en avoient jamais veu de femblable ils le portèrent au Roy, qui eftoit alors dans les Palais qu'ils appelloient des pleurs & du deuil, & qui eftoient tous peints de noir ; parce qu'outre toutes fes maifons de récréation , celle-là eftoit deftinée pour les temps de peine & de triftef-fe ,dont le Roy en eftoit beaucoup affligé , par les me­naces de tous ces advertiffemens. Ces pefcheurs arri­vèrent fur le midy, & luy monftrerent l'oifeau qui por­toit fur fa tefte une chofe, où. le Roy remarqua que le Ciel y eftoit reprefenté avec les Eftoilles ; & retournant les yeux vers le Ciel, & ne voyant point d'Eftoilles, il demeura tout eftonné ; Puis le regardant une féconde fois il vit dans le Ciel des gens de guerre qui comba-toient Se s'entretuoient. Il fit appeller les Preftres qui jugeoient queiquesfois des prodiges félon leurs capri­ces ; & voyant la mefme chofe en l'oifeau, ils ne purent donner aucune raifon d'où cela pouvoit procéder, ny aucune Signification , & l'oifeau difparut au mefme temps, dont ils furent tous grandement troublez.

Vn Laboureur recita, qu'eftant occupé à enfemmen-cer fes terres il vint un aigle fort grand, qui fans luy faire aucun tort, l'emporta dans un antre, l'ayant pofé à terre dit ; Puiffant Seigneur j'ay amené celuy que tu m'as commandé d'aller quérir ; & que le Laboureur entendoit fort bien parler l'aigle, mais qu'il ne voyoit pas celuy à qui il parloit ; & qu'il entendit une voix qui repartit, Re­marque celuy qui eft à terre ; & qu'il vit un homme vêtu à la Royale, qui dormoit, ayant une petite cane odorante en la main, ainfi que les Indiens en ufent ; que le Labou­reur le confiderant d'avantage, il luy fembla que c'eftoit le Roy Montezume , & que la voix recommença à par­ler , & dit ; contemple le, il ne fe met guère en peine des tra­vaux & des maux qui doivent tomber fur luy ; mais il eft temps

Pefcheurs qui por ten t un oi­feau à M o n t e ­z u m e & ce qu'il y remarque.

L 'oifeau difpa-roift.

vifion d'un la-boureur.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. II 143 qu'il paye les offenfes infinies qu'il a faites à Dieu , & les ty­rannies qu'il a exercées pour augmenter fa gloire ; car il s eft tel­lement abifme dans les délices s qu'il n'en peut plus goutter, Et afin que tu le voye ,prens cette canne odorante , qui brufloit de qu'il tenot dans fa main, & la luy mets fur la cuiffe, tu ver-ras qu'il ne le fentira pas. Le Laboureur n'ofa l 'entrepren­dre , à caufe du refpect qu'il portoit au Roy , mais la voix luy dit ; ne crainspoint, car je fuis plus que Montezume , & je te peux détruire toy-mefme fi tu ne fais ce que je te dis. Le La-boureurprit donc la canne, & la mit fur la cuiffe du Roy , mais il ne fe remua point, La voix parla encore au La­boureur , de luy d i t , que puis qu'il reconnoiffoit que le Roy dormait d'un fiprofond fomme, qu'il l'allafl efveiller, & qu'il luy racontaft ce qu'il avoit veû. Puis l'aigle reprit auffi-toft le Laboureur, & le reporta au mefme lieu où il l'avoit pris, & alla tout d'un temps trouver le Roy, de luy racon­ta par ordre tout ce qui luy eftoit arrivé. Le Roy regar-da auffi-toft fa cuiffe, de la trouva bruflée fans l'avoir fenty jufques alors, dont il demeura fort trifte, & efpou-vanté d'un tel prodige. Or ce que le Laboureur avoit veû luy pouvoit eftre arrivé par une vifion imaginaire. parce que félon ce que difent les Théologiens, il n'eft pas incroyable que Dieu par le moyen d'un bon Ange ordonnait , ou que par le moyen d'un mauvais, il permit que cet advertiffement fe donnait à un infidelle, pour le châtiment du Roy.

Outre plufieurs autres indices que l'on eut pour pre-fage delà perte de ce grand Empire Mexiquain, il parut des lignes de feu vers l 'Orient , qui eft du cofté de la Ve-ra-Crux, par où entrèrent les Caftillans, où l'on vit dans l'air quantité de gens armez combattans. E t d'autant que Montezume avoit une caiffe , de des hardes qui s'e­ftoient trouvées furie rivage de la Mer , qui pouvoit ve­nir de quelque naufrage ; parce que dés l'année 1509. l'on fçait que les Caftillans commancerent le commerce des Ifies de la terre ferme ; les Seigneurs de Tezeuco, de de Tlacopan eurent quelques paroles contre Montezu­me pour cela, difant qu'ils reffembloyent aux armes de

1521

Des f ignes qui parurent dans le Ciel.

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1521.

14.4. H I S T O I R E & aux hardes de ceux qui combatoient en l'air. Mais il appaifa ce différent ,en leur difant que toutes ces cho­fes fe pafferent du temps de fes predeceffeurs, & leur manda qu'ils efprouvaffent s'ils pourroient rompre l'ef-pée mais comme ils ne la purent rompre, ils s'appaife-rent. L'on entendit paffé la my-nuit dans Mexique quel­ques voix gemiffantes, accompagnées de grands foupirs, & quoy que les habitans fe levaffent pour voir ce que c'e-ftoit, ils ne voyoient perfonne, ce qui caufa bien de l'é-tonnement, On vit grande quantité de papillons 6c de fauterelles, qui en parlant voloient vers l'Occident , ce qui eftonna fort le peuple pour n'avoir jamais veû chofe femblable. Quelques forciers qui eftoient venus à Me­xique du cofté de Guatufco qui eft en la cofte du Nort, entre autres jeux qu'ils reprefenterent devant le Roy, ils fe coupoient les pieds & les mains, & comme le fang en couloit, les membres eftant feparez du corps, ils fe les remettoient auffi- toft ; & fçavoir fi c'eftoit une illufion, le Roy commanda que l'on mift ces membres dans de l'eau bouillante, pour voir s'ils les pourroient rejoindre. Mais les forciers s'eftomaquant fort de cela,dirent que l'on les recompençoit mal, & que dans peu de temps ils feraient vangez par des eftrangers ; que le Roy perdroit fon Empire, & verroit le lac teint du fang des Mexi­quains. Le Roy fe moqua de tout cela, mais il vit un matin le lac tout fanglant, & quantité de teftes, de bras & de jambes d'hommes qui eftoient fur l'eau. Il eut frayeur de cela, & fe reffouvint de ce que les forciers luy a voyent dit ; il appella fes ferviteurs pourvoir ce miftere ; mais ils ne virent rien de ce qu'il avoit veû, ce qui accrut encore d'avantage fon eftonnement, de ce que fes gens n'avoyent rien veû. Il envoya chercher les forciers, qui vinrent fur la parole qu'on leur donna qu'il ne leur fe-roit fait aucun mai. Mais ils n'oferent donner toute la fatisfaclion au Roy , parce que les fignes qu'ils pre-voyoient eftoient horribles ; ils luy dirent feulement qu'il y auroit de grandes guerres dans cette ville par des eftrangers , & qu'il y auroit beaucoup de fang refpandu,

mais

Les Mexiquains font efpouvan-tez par les p ro­diges qu'ils voyent.

t e s forciers di-fent à Monte -zume ce qui luy doit arriver,

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I I . 1 4 5 mais ils ne luy voulurent pas déclarer fon entière defola-tion.

Cependant toutes ces chofes donnèrent tant d'appre-henfion au Roy que jamais il n'eut de contentement. La mefme année que Cortés entra dans Mexique il parut une vifion à un foldat qui avoit efté captivé à la guerres qui pleuroit & fe lamentoit fort de ce qu'on le vouloit facrifier, & appelloit Dieu à fon fecours. La vifion luy d i t , que celuy à qui il fe recommandoit eftoit en colère contre luy , mais qu'il reclamaft les Miniftres des Idoles, & que fon facrifice cefferoit bien-toft ; parce que ceux qui empefchoient l'effufion du fang humain eftoient proche , & qu'ils devoient commander en cette terre . Ils facrifierent cet homme au milieu du Tlatelulco , où eft maintenant le gibet de M e x i q u e , & ils remarquèrent bien fes paroles & la vifion, qu'ils appelloient air du Ciel. Et lors que les Caftillans furent entrez dans la ville,& que les Indiens virent des Anges peints avec des ailles, & des Diadèmes ; ils dirent qu'ils reftembloyent à cette vifion qui parut alors. Tou t proche de la ville de Mexi­que la terre s'ouvrit,& il en fortit de grands poiffons avec l'eau. Or les Indiens remarquoient cela comme une grande nouveauté, & difoient, que lors que Monte-2time revint victorieux de la guerre de Soconufco, il dit au Seigneur de Culvacan que la ville de Mexique eftoit dé-ja en feureté , & qu'il n'y avoit plus rien à craindre. Mais comme il luy eût refpondu qu'une force en forçot une autre, il s'en mit en colère , & ne le vit jamais de bon œi l , & neantmoins lors que Cortés les prit tous deux , il fe reffouvint fort bien de ces paroles.

Aufli-toft après que cette ville de Mexique futprife il arriva douze Religieux de l 'Ordre de faint François,, que Cortés reçeut avec de grandes fourniffions & révé­rence , en quoy il avoit toujours donné de grands exem­ples aux Caftillans ,& aux originaires de la te r re , lef-quels s'eftonnoyent fort de voir celuy qu'ils adoroyent s'humilier de la forte. Ils avoient pour conducteur frère Martin de Valence de Don-Jean, homme doué de gran-

1521.

Douze Reli­gieux de l 'Or ­dre de S. Fran­çois arrivent à Mexique.

s

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1521.

146 H I S T O I R E de vertu & doctrine , ayant l 'ordre de frère François de Quinnones ,qui eftoit alors General de l 'Ordre de faint François. Par l'affiftance de ces bons Pères , l'eftat de la converfion de ces peuples commença à s'acheminer & à exercer le culte de Dieu avec plus de refpect & de dé­votion , dont les Indiens reçevoient un grand contente­ment de voir & d'entendre célébrer l'Office divin ; parce que comme il y avoit quelques Caftillans qui fçavoient leplain chant , ils addoient aux Religieux ; & ce bon or­dre 6c confonance des voix donnoit beaucoup de fatisfa-ction aux Mexiquains, & les faifoit incliner avec admi­ration de continuer à affifter aux Offices divins, & à y avoir de l'affection. Avant que ces Religieux-cy arrivaf-fent il en eftoit déjà venu trois autres du mefme Ord re qui s'arrefterent à Tlafcala, à caufe que la guerre de M e -xique s'enflamoit toujours de plus en plus. Le premier s'appelloit frère Pierre de Gan te , homme de bonne vie, & bon Religieux. Comme ils celebroient le faint facri-flce de la Melfe, les Indiens y affifloient, les uns par cu-riofité pour voir des chofes fi nouvelles, & les autres pour élire touchez de la grâce divine. Et ces bons Pères travailloient beaucoup en la converfion des ames avec un progrés admirable ; & comme ils eftoient retirez dans une maifon,les habitans du lieu leur apportaient des aumofnes dequoy ils fe fuflantoient. Ces bons Pères vi-voyent fort auflerement, & s'edifioient beaucoup, pre­nant courage , afin de fervir Dieu dans un fi faint ouvra­ge. Ils prefehoient dans lesplaces- publiques , quoy qu'à grand peine, faute d'interprètes pour leur ayder à décla­rer les points de noftre Religion ; & neantmoins fe con­fiant en la mifericorde de Dieu qu'il les ayderoit , ils fai-ibient entendre à ces peuples qu'il y avoit un Enfer , ou l'on eftoit condamné à des peines éternelles , qu'il eftoit plein de feux, de crapaux , de couleuvres, & autres ani­maux venimeux, & leur montroyent avec la main que toutes ces chofes étoiét en bas ; puis levant les yeux & les mains vers le Ciel, ils difoiet,que c'eftoit le lieu où eftoit un feulDieu tout-puiffant qui recôpenfoit les bons d'une

f r è r e Pierre de G a n t e .

Les Religieux prefehent d a n s Tlafca la .

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D E S INDES O C C I D E N T A L E S , L iv . II. 147

gloire éternelle. Or dansées commancemens ces bons Pères ne pourvoient leur prefcher autre chofe dans les places où il y avoit grande affémblée de gens. Parmy ces Pères il y en avoit un qui eftoit un vénérable vieil­lard , qui avoit le poil tout blanc, & eftoit chauve , qui enfeignoit au milieu de la place dans la grande chaleur du jou r ,& prefchoit hautement par un zele de charité. Les Seigneurs qui fe trouvèrent là , s'entredifoient en-tr'eux: qu'ont ces pauvres miferables de s'efforcer ainfi à crier ? regardez s'ils ont faim , ils doivent eftre malades, oufous ; laiffons-les crier, il faut que leur mal de folie les tienne; paffons outre fans leur faire du mal, ils mourront poiffible au bout de cela ; avez-vous confideré qu'à midy, au foir & au matin,lors que nous nous réjoüiffons tous, ils pleurent ? fans doute leur mal eft grand, parce qu'ils ne recherchent point les plaifirs, mais la trifteffe. Mais nonobftant tous ces mépris Dieu touchoit le cœur de beaucoup, qui s'approchoyent de luy & reçevoyent le Baptefme,& de cette forte ils avançoyent toujours de plus en plus en la converiion de ces pauvres gens: & déjà leurs Oracles eftoyent muets, & leurs enchantemens, fortileges, forts, & herbes empoifonnées n'avoyent plus de force furies Chreftiens ; parce que par ces bonnes in-ftructions, & infinis exemples , les Indiens comman-coyent de les mettre en pratique ,& les Caftellans plu­fieurs fois les leur ont veu exercer de leurs propres yeux.

C H A P I T R E X.

Des anciens Habitans de la nouvelle Efpagne. Comment, & d'où ils y arrivèrent.

À Près avoir traité de la fin de la Monarchie Mexi-Aquaine, il ne fera pas hors de propos de traiter des peuples qui l'habitèrent premièrement, de leurs Roys, de la Religion, & de la forme du Gouvernement qu'ils

S ij

1521

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1521. Les Provinces

de Mex ique p o u r q u o y a p -pellées nouvel le Efpagne.

148 H I S T O I R E tenoyent. Les premiers Caftellans qui entrèrent dans la nouvelle Efpagne avec Iean de Grijalva , l 'appellerent ainfi, leur eftant avis qu'elle en avoit la mefme difpofi-t i on , foit pour la t e r r e , pour les Montagnes couvertes de nege , les édifices de pierre de taille, & autres chofes qui enavoyent bien de l'air , & que jufques-là ils n ' en avoyent point veû de femblables dans toutes les Indes, ny depuis qu'ils eftoient fortis d'Efpagne ; c'eft doc ce qui leur donna fujet d'impofer ce nom à ces Provinces. Les anciens habitans qui la peuplèrent au commencement , eftoyent gens champeftres qui ne vivoyent que de fruits & de racines. Ils s 'exerçoyent fort à la chaffe , & y eftoyent fort adroits. Ils ne vivoyent point enfocieté, c'eft pourquoy ils furent appeliez Chichimecas. Ils fai-foyent leur demeure dans les montagnes & dans les boiss-ils couchoyent contre t e r r e . & eftoyent tout nuds ; ils n 'avoyent aucune forte de police. Les femmes fui-voyent leurs maris , & laiffoyent leurs enfans pendus aux arbres dans des paniers qu'ils forrnoyent des mefmes branches en façon de be rceaux , après leur avoir bien donné à tetter,jufques à ce qu'ils revinffent de la chaffe, Ils ne reconnoiffoyent aucun Dieu, &n'avoient point de Religion ny de Supérieurs; & il y a encore à prefent de cet te génération dans la nouvelle Efpagne , qui a efté af. fez préjudiciable, pour ne l'avoir pu dompter ,à caufe qu'ils n'ont point de retraite afteurée, & il feroit bien ne-ceffaire de leur apprendre à eftre hommes ; & Chreftiens. Comme ces premiers habitans de la nouvelle Efpagne ne femoyent ny ne recueilloyent aucune chofe, ils aban­donnèrent les meilleures terres à des étrangers qui vef-eurent plus polit iquement, qui vinrent d'une autre ter­re plus efloignée de devers le Nor t , où l'on a découver t la nouvelle Mexique. Ces peuples dépeignoyent l e u r defcendance en forme de cave, & difoyent qu'ils eftoiet fortis de fept caves pour peupler la terre de Mexique ; & faifant mention de cela dans leurs l ivres, i ls reprefen-toyent fept lignées, & difoyent que pouf arriver au lieu de ces fept caves, ils traverferent un bras de M e r dans

Les Mex iqua ins appel iez C h i -c h i m e c a s des leur o r i g i n e .

Les C h i c h i m e -ces n ' avoyen t ny Dieux ny R e l i g i o n .

Or ig ine des M e x i q u a i n s ,

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D E S I N D E S O c C I D E N T A L E S , Liv.II 149 des troncs d'arbres,qui pouvoyent eftre des canos mal façonnez ; & félon leur compte il paroiffoit y avoir huit cens ans qu'ils fortirent de Navatlacan, qui eftant réduit félon noftre fupputation, cela pouvoit eftre en l'an huit cens vingt. Ils furent quatre-vingts ans en chemin pour arriver à la terre de Mexique, parce que leurs Dieux ou leurs Démons, aufquels ils parloyent librement , leur perfuadoyent de chercher des terres félon les fignes qu'ils leur reprefentoyent. De forte qu'ils alloyent ainfi errant, en peuplant, & en s'enquêtant des autres peuples qu'ils rencontroyent , & paffoyent ainfi toujours plus avant. L'on voit encore les chemins qu'ils ont obfervez, où il fe trouve de grands édifices ruinez. C'eft donc ce qui les tint fi long-temps à faire ce voyage, puis qu'il fe peut faire en un mois. Ainfi ils entrèrent dans la terre de Mexique l'an de noftre Seigneur neuf cens deux.

D e ces fept lignées fortirent premierement les Suchil micos, qui veut dirent femeurs de fleurs, qui peuplèrent les rives du lac de Mexique qui tirent vers le midy , & bâ­tirent une peuplade, à laquelle ils donnèrent leur nom, & quelques autres. Ceux de la féconde fignée furent les Chalchas, qui lignifie , gens des bouches, qui fondèrent une autre peuplade de leur nom, qui confine avec les Suchilmicos. La troifiéme lignée, font les Tepeacas , qui veut dire gens du font ; ceux cy peuplèrent à l'Occident du lac , & s'agrandirent de telle forte, qu'ils donnèrent le nom d'Azapuzako-, à la Capitale de leur Province, qui lignifie fourmilière, & ils devinrent puiffans. Ceux de la quatrième lignée furent ceux qui peuplèrent Tezcuco ; qui font ceux de Culva, qui veut dire ,gens courbez, par­ce qu'il y avoit en leur terre une Montagne faite en cou­de. Ainfi le lac fut entouré de ces quatre nations- Ceux de Tezcuco furent plus polis 6c plus civils, & leur langue efft la meilleure & lapins courtizane. Enfuite de ces der­niers arrivèrent ceux de Tlatelulca , qui fignifie gens de Montagnes, qui eftoyent plus groffiers , & qui trouvant les plaines occupées , pafferent de l'autre cofté de la Montagne, où ils trouvèrent une terre plaine & unie, &

S iij

1521.

En quel temps ils entrèrent des Mexique.

Des nat ions fortirent des qui fept lignées.

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1521.

150 HISTOIRE

fort fertile, qu'ils appellerent Quahunnahuat, qu'ils ren­dirent la Capitale de leur Province , qui veut dire, lieu où la voix de l 'aide fe fait entendre ; c'eft maintenant la

CD

Province d'un Marquifat. Les Tlafcalteques qui furent la fiziéme génération ; qui veut dire, gens de pain ,pafferent les Montagnes, en tirant vers l'Orient, & traverferent la, Sierra Nevada, où eftle fameux Vulcan, entre Mexique & la ville de los Angelos. Ils battirent de grands édifices ; ils fondèrent plufieurs peuplades , & appellerent la capi­tale de leur Province, Tlafcala. Ceux-cy ne payent au­cun tribut aux Roys de Caftille , & font exempts de tous fubfides. Et lors que ces nations peuplèrent , les anciens Chichimecas n'y contredirent point, au contraire ils fe deftournoyent d'eux, & fe cachoyent dans les rochers, mais ceux qui habitoyent de l'autre cotte de la Sierra Nevada fe mirent àdeffendre la terre contre les Tlaf-caltequesi&comme c'ettoyent des Geans félon ce qu'en difent les Hittoires, ils voulurent chaffer les nouveaux venus. Mais les Tlafcakeques feignirent de faire une paix avec eux , & les ayant conviez à un grand banquet, ils les defarmerent, & les deffirent. Pour ce qui eft du nom de Geans que l'on leur donne,l'on a déjà dit cy-de-vat , que l'on y voit encore aujourd'huy des os d'hommes d'une prodigieufe grandeur. Si bien donc que par ce moyen les Tlafcalteques, & les autres lignées demeurè­rent en feureté & furent pacifiques, & le font toujours confervez cette amitié. Or les chichimecas commandè­rent à apprendre quelque forte de police. Ils couvri­rent leur nudité, & battirent des Cabanes ; & prenant la forme de Republique , ils efleurent des Seigneurs pour les gouverner ; fi bien que continuant dans cet­te refolution ils quittèrent peu à peu leur naturel fauvage. D e forte donc que fuivant ce que nous ve­nons de reprefencer , l'on croit que la plus part des Na­tions des Indes font procedées de ces gens. Parce que les premiers eftoyent des Sauvages, & pour mainte­nir leur chafle ils cherchèrent des terres très après ;

Les Tlafcake­ques ne payent aucuns tributs ny fubfides.

Il fe trouve en­core à prefent des os de geans dans la Provin­ce de Tlafcala.

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.II. 151 & découvrant un nouveau inonde , toujours cherchant de meilleures terres,ils peuplèrent la bonne , & intro-duifirent une police & une facon de Republique , quoy que Barbare ; c e qui fe peut reconnoiftre de quelques couplets de leurs chanfons , qu'ils recitoyent à leurs e n -fans, lors qu'ils s'abandonnoyent dans le vice: Vous ima­ginez-vous que l'on gagne les honneurs par cette voye? scachez que quand nos predeceffeurs habitoyent l'af-prêté des antres,des rochers & des deferts afFreux, leurs plus grandes délices eftoient de fe fuftanter de leurs arcs & de leurs flêchess parce que s'ils n e travailloyent point, ils ne mangeoyent point, qui fut au temps de ces Dieux Chichimecas nos anciens fondateurs, & d'autres encore depuis,qui commencèrent à vivre plus fplendidement,

, & qui s'adonnèrent à fubjuguer les moins puiffans , juf-ques à eftablir de grands Empires, ainfi qu'il eft arrivé de celuy de Mexique & du Pérou. D'où, l 'on peur infé­r e r que les premiers habitans des Indes Occidentales, y allèrent par te r re , & que toutes ces Provinces font con-tigué's avec l 'Afie , l'Europe , & l'Afrique, & le monde nouveau avec l 'ancien, quoy que la terre qui les joint n e foit pas encore découverte jufques à prefent & que s'il y a de la Mer entre deux , il y e n a il peu que les be­lles féroces la peuvent paffer, & les hommes dans des Canos.

O r o n avoit déjà paffé trois cens deux ans, depuis que les fix lignées cy-deffus déduites eftoyent forties de leurs terres ; qui avoyent peuplé la nouvelle Efpagne, & avoyent beaucoup multiplié , lors que la feptiéme arri­va qui eft la nation Mexiquaine, gens politiques & belli­queux. Et d'autant qu'ils adoroyent l'Idole Vitzilifutzli, il leur commanda d'abandonner leur te r re , & leur pro­mit la Seigneurie des autres lignées, dans une terre abondante, & où il y avoit de grandes richeffes. Ils por­tèrent cette Idole dans u n coffre de jonc odorant, appel­le fouchet, fur les épaules de quatre Preftres, qui enfei-. gnoyent les cérémonies des facritices , donnoyent les loix ,& fans leur confentement l'on n'ofoit rien entre-

1521.

Les gens qui peuplèrent les Indes y ont paffé

par terre .

En quel temps la feptiéme li­gnée arriva dâs la nouvelle pagne.

Page 176: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1521. 152 HISTOIRE prendre. Lors qu'ils campoyent ils dreffeyent un Autel, comme l'on fait en l'Eglife Romaine, fur lequel ils po-foyent le coffre de l'Idole au milieu de l'armée ; & ils obfervoyent tout ce que l'Idole leur difoit pour les fe-mailles, les peuplades les autres chofes neceffaires; 6c il n'eft. jamais arrivé que les Démons ayent conver-fé avec les hommes comme celuy-là ; ce qui fait voir que cette Idole ou plûtoft Démon, voulut imiter la fortie d'Egypte , & le chemin que firent les enfans d'Ifraël. Le Capitaine qui conduifoit cette lignée, s'appelloit Mex i , d'où, eft. venu le nom de Mexique. Comme ils chemi-noyent donc au milieu des autres nations , femant & peu­plant, après avoir paffé quantité de périls ils arrivèrent enfin en la Province de Mechoacan, qui veut dire terre de poiffon, à caufe de la quantité 6c de la beauté des lacs qui s'y rencontrent, & trouvant la terre à leur gré, ils avoyent deffein d'y demeurer. Mais l'Idole ne leur voulant pas permettre , quoy qu'elle leur donnait per-mifîion d'y laiffer des gens, ils pafferent plus outre. Et ces gens voyant qu'on les avoit abandonnez,furent toujours depuis ennemis des Mexiquains,

C H A P I T R E XI

De la fondation de la grande ville de Mexique Tenuichtitlan.

Cette lignée eftant fortie de Mechoacan fe plaigni­rent à l'Idole d'une fameufe Sorcière qui eftoit

dans l'armée ,& qui fe vouloit faire adorer comme une Deeffe. L'Idole commanda à l'un des Preftres qui por-toitle coffre, qu'il appaifait le peuple, & que l'on laif-faïf cette femme & fa famille l à , fans luy faire aucun tort. Comme l'armée cheminoit fans laiffer aucune trace de leur fejour en ce lieu, la Sorcière fe voyant abandon­née , y bâtift une peuplade, qu'elle appella Malinelco, à caufe dequoy depuis ce temps-là l'on tint les peuples de

ce lieu

Imi t a t ion de l'arche de l 'an-cien Tef lament .

V n e forciere fe veut faire ado-rer pour Déeffe.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.II . 153 ce lieu pour de grands forciers. Les Mexiquains ayant diminué beaucoup pendant leur voyage, pour fe refaire des fatigues paffees campèrent dans tulo qui veut dire lieu de T u n a , ou figuier. L'Idole leur commanda de fai­re paffer une grande Rivière dans une grande plaine qui eftoit là ,& par l'invention qu'il leur donna, ils en­tourèrent d'eau la Montagne appellée Coatepec, & en fi-rend un grand lac , qu'ils bordèrent d'arbres , & avec le poiffon qui s'y elle va, & les oifeaux qui s'y accoutumè­r e n t , il s'en fit un lieu fort délectable ,& pour ce fujet ils avoient deffein d'y peupler. Le Demonirr i té de cela, commanda aux Préfixes de faire reprendre le cours de la Rivière & la laiffer aller comme elle faifoit auparavant. Et voulant chaftier les autheurs de cette defobeïffance, ils entendirent fur le my-nuit un certain bruit dans un quartier de l'armée , & le matin ils trouvèrent morts ceux qui avoient confeillé de demeurer là , ayant tous le fein ouvert, dont on avoit tiré le cœur, à caufe dequoy l'on tient qu'ils ont retenu cette maudite couftume dés ce temps-là d'en ufer ainfi en leurs facrifices. Par ce cfiaftiment, & qu'ils virent cette plaine à fec, par la for-t iedes eaux qui s'eftoient écoulées dans la Rivière , ils allerent par le commandement de leur Dieu jufques à Capultepec, à une lieuë & demie de Mexique, lieu remply délices, à caufe de fes vergers, où ils campèrent & fe fortifièrent. Les autres nations fufcitées par les defcen-dansde la Sorcière de Malinalco, allèrent à main armée pour les faire décamper de-là ; mais s'eftant deffendus vaillamment ils pafferent jufques à Atlacuyabaca, peupla­de des Culvas , où ils fe fortifièrent.

Ils demandèrent au Seigneur de Culvacan des terres, & lapermiffion de baftir une peuplade , & il leur marqua le lieu à Tazahapan ,qui fignifie eaux blanches, à deffein de les y faire périr, à caufe de la quantité de vipères & de couleuvres, dont cette terre eftoit pleine. Ils accep­tèrent cette offre , & fi-toft qu'ils y furent ils aprivoife-ren t , & adoucirent ces animaux, & en mangèrent avec plaifir. Le Seigneur de Culvacan voyant cela ,6c qu'ils

1521.

D'où vient l'o­rigine de facri-fier les hommes

T

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Le ROy de Cul-vacan chaffe de­la terre les Me-xiquains.

I 5 2 1.

Les Mexiquains tuent la fille du Roy de Culva-can pour eftre la Deeffe de la

154 H I S T O I R E

avoient déjà cultivé les terres , les vouloit introduire dans fa ville. Mais leur Dieu n'y voulut pas confentir, & leur comanda de chercher une féme qui devoit eftre ap-pelléela Dceffe de la difcorde ; & pour cela ils en voyeret demander au Roy de Cutvacan, la fille, pour eftre Rey-ne des Mexiquains, & mere de leur Dieu. Il la leur don­na de bon coeur , & la nuit qu'elle arriva bien accompa­gnée, ils la tuèrent, & l'écorcherent, & couvrirent un-jeune homme de fa peau, & luy veftirent les habits d'el­le par deflus. Fuis ils le mirent tout proche de l'Idole, pour eftre la mere de leur Dieu , & l'adorèrent toujours depuis, fous le nom d'Idole, appellée Tocci qui veut di­re, nofftre ayeule. Enfuitte dequoy ils convièrent le Roy, pere de la fille, parce que comme elle eftoit confacree ils la luy vouloient faire adorer. Il y vint avec de grands prefens , & l'ayant introduit dans la Chapelle où elle eftoit, quoy qu'il y fit obfcur, à caufe que l'on avoit allu­mé le brafier pour y mettre les parfums, il reconnut que c'eftoit la peau de fa fille, fi bien que ne pouvant fouffri cette cruauté,il fortit de la Chapelle en s'écriant, & avec tous fes gens il fe mit dans une telle colère,qu'il les fit retirer vers le lac, où il s'en noya quelques-uns, puis fe deffendant contre eux il recouvra fa terre , & furent contraints de quitter ce lieu. D e là ils allèrent au tour du lac , & fe pleignant de leur Dieu, ils arrivèrent à une Rivière qui n'eftoit pas gueable ; mais ils firent fi bien qu'avec leurs boucliers & des joncs ils firent de petites barques, avec lefquelles ils pafferent à Aztapalapan , & de-là à Acatzfntitlan, & en fuite à Yztacalco; & finalement où eft à prefent l'hermitage de faint Antoine à l'entrée de la ville de Mexique, dans le quartier qui s'appelle au-jourd'huy de S. Paul ; où leur Idole les confola, & leur promit de grands biens.

Quelques vieux Sorciers entrant dans des rofeaux qui eftoient-là, trouvèrent une fource de bonne eau, qui fembloit eftre argentée, tant elle eftoit blanche : les arbres leur paroiffoient blancs auffi, lesprez, & les poif-fonsj ce qui leur fie fou venir d'une Prophétie de leurs

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I I . 155 Dieux , qui leur avoit donné cela pour fignai du lieu de leur repos. Ils retournèrent auffi-toft vers le peuple fort joyeux de cette bonne nouvelle. La nuit fui vante Vitzi . lipuztli aparut à un vieux Preftre, &luy dit qu'il chercha/} dans ce lac un figuier qui fortoit d'une pierre, va lors qu'ils tue -rent l'un des fils de la Sorcière de Malivalco, ils jetterent fon cœur, & qu'ils verroient fur le figuier un aigle fort beau qui fe repaiffoit de beaux oifeaux ; & que là ils dévoient fonder leur ville, qui feroit la maiftreffe de toutes les autres. Le Preftre le dit au peuple, & caufa tant de dévotion & d'alegreffe tout enfemble, qu'ils le mirent auffi-toft en exécution, & cherchaient le lieu tant defiré. Ils rencontrèrent l'eau blanche, mais elle venoit déjà rouge comme fang, de l'ayant partagée en deux ruiffeaux, l'un devint de cou­leur d'azur & fort efpais ; ce qui leur caufa bien de l'é-tonnement ; mais enfin en cherchant ils trouvèrent le fi­guier qui for to i t d'une pierre, dans lequel eftoit un aigle Royalties ailles ouvertes, de tourné vers le Soleil, il avoit tout au tour de luy une grande diverfité de plumes d'oi-feaux tres-riches, de de différentes couleurs. Cet aigle avoit dans l'une de fes ferres un tres-bel oifeau ; ils fe mirent tous à genoux, Se firent de grandes foûmiffions & révérences à l 'aigle, de difent qu'il inclina la tefte, & les contempla beaucoup. Ils rendirent beaucoup de grâ­ces à leur Dieu , luy témoignant une grande dévotion, Se appellerent la ville qu'ils fondèrent là , Tenuchtitlan, qui lignifie figuier en pierre, comme il a efté dit ; & ils portent encore pour armes jufques à ce jour un aigle fur un figuier, tenant un oifeau dans l'une de fes ferres, & fe foutient de l'autre fur le figuier. Le lendemain ils bâ­tirent unOratoire,où ils poferent le coffre de leur Dieu, & le baftirent d'argile & debranchages, puis le couvri­rent de paille. En fuitte dequoy ils achetèrent de leurs voifins, des pierres, du bois, & de la chaux en échange de poiffon, de grenouilles, & de diverfes fortes d'efpeces d'oifeaux marins qu'ils chaffoient dans le lac qui en eft remply. Puis ayant bâti de pierre de de chaux une meil­leure Chapelle pour l 'Idole, ils tarirent avec des ais &

Tij

1521.

L'Idole déclare aux Mexiquains où ils doivent baftir leur ville-

Commenceme t de la fondat ion de Mexique.

Armes de la vil­le de Mexique.

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1521

Origine des qua t re quar ­tiers de Mexi­que,

156 H I S T O I R E du ciment une grande partie du lac. Apres quoy l'Idole commanda à un Preftre qu'il leur d i t , que les Seigneurs fuiffent divifez chacun avec fa lignée & famille, & que l'on feparaft la terre en quatre quartiers, & faire en for­te que la maifon que l'on avoit baftie pour la mettre en repos fût au milieu, & qu'en fuite chacun commençait à baftir comme bon luy fembleroit ; & ceux-cy font les quatre quartiers que les Mexiquains appellent aujour-d'huy S. lean, fainte Marie de la Redonde, S. Paul, &. S. Sebaftien. Apres que cette feparation fut faite, leur Ido­le leur ordonna de partager entre-eux les Dieux qu'il leur nommeroit,& que chaque quartier traçait encore d'autres quartiers particuliers, où ces Dieux fuffent rê­verez ; ainfi chaque quartier des grands en avoit fous foy quantité d'autres petits, félon le nombre des Dieux que leur Idole leur commandoit d'adorer, qu'ils appel­lerent Calpultuteo,qui veut dire Dieux des quartiers. Voila donc comment la ville de Mexique Tenuchtitlan fut fondée, & fon accroiffement, & quel fut le commen­cement de la nation Mexiquaine, qui quoy que barbare ne laffe pas de tenir quelque chofe de loüable, ainfi qu'il arrive à toutes les autres du monde quelques Barbares qu'ils foient. Apres la fondation de Mexique, & de tout fon voifinage, il y paffa de nouvelles gens de devers le Nort, qui abordèrent à Panuco. Ils portoient de longues robbes, ouvertes pardevant, fans capuchon, fort échang­erez du col , des manches courtes & larges, ainfi que les originaires de la terre les portoient encore alors dans leurs dances, en contre-faifant cette nation, laquelle fans aucune contradiction,paffa jnfques à Tulo où ils furent bien reçeus, parce que c'eftoient des gens fort induftrieux de quelque art que ce fut, & pour cultiver la te r re , ce qui les faifoit aimer de tous. Or comme la ter­re de Tulo n'eftoit pas baftante de les contenir, ils paffe­rent à Chololan , où ils s'habituèrent , & peuplèrent de­puis là jufques à Guaxaca , & à la Miftica haute & baffe, & à Zapotecas. Ils enfeignerent les peuples à vivre po­litiquement par toute cette ter rera caufe dequoy dés

Gens du cofté du Nor t abor ­dent à Panuco,

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D E S INDES O C C I D E N T A L E S , Liv.II . 157 qu'il fe rencontroit quelque homme prudent & indu-ftrieux, on l'appelloit Tuloteca , parce qu'ils commencè­rent premièrement à enfeigner dans Tulo. Et il eft con­fiant que les Tulotecas font charitables & mènent une vie de véritables Chreftiens. Lors qu'ils fe rencontrent dans quelque adverfité, ils font auffi-tofr. des vœux à Dieu, éi à la Vierge, & les accompliffent ponctuellement.

C H A P I T R E XII

De l'origine des Rois de Mexique jufques au troifiéme appelle Chimalpopoca.

A Près que l'on eut fait les divifions des terres , com-A me nous le venons de d i re , ceux q u i fe trouvèrent lezez, s'en allèrent avec leurs parens & amis, chercher d'autres lieux pour s'eftablir ; & tournoiant le long des ri­ves du lac ils trouvèrent une terre unie qu'ils appellent Tlatelolli, où ils peuplèrent, & donnèrent à leur peupla-de le nom de Tlatelulco, fituée dans la plaine. De forte donc que celle-là fut la troifiéme divifion des Mexi-q u a i n S ; après leur fortie. Mais ceux de Tlatelulco dont nous parlons, eftoient gens remuans , & mauvais voifins des Mexiquains ; & cette inimitié dure encore jufques à c e jour. Or ceux de Tenuchtitlan voyant que ceux de Tlatelulco multiplioyent beaucoup, refolurent d'eflire un Roy pour les maintenir dans une parfaite union, & pour les deffendre contre leurs ennemis. Et pour éviter les diffenfions, ils ne le voulurent pas prendre de leur li­gnée. Au contraire pour venir à bout du Roy de Culva-can- leur ennemy, par la mort de fa f i l l e , & pour avoir du fecours d e s amis, ils efleurent pour Roy un jenue homme appelle Acamapixtli, fils d'un grand Prince Mexiquain, & d'une D a m e , fille du Roy de Culvacan ; auquel i l s en­voyèrent u n e Ambaffade par fon neveu, lequel con-noiflantque leur demande eftoit raifonnable, l e u r de­mande leur fut accordée. Et defirant qu'il fût marié, ils

T iij

1521. Les Tulocecas font fort chari-tables & bon. Chreftiens.

Orig ine de tla­telulco.-

Élection du RoY des M e x i q u a i n s

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1521.

158 H I S T O I R E luy donnèrent pour femme l'une des principales Dames de la Cour ils ammenerent : donc leur Roy de leur Rei­ne , qui furent recens en grande rejouïffance de tout le peuple. Comme il rit fon entrée, il y eût un vieillard qui luy fit une harangue, touchant fon Gouvernement, & ce qui eftoit de fon devoir ; il luy dit qu'il prît garde qu'il n'eftoit pas venu pour fe délaffer, ny pour fe divertir ; mais pour prendre de nouveaux travaux, de pour fupor-ter une pelante charge , & nonobftant cela ils fe réjoui­rent tous de fa bien venue, de le Roy les remercia fort honneftement, & leur promit de les affifter & protéger contre tous ceux qui les vondroient offenfer , de toutes fes forces. Ils luy prefterent tous les fermens requis en pareil cas , de luy poferent une Couronne fur la tefte, qui reffembloit fort à celle dont l'on couronne les Ducs de Venife, avec le nom de premier Roy , qui fut Acama-fixtli, qui veut di re , Cannes en la main, dont les armes eftoient une main qui tient plufieurs flêches de cannes. Et ces harangues de les autres difcours qu'ils tinrent à ce nouveau Roy, dont les Hiftoires Mexiquaines font men-tion,ont efté tellement gravées dans les cœurs de la jeu-neffe, qu'ils les ont toujours confervées de l'un à l'autre, jufques à prefent.

Or cette eflection fut faite fort à propos pour faire ga­gner en peu de temps aux Mexiquains beaucoup de ré­putation parmy leurs voifins ; de ils eftoient déjà dans la crainte ; à caufe dequoy ils refolurent de les fubjuguer, de particulièrement les Tepavecas, lefquels voyant qu'ils devenoient puiflans , eurent deffein de les opprimer, de pour trouver fujet de le faire,ils envoyèrent dire au Roy de Mexiqueique ; d'autant que le tribut qu'il payoit eftoit modique , qu'il faloit qu'il envoyait du bois pour leur ville ,& des ferres enfemencées de plufieurs fortes de légumes qui creuffent dans l 'eau, & qu'eftant venues, &creuës, elles leur fufsét portées tous les ans fur l'eau ; ou qu'autrement ils le tiendroient pour ennemy. Les Mexi­quains voyant que cette menace ne tendoit qu'à leur ruine en furent affligez ; mais leur Dieu Vitziliputzli les

Guerres des Mexiquains cO-tre les Tepane -ques d'où prend fon commance-ment.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I I . 159 confola, & leur commanda d'accorder le t r ibut , & qu'il les aideroit. Le temps eftant arrive , ils firent porter le bois & les femences ,parmy lefquelles il v avoir beau­coup de mayz , & autres choies qui avoieut creu fur l'eau & dans la faifon. Or ceux qui voyent maintenant les femailles qui fe font dans le lac de Mexique , ne tien­nent pas cela pour un anchantement , mais pour une chofe qui fe peut faire ; parce que l'on met de la terre fur des joncs, & du glayeul ou flambe entrelaffes les feman-ces où germent & viennent en maturité, que l'on trani-porte de Cofté & d'autre comme l'on veut. Le Roy des Tepanecas eftonné de voir le tribut , dit que ces gens avoient un paiffant D ieu , puis qu'il leur rendoit ainfi toutes chofes faciles, & qu'à caufe de cela il vouloit que l'année fui vante ils envoiaffent dans une terre enfemen-cée , une oye & une grüe avec leurs œufs prefts à éclor-re , en forte que lors qu'elles arriveroient les petits vinf-fent à fortir de leur coque, & non autrement. Les Mexi­quains s'affligèrent encore beaucoup de cette demande fi difficile 5 mais leur Dieu les encouragea , & leur com manda d'obeïr, & leur dit qu'il viendroit un temps que les Tepaneques payeraient de leur vie les demandes im­pertinentes qu'ils faifoient. Comme donc les Mexi­quains envoierent leur tribut dans la femaille, la grue & l'oye parurent auffi-toft, & en arrivant au lieu où on les devoit recevoir , les pouffins fortirent auffi-toft. de leur coque. Le Roy admirant cela, d isque ces chofes étoient plus qu'humaines,& que les Mexiquains prenoient le chemin de devenir Seigneurs de tout. Ils furent cin­quante ans dans cette fervitude, & dans ce temps-là le Roy de Mexique mourut,avant accru fa ville de beau­coup de baftimens, de ruiffeaux , & de vivres. Il régna quarante ans en paix. Comme il vint à l'article de la mort , quoy qu'il euft des enfans légitimes, il laiffa à la République la liberté de choifir qui bon leur fembleroit pour les gouverner, leur enchargeant qu'ils confideraffent toujours le bien public, & leur fit voir qu' il avoit un regret de ne les avoir pas peu affranchir du tribut qu'ils payoient ; puis

M U ,

Tribus que payoient les M e x i q u a i n s , &

l e s M e x i q u a i n furent cinquan­te ans dans la (fervitude.

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1521.

160 HISTOIRE après leur avoir recommandé fes enfans & fa femme [1 mourut. En faifant fes obfeques ils efleurent pour Roy l'un des enfans du defrunt, le gratifiant en cela par la confiance que le pere avoit eue en la République , en leur remettant le choix de l'élection. Ils'appelloit Vitzi-locutlt* qui fignifie, plume riche. Le plus ancien luy di t , qu'il prit garde que l'office d'un Roy eftoit d'avoir de la pieté pour les vieillards , pour les veufves , pour les orphelins , & d'ê­tre le pere de la Republique ; parce qu'ils dévoient eftre les plu-mes de fes ailles , les paupières de fes yeux , & les poils de fon vi-fage. Qu'il devoit eftre vaillant , puis que leur Dieu avoit pro-phetifé qu'il s'aideroit de fes bras. Ils le couronnèrent & l'oignirent avec une onction qu'ils appelloient divine, parce qu'ils fe fervoient de cette onction pour leur Ido­le. Ils luy donnèrent encore d'autres advertiffemens pour l'animer à les tirer de leurs travaux , & le reconnu­rent tous. Ils le marièrent avec la fille du Roy d'Azcapu-zalco, appellée Ayauchigual, & l'amenèrent en grande rejoüiffance. Ils rirent les cérémonies des époufailles, qui eftoient de lier une pointe du manteau dumary avec celle de la robbe de la femme ; & par ce lien de mariage ils eurent un fils, & ayant je t té au fort, parce qu'ils eftoient grands devins , pour donner des noms à leurs en­fans? ils l'appellerent Chimalpopoca , qui veut dire bou­clier qui jette de la fumée. Le Roy & la Reyne moururent & laifferent Chimalpopoca, âgé de dix ans feulement. Le pere fut fort dévot, & fort foigneux pour le culte de fes Dieux , defquels il croyoit que les Rois eftoient la ref-femblance,& que l'honneur qui fe rendoit aux Dieux fe rendoit aux Rois. Il'agrandit fa ville ,& avoit apris l'art de la guerre à fes fujets. Les Mexiquains efleurent pour fucceffeur de la Republique Chimalpopoca, parce qu'il eftot neveu d'Azcapuzalco l'ayant mis fur le thrône, ils luy donnèrent pour guidon un arc & des flèches en la main } & une épée dont le taillant eftoit de ces cailloux qui coupent comme des rafoirs,ainfi qu'ils en ufoient , en la droite; fignifiant en cela qu'ils pretendoient fe mettre en liberté par la force des armes. Et d'autant que l'eau

de Me-

Les Mexiquains éffent un fé­cond Roy.

C o u r o n n e m e n t au fécond Roy de Mexique.

Cérémonie du mariage du Roy.

Election du troifiéme Roy de Mexique.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.II 161 de Mexique n'eftoit pas bonne à bo i re , l e neveu de­m a n d a i l'oncle celle de la Montagne de Chapultepec qui eft, à une lieuë de Mexique la rirent venir dans la ville ; mais comme les canaux par où elle venoit n'étoiét pas bons , & qu'ils fe rompoient fouvent, ils prirent de là occafion, de prier le Roy d'Azcapuzalco de leur faire faire un canal qui fût ferme , & qui ne fe rompît point ; mais indigné de la fuperbe de ceux qu'il tenoit pour vaffaux , & fes gens ayant foupçon de luy, à caufe du Roy de Mexique fon neveu, publièrent une deffenfe de commercer avec les Mexiquains, fi bien que le Roy voiant que fes gens ayoient deffein de tuer les Mexi­quains ; il les pria de dérober premièrement le Roy fon neveu , & qu'après cela ils fiffent à leur volonté des M e ­xiquains. O r quoy qu'ils fe réjouirent tous de cela, il y en eût pourtant deux qui y contrarièrent, difant que le Roy eftoit Mexiquain du cofté de fon pere ; 6c que par­tant il tenoit plus du coffé du pere que de la mere , & que par confequent il falloit tuer le Roy le premier. L'ayeul entendant cela en mourut de deplaifir,& ils n 'en furent pas fâchez à caufe du foupçon qu'ils avoient de luy, parce qu'il avoit ofté le tribut des femailles aux Me­xiquains , & les autres chofes qu'ils payoient. D'ailleurs, les Tepaneques entrèrent nuitamment dans le Palais du Roy de Mexique fans que perfonne les vit , & tuèrent le Roy comme il dormoit,& s'en retournèrent. Les M e ­xiquains ayant trouvé leur Roy mort au matin, en eu­rent un grand reffentiment, & protefterent de s'en van-ger,& y voulurent aller d'improvifte pour exécuter leur vangeance ; mais il y eût un Seigneur qui les rctint,& les appaifa , difant qu'ils éleuffent un Roy premièrement & qu'ils entrepriffent l'affaire avec plus de confidera-tion. Ils rirent donc auffi-toft un accommodement avec ceux de Tezcuco, & de Culvacan , afin qu'ils demeuraffent neutres ; ce qu'ils leur accordèrent , & de les aider auffi.

y

1521

Les Tepaneques tuent le Roy de Mexique.

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162

1521, HISTOIRE

C H A P I T R E X I I I .

Des Rois de Mexique jufques au fixième , appelle Tizocic.

Comme les Mexiquains fe furent affemblez pour l'eflection d'un nouveau Roy, ils prirent un nom­

me Tzcoatl, QUI veut dire couleuvre de rafoir, qui eftoit fils du premier Roy, Acamapixtli, & quoy qu'il l'eût d'u­ne efclave, il ne laiffoit pas d'eftre vaillant, bien condi­tionné, & beau-frère du Roy de Tezcuco, Ils le couron­nèrent pour te l , & il y eut un Orateur qui luy reprefenta au nom de la Republique,à quoy le Roy eftoit obligés lequel ne manqua pas auffi-toft de fe préparer à la guer­re. D'ailleurs les Tepaneques eftoieut auffi en eftat de la faire ; mais les Mexiquains fe voyant inférieurs, de reconnoiffant la pieté du Roy Azcapuzlco ; ils refolurent du confentement de tous, de prendre leur Dieu , & de s'en aller tous vers luy, & le prier de les tirer de ces ro-feaux & de ces jons, & qu'il leur donnaft des terres pour peupler, & qu'ils fuffent tous unis. Comme ils eftoient fur les termes d'aller faire cette foûmiffion ; il y eut un jeune homme qui avoit le cœur généreux, appelle Tla-caellel) neveu du Roy , qui le reprimenda de fa coüardi-fe avec beaucoup de hardieffe, de fe vouloir mettre en­tre les mains de les ennemis. Le Roy fe retourna auffî-toft vers les fiens, & dit que celuy qui feroit allez hardy pour porter une Ambaffade aux Tepaneques, parût , & il n'y eût que le feul Tlacaellel qui fe prefenta, s'imaginant tous qu'il n'en reviendroit jamais. S'eftant mis en che­min , quoy que les gardes des Tepaneques, euffent ordre de tuer quelque Mexiquain que ce fût, il leur donna de fi bonnes raifons qu'ils le menèrent parler au Roy. Apres qu'il eût reçeu l'Ambaffade, qui portoit de demander la paix, il fut remis à une autre jour, parce qu'il vouloir prendre confeil pour cela. Tlacaellel retourna porter la

Election du quatrième Roy de Mexiquc.

Tlacaellel re-pr imende les Mexiquains de vouloir quitter leur terre.

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , Lîv. I I . 163 rëponfe au Roy de Mexique, lequel luy donna de cer­taines armes pour donner au Roy l' Azcapuzalco en cas qu'il eût une réponfe de guerre , afin qu'il s'en deffen-di t , & qu'il l'oignît & l'emplumât par la tefte , ainfi que l'on en ufoit aux morts : & cela fe fît comme par une ma­nière de deffi. Mais quoy que le Roy fouhaitât la paix, fes fujets n'y voulurent point entendre ; c'eft pourquoy le meffager luy donna les armes, & il fe laiffa oindre & emplumer ; & pour recompenfe de cela , il donna à Tla-caellel de bonnes armes , & le fit fortir fecretement du Palais, de crainte qu'on ne le tuât. Lors que Tlacaellel fe vit en liberté il deffia les gardes ; & quoy qu'ils fiffent tous leurs efforts de le tuer , il fit fi bien qu'il le fauva , & ainfi la guerre fut déclarée, fans aucun remède,dont les Mexiquains furent fort contriftez : mais le Roy les encouragea , & nomma pour Capitaine General T l a -caelleL Enfin l'armée fortit en campagne, où. les Tepa-neques les attendoient déja, qui eftoient les principaux de cette Province. Les Mexiquains vainquirent , & donnè­rent la chaffe aux fuyars jufquesà entrer dans leur ville. Mais comme ils fe virent pourfuivis ils abandonnèrent la p lace , & s'eftant réfugiez dans un bois tout proche, ils poferent les armes bas, & fe rendirent & ainfi ils demeu­rèrent fujets & pauvres pour toûjours ; parce que la No-blefTe de Mexique partagèrent entre eux les dépouilles & les terres. Quelques-uns d'entre eux des plus vaillans fe rendirent de la bonne forte, c'eft à dire en voulant bien vendre leur vic, mais les autres fe rendirent comme des lâches. Tacuba & Cuyoacan , villes du Royaume des Tepaneques continuèrent la guerre , en fe moquant en quelque façon les uns des autres. Ils combatirent néant-moins avec égales forces , mais enfin les Mexiquains emportèrent la victoire par la valeur du Capitaine Tla-taellel. Il y eut trois perfonnes qui fe fignalerent des principaux de Culvacan, au premier defquels on donna pour recompenfe une grande partie de la dépouille, c'eft pourquoy entre les Mexiquains ce feul fujet d e r e -compenfer les vertueux leur donnoit de l'émulation de

1 5 2 1 .

Cérémonie des défis qui fe fai-foient , dans la nouvelle Efpa-g n e .

Les Mexiquains déclarent la guerre aux Te­paneques, & les vainquent.

V ij

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1521.

164 H I S T O I R E faire des actions Héroïques. Ils affujetrirent anffi les Sa-chimilcos, fut la première lignée qui fortit des fept Ca­ves ou lignées dont nous avons parlé, qui peuplèrent la terre, & les vainquirent en bataille, les Suchimilcos ayant efté les agreffeurs, dans une apprchenfion de fervitude. De forte donc qu'à caufe des victoires des Mexiquains, ces peuples reconnurent dans leur ville le Roy de Me­xique, & luy prefterent ferment. Il leur ordonna de faire une chauffée depuis leur ville jufques à Mexique, afin de fe pouvoir communiquer, qui a quatre lieues de chemin, & dés l'heure mefme l'on commença à y travail­ler. Tlacuellel affujetit auffi Cuit lavaca, ville du lac ; à caufe dequoy le Roy de Tezcuco reconnut les Mexi­quains ; moyennant quoy la ville de Mexique demeura maiftreffe de tous les lieux qui eftoient au tour du lac ; & ainfi les Tepaneques diminuèrent beaucoup de leur grandeur ; pendant lequel temps le Roy Yzcoatl mou­rut , après avoir régné douze ans.

Le cinquième Roy de Mexique fut Montezume, pre­mier de ce nom ; & parce que dans cette eflecion il y avoit quatre Electeurs, outre l'intervention des Rois de Tezcuco & de Tacuba , Tlacaellel fe joignit avec eux comme Capitaine General , & il écheut que ce fut fon neveu Montezume qui fut d ieu . Ils le portèrent au Temple avec grande pompe & magnificence. On por-toit devant luy un brafier toujours ardant. Ils le pofe-. rent dans le Trône Royal , & facrifia, en fe tirant du fang des oreilles, du molet du bras, & de la grève de la jambe , avec des pointes d'os de Tygre & de cerf Là les Préfixes luy firent des harangues, & quelques anciens Seigneurs auffi, le felicitans tous de fa réception. L'on fit de grandes danfes,des Feftes, des Banquets. L'on apporta des prefens des Provinces du Royaume, qui en­troient dans la ville en grand pompe. Le Roy fut à la guerre contre ceux de chalco, qui s'eftoient déclarez pour ennemis, d'où il emmena des captifs pour facrifier Couftume qui prit racine dés ce temps-là , pour les corn-mencemens des nouveaux Rois, que lors qu'ils retour-

La ville de M e ­xique demeure la maiftreffe de toutes celles des environs du lac .

E l e d i o n du c inquième Roy de Mexique commen t fe fit.

La couftume de facrifier i n ­troduite à venement des nouveaux Rois le Mexique.

Page 189: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, Liv.II . 165 noient de la guerre,ils entroient dans Mexique en triom­phe & dans une réception folemnelle ; parce qu'ils for-toient des Temples en proceffion,avec des brafiers odo-rans & au fon de quantité d'inftrumens. Les feculiers & les Courtifans fortoient auffi avec des inventions de ré­création pour recevoir le Roy victorieux.Ce Montezu-me fut belliqueux, & conquit beaucoup de païs , mais la guerre qui luy bailla plus de peine, fut celle de Chalco, où ils voulurent eflire pour Roy l'un des frères du Roy de Mexique qu'ils a voient captivé, & dirent que pour l'accepter il vouloit parler à ceux de fa terre ; & com­manda que l'on dreffaft un théâtre de bois qui fut fort haut , fur lequel il monta ayant un bouquet en la main, & dit ; A Dieu ne plaife que pour régner le commette une tra­hi[on contre les miens, & pour leur apprendre à eftre fidè­les à leur patrie, il fe jetta du haut en bas & fe rompit le col. L'on continua la guerre , & la ville de Chalco fut prife ; mais l'on ne la fît pas contre Tlafcala , afin que la jeuneffe Mexiquaine trouvait toufiours dequoy s'exer­cera la guerre , & qu'il y euft des gens pour facrifier. Ce Roy ordonna des maifons pour le culte de leurs Dieux, avec plus de cérémonie de de grandeur, & celles de la Iuftice , & fe gouverna par des confeils , des confiftoi-res, & des tribunaux pour diverfes caufes, avec autant ou plus de luges qu'il y en ait dans les meilleures Répu­bliques des Europe.il eftablit la maifon Royale fort ma­gnifiquement, & avec beaucoup de fplendeur. Il fit ba-ftir un grand Temple pour fon Dieu Vitzlipuztli, & lors qu'il fut dédié ils facrifierent quantité d'hommes qu'ils avoient pris en guerre ; mais il facrifioit rarement dans d'autres temps. Enfin il mourut, après avoir régné vingt huit ans.

Le fixiéme Roy fut Tezozic, parce que Tlacacllel ne voulut pas accepter la Royauté , parce qu'il avoit trop de foin, & prenoit beaucoup de peine pour la Republi­que , qu'il aftectoit beaucoup plus que les honneuïs & la puifïance 5 & pour recompenfe de fa modeftiejes Ele­cteurs le préférèrent pour le choix de l'Election 3 & il

*5 l h

Ceifx àt C4»alc© font vaincus.

Cas notable que fit le p re ­mier Memexu* me.

Sixième Ray de Mexique.

V iij

Page 190: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1521

166 H I S T O I R E dôna fon fuffrage à l'un des fils duRoy mort,& qtioyqu'il paruft de foible compîexion pour une charge de fi grand poids, il dit qu'il la porteroit, & qu'il fuppléroit à ce defFaut, & on fit aufîî-toft les cérémonies accouftumées. Ils luy percèrent les narines, & y mirent une efmeraudc. Il fut fort peu belliqueux, & coiiard. Pour fe faire cou­ronner il alla pour affujettir une Province qui s'eftoit foulevée, mais il y perdit plus des ficns qu'il n'en capti­va d'autres. Puis en s'en retournant il dit qu'il amcnoit beaucoup de captifs ,& fut couronné avec grande céré­monie: mais il ne régna que quatre ans , parce qu'ils l'empoifonnerent, à caufe du mécontentement que les Mexiquains avoient d'avoir un Roy fi peu vaillant,d'ou l'on peut confiderer le courage de cette nation, & le de-fir qu'ils avoient d'eftre gouvernez par de vaillans Rois,

[ C H A P I T R E X I V .

Suitte du règne des Rois Mexiquains iu/ques au ficond Montezume,

LE feptiéme Roy de Mexique qui fut aufïï fils du grand Montezume appelle Axacaya^ut efleu dans

le mefme ordre & par les vœux & fufFragesdcTlacael-lel,que les precedens,quoy que fort vieil, & fî-toft qu'il fut efleu il rît fon fils aifné Capitaine gênerai,tant pour fa confolation que parce qu'il eftoit vaillant, après quoy il ne fe foucia plus de mourir. Enfuite dequoy le Roy fortit en campagne pour prendre des efclaves pour fer-vir de victimes à fon couronnement. Il alla en la Provin­ce & Tecoantepec, & combatit contre une puiffante ar­m é e , tant de cette ville que d'une autre qui s'eftoient joints enfemble. Il gagna la victoire, de pourfuivit fes ennemis jufques au port de Cuatulco en la mer du Sud. Il retourna à Mexique triomphant , & fe fit couronner avec un grand appareil de facrifices de de tributs. Les Rois de Mexique recevoient la Couronne des mains des

Les Mexiquains tuent leur Roy pocir n'eftre pas .vaillant.

' i .e feptiémeRoy de Mexique fils du grand Mon­tezume,

Les Rois deMe-atique recevait : l aCouronnedes ma ins des Rois de Tezcuco.

Page 191: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv II 167 Rois de Tezcuco, qui eftoit fa prééminence. Ce Roy fut vaillant: il eftoit toufiours des premiers dans les com­bats. Il affujettit fous fa domination Tlatelulco , qui fut fondée par ceux qui fortirent de Mexique ; & parce qu'ils fe déguiferent & fe mirent en embufcade dans le lac, comme des corbeaux, des oyes, des oifeaux , des grenouilles , & autres femblables animaux,& ayant efté vainçus par le combat que fitle Roy de Mexique avec celuy de Tlatelulco , corps à corps, après avoir eu avis de leur déguifement, il ne leur voulut pas pardonner, & chantoient, & croaffoient chacun félon le perfonnage qu'ils s'eftoient figuré 3 mais enfin ils furent contraints à à leur honte de le continuer & & jufques à ce jour cette gaufferie dure encore contre ceux de Tlatelulco, qu'ils tiennent pour grand affront. Ce Roy régna onze ans, & augmenta de beaucoup pendant fon temps le Royaume.

Autzol fut le huitième Roy de Mexique, qui fut re-ceu félon les formes accoutumées ; il ne fut point infé­rieur à fon predeceffeur ; au contraire c'eftoit un hom-me doué de vertu de de valeur, fort affable , & chery de fon peuple. Ayant appris que ceux de Quaxutatlan, Pro-vince riche & opulente , avoient mal-traitté les Mexi-quains qui alloient recevoir les tributs, & s'eftoient fou-levez, il les alla at taquer, les vainpri t , & s'en revint victorieux. Il fît d'autres conqueftes, par le moyen def-quelles il eftendit les bornes de fon Empire , jufques à Guatemala. Il fut fort libéral, & faifoit de grandes cha-ri tezaux pauvres, & beaucoup de faveur aux foldats. 11 fît quantité d'édifices ; il fit auffi venir un grand canal d'eau dans Mexique, parce qu'ils n'en avoient pas fuffi-famment, & pour l'y faire venir ils firent de grandes dé­votions , après quoy il en vint une fi grande quantité qu'elle penfa nover la ville. Mais le Roy y remédia par fon induftrie, y faifant faire un canal pour fa décharge, qu'il fît fortifier des deux coftez,& la ville demeura ainfi en feureté. Ce Roy régna onze ans.

En l'an mil cinq cent dix-huit, qui fut l'année que les Caftillans entrèrent dans la nouvelle Efpagne,Montezu-

1521.

Election du huitième Roy de Mexique,

Le huitième Roy de Mexi­que eftend l'es limites iufques à Guatemala.

Les Gaftillans arrivent en la nouvelle Efpa-

Page 192: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1521 gne du règne du fecond Mon-tezume.

168 H I S T O I R E Le, fécond de ce nom regnoit alors lequel eftoit Fi pru­dent , que lors qu'il eftoit dans le Cqnfeil, ils écoutoiene toutes fes paroles come autant d'Oracles, &admiroient fes avis ; à caufe dequoy avant que d'eftre Roy, on luy portoit les mefmes refpects que s'il l'efté. délia efté. Il fe retiroit d'ordinaire dans une grand'chambre qu'il avoit dans le Temple de Viztzipuztli , où il communiquoit fa­milièrement avec fon Idole , parce qu'il eftoit fort R e ­ligieux & dévot ; & pour ce fujet , & qu'il avoit beau­coup de nobleffe & de valeur, il fut efleu Roy. Lors qu'il fut adverty de fon eflection,il fe retira dans cette chambre qu'il avoit dans le Temple , pour faire paroi-ftre plus d'hypocrifie ; ils le menèrent delà dans le Con-fiftoire, cheminant avec une grande gravité,à caufe de­quoy ils l'appellerent Montezume, qui veut dire courou-ce. Il alla auffi-toft au brafier du Temple prefenter les parfums. On luy tira du fang des oreilles ,de la grève des jambes, & du molet des bras, félon la couftume. Ils luy venftirent les ornemens Royaux. Ils luy percèrent le nez , & y attachèrent une riche efmeraude. Eftant affis dans fon throfne ils luy firent les harangues ordinaires, La première fut faite par le Roy de Tezcuco, qui ne ten-doit qu'à luy donner des louanges de fes vertus ; auf-quelles il répondit avec beaucoup d'humilité & d'agrée-ment. Mais lors qu'il commença à régner il changea de mœurs , parce qu'il ne voulut eftre fervy que par des Nobles , que les plus illuftres Seigneurs du Royaume demeuraient dans ion Palais , & exerçaffent les Offi­ces de fa Maifon & de fa Cour. Pour faire les cérémo­nies de fon Couronnement, il fortit pour aller conque-ûcr une Province vers la mer du Norc, qui s'eftoit fou-levéc. Il y fit une cruelle guerre avec beaucoup d'indu-ftrie, & chaftia les rebelles. Puis ayant lafflé des garni-fons dans les frontières il s'en revint avec grand nombre de captifs pour facrifier, & un grand butin. Les Seig­neurs le fervoient comme des ferviteurs à gage, choie qui n'avoit point encore efté ufitée, tant ils avoient d'ap-prehenfion de l'irriter, jointe au refpect qu'ils luy por-

toient,

Pourquoy il fut appelle Monte-atume.

change de m œ u r s en e n ­t r an t à la Roy­auté.

Page 193: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES Indes O C C I D E N T A L E S , Liv. I I . 169 toient, & au grand amour que cette Nation a toujours eu pour fes Rois. L'on fit dans Mexique les cérémo­nies de fon Couronnement avec tant d'appareil & de réjouiffance , de danfes, de commedies, de farces, de luminaires, d'artifices, de divers jeux, & tant de richef-fes des tributs de fes Royaumes, qu'il vint de toutes parts quantité de gens inconnus pour voir ces magni­ficences , & mefme des ennemis des Mexiquains, com­me des Tlafcalteques , & de la Province de Mechoa-can , qui y vinrent déguifez pour contempler cette grandeur Royale. Et quoy que le Roy en fut adverty, il ne les inquiéta pas pour cela ; au contraire il les fie loger & régaler, & commanda qu'ils fuffent mis dans des balcons auffi beaux que les fiens, où ils puffent voir les feftes de nuit : Et eux & le Roy mefme y louè­rent auffi leurs perfonnages mafquez. Enfin Montezu-me, s'adonna à fe faire refpecter de telle forte , pour ne point dire adorer, qu'aucun de fes fuets ne l'ofoit re­garder en face, & s'il le faifoit il mouroit. Il ne mettoit jamais les pieds contre terre, parce qu'il eftoit toujours porté fur les épaules des Seigneurs, & lors qu'ils le def-cendoient, ils mettoient de riches tapis contre t e r r e , afin qu'il marchait. deffus Lors qu'il alloit quelque part, ceux qui l'accompagnoient Il N'ofoient fuivre le chemin par où il paffoit, il faloit qu'ils marchaffent des deux coftez du chemin, il ne portoit pas deux fois un habit, Il ne beuvoit ny ne mangeoit pas non plus deux fois dans une mefme vaiffelle, ou vafe , & comme il don -noit toutes ces chofes à fes ferviteurs, ils eftoient bra­ves & galanifez. Il vouloit que fes Ordonnances fui-fent gardées inviolablement, & fi quelqu'un y man-quoi t . i l eftoit chaftié fans aucune mifericorde. Il for-toit fou vent déguifé pour épier les actions de fes Mi-niftres,& fofcitoit des perfonnes pour corrompre les luges , afin de les provoquer à faire quelque injuftice ; & s'ils fe laiffoient gagner, & qu'ils fiffent quelque cho­ie contre leur devoir,, ils eftoient condamnez à la m o n fans aucun refpect de Parens, de Noblefte , ou de

X

1521.

Cérémonies du Couronnement de Montezume.

Grandeur de Montezume.

Court mire de Montezume & fa feverité.

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1521.

170 H I S T O I R E quelque autre confideration que ce fuft. Il efloit grand Iufticier, & converfoit peu avec les liens, & il fe laiffoit rarement voir. Il eftoit toujours enfermé, fongeant continuellement au gouvernement de fes Royaumes, & par quel moyen il les agrandirait, qui eftoit fa plus grande ambition ; & pour cet effet, il ne refufoit point de faire la guerre de quelque façon que ce fut, parce qu'il eftoit vaillant, & il eut de grandes victoires, de forte qu'il arriva à un plus haut point de grandeur qu'aucun de fes predeceffeurs. Mais comme il penfoit eftre au comble de fes félicitez, la roue de fortune vint à tourner qui le renverfa, comme il arrive ordinairement dans les plus grandes Monarchies.

C H A P I T R E X V .

