65
ISSN 1422-5220 Religion Le bœuf, l’âne, les Rois mages, l’étoile et la crèche... Toutes ces figures traditionnelles de Noël ont été inventées longtemps après Jésus-Christ Magazine trimestriel de l'Université de Lausanne - N° 40 Décembre 2007 - Gratuit Biologie Polémique : à quels animaux «étrangers» la Suisse doit-elle accorder l’asile? Economie En 2007, le nouveau «péril jaune» est informatique. Faut-il avoir peur des Chinois? Histoire César : enfin la vérité sur son assassin

Histoire - unil.ch · Parmi ces «candidats à l’asile» d’un autre genre, on trouve des espèces fami-lières comme des écureuils et des tortues. Il y en a de plus aristocratiques,

Embed Size (px)

Citation preview

ISS

N 1

42

2-5

22

0

ReligionLe bœuf, l’âne,les Rois mages,l’étoile et lacrèche... Toutesces figurestraditionnelles deNoël ont étéinventéeslongtemps aprèsJésus-Christ

M a g a z i n e t r i m e s t r i e l d e l ' U n i v e r s i t é d e L a u s a n n e - N ° 4 0 D é c e m b r e 2 0 0 7 - G r a t u i t

BiologiePolémique : à quels animaux«étrangers»la Suisse doit-elleaccorder l’asile?

EconomieEn 2007, le nouveau «péril jaune»est informatique. Faut-il avoir peur des Chinois?

HistoireCésar : enfin la vérité

sur son assassin

L’autre débat sur l’asile

É D I T O

I ls viennent de Corée,d’Amérique, d’Europe de

l’Est ou bien du Sud. Ilsrêvent de s’installer en Suissepour profiter de la quiétudedes lacs, des plaines, des forêtset des montagnes. Ils s’appro-chent de la frontière et ne sontpas les bienvenus. Pourtant,malgré ces similitudes qui prêteraient àsourire, si le débat sur l’asile n’était pasaussi crispé, «ils» n’ont rien à voir avecdes humains en détresse. Ces «envahis-seurs» – en biologie, le mot n’est pasconnoté politiquement – sont des ani-maux exotiques.

Parmi ces «candidats à l’asile» d’unautre genre, on trouve des espèces fami-lières comme des écureuils et des tortues.Il y en a de plus aristocratiques, commeles visons, et de plus suspects, comme lesratons laveurs qui avancent masqués. Ily a enfin des grenouilles, des couleuvres,des oiseaux, et surtout des insectes quiprofitent de leur petite taille pour pas-ser la douane en douce.

Car, aux frontières, le filtrage a com-mencé. Les biologistes reprochent eneffet à ces animaux envahisseurs d’en-trer en concurrence avec des espèceslocales, de les affaiblir, et, parfois, de cau-ser leur extinction. Des associationsd’amis des oiseaux recommandent déjàque l’on «canarde» les tadornes casarca,ces oiseaux d’eau belliqueux qui vien-nent de l’Est. Par ailleurs, des mesuresont été prises pour lutter contre la pro-lifération de certaines grenouilles et cou-leuvres. Et demain, les ratons laveursarrivant d’Allemagne se retrouverontprobablement dans le viseur des gardes-chasse suisses, comme vous le découvri-rez en pages 24 à 35.

A l’inverse de ces espècesrefoulables, d’autres ani-maux qui ont possédé un pas-seport suisse par le passé,avant d’être chassés ou ex-terminés du pays, pourrontrevenir sous les applaudisse-ments d’une bonne partie dela population. Même s’ils

causent des dégâts, la loutre, l’ours etle loup seront mieux accueillis que lescandidats exotiques à l’asile.

Ce privilège n’est-il pas scandaleux?Faut-il s’indigner de cette «immigrationchoisie», à la Sarkozy, que les Suissess’apprêtent à pratiquer sur les animaux?S’ils avaient la parole, les tadornes, lestortues de Floride ou les écureuils amé-ricains de Corée seraient enclins à le pen-ser. Auraient-ils raison pour autant? Laréponse est clairement négative. On nepeut pas, à la fois, s’inquiéter des espècesinconnues qui disparaissent tous les joursdans la forêt amazonienne, et laissers’éteindre, sous nos fenêtres, des animauxqui ont survécu jusqu’à aujourd’hui.

Cela dit, signalons à tous ceux quiseraient tentés de tirer une leçon poli-tique de ces histoires de tortues et deratons laveurs, que la morale de cettefable moderne doit rester strictement animalière. Après nous avoir prouvé que l’arrivée d’animaux exotiques doitêtre surveillée de près, et combattue aubesoin, la biologie, cette science facé-tieuse, nous dit exactement le contraireà propos des êtres humains. Dans ce cas,le brassage de populations qui s’opère ausein d’une même espèce est considérécomme un bienfait biologique, puisqu’ilcontribue à la diversité génétique desindividus.

Jocelyn Rochat

Jocelyn RochatRédacteur en chef

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 1

Collaborateurs : Sonia Arnal, Michel Beuret, Geneviève Brunet, Pierre-Louis Chantre, Elisabeth Gordon

Photographies : Nicole Chuard

Infographie : Pascal Coderay

Photos de couverture : Alain Delon dans le rôle de César, dans «Astérix auxJeux olympiques» : Monopole Pathé, 2008Noël : «Le rêve de Siméon», Aert de Gelder, vers 1700, Maritshuis, La Hague Chine : www.photos.comGoélands : Jörg Hempel / WikipediaCommons

Correcteur : Albert Grun

Concept graphique : Richard Salvi, Chessel

Publicité : EMENSI publicité, Cp 132, 1000 Lausanne 7Tél. 078 661 33 99E-mail : [email protected]

Imprimerie IRL1020 Renens

Editeur responsable :Université de LausanneMarc de Perrot, secrétaire généralJérôme Grosse, resp. UnicomAxel A. Broquet, adjoint Florence Klausfelder, assistante

Unicom, service de communicationet d'audiovisuel - Université de Lausanne Amphimax - 1015 Lausanne tél. 021 692 22 80

[email protected]

Magazine de l’Université de Lausanne : N° 40, décembre 2007

Tirage 27’000 exemplaires48’400 lecteurs (Etude M.I.S Trend 1998)

http://www.unil.ch/unicom/page6524.html

Rédaction :Rédacteur en chef :Jocelyn Rochat, journaliste au Matin Dimanche

Edito . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 1

L'UNIL en livres . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 4

Abonnez-vous, c’est gratuit! . . . . . . . . page 7

R E L I G I O N

Le Noël que nous connaissons a été imaginé bien après Jésus-Christ . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 8

Sans fondement historique, les figures les pluspopulaires de Noël (la crèche, le bœuf et l’âne,les Rois mages et l’étoile) ne viennent souventpas de la Bible. On les doit à d’astucieux écri-vains et à des textes apocryphes qui ont été écritsentre deux et six siècles après la Nativité! Lesexplications de deux chercheurs de l’UNIL.

M É D E C I N E

On sauve des prématurés de plus en plus petits . . . . . . . . . . . . . . page 16

A la fin des années 1980, les pédiatres ne pouvaientrien faire pour un enfant né avant 28 semaines degrossesse. Aujourd’hui, la frontière entre la vie etla mort est à 25 semaines. Voilà qui en dit long surles progrès réalisés. Désormais, les bébés quivoient le jour après la 32e semaine de gestation,ou qui pèsent plus de deux kilogrammes, ont untaux de survie identique à celui des enfants nés àterme. Et beaucoup moins de handicaps qu’on lecroit. Bonne nouvelle, quand on sait qu’un bébésur 10 naissances est un prématuré.

Le rendez-vousA vos agendas : tous les mercredis soir, du20 février au 12 mars2008, entre 18 h et20 h, aura lieu le tradi-tionnel Cours publicde l’UNIL. La prochai-ne édition portera surInternet et les nouvel-les technologies. E-mails, téléphonesmobiles et agendasélectroniques influen-cent déjà nos compor-tements. Ces technolo-gies promettent unmonde sans contrainte,où l’on pourra acheter,vendre, voir un film,s’informer, flirter, vo-ter ou même divorcer.Un avenir qui séduit eteffraie à la fois.Ces conférences gra-tuites tenteront notam-ment de répondre auxquestions suivantes :mon intégrité person-nelle est-elle garantiesur le Web? Les nou-velles technologies dela communicationsont-elles un obstacleou un pont entre lesindividus? L’amourest-il virtualisable? LeWeb est-il une sourced’information fiable ouun outil de désinfor-mation?Le Cours public del’UNIL sera animé parJean-Philippe Rapp,avec la participationde nombreux cher-cheurs de l’Universitéde Lausanne. Pour le détail, rendez-vous en pages 60-61

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 72

© N

. Chu

ard

Sommaire

B I O L O G I E

A quels animaux la Suisse accordera-t-elle l’asile? . . . . . . . . . . . page 24

Le retour du loup dans le canton de Vaud donneun coup de projecteur sur un phénomène demasse : l’arrivée de nombreuses espèces animalesqui cherchent à s’installer dans les Alpes. Faut-il les laisser faire? Sinon, à quels visiteurs poilusou plumés refuserons-nous l’asile? Ce sera ledébat des prochaines décennies.

I N T E R V I E W

«La pression des cadeaux de Noël peut être d’une grande violence» . . . . . . . . . . . . page 36

Les Fêtes consacrent une période socialement trèsimportante : la préparation et l’échange de ca-deaux. Un étrange moment, parfois embarrassant,qui renvoie à des pratiques anciennes et variées,qui vont du don désintéressé au cadeau «empoi-sonné». Deux chercheurs de l’UNIL décortiquentce moment de grâce qui peut tourner à l’enferdans une société marchande.

J. R

ocha

t

Nat

ivité,

par

Gér

ard

de S

aint

-Jea

n, v

ers

14

90

,Lo

ndre

s, N

atio

nal G

alle

ry,

http

://

com

mon

s.w

ikim

edia

.org

(dé

tail)

L’ info que vous ne lirez que dans«Allez savoir!» se trouve en

pages 32-33. On y apprend com-ment un chercheur de l’UNIL a puétablir qu’un loup, qui a été écrasépar une voiture près de Munich, enAllemagne, avait préalablementlaissé des traces génétiques à la fron-tière italo-valaisanne. Voilà quidémontre que l’animal a pu faire untrajet d’au minimum 250 kilo-mètres, en deux mois et en traver-sant très probablement la Suisse depart en part. Ni vu ni connu!

Le scoop

Q ui croit encore que les sujetsreligieux ne font plus

recette? A ces «hérétiques» impé-nitents, nous conseillons de taperles mots Römer (ou Roemer), Goget Bush sur le moteur de recherchesur Internet Google. La dernièrefois que nous avons fait l’exercice,il y a trois semaines environ, cetteopération donnait plus de 1000réponses. Autant de résultats qui témoignent du succès inter-national remporté par l’article intitulé «George W. Bush et leCode Ezéchiel», paru dans le N° 39 d’«Allez savoir!» *.

Les révélations de Thomas Römer, ce professeur de l’UNILqui a été contacté en 1993 par l’Elysée afin qu’il éclaircisse lesréférences bibliques du président des Etats-Unis, et qu’il per-mette à Jacques Chirac de comprendre ce que lui avait sug-géré son interlocuteur, ont été largement reprises.

Elles ont été signalées en Suisse (dans «Le Matin Dimanche»,«La Liberté», «Le Courrier»), mais encore en France (dans«Marianne») et au Québec (dans «La Tribune»). En Italie, l’article d’«Allez savoir!» a été intégralement traduit sur le site www.golemindispensabile.ilsole24ore.com,qui compte notamment Umberto Eco dans son comité derédaction.

En poursuivant les recherches sur Internet, on découvre quec’est le compte rendu de notre article publié dans «La Liberté»,qui a connu le plus de succès, grâce à sa reprise sur le site fran-çais www.rue89.com (fondé par des anciens journalistes de«Libération», donc très lu par les confrères).

Cette variante courte a été très largement lue, reproduite ettraduite. On a notamment pu la retrouver aux Etats-Unis(Salon.com, www.truthout.org, et même dans le «ConspiracyTimes»), en Hollande («de Volkskrant») et en Israël. L’article aencore été très largement repris et commenté en Turquie, et il aété mentionné jusqu’en Iran et même aux Antilles néerlandaises...

Les échos internationaux de cet article lui valent de se placerparmi les titres d’«Allez savoir!» les mieux repris de l’histoiredu magazine. Mais, quel que soit son succès, ce «Gog» n’éga-lera pas les retombées record d’un article paru en octobre 2000dans «Allez savoir!» N° 18 **, qui était consacré à un vaccinantinicotine alors en phase d’élaboration à Lausanne.Ce scoop avait lui aussi fait le tour du globe, en touchant également des chaînes de télévision suisse, allemande et mêmejaponaise. Sans parler de la Une de l’Alémanique «Blick», deuxjours de suite. L’occasion de rappeler que ce sujet antinicotinenous avait été soufflé par Axel Broquet, actuel responsable del’information à Unicom, qui aura pris sa retraite quand vouslirez ce numéro. Qu’il soit remercié ici pour les treize annéesde soutien indéfectible qu’il a apporté à la préparation d’«Allezsavoir!»

Jocelyn Rochat

* www2.unil.ch/unicom/allez_savoir/as39/pages/pdf/4_Gog_Magog.pdf

** www2.unil.ch/unicom/allez_savoir/as18/index.html

E N A P A R L É !

Allez savoir !

H I S T O I R E

Le vrai visage de Brutus, assassin de Jules César . . . . . . . . . . . page 44

Marcus Junius Brutus était l’une des figures tra-giques de la série TV Rome. L’assassin de JulesCésar sera aussi l’une des vedettes comiques del’adaptation au cinéma de la célèbre BD «Asté-rix aux Jeux olympiques». Dans ce film trèsattendu, qui sortira au début 2008, le «libérateur»héritera du visage de Benoît Poelvoorde. Ridi-cule ou tragique, jaloux ou épris de démocratie,quel était le vrai visage de ce Romain légendaire,par Jupiter?

É C O N O M I E

En 2007, le nouveau «péril jaune» est informatique . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 54

Après l’Allemagne, les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, voilà que la France se plaint d’attaquesde cyberpirates chinois. Nos économies seraient-elles noyautées par les Asiatiques? Les réponsesde deux enseignants de l’UNIL, une spécialistede la cybercriminalité et un expert de la Chine.

L A V I E À L’ U N I L

Cours public 2008 de l’UNIL . . . . . . . . . page 60

Formation continue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . page 62

DR

Mon

opol

e Pat

hé F

ilms

Gog offre un succèsplanétaire à l'UNIL

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 74

L’ U N I L e n l i v r e s

Une pensée à temps et à contretempsThéologien protestant, pionnierde l’œcuménisme, résistant aunazisme, conspirateur, témoin etmartyr, Dietrich Bonhoeffer faitpartie des acteurs et des pen-seurs essentiels du XXe siècle.Dans Le «Prix de la grâce» (1937),il trace devant ses étudiants del’Eglise confessante la voie d’unesuivance (Nachfolge) qui fait dudisciple du Christ, dans le textebiblique et dans la vie, un êtred’écoute et d’obéissance critique.L’«Ethique» (1940-1945), inache-vée, rend compte des raisonsthéologiques d’une action res-ponsable dans le monde. L’avant-dernier, s’il n’est jamais ultime,est toujours crucial, face aux réa-lités dernières. La foi et l’éthiquepeuvent conduire à la désobéis-sance politique, par delà les com-promis frileux et les radicalismesexaltés. «Résistance et soumis-sion» (lettres de prison post-humes), enfin, dit l’engagementet la lucidité du penseur devantles limites d’un langage religieuxinadapté au monde moderne.Quel sera le rôle de la pensée etde la croyance dans un monde

Objet classique,équations nouvellesErosion du pouvoir des Etats,gouvernance multiniveaux, mon-tée en puissance des villes etdes agglomérations sont autantd’illustrations de la complexitécroissante des emboîtements etdes superpositions de responsa-bilités entre les niveaux d’inter-vention publique. Entre recentra-lisation, sectorisation ouspécialisation des territoires,l’extrême diversité des situa-tions ne donne pas d’indicationsfacilement interprétables sur lesens des transformations encours. Une chose est sûre : ellesmettent les politiques publiques«à l’épreuve» des changementsd’échelles.Les différents travaux réunis danscet ouvrage montrent commentces déplacements de compé-tences entre l’Europe, les Etats

devenu majeur, mais dont lescataclysmes ne cessent de ques-tionner l’autonomie, la responsa-bilité et l’accueil d’une vraietranscendance, au cœur même dela vie? Par ses points forts et parses failles, Dietrich Bonhoeffernous ouvre des pistes surpre-nantes pour des lendemains degrâce et de gravité. Ed.

«Dietrich Bonhoeffer(1906-1945).Autonomie, survivance etresponsabilité» sous la direction d’Alberto Bondolfi, Denis Müller et Simone Romagnoli, Revue d’éthique et de théologie morale. Editions Cerf.

nationaux, les régions et les villesmodifient les formes et les conte-nus de l’action publique aujour-d’hui. Ils font ainsi le point surl’origine de ces changements etsur les effets qui en découlent.Ed.

«Action publique et changementsd’échelles : les nouvelles focales dupolitique» sous la direction d’Alain Faure,Jean-Philippe Leresche, Pierre Muller & Stéphane Nahrath, Collection logiques politiques, L’Harmattan.

Figures de l’oubli Interrogé dans les relations para-doxales qui le lient à la mémoire,l’oubli suscite depuis bientôt dixans les réflexions croisées dessciences humaines et de la cri-tique littéraire. S’inscrivant dansce débat, ce numéro propose pourla première fois un parcours à tra-vers les figures de l’oubli auMoyen Age, jusqu’à la premièreRenaissance. Le domaine litté-raire ainsi défini offre un champde réflexion privilégié dans lequell’oubli est bien moins un objet dediscours que l’enjeu de fictions etd’exemples qui le donnent à pen-ser et en exposent les valeurs. Unmouvement se dessine, de l’ou-bli momentané de Dieu dansl’œuvre comme moyen d’exalta-tion de la mémoire à l’oubli desautorités et du savoir commecondition nécessaire à la cons-truction de soi et au surgissementde l’écriture. Entre ces deuxpôles, les figures rencontrées aufil des textes, aussi singulièresque variées, font de l’oubli un fac-teur de renouvellement littéraire

Qu’est-ce que lathéologie?Quel est l’objet de la théologie ousur quoi porte son interrogationet son discours? sur Dieu (c’estl’étymologie: théo-logie, discourssur Dieu ou sur le divin)? sur lescroyances? sur l’humain? sur lemonde ou le cosmos? Il y aura làbien des éléments à préciser, àdélimiter, à articuler, aussi vraique les différents points évoquéssont à la fois liés et peuvent êtredistingués de manière diverse.Concrètement, la question del’objet de la théologie entraîne,dans la foulée, celle des champsà travailler, mais elle va irrémé-diablement être accompagnée decelle du type de regard qu’on yporte, de la manière dont on metles choses en place, de la façondont on balise le terrain ou quel’on met en perspective. Et c’estlà que doit justement se préciser

et témoignent d’un désir de maî-trise : avec les recours qui sont lessiens, la littérature tente de s’ap-proprier l’alternance fatale de lamémoire et de l’oubli pour entourner les règles à son avantageet convertir l’érosion temporelleen un moteur de questionnementet de sens. Ed.