De la Religion des Mexiquains,

A P R E S avoir parlé affez amplement de l'Empire Mexiquain &. des Rois qui l'ont gouverné, il ne

fera pas hors de propos de dire quelque chofe de la Religion, en quoy confifte l'orgueil du Démon, en fe voulant appliquer ce qui appartient à un feul Dieu ,& de ce qu'il s'adonna pluftoft parmy des Nations qui ne font pas éclairées des lumières de l'Evangile, pour don­ner plus de crédit à l ' Idolâtre, à caufe de la haine mor­telle qu'il a contre le genre humain. C'eft pourquoy il tafche par toute forte de voyes de deshonorer Dieu, & détruire l'homme ; & pour cet effet, il multiplie tant qu'il peut, tant de fortes d'Idolâtrie. Mais nonobftant toutes fes rufes les Mexiquains confeffoient un Dieu fuprefme, Seigneur & Créateur de toutes chofes, & ceftoit là le principal point de leur croyance. Ils contemploient le Ciel, & l'appelloient Créateur du Ciel & de la terre, & Admirable , & encore d'autres noms de grandeur qu'ils luy attribuoient : Et nonobftant tout cela les Prédicateurs Catholiques ont eu beaucoup de peine à

Ce que c'eft qu ' Ido lâ t r i e & le mal qu'elle caufe

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I . 171 ofter de l'imagination de ces barbares qu'il n'y avoit point d'autres Dieux qu'un feul , ny qu'il n'y a point d'autre Deï té que celle du véritable Autheur de toutes choies, ny qui puiffe donner ou concéder aucune chofe que luy. Mais depuis ce temps-là, après cette feule Deï té que l'on leur prefchoit, ils vénérèrent le Soleil., 6c en fuite la Lune, l'Eftoile du Iour, la Mer & la Ter re ; à caufe dequoy ils appelloient Fernand Cortés , fils du Soleil. Mais ils donnoient leur plus grande adoration à l'Idole Vitzilipuztli, qui veut di re , fenettre de plume reluifante ; & fon Temple eftoit le plus fomptueuX de tous ceux de la ville ; & ils attribuoient aux autres Ido­les les effets naturels, comme ceux de pleuvoir, des femailles, de la guerre, & de la génération. Ils eftoient auffi curieux de faire des Idoles, 6c des Images de di~ verfes figures, & les adoroient pour des Dieux , à quoy ceux de Mexique, de Tezcuco, de Tlafcala, de Chu-iula, & des lieux cirConvoifîns, eftoient plus adonnez que dans les autres terres les plus reculées.

Ils avoient encore une autre Idole dans Mexique qui eftoit remarquable, qui eftoit celle de la Penitence & des Iubilez, pour obtenir le pardon de leurs fautes. Cette Idole s'appelloit Tezcaldiputza , elle eftoit faite de pierre noire, reluifante comme du marbre poly, & veftuë & ornée de galans ; elle avoit à la lèvre d'enbas des anneaux d'or d 'argent , avec un petit tuyau ou cerbatane de criftal, dans lequel eftoit une plume verte, 6c d'autres fois bleue, qui paroiffoit une Turquoife ; la treffe de fes cheveux luy fervoit de bande , qui eftoit d'or bruny, & pendoit au bout de cette trèfle une oreil-le d'or, avec des fumées peintes deffus, qui fignifioit les prières des affligez & des pécheurs qu'elle efcou-toi t , lors qu'ils fe recommandoient à elle. Entre cette oreille l 'autre, il en fortoit de certaines aigrettes, & avoit fur le col un joyau d'or qui luy defceridoit & couvroit tout le fein. Elle avoit des bracelets d'or aux bras, & nombril une riche pierre verde ; en la main gauche un chaffe-mouche de riches plumes, ver-

1 5 2 1 .

Les Indiens ap-pel lent Coftés fils du SoleiL

Idole des Mexi-quains en gran­de veneration

X ij,

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1521.

172 H I S T o I R E

des , bleues & jaunes qui fortoient d'une plaque d'or reluifante & bien brunie, qui reffembloit à un miroir ; & cela, fignifioit qu'elle voyoit dans ce miroir tout ce qui fe faifoit dans le monde, & ce miroir n'eftoit point appelle autrement que fon regardeur. Elle tenoit en la main droite quatre dards, qui fignifioient le chafti-ment qu'elle faifoit aux méchans pour leurs pechez. Or cette Idole eftoit celle qu'ils apprehendoient le plus, de crainte qu'elle ne defcouvrît leurs délits ; & lors que fa fefte arrivoit, qui eftoit de quatre en quatre ans, il y avoit un pardon general de tous les pechez. Ils te-noient cette Idole pour le Dieu de la fterilité & de la perte,& pour ce fujet elle eftoit affife comme dans une chaire à doffier avec beaucoup de majefté, entourée d'une courtine rouge, où eftoient dépeints des cada­vres Se des os de morts ; elle eftoit encore reprefentée tenant en la main gauche un bouclier où eftoient cinq pommes de pin de cotton, & en la droite un dard, me­naçant de fraper. Il fortoit auffi du bouclier quatre dards, & elle avoit une mine renfrognée & toute plei­ne d'ire, le corps oingt de noir, la tefte pleine de plu-mes de cailles. Enfin ils avoient de grandes fuperfti-tions envers cette Idole , pour la grande crainte qu'ils en avoient.

Dans Chulula, qui eft une Republique proche de Mexique , ils adoroient encore une Idole fameufe, qui eftoit le Dieu des marchandifes, parce qu'ils eftoient la plufpart marchands, & ils s'adonnent maintenant au trafic. Ils l'appellent Quatzalcoatl ; elle eftoit dans une grande place, en un Temple fort haut ; il y avoit tout autour de cette Idole, de l'or, de l'argent, des plumes, des hardes de grand prix. Elle portoit la figure d'un homme, un vifage d'oyfeau qui avoit le bec rouge, Se fur ce bec une crefte, & verrues, avec certaines rangées de dents, qui droit la langue en dehors. Elle avoit fur la tefte une mitre de papier qui fe terminoit en pointe, Se en la main une faux. Elle avoit auffi quantité d'en-jolivemens d'or aux jambes, parce qu'elle faifoit des

Autre Idole re­marquable dans Chulula.

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DES I H D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. II 173 largeffes à qui bon luy fembloit. Son nom fignifioit cou­leuvre de plume riche.

Ils avoient auffi des Deeffes ; la principale s'appelloit tocci, qui veut dire, noftre ayeule.Ce fut cette Reine qu'ils égorgerent ; & dés lors ils commencèrent à égorger les hommes pour les facrifices, & veftoient les vivans de la peau des facrifiez s'imaginant que leur Dieu avoit cela pour agréable, & qu'ils arrachaffent les cœurs de ceux qu'ils facrifioient, & ils apprirent cette méthode de leur D ieu , lors du chaftiment de Tula. L'une de ces Deeffes qu'ils adoroient , eut enfant qui fut grand chaffeur, que ceux de Tlafcala prirent pour leur Dieu. Et d'autant que cette Province eft remplie de gibier, ils luy faifoient de grands honneurs, & jouoient dés la pointe du jour d'une corne-mufe., au fon de laquelle ils s'affembloient tous, avec leurs arcs, leurs flèches, leurs rets , & autres inftrumens de chaffe. Ils portoient leur Idole en proceffion, & il fuivoit arrière un grand nombre de gens, qui alloient fur une haute montagne, où eftoit fur le haut une manière de Chapelle faite de branches & de feuilles d'arbres, ou comme l'on dit , une ramée , au milieu de laquelle eftoit un Autel fort bien orné , où ils pofoient l ' Idole, chantant 6c jouant tout le long du chemin, & faifant grand bruit avec des trompettes, des cornets-à-bouquin, des flûtes des tambours. Eftant arrivez au haut,ils entouroient : toute la pante de cette montagne, & y mettant le feu de tous coftez il en fortoit quantité de cerfs, de liè­vres , Se d'autres animaux qui ne pouvant fouffrir les flammes, montoient fur le haut de la montagne, & les chaffeurs les fuivoient, criant & jouant de leurs inftru-mens jufques à les ramaffer devant l'Idole , où la chaffe les pourfuivoit de fi prés, que les uns fautant, les autres tournoyant ; d'autres fautoient fur les gens & les autres fur l'autel , dont ils faifoient grand fefte & réjoüffance en cette chaffe. Ils facrifioient les cerfs & autres grandes beftes devant l 'Idole, en leur arra­chant le cœur , & faifant la mefme cérémonie qu'ils

X iij

1521.

D'où procedoic la couftume d'égorger les hommes parmy les Indiens,

De la fefte des Chaffes dans Tlafcala.

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1521 1 7 4 H I S T O I R E faifoient aux hommes. Auffi-toft après ils prenoienr toute cette chaffe fur leurs efpaules, & s'en retour­noient avec leur Idole dans le mefme ordre qu'ils eftoient venus, & entroient dans la ville en grande ré-joiiinance, toujours jouant de leurs inftrumens jufques-à l'entrée du Temple, où ils pofoient l'Idole en grande révérence ; & de ces chairs, ils en faifoient des feftins à tout le peuple ; & cependant qu'ils mangeoient l'on commençoit les jeux & les danfes. Ils avoient encore plufieurs Dieux & Deeffes, mais les principaux eftoient ceux dont nous venons de faire mention.

Ils faifoient auffi des Dieux d'hommes vivans. Ils: prenoient un captif,& avant que de le facrifier à leurs Idoles, ils impofoient le nom de la mefme Idole à ce-luy qu'ils dévoient facrifier , ils le veftoient du mefme ornement, & tant que cette reprefentation duroit, qui eftoit un an en de certaines feftes, en d'autres fix mois, & en d'autres moins , ils le veneroient comme l'Idole ; mefme ; il mangeoit , il beuvoit, & fe réjoüiffoit, & lors qu'il alloit par les rues, le peuple fortoit au devant de luy pour l'adorer, & luy faire des prefens, & appel-loient les enfans & les malades, afin qu'il les guerift, & les benift, & ils luy laiffoient faire tout ce que bon luy fembloit, excepté la fuite, car il avoit toujours dix ou douze hommes qui l'accompagnoient, & plufieurs Sei­gneurs auffi. Par où. il paffoit, il joüoit d'un petit chi-rlet, afin que les gens fortiffent pour l'adorer. Il avoit la plus belle chambre du Temple ,où tous les gens de condition l'alloient fervir, & luy faire la révérence ; on luy portoit les mefmes fervices que l'on faifoit auz Grands, Ils le mettoient la nuit dans une cage forte, de crainte qu'il ne fe fauvaft, & fi par hafard il fe fau-voit,il faloit que l'un des douze qui le gardoient entraft en fa place ; enfin lors qu'il eftoit bien gras, ils le facri-rioient & mangeoient.

Comme le Démon poffedoit ainfi ces pauvres Idolâ­tres , il faifoit auffi ce qu'il pouvoit pour imiter Dieu, leur perfuadant d'avoir des Preftres, &; des façons de

Des facrifices d 'hommes vi­vans , dont ils faifoient leurs. Dieux.

Comme ils gar-doient leurs Dieux vivans de crainte qu'ils nt fe fauvaffent.

Methode du Démon pour t romper ces

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. II 175 Sacremens, des gens dédiez pour garder le célibat & mille inventions de faux Prophètes. Ils avoient auffi de fuperbes Temples, des Oratoires , & des Sanctuaires particuliers , comme le Cu de Mex ique , qui eftoit le fameux Temple de Vitzlipuztli, qui eftoit un fom-ptueux ouvrage, & grand ; & lors que c'eftoit la fefte des danfes, il s'y affembloit plus de dix mille perfonnes, particulièrement dans la court qui eftoit devant les chambres. Il y avoit devant l'Autel une pierre en for­me de pyramide, verde & en pointe, de la hauteur de cinq palmes, où. ils mettoient les hommes pour eftre facrifiez, parce que l'ayant couché fur le dos, ils luy ouvraient l'eftomac avec un rafoir de caillou, & luy tiraient facilement le cœur. Il y avoit encore dans Mexique huit ou neuf Temples baftis l'un contre l'au­tre dans un grand circuit avec chacun leurs degrez particuliers, & des chambres dans leurs courts avec des dortoirs , & des portes tournées au Ponant , d'autres au Levant 6c au Sud, & d'autres au N o r t , bafties avec un bel ordre d'architecture , & ornées de tours, & de créneaux & de corniches de diverfes façons, avec des peintures , & diverfes figures de pierre ; ils eftoient fortifiez de bons boulevarts. Ils eftoient dédiez à di­vers Dieux ; après celuy de Vitzlipuztli : Le fécond eftoit celuy du Dieu de la Pénitence & des chaftimens, qui avoit quatre-vingts degrez pour arriver au haut , tous bien travaillez. Au deffus de l'efcalier ,il y avoit une table de cent vingt pieds de large, & tout contre une fale tapiffée, toujours couverte d'un voile, où il n'entrait que les Preftres. Tou t le Temple eftoit gra­vé de diverfes figures , fort artiftement travaillées , ces deux Temples eftoient comme des Hermi tages , & des Chapelles ; mais tellement grands qu'il y avoit de­dans , des Collèges, des Efcoles, & des maifons facer-dotales.

Le Démon voulant imiter l'ufage de l'Eglife de Dieu, il fit ordonner dans les Temples les ordres de grands Preftres, & de moindres, & de fuprefines. Les Mexi-

pauvres Idolâ­tres,

Leur manière de facrifier les h o m m e s .

D e l'ordre à s. lears Temples,

Des ordres de leurs Preftres,

1521

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15 2 1 .

176 H I S T O I R E quains appelloient les fuprefmes Preftres en leur an­cien langage du nom de Papas ; Les Preftres de Vitz-liputzli fuccedoient par lignées de certains quartiers, deftinez pour cela Ceux des autres quartiers ou Temples y eftoient appeliez par eflection, ou par un vœu dés leur jeunefte , pour fervir au culte. Leur exercice ordinaire eftoit d'encenfer les Idoles, ce qu'ils faifoient quatre fois le jour ; la première, à la pointe du jour ; la féconde, à midy ; la troifiéme, à Soleil cou­chant ; & la quatrième, à minuit. Or à ces heures, tou-res les Dignitez fe levoient ; & au lieu de cloches, ils joüoient de la trompette & des cornets-à-bouquin, & fonnoient un fon lugubre ; Auffi-toft après fortoit le Semainier veftu d'une robbe blanche en façon de Tu­nique avec fon encenfoir en la main, qui prenoit du feu du grand brafier qui brûloit perpétuellement de­vant l'Autel ; & de l'autre main il tenoit une bourfe où eftoit l'encens ; puis il encenfoit en grande révé­rence le devant de l'Autel ; en fuite il prenoit un linge & en frotoit l'Autel & les courtines. Cette cérémonie eftant achevée, ils alloient tous enfemble en un lieu où ils faifoient quelque efpece de pénitence fort ru­de , en fe meurtriffant & fe tirant du fang. Mais fur tout , cet Office de la nuit ne manquoit jamais. Ils prefchoient les peuples en de certaines feftes. Ils a-voient des rentes, outre qu'on leur faifoit de grandes offrandes.

Dedans l'enceinte du Temple principal de Mexique, il y avoit deux maifons de retraite folitaire l'une de jeu­nes hommes, & l'autre de jeunes filles de 1 2 . ou 13. ans, qu'ils appelloient filles de la Pénitence , & il y en avoit autant que de jeunes hommes , & les deux maifons eftoient vis-à-vis l'une de l'autre,& vivoient en clauftu-re comme dans un cloiftre, comme vouez à Dieu. Ils prioient & balioient le Temple, & appreftoient à man­ger pour l'Idole & pour les Preftres,de ce qu'ils recueil-loient d'aumofnes. La viande de l'Idole eftoit de petits bignets faits en façon de mains & de pieds , & d'autres

tortillez

De l'eflection des Preftres.

Du fer vice du Temple .

De la retraite qui fe faifoit dans le Temple.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L I V . I I . 177

tortillez en faconde tourteau fait avec du miel, avec ces fortes de pain, ils en faifoient fricaffer, & les ex-pofoient devant l'Idole ; mais les Preftres les man­geoient. Ils fe tondoient, & puis après ils laiffoient croiftre leurs cheveux jufques à un certain .temps» Ils fe levoient pour dire Matines , & faifoient les mef-mes exercices que les Religieux ; & du fang qu'ils fe faifoient fortir ils s'en frottoient les joues, & fe lavoient puis après. Ils avoient des Abeffes qu'ils occupoient à faire de la toille pour le fervice du Temple. Elles eftoient veftuës tout de blanc fans aucune façon; Elles vivoient chaftemeut & dans l 'honneur, & fi elles manquoient en quelque façon, elles eftoient punies de mort fans remède comme violatrices de la maifon de Dieu. Si quelque fouris ou rat rongeoit quelque cho­ie du Temple , ils difoient que c'eftoit un fignede quel­que délit commis ; & ils faifoient auffi-toft une per-quifîtion,& ayant trouvé le délinquant ils le faifoient auffi toft mourir, quelque grand qu'il fuft. O n ne re­cevoir point de ces jeunes filles qu'elles ne fuffent de l'un des fix quartiers. Leur clofture duroit un a n , au bout duquel elles fortoient pour fe marier.

C H A P I T R E X V L

Continuation de la Religion que tenoient les Mexiquains.

D ANs le Monaftere des hommes qui eftoit tout devant celuy des jeunes filles, il y avoit des jeu­

nes hommes de l'âge de dix-huit à vingt-ans, qui por-toient le nom de Religieux. Ils portoient à la tefte des couronnes comme les Moynes, & ne laiffoient croiftre les cheveux que jufques à la moitié de l'oreille , mais plus longs fur la nuque du col , & ils alloient jufques fur les efpaules , & les lioyent en façon de treffe Ils vivoient en pauvreté , chafteté & obédience. Ils fer-Voient les Preftres pour ce qui concernoit le culte. Ils

1521

Ils gardoient la chafteté ,& châ-tioient l ' incon-t inent

Monafteres d e jeunes h o m m e s & de jeunes femmes.

Y

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1521.

178 H I S T O I R E balioient les lieux facrez , ils alloient quérir du bois pour le brafier, qui brûloit continuellement comme une lampe devant l'Autel de l'Idole. Il y avoit quan­tité d'autres petits Moynes, qui avoient des Supérieurs ;

ils vivoient fi fagement & avec tant de retenuë, que lors qu'ils entroient en quelques lieux où il y euft des femmes, ils avoient toujours les yeux baiffez vers la terre. Lors qu'ils fortoient pour aller en ville, ils al­loient quatre à quatre , ou fix à fix pour demander l'au-mofhe, ils eftoient fort mortifiez ; & fi on ne leur don-noit rien, il leur eftoit permis d'entrer dans les femail-les & de prendre ce qu'ils avoient befoin pour leur nourriture, parce qu'ils avoient fait voeu de pauvreté, & de ne vivre que d'aumofne. Ils n'eftoient pas plus de cinquante ; Ils faifoient continuellement péniten­ce , & fe levoient ordinairement , & fonnoient de la trompette & des cornets-à-bouquin pour éveiller le peuple ; veilloient autour de l'Idole dans leurs quar­tiers, de crainte que les foyers ne s'éteigniffent ; Et lors qu'ils avoient achevé d'encenfer , ils entroient dans un lieu particulier qui leur eftoit deftiné, où ils fe tiroient du fang des molets des bras avec des pointes aiguës de caillou, & fe frottoient de ce fang les tem­ples jufques au bas des oreilles, & fe lavoient auffi-toft dans une tinette. Les petits Moynes ne s'oignoient pas la tefte ny le corps de bitume, comme les Preftres. Leurs veftemens eftoit un cilice blanc & fort afprei & ils faifoient cette, pénitence un an durant,

Apres qu'ils avoient achevé d'encenfer, les Ponti­fes & les Preftres du Temple alloient tous enfemble dans un lieu où il y avoit plufieurs fieges ; & là avec des pointes de Maguey, ou quelque autre efpece de lancette , ils fe tiroient depuis l'os de la jambe juf­ques au molet quantité de fang , dont ils fe frottoient les temples, puis ils barboüilloient du mefme fang les lancettes, & les fichoient droites entre les créneaux de la court dans des boules de paille, afin que le peuple les vift, & qu'ils fceuflent la Pénitence qu'ils faifoient.

Les Religieux vivaient en pauvreté.

Autre forte de Pénitence qu'ils faifoient.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I . 179 Le lieu où. ils fe baignoient s'appelloit Ezapan qui veut dire eau de fang ; pas une lancette ne fervoit deux fois, c'eft pourquoy il y en avoit quantité. Ils jeuf-noient cinq ou dix jours devant quelques Feftes, qui pouvoient eftre comme les Quatre-temps, & plufieurs d'entr 'eux pour ne point entrer dans des foibleffes, le fendoient le membre viril par le milieu, & autres cho­fes pour fe rendre impotents. Ils ne beuvoient point de vin, ils dormoient peu , parce que la plufpart de leurs exercices fe faifoient de nu i t , de fe mattoient fort par de grands jeufnes pour eftre reputez plus con­tinents. Ils obfervoient la difcipline, de fe frapoient avec des cordes pleines de nœuds. Tou t le peuple fe difciplinoit auffi en faifant la Proceffion de la fefte qui fe faifoit à l 'Idole-Dieu de la Pénitence, de toutes leurs difciplines eftoient faites de fil de Maguay, toutes neuves, longues d'une braffe, avec des nœuds au bout, de fe donnoient de grands coups fur les efpaules. Les Preftres jeufnoient pour cette fefte cinq jours conti­nuels , ne mangeant qu'une feule fois le jour , efloignez de la converfation de leurs femmes, car ils ne fortoient point du Temple pendant ces cinq jours, fe difcipli-nant fortement avec ces fortes de difciplines.

Pour ce qui eft du facrifice des hommes, les Mexi­quains en emportaient le prix fur toutes les Nations du Monde ; de pour ce fujet ils tafchoient toujours de captiver les Ennemis en vie ; Et c'eft pour cette raifon auffi que Montezume dit une fois à Cortés ; qu'encore qu'il luy fût fort facile de conquefter la Province de Tlafcala qui eft fi proche de Mexique , qu'il ne l'avoit pas voulu faire, afin d'avoir toûiours fuiet de prendre des hommes en guerre pour facrifier, comme il a efté défia dit cy-devant. Leur façon de facrifier eftoit, qu'ils faifoient une longue file de captifs, de quantité de gens pour les garder qui les entouroient de tous coftez ; puis il fortoit un Preftre avec une aube b lanche , au bas de laquelle tout autour il y avoit quantité de flocons. Il defcendoit du Temple avec une Idole faite de farine

Y ij

15 2 1,

Ils faifoient de grands jeufnes.

Le peuple fe difciplinoit en Proceffion.

* Herbe appel-lée Arret te-Bœuf.

C o m m e le fa­crifice des hon­nies fe faifoit.

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180 H I S T O I R É

de bled & de mayz, peftrie avec du miel ; elle avoir les yeux verds, qui eftoient certains grains que l'on y mettoit , fes dents eftoient de grains de mayz. Ce Preffre defcendoit les degrez du Temple avec beau­coup de précipitation ; puis il montoit fur une grande pierre qui efloit comme attachée à une plate-forme haut eflevée, au milieu de la cour. Cette pierre s'ap-pelloit Quantixicali, qui veut dire la pierre de l'Aigle ; & paffant fur la pierre par un petit efcalier , tenant toufiours l'Idole entre fes bras, il alloit ou eftoient ceux qui dévoient eftre facrifiez, & leur alloit mon­trant l'un après l'autre l'Idole, en leur difant : C'eft icy voftre Dieu s & ayant achevé, il defcendoit par l'autre cofté de fefcalier, & alloit en Proceffion avec ceux qui dévoient eftre facrifiez iufques au lieu ou ils dé­voient mourir ; où les. attendoient les Miniftres qui les dévoient facrifier ; ils efloient fix, qui efloient confli-tuez dans cette Dignité , à fçavoir quatre pour tenir les pieds & les mains de ceux que l'on facrifioitj le cinquième pour la gorge,& le fixiéme pour ouvrir le corps, & tirer le cœur de la-Victime.- Or cette dignité, de Sacrificateur eftoit fuprefme, & tenue en grande eftime ; l'Office efloit héréditaire, & fe donnoit au premier né des enfans légitimes de ceux qui la poffe-doient. Celuy qui ouuroit le fein du Patient efloit te­nu & refpecté comme le Grand Preftre ; fon nom de dignité eftoit Papa, & Topilzin. Sa robbe eftoit une courtine rouge qui luy fervoit comme de Tunique , avec des flocons tout autour du bas. Il avoit une cou­ronne de plumes verdes & iaunes, avec des anneaux d'or aux oreilles qui avoient des pierres verdes en-chaffees, & à la lèvre d'enbas tout proche le milieu de la barbe, un petit tuyau d'une certaine pierre de cou­leur de bleu celefte. Il s'oignoit la face de noir. Les autres cinq portoient leur chevelure fort crefpuë, & renverfée avec des bandes de cuir qui leur ceignoit la tefte par le milieu ; Ils avoient des façons de bou­cliers de papier au front fort petits, peints de différentes

1521.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. II. 181 couleurs, de portoient des Tuniques blanches,ouvra­gées de noir. Le fuprefme Preftre porcoit en la main un couteau de caillou fort a igu,& large. Vn autre Preftre portoit un colier de bois façonné en forme de couleuvre. Ils faifoient monter ceux qui dévoient eftre facrifiez l'un après l'autre le long de l'efcalier tout nuds, & en le couchant fur la pierre ils luy met-toient le colier à la gorge, de les quatre Préfixes luy prenoient les mains & les pieds, puis le Souverain Prê­tre luy ouvrait le fein, de en arrachoit le cœur avec les mains, de tout palpitant il le montrait au Soleil , auquel il offrait cette chaleur de vapeur qu'il ex-haloit ; Puis il fe retournoit vers l'Idole, de le luy jet-toit à la face ,& auffi-toft après d'un coup de pied ils jettoient le corps du haut enbas de l'efcalier; qui n'ar-reftoit guère à y eftre, parce que les degrez eftoient fort droits quoy que l'on y montait, Ainfi ils les al­loient facrifiant les uns après les autres. Apres que les facrifices eftoient achevez, les Maiftres des Captifs qui les avoient pris enlevoient les corps, de les partageoient entre eux , de les mangeoient, célébrant par ce feftin la folemnite de la Fefte. Toutes les Nations circon-voi fines de cette terre faifoient la mefme choie à l'imitation des Mexiquains. Ils faifoient encore d'au­tres facrifices d'hommes, mais celuy-cy eftoit le plus ordinaire ; Et ils en facrifioient une fi grande quantité par le moyen de cette abomination diabolique, qu'il y a eu telle Fefte , qu'il en eftoit facrifié plus de cinq mille, & il s'eft vu certains jours qu'en plufieurs en­droits l'on avoit facrifié plus de vingt-mille hommes.

Lors qu'il prenoit fantaifie aux Preftres, ils alloient trouver les Roys , de leur difoient que les Idoles mou-roient de fam , & qu'il fe reffouvint d'eux ; de auffi-toft après les Roys fe mandoient les uns aux autres que les Dieux demandoient à manger, de qu'ils preparaf-fent leurs gens pour prendre jour pour venir à la guer­re. Ainfi après qu'ils les avoient difpofez à cela ils fortoient à la Campagne pour combattre, & tout leur

Y iij

1521

La Cérémonie qu'ils faifoient en arrachant le cœur des victi­mes.

Ce qu'ils fai-foient des corps facrifiez.

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1521.

182 H I S T O I R E plus grand foin eftoit de fe prendre les uns les autres pour facrifier, pluftoft que fe tuer, parce que leur prin­cipal but eftoit de prendre des hommes vivans pour donner à manger à leurs Idoles. Or ils ne couron-noient aucuns Koys, s'ils ne gagnoient quelque ba­taille pour avoir des gens pour facrifier, & qu'il leur en fialoit par quelque voye que ce fuft ; cela eftoit cau­fe qu'il s'y répandoit beaucoup de fang humain en ces rencontres. Et quoy qu'une infinité de ces barbares fuflent las de cette beftialité de facrifier ainfi les hom-mes, ils n'en ofoient néanmoins parler, par la crainte qu'ils avoient de defobeïr aux Preftres ; mais nonob­ftant tout cela, ils ne laiffoient pas de fouhaiter de fe voir délivrez de cette cruelle fujetion, ce qui fut l'u­ne des principales caufes d'y admettre la loy de Dieu, leur femblant qu'elle eftoit bonne, fainte & vérita­ble , & qu'elle condamnoit toutes ces cruautez ; & qu'il fe trouvoit que leurs Preftres les dégouftoit tel­lement, qu'ils avoient refolu lors que les Caftillans y arrivèrent, de prendre une autre Loy ; mais fur tout cette inhumanité eftoit en grande horreur aux Caf­tillans. Et c'eft une chofe très certaine que ces Caf­tillans, qui pacifièrent la nouvelle Efpagne, propo-ferent entre eux de mourir pluftoft en rendant ce fervice à Dieu , que de fouffrir une abomination fi barbare 5 Et plus encore à caufe des Caftillans qu'ils avoient facrifiez, dont ils furent extrémement irri­tez , & de voir arracher le cœur d'un brave jeune homme Indien, qui en tournoyant & tombant dans l'efcalier, dit en fa langue ; Meffieurs , ils m'ont tuè, ce qui caufa une grande compaffion aux Caftillans,

Les Indiens fe h i ro ien t de ces facrifices.

Pieufe refolu-t ion des Caftil­lans.

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DES INDES OCCIDENTALES, L i v . I I . 183

C H A P I T R E X V I I .

Continuation de la mefme matière.

LA principale fefte des Mexiquains eftoit celle qu'ils faifoient à l'honneur de leur Dieu Vitzilipuztli qui

écheoit au mois de May. Les jeunes filles reclufes dans le Temple,deux jours avant la fefte petrifioient de la fa­rine de bled & de mayz rofty avec du miel , & de cette pafte elles en faifoient une Idole fort grande , avec des yeux de grains verds , blancs, & bleus, & des dents de grains de mayz. Tous les Seigneurs y abordoient, & ve-ftoient l'Idole félon fa qualité & grandeur, & l'ayant affife dans une chaire bleue , ils la pofoient fur un bran­card pour la porter fur leurs épaules. Le jour de la fefte avant que le jour paruft , ces jeunes filles fortoient bien parées de veftemens blancs tout neufs, couronnées de mayz rofty, avec des cordons enfilez, auffi de mayz par deffous le bras gauche, & les bras emplumez depuis les coudes jufques au poignet, de plumes de perroquet, rouges, & les joues vermillonées. Or ce jour-là elles eftoient appellées fœurs du Dieu Vitzilipuztli ; & elles prenoient le brancard avec l ' idole, & la fortoient en la court,où les jeunes hommes auffi reclus,fort bravesjcou-ronnez de la mefme façon des précédentes, prenoient avec grande révérence le brancard & le portoient au pied des degrez du Temple , où tout le peuple faifoit de grandes humiliations , & prenant de la terre de def-fous leurs pieds ils la mettoient fur leurs telles, qui eftoit leur cérémonie dans les principales feftes, & auffi-toft apres le peuple commençoit la Proceffion en hafte à la montagne de Chepultepec à une lieuë de Mexique : là ils y faifoient une ftation & un facrifice , & dans la mefme précipitation ils alloient à un lieu appelle Atlacuyabaya, proche de la féconde ftation, & paffoient une lieuë au delà à Cuyoacan, d'où ils s'en revenoient à Mexique fans

1 5 2 1 ,

Célébration de la fefte de l 'Ido­le de Vitzil ipuz. t l i .

Des procédions qu'ils faifoient.

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1521.

184 H I S T O I R E

s'arrefter nulle part, Ce chemin de quatre lieues fe fai­foit en quatre heures, & ils appelloient cette proceffion Ypayna Vitzilipuztli, qui veut dire , Le précipité chemin de Vitzilipuztli. Puis ils reportoient le brancard au pied des degrés où ils 1 avoient pris, & l'enle voient avec des cordes en grande cérémonie & révérence au haut du Temple , avec un grand bruit de tambours, de trompet­tes , de cornets à bouquin & de flutes, parce que les de-grez eftoient fi hauts & fi eftroits qu'il eftoit impoffible d'y monter l'Idole furies épaules, pendant lequel temps le peuple faifoit de grandes humiliations, Eftant arrivée au haut , & pofée dans une cadette de fleurs, les jeunes hommes reclus en répandoienr quantité dedans le Tem­ple , & les jeunes filles apportaient des morceaux de la pafte dont elles avoient fait l 'Idole, accommodées en forme d'os, & les mettoient à fes pieds, & appelloient cette pafte, chair de vitzilipuztli. Incontinent après for-toient les Sacrificateurs du Temple, chacun félon leur ancienneté en bon ordre les uns après les autres,chacun veftu félon le perfonnage qu'il reprefentoit,ayant tous des guirlandes & des braffelets de fleurs,. Apres eux fui-voient les Dieux & les Deeffes qu'ils adoroient endiver-fes figures, ornez des mefmes livrées, & fe mettoient autour de ces morceaux de pafte faits en façon d'os, faifant de certaines cérémonies de chants & de danfes, au moyen dequoy cette pafte eftoit réputée eftre de la chair de ce Dieu. La Bénédiction eftant achevée , les Sacrificateurs fortoient, & tous alloient à la boucherie des hommes facrifiez ; fi bien que comme c'eftoit une fefte folemnelie,on facrifioit beaucoup plus d'hommes qu'en d'autres temps de l'année. Apres ceux-cy , fui-voient les jeunes hommes & les jeunes filles reclus dans le Temple , & fe mettant les uns devant les autres dan-foient & chantoient au fon d'un tambour à l'honneur de la folemnité & de l'Idole ; & tous les Seigneurs & gens de condition répondoient aux chanfons, danfant au mi­lieu des reclus, faifant comme le chœur, les reclus s'en-tretenant toufiours des mains en danfants & pour voir

cette

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D I S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I I 187 cette action le peuple de la ville y accouroit de tons co­tiez. La fefte eftant achevée, les Preftres prenoient l ' I ­dole , & les morceaux, & les coupoient en pièces pour les donner en façon de Communion à tout le peuple, grands & petits, hommes & femmes, qui les recevoient avec beaucoup de dévotion, de crainte, & de larmes, difant qu'ils mangeoient la chair de leur Dieu. Ils en portoient mefme aux malades; de ils tenoient que c'e-floit un tres-grand péché, de manger, de boire de l'eau, ou quelque autre chofe que ce fuit jufques après midy. Ils cachoient mefme l'eau aux enfans, de advertiffoient toute forte de perfonnes de fe garder de l'ire de Dieu. Cette forte de Communion eftant achevée 3 un ancien de grande authorité montoit en haut de préchoit félon leur loy, & de l'obiervation des cérémonies.

LesPreftres des Idoles s'oignoient depuis les pieds juf­ques à la tefte de les cheveux mefmes avec une certai­ne onction fort claire de liquide, laquelle leur faifoit dreifer les cheveux comme des crins de cheval, & leur croiftoient jufques aux jambes, ce qui les incommodoit for t , parce qu'ils ne les coupoient point jufques à la mort,ou jufques à ce qu'eftant vieux ils eftoient exempts de tout travail ; de alors on leur donnoit d'autres offices honorables dans la République. Ils treffoient leurs che­veux avec des bandes de cotton larges de fix doigts. La fumée dont ils encenfoient eftoit de raifine,à caufe de-quoy ils eftoient noirs ôc barbouillez ; & lors qu'ils al­loient pour encenfer ou pour facrifier aux Idoles qu'ils tenoient dans des caves, dans des bois touffus, ou fur le faifte des Montagnes, ils s'oignoient avec une autre forte d'onction faite de beftes venimeufes,bruilées avec du tabac, & de la fuye de cheminée peftris enfemble, & devenoient forciers, & parloient avec le Démon ; fi bien que par ce moyen-là ils perdoient toute forte de crainte , de telle forte qu'eftant ainfi oints avec l'on­ction qu'ils appelloient de Dieu,ils alloient de nuit dans les bois & dans les lieux les plus dangereux,fe confiant que les Tigres , les Lyons & les Ours ne les pouvoient

1521,

Ils diftribueiert le pain beny eu façon de com­m u n i o n .

Les Preftres de ­venoient for-ciers , & con-muniquo ien t avec le Diable.

z

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1521.

188 H I S T O I R E offenfer. Ils fe fcrvoient auffi de cette forte de bitume pour penfer les enfans & les malades ; & difoient que c'eftoit une médecine divine , & affirmoient qu'elle leur fervoit d'un grand allégement, ce qui pouvoit provenir du tabac & des chofes venimeufes,qui appaifent la dou­leur , ils s'imaginoient que c'eftoit un effet de fanté ; & comme les Preftres avoient beaucoup d'authorité furie peuple, ils leur faifoient à croire mille fortes de fuper-ftitions.

Aux enfans nouvellement nez , ils leur incifoient les oreilles 6c le membre viril, en leur tirant un peu de fang, & cette cérémonie fe faifoit fur tout aux enfans des Rois ou de grands Seigneurs.En naiffant les Preftres les lavoient, & leur mettoient une petite épee en la main droite & un petit bouclier en la gauche, aux enfans du commun ils leur mettoient des outils de leur vacation, & aux filles des inftrumens pour filer, pour tiflre, & au­tres femblabies ouvrages, & cela en prefence de quel­que Dieu. Ils fe marioient par les mains de leurs Pre­ftres ; les prétendus mariez fe prefentoient devant le Preftre, qui les prenoit par les mains , & leur deman-doit s'ils defiroient eftre mariez , & en difant cette pa­role , oüy, il prenoit le bord de la cafaque du marié, & le bout de la coiffe que la mariée portoit fur fa tefte,& les lioient enfemble , & eftant ainfi comme attachez l'un à l'autre ils alloient à la maifon de la mariée & tour-noyoient fept fois autour d'un fourneau , & auffi-toft après le mariage eftoit accomply. Les Mexiquains ef­toient fort jaloux de la virginité de leurs nouvelles ma­riées, & fetenoient fort fcandalifez du contraire; & ils honoraient fort celles qu'ils reconnoiffoient n'avoir point efte eflorées, & luy donnoient quantité de jolive-t e z , & à leurs pères. Ils faifoient des banquets & des feftes, & mettoient par ordre ce que la nouvelle mariée apportoit avec fon mary ; afin que s'ils fuffent venus à fe démarier, ainfi qu'ils en ufoient fouvent , l'on fift partage des biens ; le mary retenoit les filles, odes fem­mes les garçons avec la faculté de fe pouvoir marier à

Les cérémonies qu'ils faifoient aux enfans,

D e l 'ordre qu'i ls obfer-voient en leurs mariages.

I l s eftimoient la virginité des nouvelles m a ­lices.

De leurs divor­ces.

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DES INDES OCCIDENTALES) Liv.II 189 d'autres : mais s'eftant une fois feparez, ils ne pouvoient plus fe rejoindre fur peine de la vie.

D e quatre en quatre ans ils faifoient une fefte qui commençoit le dixième de May & finiffoit le dix-neu-fiéme. Il y avoit un Preftre qui fortoit jouant d'une flu-fte en fe tournant vers les quatre parties du monde ; puis ils'inçlinoit devant l 'Idole, & prenoit de la terre & la mangeoit ; le peuple faifoit la mefme chofe avec de grands gemiffemens ; demandant pardon de leurs péchez, priant qu'ils ne fuftent pas découverts. Les foldats pri-oientque leurs Idoles leur donnaient la victoire contre leurs Ennemis, & des forces pour en prendre beaucoup pour facrifier, & faire honneur à leurs Dieux ; & cette oraifon fe faifoit chaque jour avec des foupirs & des larmes. Et le dernier jour des d ix , qui eftoit le propre jour de la fefte de l ' Idole, Dieu de la Pénitence, ils s'affembloient tous dans la court du Temple pour célé­brer la fefte de Toxcoatel , qui veut d i re , chofe feche, qui luy eftoit adreftee pour demander de l'eau ; & les Pre­ftres portoient l'Idole fur un brancard, que quatre hom­mes portoient fur leurs épaules en Procefïïon tout au­tour de la court,en luy prefentant inceffamment de l'en­cens ; & le peuple s'alloit difciplinant avec ces cordes de Maguey. En fuitte dequoy l'on remettoit l'Idole en fon l ieu } & l'on femoit par tout le Temple des Fleurs. L'Idole demeuroit cette journée-là découverte , & fa chambre auffi, fans que l'on y mift le voile dont elle eftoit couverte ordinairement ; & le peuple tout d'un temps luy offroit des foyes, des joyaux, des pierreries, des cailles, des fruits, & autres chofes femblables ; en fuite dequoy le peuple s'en va difner, ny reftant que les femmes qui avoient fait vœu de fervir l'Idole cette jour­née-là ; & les jeunes filles & les autres deftinez pour le fervice du Temple faifoient d'autres cérémonies. Le peuple eftant revenu de difner l'on faifoit fortir le cap­tif qui avoit reprefenté l'idole un an , & le facrifioient. & lorsqu'il expiroit, les jeunes hommes & les jeunes filles deftinées pour le fervice du Temple chantoient &

Z ij

1521.

De la célébra­tion de ia fefte de l ' Idole, Dieu de la péni tence.

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1521

190 H I S T O I R E danfoient enfemble comme nous avons dit cy-devant, tous les principaux de la ville beuvant & mangeant, Apres qu'ils s'eftoient laffez dans cet exercice , ils por-toient de grands plats de collation à l ' Idole, & les laif-foient-là ; puis les jeunes hommes du Temple courant pour s'en faifir, les quatre premiers qui arrivoient ef­toient eftimez comme hommes adroits & habiles. Tou­tes ces cérémonies eftant achevées avec beaucoup de réjoùiffance & de contentement, les filles & les garçons du Temple fe retiroient en leurs maifons , après avoir achevé leur année ; mais les enfans des Efcoles & des Co-leges crioient après eux , en leur jettant des pelotes d 'herbe, comme à des gens qui fe retiroient du fervice des Dieux ; & ils pou voient alors fe difpofer pour le ma­riage.

Il y avoit une autre fefte de l'Idole des Marchands, lefquels achetaient un captif quarante jours avant la fefte, homme de bonne taille , & fain Ils le veftoient des habits de l'Idole Quetzlalco, & le purifioient pen­dant ces quarante jours, en le lavant deux fois dans le lac des Dieux. Ils le traitoient fort bien, & luy faifoient beaucoup d'honneur ; ils l'enfermoient de nuit dans une cage , de crainte qu'il ne fe fauvaft, & le menoient par la ville de jour, chantant & danfant ,6cle prefentoient à l'Idole. Neuf jours avant le facrifier il venoit deux Preftres, qui luy difoient que dans neuf jours les danfes fi­nir oient ; & il leur devoit répondre , à la bonne heure ; & ils appelloient cela, la préparation , ou advertiffiment , & s'il s'attriftoit , ils prenoient cela pour un mauvais augure, & faifoient des fortileges pour faire en forte qu'il euft le facrifice pour agréable, par le moyen defquels ils di­foient que cela luy oftoit la trifteife. Apres qu'ils l'a-voient facrifié, & offert fon cœur à la Lune à l'heure de my-nuit ils l'emportoient en la maifon du principal Mar­chand , ou. ils le rotiffoient, & l'accommodoient de dif­férents mets, & danfoient en attendant que la viande s'appreftoit. Puis comme le jour commençoit à paraiftre après avoir falüé l'ldole , les Marchands banquetoient.

D e la fefte qu'ils faifoient de l'idole des Marchands .

De quelle façon Ils mangeoien t la chair humai ns.

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DES INDES OCCIDENTALES,Liv.II 191 & s'en alloient puis après au Temple , & faifoient d'a-greables entremets, des danfes, & de grandes rejoüif-lances ; ils paroiffoient vertus de leurs habits puis dégui-fez de diverfes façons d'oifeaux , de papillons, de gre­nouilles , de mouches guefpes , & autres infectes ; puis comme des boiteux , des manchots, & des eftropiez, re­citant leurs difgraces facetieufement , en forte qu'ils appreftoient à rire, & la fefte achevoit avec les danfes.

C H A P I T R E X V I I I .

JE in des chofes qui touchent la Religion. Des Loix , des Çouftume;, & Police des Mexiquains

LEs funérailles de ces Indiens Mexiquains eftoient fort fomptueux , & pleins de grandes extravagan­

ces ; les Préfixes eftoient obligez d'enterrer les morts, & faire leurs obfeques ; ils enterroient les uns dans leurs héritages, ou dans les courts de leurs maifons; Ils en portoient d'autres dans les Montagnes , où. ils les facri­fioient ; Ils en brufloient d'autres, & enterroient leurs cendres dans les Temples ; & les enterroient tous avec tous leurs veftemens & leurs joyaux. Ils chantoient les Offices des morts comme des Refpons , & dreffoient plufieurs fois les corps des defFunts, en faifant plufieurs cérémonies. Ils beuvoient & mangeoient eftant de re­tour au logis du deffunt ; & fi c'eftoit une perfonne de qualité , les héritiers habilloient ceux qui avoient affilié à l'enterrement. Lors qu'il en mouroit quelqu'un, ils le mettoient contre t e r re , affis félon leur mode, envelop­pé de fes veftemens ; & eftant en cette pofture les pa-rens & amis le venoient faluër & luy faifoient des pre-fens. Si c'eftoit un Roy , ou Seigneur, ils luy ofFroient des Efclaves pour eftre facrifîez, afin de l'accompagner à. l'autre monde. Tous les Seigneurs avoient un Pre­ftre , ou Chapelain, qui leur adminiftroient les cérémo­nies de leur Loy , & ils les tuoient auffi afin qu'ils les ad-

Z iij

1521.

Des enterres mens de leurs mor t s .

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1521, Les perfonnes que l'on enter-ro i t avec les Seigneurs .

192 H I S T O I R E miniftraffent dans leur voyage. Le maiftre d'hoftel auffi, le porte-gobelet , le na in , le boffu , & les frères qui l'a-voient fervy, parce que pour marque de leur grandeur ils fe fervoient de toutes ces fortes de gens , paffoient le pas comme les autres ; & croyoient qu'ils alloient leur préparer leur maifon en l'autre monde ; & pour cet ef­fet ils faifoient enterrer toutes leurs richeffès avec eux. Les obfeques duroient dix jours, pendant lequel temps, ils pleuraient & chantoient. Si c'eifoient quelques Ca­pitaines ou grands Seigneurs, on leur portoit des Enfei-gnes 6c des trophées d'armes en proceffion devant le corps jufques aux lieux ou ils dévoient eftre enterrez, ou brûliez. Les Pontifes & les Preftres du Temple , les uns encenfoient, les autres chantoient ; & d'autres joü-oient de la flufte , & des tambours fur un ton trifte & lu­gubre , ce qui augmentoit de beaucoup les pleurs Scies lamentations des vaffaux & des parens. Le Preftre qui faifoit l'Office, fe veftoit des habits de l ' ldolc ,que le mort avoit reprefenté, parce que tous les Seigneurs re-prefentoient les Idoles, & c'eft ce qui les faifoit tant efti-mer. Cependant que l'on brufloit le corps , le Preftre fortoit avec aftuces du Diable,& remuoit avec un grand bafton,les cendres avec une grande hardiefte , & don-noit de l'épouvante à tous. Ils avoient auffi decouftume dans Mexique, qu'à l'heure qu'entre les Chreftiens on fonne l'Ave Maria , il y avoit des Preftres qui du haut du Temple frappoient fur un tambour fort grand, & qui avoit un fon rauque, qui s'entendoit par toute la ville de Mexique , & à ce fon tout le peuple fe ramaffoit , & ils faifoient la mefme chofe à l'aube du jour.

Apres avoir déclaré tout ce qui concerne la Religion des Mexiquains, il ne fera pas hors de propos de parler de leurs Loix,Couftumes & police. Nous parlerons donc premièrement de l'ordre des temps, qui fait bien paroi-ftre que ces gens-là ne manquoient d'efprit. Ils divi-foient l'année en dix-huit mois, & donnoient vingt jours à chaque mois, & faifoient ainfi les années de trois cens foixante jours, & les cinq reftans ils ne les appliquoient

l e Preftre qui faifoit l'office des morts fe veftoit de l'ha­bit de l 'Idole.

D e la divifion des années , des Mexiquains .

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. II. 193 point à aucuns mois, mais ils les nommoient, communs, Se les occupoient à fe vifiter les uns les autres , & les Preftres ceffoient de facrifier ; puis ces cinq jours eftant finis, ils recommençoient le compte de l'année, dont le commencement Se le premier mois eftoit Mars , quoy qu'ils priffent trois jours de Février, parce que le pre­mier jour de leur année eftoit le vingt-troifiéme de Fé­vrier. Or noftre Calendrier eft défia induftrieufement incorporé avec celuy des anciens Indiens, qui eurent la connoiffance des Caftillans, d'où l'on reconnoift leur grande capacité. Chaque mois porte fon nom Se fa véri­table marque, & dans leur Calendrier ils y marquoient leurs feftes. Ils contoient les femaines de treize en trei­ze jours, & marquoient chaque jour avec un zéro, en multiplioient les zéros jufques à t re ize, & recomman-çoient auffi-toft à compter. Ils divifoient les années de quatre en quatre fignes, qui eftoient quatre figures, l 'une , de maifon, l'autre, de lapin ; la troifiéme,de can­n e , la quatrième, de caillou, & par cette invention ils nommoient l'année qui couroit, difant ; à tant de mai-fons , ou à tant de cailloux, de telle roue il arriva tel­le chofe ; parce que leur vie qui eftoit comme un fie-c le , contenoit quatre femaines d'années, en comptant treize pour chacune, cela accompliffoit cinquante deux ans. Ils peignoient un Soleil au milieu, Se fortoit de ce Soleil en Croix, quatre bras ou lignes , jufques à la cir­conférence de la roue , Se retournoient, de forte qu'ils fe divifoient en quatre parties ; & la circonférence & chacune d'elles alloit avec fon bras de la mefme cou­leur , qui eftoient toutes quatre différentes, de verd, de bleu , de rouge, & de jaune; & chaque partie tenoit fes treize logemens, fous les fignes de maifon , de lapin, de canne, Se de caillou, chacun fignifiant fon année , & l'ayant t rouvé, ils mettoient à chacun ce qui eftoit ar­rivé pendant l'année. Or l'année que les Caftillans en­trèrent dans Mexique , ils marquèrent par un figne d 'homme, veftu à noftre mode , de rouge, parce que le premier Caftillan que Fernand Cortes envoya à Mexi-

15 21 ,

A quel mois ils commençoient l 'année & les femaines.

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1521.

194 H I S T O I R. E que eftoit veftu de la forte ; Se au bout de cinquante deux ans que la roue avoit fait fon tour , ils caffoient autant de Vaiffeaux qu'ils avoient ,& efteignoient les lumières ; difant qu'en l'une des roues le monde devoir finir ; & que ce pourroit eftre celle qui fe rencontroit; Se que puis que le monde devoit finir ils ne dévoient point faire cuire de viande ; Se ainfi ils difoient que le lendemain ne viendroit peut- eftre jamais , Se veilloient toute la nuit pour voir fi le jour recommenceroit. D e forte que comme le jour commençoit à paroiftre ils corn-mençoient à jouer des tambours, & des haut-bois & ua-tres inftrumens avec de grandes réjoüiffances, difant que Dieu leur avoit fait une grande grace, de leur avoir prolongé encore cinquante deux ans , & recomman-çoient une autre roue. Ils tiroient une nouvelle lumiè­re , & l'alloient prendre des mains du fouverain Pre-ftre,& faifoient une grande Proceffion pour action de grâces. Ils achetoient de nouveaux Vaiffeaux pour fai­re cuire leurs viandes. Iamais ils ne faifoient leur com­pte par les Lunes, ny ne s'y conformoient pas pour la diftribution des mois ; & pas une de ces Nations Indien­nes n'ufa de lettres , ny d'écriture , mais d'images & de figures.

Les Nations de la nouvelle Efpagne confervoient la mémoire de leurs antiquitez. Dans Tucatan Se dans Mon-dures ils avoient de certains Livres de feuilles reliées en-femble, dans lefquels les Indiens tenoient la diftribu­tion des temps, la connoiffance des planettes, des ani­maux , & autres chofes naturelles. Dans la Province de Mexique ils avoient une Librairie d'Hiftoires, & de Calendriers, par le moyen defquels ils faifoient leurs Remarques.Celles qui avoient des figures,par leurs pro­pres images, & d'autres caractères , & celles qui n'a-voient point d'Images propres,par le nombre ; Se ainfi ils faifoient telles remarques qu'ils vouloient. Et pour la mémoire du temps auquel écheoit toute chofe , ils avoient ces roues qui eftoient de chacune un fiecle de cinquante deux ans, & à cofté de ces roues, félon qu'il

arrivoit

Les Mexiquains s ' imaginoien t eftre proche de la fin du M o n -de.

Les Mexiquains amateurs de conferver leur ancienne m é ­m o i r e .

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. II 199 arrivoit dans une année des choies mémorables ils les peignoient des peintures & caractères cy-deffus ; tout ainfi qu'ils mettoient un homme peint avec fon chapeau & une Juppé rouge dans le figne de la Canne qui couroit alors, ainfi qu'ils l'a voient remarqué en l'année que les Caftillans entrèrent dans leur terre, & ainfi des autres cas. Or n'eftans pas leurs figures fi af­furées que noftre écriture, ils ne pouvoient pas fi bien accorder, ny fi ponctuellement dans les paroles, mais feulement en la fubftance de leurs conceptions. Mais pour ce qui eftoit des harangues, des difeours, & des chanfons ils les apprenoient par cœur , à force de les effudier fouvent. Et pour ce fujet ils avoient foin fur tout d'enfeigner à leurs enfans dans leur bas âge toutes ces chofes, & avoient des écoles où. les anciens les leur apprenoient , & fe font ainfi maintenus par tradition fort exactement. Mais lorsque les Caftillans commen­cèrent à régir ces Provinces & Royaumes, & qu'ils ap­prirent l'art d'écrire à ces peuples , ils écrivoient leurs Loix , leurs couftumes, leurs harangues, leurs chanfons & toutes les autres chofes , tout ainfi qu'ils le prati-quoient, entr 'eux felon leur plus grande antiquité ; & par ces mefmes caractères & figures ils écrivoient auffi le Pater nofter , & l'Ave Maria , & toute la doctrine Chreftienne. Les Mexiquains eftoient fort fidèles & obeïffans à leurs Rois , & les aimoient beaucoup Ils ne leur firent jamais aucune trahifon, excepté Tizozic leur cinquième Roy qu'ils empoifonnerét pour eftre trop laf-che. Au commencement de l'eftabliffement de cette Monarchie, ils eftoient pauvres & chiches, & les Rois eftoient fort modérez en leurs dépences ; mais comme ils vinrent à s'agrandir, ils augmentèrent en grandeur & magnificence ; & lors qu'ils ne pouvoient pas nourrir ou eflever quelque animal, il fe contentoit de poheder fa figure faite d'argent, ou taillée en marbre, en pier-. r e , ou en quelque autre chofe qui leur venoit à la fan-taifie , & qui luy donnoit du gouft.

A a

1 5 2 1 .

Ils s'exerçoient à apprendre par cœur leurs hi-ftoires & c h a n ­fons.

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1521 2 0 0 H I S T O I R E

C H A P I T R E X V .

Continuation des Coutumes des Mexiquains.

LEs Nobles tenoient leurs rangs, afin que l'on re-connuft ceux à qui il falloit porter plus d'honneur.

Apres le R o y , il y avoit les quatre Electeurs du Roy , qui eftoient appeliez à cette charge par Election, & ils eitoicnt d'ordinaire tous frères, ou proches parens du Roy , & ils les appelloient en leur Langue Princes des Lances a jetter, armes dont ils fe fervoient. En fuite d e ceux- c'y , fuivoit un autre, appelle Dictateur, qui ligni­fie tailleur ou coupeur d'hommes. Le troifiéme eftoit ef-pancheur du fang, qui eft un titre de guerrier. Le qua­trième titre eftoit Seigneur de la maifon noire,à caufe de l'oignement dont les Preftres fe barboùilloient tous. Ces quatre Dictateurs, eftoient du Confeil f upreme,fans. le confentement defquels le Roy ne pouvoir, rien faire, qui fuft d'importance ; & pas un Roy ne pouvoit eftre efteu que par ces quatre ordres. Hors de ceux là il y a voit d'autres Confeils,des Audiences,& plufieurs Con-fiitoires, avec leurs Confeillers & luges de Cour , des Magiftrats & des luges fubalternes, des Lieutenans, & des Sergens, tous dans un bon ordre , qui relevoient des premiers Princes qui affiftoient avec le Roy ; & ces quatre feulement pouvoient donner une Sentence de mor t , & les autres dévoient donner des Mémoires à ccux-cy de ceux qu'ils jugeoient ; & en de certains temps l'on faifoit fçavoir au Roy tout ce qui fe paffoit dans fon Royaume. L'on tenoit un bon ordre pour l'ad-miniftration des droits du Roy , parce que l'on envoyoit dans les Provinces des Maiftres des Comptes & des Tre-foriers qui recevoient les rentes Royales,qui fe levoient chaque mois à la Cour, qui eftoit le tribut de tout ce qui venoit au monde tant fur la terre que fur la mer.

Les Mexiquains tenoient leur principal point d'hon-

Diftinction des eftats des peu­ples .

Ord re de lufti-ce & des rentes du Roy.

Po in t d ' hon-neur des Mexi-

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I . 201 neur en la guerre , dont les Nobles eftoient les princi­paux foldats ; & ceux qui n'eftoient pas Nobles le deve-noient par la milice, en montant dans les charges & di-gnitez. Ils donnoient de grandes recompenfes aux vail-fans , & ils joüiffoient de grands privilèges que pas un tre ne pouvoit pas efperer ; à caufe dequoy plufieurs s'émancipoient de porter les armes. Nous avons déjà parlé cy-devant de leurs armes ordinaires ; ils fe ve-ftoient de peaux de Tygres , de Lyons, & d'autres be-ftes féroces , & venoient incontinent aux prifes avec les ennemis, Ils s'exerçoient fort à la courfe & luiter, afin de devenir plus robuftes & plus adroits à captiver qu'à tuer. Le dernier Montezume inftitua certains Ordres, avec diverses devifes ; les uns portoient la couronne de cheveux, liez avec une bande rouge , & un pennache fort riche , d'où pendoient certaines franges jufques fur les épaules, au bout defquelles il pendoit autant de houpes qu'ils avoient fait d'exploits de guerre.Cet Or­dre de chevalerie eftoit le principal, & dont le Roy en eftoit le chef. Il y avoit un autre Ordre qu'ils appel-ioient, les Aigles ; les autres, les Lyons & les Tigres , & ces Chevaliers eftoient d'ordinaire les avanturiers qui fe fignaloient à la guerre. Il y en avoit d'autres de moindre qualité, qui portoient certaine pièce de toile coupée au deffus de l'oreille, qui eftoit ronde , & che-minoient armez depuis la ceinture en enhaut feulement, à la différence des plus Nobles qui s'armoient entière­ment ; & tous ceux-cy pouvoient porter de l 'or, de l'ar­gent , & fe veftir d'habits de cot ton, riches , & avoir des vafes peints, & eftre chauffez. Le commun peuple ne pouvoit pas ufer d'autres vaiffeaux que déterre, ny fe chauffer & veftir que d'étoffe fort groffiere. Chaque particulier de ceux que nous venons de nommer, avoit fon Palais, fes chambres avec leurs titres. Le premier s'appelloit logement des Princes ; le fécond, des Aigles ; le troifiéme, des Lyons & des Tigres ; le quatrième, des Leopars. Le refte du commun eftoit en bas , dans leurs chambres plus communes ; & fi quelqu'un prenoit un

A a ij

1521. quains à la guerre.

Ordre de Che-valerie des Me xiquains .

Des chambres qu'ils avoient dans le Palais-

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I 5 i l . S o i n des pères pour l 'educa-

xion de leurs enfans.

202 H I S T O I R E autre logement que celuy qui luy eftoit deftiné,il eftoit digne de mort.

Les Mexiquains avoient un grand foin pour l'éduca­tion de leurs enfans ; & il y avoit dans chaque Temple une maifon particulière pour les inftruire, comme une façon d'école ou on les mettoit en penfion , feparée de celle des jeunes hommes & des jeunes filles du Temple, où leurs pères avoient le foin de les mener aux Mai-flres, qui leur enfeignoient leur créance & le refpect,afin qu'ils apprifient à chanter , à danfer, à tirer des flèches & des ballons, bref tout ce qui fe pouvoit lancer de la main , à fe bien fervir du bouclier & de l'épée. ils les faifoient coucher fur la dure & manger fort peu , afin de les accouflumer à la fatigue. Il y avoit encore une au­tre retraitte d'enfans de gens Nobles que l'on traittoit plus particulièrement ; & on leur portoit de leur mai-fon leur pitance ; & les anciens qui les inftruifoient, les admoneftoient inceffamment d'eftre de bonne vie , ver­tueux , chaires, & tempérez dans leurs repas, de jeufner & d'obferver leurs pas dans la modeftie & dans la gravi­té. Ils les éprouvoient quelques fois dans des travaux & des exercices difficiles. Apres qu'ils avoient efté ainfi eflevez ils les employoient chacun felon fon inclination, & s'ils s'adonnoient à la guerre , ils les y envoyoient des leur jeuneffe pour porter des vivres aux foldats, afin qu'ils viffent ce qui s'y paffoit , & les fatigues que l'on y enduroit, & que cela les affranchift de la crainte ; & ils leur ballbient des charges pelantes, afin qu'en fai­fant des efforts, ils fuffent admis plus facilement en la compagnie des foldats , & il arrivoit quelques fois que tel y alloit chargé d'un pelant faix, qui revenoit pour-veu de la charge de Capitaine ; Et il y en avoit d'au­tres qui fe fourroient fi avant parmy les Ennemis pour acquérir de la réputation,qu'ils y demeuroient prifon-niersi d'autres y eftoient tuez , & qui aimoient mieux mourir de la forte que de demeurer en la puiffance des Ennemis.Or ceux qui s'appliquoient à cet exercice c'e-ftoicnt d'ordinaire les enfans des Nobles. Ceux qui af-

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I . 203 fectionnoient le fervice du Temple , fi toft qu'ils eftoi­ent en âge on les faifoit fortir des Efcoles, & on les met-toit dans les chambres, Se tenoient leurs Maiftres qui les enfeignoient ; & dans le Miniftere auquel ils fecon-facroient,iis y dévoient perfifter.

Il n'y a point de nations dans le monde qui n'ayent quelque forte de récréation, foit de jeux ou de danfes, qu'ils appeiloient dans Mexique Mitote, & il ne s'en eft point trouvée en aucune part où il y en ait eu, & qui ayét efté obfervez avec tant de ponctualité que dans la nou­velle Efpagne, où il fe voit encore aujourd'huy des In­diens faire des fauts Se des danfes fur la corde qui font dignes d'admiration. Il y en a d'autres qui montent au haut d'un bafton droit, qui y font mille cabrioles endan-fant, droits fur leurs pieds, il y en a encore d'autres qui prenant la plante de leurs pieds le courbent, fe remuent, & fe jettent en l'air, & retombent à terre en tournoyant comme une lourde maffe , chofe que l'on ne pourroit pas croire fi on ne le voyoit, & font des merveilles , en voltigeant, fautant, & faifant des cabrioles ; portent de grands poids, & fouffrent de grands coups. Mais le fo-lemneleft M i t o t e , qui eft une danfe fort noble & authori-fee , puis que les Rois y entroient quelquesfois en or­dre comme les autres, & qu'elle fe faifoit dans les courts des Temples, & dans les Maifons Royales avec les in-ftrumens, ainfi que nous l'avons déjà déclaré cy-devant, & avec un fi bel o rdre , que cela faifoit une très belle harmonie. Ils eftoient pofez quelques fois fur une figu­re d'homme, d'animal, ou de colomne, & faifoient di­vers fons en recitant plufieurs chanfons & danfant au fon , avec un fi bel accord , que perfonne ne fortoit de fa règle , ny de fon ordre , tant pour les voix, que pour la danfe , & pour le mouvement des pieds avec une grande dextérité. Ils faifoient quelque fois deux grands ronds en danfant, en prenant au milieu d'eux les joueurs d'inftrumens. Dans le premier rond eftoient les An­ciens , les Seigneurs, & gens de condition , & danfoient, & chantoient prefque de pied coy. Auffi-toft après fui-

A a iij

1521.

De leurs danfes & jeux ne ré­création.

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1521 204 H I S T O I R E voit l'autre rond fort grand & fpacieux, danfant deux à deux richement vertus, & bien galanifez ; & quoy que la plupart de ces danfes fe faifoient à l'honneur de leurs D i e u x , leur inftitution néanmoins n'eftoit que pour la récréation du peuple ; & ils apprenoient cela dés leur enfance par grâce de curiofité.

D e tout ce qui a efté dit cy-deffus de la Religion des Indiens, de leurs Couftumes, de leur police, & de leur gouvernement, l'on verra fi l'opinion que quelques-uns tiennent eft véritable, que tous les peuples des Indes font gens brutaux & fans entendement, ou qu'ils en ont il peu qu'à peine meritent-ils le nom d'hommesjen quoy beaucoup de Théologiens fameux affirment qu'ils er­rent , parce que dans plufieurs Provinces ils ont une ca­pacité naturelle pour eftre enfeignez ; Ainfi l'ont jugé les hommes les plus fages, qui ont bien examiné leurs fecrets,leur ftile & leur ancien gouvernement, en admi­rant l'ordre qu'ils tenoient entr'eux , & le defir qu'ils avoient d'eftre hommes parfaits, félon que leur juge­ment le pouvoit concevoir. Et parce que cy-apres l'on dira ce qui manque en cette matiere,ie ne feray pas icy une plus longue digreffion.

Fin du fécond Livre.

Fauffe opin ion de plufieurs qui croyoient les Indiens i nca ­pables de r a i -fou.

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205

H I S T O I R E G E N E R A L E

D E S V O Y A G E S E T C O N Q V E S T E S des Caftillans dans les Ifles & Terre- ferme

des Indes Occidentales.

LIVRE TROISIEME.

C H A P I T R E P R E M I E R .

Fernand Cortés envoyé des Meffagers en Caftille pour porter les nouvelles de fes victoires. Ce qui arriva à ceux qui allèrent reconnoiftre s'il y avoit du fouffre dans le Vulcan de Tlafcala.

A P R È S que les guerres de Mexique furent achevées, & que l'on eut congédié les

1522,

troupes des Indiens alliez & confederez fort contents & fatisfaits de Cortes ; il commença à vouloir recompenier les

Caftillans. Il leur diftribua tout le butin , félon les mentes d'un chacun , qui fut eftimé à cent trente-mille poids d'or , duquel l'on tira premièrement le Quint du R a y , qui furent vingt-fix mille. Outre l 'or , il y avoit encore quantité d'efclaves., des pennaches, des draps de catton fort riches, des boucliers avec

Certes par tage les dépouilles des Indiens de Mexique à fes foldats.

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1522

2o8 H I S T O I R E leurs cercles d'or , quantité de perles, dont il y en avoit d'auffi greffes que des noifettes, quoy qu'un peu noires , parce que comme nous l'avons déjà dit, les Indiens ouvroient les efcailles au feu pour les t i rer , & pour en manger le poiffon. Or quoy qu'il fembloit que les partages euffent efté faits dans une bonne égali té , cela n'empefcha pas pourtant qu'il n'y euft des plaintes , parce qu'il n'y auroit eu qu'un feul Dieu qui les euft pu. contenter tous. En fuitte de cela Cor-tés occupa fon efprit à beaucoup de choies qui eftoient neceffaires pour former une Republique de Caftillans dans cette ville. Il nomma donc auffi-toft des luges, des Magiftrats, & les Officiers neceffaires pour cet ef­fet. Il propofa & refolut tout enfemble d'envoyer des Meffagers au Roy pour luy donner avis de tout ce qui s'eftoit paffe ; & nomma pour cela Alonfe d'Avila, & Antoine de Quinones , & leur enchargea de fupplier le Roy de confirmer les Officiers que. l'on avoit nom­mez dans cette Republique, & qu'il agreaft leur no­mination , enfemble les partages que Cortés avoit faits jufques là , puis qu'il les avoit employez à des gens qui l'avoient fi bien mérité. Il mit entre les mains des Procureurs, le Quint du R o y , avec beaucoup d'autres chofes des plus riches dont ils avoient fait les partages. Outre cela, il envoya au Roy une efmeraude fine, auffi large que la pomme de la main, quarrée qui finif-foit en pointe comme une pyramide, & un ameuble-blement de vaiffelle d'or & d'argent, comme des taffes, des vazes, des plats, des efcuelles, des pots, & d'au­tres pièces, où eftoient gravées des figures, comme d'oyfeaux , de poiffons, & autres animaux de divers genres ; & d'autres en façons de fruits & de fleurs, quantité d'anneaux, de pendants d'oreilles, des car-quans, des colieçs, & d'autres joyaux tant pour hom­mes que pour femmes, & quelques Idoles, avec des cerbatanes d'or & d'argent ; des mafques à la Mofaïque de pierres fines avec les oreilles d 'or , & les dents d'os qui furpaffoient les lèvres ; des veftemens de Preftres,

des

Il n o m m e des luges & Offi­ciers pour la Police de la Ville.

I l envoya des Procureurs en Caftille.

Il envoya auffi un prêtent au Roy .

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DES INDES OCCIDENTALES) L iv . I I I . 209 des mitres , un corporalier, des ornemcns d 'Aute l , & autres paremens de plume ; de cotton , & de poil de connil bien émaillez & des os de géants qui fe trouvè­rent dans Cuyoacan ; des Tygres , dont l'un s'échappa dans le Navi re , bleffa huit hommes, en tua deux, & fe jetta dans la Mer ; & furent contraints de tuer l 'autre, de crainte qu'il ne fift la mefme choie. Plulieurs fol­dats donnèrent de l'argent pour porter à leurs parens, & Cortés en envoya auffi à fes pere & mere , par lean de Rivera ion Secrétaire , une allez bonne fomme.

Les luges nouvellement c réez , & ceux du Confeil de Mexique efcrivirent auffi au R o y , exaltant fort les faits & actions admirables de Cortés , & le contente­ment qu'ils avoient de l'avoir pour Capitaine. Quant à Cor tés , il fit au Roy une longue narration de fes heureux fuccés , le priant qu'il luy fuft envoyé une perfonne docte & curieufe pour admirer la grandeur & les merveilles de cette terre qu'il avoit conqueftée, & qu'il euft pour agréable qu'elle fuft appellée Nou­velle Efpagne, Qu'il envoyait des Prélats & des Prê­tres qui fuffent propres pour la converfion de ces peu­ples , des laboureurs, avec des troupeaux, des plantes, des femences pour produire , & que l'on ne permiff point qu'il y paffaft des Advocats, des Médecins, ny des luifs Chriftianifez. Enfin les dépefches eftant pré­parées , Alonfe d'Avila, Antoine de Quinones, & lean de Rivera, & avec eux Diego de Ordas , partirent de la Vera Cruz & fe mirent à la voile.

Si-toft que l'on eut publie par toute la terre que Cortés avoit affujetty le Royaume de Mexique, cela caufa de grandes admirations, vu la grandeur & puif-fance de fon Roy, & les grandes fortereffes dont cette ville eftoit deffenduë , & cela donna fujet à plufieurs de n'attendre pas les fommations qu'ils apprehendoient que l'on leur fît de fe rendre ; ils envoyereut des Am-baffades à Cortés pour luy faire offre de leur fervice ôc obeïffance, & plufieurs y vinrent mefme en perfon­ne. A ceux qui n'y envoverent pas auffi-toft , & à

B b

1522.

Cortés efcrit au Roy.

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1 ^ 2 2 . Cortés envoyé des Meffagers aux autres P;o-vinces pour les adveni r de ren­dre obtiffance au Roy de Ca-ftille.

210 H I S T O I R E ceux qui n'eftoient pas de la fujetion de Mexique," pour eftre efloignez, Cortes leur envoya des Meffa-gers Indiens pour leur donner avis de tout ce qui s'eftoit paffe, & leur dire que l'Empire de Montezume eftoit finy, & que le Roy des Chreitiens en eftoit pof-feffeur, & que ceux qui luy obeïroient féroient bien traitez. Or cela ne fut pas bien difficile à le leur per-fuader, attendu la victoire qu'il venoit d'emporter, dont les Indiens ne fe pouvoient affez efmerveiller, comme une chofe qu'ils ne fe feroient jamais imaginée. D e forte que , ou ils y envoyaient, ou ils y alloient en perfonne avec des prefens, «Se faifoient leurs reconnoif. fances, dont Cortés prenoit acte, de la qualité des Pro­vinces qui reftoient à affujettir, & de tout ce qui eftoit à propos de faire pour bien eftablir cet Empire. Mais tout ce qui l'inquietoit le plus, c'eftoit le peu de munitions qu'il avoit, & fans poudre, dont il avoit grand defir d'en eftre pourveu , pour éviter les inconveniens qui euf-fent pu arriver ; & s'imaginant qu'il pourroit avoir de la pierre de fouffre dans le Vulcan qui eft à douze lieu es de Mexique, avec quoy l'on pourroit facilement faire de la poudre, vu le récit que luy en avoit fait le Capi­taine Diego de Ordas qui l'avoit reconnu en, l'an 1519. qui jugea que par l'odeur qu'il avoit fentie en paffant, & par d'autres fignes qu'il avoit veus, qu'il y en pou-voit avoir. Cela , dis-je, donna de l'envie à Cortés d'en faire l'efpreuve ; & pour cet effet, il donna la miffion de cette entreprife à Montano, homme de cœur & agiffant,& à Mefa Commiffaire de l'artillerie, leur exaltant la gloire qu'ils acquerroient, & leur offrit de grandes recompenfes. Ces gens-cy ayant promis de perdre la vie, ou d'en apporter des marques , partirent avec Penalofa, Iean de Larios, un autre Caftillan, & quelques Indiens. Ils arrivèrent à Chalco; & depuis un village appelle Amecamec à deux lieues du Vulcan, d'où ils partirent, accompagnez de plus de quarante mille hommes, defreux de voir fi ces hommes-eftoient les mefmes Caftillans qui y ayoient efté cy-devant a

Cortés eft: en peine de fe voir fans poudre & fans muni t ions .

D e ceux qui a l ­lerent pour re -connoiftre le Vulcan.

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DES iNDES OCCIDENTALES, L i v . I I I . 211 & s'ils viendroient à bout de leur entreprife ; & s'ap­prochèrent du Vulcan , ou ils firent des retranchemens pour éviter les furprifes. Ils commancerent à y mon­ter qu'il eftoit plus de midy, portant fur leurs efpaules deux fangles fort larges, des facs de toile, couverts de peaux de cerf, & deux grandes couvertures, que les Indiens appellent Pelou, pour s'en couvrir au cas que la nuit les y furprît. Les Indiens -contemploient ces gens avec grand eftonnement de les voir monter en ce lieu fi hardiment ; les uns dans l'apprehenfion, les autres efperant beaucoup de leur valeur. Apres qu'ils eurent monté environ le quart de la montagne du Vulcan , la nuit les furprit, & comme dans cette hau­teur l'air y eftoit déjà fort froid , ils refolurent de creufer un foffé dans le fable ou ils peuffent tous con­tenir , & que là eftant couverts de leurs couvertures ils peuffent refifter contre le froid. Mais à peine eu­rent-ils creufé deux palmes , qu'ils rencontrèrent la roche du Vulcan ; d'où il fortit auffi- toft une fi grande chaleur, & une puanteur tout enfemble de fouffre, que c'eftoit une chofe horrible. Mais le grand froid qu'if faifoit moderoit cette grande chaleur qui s'ex-haloit en l'air, en fe bouchant toutefois le nez quelque temps ; mais enfin ne pouvant fouffrir cette puanteur, ils quittèrent ce foffé vers minuit, & continuèrent leur chemin avec des travaux infupportables.

C H A P I T R E II

Continuation de la defcouverte du Vulcan de Tlafcala.

CoMME ces gens cheminoient, & que la gelée eftoit forte, l'un d'eux gliffa, & tomba dans une

manière de précipice qui avoit plus de fept toifes de profondeur , & fe trouva engagé parmy de grands glaçons qui fe formoient des eaux que le Soleil par fa chaleur faifoit diftiler le jour, auffi durs que de l'acier,

B b ij

1522. Les Caftillans c o m m e n c e n t à monter au Vul-can.

Les Caftillans a caufe du grand froid fe mettene dans le fable.

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1522. Ceux qui m o n ­tent au Vulcan font en peril.

212 H I S T O I R E & que s'ils fulTent venus à fe rompre , il fuft tombé à plus de quinze cens toiles de profondeur. Il fe bleffa en plufieurs endroits, & s'efcria tant qu'il put plufieurs fois, en appellant fes compagnons à fon fecours pour qu'ils le tiraffent de ce péril. Enfin, ils s'efforcerent avec toutes les apprehenfions imaginables de luy ten­dre les fangles qu'ils avoient, & d'autres lafnieres, qu'ils attachèrent les unes aux autres, avec lefquel-les il fe guinda par deffous les aiffelleS, puis s'aidant des pieds & des mains, ils firent fi bien qu'ils le fauve-rent. Eux d'ailleurs, fe voyant preïque perdus , ne fçavoient plus à quoy fe refoudre, parce qu'ils eftoient tellement fatiguez qu'ils ne pouvoient plus cheminer ; à caufe dequoy ils refolurent de ne pas paffer outre jufques au jour ; & fi le Soleil euft tardé encore quel­que temps à paraiftre, ils euffent efté tous gelez, & il n'en fuft rechapé aucun en vie, en l'eftat qu'ils eftoient déjà. En attendant donc que le Soleil les dégourdift un peu , ils fe regardoient les uns les autres à la fa­veur des exhalaifons qui fortoient, & à laquelle ils fe chaufFoient les mains, car pour les pieds & les jambes, ils ne les fentoient point de froid. Le Soleil venant donc à paraiftre, ils continuèrent leur chemin tou­jours montant, & au bout d'une demy heure, il fortit du Vulcan une efpaiffe fumée envelopée de grandes flâmes, qui jetta une pierre toute enflambée groffe comme les deux poings , qui vint à rouler auprès de ces hommes, laquelle n'eftoit pas bien pefante, puis qu'ils l'arrefterent avec leur couverture ; ils s'en chauf­fèrent, & rentrèrent en eux-mefmes, en prenant de nouvelles forces, ils recommencèrent à cheminer ; mais l'un d'eux s'eftant efvanoüy , ils le laifferent, luy difant qu'il s'efforçait, & qu'ils le reprendroient en defcendant. Il leur refpondit qu'ils fiffent leur de­voir, & qu'il importoit peu de perdre un homme pour une affaire de fi grande importance. Enfin ils arrivè­rent fur les dix heures au haut du Vulcan, & comme ils eurent avancé leur tefte dans la bouche, ils defeou-

Les Caftillans fouffrent un grand froid en m o n t a n t le Vul­can .

Vn Caftillan s 'évanouit en m o n t a n t le Vulcan.

Ils arrivent à la bouche du Vul­can, de fa for­m e .

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DES INDES OCCIDENTALES, L i v . I I I . 213 vrirent auffi-toft le bas, qui brufloit comme un feu naturel , qui eftoit une chofe épouventable à voir. Il pouvoit avoir depuis cette bouche en bas deux cens toifes de profondeur. Ils tournèrent tout autour, pour voir par où l'on y pourroit entrer plus facilement ; mais ils trouvèrent l'entrée fi difficile de tous coftez, & fî épouventable, que tous ceux qui voyoient cela euffent voulu n'y avoir jamais monté. Mais comme ils eftoient tous gens de cœur , & d'honneur, ils s'avi-ferent de jetter au fort à qui entremit le premier & le fort efcheut à Montano , lequel eftant guindé avec une fangle, dans un fac de toile de chanvre avec un panier, entra dedans jufques à vingt toifes de profon­deur , & tira la première fois le panier prefque plein de fouffre , & il y entra fept fois de la forte, & en tira jufques à deux cens douze livres de fouffre. Apres celuy-là l'un de fes compagnons y entra, & en tira en fix fois environ cent livres ; fi bien que tout ce qu'ils en avoient tiré confiftoit à trois cens tant de livres, qui fuffifoient pour faire quantité de poudre. Enfin ils refolurent de n'y pas entrer davantage , parce que félon le récit de Montano c'eftoit une chofe affreufe Se épouvantable, en jettant feulement la veuë vers le bas i parce qu'outre fa grande profondeur qui eftour-diffoit la tef te , le feu Se la fumée qui enfortoit , & les pierres toutes ardentes qui fe jettoient de fois à au­tre fur celuy qui y entroit, pour augmenter fa crainte, il s'imaginoit que ceux qui le foûtenoient dévoient laicher leur prife, ou que les fangles fe dévoient rom pre , ou qu'il devoit tomber du fac, ou enfin quelques autres finiftres accidents que le trop d'apprehenfion attire à foy. Ils eftoient donc tous fatisfaits & con­tents , & fe voyant délivrez de cette crainte , il ne reftoit plus qu'à fe préparer pour defcendre ; mais il fe prefenta auffi-toft une autre difficulté, qui eftoit de trouver la defcente qui eftoit fort perilleufe ; joint qu'ils dévoient eftre chargez. Cependant qu'ils s'amu-foient à faire leurs fardeaux, il prit fantaifie à Mon-

B b iij

1522,

Les Caftillans entrent dans le Vulcan , & en t i ret du fouffre.

Vn Caftillan t o m b e dans des glaces,

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1522. 214 H I S T O I R E tano de retournera la bouche du Vulcan, & comme il cheminoit avec beaucoup d'exactitude, & ne voyant ny chemin, ny defcente certaine, il dit que pour s'en retourner avec moins de péril, il confeilloit de faire tout le tour de la bouche du Vulcan, quoy que cela les deuft retarder de beaucoup. Cet avis fut ap­prouvé de tous ; fi bien que chacun fe chargea de ce qu'il pouvoir porter, fans toutefois y rien laiffer. Ils descendirent donc avec de grandes appréhendons, parce qu'à chaque pas prefque il y avoit des pointes de roche, & dont il falloit tournoyer autour des plus hautes, fupportant chacun leur charge de l'eftomac en gliffant jufques à ce qu'ils euffent les pieds fermes, Ils cheminèrent un bon efpace de temps de cette fa­çon , ne voyant que des apparences de mort devant leurs yeux, à caufe des paffages périlleux qu'ils ren­contraient de moment en moment, parce qu'ils eftoient quelques fois contraints de retourner derrière, ou de fe ranger d'un cofté ou d'autre, pour éviter leur perte qui eftoit infaillible autrement.

Enfin ils vinrent à fe rencontrer au lieu , ou ils avoient laffé leur compagnon qui s'eftoit évanoùy, quoy qu'il fuft déjà tout refout à la mort , & ne s'oc-cupoit qu'à demander pardon à Dieu de fes péchez, car il ne s'imaginoit pas que fes compagnons puffent revenir de ce lieu. Mais il fut tout eftonné, que lors qu'il y penfoit le moins, il entendit le bruit que fes compagnons faifoient ; & toutefois ne croyant pas que cela fut véritable, & que c'eftoit quelque ima­gination qui luy eftoit venue en la penfée, il'dit auffi-toft, avant que les autres luy euffent parlé ; Sont-ce mes compagnons qui defcendent ? Ils refpondirent ; C'eft nom mefmes. il repartit ; Beny foit Dieu, de ce que je reprens aujourd'huy une nouvelle vie. Ils fe repoferent là quelque peu de temps fort réjouis, & rendant grâces à Dieu de ce qu'il les avoit ainfi guidez & confervez. Apres quoy ils continuèrent leur defcente, en foula-gcan-c leur compagnon , qui eftoit encore tellement

t e s Caftillans defcendent du Vulcan en un grand péril.

Ils rencont ren t en defcendant leur c o m p a ­g n o n .

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv III . 215 épouvante des chofes qu'il avoit veuës cette nuit , où. qu'il s'eftoit imaginées , qu'il ne s'en puit remettre de long- temps. Enfin ils arrivèrent au pied du vulcan, où ils eftoient attendus avec grande impatience de quantité d'Indiens, qui coururent vers eux,& qui les entouraient pour les admirer, & pour apprendre quelque chofe de ce qu'ils avoient veû. Les Caciques leur firent donner auffi-toft à manger , parce qu'ils n'avoient ny beû ny mangé depuis le jour précèdent jufques à cette heure. Ces peuples les mirent fur des brancards & les portè­rent fur leurs efpaules, comme ils ont couftume de faire aux grands Seigneurs, quantité d'Indiens les ac­compagnant de cofté & d'autre, qui trefbuchoient & tomboient le plus fouvent les uns fur les autres pour fe trop précipiter de voir leurs vifages , tout eftonnez de voir des hommes qui avoient fait une action fi admi­rable qu'il ne s'en eftoit jamais veuë de femblable, ny entendu parler, ny encore jufques à prefent, puis que perfonne jufqu'à eux n'a jamais fceu monter qu'à la moitié de la montagne de ce Vulcan. Ils che­minèrent fix lieuës, jufques à un port du lac , où ils fe mirent dans des canos avec quantité d'Indiens qui les accompagnèrent dans d'autres. Ils arrivèrent à la pointe du jour dans la ville de Guyoacan , & Cortés fçavoit déjà par plufieurs Meffagers que les Caciques luy avoient envoyez les bonnes nouvelles que fes gens luy apportoient, & les fatigues qu'ils avoient endurées. Il fortit de la Ville au devant d'eux pour les recevoir. Il les embraffa,& agréa fort le fervice qu'ils luy avoient r endu , & leur promit de les recompenfer largement ; parce qu'il avoit fait entendre aux Indiens alliez, qu'il n'y avoit rien d'impoffible à la Nation Caftillane. Il fit armer le fouffre, & de trois cens qu'il pefoit, cela fut réduit à deux cens cinquante pefant , dont l'on fit de la poudre.

1522

Les Indiens ad­miren t de voir les Caftillans de retour.,

Cortés fort au devant de ceux qui venoient du Vulcan.

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1522.

216 H I S T O I R E

C H A P I T R E I I I .

De quelle façon fut defcouverte la Province de Mechoacan , & par qui.

L 'ON donnoit à Cortés la connoiffance de tant de Provinces dont il n'avoit pas la connoiffance,

que pour en eftre mieux informé , il refolut d'envoyer un foldat appelle Villadiego, qui s'eftoit adonné à parler la langue Mexiquaine, avec quantité de choies pour troquer, & quelques Indiens qui paroiffoient les plus fidèles pour l'accompagner, avec ordre de re-connoiftre ces terres , & d'en rapporter une ample relation des particularitez qui s'y rencontroient ; mais ny le Caftillan, ny les Indiens ne parurent jamais plus. L'on jugea que ies Indiens qui l'accompagnoient l a -voient tué , & qu'ils n'oferent pas revenir. Vn autre foldat appelle Parrillas, qui s'eftoit infinité dans les bonnes grâces des Indiens, à caufe que c'eftoit un plaifant & un conteur de foniettes, fut envoyé pour chercher des volailles pour l'Armée. Comme il eftoit occupé en ce t exercice, les habitans de la peuplade de Matalzingo, l'attirèrent peu à peu en faifant fon trafic jufques aux limites du Royaume de Mechoacan, où pas un Caftillan n'avoit point encore efté , parce qu'il s'eftoit déjà paffé un bon efpace de temps depuis la prife de Mexique, que perfonne n'eftoit point en­core forty plus loin que Pukepec. Ceux de cette ter-re fe réjouirent fort de voir le Caftillan, & le confi-dererent fort attentivement, en le touchant des mains, comme d'une chofe qu'ils n'avoient jamais veuë, & fe reprefentant que beaucoup d'hommes femblables à celuy-là eftoient baftans de vaincre & d'affujettir de plus grandes villes que Mexique ; Et foit par fignes, ou par truchemens,ils luy demandèrent plufieurs cho­fes, à quoy il fit refponfe en bons termes, ce qui leur

caufà

Villadiego va f o u r defcouvrir la t e r re , mais il n 'en eft jamais revenu,

Parillas arrive aux confins de Machoacan .

Page 233: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I I . 217 eau fa encore plus d'admiration. Il leur demanda quelle terre eftoit celle qui reftoit derr ière , & quel­les gens l'habitoient ; & après avoir appris plufieurs chofes, il s'informa s'il y avoit de l'or & de l 'argent, & en prit quelques échantillons, avec deux Indiens qu'ils luy donnèrent , promettant qu'ils feroient bien traitez, & qu'il les renvoyeroit incontinent après. Par-rjllas eftant party avec les deux Indiens qui eftoient fort contents , alla auffi-toft trouver Cortés qui le receut fort bien, pour luy avoir apporté une rela­tion de ce qu'il fouhaittoit paffionnément , & d'avoir amené ces deux hommes de cette terre. Il les fit trai­ter fplendidement, & les fit promener autour de l'Ar­mée , afin qu'ils viffent la difpofition des foldats Caftil-lans , leurs armes, l'artillerie & la Cavalerie , & com­manda à quelques Cavaliers de faire une efcarmouche, & de tirer quelques efcoupetes devant eux , dont ils furent tout efpouvantez. En fuite de cela il leur don­na quelques jolivetez de Caftille, & leur dit par fon Interprète , Que comme les Chreftiens eftoient fi vaillants, & efpouventables à leurs Ennemis, ils aimoient d'autant plus ceux qui fe déclaraient leurs amis, qu'ils les deffendoient, & protégeaient dans tous les périls & neceffitez, & qu'ils en uferoient ainfi envers tous ceux de leur Nation , & qu'il les iroit voir dans peu de temps, pour leur faire voir comment ils avoient fi long-temps erre en l'adoration de leurs faux Dieux , & au facrifice des hommes, & que cependant ils s'en pou­voient retourner en leur terre.

Cortés fit accompagner ces deux Indiens par quel­ques Tlafcalteques, car ils ne fouhaiterent pas que l'on y envoyait des Mexiquains, & partirent ainfi ex­trêmement fatisfaits & joyeux de tout ce qu'ils avoient veù , & du bon traitement que Cortés leur avoit fait faire, dont ils le remercièrent & luy baiferent les mains. Comme les deux Indiens furent de retour, le Seigneur de Mechoacan, ennemy mortel de Montezume, ap­prit d'eux tout ce qui s'eftoit paffe à leur réception. Cependant Cortés délirant defcouvrir cette t e r r e , fit

C e

1522. Ce qu'il appr i t à Mechoacan .

Parillas rend conte a Cortés de ce qu'il a veû.

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218 H I S T O I R E eflection de Montano , & de quelques autres Caftillans qu'il tenoit pour gens de difcretion , & qui eftoient vaillans, pour leur bailler cette commiffion , & leur dit qu'il leur vouloit recommander cette entreprife , pour l'exécution de laquelle il leur donneroit vingt Seigneurs Indiens qui les accompagneraient, avec un Interprète qui fçavoit trois langues, la Mexiquaine, l 'Otomie, & la Mechoacane. Il leur fit donner quan­tité de jolivetez pour t roquer , afin que parce moyen ils fuffent mieux receus. Il leur enchargea de faire en forte de voir & de parler au Seigneur, & de traiter d'amitié aveque luy ,& de s'informer par diffimulation des gens d'armes, des forces, du trafic, & de la fertilité & difpofition de la terre ; & que s'ils pouvoient parler à loifir avec le Seigneur, qu'ils luy fiffent entendre qui eftoit le Souverain Pontife Se le Roy de Caftille, en les delabufant de beaucoup de chofes touchant leur aveu­glement. Et luy dire que les Mexiquains pour n'avoir pas voulu recevoir tant de bien, le grand Dieu des Chreftiens avoit permis qu'ils fuffent détruits, ainfi qu'il feroit à tous ceux qui les imiteroient. Il promit à Mon­tano, & à tous ceux qui l'accompagnoient, que s'ils rap-portoient de bonnes nouvelles, il leur dôneroit de gran­des recompenfes, Se dit tout d'un temps devant eux quantité de chofes à ces vingt Seigneurs Indiens. Et les pria Se enchargea fur tout entre autres chofes, qu'en al­lant avec ces Caftillans, qui eftoient fort vaillans, & fes frères,de les protéger & les garder,& qu'ils ne les aban-donnaffent en aucune façon que ce fuft, & qu'en ce faifant il en recevrait une grande fatisfaction , & le tiendrait à obligation, proteftant qu'au retour il les fe­roit plus grands Seigneurs. Et comme cette affaire là eftoit de confequence, il leur enchargea fort, que dans les demandes & les refponfes qui fe feraient, ils trai-taffent Se agiffent avec vérité ; & que s'ils fe voyoient avec le Seigneur de Mechoacan, comme tefmoins ocu­laires, ils luy declaraifent la puiffance des Chreftiens, & le grand bien qu'il recevrait de fe rendre vaffal de leur Empereur qui eftoit le Roy de Caftille.

1522. Cortés envoyé defcouvrir la terre de Me­choacan.

Page 235: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, Liv. III . 219 Ils partirent donc tous enfemble fort joyeux , de

cheminèrent quatre jours fans fe feparer les uns des autres. Eftant arrivez proche d'une peuplade , dont les terres font contiguës à celles de Mechoacan, ap-pellée la Taximafoa, les habitans de ce l ieu, de leur Seigneur avoient déjà oüy faire récit des Caftillans, par ce qu'en avoient dit les deux Indiens. Le Seigneur de Gouverneur de ta Taximaroa, avec la plus part des principaux du lieu qui l 'accompognoient, de quantité de gens du commun , parce que la peuplade eftoit grande, fortirent au devant d'eux pour les recevoir. IL embrafla les Chreftiens, de leur donna félon leur couftume , des rôles & des bouquets, & embrafta au fil en mefme temps les Seigneurs Mexiquains. Ils s'ar-refterent quelque temps, de par le moyen de l'inter­prète le Seigneur leur dit qu'ils eftoient les bien-venus, de qu'il eftoit réjoùy de ce qu'il eftoit arrivé dans fa ville de dans fa maifon de fi bons hoftes ; qu'ils fe ré­jouiffent, de qu'il les vouloit fervir & régaler tant qu'il pourrait ; de qu'ils fe tinffent pour tout a durez qu'il avoit un grand defir de connoiftre leur Capitaine ; Et que quant à luy, il vouloit eftre ferviteur & Vaffal du Seigneur des Chreftiens. Parce qu'il reconnoiffoit que fon pouvoir eftoit fi grand, que quoy que fa perfonne fuft fort efloignée de Mexique , il avoit néanmoins avec peu de ferviteurs de vaffaux fubjugué la plus for­te ville qu'il y euft en ces quartiers, de qu'il s'imagi-noit qu'il pourrait faire la mefme chofe de tous les au­tres Royaumes de cette terre. A caufe dequoy il leur d i t , que depuis cette peuplade où il eftoit en tirant plus avant commençait le Royaume de Mechoacan, qui eftoit à un Grand Seigneur qui eftoit ennemy ca­pital des Mexiquains ; que le pais eftoit grand, la terre fort fertile, de qu'elle eftoit fort peuplée de vaillans hommes, de fort adroits à tirer des flèches de des dards ; Et qu'il croyoit que ce Grand Seigneur envoyeroit bien-toft fes Ambaffadeurs à Cor tés , pour luy offrir fon fervice, fa maifon, de fon Royaume. Les CaftiL-

Cc ij

1522. Les Caftillans arr ivent à la première peu­plade de M e ­choacan , ou ils font bien receus.

Les Caftillans o n t connoiffance ce du Royaume de Mechoacan,

Page 236: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1522,

220 H I S T O I R E lans furent fort réjouis d'entendre ces bonnes nouvel­les , voyant bien que de femblables apparences il n'en pouvoit arriver que de bons fuccés ; ils luy repartirent qu'avec le temps il reconnoiftroit la grande valeur de Cortés ; & qu'il apprendrait par eux le grand pou­voir qu'avoit l 'Empereur des Chreftiens, de qu'en le luy communiquant, ils feraient tous de fabufez des er­reurs où ils vivoient. En s'entretenant ainfi de plu-ileurs difcours, au grand contentement des uns de des autres, ils arrivèrent à la ville, laquelle à caufe des guerres qu'ils avoient contre les Mexiquains, quoi­qu'elle fût grande , eftoit toute entourée de grands chefnes qu'ils avoient coupez par morceaux, pour la fortifier. Cette trenchée ou mur avoit douze pieds de h a u t , de fix de large, qui paroiffoit eftre fort an­t ique, de la renouvelloient fort fouvent, en oftant les pièces les plus feches, de en y en remettant d'autres nouvellement coupées ; de il y avoit pour cet effet des maiftres de des pioniers qui eftoient deftinez à cela , de qui n'avoient point d'autre occupation que celle -là , dont ils eftoient payez aux defpens de la Republ i -que. L'alignement de cette manière de fortification, & par dedans de par dehors eftoit tellement égal , de enduit d'argile ou terre graffe, qu'elle n'aurait pas pu eftre mieux travaillée, quand elle aurait efté baftie à chaux de à ciment, de de pierre de taille. Ils avoient de couftume dés leur premier eftabliffement dans les victoires qu'ils emportoient fur les Mexiquains, de ne brufler de facrifier les corps de leurs ennemis à leurs Dieux que du bois trop fec & vieux qu'ils tiraient de cette t renchée, de ne le faifoient point fervir à autre chofe. Lors qu'ils y remettoient du nouveau bois, ils faifoient de certaines cérémonies , fignifiant par-lâ qu'avec la faveur de leurs D ieux , ce mur ferait fi fort que leurs ennemis n'entreraient jamais dans la ville par-là y Et que leurs amis fortiroient de ce l ieu, de retourneraient victorieux. Eftant entrez dedans la ville on leur apporta force vivres, de ils furent régalez

Manière de for­tification de la V i l l e frontière des Mexiquains.

Siperftition des Indiens touchât la fortification de la Ville.

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DES INDES OCCIDENTALES', Liv. III. 221 de fi bonne forte , qu'ils en furent tout eftonnez ; mais nonobftant tout cela , ils furent toute la nuit aux efcoutes, & fur leurs gardes, comme bons foldats, & qui vouloient eftre en feureté.

C H A P I T R E I V .

Continuation de la defcouverte du Royaume de Mechoacan.

LE lendemain les Caftillans mandèrent à Cortés tout ce qui s'eftoit paffé , & continuèrent leur

chemin à Mechoacan ; ils furent fix jours en chemin, eftant toujours accompagnez de quantité de gens qui venoient des lieux circonvoifins , pour voir ces hommes qui avoient fubjugué les Mexiquains leurs ennemis. Dés l'arrivée des Caftillans à Taximaroa, le Gouverneur en avoit donné avis au R o y , & aux Gouverneurs des autres peuplades par où. ils dévoient paffer, jufques à leur envoyer une toille où les Caftil­lans eftoient dépeints comme ils alloient , comme ils mangeoient , comme ils dormoient, leurs armes, & comme ils eftoient veftus. Lors qu'ils arrivèrent à une demie lieuë de la ville de Mechoacan ; le Roy pour faire paroiftre fa grandeur, & fa bonne volonté, fit fortir huict cens Seigneurs, veftus comme fi ç'euft efté pour célébrer leur plus grande Fefte, chacun d'eux avoit dix ou douze mille vaffaux ; & il fortit en­core outre cela tant de gens, que la campagne en eftoit toute couverte. Les Caftillans eftant arr ivez, l'un de ces Seigneurs, qui paroiffoit eftre le plus an­cien , & avoir plus d'authorité, les embraffa, & leur ayant donné premièrement des rofes , il leur dit ; Noftre Grand Seigneur, de qui noué dépendons tout tant que nous fommes, nom a commande de fortir pour vous recevoir, & que nous vous difions que vous fuffiez les bien-venus, & que par des Meffagers particuliers dès que vous fuftes arri­vera Taximaroa, jufques à arriver où vous eftes maintenant,

C c iij

1522.

L'on donne avis au Roy de M a -chaocan de l'ar­rivée des Caftil­lans.

Les Caftillans arrivent à Me­choacan.

Page 238: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1522 .

222 H I S T O I R E il vous a envoyé vifiter, pour vous tefmoigner le contentement qu'il reçoit de voftre venue ; Il nous a enchargé de vous dire, qu'en entrant dans fa grande Ville, vous ferez traitez, com­me dans la voftre, & vous prie de vous y repofer, & de vous y dèlaffer ; & qu'il vous fait fçavoir, que touchant ce que vous defirez entendre, & apprendre , il vous en dira une grande partie ; & qu'il recevra à grande courtoife, que de Cortés ; & de fin Grand Seigneur, l'Empereur & Roy de Çaftille , vous luy donniez une entière connoiffance , parce au il defire fort a eftre Amy de L'un & Vaffal de l'autre. Les Caftillans ne tinrent pas grand difcours. Ils fu­rent conduits dans de grandes chambres , & admirable­ment bien bafties & bien ornées, & qui tefmoignoient bien appartenir à un fi grand Seigneur 5 ils furent me­nez en grande cérémonie & avec de grands refpects & on leur donna à manger de différentes viandes, au fon de leurs Inftrumens , & de la Mufique, car ils y font fort adonnez, & font grand bruit. Comme ils effoient au milieu de leur repas, le Grand Seigneur les vint voir ; quoy que Montano dans fa Relation die qu'a­vant qu'on leur euh; apporté à manger, il fortit avec une grande majeffé pour les voir , & que leur ayant montré un figne de paix , ne confentant pas qu'ils approchaffent de luy, il leur dit , qu'ils fe repofaffent, & qu'il retourneroit incontinent pour leur parler plus à loifir.

Deux heures après que les Caftillans eurent pris leur réfection, le R o y , quoy qu'ils vouluffent fortir pour l'aller recevoir, & qu'il ne vouluft pas confentir qu'ils approchaffent de luy, les interrogea de cette forte par l 'interprète , avec une grande feverité , Qui eftes-vous ? D'où venez-vous ? Que cherchez vous ? qui vous contraint de venur de fi loing ? Poffible que dans la terre d'où vous eftes nez, il n'y a pas dequoy boire ny manger, & que cela vous oblige a venir icy pour voir & reconnoiftre des gens eftanges. que vous ont fait les Mexiquains, qu'eftant entrez dans leur Ville vous les ayez ainfi détruits ? Vous prétendez poffible faire la mefme chofe de moy.

Ceux de M e ­choacan réga­lent les Caftil­lans .

Le Roy de Me­choacan vifite les Caftillans.

Paroles du Roy de Mechoacan aux Caftillans.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I I . 223 Mais je fuis fi vaillant & puiffant, que je ne le confenti-ray jamais, quoy que faye eu de grandes guerres contre les Mexiquains , & qu'ils ont eftè mes plus grands ennemis. Les Caftillans ne furent pas bien contents de ces paroles ; mais nonobftant tout ce la , Montano luy repartit par le mefme Interprète ; Grand Seigneur , que tes Dieux te facent proffperer,& augmenter tes Royaumes ; il ne te le faut point celer , nous femmes envoyez, de la part du grand Capitaine Cortés, & non à autre fin , que pour te le donner à connoiftre, & que tu le tiennes pour amy, & que tu le trouveras tel en tout ce qui fie prefientera , a toy, ou aux tiens. Et puis que tu nous as demandé en peu de paroles beaucoup de chofes , à quoy nous ne pouvons faire de refponfe qu'à loifir, nous fupplions de nous efcouter, & après que tu nous auras oüis , tu n'en fieras pas marry. Nous fommes Chreftiens, originaires d'une terre que l'on ap­pelle Caftille y Nous femmes venus icy par le commandement d'un Grand Seigneur que l'on appelle Empereur des Chreftiens, que noftre Dieu a infpiré de nous envoyer vifiter ces nouvelles terres , non pas qu'il manque dans la noftre les chofes qui nous font neceffaires pour la vie ; bien au contraire, nous avons de refte. Nous ne fommes venus icy, après que nous avons eu la connoiffance des terres que nous avons de defcouvertes , qu'à deux fins principales ; l'une pour communiquer aveque toy, & te tenir pour amy, en te donnant de ce que nous avons, & que tu n'as pas icy , & recevoir de toy par la voye du trafic & d'amitié, ce que nous n'avons pas dans noftre terre , ainfi que l'on a de couftume de faire par toutes les terres du monde, ainfi que l'on nous a fait entendre que vous faifiez, & par le moyen duquel les Royaumes s'enrichiffent.

Mais la féconde chofie eft celle qui importe le plus 3 qui re-fuite du Négoce, & communication que nous deftrons faire aveque toy ; & qui eft de te defabufer d'un grand aveugle-ment & erreur, en quoy le Démon te tient engagé , en te faifant adorer des faux Dieux, & corrompre en beaucoup de chofes la Loy naturelle qui a tant de force fur tous les hommes. Et quoy qu'au commencement cela te femblera diffi­cile & rude , à caufe des couftumes que tu gardes & fais

1522.

H a r a n g u e dé M o n t a n o au Roy de M e ­choacan .

Page 240: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1522.

2 2 4 . H I S T O I R E garder par ton erreur, lors que tu nous duras efcoutez la chofe te femblera facile, & douce ; Et fi nous avons fait la guerre, & détruit les Mexiquains , ce ne fut que farce qu'ils rompirent fouvent aveque nous l'amitié que nous avions con­trariée avec eux, & qu'ils nous vouloient tuer en trahifon, & pour chaftier les maux & les tyrannies qu'ils faifoient à plufieurs Nations qui nous demandaient du fecours. De forte que quoy qu'ils fuffent en grand nombre, fort puiffans , & en­fermez^ dans une Ville fi forte , ils ne furent pas capables de refifter contre nos forces, & encore moins de nous offenfer ; Parce que noftre Dieu qui eft feul & tout-puiffant, combat toit pour nous contre eux , & contre leurs Dieux. Et fi tu veux fçavoir, Grand Seigneur, plus clairement, que nous ne faifons tort à perfonne, informe-toy de tant de bons amis qui nous ont favorifez, & qui nous ont pris pour Proie fleurs, tu verras par là qu'en voulant eftre le noftre , ainfi que tu nous l'as fait fçavoir , tu te réjouiras d'avoir noftre amitié ; & pour cet effet , il ne faut pas que tu adjoufle foy à tes mauvais Confeillers,pour te faire faire ce qui n'eft pas convenable à ta Royale perfonne , parce que tout ce que nous t'avons dit contient vérité ; & fi tu ne nous veux pas croire , puis que tu as des Interprètes Mexi -quains,demande-le en particulier à ceux qui font venus aveque nous, quoy qu'ils ne foient pas de noftre Nation ny lignée, ils te diront la venté. Cazouzin fut toujours fort attentif à efcoûter Montarîo ; & repaffant en fon efprit beaucoup de chofes, parce que de celles qu'il venoit d 'entendre, les unes luy plaifoient, & les autres luy donnaient de la crainte ; & s'arreftant un peu, comme il penfoit à quel­que chofe, il refpondit, qu'il eftoit fort aife de l'avoir efcouté, & qu'il s 'al laft repofer, que cependant il luy ferait refponfe. Cependant les Caftillans ne firent paraiftre au­cune action de foibleffe ny de crainte, pour ne pas dé­choir de la réputation qu'on les tenoit, qui eftoit de les tenir pour invincibles, fils du Soleil. Ils s ;entretenoient entr 'eux de ce qu'ils feraient ; mais enfin , comme des gens qui ne pouvoient aller en aucun lieu de nuit ny de jour qu'ils ne fuffent defcouverts , ils refolurent d'at­tendre ce qui leur pouvoit arriver.

C H A P .

Refponfe du Roy de M a -choacan ,

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. III. 225

C H A P I T R E V.

Cazouzin , Roy de Mechoacan a deffein de facrifier les Caftil­lans, mais il en fut détourné, par un Seigneur de fin Confiel.

C A Z O U Z I N avoit ordonné que grand nombre de gens par diffimulation avec des armes lecre-

tes ; gardaffent les Caftillans dans les courts du Palais, dont les uns eftoient affis fur des pierres vies autres fe promenoient. Il commanda à deux Seigneurs de prendre garde que les Caftillans ny de j o u r , ny de nuit, pour quelque chofe que le fuft, ne paffaffent pas une raye qu'ils leur marquèrent, fans permiffion, dont ils furent fort furpris ; mais diffimulant du mieux qu'ils purent , l'un d'eux d'un vifage gay, dit ; Dites au Roy que nous fommes dans fon Royaume & dans fia maifon , & que nous fommes Meffagers ; que nous fommes venus à deffein de le fiervir, & que nous ne contreviendrons à rien de ce qu'il nous commandera , & que s'il veut que nous fortious de cette cham--bre, nous en fertirons fans contredit, auffi bien que ce qu'il nous commande à prefent de faire. Ces paroles ayant efté rappor­tées au Roy , il manda qu'à l'heure de Vefpres l'on fift de grandes Feftes par toute la Ville, & mettre des bra-hers dans les tours des Temples, & que l'on y brûlaft des chofes odorantes ; que i o n facrifiaft à leurs Idoles-dans ces tours grande quantité d'hommes, de femmes & d'enfans , au fon des trompettes, des cornets-à-bouquin, avec de continuelles danfes & chanfons, & de jour & de nuit , mais des chanfons il triftes, que ce heu fembloit eftre un enfer. Ces feftes & facrifices durèrent d ix-hui t j o u r s , à deffein de facrifier les Caftillans fur la fin. Mais comme Dieu vouloir faire ceffer la fanglante domination du D é m o n , & voulant conferver les Caftillans, & encore d'autres qui dé­voient fervir d'inftrumens & de remède à ces Infidèles, il toucha le cœur d'un grand Seigneur, des plus ancien.

D d

Carouzin d e f -fend aux Caftil­lans de forcir de leur chambier

II a deffein de facrifier les Caftillans.

1521

Page 242: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1 5 2 2 .

Remonftrance d'un grand Sei­gneur au Roy de Mechoacan.

226 H I S T O I R E du Confeil du Roy , & qui gouvernoit fes Eftats ; il bien qu'une nuit au bout des dix-huit jours, il dit au Roy ; Qu'il fer oit fort à propos de bien confïderer premièrement ce qu'il avoit envie de faire s parce que ce feroit une chofe cruelle & indigne d'un grand Roy, de vouloir faire mourir ceux qui le venaient vifiter, & luy offrir leur fervice, fans re-connoiftre avant toutes chofes s'ils y venaient de bonne forte, ou autrement y Et qu'il prift garde que ces hommes, ceux qu'avait leur Capitaine eftoient fort vaill ans , puis qu'ayant eftè en fi petit nombre ils avoient affujety une fi puiffante Ville comme Mexique, & que leur Dieu dont ils parloient eftoit feul, que par confequent, il devoit eftre tout-puiffant , & que les Dieux des Mexiquains, & ce grand Dieu appelle Vitzilipuztli, qu'ils adoraient avec tant de révérence y n'a­voit pas efté baftant pour les deffendre ; Et qu'il croyoit que ces Caftillans eftoient enfans du Soleil, puis qu'ils eftoient demeurez fi victorieux de leurs ennemis, & que puis qu'il avoit toujours fuivy fon confeil, il le priait de retarder cette exécution y puis qu'il n'y avoit point d'inconvénient de ne la pas faire ; & qu'il valait bien mieux confiderer qu'il eftoit bien plus à propos de tenir pour amis ceux de qui il pouvoit efferer beaucoup d'aide y & beaucoup de maux.

Ces paroles contentèrent le Roy , & agréa fort ce confeil ; il fit ceffer les Feftes, & empefcha de palier plus outre aux facrifices. Il envoya quatre de fes principaux Seigneurs dans la chambre des Caftil­lans ; pour luy amener quatre de ces Seigneurs Mexi­quains qui eftoient venus avec eux , afin de s'infor­mer d'eux quelle eftime ils en faifoient. Les Caftil­lans ayant choifi entre les vingt, les quatre qu'ils ju-geoient .avoir meilleur efprit, ils leur dirent, Qu'ils croyoient que le Roy avoit deffein de les facrifier tous ; & que pour remédier à ce péril , il eftoit a propos, lors qu'il les inter­rogerait , qu'ils luy declaraffent la manière de combattre des Caftillans, & luy fiffent entendre quelles eftoient leurs armes , l'effet de leur artillerie , des efcoupettes, des arbaleftes ; la fougue des chevaux, & la valeur & le courage des hommes ; qu'une pièce d'artillerie tuoit tout a un coup cent Indiens ;

l e Roy de Me­choacan chan­ge de deffein de facrifier les Caftillans par le confeil de l'an de fes Confeil-lers.

I n f r a c t i o n que les Caftillans d o n n e n t à qua­tre Seigneurs Mexiquains .

Page 243: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, Liv, III. 227 Qu'outre tout cela , ils avoient des chiens qui faisaient un grand carnage parmy les Indiens ennemis des chreftiens ; qu'ils eftoient d'une telle conftitution qu'ils ne fe la laffoient ja-mais à la guerre, paffant des deux & trois jours fans boire ny manger ; Qu'ils fe fçavoient fort bien abfienir de dormir lors qu'il eftoit neceffure ; & que comme dans les affaires de la guerre ils eftoient tellement heureux que jamais ils n'eftoient vaincus , ils mettoient tout a feu & à fang chez leurs enne­mis ; Que nonobfiant tout cela, lors que l'on les requérait de pardon & de p a i x , ils l'accordaient auffi-toft, & vivoient fuis après enfemble comme de véritables amis ; Que leur Roy leur envoyait à tous momens des armes & des gens frais, pour empeficher que quelque Roy, ou Seigneur, quelque pui f -fant qu'il fuft , ny plufieurs enfemble , ne fuffent pas fi har­dis de les offenfer ; Et que pour eux, comme ils eftoient tef-tnoins oculaires de ce qu'ils difoient , qu'ils procuraffent au­tant qu'ils le pourraient, qu'il recherchaft l'amitié de Fernand Cortés, s'il vouloit conferver fon Eftat , & l'employer contre d'autres ; Et qu'il prift garde fur tout, de faire quelque chofe dont il fe pourrait repentir puis après. Que fi en tous cas , ils voyaient qu'il euft quelque mauvais deffein, ils luy diffent que les quatre Caftillans feuls, eftoient baftants de tuer tous ceux qui les gardaient ; outre que leur Capitaine ne manque­rait pas de venir auffi-toft à leur fecours, & qu'il le tueroit, & mettroit tout fon Royaume a feu & à fang ; Qu'ils par-tifient donc à la bonne heure, & parlaient hardiment ; & qu'ils ne fe miffent point en peine , qu'il fuffifoit qu'ils demeu­raient là , & qu'ils périraient, ou ils les fecoureroient fans y manquer en aucune façon, cela luy ayant efté enchargè par Cortés,

Les quatre Seigneurs Mexiquains, fuivirent donc ceux qui les eftoient venus quérir , & entrèrent où eftoit le Roy , auquel fuivant la couftume, & comme l'on fait à leurs Dieux, ils firent de grandes révérences ; puis ayant fait appeller fes Interprètes devant quel­ques-uns de fon Confeil, & de ce fage Gouverneur, il leur demanda plufieurs chofes, aufquelles ils refpon-dirent fi à propos , & avec autant de courage & de

D d ij

1522

Le Roy de M e ­choacan i n t e r ­roge les M e x i ­

q u a i n s , qui luy refpondent.

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1521

2 2 8 H I S T O I R E liberté , que il Cortés avec toute fon Armée euft elle à la porte de la Ville. Le Roy & tous les Seigneurs qui eftoient aveque luy , furent tout eftonnez de ce que les Mexiquains luy dirent, & y ajoutèrent foy tous, par ce qu'ils en avoient déjà eu des nouvelles de plu-iicurs endroits. Le Roy fit bien traiter ces Indiens, parce qu'ils luy dirent qu'ils eftoient de condition, & il leur témoigna eftre fort joveux de leur avoir parlé, & d'eftre efclaircy de ce qu'il eftoit en doute 5 il les retint dans fon Palais, & leur di t qu'ils y demeuraf-fent jufques à ce qu'il leur ordonnait de retourner avec les Chreftiens Cependant les Caftillans ayant paffé un jour & demy fans revoir les Mexiquains, appré­hendant qu'on ne les euft facrifiez, eftoient dans la refolution de vanger leur mort, de telle forte, que le Roy & les fiens, encore qu'ils fuffent defabufez qu'ils n'eitoient pas immortels , apprendroient combien il importoit de les offenfer.

Mais ils ne tardèrent guère à les revoir fort joyeux, & les Caftillans ne le furent pas moins, & s'enquirent d'eux comme Je tout s'eftoit paffé. Trois heures après le Roy les vint voir tous, accompagné de quarante ou cinquante Seigneurs, & pour pages, dix ou douze jeu­nes garçons, bien équipez, avec une fuitte de plus de vingt mille hommes, portant tous des arcs & des fiéches, avec des guirlandes autour de leur tefte , faifant det-cris comme des gens qui viennent de gagner une ba­taille. Les Caftillans s'imaginant auffi-toft que c'ê-toit leur couftume d'agir ainfi, lors qu'ils vouloient tuer quelques Indiens pour les facrifier à leurs Idoles, fe mirent fur leur garde fans faire femblant de rien ; & l'un d'eux avoit un chien qu'il menoit en laiffe, qui eftoit furieux, & accouftumé à fe jetter fur les In-diens , qui eftoit refolu de le lafcher au cas qu'on les attaquait, Le Roy entra dans la court, où eftoient les Caitillans, leur montrant un vifage qui n'avoit rien de fevere, mais grave. Il portoit un arc en fa main,orné ,de quantité d'émeraudes ençhaffées,& fur les efpaules

Les Caftillans font eftoanez de ne pas voir venir les quatre Mexiquains .

Le Roy va vifi--ter les Caftil-. laas.

Page 245: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I I I . 229 un carquois d'or, tout remply de pierreries, & comme le Soleil dardoit fes rayons fur l'arc & fur le carquois, cela efclatoit beaucoup. Il cheminoit feul, 6c aux deux codez & derrière un peu à l'efcart cheminoient les Seigneurs les plus chéris de fa perfonne. Les Caftil­lans allèrent au devant de luy pour le recevoir, juf­ques à la raye qui leur eftoit prefcrite, & luy firent de grandes révérences avec des vifages qui ne tefmoi-gnoient pas avoir de la crainte. Le Roy fe tira un peu à l'efcart vers l'un des coins de la court , 6c leur fît ap-prefter grande quantité de beftes fauves, tant mor­tes que vives, des lapins, des cailles, & plufieurs au­tres fortes d'oifeaux de chaffe, les uns en v ie , les au­tres morts , qui cauferent beaucoup d'admiration aux Caftillans, parce qu'ils n'avoient point encore vea dans les Indes de tant de fortes de beftes de chaffe. Comme le Roy eftoit toujours fur les pieds, il appella l ' Interprète, & regardant toujours fixement les Caftil­lans , il leur fit une harangue. D'autres difent que pour manifefter fa grandeur, il fit appeller fon Capi­taine General , & que le Capitaine le déclara à l'In­terprè te , ce qui eft plus vray-femblable.

Le contenu de cette Harangue eftoit , qu'il de­mandait pardon aux, Caftillans, de les avoir retenus tant de jours y attribuant la caufe de cela , fur ce qu'il avoit eftè oc­cupe pendant tout ce temps-là dans des feftes & des facrifices qui avoient eftè faits à l'honneur de leurs Dieux, ainfi qu'ils avoient accouftumè de faire tous les ans dans ce mefme mois, et que pour ce qui eftoit du deffein qu'ils avoient de paffer plus outre pour voir la terre de Ciquatian , qu'il ne le per­mettrait pas, parce que fi le cas arrivoit qu'ils fuffent mal­traitez, ou tuez il ne defiroit pas que la caufe luy en fuft attribuée mais que fon defir efroit de les renvoyer à leur Capi­taine auffifains, & en aufft bon eftat qu'il les avoit envoyez ; auquel il les prioit de dire qu'il faifoit beaucoup d'eftime de fa valeur; qu'il le vouloit fervir, & tout ce qu'il luy voudroit commander, & eftre vaffal du Roy de Caftille,puis qu'il eftoit fi puffant que d'envoyer un tel Capitaine, & de tels hommes

D d iij

1522

Le Roy fait u a prefent de chaf­le aux Caftil­lans.

Harangue du Roy aux Cafti l­lans.

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1522

230 H I S T O I R E qui font femblables à des Dieux, fuis qu'eftant fi feu, felon que nous l'avons appris, ils ont en fi pu de temps affujetty l'Empire Mexiquain , qui foffedoit tant de Royaumes & de Provinces. Et d'autant que les Rois fes predeceffeurs avoient accouftumê de ne renvoyer pas des Meffagers qui les venoient vifiterfians les charger de quelques prefens, qu'ils auroient leurs dépefches au premier jour , avec des dons pour eux , & un pre-fient pour leur Capitaine, auquel il baifoit les mains , & le fuplioit de recevoir ce qu'il envoyeroit, pluftoft pour gage & figne d'amitié, que pour la valeur de la chofe, parce que tout fion Royaume eftoit peu pour un homme qui meritoit beaucoup comme luy. Il leur dit encore, que le pluftoft qu'il pour-roit il iroit luy rendre obeïffance, & qu'en attendant il vou­loit envoyer avec eux quelques Seigneurs. Cette Harangue citant achevée, il leur donna toute cette chaffe, & leur d i t , qu'ils la partageaffent entre eux comme bon leur fembleroit. L'on ne peut pas bien exprimer la joye que les Caftillans eurent alors, parce que comme ils n'ef-peroient rien que la mort , ils furent bien eftonner de fe voir l ibres,& fi bien régalez, ainfi il leur fembloit que ce fuft un fonge. Enfin les Caftillans fe voyant traitez de la forte , luy répondirent en peu de paroles, qu'ils baifoient les pieds à fin Alteffe ; de ce qu'il avoit fait paraiftre quel il eftoit en tout, dont ils en feroient un ample récit à leur Capitaine, & dont les Seigneurs qu'il avoit deffein d'envoyer avec eux feroient les véritables tefmoins, lors qu'ils retourneroient avec la rejponfe de leur Ambaffade. En ache­vant ces paroles, le Roy S'en retourna, & commanda que l'on leur donnait bien à mager ; on leur en apporta tant , qu'il y en avoit pour plus de quatre cens hommes. 31 leur envoya dire, Qu'ils fie donnaffent du bon temps,parce qu'au premier jour il leur donneroit leur dépefiche fans faute, & que pour luy, il alloit choifir des Seigneurs de fin Royaume pour les accompagner; & qu'ils feroient porter tous les vivres qui feroient neceffaires pour tout leur voyage, jufques aux por­tes de Mexique, & qu'il leur envoyeroit auffi des chaffeurs pour les entretenir.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. III . 231

C H A P I T R E V I . Le Roy de Mechoacan congédie les Caftillans, & envoyé des

Ambaffadeurs a Cortés.

LE lendemain il parut quantité de Seigneurs, qui conduifoient vingt Indiens, chargez d'eftoffes les

pius eftimées,& vingt lièges de bois,fort bien travaillez, 6c cinq charges de chauffures, dont ils ufent, de cuir de cerf, fort beau, blanc, jaune & rouge ; & cinquante marcs de joyaux, d'argent 6c d'or bas. Tout cela eftant déchargé dans la court , on les pofa fur des nattes fore riches, & fort déliées, que les Indiens appellent Petates. 6c les Efpagnols Efteras , & quantité de couvertures blanches & riches, fur lefquelles ils mirent au milieu de la court quantité de pièces d'argent, d'or bas, & de fin, dont le tout pouvoit monter à cent mille Caftillans. Auffi-toft après arriva le Roy , & par le moyen de fon General , & celuy-cy par un autre Favory, & le Favory par l ' Interprète, dit aux Caftillans, Que les eftoffes & les joyaux qui avoient efté déchargez dans les quatre coins de la court , le Roy leur en faifoit frefent à eux , & que tout ce qui eftoit dans le milieu de la court, ils le donnaffent a leur Capitaine, & luy diffent qu'il le fuplioit qu'il fift encore plus de cas de la bonne volonté, & amour de ce luy qui en-voyoit ce prefent, quoy que de peu de valeur ; & que comme il avoit promis de luy aller baifer les mains en personne , il le fe­rait lors qu'il auroit un peu plus de loifir. Apres qu'il eut dit ces paroles, il fe retira à part avec huit de fes Sei­gneurs de ceux qui eftoient là, & leur commanda d'al­ler vifiter ce grand Capitaine des Chreftiens ; & les mit entre les mains des quatre Caftillans, & des Mexiquains, & leur fît dire ; Qu'encore qu'ils avoient le cœur placé en bon lieu, qu'ils eftoient généreux, & que pour cela il n'eftoit pas befoin de leur recommander ces Seigneurs, qui eftoient les plus affectionnez & favorifez de fa maifon ; que néanmoins pour le refpect qu'ils dévoient rendre à faperfonne, &à celles de ces Seigneurs en fon nom, il leur enchargeoit fur tout de les bien

1522

Le prefent que le Roy envoyé a C o r t é s , & celuy qu'il donne aux Cafti l lans.

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1522. 232 H I S T 0 I R E

traiter, & qu après qu'ils feroient arriverait leur Capitaine eftont , qu'ils le fuppliaffent de fa part de les renvoyer fans leur faire aucun mal ; mais que lors qu'ils defireroient s'en revenir, ils le puffent faire librement y Et que dés l'heure mefme il de-meuroitfon amy, & vaffal du Roy de Caftille -, Et que fi-toft que ces Meffagers fer oient de retour, luy mefme, comme il l'a-voit déjà dit plufieurs fois, ferait ce voyage. Après cela les quatre Caftillans ,avec beaucoup, de refpects & de fourniffions, parce qu'ils ne croyoyent pas encore ce qu'ils voyaient , à caufe de la peur qu'ils avoient euë remplis d'allegreffe, refiondirent: Qu'ils n'eftoient pas fi ingrats , ny fi mèconnoiffans, qu'après avoir receu tant de faveurs dans fa mai fon, & leur avoir donné tant & de fi rares chofes, ils ne confideraffent la qualité de ces Seigneurs , & la grandeur de celuy qui les envoyait , dont ils leur avoient autant d'obligation , que s'ils euffent efté leurs propres frères ; Que fi-toft qu'ils fer oient arriverait lieu ou eftoit leur Capitaine , ils reconnoiftroient bien le bon traitement qu'on leur feront les chofes que l'on leur donnerait , parce que l'honneur des Caftillans n'eftoit pas de recevoir fans le gratifier auffi toft, Que lors qu'ils feroient de retour en fan Palais Royal, ils luy feroient un récit véritable de ce qu'ils auraient reconnu que l'on ne ferait pas demeuré ingrats envers eux ; & que fon Alteffe feroit fort fatisfaite , & contente de les avoir envoyez, & fe repentirait de n'y avoir pas efte. Le Cazouzin dit peu de paroles, mais fort graves, en fe feparant d'avec ces Seigneurs , dont la fubftance eftoit ; le vous fais porteurs de ma parole, & vous donne charge d'aller vifiter ce fils du Soleil) Vous ferez ce meffage avec beaucoup de prudence, & luy ferez entendre ce que fay déjà dit plufieurs fois , que je luy fuis ferviteur & amy, & qu'il me trouvera tel lors qu'il fera neceffaire ; Et vous confidererez fur tout fon procède & bonne réception qu'il fera de vos perfonnes ; afin qu'eftant de retour vous m'en racontiez, les particularitez il fit partir auffi huit cens hommes pour porter les hardes, le bagage, & les v i v r e , lefquels félon leur couftume eftant chargez for-tirent de la maifon Royale l'un après l 'autre, & fai­foient une filongue file , que cela eftoit ennuyant de les voir paffer.

C H A P .

Paroles du Roy de Machoaca aux Seigneurs qu'il envoyoit a Cortés.

Page 249: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, Liv..III. 233

C H A P I T R E V I I .

Les Caftillans fortent de Mechoacan & arrivent à Cuyoacan, d'où Cortés n'avoit bougés

COmme donc les Caftillans furent prcfts de partir, le Roy envoya certains Seigneurs en grande dili­

gence , pour les prier inftamment de luy faire tant de courtoifie que de luy laffer le chien qu'ils avoient, par­ce que c e t animal luy avoit femblé le plus beau qu'il euft jamais v u , & que pour cela il leur donneroit autant d'or & d'argent qu'ils luy en voudroient demandenpar-ce qu'il croyoit qu'un animal fi vaillant & qui venoit avec de fi forts hommes, ne pouvoit qu'il ne fuft propre pour la garde & deffenfe de fa perfonne , & de fa mai-ion, & que pour eux ils n'en manqueroient pas d'autres; parce qu'il fçavoit bien qu'en l'armée de Cortés il y en avoit quantité qui combattoient, & que fur tout on luy octroyaft fa demande , ou qu'autrement il en auroit un grand reffentiment. Cette nouvelle donna bien de la peine aux Caftillans , parce que c'eftoit l'un des bons chiens qu'il y euft ,& qui en ce temps-là n'avoit point de prix ; il eftoit grand , & courageux , fort adroit à la guer re , & fi redouté des Indiens , que fi-toft que l'on l'avoit lafché , encore qu'il y en euft dix mille de, vant luy , il les faifoit fuïr ; outre qu'il eftoit fi actif & fi acharné contr 'eux, que la première chofe qu'il faifoit eftoit de terraffer tous ceux qu'il rencontroit , & après qu'il les avoit écartez, il revenoit auffi-toft fur ceux qui le relevoient , les faififfant tous à la gorge. Ils furent quelque temps à fe refoudre ce qu'ils feroient ; & Pena-lofa a qui il appartenoit faifoit la fourde oreille,& quoy que fes compagnons luy diffent que cela ne fe devoit pas refufer, il difoit qu'il aimoit mieux mourir que de donner fon chien. Mais d'ailleurs appréhendant ce qui peut-eftre fut arrivé fi on ne le donnoit pas , qui eftoit

Ec

1522,

Le Roy de Me-choacan d e ­m a n d e le chieV que les Caftil­lans avoient.

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1522. 234 H I S T O I R E d'eftre facrifiez , comme c'eftoit un homme rai loir-nable il fe laiffa perfuader. Les Seigneurs Mexiquains difoient, que fans doute le Roy croyoit que fes Dieux eftoient en colère contre luy de ce qu'il ne les avoit pas facrifiez ces dernières Fefles , vu qu'ils eftoient leurs plus grands ennemis, & que pour les appaifer il vouloir facrifier le chien; & que fi on ne le luy donnoit, il croyoit qu'ils mourroient tous , & le chien auffi , & que par confequent il valoit mieux que le chien perift qu'eux tous. Penalofa donna donc le chien à fon grand regret , la crainte de la mort ayant plus de force que fon obfti-nation en quelque façon excufable; & comme il ne vou­lut pas répondre en ce rencontre , l'un de fes compa­gnons dit ; qu'encore que cet animal eftoit le meilleur de tous ceux de l'armée il eftoit au fervice du Roy & eux auffi , afin qu'il euft quelque chofe des Caftillans four gage , & qu'il fe fouvint d'eux ; & que s'il defiroit d'eux quelque autre chofe qu'ils euffient, qu'il s'en fiervift qu'ils luy dévoient bien da­vantage ; que quant a ce qu'il difoit qu'il envoyeroit de l'or & de l'argent , qùil leur en avoit affez donné , & qu'ils ne-ftoient pas gens pour vendre un chien a qui ils avoient tant d'obligation. Cependant que l'on euft deftourné le chien, ils fortirent de la court comme s'ils fuffent fortis d'une prifon , s'imaginant qu'ils ne verroient jamais l'heure de fe voir hors de ce lieu , & pour eftre privez de ce chien, ils furent toufiours en crainte dans le chemin ; s'imagi­nant que comme le Roy eftoit defia le maiftre de cet animal, il envoyeroit après eux pour les facrifier. Et ce qui augmenta encore leur apprehenfion , eft qu'ayant fait deux journées de chemin ils apprirent que l'on avoit encore fait des Feftes folemnelles, dans lefquelles par grandes cérémonies ayant demandé pardon à leurs Dieux ils avoient facrifié le chien , & que pourvoir ce facrifice il y eftoit accouru quantité de gens pour voir comment cet animal mourroit, qui eftoit fi furieux , vu qu'il avoit tué tant d'Indiens. Ce furent les Preftres par­ticulièrement qui firent ce facrifice , avec de nouvelles cérémonies, difant au chien, comme s'il les euft enten-

Réponfe des Caftillans au Roy touchant le chien.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i V . I I I . 235 dus ; Tu payeras maintenant par ta mort, celle de plusieurs & la mort de aux que tu tucrois encore ce ,fera, & nos Dieux appaiferont la iufte colère qu'ils avoient contre nous autres four n'avoir pas facrifié les chreftiens que nous avions en no-Jlre pouvoir. Apres qu'ils eurent parlé de la forte, ils r e ­vendirent tout de fon long comme ils faifoient les hom­mes 3 fur le dos, furies degrez du Temple en la pierre piramidale ; Ils luy fendirent le codé du cœur fort adroi­tement , & l'ouvrirent avec un rafoir de caillou ; & l'ayant tiré , ils en frotèrent les faces de leurs Dieux, & firent auffi- tort après une danfe,chantant avec la mefme trifteffe qu'ils faifoient aux hommes qu'ils facrifioient.

Cependant les Caftillans continuèrent leur chemin ; & quoy qu'ils fe voyoient libres de la prifon, ainfi qu'ils eftimoient la Maifon Royale du Roy de Mechoacan, ils eftoient toufiours tellement dans l 'inquiétude, qu'ils ne pouvoient pas bien goutter des délices de la Campagne, & des fervices que les Indiens de Mechoacan leur ren­daient , foupçonnant toufiours que ce n'eftoient que des diffimulations,pour les appeller lors qu'ils y penferoient le moins, ou qu'eftant pris au dépourveu, ces huit Sei­gneurs Mechoacanois les tuaffent en trahifon , parce qu'ils avoient avec eux , outre les Indiens de charge,les huit cens hommes ; c'eft pourquoy ils fe tenoient fur leurs gardes le long du jour , fans s'écarter les uns des autres ; & s'eveilloient de nuit. Mais après tout ils ache­vèrent leur voyage, & arrivèrent enfin à quatre lieues de Cuyoacan, où Cortés effort. Ils luy donnèrent auffi-toff avis de leur arr ivée, dont il receut un tres-graud contentement,. parce qu'il les croyoit morts. Il leur en­voya quatre Cavaliers, avec quelques rafraifehifiemens. Il fe réjouit fort avec les Caflillans & les Mexiquains, Il lit beaucoup d'honneur aux Mechoacanois, il leur fit donner un appartement, où il les fit régaler ; & après qu'il eut receu le prefent, & traitté particulièrement avec Montafio & fes compagnons, ce qu'il leur fembloit de la terre d'où ils venoient,des gens , & comme le Roy les avoit voulu facrifier, qu'il avoit voulu avoir le chien,

E e ij

1522. Ils facrifient le chien dans Me-choacan.

Les Cafti l lans: font toujours en apprehen-fion jufques à arriver auprés de Cortés .

Ils arrivent à Cuyoacan.

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1 5 2 1 . Certes fe met dans un degré de grandeur, pour recevoir les Ambaffa-deurs du Roy de Mechoacan

236 H I S T O I R E & enfin comme le tout s'eftoit paffé ; il fit appeller les Ambaffadeurs ; & pour reprefenter une authorité con­venable & equipolente à celle du Roy de Mechoacan & qui fervift d'épouvante à ces nations, il fe veftit d'u­ne longue veux de velours ; & s'affît dans une chaire à doffier,& ordonna que dans la fale où il feroit, tous les Caftillans fuffent de bout. Auffi-toft après entrèrent les Ambaffadeurs de Cazouzin, deux à deux ; à l'entrée de la fale ils firent de grandes foumiffions, & dans le milieu auffi, & lors qu'ils arrivèrent jufques où eftoit Cortés,il fe leva devant eux , & les embraffa de bonne grâce l'un après l 'autre, & lors qu'il fe fut remis dans fon fiege , le plus ancien d'entr'eux félon leur mode fit une certaine cérémonie , & tous les autres à fon imitation, & dit ; Que le grand Roy de Mechoacan luy baifoit les mains, & difoit qu'à caufe de la grande réputation de fes faits merveilleux, qui voloit par tout ce nouveau monde , il n'y avoit chofe qu'il defiraft avec tant de paffion que de le voir , & qu'il eftoit tout épouvante que par fi peu de Chreftiens qu'il avait avec luy, il euft fubjugué la plus forte ville du monde,& dont les habitans eftoient fi fuperbes qutl leur fembloit que toute la puiffance de leurs Dieux ri eftoit pas capable de les humilier ; D'où il eft ar­rivé que pour n'avoir point eu de contradiction qu'avec leur Roy, ils avoient ainfi agrandi leur Empire, jufques à s'eften-dre en de certains endroits plus de trois cent lieues ; qu'il fe-roit en forte de le venir voir le plutoft qu'il pourront , pour luy bai fer les mains, & luy offrir fa perfonne, fon Royaume , & fes amis qu'il avoit en quantité, & de très bons ; Et que de la communication & amitié qu'ils contracteroient enfemble, il en refuiteroit de luy faire entendre ce qu'il vouloit luy dire tou­chant la Religion. Et parce qu'il pourroit apprendre plus par­ticulièrement & plus à loifir des Chreftiens qu'il avoit envoyez, l'amour & la bonne volonté qu'il avoit pour luy, ils n'avoient plus rien à dire, finon de le fuplier qu'il fiftréponfe, qu'il leur baillaft leurs dépefches lors qu'il le jugeroit à propos. Cortés agréa fort leur venue , & leur dit, Qu'ils fe donnaient du repos , & qu'il fe rèjoüiffoit fort que des gens confiderables comme ils eftoient, & ferviteurs d'un figrand Prince le fuffent

Compliment que les Ambaf fadeurs luy font

Page 253: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES,LIV. III 237 venus voir pour eftre fatisfaits d'une partie des grandes obliga­tions qu'il luy avoit , du bon traitement qu'il avoit fait aux Caftillans , & pour le prefent qu'il luy envoyoit ; que pour ce fujet il les prioit , qu'encore qu'ils s'en pourroient retourner quand bon leur fembleroit, qu'il fouhaitoit qu'ils fe donnaf-fent un peu de repos pendant quelques jours , pour voir à loifir la digpofition de fon armée, les armes , les chevaux , & faire exercice à fes foldats ; & que pour le rejle il défiroit paffion-nement voir en perfonne un fi grand Seigneur, qui s'eftoit défi fendu fi fortement centre & Empire Mexiquain ; Que quant à leur arrivée il n'y devoit point avoir de regret , parce qu'il fçauroit & entendroit des chofes qui luy fer oient utiles , & à luy & à tout fon Royaume ; Que pour ce qui eftoit de ce qu'il s'offroit pour amy & vaffal du Roy de Caftille, il faifoit plus qu'il ne penfoit , parce que par cette voye il fe rendroit plus puiffant Seigneur qu'il n'avoit jamais efté ; & que pour preuve de cette amitié, ainfi qu'il difoit, il luy vouloit envoyer quel ques jolivetez de Çaftille, & qui pour n'eftre pas riches a l'é­gard de fa grandeur, elles ne laifferoientpas de luy donner du contentement a caufe de leur rareté. il fit auffi toft faire une efcarmouche à fa cavalerie, & une autre à l'Infanterie, & tirerquelques coups de canon 6c d'efcoupetes, qui fut une chofe bien furprenante pour ces Seigneurs, qui les regardoient avec une grande attention 6c admiration. Apres qu'ils eurent receu le prefent que Cortés en-voyoit,il les congédia, & les fit conduire par quelques Caftillans, fort fatisfaits de leur Ambaffade.

C H A P I T R E V I I I ,

Le Roy de Mechoacan envoyé fon frère vifiter Cortés, & y vint puis après luy-mefme.

A Près que Cortés eut renvoyé les Ambaffadeurs cy-deffus , avec lefquels il envoya deux Caftillans

pour prendre langue de cette partie de la mer du Sud, qui eft au Ponant de Mexique ; il refolut de donner une

E e iij

1522,

Les Ambaffa-deurs s'en re­tournent.

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1522 Cortes recom penfe ceux qui a voient efté a Mechoacan.