«Figures de l’oubli (IVe - XVIe siècle)»Edité par Patrizia Romagnoli et Barbara Wahlen, Etudes de lettres 1-2, 2007.

le statut de la théologie et de cequi est dit en théologie, seslimites, du coup, et sa portée pos-sible, la fonction de la théologieaussi, ainsi que sa pertinence :que fait-elle voir, et quel est sonapport à une connaissance dumonde, de l’humain et de sesdieux, ou à quoi sert-elle?(Extrait du texte d’introduction)

«La théologie» par Pierre Gisel,Quadrige, PUF (Presses universitaires

de France), 194 p.

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 5

L’ U N I L e n l i v r e s

Le mystère apocrypheL’intérêt est vif aujourd’hui pourcette littérature proche de laBible, faite d’évangiles, d’actesdes apôtres et d’apocalypses nonretenus dans le canon. Pourquoices textes apocryphes, qui ontsouvent pour objet des événe-ments évoqués ou des person-nages mentionnés dans la Bible,ont-ils été mis à l’écart et large-ment oubliés dans le passé? Ont-ils été écrits pour concurren-cer les livres du Nouveau Testa-ment? Quel message religieuxvéhiculaient-ils?Le lecteur se voit offrir ici de nom-breux extraits de textes et desexplications qui en disent la por-tée, l’intérêt et... le charme.Réédité après plusieurs annéesd’indisponibilité, cet ouvrage estconsidéré comme un classiquedans un domaine suscitant tou-jours plus d’intérêt. Il présentel’Evangile de Thomas, l’Evangilede Nicodème, l’Evangile secret deMarc, les Actes de Paul et lesActes de Philippe.Il accueille également un essaiinédit sur l’Evangile de Judas, où

est évoquée notamment la filièregnostique à laquelle se rattachecet évangile apocryphe; la trahi-son de Jésus est interprétée com-me un mystère libérant par lamort le Jésus spirituel. Ed.

«Le mystère apocryphe, introduction à une littérature méconnue» avec des contributions de Frédéric Amsler, Rémi Gounelle, Eric Junod,Jean-Daniel Kaestli, Daniel Marguerat,Walter Rebell; Coll. Essais bibliques, Labor et Fides.

Les voix du cinémaCe livre propose une réflexion his-torique et théorique sur la placeet la fonction conférées à la voix,manifestation sonore foncière-ment humaine, au sein du me-dium machinique qu’est le ciné-matographe. En s’interrogeantsur la pratique de l’accompagne-ment verbal effectué lors des pro-jections «muettes» par un locu-teur live (le «bonimenteur â») àl’époque du cinéma des premierstemps, cet ouvrage rend comptedes spécificités de l’oralité ducinéma parlé, et confronte la mé-diation qui s’opère au sein de cedispositif aux principes de la voixenregistrée.A travers l’examen de la voix-over, l’ouvrage traite non seule-ment de la matérialité de la voixet de son enregistrement, maisaussi des relations qui s’instau-rent entre les mots et les images.En proposant une typologie desmodes de synchronisation et ens’interrogeant sur la façon dontla signification est produite grâceà l’interaction du verbal et del’iconique, il fournit des instru-ments utiles à l’analyse de films.

Cette dernière n’est d’ailleurs pasnégligée, puisque certains filmssinguliers du point de vue durégime vocal font l’objet d’étudesapprofondies qui viennent nour-rir la théorie, à l’instar du Romand’un tricheur (Guitry), de La Fian-cée de Frankenstein (Whale), deLola Montès (Ophuls) ou d’Hiro-shima mon amour (Resnais). Ed.

«Du bonimenteur à la voix-over. Voix-attraction et voix-narration au cinéma»par Alain Boillat, Editions Antipodes, 2007, 540 p.

Voyages mescaliniensde deux écrivainsLa démarche que Jacques Bru-chez a adoptée dans son étudesur les œuvres d’Aldous Huxley,«Les portes de la perception», etd’Henri Michaux, «L’Infini turbu-lent», se distingue par son origi-nalité. (…) L’auteur essaie no-tamment de saisir la «motivationintime» des deux écrivains qui est«celle de la création artistique».Autour de ce thème se tissent«d’autres fils qui vont nousconduire vers d’autres écrivains,des philosophes, et nos pas peu-vent dès lors aboutir dans diversdomaines, ceux de l’art, de lapoésie, de la psychologie, de laphilosophie et même, pourquoipas, de la foi», comme nous lelisons au passage intitulé Ecrire.Dans les récits d’une expériencepsycho-physio-médicale, expéri-

Postures littérairesDans la modernité émerge et s’in-dividualise la figure de l’auteur,livré à la curiosité biographiqued’un public croissant. Présent surla scène littéraire, décrit et jugépar ses pairs comme par des ano-nymes, l’auteur assume désor-mais une présentation de soi quiconstitue ce que nous nommonssa posture. Systématisée dansles recherches de Jérôme Meizozdepuis plusieurs années, repriseet discutée depuis par plusieursspécialistes, cette notion s’avèrestimulante pour comprendre nonseulement le statut et les repré-sentations de l’auteur modernemais aussi les transformations deceux-ci et leur impact sur l’en-semble de la pratique littéraire.Qui rend publics ses écritsimpose une image de soi quis’écarte souvent de ses coordon-nées civiles, comme en témoignele recours au pseudonyme chez L.-F. Céline, Julien Gracq, RomainGary ou San-Antonio. Le pseudo-nyme marque une nouvelle iden-tité énonciative, dont la validitéet l’efficace se jouent sur la scènelittéraire.

mentation concrète et utilitaire,l’auteur va dégager la présenced’une expérience transcendantequi peut conduire à la révélationde la spiritualité, sujet désinté-ressé et gratuit. (Extrait de la pré-face de Michèle Stäuble-LipmanWulf)

«Henri Michaux et Aldous Huxley. Deux expérience»par Jacques Bruchez, Slatkine Erudition, 332 p.

En dix chapitres, cet ouvrage desociologie littéraire propose uneréflexion sur l’auteur et ses di-verses postures. Après deux cha-pitres de méthode, diversesétudes de cas sont proposées, deRousseau à Stendhal, de Péguy àRamuz et Giono, de Céline à Cin-gria sans négliger plusieursouvertures vers des écrivainscontemporains comme PierreMichon ou Michel Houellebecq.Ed.

«Postures littéraires. Mises en scène modernes de l’auteur»par Jérôme Meizoz, Slatkine Erudition, 2007, 210 p. ▲

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 76

L’ U N I L e n l i v r e s

Anthropologie cliniqueen marcheDe plus en plus, les psychologueset les psychiatres se réclament del’anthropologie, comme s’ils crai-gnaient de ne plus être en prisesur l’homme concret, en souf-france d’existence. L’anthropolo-gie clinique, telle qu’elle estdéveloppée dans ce fascicule, lesinvite, selon le mot d’ordre dupsychiatre et philosophe suisseBinswanger, à mettre l’homme ensituation au cœur de leur savoiret de leur pratique. S’inspirant enparticulier de l’anthropologiephénoménologique, de l’anthro-pologie culturelle, comme de l’an-thropologie politique, elle veutpenser les fondements de la cli-nique psychopathologique et psy-chothérapeutique à partir d’uneinterrogation sur l’homme : quelest cet homme diagnostiqué ettraité psychiquement par les cli-niciens? Celui-ci est-il pensableen dehors de son contexte de vieet d’appartenance sociale, et desa conscience incarnée aumonde?Une telle démarche critique veutaussi aider les cliniciens à s’in-terroger sur les présupposés deleurs modèles et à les expliciteren vue d’un dialogue au-delà descloisonnements d’écoles. C’est

précisément une des visées decette publication : proposer «unlieu d’échange au service de l’hu-manité du patient».Actes d’un colloque tenu à Lau-sanne en 2005 organisé par lesprofesseurs Nicolas Duruz (psy-chologie clinique) et RaphaëlCélis (philosophie), ce numérospécial de «Psychiatrie – Scien-ces humaines – Neurosciences»est enrichi de contributions dechercheurs qui collaborent depuisde nombreuses années avecl’équipe lausannoise. Ed.

«PSN, volume 5 supplément 1, 5.S1»,Juin 2007, Springer Editeur.

UDC : anatomie d’un partiLe «succès» politique de l’Uniondémocratique du centre (UDC)conduit le politologue à s’empa-rer scientifiquement d’un thèmequi interpelle l’espace publicsuisse mais aussi les commenta-teurs et les chercheurs au-delàdes frontières : la progression dela droite dite populiste en Europe,à laquelle l’UDC est souventassociée. Ce livre entend partici-per à ce débat. Il s’inscrit dansune sociologie des logiques plu-rielles (idéologiques, sociales etorganisationnelles) qui caractéri-sent les partis politiques commedes phénomènes complexes. Ilcombine plusieurs angles d’at-taque pour aborder une série de questions : comment définir

l’UDC, parti singulièrement con-troversé? Quelles sont les diffi-cultés liées à son étude? Com-ment expliquer sa capacité à sesituer à la fois en posture de gou-vernement et d’opposition? Com-ment son action a-t-elle influencéet tiré parti des transformationsdu paysage politique suisse? Quedoit la progression de l’UDC auxchangements affectant le champmédiatique? Qui sont ses élec-teurs? Comment s’exprime sapropagande politique? Commentse décline la diversité de valeursde ses militants?Parler sereinement de l’UDC,peser son action dans le champpolitique, analyser les soutiensque sont ses électeurs et mili-tants, tels sont finalement lesobjectifs de cet ouvrage. Ed.

Paulhan, Ramuz et RoudC’est pendant les années del’entre-deux-guerres que la car-rière de C.F. Ramuz a pris sonessor : son œuvre romanesque etles débats que ses textes susci-tent en matière de style et de«bien écrire» lui assurent alorsune place de premier plan dansle monde littéraire français. De ce monde-là, Jean Paulhanest, dès cette époque, une figureéminente dont le jugement pèselourd, et dont l’influence sedéploie autant dans les cercles del’édition que dans les pério-diques. Le commerce épistolaireentre les deux écrivains donne àvoir la relation dissymétriquequ’ils entretiennent : à Paulhanqui cherche à le rallier à la NRFet aux Editions Gallimard, Ramuzoppose moult atermoiements,non sans recourir par ailleurs, ettrès régulièrement, aux servicesde son correspondant, dont ilaccepte aussi les sollicitations.La trame du parcours éditorial duromancier se devine ainsi dansles lettres où les «affaires» pri-ment, mais où transparaissentégalement l’admiration et l’es-time réciproques.

Il en va de même dans la corres-pondance, moins fournie, quePaulhan a échangée avec GustaveRoud : entré en contact avec lepoète lorsque ce dernier est lebras droit de Ramuz à la tête del’hebdomadaire «Aujourd’hui», le«patron» tentera à plusieurs re-prises, le plus souvent en vain, del’impliquer dans des publications.(Extrait de la présentation del’ouvrage)

Jean Paulhan, C.F. Ramuz, Gustave Roud. «Le patron, le pauvre homme, le solitaire.Lettres, articles et documents»Textes établis, annotés et présentés parDaniel Maggetti et Stéphane Pétermann,Editions Slatkine, 308 p.

«L’Union démocratique du centre : un parti, son action, ses soutiens»par Oscar Mazzoleni, Philippe Gottraux, Cécile Péchu, Collection le livre politique, Editions Antipodes, 216 p.

▲ ▲

Nom :

Prénom :

Adresse :

Numéro postal / localité :

Téléphone :

Date et signature :

Je m’abonne à Allez savoir !

Abonnez-vous, c’est gratuit !

Allez savoir ! et Uniscope sont deux publicationséditées et diffusées par Unicom, service de com-munication et d'audiovisuel de l'UNIL.

Allez savoir ! paraît trois fois par an. Allezsavoir ! est le magazine grand public de l’Uni-versité de Lausanne.

Uniscope est le journal interne de l'UNIL.C'est un mensuel composé de cahiers thé-matiques, reflets de la vie et de l'activitéscientifique et culturelle de l'institution.

Il peut être téléchargé au format PDF à partir du site internetde l'UNIL. Il en est

de même pour Allez savoir !Depuis la page d'accueil (www.unil.ch),

choisir «L'organisation» puis «Les médias».

Pour vous abonner à la version papier de Allez savoir !, il vous suffit de remplirle coupon ci-contre et de l'envoyer par fax au 021 692 20 75, ou par courrier :Université de Lausanne, Unicom, Amphimax, 1015 Lausanne, ou de mani-fester cet intérêt par courrier électro-nique à [email protected]

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 7

«L’A

dora

tion

des

Mag

es»,

enl

umin

ure,

Le

Maî

tre

des

pare

men

ts d

e N

arbo

nne,

ver

s 1

38

0,

Par

is,

Bib

lioth

èque

nat

iona

le,

http

://

com

mon

s.w

ikim

edia

.org

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 9

R E L I G I O N

Le Noël que nous connaissons

a été imaginé bien après

Jésus-Christ

Sans fondement historique, les figures

les plus populaires de Noël (la crèche, le

bœuf et l’âne, les Rois mages et l’étoile) ne

viennent souvent pas de la Bible. On les doit

à d’astucieux écrivains et à des textes apo-

cryphes qui ont été écrits entre deux et six

siècles après la Nativité! Les explications

de deux chercheurs de l’UNIL.

L es trois mages? Une poignée d’as-trologues tardivement transformés

en rois. Le 25 décembre? Une habiletépolitique. La grotte où se réunissent ber-gers et moutons pour adorer le nouveau-né divin? Un truc littéraire. Le bœuf etl’âne qui réchauffent le Messie de leurhaleine bienveillante? Une astuce d’in-terprétation. En un mot comme en cent :les figures chrétiennes de Noël, quiornent crèches d’églises et sapins fami-liaux, sont de pures constructions del’imaginaire. Et qui plus est, d’un imagi-naire qui le plus souvent ne vient pas dela Bible.

Une naissance sans importance

Prenons le Nouveau Testament et sesquatre évangiles consacrés à la vie deJésus : le plus ancien, l’Evangile selonMarc, ne contient pas un mot sur la nais-sance de l’enfant divin. Seuls Luc et Mat-thieu abordent le sujet : «Les écrivainschrétiens de la première génération, qui

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 71 0

R E L I G I O N

L e N o ë l q u e n o u s c o n n a i s s o n s a é t é i m a g i n é b i e n a p r è s J é s u s - C h r i s t

composent leurs œuvres dans les années50-70, ne s’interrogent absolument passur la naissance de Jésus, dit FrédéricAmsler, professeur assistant en Facultéde théologie et de sciences des religionsde l’UNIL. Paul, dans ses épîtres, ne s’yintéresse pas. Marc commence par lebaptême de Jésus, puis raconte sonministère, sa mort et sa résurrection. Cen’est pas surprenant : le noyau dur de lafoi chrétienne, à cette époque, c’est lamort et la résurrection. La naissance n’apas encore de valeur christologique. Ellene correspond à rien de symboliquementfort. Ce n’est que vers les années 80-90que ce thème apparaît.»

Aucune trace de bœuf, ni d’âne,ni de grotte

Les débuts littéraires de la nativité duChrist restent néanmoins très timides.Après avoir évoqué l’ange qui annonceà Joseph la naissance du fils divin,l’Evangile selon Matthieu se contente desituer la naissance du Christ à Bethléem,raconte brièvement l’histoire de magesvenus d’Orient, d’une étoile qui lesconduit au «lieu où était l’enfant», puisdes trois cadeaux qu’ils apportent ensigne d’adoration.

L’Evangile selon Luc est encore moinsbavard. Il précise qu’à Bethléem Mariecoucha son nouveau-né «dans unecrèche», et raconte que des bergers s’enfurent l’adorer, sans autre précision.Aucune trace de bœuf, ni d’âne, ni degrotte, ni d’étable dans l’un ou dansl’autre de ces récits. Les mages de Mat-thieu ne sont ni rois ni dénombrés. Quantà la date de naissance du Sauveur, on nela donne tout simplement pas. Chez Luc,Jésus naît pendant un recensement quia lieu durant le règne d’un gouverneurde Syrie nommé Quirinius. Chez Mat-thieu, le Messie est contemporain du roiHérode. Mais si l’on suit l’un ou l’autre

de ces repères, Jésus-Christ naîtrait,selon les cas, en + 6 de son ère ou en - 4 avant lui-même.

Ainsi vint la grotte

En vérité, il faut attendre le IIe sièclepour que la naissance du Christ prenneplus de place dans les écrits. En 180apparaît un nouveau récit, le Protévan-gile de Jacques. Son auteur y développelibrement ce que Luc et Matthieu n’ontqu’esquissé. Originellement intituléNativité de Marie, le texte raconte endétail l’histoire de cette dernière jusqu’àla naissance de son fils.

On y retrouve la figure des bergers,la présence de l’étoile, le passage desmages. Pour la première fois, la naissancede Jésus est située dans une grotte, danslaquelle Joseph et Marie s’arrêtent surle chemin de Bethléem. Le texte s’attarde

aussi sur l’accouchement et ses suites,avec des détails un peu scabreux. Justeaprès la naissance de l’enfant divin, unesage-femme vérifie de sa main si Marieest encore vierge, comme il se doit lors-qu’on accouche d’un dieu.