238 H I S T O I R E bonne recompenfe à l'Interprète qui avoit efté à Me­choacan ; il le fit Gouverneur & Cacique de la peupla­de de JCocotitlan, à caufe de la fidélité & de la verité avec Lef quelles il avoit agy en ce rencontre ; & recom­penfe auffi les autres félon qu'il le jugea à propos. Ces Ambaffadeurs eftant arrivez à Mechoacan,dirent à leur Roy , tant, & de fi grandes merveilles à la louange de Cortés , que cela luy donna beaucoup d'admiration. Il leur demanda fort particulièrement & par le menu tout ce qu'ils avoient vu , & comme ils n'y eftoient pas allez à autre intention, ils luy en firent donc une auffi ample narration, que s'ils euffent elle plufieurs mois avec les Çaftillans ; d'où il nafquit une telle envie, qu'il voulue incontinent après aller voir Cortés, fi ceux de fon Con-feil ne l'en detournoient. Et fur cela ayant fait quel­ques facrifices afin que fon voyage fuir, agréé des Dieux ; le Confeil ayant opiné là deffus , trouva à propos qu'il y envoyait, un n'en frère, nommé Vchuhilzi , qui avoit accompagné Cortés à la bataille de Honduras. Le Roy fuivit ce confeil, & y envoya avec fon frère plus de mil­le perfonnes de fervice , & quantité de Seigneurs qui avoient encor plus de mille perfonnes pour leur fervi­ce. Il luy donna pour prefenter à Cortés quantité de hardes de plumes & de cotton, cinq mille poids d'or bas, mille marcs d'argent meflé avec du cuivre, toutes piè­ces de cabinet avec des joyaux. Il luy enchargea de prendre garde exactement fi tout ce que l'on difoit de Cortés eftoit véritable, ainfi que fes Ambaffadeurs luy avoient raconté ; & s'il eftoit véritable auffi que l'Empi­re Mexiquain fuit entièrement ruiné , & de quelle fa­çon il fe gouvernoit alors. Ce frere du Roy eftoit vail­lant & prudent tout enfemble ; & comme il avoit grande envie de voir un homme fi remply de mérites comme Cortés, il fit le plus de diligence qu'il put pour partir. Cortés ayant eu avis qu'il eftoit en chemin, envoya au devant de luy quelques Cavaliers , avec l'Interprète pour le recevoir & le féliciter de fa venue. Lors qu'il fçeut qu'il entroit dans, fon Palais, il fortit au devant & 0

l e Roy de Me­choacan enr voye fon frère pour.vifiter Gor-tés avec un pre-fent.

Cortér fort pour le rece-voit.

Page 255: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, Liv. III. 239 luy pour le recevoir, dans la première fale, il l'embraffa & luy fit de grandes careffes , & le prenant par la main, le fit affcoir auprès de luy , & luy fit apporter a manger. Il trouva du gouft. au vin d'Efpagne, & au milieu du re­pas Cortés luy dit par le moyen de l'Interprète ; Qu'en­core qu'il defiraft paffionnément de voir le Roy , il fe réjouiffoit fort neant moins de fa venue , puis qu'il eftoit fon frere, & qu'il avoit grande connoiffance de fa valeur , & combien il avoit fait parler de luy à la guerre , particulièrement contre les Me­xiquains. Vchichilzi fut fort aile d'entendre parler Cor­tes de la forte , & l'agréa par des demionftrations & des paroles, difant , qu'il n'y avoit point d' homme qui peuft prendre le titre de vaillant la où il eftoit ; mais que luy & tous ceux qui l'accompagnaient le fervinient toutes les fois qu'il le commanderoit. Mais qu'avant toutes chofes il le fupplioit, de vouloir écouter ce qu'il venoit luy dire de la part de fon frère & Seigneur, il le pria premièrement par grande courtoifie de vouloir recevoir le prefent qu'il avoit apporté ; que plufieurs jours s'eftoient ècoulez depuis que fies Caftillans eftoient allez, à Mechoacan, que fon frère & luy avaient deffein de le voir, & de luy parler, à caufe des grandes victoires qu'il avoit gag­nées avec les fiens, dont la réputation volait par tout ; & que fon frerey fuft défia venu ,fi de certaines occupations qu'il avoit dans fin Royaume ne l'en euffent détourné. Mais que filon ce qu'il en avoit appris , il devoit bien-toft arriver, & qu'il l'aff-feuroit qu'il eftoit tellement fon ferviteur, & bon amy, qu'en ce qui fie pourroit prefenter les Tlafcalteques dont il avoit éprou­vé la bonne volonté & la fidélité,n'auroient point d'avantage fur luy ; Et qu'il luy avoit dit auffi qu'il eftoit tellement fatis-fait de luy, qu'il ne luy pourroit pas faire une plus grande cour-toifie que de l'employer a quelque chofe ou il peuft luy rendre firvice ; parce qu'outre ceux de fia nation il y en a beaucoup qui le fierviroient d'auffi grand cœur comme les Capitaines Tlafical-teques. Et parce que les Ambaffadeurs que fon frère luy avoit envoyez avoient raconté d'étranges chofes des armes , & de la forme & manière de combattre des Caftillans, il luy feroit une grande courtoifie , de luy faire voir ta mefme chofe, & ces grands canos avec lefquels il avoit batu cette grande Ville de

Ee iij

1 5 2 2 ,

Paroles de Cor­tés au frère Roy.

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1522.

240 H I S T O I R E Mexique , & far le moyen des barques,

Cortés qui ne demandoit pas mieux, après luy avoir fait entendre par de belles paroles combien il eftimoit fa curiofité,luy dit , que le lendemain après qu'il fe feroit donné du repos il luy feroit voir tout ce qu'il fouhaitoit, & cependant il ordonna à fes gens de fe tenir prefts pour faire exercice & reprefenter une manière de combat tant de Cavalerie que d'Infanterie, & que l'on prépa­rait auffi l'artillerie. Le lendemain l'armée eftantenbon ordre, il fît faire une décharge ; en fuite dequoy il fepa-ra l'armée en deux bandes, puis l'Infanterie ayant fait une autre décharge, il en fit un efcadron, & le fit cho­quer contre la Cavalerie, & fit tirer tout d'un temps l'ar­tillerie. Cet exercice eftant achevée, Cortés prift fon hofte avec luy, & entrèrent tous deux dans un Cano, bien équipé, & couvert, accompagné de plufieurs Sei­gneurs qui eftoient dans d'autres canos, & allèrent à Mexique, où il luy fit voir les ruines de cette grande Ville, qu'il avoit veuë autrefois très-floriffante,laquel­le luy parut alors un miferable fpectacle 6c digne de compaffion, dont il eut le cœur fort touché. Ils allèrent enfuite voir les brigantins, où Cortés commanda que l'on en équipaft un , dans lequel entrèrent quarante ou cinquante hommes, qui voguèrent un efpace de temps. Cependant l'Indien confideroit toutes ces chofes avec grande attention , & dont il eftoit ravy. Apres qu'ils fu­rent de retours Cuyoacan, il refolut de s'en retourner à Mechoacan , de forte qu'ayant receu les prefens que Cortés luy bailla, avec le bon traittement qu'il luy fit, 6c quantité de civilitez, il s'en alla fort fatisfait. Eftant de retour chez luy il fit au Roy un ample récit de tout ce qu'il avoit vu , & luy conta tant de chofes des Caftillans, de leur valeur , & de la courtoifie qu'il avoit receu d'eux , qu'il refolut d'aller voir toutes ces merveilles à fon tour , & fit apprefter de grands prefens pour Cortés. L'on tient que deux chofes le portèrent à faire ce voyage ; l'une , la nouveauté d'une chofe fi étrange , de voir un fi grand Empire

defolé

Cortés mène le ftere du Roy à Mexique.

Le frère du Roy s'en retourne à Mechoacan.

Le R o y de Me­choacan refout de venir voir Cortés.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. III , 241 defolé par des hommes, qui pour eftre en fi petit nom­bre , la choie paroiffoit encore plus miraculeufe ; & pour traiter de paix avec eux pour mieux maintenir Tes Eftats, & s'il eitoit poffible , pour eftendre fes limi­tes plus avant , s'imaginant acquérir de l'honneur par cette voye. L'autre , pour luy fembler qu'il triom-phoit d'un Royaume, avec lequel il avoit eu une hai­ne morte l le , en fe réjoüiffant de la voir ainfi affujet-tie & ru inée , & fa Ville capitale qui auparavant eftoit fi floriflante , qu'elle eftoit la terreur & l'efpouvante de toutes les Nations des environs.

Enfin Tangajuan, & pour furnom Bimbicha , Roy de Mechoacan partit , en grande Majefté, en envoyant tous les jours du lieu où il logeoit, des Meffagers à Cortés, pour luy donner avis de fa venue, & des lieux où il s'arreftoit, avec de grands compliments. Comme il approcha de l 'Armée des Caftillans , Cortcs fortit au devant de luy pour le recevoir avec toute la N o -bleife Caftillane , bien équipée, & en bon ordre , avec la Mufique, parce qu'il avoit apris que le Roy menoit la fienne, & allèrent jufqu'à une demie lieue. L'en-treveuëde ces deux grands perfonnages fut une chofe merveilleufe à voir, à caufe de la jonction des deux Mufiques, qui ne cefferent point jufques à ce que le Roy & Cortés furent enfemble. Alors le filence avant efté impofé, comme s'il n'y euft eu perfonne dans le Camp, le Roy s'humilia beaucoup devant Cortés , le­quel l'embraifa d'un grand amour & révérence, & luy dit par fon Interprète ; Tres-vaittant & tres-redouté Sei­gneur, Capitaine & Chef des vaillans, & courageux Sei­gneur ; envoyé par le plus grand Seigneur dont j'aye jamais oüy parler ; le te fuplie autant qu'il fe peut, que tu exeufes mon retardement, de n'eftre pas venu fi toft que je te l'avois pro­mis ; parce que plufieurs fois ainfi qu'il t'eft pû arriver, les hommes principalement ceux qui ont la charge des gouverne-mens, penfent d'une façon, & font fouvent le contraire de ce qu'ils penfent. Je viens exprés pour te rendre fervice, & pour eftre vaffal, comme tu l'es ; du Roy de Çaftille ton sei-

Ff

1 5 2 2 ,

Cortés fort au devant du Roy pour le rece­voir.

Harangues du Roy ,à Cortes.

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1522.

1 4 2 H I S T O I R E gneur ; c'eft pourquoy tu me peux commander d'orefnavant en tout ce qui fe prefentera qui touchera le fervice de ce grand Prince. Et d'autant que les offres que je te fais , fe doi-vent témoigner par les œuvres , tu recevras aujourd'huy de certains prefens d'or, d'argent, de joyaux, & d'autres chofes qui croiffent dans mon Royaume , afin que tu fçache qu'en t'offrant ma perfonne, eft la mefme chofe que de te fer­vir de mon bien. Cortés ravy de ces paroles , & de leur exécution, car Je fujet le requeroit, l'embraffa dere­chef, & luy repartit ; qu'il ne s'eftonnoit pas de ce qu'il ne l'eftoit pas venu pluftoft voir, quoy qu'il s'y eftoit engagé de parole , pour la raifon qu'il difoit, qui eftoit tres-jufie, ainfi qu'il arrivoit à tous momens , mais que cela ne l'avoit pas deû mettre en peine ; & que quant à luy il eftoit telle­ment réjoüy fatisfait de fa venuë, qu'il le prioit de ne luy point faire ces exeufes qu'il luy baifioit les mains, & l'efti-moit beaucoup , tant pour fies offres , que pour les effets & que le Roy fon Seigneur luy feroit de grandes courtoifies, & que par la communication qu'ils auraient cy-aprés, il re-connoiftroit bien-toft le bien qu'à luy & d fon Royaume il en refulteroity en fe defabufant des grandes erreurs par lefquel les il y avoit fi long-temps que le Démon le tenoit engagé. En s'entretenant ainfi de difcours l'un l 'autre , ils re-tournèrent vers les appartemens de Cuyoacan , tous deux fort contents ; Cortes le logea du mieux qu'il pût ; il luy fit la meilleure chère des chofes que cette terre produifoit, & commanda aux principaux Sei­gneurs & gens de condition de fon Armée de donner toutes les fatisfactions & contentemens aux Seigneurs & parens du Roy qu'il avoit amenez avec luy, afin que tous par le bon traitement qu'ils recevroient, euffent d e l'affection pour la converfation & amitié des Caftillans. Or ces Seigneurs eftoient félon leur mode richement veftus, ornez de riches joyaux & de penna-chesj mais le Roy n'eftoit veftu que de fimples habits, & fort modeftes, pour mieux faire paroiftre devant Cortés fon humilité & obeïffance ; d'où les Mexiquains ayant pris fujet, de fe moquer de luy en le voyant,

Cortés fait ré-galer fes hoftes.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I I . 243 eftant Comme il l'avoit toujours efté leur ennemy ca­pital , de le voir venir en leur terre , ce qu'ils ne fe fuffent jamais imaginé, l'appelleront Cazouzin, qui fignifie Alpargate viejo en Efpagnol , & en François vieux foulier de corde , & ce nom luy demeura tou­jours depuis, & les Caftillans ne l'appellerent jamais autrement. Il mangeoit avec Cortés , & quelques-uns de fes principaux Seigneurs, & tous eftoient ravis de manger des viandes accommodées à la Caftillane, & affectionnoient encore davantage le vin, & ils y font tous tellement afpres, que l'on eft contraint d'y ap­porter une fe vérité de crainte qu'ils ne s'enyvrent. Cortés commanda que l'on fift devant le R o y , com­me l'on avoit fait devant fon frère, c'eft à dire l 'exer­cice des foldats, cependant qu'il fejourna là ; il fit ef-carmoucher les gens de pied contre ceux de cheval , avec quelques falves d'artillerie & d'efcoupeterie, qui ne luy donnèrent pas moins d'efpouvante qu'à fon frère.-Toutes ces réjouiffances eftant achevées, eftant fort-content & fatisfait des fervices & des bons traitemens que Cortés luy avoir faits, & que le mefme Cortés eut agréé les prefens qu'il luy donna, il s'en retourna à fa ville de Mechoacan ; après eftre premièrement de­meuré d'accord que toutes fois & quantes que Cortés y voudrait envoyer des Caftillans, ils y feroient tres-bien receus , parce que Cortés par fon aftuce & par fon induftrie procuroit toujours d'agrandir cétEftat.

C H A P I T R E I X . .

Des qualitez de la terre du Royaume de Mechoacan,

MECHOACAN eft finie entre les limites de l'Empire Mexiquain, & ceux du détroit que

l'Audience de la Nouvelle Galice tient à prefent, & s'eftend bien avant du cofté des Chichimeques, ainfi appeliez en langue Mexiquaine, dans laquelle eftoit'

Ff ij

1522.

Le Roy de M e ­choacan , pour-quoy appelle Cazouzin,

Les confins de Royaume de Mechoacan

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1522.

2 4 4 H I S T O I R E compris Mechoacan, qui veut d i re , terre abondante en poiffon. Le Roy faifoit fa refidence dans Ziuzout-za, qui fignifie lieu remply d'oyfeaux Ziutzones, qui font ceux qui portent la plume de différentes couleurs, dont l'on fait les riches tapis & couvertures, & d'au­tres rares ouvrages, & maintenant des images. l'Egli-fe Cathédrale & fiege Epifcopal de Mechoacan , dont l'Evefque eftoit Dom Vofco de Quivoga, n'y fut pas long temps, il fut transféré à Puzquaro,qui veut dire en langue Mexiquaine lieu où l'on teint , &c en Tara-fcofatztza, qui eft la mefme chofe. Ce lieu eft diftant de lieues de Mexique. Sa hauteur 6c efleva-tion du Pole eft au 19 degré dix minutes. 11 n'eft efloi-gné d'un lac que d'un quart de lieuë, que l'on tient eftre plus grand que celuy de Mexique , où il y a quan­tité de cauos,dont il y en a quelques-uns qui font fort grands , parce qu'il s'y efleve fouvent des vagues ef-pouvantables, auffi bien que fur la mer. Il s'y prend quantité de poiffon de différente forte, & entre autres d'une efpece qui eft fort petite , qu'ils fechent au Soleil, dont ils tirent un grand profit, parce que l'on y envient chercher de plufieurs endroits. Guayaugareo, appelle Valladolid, où ils pafferent le fiege Epifcopal, eft à fept lieues de Puzcuaro, & de Mexique & à 25 de Guadalajara, qui eft un grand chemin Royal, & eft la capitale du Royaume , où il y a plufieurs Provinces, & quelques peuplades de Caftillans, qui font Zamora, à 13. lieues de Puzcuaro ; le bourg de Lagos , à 30. lieues de Valladolid, le bourg de San-Miguel, à 4 0 . lieues de Mexique du cofté du Ponant, & San-Felipe à 1 4 . lieues plus avant que Valladolid ; la Conception de Salaya à 8. lieues de San-Miguel, qui eft efloignée de 35 lieues de Mexique , 6c de 17. de Valladolid ; Léon eft à plus de 6 0 . lieues de Mexique, 6c de 24 de Valladolid, dans lequel détroit il y a de gran­des veines de métaux, & particulièrement d'argent. Ces quatre dernières peuplades furent bafties, à caufe de la guerre des chichimaques, pour la deffenfe de la

Lac de Mechoa­can plus grand que celuy de Mexique.

Peuplades de Caftilans dans le Royaume de Mechoacan.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv.III . 245 frontière. Les mines de Guanaxoato, font à 18. lieues de Valladolid, en tirant vers le N o r t , où il y a d'ordi­naire fix cens Caftillans, avec un Lieutenant pour le Roy de Caftille. Les mines de Talpujagua en font à quinze lieues. Outre ces peuplades, il y a encore plus de trente hameaux de Caftillans, ou ils nourriffent des troupeaux, & il y a auffi quelques engins à fucre.

L'on parle dans ce Royaume de quatre fortes de langage , le Chichimeque , l'otomie , parce qu'il y a grand nombre de gens de cette génération ; le Mexi-quain & le Tarafia, qui eft fon langage originaire, le plus commun 6c le plus poly ; ce furent les Caftillans qui luy donnèrent ce nom , parce que lors qu'ils entrè­rent dans ce Royaume les principaux Indiens leur donnèrent leurs filles en mariage, & Tarafcue eft au­tant comme qui diroit gendre , d'où l'on a appelle ce l ieu, la terre de los Tarafcos , à caufe dequoy l'on dit, la lengua de Tarafca. Le climat eft différent de ceux des autres Provinces, les unes font froides, les autres plus tempérées, & d'autres font plus chaudes. Mais elles font toutes fort faines, & l'air y eft fi bon que l'on y vient de quantité d'endroits pour s'y faire penfer de plufieurs fortes de maladies. Il y a abondance de lacs, de rivières ; & de fontaines d'eau douce, dé l iée , claire & falubre qui engraiffe les troupeaux. Il y a auffi des fontaines & des bains chauds, les uns plus, les autres moins ; fi bien qu'à caufe de cette bonne température la terre y eft fort fertile 5 6c il y a de grandes campagnes pour la nourriture des troupeaux de toutes fortes, des bois fort touffus, & de tres-hauts arbres. La terre y eft fort abondante de toute forte de vivres, & mefme de b led , d 'orge, & de toute forte de femences & le­gumes de Caftille ; de telle forte qu'il efcheut à Fran­çois de Terrazas de recueillir trois cens feptiers de bled de quatre qu'il avoit femées. Il n'y manque rien de tout ce que l'on y a pu porter de Caftille, de toute forte d'arbres fruictiers, de légumes & herbes pota­gères , & les raifins y font excellens. Les Caftillans y

F f iij

1522.

Fertilité de la terre de Me-choacan.

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1522.

Des animaux quy naiffent.

Des Tygres.

246 H I S T O I R E

ont planté des meuriers , à caufe dequoy l'on y fait force foye. Il y a de l'anil on paftel qui fert à teindre ; un certain fruit comme du carrouge ou carrobe pour faire du tan,ou fumac, & de l'herbe pour faire le verre.

Du collé qui confine avec les Chichimeques, dont nous parlerons cy-aprés, il y croift de la graine d'ef-carlate, les beftiaux, grands 6c petits, s'y eflevent en-grand nombre. Il y naift auffi des chevaux, dont les Indiens fe fervent à prefent pour charier, & quitter cette barbare couftume d'eftre chargez comme des beftes. Il y a quantité de Chèvres, des Porcs de Ca­mille, dont la plufpart vont par troupes dans les bois y comme des beftes fauvages. Les poules & les pigeons y ont auffi beaucoup produit, & il y en a une infinité dans les Provinces du Royaume de Mechoacan. Il y a force Lyons, & des Loups qui mangent les troupeaux, , que les Caftillans appellent Adibes. Les Tygres qui font amorcez à dévorer des hommes, les efpient, & en entraifnent quelques fois ; mais les Caffillans les ont bien diminuez avec les arbaleftes 6c les arquebufes. Les Efcurieux font grand tort aux maifons, qui eft un mal fans remède, car ils creufent les fondemens, & les ruinent ; les Renards les empuantiffent de leur urine, dont la puanteur dure quarante jours, 6c gafte les har-des où elle tombe, qui ne font plus d'honneur après, ny de profit. Les Auras, dont la naiffance eft incon­nue , font certains oyfeaux comme des poules noires ; ils n'ont point de plumes à la tefte, & le col extrême­ment laid 5 ils volent fort h a u t , & ne mangent que des charognes , qu'ils aperçoivent de loing. Il y a encore quantité d'oyfeaux de diverfes efpeces, qui fe retirent des derniers vers le Nor t , & reviennent dans leur temps. Il y a des Hibous, des Chats-huans, des Aigles, des Faulcons, des Autours, des Milans, des Gerfauts, des Efperviers, & plufieurs autres oyfeaux de rapine ou de proye. Il y a auffi des Vipères, des Couleuvres, des Scorpions, & autres infeétes venimeu-fes } mais non pas tant qu'en d'autres lieux. 11 y a des

Des oyfeaux appeliez AURAs

Des infectes, & autres animaux.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv.III 247 Porcs de la te r re , & en quantité , qui font leur retraite dans les bois, 6c des Léopards, & de ceux que l ' o n dit qui forment la pierre de Bezoüar. Il y a des Lièvres, des Lapins, des Perdrix, des Faifans , des Tourterelles, & autres femblables oyféaux ; & d'autres qui font pro­pres pour mettre dans des cages, & qui chantent melo-dieuiement.

Les Mechoacans de condition, fe veftent comme les Mexiquains , & il y en a quelques uns qui portent de longues veftes, & portent une cafaque pardeffus ; & portoient t o u s des efcarpins de peau de venaifon avant que les Caftillans y allaflent. Les gens du com­mun alloient tous nuds, en couvrant feulement leurs parties de quelque pièce de toile affez groffiere ; mais maintenant ils font tous veftus de cotton & de laine de Caftille , & portent des chapeaux. Dans plufieurs Provinces de ce Royaume , & particulièrement en celle-là, les hommes & les femmes tiennent à s gloire de fçavoir parler la langue Caftillane. Ils ont apris ; O u t r e cela beaucoup de chofes des Caftillans, tant pour la police que pour la civilité & pour le travail, à caufe de la fineffe des bois de brefil, & autres, dont il y a de bons Charpentiers & Menuifiers, qui font des boiftes, des efcritoires, des tables, des cabinets, & au­tres chofes femblables qui font allez rares. Il y a de bons Peintres,des Tailleurs, des Cordonniers, & de tres-bons Serruriers,& qui font d'une grande mine de cuivre qu'ils purifient, quantité d'auffi bons ouvrages que les meil­leurs chaudronniers du monde. Ils s'en fervent mef-me pour cultiver la terre faute de fer , parce qu'il cou­pe comme de l'acier. Ils fe font adonnez a u f f i à nour­rir des vers à foye, à planter des arbres fruitiers, & des marais pour avoir de toutes fortes d'herbes pota­gères tout ainfi qu'en Caftille. Ils eflevent des Brebis pour en avoir la laine, des Chevaux , des Vaches 6c autres animaux. Ils affectionnent auffi les Chiens, parce qu'ils gardent leurs maifons ; mais comme ils leur donnoient fort peu à manger, ils devenoient fort

1522

Des habits des Mechoacane-ques-

Ils apprennent la police Cafti-lane.

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1521.

2 4 8 H I S T O I R E maigres, & cela leur donnoit fujet d'aller dans les bois, où ils mangeoient les troupeaux, & n'en bougeoient, fi bien que comme ils pullulent beaucoup, il y a quantité de belles fauvages qu'ils appellent Matrones . D u temps de leur gentilité ils eftoient plus fains qu'ils ne font, parce qu'ils mangeoient moins, mais s'amufoient à boire & à s'enyvrer ; d'où les Rois 6c les Caciques les emmenoient & les appliquoient dans de perpétuels exercices. Mais maintenant on a bien de la peine à les empefcher de fe bagner, parce que cela leur donne des maux de coffé, & les fait mourir ; & lors qu'ils fentent la fièvre , ils fe dépouillent auffi-toft, & fe vont jetter dans de l'eau froide ; fi bien qu'il en guarit fort peu. Ils ont plufieurs fortes d'herbes & de racines dont ils fe gua-riffent, qui ont une grande ver tu , 6c qui font approu­vées. Il y en a d'autres qui font venimeufes ; Il y en a d'une forte qui reffemble au l ierre, qui naift fur les bords des rivières, & en piffant deffus, elle fait enfler les parties honteufes.

C H A P I T R E X .

Continuation des raretez du Royaume de Mechoacan.

LE s Indiens de ce Royaume , principalement ceux de Tarafco font vaillants, & perdoient rarement

une bataille du temps de leur gentilité. Leur Roy tenoit fes garnifons fur les frontières pour empefcher les courfes des Mexiquains, des Xalifcos, des colimas, & des Matalzingos, & ils ufoient des mefmes armes que les autres. Ils cheminoient tout nuds , & s'oi-gnoient le corps de rouge, de jaune , & de noir , & portoient des plaftrons de Maguey , qui eftoient très-forts ; & tout leur plus grand entretien eftoit de pren­dre des captifs pour les facrifîer. Ils menoient avec eux des concerts de Mufique, des cornets-à-bouquin, des trompettes, & autres chofes femblables. Leurs

Enfeignes

Ils eftoient plus fains du temps de leur genti l i­té , & p o u r ­q u o i

D e leurs herbes & racines m é ­dicinales,

Les Mechoaca-neques eftoient vaillans à la guerre.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L iv . I I I . 249 Enfeignes eftoient faites de plumes de piufieurs cou­leurs avec beaucoup d'artifice. L'on donnoit des re-compenfes à c e u x qui fe fignaloient dans les batailles, foit de Capitaine o u autres charges. Le Roy leur fai-foit payer tel tribut qu'il vouloit, jufques à prendre leurs femmes & leurs enfans, fi bon luy fembloit, de forte qu'ils eftoient pire que des efclaves, & vivoient dans une terrible fervitude. Mais outre tout cela ils eftoient encore fujets aux Seigneurs, qui avoient vingt femmes plus o u moins ; lefquels en donnoient une au

«premier Capitaine qui fe fignaloit à la guerre pour re-compenfe , qui n'eftoit pas un petit honneur entre e u x .

Dans leurs mitotes o u danfes, ils beuvoient de telle forte de leur vin de Mayz, & autre breuvage, qu'ils tomboient tout yvres , mais aux jeunes gens cette boiffon leur eftoit interdite. Maintenant ils boivent un peu trop de celuy de Caftille,, & d'une autre forte qu'ils font avec des cerifes, & de nos figues ; & s'en enyvrent le plus fouvent, tant ils font adonez à ce vice,quoy qu'il leur coufte allez cher. Mais du temps de leur gentilité lors qu'ils eftoient yvres, ils commet-toient mille péchez abominables de la chair, quoy que cela ne demeurait, impuny lors qu'ils en eftoient ac-eufez. Ils joüoient au jeu de la baie, comme ceux J e Mexique ; Pour ce qui eftoit de leur Religion, ils fe conformoient auffi aux Mexiquains, & eftoient auffi cruels pour refpandre le lang dans leurs facrifices, & le mefme Démon les decevoit également. Leur Dieu principal eftoit Tucapacha ; ils le tenoient pour Autheur de toutes chofes ; & tenoient qu'il donnoit la vie & la mor t , les biens & les maux temporels. Ils le recla-moient dans leurs afflictions, & regardant le Cie l , ils s'imaginoient qu'il y eftoit. Mais enfin, ils confeffoient un Dieu, un Iugement dernier , un Ciel , un Enfer, que la fin du monde devoit un jour arriver ; Que Dieu avoit fait un homme & une femme de t e r r e , & que s'eftant allé baigner, ils perdirent leur forme dans

Gg

1 5 2 2 .

Des tributs que les Rois voient,

Les Mechoaca-neques grands yvrognes,

Tucapaena le plus grand Dieu de Me, choacan.

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1522.

250 H I S T O I R E l'eau ; mais que ce mefme Dieu les ayant refaits d e cendre & de certains mettaux, & qu'eftant retournez fe baigner, le monde eftoit defcendu d'eux ; Qu'il y avoit eu un deluge , & qu'un Indien appelle Tezpi, qui eftoit Preftre, s'eftant mis avec fa femme & fes enfans dans une façon de coffre de bois fort g rand , avec des animaux, & des femences, ils efchaperent tous ; Que les eaux s'eftant retirées, il avoit envoyé l'oyfeau appelle Aura , qui s'amufa à manger des cha­rognes , & ne revint point ; & qu'ayant envoyé d'autres oyfeaux, ils ne revinrent pas non plus , excepté le plus pet i t , qui fut le plus eftimé à caufe des plumes qu'il porte qui font de diverfes couleurs, qui apporta une branche d'arbre. Ils avoient des Preftres qui prefchoient dans les Temples, & qui les efpouvantoient terriblement, & qui donnoient de grandes apprehen-fions aux hommes, & ces appréhenfions les forçoient comme par contrainte de faire ce qu'ils prefchoient, quoy que contre leur volonté , & ils commençoient déjà à les avoir en horreur à caufe de cela, & n'en-tcndoient leurs prédications qu'à contre-cœur ; mais ils ne s'en pouvoient exempter, parce que le Roy les gageoit pour cela. Ces Preftres portoient de longs cheveux, & des couronnes ouvertes à la tefte , com­me ceux de l'Eglife Romaine , & des guirlandes où pendoient des houpes rouges. Le Roy avoit dans cha­que place un Gouverneur , ou Capitaine , pour faire prendre le larron, l 'homicide, ou celuy qui commet-toit quelque autre cr ime, & qu'ayant fait informer du cas , par des tefmoins, & le criminel eftant déclaré coupable, il fenvoyaft prifonnier avec la relation du fait , le Roy le faifoit chaftier. S'il avoit pris une femme par force & qu'il l'euft violée , on luy rafcloit la bouche jufques aux oreilles prefque, avec un ra-foir de caillou , & puis après ils l'empaloient. Le pre-mier larcin fe pardonnoit au larron, mais on luy fai­foit une grande réprimande. Pour le fécond ils le pre-apitoient du haut d'une roche en bas, & faifoient

D e la croyance des Mechoaca-lîe^ues.

C o m m e leurs Preftres eftoiet veftus.

De l'admini-ftration de la Justice.

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DES INDES OCCIDENTALES, L i v . I I I . 251 manger fon corps aux Auras, II n'y avoit point de chaftiment pour l'homicide, parce qu'il s'en commet-toit rarement. Les principaux Miniftres de la Iuftice portoient de gros ballons comme d 'ebene , avec des plumes de plufieurs couleurs au bout d'enhaut , & de petites pierres enchaffées dans le bafton qui fonnoient comme des fonnettes , & lors qu'ils paffoient dans les rues, les hommes fortoient de leurs maifons pour les accompagner. Ceux qu'ils appellent Tarafcos , font-hommes vaillans, 8c ont embraffé courageufement la Religion & couftumes des Caftillans, & fe fçavent fort bien pleindre à la Iuflice des torts qu'ils leur font. En d'autres Provinces de ce Royaume, il y a des fai­néants fort vicieux , des bafteleurs , des menteurs, des ingrats, qui n'ont aucun amour pour leurs pères , pour leurs femmes, pour leurs enfans, ny qui ne fe foucient point de leur mort ny d'autres maux qui leur peuvent arriver. Ceux de la Province de chilchota, font ac-couftumez a faire de faux fermens, & polir un verre de vin on leur fait dire tout ce que l'on veut ; de telle forte que les deux part ies, venant- à prouver égale­ment leur intention, le luge ne peut pas s'éclaircir de la vérité. Anciennement ils ne fouffroient point les vagabonds ny les fainéants, parce qu'ils lés condam-noient à la mort , ou ils les envoyoient aux mines de Guaxcatlan. Il y avoit un Caftillan appelle Caftillo, qui avoit un grand jardin, où il y avoit quantité d'herbages de Caftille, où il y avoit auffi un grand quarré plein de febves,& fe voyant perfecuté de certaines fourmis, qu'ils appellent larroneffes, parce qu'entrant de musel ­les ruïnoient tout ; Caftillo voyant cela, refolut de l'en­tourer d'eau d'un petit ruiffeau qui paffoit tout auprès, & deffendoit fon jardin par ce moyen-là huit jours du­rant ; mais grand nombre de fourmis fe chargèrent de paille toutes enfemble, & la portèrent à l'endroit du courant le moins rapide, & le plus eftroit du ruif. feau , & y en portèrent tant qu'elles fe firent un pont de quatre doigts de large par où elles pafferent de

G g ij

1 5 22.

A quoy l'on, connoiffoit les minières de le Iuftice.

Naturel de ces Indiens.

Cas eftrange de certaines four-mis.

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1522

252 H I S T O I R E nuit, & coupèrent toutes les febves qui eftoient fur pied dans le quarré , & les emportèrent dans leurs fourmi­lières. Le Maiftre du jardin fe rendit , & refolut de ne plus chercher de remède ,& appella plufieursperfon-nes pourvoir ce fpectacle. D'autres Caftillans dignes de foy, affirmèrent avoir veu en la terre des Chichi-meques, que de deux fourmilières qui eftoient l'une devant l 'autre, il fortit une multitude de fourmis qui allèrent attaquer les autres de grande furie , & comme ils s'arrefterent pour voir un cas fi effrange, ils virent qu'ils combatirent avec grande obftination, & qu'il y eut grand nombre de tefles coupées, & de corps; Et qu'enfin les unes prirent la fuite & fe fauverent dans leur fourmilière, & les autres pour fuivirent toujours, tuant jufques à ce qu'elles fuilent toutes rentrées de­dans. Apres qu'elles furent toutes entrées, celles qui avoient vaincu entrèrent après les autres, & en tirè­rent quantité de teftes de celles qu'elles avoient encore tuées dans leur fourmilière.

Nous avons traité allez amplement du Royaume de Mechoacan, refte à dire , que maintenant il eft réduit en Evefché, où il y a plus de cinquante Paroiffes capi­tales, avec leurs Cures , des Beneficiers, & des Pré­fixes , tous Caftillans, fort fçavans en la langue du païs, fans ceux qui font refidens dans les villages & hanieaux, qui prefehent, confeffent, & enfeignent la jeuneffe dans tous les lieux des environs, en leur mefme lan­gue , excepté celle des Otomies, parce qu'elle eft plus difficile & plus ruftique. 11 y a outre cela autant de Monafteres pour le moins, de l 'Ordre de faint Fran­çois & de faint Auguftin, qui s'occupent tous à faire la mefme çhofe. Il y a auffi fort peu de peuplade où il n'y ait un Flofpital,& en quelques-uns deux , pour penfer les Indiens de chaque langue, parce que pour la plufpart, ceux de cet Evefché ont çmbrafle la R e -ligion Catholique fans beaucoup de conteftation, & avec affection. Ils apportent leurs aumofnes de leur bon g r é , & font fort affables & refpectueux enveu

Bataille de four, mis .

Eftat de la Reli­g ion dans le Royaume de Mechoacan.

Soin des Eccle-lîaftiques d'en-feigner les In­diens,

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv.III 253 les gens d'Eglife, & s'employent avec eux dans ces faints ouvrages.

C H A P I T R E XI

Fernand Cortés envoyé à Mechoacan, le Capitaine Chriftofle dolidy Gonçale de Sandoval dans les Provinces , qu'ild appellent de Puertos Abaxo ; Et Fierre d'Alvarado, & François d'Orozco à Guaxaca.

Q velques mois après que Cazouzin, Roy de Me­choacan fut retourné dans fon pa ï s , & Cortés

continuant d'appliquer tous fes foins à eftabiir de tous collez l'obeïffance envers la Couronne de Caftille , ayant toujours pour principe l'introduction de la Reli­gion , parce que fans cela il eftoit impoffible de la bien eftablir. Et d'autant que par les guerres paflees quan­tité d'Indiens épouvantez, fe difperfoient en plusieurs lieux efloignez,& qu'il n'eftoit pas à propos de fouf-frir que l'on abandonnaft les lieux habitez de la forte ; & que le remède à cela eftoit de faire entendre aux peuples, qu'en quelques lieux qu'ils fuffent, ils n'y fe-roient pas moins exempts d'obeïffance, il envoya le Capitaine Chriftofie d'Olid pour peupler dans H u i t -zitzitla, que les Mexiquains & les Mechoacaneques , appellent Ziutzoutza, qui eft le liège Royal de ce Royaume. Il mena aveque luy quarante chevaux , & cent hommes de pied. Il fut fort bien receu du R o y , qui luy donna de riches hardes, & des joyaux d'or & d'argent , quoy que méfié avec du cuivre. Chriftofle d'Olid fonda fa peuplade au gré 6c conten-tement de tous, & continua fon deffein paifiblement quelque temps , faifant en forte par fon trafic & Négociation d'attirer les Barbares à la connoiffance du fouverain bien, & incontinent après il paffa dans les Provinces de Colima, pour par cette voye s'ouvrir le chemin de la M e r , & les affujetir tout d'un temps en paffant. G g iij

1522

Chriftofle d'O lid va peuplée Ziutzoutza.

ChriftopLe d'O-lid paffe à la Province de Colima.

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1522.

2 5 4 H I S T O I R E Du temps que les Mexiquains chafferent les Caftil-

îansde leur ville, les peuplades 6c les Provinces fujet-tes à Mexique, & leurs Alliez , tuèrent quantité de Caflillans, qui s'eftoient difperfez dans les campagnes par l'ordre de Cortés, qui cherchoient des mines d'or & d'argent. Dans Tutepec, où regnoit un grand Sei­gneur , dont l'Ellat s'eftendoit jufques à la cofte du N o r t , & qui avoit d'ordinaire des guerres contre Mon-tezume , grand nombre d'Indiens fe jetterent fur cer­tains Caflillans qui alloient defcouvrans la colle, & les ayant pris prifonniers, les dépouillèrent, & les mi­rent dans une grande court entourée d'une muraille de huit pieds de haut , où il y avoit des carneaux tout autour à hauteur d'appuy d'une allée qui regnoit à coflé ; & s'eftant mis autour d'eux plus de deux mille Indiens, ils leur baillèrent la chaffe comme s'ils enffent elle des Taureaux , avec des ballons brûflez, 6c des aiguillons au bout , qu'ils leur fouroient dans la peau ; Ces pauvres miferables tafchant de fe vouloir fauver embraffoient les carneaux pour tafcher de fortir de ce labyrinthe ; mais tout ce qu'ils pouvoient- faire eftoit d'y biffer les marques du fang qu'ils refpandoient pour mémoire de leur mort mal heureufe , & de la cruauté de leurs ennemis. Si bien que voyant qu'ils ne pouvoient pas éviter la mort , & que pour toutes armes, ils n'avoient que leurs mains déchirées & en-fanglantées, ils fe mirent à genoux, & levant les yeux au Ciel, en s'animant les uns les autres, ils achevèrent leur vie comme de véritables Chreftiens. Dans d'au-très vilages , comme les Caftillans ne pouvoient pas toujours éftre enfemble, quand les Indiens en attrat-poient quelques-uns, comme alterez de leur fang, ils cherchoient de nouvelles inventions pour les faire mourir plus cruellement. Ils en enfermoient quelques-uns plufieurs jours fans leur donner à manger de deux ou trois jours ; & enfuite ils leur coupoient un mem­bre du corps , & l'ayant fait cuire ils leur bailloient à manger. Ils en roftinoient d'autres tout vifs, & à

Cruauté des In­diens de T u t e -

Des genres de tourmens que les Indiens fai-foient fouffrir aux Caftillans.

Page 271: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTÀLES, Liv. I I I . 255 petit feu, afin que leur tourment durait plus long-temps. Ils en efcorchoient d'autres, comme faifoient de no­tre temps les Chichimeques ; & parce que la guerre donnoit lieu à toutes ces cruautez , ne pouvant pas y remédier alors, & les chaftier comme ils le meritoient ; Comme Cortés fe vit hors de cet embarras, il envoya Gonçale de Sandoval au commencement du mois de Novembre de cette année, accompagné du Capitaine Louis Marin, avec deux cens hommes d'Infanterie & trente-cinq de Cavalerie , & bon nombre d'Indiens amis, accompagnez de quelques Seigneurs Mexiquains pour chaftier la cruauté de ces barbares, tant dans cette Province , que dans celles de Puertos Abaxo, qui commencent depuis la ceinture qui traverfe la Nou­velle Efpagne en tirant vers la Mer du Nor t , depuis la Vera Cruz, jufques à Goazacoalco, & Tabafco, & juf-ques à la frontière de Tecoantepec. Mais eftant arri­vez à Guatufco, toute cette terre fe rendit. L'on en chaftia peu, mais les plus coupables pafferent le pas. De-là il paffa à Guazacoalco, croyant qu'ils fuftent amis, comme ils l'avoient promis à Diego de Ordas , lors qu'il pafïa par-là ; Et quoy qu'il les requift de fe fou-venir de la parole donnée , & de la foy qu'ils avoient promife ; qu'il les exhortaft par de vives raifons, ils arri­vèrent contre luy, & le menacèrent de la mort. San-doval n'avoit pas deffein de leur faire la guerre , mais voyant qu'ils perfiftoient toujours dans leur mauvais deffein, il les furprit de nuit dans leur l ieu, & prit une D a m e , dont la prife fut caufe que fans aucune conteftation on fe faifit de Goazacoalco, & de fes riva­ges. Il peupla à trois lieues de la Mer la ville del Efpiritu-fancto , parce qu'il ne trouva pas une meilleure fituation. Il contracta amitié avec les villes de Gue-chollcin , Civatlan, Quezaltepec, Tabafco , qui ne tar­dèrent guère à fe révolter, & quantité d'autres l ieux, qui par des brevets de Fernand Cortés furent donnez a la recommandation, & fous la conduite de ceux qui feuploient la ville del Efspirutu. fancto.

1522.

Sandoval la pour des chatier.

Sandovat va pour peupler la ville del Efporites faneto.

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1522.

256 H I S T O I R E Dans ce mefme temps Cortés aprit qu'il y avoit du

trouble dans les terres du coffé du Sud, qui eft la plus riche Province de Mifteca , & d'autres encore , qui toutes à caufe de leur excellence , s'appelloient ainfi Montezume eftoit Seigneur de ces Provinces Mifteques, Zapotcques, & de plufieurs autres dont les unes obeïf-foient à fon Empire depuis le temps de fes predecef-feurs, & fe rendoit Maiftre des autres ,ou par force, ou par artifice, à condition de les maintenir en paix , parce que ces Nations pour les moindres occasions avoient guerre entre eux ; il bien que pour les main­tenir dans lobeïffance, & pour faire la guerre contre le Seigneur de T u t e p e c , & d'autres ennemis, il tenoit d'ordinaire de grandes garnifons dans ces Provinces, principalement en la terre de Guaxaca, & de fa belle valée, d'où puis après Cortés prit qualité, avec la­quelle confine la Mifteque. Pour donc appaifer ces troubles, il y envoya Pierre d'Alvarado, & François d 'Orozco, frère de Iean de Villa-Senor, avec trente Cavaliers, & quatre-vingts hommes d'Infanterie, & une bonne armée d'Indiens. Ces Capitaines trouvè­rent que les garnifons Mexiquaines s'eftoient retirées dans des peuplades appellées Penoles , qui font fix, qui fe fuivent l'une après l'autre , en tirant vers le Nort-Sud. Mais l'armée Caftillane eftant arrivée, les Mexiquains fe retirèrent dans la première peuplade appellée Ytzquintepec, qui eft efloignée de fix lieues de la ville de Guaxaca , maintenant appellée Antequera, Ils fe fortifièrent dans cette place d'une enceinte de muraille de bonne pierre & bien bail ie, qui avoit une lietië de tour. Il y avoit dedans plus de mil Mifleques, qu'ils tenoient en façon de forçats de galère , rien que faire des cris de nuit pendant les veilles 6c dans les batailles, ce qui eftoit capable de donner de l'ef-pouvante à ceux qui n'eftoient point accouflumez à ces bruits. Pierre d'Alvarado les tint affiegez huit jours, les battant jour & nui t , & leur oftant l 'eau, & nonobstant tout cela ils ne fe vouloient point rendre

jufques

Montezume tenoit de gran­des garnifons à Guaxaca.

* Roches.

Page 273: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, Liv.. I I I . 257 jufques à ce qu'ils euiîent envoyé des Meffagers à Cor­té s , qui ne tardèrent guère à revenir ; Si bien que les affiegez parlant de fa par t , voulant avoir cet avantage-là , quoy qu'ils fuffent defia réduits aux abois, ils fe ren­dirent. Ils fe virent tellement preffez, principalement de la foif ; qu'ils beuvoient leur urine , de forte que lors qu'ils eurent la liberté de delcendre à la rivière ils beurent tant pour eftancher leur grande foif,qu'il en mourut quantité.

C H A P I T R E X I I .

De la Valèe de Guaxaca , au Royaume de Mifteque, & des particularitéz de fes Provinces,

LA Province de Mtfteque confine donc avec ces len noies, du codé du Ponant,dont il y en a quatre qui

parlent cette langue ; les autres deux confinent vers le Sud avec la Province de Zapoteca , & va s'eftendant en rond,jufques à arriver au premier Pennol par les vilages des Zapoteques par la valée de Guaxaca , laquelle con­tient feize lieues de longueur, où il y a plufieurs vilages. Elle eft à la hauteur du 18 degré,& à quatre-vingt lieues de Mexique au Sud, qui eft une terre fort fertile, quoy qu'il y ait fort peu de rivières & de fontaines , & neant-moins Peau ne leur manque pas. Cette valée prit fon nom d'un vilage où la garnifon du Roy de Mexique fai­l l i t fa refidence. Il y a plufieurs mines, d'où l'on tire de l 'or, de l 'argent, du criftal, de la couperofe,& quan­tité de pierres de différentes couleurs, propres pour ap-paifer les douleurs de Colique , pour le flux de fang , & autres maux. La pierre de Bezoard y croift auffi qui eft naturelle & parfaite. Elle produirait bien auffi du vin & de l'huile Ils y nourriffent des vers à foye & y recueil­lent de la grenne d'efcarlate & de la caffe. Toute forte de fruits & de femences de Caftille y viennent en perfe­ction, Les troupeaux grands & petits s'y eflevent à mer-

H h

1522.

Ceux de Guaza-. ta fe rendent.

Valée de Gua-rata qui con­tient feize lieuës

Particularitez du Royaume de Guaxata.

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1522.. 2 5 8 H i s T o r e veille. O r quoy que cette valée foit de fi grande eften-due , & quelques autres petites qui s'y rencontrent,tou--tes ces Provinces ne font que Montagnes Se terres très-afpres ; dont la plufpart toutefois font fort fertiles , & il y croift auffi de toutes les chofes que nous venons de nommer, avec quantité d'arbres & d'herbes, falutaires, Se venimeufes. Et dans cette valée particulièrement il y croift d'une certaine herbe qui fait une telle opération, que fi l'on veut qu'un homme meure dans un an, on luy fait boire de la décoction de cette herbe qu'il y a un an qui aura eft cueillie, & fi dans un jour , il faut qu'elle foit cueillie le mefme jour. Et c'eft une chofe digne de remarque, que du temps de la gentilité de ces Indiens, ils fouffroient beaucoup par les tremblemens de terre, & que depuis que l'on y a prefché le faint Evangile ayant pris pour Advocat faint Martial dans la ville de Guaxata contre ces tremblemens, ils n'y en ont plus vu depuis.

Il y a dans ces Pennols, ou roches,de grandes apparen­ces d 'or, des mines de plomb, Se une certaine racine qui fert de favon. Dans le vilage de Totomachiapa il y a une cave d'une grandeur extrême,qui a la bouche tour­née vers le Sud, & s'eftend vers le Nord. L'on a efté juf­ques à demy lieuë dedans, mais à caufe de la quantité d'eaux qui en diftille,l'on ne pût pas palier outre. Au temps de la gentilité des Indiens ils y faifoient leurs fa-crifiecs, & y communiquoient avec le démon , luy de­mandant de l'eau pour leurs femailles. Delà paffant au Royaume de Mifteque, il fe divife en deux Provinces, haute Se baffe, & en l'une Se en l'autre l'on y parle dif­férents langages, & s'entendent neantmoins l'un l'autre ; ce Royaume eft fitué entre Mexique Se Guaxaca. Mi-fieque haute lignifie , terre de pluyes, & Mifteque baffe fi-gnifie lieu plein de chaleur ; voila donc la différence qu'il y a d'une Province à l'autre Les Caciques y avoient feurs Palais, & y avoient des appartemens pour les fem­mes , tous tapiffez £ efteras, ou nattes, avec des coffins de cuir de Lyons, de Tygres ou d'autres animaux fembla-blcs. Elles veftoient des robbes de cotton , blanches,

H e r b e mortifère q u i croift à M i f t e c a .

l e s t r emble ­m e n s de terré y eftoient fré­quen t s du teps de leur gent i l i -té.

Différence qu'il y a entre les deux Mifteques.

D e leurs vefte-mens.

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. III. 259 ciffuës, peintes, & brodées de fleurs, de rofes, & d'oi-feaux de différentes couleurs. Elles ne portoient point de chemifes, pour n'en connoiftre pas l'vfage;au lieu de calçons, les hommes portoient de certaines braves qu'ils appelloient Matzles. Les femmes portoient auffi des fandales , & fe fervoient d'anneaux d 'or , de pendants d'oreilles ; elles en portoient auffi d'or & de criftal à la lèvre d'en bas ; elles avoient les cheveux fortlongs,tor-tillez & treffez avec des bandelettes de cu i r , & retrouf-fez en enhaut en forme de pennache. Les hommes s'ar-rachoient la barbe avec des tenailles d 'or , & eftoient curieux de fe tenir nettement. Ils avoient des jardins de délices, ou il y avoit des fontaines dans lefqueiles ils fe baignoient loir & matin. Leur manière de vie eftoit fem-blable à celle des Mexiquains , & les tributs mefmes qu'ils payoient aux Caciques , parce que les Caciques payoientau fupréme Seigneur, qui eftoit Montezume d'autres reconnoiffances pour marque de fa Souveraine­té. Il y avoit dans ces Provinces plufieurs Capitaines, des Seigneurs, des Magiftrats & des Prédicateurs qui les prefchoient felon leur Loy. Ils ufoient de fortileges & de Médecins. Et d'autant que le Cacique terminoit tous leurs differens,ils n'ofoient entrer où il eftoit; ils avoient deux Rapporteurs; qu'ils appelloient en leur langue mé­diateurs,qui eftoient dans l'une des Chambres du Palais, qui écoutoient les parties, & alloient rapporter les diffe-rens devant le Seigneur, & revenoient auffi-toft avec la réponfe. Les Confeillers du Seigneur eftoient des born­âmes âgez , fages & expérimentez, & qui avoient pre­mièrement efté Papes dans leurs Temples,de forte qu'ils faifoient en forte par leur douceur & affabilité de leur donner de bons expediens, & pour cela ils fouffroient qu'on leur baillaft des prefens en joyaux, ou des viandes pour leur table. Celuy qui pouvoit avoir la faveur & permiffion de parler au Cacique, entroit pieds nuds,fans ofer lever les yeux , ny c racher , ny touffer, ny mettre les pieds fur l'eftera où eftoit affis le Cacique.

Quan t aux chofes de la Republique, ils puniffoient d e H h ij

1522

Ils vîvoient de la mefme forte que les Mexi­quains.

Des Confeillere du Cacique.

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260 H i S T O I R E

mort l'adultère , tant l'homme que la femme, 6cc 'eftcic l'adverfe partie qui mettoit la Sentence en exécution ; ou bien ils fe contentoient quelquefois de couper à l'homme adultère, les oreilles, le nez & les lèvres , & eftoit condamné outre cela de donner quelque chofe à celle dont il avoit abufé ,au cas quelle fuft groffe par-ce qu'ils ne font pas cruels, fi ce ,n'eftoit que l'adultère fuft commis avec la femme principale. Ils chaftioient auffi le larcin é l 'yvrognerie, & la defobeïffance envers le Cacique. Pour conferver la Seigneurie en leur mai-fon, le Seigneur fe marioit avec une femme de fa lignée propre, & les enfans qui en procedoient, en eftoient hé­ritiers ; s'il n'y avoit point d'enfant malle, la Seigneurie appartenoit à la fille aifnée. Outre cette femme ils avoient encore des concubines, qui eftoient des filles de Seigneurs, qui tenoient cela à grande faveur, & ils les luy donnoient dés leur enfance; & s'il n'avoit point d'en-fans de la principale femme, les ballards n'heritoient point Ils ne prenoient point de femme mariée pour con­cubine. Si-toft qu'ils avoient eu des enfans avec une concubine, ils la bailloient en mariage à quelque Sei-gneur,ou à quelque Marchand, & ne la touchoient plus jamais, ny mefme ne la voyoient pas Ces femmes s'oc-cupoient à filer pour faire les habits des Caciques & de la Cacique, à leur apprefter les viandes, & à accompa­gner la Cacique & luy fervir comme d' Efclaves, à caufe dequoy elle les affectionnoit , quoy qu'il y euft quel­quefois un peu de jaloufie. Quant aux mariages, les Pa­pes , & les Religieux connoiffoient les empéchemens, & c'eftoit un défaut effentiel d'avoir un mefme nom dans le nombre , par exemple fi la femme s'appelloit Quat re rofes , & l'homme Quatre lyons, ils ne fe pou­voient pas marier enfemble, parce qu'il falloit qu'elle furpaffaft le nombre par deffus celuy de l 'homme, & qu'ils fuffent parens ; car ne l'eftant pas, le mariage ne fe faifoit pas , finon pour avoir la paix, parce qu'entre eux il n'y avoit point prohibition pour les degrez de confanguinité ; ny on ne donnoit point de dot aux filles,

1 5 2 2 .

Des mariages des Seigneurs , & de leurs con­cubines.

Occupation de femmes des Sei-gneurs.

Des cérémonies de leurs mar ia ­ges .

D e la Iuftice qu'ils exer-foienr .

Page 277: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

des INDES OCCIDENTALES, Liv. I I I . 261 & la mefme chofe s'exerce encore entre les gens de conditions qui s'eftiment riches lors qu'ils ont plufieurs filles à caufe des prefens qu'on leur donne. Les Labou­reurs mefmes qui n'avoient point de joyaux adonner , alloient dans les bois pour en apporter une charge ; & fi le pere l'acceptoit, ou la fille , avec laquelle il preten-doit fe marier , la chofe eftoit faite. L'on confultoit pre­mièrement s'il eftoit à propos de faire le mariage-, & n'y trouvant point d'obftacle, l'on envoyoit des Ambaffa-deurs , hommes fages & âgez pour demander la fem­me ; & s'il y avoir de l 'empêchement, on refpondoit que la chofe ne fe pouvoit pas effectuer, ainfi les Ambaffa-denrs s'en retournoient , après avoir efté régalez ; & s'ils acceptoient la demande , ils s'en retournoient fort contens. Les Preftres marquoient le jour que le maria­ge fe devoitfaire ; ils jettoient au fort pour cela il y avoir des Religieux & des Seigneurs qui alloient trouver la mar iée , avec des prefens d'or ou des joyaux, & dans le chemin par où elle devoit paffer il fortoit des gens ar­mez pour l'enlever,& fur cela il faloit combat t re , & on l'enlevoit fi on pouvoit, qui eft une cérémonie affezin­humaine. Pour les efpoufailles, l'on ne faifoit point d'au­tre cérémonie que d'entrer dans une chambre tapiffée de natte , avec des branches de faulx tout autour, fans autre parole que celle du confentement de vouloir vi­vre enfemble. La mariée eftant devenue groffe , l'on prioit les Religieux pour e l le , & lors qu'elle eftoit pre-ïte d'accoucher ils alloient au bois, qu'ils apportaient fur le dos , & le beniffoient pour chauffer le bain. Eftant accouchée , fi c'eftoit un garçon, on luy mettoit un dard dans la main, & fi c'eftoit une fille on luy mettoit un fu-feau. La matrone baptifoit l'enfant avec l'eau de quel­q u e fontaine qu'ils croyoient eftre fainte,& enterroient l'arriere-faix dans un pot le troifiéme jour. L'accouchée fe baignoit vingt jours de fuite, & l'on faifoit des Feftes à l 'honneur de la Deeffe des bains , chantant, beuvant & mangeant, & danfant. Ils faifoient des Feftes auffi à l'enfant pendant les vingt j ou r s , & au bout de l'an la

H h iij

1522.

D e l ' accoucha men t des fem­mes & du bap-tefme des en-fans.

ils ne deffen-ioient point les-degrez de con-faneuini té .

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1522. 262 H I S T O I R E mefme chofe. Lors que l'enfant avoit atteint l'âge de fept ans, ils le portoient au Monaftere, & un Preftre luy perçoit les oreilles, & luy impofoit un furnom.

C H A P I T R E X I I I .

Continuation de la matière précédente.

ILs avoient de coufturne que tous les afniez des Caci­ques dévoient eftre Religieux un an durant. Le jour

qu'ils dévoient prendre l 'habit, le Pape les accompag-noi t , tout le Conven t , & les Seigneurs, avec leur mufi-que de tambours lourds, de chalumeaux de cannes , de hautsbois, & de conques de tortues. En approchant du Conven t , ils le dépoùilloient, & luy mettoient des hail­lons oingts d'une certaine gomme, avec une façon de robbe par deftus. Le Pape luy donnoit un efclat de cail­lou en façon de lancette , pour fe tirer du fang de la langue & des oreilles pour le fervice des Dieux ; Ils luy oignoient le f ront , les joues, l 'eftomac, & les épaules avec des feuilles venimeufes,& par cette onction il eftoit fanctifié , & demeuroit dans le Monaftere, où il eftoit chaftié , & inftruit dans la fobrieté , fouffrant les tra­vaux de Pobedience & de l'abftinence. L'année eftant finie fes parens le retournoient quérir en grand pompe & magnificence, & luy remettant fon premier habit il s'en retournoit en fa maifon , puis ils le menoient baig­ner , & quatre jeunes filles de Seigneurs luy lavoient le corps avec du favon, pour luy ofter la noirceur de la fumée de la poix-raifine, dont ces Religieux fe fervent, qui les rend d'ordinaire noirs comme des Ethiopiens,

Lors que le Cacique eftoit malade les Preitres fai-foient de grands facrifices, des pèlerinages, des vœux, des offrandes, avec grande ponc tua l i t és une pureté de confeience ; S'il revenoit en convalefcence , ils fai-foient de grandes Feftes, des danfes dans la maifon du Seigneur, & dans le Monaftere ; & s'il mouroit l'on fai-

l e s fils aifnez des Caciques font obligez d'e-ftre en religion un an , où ils sont penitence.

Page 279: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DEs iNDES OCCIDENTAIES Liv. I I I . 263 foit les funérailles avec grande pompe. Ils faifoient des offrandes pour le corps du défunt ; ils femettoient de ­vant ; ils parloient à luy. il y avoit tout devant le corps un efclave veftu à la Roya le , & il eftoit fervy & ho­noré comme fi c'euft efté le Roy mort. Quatre Rel i ­gieux l 'enterroient fur le my-nuit dans les bois , ou dans les prez , ou dans quelque cave. Outre i'efclave qui re-prelèntoit le mor t , il y avoit encore deux autres encla­ves & trois femmes qu'ils amenoient yvres, qu'ils étou-foient , afin qu'ils férviffent le Cacique dans l 'autre monde ; & quant à I'efclave qui avoit reprefentéle Ca­cique ils l'enfeliffoient avec des couvertures de cotton, & luy mettoient un mafque au vifage, des pendans d'o­reilles d'or, des joyaux autour du col, des anneaux aux doigts, & une mitre fur la tefte ; puis ils luy mettoient le manteau Royal, & l 'enterroient ainfi avec les autres dans une fepulture creufe; fans mettre aucune te r re deffus. Ils faifoient tous les ans des feftes pour le jour de leur naiffance , & non le jour qu'ils mouroient.

L'on ne faifoit pas tant de cérémonie aux Labou­reurs, parce qu'ils n'avoient pas dequoy pour les maria­ges, pour les funérailles & les enterremens. Les Mar­chands & autres gens de condition approchoient de cet­te grandeur félon leurs commoditez. Ils avoient autant de femmes qu'ils en pouvoient entretenir , & les repu-dioient comme bon leur fembloit , excepté celle qui eftoit époufée. Ils avoient plufieurs D i e u x , car chaque maifon en avoit un. Ils avoient auffi des Oratoires dans leurs maifons, où ils faifoient leurs offrandes & leurs facrifices, & y avoient recours en leurs neceffitez, par­ce que cette nation de Mifteques eftoient fort religieux au temps de leur gentilité. Ils mettoient leurs enfans dés l'âge de fept ans dans les Monafteres, où on leur en-feignoit les points de leur Religion 6c bonnes couftu-mes , & les pères les nonrriffoient. Ils montoient de de­gré en degré dans les charges , & leurs offices ne du-roient que quatre ans. Le Roy pourvoyoit à tout , & donnoit les charges à qui bon luy fembloit, Quand le

1522

Des obfeques des Caciques.

La Nation Mi-fteque grande­ment religieufes.

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1 5 2 2 .

264 H I S T O I R E Pape avoit accomply fes quatre années il fortoit du Monaftere , parce qu'il avoit paffé par tous les degrez que fa charge requeroit, & ainfi il n'avoit plus defervi-ce à rendre ; & le Cacique l'affectionnoit à luy donnoit place dans fon Confeil ; & s'il fe vouloit marier , il le pouvoit faire. L'habit monachal eftoit une robbe de groffe bure , & leurs haillons de deffous eftoient de pa-pier qu'ils faifoient dans le païs. Les ornemens Ponti­ficaux pour la célébration des feftes eftoient des robbes de diverfes couleurs, fur lefquelles eftoient peintes des hiftoires de leurs Dieux. Ils veftoient de certaines fa­çons de chemiles fans manches qui leur alloient jufques aux genoux ; ils avoient aux jambes des chauffes de peaux faites en façon de gueftres, & au bras droit une pièce d'étoffe , en façon d'Aumuce avec des houppes, & par deffus un manteau comme les noftres, avec une houppe qui leur pendoit au milieu des deux épaules. Il avoit auffi une mitre fort grande à la tefte , faite de plumes vertes, d'un fort bel ouvrage, où eftoient peints leurs Dieux principaux. Lors qu'ils danfoient dans les courts des Monafteres, ils fe veftoient de robbes blan­ches peintes, avec une roupille en façon de forçat de galère. Ils ne mangoient que des légumes & des her-bes , excepté lors qu'ils avoient quelques offrandes. Il y avoit de certaines femmes chaftes qui leur aprétoient leur viande, que l'on changeoit de quatre en quatre ans. Le Cacique leur fourniffoit ce qui leur eftoit ne-celfaire, car il avoit des héritages pour cela. Ils jeu-noient les veilles des feftes, ne mangeant qu'un peu de pain & de miel crud. Il y avoit telle fefte qui requeroit quatre ou cinq jours déjeune. Ils eftoient fort pauvres, & n'avoient point de maifons en propre ; tous leurs raifonnemens eftoient de demander pour la v ie , prier pour la fanté du Roy ,fouhaiter la paix ,& des biens temporels pour les Republiques, & la vengeance de-leurs ennemis. Lors que quelqu'un rompoit le vœu de chafteté, il eftoit maffacré à coups de baftons. S'il deve-îioit malade, il eftoit penfe fort foigneufement dans le

monaftere

C o m m e l'on gouvernoi t les affaires de la re-ligion

ils j eûno ien t les villes de feftes.

Page 281: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OCCIDENTALES, L iv . I I I . 265 Monaftere , & s'il mouroit on l'enterroit dans la court envelopé dans une reft. Il ne fortoit que pour des Capitaines, & pour célébrer quelque fefte, ou pour faire quelque pèlerinage ou vœu pour le Roy ; & les Papes eftoient fort aimez des Caciques ; ils ne fai-foient aucune chofe fans leur confeil. Ils ordonnoient des années , & regloient les Republiques. Ils par-loient contre les vices, & fi l'on ne s amendoit ils me-naçoient les peuples de famine , de guerre , & de mortali té , avec l'indignation des Dieux. Enfin ils eftoient tenus pour des Saints , & on les eftimoit beaucoup.

Du règne du premier Montezume, comme il vou­lut achever de conquefter ce Royaume des Mifteques, & ne le pouvant faire à force d'armes, il trouva inven­tion de faire tuer en trahifon le Cacique de Tantguit-lan, homme vaillant ; qui luy faifoit grande refiftance ; il s'appelloit Très micos ; fi bien que par fa mort ils fu­rent tous affujettis , & leur fit payer des tributs en plumes verdes , des Chalchuites, qui font de certains grains qu'ils eftimoient beaucoup , des tapis, de la graine d 'efcarlate, & de la cochenille. Ils fournif-foient encore quelques grennes pour femer & & outre tout cela ils eftoient obligez d'affifter aux garnifons , & de combattre à la guerre avec des boucliers, & de ces efpées de bois appell&es Macanas , faites d'une ef-pece de chefne, de cinq pieds de long, avec deux ran­gées de rafoirs de caillou enchaffez dedans. Les bou­cliers eftoient de canne entretiffoë, & doublez. Ils portoient auffi des cafaques piquées, & avoient les vi-fages peints pour efpouvanter leurs ennemis, Ils in-voquoient les Dieux pour les garentir de la faim, de la foif, & de laffitude ; pour n'eftre point t uez , prifon-niers , ny vaincus, & ufoient de paroles comme d'en­chan tement , & partoient ainfi dans cet te confiance ; & s'il leur arrivoit du mal , ils difoient que les D ieux eftoient en colère ,ou que leur fortilege les trompoit, Lors qu'il faloit partir pour aller à la gue r re , ils pre-

l i

1522.

Les Pref t res eftoient tenus pour des Saints.

t e premier Montezume a-cheva de c o n -quefter le Roy­aume de Miftes que.

Leur manière de combattre à la la guerre.

Page 282: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1522.

266 H I S T O I R E noient des gens dans les quartiers , & les menoient aux Capitaines, qui les conduifoit ; & s'ils eftoient af-ftegez ils fe retiroient dans les montagnes, ou ils af-fembloient toutes les femmes, les enfans, & le b i e n , & fe fortifioient de bonnes barricades , & fortoient fept Capitaines contre autres fept, foldats contre foldats, & fi-toft qu'il y en avoit un de tué , on en remettoit un autre à la place du m o r t , & combattoient toujours ainfi jufques à ce que l'un des deux partis fuff vaincu, & les vaincus eftoient emmenez captifs, ou bien ils terminoient la guerre par une pa ix , ou par quelque accord,

C H A P I T R E X I V ,

fin des particularitez du Royaume de Mifteque. Autres particularités des Provinces des Zapoteques ,

autres.

IL y a dans ce Royaume de Myfteque, comme dans toutes les autres Provinces de l'Evefché de Guaxaca,

ou & Antequera, treize langages differens, mais la Me-xiquaine y eft générale, & ainfi comme ces langages font diffemblables en de certains endroits , les couftû­mes le font auffi. Parce que dans les Provinces de Tecovatlavaca , ils chaftioient les adultères & les lar­rons rigoureufement, & confifquoient leurs biens pour le Seigneur. Et ceux qui eftoient endebtez , & qui ne pouvoient payer eftoient faits efclaves perpétuels, & les vendoient, ou facrifioient ; bref les créanciers en faifoient ce que bon leur fembloit , & ils ne s'en-fuyoient jamais , parce qu'ils fçavoient bien qu'ils feroient mis en pièces. Cet te génération portoit à la guerre des Enfeignes tiffuës de plumes rouges. Ils combattoient avec des Macanax,des boucliers, des arcs , des flèches, & des frondes ; Ils fe peignoient le vifage & les jambes ; ils portoient les cheveux longs

leur diverfité de langage.

Page 283: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

DES INDES OcCIDENTALES,LIV. III. 2 6 7 & treffez, avec quantité de plumes auteur de la tefte, des pendants d'oreilles d'or 5 Ils en avoient auffi à la lévre d'en bas. Lors qu'ils combatoient , ils commen-çoient par de grands cris. Dans la ville de Cuahuitlan, ils cueilloient quantité d'une racine appellée Mechoa-can ; Dans, la jurifdiction des peuplades de Cuetlavaca & de Tequiciftepca , il y a une montagne fort hau t e , où il y a une cave qu'un Religieux de l 'Ordre de S. Domi­nique vifita, accompagne de quelques Indiens y il trou­va la bouche fort eftroite , car à peine y pouvoit-ii entrer un homme tout au plus ; Effcant entré un peu avant , il y a un grand efpace qui eft prefque quarré de cinquante pieds d'un cofte à l'autre. Auffi-toft après l'on voit de certains trous avec des degrez , qui donnent l 'ouverture à un chemin qui conduira quan­tité de tours & de détours en façon de labyrinte , par où ils cheminèrent une heure , & s'ils ne fe fuffent fervis d 'une ficelle, ils fe fuffent perdus. Ils entrè­rent dans une grande place , au milieu de laquelle il y a une fontaine de fort bonne eau ; & d'autant que les Indiens croyoient qu'anciennement c'eftoit l'eau des Dieux , & que les hommes qui en betivoient mou-roient incontinent après ; Ce Rel ig ieux, pour abolir cette fuperftition en b e u t , & en fit boire aux Indiens qui eftoient aveque luy. Il paffe à cofté de ce lieu un petit ruiffeau. Ils cheminèrent un peu plus avant dans la cave., mais n'y trouvant point de feu, ils en fortirent par le moyen de la ficelle, parce qu'autre­ment ils ne l'auroient pas pu. Dans cette mefme lu-rifdktion il y a de hautes montagnes, qu'ils appellent de faint Anthoine, où habitent certains Ind iens , dans les antres de certains rochers qui ont dix ou vingt pieds de circonférence, où eftoient leurs femmes & leurs enfans, & font plus dé cent dans ces eoncavi-t e z , d 'où il eft impoffible qu'on les en puiffe faire fortir. Il y a encore deux montagnes fort hautes , qui femblent eftre fort larges par le bas , & qui s'a-proclient tellement l 'une de l 'autre par le hau t , que

Ii ij

1522.