Bien que taxé d’apocryphe parl’Eglise, le Protévangile de Jacquesexerce une influence importante. Il nour-rit la première iconographie chrétienneet participe à l’effort d’élaboration de ladoctrine chrétienne mené par les Pèresde l’Eglise dès le IIe siècle. Chercheuseen théologie à l’UNIL, Emmanuelle Stef-fek insiste sur le rôle de certains d’entreeux pour les icônes de Noël : «Irénée,Justin puis Origène ont abondammentcommenté la nativité de Jésus. Ils se sontavant tout occupés d’écrire des traités dethéorie et de donner une portée symbo-lique forte aux histoires qu’ils connais-

© N

. Chu

ard

Frédéric Amsler, professeur assistant en Faculté de théologie et de sciences des religions de l’Université de Lausanne (UNIL)

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 1 1

Le bœuf et l’âneVoilà peut-être l’une des plus

belles constructions intertextuellesdes Pères de l’Eglise. Du bœuf et del’âne qui entourent l’enfant deMarie dans la paille de la crèche,on ne trouve pas un poil dans lesquatre évangiles du canon. Il fautattendre Origène, au IIIe siècle,pour avoir une première évocationdes deux bestiaux.

Sa trouvaille donne cependantune idée des méthodes que les fon-dateurs de la théologie chrétienneutilisent parfois pour justifier leurfoi. Dans le bref passage de l’Evan-gile de Luc qui évoque la naissancede Jésus, on trouve le mot «man-geoire». Or voici que ce terme, exac-tement le même, se trouve dansl’Ancien Testament, précisémentdans le livre d’Esaïe. Voici laphrase : «Le bœuf connaît son maîtreet l’âne la mangeoire de son proprié-taire.»

Peu importe que la naissance duMessie ne soit pas évoquée, niavant ni après cette ligne. L’occa-sion est trop belle pour ne pas opé-rer un rapprochement fécond. Allé-goriste de haut vol, Origène décideque Jésus naît entouré des deuxbestiaux. D’une part, c’est plus poé-tique. D’autre part, l’image permetau théologien de développer un rai-sonnement symbolique : «Dans sonesprit, le bœuf représentait les chré-tiens et l’âne symbolisait les juifs,qui refusaient la nature divine deJésus, dit Emmanuelle Steffek.L’image de Jésus entouré des deuxanimaux montre ainsi l’allégeancede deux peuples, qui reconnaissentle Roi des juifs. Plus tard, on racontemême que les deux animaux semirent à genoux devant le nouveau-né... Sauf erreur, cette image-làn’est pas restée.»

Ni le bœuf ni l’âne ne sont mentionnés dans les récits bibliques. Ils apparaissent au III e siècle ap. J.-C., avec un succès

qui ne s’est jamais démenti depuis lors

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 71 2

R E L I G I O N

L e N o ë l q u e n o u s c o n n a i s s o n s a é t é i m a g i n é b i e n a p r è s J é s u s - C h r i s t

saient. Mais en développant leur théolo-gie, ils ont aussi enrichi les récits d’élé-ments nouveaux.»

Tous des apocryphes

Il faut cependant plusieurs siècles sup-plémentaires pour que la scène de Noëltrouve définitivement sa place dans l’or-thodoxie chrétienne. Au début du VIIe

siècle apparaît en Occident un nouveautexte apocryphe, l’Evangile dit duPseudo-Matthieu. Véritable réécrituredu Protévangile de Jacques auparavantproscrit, il remet son contenu au goût dujour. Abondamment copié, diffusé danstout l’Occident, il assoit définitivementles icônes de Noël dans les églises.

Le texte n’est pas intégré dans lecanon, mais les prédicateurs puisentabondamment dans ses récits et sesimages. Rien d’étonnant à cela pour Fré-déric Amsler : «Certains apocryphes pre-naient plus d’importance que les textesbibliques. Le Moyen-Age a d’ailleurs étéun grand producteur d’apocryphes. Onen compte des dizaines. Même si on ne

peut pas toujours la déterminer, leurinfluence est évidente.»

La liste des textes qui ont apporté leurgrain de sel dans l’imagerie de Noël n’estainsi pas terminée. Emmanuelle Steffeket Frédéric Amsler citent encore le Livrearménien de l’enfance, le Livre descavernes, le Livre de la nativité de Marie,le Livre arabe de l’enfance de Jésus. Destextes apocryphes écrits entre le VIe etle Xe siècle.

Sus aux gnostiques!

Mais comment comprendre qu’un telpatchwork d’influences non bibliques sesoit imposé comme une tradition offi-cielle? Frédéric Amsler et EmmanuelleSteffek avancent plusieurs explications.«D’une part, les premiers théologienschrétiens ont dû multiplier les argumentspour asseoir la nature divine de Jésus,dit Frédéric Amsler. D’autre part, à par-tir de cette théologie savante, le motif dela naissance de Jésus a connu en Occi-dent de tels développements populairesque les autorités ecclésiastiques n’ont pas

La crècheEtait-elle étable ou grotte? Selon les

pratiques, c’est l’un ou l’autre, ou lesdeux à la fois. L’Evangile selon Luc parled’un enfant «emmailloté et couché dansune crèche». Mais ce dernier terme prêteà confusion : «Le mot utilisé par Luc esttrès peu précis. Il prête à diverses tra-ductions et interprétations, dit Emma-nuelle Steffek. Il peut aussi bien dési-gner une simple mangeoire qu’un endroitoù l’on postait les animaux de traitdevant les auberges, ou qu’un caravan-sérail. Au XIIIe siècle, la Légende doréede Jacques de Voragine, vaste compila-tion de textes à l’usage des Dominicains,donne encore une autre vision. Selon lui,la naissance du Christ a eu lieu «dans unpassage public, entre deux maisons,ayant toiture, espèce de bazar souslequel se réunissaient les citoyens soitpour converser, soit pour se voir...»

Alors, étable ou grotte? Finalement,c’est comme on veut. Mentionnée pourla première fois dans le Protévangile deJacques (cf. texte principal), la grotte aun côté pratique : «Elle fait écho à lagrotte dans laquelle on emmène Jésusaprès sa mort et avant sa résurrection,dit Emmanuelle Steffek. Elle crée un rap-prochement intéressant entre naissanceet mort, début et fin. En quelque sorte,ça boucle la boucle.»

A noter que la crèche d’appartementn’existe que depuis le XVIIe siècle.Auparavant, on n’en trouvait que dans leséglises.

Si l’on en croit l’histoire des bergers qui auraient quitté la garde de leurs troupeaux pour adorer l’enfant, Jésus n’est pas né en décembre.

Parce que les pâtres de Palestine quittaient leurs pâturages en novembre et n’y revenaient qu’au printemps...

«L’Adoration des Bergers», par Giorgio de Castelfranco, ditGiorgione, vers 1500-1510, Washington, National Gallery of Art,http://commons.wikimedia.org

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 1 3

© N

. Chu

ard

Emmanuelle Steffek, chercheuse en théologie à l’Université de Lausanne (UNIL)

Le 25 décembreAucun texte biblique, ni même aucun

texte apocryphe ne donne la date, ni lejour, ni la saison, ni l’année de la nais-sance de Jésus-Christ. Problème : quandfaut-il donc fêter sa venue? Prenonscomme repère l’histoire des bergers, quiquittent la garde de leurs troupeaux pour adorer le nouveau-né. Noël nedevrait donc pas être en décembre. Dèsnovembre, les pâtres de Palestine quit-tent leurs pâturages pour se protéger de l’hiver et ne reviennent pas avant leprintemps...

La détermination de la date de Noëlfut cependant loin de ce genre de rai-sonnement. Les tout premiers siècleschrétiens fêtent le baptême de Jésus le6 janvier. L’Occident en serait toujourslà (comme l’Orient) si l’empereurConstantin n’avait tranché par un savantcalcul politique. Au début du IVe siècle,le souverain décrète qu’on fêtera la nais-sance du Christ en même temps que lesolstice d’hiver, déjà célébré le 25décembre par une fête païenne, celle deMithra, le «Soleil invaincu» : «C’était trèshabile, dit Frédéric Amsler. Dans la théo-logie ancienne, Jésus-Christ est inter-prété comme «le soleil de justice».Païens et chrétiens se sont donc mis àfêter le soleil en même temps.» De quoiréconcilier deux spiritualités ennemies.De quoi aussi fonder une ambivalencequi subsiste aujourd’hui.

Dét

ail de

s «H

isto

ires

de

la V

ierg

e»,

une

fres

que

de G

aude

nzio

Fer

rari

, ve

rs 1

53

3,

Ver

celli

, Eg

lise

de S

t. C

rist

ofor

o, h

ttp:

//

com

mon

s.w

ikim

edia

.org

«L’A

dora

tion

des

Ber

gers

», H

ugo

van

der

Goe

s, v

ers

14

80

, B

erlin

, G

emäl

dega

leri

e, h

ttp:

//

com

mon

s.w

ikim

edia

.org

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 71 4

R E L I G I O N

L e N o ë l q u e n o u s c o n n a i s s o n s a é t é i m a g i n é b i e n a p r è s J é s u s - C h r i s t

Les Rois magesAu IVe siècle, Jean Chrysostome en

comptait douze. Certaines fresques pa-léochrétiennes antérieures en montrentdeux, quatre ou huit. Finalement, Ori-gène tranche au IIIe siècle : l’Evangileselon Matthieu dit qu’ils apportent troiscadeaux? Ils seront donc trois : «Cetteoption permettait de spéculer sur la sym-bolique de ce nombre, dit EmmanuelleSteffek. Les mages pouvaient représen-ter les trois âges de la vie, ou les troisraces humaines connues à cette époque.On les rapprochait aussi des trois angesqui annoncent à Abraham qu’il va avoirun enfant à 99 ans, ou des trois fils deNoé qui représentent l’ensemble de l’hu-manité, ou encore de la Trinité.»

Il faut cependant attendre le VIe siè-cle pour qu’ils reçoivent un prénom –Gaspard, Melchior, Balthazar – etdeviennent rois et non plus seulementmages, c’est-à-dire des astrologues peurecommandables. Dans le Livre armé-nien de l’enfance, un texte apocryphe,il est clairement dit que les mages sontsouverains de Perse, d’Arabie et d’Inde.

Dès cette époque, leur image prendune forme quasi définitive. Sur lesfresques, vitraux, icônes et mosaïques,on voit dès lors un mage blanc, un mageasiatique et un mage noir. Ou un jeunehomme, un homme d’âge mûr et unvieillard. Ou les deux à la fois.

«L’A

dora

tion

des

Mag

es»,

par

le

Maî

tre

de M

essk

irch

, ve

rs 1

53

8,

Mes

skir

ch,

Sta

dtpf

arrk

irch

e St.

Mar

tin,

htt

p:/

/co

mm

ons.

wik

imed

ia.o

rg

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 1 5

L’étoileDans les évangiles du Nouveau Tes-

tament, on la trouve seulement chezMatthieu. Elle brille sans excès etconduit les mages vers l’enfant Jésus.Les textes postérieurs lui donnent plusde brillance et surtout de signification.Sous la plume des premiers Pères del’Eglise comme Justin et Irénée, l’astredevient si lumineux qu’il dissipe lesténèbres des péchés et de l’ignorance :«C’était une allusion aux péchés desjuifs et à l’ignorance des païens», ditEmmanuelle Steffek. Les illustrationspostérieures la remplacent parfois parune croix ou par un chrisme, soit lemonogramme du Christ constitué desdeux premières lettres de son nom.Enfin, dans certains textes apocryphesdu VIe siècle de la tradition syriaque,l’étoile apparaît aux Perses pour signa-ler la naissance de Jésus en pleine célé-bration de la Fête du feu. Comme pourle 25 décembre (cf. ci-page 13), païenset chrétiens se mélangent. Que de sym-boles...

vraiment eu d’autre choix que de les offi-cialiser peu ou prou.»

«L’Eglise devait se définir par rapportà une nébuleuse de courants qu’elleconsidérait comme déviants ou héré-tiques, rassemblés sous le terme de«gnostiques», dit Emmanuelle Steffek. Al’époque des Pères de l’Eglise, tout étaità construire. Une bonne partie des idéesse sont élaborées jusqu’aux Ve et VIe

siècles. Mais ce n’est qu’au milieu duMoyen-Age que récits et images se sontdéfinitivement fixés.»

«Pas de fondements historiques»

Auteurs d’apocryphes et Pères del’Eglise se sont ainsi livrés à des prodigesde subtilité pour prouver leurscroyances. «Ils relisaient les textesanciens comme des annonces de ce quis’est passé ensuite, dit Frédéric Amsler.Ils les interprétaient pour démontrer lanaissance miraculeuse du Christ. Maisleurs commentaires faisaient dire à laBible juive ce qu’elle ne disait pas à l’ori-gine. Leurs textes sont des interpréta-tions théologiques, évidemment sansaucun souci de fondements historiques.»

D’où, quelquesfois, des raisonne-ments qui paraissent aujourd’hui tiréspar les cheveux : «Origène était un grandspécialiste de la construction allégorique,dit Emmanuelle Steffek. Il était capablede faire une lecture christologique den’importe quel texte.» Il est vrai que saméthode pour installer le bœuf et l’âneauprès de l’enfant Jésus tient de l’exploit(cf. page 11).

Ce qu’on ne saura jamais

Reste encore à savoir qui, des textesou des croyances, était là en premier.Bibliques ou apocryphes, les récits etautres traités n’ont peut-être pas le poidsqu’on leur attribue, du moins dans la pro-duction d’images populaires commecelles de Noël.

«A l’origine, les textes n’ont fait quemettre des croyances par écrit, dit Fré-déric Amsler. Ensuite, les textes ont aussisuscité des pratiques, et aujourd’huiencore perdure un va-et-vient entre lespratiques et les récits ou contes de Noël.Au moment où s’écrivent le Protévangilede Jacques ou le Pseudo-Matthieu, exis-taient sans doute déjà des pratiques reli-gieuses particulières liées à la nativité.»

Les traces de ces dernières sont cepen-dant presque inexistantes. On ne sauradonc jamais exactement d’où viennent lesrites de Noël... «Quoi qu’il en soit,conclut Frédéric Amsler, ils illustrent uneétonnante capacité à créer un mondesymbolique, dont même l’Occidentsemble encore avoir besoin...»

Pierre-Louis Chantre

«L’A

dora

tion

des

ber

gers

», p

ar A

ngel

o di

Cos

imo,

dit il B

ronz

ino

(15

03

-15

72

), h

ttp:

//

com

mon

s.w

ikim

edia

.org

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 71 6

M É D E C I N E

On sauve desprématurés de plus en

plus petits

© N

. Chu

ard

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 1 7

A la fin des années 1980, les pédiatres ne

pouvaient rien faire pour un enfant né avant

28 semaines de grossesse. Aujourd’hui, la fron-

tière entre la vie et la mort est à 25 semaines.

Voilà qui en dit long sur les progrès réalisés.

Désormais, les bébés qui voient le jour après

la 32 e semaine de gestation, ou qui pèsent plus

de deux kilogrammes, ont un taux de survie

identique à celui des enfants nés à terme. Et

beaucoup moins de handicaps qu’on le croit.

Bonne nouvelle, quand on sait qu’un bébé sur

10 naissances est un prématuré.→

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 71 8

M É D E C I N E

O n s a u v e d e s p r é m a t u r é s d e p l u s e n p l u s p e t i t s

D ans quelle commune le premierbébé suisse de 2008 verra-t-il le

jour? Comme chaque année, les parissont ouverts. Ce qui est sûr, c’est qu’ilaura une chance sur dix d’être un pré-maturé. Il y a une vingtaine d’années,cette nouvelle aurait été inquiétante. Cen’est plus le cas aujourd’hui.

La surveillance de la mère et du fœtusainsi que la prise en charge des nouveau-nés avant terme ont fait de tels progrèsque la mortalité et les séquelles ont consi-dérablement diminué. Tour d’horizon despréjugés à revoir avec le néonatologueJean-François Tolsa et Yvan Vial, obs-tétricien, au CHUV.

Préjugé n° 1 : Tous les prématurés

sont des enfants à hautrisque

Bien au contraire. Aujourd’hui, lesbébés qui voient le jour après la 32e se-maine de gestation, ou qui pèsent plusde deux kilogrammes, ont un taux de sur-vie identique à celui des enfants nés àterme. Encore faut-il s’entendre sur lesmots. Une naissance est dite «à terme»lorsqu’elle se produit entre 37 et 42 se-maines de grossesse.

Tout bébé né à moins de 37 semainesaccomplies est donc considéré commeprématuré. Sous ce terme se cachent tou-tefois des situations forts différentes, quidépendent du stade de développement dufœtus. On l’imagine volontiers, la problé-matique n’est pas la même si l’accouche-ment a lieu dans une période assez prochedu terme, entre la 32e et la 37e semainede gestation, ou s’il se produit entre 28et 32 semaines. On parle alors de «grandprématuré», et de «prématuré extrême»quand le nouveau-né arrive après 24 à 28semaines. «Il ne faut toutefois pas bana-liser les risques d’une naissance entre 32et 37 semaines», précise Jean-FrançoisTolsa, médecin-chef ad interim de la Divi-sion de néonatologie du CHUV.

La «limite de viabilité»

On peut aussi classer les bébés enfonction de leur poids à la naissance. Cetélément a «aussi une influence sur le pro-nostic», explique le spécialiste de néona-tologie. Mais ce facteur, qui peut être dûà un retard de croissance intra-utérin, estmoins important que la durée de gesta-tion, période pendant laquelle on assisteà «la maturation des organes» du fœtus.

A partir de la 12e semaine et jusqu’àterme, ce dernier acquiert en effet ce queles médecins nomment son «individuali-sation physiologique» : dans l’utérus, ilbouge, il fait des mouvements respira-toires, il règle sa circulation, il secrète deshormones, il avale et il urine. Vers la 25e

semaine, ce processus est suffisamment

avancé pour que, dans certains cas, la vieextra-utérine soit possible. Les spécia-listes estiment toutefois qu’il s’agit là dela «limite de viabilité».

Amilia, ce «bébé miracle» de 284 grammes

Certes, il est parfois possible d’allerau-delà, comme le montre la minusculeAmilia, née en octobre 2006, au BaptistChildren’s Hospital de Miami. Ce «bébémiracle», selon les termes des médecinsaméricains qui l’ont prise en charge, avu le jour après 22 semaines de grossesseet, à sa naissance, elle ne mesurait que24,1 centimètres, et ne pesait que 284grammes!

«C’est l’exception qui confirme la rè-gle», commente Yvan Vial, responsable

Jean-François Tolsa, néonatologue au CHUV, privat-docent et maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL

© N

. Chu

ard

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 1 9

de l’Unité échographie et médecine fœtaledu CHUV. Ce n’est d’ailleurs sans doutepas un hasard si ce record a été enregis-tré aux Etats-Unis, car, dans ce pays, la«pression médico-légale est importante»pour maintenir en vie les patients, mêmedans des cas a priori désespérés, précisel’obstétricien. Amilia a eu de la chancecar à cet âge-là, «la majorité des enfantsdécède ou garde des séquelles».