D'une cave cons fiderable.

Ils y trouvent une façon de la-byrinte.

Indiens qui ha­bitent dans des antres de rochers.

Montagnes re-marquables.

Page 284: Histoire génerale des voyages et conqvestes des Caftillans dans les Ifles

1522 2 6 8 H I S T O I R E les Indiens y paffent en touchant un pied de chaque collé.

Voilà tout ce qui fe peut dire quant au Royaume des Mifteques, refte maintenant à parler des Provinces des Zapoteques , des Cuyoateques, & d'autres qui leur font contigus , dont les çouftumes font plus générales, auffi bien que tout le refte. Les Zapoteques eftoient des gens terribles & effranges. Leur Seigneur faifoit fon ordinaire fejour dans la ville de Teozgpotlan ; il avoit guerre contre les Mixes, gens qui habitoient dans les montagnes, & contre le Seigneur de Tutupec, du Sud , parce qu'ils ne fe tenoient jamais en repos dans leurs maifons. Ils combatoient avec des armes offén-fives & deffenfives contre leurs ennemis , & fe fer-voient de frondes, & de cafques ou falades de pierre d'azur. Ils portoient tous de femblables habits, & de mefmes vivres , & ils prenoient leurs noms des ani­maux , des bois, des montagnes, des forefts, des riviè­res , des fontaines, des fleurs, & des rofes, comme Madame de Quatre-Rofes , Moniteur de Cinq Gue­nons , Moniteur de Vingt-Lyons ; & ainfi des autres. Lors que les Caftillans commencèrent la guerre con-tre les Mexiquains, ils firent paix avec eux. Tou te cette terre eft fort afpre, & la plufpart ne font que montagnes fort hautes , & eft de plus grande eften-duë que celle des Mifteques. Il s'y recueille les mef­mes chofes que dans les autres Provinces ; & elle pro­duit les mefmes fruits & les légumes comme en Caftil­le La plufpart de ces gens aloient tout nuds , mais ils fe veftent maintenant, & il n'y en a pas un quitte porte un chapeau, & fe coupent les cheveux comme les Caflillans, ce qu'ils tenoient à grand affront lors de leur gentilité. O r comme ils avoient toujours la guerre contre leurs voifins, auffi eftoient-ils toujours prefts à combatre ; car fitoft qu'ils fe rencontroient par la campagne, il faloit fe b a t r e , & les vainqueurs lioient les vaincus par les parties honteufes avec la corde de leurs arcs, & les menoient ainfi en triomphe

N o m s que fe donnoient les Indiens..

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , LiV. III , 269

dans leur peuplade, puis ils s'en fervoient, du ils les menoient vendre dans les marchez , où ils les facri-fioient. Leur Religion eftoit prefque femblable à cel­le des autres Indiens, & leurs couftumes auffi ; Ils facrifioient les hommes à leurs Dieux , 6c les femmes à leurs Deeffes, ouvrant le fein d'un teton à l 'autre ; d'où après avoir tiré le cœur, ils mangeoient le corps. Ils facrifioient auffi des enfans, & des animaux qu'ils chaffoient dans les bois. Ils obfervoient le jeufne à de certains temps de l 'année , quelquesfois d e quarante jours, & d'autres fois de quatre-vingts, mangeant de quatre en quatre jours d'une certaine herbe qu'ils appellent Pifate , qui eft fort Médicinale ; & puis ils fe tiroient du fang de la langue & des oreilles , qui eftoit leur difcipline. Dans la peuplade de C o a t l a n , ils avoient un Cacique appelle Petela, qui veut dire chien , qu'ils difent eftre defcendu de ceux qui efcha-perent du Déluge gêneral ; & l'eftimoient fort vail­lant. Quelques Caftillans difent l'avoir veû & connu, & le Bachelier Barthélémy de Pifa-Vicaire de ce lieu, certifia, qu'ils luy faifoient des facrifices comme à un Dieu ; & ils l'avoient enterré tout fec , & embaumé de toute fon eftenduë ; mais qu'il le fit déterrer & brufler publiquement. Quelques années après le Bé­néficié Eflienne Ramos , trouva eftre véritable que dans une maladie générale qui arr iva, dont il mourut quantité d ' Indiens, les principaux du lieu recomman-cerent de facrifier à Petela , afin qu'il impetraft de Bezalao, qui eft le Démon , qu'il fift ceffer ce t te mala­die , & que le Bénéficié les fit p rendre , & les envoya à l'Evefqne de Gaxaca. Il y a une cave dans cette peu­plade qui eft fort fpacieufe 6c grande , dans laquelle plufieurs perfonnes font en t rez , qui ont affirmé qu'elle alloit aboutir à la ville de Chiapa, qui eft à deux cens lieues de-là.

I i iij

1522

D e leur Rel i ­g ion & facrifi-ces.

ils tenoient un Cacique pour an. Dieu.

Cave de deux cens lieues d'é-tendue.

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2 7 0

1522

H I S T O I R E

C H A P I T R E X V .

Coninuation de la Religion , façons & couftumes des autres Nations de la Nouvelle Efpagne.

DAns la peuplade d'yzcatian, ils avoient plufieurs Dieux , & obfervoient diverfes Feftes. Ils avoient

u n fouverain Preftre , qui eftoit efteu par les autres Preftres ; ils n e fortoient point d u T e m p l e , & s'ils pe-ehoient avec quelques femmes , ils eftoient mis en pièces, & celuy qui eftoit efleu à la place du m o r t , l 'on luy reprefentoit devant les yeux les pièces d e fon corps pour luy fervir d 'exemple ; & s'il eftoit marié, il faloit qu'il quittait fa femme. Lors que quelqu'un fe vouloit marier , il s'en alloit trouver les Preftres, o n le faifoit monter au plus haut du Temple le jour que le marché fe tenoit , un jour de Fefte ; ils luy coupoient quelque p e u de fes cheveux, & difoient à haute voix ; Celuy-cy fe veut marier ; puis e n d é p e n ­dant , la première f e m m e qu'il rencontra i t , eftoit à l uy , fi on ne la cachoit , ou qu'on ne la détournaft. Il y avoit des chaftimens pour toute forte de vices 5 l e s biens du larron après eftre jugé & condamne eftoient délivrez à celuy à qui le Vol avoit efté fait. Ils ne chaftioient point le Sodomite ; & celuy qui f e trouvoit chargé de péchez, plus il donnoit d'offran­des dans le T e m p l e , & plus on luy en pardonnoit. Les enterremens des Preftres fe faifoient dans le Tem­ple. Ceux des Seigneurs, dans leurs maifons, & l e s obfeques duroient dix jours. Lors qu'ils eftoient prefts de mourir , ils faifoient des teftamens, & donnoient leurs biens à qui bon leur fembloit. Dans la peuplade de Tecomanaca, qui eft dans le chemin Royal de Gua-xaca à Mexique , Montezume allant pour livrer b a ­taille aux indiens de Zapotitlan , fe fafchant de ce que l'on avoit plus de foin des viandes que l'on devoit

Deleurs Maria­ges.

Ils chaftioient rigoureusement le larron,& non le fodomite.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv.III. 271 manger , que des armes avec lefquelles ils dévoient combattre , il fit brifer toutes les Xicaras, & les Tecomanaca,qui font une efpece de pots , de cuves & de marmites , d'où eft venu ce nom de Tecomanaca; Et cette Province fut pacifiée par l 'ordre de Fernand Cortés ; & exécuté par lean Nunez de Mercado. Dans la peuplade de Guaxtlotitlan, les mariages s'y fai-foient comme dans Mexique , en nouant le manteau du mary avec la robe de la femme. Si la femme eftoit t rouvée en adul tère , le mary la devoit accufer deuant le Cac ique , & fi elle eftoit convaincue, ils la tuoient, & la bailloient à manger à tous ceux qui fe trou-voient prefens, en publiant le délit. Dans la Province d'ytztpexic, lors que Cortés eftant dans Mexique l'on receut nouvelle par les Indiens de Guilapa,qu ' i l eftoit entré dans cette ville certains hommes veftus de fer que la M e r avoit je t tez à t e r r e , qu'ils appelloient fils du Soleil , dont il y alla pour Capitaine un Caci­q u e , appelle de la Garça. Ceux-là furent après ap­peliez par les Mexiquains pour combatre contre les Caftillans. Icy ils fe marioient autant de fois qu'ils vouloient , & les adultères ne mouroient pas , mais elles eftoient feulement répudiées. Dans yzipec, ceux à qui l'on avoit dérobé , eftoient les bourreaux de leurs larrons. A la femme adultère on luy coupoit le nez & les oreilles, à la requefte du mary , & payoient neuf couvertures ou tapis au Seigneur.

Dans la Province de Tecoantepec , qui fignifie mon­tagne de tygre , les Mixes eftoient fujets ; il y avoit en t re eux diverfité de langage. Elle eft au 16. degré, & à 6o. lieues de Soconufco ; jamais Montezume ne la put mettre entièrement fous fon obeïfgance quoy qu'il y allaft en perfonne, parce que le Seigneur de Tutepec eftoit puiffant , qui le deffendoit, & qu'il ne vouloit pas qu'il gagnaft une bataille contre ces bar­bares , de crainte qu'il n'euft affujety la Province. Il s'y trouve une raifine odoriférante. Dans la Province de Temit lan, de la langue de Mazataca,qui eft vis-à vis de

La femme adul-tere eft tuée , & mangée .

1522.

Diverfts couftu mes de ces In-diens. Icy l'on ne chat-tioit point les adulteres.

Couftume des Mazateques.

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1522.

272 H I S T O I R E celles des Mifteques, ils efcorchoient les perfonnes qu'ils facrifioient, & portoient les peaux des hommes facrifiez par les villages en demandant l'aumofne. Vn jour de Fefte fort célèbre qui fe faifoit tous les ans , deux Preftres montoient au haut du Temple , & frapoient fur un tambour de guerre , au fon duquel tous les Indiens qui eftoient dans la campagne fe dé­voient retirer dans leurs maifons & dans le vilage ; puis ceux qui avoient porté les peaux des facrifiez fortoient, & couraient dans la campagne jufques à midy , & tout autant de perfonnes qu'ils rencon­t ra ien t , ils leur faifoient une petite couronne à la tefte en coupant de leurs cheveux , qui eftoit une marque qu'ils dévoient eftre facrifiez dans un an. Dans les peuplades d ' V z i l a , & d 'At la t lanca , de la langue Chinanteque, qui eftoient de la fujetion de Montezume , & ou il y avoit garnifon, lors qu'il n'y avoit point-d'efclaves pour facrifier, le Seigneur choi-fiifoit celuy que bon luy fembloit, Ils avoient des quartiers particuliers, où fe tranfportoient les Exécu­teurs des commandemens du Seigneur , pour ordonner ce qu'il eftoit de faire pour fon fervice, & s'ils n'obeïf-foient auffi - toft, ils eftoient tuez fur le champ pour ce refus, quoy que la chofe ne fuft pas de confequen-ce. D e forte donc que par cette cruauté , ils eftoient ordinairement dans une perpétuelle fervitude , qui n'avoit jamais de relafche. Dans la guerre que fai-foient les Tuateques, les Capitaines alloient toujours devant , & ils eftoient remarquables à caufe des nœuds de leurs cheveux qui paroiffoient au deffus de leur tefte en façon de pennache. Le Cacique choififfoit les plus vaillans ; mais leurs guerres ne duraient pas beaucoup, parce qu'ils en venoient auffi-toft aux mains. A ceux-cy , Montezume ordonnoit que deux fois l 'année, à fçavoir une fois en Efté, & l'autre fois en H y v e r , ils fiffent une Oraifon à leurs D i e u x , & que pour la rendre plus célèbre , il faloit qu'ils s'abftinf-îent cent quarante jours de voir leurs femmes, & de

commettre

Couftumes des Chinanteques.

la dure Loy, où ils vivoient.

Leur manière de faire pénitence.

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DES INDES O c C I D E N T A L E S , Liv. I I I . 273 commettre aucun péché quelqu'il fuft. Ils ne dévoient point manger de fel, de po ivre , ny aucunes douceurs, mais feulement des galettes ou gafteaux fecs, & un peu d e mayz boüilly,& rien qu'une fois le jour ; & toutes ces abftinences fe dévoient faire dans les cent quarante jours. Mais ceux qui vouloient faire de plus grandes pénitences fe veftoient de feuilles qu'ils appellent Chi-chicaftli, & nous des Orties, & pendant tout le refte de ce temps-là ils le paffoient à faire leur mitote , c'eft à dire à danfer & de jour & de nuit ; en fuite dequoy ils s'affembloient tous avec le Gouverneur , pour qu'il leur fervift de guide & les menaft où fe devoit faire le facrifi-ce. Comme ils eftoient au lieu deftiné pour cet effet, ils faifoient mourir un enfant qui n'euft point encore pe -ché,ils tuoient une poule & d'autres animauxj & du fang qu'ils en tiroient ils en jettoient fur leurs Idoles, qu'ils adoroient ; puis ils laffoient-là ces corps morts jufques à ce que les Aures & les corbeaux les vinffent manger.Ce pendant que l'on faifoit le facrifice, ils encenfoient le lieu où on le faifoit de plusieurs gommes fort odorantes. Apres que toutes ces cérémonies eftoient achevées , ils fe joignoient tous enfemble & faifoient une fefte fort folemnelle, & grande , & pour le faire avec plus de r é -jouiffance on leur donnoit quantité de viandes : outre qu'ils achetaient trois ou quatre perfonnes des autres Provinces , en façon d'efclaves , qu'ils tenoient pour manger & pour rendre la fefte plus célèbre, fe réjoüif-fant à force de manger & de boire,,

K k

1522

Sacrifice bar­bare qu'ils fai­foient en leurs feftes.

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274 H I S T O I R E 1522.

C H A P I T R E X V I .

Chriftofle de Tapia arrive avec fes provifions Royales dans la nouvelle Efpagne , qui les prefente ; mais comme on

ne le voulut pas écouter il s'en retourne à l'ifle Efpagnolle.

CEpendant que Cortés donnoit ordre aux chofes dont nous venons de par ler , & qu'il s'appreftoit

pour aller à Panuco , comme il fe dira cy-apres, Chrifto-fle de Tapia arriva à la Vera Cruz avec les ordres cy-deffus déclarez, qui luy furent envoyez de Caftille, pour prendre le Gouvernement de toutes les terres ôclfles que l 'Adelantado Diego Velafquez avoit découvcrtes, fans préjudice de fes provifions & faveurs, avec la jurif-diction civile & criminelle, tout ainfi que la poffedoit le Gouverneur de Caftilla del Oro, & que Diego Velafquez la pouvoit tenir. Et tout d'un temps pour recevoir les informations des plaintes qui avoient efté faites contre Cortés touchant fon foulevement, & procéder jufques à le prendre prifonnier, & fequefftrer fes biens, & de fes complices ; & d'envoyer le procès au Confeil, fans met­tre aucune peine en exécution, parce que l'on preten-doit faire fubir un rigoureux chaînaient à Cortés ; la vo­lonté du Roy eftànt que fes Gouverneurs fuffent obeïs, & que les ordres de ceux qui eftoient porteurs des pa­tentes Royales fuffent exécutez ; E t principalement parce que Cortés pouffé par une avarice & ambition, avoit fait entendre à ceux qui l'accompagnoient que les ordres qu'il portoit eftoient expirez, & qu'il n'avoit plus de pouvoir de peupler , ny de faire autre chofe qu'ils euffent bien fouhaité ; & qu'enfin il les avoit perfuadez de l'eflire pour Gouverneur & Capitaine gêneral. O u ­t re cela il avoit encore la faculté de nommer un Procu­reur fifcal, pour affifter aux procès. O n luy avoit auffi mandé qu'il foignaft à Diego Velafquez, & à tout ce qui

Commiffion de Chriftofle de Tapia.

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CES INDES O c c i d E N T A L E S , Liv.III. 275 fuy appartenoit das les terres qu'il avoit découverts fé­lon fes provisions. Et il avoit oncore un autre ordre, de prendre garde aux découvertes que feroit Iean Ponce de Léon , du cofté de la Flor ide, où François de Garay avoit commencé à découvrir , jufques à la fin de fa dé­couver te , fans anticiper fur les gens de Diego Velaf-quez. Et afin de mieux entendre le différend des par­ties , qu'il envoyait une déclaration fuivant fon fenti-m e n t , des bornes & divifions qui pouvoient appartenir à chacun,afin que le Roy les adjugeait à ceux à qui elles eftoient ; Parce qu'il avoit donné le titre d'Adelantado à François de G a r a y , & le Gouvernement de cette Pro­vince , qu'ils appelloient Garayana, qui eftoit celle de Panuca.

Voila donc ce que portoit la commiffion de Chrifto-fle de Tapia ; lequel en tout cas voulut faire le voyage, quoy que l'on luy euft perfuadé le contraire. Eftant ar­rivé à la Vera Crux il prefenta les provifions aux Offi­ciers du Confeil , lefquels luy repondirent adroitement par diffimulation ; que la plufpart des habitans eftoient dans Mexique au fervice du Roy , mais que néanmoins ils les acceptoient ; mais qu il eftoit neceffaire que les abfents furent de retour pour les accomplir ; Et cependant ils donnèrent avis à Cortés de ce qui fe paffoit. Chriftofle de Tapia mal fatisfait de cette réponfe , luy écrivit auffi, & luy manda le fujet de fa venue ; luy difant par fa l e t t r e , qu'il ne luy envoyoit pas la copie de fes commifftons , mais qu'il les luy communiqueroit lors qu'ils feroient enfemble ; qu' i l ne fe met-toit pas fi-toft en chemin afin de donner du temps à fes chevaux pour fe delaffer de la fatigue de la mer ; Qu'il le prioit de don-ner ordre comment ils fe pourroient voir, foit que Cortés le vou-luft venir trouver à la mer ou il l'attendroit, ou que Tapia paffaft à Mexique. Cortés luy fit réponfe, qu'il fe rèjoüif foit de fon arrivée, à caufe de l'ancienne amitié qu'ils avoient de tout temps eu enfemble, & qu'il luy envoyoit frère Pierre Melgarejo d'Vrraa, de l'Ordre de la Mercy, Commiffaire de

la Croisade , qui l'informeroit de l'eftat des chofes, avec le­quel il pourroit communiquer & accorder ce qui luy fembleroit

K k

1522.

François de Ga-ray a le tiare d'Adeiantado.

Chriftofle de Tapia prefente fes provifions à la Vera Cruz.

Ce qu'il écrit à Cortés.

La réponfe que Cortes luy fait.

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1522. 276 H I S T O I R E utile & convenable pour le fervice du Roy & pour le bien de la terre , dont Une s'efloigneroit jamais ; il luy donna ordre auffi de le faire traiter dans la Vera Cruz, & par tout ail­leurs o u il voudroit , felon que fa qualité le requeroit. Cependant Cortés eftoit fur les termes d'aller à la Vera Cruz pour vifiter Chriftofle de Tapia , jugeant qu'il eftoit plus à propos d'en ufer ainfi, que de le laitier venir à l ' a rmée , où on ne manque jamais de trouver des avis contraires. Mais les Alcades 6c les Magiftrats de la ville de Cuyoacan ; & d'autres Officiers Royaux déclarèrent qu'attendu que les chofes n'eftoient pas encore bien éta­blies , fon abfence hors de ces Provinces pourrait caufer de grands préjudices , & faire naiftre des altérations dans l'armée ; Q u e partant il demeurait ; & qu'ils s'off froient d'aller à la Vera Cruz, pour fçavoir les préten­dons de Chriftofle de Tap ia , afin de voir ce qui ferait l e plus convenable pour le fervice du Roy,

Cortés voyant cette voye eftre la meilleure, accepta leur offre, & commanda à Diego de S o t o , & à Diego de Valdenebro , conjointement avec les députez du Confeil de Cuyoacan, & avec ceux des Confeils de la Vera Cruz, de Segura de la frontera , & del Spiritu fancto, d'aller traiter avec Chriftofle de Tapia ; E t donna avis à Gonçale de Sandoval qui eftoit dans la Province de Coazacoalco , da l le r intervenir en cette affaire comme Sergent Major. Sandoval ne perdit point de temps à exécuter cet ordre, avec lequel fe joignit André de T a ­pia, & d'autres Capitaines auffi, qui s'écartèrent de l'ar­mée fecretement, expreffément pour cela. Il entra dans la Vera Cruz avec deux cens hommes d'infanterie, C a ­ftillans bien armez. Chriftofle de Tapia fit ce qu'il pût pour perfuader Sandoval de fuivre fon party ; luy re -prefentant qu'en agiffant ainfi il fuivroit les Ordres du Roy , & fuivroit le véritable chemin ; & pour ce t effet il luy fit de grandes offres. Mais Sandoval luy fit répon-fe que les Gouverneurs de Caftille eftoient tres-mal in­formez de l'eftat de la nouvelle Efpagne , & qu'ils n e prenoient pas un bon chemin pour établir cet Empire.

Le Confeil de Cuyoacan ne veulent pas laiffer fortir Cartes.

Offres de Tapia à Sandoval.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I I I . 277 E t d'autant qu'il avoit oüy dire que quelques particu­liers du Régiment de la Vera Cruz cherchoient des nouveau tez , il leur parla avec André de Tap ia , & les appaiferent par ce moyen. Cependant Chriftofle de T a ­pia infiftoit pour que l'on vift fes provifions ; mais les fuf-nommez eludèrent adroitement, & dirent qu'il en faloit premièrement donner avis à Cortés , & à tous les Caftil-lans ; & attendre encore que l'on euft affemblé les Pro­cureurs des Confeils des peuplades que l'on avoit fon­dées. Dans ce mefme temps André de Tapia receut or­dre de Cortés de fortir de la Vera Cruz, & que laiffant quelques foldats à Gonçale de Sandoval , avec le refte il s'en allait peupler un village, & qu'il envoyaft des Procureurs pour fe joindre avec les autres. Ce qu'il exécuta auffi-toft, & fonda le village qui eft à trois lieues de la Vera Cruz, en la cofte de la mer , fur les rives du fleuve, tout devant l'Ifle des Sacrifices, & l'appella Me-dellin , qui eft le nom du lieu de la naiffance de Cortés. Les Procureurs de ce village & les autres-, s'affemble-r e n t , & virent les provifions de Chriftofle de Tapia ; Ils refolurent d'ufer de fupplication, & en requirent Gon­çale de Sandoval, afin de pacifier les cho fes, & qu'at­tendu que cela eftoit en quelque façon necefaire pour le fervice de fa Majefté & le repos de la terre , qu'il noti. fift à Chriftorle de Tapia la-fupplication, & qu'il s'em-barquaft, & s'en allaft ; & que ne le voulant pas faire l'on fe faifift de fa perfonne, & que l'on l'envoyaft en Caftille. De forte qu'après quelques conteftations qu'il y eut de part & d'autre ; luy difant que fes provifions eftoient fauffes, & qu'il eftoit incapable d 'exercer une charge de fi grand poids ; fe voyant ainfi mal-trai­té de paroles , & mefme menacé , il refolut de s'en retourner à l'Efpagnolle. A peine y fut-il de retour que l'Admirai l 'Audience luy firent des réprimandes, de n'avoir pas voulu fuivre leur confeil, en abandonnant cette entreprife. Comme il fe vit ainfi rebuté tant d'u­ne part que d'autre il repaffa en Caftille, pour fe plain­dre de Cortes dont les aftuces, felon qu'il le faifoit

kk iij

1522

fondation de la peuplade de Medell in,

Chriftofle de Tapia s'en re—-tourne à l'El-pagnole.

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1522

278 H i s t o i r e

entendre , a v o i e n t caufé cette defobeïffance. Incontinent après que Chriftofle de Tapia fut party,

Iean Bono de Quexo arriva, avec des lettres fignées de l 'Evefquede Burgos, en blanc, & d'autres encore pour des perfonnes de connoiffance, leur enchargeant d'ad­mettre Chriftofle de Tapia pour Gouverneur ; difant que le Roy eftoit mal-content du fervice de Fernand Cortés. Il y en avoit encore une pour luy , qui luy per-fuadoit la mefme chofe, luy promettant que le Roy luy feroit faveur. Ces lettres exciterent les efprits de plu-fieurs, qui eftoient amis de nouveautez ; Car fuppofé que Cortés agiffoit prudemment , & qu'il tafchoit de les contenter tous, comme l'homme eft un animal difficile à gouverner il ne manquoit pas d'y avoir toujours des mal-contens. Et fi Gonçale de Sandoval & les autres avec lefquels il traitoit n'euffent pas ufé tant de diligen­ce à chaffer Chriftofle de Tapia de la t e r re , cela euft fans doute caufé du trouble ; Et plufieurs dirent là-def-fus que puis qu'il y en avoit bien dans T o l e d e , ce n'euft pas efte une chofe fort effrange qu'il y en euft eu dans la nouvelle Efpagne : E t fi ces difcordes commençaient à s'émouvoir entre les Caftillans, les Indiens ne man­queraient pas auffi de fe revolter. Mais la prudence dont Cortés fe fervoit ordinairement, & l'induftrie avec la­quelle il procedoit , les prevint auffi-toft. Il aprit en ce rencontre que le Treforier Iean d'Aldrete eftoit convenu de le tuer lorsqu'il feroit à genoux en enten­dant la Meffe. Il luy dit comme il avoit eu avis de cela ; il confeffa la vér i té , & luy en demanda pardon. V n Pré­fixe appelle Léon fut encore découvert par Cortés mef­me du mauvais deffein qu'il avoit, qui eftoit de mettre le feu à un baril de poudre au deffous de la chambre où il eftoit afin de le faire fauter ; mais il paffa tout cela fous filence ; parce que comme il eftoit prudent & fage,il fça-voït fort bien Part de diffimuler & fe conformer au temps. Cependant les Indiens qui voyoient de grandes apparences de t roubles, quelques-uns voulurent auffi

Cortés appaifa cela par le cha-

L'Evefque de Burgos m a n d e que l'on reçoive tapia au Gou-Verneme c de la nouvelle Ef-pagne,

l e s gens de Coites atten­dent far fa per-fonne.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . III 279

ftiment de quelques-uns, & par la douceur envers les autres.

C H A P I T R E X V I I .

Fernand Cortés envoyé reconnoiftre la cofte de la mer du Sud, & y fait armer des Navires.

C omme Cortés ne fe pouvait pas tenir en repos, il brufloit du defir d 'achever de découvrir les fecrets

de la t e r r e , afin d'avoir des ports en la mer du Sud pour faciliter les découvertes de cette cofte,efperant de ren­contrer de riches Ifles, & particulièrement celle de l'Ef-picerie, fans donner fujet aux Portugais de fe plaindre que l'on anticipait fur leurs bornes & limites. 11 envoya pour cet effet quelques Caftillans qui s'offrirent de le faire du cofté de Xalifco, mais ceux-là ne revinrent point. Il y envoya puis après Francifco Chico, avec trois Caftillans & quelques Indiens, du cofté de Zacatula avec ordre qu'en reconnoiffant toute la cofte du Sud, ils priffent garde s'il n'y avoit point quelque lieu propre pour fabriquer des Vaiffeaux. Ceux-cy pafferent à Te-coantepeque & à Zacatula , & dans d'autres lieux encore, & prirent poffeffion de cette m e r , & de la terre auffi par mefme moyen, en y mettant des croix , & d'autres fem-blables remarques. Ils déclarèrent aux originaires de ces lieux la teneur de leur commiffion ; & ils leur demandè­rent de l'or & des perles pour monflrer à leur Capitaine. Ils y furent fort bien reçeus & régalez, parce que la ré ­putation de fes grandes victoires avoit deja paffe en tous ces lieux-là. En fuite dequoy ils retournèrent à Mexi­que , où Cortés receu t , & regala fort bien quelques In­diens de ces lieux qui eftoient venus avec eux , & leur donna des prefens, avec lefquels ils s'en retournèrent fort contents. Auffi-toft après , le Seigneur de Tecuante-feque envoya à Cortés un prefent , d'or , de plumages & d 'armes, avec offre de fa perfonne & de fon Eftat pour

1522

Cortés envoyé découvrir mer du Sud.

Les Caftillans en prennent poffeffion,

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1522.

280 H I S T O I R E le fervice du Roy de Caftille ; & peu de temps après il demanda des Caftillans Se des chevaux à fon fecours contre le Seigneur de Tutu tepeque de la coite du Sud qui luy faifoit la guerre , à caufe qu'il avoit fait amitié avec Cortés. A caufe dequoy Cortés luy envoya Pierre d'Alvarado avec deux cens Infants Caftillans Se quaran­te chevaux , & deux pièces de canon de bronze. Il paffa par Guaxaca ; Il demeura un mois à faire ce chemin là ; & quoy qu'il euft trouvé de la refiftance en quelques l ieux, il les rangea dans l'obeïffance. Le Seigneur de Tu tu tepeque les voulut loger dans fon Palais, qui eftoit grand & magnifique, & la peuplade fort grande j mais Alvarado ayant apris que ce Seigneur avoit deffein de le brufler luy & les liens cette nuit-là, s'en exeufa honne-ftement par diffimulation, difant que le logement n 'e -ftoit pas propre pour fes chevaux,& demeura dans le bas de la peuplade , avec le Seigneur & fon fils, aufquels il dit qu'il les retenoit prifonniers, & il leur en dit le fujet. Mais ils fe rachetèrent moyennant vingt-cinq mille Ca ­ftillans d 'or , parce que la terre eftoit fort riche en mi­nes, & il s'y faifoit quantité de foires. Pierre d 'Alvarado peupla dans Tututepeque, afin de tenir cette Province en plus grande feureré , & appella la ville, Segura , & re ­commanda aux Habi tans quelques Provinces,par l'or­dre de Fernand Cortés. Mais eftant arrivé du trouble entre e u x , après quelques querel les , qui ne fe purent pas te rminer , ils abandonnèrent la place & allèrent à Guaxaca, dont les principaux eftoient Iean Nunez Se-d e n o , & Fernand de Badajoz. Cependant Cortés avoit envie de chaftier ceux qui avoient caufé le defordre, & pour cet effet il y envoya fon Alcade Major Diego d 'O-campo, pour Commiffaire Examinateur , qui en chaftia quelques- uns , & en condamna un à la mort ; mais com­me Cortés eftoit naturellement doux Se bénin , & qu'il pardonnoit facilement, il changea la peine de mort à un banniffement. Auffi-toft après le Seigneur de T u t u t e ­peque mourut , à caufe dequoy quelques peuplades de la Contrée voulurent remuer. Mais Pierre d'Alvarado y

rptourna,

Alvarado va fe-courir le Sei­gneur de Tutu-sepeque.

Mais on luy donne avis que le Seigneur de-Tututepeque le veut tuer.

Alcarado peu­ple Segura,

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DES INDES O c c I D E N T A L E s , Liv. I I I . 281 re tourna , & quoy qu'ils luy euffent tué quelques Ca­ftillans de des Indiens a l l iez , il les vainquit , de les r e ­mit fous l'obeïffance, de l'on céda de peupler la ville de Segura , de dés lors Alvarado commença d'ouvrir le chemin pour aller dans les Provinces de Soconufco, & de Gecatemala.

Cortés avoit auffi envoyé Guillaume de la L o a , Caftillo, de l'Enfeigne Roman Lopez , & deux autres, au milieu de la t e r r e , entre les defcentes de la Cor ­delière de la Mer du Nor t , lefquels pafferent par Xaltepeque, qui eft dans les Zapoteques ,& prirent leur chemin vers les defcentes de Chiapa, de par Vtlatepe-que , de pafferent à Soconufco , qui font plus de quatre cens lieues ; puis ils revinrent par la M e r du Sud à Tecoantepeque, fe rencontrant fouvent dans de grands hazards de la vie. Cortés voyant donc une grande partie de la cofte de la M e r du Sud defeouverte , de que l'on y pouvoit aller en toute feure té , & en paix ; il ordonna que des Maiftres Charpentiers allaffent à Zacacula, pour fabriquer deux Navi res , pour recon-noiftre toute la cofte , de le Détroi t que l'on penfoit trouver là auprès , de ordonna que l'on y fabricaft en­core deux Caravelles pour chercher les Ifles de l'Ef-picer ie , de fournit pour cet effet de voiles, de corda­ges , de ferremens , de de toutes les autres chofes ne-ceffaires, fe fervant en cela de ceux qui eftoient à la Vera Cruz, qui avoient efté apportées fur les efpaules des hommes & des femmes, quoy que le chemin fuft long. Il ordonna auffi au Capitaine Chriftorle d 'Olid qui eftoit à Mschoacan , qu'il allait faire travailler à cet ouvrage en di l igence, de qu'il côtoyaft la te r re avec les Navires. Chriftofle d 'Olid y alla avec cent Infants Caftillans , quarante chevaux , de quelques Indiens de Mechoacan. Il aprit en chemin que les peu­ples de Colima eftoient en armes. Il y a l la , de com­batif plufieurs jours vai l lamment, de avec beaucoup de confiance ; mais enfin ne pouvant pas refifter, il fut contraint de fe retirer , après avoir perdu trois

L l

1522. L'on abandon­ne cette peu­plade.

Cortés envoyé d'autres Cafti lans defcouvnr la terre.

Cortés fait fa­briquer des Navires.

Chriftofle d ' O ­lid va contre ceux de Colima.

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1522. Gonça le de

Sandoval va fecourir Chri -

ftofle d'Olid

282 H I S T O I R E Caftillans,& quantité d'Indiens amis. Il demanda du fecours à Cortés, qui y envoya le Capitaine Gonçale de Sandoval avec foixante & dix Infants Caftillans , vingt chevaux, & quantité d'Indiens alliez. Gonçale de San­doval alla à YmpiltingO) & combatit vaillamment contre ces peuples , mais il ne les put domter , à caufe de l'af-preté de la t e r re , qui eftoit fort difficile pour les che­vaux. Il paffa à zaca tu la , vit la fabrique des Navi res , où il prit davantage de Caftillans, & s'en alla à Colima , par la mefme peuplade où Chriftofle d'Olid avoit efté obligé de fe re t i re r , & pacifia quelques lieux en che­min faifant. Ceux de Colima fortirent au devant de luy pour le combarre , penfant faire comme ils avoient fait à Chriftofle d'Olid ; mais le combat fut rude de part 6c d 'autre , & fort opiniaftré un grand efpace de temps : mais l ' indultrie, la prudence, & la diligence de Sandoval, firent beaucoup en ce rencont re , parce qu'il gagna la bataille , non fans perte de quantité d'Indiens de part 6e d'autre ; & quoy qu'il y euft quantité de Caftillans de bleffez, il n'en mourut pas un , pour avoir choifi pour la bataille un lieu propre , & où les chevaux avoient la courfe l ibre , qui dans toutes ces guerres furent fort utiles pour les Caftil­lans. Enfin les Colimas & les Ympilzingos furent entiè­rement mis en déroute & tellement déconfits, qu'ils fe rendirent vaffaux de la Couronne de Caftille ; & à leur exemple Cinatlan, & d'autres lieux obeïrent auffi. L'on fonda dans Colima une peuplade, où il fut laiffé vingt-cinq chevaux & cent vingt Infants, aufquels Cortés commanda de s'eftablir & partager la ter re entre eux. Apres quoy Gonçale de Sandoval s'en re­tourna à Mexique, & dit à Cortés qu'on luy avoit donné avis qu'à 10.lieuës de Colima,il y avoit une lfle fort riche, peuplée d'Amazones 5 mais quoy qu'on les euft cher­chées , elles ne parurent jamais y & l'on explique cela du nom de Cuatlan , qui veut dire peuplade de femmes.

Dans ce mefme temps Cortés eftoit fur les termes de renvoyer à Mechoacan un Capitaine avec quelques

Il met les Coli­mas en dérou­te.

l e s Caftillans trompez fur le m o t d'Amazo­nes .

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I I . 283 foldats ; mais comme il avoit quelque foupçon qu'ils fe pourroient foulever, il jugea à propos de diffimu-ler pour quelque temps, & envoya André de Tapia avec Chriftofle d'Olid pour paffer à la Mer du Sud , portant avec eux les noms des Alcaldes & de Dire­cteurs qui dévoient refter dans la peuplade de ME-choacan , & de ceux qui dévoient paffer à la peuplade de Zacatula , où le bois pour la fabrique des Vaiffeaux eftoit déjà coupé ; Avec ordre au Capitaine de Villa-Fuer te de demeurer avec eux ; & Chriftofle d'Olid retourna à Mexique. Ce voyage fe fit par l'induftrie & le bon foin qu'y apporta André de Tap ia , parce que les Mechoacane ques n'avoient pas déjà voulu fouf-frir d'y baftir une peuplade de Caftillans, dequoy les foldats n'eftoient pas fafchez, parce que ce leur eftoit un fujet de s'enrichir du butin qu'ils efperoient de faire à la première occafion de guerre qui arriveroit. Mais comme ils furent appaifez par le moyen de quel­ques trefors des Idoles, cela les retint & les uns & les autres ; & cependant la peuplade fe fit ; & Chriftofle d 'Ol id , & le Capitaine Villa-Fuerte pafferent à Zaca­tula avec quatre cents Infants & cinquante chevaux. Le Capitaine Villa-Fuerte eftant arrivé avec fes gens où il devoit prendre fon chemin , eut deffein que les foldats le requiffent de prendre la route d'une autre Province, qui tiroit vers le N o r t , dont plufieurs Ca­pitaines avoient déjà demandé de l'aller affujettir, & que pour ne leur donner pas un fujet de mefcontente-m e n t , Cortés leur avoit fait refponfe, qu'eftant de retour de Penuco , il vouloit luy mefme faire ce voya­ge ; Si bien que lors qu'il apprit que Villa-Fuerte y eftoit a l lé , il appréhenda qu'il ne vouluft fecoûer le joug de l'obeïffance, fe fervant de l'occafion du nom­bre de foldats qu'il avoit ; Ce qui luy caufa bien de l'inquiétude. Vi l le-Fuer te y entra fort négligem­m e n t , en donnant par trop de liberté aux foldats ; c'eft pourquoy les Indiens qu'il avoit amenez de Mechoacan, s'en retournèrent chargez de butin ; &

L l ij

1522.

Cartes eftablit une peuplade à Mechoacan.

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1522.

2 8 4 H I S T O I R E luy fortit auffi-toft de la Province , la laiffant toute en t rouble , & comme elle relevoit en partie de C a -zouzin, & qu'il eftoit allé faire fes plaintes à Cortés ; il le fatisfit, & le renvoya content des torts qu'il pre-tendoit luy avoir efté faits, & demeurèrent toujours amis.

C H A P I T R E X V I I I ,

Diego Velafquez veut aller contre Cortes. François de Garay arme pour aller à Panuco. Fernand Cortés va dans cette Province avec fon armée , & la met dans l'obeiffance.

Pour revenir à Diego Velafquez, nous dirons qu'il eut un grand reffentiment du mauvais fuccés de

Panfile de N a r v a e z , & ce qui luy angmentoic encore davantage fon courroux , ou pluftoft fa jaloufie, eftoient les profperitez qu'il entendoit tous les jours dire de Fernand Cortés ; joints au reffouvenir qu'il avoit d'avoir fait de fi grands frais fans en avoir tiré aucun profit. Et comme il ne manquoit pas d'amis en C o u r , qui l'animoient & encourageoient d'en avoir la raifon, il refolut d'armer encor fept Navires , avec lefquels il s'embarqua pour aller chercher à faire for­tune dans la Nouvelle Efpagne. Mais d'ailleurs ayant aveque luy le licencié Parada qui eftoit une partie de fon confeil, il luy reprefentoit les inconveniens qu'il y avoit d 'entreprendre ce voyage. Pa rce , luy difoit-il, qu'il eftoit tres-certain que Cortés n 'abandonneroit pas la Province , & qu'il ne pourroit pas atteindre au but qu'il pretendoit , fans refpandre beaucoup de fang ; Si bien qu'il refolut de retourner à faint Iacques. Cortés euft. avis du deffein de Diego Velafquez , par­ce qu'il luy arrivoit beaucoup de gens de toutes les Ifles, & mefme quantité de Marchands commençoient déjà à négocier dans la Nouvelle Efpagne, par le moyen

D i e g o Velaf­quez à deffein d'aller contre C o r t é s , mais o n l'en détour­n e .

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D E S Ï N D E S O c C I D E N T A L E S L iV . I I I . 285 desquels il apprenoit tout ce qui fe paffoit. Il avoit auffi receu quelques provifions de l'Admiral Diego Colon , pour qu'il euft à luy fatisfaire de fes droits d'Admirauté , ainfi qu'il en droit de l'Efpagnolle, prétendant que cela luy appartenoit par la Déclara­tion qui en avoit efté expédiée au Confeil ; mais il n'y vouluft pas entendre. Incontinent après il receut lettre de François de Garay , par laquelle il luy don-noit avis que le Roy luy avoit fait largeffe du Gou­vernement de Panuco, & qu'il levoit une armée avec l'afliftance & faveur de l 'Admiral, pour en aller pren­dre la poffeffion. Mais Cortés qui ne pouvoit fouf-frir que quelqu'autre que luy euft la domination dans ces quartiers ; outre que fon intention avoit pour pré­texte de ne permettre pas que de fon temps les ren­tes Royales fuffent aliénées, ny que l'Admirai y peuft prétendre. Outre que pour l'inconvénient qu'il y avoit qu'il y euft deux jurifdictions dans fi peu de diftance, pour les troubles & diffenfions qu'il y auroit inceffam-ment entre les Caftillans & les Originaires de la terre. Ioint que les peuples de la contrée de Panuco fe pour-roient foûlever & refifter contre les gens de Garay , comme ils avoient déjà fait autrefois après les avoir pacifiez, parce que fans doute ils luy en deffendroient l 'entrée. Il refolut de prévenir Garay , & d'aller en perfonne occuper & peupler la r ivière , difant auffi que ces Indiens luy demandoient du fecours contre leurs Ennemis, & qu'il eftoit à propos de les favo-rifer.

Cortés fe voyant donc exempt de l'inquiétude que François de Tapia luy avoit caufée , & d'autres enco­re , refolut d'aller en perfonne, tant pour peupler & affeurer cette t e r r e , que parce qu'il luy fembloit que fa prefence remedieroit à toute forte d'inconvénients. Apres donc qu'il eut difpofé de toutes chofes dans Mexique pour fon reftabliffement, à quoy il s'occupait le plus, il fortit avec trois cens Infants & quatre vingt chevaux, quelques pièces de campagne & quarante

L l iij

1522.

François de Ga-ray donne avis à Cortés qu'il va à Panuco.

Certes le pre-rient.

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286 H I S T O I R E mille Indiens Mexiquains, luy femblant qu'il eftoit plus à propos de fe fervir d 'eux, que d'autres , afin que la ville fut plus en feureté , avec deffein d'obéir aux provifions Royales de François de Garay , & en fuf-pendre l'accompliffement jufques à ce que le Roy en fuft informé. Parce qu'il difoit que le port de cet te rivière eftoit le meilleur port de toute la Nouvelle Efpagne, & qu'en cas que le négoce fe deuil faire par cet endroit , il n'eftoit pas à propos de divifer les Iurifdictions. Comme il vint à paffer par Ayotuxtetlat-lan, ceux de cette peuplade fortirent en armes pour luy en empefeher l 'entrée , & quoy qu'ils fuilent en plus grand nombre , néanmoins leur livra bataille. Comme elle fe fit dans une campagne rafe , où les Caftillans avoient de l'efpace pour leurs chevaux , elle fut bien-toft achevée , mais il y mourut quantité d'Indiens Mexiquains, outre cinquante Caftillans de bleffez , & quelques chevaux. Cortés demeura là quatre jours pour les faire penfer, pendant lequel temps il vint quantité de peuple de tous les vilages circonvoifins de cette ligue pour luy rendre obeiffance, avec de grands prefens. Il paffa à Chila, à cinq lieuës de la M e r , qui eftoit le lieu où les gens de François de Garay furent mis en déroute. Il envoya des Meffa-gers par toute la contrée de l 'autre cofté de la riviè­r e , les requérant de pa ix , en leur faifant entendre le contentement qu'ils recevroient de Cor tés , & qu'il les affectionneroit beaucoup plus que s'il les y contrai-gnoit par la force. Mais les Indiens s'imaginant que comme ils eftoient fortifiez dans leurs lacs, perfon-ne ne les pourroit offenfer , & qu'ils mangeroient les gens de Cor tés , comme ils avoient fait les au t res , ne voulurent pas accepter la paix ; bien au contraire , ils tuèrent quelques Meffagers. Cortés néanmoins ne fit point de cas de cela , il perfifta quinze jours à taf-cher de les mettre dans le devoir mais après tou t , voyant que toutes fes pourfuites ne fervoient de rien , & qu'à caufe de leurs lacs y il ne leur pouvoit rien faire ;

1522. Cortés va à Pa-nuco avec une armée.

tes Indiens luy livrenr bataille, & la perdent.

Les gens de Ga­ray font défaits à Chila.

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DES INDES 0CCIDENTALES, Liv. III . 287 il chercha des barques , & paffa de nuit avec cent Caftillans de l'autre cofté de la r ivière, & quarante chevaux mais ayant efte defcouverts à la pointe du jou r , ils furent chargez d'un fi grand nombre d'Indiens, & avec tant de furie , que jamais les Caftillans ne fe virent attaquez fi fortement. Ils tuèrent deux che­vaux & en blefferent dix ; mais avec l'aide des Indiens alliez ceux de Panuco furent mis en déroute , & pour-fuivis à plus d'une lieuë de l à , dont il y en eut beau­coup de tuez, Les Caftillans repoferent cette nuit-là dans une peuplade que les habitans avoient abandon­née , & trouvèrent dans les Temples les habits 6c les armes des gens de Garay qui eftoient attachez , & les vifages avec leurs barbes qu'ils avoient écorchez, dont les peaux eftoient courroyées, & attachées contre les murailles. Ils en reconnurent quelques-uns, qui ef-murcnt leurs amis à refpandre des larmes ; & il eftoit bien-aifé à connoiftre par là que les Indiens de Panuco, eftoient vaillans & cruels, ainfi que les Mexiquains les avoient dépeints, pour les avoir éprouvez à la guerre qu'ils avoient ordinairement contre eux.

D e là Cortés paiTa à une grande peuplade, où les gens s'eftoient mis en armes, & en embufcade, s'ima-ginant déjà tenir les Caftillans en leur poffeffion ; mais les gens de cheval les ayant defcouverts, & eux d'ail­leurs croyant avoir efté defcouverts, ils combattirent vaillamment. Ils tuèrent un cheval, & en blefferent vingt ; & quoy qu'ils furent mis par trois fois en dé ­route , ils ne laifferent de retourner autant de fois au combat , & en bon ordre. Ils faifoient des caracols, ils mettoient les genoux en terre , & tiroient leurs flè­ches , leurs baftons, & des pierres fans dire une feule parole , ce qui eftoit fort peu ufité parmy les Indiens ; & lors qu'ils fe virent las & fatiguez ils fe jet terent dans une rivière, & la pafferent, puis eftant de l 'autre cofté, ils fe tinrent fur la rive jufques à la nuit, fai-fant paroiftre qu'ils avoient encore affez de courage pour fe deffendre. Cette retraite donna affez à pen-

1522.

Les Indiens at-taquent vail­lamment les Caftillans.

Notable cruat-te des Indiens de Panuco.

Les Indiens l e Panuco com-batent avec beaucoup d'or-dre.

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1522

288 H I S T O I R E fer à Cortés, voyant la valeur de ces peuples. Il s'en retourna au vilage, où fes gens fouperent du cheval mort, & dormirent fous bonne garde. Le lendemain la Cavalerie fit des courfes dans la campagne, où ils trouuerent quatre vilages abandonnez. Ils y trouvè­rent quantité des tinettes de vin, dont ils fe fervoient pour leur boiffon, mifes en bon ordre dans des celiers. Ils dormirent dans des terres enfemencées de Mayz pour la commodité des chevaux. Ils rodèrent encore deux jours là autour, & comme ils ne trouvèrent perfon-n e , il s'en retournèrent à Chila, où eftoit l'armée. Ce­pendant Cortés eftoit tout eftonne de ce que perfonne ne paroiffoit de l'autre cofté de la rivière pour combat­tre, de pour fe tirer de cet eftonnement, il refolut pour terminer la guerre, ou par une paix, ou par la force, ou par fineffede faire paffer la rivière à la plufpart des Ca­valiers & des gens de pied Caftillans, avec grand nom­bre de Mexiquains, lefquels attaquèrent une grande peuplade, de nuit , fur la rive d'un lac, par eau de par terre. Ils firent un fi grand defordre, que les Indiens efmerveillez de fe voir ainfi attaquez de nuit, de par eau , refolurent de fe rendre , de à leur exemple en vingt-cinq jours, toute la contrée de les habitans d'au­tour de cette rivière fe rendirent dans l'obeïffance. Là Cortés fonda la peuplade de San-Eftevan del puerto, tout proche de chila, & où la rivière fe va refpandre dans la Mer. Il y mit cent Infants de trente Cavaliers, & leur départit ces Provinces. Il y nomma des luges de des Directeurs, de autres Officiers de Iuftice ; & y laiffa pour fon Lieutenant Pierre de Vallejo. Il ruina Panuco, de Chila, de d'autres peuplades, pour leur ré­bellion de cruauté d'avoir mangé fi hardiment de la chair humaine, de pour chaftiment des cruautez qu'ils-exercèrent fur les gens de Garay ; en fuite dequoy après avoir bien eftably toutes chofes, pour refifter à Garay, il s'en retourna à Mexique. Ce voyage coû­ta foixante mille poids , parce qu'il ne s'y fit point de butin, & il y eut tant de perte de chevaux, faute de

fers

Les Indiens de Panuco fe ren­d e n t , & l'on peuple San-Sftevan.

Cortes s'en re-touna à Mexi­que.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E s , Liv. III. 289 Fers pour les ferrer , que les feuls cloux fe vendoient au poids de l'or de quinze carats , il bien que les qua­t re fers & cent cloux couftoient cinquante-quatre Caftillans d e bon or ; & les chevaux valoient quinze cens , & jufques à deux mille Caftillans. Dans ce mef­me temps il y eut un Navire qui efchoùa à la Vera Cruz, qui apportoit des vivres pour l 'armée ; les gens qui eftoient dedans furent perdus , excepté trois hommes qui fe fauverent dans une Iflette à cinq lieues de ter­re-ferme , lelquels vefeurent plufreurs jours de Loups-marins , qui fortoient de l'eau pour dormir fur l 'her­be. C e a x de Tututepec du N o r t , & quantité d'autres peuplades vers les confins de Panuco , fe fervant de l'occafion des guerres de leurs voifins fe rebe l lè ren t , & les Seigneurs de ces lieux brufierent & ruinèrent plus de vingt peuplades d'Indiens alliez. Cortés ayant eu avis de cela , creut que fa prefence eftoit necef-faire en ce rencontre ; & il travailla beaucoup en cette guerre. Les Ennemis luy tuërent quantité d'In­diens de ceux qui eftoient demeurez derrière. Il y eut vingt chevaux qui crevèrent du travail qu'ils fai­foient dans ces montagnes , dont on eut grande n e -ceflité. Mais enfin ayant fubjugé les rebelles en une batai l le , il fit pendre le Seigneur de T u t u t e p e c , & le Capitaine gênerai de cet te guerre ; parce qu'ils avoient efté les principaux Autheurs de cet te rébell ion, & qu'ils demeurèrent prifonniers en la bataille ; joint qu'ils avoient déjà efté pardonnez , & qu'ils avoient manqué de parole , & fauffé leur foy. Ils vendi­rent pour efclaves à l 'encan deux cens de ces In­diens pour recompenfer la per te des chevaux. Par ce chaftiment, Cortés ayant donné à ce t te terre pour Seigneur le frère du m o r t , il demeura pacifique, 6c vaffal du Roy de Caftille ; en fuite dequoy Cortés s'en re tourna à Mexique par la Vera Cruz, où il eut avis que le Capitaine Villa - F u e r t e eftoit fous fon obeïffance avec les Caftillans qu'il avoit , ce qui tira Cortés hors de l 'inquietude où il eftoit y avoit déjà

1522.

Tututepec fe rebelle , & Cor-rés les va ran­ger fous l'obeïf-fance.

M m

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1 5 2 2 . Vil la-Fuerte peupla Zaca-tula.

290 H I S T O I R E quelques jours ; & qu'avec l'aide de Simon de Cuen-c a , il peuploit Zacatula , à quatre-vingt-dix lieues, peu plus ou moins de Mex ique , & à quarante de Valladolid de Mechoacan , qu'ils appellent la Con­ception , qui eft fur la rive d'une grande rivière , a une lieuë demie de la M e r , où elle entre par deux bouches,

Fin du troifiéme L ivre .

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291

H I S T O I R E G E N E R A L E

ES V O Y A G E S E T C O N Q V E S T E S

des Caftillans dans les Ifles & Terre- ferme

des Indes Occidentales,

LIVRE Q U A T R I E S M E .

C H A P I T R E P R E M I E R .

Les Procureurs de la nouvelle Efpagne arrivent à l'ifle des Adores, ils perdent deux Caravelles. Le Navire

Victoire arrive en Cafiille.

1522. Es Procureurs de îa nouvelle Efpagne eftant partis de la Vera Cruz avec un temps propre, dans trois Caravelles, à peine furent-ils arri­vez aux Ifles des Açores qu'ils rencontrèrent

des Corfaires, qui les a t taquèrent , & en prirent deux, & la troifiéme fe fauva dans l'lfle de fainte Àlarie,d'où ils donnerent avis à Seville que l'on les vinft efcorter. Les Officiers de la maifon de Contractation dépefche-rent auffi-toft une caravelle pour aller chercher D o n Pe­dro Manrique qui avoir deux Navires armez, pour aller au-devant, & en donnèrent auffi avis à laCour,qui eftoit

Mm ij

Les Corfaires prennent deux Caravelles des Procureurs de la nouvelle Ef­pagne,

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1522.

292 H I S T O I R E alors à Burgos, où Iean Rodriguez de Fonfeque Prefi dent du Confeil des Indes drena un Acte le 25. Ianvier par lequel il ordonna ; que quant à ce que leurs Majeftez avoient efté informées de ce qu'il eftoit arrive des terres nouvel-lement découvertes de Culuacan des Procureurs , dont les noms eftoient Alonfe a Avila, Alonfe de Mendoza, & Antoine de Quinones , & quelques paffagers, lefquels apportaient à leurs Majeftez quelque or , & pour eux & pour d'autres perfon­nes ; Et qu'il y avoit auffi beaucoup d'or qui appartenait a des Marchands. Et parce que Fernand Cortés & ceux qui eftoient avec luy dans cette terre , n'avoient pas obey aux com-mandemens de leurs Majeftez, qui leur avoient efté notifiez en bonne & deue forme, ny qu'ils n'eftoient point à fon fervice, & que mefme il ny avoit eu aucuns officiers Royaux en la fufdite terre pour recouvrer le quint qui appartenoit à leurs Majeftez, félon l'ordre qu'il faloit tenir en pareil cas ; & que les Mar­chands non plus n'avoient pas deû trafiquer avec des gens qui eftoient de fobeiffans à leur Roy & Souverain. A caufe dequoy il avoit juge à propos que tout ce qui avoit efté apporté de ces ter­res nouvellement découvertes, feroit faifi arrefté, jufques à ce l'on euft avéré touchant cela comme le tout s'y eftoit paffé. que pour cet effet il mandoit de la part de leurs Majeftez aux Offi­ciers de la maifon de Contractation de Seville , qu'auffi- toft après que les Procureurs feroient arrivez ils fe faififfent de l'or, des perles, & de tous les autres biens quels qu'ils fuffent , qui fe­raient venus par cette voye, jufques à ce que leurs Majeftez en ordonnaient autrement, fur peine de confifcation de leurs biens, quoy que l'on n'envoyaft pas des provifions de leurfdites Maje-ftez ; & qu'a caufe que les Gouverneurs du Royaume eftoient dans Victoria, & que le retardement pourroit caufer de la perte : Il avoit commandé à Iean de Semano Secretaire du Confeil de figner cet Acte de fon nom , & d e l'en­voyer par un Courier exprés, à Iean de Salcedo Cou­rier Major de Seville, pour le notifier aux Officiers de la maifon de Contractation , & que les Procureurs de la nouvelle Efpagne euffent à comparoiftre au Confeil, au dedans vingt jours.

Le navire Victoire partit de Tidore dans les Moluques, te navire Vi-ctoire part de

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. IV. 293 au commencement de cette année, avec foixante hom­mes , & quelques originaires de ces Ifles. Il paffa par beaucoup d'Ifles, & particulièrement dans l'une où. il y avoit du poivre long, & rond. Le long naift d'une plan­te femblable au l ierre , ou hierre , qui court & embrafîe les autres arbres ,& dont le fruit s'attache au bois ; la feüille eft femblable à celle du meurier. La plante du rond eft prefque femblable à l'autre ; mais le fruit croift en épy , comme celle du mayz, & tous les champs font remplis de ces plantes. Cet te Ifle eft au huitième de­gré & demy de l'Equinoxial en tirant vers noftre Pôle artique. Dans celle de Timor, ils prirent du Sandal blanc. Il y a auffi du gingembre, & beaucoup d'or. Il y avoit quantité de malades de la vérole. Il fe forma là une con-teftation où il mourut quelques gens du navi re , pour avoir pris trop de canelle. D e là ils allèrent proche de Zumatrà, que les anciens appelloient Taprobane, & s'en-goufrerent dans la grand' mer, prenant leur chemin en­tre le Ponant & le Midy, laiffant le Nor t à la droite pour n'eftre point apperceus des Portugais, & la terre-ferme de Fegù, de bengala, de Calicut, de Cananor, de Goa, de Cambaya, le Golfe d'Ormuz & toute la cofte de la gran­de Inde pour paffer au Cap de Bonne Efperance. Ils paffe-rent vers le Pole Antartique proche du quarante-deuxiè­me degré; & quoy que quelques-uns euffent deffein d'al­ler à Mofambique, les autres dirent qu'ils aimoient mieux mourir que de quitter la route de la Caftille. Ils fouffri-r e n t d e grandes tourmentes 6c beaucoup de faim. Il en mourut quelques-uns ; les corps des Chreftiens morts qui furent jet tez dans la mer alloient au fond le vifage tourné vers le C ie l , & ceux des Indiens au contraire eftoit tournez en embas ; & fi Dieu ne leur euft donné un meilleur temps , ils euffent tous pery de faim. Mais enfin après avoir bien fouffert n'ayant mangé pendant un long-temps que du riz , ils arrivèrent à l'Ifle de faint Iacques au Cap-Verd. Il defcendit treize hommes dans l'Efquif avec Martin Mendez Maiftre des Comptes du navi re , pour faire aigade, achepter de la viande, du

Mm iij

1522. Tidore dans les Moluques.

Du poivre long & rond,& com-m e il croift.

Navigat ion du navire Victoire.

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1521. l e s C i t a l a n s l'ont maltraitez des Portugais dans l'Ifle de S. Iacques.

2 9 4 H I S T O I R E

pain , & quelques Nègres pour tirer à la pompe . parce que le Vaiffeau faifoit eau, & qu'il y avoit peu de Caftil­lans, qui eftoient la plupart malades. Le Capitaine Por­tugais qui eftoit-là les prit prifonniers, parce qu'il vou-loit qu'ils payaffent en clouds ce qu'ils achetoient, pour fçavoir d'où ils l'aportoient, & prit la barque, & fit toutes les diligences pour fe faifir du navire. Mais le Capitaine Iean Sebaftien del Cano , fit auffi-toft hauffer les voiles & arriva à S. Lucar le & de Septembre, avec fes gens fort flafques & débiles.

Au refte ces hommes dirent quantité de chofes de leur navigation , & entre autres , que plufieurs fois le Soleil & la Lune leur avoit femble tourner au revers de l 'Europe, ce qui eftoit véritable, parce qu'ils avoient toujours l'ombre au Sud, lors que cela leur paroiffoit ainfi, & qu'il eft tres-vray que le Soleil monte par la main droite de ceux qui viennent de trente degrez de l 'autre cofté de l 'Equinoxial, en regardant le Soleil ; & pour le regarder il faut qu'ils ayent la face tournée vers noftre N o r t , ce qui fait paroiftre véritable ce qu'ils di­rent. Ils tardèrent à leur voyagea aller & venir , trois ans , moins quatorze jours, ; ils s'abuferent d'un jour de leur fuputation, ce qui fut caufe qu'ils mangèrent de la chair les Vendredis, & célébrèrent le jour de Pafque le Lundy, dont la caufe fe dira cy-apres. Ils firent dix mille lieues de chemin ; mais felon leur route ils en fi­rent quatorze mille, parce que ceux qui vont le droit chemin, n'en font pas tant que ceux qui découvrent en tournoyant. Ils firent quantité de tours dépar t & d'au­tre , & s'égarèrent plufieurs fois, & quoy qu'ils perdi­rent quelquefois la veuë du N o r d , ils ne laifferent pas que de s'y régler toujours, parce qu'ils regardaient fi fi­xement l'aiguille eftant au quarantième degré du Sud, qu'on la regarde en la mer Méditerranée ; quoy que quelques-uns difent qu'elle perd quelque peu de fa for­ce. Il va toujours proche du Sud , ou Pôle Antartique une petite nuée blanchaftre, & les quatre Eftoiles en Croix, qu'ils appellent Pied de Ç o q , ou le Cro izé , &

Le navire vi­ctoire arrive à S, Lucar.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I I I . 295 trois autres tout p roche , qui ont du rapport à noftre Nor t , & celles-cy font celles qu'ils tiennent pour mar­ques de l'autre Pôle , qu'ils appellent Sud. Véritable-ment ce Capitaine lean Sebaftien delCano eft digne d'u­ne éternelle mémoire , puis qu'il a efté le premier qui a tournoyé tout le monde, n'y ayant point eu jufques alors dans toute l 'antiquité, ny parmy les modernes au­cun qui luy puiffe eftre comparé.

Quant à la caufe pourquoy ceux de ce navire Victoire fe méprirent d'un jour en leur fupputation , quelques-lins ont eu diverfes opinions fur ce fujet ; dont il y en eut un particulierement qui affirma que cela eftoit arrivé parce qu'ils avoient oublié de compter le biffexte. Mais celle de Iofeph d'Acofte de la Compagnie de Iefus tient pour plus certain celuy qui dit ; Que ceux qui navigent de l'Orienta l'Occident, vont toujours anticipant furie jour, par-te que le Soleil leur paroift toùiours pluftoft ; qu'à ceux qui. navigent de Levant au Ponant, il arrive tout au rebours, d'au­tant qu'ils vont toujours perdant le jour, en traverfant, parce que le Soleil fort plus tard ; de telle forte que quand il eft midy en Caftille, le jour commence à paraiftre dans le Pérou ; & que lors que le jour commence deçà, il eft en ce fais-la my-nuit. Ainfi les Portugais ayant fait leur navigation de Ponant à Orient,& les Caftillans, d'Orient à Ponant, lors qu'ils font venus a fe joindre qui eft aux Philippines & à Macau, les uns ont gagné douze heures paravance, & les autres ils ont perdues. Ainfi il fe prouve en un mefme point la différence de vingt-quatre heures, qui fait un iour entier, A caufe dequoy il faut neceffaiiement conclurre que les uns eftant au troifième de May, les autres ne fint qu'au deuxième & que la diverfité des Méridiens, rend le compte des iours différent. Et que comme ceux qui vont navi-geant d'Orient à Ponant, vont changeant de Méridiens ,fans s'en appercevoir; & d'autre cofté ils vont pourfuivant le mefme compte ou ils fe trouvent lors qu'ils fortent ; il eft neceffaire que lors qu'ils ont fait le tour du monde, ils trouvent l'erreur d'un iour entier : Et comme ce fut le navire Victoire qui fit cette pre­mière navigation, il ne faut pas trouver eftrange s'ils ne s'apper-eenrent pas de ce défaut ; lequel s'eft pu mieux reconnoiftre par la longue expérience de ces navigations.

1522.

Ceux du navire Victotre fe t r ô -pent d'un jour dans leur calcul.

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1522. 296 H I S T O I R E

C H A P I T R E II

De ce qui arriva au navire de la Trinité qui eftoit reftè en l'ifle de Tidore des Moluques , pour eftre radouée.

LE navire Victoire eftant party & ceux de celuy d e la Trinité eftant occupez à le radouber , le Roy de

Gilolo arriva à Tidore, qui fut fort aife de le voir,& vou-lut apprendre la manière de combatre des Caftillans, lefquels pour luy donner ce contentement s'armèrent. Il s'offrit pour ferviteur & fujet du Roy de Caftille ; & demanda à Gonçale Gomez d'Epinofa deux pièces d'ar­t i l lerie, un canonier & deux Caftillans,pour l'aider à chaftier quelques rebelles. Comme le navire fut radou-bé, à quoy les Indiens de Tidore y prefterent toute l'affi-fiance poffible , ceux qui eftoient allé fervir le Roy de Gilolo arrivèrent ; & parce qu'il avoit trop de charge Gonçale Gomez jugea à propos de laiffer une partie de la charge avec quatre ou cinq Caftillans dans l'Ifle pour la garder, & pour tenir une manière de Facture pour les premiers navires qui pourroient venir de Caftille pour aborder aux Moluques. Apres donc qu'ils eurent pris congé du Roy & de faCour,ils partirent le 16. d'Avril. A 4 0 . lieues de là ils entrèrent dans une Ifle appellée Za-m a f o , qui appartenoit au Roy de T ido re , & qui eft au deuxième degré & demy de la ligne Equinoxiale à la bande du Nort,pour y charger des vivres. Ils y furent fort bien receus , parce que le Roy l'avoit déjà mandé à fes fujets,de forte qu'ils receurent là toute forte de conten­tement en troc d'autres chofes. Eftant partis de ce lieu, comme ils fe virent dans la haute m e r , ils prirent confeil entr 'eux quel chemin ils prendroient, & ils jugèrent fe-lon la rondeur du monde,& par la hauteur du Soleil,que des Moluques à la terre-ferme des Indes de Caftille, qui eftoit Panamà, il n'y avoit pas plus de deux mille lieues, & que s'ils pouvoient avoir le temps propre que c'eftoit

le

Le Roy de Gi­lolo fe rend vaf-fal du Roy de Caftille.

Le navire de la Trinité part de Tidore .

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L iv . IV. 297 le plus court chemin, & le meilleur voyage qu'ils pou-voient faire félon la volonté du Roy. O r leur véritable chemin étoit la route du Levant,mais ils eurent toujours les vents contraires,à caufe de quoy ils côtoyerét la ban­de du N o n jufques au vingt-feptieme degré, où ils trou­vèrent une Ifle, habitée de gens ruftiques qui entroient imprudemment dans le Navire. Ils en prirent un, & fui-virent toujours cette route de la bande du Nor t . Ils na-vigerent ainfi l'efpace de quatre mois, jufques à ce qu'ils arrivèrent au quarante-deuxième d e g r é , où ils eurent une tempefte fi afpre & firude pendant cinq jours, que le mas fe fendit en deux endroits. Ils abatirent le châ­teau de la proue, & ceux de la Poupe fe briferet : Bref ils furent fur le point de périr , la plufpart de leurs voiles tout difloquez. Mais Dieu qui ne les voulut pas perdre, écouta leurs prières, & permit que le temps s'appaifa; &c parce que les gens qui eftoient dedans devenoient tout malades, & croyant que c'eftoient des vers qui leur caufoient ces maux , ils ouvrirent le premier qui mou­rut, mais ils ne luy en trouvèrent qu'un.

Dans ce mauvais temps ils avoient deffein d'entrer dans l'Ifle d'où ils avoient pris cet homme, mais comme ils n'y purent pas aborder, ils arrivèrent à une autre qui eftoit à vingt lieues de-là , avec la plus part du monde malade. Ils mirent l'Indien à terre , lequel retourna au vaiffeau avec deux autres , chargez de cannes douces, 6c d'autres regales qu'ils donnèrent aux malades. Le Capitaine commanda à deux Caftillans de defcendre à terre pour la reconnoiftre, lefquels re tournèrent , & dirent que l'ifle eftoit petite & aride , & qu'il n'y avoit pas plus de quarante perfonnes. Le Capitaine defcen-dit auffi à terre, & cherchant autour des rochers , il trou­va un puits fur l e haut d'une roche , d'où ils tirerent quinze pipes de bonne eau. Il y eut en cet endroit qua­tre hommes du vaiffeau qui prirent la fuite, & quoy qu'on les appellât en leur offrant le pardon, il n'y en eut qu'un qui revint. Il y avoit de cette Ifle à celle des Mo-iuques trois cens lieues, & ils furent un mois & demy à

Nn

1522

Le navire de la Trinité fouffre une grade tem­pefte.

Quatre h o m ­mes du navire de la Trinité fe fauvent.

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1522.