Préjugé n° 2 :Un grand prématurésouffrira plus tard

de graves handicapsUne fois encore, tout dépend du degré

de prématurité. Chez les enfants nésavant terme, la principale difficulté est«l’adaptation du cerveau», expliqueJean-François Tolsa. Cet organe ne doitsouffrir ni d’un manque d’oxygène, ni

d’une insuffisance de perfusion sanguine– lesquels sont liés au développement dessystèmes cardiovasculaire et pulmonaire.Ce problème «est le même pour toutesles classes de prématurés, ajoute le méde-cin, mais les risques augmentent en fonc-tion du degré de prématurité».

Les enfants nés entre 22 et 23 se-maines ont ainsi un risque de décéder àla naissance estimé à environ 98 %. Maisces cas sont tellement rares «que l’on n’apas de chiffres exacts», souligne le spé-cialiste de néonatologie. En revanche,entre 24 et 28 semaines, 30 à 80 % desenfants survivent – un taux qui atteint90 à 95 % entre 28 et 32 semaines et 97 %au-delà de 34 semaines.

Des progrès spectaculaires

On peut mesurer la vitesse des pro-grès accomplis lorsque Jean-FrançoisTolsa précise que, pour ces prématurés

extrêmes, «entre 1980 et 2000, le taux demortalité est passé, à Lausanne, de 60 %à 20 %». «Lorsque j’ai commencé ma car-rière à la fin des années 1980, renchéritYvan Vial, les pédiatres disaient qu’ils nepouvaient rien faire lorsqu’ils se trou-vaient face à un enfant né avant 28semaines de grossesse. Aujourd’hui, onen est à 25 semaines.» Trois semaines dedifférence, cela peut paraître peu. Mais«en termes de maturité de l’enfant, pré-cise l’obstétricien, c’est énorme et à cestade, chaque jour gagné est un bonjour».

Reste la délicate question du devenirde ces enfants. «Lorsque le CHUV aouvert son premier service de néonato-logie, dans les années 1960, on s’est poséla question», précise Jean-FrançoisTolsa. Dès 1971, les professeurs LouisSamuel Prod’hom et André Calame ontainsi créé une unité chargée de «suivre

En octobre 2006, les images chocs de la minuscule Amilia font le tour du monde (ici «Le Matin»). Né après 22 semaines de grossesse, ce «bébé miracle» ne mesure

que 24,1 centimètres pour 284 grammes. Mais il a survécu

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 72 0

M É D E C I N E

O n s a u v e d e s p r é m a t u r é s d e p l u s e n p l u s p e t i t s

l’évolution de ces enfants nés trop tôt;c’était alors la première en Europe».

Peu de handicaps sévères

Les prématurés y sont régulièrementsuivis à des âges clés : à 6, 12 et 18 mois,puis à 3, 5 et 9 ans. Grâce à cette sur-veillance, on peut aujourd’hui conclureque, «selon l’âge de gestation de départ,3 à 5 % des survivants souffrent de han-dicaps sévères tels que des infirmitésd’origine cérébrale ou de graves troublesdu développement. C’est peu en absolu,constate le spécialiste de néonatologie,mais c’est encore trop et nous devons res-ter humbles et modestes.»

Quant aux handicaps dits «mineurs»– troubles légers de la vision et de l’au-dition, troubles des apprentissages, etc.– «on pensait auparavant qu’ils affec-taient 15 à 20 % des enfants. Aujourd’hui,on parle de 30 à 40 %.» La différence tient

sans doute essentiellement à la définitiondu trouble mineur, que Jean-FrançoisTolsa juge «imprécise». Elle évolue enoutre au cours du temps: un enfant consi-déré aujourd’hui comme hyperactifétait, il y a vingt ans, tout simplementréputé turbulent.

Préjugé n° 3 :A l’adolescence,

les prématurés ont desdifficultés

d’apprentissageCe n’est pas ce qui ressort de la thèse

de Barbara Monget, chercheuse à laFaculté de biologie et de médecine del’UNIL qui a consacré son travail de doc-torat au devenir, à l’adolescence, des pré-maturés. Parmi les 246 enfants pesantmoins de 1500 grammes (ce qui corres-pond généralement à ceux qui ont vu le

jour avant 28 à 30 semaines de gestation),nés aux CHUV et hospitalisés dans ladivision de néonatologie entre 1976 et1981, elle en a examiné 105, qui ne souf-fraient d’aucun handicap sévère. Ilsavaient alors entre 15 et 21 ans.

«Dans l’ensemble, souligne la jeunefemme médecin, les anciens prématuréssont en bonne santé.» Certes, elle aconstaté que «60 % de ces adolescents ontdes troubles visuels mineurs et 27 % destroubles de la motricité fine ou gros-sière». Mais ils n’ont pas de difficultésmajeures à l’école.

A 16 ans, il n’y a pas de différence avec les autres élèves

Si, à dix ans, ils ont plus de retard sco-laire que la moyenne vaudoise, «à 16 ans,cette différence a disparu; par contre, ilssont moins nombreux à poursuivre des

© N

. Chu

ard

Une infirmière prend soin d’un enfant prématuré, à la maternité du CHUV, à Lausanne, en octobre 2007. C’est vers cet hôpital que sont acheminées toutes les femmes de Suisse romande

(sauf les Genevoises) qui ont des grossesses à risque

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 2 1

études supérieures entre 16 et 19 ans(24 % contre 35 % dans la populationgénérale)».

Barbara Monget note aussi que dansleur grande majorité (93 %), ces jeunes«ont une bonne estime d’eux-mêmes.Comparés au groupe témoin, ils ontmoins d’idées suicidaires, de comporte-ments déviants ou à risque et consom-ment moins d’alcool et de haschich.» Etle médecin de conclure : «Malgré des pro-blèmes somatiques et neurologiques plusfréquents, les anciens prématurés ont uneinsertion socioprofessionnelle satisfai-sante et estiment avoir une bonne qua-lité de vie.»

Préjugé n° 4 : C’est parce que les

mères sont plus vieillesque leurs enfantsnaissent trop tôt

Il est vrai que l’âge moyen des mèresa augmenté en Suisse ces dix dernièresannées, passant d’environ 28 à 31 ans.

Cela «entraîne une augmentation descomplications de la grossesse ainsi quele risque d’accoucher prématurément»,constatent Yvan Vial et Jean-FrançoisTolsa. Mais ce n’est là qu’un des nom-breux facteurs qui favorisent les nais-sances avant terme.

Parmi les diverses causes de la pré-maturité, le néonatologue cite d’abord«les infections, bactériennes ou virales,principalement des voies génitales bas-ses». Mais il arrive aussi qu’une infec-tion rénale, urinaire ou même une sinu-site ou un état grippal conduisent à uneinflammation pouvant engendrer descontractions de l’utérus.

A cela il faut ajouter les grossessesmultiples : qu’elles soient naturelles ouqu’elles résultent d’un traitement de pro-création médicalement assisté, elles sontresponsables d’environ un quart des nais-sances prématurées. Il faut aussi inclurecertaines malformations ou syndromesdu fœtus qui empêchent ce dernier debien se développer : dans ces circons-tances, les médecins peuvent être con-

duits à provoquer, volontairement, l’ac-couchement avant terme.

Ils peuvent aussi être amenés àprendre cette décision dans d’autressituations. Notamment lorsque la mèrea un utérus mal formé et qui «n’est pasassez souple pour se distendre normale-ment», comme le précise Yvan Vial. Sanscompter, ajoute l’obstétricien, que cer-taines naissances prématurées sont duesau «stress» de la mère, ou à des «condi-tions socio-économiques» : il est bienconnu qu’une femme qui est obligée deporter régulièrement de lourdes chargesrisque d’accoucher avant terme.

Préjugé n° 5 :La Suisse est

l’une des championnes des prématurés

en EuropeC’est en effet ce qui ressort d’une

étude publiée, en juillet dernier, par l’Of-fice fédéral de la statistique. Selon cetteenquête, la Suisse, avec 9 % d’enfants nésavant terme, arriverait en deuxième posi-tion après l’Autriche.

Cette enquête provoque toutefois uncertain scepticisme de la part de Jean-François Tolsa. Ce dernier remarque en effet que les conclusions de l’Office reposent sur une étude rétrospectiveincluant seulement 63 000 des quelque72 000 naissances annoncées en 2004.«Environ 13 % des données n’étaient passuffisamment fiables pour entrer danscette étude», ce qui en fausse partielle-ment les résultats.

Des données incomplètes

Surtout, le néonatologue du CHUVs’interroge sur les données de base uti-lisées pour mener cette enquête : «L’en-registrement systématique de l’âge degestation pour toutes les naissances inter-venant en Suisse n’a commencé qu’au 1erjanvier 2007.» On peut donc sérieuse-ment douter de la pertinence de ces sta-tistiques et sur le résultat de comparai-sons avec des pays qui, eux non plus,«n’enregistrent pas les durées de gesta-tion».

«Ce n’est donc qu’à partir de 2008 quenous disposerons d’une statistique pré-

Yvan Vial, obstétricien au CHUV, privat-docent et maître d’enseignement et de recherche à l’UNIL

© N

. Chu

ard

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 72 2

M É D E C I N E

O n s a u v e d e s p r é m a t u r é s d e p l u s e n p l u s p e t i t s

cise sur le nombre de prématurés dansnotre pays et que nous pourrons faire descomparaisons dans la durée. Attendons,avant de distribuer des médailles!»conclut le médecin.

Entre 7 et 10 % de prématurés

En patientant, on en est réduit auxestimations selon lesquelles le taux deprématurés se situerait entre 7 % et 10 %en Europe occidentale. Au CHUV, cetteproportion – qui est d’ailleurs restée qua-siment constante au cours des dix der-nières années – oscille entre 13 % et 15 %.N’allez pas croire que l’hôpital vaudoisest un champion en la matière. Ce tauxélevé de prématurés s’explique simple-ment par le fait que ses services d’obs-tétrique et de néonatologie font duCHUV un Centre périnatal de référence.C’est donc vers lui que sont acheminéestoutes les femmes de Suisse romande qui

ont des grossesses à risque, à l’excep-tion de celles habitant dans le canton deGenève.

Préjugé n° 6 :Les médecins ont

tendance à faire del’acharnementthérapeutique

Jean-François Tolsa tient à mettre leschoses au point : «Certaines familles crai-gnent que l’on soit jusqu’au-boutiste. Cen’est pas le cas, nous ne faisons pasd’acharnement thérapeutique.» Les mé-decins suisses peuvent en effet s’appuyersur les recommandations éthiques del’Académie Suisse des Sciences Médi-cales et de la Société Suisse de Néona-tologie. Celles-ci précisent que «sur labase des données actuellement dispo-nibles sur la mortalité et la morbidité à

long terme, la prise en charge des pré-maturés d’un âge de gestation inférieurà 24 semaines devra en règle générale selimiter à des mesures palliatives». Au-delà de 24 semaines, «la décision quantà la pertinence d’une prise en chargeintensive incombe à une équipe de néo-natologie expérimentée».

Ces règles éthiques sont «une des qua-lités de notre système», souligne le méde-cin vaudois qui constate que dans d’au-tres pays, notamment aux Etats-Unis, lepersonnel médical soignant et les parentsn’ont pas le choix.

Estimer les chances

Au CHUV comme dans les autreshôpitaux suisses, il revient donc aux soi-gnants d’estimer «raisonnablement» leschances et les risques de l’enfant. «Lesdiscussions se font toujours dans le cadred’équipes pluridisciplinaires, souligne

© N

. Chu

ard

Ce médecin consulte sur écran les radiographies d’enfants prématurés, à la maternité du CHUV

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 2 3

Yvan Vial. Aucun d’entre nous ne prendde décision dans son coin.» Ensuite,«nous informons les parents des risquesqu’encourt leur enfant et nous tenonscompte de leur avis», poursuit Jean-François Tolsa. Mais, afin d’éviter auxparents le trop gros poids psychologiqueque représente une telle décision, c’esten général «nous qui la prenons».

Il arrive toutefois qu’un père et unemère refusent l’avis de l’équipe médicale,et lui demandent de continuer à traiterleur bébé. Corine Stadelmann-Diaw,infirmière clinicienne qui travaille depuisvingt ans au service de néonatologie duCHUV, se souvient de situations où «lesparents s’étaient fortement opposés à l’ar-rêt des soins. Mais au bout de quelques

semaines, voyant que leur enfant n’allaitpas mieux, ils ont demandé de pouvoirrediscuter avec l’équipe médicale. Ilsavaient simplement besoin d’un peu plusde temps.»

«L’aspect difficile de notre métier»

Reste que, selon Jean-François Tolsa,prendre la décision de cesser de traiterun prématuré «représente l’aspect diffi-cile de notre métier. Il ne faut pas quecela arrive trop souvent.» Corinne Sta-delmann-Diaw souligne aussi qu’il est«difficile d’être placé face au décès d’unindividu qui est au début de sa vie». Mais,en contrepartie, l’infirmière éprouveaussi «de grandes satisfactions» dans son

travail, car, dit-elle, «nous avons de nom-breux retours des parents qui viennentnous voir pour nous montrer ce que sontdevenus leurs enfants».

Car si les prématurés, dans les pre-miers jours ou semaines de leur vie,nécessitent un suivi médical, et mêmeparfois des soins intensifs, dans leurmajorité, ils deviennent ensuite desenfants comme les autres.

Elisabeth Gordon

© N

. Chu

ard

Actuellement, on estime que le taux de prématurés se situerait en 7 % et 10 % des naissances en Europe occidentale. Au CHUV, spécialisé en la matière, ce taux atteint 13 % à 15 %

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 72 4

B I O L O G I E

A quels animaux laSuisse accordera-t-elle

l’asile?

J. R

ocha

t

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 2 5

Le retour du loup dans le canton de Vaud donne

un coup de projecteur sur un phénomène de masse :

l’arrivée de nombreuses espèces animales qui cher-

chent à s’installer dans les Alpes. Faut-il les lais-

ser faire? Sinon, à quels visiteurs poilus ou plumés

refuserons-nous l’asile? Ce sera le débat des pro-

chaines décennies.

C ette fois, c’est confirmé. Depuis l’étédernier, le loup est arrivé dans le

canton de Vaud. Un retour naturel et pré-visible, quand on sait qu’il y a environ150 grands canidés dans les Alpes franco-italiennes. Si personne n’accuse ici les«écolos» d’avoir réintroduit le loup, cer-tains regrettent qu’un aussi gros préda-teur vienne troubler la faune vaudoise,qui semblait vivre en parfait équilibresans lui.

Stable, la faune vaudoise? Voire. Car,pour ce retour très médiatisé du loup,combien d’arrivées incognito et de lâ-chers clandestins? Et combien de dispa-ritions restées inaperçues? En réalité, lafaune vaudoise n’est pas en équilibre.Même aujourd’hui, elle reste en perpé-tuel mouvement, avec des espèces quis’affaiblissent, et d’autres qui essaient des’installer.

La gestion de ces flux migratoires ani-maliers s’annonce comme l’un des pro-blèmes majeurs que nous aurons à trai-

Après 152 ans d’absence, un loup sauvage fait officiellement son grand retour dans le canton de Vaud. Une photo du Service vaudois de la conservation

de la faune en apporte la preuve, le 9 août 2007. Elle a été prise près d'Anzeindaz, au sud des Diablerets

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 72 6

B I O L O G I E

A q u e l s a n i m a u x l a S u i s s e a c c o r d e r a - t - e l l e l ’ a s i l e ?

DR

Dans les années 1900, les grands ongulés comme les cerfs (dessin) et les bouquetins avaient disparu de nos forêts. Seuls restaient quelques chevreuils sur le plateau,

et des chamois en altitude

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 2 7

→ter dans les prochaines décennies. Aussi,pour mieux mesurer l’ampleur des chan-gements qui interviennent, nous vousproposons un petit voyage en arrière, letemps d’une promenade en forêt dans lesannées 1900. Avant d’imaginer ce quepourraient devenir les forêts suisses vers2100, et de mesurer l’abîme qui sépareces deux époques.

Quand les forêts étaient quasi vides

Le promeneur qui s’aventurait dansles sous-bois vaudois, il y a un siècle,avait peu de chance de croiser des ani-maux. «La grande faune allait très mal»,rappelle Daniel Cherix, professeur asso-cié à la Faculté de biologie et médecinede l’UNIL, et conservateur du Musée dezoologie, à Lausanne.

«Dans les forêts du début du XXe

siècle, il n’y avait plus de loup, plus delynx, plus de cerf ni de bouquetin, plusde gypaète et presque plus d’aigles, pour-suit Daniel Cherix. Il restait des che-vreuils sur le Plateau, mais pas beaucoup.Il y avait aussi quelques renards près desfermes, et, quand on montait en altitude,des chamois et des marmottes...»

Vers 1900, la Suisse arrive au termed’une évolution qui a vu d’une part lessurfaces forestières se réduire considé-

rablement, et d’autre part, les techniquesde chasse se développer, spécialement lesarmes à feu. «Comme la chasse n’était pasréglementée au XVIIIe siècle, les popu-lations animales ont très vite décliné, ana-lyse Cornelis Neet, chargé de cours auDépartement d’écologie et évolution del’UNIL et chef du Service vaudois desforêts, de la faune et de la nature. L’idéede réguler la chasse n’a été inscrite dansla Constitution fédérale qu’en 1875, etla Loi fédérale qui en a été tirée n’a étéadoptée que bien plus tard. Grâce à ceschangements, on a pu appliquer le prin-cipe de la régulation de la faune, qui apermis aux diverses populations animalesde recommencer à croître.»

Les réintroductions commencent

Les Suisses des années 1900, qui sedésolent de voir leurs forêts vides, ne secontentent pas de légiférer. Certainsprennent des mesures plus actives. Clind’œil de l’histoire : à cette époque, des

chasseurs passent la frontière italiennepour aller chercher les ongulés man-quants et les rapatrier illégalement aupays.

«En Suisse, le bouquetin est officiel-lement réintroduit, dans le canton deSaint-Gall, en 1911, mais les premierslâchers remontent à 1906. Depuis, il s’estdéveloppé très vite», relève CornelisNeet. «Dans nos régions, certains chas-seurs font aussi de la contrebande debouquetins et de cerfs, qu’ils vont cher-cher dans la région du Gran Paradiso,pour les réintroduire clandestinementdans les années 1930», ajoute DanielCherix.