298 H I S T O I R E faire ce chemin ; pendant lequel temps Il mourut vingt-fept hommes. O r lors qu'ils arrivèrent à la première ter­re à quatre lieues de Tidore) il paffa un vaiffeau qui re­connut le navire , & leur ayant demandé des nouvelles de leur voyage, ils firent réponfe, que quinze jours après que ce Navire fut party, les Portugais eftoient ar­rivez à Ter rena te , & qu'ils bâtiffoicnt une forte reffe. Le Capitaine du Navire pria les gens de ce vaiffeau, qu'en payant ils vouluffent mener un homme à Terrena-t e , qu'il chargea d'une lettre adreffante à Antoine de Brito, Capitaine des Portugais, le priant & le requérant qu'il envoyait fecourir ce Navire avant qu'il s'échouât, parce qu'il n'avoit pas de monde pour lever les ancres pour retourner à Terrenate . Antoine de Brito receut la lettre , & envoya une Caravelle avec des gens & des vivres, lefquels furent épouvantez de voir ce peu de Caftillans qui eftoient reftez fi flafques & fi débiles ; mais comme les vents vinrent à s'appaifer, ils emmenè­rent le Navire à Ter rena te en trois jours, où ils furent bien receus ; & ils trouvèrent que les Portugais avoient pris prifonniers les quatre Caftillans qui y eftoient de-meurezpour exercer la facture, parce qu'il y en avoit un de mort ; mais Brito les fit auffi-toft fortir. Quat re jours après que les Caftillans furent arrivez à Ter rena­te, Antoine de Brito fe faifit de tous les mémoires , des let tres, du vaiffeau, & enfin de tout ce qui eftoit dedans, & dit à Gonçale Gomez d'Efpinofa, qu'il luy livraft l 'E­tendard Royal de Caftille. Il luy fit réponfe , qu'il ne le vouloir pas faire, ny qu'il ne le pouvoit pas défendre non plus, puisqu'il eftoit en fa poffeffion, & fur cela l'on fit quelque acte par devant un Greffier. Les Caftillans demeurèrent-là trois mois, après cela Antoine de Brito luy donna la liberté de pafferaux Indes, en retenant toutefois le maiftre Pilote, le Greffier, le Radoubeur & le Charpentier, parce qu'il dit qu'il en avoit à faire.

D e Ter rena te ils allèrent à Bandan, qui eft à cent lieues delà, c'eftune petite Ifle, mais fort belle, les noix mufcades s'y recueillent deux fois l ' année , 6c quelque

Le navire de la Trini té retour­ne à Terrenate.

Ifle de Bandan fort petite, ou fe cueille de noix mufcade.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I V . 299 fois trois, d'où on les tranfporte à Malaca. De Bandan ils pafferent à Iava , qui eft une grande Ifle, & la cô­toyant ils arrivèrent à une ville appellée Agrazuè , peu­plée de plus de trente mille habitans , Maures, & où il fe faifoit grand trafic de porcelines, de foye ,& d'autres chofes de la Chine, de Burney, & de plufieurs autres lieux. Ils pafferent à Malaca qui eft à deux cens lieues de là, où eftoit pour Capitaine George d 'Albuquerque, qui eft une Ville où il fe fait un très-grand trafic de toutes les terres depuis le détroit de Meca & des Royaumes de Cambaya, de Bengala , de charaman du Pegu qui appor­tent des marchandées, & s ?en retournent chargez d'é-piceries & d'autres chofes. D e Malacails allèrent à l'In­de, & furent vingt-cinq jours à aller à l'ifle fie de Zeylan, parce qu'il y a trois cens lieues ; & de là ils firent encore cent lieues jufqu.es à Cochin, où ils eurent avis qu'il n'y avoit pas long-temps que les navires de Portugal eftoient partis, & que le Gouverneur alloit du cofté d'Ormuz ; à caufe dequoy ils furent obligez d'attendre un an dans Cochin pour avoir le paffage libre. Les navires Portu­gais chargeoient alors l'épicerie. Cette Ville a une tres-belle plage, où fe fabriquent des navires, des galères & autres vaiffeaux de diverfes grandeurs. 11 y avoit-là qua­tre Elephans qui travailloient plus que mille hommes, & eftoient fi avifez, qu'il ne leur manquoit que la parole, ils avoient chacun un Nayre qui les gouvernoit,qui font des hommes Nobles : Si bien que par ce bon ménage le Roy de Portugal avoit dans l'Inde une très belle armée de Navires, de Galions, de Galeres,& d'autres vaiffeaux de plus de trois cens voiles, excepté qu'elles eftoient di-vifees en plufieurs endroits. Il y avoit déjà plufieurs ori­ginaires de la terre qui eftoient baptifez , & lors que l'on faifoit les Proceffions il fuivoit quelquefois plus de quin­ze cens femmes veftuës de drap blanc fort délié. Dans ce mefme-temps il arriva à l 'Inde pour Viceroy,Dom Vaf-co de la Gama, auquel les Caftillans demanderent la permiffion de s'embarquer dans les navires qui partoient pouf Portugal, mais il ne la leur voulut pas donner. Ce

N n ij

1 5 2 2 .

forces du Roy de Portugal dans l 'Inde.

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1522.

300 H I S T O I R E Viccroy mourut dans vingt-deux jours , & ils éleurene en la place Dom Enrique de Menefes, Gouverneur de Goay. Eftant arrivé à Cochin, il dit qu'il eftoit fâché que l'on n'avoit baillé le paffage à ces pauvres Caffillans, fans les avoir fait attendre ainfi un a n , dans lequel voyage les Portugais combatirent deux fois contre les armées des Maures ; & quoy qu'il y euft deux cens contre un Portugais, ils fe bâtirent fi vaillamment qu'ils gagnèrent la victoire , & prirent quantité de navires, d'artillerie & beaucoup de butin. Les Maures affiegerent auffi la For-tereffe de Calicut pendant trois mois, qui fut défendue vaillamment par Iean de Lima qui n'avoit pas plus de trente Portugais avec luy , où ils fouffrirent de grandes necefîitez, & firent des actions fignalées. Mais enfin ils furent fecourus par les Portugais qui firent lever le fie-ge aux Maures ; & ruinèrent la Fortereffe, parce qu'elle ne fervoit pas de beaucoup , & que le Roy l'a voit ordon­né ainfi. Or comme les Navires eftoient prefts de partir» les Caftillans ayant une bonne permiffion de Dom Enri-que de Menefes ils s'embarquèrent & arrivèrent à bon port en Portugal, après cinq ans qu'ils eftoient partis de Caftille avec Fernand de Magellan.

C H A P I T R E I I I .

l'Evefque de Burgos eft recufé de la fart de Fernand Cortés, la déclaration qui fefit fur la différence qu'il y avoit de luy

à Diego Velafquez

A Près l'acte que l'Evefque de Burgos, Prefident du Confeil des Indes, eut dreffé pour la faifie de tout

ce qui arriveroit de la Nouvelle Efpagne ; il en fit enco­re un autre , qui contenoit la mefme chofe, avec ordre au Docteur de la Gama, qu'il le notifiât aux Officiers de la maifon de Seville,& qu'il ordonnât à Antoine Davila, à Antoine de Quinones, à Diego de Ordas , & à Alonfe de Mendoça,qu'eftantarr ivez ils euffent à comparoï-

Les Portugais combatent co­tre les Maures,

L'Evefque de Burgos ordo -ne que l'on affi-g n e au Confeil las Procureuts de la nouvelle Efpagne.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. IV. 301 t re au Confeil en dedans vingt jours , en donnant c a u ­tion de trente mille ducats, 6c qu'à faute de c e ils fuffent mis en prifon , jufques à c e que le Roy e n o r d o n n â t au­trement. E t dautant que ces Procureurs avoient déjà perdu deux navires qui leur avoient e f t é pris par des Corfaires, comme il a efté dit cy-devant, & qu'iis s'é-toient fauvez dans l'Ifle de fainte Marie, d'où ils avoient mandé qu'on l eur envoyât quelques vaiffeaux pour les efcorter jufques à Seville , à caufe de l'or 6c des autres chofes qu'ils apportoient, par Iean de R ive ra , Secrétai­re de Fernand Cortés qui eftoit arrivé dans une Cara­velle Portugaife , il y fut pourveu, & l'on ordonna que trois caravelles d'armées qui fous la conduite du Capi­taine Domingo Alonfo, alloient pour efcorter onze na­vires de flote qui venoient des Indes jufques aux Cana­ries, & qui de-là dévoient aller aux Açores , pour efcor­ter auffi les Procureurs ; Et l'on manda tout d'un temps que l'on laiffât charger librement, & paffer à la nouvelle Efpagne tous ceux qui y voudroient aller, pourveu que c e fuffent des perfonnes approuvées. Or comme les nou­velles des bons fuccés de ces quartiers-là eftoient deja parvenues à la connoiffance de quantité de gens , & qu'elles paffoient pour des chofes admirables , ils jugè­rent tous que l'on faifoit un grand tort à Cortés, & ceux qui tenoient fon party fe plaignoient hautement, ils ra-contoient fes travaux , ils exaltoient fes proüeffes, & les appuyoient de louanges. Dans de certains temps, Mar­tin Cortés, pere de Fernand Cortés, alloit en Cour, & le Licencié Cefpedes, Alonfe Hernandez P u e r t o - C a r r e -r o , & François de Montejo, tâchoient d'accommoder fon affaire, & n'avoient pu obtenir ce qu'ils deman-doient j mais qu'au contraire il fembloit que l'Evefque de Burgos les contrarioit , & voyant que Manuel de Ro-jas , André de D u e r o , & Gonçale de Guzman , qui te­noient le party de Diego de Velafquez, eftoient mieux receus, non pas tant pour la qualité de leurs personnes, mais parce qu'ils donoient mieux leur fait à entendre. Le Roy étoit déjà en Caftille,& avoit débarqué à Santander,

N n iij

1522

Rivera Secret taire de Cortés arrive à Lisbons ne.

On o r d o n n e de paffer l ibremêt dans la nouvel­le Efpagne.

L'Evefque de Burgos eft e n -nemy de Cor­tés.

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302 H I S T O I R E le 16 de Iuillet de cette année, dont il commanda d'en donner avis par tout , qui fut caufe que l'on traita de l'affaire de Cortés de meilleur courage, & on re ­folut de luy en parler, & luy demander la permiffion-de reeufer l'Evefque de Burgos, attendu qu'il luy eftoit ennemy & qu'il portoit le party de Diego Velaf­quez. Et quoy que tous les honneftes-gens avoient de l'inclination à favorifer Cortés, à caufe de la renom­mée de fes grandes actions, comme il a efté déjà dit cy-devant , i l fembloit que ç'euft efté une chofe tout à fait extraordinaire Si diffamante, de donner à D ie ­go Velafquez, ce que Cortés avoir defcouvert aux defpens de fa vie Si par fon induftrie. Enfin nonob-fiant les contrarierez des Partifans de l'Evefque de Burgos , le Cardinal Adrian fe voulut méfier de cette affaire, & s'en faire inftruire avec plus de fondement, & comme il luy fembla eftre efclaircy allez ample­ment de l'intention de Cortés ; Quant à la recufa-tion, il ordonna à l'Evefque de Burgos de ne fe point méfier de cette affaire, parce qu'outre les raifons que nous venons de dire, l'on allégua qu'il l'a voit ap­pelle publiquement Traiftre , & defobeïffant à fon Supérieur, qui l'avoit eftably,& qu'il retenoit fes re­lations , pour en ofter la connoiffance au Confeil , Se qu'il avoit dit encore qu'ils ne fe verroient jamais d e leur vivant de bon œil ; qu'il ne donnoit pas une entiè­re connoiffance au Roy des chofes qui touchoient fon fervice ; & qu'il avoit mandé aux Officiers de la mai-fon de Contractation de Seville, que l'on ne laiffaft ; paffer dans la Nouvelle Efpagne, des gens, des armes, ny des marchandifes.

Les chofes eftant en l'eftat que nous venons de le dire, l'Empereur voulut prendre connoiffance de l'af­fairés; & il eftoit à propos qu'il le fift pour l'eftabliffement des chofes dans un meilleur ordre. Et pour ce fujet, il ordonna que les parties fuffent oüies dans une affem-blée particulière. Il nomma pour luges de ces diffe-rens le Grand Chancelier Mercurio Gatinara ; He r -

1522. Les Procureurs de Cortés de­mandent per-miffion au Roy de reeufer l 'E vefque de Bur­g o s .

Il eft reeufé

Des perfonnes députées pour traiter du diffe-i en t cntre Velaf-quez & Cortés.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 303

nand de Vega , Seigneur de Grijal , Grand Comman­deur de Caftille ; Monfieur de Laxao ; les Docteurs Laurens Galindez de Carvajal ; le Licencié François de Vargas , du Confeil, Se Treforier de Caftille, & le Docteur de la Rofe , Flamand ; lefquels s'affemble-rent quelquefois dans la maifon du Grand Chancelier. Manuel de Rojas , & André de Duero , avec leurs Advocats,qui eftoient pour Diego Velafquez,difoient : qu'en en vertu des pouvoirs que le Roy luy avoit donnez, il avoit fait Cortés fon Lieutenant , & luy avoit donne une armee qu'il avoit levée a fes defpens , & l'avoit équipée de honne forte , & qu'il l'avoit envoyé en fon nom dans des ter­res defcouvertes , qui luy avoient efté données far le Roy ; mais que bien efloigne de cela , il s'eftoit foulevé, & avoit nié l'obeiffance qu'il luy devoit, qui avoit donné fujet à V e l a f -quez^iïemployer le refte de fon bien à lever une autre armée four envoyer contre luy , comme defobeiffant, & qu'il avoit refiffté à l'encontre & Savait maltraitée & ; qu'il avait ufurpé la lurifaiction Royale, & fait des dépattemens, en faifant la charge de General fans en avoir aucune permiffion. il y joignirent auffi le mauvais traitement qu'il avoit fait a Chriftofle de Tapia , dequoy il fe plaignait auffi, & de l'a­voir chaffé de la Nouvelle Efpagne. La mort d'Antoine de V. l lanana, & avoit traité comme il avoit voulu, nonobftant les lettres de l'Evefque de Burgos , dont il eftoit porteur, ils di-foient que c'eftoit un cruel ; qu'il maltraitoit les Indiens & les Caftillans qu'il avoit pris les quints du Roy ; que fous un faux donné à entendre, il avoit dit que les pouvoirs de Diego Ve-lafquez eftoient expirez, & s'eftoit fut eflire par les Caftil­lans , comme par force , leur Chef, & s' eftoit formé un Con­feil de fa propre authorité, avec tous les Officiers requis en pareil cas, & qu'il avoit chaftié ceux qui n'avoient pas vou­lu quitter le party du Roy , & celuy de Diego Velafquez. Et Chriftofle de Tapia qui eftoit venu en Cour exprés pour fe plaindre, dit auffi ce qu'il avoit à dire. Mart in Cor tés , & le Licentié Cefpedes pour Fernand Cortés ; François de Monte jo , & d'autres, au nom des Com­munes de la Nouvelle Efpagne , auffi avec leurs Advo-

1522

Ce qui fe dit contre Cortés.

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1522.

304 H I S T O I R E cats & Procureurs exaltoient fes valeureufes actions & prouvoient fon obeïffance, n'ayant jamais rien fait qu'en vertu de l'authorité Royale. Ils mettoient en avant fes grands fervices , & faifoient voir le bien qu'il en eftoit arrivé pour le falut des ames des Infidèles , & à l'aug­mentation & gloire de la Couronne de Caftille , & qu'il n'y avoit point encore eu aucun vaffal qui eut mis un fi grand Empire fous le joug de fon Prince , fans qu'il luy euft rien coufté ; & témoignoient fur tout de luy une grande humilité. Ils dirent qu'il avoit payé le Quint ; qu'il avoit fecouru le Roy des droits Royaux , & bien d'avantage, qu'il avoit em­ployé beaucoup de fon bien pour fon fervice ; qu'il avoit rendu compte de ce qu'il faifoit, qu'il avoit en des amis en Cour pour cet effet. Ils tefmoignerent le grand amour que les Caftillans avoient pour luy , par la bénignité qu'il avoit toujours ufé envers eux, par fi difcretion , & par fa pruden­ce, ils exaltoient auffi fon expérience , & fon adreffe avec laquelle il gouvernoit les peuples, ce que neuf jamais pu, faire Diego Velafquez Ils pofoient encore en confideration, qu'il n'y avoit point d'homme au monde qui euft pu régir les Caftillans qu'il avoit fous luy, comme il faifoit par fon induftrie ; & qu'ils n'euffent jamais pu obéir à quelque autre que cefuft qu'a Cortés, tant ils eftoient charmez, & glorieux tout enfemble des victoires qu'ils gagnoient par fon heureufe con-duites , & par fa prudence, & par les riche ffes qu'ils avoient acquifes, & par les fervices qu'ils avoient rendus avec tant de profperité dans une terre fi effrange, & parmy des gens fi barbares ; Et pour conclufion , le dommage qu'avoit apporté à la converfion des Indiens & à la pacification de la terre, l'armée que Diego Velafquez, avoit envoyée par Panfile de Narnaez, ; & encore d'autres empefchemens qu'il avoit faits contre Cortés , d'où eftoit arrivé le foulevement de Mexique, qui avoit caufé la perte de tant de trefors, & la mort de tant de braves gens. Et ils difoient encore que Cortés avoit plus fouffert par les menaces & les affronts que les Miniftres du Roy luy avoient faits , que d'avoir gagné tant de terres , & que Narnaez n'ayant pas voulu accepter aucun party, avoit offert de grandes fommes à ceux qui euffent voulu tuer

Cortés:

Ce qui fe dit pour la deffenfe de Cortés.

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D E S I N D E S OCCIDENTALES, L iv , IV. 305 Cortés : à caufe dequoy il eftoit jufte qu'il Je deffendifti & que Diego V elafquez pouvoit bien l'attaquer en luftice, fans vouloir ainfi fe fervir des voyes de fait, en mettant les affaires du Roy en fi grand perd.

Enfin les luges eftant bien informez, & après qu'ils eurent confulté plufieurs fois l'affaire entre eux , dé­clarèrent que les differens entre Diego Velafquez & Fernand Cortés fe termineroient par Iuftice, 6c que pour ce t effet ils remettoient la chofe au lugement de ceux qui s'aifembloient pour les affaires des Indes, afin qu'ils les dépefchaffent en bref avec le Grand Chance­lier ; Ainfi cette affaire fut terminée ; Qu 'ayant égard au refpect que l'on jugea par raifon d'Eftat, l'on dé­clara tout d'un temps Fernand Cortés Capitaine Gene­ral de la Nouvelle Efpagne,& luy en furent envoyées les dépefches auffi-toft ; avec deffenfe à Diego Velaf­quez de ne plus armer ny envoyer des gens contre luy. L'on donna avis de toutes ces chofes à l 'Admi­rai & à l 'Audience de f i l le Efpagnolle, & à Diego V e ­lafquez auffi, afin qu'il n'en pretendift pas caufe d'i­gnorance. Et quant aux Communes de la Nouvelle Efpagne, aux Capitaines, aux Seigneurs, & aux fol-dats qui y refidoient actuellement, le Roy leur efcrivit en cette forte ; Qu'eftant arrivé en Caftille à fon retour d'Allemagne , il avoit donné ordre que l'on foignaft à expé­dier en diligence & ponctuellement les affaires des Indes , & particulièrement les provifions de la Nouvelle Efpagne , dont il tenoit les relations que l'on luy en avoit faites pour tres-fignalées pendant fon abfence de fes Royaumes de Caftille ; Et que luy ayant femblé que le différent qui eftoit arrivé en­tre Addelantado Diego Velafquez & Fernand Cortés, avoit apporté beaucoup de retardement à l'eftabliffement de la Re-ligion Catholique, & à la pacification des Provinces ; & que pour remédier A ces defordres, afin que d'orefnavant l'on agift avec plus de retenue pour la gloire de Dieu, & pour l'augmentation de la Foy, il avoit remis à la Iuftice leur dif­férent pour en juger felon l'équité ; outre qu'il avoit mandé à Diego Velafquez, de ne plus envoyer d'armée contre Cortés.

O o

1522.

Fin du différend d'encre Velaf­quez & Cortés-

Cortés eft n o m ­m é par le Roy Gouverneur & Capitaine gêne­rai de la Nou­velle Efpagne.

Le Roy efcrit aux Caftillans de la Nouvel le Efpagne.

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1522.

306 H I S T O I R E Et que pour le bon récit qu'on luy avoit fait de fa perfonne, il l'avoit pourveu de la charge de Capitaine General & Gouverneur de ces Provinces, parce qu'il l' avoit trouve à pro­pos pour leur bien, ainfi qu'ils le verroient par les provifions que l'on envoyoit ; Qu'il leur enchargeoit fur tout, & recom­mandait autant que faire fe pouvait de luy obéir, & faffent tous en bonne intelligence avec luy, travaillant a la pacifica­tion & reftabliffement des chofes de cette terre , ainfi qu'ils avaient déjà fait, & particulièrement en la converfion de ces peuples ; & qu'ils tinffent pour tout affuré qu'il auroit fou-venance de leurs fervices pour les en gratifier , & leur faire faveur. Ces dépefches furent données à Valladolid le 15. d 'Odobre de cette année. Auffi-toft après l'on donna main-levée de ce qui avoit efté faifi, tant de l 'or, de l'argent que des autres chofes qui eftoient ar­rivées de la Nouvelle Efpagne , auffi bien pour Mar­tin Cortés que pour ceux des Communes, & autres particuliers. Il fut attribué une penfion à Ferdinand Cortés , & à ceux qui l'accompagnoient, ainfi. que l'on avoit de couftume de faire à ceux qui eftoient pour-veus des charges de Capitaines Généraux. Et d'au­tant que les Officiers de l'Audience Royale , qui refi-doient dans la Nouvelle Efpagne , n'avoient des titres que pour yucatan, & Cozumel, l'on pourveuft pour Mexique , Rodrigue d'Albornoz , Secrétaire de l'Em­pereur de l'Office de Maiftre des Comptes ; Gonçale de Salazarde celuy de Fadeur ; Alonfe de Strada de celuy de T r e f o r i r ; & Pierre Almindez Cherinos de celuy de Vifiteur es Fontes.

Il fut ordonné Cortés d'efclaircir les biens qui pouvoient appartenir au domaine de la Couronne, & qu'il chargeait ceux qui en avoient déjà en le foin, d'en avoir l'adminiftration. L'on pourveut à l'Office de Fondeur 8c Marqueur des Mines de la Nouvelle Efpagne, François de los Cobos Secrétaire du Roy. L'on ordonna que les cautions que François de Mon-tejo , & Alonfe Hernandez Puerto-Carrero avoient données en l'an 1519. fuffent déchargées par les Offi-

L'on baille main-levée à ce qui avoir efté faifi qui venoir de la Nouvelle Efpagne.

l e Roy pour­voit d'Officiers à Mexique.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I V . 307 ciers de la maifon de Seville , & déclarées nulles ; Q u e François de Garay ne touchaft pas en aucune façon que ce fut au Gouvernement de Cortés. L'on accorda auffi à Manuel de Rojas la prolongation de trois ans pour mener fa femme, & qu'il ne fuft point inquiété ; ny Iean Beno de Q u e x o , pour eftre venu de l'ifle Fernandine , fans la permiffion de l 'Amiral, & de l 'Audience, pour foliciter les affaires de Diego Vela fquez i Et que l'on payait à Chriftofle de Tapia les gages de Gouverneur de la Nouvelle Efpagne ; depuis le jour qu'il fervit à la voile de l'Efpagnolle pour y aller fervir , en approuvant le refus qui luy avoit efté fait en ce rencontre , parce qu'il eftoit con­fiant que les peuples en eftoient tellement fcandali-fez , lors qu'il arriva à la Nouvelle Efpagne , que s'il euft pris le Gouvernement , ils fe fuffent foulevez. L'on n'envoya pas fi-toft l'inftruction à Fernand Cor ­tés , afin de la faire avec plus de connoiffance de caufe , quoy qu'elle fuit donnée fort ample aux Offi­ciers du domaine de la Couronne. Et d'autant que l'on avoit eu avis que l'Admirai D o n Diego Colon avoit envoyé des Officiers & des Lieutenans dans la Nouvelle Efpagne de fa part pour y percevoir les droits de l 'Amirauté, & que Cortés ne les avoit pas voulu recevoir ; on luy manda qu'il avoit fort bien­fait , & qu'il ne le permift pas jufques à ce que l'on eufl vu s'ils luy appartenoient.

Comme Cortés fut revenu du voyage de Panuco, par la Vera Cruz, il y apprit que le Roy l'avoit fait Gouverneur de la Nouvelle Efpagne. Il envoya auffi-tofl pacifier la Province de T u t u t e p e c , qui eft entre les limites de Panuco & de Mexique à la différence de de l 'antre Tututepec, qui eft de l 'autre coffé de Guaxaca, comme il a efté dit cy- devant. Et parce qu'il avoit en­voyé des Marchands Indiens pour parler à ceux qui eftoient vis-à-vis de soconufco, & les prier de le mettre fous l'obeïffance , il en vint d'autres de Guattmala , qui la rendirent .

0 IJ

1522. Déclaration de la différence qu'il y avoit en ­tre Cortés & François de Garay.

Cortés envoyé pacifier Tutu­tepec.

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1522.

308 H I S T O I R E

C H A P I T R E I V .

fait décharger le Navire Victoire. Quelles gens eftoient dedans. Le Roy fait venir en Cour Iean Sebaftien

del Cano.

L 'On eut avis à la Cour de l'arrivée du Navire Vi­ctoire ; & d'autant que le Docteur Sancho de Ma-

tienço eftoit decedé, qui depuis la fondation de la Mai-fonde Contradat ion dans Seville avoit fervy de Trefo-rier , au grand contentement des Rois Catholiques 6c de l 'Empereur, & auquel en beaucoup d'autres chofes, outre cet office, ils avoient eu une confiance tres-parti-culiere,l 'on ordonna de décharger tout ce qui eftoit dans le Navire , & qu'il fuit mis entre les mains de D o ­mingo d'Ochaudiano, commis de Sancho de Matienço, & qu'il exerçait l'office de Treforier jufques à ce que l'on euft avifé celuy qu'on y pourroit mettre. Quant à Sebaftien del Cano, qui avoit écrit au Roy , en luy don­nant avis de fon arrivée, & qui fupplioit qu'on luy fift quelque faveur , on luy manda qu'il vinft promptement à la Cour , avec quelques gens des plus raifonnables de ceux qui eftoient venus dans le Navire , & qu'il appor-raft toutes les efcritures, les relations, 6c les actes du voyage ; Et l'on ordonna par mefme moyen que l'on les veftift, & que l'on leur donnait de l'argent pour fe nour­rir le long du chemin. L'on fit auffi des faveurs à tous de la quatrième partie de la vingtaine de ce qui apparte-noit au R o y , de tout ce qui eftoit contenu dans les caif-fes. Et la mefme chofe fut auffi donnée aux treize Ca­ftillans & au Maiftre des Comptes qui eftoient de­meurez prifonniers au Cap-Verd , lefquels furent ren­voyez auffi-toit après à Lifbonne par le Fadeur du Roy de Portugal dans un Vaiffeau qui revenoit alors de Calicut. Et le Roy les avort demandez au Roy de Portu­gal avec grande inftance , témoignant avoir un reffenti-

Le Roy fait ve­nir à la Cour Sebaftien del Cano.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I V . 309 ment de cette injufte prifon. il y avoit dans ce Vaiffeau que l'on déchargea cinq cent trente-trois quintaux de cloud de girofle, une quantité de canelle, des noix muf-cades , du fandal, & d'autres danrëes. Ceux qui eftoient venus dans le Navire partirent pour venir en Cour ; & comme c'eftoit des hommes qui avoient fait une fi lon­gue navigation , il m'afemblé n'eftre pas hors de pro­pos de les nommer en ce lieu , nous commencerons donc par le premier, qui eftoit Michel de Rodas Mai-itre du Nav i re , Martin d'Infaurraga P i lo te , Michel de Rodas marinier, Nicolas Griego , lean Rodriguez, Baf-co Gal lego, Martin de Iudicibus, lean de Santander, Hernando de Buftamante , Antonio Lombardo , Fran-cifco Rodriguez , Antoine Fernandez , Diego Gal -lego , lean d'Arratia , lean d'Apega , lean d 'Acu. rio , lean de Zubieta , Laurens d'Yruna , lean d 'Or-tega , Pierre d'Indarchi Roger Carpintete, Pedro Gaf-c o , Alfonfe Domingo , Marinier , Diego Garcia, Pier­re de Bal-punta , Ximene de Burgos, lean Martin,Mar-tin de Magaclaves, Francifco Alvo , Roldan d'Argote, duquel la montagne qui eft dans le détroit de Magellan doit avoir pris fon nom , puis qu'on la nomme la Cam--pana de Roldan. lis entrèrent dans Seville en proceffion, nuds pieds & en chemife, chacun un cierge allumé à la main , pour rendre grâces à Dieu de ce qu'il les avoit conduits à bon port après un fi long voyage. lean del Cano fut fort bien receu de fa Majefté , & de bonne grâce , le louant de ce qu'il avoit efté le premier hom­me qui avoit fait le tour du monde , car il avoit tourné tout autour , ainfi que le Soleil le tourne par cette voye & paralele ; à commencer par le Ponan t , & retourner par le Levant à la plage du Cap de Bonne Efperance, qui eft au 33. degré , de l'autre part de I'Equinoctial. Et le chemin que fit ce N a v i r e , eft la chofe la plus admirable que jamais homme depuis la création du monde ait veuë. Quelques Indiens reftèrent en vie, lefquels defirerent voir l 'Empereur, & les Royaumes de Caftille, entre lef-

O o iij

1522.

Les perfonnes qui vinrent dans le Navire Victoire.

Sebaftien del Cano eft bien receu du Roy.

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1522. Finefle d'un Indien du M o ­luques qui luy porta préjudi­ce.

310 H I S T O I R E quels il y en avoit un fi avifé , que la première qu'il voyoit ; il demandoit auffi-toft ce qu'elle fignifioit, com-bien il falloit de reaies pour faire un duca t , & com­bien de Maravedis pour faire une reale ; combien l'on donnoit de poivre pour un Maravedis ; & il alloit s'in-formanc de boutique en boutique de la valeur des Ef-picenes ; mais fa trop grande curiofité fut caufe qu'il ne retourna pas à fon païs , quoy que les autres y re ­tournèrent,

C H A P I T R E V.

Gilles Goncales Davila fort avec fon Armée , & découvre la mer du Sud, avec le Pilote André Nino, & demeure

à Nicaragua. De ce qui fe paffa dans cette terre.

CEpendant que ce que nous avons dit cy-devant fe paffoit dans la nouvelle Efpagne, Gille Gonçale

Davila avoit efté dans l'ifle de Tarare qui du Golfe de faint Michel , & avoit aprefté quatre Navires ; fi bien qu'ayant fouffert de grands travaux 6c de fueurs, il avoit enfin furmonté toutes ces difficultez, en quoy il fit pa-roiftre une grande confiance ; mais quoy que ce fort il les mit en leur perfection , & fortit avec pour faire fon voyage le vingt-unième de Ianvier de cette année avec le Pilote André Niho. Il avoit un bon nombre d'In­diens, mais peu de chevaux ; il avoit des armes, des vi­vres & de la mercerie. Après qu'il euft navigé cent lieues par la cofte du Ponant , il s'apperceut que l'eau qu'ils avoient pour boire eftoit corrompue, & que les Vaif-feaux eftoient touchez de brume, & pour y remédier il fallut les tirer à terre, & faire des Vaiffeaux avec des cer­cles de fer, & envoyer à Panuco pour avoir de la poix,& d'autres chofes neceffaires. Cependant Gilles Gonçales entra dans le païs avec cent hommes, après avoir donné l'ordre à André Nino que les Navires eftant racommo-

Gilles Gonçales part pour fon voyage.

I l entre dans le pais avec cent foldats.

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DES INDES O C C I D E N T A I E S , Liv. I V . 311 dez , il s'en allaft le long de la code en defcendint, & qu'il Pattendift à. quatre lieues de là, & que fi luy mefme y arrivoit le premier il l 'attendroit auffi. Il chemina dans cette terre quoy qu'il devinft malade ; & à caufe de quan­tité d'eaux qu'il rencontra il fut contraint d'arrefter dans la maifon d'un des principaux Caciques qui avoit fa peu­plade dans une Ifle qui avoit dix lieues de long & fix de large ; or il plut tant pendant quinze jours , que cette maifon du Cacique fondit peu à peu fans efteindre une lampe qui eftoit allumée devant une Image de la Vier­ge ; parce que comme elle ne tomba pas tout d'un coup, elle ne fit point d'effort qui la peuft efteindre. A la lu­mière de cette lampe ils fortirent en coupant le toict, & s'en allèrent mettre fur des arbres, & avec des folives ils firent des planchers où ils demeurèrent deux ou trois jours , iufques à ce que la pluye ceffaft , & avoient du feu pour fe chauffer. Et parce que de là il y avoit dix lieuès iufques à la mer , & qu'il n'y avoit pas moyen de les faire par terre , ils firent des radeaux de quantité de folives attachées les unes aux autres avec des harres, fur Iefquels ils fe mirent , non fans grande fatigue, outre qu'ils perdirent plufieurs armes & des veftemens. Ils arri­vèrent au Golfe de faint Vincent où ils trouvèrent le Pi­lote André Nino qui n'y faifoit que d'arriver. Il conti-nua fon chemin avec fes cent hommes & quatre che­vaux, & envoya le Pilote avec deux Navires pour dé­couvrir , laiffant les autres deux dans le mefme golfe. Ayant rencontré quelques Caciques , & les trouvant dans la volonté de recevoir la foy, il arriva à la terre du Cacique Nicoya, homme puiffant, qu'il requit de paix, & il fut bien receu. Il luy déclara les points de la Foy fé­lon l'inftruction qu'il avoit receu du Roy. Le Cacique fe convert i t , & fut baptifé, & en dix iours, à fon imitation tous fes Vaffaux delirerent auffi d'eftre baptifez qui eftoient plus de fix mille. Nicoya luy donna quatorze mille poids d'or de treize quarats , & fix Idoles auffi d 'or , de la hauteur d'une coudée, & luy dit qu'il les em­portait puis qu'il ne demeuroit plus avec eux.

1522.

la maifon où ils font tombe pat la pluye,

Ils font des ra deaux pour paffer à la mer.

Gonçales & N m o fe ren­contrent.

Gonçales con­vertit un Caci­que & fes vaf­faux.

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312 H I S T O I R E Gille Gonçales luy donna quelques jolivetez de Ca­

ftille , & ayant appris qu'à cinquante lieues de là , il y avoit un grand Seigneur appelle Nicaragua, il s'y en alla, quoy que quelques Indiens luy confeillèrent de ne le pas faire , parce qu'il eftoit fort puiffant. Il luy envoya dire qu'il defiroit eftre fon amy, & qu'il n'alloit pas-là pour luy faire aucun tor t , mais feulement pour luy déclarer la foy de Iefus-Chrift , & le prier d'obeïr au Roy de Ca­ftille, & que ne le voulant pas faire il luy declareroit la guerre ; & que pour cet effet il euft à iortir le lendemain à la campagne & qu'il l'y attendroit pour le combattre. Nicaragua confiderant la manière de procéder dm ces nouveaux venus , la force de leurs épées, & la fierté de leurs chevaux, luy fit répondre par quatre Seigneurs de fa Cour : Que pour le bien de la paix ilacceptoit fon amitié, & accepteront auffi la foy, fi elle luy fembloit bonne ; néant-moins il receut les Caftillans , & leur donna vingt-cinq mille poids d'or bas ; Gille Gonçales luy donna une chemife de l in , une de foye,un bonnet d 'écar late , & d'autres jolivetez de Caftille, dont il fut fort fatisfaiti Et tout d'un temps il luy envoya un Preftre qui accom-pagnoit le prefent , qui luy fit entendre que la Religion qu'il tenoit eftoit une pure Idolatrie, & que pour fe fau-ver il faloit qu'il vécut félon la foy de Iefus-Chrift, en quittant l 'yvrognerie, la gourmandife, la Sodomie, les facrifices des hommes, & de manger la chair humaine. A caufe dequoy il receut de tres-bon cœur la foy, ceux de fa maifon , fa C o u r , & neuf mille perfonnes de fon Royaume. Mais Nicaragua 6c les Seigneurs de fa Cour, çontefterent deux chofes feulement : La première,de ne point faire la guerre : Et la féconde, de ceffer les danfes & les yvrogneries ; parce qu'ils difoient que par la danfe ils ne portoient préjudice à perfonne, & qu'ils ne vouloient pas quitter leurs enfeignes, leurs armes, 6c leurs pennaches, pour laiffer faire aux femmes l'office de la guerre , cependant qu'ils s'amuferoient à filer , ti-ftre,& befcher la terre, comme elles font & les efclaves.

Nicaragua demanda aux Chreftiens s'ils avaient la con-

1522. Gille Gonçales va chercher le Cacique Nica­ragua.

Gille Concales fan voir à N i c a ­r a g u a fon I d o ­lâtr ie .

Ce que Nicara­gua répond à Gille Gonçales touchant la foy.

Demandes de Nicaragua.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 313 Connoiffance du Déluge qui noya la terre, & s'il en devait ar­river encore un autre ; fi la terre devait renverfer, ou fi le Ciel devoit tomber-, quand & comment le Soleil & la Lune perdroient leur lumière , & leur cours , & de quelle grandeur pouvaient eftre les eftoiles ; qui les retenait, & leur donnoit le mouvement, il demanda la caufe & l'obfcurité des nuits & du froid, blâmant la nature , de ce que la clarté & la chaleur ne duraient pas toujours, puis qu'elles eftoient meilleures: Quel honneur l'on devoit au Dieu des Chreftiens qui avoit fait les Ci eux & le Soleil ,qu'ils adoroient pour Dieux en cette terre , la mer, la terre ; l'homme qui dominait les oifeaux qui vo-loient, les poiffons qui nageaient, & tout ce qui eftoit dans le monde ? Où dévoient aller les ames , & ce qu'elles dévoient faire lors qu'elles fortoient du corps, puis que les hommes vi­vaient fi peu, & qu'elles eftoient immortelles ? Il demanda auffi fi le faint Pere de Rome Vicaire de lefus-Chrift, Dieu des Chreftiens , mourait comme les autres hommes? Si l'Empe­reur de Caftille de qui ils faifoient tant d'éloges eftoit mortel ? Et pourquoy fi peu d'hommes eftoient fi amateurs de l'or ? Les Caftillans furent tout eftonnez d'entendre de telles de­mandes d'un homme moitié nud, barbare & fans aucune fcience ; parce qu'il ne s'eftoit point encore trouve d'In­dien qui eût parlé de la forte aux Caftillans. Mais Gille Gonçale qui eftoit fort difcret, luy répondit & le fatis-fitfi bien qu'il en demeura fort content. Et Nicaragua qui avoit efté fort attentif à l 'écouter , demanda à l'in­terprète à l'oreille, Il ces gens de Caftille, qui eftoient fi Içavans venoient du Ciel ; s'ils eftoient defcendus dans des nuées , ou en volant? Et il demanda auffi-toft le baptefme, & confentit que les Idoles fuffent abbatuës ; Si bien que Gille Gonçales & fes compagnons qui avoient deffein de luy parler des deux chofes dont nous avons fait ment ion, ne luy en voulurent pas parler pour lors, de crainte de l'obftiner. E t ayant fait dreffer une grande Croix fur une eminence de t e r r e , a v e c des de-grez, qui eftoit au milieu de la place de ce lieu ,il fortit en proceffion avec beaucoup de larmes, & u n e mufique. Il l 'adora en montant les degrez à genoux ; ce que fit

1522

N i c a r a g u a de ­mande files C a -ltillas font def-cendus du Ciel.

P p .

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1522. Nicaragua fe fait baptifer.

314 H I S T O I R E auffi N ica ragua , & tous les Caftillans & les Indiens avec grande dévotion. Le me fine Cacique en porta auffi une en fes mains, qu'il porta dans le Temple, & la mirent dans un monument qu'ils firent de tapis peints ; & à l'i­mitation de ce Cacique , il y en eut encore d'autres qui fe convertirent.

C H A P I T R E V I .

De la découverte que fit Gille Gonçales Davila par mer & par terre.

G ille Gonçales fe voyant félon toutes les apparen­ces bien receu en cette t e r r e , il voulut en dé­

couvrir les fecrets ; & parce que l'on avoit beaucoup de connoiffance de la nouvelle Efpagne, il s'imaginoit de pénétrer jufques où Fernand Cortés avoit pacifié. Il chemina dans le païs , & trouva plufieurs peuplades qui n'ayant beaucoup d'étendue ne laiffoient pas d'eftre bonnes & fort peuplées. Il fortoit de ces lieux une infi­nité d'Indiens dans les chemins pour voir les barbes & les habits des Caftillans, dont ils eftoient tous eftonnez, & les chevaux, animaux à eux inconnus. Le principal Cacique qu'ils rencontrèrent fut un nommé Diriangen, bon guerrier, qui eftoit accompagné de cinq cens hom­mes & de dix-fept femmes, couvertes de plaques d'or, tous en bon ordre de guerre quoy que fans armes, ils avoient dix enfeignes ,& des trompettes à leur mode. Lors qu'ils approchèrent des Caftillans, ils déployèrent leurs enfeignes, & le Cacique toucha dans la main de Gille Gonçales, & tous les cinq cens nommes firent la mefme chofe , chacun luy prefentant un poulet d ' Inde , & quelques-uns deux. Les femmes luy donnè­rent chacune vingt haches d'or de quatorze carats , qui pefoient dix-huit poids, * & quelques-unes davantage. Gilles Gonçales demanda au Cacique & à fa fuite où ils alloient, & ce qu'ils cherchoient ? Le Cacique fit r é -

Gonçales vient découvrir les fe­crets de la terre.

A4. l - 10.f. pour Poids.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 315

ponfe, qu'il eftoit venu voir qui ils eftoient, à caufe qu'on luy avoit dit qu'ils avoient des barbes, & qu'ils alloient fur des animaux. Gille Gonçales luy fit des complimens, il agréa fes prefens, & luy bailla des jolivetez de Caftille. Il le pria de fe faire Chreftien, & le Cacique demanda trois jours pour le communiquer à fes femmes & aux Preftres, Mais Gonçales apprit qu'il eftoit après pour amaffer du monde pour détrouffer les Chreftiens, en méprifant leur petit nombre , & difant que Gonçales n'eftoit pas plus vaillant que luy. O r u n Preftre eftant allé prefcher avec deux de fes compagnons dans de certains vilages du voi-finage, monté fur le meilleur cheval qu'ils euffent, un Samedy 17. d'Avril dans la plus grande chaleur du mon. de, 3. ou 4 . mille Indiens vinrent attaquer les Caftil­lans, armez à leur mode, de pourpoins de toille de coton piquez, avec des cafques, des boucliers & des épées, des arcs , des flèches & des dards pour lancer ; mais Dieu voulut qu'ayant efté découverts par un Indien allié, il en donna auffi-toft avis aux Caftillans, lefquels fortirent en mefme-temps à la place. Là les Indiens les attaque-rent s'imaginant les vaincre pour les manger. Mais ils trouvèrent de la refiftance plus qu'ils ne fe l'eftoient imaginé. Le combat fut obftiné de part & d'autre ; il y eut fept Caftillans de bleffez, & en enlevoient un autre fans le vouloir tuer ; mais les Caftillans retournant à la charge avec les chevaux, & entrant tefte baiffée au mi­lieu des ennemis, ils les mirent en fuite, les obligeant d'a­bandonner celuy qu'ils emmenoient, dont il en demeu­ra quantité fur la p lace , les Caftillans reftans toujours en bon ordre, afin que fi les Indiens fuffent revenus à la c h a r g e , ils ne les trouvaffent pas au dépourveu, & que la trop grande confiance ne leur fift point de tort. Mais les ennemis ne le firent pas, pour avoir lieu de ramaffer leurs morts , & emmener leurs bleffez, parce que c'é-toit l 'ordre entr 'eux lors qu'ils combatoient de ne laiffer perfonne dans le camp : & dans ce mefme-temps le Prê ­tre & fes compagnons revinrent , & tirèrent par ce moyen les Caftillans de l'inquietude où ils eftoient, car

1522. Demande de Gonçales au Ga-cique Diriangé, & la réponfe da Cacique.

Dir i angen a deffein de fe ret ter furies C a ­ftillans.

Bataille entre les Indiens & les Caftillans.

Les Indiens font: vaincus.

P p ij

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1522. Les Caftillans fe retirent de vers la mer & les Indiens les pour fuivent.

316 H I S T O I R E ils croyoient que les Indiens les avoient maffacrez.

Les Caftillans voyant le mauvais procédé de ces gens barbares ,& jugeant qu'eftant fi peu de monde comme ils eftoient ils courroient de grands perils, ils trouverent à propos de fe retirer au meilleur ordre qu'ils pourroient vers la mer, & comme ils vinrent à paffer par la peupla­de de Nicaragua, il fortit grand nombre d'Indiens au devant d'eux pour les charger ; ils avoient laiffé deux chevaux pour l 'arriere-garde, quatre arquebufiers & treize arbaleftriers, parce qu'il n'y avoit pas davantage de tireurs dans la compagnie ; & ils avoient déjà paffé des ruiffeaux & cheminoient, perfecutez par leurs In­diens , qui quittoient leurs charges & fe fauvoient. E n ­fin ils cheminèrent jufques à la nuit, fe battant toujours. Mais ceux de Nicaragua demandoient la paix , difant que ce defordre ne venoit pas d 'eux, mais d'un autre Cacique fon voifin. Sur le my-nuit quov Qu'ils fuffent affligez à caufe des bleffez , & qu'ils avoient perdu beaucoup de nippes & de vivres ; ils commencèrent à cheminer, & arriverent à faint Vincent , où ils trouvè­rent André Nino , qui eftoit de retour & avoit décou­vert trois cens cinquante lieues ; & avoient cheminé depuis le lieu où ils eftoient fortis f i x cens cinquante lieues, jufques à eftre arrivé jufques au dix-feptiéme de­gré & demy. Cet te peuplade de Nicaragua eftoit à trois lieues en dedans le païs de la colle du Sud: & de l 'autre cofté de la peuplade tout proche des maifons, il y a une autre mer douce qu'ils ont appelle ainfi, parce qu'elle croit & diminue, qui eft le Lac de Nicaragua. Les In­diens ne voulurent pas dire d'où elle fortoit, mais les Pilotes Caftillans dirent alors, que cette eau s'alloit ré­pandre dans la mer du N o n . Enfin Gille Gonçales trouva à propos de retourner à Panama, ayant cheminé par terre le long de la cofte, & quelquefois dans le païs jufques à deux cens quatre-vingt lieuës. Il baptifa ou fit baptifer trente-deux mille deux cens foixante & qua­tre ames. Il emporta en ce voyage cent douze mille cinq cens vingt- quatre poids d'or, bas, & cent quarante- cinq

Gonçales Davi­la & André Ni-gno fe rencon trent à faint Vincent,

Du t a c de Nicaragua.

Gille Gonçales fait baptifer grand nombre d'Indiens à Pa-namà.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I V . 317 poids de perles. Il coftoya la terre depuis Cabo-blanco jufques à Chorotega. Il reconnue le Golfe de Papa-gayos, Nicaragua, la Poffeffion, la Baye deponfeca. Il alloit-là à deffein de chercher un détroit pour paffer à la mer du Nor t ; parce que plufieurs Pilotes affirmoient qu'il y en avoit un pour pouvoir faire la navigation en beaucoup moins de temps aux Ifles de l'épicerie , fans aller par le chemin des Portugais. Il donna le nom à la Baye de Fon-feca, en mémoire de l'Evefque de Burgos, & appella une Ifle qui eft dans cette Baye, Petronila à l 'honneur d'une fienne niece. Les Caftillans dirent de grandes merveil­les de cette terre, à caufe dequoy Pedrarias Davila trai­ta dés lors pour envoyer pleupler de Caftillans Nica­ragua.

C H A P I T R E VII

Frère Blaife d'yniefta dans le Vulcan de Maffaya. Des chofes notables de la province de Nicaragua.

CE Lac de Nicaragua dont nous venons de parler parut aux Caftillas une chofe merveilleufe pour fa

grandeur, fes peuplades, & fes Ifles ; de ce qu'il croift & diminue, & de ce que n'eftant qu'à trois ou quatre lieuës de la mer du Sud , il fe va répandre dans la mer du Nor t , qui eft à plus de cent lieues de-là ; & c'eft ce qui le fait appeller par les Caftillans Defaquedero, qui veut dire égouft. Il y en a eu qui ont efté affez curieux de defcen-dre par-là depuis Nicaragua , & font allez par mer à Nombre de Dios. Il y a une petite montagne , unie & ron­de par le haut à trois lieuës de la ville de Grenade qu'ils appellent Maffaya, où il y a un Vulcan, dont la bouche a demy lieuë de rondeur par laquelle l 'ondefcend deux cens cinquante braffes. Il n'y a aucuns arbres, ny herbes, quoy que les oifeaux y faffent des petits, nonobftant les flammes qui en fortent. Il y a encore une autre bouche comme une mardelle de puits , qui a autant de largeur

P p iij

1 5 2 2 .

Lac de Nicara— gu aoù fe ré­pand.

D u Vulcan de Maffaya,

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1522

F. Blaife d'Y-niefta dans le Valcan de Maf-foya pour le re-connoiftre.

318 H I S T O I R E qu'un trait d'arc. Le lieu où eft le feu eft à plus de cent cinquante toifes de profondeur, qui boult incef-famment ; & cette maffe de feu s'élève fouvent, & je t te une grande refplendeur, de telle forte qu'elle s'apperçoit de fort loin ; elle va de part en par t , & broüit de fois à autre de telle façon que cela donne de l 'épouvante, & il n'en fort jamais que des flammes & de la fumée. Et d'autant que la liqueur n'y man­que jamais, qui fait qu'elle ne ceffe point de boüillir, l'on s'imagina que c'eftoit de l'or qui boüilloit ainfi ; ce qui donna fujet à frère Blaife d'Yniefta de l 'Ordre de faint Dominique , & à d'autres Caftillans d'entrer dans la première concavité de ce l ieu, guindez avec des fangles & des paniers, tenant une façon de cuilie-re attachée au bout d'une chaifne fort longue, pour effayer de tirer de la braife de cette fournaife, & pour fçavoir fi c'eftoit du métail. Ils defcendirent la chaif­ne jufques à cent cinquante braffes de profondeur, 6c comme la cuilliere fut entrée dans le feu , elle fut fondue en fort peu de temps, & quelques chaifnons de la chaifne, ainfi ils ne purent fçavoir ce que c'eftoit. Ils pafferent là la nuit fans avoir befoin de feu ny d'autre lumière que celle qui en fortoit, fi bien qu'ils remonterent avec leurs paniers, fort efpouvantez.

La Province de Nicaragua eft. g rande , plus faine & fertile que riche 5 il s'y rencontre quelques perles, & de l'or de bas aloy. Il y a quantité de bois, parce que les arbres y croiffent fort , & entr'autres ceux qu'ils appellent Zeyba , qui groffiffent de telle forte que quinze hommes fe tenant par la main à peine les peu­vent-ils embraffer. Il y en a d'autres qui croiffent en forme de Croix , & d'autres dont les feuilles fe fei-chent fi quelque homme les touche ; il y a de certaine herbe qui fait crever les beftes. Il y a de certains ar­bres qui portent des fortes de prunes rouges , dont ils font du vin 5 6c ils en font encore d'une autre forte avec des fruits. Les Caftillans le font de miel, dont il y a quantité , & le confervent dans une bonne couleur.

Particularitez notables de la Province de Nicaragua,

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 3 1 9 Les citrouilles y meuriffent en quarante jours , & ils en font grand trafic, parce que les voyageurs ne font aucun repas qu'ils n 'en mangent , & elles y font fort bonnes à caufe qu'il ne pleut guere en cette ter re . Il y a de grandes Couleuvres , qu'ils prennent par la bouche , parce qu'elles ne font pas fi furieufes que celles d'Afrique. Il y a des Porcs , qui ont le nombril fur le dos, & fi on ne le leur coupe en les tuant, ils fen-tent mauvais, il rode des baleines le long de cet te cofte , & des poiffons monftrueux & tel lement grands, qu 'en les tirant hors de l'eau ils repouffent les Navi ­r e s , & font un tel bruit , & une telle foffe dans l'eau à caufe de la groffeur de leur corps,que cela eft épou­vantable. il y a d'autres poiffons dont les efcailles font comme de Bogas, felon les Indiens, qui eft un poiffon blanc & a rgen t é , qui grognent comme des cochons, lors qu'on leur tire le fang de la gorge dans la poëfle, & qui ronflent dans la Mer ,& p o u r ce lu jet , les Caftillans les appellent Roncadores.

Comme les peuplades de Nicaragua eftoient en quantité , elles n'eftoient pas g randes , mais l 'ordre de leur fabrique eftoit politique. Les maifons des Sei­gneurs eftoient différentes des autres ; & pour les maifons du commun peuple elles eftoient toutes éga­les. Les Palais 6c les Temples occupoient ; de gran-des places , entourées des maifons des Seigneurs, & il y avoit au milieu une maifon d 'Orfévrer ie , qui i r a -vaiiloient en o r , & en faifoient des vafes merveilleux. Il y avoit des maifons bafties fur des arbres dans quelques Ifles & Rivières. Les hommes y font de bonne grandeur , plus blancs que bafanez , dont les teftes eftoient en boffe, avec un trou au milieu, & les accommmodoient ainfi pour paroiftre plus beaux , & pour mieux affeoir la charge deflus. Ils fe rafoient à moitié fur le devan t , mais les vaillants fe la racloient toute excepté le hau t , & fommet. Ils fe perçoient les narines , les lèvres , & les oreilles, & fe veftoient pref-que comme les Mexiquains , & fe peignoient les che-

1522.

Poiffons m o n ­ftrueux qui fe rencontrent en cette Mer.

Maifons b a f t i e s fur des arbres.

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1522 Couftumes de Nicaragua .

320 H I S T O I R E veux. Les femmes y portoient des gorgerettes, & des fouliers, & alloient dans les marchez, elles balioient les maifons, & les autres chofes neceffaires. En quel­ques endroits, comme dans Duracay & dans Cobiores, les hommes filoient tout nuds, les bras peints ; ils atta-choient leurs cheveux fur la nuque du col , 8c fur le fommet de la tefte. Ils attachoient leurs parties hon-teufes en dedans les cuiffes par ciuilité, difant qu'il n'y avoit que les belles qui les deuffent laiffer pendre, Ils avoient plufieurs femmes, & n'en avoient qu'une légi t ime, & fe marioient en cette forte ; Le Preftre prenoit le garçon & la fille par les petits doigts, & les mettoit dans une chambrette , où il y avoit du feu, & leur faifoit de certaines exhortations ; & comme le feu venoit à s'efteindre, le mariage eft oit accomply, & s'il ne la trouvoit pas pucelle, il la pouvoit répudier, & non autrement, & ainfi il l'emmenoit. Plufieurs don-noient leurs efpoufées aux Caciques avant que de la toucher, afin qu'ils les dépucelaffent. Ils ne couchoient point avec leurs femmes pendant les femailles, & les jeufnes, & ne mangeoient alors ny fel, ny ax i , qui eft le poivre de la Guinée , ny ne s'enyvroient point fé­lon leur couftume, & les femmes n'entroient point dans les Temples. Ils banniffoient de leur terre ceux qui fe marioient deux fois avec cérémonie, & don-doient le bien du Marié à la première femme. Si elles commettoient adultère ils les repudioient , en leur rendant leur bien & leur do t , & ne fe pouvoient plus remarier. Ils ne faifoient point mourir l 'adultère , mais ils le chaftioient à coups de bafton. Les parens de ces femmes adultères en recevoient l'affront ; c'eft pour-quoy il vangeoient le des honneur de celle qui alloit avec un autre ; & fon mary ne retournoit point avec elle s'il ne l'affectionnoit beaucoup , & il n'en recevoir point d'affront. Ils confentoient que d'autres hom­mes traitaffent leurs femmes dans de certaines feftes de l'année. Les femmes eftoient généralement par­lant de mauvaife humeur & mefchantes avant le ma­

riage ;

C o m m e fe foient les m a ­r iages .

Des adultères.

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DES INDES O C C I D E N T A t E s , Liv. IV. 321 riage , mais elles devenoient bonnes fi-toit, qu'elles eftoient mariées. Il y avoit des peuplades qui eftoient en commun , où les jeunes-filles choififfoient les maris entre plufieurs jeunes-hommes, & fi quelque jeune-homme forcoit une fille, fi elle s'en plaignoit il demeu-roit Efclave , ou il luy payoit fa dot. L'Efclave ou le Serviteur qui avoit abtife de la fille de fon Maiftre, l'on enterroic le garçon & la tille tout vifs. Ils avoient des femmes publiques, & aux lieux où il y en avoi t , on lapidoit les Sodomites. Les pauvres ne deman-doient l'aumofne qu'aux riches, & difoient qu'ils le faifoient par neceffité ou par infirmité. Celuy qui quittoit un lieu pour aller demeurer dans un a u t r e , ne pouvoit vendre fon hér i t age , il faloit qu'il le laif-faft à fon plus proche parent. Ils obfervoient la Iuftice en beaucoup de chofes, & les Miniftres portoient des chaffe-mouches en façon d'éventail de plumes, & des baguettes. Ils coupoient les cheveux au la r ron , & il demeuroit efclave de celuy à qui il avoit fait le larcin, jufques à ce qu'il l'euft fatisfait. Ils fe pouvoient ven­dre & jouer leur propre perfonne ; mais ils ne fe pou­voient pas racheter fans le confentement du Cacique, ou du Maiftre de Police ; & fi toutefois il tardoit beau­coup , il eftoit facrifié. Il n'y avoit point de peine pour celuy qui tuoit un Cacique ; difant que cela ne pou­voit pas arriver, il n ' y en avoit point auffi contre ceux qui tuoient un efclave. L'on ne pouvoit pas faire d'affemblée, particulièrement de guerre fans y appel-1er le Cacique, ou le Capitaine de la Republique. Ils avoient des guerres fur les frontières, & des chaffes, & captivoient des hommes pour les facrifices. Cha­que Cacique avoit une marque particulière pour fes gens , lors qu'ils alloient à la guerre. Les peuples li­bres élifoient pour Capitaine genera l , le plus adroit & le plus expérimenté qu'ils rencontroient , qui com-mandoit & chaftioit fans appellation à la Seigneurie. Le chaftiment du poltron, eftoit de luy ofter les armes, & le

1522.

Du chaftiment qui fe faifoit au ferviteur qui ; abufoit de la fille de fon Maiftre

P P

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1522 322 H I S T O I R E chafferde l'armée. Chaque foldat eftoit maiftre de ce qu'il prenoit fur l 'ennemy, excepté les prifonniers, par­ce qu'ils eftoient deftinez pour eftre facrifiez en public, & ne pouvoient eftre rachetez à peine d'eftre facrifiez eux-mefmes. ils eftoient courageux, rufez, & adroits pour prendre des hommes pour eftre facrifiez. Ils eftoient grands forciers & enchanteurs, & fe trans-formoient en chiens , en porcs, & en finges. Les vieilles guariffoient les malades , & mettoient les M é ­decines dans de petits tuyaux, & faifoient prendre la décoction par la bouche.

Ils parloient de cinq fortes de langues dans Nicara-guay la Coribizi, que l'on parle fort dans Chuleteca, qui eft la langue originaire , & l 'ancienne, & ceux qui troquoient ou achetoient les héri tages, le Cacao, qui eft un fruit comme nos amandes, qui leur fert de monnoye, & qui eft la richeffe de la t e r r e , s'en fer-voient. Les hommes y font vaillans & cruels , & fujets à leurs femmes. Ceux de Chontal font groffiers , & montagnars. La quatrième eft l'Orotina ; & la Mexi -quaine eft la cinquième ; Et quoy que Mexique foit efloignée de cette Province de trois cens cinquante lieues, elle ne laiffe pas d'eftre conforme , par là lan­gue , les veftemens & la religion. ils difent qu'an­ciennement il y eut une grande fechereffe dans la Nouvelle Efpagne, à caufe dequoy les peuples s'ef-pandirent vers la Mer Auftrale, & allèrent peupler Nicaragua. Et il eft très certain qu'ils tenoient pour lettres les figures de ceux de Culva ; & les livres de papier & de parchemin longs de douze palmes & d'une de large , pliffez comme des foufflets, où ils mar-quoient des deux coftez, d 'azur, de rouge , & d'au­tres couleurs, les faits mémorables qui arrivoient-là. Ils y peignoient leurs loix, leurs couftumes, & leurs cérémonies avec beaucoup de rapport à ceux de M e ­xique ; & ce font les feuls chrorotogas qui font cela , & non pas tous ceux de la Province de Nicaragua. Les

Ceur de N i c a ­ragua grands Sorciers & En­chanteurs.

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv. IV. 323 Sacrifices font auffi differens. Les Preftres ne fe ma­rient point , excepté ceux qui efcoûtent les péchez d'autruy , & ceux-là donnent des pénitences félon la cou lpe , & ne révèlent point les Conférions fur peine d 'él i re chaftiez. Les Feftes de l 'année qui eftoient au nombre de d ix-hui t , efcheoient felon que les mois eftoient reprefentez dans les degrez du lieu où l'on faifoit les facrifices , qui eftoient au milieu des T e m ­ples. Lors qu'ils tenoient le couteau avec lequel ils ouvraient le corps du facrifié, ils difoient combien il y en devoit avoir de facrifiez , & fi ce dévoient eftre des femmes ou des hommes pris en guerre , afin que tout le peuple fceuft comme l'on devoit d i r e , & quel­les offrandes l'on devoit faire. Le Preftre qui faifoit l'Office , faifoit trois tours autour du captif, chantant un ton fort lugubre. Puis il luy ouvroit le fein, luy arrachoit le cœur , & luy barboüilloit de fon pro­pre fang le vifage. En fuite dequoy il démembroit le corps , il donnoit le cœur au fouverain Pref t re , les pieds & les mains au Roy ; les cuiffes à celuy qui l 'a-voit pris à la guerre 5 les entrailles aux t rompet tes , & le refte du corps au peuple , afin que chacun en man­geait fa part. Ils mettoient les teftes à des arbres de -ftinez pour cela , qui eftoient divifez felon les captifs de chaque Province avec laquelle ils avoient guerre . Si celuy que l'on facrifioit avoit eflé a c h e t é , ils en-terroient les entrail les, les pieds & les mains , qu'ils mettoient dans une calebace , & brufloient le c œ u r , & tout le refte, excepté la tel le qu'ils mettoient en rang comme les autres , qui eftoient at tachées aux arbres.

Il eftoit permis aux pères de vendre les enfans pour eftre facrifiez, & chaque perfonne auffi fe pouvoit vendre ; à caufe dequoy ils ne mangeoient point la chair de ces facrifiez pour eftre originaires de la t e r r e , & de leur fang. Lors qu'ils mangeoient la chair des Eftrangers facrifiez, ils faifoient de grandes dan-ies , & de grandes fumées , & s'enyvroient. Lors que

1521. De la Confef-fion des Indiens de N i c a r a g u a .

D e leurs facri-fices.

Les Peres ven-doient leurs en-fans pour eftre facrifiez,

p p ij

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1522 324 H I S T O I R E le Preffre barboüilloit de fang la face du facrifié, les au­tres Preftres chantoient & le peupleprioit avec larmes, & grande dévotion, & auffi-toft après cheminoit la pro-ceffion, mais non pas à toutes les Feftes ; les Preftres por­toient des furplis de cot ton, blancs, courts, & plufieurs fort petits. Il y en avoit d'autres en façon de Tuniques fur les épaules qui leur alloient jufques aux talons avec des bourfes pendantes , dans lefquelles eftoient les ra-foirs de gets, des papiers, du charbon broyé, & de cer­taines herbes. Les Laïcs fuivoient par bandes ou files avec l'Idole qu'ils prifoient le plus, avec de petits facs, dans lefquels ils portoient des poudres & des poifons ; les jeunes hommes portoient des arcs, des flèches,des dards & des boucliers. L'Enfeigne & principal guidon qu'ils portoient, eftoit l'image du Diable , au bout d'une lan­c e , que le plus ancien portoit. Ils cheminoient tous en o rd re , les Religieux chantant jufques au lieu de l 'Ido­lâtrie ; où ils eftendoient des tapis contre t e r r e , & les femoient de rofes & d'autres fleurs, de crainte que le Diable ne touchaft à la terre. Auffi-toft après celuy qui portoit le guidon s'arreftoit ; le chant ceffoit ,& chacun fe mettoit en prière. Puis le Prélat , ou fouverain Pre­ftre frappoit des mains , & ils fe faignoient de la langue, d 'autres, des oreilles ; d'autres, du membre viril, & où enfin la dévotion leur infpiroit. Ils ramaffoient le fang dans un papier , ou bien avec le doigt, & pour offrande ils en barboüilloient la face de l'Idole ; & cependant ils s'efcrimoient des mains , & les jeunes hommes danfoient à l 'honneur de la Fefte. ils penfoient les bleffez avec des poudres d 'herbes, ou de charbon qu'ils portoient pour cet effet. Ils beniffoient le mayz clans ces Proceffions, l'arrofant du fang de leurs parties honteufes, & le divi-foient comme du pain beny, & le mangeoient,

D e leurs facrifi-ces & de leurs Feftes.

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. I V . 325

C H A P I T R E V I I I .

Ce que faifoit Fernand Cortés dans la nouvelle Efpagne, cependant que l'on travailloit a fes affaires en Caftille

fuivant ce qui a efté dit cy-devant.

COrtés voulut réedifier la ville de Mexique , non pas tant pour la fituation & grandeur de la place,

mais à caufe de fa réputat ion, & pour rétablir les Edifi­ces qu'il avoit ruinez ; & après qu'il eut nommé des lu­ges 6c des Maiftres de Police , il remit cette Republ ique en fa perfection, parce qu'il créa les autres Officiers qui font neceffaires pour une fi opulente ville. Il divifa les quartiers, & donna des logemens affez amples aux victo­rieux. Il marqua premièrement le plan pour baftir des Eglifes , & commença la plus grande fur de certaines Idoles de pierre qui fervent de bafes & de fondemens aux colomnes. Il donna auffi du lieu pour faire une Pla­c e , & autres édifices publics. Le quartier des Caftillans fut tracé à pa r t , & l'on commença la peuplade de dou­ze cens habitans. Il fit venir quantité d 'Indiens afin de baffir à moins de frais, quoy qu'il y euft de la difficulté au commencement , parce que plufieurs Seigneurs, pa-rensde Quantimoc, & d'autres prifonniers fe vouloient mut iner , difant qu'il falloit tuer Cortés pour délivrer leur Roy, à caufe du grand amour que cette Nation a de tout temps porté à fes Rois ; à caufe dequoy il chercha les inventions de les faire obferver pour tafcher de les prendre . Il donna la Seigneurie de Tezcuco a Charles Yztlixuchitl, à la fupplication de ceux de la ville par la mort d 'Hernando fon frère ; & luy ordonna d'envoyer la plupart de fes vaffaux qu'il pourroit pour travailler aux baftimens, parce qu'ils eftoient la plupart Charpen­t iers , Tailleurs de pierre & Maffons. Il donna les pla­ces pour baftir, des héritages, des franchifes & exem­ptions aux Habitans de mexique, & à tous ceux qui y

Pp iij

1522.

Cortés nomme des luges & des Magiftrats Mexique.

Les Mexiquains affectionnent fort leurs Rois.

Cortés fait dili­gence à rétablir Mexique.

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1522

326 H I S T O I R E voudroient venir demeurer ; à caufe dequoy plufieurs s'y vinrent effablir. Il donna la liberté à x ibvacoa qui avoit efté le Capitaine general de Quantimoc , avec la charge des Ouvriers & des édifices , & la Seigneurie d'un quartier. Il donna auffi pareille charge à Pierre Montezume, à caufe qu'il eftoit fils de Roy. Et pour contenter les Mexiquains , il bailla des Seigneuries à d'antres Gentils hommes , de certaines Ifles & ruës, afin qu'ils les peuplaffent. il leur bailla le lieu,& eux divifoi-ent les terres & les départemens comme bon leur fem-bioit 5 il bien que l'on commença à baftir en diligence, & au contentement des peuples. Enfin il arriva tant de gens dans Mexique au bruit de toutes ces franchifes, que l'on ne fçavoit de quel cofté fe tourner. Et d'autant qu'ils travailloient beaucoup & mangeoient peu , ils de­vinrent malades, & leurs maladies fe tournèrent en pe-fte , dont il en mourut quantité. E t néanmoins c'eftoit un plaifir de les voir travailler, avec leurs chanfons & leur mufique,en appellant leurs Seigneurs, en leur don-nant des louanges, & fe difant des mots les uns aux au­tres par gaillardife. Mais ils furent bien eftonnez de voir l'ufage du fe r , parce que comme ils n 'en avoient point encore eu la connoiffance, ils tailloient une pierre avec d'autres pierres plus dures, Mais ils furent encore bien plus effonnez lors qu'ils virent enlever avec des engins de grandes pierres & des poutres au haut des baftimens ; parce que lors qu'ils vouloient baftir avant la venue des Caftillans, ils amaffoient quantité de terre contre les édifices, & à force de bras ils rouloient les pierres félon la hauteur qu'ils vouloient. Ce qui les inquiéta beau­coup fut de n'avoir pas pu femer pendant les guerres de Mexique , & cela leur caufa une grande difette,& non-obftant tout cela ils ne laifferent pas de baftir cent mil­le maifons * meilleures que celles qui y eftoient aupa­ravant, Et les Caftillans en baftirent plufieurs à leur m o d e , & bonnes. Fernand Cortés en baftit auffi une pour luy , des ruines d'une qui appartenoit à Montezu­me,, où l'on tient qu'il y employa fept mille poutres de

l e crains que l'Autheur ne fe foit abufé à ce nombre.