Les charognards reviennent

Avec le retour progressif des ongulés,il devient possible d’envisager une nou-velle étape dans le repeuplement desforêts. Elle est franchie dans les années1970, avec la réapparition des lynx, lespremiers grands carnivores à revenir aupays des vaches. «Il y a eu à la fois des

Daniel Cherix, professeur associé à la Faculté de biologie et de médecine de l’UNIL et conservateur du Musée de zoologie, à Lausanne

© N

. Chu

ard

Gra

vure

par

ue d

ans

«Les

Alp

es»,

un

ouvr

age

de F

rédé

ric

de T

schu

di,

18

35

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 72 8

→B I O L O G I E

A q u e l s a n i m a u x l a S u i s s e a c c o r d e r a - t - e l l e l ’ a s i l e ?

réintroductions officielles et contrôlées,et des lâchers sauvages», se souvient Cor-nelis Neet.

Le grand chat revenu, «il ne manquaitplus que le charognard, le terminus dela chaîne alimentaire. Voilà pourquoi l’ona songé à réintroduire le gypaète à grandeéchelle. Avec environ 150 de ces grandsrapaces dans les Alpes, dont trois petitsnés en Suisse cette année, le programmearrive à terme», se réjouit Daniel Che-rix.

Cette réintroduction a aussi été faci-litée par le fait que l’on «a réussi à cor-riger la légende noire qui collait auxplumes du gypaète, pour convaincre legrand public qu’il ne mangeait pas lespetits enfants. Savoir que cet oiseau senourrit de cadavres a également facilitéson retour», ajoute Nathalie Rochat, unebiologiste formée à l’UNIL.

Précisons tout de même que ce pro-gramme a été réalisé à grands frais.«Quand j’étais coordinatrice des cam-

pagnes de Pro Natura, j’avais défendul’idée de sponsoriser la relance d’ungypaète, se souvient Nathalie Rochat.Nous avions renoncé car cela représen-tait plusieurs dizaines de milliers defrancs.»

Loup, y es-tu?

En 2007, c’est le loup qui pointe sonmuseau pointu. Contrairement au lynx,le grand canidé n’a bénéficié d’aucuneaide humaine pour regagner les alpages.La protection qui lui a été accordée enItalie depuis 1976, puis en France, suf-fit à expliquer que ce survivant ait purevenir avec succès.

«En Suisse, les premiers loups sontarrivés il y a une dizaine d’années», noteLuca Fumagalli, le chercheur de l’UNILqui a analysé l’ADN de la vingtaine deCanis lupus qui se sont manifestés enSuisse depuis 1995. «Nous identifionsdeux à trois nouveaux individus chaqueannée. Vu les arrivés continues, et vul’augmentation de leur population dansles Alpes, nous pouvons imaginer que cetanimal va s’installer en Suisse, à moinsque l’on cherche à l’éliminer par lachasse.»

Un équilibre très menacé

En 1900, les forêts suisses étaient auxtrois-quarts vides. Et voilà qu’en 2007,l’ensemble de la chaîne alimentaire estreconstitué. La faune helvétique aurait-elle enfin atteint cet équilibre parfait donton peut rêver? «Il y a des gens qui pen-sent que la nature est constante. Ce n’estpas notre avis», répond Cornelis Neet.

Car l’équilibre est menacé. Tout in-dique, d’ailleurs, qu’il ne durera pas.D’abord parce que certaines espèces rési-dantes voient leurs populations exploser.Ensuite, parce que la protection accor-dée à d’autres animaux donne des résul-tats spectaculaires, et qu’elle permet à desmammifères disparus de revenir au pays.Par ailleurs, le réchauffement climatiqueaura des influences notables, en incitantplusieurs espèces du sud à remonter versle nord.

Notons enfin que la mondialisationtouche aussi les animaux. Des espècesexotiques s’échappent parfois des zooset des parcs animaliers, quand elles ne

Cornelis Neet, chargé de cours au Département d’écologie et évolution de l’UNIL et chef du Service vaudois des forêts, de la faune et de la nature

© N

. Chu

ard

Gyp

aetu

s ba

rbat

us,

Nau

man

n, N

atur

gesc

hich

te d

es V

ögel

Mitt

eleu

ropa

s, 1

89

9,

Uni

Ham

burg

, ht

tp:/

/co

mm

ons.

wik

imed

ia.o

rg

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 2 9

Des grands animaux qui étaient très présents dans les Alpes vers 1800, l’ours est le dernier qui n’a pas encore fait son retour dans le canton. Mais il est en route, comme

l’a montré son arrivée dans les Grisons en juillet 2005

«L'O

urs

brun

des

Alp

es»,

gra

vure

d'a

près

un

dess

in d

e Sèv

e, p

our

illus

trer

un

ouvr

age

de B

uffo

n, U

ni B

orde

aux

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 73 0

B I O L O G I E

A q u e l s a n i m a u x l a S u i s s e a c c o r d e r a - t - e l l e l ’ a s i l e ?

sont pas relâchées dans la nature par desparticuliers. Nombre d’entre elles ont lesqualités nécessaires pour s’installer etprospérer sous nos latitudes.

D’où qu’elles viennent, et quels quesoient leurs mobiles, plusieurs de cesespèces en mouvement pourraient bou-leverser le fragile équilibre de la faunesuisse durant le XXIe siècle.

Moins de paysans, davantage de sangliers et de cerfs

«Nous sommes déjà dépassés danscertains domaines, souligne CornelisNeet. Le sanglier, par exemple, est tel-lement abondant qu’il pose problème.»Le cochon sauvage n’inquiète pas seule-ment les autorités suisses. Il est égale-ment devenu un problème majeur en

Europe, notamment en Italie, en Pologneet en Allemagne. «Cette espèce n’est pasabondante au sortir de la SecondeGuerre mondiale, mais elle a profité deschangements intervenus dans l’agricul-ture, avec des paysans moins présents surle terrain, plus mécanisés, et des culturesriches en nourriture, où ces animauxtrouvent le gîte et le couvert, sourit Cor-nelis Neet. Désormais, les sangliersvivent dans les vignes du Chianti, dansles champs polonais de pommes de terreet dans les châtaigneraies abandonnéesdu nord de l’Italie.» Cette espèce occupeles espaces délaissés par l’homme, et ellen’est plus contrariée par les paysans quiles régulaient sans doute jusque-là.

«Avec les cerfs, nous allons au-devantd’un problème similaire», prophétise

Cornelis Neet. Dans les Grisons, lesgrands ongulés ont causé des accidentsroutiers graves. Parce que, quand ils sontfauchés, ils traversent fréquemment lepare-brise des voitures en causant degros dégâts. «Les cerfs se développentaussi ici, sur le Plateau vaudois. En dixans, nous sommes passés d’une popu-lation anecdotique à des centaines d’in-dividus, qui vont, eux aussi, poser desproblèmes.»

La loutre et l’ours sont en piste

Aux espèces locales qui prospèrent, ilfaut ajouter les nombreux candidats auretour. «Nous recevons des informationsréjouissantes d’Italie et d’Alsace à pro-pos de la loutre. Elle s’approche, même

Le sanglier n’était pas abondant au sortir de la Seconde Guerre mondiale. Mais cette espèce a profité des changements intervenus dans l’agriculture pour prospérer et poser désormais des problèmes aux paysans

et aux gestionnaires de la faune

Ric

hard

Bar

tz,

Mun

ich/

Wik

imed

ia C

omm

ons

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 3 1

si nous ne sommes pas encore prêts à larecevoir (la qualité des cours d’eau n’estpas encore partout suffisante), raconteNathalie Rochat. Cet animal a un capi-tal de sympathie important dans la popu-lation, mais il provoquera une polarisa-tion avec les pêcheurs. Cela dit, dans centans, je pense qu’elle sera là.»

Il y a aussi l’ours, qui a pointé sa truffedans les Grisons, et qui devrait continuerà franchir la frontière italo-suisse de sonpas tranquille. La loutre et l’ours ayantvécu en Suisse par le passé, ils devraientlogiquement bénéficier du «droit auretour» qui est désormais octroyé aux ex-espèces indigènes. Il en va, en revanche,bien différemment de plusieurs autresmammifères plus exotiques qui s’appro-chent eux aussi des frontières.

Les ratons laveurs et les chiensviverrins demandent l’asile

Le très américain raton laveur est l’und’entre eux. «J’en ai photographié un surle plateau de Diesse, il y a trois ans,raconte Nathalie Rochat. Mais cet ani-mal s’est probablement enfui d’un en-clos.» Pourtant, les spécialistes considè-rent l’arrivée de cet animal discret etnocturne comme une réelle possibilité,puisque ces mascottes, importées en Alle-magne par les GI durant la Guerre froide,se trouveraient déjà aux portes de Bâle.

«Nous avons aussi vu trois ou quatrechiens viverrins, qui se développentaprès avoir échappé à la captivité enEurope de l’Est», ajoute Luca Fumagalli.«Et il ne faut pas oublier les visons

page 34

Ces dernières années, quelques chiens viverrins ont été observés dans le Jura et dans le canton d’Uri. Ces carnivores viennent d’Europe de l’Est, après que des milliers d’individus ont été

lâchés dans la partie européenne de l’ex-URSS, entre 1930 et 1950. A partir de là, l’espèce s’est répandue en direction du nord, du centre et du sud de l’Europe. Comme

ce petit prédateur n’a jamais résidé sous nos latitudes, il risque de se faire tirer

Le raton laveur vient d’Amérique du Nord. Il a été introduit en Europe par les GI, durant la Guerre froide, mais également par les Nazis dès 1934. A cette époque, le bras

droit d’Adolf Hitler, Hermann Goering, autorise l’implantation de l’animal non loin de Francfort. Comme le chien viverrin, le raton laveur n’a jamais vécu dans nos contrées. Son arrivée

sera probablement, elle aussi, stoppée par les gardes-chasse

[REFUSE][REFUSE]

[REFUSE][REFUSE]

I. P

kucz

ynsk

i/W

ikim

edia

Com

mon

s

Ber

nard

Lan

dgra

f/W

ikim

edia

Com

mon

s

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 73 2

B I O L O G I E

A q u e l s a n i m a u x l a S u i s s e a c c o r d e r a - t - e l l e l ’ a s i l e ?

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 3 3

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 73 4

→B I O L O G I E

A q u e l s a n i m a u x l a S u i s s e a c c o r d e r a - t - e l l e l ’ a s i l e ?

d’Amérique, et surtout les rats musquésqui ont un plus gros potentiel de déve-loppement que les ragondins», ajouteDaniel Cherix.

L’enseignant de l’UNIL inclut encoredans sa liste l’écureuil gris de Caroline(Etats-Unis), qui s’était installé autourde Turin avant d’envahir l’Italie du Nord,et qui menacera bientôt les écureuils rouxde Suisse. «On dit pour simplifier qu’uneespèce exotique devient invasive quandsa population explose, poursuit DanielCherix. Nous allons avoir des difficultésavec plusieurs d’entre elles, qui serontbientôt incontrôlables.»

Quand les amis des bêtesréclament l’ouverture de lachasse

Faudra-t-il opérer un tri parmi cesmigrants qui espèrent trouver un asile enSuisse? «C’est une question de société,répond Daniel Cherix. Nous devronsgérer notre faune. Nous allons vers unmonde où il faudra parfois prendre desdécisions capitales et rapides, sous peinede voir notre environnement changer enprofondeur.»

Tirer certaines espèces invasives pouren sauver d’autres, natives? Cette ques-tion est déjà d’actualité chez les ornitho-logues, puisque plusieurs associationsont réclamé que les tadornes casarca, uneespèce de canards originaires d’Europede l’Est, plus agressifs que la moyenne,soient tirés pour qu’ils ne s’installent pasà demeure sur les lacs suisses.

Premières batailles

Des amis des bêtes qui réclament l’ou-verture de la chasse, c’est un peu le mondeà l’envers. Pourtant, sur le terrain, descombats ont déjà commencé. «Pourcontrer le développement de la grenouillerieuse qui concurrence une espèce indi-gène, on assèche les étangs où elle habiteen hiver», explique Cornelis Neet.

Et pour sauver la couleuvre vipérine,l’espèce la plus rare de Suisse, on essaied’extirper de Lavaux des couleuvres tes-selées, un animal typique du Sud qui aété introduit dans le canton, expliqueLuca Fumagalli. Comme ces innocentescouleuvres troublent parfois les bai-gneurs, on imagine que peu de mains selèveront pour les défendre. Mais qu’ar-

rivera-t-il le jour où les autorités envisa-geront sérieusement de canarder des«peluches» comme les ratons laveurs?

L’ex-coordinatrice des campagnes dePro Natura, et grand défenseur du loupet du lynx, Nathalie Rochat, n’a pas tropd’états d’âme. «Je vois l’arrivée du loupcomme un retour naturel. Le milieu estadapté pour cet animal, et il reprend sim-plement possession d’un territoire où il ahabité. Par contre, comme l’homme adéveloppé l’élevage pendant son absence,son retour pose maintenant un problèmede réadaptation et de partage de l’habi-tat. Il n’en va pas de même pour lesespèces exotiques (raton laveur, écureuilset tortues américaines, etc.). Un animalqui n’a jamais vécu ici ne devrait pas pou-voir s’introduire dans ce milieu car c’estun équilibre fragile. Quand une espèceexotique met en danger une espèce locale,la question de les tirer ou de les gérer pouréviter leur implantation est légitime.»

Un avenir incertain

La lutte pour la défense de la biodi-versité, donc des espèces indigènes, pas-sera par des choix de ce genre. Et, en

Les tadornes casarca, ces canards originaires de l’Est, comme les couleuvres tesselées qui viennent du Sud, devraient être chassés des lacs suisses. Parce que, expliquent les biologistes, ces espèces envahissantes

gênent des indigènes menacées de disparition

[REFUSE][REFUSE]

J. R

ocha

t

I./

Wik

imed

ia C

omm

ons

[CHASSEE][CHASSEE]

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 3 5

cas d’insuccès, il faut imaginer que devéritables bouleversements seront pos-sibles si on laissait la nature régler lesflux migratoires de manière darwi-nienne.

Spécialiste des insectes, Daniel Che-rix établit la liste des minuscules arri-vants qui pourraient semer une pagaillegéante: une coccinelle chinoise peut don-ner un mauvais goût au chasselas vau-dois. Certains moustiques faciliteraientle retour de la malaria en Suisse. Enfin,une punaise américaine, qui se nourritde graines des pins, risque d’affecter cesarbres en Valais...

«Il faudra choisir entre le pragma-tisme, la défense de la biodiversité etl’éthique..., note Cornelis Neet. Pour neprendre qu’un seul exemple : j’ai vécu desséances assez intenses à propos du héron,du harle et du cormoran, avec desgroupes d’experts qui ont longuement

cherché des compromis difficiles à pro-pos de certains oiseaux piscivores quisont suffisamment présents localementpour menacer des espèces de pois-sons rares. Faut-il laisser lesoiseaux s’installer? Faut-il entirer quelques-uns? Dans lesannées qui viennent, les débatsvont devenir de plus en plus nour-ris, et les solutions de moins en moinsnettes.» Sans parler des coûts desmesures qui seront nécessaires pourmettre ces choix en application.

Voilà qui devrait remettre le retour duloup à sa juste place. Il n’est que la par-tie visible (et encore, difficilement) d’unproblème planétaire.

Jocelyn Rochat

Ces deux espèces d’oiseaux, le grand cormoran (ci-dessus) et le harle (ci-dessous), sont protégées et font actuellement leur grand retour sur les lacs suisses romands.

Comme elles mangent des poissons également menacés de disparition, leur prolifération pourrait être bientôt limitée

J. R

ocha

t

[SURVEILLE][SURVEILLE]

J. R

ocha

t

[SURVEILLE][SURVEILLE]

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 73 6

I N T E R V I E W

«La pression descadeaux de Noël peut

être d’une grandeviolence»

André Petitat, professeur à l’Institut des sciences sociales et pédagogiques (à droite), et Gianni Haver, professeur associé

à l’Institut de sociologie des communications de masse

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 3 7

Les Fêtes consacrent une période socialement très

importante: la préparation et l’échange de cadeaux.

Un étrange moment, parfois embarrassant, qui

renvoie à des pratiques anciennes et variées, qui vont

du don désintéressé au cadeau «empoisonné». Deux

chercheurs de l’UNIL décortiquent ce moment de

grâce qui peut tourner à l’enfer dans une société

marchande.

ww

w.p

hoto

s.co

m

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 73 8

I N T E R V I E W

« L a p r e s s i o n d e s c a d e a u x d e N o ë l p e u t ê t r e d ’ u n e g r a n d e v i o l e n c e »

Allez savoir!: Un cadeau, undon, ça sert à quoi?

André Petitat : Donner s’oppose ànégocier. Le don, c’est un échange nonnégocié, dans lequel ni la nature ni lavaleur ne sont fixées. Il existe deuxformes de dons. Le don unilatéral, tota-lement désintéressé dans son principe, etle don réciproque. A Noël, les deux coha-bitent. Le don réciproque, car les per-sonnes échangent des cadeaux, mais il ya aussi, parfois, des dons unilatéraux,entre les adultes et les plus petits, parexemple.

Quelles sont les fonctionssociales des cadeaux?

A.P. : Le cadeau renvoie à toutessortes de choses. Tout dépend du cadreet du contexte. Idéalement, il est unemanifestation du lien, de l’affection, dela considération, de la sympathie que l’onéprouve pour les autres. En principe, on

est libre de faire ou non un cadeau. Maisdans les faits, le rituel est parfois quasiobligatoire, à Noël en particulier. Si l’ons’y soustrait envers des personnes impor-tantes, cela peut poser des problèmes. Ilest impensable, par exemple, d’oublier lesenfants ou son conjoint. Car la chose don-née justement, l’objet, devient symbole,signe d’affection, de renouvellementvoire de renforcement du lien. Un objet,lorsqu’il ne se mange pas, se garde. Ence sens, il est aussi une stratégie pour quel’autre se souvienne de vous. Et commenous le verrons, parfois aussi, d’une stra-tégie de pouvoir et de domination.

Gianni Haver : Noël, c’est le con-texte particulier qui réunit les «candidatsaux cadeaux». A titre personnel, je neparticipe que depuis quelques années àdes séances cadeaux. Auparavant, en Ita-lie où je vivais, nous n’avions pas cettetradition. A cette occasion, il est assezintéressant de voir comment, par le biaisdu cadeau, l’on se positionne dans une

hiérarchie familiale et comment on posi-tionne les autres. Cela va de la petite pen-sée pour grand-papa à l’ordinateur pourcelui ou celle qui entame des études uni-versitaires. Il y a sans doute dans cetéchange un aspect affectif, mais en creu-sant, on retrouve le rituel très ancien dudon et contre-don ainsi que du position-nement.

Faire un cadeau, c’est renforcer ou confirmer un lien.Omettre de le faire, est-ceprendre une distance?A.P. : Une fois encore, en principe, on

est libre. Si l’on admet que vous êtesobligé de faire un cadeau, celui-ci perdde sa signification, car il lui manque ladimension de gratuité, d’acte volontaire.Mais bien entendu, il arrive que l’on sesente obligé, que l’on n’en ait pas envie.Il arrive même qu’on le fasse pour desgens qu’on n’aime pas. Le don réciproquese situe souvent entre gratuité et intérêt,

QUELQUES SEMAINES AVANT NOËL, L’ANGOISSE MONTE.QUE VA-T-ON OFFRIR? LE PRÉSENT DOIT EXPRIMER NON SEULEMENT UN BESOIN OU UNE ENVIE,MAIS AUSSI UN LIEN ORIGINAL. TOUT CELA DEVIENT TRÈS COMPLIQUÉ ET DANS BIEN DES CAS,

LA RECHERCHE DU CADEAU N’EST PAS AGRÉABLE

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 3 9

amour et indifférence, liberté et dépen-dance, authenticité et mensonge.

Offrir un cadeau à Noël est-ildevenu un devoir?G.H. : Oui, clairement. Nous vivons

tous désormais dans cette sorte d’obli-gation. Les choses, certes, varient forte-ment d’une famille à l’autre. Quelquessemaines avant Noël, l’angoisse monte.Que va-t-on offrir à papa, à grand-papa,au tonton, etc.? Pour toutes sortes decadeaux, c’est une vraie souffrance, caril faut trouver l’objet qui exprime à la foisle lien symbolique entretenu avec la per-sonne, mais dont la valeur sera équiva-lente, plus ou moins, à l’effort que l’autreva consentir envers nous. Le présent doitexprimer non seulement un besoin ouune envie, mais aussi un lien original.Tout cela devient très compliqué et dansbien des cas, la recherche du cadeau n’est

pas agréable. C’est là une conséquencede la société marchande dans laquellenous vivons, et où nous ne sommes plusproducteurs des cadeaux que nous pou-vons faire nous-mêmes. On n’offre plusla poule ou l’œuf de la ferme. Il y a désor-mais des cadeaux prédéfinis tels l’iPod,dont le prix est souvent connu de celuiqui le reçoit et indique l’effort financierconsenti, donc souvent la valeur du lien.

Celui qui donne s’attend à recevoir,le plus souvent. Dès lors, qu’est-cequi distingue ce don du troc?A.P. : C’est très différent malgré tout,

car le troc est un échange négocié voirecontractuel. On se met d’accord sur laquantité de haricots en échange d’unequantité de poisson, par exemple. Pourbien faire la nuance, on parle de récipro-cité dans le cas du don, et d’équivalencedans celui de la négociation.

G.H. : Ce qui a été troqué n’a que lavaleur du bien échangé. Mais combiende cadeaux garde-t-on du fait du lienaffectif? Pourtant, j’ai lu quelque partque 33 % des cadeaux ne sont pas vrai-ment appréciés, mais que, bien souvent,on les garde quand même... C’est inima-ginable dans le troc.

Les babioles encombrantes sont une forme de cadeau«empoisonné». N’est-il paspiquant de constater que le mot«gift» en anglais signifiepoison en allemand? Les deux

mots ont pourtant une origine germanique...G.H. : Le cadeau peut être encom-

brant et engageant à plusieurs égards.Prenons la bague de fiançailles. AuxEtats-Unis, ce rituel est très réglé. L’ob-jet doit même valoir un certain pourcen-

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 74 0

I N T E R V I E W

« L a p r e s s i o n d e s c a d e a u x d e N o ë l p e u t ê t r e d ’ u n e g r a n d e v i o l e n c e »

tage du salaire masculin. Et lorsque lelien est rompu, on rend la bague. C’estun exemple assez évident : il y a ici unbien économique, un lien symbolique etun lien affectif. Dans ce cas, on est obligé.Dans le film «Harry, un ami qui vous veutdu bien» de Dominik Moll, une autre idéeest très bien montrée : la situation del’obligé. Harry joue une surenchère decadeaux et met le père de famille et tousles siens dans une situation très pénible.Car il rompt un équilibre.

A.P. : Il faut en effet que l’autre puisserépondre à votre don au même niveau.Sans quoi vous l’humiliez ou du moinsvous le mettez dans une situation incon-fortable. C’est une des stratégies pos-sibles du don, d’ailleurs : placer l’autreen situation d’infériorité. A l’inverse, ilexiste encore les cadeaux bricolés par soi-même, qui coûtent relativement peu. Unpull tricoté, des pots de confitures mai-

son, par exemple... Ce type de cadeau estchargé de valeur personnelle, souventsupérieure à celui que l’on a acheté. Caron a investi du temps et des compétencespour le faire et l’intensité du lien s’entrouve grandie. Si le cadeau se résumaità la manifestation du lien personnel, lescadeaux bricolés seraient très nombreux.Or ils ne représentent que 2-3 % du totaldes cadeaux. Il faut donc conclure qu’au-jourd’hui, la valeur marchande comptebeaucoup.

Le don peut donc être «négatif»?A.P. : Absolument. Nous investissons

le plus souvent le don d’une valeur posi-tive, du fait aussi que toutes les religionsvalorisent le don positif. Mais si on leconsidère bien, le don peut aussi avoirune dimension négative, une face obs-cure. On peut donner la vie, mais aussi«donner» la mort. Dans les contes et les

fables, les deux types de don coexistent.Le héros donne unilatéralement et s’envoit récompensé plus tard, comme parenchantement. Mais les méchants, dansles contes, donnent aussi, des pommesempoisonnées, comme dans «Blanche-Neige» ou des mauvais conseils, parexemple.

Dans nos existences quoti-diennes, bien souvent, celui quireçoit un cadeau dit : «Mais non,il ne fallait pas...», alors qu’ilest bien content. A quoi, celui quidonne répond que «ce n’est riendu tout», même si ce n’est pas«rien». Comment expliquer cesdrôles d’échanges?A.P. : Parce qu’on ne peut pas faire

autrement. Si vous offrez un kilo depommes, et, qu’en le faisant, vous ajou-tez «vous me donnerez un kilo de poires

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 4 1

plus tard», vous tombez dans le troc.Vous quittez le registre du don. Le seulmessage possible est : je vous donne, vousne me devez rien. L’idée de réciprocitédoit demeurer cachée, même si elle estimplicite. Ici, c’est le non-dit qui fait ladifférence entre les deux registres dunégoce et du don.

G.H. : En arrivant dans le canton deVaud, je me suis aperçu d’une habitudequi n’existe pas en Italie : lorsqu’on estinvité chez des amis, on amène une bou-teille de vin. Elle doit être plus ou moinséquivalente au standing de votre hôte,et, si on n’en a pas, on doit trouver uneexcuse. Mais si vous amenez la bouteille,on vous dit qu’il ne fallait pas. Alors quesi, il fallait! D’une certaine manière, c’estune forme de troc : on achète son repas.

Le «don unilatéral» n’existe donc pas?A.P. : Il est très rare en effet. Un don

totalement désintéressé, sans attente de

retour, n’est pas très courant. Mais c’estune tangente très importante pour enta-mer le don réciproque. Car celui-ci estprésenté comme don unilatéral, dont onn’attend rien en retour.

Parlons des cadeaux des enfants. Pendant longtemps,ils ont été conditionnés par uneattitude exemplaire requise de lapart de l’enfant : «Si tu as étébien sage... etc.» Désormais,pourtant, l’enfant considère lecadeau de Noël comme un dû.Pourquoi?A.P. : Oui et non. Cela varie d’un pays

et d’une époque à l’autre. Les cadeauxde Noël n’ont pas toujours existé. Moi,par exemple, je recevais un pain d’épiceet quelques mandarines. Le Père Noëllui-même est une créature assez récentequi remonte aux années 1940. Mais dansnotre société, c’est vrai, un enfant attendson cadeau.

Si on ne faisait pas de cadeau àl’enfant pour Noël, considérerait-il qu’on ne l’aime plus?

A.P. : Oui, car ce rituel est devenu sifort que les parents en seraient gênés.D’une part, envers les autres famillesavec qui l’enfant se compare. Et d’autrepart envers l’enfant lui-même. L’obliga-tion est forte et à la mesure du rite uni-versel dans nos sociétés.

G.H. : Historiquement, les cadeauxachetés aux enfants existent depuis leXIXe siècle pour les classes supérieures.A l’époque déjà, celle de la révolutionindustrielle, il y a des publicités pourjouets, et, très tôt aussi, les jouets devien-nent normés entre filles et garçons. Amesure que les techniques de productions’améliorent et que le pouvoir d’achataugmente, le marché multiplie les occa-sions de débouchés pour ces objets(Noël, anniversaire, Fête des mères, Fêtedes pères, Halloween, etc.).

...LORSQU’ON EST INVITÉ CHEZ DES AMIS, ON AMÈNEUNE BOUTEILLE DE VIN. ELLE DOIT ÊTRE PLUS OU MOINS ÉQUIVALENTE

AU STANDING DE VOTRE HÔTE...

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 74 2

I N T E R V I E W

« L a p r e s s i o n d e s c a d e a u x d e N o ë l p e u t ê t r e d ’ u n e g r a n d e v i o l e n c e »

A.P. : Selon les statistiques, le mon-tant des cadeaux représente 4 % durevenu familial sur un an. Et trois quartsde ce budget sont dépensés à Noël. Ceschiffres, qui ont une dizaine d’années,n’ont pas dû beaucoup varier.

On fait croire aux enfants que c’est le Père Noël qui offre le cadeau. Pourquoi? Parce quecet intermédiaire virtuel libèrel’enfant de la dette qu’implique le cadeau?A.P. : Oui, en quelque sorte. Le Père

Noël est une figure du don unilatéralque l’on retrouve dans les contes. Cettefigure devine vos désirs. Parfois même,le vœu d’un personnage est exaucé sansqu’il s’adresse à qui que ce soit.Exemple : un héros affamé fait intensé-ment le vœu d’un repas et aussitôt lanappe se couvre de victuailles. C’est unmonde enchanté. Le Père Noël est unefigure transcendante, une sorte de dieuqui vit au pôle Nord et qui fait le bien.Mais jadis, il est bon de rappeler qu’ilétait accompagné du Père Fouettard,lequel a complètement disparu, à l’ins-tar de la morale intransigeante. Remar-quons cependant que le Père Noël n’ap-porte pas tous les cadeaux. Les parentsde la famille personnalisent leurscadeaux, de même que les parrains etmarraines.

Le rituel de distribution descadeaux, justement, évolue et seréinvente dans les familles :tirage au sort, troc, loterie, listesenvoyées par e-mail sur le modede la liste de mariage. A quoitout cela renvoie-t-il?G.H. : Cela montre justement que le

rite peut être réinterprété constammentet que l’on peut toujours en reprendre

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 4 3

possession. Qu’on peut le réinvestir desens à tout instant.

A.P. : Le don, dans les sociétés mo-dernes est parfois marqué par la proba-bilité statistique. Lorsque vous donnezvotre sang, par exemple, ce n’est que paraccident que vous bénéficierez d’unéventuel retour. C’est une loterie sanscertitude d’une réciprocité. Le tirage ausort des cadeaux de Noël est imprégnéde cette logique.

Les jouets ont beaucoup évolué, eux aussi. Quelle est ladifférence entre les catalogues de jouets d’aujourd’hui et ceux d’hier?G.H. : A l’exception de l’évolution

technologique (jeux vidéo, informa-tique), je vois une grande continuité dansl’objectif. Ce qui a changé, c’est ce quej’appellerais une fidélisation par le biaisdu «jouet par abonnement». Un exemple :

autrefois, le Lego permettait de cons-truire toutes sortes de choses issues del’imaginaire de l’enfant. Aujourd’hui, leLego est destiné à fabriquer des person-nages bien précis, vendu sur la boîted’emballage, comme les héros de «StarWars» par exemple. Le monde du jouetest toujours plus celui de la standardisa-tion et du copyright. On ne veut plus unavion, mais celui de tel héros dont lesaventures passent à la télévision entre17 h et 18 h. Ce marquage, ce marketingest surtout destiné à convaincre ceux quiachètent, c’est-à-dire les parents. Et ducoup, l’on pourrait croire que la fantai-sie de l’enfant passe à la trappe. Mais lesenfants introduisent très vite ces objetsstandardisés dans leur monde à eux etl’on peut fort bien imaginer faire com-battre Dark Vador avec une Barbie!

A.P. : On parle parfois de colonisationde l’imaginaire. Autrefois, la pénurie dejouets invitait l’enfant à en inventer. Avec

deux bouts de bois et un peu de ficelle,par exemple. Maintenant, le ready-madeest là et les parents se servent. Sur cepoint, ces jouets pour enfants sont enrésonance avec l’univers des adultes, oùnous ne savons plus rien faire par nous-mêmes.

Vous-mêmes, vous vous sentezesclaves de ce système?A.P. : Ma femme est Canadienne, et,

au Canada, Noël prend des dimensionsincroyables, avec au moins quatre à cinqcadeaux par enfant. A notre retour enSuisse, je lui ai proposé de passer à unseul cadeau, mais elle ne peut s’en empê-cher. Moi-même, je sais que je dois fairedes cadeaux à ma famille proche, et tou-tes les personnes présentes à Noël reçoi-vent des cadeaux. J’aurais peur de vexerquelqu’un si je ne le faisais pas.

G.H. : Moi, j’ai l’avantage – ou ledésavantage – de ne pas avoir trop defamille ici. Etant petit, j’ai reçu descadeaux parfois importants, tant que j’aicru au Père Noël. Après, cela s’est arrêté.Mais, en effet, la période où il faut trou-ver les cadeaux de Noël est parfois d’unegrande violence, je pense.

Propos recueillis par Michel BeuretPhotos : Nicole Chuard

A lire :

André Petitat, «La matriceinteractive du don», in : Revue dessciences sociales, 2006, 44, 134, pp.215-230.

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 74 4

H I S T O I R E

Le vrai visage de Brutus, assassin

de Jules César

Le vrai visage de Brutus, assassin

de Jules CésarMarcus Junius Brutus était l’une des figures

tragiques de la série TV Rome. L’assassin de Jules

César sera aussi l’une des vedettes comiques de

l’adaptation au cinéma de la célèbre BD «Astérix

aux Jeux olympiques». Dans ce film très attendu,

qui sortira au début 2008, le «libérateur» héritera

du visage de Benoît Poelvoorde. Ridicule ou tragique,

jaloux ou épris de démocratie, quel

était le vrai visage de ce Romain

légendaire, par Jupiter? →

HB

O

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 4 5

Mon

opol

e Pat

hé F

ilms

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 74 6

H I S T O I R E

L e v r a i v i s a g e d e B r u t u s , a s s a s s i n d e J u l e s C é s a r

Une pauvre chose un peu veule et stu-pide : c’est ainsi que Goscinny et

Uderzo représentent le personnage deBrutus dans leur célèbre bande dessinéeAstérix. De quel bois sera-t-il fait dansle film «Astérix aux Jeux olympiques»,dont la sortie est annoncée pour fin jan-vier? La bande-annonce du film, diffu-sée depuis de longues semaines dans lessalles de cinéma comme sur Internet,laisse imaginer que l’adaptation de la BDau grand écran sera assez fidèle sur ceplan.

On sait déjà que le personnage y seraincarné par Benoît Poelvoorde, et que lescénario du film différera de la BD,puisque Brutus n’apparaît dans aucunecase de cet épisode des aventures du petitGaulois et de son compère Obélix.

En attendant de voir comment lecomique belge endosse le rôle de l’assas-sin de César (interprété par AlainDelon), Pierre Sánchez, professeur d’his-toire ancienne de l’Université de Genèvequi enseignera à l’Université de Lau-sanne au semestre d’automne 2008, dansle cadre d’un échange de spécialistes, dis-

tingue le vrai du faux dans les mythesqui entourent Brutus.

Brutus était-il le fils adoptif de César?

«C’est un mythe présent dans l’incons-cient collectif depuis longtemps, mais onest sûr que c’est faux, explique PierreSánchez. Ce qui est vrai par contre, c’estque César avait une affection particulièrepour lui.»

Marcus Junius Brutus s’est d’abordrallié à Pompée, le rival de Jules César,dans la guerre civile qui les a opposés.Après la défaite de Pompée, le jeunehomme s’est excusé. César lui a par-donné, et, comme il l’a fait pour d’autresjeunes gens dans la même situation, il apoussé la carrière de Brutus.

Laquelle, on s’en doute, s’en est trou-vée accélérée : il était préteur urbain lors-

© N

. Chu

ard

Pierre Sánchez donnera un cours à l’UNIL sur les guerres civiles de la république romaine, au semestre d’automne 2008

Brutus a un petit rôle dans les BD Astérix, notamment dans «La Zizanie», où il est la victime des jeux de mots de César sur le thème

du «Tu quoque mi fili» («Toi aussi mon fils!»)

Les

Editio

ns A

lber

t R

ené/

Gos

cinn

y/U

derz

o

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 4 7

qu’il a assassiné son protecteur. «Ce quireste vrai par contre, précise Pierre Sán-chez, c’est qu’à Rome l’adoption étaitchose très répandue – on adoptaitd’ailleurs aussi des adultes, puisquec’était avant tout une question d’al-liances. César avait ainsi un «vrai» filsadoptif, qu’il a désigné comme son héri-tier : Octavien», le futur empereurAuguste.

César a-t-il dit «Tu quoque mi fili» à Brutus juste avant de mourir?

«Cette formule latine est en réalité unecréation de la Renaissance. Tous lesauteurs antiques affirment que Césarl’aurait dite en grec. Quant à savoir s’il

l’a vraiment prononcée, et, dans l’affir-mative, ce qu’il a voulu dire par là, ledébat n’est pas près d’être clos. Notonssimplement que c’est une tradition del’historiographie d’attribuer une phrasedéfinitive et lourde de sens aux grandshommes à l’heure de l’agonie.»

Cela n’empêche pas Uderzo d’user etd’abuser de ces prétendues dernièresparoles de Brutus dans la BD Astérix :dans tous les épisodes où il apparaît(«Astérix gladiateur», «La Zizanie», «Lefils d’Astérix»), Brutus se fait constam-ment, et pour les raisons les plus ridi-cules, resservir ce «tu quoque» par César.