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DES INDES O c c I D E N T A L E S , L i v . I V . 327 c e d r e , dont il y en avoit telle qui avoit fix vingts pieds de long, & douze de groffeur en quarré. Il fit baftir des Arfenaux pour la feureté des brigantins. L'on n'ouvrit pas toutes les rues d ' eau , comme elles eftoient aupara­vant , mais l'on y baftit à fec ; ainfi la ville de Mexique n'eft pas tout à fait comme elle eftoit ; quoy que les rues font demeurées longues & larges. Elle eft fort bien mu­nie de tout ce qui luy eft neceffaire à caufe de la com­modité du l ac , & de la fertilité de la t e r r e , parce que d'une mine de femence de maiz , il y a des endroits où l'on en recueille quatre cens. Enfin la ville de Mexique eft la plus grande & la plus peuplée qu'il y ait dans le monde ; elle eff. fituée du vingt au vingtième degré & demy de hau teur , & eft dans une très-bonne tempéra­ture ; parce qu'il n'y fait jamais de froidure ny de cha­leur exceffive,quoy qu'elle tire beaucoup fur l 'humidi­té à caufe du lac.

Pour mieux établir le quartier des Caftillans, Cortés fit en forte que la plupart y firent venir leurs femmes, & folicita d'autres ménages de Caftille pour y aller de­meurer ; fi bien qu'il y en alla plufieurs, & entr 'autres le Commandeur Leonel de Cervantes , y mena fept filles qu'il avoit , qui y furent mariées richement & honefte-ment. Il envoya chercher dans les Ifles de Cuba, l'Ef-pagnolle , de San Iuan de Puerto rico, & de lamayca, pour avoir des vaches,des truyes, des brebis , des chèvres & des jumens. Il envoya auffi chercher des cannes de fu-c r e , des meuriers pour les vers à foye,du farinent pour planter des v ignes ,& quantité d'autres plantes. 11 don­na ordre que l'on y portaft de Caftille,des armes,du fer, de l'artillerie & de la poudres des ferremens, des for­ges pour forger le fer , & des outils pour le labourage. Il fit deux coulevrines, & trois autres pièces d'artillerie d 'une autre façon, mais il n'en fit pas davantage , parce qu'il avoit peu de métail , encore eftoit-il bien cher. Mais il en trouva depuis une veine,& une autre de fer, fi bien qu'avec ces pièces & celles qu'il acheta de Pan-file de N a r n a e z , & de Iean Ponce de Léon , il fe trouva

1522.

La ville de Me­xique eft mieux baftie à prefent qu'elle n'eftoit auparavant.

Le C o m m a n ­deur Cervantes mené fept filles à Mexique,

Cortés fait fondre des Ca­n o n s .

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328 H I S T O I R E a voir jufques à trente- cinq pièces de bronze, Se foîxante de fer de fonte. Il fit chercher des mines d'or & d'argent, & il en trouva quantité Se de tres-riches il changea le port & dechargeoir que faifoient les Navires de la Vera Cruz, à faint lean de Vlva dans un bras de mer qui a un port pour les Vaiffeaux qui eft plus feur, & fit aplanir le chemin delà à Mexique afin que les beftes y puffent charier plus facilement. D e forte donc que moyennant toutes ces commoditez cette ville alloit augmentant de telle for te , qu'elle multiplia beaucoup en peu de temps à caufe de la grande facilité du trafic. Il y arriva des ouvriers en foye, en draps, en verre. L'Imprimerie y fut auffi introduite. L'ony fabricade la monnoye. La feience des Lettres y fut eftablie, qui ennoblirent beau­coup cette grande ville autant qu'aucune de l 'Europe quelle qu'elle foit.

Cortés divifa les terres entre ceux qui l 'aidèrent à les conquefter félon la couftume des Indes , tant par la con­fiance qu'il avoit que le Roy l'en devoit faire le diftribu-teur géneral , de celles au moins qu'il rangeroit fous fon obeïffance, que pour faire du bien à fes amis. Il com­manda à ceux qu'il gratifioit de ces fortes de gouverne-mens, d'avoir un Preftre ou Religieux dans chaque peu­plade , ou ville Capitale de peuplades pour enfeigner la doctrine Chreftienne aux Indiens , & travailler à leur converfion ; parce qu'il y en avoit quantité qui avoient de l'inclination pour recevoir la Foy , & qui mefme la demandoient,reconnoiffant le défaut de la leur en leurs diaboliques cérémonies Se abominations. Mais comme il ne pouvoit pas donner des partages à tous, eftant une chofe impoffible, il fe forma plufieurs plaintes qu'il pa­cifia du mieux qu'il p û t , en recompenfant les mal-con-tens d'ailleurs. Il eut un foin particulier de faire abatre les Idoles, & de deffendre par tout les facrifices d'hom­mes. Il fuplia avec beaucoup d'inftance qu'on luy en­voyai! un Evefque Se des Preftres. Et comme les In­diens, félon leur couftume, avoient plufieurs femmes, les Religieux eftoient bien empéchez avec laquelle

chacun

1 5 2 2 . Il fait chercher des mines d'or & d'argent.

l a ville de Me­xique commen­ce à s'annoblir.

Cortés divife les terres entre ceux qui avoiét aide à les çon-quefter.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 329 chacun devoit habiter ; parce qu'avant toutes choies on les avoit perfuadez qu'il faloit demeurer avec une feule femme felon l'ufage de l'Eglife Romaine ; Et en ce l a , fi les Religieux euffent eu une entière connoif. lance de la cérémonie & ufage des Indiens, ils ne fuf­fent pas entrez en doute de cela , puis qu'entre eux ils n'en avoient qu'une feule d'efpoufee, & que toutes les autres n'eftoient que des concubines.

Cependant que dans la Caftille les amis de Cortés follicitoient fes affaires auprès du R o y , & que les cho­fes de la Nouvelle Efpagne fe paffoient ainfi que nous le venons de d i r e , Cortés avoit en peine , de ce qu'il ne recevoit point de nouvelles de ces affaires, quoy que fes amis y fiffent toutes les diligences poffibles. A caufe dequoy il refolut d'envoyer au Roy une r e ­lation [fort ample de ce qu'il s'eftoit paffé, qui félon l 'ordre qu'il avoit obfervé eftoit la troifiéme ; par la­quelle il reprefentoit les travaux & les périls qu'il avoit foufferts trois ans durant depuis qu'il effoit en­tré dans cet te t e r r e , en la peuplant 6c pacifiant. C'eft pourquoy il fupplioit fa Majefté d 'entendre cet te Relat ion benignement ; & que ce n'eftoit pas un ou­vrage de fes mains ny des Caftillans qui l' avoient affifté, mais de D i e u , par la faveur duquel toutes ces chofes avoient eu de il heureux fuccés. Il fe plaignoit par mefme moyen , que depuis qu'il avoit efcrit à fa M a -jef té , à ceux de fon Confeil, & aux Officiers Royaux, qui avoient tous affifté à la l ec tu re , & qu'ayant pû avifer à ce qu'il convenoit pour y pourvoir , de ce qu'il n'en avoit eu aucune refponfe. Que fi par hazard cela procedoit de ce que fes fervices n'eftoient pas agréa­bles , ou pour la grande diftance de la t e r r e , ou par la négligence de ceux qui follicitoient fes affaires il les prioit de prendre en cela une refolution ; Et que cependant il leur donnoit avis par cet te dernière R e ­lation qu'il avoit defcouvert la Mér du Sud par trois endroits ; & exaitoit beaucoup ce fervice , à caufe des grands biens qu'il efperoit en devoir arriver ;

1522

Cortés envoyé une Relation au ROY de rout ce qui fe paffe,

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1522.

330 H I S T O I R E Qu 'à quatre-vingt lieuë de Mex ique , il avoit ordonné de faire des Navires pour aller defcouvrir par toute cette Mer Qu ' en ce mefme l ieu, de aux environs il avoit eftably des peuplades de Caftillans de de pied de de cheval ; Et qu'il fupplioit le Roy , & fon Confeil de luy faire refponfe touchant fes demandes , qui contenoient en fubftance , qu'il luy fuft permis d'avoir l 'entière connoiffance de fes defcouvertes ; parce qu'il avoit eu avis que quelques Caftillans avoient beaucoup foufferts en ces Mers.

*C'eft le lieu où l'on fait le fucre.

L'Admira l fort pour aller c h e r ­cher les N è g r e s qu i s'eftoient foule vez.

C H A P I T R E I X .

De la rebellion des Nègres dans l'Ifle Efpagnoïle. De ce qui fe pajja dans la Caflille de l'Or-, & dans la cofte des

Perles j & de quelques particularitez de cette Terre.

IL arriva donc en l'Ifle Efpagnolle que s'eftant trouvé quantité de Nègres efclaves enfemble, que

l'on y avoit menez pour travailler aux engins à lucre , & autres ouvrages , à caufe que les Indiens diminuoient for t , vingt d 'entre eux du Trapiche * de lAdmira l , avec lefquels s'en joignant vingt aut res , qui parloient un mefme langage , ils tuèrent quelques Chreftiens qu'ils t rouvèrent à leur avantage , & s'en allèrent vers la ville d'Azua. Comme l'on eu avis de cela à faint Dominique , par le licentié Lebron qui eftoit dans fon Trapiche ; l 'Admiral fortit auffi-toft après eux , ac­compagné des principaux foldats de l ' I f l e s eftant arrefté le fécond jour fur le rivage de N i zgo , pour rafraifchir fes gens , en attendant que ceux qui eftoient allé après eux les attaigniffent ; il apprit que les N è ­gres avoient paffé à neuf lieues de là dans une ferme, appartenant à Melchior de Caftro , ou ils avoient tué un Caftillan , & pillé la maifon. Et qu'un N è g r e s'ê-tant auffi foulevé avec douze efclaves Indiens, avoient tué neuf Chreftiens en, un .autre endroit. Ils pâlie-

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L iv . IV. 331 rent à Ocoa en intention de faire la mefme chofe dans le Trapiche dit, licentié Zuezo à l'aube du jour ; tuer ceux qu'ils y euffent rencontrez, & emmener tout autant de Nègres qu'ils cuffent trouvez en ces l ieux, & fe faifir de la ville à ' A z u a , avec encore d'autres Nègres qui le dévoient joindre avec eux. Melchior de Caftro en colère du tort qu'ils luy avoient fait, fans demander la permiffion à l'Admiral , parce qu'il s'imagina qu'il ne la luy donnerait pas , fe retira vers le rivage de Nizào , avec deux de fes compagnons, & ayant trouvé dans la métairie le Caftillan mor t , qui eftoit un maifon qui travailloit là & après qu'il l'euft e n t e r r é , fe joignant avec l'autre homme de cheval, il dit à l'Admirai que puis qu'ils eftoient trois Cava­l iers , ils s'en alloient fuivre la pifte des Negres , le fuppliant de luy envoyer quelque fecours, parce qu'il avoit deffein de les atteindre. L'Admiral luy envoya huit Cavaliers, dont l'un eftoit francifco Davila , na­tif de faint Dominique, & fix Infants, & tous enfem-ble allèrent après les Nègres , jufque où l'on a dit qu'ils eftoient. Les Negres ayant defcouvert les gens de cheval vers l'aube du jour , fe mirent en ordre de combat , & attendirent les Chreftiens de pied ferme , quoy faifant de grands cris, lefquels craignant que les autres Negres fe joindraient auffi-toft avec ceux qui eftoient là , & que le peril feroit plus grandi refolu-rent d'attaquer ceux-cy ; fi bien les onze Cavaliers embraifant les boucliers, & mettant les lances en ar-reft , coururent à toute bride fur les Negres ; lefquels les attendirent courageufement. Mais les chevaux fe faifant jour au travers, pafferent de l'autre cofté, & en renverferent quelques-uns & mais ils fe rejoigni­rent auffi-toft, & à fe ferrer. Les Negres faifoient de grands cris, & jettoient des pierres, & de gros bâ­tons bruflez par les bouts , de bois très-fort , & qui avoient des pointes aiguës. Les Chevaux firent en­core une courfe au travers d ' eux , & les mirent en dé rou te , fans qu'ils fe peuffent rejoindre, & fe mirent

Onze Chevaux paffent au tra­vers d'eux.

1522

Melchior fe fe-pare de l'Admi­ral pour aller après.

Les Nègres at­tendent les Ca­ftillans de pied ferme.

Qq ij

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1 5 2 2 .

332 H I S T O I R E à fuïr dans de certaines roches qui eftoient dans la campagne, excepté fix qui furent tuez fur le champ & plufieurs de bleffez. Mais Malchior de Caftro eut un bras percé , lequel envoya après eux un V a c h e r pour appeller fon N è g r e , & les Indiens efclaves, l es ­quels citant proches , Se cachez , ayant entendu la voix vinrent auffi-toft. Dans ce mefme temps l 'Ad­miral arriva, un peu après midy, qui fit diligence pour chercher le refte ; fi bien qu'en cinq jours ils furent pr i s , &. la plufpart pendus.

11 demeura pour Lieutenant de Pedrarias dans l a ville de Natà le Capitaine Diego d 'Albi tez , bon fol-dat & agiffant, lequel n'ayant pu dompter le Seigneur Vrraca, refolut de faire paix aveque luy ; mais au bou t de quelque temps Pedarias envoya en fa place Fran­çois Companon ; lequel à caufe de la crainte qu'a-voient les Caftillans & Vrraca, qui les moleftoit incef-famment, eftoit toujours dans la refolution de fe fai-fir de fa perfonne. Il fit diverfes courfes fur fes t e r ­res , & quoy qu'il fuft courageux Se vaillant, il en re-venoit toujours mal-traité. Les Caftillans luy dirent qu'ils avoient trouvé plufieurs vilages entourez d e paliffades, de pieux , & qu'ils s'imaginoient qu'ils a-voient fait cela pour les empefcher d'en approcher. Mais il eft pourtant vray que bien long-temps aupa­ravant cela ces Indiens fe fervoient de ces deffénfes pour fe garantir des T y g r e s , dont il y avoit quanti té en cet te terre . E t Pedrarias croyant qu'il y euft beaucoup de gens dons Panama , il envoya le Capi­taine Benito Hur t ado pour en avoir une par t i e , & la difperfer pour peupler un lieu dans la Province d e Chilequi. Comme ils furent arr ivez, il fit appeller les originaires de cet te t e r r e , lefquels vinrent fur fa pa­role , à fçavoir ceux de chirequi & de Vareclas & en fu i te , ceux de la Province de Burica, & ceux qui ha-bitoient fur le Golfe qu'il appelloient d'Offa , toute terre fort peuplée durant plus de cent l ieues, & tous ces peuples fuivant la crainte qu'ils avoient d 'enten-

ils font pris , & la plufpart pen­dus .

François C o m ­panon tafche de prendre Vrraca,

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv . IV. 333 dre parler de la guerre que les Caftillans faifoient à Vrraca, ils obeïrent. Les Caftillans furent deux ans dans cette peuplade ; mais les Indiens ne pouvant fouffrir la fervitude à laquelle ils les affujettiffoient ils fe foufleverent , & en tuèrent quelques - uns ; à caufe dequoy cette peuplade fut ruinée. Le Roy Vrraca voyant cela , ne manqua pas de vifiter les Caftillans avec le plus de gens qu'il pouvoit affem-b le r , & de leur donner des traverfes, où chacun avoit affez à faire à fe deffendre. Les Caftillans fortoient fur luy , & faifoient des courfes dans fes te r res , où ils faifoient tout le mal qu'ils pouvoient. Si bien qu'il fe paiffa ainfi neuf ans à fe faire la guerre les uns aux autres. Or quoy que j 'aye perverty l 'ordre de cette Hiftoire , j 'ay toutefois trouvé moins d'inconvenient de la reciter icy, que de la divifer en tant d'endroits ; mais tant y a que pendant tout ce temps-là jamais les Caftillans ne purent vaincre Vrraca ; & les Indiens qu'ils prenoient, ils les tourmentoient pour leur faire confeffer la quantité d'or que l'on difoit que poffedoit Vrraca.

Enfin François Companon voyant les traverfes con­tinuelles qu'Vrraca luy faifoit , & la grande crainte que fes foldats avoient d'un vaillant Indien, Capitaine d'Vrraca, chercha toutes les inventions dont il fe put imaginer pour en venir aux mains avec Vrraca en perfonne, & comme il n'en put venir à bout par la force , il chercha le moyen de le faire venir fous pré­texte de traiter de paix aveque luy ; & luy envoya pour cet effet plufieurs Meffagers Indiens, luy faifant de grandes offres. Vrraca les accepte, & vint trouver Companon fur fa parole s lequel ne luy permettant pas de parler , & defirant d'avoir fes trefors , luy fit des réprimandes ; & l'ayant chargé de fers, l'envoya banny à Nombre de Dios, & quoy qu'il ne le fift pas brufler, il ne luy fit pas beaucoup de bien. Vrraca eut une telle douleur de cet affront , que quelques mois après il s'échappa, & ayant affemblé grand nom-

Qp iij

1 5 2 2 . Les Indiens fe foûlevent con­tre les Caftil­lans.

La guerre d'Vr raca dure neuf ans.

François C o m ­panon fait ve­nir Vrraca fous prétexte de paix & le prend pri­sonnier.

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1522. 334 H I S T O I R E bre de gens , de ceux qui vivoient fur les rivages des deux Mers du Nor t & du Sud , il leur dit ; qu'il ne-

ftoit pas raifonnable que ton laiffaft en repos ce Chreftiens ; parce qu outre qu'ils luy avoient pris fes terres, fes Seigneu-ries , fes femmes, fes enfans, fon or, & tout ce qu'il avoit, les ayant rendus efclaves, ils ne luy avoient pas gardé la Foy qu'ils luy avoient promife, ny la paix ; Et que partant ils devoient combatre tous contre eux , & faire en forte de fe délivrer de fi importuns Ennemis , cependant qu'ils avoient des forces fuffifantes ; & qu'il valoit mieux mourir en def fendant la patrie, que de vivre dans de perpétuelles guerres & fatigues infupportables. C e difcours agrea à tous ceux qui fe trouvèrent là prefens, & s'offrirent avec beaucoup de refolution de mourir combatant , tant que les forces & la vie leur dureraient , ou de vaincre ; Et dans ce mefme temps tous les Indiens qui eftoient fous la protection des Caftillans fe foûleverent , & en tuèrent cinq qu'ils trouverent à leur avantage. Auffi-toft après ils allèrent at taquer fortement la ville de Natà. Les Caftillans firent une fortie fur e u x , l 'on combatit vail lamment, & il en demeura quantité fur la place des deux coftez, mais particulirement des Ind iens , parce que les chevaux ne trouverent point d'obftacles dans la campagne les incommodoient fort ; fi bien que les ayant efcartez , ils y receurent beau­coup de perte. Enfin la guerre dura neuf a n s , com­me nous l'avons déjà d i t , pendant lequel temps il mou­rut quantité de Caftillans ; mais d'Indiens beaucoup plus fans comparaifon ; lefquels fe voyant chaque jour perfecutez fans aucun r e m è d e , & comme exi lez , tan-toftdans les montagnes , tantoft dans les valées, fouf-frant de grands t ravaux, par la guerre & par la faim, tous les vilages des environs refolurent enfin de fe mettre fous la protection & obeïffance des Caftillans ; Excepté le Roy Vrraca , avec les gens qui luy eftoient reftez après tant de combats, qui ne fe voulut jamais r e n d r e , & fut toujours ennemy capital des Caftillans, lamentant toute fa vie du regret qu'il avoit de n'en

Il fe f a u v a , & le r a t i o n n e m e n t qu ' i l t int aux au t res Ind iens fes voifins.

Batai l le en t r e le Gaftillans & les I n d i e n s .

Les Ind i ens laf-fez de la gue r re fe r a n g e n t fous l ' obe ï l lance .

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DES INDES OCCIDENTALES, L i v . I V . 335 pouvoir venir about. Si bien que les Caftillans refe-lurent de le laifFer là , fans l'aller inquiéter d'avanta,-g e , reconnoiffant qu'il n'y avoit rien à gagner aveque luy, parce qu'ils en revendent toujours mal-traitez ; & mourut ainfi dans fa t e r r e , & dans fa maifon avec fes gens.

C H A P I T R E X .

Des Coufturnes des Indiens de curnana ; & des particularitez de cette terre.

LA peuplade que l'on avoit commencé à baftir dans Cubaguk, floriffoit & profperoit beaucoup,

à caufe du chafteau qui la deffendoit que fit le Capi­taine Caftellou fur les bords de la rivière de Cumana, où ils prenoient de l'eau ; & ou le trafic des perles eftoit grand, & de beaucoup de rapport. L'on y bâ-tiflbit déjà de grands édifices de pierre de taille. Ce -luy qui commença à y faire des maifons de pierre & de chaux , fut Pierre de Barrio-meno, O r d'autant que l'on a beaucoup traité cy-devant des Nations de la terre ferme , il n'eft, pas à propos de paffer plus avant fans dire quelque chofe des couftumes de ceux dont nous troitons ; afin d'accomplir, touchant cela , ce qui m'a el le ordonné ; quoy que j ' aye envie de fai­re un livre touchant cette matière, ainfi qu'ont fait quelques graves Autheurs. Les gens de tette vont tout nuds , excepté le membre viril & le refte, qu'ils met­tent dans des queues de calebaces, dans des limaçons, des cannes, des tuyaux d'or, ou dans des lizieres de cottons, ou ils les attachent en les cuiffes. En temps de guerre ils fe couvrent d'une veux , & portent des pannaches. Ils fe peignent aux feftes publiques, ou ils fe barbouillent avec une certaine gomme gluante, & fe parent de quantité de plumes de différentes cou­leurs, qui ne leur fied pas mal. Ils fe coupent les che-

1522.

Peuplade de Cu-bagua dans fa fafplendeur.

Couftumes des Indiens de Cu-mana.

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Les Indiens efti m e n t d 'avoir les dents Moires,

336 H I S T O I R E veux autour des oreilles. Ils s'arrachent la barbe. Ils font curieux d'avoir les dents noires, & appellent ceux qui les ont blanches des effeminez ; & eftiment ceux qui portent des barbes , des animaux. Ils noirciffent leurs dents avec une certaine he rbe , dont la couleur dure toute leur vie , & ne leur font jamais m a l , ny ne le pourriffent. La poudre de cette herbe , qu'ils pi­lent avec des limaçons bruflez, avec de la poudre de certains baftons qu'ils bruflent auffi ; ils la portent aux marchez , & la troquent pour de l'or , des efclaves, du cot ton, & d'autres mrrchandifes. Les filles vont toutes nues ; & tiennent pour beauté d'avoir les cuif-fes & les jambes fort groffes, & pour ce fujet elles fe lient jambes au deffus du genouil. Elles font peu d'é­tat de la virginité. Les femmes mariées portent des calçons ou des tabliers pour couvrir leurs parties ; Elles vivent dans l 'honneur ; & fi quelques-unes com­mettent adul tère , leurs Maris les répudient, & châ­tient eux-mefmes l'adultère. Les Seigneurs avoient autant de femmes qu'ils couloient , & donnoient les plus belles à leurs hoftes qui les venoient voir. Les Gentils-hommes enfermoient leurs filles deux ans du­rant avant que de les marier , & dans le temps de leur mariage ils convioient aux nopces leurs parens & amis ; les femmes des conviez portoient les viandes, & les viandes, & les maris les matériaux pour baftir la mai-fon où ils dévoient demeurer. Les femmes danfoient & chantoient avec la mariée. Ils coupoient leurs che-veux quelque peu pardevant. Ils mangeoient & beu-voient jufques à s'enyvrer. Ils mettoient la mariée entre les mains du marié , & ainfi ils accompliffoient leurs mariages ; ce qui fe faifoit avec les femmes le-gitimes ; car pour les autres, les approches fe faifoient avec plus de circonfpection. Et les Preftres qu'ils tenoient pour des hommes faints & religieux ne cou-choient point avec ces femmes, mais bien avec les avec les autres , parce qu'ils tenoient à grand honneur qu'ils dépucelaffent la nouvelle mariée. Les hommes

l e s cérémonies de leurs HUMA­I N .

t e s Preftres dé-puceloient les nouvelles ma­t i é e s .

1522.

&

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1522.

D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. IV. 337 & les femmes portoient des braffelets, des coliers & des pendants d'oreilles d'or , avec des Perles, & les pauvres les portoient de limaçons & d'os. Plusieurs mettoient des couronnes d 'or , des guirlandes de fleurs, & des conques de Mer. Ils portoient des anneaux aux narines, & les femmes des plaques d'or à l'efto-mac pour ornement. Ils courent , ils fautent, ils na­gent , ils tirent de l 'arc , les femmes auffi bien que les hommes. Lorsque les femmes accouchent, elles ne fe plaignent pas beaucoup, lors que l'enfant eft n é , ils luy ferrent la tefte entre deux oreillers de cotton pour Leur eflargir la face pour paraiftre plus beaux à leur mode. Les femmes labourent la t e r re , & ont foin de la maifon, & les hommes vont à la chaffe & à la pefche. Lors qu'ils n'ont point de guerre ils fe donnent du bon-temps. Ils font fort vindicatifs, traiftres , & grands van-teurs. Leurs principales armes font les fléches qu'ils ti­rent en l'air d'arbre en arbre. Les hommes & les fem­mes apprennent dés leur jeuneffe à tirer au blanc avec des balles de bois 6c de terre. Ils mangent des heriffons, des belet tes , des chauve-fouris,des langouftes, des arai­gnées y des vers , des chenilles, des abeilles enfin ils ne pardonnent à aucune chofe vivante pour fatisfaire à leur gourmandife,quoy qu'ils ayent de bon pain, de bon vin, des fruits, du poiffon, & de la chair. L'eau de la rivière de Cumanà engendre des tayes aux yeux , & ainfi ceux qui habitent le long de les rives ne voyent guère çlair ; peut -eftre que ce défaut leur vient des viandes qu'ils mangent. Ils ferment leurs jardins avec un feul fil de cotton ou une har re , dont les portes ne font pas plus hautes que la ceinture ; & ils tiennent que c'eft un pé­ché de rompre le fil ou harre , & que quiconque l'a fait pour entrer dans le jardin d'autruy eft digne de m o r t .

Les beftes qu'ils tuent ordinairement à la chaffe, font des Lions, des tygres , des fangliers, & des porcs,épics, avec des flèches & des lacs ; Ils prennent auiïî un certain animal qu'ils appellent Capa, qui elf plus grand qu'un afne , fort plein de poil noir , & furieux , quoy qu'il

Sf

Ils ferroient la telle des enfans nouveau nez pour leur ren­dre la face lat-

L'eau de la ri­vière de Cuma-na engendre des rayes aux yeux.

Des fortes d'a­nimaux qu'il y a à Cumana.

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1522.

338 H I S T O I R E fuit la prefence de l'homme; il eft fort ennemy des chiens de Caftille, il leur donne la chaffe, de en tuë quel­quefois trois ou quatre enfemble ; Ils vont à la chaffe d'un autre animal appelle Aravata , grand comme un lévrier , il a une barbe comme une chèvre,& heurle fort h a u t , de ne mange point de chair. Il monte fur les ar­bres. Ils vont quelquefois par troupes. Ils ramaifent les flèches de les jet tent à celuy qui les a tirées de bonne grâ­ce. Ils tendent des lacs dans des chemins, de dans les lieux où il y a de l'eau pour prendre de certains chats de montagnes, qui font comme des finges, dont les petits pour eftre folaftres donnent du paffe-temps ; & les mères les portent embraffez d'arbre en arbre. Il y a un autre animal c rue l , que les Indiens craignent, de pour s'en deffendre, ils portent de nuit des tifons ardans , parce qu'il ne paroift jamais de jour ; il crie comme un enfant, pour tromper les perfonnes ; & fi-toft que quelqu'un fort pour voir celuy qui cr ie , il le t uë , & les mange, de s'il n'eft pas plus grand qu'un chien d'attache. Il y a tant de ces fortes de beftes que les Caftillans appellent yagua-nœfy quelles ruinent les jardinages, & font fort afpres après les melons de Caftille. Ces Indiens font fort adroits à prendre des oyfeaux avec des lacs, des rets de des arcs. 11 y en a une infinité, de entr'autres des peroquets , des corbeaux, d'autres qui ont le bec comme des aigles, qui font gros comme des oyes, & vivent de charogne, de fen-tent neantmoins le mufque. Les chauve -fôuris y font fort groffes, de piquent fort de fucent beaucoup 5 de un jour ne pouvant trouver la veine a un Caftillan pour luy tirer du fang, qui avoit un grand mal de cofté,une chau-ve-fourisle piqua une nuit, d'où il en fortit tant de fang qu'il en guérit. il y a de plufieurs fortes de ces mou­cherons que nous appelions coufins, dont les plus petits font les pires 5 Les Indiens pour s'en garantir fe couvrent de feuilles, ou d'herbe. Il y a de deux manières de mou­ches guefpes de de trois fortes d'abeilles; il y en a de deux fortes qui font de bon miel dans des ruches , les autres font peti tes, de font du miel fans cire dans les troux des

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. IV. 339 arbres. Les araignées y font plus groffes que les noftres, & font de diverfes couleurs, & belles à la veuë ; elles font leur toile fi forte , qu'il faut employer la force pour la rompre. Il y a des falamandres qui en mordant tuent, & caquetent de nuit comme des poules. Ils pefchent avec des ameçons, des re ts , des flèches, du feu, à l'œil & en taftonnant. En quelques endroits on mange celuy qui pefche fans permiffion. Ils s'affemblent quantité de bons nageurs pour pefcher à l'œil & en taftonnant, tant pour le poiffon que pour les perles , & font tous fort adroits à cela ; Ils fe mettent tous de fuite,& font une longue file chiflant & battant l'eau avec des baftons, ils entourent les poiffons, & les enferment comme dans une cage , & les attirent peu à peu vers la rive en fi grande quantité que cela eft épouvantable ; & cette pefche fe fait dans de certains temps, comme en Caftille celle des tons , des Befugos & autres poiffons. Mais il y périt beau­coup d'hommes, qui fe noyent , ou qui font éventrez par de grands poiffons qui fe fauvent. Ils vont auffi à la pef­che dans des canos avec des tifons ardans avec lefquels ils éclairent fur la fuperficie de l'eau, qui fe retirent vers l'ombrage en recherchant toujours la lumière, & appro­chant des canos ils les dardent & les acrochent. Ceux-cy font de grands poiffons, qu'ils falent, ou les fechent au Soleil, ou les rotiffant pour les mieux conferver. Ils en cuifent auffi, & les falent pour vendre le long de l'an­née. Ils pefchent de grandes anguilles & d'autres grands poiffons qui montent de nuit aux barques,& m e f m e dans les navires , tuent les hommes & les mangent.

C H A P I T R E X I .

Continuation des p a r t i c u l a r i t e z de Cumana.

LEs femmes, comme nous l'avons dit cy-devant la­bourent la terre , elles fement le mayz, l'azi, qui eft

le poivre , les citrouilles, & autres légumes } des carot Sf ij

1522.

Différentes fa-çons de pefcher qu'ont ces In­diens.

Autre façon de pefcher , & quels paiffons,

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1522

340 H I S T O I R E tes & autres racines , & plantent les arbres fruitiers Quant à l'herbe qui fert à noircir les dents,elles la culti­vent avec beaucoup de foin. Il y a de certains arbres qui en les piquant rendent du lai t , qui fe convertit en gomme blanche & qui rend une bonne odeur ; ils s'en fervoient pour encenfer leurs Idoles. Il y a u n e autre forte d'arbre d'où coule une liqueur qui s'épaiffit comme du lait caillé , & qui eft bonne à manger. il y en a encore d'une autre forte , dont le fruit eft femblable à des meures, dont l'on fait du fyrop qui eft fort bon pour guérir le rhume , & le bois eftant fec l'on en fait du feu comme d'un caillou. Il y en a encore qui (ont fort odo-rans , qui font femblables au Cèdre , & font fort propres pour faire des cailles ; mais fi l'on met du pain dedans il devient amer ; mais il eft bon dans les navires, il empé­che que les vers ne s'y mettent point. Ils en ont encore d'une autre forte qui produit de la gluë , dont ils fe fervent pour prendre des oifeaux , il eft grand, & ne du­re pas plus de dix ans. La terre y produit auff i de la caf-fei mais comme les Indiens ne connoiffoient pas cette ef-pece de fruit, ils ne s'en fervoient point. Il y a tant de rofes dans les campagnes, & d'herbes odorantes, quel­les tarifent des douleurs de telle. Mais il y a tant de lan-gouites & autres infectes de celles dont nous avons par ­lé cy-devant, qu'elles ruinent les fruits, & cles femailles. Il y a d'un certain bois qui rend du bitume , qui brufle & dure comme ii c'eftoit du gouldron. Le venin dont ils empoifonnent leurs flèches eft de deux fortes ; le Am­ple eft de fang de couleuvres qu'ils appellent Aypides, & il fe fait avec une herbe & de la gomme d'un arbre,, avec le lue des pommes dont il a déjà efté parlé. La com-pofition fe fait de toutes ces chofes avec des teftes de fourmis venimeufes. Pour faire cette compofition ils prennent une vieille femme , qu'ils enferment qui les fait cuire pendant deux ou trois jours. Si cette femme meurt en le faifant, ou quelle s'évanoüiffe ils eftiment le poifon ; mais fi au contraire elle n'a aucun mal , ils la chaitient. C'eftoit-là le poifon dont les Caribes fe fer-

De la diverfité d'arbres de Cu-MANA.

IL y croift de la caffe & des her­bes odorantes.

D e la compofi-t ion du poifon des Indiens.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 3 4 1 voient contre les Caftillans, où. ils ne trouvoient aucun remède pour ceux qui en eftoient bleffez & & fi par ha-zard quelqu'un en gueriffoit il vivoit dans des douleurs perpétuelles le refte de les jours ; en touchant une fem­me la playe fe rafraifchiffoit ; en beuvant ou travaillant, ils fourfroient des douleurs. Les flèches font de bois très du r , & bruflez par le bout au feu de certains joncs ou cannes comme celles dont nous nous fervons dans la mi­lice. Ils garniffent les pointes d'os de poifon fort durs, en-chafïez. Dans les danfes & à la guerre ils jouent de la flutte , qu'ils font d'os de belles de chaffe , des hautbois qu'ils font avec de gros ballons, avec des flageolets de cannes, des tambours de bois peints, & des calebaces fort groffes. Ils font des cornets de limaçons, & des tim­bales de conques de grandes huiftres. Ces gens eftoient fort adroits à la guerre, & mangeoient les ennemis qu'ils prenoient en guer re , & les efclaves qu'ils achetoient ; & il ils eftoient flafques & débiles ils les laiffoient engraif-fe r , & les mangeoient après.

Ils fe delectoient fort à la danfe & à la boiffon ; un ba-let dure huit jours, & le banquet fe faifoit hors des dan­fes ordinaires Ils s'affembloient, bien parez pour aller aux nopces , ou à des couronnemens de Rois , ou à des feftes publiques ; Les uns portoient des Couronnes, d'au­tres des pennaches, & d'autres avoient des plaques d'or devant l'eftomac , avec des limaçons & des conques au­tour des jambes en façon de fonnettes. Ils fe barboüil-loient de diverfes couleurs & figures , & dont celuy qui eftoit le plus laid, eftoit eftimé. Ils danfoient feuls ; puis fe mefloient enfe tenant des mains en rond ou entre­mefliez. Il y en avoit d'autres & devant & derrière qui alloient fautant, & voltigeant, les uns obfervant le fi-lence , les autres chantant ; puis ils crioient tous enfem-ble & fe conformoient tous au ton , tant pour le branle que le mouvement, & tout d'un temps, quoy qu'ils fuf-fent beaucoup. Leur chanfon commençoit par la triflef-l e , & faifoient des paufes de folie & d'extravagance. Ils danfoient lix heures fans fe laffer , jufques à perte d'ha-

S f iij

1522.

La méthode de faire la guerre de ces Indiens,

Des réjoüiffan-ces qu'ils font aux nopces .

Celuy qui dan-foit le plus eftoit le plus eftimé.

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1522.

342 H I S T O I R E leine ; & celuy qui danfoit plus long-temps eftoit le plus eftimé. Il arrivoit dans ce rencontre plufieurs jeunes hommes , qui venoient pour régaler leur Cacique. V n peu avant que d'arriver au villageois nettoyoient le che­min , fans y laiffer un feftu ; puis ils commençoient à chanter tout b a s , & tiraient leurs arcs aux pas de l'or­donnance qu'ils obfervoient ; auffi-tofl après ils crioient tant qu'ils pouvoient, l'un chantant premièrement , & tous les autres répondant , & changeoient les phrafes de parler , comme dans les Ifles, difant, bon Seigneur avons nous ; nous avons un bon Seigneur. Celuy qui condui-foit la danfe avançoit toujours en faifant des gambades, jufques à la porte ; puis ils entroient tous, faifant mille fingeries ; les uns contrefaifant les boi teux, d'autres les pécheurs , les tifferans , & d'autres les aveugles 5 les uns. r io ien t , les autres pleuraient ; une autre faifoit une ha­rangue de bon fens , dans laquelle il recitoit les faits & les geftes des predeceffeurs du Cacique ; puis ils s'af-feoient tous à croupeton, & mangeoient fans dire mot ; & beuvoient jufques à tomber yvres ; celuy qui beuvoit le plus e f t imé le plus vaillant 8c le plus eftimé du Seig­neur , qui leur donnoit à fouper. Entr'autres feftes,com­me celle de Bachus , parce qu'ils s'enyvroient prefque tous, les femmes les alloient relever & les conduifoient à la maifon ; & quoy qu'ils fuffent affis en ordre,ils fe ver-foient à boire l'un à l 'autre , & il y avoit une femme qui leur portoit le vin. Apres avoir bien beu ils fe batoient à coups de poin, en le défiant, & s'infamant de paroles. Quant i té vomiffoient pour reboire tout de nouveau. Ils beuvoient des vins de palme , d'herbes 8c de fruits. Ils prenoient par le nez la fumée d'une certaine herbe qui les efraurdiffoient. Lors que les femmes remenoient leurs maris à la maifon, elles chantoient des chanfons. Ils eftoient grands Idolatres ; & adoraient le Soleil & la Lune qu'ils tenoient pour le mary & la femme, & pour de grands D i e u x . Ils apprehendoient les éclairs & les

tonneurres, & difoient que le Soleil eftoit en colère con-t r ' e u x : i ls jeufnoient, les eclipfes, & particulièrement

Celuy qui beu-voit le plus eftoit tenu pour le plus vaillant.

ils adoroient le Soleil & la Lu-ne.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. IV. 343 les femmes ; & durant ce temps la les femmes s'égrati-gnoient & fe mal-troitoient ; & les files fe tiroient du fang des bras avec des areftes de poiffon & s'imaginoient que la Lune avoit efté bleffée par le Soleil pour quel­que querelle qu'ils avoient euë enfemble. Durant le temps de quelque Comete,ils faifoient grand bruit avec leurs cornets, leurs tambours Se leurs cris, s'imaginant de la faire fuir, ou quelle fe confumoit. Ils croyoient que les Cometes prefageoient de grands maux. Ils ado-roient quantité d'Idoles, & entr'autres ils gardoient une Croix comme celle de faint André dans un lieu quarré, & enferulé , traverfe en croix de coin en coin. Quanti­té de Religieux ont dit que c'eftoit une Croix , & qu'ils fe deffendoient avec cette Croix des fantofmes, & la mettoient fur les enfans fi toft qu'ils eftoient fortis du ventre de leur mere.

L'honneur des nouvelles mariées dépendoit des Pré­fixes qu'ils appelloient Piaches ; & pour la fcience de guérir & de deviner , ils invoquoient le Diable, comme des Magiciens & des Negromanciers. Ils guériffoient les malades avec des herbes & des racines, cuittes & crues avec de la graille d'oifeaux, d'animaux, & de poiffons, avec des battons & d'autres chofes dont le vulgaire n'a-voit pas la connoiffance, puis avec des paroles obfcures qu'eux-mefmes n'entendoient pas , ils fuçoient & l'é­choient l'endroit où l'on fentoit la douleur , & en cra-choient l'humeur hors de la maifon. Si le mal augmen-toit ils difoient que le malade avoit des efprits, & luy paffoient la main par tout le corps difant des paroles d'enchantement ; puis ils léchoient quelques jointures Se les fuçoient, & difoient qu'ils enchaffoient les efprits. Ils prenoient le ballon d'un certain arbre , que perfon-ne excepté le Piache en fçavoit la vertu. Ils frotoient le gofier jufques au vomiffement & à jet ter du fang ; puis le malade foupiroit, trembloit, trepignoit, fouffrant mil­les angoiffes, & fuant plus de deux heures ; Se jettoient enfin par la bouche une manière de flegme fort efpaif-fe , & une petite balle dure, & noire au milieu, que ceux

1522.

De l'ufage qu'ils avoient de la Croix.

tes Preftres eftoient depofi­taires de l'hon­neur des nou­velles mariées.

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1522. 3

3 4 4 H I S T O I R E de la maifon du malade portoient dans le champ & du foient en la jettant ; Là tu iras Diable ; Diable, tu iras-là, fi le malade gueriffoit il donnoit tout ce qu'il avoit au Médecin ,& s'il mouroit , il difoit que fon heure eftoit venue. Ces Piaches donnoient des réponfes comme des Oracles touchant la guerre , l ' abondance, l ' aut res cho-fes. Ils advertiffoient les peuples lors que les Eclypfes & les Comètes dévoient arriver. Les Caftillans leur de­mandèrent s'il arriveroit bien-toft des Navires de Ca­mille ; & ils dirent ponctuellement le jour , la quantité de gens & de munitions qui arriverent dans une caravelle. Le Piache entra une nuit fort obfcure dans une cave, & avoit mené avecque luy quelques jeunes hommes hardis qui eftoient debou t , & le Piache eftant affis,ap-pelloit, crioit, prioit en vers , il fonnoit des fouettes, & joüoit du cornet , & dans un ton fort trifte , difoit de certaines paroles en façon d'oraifon, & fi le Demon ne venoit , il recoinmençoit fon chant , en ufant de mena­ces , comme en colère ; & lors que le demon arrivoit-, ce qui fe remarquoit par le bruit qu'il faifoit, il chantoit haut & ville, & tomboit,faïfant paraiftre qu'il eftoit pri­sonnier du Démon, félonies geftes & les tours qu'il fai­foit ; Puis il demandoit à l'un de ces jeunes hommes ce qu'il defiroit, & il répondoit. Le Pere frère Pierre de Cordouë qui voulut fçavoir la vérité de cette affaire, lors que le Piache eftoit perfecuté du Démon , prit une Cro ix , une Eftole , & de l'eau benifte, & entra avec plufieurs Caftillans & des Indiens de la terre, il jetta fur le Piache une partie de l'Eftole ; il fit le figne de la Croix fur luy, & le conjura en Latin & en Caftillan, & le Dé ­mon luy répondit en langue Indienne fort à propos. Le pere luy demanda où alloient les ames des Indiens , & le Démon luy rit réponfe qu'ils alloient en enfer ; dont le Pere demeura tout eftonné. Le Piache entendant cela, fe plaignit au D iab l e , de ce qu'il y avoit fi long-temps qu'il le tourmentoit ? Ces Piaches eftoient fort r iches, parce qu'ils prenoient beaucoup pour penfer les mala­des & pour deviner, D a n s les banquets ils tenoient le

haut

Ils eftoient grands devins.

C o m m e les indiens par­v i e n t au De-mon.

Frere Pierre de Cordouë parle à un demonia-c le .

l e s piadies de-devenoient riches à force de gué­rir les malades & de deviner.

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DEs I N D E S O c C i d e n t A l E S L i v . IV. 345 haut lieu , à part , & s'enyvroient auffi bien que les au­tres. Ils ne penfoient leurs parens, & perfonne ne vifitoit les malades qu'eux. Ils apprenoient cet art dés leur enfance, & pendant deux ans qu'ils eftoient en­fermez dans les bois , ils ne mangeoient aucune chofe qui euft fang ; ils ne voyoient ny pere ny mere , & ne fortoient point des cabanes ou canes. Leurs Maiftres les alloient inftruire de nuit ; Puis après ils prenoient atteftation du temps qu'il y avoit qu'ils avoient gardé la folitude , & commençoient auffi-toft à penfer les malades, & a refpondre comme des Docteurs. Ils chantoient des complaintes aux mor t s , exaltant leur valeur. Ils pleuroient beaucoup le corps nouvelle­ment decedé , & puis après le fechoient au feu, & le gardoient en la maifon. Au bout de l'an ils convioient plufieurs perfonnes, fi le mort avoit efté Seigneur, & chacun portoit fon difner ; puis la nuit approchant ils fortoient le corps ; Mais s'il eftoit enterré ils le dé-cerroient avec beaucoup de pleurs. Ils çroifoient les pieds avec les mains ; ils mettoient leur telle entre leurs jambes, & tournoient tout au tour , puis ils r e ­tournoient fur leurs pas le mefme tour qu'ils avoient fait, & trépignoient des pieds, regardant le Cie l , f l eu ran t , & faifant de grands cris ; en fuite dequoy ils brûloient le corps, & donnoient la telle à la plus noble & plus legitime femme qu'il avoit , afin qu'elle fe reffouvinft de luy en la gardant Ils croyoient que l'a­

me efloient immortelle, & qu'elle mangeoit & beuvoit dans un champ où elle alloit, & que l'Echo eftoit ce­luy qui refpondoit à celuy qui luy partait & l'appel

Tt

1522

Leur manière d'enterrer leurs morts .

Ils croyoient l'immortalité.

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1522.

3 4 6 H I S T O I R E

C H A P I T R E X I I .

De quelques chofes à quoy l'on pourveut pour le bon Gouver­nement des Indes ; Et ce que le Roy de Caftille envoya dire

au Roy de Portugal par chriftofle Barrofo fon Secretaire.

je foin qu'avoit le Roy de donner ordre aux chofes de la Religion eftoit grand ; & pour cet

effet, afin que l'on apportait, de la diligence, pour la Prédication & converfion des Indiens , il jugea qu'il eftoit neceffaire d'élire un Evefque pour les terres qui commencent depuis Nombre de Dios , jufques au Cap & pointe de Hibueras, que les Pinçones découvri­rent ? & il fut propofé à fa fainteté de nommer le Prieur de Lora , de l 'Ordre de faint lean, qui eftoit Chapelain du Roy. Il ordonna que l'on continuaft l'au-mofne de trois cens poids d'or que le Roy Catholique avoit ordonné par chacun an à l'Hofpital de Sancta. Maria el antiqua del Daricn ; Que l'on fatisfift aux Reli­gieux de Cumanà , pour ce que les Indiens leur avoient pris, lors qu'ils ruinèrent le Monaftere ; Que l'on donnaft le paf fage franc à frère le an Tecto , à frère le an a Arenalo de l'Ordre de faint François, qui alloient aux Indes vifiter les Religieux de leur Ordre, & les vivres & autres chofes qu'ils auroient befoin , & pour leurs compagnons. Ils furent char-get, par mefme moyen de certains brevets, par le lequels le Roy mandoit aux Officiers Royaux de les favorifer, & leur don-ner le paffage franc pour aller de lieu à autre, toutesfois & quantes qu'ils en auraient befoin. l'on renouvella au f f i dans ce mefme temps l'ordre par lequel ceux qui ne traite­raient pas bien les Indiens qu'ils auroient à leur recomman­dation , ils leur fuffent oftez & que l'on ne les mif t point en dépoft, ou autrement en quelque façon que ce fuft. il fut auffi ordonné que ceux qui peuploient & pacifioient les peuples dans la Nouvelle efpagne , pourraient amener en Efyagne les enfans qu'ils auroient eus des femmes Indiennes qu'ils

Divers ordres que l'on donna pour le Gouver­nement des I n ­des.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv.IV. 3 4 7 auraient efpoufiées ; que les Efclaves qui auroient efté me-nez dans l'EfpAgnolle fans permiffion , fuffent déclarez pour confifquez, y & ce pour éviter les abus qui s'y commet-toient ; que l'on donnaft deux voifinages de Cavalerie aux premiers qui avoient , peuplé la terre ; Que ceux qui viendraient dans les Royaumes de Caftille demander à faire des defcouvertes, des héritages & autres chofes fembla­bles , euffent a le déclarer premièrement à l'Audience de l'Ef-pagnolle, afin d'avoir leur avis & confentement touchant cela ; Que les habitans de la ville de faint Dominique , toutes fois & quant en qu'ils en feroient requis par l'Audience , fiffent des affemblées pour faire au nom de fia Majefté ce qui leur feroit ordonné ; & que l'on permift que dans l'ifle de Cuba, il y peuft avoir deux Procureurs fans préjudice de la deffenfe qui en avoit efté faite Que les Officiers de Seville ne laiffaffent paffer aucune perfonne , pourveuë d'un Office Royal, fans donner premièrement caution de s'en bien acqui-ter ; Que les fufdits Officiers gardaffent leurs brevets , les Ordonnances, & les Inftitutions de la Maifon de Seville fous les peines y contenues, & de perte de biens & Offices , nonob-fiant quelques lettres dérogatoires au contraire ; que les Offi­ciers de la Maifon de Seville, ny les Vifiteurs de Navires , ne pourroient avoir aucuns Vaiffeaux pour voyager ny trafic quer dans la route des Indes , ny y négocier de quelque façon que ce fuft, ny par perfonnes interpofees, fur peine de confifca-tion des Marchandifes , & de la moitié de tous leurs biens ; Qu'il ne pourroit paffer aux Indes des Navires de moindre fort que de quatre-vingt tonneaux ; Que chaque Navire de cent tonneaux , euft quinze Mariniers ; que l'un fuft cano-nier, huit ferviteurs , & les autres armez de cuiraffes , de flaftrons, & autres armes , & que ceux qui ne feroient point armez de la forte n'auroient pas le paffage franc ; Qu'ils y fuffent introduits par un Capitaine 3 homme de connoiffan-ce , & qui fuft de condition ; que dans le fufidit Navire de cent tonneaux il y euft quatre pièces de canon , grof-fes , & fieze pièces de campagne, avec la quantité de ba­ies & de poudre neceffaire, comme du plomb , des moules , des dards , des lances , des pertuifanes , & des bouchers ; fpeci-

T t ij

1522

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1522. 348 H I S T O I R E

fiant le nombre de chaque chofe , fans que l'on en peuft vendra aucune, ny les laiffer aux Indes, & qu'ils revinrent en Caftille avec le mefme nombre de Mariniers qu'ils feroient partis. Et parce qu'après que le Regiftre eftoit donnée on avoit avis que les Maiftres des Navires prenoient encore des marchandifes jufques a faint Lucar, de forte qu'eftant plus chargeais cou-voient plus grandes rifques joint que cela empéchoit la navi-gation, & les gens de combattre, & qu'ils fortoient les armes, fans que les vifiteurs y peuffent remédier ; l'on ordonna qu'ils fujfent feverement punis , & que les charges qu'ils auroient fai­tes depuis , fujfent confifquèes ; Que l'on prift affeurance des Maiftres des Navires , que le mefme Regiftre que l'on leur mettoit entre les mains par les Officiers de la maifon de Seville

fuft delivré aux Officiers Royaux de la partie des Indes où ils alloient décharger, & qu'ils en apportaient un certificat, comme ils avoient délivre le contenu dans le Regiftre fufdit, & qu'ils portoient les armes & munitions que l'on leur avoit ordonne.

Et tout d'un temps le Roy ordonna aux Officiers de la maifon de Seville de donner à la perfonne que la R e i ­ne de Portugal Dona Catalina fa foeur envoyeroit de fa part,toutes les perles, groffes & menues que l'on appor-teroit pour le Roy dans les premiers Navires qui vien­draient des Indes. Et parce qu'à vingt-cinq lieues du Cap de S. Vincent les Corfaires François avoient pris un Navire d'Alonfe del Algana, originaire de Seville qui apportoit beaucoup d 'or , des perles, du fucre & d'autres marchandifes, lefquels ayant pris la route de France , ils furent rencontrez dans les Berlinges , par quatre caravelles armées du Roy de Portugal qui gar-doient la coite de fon Royaume. Le Corfaire pour mieux garnir fon Navire , tira vingt François qu'il avoit mis dans le Vaiffeau Caftillan pour fa garde ; Si bien que les Caftillans fe voyant libres, fe joignirent avec les ca­ravelles Portugaifes , & donnèrent tous enfemble la chaffe aux François de telle forte qu'ayant efté pris,leur Vaiffeau fut pillé. Les Portugais firent amener le Navire Çaftillan & le menèrent à Lisbonne ; à caufe dequoy fa Ma-

Le Roy ordon­ne de donnée à la Reine de Portugal tou­tes les perles qui viendroient dans les pre­miers navires,

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv . IV. 349 f e f t é Catholique envoya a u Roy de Portugal Chriftofle Barro­fo fon Secrétaire, pour procurer la reftitution du Navire Por­tugais , & les Marchandées qui eftoient dedans ; parce qu'ou­tre la parenté & l'amitié qu'il y avoit entre les deux Cou­ronnes , il efloit encore jufte & équitable. Outre que le Pirate François qui l'avoit pris n'alloit pas avec la permiffion de fon Roy, fatfant une jufte guerre , mais en volant comme u n larron ; a infi le Roy de Portugal ne pouvait pas rien pré­tendre de droit , ny de Seigneurie à une chofie dérobée ; Et qu'ou­tre cela cette prife avoit efté faite en la cofte de Portugal, enlevée avant que de la mettre en fcureté en fa terre. Ioint que le Navire devoit neceffairement paffer par les mers de Galice & de Bificaye , où les Caftillans l'euffent pu fecourir & recou­vrer la prife. Outre que parce que le Cor faire François fut pris par l'armés que le Roy de Portugal avoit en f a cofte pour f a garde & celle de fis amis , qui comme tels la vont reconnai­tre comme Une cofte de fleuretè, l'armés du Roy principalement y eftant , & non de fies vaffaux. Ioint que d'ailleurs lors que les François l'eurent abandonné , les Caftillans demeurèrent li­bres dans leur Vaiffeau, avec leurs marchandées , & avoient donné la chaffe aux François conjointement avec les Portugais en s'aidant les uns les autres , & qu'après que les Caftillans furent en liberté avec la plupart de leur marchandife ils avoient eftè enlevez à Lisbonne, où en leur avait tout ofté. L'on avoit donné au Secrétaire Chriftofle Barrofo une lettre de créance pour le Roy de Portugal avec une inftruction, qui portoit en fubftance ; Que le Roy dé Portugal l'ayant

p r o p o f é à fin Confeil ; il avoit fait réponfe qu'il luy avoit femblé raifionnable que le Navire & la marchandife qui eftoit dedans , dévoient eftre reflituez, mais qu'encore qu'il l'euft or­donné ainfi , cela ne fie pouvait exécuter fi-toft pour de certai­nes caufes. Et damant qUe cette reftitution tardoit trop à s'effectuer, & que les parties intereffées preffoient le Roy ; il ordonna au Commandeur lean de Zuniga fon Ambaffadeur, qui refidoit à la Cour de Portugal, de fo­liciter cette reftitution , & aux Officiers de la maifon de SeviL le que des hardes qui eftoient dans le Vaiffeau , ils en donnaf fient au Secrétaire chrifiofle Barrofo mille ècus, pour la peine qu'il avoit prife en cette affaire.

1522 . Le Roy envoyé demander un navire Gaftil-lan que les Por-tugais avoiens emmené en Portugal-

R a i f o n n e m e s ; là-deffus.

Réponfe du Roy de Portu­gal fur la refti­tution du na­vire.

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1522 350 H i S T O i R E

C H A P I T R E X I I I .

De l'ordre qui fut donne pour faire une autre armée en Seville, de ce qui procedoit des Avaris.

IL y avoit déjà en ce temps-là quantité de Corfaires qui rodoient dans ces mers , amorcez des richeffes

qui venoient des Indes. A caufe dequoy & pour plus grande feureté des Navires qui alloient & venoient l 'on donna l 'ordre qui a ELLE dit cy-deffus pour eftre bien ar­mées. Et dautant qu'il y avoit déjà huit Navires d e chargez , l'on retarda pour lors l 'exécution de cet or-dre ; mais que feulement il allaft pour les efcorter deux ou trois caravelles bien armées jufques à ce qu'ils fuf-fent en feure té , & qu'en s'en revenant elles paffaffent par l'Ifle de Santa Maria , & quelles amenaffent Alon-fe Davila, Antonio Quinones,Diego de Ordas,& Alon-fe de Mendoça , & ce qu'ils apportoient ; & qu'ils prif-fent garde à fix Navires François dont on avoit eu avis qu'ils avoient paffé aux Indes. E t dautant qu'ils pou-voient eftre cachez dans l'IFLE de la Mona, on les aver-tiflbit que les Navires de flote fe tinffent fur leurs gar­des ; & que l'on fift fortir s'il fe pouvoit tous les Navi­res qui leur pourraient fervir d'efcorte. Mais dautant qu'il falloit apporter un meilleur ordre pour la feureté de ces merS, l'on trouva à propos de faire une autre ar­mée qui rodaft & couruft d'ordinaire toutes ces Cottes jufques aux Açores , & comme c'eftoit une chofe qui importoit beaucoup pour le trafic des Indes,l 'on t r a i t a avec quelques Deputez qui furent nommez ; & il fut arrefté , que la fufdite armée feroit entretenue fur l'or, les per-les , & autres marchandifes qui arriveraient des Indes , & du Ponant , des Axores, de Canarie, de Il Ifle de Madera, de B a r -barie, aux Villes de Seville , de Cadis, de Xérès , à celles du port de Sancta-Maria, de San Lucar, de Barrameda, de Rotachipiona, & aux ports del Condado de N ieb la , de Mon-

Ils ont avis qu'il eftoit paf-fié aux Indes fix Navires,

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 351 telepe & de la Rondela ; quoy que les perles & les marchandi­fes qui devraient contribuer appartinffent au Roy , ou à quel-ques autres perfonne s privilégiées , attendu quelle fe faifoit pour la garde de tous, Et que mefme les marchandifes qui partiraient des fufdits ports pour aller en ces lieux-là, & aux dépens des Navires qui les porteraient & enleveroient , payeraient les mefmes droits. Et pour cet effet le Roy fit donner des proVifions & des dépefches , & commanda que le Maiftre des Comptes Iean Lopez de Rualdi euft l'inten­dance de cette affaire conjointement avec les trois Députez de la maifon de Contractation , qui eftoient Loüis Fernandez d'Alfaro , Pierre de Xerez & Diego d'Ocana , habitans de Seville , fous ces conditions ; que l'on fournirait & recouvreroit les deniers qui feraient neceffaires pour cette armée fur les cho-fes fpecifices à tant pour cent , félon & comme pour les perfon-nes, qu'au nom de fa Majeftè & de la maifon de contractation ils feroient taxez & modérez. Et au cas que l'on fift difficulté de payer , que les contrevenans y feroient contraints par corps & par faifte de leurs biens. A condition que les fommes qui

fe lèveraient feroient mifes dans un coffre à trois ferrures , dont l'une feroit en la poffeffion d'une perfonne nommée par le Roy, & les autres deux, des Officiers de la maifon de Contra-Bation ; Et que la perfonne nommée par le Roy, du confente-ment des deux autres pourroit eftablir des Capitaines , des Vifiteurs , des Sergens , & tous les Officiers neceffaires pour l'armée , & leur attribuer les gages , & les rechanger au cas qu'il f u f t expédient de le faire ; Que les fufnommez pourvoient fréter quelques navires que bon leur fembleroit , & obliger les Maiftres des Navires de les donner pour un jufte prix, qui fe­roit taxé par une perfonne nommée par le Maiftre du Navire, & une autre par les Députez, & en cas qu'ils ne fe puffent accorder , de prendre un tiers ; Que fi par hasard il y avoit plufieurs Corfaires, & qu'il f u f t neceffaire l'armée eftant par­tie,d'y envoyer d'autres Navires pour la fecourir, cela fe four­nit faire de l'avis des Députez de la maifon de Contracta­tion , aux dépens de ce nouveau droit ; Que les provifions ar­tillerie , munitions & vivres fe feroient dans la mefme forme ; Que toutes les prifes qui fe feroient dans cette armée fervi-

1 5 2 2 ,

Q u e les deniers des A v a r i s fe meuro ient dans un coffre à trois clefs.

Traité tou­chant l'armée des Avaris.

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1522.

352 HISTOIRE roient en partie pour les frais d'icelle ; comme auffi le qui. qui appartenait au Roy; Que l'on cherchaft promptement par preft quatre mille ducats pour commencer a lever l'armée, que fi l'on n'en trouvait pas à emprunter, que l'on en pri f t an change pour pareil effet ; qu'il f u f t pourveu d'un Greffier qui euft un livre a part de l'armée pour autant de temps que les Députez & les Miniftres du Roy le trouveraient propos ; Que l'on defarm ift lors qu'il feroit neceffiaire ; que s'il eftoit deu quelque chofe à caufe de l'armement, que l'on ne ceffaft de re­cevoir les Avaris jufques à ce que tout fiufl payé & fatisfait que la perfionne nommée par le Roy recevrait de gage chaque année cinquante mille maravedis , & les autres trois Députez, quarante mille chacun. Auffi-toft après l'on travailla à ar­mer huit Navires.

Et dautant que l'on ne trouvoit pas d'artillerie ; l e Roy écrivit comme il avoit fait autrefois aux Ducs de Medina Sidonia , d e Medina Celi & d 'Arcos, au Mar ­quis de Tarifa, & au Comte d'Ayamonte, qu'ils en p ré -talTent, & qu'il le favorifaffent en ce rencont re , veu que cela ne les touchoit pas moins en particulier que les au­tres. Il écrivit auff au Prefident de Seville , aux Séné­chaux de Xerez & de Cadiz, & à toutes les villes & lieux intereffez , afin d'y apporter toutes les diligences poffi-bles ; Et parce que l'on eut avis qu'il y avoit dans Cadiz toute l'artillerie d'une Carraque ou grand vaiffeau qui y avoit échoué, l'on manda au Sénéchal qu'il la prift par forme de preft à condition de la r end re , ou de payer fa jufte valeur ; il bien que dés l'heure mefme Pon travailla puffamment à armer les Huit navires pour PefFet que deffus.

Il y avoit quelques jours qu'un nommé Simon d'Alca-çava Sotomay , Seigneur Portugais, qui avoit quitté l e fervice du Roy de Portugal, s 'e toi t prefenté pour ren-dre fervice au Roy de Caftille , & qui promettoit de luy eftre fort utile pour la navigation des Indes des Molu-q u e , parce qu'il elfoit grand homme de mer & bon Cof-niographe ; & cependant que l'on attendoit le fuccés de l'armée, de Fernand de Magel lan , pour voir à quoy il

aboutiroit

Le Roy deman­de par emprunt de l'artillerie au Duc de Medina S i d o n i a , & ar-

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 353 quoy il aboutiroit, il ne fut rien rien refout avec luy ; Mais par l'arrivée du navire Vidoire , il fut retenu pout la maifon du Roy & luy fut attribué cinquante mille maravedis de gage, & autres cinquante mille pour luy aidera faire fa dépenfe. L'on receut auffi George Rey-nel & Pierre Reynel Pilotes Portugais, hommes de ré ­putation.Et dans ce mefme-temps Ruyfalero eftant allé dans une ville de Por tugal , d'où il eftoit originaire, pour fe faire penfer d'une certaine maladie, ils fe faifi-rent de fa perfonne, & luy prirent tout ce qu'il avoit, dont le Roy en receut un grand déplaifîr, & ne fe pût empêcher de le faire paroiftre ; car il en écrivit au Roy de Portugal ,pour qu'il le fift mettre en liberté, & luy faire rendre fon bien ; ce qui fut exécuté auffi - toft. L'on tira auffi des prifons tout d'un temps Alvaro de la Mezquita , Capitaine du navire faint Antoine, avec ordre d'aller à la Cour, qui fe tenoit alors à Burgos.-

C H A P I T R E X I V .

Des faveurs que le Roy fit à Iean Sebaftien del Cano, & à fes compagnons.

IEan Sebaflien del Cano eftant arrivé en Cour avec fes compagnons, ils furent fort bien receus, mais par­

ticulièrement Sebaftien del Cano, auquel l'Empereur donna cinq cens ducats de penfion pendant fa v ie , à prendre fur la maifon de Contradation de l'épicerie qui s'établiffoit dont Chriftofle de Haro eftoit fadeur 5 cin­quante mille maravedis auffi à Michel de Rodas maiftre du Navire Vidoi re , & pareille fomme à François Albo pilote. Il donna pour armes à Iean Sebaftien del Cano un chafteau d'or en champ rouge à la moitié de l 'Ecu tout au haut 6c l'autre moitié en champ doré femé d'épi­cerie, qui eftoient des bâtons de canelle, trois noix muf-cades en croix de faint André , & deux cloux de girofle, & au haut de l e c u , & pour cimier un monde avec ces

V u

1522

Le Roy donne 500 . ducats de penfion chaque annéeà Seba­ftien del Cano , & des armes pour fa maifon.

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1522. 3 5 4 H I S T O I R E mots : Primus circum dedifti me ; l'écu foûtenu de deux Rois veftus depuis la ceinture enhaut de fynople , & de la ceinture en embas de drap blanc, avec chacun une couronne fur la tefte, & chacun un rameau en la main, l 'un de cloux de girofle & l 'autre de noix mufcades, qui reprefentoient les deux Rois qui dominoient les Ifles de l'épicerie. Le Roy fit auffi faveur à Martin Mendez T r e -forier du navire Victoire natif de Seville ; & luy donna pour armes un chafteau doré en champ rouge, à la moitié de l 'Ecu , & aux deux coftez fix cloux de girofle, & à l 'autre cofté de l'écu fous le chafteau trois éclats de ca­nelle mis en ordre , & trois noix mufcades, & au deffus de l'écu un heaume fermé, avec une figure du m o n d e , & au deffus ces mots pr imm qui circumde dit me ; cet écu foûte-nu de deux Rois comme ceux des armes de Iean Seba-ftiendel Cano. Pour Michel de Rodas, Maiftre du vaif-iéau de Seville, il fut armé Chevalier par les mains du Roy , lors qu'il fortit de fa chambre pour aller oüir Meffe dans une grande fale , dans la ville de Valladolid, le 20. d'Aouft de cet te année , & comme Michel de Rodas eftoit à genoux, il luy prit fon épée, & luy en toucha la tefte, & dit : Dieu te faffe bon Chevalier, & l'Apoftre faint Iacques, Se commanda au Secrétaire François de los Co-bos de luy donner un certificat de cela, Se luy donna pour armes un Ecu en champ d 'azur , à la moitié d'en haut un m o n d e , & en l 'autre moitié un navire avec une croix rouge fur le haut de la hune, Se aux deux coftez du mon­de deux chafteaux rouges en champ doré avec quatre noix mufcades d 'or , & quatre éclats de canelle de la mefme couleur , & trois cloux de girofle, & pour le de ­hors de la moitié de l'écu en enhaut deux Rois avec des couronnes aux deux coftez de l ' écu , veftus de cer­tains habits en façon de moules , & ceints de drap rouge jufques aux genoux Se aux jambes , tenant d'une main l 'écu, & de l 'autre ces mots Primus qui circumdedit me, & en Efpagnol , El primero que me rodeo, & de l'autre moi­tié d'écu en embas, deux autres Rois fans couronnes, ayant à la tefte une façon de turban, veftus comme ceux

Des faveurs que le Roy fait à ceux du navire Victoire.

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S Liv. I V . 355 des autres armes ; & dans un petit circuit rond de cou­leurs, les Rois deffous qui tenoientl 'écu des deux mains. Il donna auffi pour armes à Hernando de Buftamente natif de Merida , qui eftoit venu dans le mefme navire, un écu, en la moitié de la partie d'enhaut deux lions do­rez avec des couronnes dorées s'entretenant des pâtes l'un l 'autre , le champ-blanc, & dans l'autre moitié de l'écu d'azur,avec un arbre de clou qui naift dans l'Epice­rie , & fix cloux & fix noix mufcades, & fix éclats de ca-nelle , & au haut de l'écu un armet, & pour cimier un monde avec ces mots : Ferdinandus de Buftamente, qui pri­mas circumdedit orbem.

C H A P I T R E X V .

Des couftumes des autres provinces de la nouvelle Efpagne de leurs actions & gouvernemens,

COmme la digreffion que j 'ay cy-devant faite pour ce qui touche l'antiquité & autres chofes de quel­

ques nations de la nouvelle Efpagne, me fembloit trop longue ; j 'ay voulu laiffer ce qui manquoit de leurs cou­tumes & gouvernement politique pour mettre en celieu, car je ne m'en puis pas exempter. ll y avoit entr 'eux trois fortes de Seigneurs, & dans quelques Provinces quatre, do t chacun occupoit la Seigneurie & jurifdiction. Outre cela il y avoit encor d'autres Seigneurs qui eftoient infe-rieurS)qu'ils apelloient Caciques,qui eft un nom qui pro­cède de l'Efpagnole. Ceux de Mexique eftoient amis & confederez avec les Seigneurs de Tezcuco & de Tlacopan, qu'ils apellent maintenant Tlacuba, & partageoient en-femble ce qu'ils gagnolent ; & ceux cy obeiffoient au Sei­gneur de Mexique, quant à la guerre , & avoient quel­ques peuplades communes qui leur écheoient par fuc-ceffion, tant des Seigneurs que des Seigneuries 6c des biens. Dans Mexique & dans fes refforts il y avoit divers ufages & couftumes ; & ceux de Tlafcala en ufoient de

V u ij

1522.

Des différences manières de fucceder aux Seigneuries,

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1522.

356 H I S T O I R E mefme. L'on y fuccedoit félon les degrez de confangni-nité ; le fils aifné entroit dans les mefmes droits de fora pere , pourveu. qu'il les maintinft, ou finon le fécond fils occupoit cette place ; & s'il n'y avoit point d'enfans mâles, les neveux heritoient, & à faute de neveux, l'on y procedoit par élection ; Et ils aimoient mieux laiffer un Seigneur capable pour le gouvernement, qu'un héri­tier. Au défaut d'enfans & de neveux , les frères fuc-cedoient , & cela alloit par élection entre eux. Et s'il n'y avoit point de frères ils élifoient un parent du Seigneur, & à faute de parent, l'un des principaux du lieu. L'on obfervoit la mefme chofe dans Mechoacan ; & fi le Sei­gneur n'avoit pas nommé lequel de fes enfans ou neveux luy devoit fucceder, eftant aux abois, on luy alloit de­mander. Mais le plus ordinaire eft de les nommer en plei­ne fanté ; & il fe faifoit une fefte particulière pour cela, avec fes cérémonies ; fi bien que dés l'heure le nouveau Seigneur eftoit reconnu pour tel. En quelques autres lieux les frères fuccedoient, & enfuite les fils du Sei­gneur, & celuy qui paroiffoit avoir de l'ambition pour la Seigneurie perdoit fon droit , & l'on gardoit le refpect. à celuy qui eftoit le plus vaillant. Lorsqu'il fuccedoit au Royaume,on le pottoit au Temple accompagné d'une multitude de monde qui obfervoit le filence : Puis les deux principaux luy aidoient à monter les degrez par deffous les bras ; Et auffi- toft après le grand Minière luy donnoit toutes les marques Royales, & le falüoit en peu de paroles i puis ils le couvroient de deux veftes de cotton, l'une d'azur & l'autre de noir, fur lesquelles eitoient peintes plufieurs teftes & os de morts, pour qu'il fe reffouvinft qu'il devoit mourir comme les autres ; & tout d'un temps le Miniftre recommençoit à luy faire une autre harangue, luy repaffanten la mé­moire le fervice des Dieux, la juftice, la clémence, les affaires du Royaume, & la defence de fes vaffaux. A quoy il faifoit réponfe en acceptant toutes ces chofes de bonne grâce, & le remercioit de fes bons confeils. Puis-il defcendoit dans la court, où toute la nobleffe le venoit

D e s couranne-mens de leurs R o i s , & grands Seigneurs.

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , LiV. IV. 357 faluer pour marque d'obeïffance & de foûmiffion ; & pour marque de cela ils luy prefentoient des joyaux & de riches tapis. Apres quoy ils l'accompagnoient dans une chambre qui eftoit dans la mefme court, d'où il ne for-toit point pendant quatre jours, pendant lefquels il j eû-noït & rendoit grâce aux Dieux, & alloit au Temple aux heures accouftumées. Au bout des quatre jours ils le por-toient dans fon Palais en grande rejoüiffance , & où ils faifoient de grandes Feftes ; ainfi il eftoit craint & redou­té de telle forte qu'à peine ofoit-on lever les yeux pour voir fa face, excepté lors qu'il fe réjoüiffoit avec quel-ques favoris en fecret.

Dans Tlafcala , Guaxozingo & Chulula l'on faifoit les-mefmes cérémonies, excepté qu'ils employoient pre­mièrement ceux qui devoient fucceder à la Seigneurie, à quelque dignité , la plus grande qu'ils avoient entre-eux ; & pour cet effet l'on faifoit de certaines cérémo­nies dans le Temple, & l'expofoient auffi-toft à la place ; & pour éprouver fa patience, ils luy difoient des injures & fe moquoient de luy ce qu'il fouffroit fans dire aucune parole, ny tourner le vifage fur perfonne. Tous ces peu­ples d'eux-mefmes eftoient fort endurans, & recevoient les affronts avec beaucoup d'attention & d'humilité , & fans aucune repartie. Celuy qui devoit fucceder à la Sei­gneurie, après avoir efté traite comme nous le venons de dire, ils le menoient au Temple,où il faifoit un an de pe-nitece, & fortoit aux heures que l'on faifoit les facrifices, ils dormoit lors qu'il faloit veiller,iis le piquoient avec de gros poinçons, difant : Eveille-toy, fange qu'il faut que tu veilles, & que tu prennes garde a tes vaffaux ; la charge que tu as acceptée ne te permet pas de dormir. Lors qu'il avoit ache­vé fa pénitence, l'on preparoit toutes chofes neceffaires pour la fefte,& les conviez s'apprétoient ; &le jour qu'el­le fe devoit faire l'on comptoit les jours depuis fa naif-fance, & ne devoient pas eftre égaux, mais non pairs, parce qu'ils le tenoient à mauvais augure. Les conviez eftoient, les Seigneurs, parens, amis, & voifins ; & s'il y en avoit quelqu'un qui s'excufaft , l'on y envoyoit l'uni

Vu iij

1522.

De la façon dot ils fe fervoient pour éprouver la patience de leurs Seigneurs,

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1522 358 H I S T O I R E des principaux, & l'on apportoit fon fiege , & le met-to ien tà la place qu'il devoit tenir, avec les vivres qu' i l devoit fournir & fon prefent, & rendoient devant ce fie-ge les mefmes careffes & les mefmes remerciemens que fi celuy qui eftoit convié y euft efté. Ils menoient p re ­mièrement le Prince dans le Temple, où il recevoit le ti­tre de Roy ou de Seigneur, en fuite dequoy ils alloient au banquet , où il y avoit de grandes liberalitez & pre-fens, & quantité d'aumofnes pour les pauvres. Le Sei­gneur de Chiapa, devoit paffer avant que d'entrer en poneffion de la Seigneurie , dans de moindres charges, où l'on éprouvoit s'il eftoit capable du Gouvernement, Dans Guatimala, ils avoient de couftume de faire des oraifons & des jeunes, & fe levoient plufieurs fois de nuit pour pr ier , & les plus devots dormoient les pieds en croix, pour s'éveiller en fe laffant, & fe lever pour prier. Lors que quelque Gentil-homme alloit rendre vifite au fuprême Seigneur pour le confoler de quelque affliction, il luy faifoit un raifonnement en bons termes, & il luy répondoit toujours en forme de remerciement. Les fem­mes faifoient auffi la mefme chofe envers les femmes du Seigneur, ils appelloient les fuprêmes Seigneurs, d'un Verbe,qui veut dire parler ; parce qu'il occupoit la Iu-rifdi&ion civile & criminelle, & tout le Gouvernement. Si lors que le Seigneur mouroit il laiffoit un fucceffeur en bas âge , l'un des plus anciens Seigneurs plus proche pa­rent du mort & capable, gouvernoit ; & s'il ne l'effoit pas, l'on y en mettoit un autre ; & s'il n'y avoit point de parent capable, ils en élifoient un autre des plus proches amis, qui eftoit comme le tuteur du jeune Seigneur, 6c cette tutele duroit jufques à ce qu'il euft atteint l'âge de trente ans.

il y avoit une autre façon de Seigneurs qui fe preva-loient de leurs prééminences ; ils eftoient comme font les Commandeurs en Caftille, qui avoient des Comman-derieslesnnesmeilleuresque les autres, & ils n'en joüif-foient que pendant leur vie ; leurs maifons eftoient ap­p e l l e s Palais, & ils avoient domination fur de certaines

Les Seigneurs eftant jeunes eftoient g o u ­vernez par des tuteur.

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DES INDES OCCIDENTALES, LIV. IV, 359 gens qui eftoient deftinez & affectez à ces Palais, Les uns avoient plus de gens, les autres moins. Ils leur fournif-foient de l'eau & du bois pour leurs maifons, & leur la-bouroient de certaines terres. Ces Commandeurs ne ti-roient aucun tribut ; mais pour la guerre il n'y en avoit point d'exempt ; & en ce cas le Seigneur devoit donner la folde , & bouche franche ; ainfi ils eftoient comme les domeftiques de fa maifon. Ces fortes deSeigneurs étoient les défenfeurs des peuples qu'ils avoient fous leur domi-nation ; & neantmoins cette forte de Seigneurie n'eftoit point héréditaire. Il y avoit encore d'autres Seigneurs, qu'ils appelloient, Grandes patentées, & tous les hérita­ges eftoient d'une lignée & vivoient dans une mefme quartier, Plufieurs de ceux-cy furent difperfez lors que l'on vint peupler la nouvelle Efpagne, & l'on difpo-fa les partages félon les lignées & Si bien qu'elles ont efté régies de la forte jufques à ce jour ; deforte donc que ces Seigneurs ne les dominoient pas en particulier, mais en commun ; & celuy qui les poffedoit ne les pouvoit alie­ner, quoy qu'il en joüît toute fa vie, & qu'il les laiffaft à fes en fans & héritiers ; & fi quelqu'un de la maifon finif-foit, le parent plus proche entroit en poffeffion , on les donnoit à celuy que bon luy fembloit qui en avoit be-loin du mefme quartier, ou lignée, & non à autre, & fe pouvoient mefme donner en vente à ceux daine autre li­gnée. Celuy qui alloit demeurer dans un autre quartier ou lignée perdoit les terres qu'il labouroit , & l'on faifoit en forte que les terres propres de chaque l'ignée fe con-fervaffent pour le parent le plus proche ; lequel donnoic des terres à ceux qui n'en avoient point ; & celuy qui ne les labouroit pas , on l'avertiffoit de le faire, & finon qu'on les donneroit à d'autres. Celuy qui eftoit le chef dans ces quartiers , devoit eftre le plus grand d 'entre eux, & le plus habile à s'en emparer, & ils l'élifoient en-tr 'eux, & le tenoient pour leur maiftre. Il y avort encore quatre autres fortes de Seigneurs qui eftoient comme en Europe les Nobles ; & ceux-là eftoient iffus des Sei­gneurs fuprémes ; ils ne payoient point de tributs à caufe

1522 .

C o m m e les li-gnées fe confer-voient entre les Mexiquains,

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1522

3 6 0 H I S T O I R E de leur titre de Nobleffe, qu'ils eftoient gens de guerre, & qu'ils eftoient toujours occupez en divers négoces pour le fuprême Seigneur, comme Ambaffadeurs, Mini-lires de Iuflice & autres Officiers ; & le Seigneur leur donnoit dequoy vivre & le logement.

C H A P I T R E XVI.

Des Coutumes des Mexiquains, & d'autres de la nouvelle Efpagne.

NOvs avons déjà dit-cy devant que la nouvelle Efpagne eftoit gouvernée par trois Seigneurs

principaux ; à fçavoir , celuy de Mexique, celuy de Tex -cuco, & celuy de Tacuba ; & dans ces lieux & par toutes les terres des environs qui eftoient les plus grandes de toute la nouvelle Efpagne , il s'y obfervoit un meilleur o r d r e , & la meilleure Iuflice que dans toutes les autres parties. Il y avoit un Tribunal & des luges de chaque Province qui en dépendoient. Ces Rois avoient das leurs villes , deux luges fuprémes ; quoy que Montezume, pour ce qui touchoit l 'Eftat, gouvernoit avec quatre Confeillers. Leur falaire eftoit les terres que le Roy leur defignoit pour le labourage , & des maifons d'Indiens pour leur labourer, dont ils en avoient leur part, moyen­nant quoy ils fourniffoient de bois & d'eau , & ce qu'ils avoient befoin, au lieu du tribut qu'ils dévoient donner au Roy ; & comme ils venoient à décéder le luge don­noit les terres à celuy qui fuccedoit à l'Office. Il y avoit des Chambres dans le Palais du Roy où l'on decidoit les caufes, & jugeoient auffi des caufes du mariage & du divorce, quoy qu'il y en euft peu, & c les luges en ce ren­contre faifoient ce qu'ils pouvoient pour mettre la paix entre les parties, en réprimandant fort le coupable. Les luges dés le matin fe mettoient en leurs fieges d'Efteras, ou de na t t e , où les parties venoient faire leurs deman­des , & les appellations alloient pardevant douze autres

luges

Gouvernement de Montezume touchant l 'E­ftat.

D e l 'admini-ftration de la luftce.

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D E S I N D È S O C C I D E N T A L E S , Liv.IV. 361 luges qui terminoient les differens. L'onconfultoit avec le Seigneur , & chaftioient rigoureufement ceux qui ne -difoient pas la vérité. Les luges ne recevoient aucune chofe des parties ,5 ny ne faifoient aucune exception des perfonnes, & eftoient fort feveres. Si quelque luge fe laiffoit furprendre par négligence ou autrement, ou qu'il n'agift pas felon qu'il devoit, les autres luges le repri-mandoient , & s'il perfiftoit jufques à la troifiéme fois,ils le faifoient tondre , qui eftoit un grand affrontée eftoit privé de fon Office. Il arriva un jour dans Texcuco qu'un luge ayant fayorifé un Gentil-homme contre un homme du commun, & n'ayant pas fait le rapport tel qu'il le devoit faire, le Roy commanda qu'il fuft pendu ; & le procès ayant efté mis entre les mains d'un autre luge qui fit gagner la caufe à l'artifan. Ils avoient leurs Greffiers , ou Peintres, & il ny avoit point de retarde­ment dans les procès. Les douze luges d'appellation, avoient douze Sergens, pour prendre les delinquants , & d'autres pour affigner, & pour aller advenir les parties, qui agiffoient en diligence , fans attendre ny temps , ny heure .

Il y avoit auffi dans les Provinces des luges ordinaires, & de quatre-vingt en quatre-vingt jours l'on faifoit une confultation avec le Roy Ils avoient des Loix pour cha-ftier les délits. Ils lapidoient les adultères, quoy que ce chaftiment fut depuis changé en celuy d'eftre pendu, quoy que quelques-uns difent que dans Mexique l'on faifoit mourir ceux qui commettoient le peché de So­domie ; il y en a d'autres qui ont dit qu'ils n'en faifoient point de cas, pour le chaftier ; Mais il eft pourtant vray qu'entre eux l'on faifoit un affront à un homme lors qu'on l'appelloit Çuylumputl, qui veut dire-Sodomite, & là deffus il fe falloit battre avec l'épée & le bouclier, & l'on permettoit cette forte de defi Le Seigneur de Tezcuco fit mourir un lien fils qui eut communication avec l'une de fes femmes ; & la femme mourut auffi, félon la Loy. Vn autre Seigneur de Tezcuco fit mourir à diverfes fois quatre de fes enfans pour pareil cas, & les

X x

1522.

Sévérité du Roy de Tezcuco.

Confultation qu ' ils faifoient avec le Roy.

Le Roy de Tez­cuco fait m o u -rir un fien fils, & une fienne fille , & pour­q u o i

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1522.

362 H I S T O I R E femmes avec eux. Celuy qui entroit dans la chambre des filles eftoit coupable de mort. Et le mefme Seigneur de Tezcuco, fît mourir par Inftice une fienne fille pour avoir feulement parlé au fils d'un Seigneur. Ils n'ofoient boire du vin fans la permiffion des Seigneurs, ou des l u ­ges , & ils ne donnoient cette permiffion qu'aux mala­des & aux vieillards, & ne pouvoient boire que trois raflées de vin à chaque repas. Leur vin n'enyvroit pas quant à fa qual i té , il n'y avoit que la quantité qu'il en beuvoient qui leur oftoit le jugement. O r aux nop-ees & dans les Feftes publiques, l'on donnoit permiffion générale à tous ceux qui eftoient au deffus de t rente ans , d'en boire deux taffées, & lors qu'ils tailloient des pierres & du bois. Les accouchées en pouvoient boire les premiers jours de leurs couches, & non pas davanta­ge. Les Seigneurs,,les gens de condition & de guerre* fe tenoient fcandalifez d'en boire , & beaucoup plus de s'enyvrer. Or la peine de ceux qui s'enyvroient eftoit d'eftre rafezen pleine place publiquement, & tout d'un temps l'on alloit abattre fa maifon , voulant dire par là, que qui perdoit le jugement ne meritoit pas d'eftre ha­bitant de ce lieu ; il eftoit auffi privé de fon Office pu­b l ic , & demeuroit interdit de toutes chofes pour l'ave­nir. l'ay voulu inférer cecy particulièrement tout au long, pour détromper plufieurs perfonnes qui s'imagi­nent que panny ces Indiens de la nouvelle Efpagne, il n'y avoit point d'ordre pour la boiffon du vin au temps de leur Idolâtrie , & qu'ils s'enyvroient la plupart,& qui ont trouvé lieu de le dire ,& de le faire croire à d 'au­tres.. Mais depuis que l'on a fubjugué ces Royaumes, les peuples fe font tellement adonnez à en boire qu'ils s'enyvrent à tous momens, prenant la licence d 'eux-mefmes depuis que l'authorité de leurs luges naturels a ceffe, qui ne les peuvent plus chaftier librement comme ils faifoient.

ils avoient de certains temps ordonnez pour faire les mariages, & d'autres qui efloient prohibez,finon pour de certaines caufes. Il y avoit des vieilles femmes qui fe

D ' e l b r i e t é des mexiquains.-

D e leurs m a -riages.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , L i v . I V . 363 mefloient de faire les mariages, & jamais les pères ne difoient le mot de oüy, pour la première fois, auffi ne contredifoient-ils pas , & cependant que l'on traitcoit du mariage, les deux prétendus mariez jeufnoient qua­tre jours , & dans quelques endroits vingt , & eftoient enfermez avant que d'eftre mariez. C'eftoit mal fait d'avoir des concubines , & fi quelqu'un en avoir, il le diffimuloit pour éviter un plus grand m a l , eftant tous deux à marier , & les filles qu'ils vouloient avoir, ils les demandoient aux Pères ; mais il y avoit de la difficulté à les avoir pour cet effet, difant qu'ils ne les deman­doient que pour avoir des enfans, & fi-toft qu'il y avoit un fils, les pères prioient le jeune homme d'époufer fa fille, ou qu'il la quittait,, & s'il la renvoyoit à fon pere, ils n'avoient plus de communication enfemble. Les fu-jets qui pouvoient caufer la guerre , & qui eftoit une chofe légitime, c'eftoit de faire mourir un marchand,un vaffal de Roy , ou un meffager. Le Confeil, & les gens de guerre s'affembloient, & reprefentoient le fujet,qui eftoit jufte, au cas que la chofe fut avérée ; mais fi c'e­ftoit pour quelque autre fujet, ils difoient que la cau­fe n'eftoit pas jufte. Et il toutefois on les affembloit derechef , fe voyant par trop importunez , ils refpon-doient , que le Seigneur en fift à fa volonté. Lors que l'on refoudoit la guer re , ils la declaroient de cette for­te ; Ils envoyoient des boucliers, & des robbes ; Si ceux à qui on la declaroit ne la pouvoient pas fouftenir , ils amaffoient des joyaux d'or, & des plumes , puis ils for-toientfurle chemin, & prefentoient cela par forme d'o-beïïïànce ôc de foûmiffion, ce qu'ils payoient en façon de tribut comme amis ; ils affiftoient en cette guerre & faifoient mourir ceux de ce party-là qui fe refugioient chez eux. Mais s'ils vouloient recevoir la guer re , ils re-tenoient les boucliers, & renvoyoient les meffagers qui eftoient venus la déclarer.

Ils avoient une Loy par laquelle ils pouvoient faire des efclaves. Il n'y avoit point entr 'eux d'ufuriers. Pour

X x ij

1522

Des fujets qu'ils prenoient. pour faire la guerre.

Ils faifoient des clac sefv

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1522

3 6 4 H I S T O I R E l'elevation de leurs enfans , auffi bien des Seigneurs pr incipaux, que du commun , foit pour les en doctri-ner & chaftier l 'on y apportoit tous les foins imagina­b les . Apres leur naiflanee , les mères leur donnoit du l a i t , & s'il falloit quelles priffent une nourrice elles faifoient rayer des goûtes de leur lait fur l 'ongle, & s'il ne couloit point à caufe de fon épaiffeur , il eftoit bon. La mere , ou la nourrice qui allaitoit un enfant ne changeoit point de viande, mais en mangeoit tou­jours une femblable depuis le commencement de leur nourri ture jufqu'à ce que l'enfant fuft fevré. Ils leur bailloient à tet ter quatre ans durant , de elles les efle-voient avec tant d'amour que de crainte de revenir en­ceintes elles evitoient tant quelles pouvoient la fré­quentation de leurs maris. Si elles devenoient veufues-en donnant à teller à leurs enfans , elles ne fe rema-rioient point qu'elles ne les euffent fevrez. Aux enfans des Seigneurs on obfervoit exactement de ne leur don­ner que d'une forte de viande , & ayant atteint l'âge d e cinq ans , ils les portoient au T e m p l e , pour y fervir, & pour y eftre inftruits. Ils efloient fort foigneux de re ­commander les enfans à leurs Dieux , & faifoient des offrandes, des vœux , & des facrifices pour leur fanté. Ils leur mettoient autour du col des billets où eftoient peints des Démons , & d'autres qu'ils tenoient pour des Saints,& autres femblables Reliques. Les filles eftoient eflevées avec beaucoup d'honneur & de retenue ; ayant atteint l'âge de quatre ans , on les occupoit dans la ver­tu & dans la folitude ; & il y en avoit telles qui ne for­toient point de la maifon de leurs pères qu'elles ne fe mariaffent. O n les menoit rarement au Temple , en­core ef toi t-ce pour accomplir les vœux que les m è ­res avoient faits en l 'enfantement , ou pour des ma­ladies Elles y alloient accompagnées de quantité de vieilles, & elles ne hauffoient point les yeux fur qui que ce fuft , ny ne partaient point. Les hommes ne mangeoient point avec les femmes avant que de

D e reducation de leurs enfans.

C o m m e les mères efle-voient leurs fil l es .

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DES I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 365

fe marier. Les maifons des Seigneurs eftoient fort grandes ; il y avoit de grands jardins & des vergers; & l'appartement des femmes eftoit à part. Si les femmes fortoient un pas hors de la porte ils les chaftioient fe-terement , & lors quelles haufoient les yeux ou tour­noient la telle en arrière ; & ils les exhortoient toujours d'éftre fort obeïffantes aux bons confeils qu'il s-leur don-noient. Ils leur apprenoient dés leur enfance à filer, à labourer , à tiftre , & elles n'eftoient jamais oyfeufes. Ils les chaftioient lors quelles quittoient le labeur fans permiffion. A la menteufe , qu'ils tenoient pour un grand vice , ils luy fendoient un peu la lèvre , après quoy elles difoient vérité. Mais maintenant l'on tient qu'elles mentent beaucoup parce qu'on ne les chaftie plus comme L'on faifoit cy-devant. Ils avoient de bons maiftres pour apprendre à bien vivre aux enfans , & leur enfeigner les bonnes couftumes. Ils fe marioient à l'âge de vingt ans , & demandoient permiffion à leur pere de le faire , & celuy qui ne le faifoit pas eftoit te­nu pour ingrat & mal né. S'il eftoit pauvre ils l'affi-ftoient de ce qu'ils avoient amaffe pendant leur com­munauté. S'ils eftoient riches leurs pères leur donnoient des prefens au fortir de leur maifon , & au Capitaine qui avoit foin d 'eux, & luy demandoient permiffion , outre celle que leur donnoient leurs pères ; & ils s'abftenoient rarement de la demander, parce que celuy qui ne le fai­foit pas eftoit tenu pour un infame. Les pères alors fai­foient à leurs enfans de belles exhortations à bien vi­vre, de fe rendre aimables & d'obeïr à leurs fuperieurs, & ils leur répondoient avec beaucoup d'humilité & de refpect. Les Dames auffi confeilloient beaucoup de chofes à leurs-filles, leurs reprefentant qu'elles les a-voient mifes au monde & élevées , qu'elles ferviffent à leurs Dieux ; qu'elles -fuffent nettes ; qu'elles gouver-naffent leur négoce avec foin, & autres chofes admira­bles qui ne fentoient nullement fon barbarifme

Xx iij

1522. Les maifons des Seigneurs ef­toient grandes, & la chambre, des femmes eftoit à paris-IV

En quel âge fe marioient les garçons.

Ils deman­doient p e r m i t lion à leurs pè­res & au Capi­taine pour fie marier.

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366 H I S T O I R E 1 5 2 2 .

D

C H A P I T R E X V I I .

Continuation de la mefme matière..

Ans la place de Mexique, qui comme nous avons dit cy-devant efloit une tres-grande, il y avoit une

fort bonne maifon,qui fervoit d 'Audience,où eftoient ordinairement dix ou douze luges qui decidoient les differens qui arrivoient dans le marché, & châtioient les delinquans ; & d'autres alloient vifiter les poids & les me-fures, & brifoient les faunes. Il y avoit des cabanes où l'on déchargeoit les canos qui apportoient des vivres dans la ville ; il y avoit dans chaque cabane un Receveur des droits & fubfides, parce que tout y venoit par eau. Il y avoit dans la place quantité de mouchars & d'Offi-ciers, & des Maiftres de divers meftiers, qui attendoient qu 'on les louait, pour leurs journées , & cette police eftoit plus grande dans Mexique qu'en pas un autre lieu, à caufe que c'eftoit la Cour, & ou le Roy Montezu­me refidoit ,qui efloit férvy & refpecté felon que nous Pavons dit çy-devant ,où j 'ay efté fort court, parce que les cérémonies que l'on luy faifoit eftoient fi grandes & en fi grande quantité que pas un des Soldans des Turcs , nv pas un Prince barbare ny Chrefrien, n 'en eut jamais tant ny de femblables. Les ouvriers des Arts mecaniques. ques eftoient en grand nombre ; les femmes aidoient beaucoup à leurs maris, & mefme à la guer re , elles com-battoient vaillamment pour les aider , parce qu'elles font courageufes & hardies. Lors qu'elles eftoient pre-fles d 'accoucher, elles trouvoient promptement une mat rone , & elles enfantoient fouvent fans elle. Si l'en­fant eftoit preffé on avoit recours à la voifine,ou paren-te te , mais fi parhazard la femme avoit deux enfans d 'une po r t ée , il faloit qu'elle les nourrit tous d e u x , & fi elle n'avoit pas les douceurs ny n'eftoit pas régalée comme les autres qui font en couche, qui n'en ont fait qu'en, Si

Des luges de Police,

l a mais aucun Prince ne s'eft fait fervir avec tant de m a g n i -ficence que Montezume .

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 367 toft que les enfans eftoient venus au monde, ils l'avoient les garçons dans de l'eau froide ; & devenoient par ce moyen dés leur enfance fains fans eftre beaucoup char­gez de langes, forts, difpots, alegres, prompts & légers. L'enfant eftant venu au monde , les parens le venoient voir, & luy difoient : Tu es venu pour endurer, fouffre & en-dure.Lzs pères donnoient au garçon une flèche & un arc, le aux filles un fufeau & une quenouille pour filer, leur lignifiât par là qu'il faloit vivre du travail de leurs mains.

Les Rois ou Seigneurs fouverains tiroient tribut de quatre forte de perfonnes, parmy lefquelles eftoit com­pris le commun peuple. Les premiers eftoient les riches & qui poffedoient beaucoup ; les féconds eftoient les Seigneurs qui n'alloient pas par fucceffion, & qui ne pof-fedoient ce titre que par donation de Roy , pour s'eftre fignalez à la guerre à fon fervice, félon les gens qu'il avoit dans fon quartier. Les troisièmes eftoient les Mar­chands qui eftoient de bonne famille, parce que perfora ne ne la pouvoit eftre que de pere en fils, ou parla per­mifîion du Roy ou Seigneur, & ceux-là jouiffoient de certaines franchifes, à caufe qu'ils eftoient neceffaires à la Republique. Les Officiers payoient auffi le tribut du revenu de leurs Offices ; & les Marchands ,-de leur tra­fic. Tous ceux-cy n'eftoient pas obligez à fervir per-fonnellement, ny aux œuvres publics, excepté dans la neceffité, ny de faire les labourages pour les Seigneurs, parce qu'en payant le tribut cela les exemptoit. ils avoient entr 'eux l'un des principaux de leur corps qui eftoit comme Conful, pour traïtter de leurs affaires avec les Seigneurs, & ceux-cy alloient dans les quartiers, par­ce qu'il y avoit dans chaque quartier de toute forte de gens. Ces tributs fervoient pour le bien public ; pour la guerre, pour payer les Gouverneurs, les Miniftres de Iu-llice & les Capitaines, parce que toutes ces fortes de gens mangeoient ordinairement dans le Palais du Roy, où chacun avoit fon domicile & lieu qui luy eftoit defti-né félon fon office & qualité ; & il n'eftoit pas au pouvoir du Seigneur de difpofer de ces tributs à fa volonté , par-

1522. Ils l'avoient les enfans à leur naiffance dans de l'eau froids.-

Quelle force de gens payoient les tributs.

Les tributs eftoient e m ­ployez pour le bien p u b l i c

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1522.

368 H I S T O I R E ce que cela faifoit murmurer le peuple & les gens d e condition. La quatrième façon de tributaires eftoient les Laboureurs, qu'ils appellent Maycques qui occu-poient les terres d'autruy ; parce que les autres deux façons de tributaires avoient tous des terres en propres ou en commun, dans leurs quartiers ; & ces Mayeques ne les tenoient qu'à rente. Car dans les commencemens que l'on divifa les terres à ceux qui lès avoient gagnées, il n 'écheut rien à ceux-cy, comme il arriva depuis, lors que les Chreftiens les ont conqueftées , parce qu'i l echeut aux uns des te r res , & aux Indiens , & à d'autres rien. Ces Mayeques ne pouvoient quitter une terre pour aller à une autre, ny abandonner celles qu'ils la-bouroient , dont ils payoient la rente à ceux de qui ils tenoient félon l 'accord fait entr 'eux, des mefmes grains qu'ils recueilloient ; & ils ne payoient aucun tr ibut à

p erfonne qu'au Seigneur de la t e r r e ,ny ils ne travail-oient point aux terres qu'ils avoient en commun ; par­

ce qu'au lieu du tribut qu'ils payoient au Roy, ils don­noient au Seigneur des terres qui labouroient, ce que nous avons déjà dit, & les tenoient & nommoient comme à eux appartenant , parce qu'ils avoient l'utilité de la te r re ,& les Maiftres le droi t , & cela s'eft fait de tout temps du confentement des Rois ; & ceux cy fervoient feulement à la gue r r e , parce qu'il n'y avoit perfonne d 'exempt ; & les Seigneurs avoient fur eux la lurifdi-cVion civile & criminelle.

Lors que le Seigneur mouroit , & qu'il laiffoit des en-fans , il pouvoit divifer fes terres patrimoniales, & laiffer les Mayeques , & les terres qu'il tenoit félon fa volon­té , parce que ce n'eftoit pas un droit d'aifneffe. Main­tenant ces deux fortes de tributs, qui font tout deux du commun, à fçavoir les Marchands & les Officiers des quartiers, o n t eux convertis en tributaires du Roy de Caftille, & de facteurs ou commis particuliers. Les Seigneurs feulement demeurent avec leurs Mayeques, & quelques particuliers aufîi qui les tenoient, & eftoient dans leurs terres patrimoniales. Il y avoient auffi des

terres.

Mayeques , ce que c'eftoy.

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DES INDES O c c i D E N T A L E S , Liv. IV. 369 terres remarquables, qui eftoient infeparables de la Seigneurie , qu'ils appelloient de Seigneurie-, & de celles-cy le Seigneur n'en pouvoit pas difpofer, mais ils les affermoient comme bon leur fembloit , & ce qu'ils en tiroient de rente , qui montoit affez haut , fe dépenfoit en la Maifon du Roy ; parce qu'outre que tous les principaux y beuvoient & mangeoient , les Voyageurs & les pauvres y eftoient auffi nourris 5 à caufe dequoy les Roys eftoient fort honorez & obeïs ; & ce qui manquoit pour fatisfaire au refte de la dé-penfe , ils y fupleoient de leur domaine. Enfin les laboureurs payoient les tributs réels & perfonels. Les Marchands & les ouvriers payoient t r ibu t , mais non perfonel, excepté en temps de guerre ; & dans ce tribut la Nobleffe n'y eftoit pas comprife, parce qu'el­le fervoit actuellement à la guerre, & aux Gouverne-mens, & administration de la Iuftice, & affiftoient en la maifon du Roy ; les autres fervoient de domefti-ques, & d'efcuyers, pour l 'accompagner ; les uns fer­voient de Meffagers, & pour faire des affaires ; les au­tres pour mener les laboureurs à la campagne, ou à d'autres choies publiques, ou pour des feftes & des fer-vices qu'ils rendoient au Seigneur ; & pour ce t effet ils eftoient tous difperfez dans les quartiers. Il y en avoit encore d'autres qui tenoient des gens à charge, & ac-compagnoient le Seigneur qui ne payoient point de tribut ; & à tous ceux-cy le Roy leur donnoit le vivre & le logement, & quelques laboureurs pour les fervir, félon les perfonnes & la qualité d'un chacun ; mais ils n'eftoient perpétuels ; parce que l'on nommoit tantoft les uns , tantoft les autres , de forte que l'on ne ren-doit jamais tribut à deux Seigneurs. Ceux-là eftoient encore exempts, qui eftoient fous la domination de leurs pères , les orphelins , les bleffez & les veufves ; & parce que ce n'eftoit pas leur faute s'ils ne pouvoient labourer la terre , on ne la leur oftoit pas pour cela pour les donner à d'autres. Les pauvres mendians eftoient auffi exemps de tribut. L'on obfervoit un bon

Y y

1 5 2 2 .

Les Seigneurs, les Voyageurs , & les pauvres vivoient en la maifon du Roy.

Nombre d e g é s qui affiftoient en la maifon du Roy.

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1522

370 H I S T O I R E ordre pour lever ces tributs ; & dans chaque P rov ince , villes & vilages on les payoit félon la qual i té , les gens & la terre qu'ils occupoient , de ce qui s'y recueilloit & qui s'y labouroit , fans qu'il fuft neceffaire de fortir de fa terre originaire, d'une terre chaude à une froi­d e , & d'une froide à une chaude. Le tribut commun' eftoir de mayz , de fafeols, & de cotton , & pour c e t effet chaque vilage avoir quanti té de terres & d'ef-claves qui les gardoient & labouroient, & qui fournif-foient la maifon de bois, d'eau & de fervice. Les ou­vriers payoient tribut de ce qui concernoit leur tra­vail ; & jamais l'on n'a levé le tribut par tefte , mais l'on taxoit feulement le vilage ou bourg à ce qu'il de ­voit d o n n e r , & chacun apportoit dans ion temps t o u r ainfi que l'on fait en France la levée des Tailles. Dans ce rencontre , il arrivoirqu'un vilage donnoit le cotton, 8c d'autres le mettoient en œuvre. D'autres fournir-foient du poiffon & de la venaifon ; de l'or o ù il y en avoit , qu'ils donnoient en poudre , & le recueilloient dans les rivières fans aucun travail ; fi bien que ces tributs fe levoient avec tant de facilité, que les perfon-Bes n 'en eftoient pas prefque incommodée. Et comme il y avoit grand nombre de peuple , la richeffe que l'on en droit eftoit grande ; d'argent il n'y en avoit point ; & tout leur trafic confiftoit en trocs de marchandifes pour d'autres marchandifes, qui eft le plus ancien 8c le plus affuré trafic,& plus conforme à la nature,& dont l'on t i ­roir beaucoup plus de tributs de ces peuples fubjuguez.

Les Seigneurs qui eftoient inférieurs à d'autres, ren-doient de grands tributs aux R o i s , en de certaines feftes de l'année pour marque de vaffelage. Les Mar­chands auffi, comme gens riches, & eftimez des Sei­gneurs ; ils leur faifoient des prefens volontaires, pour ces feftes ; mais ils ne les donnoient pas feparément; une feule perfonne les recueilloit & les portoit au Roy au nom de tous. Les tributs des grains fe ramaffoient dans une maifon au temps de la récol te , & de là ils les portoient au Seigneur. Les autres tributs des M a r -

Des chofes que l'on payoit pour tribut

Des prefens vo­lontaires qui fe faifoient aux Seigneurs.

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DES INDES O C C I D E N T A L E S , Liv . IV. 3 7 1 chands & des ouuriers fe délivroient de 20. en 20 jours, , & d'autre de 80. en 80. parce qu'ils comptoient chaque mois de 20. jours ; & ils ne payoient pas tous le tribut chaque mois, mais comme il efcheoit pour leur part & portion ; Ainfi l'on portoit des tributs tout le long de l'année. La mefme chofe fe faifoit des fruits, du poiffon, & des pourcelines ; de forte que les maifons des Seigneurs eftoient fournies tout le long de l'année fans qu'il y manquait de r i en , parce que les tributs eftoient infaillibles, & fans aucune variété ; ny il n'y avoit aucune confufion entr'eux pour leur levée , ny pour le labourage des terres ; car il y avoit des Maiftres qui eftoient deftinez pour cela. L'année où i l y avoit de la fterilité, ou de la pefte, l'on ne levoit point de tr ibuts , & s'il eftoit neceffaire de fecourir les pauvres , les Rois leur donnoient dequoy vivre, Se des grennes pour lemer, parce que leur intention eftoit de confèrver leurs vaffaux entant qu'il le pouvoit faire. Le fervice perfonnel & ordinaire de chaque jour pour l'eau & le bois, il eftoit divifé par les journées félon les vilages & les quartiers, de forte qu'il écheoit tout au plus une ou deux fois l 'année, & entre les plus pro­ches d'entre eux, & pour eux mefmes, ils eftoient fou-lagez en quelque façon par les tributs des autres. Quelques fois il arrivoit que tout un vilage alloit por­ter le bois qui leur écheoit tout eu un voyage ; & le plus grand fervice qu'ils rendoient en cela, ils le fai­foient faire par des efclaves, dont ils avoient grand nombre. Dans le temps de leur Gent i l i t é , ils travail-Joient tous pour les Republiques dans leurs mefmes vilages, tant hommes, femmes, qu'enfans, beuvant & mangeant à leurs heures, & faifoient ainfi leurs ouvra­ges en commun avec beaucoup de contentement , par­ce que ce font gens qui ne font pas grand chofe eftant feuls, mais accompagnez ils font des merveilles ; & toutefois fix d'entr'eux ne font pas tant de befogne qu'un Caftillan, parce que comme ils mangent p e u , auffi ne peuvent-ils pas faire beaucoup de befogne.

Y y ij

1 5 2 2 .

En temps de fa­mine & de pefte les Rois ne le-voienc point-de tribut.

Les Indiens a-voient quantité d'efclaves.

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1522.

372. H I S T O I R E Leurs Temples & les maifons publiques des Seigneurs ont toujours efté battis par le commun avec beaucoup de joye & de contentement. Ils fortoient de leurs maifons à la levée du Soleil, après avoir paffé le froid du matin & mangé leur fuffifance félon leur couftume, chacun travailloit comme il pouvoi t , fans que l'on les preffaft, ny que l'on les maltraitait ; puis ils fortoient de la befogne avant que le froid de la nuit les furprift, auffi bien l'Efté que l 'Hyver pour fe garantir de la mauvaife température du froid ; parce que tous en commun alloient tout nuds, ou avec fi peu de vefte­ment que s'ils n'en euffent point eu. Si-toft qu'il tom-boit quelque eau , ils tafchoient de fe mettre à cou­ver t , parce que tombant fur le dos , fi peu que ce fut ils trembloient de froid ; & ainfi tous en commun ils eftoient bien d 'accord, & fe confoloient les uns les autres. S'eftant retirez dans leurs maifons , qui pour eftre petites font à l'abry des vents , qui leur fervent comme de veftement, leurs femmes ayant fait du feu & apprefté leur fouper , ils fe rejoüaient avec elles , & avec leurs enfans felon leur chetive condition.

C H A P I T R E X V I I I . De Matalzingo & d'Vtlatlan, en continuant la mefme

matière du Chapitre précèdent.

LEs Matalzingos avant que le pere de Montezume leur fift la gue r re , avoient trois Seigneurs ; l'un

qui eftoit le plus grand , le fécond qui eftoit moindre , & le troifiéme plus petit que les deux autres. Le pre­mier venant à décéder qui portoit le nom & qualité de la Seigneurie qui eftoit Tlatuan, le fécond entroit en fa place, qui s'appelloit Tlacafecatle ; 6c à la place de celuy-cy entroit le troifiéme , qui s'appelloit Tla-cuxcalcatl ; à la place de ce troifiéme ils nommoient un fils ou frère du premier , celuy qui eftoit le plus di­gne & le plus capable pour cette charge ; de forte que pas un d'eux n'entroit immédiatement à la place de fon

Les Indiens font de peu de fat igue,& pour-quoy.

C o m m e ils fe gouvernoient dans leur tra­vai l .

Les Seigneurs n'entroient p o i n t i m m é ­diatement à la Seigneurie a-pres la mort de leur pere.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. I V . 373 pe re , mais ils dévoient ainfi monter de degré en de­g r é , & à la fin ils eflifoient celuy qui entroit . E t fi celuy du milieu manquoit , l'on mettoit en fa place un frère , ou fils du fécond , & fi le troifiéme manquoi t , où ils élifoient fon fils ou fon frère pour occuper fa place ; de forte que l'on nommoit toujours à cette charge le plus digne & le plus capable. Ces Seigneurs avoient leurs vifages & leurs quartiers feparez les uns des autres qu'ils appelloient Calcules, & venoient rendre fervices à leur Seigneur qui eftoit reconnu pour tel ; & celuy-cy avoit dans chaque vilage ou Calpul, l'un des principaux du lieu pour Gouverneur perpétuel ; & fi celuy l à mouroi t , cette Communauté élifoit un frere, ou le plus proche parent du mort , le plus habile & capable , puis ils portoient l'acte de l'élection au Su­prême Seigneur, afin qu'il l 'approuvait, & celuy là le communiquoit aux deux autres ; & fi l'élection eftoit bien-faite , elle eftoit confirmée, ou autrement , ils en faifoient faire une autre.

Le tribut que ces vilages ou Calcules payoient , eftoit en grains, qu'ils livroient entre les mains de ceux qui les dévoient femer après avoir labouré les terres, ce qui s'effectuoit ponctuellement ; puis lorsque la récol­te fe faifoit ils enfermoient le Mayz, les les Fafeols, & le Bautly, qui eft ce qui fe donne en cette valée; & de là l'on fourniffoit la maifon du Seigneur de tout ce qui eftoit neccffaire ; Et lors que les Gouverneurs ou Te-quitlatos venoient à la maifon du Seigneur, ils menoient avec eux plufieurs des principaux, que le Seigneur recevoir fort bien, & leur faifoit donner à manger, & le logement tant qu'ils eftoient aveque luy, & tout ce qu'ils avoient befoin ; tout cela fe faifant par les efcla-ves du Seigneur , dont il en avoit bon nombre. Ils avoient toujours quantité de Mayz de referve pour les années fterilles ; car quand la femme auroit duré qua­tre ans , les Seigneurs ne demandoient aucune chofe à leurs vaffaux ; bien au contraire, ils ordonnoient que l'on leur donnait de fes greniers du Mayz & des Fafeols

Y y iij

1522.

II y avoit un Gouverneur dans chaque vilage.

l e s fortes de tributs de ces Indiens.

Les Seigneurs faifoient provi-fton de mayz pout les années fteriles.

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374 H 1 S T O I R E

1522. qui avoient efté amaffez pour les fuftanter, parce qu'il y en avoit d'ordinaire une grande provifion. Ils eftoient fi affables envers leurs domeftiques & vaffaux, qu'ils ne les traitoient que de pères , de frères,.& d'enfans félon leur âge ; & les eftimoient beaucoup , lors qu'ils faifoient leur profit ; fi bien qu'ils faifoient du mieux qu'ils pouvoient , & tafchoient de les rendre meilleurs que leurs predeceffeurs ; Parce que celuy qui fe ren-doit tyran, quoy qu'il fuft des Suprêmes, ou des autres, ils avoient une loy entre eux qui leur permettoit de les dépoffeder, & d'en élire d'autres en leur place ; Et les derniers Indiens en virent dépoffeder un pour s'eftre mal gouverné envers fes vaffaux. Ils ne payoient point le t r ibut des femences pour les Seigneurs fuprémes & inférieurs, qu'à l'un de leurs Receveurs qui refidoient dans Leurs vilages.

Encore que chacun de ces Seigneurs avoit fes vila­ges & quartiers qui luy eftoient affectez, & leur jurif-diction, lors qu'il arrivoit quelques affaires de peu de confiderations, ils avoient recours au troifiéme ou au fécond,.& l'un deux, ou tous d'eux enfemble les expe-dioient: & fi ceftoit quelque chofe de grande confe-quence, ils en faifoient part au Supréme,& tous enfemble là décidoient. Les Laboureurs de Mayz de ces vilages ou Calpules faifoient chacun leurs femailles pour eux , où bon leur fembloit, & où ils trouvoient que la terre fuft meil leure, & propre pour cela, & femoient à leur vo­lonté ce qu'ils vouloient ou pouvoient ; & fi le Gou­verneur devenoit malade, ou le principal,i l prioit les autres du quartier que l'on luy labouraft & femaft fa ter re en fa place, comme à un neceffiteux, à quoy l'on ne manquoit pas. Lors que le Suprême faifoit quel­que fefte, les inférieurs prioient ceux qui agiffoient pour eux, d'aller à la chaffe, & ils apportoient de la venaifon, des lapins, & des infectes qu'ils mangeoient, pour les prefenter au Suprême , fans en tirer aucun intereft ny profit, qu'à fa volonté , & ils portoient & donnoient ce qu'ils avoient pris où à peu prés.

C o m e Ce nour riffoient ceux qui gouver -noient.

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D E S I N D E S O C C I D E K T A É E S , L iv . lV. 375 Dans chaque vilage ou Calpul, les trois Seigneurs

Suprêmes avoient des terres en propre, lefquelles pour éftre bonnes il y avoit des Laboureurs qui les affer-moient , quoy qu'ils puffent volontairement travailler à celles du commun de gré à g r é , comme il a efté dit cy-devant ; & donnoient pour ces terres ce que l'on convenoit aux Gouverneurs qui les avoient à charge, & donnoient quelques volailles, qui valoient peu en ce temps-là, ou de la venaifon, qui n'eftoit pas de grand valeur non plus dans la faifon ,& ceux qui four-niffoient ces choies nettoient pas obligez de fournir les femailles pour le tribut.

Apres que Axayacazin les eut affujettis, il fie mou-rir les deux moindres Seigneurs à caufe qu'ils avoient témoigné d'eftre rebelles en quelque chofe, & prit pour luy leurs terres ; & quant au Seigneur principal qui de fon propre nom eftoit appelle Chimaltecutlit , & Tlatoane à caufe de la dignité & Seigneurie qu'il poffedoit. Et d'autant que les vaffaux de celuy-cy fe voulurent foûlever contre luy, parce qu'il les affligeoit extraordinairement, pour fervir & agréer à celuy de Mexique , il vint une féconde fois contre eux, & leur fit la guerre. Quelques uns fortirent de leur païs na-t a i , principalement ceux de Conacantepec, qui S'en allè­rent à Mechoacan, qu'ils appellent aujourd huy Tlanlan, & ainfi ils demeurèrent fous la domination du Seigneur de Mexique. Outre cela tous les Matlazingos faifoient un labourage pour le Seigneur d e Mexique, dont la terre contenoit huit cens briffes de long, & huit cens de large. Ils mettoient les fruits de cette terre dans leurs greniers pour eftre appliquez à la guerre & aux neceffitez de la République , & ne fe pouvoient ufer en autre chofe , & agiffoient contre le Seigneur qui Fintentoi t , comme l'on a cy-devant dit que fon fai­foit dans Mexique. C e t Axayacazin eftant mor t , d'au­tres Rois luy fuccederent jufques à Montezume qui regnoit lors que les Caftillans entrèrent dans cette terre , lequel faifoit grand eftat des vaillans hommes,

1522. L'on y donnoit des terres à rente.

Les fujets fe fon le voient par le mauvais gou­vernement des Seigneurs,.

Les Matalzin-gos font un la­bourage pour le Roy de M e x i ­que.

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1 5 2 2 .

376 H I S T O I R E car il les aimoit , les honoro i t , & leur faifoit de gran-des faveurs, à caufe qu'ils eftoient voifins de ceux de Mechoacan.

Avant que les Rois de Mexique empiéterent cette grande dominat ion, toutes les terres eftoient commu­nes , & celuy à qui écheoit une bonne ter re , il la la-bouroit toujours, & fes fucceffeurs après luy, & fi elle n'efloit pas bonne , il l 'abandonnoit pour en chercher une meilleure entre celles qui vaquoient ; car ceux qui eftoient en poffeffion quelques autre meilleure, on ne les leur pouvoir pas ofter ; ce qui s'obfervoit, par tous les vilages ou Calpules, excepté celles qui eftoient deftinées de toute ancienneté aux Seigneurs, & celles-là eftoient fort bonnes, qu'ils faifoient labourer , ou qu'ils bailloient à r en te , comme il a efté dit cy-devant ; & ils ne pouvoient les aliener, parce qu'elles appar-tenoient & dépendoient de la Seigneurie, qui eltoit comme le fief noble , en appanage des Seigneurs. Dans la Province d'Vtlatan tout proche de Guatemala, l'on verifia par les peintures que les Originaires de la terre avoient gardées de leur an t iqu i té , de plus de huit cens ans paffez, & par les anciens du païs, que du temps de leur Genti l i té y avoit toujours eu trois Sei­gneurs, & que le principal avoit trois tapis de plumes très-riches à fon fiege en façon de doffier, le fécond deux ; & le troifiéme un. L'ordre qu'ils obférvoiant en leur fucceffion & gouvernement eftoit qu'ils mon-toient de degré en degré à cette dignité, & celuy qu'ils élifoient eftoit toûiours pour le plus bas degré qui eftoit celuy d'un tapis , & cette élection fe faifoit par les principaux en la mefme forme qu'il a eflé dit cy-devantde ceux de Mexique ; & ceux de Matalzingo en ufoient de mefme, ils élifoient le frère ou le fils de ce­luy qui manquoi t , le plus habile à fucceder ; & enfin, tout cela fe faifoit en la mefme forme qui eftoit ufitée dans la Nouvelle Efpague.

C H A P.

Avant les Roys de Mexique , les terres eftoient c o m m u n e s .

Ceux de Cuate­mala avoient des antiquitez de plus de huit cens ans.

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D E S I N D E S O Ç C I D E K T A L E S , L i v . l V . 377

C H A P I T R E X I X .

Des otemies & de Xilotepec. Les troupeaux multiplient beaucoup en ces terres.

LEs Otomies obfervoient de nommer des Gouver­neurs pour maintenir les vaffaux dans leur devoir,

& les élifoient eux-mefmes, , ils prenaient le fils de celuy qui decedoit ou un fien frère , le plus habile à fucceder ; & au défaut de ceux-là , le plus proche pa­ren t , pourveu qu'il fuft capable pour cette charge ; or ceux-cy eftoient toujours les principaux d'entre eux , & de la maifon des Seigneurs ou des parens. Les moindres donnoient ordre aux affaires qui fe prefen-toient ; & fi c'eftoit affaires de mort , ou d'importance, ils le communiquoient au troifiéme. Les tributs qu'ils payoient eftoient des grains de mayz , & d'autres fe-mences.

Dans Vtlatan il y ayoit de grands Temples, & en quantité de leurs Dieux , baftis d'un merveilleux arti­fice. Ils en avoient encore d'autres dans les vilages circonvoifins. L e principal de ces Temples eftoit dans un vilage qu'ils appelloient Chichimala, cette peuplade d'Vtlatan eftoit tenue pour un Sanctuaire ; & ce qui le faifoit eftimer t e l , eftoit à caufe de cette diverfité de Temples fi magnifiques. Il y a une autre Province dans le détroit de Mexique, appelle Xilotepec , qui efcheut en la recommandation de Iean Xaramillo , & à Iean Perez de Boca-negra , qui eftoit peuplée la plufpart d 'Otomies , que l'on tenoit avoir efté occu­pée par ceux de Mexique , lors que les fept lignées y arrivèrent, & que les en ayant chaffez, ils fe difperfe-xent en plufieurs endroits de la terre. Ceux de cette génération d'Otomies ont l'efprit fort lourd , font gens fans honneur , ont l'ame lafche , & font barbares ,

Des Temples d'Vtlatan,.

Des O t o m i e s & de leurs couf tumes .

1522

Z z

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1522

378 H I S T O I R E & fort n e g l i g e n s à apprendre les bonnes coutumes ; leur langage en Fort groffier & bref ; parce que les Rel igieux ont fait tout ce qu'ils ont pu pour imprimer la doctrine Chreftienne en cette langue, de ils- n ' e n ont jamais pu venir à bout ; car une mefme chofe eftant proférée en hafte, ou pofément, haute ou baffe, à différente fignift-cation. Mais nonobftant cela Iean Sanchez d'Alavis, Freffre, l'apprit parfaitement b ien , & celle auffi des Chichimeques leurs voifins ; c'eft pourquoy il y fit un grand progrés pour la Foy. Et comme par la conquefte de Mexique plufieurs fe retiraient aux confins des Chi-ckimeques y ayant efté avec eux un Marchand Indien, Otomie, appelle Conin, il fe retira avec d'autre fugitifs à un lieu où ils peuplerent un vilage a p p e l l e queretaro, dans l 'étendue de la terre qui eftoit écheuë en partage à Iean Perez de Boca-negra , lequel convenant avec Co-nin, il fît fi bien qu'il luy fit embraffer la Foy, de le fit ba-ptifer,& par fon moyen à tous ceux du vilage,quoy q u e les Chichimeques le menaçaffent de luy jouer un mauvais party. Mais par l'induftrie de Conin, qui eftoit un hom­me prudent de fage, & d'un efprit il fubt i l , & par la predi­cation de Iean Sanchez d'Alavis ; joint avec la bonne converfation de Iean Perez de Boca-negra, il s'en con­vertit auffi beaucoup. Pour revenir aux Otomies , ceux de Xilotepec, font fort carnaciers, ils n'aiment pas le pain de Canftille , parce qu'ils difent, que ce n'eft que du fruit en comparaifon de celuy de mayz. Ils font grands forciers. En l'an 1544. qu'il y eut une grande pef te , ils montèrent fur un mont qui eftoit fort haut une jeune fil­le, de l 'ouvrirent par le fein de la facrifierent ; les autres fortileges ne font que des chofes ridicules ; parce que lors que les femmes ouvrent la plante de Maquey, après qu'elle ont fait cuire la liqueur ; elles l 'employent pre­mièrement au feu, & à en arrofer les entrées des portes, en difant, Ne me fatiguez pas mon mary. Ils font grands travailleurs, & font beaucoup plus debefogne que toutes les autres nations de la nouvelle Efpagne, quoy qu'un

C o m m e ,fe pen­pla le vilage de Q u e r e t a r o .

Ceux de Xi lote-pec font de grands forciers.

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. IV. 3 7 9 Caftillant faffe plus de befogne en un jour que huit Oto­mies. Ils ont de l'inclination à demeurer dans les lieux folitaires, pour éviter la fugetion, & pour n'eftre point réprimandez de leur yvrognerie ; car quoy que ce vice foit fort commun entre les nations de la nouvelle Efpa-g n e , ceux-cy furpaffent tous les autres , d'où il arrive quantité de defordres de luxure, & d'autres péchez qui donnent bien de la peine aux Religieux lefquels moyen­nant la langue qu'ils ont apprife font un tres-grand pro­fit à cette nation, qui eftoit fort adonnée aux fuperfti-t ions , & ils ont fait ce qu'ils ont pu pour les en détour­ner. Les couftumes, religion & cérémonies qu'ils obfer­voient eftoient femblables à celles des Mexiquains, ex­cepté qu'après avoir contracté un mariage, fi la premiè­re nuit que les mariez couchoient enfemble ils ne fe pou­voient accorder, ils faifoient divorce, & tous les deux fe pouvoient remarier avec d'autres. Les gens de qualité avoient trois ou quatre femmes, mais le commun n'en avoit qu'une ; Ceux qui perfiftoient dans le mariage, faifoient pénitence pour leurs pechez , qui eftoit d'avoir approché des femmes, & de s'eftre enyvré ; à caufe de quoy ils s'en abftenoient vingt ou trente jours ; Ils fe bai-gnoientôcpurifioient fur le minuit dans des maifons de-ftinéesà cela ; Ils fe tiroient du fang des oreilles & des bras ; & les femmes faifoient cette mefme pénitence dans leurs maifons. Ils ne facrifioient que des efclaves qu'ils prenoient à la guerre, lorsqu'ils alloient fous les enfeignes des Mexiquains ; ils les tuoient & les ha-choient par petites pièces, & les ayant fait cuire ils les vendoient dans les places comme une viande rare. Le larc in , la fodomie, l 'adultère & le violement eftoient punis de mort. Celuy qui eftoit defobeïffant à fon pere, ils le foüettoient avec des orties, puis ils le baignoient tout le long d'une nuit dans de l'eau froide au fercin. Les jeunes gens s'exerçoient aux armes pour la guerre, ainfi que faifoient les Mexiquains.

Dans le détroit de Queretaro, il y a une eau coulante

zz ij

1522.

Ces Indiens fas-foient divorce.

De la pentience des Indiens.

D e la p u n i t i o s des mal- fa i ­s e u r s .

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1522.

380 H I S T O I R E qui eft fi chaude qu'elle bout, & en fe rafraichiffant elle engraiffe fort les troupeaux, à caufe qu'elle eft falubre. Dans cette mefme province de Xilotepec, au lieu appel-lé de faint lofeph d ' A t l a , i l v a une fontaine de bonne eau qui coule quatre ans durant dont le jet eft gros com­me la cuiffe, & eft quatre autres années qui n'en coule pas une goutte, puis ces quatre amiées eft ant paffées elle recommance fon cours, & les années qu'il pleuft beau­coup elle eft feche, & dans les années feches elle coule. A cinquante pas de cette fontaine il y en a une autre d'où il fort perpetuellement un grand bras d'eau, Il y a dans cette Province plufieurs mines d 'a rgent , & plu-ileurs herbes medecinales. Il croift de toute forte de fruits de Caftille ; Et c'eft une chofe remarquable que depuis le vilage de faint Iean , à celuy de Queretaro, qu i qui font fept lieues., & deux au delà, & autant de traver-fe il y paift plus de cent mille vaches, d'eux cens mille brebis & dix mille cavales, tant la terre y eft fertile, d'où l'on peut confiderer combien les troupeaux qui y ont efté tranfportez de Caftille ont multiplié, parce qu'au­paravant il n'y avoit aucune chofe qui apportaft du prom­ût dans cette t e r re .

fontaine qui coule quatre ans & en demeure autant fans cou­l er .

De la grande fertilité de la

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DES INDES OCCIDENTALES, Liv. IV. 3 8 1

C H A P I T R E X X ,

Ruy Falero écrit à l'Empereur , & mande l'accord qui avait efté fait avec Eftienne Gomez pour aller au Nort , & chercher le deftroit, & d'autres chofes de Caftille de l'or ; Et que des Rochelois avoient tué Antoine de Quino-nez & pris Alonfe Davida.

SVivant les nouvelles que l'on avoit receuës des Ifles de l'Epicerie par l'arrivée du navire Victoire, le

Roy avoit refolu d'y envoyer une autre armée, à quoy R u y Falero qui eftoit dans Seville le follicitoit beau­coup , difant qu'il eftoit neceffaire d'y envoyer chaque année une armée ,& qu'il en revinft une aut re , parce que les uns feroient toutes preftes à partir avec leurs charges, lors que les autres arrivoient-là, ce qui fe fe-roit avec moins de dépenfe, & avec plus de feureté & de profit ; Ils pourroient trafiquer dans plufieurs Ifles, & en d'autres chofes qu'en épicer ie , comme en o r , en pierreries,& en tributs que quelques unes de ces Ifles pourroient contribuer chaque années ; ce qui pour-roit caufer une réduction entière de toutes les Ifles fous ï'obeïffance de la couronne de Caftille. Pour donc pré­parer cette armée avec plus de facilité, & enbref, l'on commanda à Bernardin Melendez qui en avoit efté nommé Treforier , d'aller dans la Coruna faire des pro­visions de vivres & de munirions. L'on commanda auffi à Dom Antoine de la Cueva Gouverneur de Galice qu'il employait tous fes foins à faire cette diligence. Mais d'autant que quelques Corfaires rodoient le long de cet­te cofte, & mefme en celle de l'Andaloufie, & qu'ils avoient pris quelques navires qui tranfportoient des bleds pour faire le bifcuit pourcette armée l'on ordonna que les Navires qui fe préparaient dans Laredo pour ce voyage,fortiffent, & donnaient la chaffe à ces Corfaires. Ruy Falero écrivit auffi au Roy, que le Roy de Portugal

Z z iij

A N N É E .

1523

Ruy falero écrit à l ' a m p e r e u r .

Bernardin M e ­lendez va ramaf fer des vivres & mun i t i ons pour l ' a rmée des Me luques dans la Coruna ,

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1523

382 Histoire avoit un tel reffentiment de ce que les Caftillans avoient entré dans l 'Epicerie , que l'on traitoit dans fon Confeil de dôner à fa Majefté quatre cent mille ducats,pour qu'il fe defiftaft de ce negoce ; & qu'un Seigneur Portugais luy auoit offert de grandes faveurs au cas qu'il vouluft re tourner au fervice du Roy de Portugal, mais qu'eftant Capitaine pour fa Majefté comme il eftoit il ne le feroit pas ; qu'il le vouloitfervir ; & le fupplioit de luy donner la permiffion d'armer un navire ou d e u x , pour luy à fes rifques pour paffer à l 'Epicerie , & qu'il s'obligeroit de payer la troifiéme partie de ce qu'il gagneroit , exempte de tout frais & dépenfes.

Dans ce mefme-temps fa Majefté s'eftant informée de plufieurs Cofmographes,pour fçavoir fi l'on pouvoit al­ler facilement pour découvrir les terres du CatayOrient tal , par quelque détroit que fon jugeoit qu'il y avoit de la mer du Nor t , au Sud, dont l'un de ceux qui traitoit de cela eftoit le Pilote Eftienne G o m e z , parce qu'il eftoit affuré que la Chine & toutes fes terres confinoient à fes limites ; L'on fit armer une Caravelle du port de cin­quante tonneaux, pourveuë de tout ce qui luy eftoit ne -ceffaire, qui pourroit couftier quinze cens ducats , dont le Roy en devoit fournir la moitié, & certains marchands l 'autre ; parce qu'il affuroit qu'allant par ce chemin au Catay Oriental ils trouveroient plufieurs Ifles & Pro­vinces qui n'avoient point encore efté découvertes, & qui eftoient fort riches en or, en a rgent , en drogues & épiceries ; en quoy Eftienne Gomez ne fe fourvoyoit point ; car je croy qu'il vouloit entendre parées Ifles les Philippines & la Chine. Pour donc faire ce voyage, avant toutes chofes, l'on traita avec luy, que fur tout il n'en-treroit point dans les limites du Roy de Portugal, at ten­du que fa Majefté vouloit garder la capitulation qu'il avoit faite avec luy. L'on donna permiffion à qui vou-droit de charger des marchandifes dans cette Caravel ­l e , à condition qu'eftant de re tour , ils ne payeroient que la vingtième partie de ce qu'ils auroient gagné qui feroit employée pour la rédemption des Captifs. L'on

Avis que Ruy falero donne au

O p i n i o n qu'il y avoit un detroit de la mer du Nort au Sud.

Opin ion d'E-ftienne G o m e z , & ne l'accord q u e l'on fait avec luy.

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DES I N D E S O C C I D È N T A L E S , Liv . IV. 383 permit auffi qu'après avoir troqué les danrées de fa Majefté, & de ceux qui auroient chargé & armé , les Mariniers du Navire pourroient troquer leurs caiffes & leur quintalage, fans que pour cela ils fuffent obli­gez d'en payer aucun droit dans ces Royaumes, que la vingtième partie ; pourveu que la quantité de chacun d'eux n'excedaft pas deux cent ducats ; & que paffé ce­la ils payeroient la cinquième partie. Que s'il le faifoit quelque prife dans le voyage, l'on en fift trois parts ; l 'une pour Eftienne Gomez , & les gens du Navire , & les deux autres, pour le Roy , & pour ceux qui avoient fourny l'armement ; lefquels les autresfois que l'on re ­tournerait à ce voyage , de ce qu'il coufteroit pour l'é­quipage ils contribueroient au fol la livre. Cet accord eftant conclu & arrefté , le Roy commanda de délivrer les dépefches, afin que dans la Seigneurie de Bifcaye, & quatre villes de la cofte de la mer l'on donnaft toute forte d'aide 6c de faveur pour l 'armement de ce Navire, de afin auffi que Chriftofle de Haro facteur de la maifon de Contradiction de l 'Epicerie, donnant les fept cent cinquante ducats du Roy ; & que des provifions que François Mexia & Bernardin Melendez faifoient dans la Coruna l'on donnaft ce oui feroit neceffaire fuivant l'accord , à quoy l'on travailloit inceffamment ; parce que Sebaftien Gaboto Capitaine pour le R o y , & Pilote Major , lequel croyoit auffi qu'il y avoit plufieurs Ifles à découvrir proche des Moluques. Auffi-toft après Gil­le Gonçalez Davila retourna de la terre ferme de fa découverte, s'en alla à l'ifle Eipagnolle,fort mal con­tent de Pedrarias,pour quelques déplaifirs qu'il en avoit receus; Si bien que par la connoiffance que Pedrarias avoit euë de ce qui s'eftoit trouvé , & de la richeffe que ceux qui avoient affifté à cette découverte promettoient de cette terre ; & fçachant d'ailleurs que Gille Gonça­lez s'en eftoit allé en intention de retourner , & faire fon entrée par la mer du Nort ; fans perdre de temps il envoya peupler la baye de Fonieca, ordonna à ceux qui peupleroient plufieurs franchifes & prééminences ;

1523

Faveur pour l'armement d'Eftienne Gar­diez.

Gilles Gonçalez va à l'Efpeg-nolle fe plain-ite de Pedra-:ias.

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384 H I S T O I R E & refolut d'envoyer des Capitaines en d'autres endroits pour occuper cette terre avant que Giiie Gonçaiez re ­tournaft de forte que ces gens y alloient de bon cou­rage fous pelperance de s'enrichir , félon l'efperance que leur en avoient donné ceux qui y avoient efté. C e fut Pedrarias qui donna le nom à cette baye , pour Iean Rodriguez de Fonfeca, & l'Ifle qui eft dedans , il la fit nommer Petronila à caufe d'une fienne niece.

Gonçale Fernandez d'Oviedo vifiteur des fontes de Caftille de For, envoya de Darien une caravelle qu'il avoit armée à fes dépens , au port de Cartagene,où les Indiens Caribes tuèrent Iean de la Cofa, & mirent en déroute le Capitaine Alonle d'Ojeda ; car c'eftoient les gens les plus farouches que l'on n'euft point encore ren­contrez dans la terre ferme. Mais le Capitaine de la Caravelle les fçeuft fi bien pratiquer , qu'il confera avec e u x , & eut d'eux deux cent trente poids d'or pour des jolivetez de Caftille, & demeurèrent bons amis , & les Indiens dirent aux Caftillans qu'ils retournaffent dans trente jours & qu'ils leur donneroient davantage d'or. Mais ces Indiens s'en eftant re tournez , ne voulu­rent pas revenir d e crainte qu'il ne vinft quelques au­tres vaiffeaux de guerre. Cependant comme il eftoit neceffaire d'y apporter quelque remède ; Le Roy ac­corda à Gonçales Fernandez d'Oviedo permiffion de baftir une fortereffe dans l'Ifle de Codego, qui eft à à em­bouchure du p o r t , ou dans le port mefme,& luy en don­na la Lieutenance ; à condition que pendant le terme de deux ans , à commencer du jour qu'Oviedo com-menceroit d'armer , perfonne n'iroit trafiquer à douze lieues à la ronde ; ny mefme dans les lues de faint Ber­nard , que le fufdit Oviedo , ou autres par fon ordre , parce que l'on jugeo.it que c'eftoit-là le vray moyen de pacifier ces Indiens , moyennant quoy il payeroit au Rov le Quint de l'or qu'il avoit en troc , & que pour toute prefixion on luy donnoit l 'année fuivante de 1524. pour mettre en exécution la fabrique de la fortereffe, & le refte ; moyennant quoy auffi on luy donnoit la fa

culté

I

1523.

edrarias en Voye peupler la baye de Fonfe-ç a .

Oviedo envoyé une caravalle au p o r t de Car i a gene ,

Accord fait avec Gonça les d e m a n d e z d ' O ­v iedo-

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D E S I N D E S O C C I D E N T A L E S , Liv. IV. 385 culte de pouvoir armer un brigantin aux dépens du Quint qui appartenoit au Roy, & qu'il en armait un au­tre à fes frais & dépens, & qu'on lu y payait le paffage & les vivres pour cinquante hommes qu'il devoit mener de ces Royaumes pour cette peuplade ; laquelle ne put j a ­mais fortir à effet pour le peu de forces d 'Oviedo; joint que les foldats n'alloient pas de bon courage dans une terre fi perilleufe. Eftienne Alonfe Davila, Antoine de Quinones , Diego de Ordas, & Alonfe de Mendoça, eftoient cependant dans rifle de fainte Marie des Aço-rei , ou ils les attendoient ; mais voyant qu'ils tardoient beaucoup , Diego de Ordas refolut de paffer en Efpa-gne dans un vaille au de Portugal avec d'autres paffa-gers , & aborda à Lifbone. D'ailleurs , le Capitaine D o ­minique Alonfe laiffa dans les Canaries les Navires qui alioient aux Indes , & s'en alla aux Açores avec les trois caravelles qu'il avoit,& repaffant en Çaftille avec Alon­fe Davila , Antoine de Qu inones , & les autres paffa-gers qui eftoient avec eux l'or , & les autres chofes qui leur eftoient reftées à dix lieues du Cap de faint Vin­cent ils lurent attaquez par fix Navires Rochelois, dont le Capitaine fe nommoit Florin de la Rochelle. L'une des trois caravelles Caftillanes fe fauva en pleine mer ; les deux autres fe mirent en deffenfe, mais quoy que ceux de dedans combattirent vaillamment elles furent accrochées. Antoine de Quinones y mourut , & Alon­fe Davila fut enlevé à la Rochelle, d'où eftoient ces Na ­vires y il y demeura prifonnier trois ans. Toute la ri-chefle que Fernand Cortés envoyoit au Roy fut prefque toute perdue , tant du prefent que du Quint qui luy ap­partenoit,, & un Navire qui venoit de l'lfle Efpagnolle où il y a voit foixante deux mille ducats, fix cent marcs de perles, & huit mille pefant de fucre.

A a a.

1523-

Diego de Or-d a s paffe en Ef­pagne,

Antoine de Q u i n o n e s eft tué, Alonfe Davila & tout ce qu'il amenait eft en­levé à la Ro-chelle,