En tous les cas, ces quelques mots nesauraient constituer une preuve en faveurde l’adoption officielle de Brutus par

César. «Mon fils» peut signifier «monjeune ami», c’est une expression qu’unhomme d’âge mûr aurait pu utiliser àl’époque pour s’adresser à un hommeplus jeune, pour qui il avait de l’affec-tion, sans que cela implique une vraiefiliation.»

La mère de Brutus était-elle la maîtresse de César?

Le père de Brutus est mort, exécutépar Pompée, lorsqu’il était enfant.«Veuve, sa mère Servilia devint effecti-vement la maîtresse de César, vers 63 av. J.-C., raconte Pierre Sánchez. Bru-tus était alors âgé d’une vingtaine d’an-nées, ce qui permet de démentir défini-tivement une autre rumeur, qui voudrait

Dans la réalité, Brutus et César ont formé un tandem tragique. Mais dans le film «Astérix aux Jeux olympiques» (sortie le 31 janvier 2007), ce duo sera l'un des arguments

comiques du film, comme le laisse augurer cette image d'Alain Delon en César

Mon

opol

e Pat

hé F

ilms

H I S T O I R E

L e v r a i v i s a g e d e B r u t u s , a s s a s s i n d e J u l e s C é s a r

Dans la série TV Rome, c’est l’acteur Tobias Menzies qui hérite du rôle de Brutus. Il en a fait une

figure tragique et torturée, certainement plus proche de la réalité historique que le Brutus

déjanté interprété par Benoît Poelvoorde dans «Astérix aux Jeux olympiques»

HB

O

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 4 9

→que Brutus ait été le fils naturel et secretdu dictateur.»

On sait aussi que César a eu de nom-breuses maîtresses, mais Servilia, si l’onjuge d’après la quantité de coûteuxcadeaux qui lui ont été offerts, était sapréférée.

Pourquoi Brutus a-t-il complotécontre César?

Des 600 sénateurs que comptait leSénat, 60 environ ont participé à la conju-ration visant à éliminer César. Ce der-nier, rappelons-le, s’était fait nommer dic-tateur à vie, une fonction et un titreinacceptables pour une fraction impor-tante des sénateurs. Ces aristocrates«radicaux», dans le sens où ils n’accep-taient aucune concession aux principesrépublicains, qui garantissaient leurs pri-

vilèges et leur pouvoir, s’inquiétaient devoir César violer nombre d’entre eux,notamment ceux de l’alternance et dupartage du pouvoir.

«Brutus faisait partie des Optimates,la frange conservatrice des politiciens,raconte Pierre Sánchez, et c’est pourquoiil a pris parti pour Pompée (pourtant àl’origine de la mort de son père) contreCésar en 49.

Pompée, bien que désireux lui ausside régner en tyran, prétendait défendreles institutions républicaines et lesvaleurs de l’aristocratie sénatoriale enluttant contre César qui lui faisait del’ombre. Il y a une vraie cohérence de cepoint de vue chez Brutus, qui n’a paschangé d’idéal, même si après la défaitede Pompée, il a collaboré avec Césardurant près de quatre ans.»

«Ave lui!» Dans la bande-annonce du film «Astérix aux Jeux olympiques», Brutus-Poelvoorde joue les généraux en chef de l’armée romaine. Un rôle que n’a jamais exercé

le vrai Brutus, dont le buste est reproduit ci-dessousM

onop

ole

Pat

hé F

ilms

→H I S T O I R E

L e v r a i v i s a g e d e B r u t u s , a s s a s s i n d e J u l e s C é s a r

Aux Ides de Mars 44, Brutus fut doncl’un des leaders des conjurés, et il plantason poignard dans le corps de César.«Selon les sources dont nous disposons,il a bien porté un coup personnellement,et il a sans doute été parmi les derniersà frapper. César a reçu un peu plus de20 coups de couteau, ce qui signifie quebon nombre des 60 conjurés n’ont pasparticipé activement à l’exécution ducomplot.

Brutus a, en amont, tout aussi active-ment participé à l’organisation du crime,notamment en organisant des réunionssecrètes chez sa mère, au cours des-quelles il a insisté pour que l’on ne tuepersonne d’autre que César, quand

certains étaient d’avis qu’il fallait aussiéliminer Marc Antoine, le bras droit dudictateur.»

Brutus voulait-il la place de César?

C’est évidemment faux. Brutus, quin’était pas l’héritier désigné de César,contrairement à Octavien, n’aurait euaucune légitimité. Mais surtout, il étaitanimé, comme on l’a vu, par un respecttotal des principes fondateurs de la Répu-blique romaine, qui étaient complètementinconciliables avec la nomination d’un roiou d’un tyran à vie.

«La preuve, c’est qu’une fois Césarmort, les conjurés se sont trouvés com-

plètement désemparés. Manifestement, ilsn’avaient pas prévu de plan pour s’appro-prier le premier rôle, et ils n’étaient pastrès au clair sur la stratégie à mettre enplace pour pallier la vacance du pouvoir»,souligne le futur enseignant à l’UNIL.

De ce point de vue, comme pour denombreux autres aspects, la série TVRome est fidèle à la réalité : «On y voitbien l’affection de César pour Brutus, lestiraillements moraux de ce dernier, quiincarne la fidélité à l’idéal romain, et qui,en même temps, est attaché au dictateur.On y voit aussi les liens qui unissent Bru-tus à d’autres sénateurs de la même obé-dience, Casca par exemple, ou son oncleCaton.»

La série TV Rome a donné des reproductions saisissantes du Sénat romain où César, Brutus, mais encore Cicéron et Pompée se sont côtoyés

HB

O

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 5 1

Brutus était-il unimbécile?

Si l’on en croit Uderzo etla BD Astérix, Brutus n’était pastrès malin, voire franchement grotesque.«C’est très loin d’être vrai : on sait quec’était, au contraire, un homme très fin,très cultivé et très intelligent, qui maî-trisait aussi bien la philosophie que l’artde la guerre, corrige Pierre Sánchez.César ne se liait pas avec n’importe qui :ce n’est pas un hasard s’il l’a pris sousson aile et lui a pardonné sa «trahison».Il avait de l’admiration pour lui, commeen ont d’ailleurs eu les Romains qui sesont ralliés à lui lors de la conjuration.»

L’historien cite un épisode peu connupour montrer que, loin d’être un idiot,Brutus était un malin, notamment dansle domaine financier. Il plaçait parexemple des capitaux en Orient avec unrendement qui dépassait les plus opti-mistes attentes. «Les cités conquises parRome lui devaient en effet un impôtcolossal, raconte Pierre Sánchez, que, leplus souvent, elles n’étaient pas enmesure de payer. Brutus prêtait donc à

certaines d’entreelles, comme à Salamine

(Chypre) par exemple, les sommesnécessaires. Il le faisait par l’intermé-diaire d’agents, au taux de... 48 %!»

Comme tout citoyen romain, Brutusprofitait ainsi indirectement de cet impôtencaissé par l’Etat romain, et il engran-geait en outre les intérêts proprementusuriers dégagés par son prêt effectué àtitre privé. En plus, il n’hésitait pas à fairedonner la cavalerie contre les autoritésde la ville quand, étranglées par lesdettes, elles ne pouvaient plus payer. Desparlementaires réfugiés dans le Sénat deSalamine sont ainsi morts de faim, assié-gés par les troupes du gouverneur romainlocal qu’il avait fait intervenir en safaveur...

Brutus savait donc obtenir ce qu’ilvoulait, qu’il soit mû par de nobles idéauxcomme dans la conjuration contre César,ou par des intérêts plus bassement maté-rialistes comme ici.

Sonia Arnal

Clin d’œil historique : sur la droite de cette image de Brutus triomphant, les fans de la série TV Kaamelott auront reconnu l’interprète du roi Arthur, qui apparaît également

dans «Astérix aux Jeux olympiques». Ci-dessous une monnaie frappée par le vrai Brutus,

pour célébrer la mort de César

Mon

opol

e Pat

hé F

ilms

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 75 2

H I S T O I R E

L e v r a i v i s a g e d e B r u t u s , a s s a s s i n d e J u l e s C é s a r

Le vrai visage des Jeux olympiques

Dans la BD «Astérix et les Jeux olympiques», Uderzo et Gos-cinny ont donné une version très humoristique de ces com-pétitions antiques. Qu’en était-il réellement? Les réponsesde David Bouvier, un expert de l’UNIL.

P rofesseur ordinaire de langue et lit-térature grecques à l’Université de

Lausanne (UNIL), David Bouvierconnaît les Jeux olympiques originelspar le biais notamment des poètes,comme Pindare par exemple, qui ontchanté les louanges des vainqueurs. Dif-férents de ce qu’ils sont aujourd’hui, lesjeux antiques se distinguent aussi de lareprésentation d’Uderzo et Goscinnydans le fameux «Astérix aux Jeux olym-piques». Avant de voir le film, rappel des

éléments présents dans la manifestationdes origines.

Allez savoir!: Qu’est-ce quidistingue les Jeux d’aujourd’huide ceux de la Grèce antique?David Bouvier: Avant tout la dimen-

sion commerciale, très présente aujour-d’hui et quasiment inexistante à l’époque,si ce n’est par le biais de stands de nour-riture, par exemple. Les organisateursn’avaient rien à vendre. Les jeux étaient

par contre très clairement habités par unedimension spirituelle : ils sont une fêtereligieuse. Pour les habitants des cités enlice, la victoire signifiait une reconnais-sance des dieux, puisqu’eux seuls pou-vaient la décider. Gagner, c’était donc enquelque sorte une bénédiction. On sol-licitait avant et pendant la compétitionaussi bien Zeus (Olympie est son sanc-tuaire) que les dieux protecteurs de cha-que cité. Le deuxième élément très pré-sent dans les esprits de l’époque estl’inscription dans une lignée, celle del’âge héroïque. Ainsi Pindare célèbre lesvainqueurs de son temps comme s’ils éga-laient les exploits des héros d’hier etétaient de nouveaux Héraclès ou de nou-veaux Achilles.

Comment s’entraînaient lesathlètes? Comment s’opéraientles sélections?L’entraînement physique régulier à la

palestre (salle de gymnastique de l’épo-que, n.d.l.r.) faisait partie de la forma-tion de base de tout futur citoyen, notam-ment parce qu’il devait être incorporédans l’armée – c’est d’ailleurs l’entrée àl’armée qui donnait accès à la citoyen-neté. Tous les jeunes étaient donc entraî-nés très régulièrement, et ceux qui sedistinguaient par leur talent dans une dis-cipline étaient choisis pour représenterleur cité (Sparte, Athènes, Syracuse...).

Dans Astérix, la question du dopage est évoquée. S’agit-ild’une allusion historique?Difficile de répondre aujourd’hui. On

sait qu’une trentaine de jours avant ledébut des jeux, les athlètes étaient tousréunis au même endroit, à Elis, près dusanctuaire d’Olympie, pour un entraîne-

David Bouvier, professeur ordinaire de langue et littérature grecques à l’Université de Lausanne (UNIL)

© N

. Chu

ard

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 5 3

ment plus soutenu où des champions deséditions précédentes les conseillaient. Là,on sait qu’ils suivaient un régime alimen-taire particulier, et certains régimesétaient connus comme plus énergétiquesque d’autres. Un médecin comme Galiens’en fera le critique, je crois.

Quelles étaient les épreuves?Elles ont varié au cours du temps,

mais celles qui ont le plus de permanencesont la lutte, la boxe, la course à pied etde char, le lancer du disque et du jave-lot, le saut. A cela se sont ajoutées par-fois des disciplines comme l’équitation ouun jeu de paume, sorte d’ancêtre du ten-nis. Enfin, il faut rappeler des compéti-tions musicales, des concours de chantet de poésie: c’est essentiel. La musiqueet le sport étaient liés.

Et les récompenses? Toujoursdans Astérix, on voit surtout descouronnes de laurier?C’est juste, c’est la récompense prin-

cipale, qui marque le fait que la victoireest essentiellement un honneur. Mais lesathlètes étaient aussi remerciés par leur

cité qui leur offrait une pension pour leurentretien. Cela dit, si on a gardé très pré-sente l’image des jeux d’Olympie, onoublie trop souvent que ce n’était de loinpas les seuls: il existait plusieurs tour-nois du même type, généralement dansdes sanctuaires, comme à Delphes parexemple. Notre première description dejeux sportifs se trouve dans «L’Iliade» etce sont des jeux funéraires pour célébrerle mort. Dans ce cas, les jeux étaientorganisés pour lui rendre hommage.Gagner, cela signifiait être digne de lui.Il arrivait alors que les biens du défuntsoient partagés entre les vainqueurs, sesarmes notamment.

Qui pouvait participer aux Jeux olympiques?A l’origine, tous les citoyens des cités

grecques. Donc ni les esclaves, ni lesmétèques, nom donné à l’époque auxétrangers qui vivent en hommes libresdans une cité qui n’était pas la leur. Al’origine, la pratique du sport était sur-tout réservée aux familles aristocra-tiques. Quand le baron de Coubertin ainstitué les jeux modernes, il a imposé

l’interdiction du professionnalisme en seréclamant des Anciens. En Grèce an-tique, l’opposition professionnel / ama-teur n’existait pas mais, parmi lescitoyens, il y avait les riches et lespauvres; pour aller aux Jeux olympiques,il fallait beaucoup s’entraîner et c’étaitun privilège des riches de ne pouvoir faireque cela sans que ce soit considérécomme une profession.

Et les femmes?A Olympie, il y avait une compétition

en l’honneur de Héra réservée aux jeunesfilles : une course sur une distance de 160mètres. Mais c’est l’exception qui con-firme la règle. Les Jeux n’étaient pas faitspour les femmes. Elles ne pouvaient pasy participer comme spectatrices, et il fautse souvenir que cette interdiction a euun écho à l’époque moderne, avec la réti-cence du baron de Coubertin de les voirentrer dans l’arène autrement que pourcouronner les mâles vainqueurs.

Propos recueillis par S. A.

Le film «Astérix» exagère à peine en transposant dans l’Antiquité la problématique actuelle du dopage. Dans les vrais jeux antiques, les champions suivaient déjà des régimes alimentaires, et

certains étaient connus comme plus énergétiques que d’autres

Mon

opol

e Pat

hé F

ilms

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 75 4

1A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 5 5

É C O N O M I E

En 2007, le nouveau«péril jaune»

est informatiqueAprès l’Allemagne, les Etats-Unis et la

Grande-Bretagne, voilà que la France se plaint

d’attaques de cyberpirates chinois. Nos écono-

mies seraient-elles noyautées par les Asiatiques?

Les réponses de deux enseignants de l’UNIL,

une spécialiste de la cybercriminalité et un

expert de la Chine.

A l’heure où l’Empire du Milieu ne secontente plus de fournir la planète

en produits bas de gamme, mais imposedes coopérations technologiques à sespartenaires d’affaires, et dispose d’unpactole pour acheter des entreprises occi-dentales, la naïveté n’est plus de mise.

En Suisse, comme ailleurs, les entre-prises et les particuliers ont multiplié lesportes d’entrée vers des données poten-tiellement intéressantes pour des concur-rents – entreprises ou Etats – via les trèsnombreux ordinateurs reliés à Internet.

«Tout le monde espionne tout le monde»

Faut-il pour autant attribuer aux Chi-nois la palme des intentions malveil-lantes? Solange Ghernaouti-Hélie segarde bien de franchir le pas. Titulairede la chaire Télécommunication et Sécu-rité à la Faculté des HEC de l’Universitéde Lausanne, elle enseigne notamment lemanagement de la sécurité des technolo-gies de l’information. Experte auprès dediverses institutions de recherche et delutte contre la cybercriminalité, auteurede plusieurs ouvrages consacrés à cettethématique*, elle considère que lesmenaces qui pèsent sur les entreprises ousur le pays sont bien réelles. SelonSolange Ghernaouti-Hélie, les sociétésvivent bel et bien dans un contexte de«guerre économique» dans lequel «toutle monde espionne tout le monde».

Les pièges d’Internet

Chacun étant potentiellement la ciblede l’autre, les Etats en sont venus à négo-

cier des règles communes de bonneconduite : «La convention du Conseil del’Europe sur la cybercriminalité, signéeen 2001 à Budapest, identifie différentstypes d’infractions et le besoin de coopé-ration internationale pour lutter contre,se réjouit Solange Ghernaouti-Hélie. Ils’agit de la première convention pénaleà vocation universelle destinée à luttercontre le cybercrime, réalisée dans uneoptique d’harmonisation des législationsdes Etats signataires et favorisant lacoopération internationale, notammenten matière d’extradition et d’entraide.»

Comment se protéger?

Si les pièges d’Internet sont multiples,les manières de s’en prémunir le sont éga-lement. La première étant, pour tout unchacun, de ne jamais oublier que «d’en-voyer un message sur Internet revient àparler à haute voix dans une pièce, sanssavoir qui se trouve dans la pièce voi-sine», relève la spécialiste lausannoise.

Autre méfiance à cultiver : qu’en est-il de la confidentialité des échanges et desdonnées lorsque l’on sait que l’adminis-trateur système de l’entreprise a poten-tiellement accès à toutes les donnéeséchangées sur Internet par les collabo-rateurs de l’entreprise, les vôtres,comme celles du grand patron?

Voilà pour les comportements à adop-ter à l’intérieur de l’entreprise. Mais audehors, quelles sont les menaces qui pla-nent? Et quels sont les adversaires auxaguets? Tour d’horizon en cinq ques-tions.

Quel est le principal danger qui guette

les entreprises en matièrede cybercriminalité?

Le maillon faible en matière de sécu-rité informatique peut être un collabo-rateur de l’entreprise, répond SolangeGhernaouti-Hélie. Soit parce qu’il est

43

2

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 75 6

É C O N O M I E

E n 2 0 0 7 , l e n o u v e a u « p é r i l j a u n e » e s t i n f o r m a t i q u e

mécontent, soit – le plus souvent – parceque les procédures de travail ne tien-nent pas suffisamment compte du risqueinformationnel, qu’il soit d’origine cri-minelle ou non.

Le contrôle de votre ordinateur peutêtre pris à distance après infection devotre machine par un virus particulier(de type «cheval de Troie») introduit àvotre insu via le réseau ou via une cléUSB, rendant possible toutes sortes demalveillances (vol, détournement dedonnées, leurre…), poursuit l’expertede l’UNIL. Comme par exemple l’en-voi d’un message par le fraudeur, quise fait passer pour votre supérieur hiérarchique et vous enjoint de com-muniquer des informations qui, norma-lement, devraient rester internes à l’entreprise.

«Un ordinateur piraté peut être uti-lisé pour détruire des données, les modi-fier ou encore servir de relais pour réa-liser d’autres infractions, prévientSolange Ghernaouti-Hélie. Il peut éga-lement être mis en réseau avec d’autrespour réaliser des attaques groupées per-mettant, entre autres, de bloquer le sited’une entreprise ou toutes ses commu-nications informatiques avec l’extérieur.»

Qu’est-ce que l’entreprise doit protéger

en priorité?Ses valeurs critiques, ses outils de pro-

duction et les actifs qu’elle juge impor-tants, répond la spécialiste de l’UNIL.«Encore faut-il savoir les identifier. Enmatière de données, il faut se demanderde quelles ressources, de quelles infor-mations l’entreprise ne peut absolumentpas se passer pendant une certainepériode, et les protéger en conséquence.Par exemple en les mettant dans descoffres-forts de données, installés dansdes endroits spécialement protégés.»

Cela dit, du point de vue technolo-gique, la protection des systèmes infor-matiques est relativement bien maîtri-

sée par les organisations, notammentpar les banques, rassure Solange Gher-naouti-Hélie.

Quelle forme pourrait prendre

un éventuel terrorismeinformatique?

«On peut tout imaginer...», répondSolange Ghernaouti-Hélie. Si une per-sonne ou un groupe externe à une grandesociété, pilier de l’économie suisse, réus-sissait à en bloquer complètement le fonc-tionnement par des attaques informati-ques, cela pourrait déstabiliser le pays.

«Pensez aux impacts négatifs, directset indirects, qui seraient consécutifs à unblocage inopportun de la Loterie Roman-de, ou à la divulgation de fichiers clientsd’une banque, par exemple, ajoute la spé-

cialiste de l’UNIL. La prise en otage del’informatique d’une organisation pourexercer un chantage et menacer de stop-per toutes les activités ou divulguer desdonnées confidentielles est monnaie cou-rante en terrorisme informatique et éco-nomique.»

Les procédures dechiffrement sophistiquées

utilisées par les entreprises les

mettent-elles à l’abri?«Certaines, oui. Mais qu’il s’agisse de

logiciels, de clés de chiffrement ou designatures électroniques, l’entreprise quiles utilise reste dépendante de la sociétéqui a fourni la solution de sécurité: etcelui qui peut chiffrer peut déchiffrer»,rappelle Solange Ghernaouti-Hélie.

Solange Ghernaouti-Hélie, titulaire de la chaire Télécommunication et Sécurité à la Faculté des HEC de l’Université de Lausanne

© N

. Chu

ard

5

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 5 7

Des entreprises suisses, comme ID-Quantique à Genève, sont à la pointede la technologie en matière de fabrica-tion de systèmes empêchant l’écoute del’information transférée, et donc l’es-pionnage économique. «ID-Quantiquepropose également des moyens pourconstruire des clés de chiffrement invio-lables, via l’usage de la fabrication«quantique», ajoute l’experte lausan-noise. L’Etat de Genève a fait appel àses services pour sécuriser, avec unniveau de sécurité jamais atteint jusqu’àprésent, l’application de votes électro-niques. Ceci constitue une évolutionmajeure dans la qualité de la sécuritéproposée aux internautes.»

Les Chinois sont-ils plus menaçants

que d’autres?«Pas forcément, à moins qu’ils ne

soient plus motivés ou déterminés qued’autres, répond Solange Ghernaouti-Hélie. N’oublions pas qu’ils possèdentdes compétences indéniables en matièrede chiffrement, mais aussi que la plupartdes solutions de sécurité sont encorefournies majoritairement par des socié-tés américaines.»

La gestion des noms de domaines estaussi fortement concentrée aux Etats-Unis, de même que l’infrastructure, lesgrands moteurs de recherche ou les prin-

cipaux systèmes de messagerie, à l’imagede Google, Cisco, etc. «On peut théori-quement intercepter et lire tout ce quipasse par Internet, même ce qui est chif-fré (à moins que cela soit fait par de lacryptographie quantique), poursuit lachercheuse de l’UNIL. On peut éven-tuellement craindre les Chinois, puisquede nombreux logiciels sont désormaisfabriqués en Asie. Une petite partie duprogramme pourrait être utilisée pourprovoquer une action portant atteinte àla sécurité des ressources...»

Mais en matière de sécurité informa-tique, mieux vaut se rappeler qu’a priorinous ignorons qui est intéressé par lesressources et informations que nous déte-nons et pourquoi. «On ne peut imagertoutes les fraudes ou malveillances pos-sibles, précise Solange Ghernaouti-Hélie. D’où l’intérêt de diminuer les vul-nérabilités, de ne pas exposer lesressources et de mettre en place desdémarches pour maîtriser les risquesinformatiques et la sécurité.»

Geneviève Brunet

A lire :

«Guide de la cybercriminalitépour les pays en développement»,Solange Ghernaouti-Hélie, UIT,2006.

«Internet», Arnaud Dufour,Solange Ghernaouti-Hélie, PUF,Coll. «Que sais-je?», 2005.

«Internet et sécurité»,Solange Ghernaouti-Hélie, PUF,coll. «Que sais-je?», 2002.

A la fin de l’année 2004, le site Internet www.mcdonalds.com.cn, qui traite des opérations chinoises

du géant américain du fast-food, a été attaqué par des cyberpirates, qui ont laissé cette signature

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 75 8

É C O N O M I E

E n 2 0 0 7 , l e n o u v e a u « p é r i l j a u n e » e s t i n f o r m a t i q u e

Allez savoir!: Entre l’éloge de la ruse – dont vous faites étatdans votre livre sur les 36 stratagèmes* – et le respect de la propriété intellectuelle, où passe la frontière en droitchinois?Harro von Senger : Il me semble que

la frontière n’est pas très claire non pluschez nous... Penser que nous avons uneculture des affaires qui respecte lesmarques relève du mythe. Il suffit d’ob-server le lancement du quotidien gratuit«Le Matin Bleu» pour contrer l’arrivéede «20 minutes». Ou de regarder lesquasi-copies de produits Nestlé venduespar la Migros et les autres grands distri-buteurs en Europe. Les fabricants auto-mobiles s’observent également en perma-nence, et chacun s’inspire des produitsdes autres qui ont rencontré du succèspour concevoir ses nouveaux modèles.On copie souvent son concurrent, maisquand ce sont les Chinois qui le font, celadevient sensationnel!

Des piratages informatiques enprovenance de Chine auraient étérepérés aux Etats-Unis et dansplusieurs pays européens. Les Chinois pratiquent-ils, plusque d’autres, l’espionnageéconomique?Les 36 stratagèmes ont été conçus à

l’origine comme des stratagèmes de

guerre. Le stratagème 33 – celui del’agent secret – concerne l’espionnage.Aujourd’hui, de nombreux livres chinoissont consacrés à l’utilisation des 36 stra-tagèmes dans la guerre économique. J’ailu dans l’un de ces ouvrages que l’espion-nage économique représente quelque70 % de l’ensemble des activités d’espion-nage menées à travers le monde**. Maisles Chinois, comme les autres, ne com-muniquent évidemment pas sur l’espion-nage qu’ils pratiquent. Impossible, donc,de savoir s’ils utilisent plus que d’autresl’espionnage économique.

Les actes de cybercriminalité,tels que le vol de donnéesinformatiques à distance, sont-ils punissables en droitchinois?

Oui, le Code pénal de 1997 contientdeux articles sur ce sujet (art. 286 et 287).Donc, lorsque Angela Merkel a repro-ché aux Chinois de pratiquer la cyber-criminalité à l’occasion d’un voyage, enaoût 2007, le premier ministre chinois arépondu que, si c’était vrai, les coupablesseraient punis. Et je vous rappelle quel’article 11 de la Déclaration des droitsde l’homme précise que «toute personneaccusée d’un acte délictueux est présu-mée innocente jusqu’à ce que sa culpa-bilité ait été légalement établie au coursd’un procès public où toutes les garan-ties nécessaires à sa défense lui auront

«Quand les Chinois copient,

cela devient sensationnel!»

Juriste et sinologue, Harro von Senger est professeur en Alle-magne et expert de l’Institut suisse de droit comparé, ins-tallé à l’UNIL. Il observe que la culture des affaires, en Europe,n’est pas tellement plus respectueuse des marques que celledes Asiatiques.

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 5 9

été assurées». Quand a eu lieu ce procèspublic à propos de la cybercriminalitéchinoise? Les faits ont-ils été établis?

Nombre de copies de produits de grandes marques, vendues viaInternet, sont fabriquées en Chine. Une pratique toléréesur place?En Chine, comme ailleurs, un entre-

preneur qui n’a pas enregistré sapatente ou sa marque court le risqued’être imité. On peut copier entièrementson produit. Une licence obtenue enSuisse n’est évidemment pas valable enChine. Une entreprise qui protège malses produits ou les éléments-clés de leurfabrication ne peut s’en prendre qu’àelle-même. Il est évident que les Chi-nois feront tout ce qui est dans leur inté-rêt. Ils sont sensibilisés très jeunes à lapratique des stratagèmes et ont une

grande capacité à utiliser la ruse adap-tée à une situation donnée.

Quel est le stratagème le plus important en matièreéconomique?«Emmener un mouton en passant.»

C’est l’histoire d’un paysan de la Chineancienne qui se rend dans la forêt pourcouper du bois. Sur son chemin, ilremarque un mouton sur le chemin quine semble appartenir à personne. Unhomme rusé prendra le mouton et ren-trera chez lui avec la bête et le bois. Unpaysan trop focalisé sur son objectif pre-mier ne verra même pas le mouton... LesChinois sont très vigilants, toujours enalerte pour saisir les opportunités qui seprésentent.

Propos recueillis par Geneviève Brunet

A lire :

* «Stratagèmes»,Harro von Senger, Paris, 1992 (ouvrage épuisé à se procurer auprès del’auteur ou en bibliothèque).

** «36 Strategeme für Manager»,Harro von Senger,München, 2006

www.36stratageme.ch etwww.36stratagems.com

ww

w.p

hoto

s.co

m

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 76 0

C o n f é r e n c e s g r a t u i t e s

Internet,un ami qui vous veut du bien?Internet et les nouvelles technologiesseront au cœur du Cours public de l’UNIL, version 2008. Un rendez-vous à agender pour le début 2008. Avant-goût.

A cheter, vendre, voir un film,écouter de la musique,

s’informer, flirter ou mêmedivorcer... Les possibilités desnouvelles technologies de lacommunication semblentinfinies. E-mails, téléphonesmobiles ou agendas électroni-ques influencent nos compor-tements, conditionnent nosrelations. La technologie nouspromet un monde sans contrain-te, fait miroiter le rêve d’uneparfaite maîtrise de notre temps.Alors pourquoi craignons-nousd’en devenir les esclaves?

Mercredi 20 février 2008 18 h-20 h

Mon intégrité personnelle est-elle garantie

sur le web?

Jamais la technologie n’a permis uneaussi grande ingérence dans la viedes citoyens. Téléphones portables,cartes de crédit ou navigateurs Inter-net sont autant de mouchards quipeuvent dénoncer nos moindres faitset gestes. A l’heure du terrorismeinternational et de la cybercrimina-lité organisée, certains suggèrentd’utiliser davantage ces nouveauxmoyens de contrôle. Notre libertéest-elle menacée?Avec :Lara Srivastava,analyste des politiques en matièrede télécommunication à l'UITSolange Ghernaouti-Hélie,professeure HEC Lausanne,spécialiste en sécurité etcriminalité informatique, UNILAlain Kaufmann,sociologue, UNILMichel Alberganti,journaliste et auteurDavid-Olivier Jaquet-Chiffelle,chargé de cours à l’Ecole deSciences Criminelles, UNIL,spécialiste en cryptologie

Ces questions et beaucoupd’autres seront abordées dansdes conférences modérées etanimées par Jean-PhilippeRapp, directeur du festivalMedia Nord Sud et ancienjournaliste de la Télévisionsuisse romande. Elles auront lieutous les mercredis à 18 h, dansl’auditoire Erna Hamburger dubâtiment Amphimax, sur le sitede l’UNIL. Sortie TSOL / M1UNIL-Sorge. Parking Sorge.Entrée libre.

Internet,un ami qui vous veut du bien?Internet et les nouvelles technologiesseront au cœur du Cours public de l’UNIL, version 2008. Un rendez-vous à agender pour le début 2008. Avant-goût.

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 6 1

Mercredi 27 février 2008 18 h-20 h

Les nouvellestechnologies de la

communication : obstacleou pont entre les

individus?

Les acteurs commerciaux de l’Inter-net nous ont vendu l’image d’unmonde sans frontières où globalitérime avec fraternité. Qu’en est-ilréellement? Les pays du Nord et duSud, les jeunes et les anciennesgénérations, les différentes classessociales se sont-ils rapprochés ouéloignés suite aux récentes évolu-tions technologiques?Avec :Stefana Broadbent,head of User Adoption Lab,SwisscomFarinaz Fassa Recrosio,professeure titulaire à l’Institutinterdisciplinaire d’étude destrajectoires biographiques, UNIL

Mercredi 5 mars 2008 18 h-20 h

L’amour est-il virtualisable?

Pour le meilleur ou pour le pire, leweb bouleverse l’art de la séductionet les rapports sociaux. Derrière unécran d’ordinateur, nos rapports auxautres et à la réalité sont modifiés.On peut y développer une secondevie comme sur le célèbre site web«Second Life». Internet n’est-il qu’unrefuge où célibataires désespérés etséducteurs compulsifs peuvent lais-ser libre cours à leurs fantasmes?Finalement, ne s’agit-il pas d’un lieude rencontre comme les autres?Peut-on parler d’une dépendance auvirtuel?Avec :Jacques Besson,professeur, chef du Service de psychiatriecommunautaire, CHUV, spécialiste de l’addictionPascal Lardellier,professeur en sciences de l’information et de la communication à l’Université de Bourgogne, sociologueAlain Monnier,écrivain

Mercredi 12 mars 2008 18 h-20 h

Le web, sourced’information fiable ou

outil de désinformation?

En redessinant le paysage média-tique, le web bouleverse un pilier denotre société. Liberté de ton, médiascommunautaires, sites d’informationcollectifs comme Wikipédia... Mêmeles régimes totalitaires peinent àcontrôler la situation. Pour autant, leweb est-il vraiment honnête et bonpour la démocratie? Quels créditsdonner à ces nouveaux médias? Caril ne suffit pas qu’une informationsoit libre, encore faut-il qu’elle soitfiable.Avec :Bruno Giussani,journaliste, directeur pour l’Europedes conférences TED, et responsable du Forum des 100 de l’HebdoOlivier Glassey,sociologue, chef d’unité àl’Observatoire science, politique et société, UNILStéphane Koch,spécialiste de la criminalitééconomique et du risqueinformationnel

Tout le programme et les accès physiques ou virtuels (retransmission en direct sur le web) aux conférences à l’adresse :www.unil.ch/courspublic

F o r m a t i o n c o n t i n u e

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 76 2

Nos prochaines formations en 2007-2008Pour plus d’informations sur l’ensemble de notre offre,

visitez le site www.unil.ch/formcont

> CERTIFICAT

Economieet politique dumédicament

automne 2007 à été 2009

MarketingManagement

décembre 2007 àjuin 2008

> COURSNON CERTIFIANT

Conduire uneéquipe partenaire

7, 8 février et 7 mars 2008

Management - Marketing- Communication

Culture - Humanités

> MASTER OFADVANCEDSTUDIES (MAS)

Archivistique et sciences del’information

automne 2008 à été 2010

> DIPLÔME

Gestionculturelle

septembre 2008 à avril 2010

> CERTIFICAT

Biosécuritéet gestion desressourcesphytogénétiques

janvier 2008 ànovembre 2008

Urbanismedurable

septembre 2008 àjuin 2009

Marketingnon marchand :commentpromouvoir descauses

décembre 2007 àmars 2008

The Law of theWTO

février à mai 2008

> COURSNON CERTIFIANT

De l’ADN à l’être humain :que cherche unchercheur?

4 conférences en soirée, avril 2008

L’islam enquestion : uneapprochesociologique

3, 10 et 17 avril, 8, 15 et 22 mai2008

ww

w.p

hoto

s.co

m

ww

w.p

hoto

s.co

m

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 7 6 3

P oker, loteries,casino, jeuxvidéo, ma-

chines à sous, jeuxen ligne, SecondLife, Warcraft, jeuxde l’avion... les jeuxde hasard et d’ar-gent ont mille façonsd’attirer le chalanden lui faisant miroiterdes gains fabuleux, la fortune, lanotoriété et la gloire. On peut y suc-comber volontairement, en connais-sant et en contrôlant ses limites émo-tives et financières.

Le danger commence quand ons’accroche et que l’on joue «pour serefaire», qu’on augmente les enjeux,qu’on se ment à soi-même puis àses proches. C’est le début de lapente qui mène à la perte decontrôle, au jeu pathologique. Lesrelations sociales, familiales et pro-fessionnelles du joueur se dégra-dent. Le joueur est auto-intoxiquépar son comportement. Il peut som-brer dans la dépression et avoir destendances suicidaires.

Toutes les tranches d’âge sont tou-chées : les jeunes et les ados parl’usage intensif d’Internet ou du télé-phone portable sur lesquels se mul-tiplient les incitations au jeu en ligne;les seniors pour passer le temps,combler une solitude ou espérer ungain pour «arrondir leur retraite».

On estime à 1% de la populationsuisse l’effectif des joueurs patho-logiques.

La formation propo-sée pour ce premiercours se composede trois modules detrois jours chacunen présentiel reliéspar un travail à dis-tance (e-learning)sur base du sys-tème Formatox dé-veloppé pour l’en-

seignement sur les toxicomanies parle Campus virtuel suisse.

Un centre de compétencereconnuLe Centre lausannois du jeu exces-sif, dirigé par le professeur JacquesBesson, est unique en Suisse. Il estspécialisé dans la prévention et letraitement des pathologies liées aujeu excessif. Il collabore notammentavec la Loterie romande pour la for-mation des dépositaires de sesmachines afin de dépister lesjoueurs susceptibles de développerune dépendance au jeu.

Le programme détaillé de cette formation certifiante est en coursd’élaboration. Elle est prévue pourla rentrée académique 2008-2009.

On parie?

Axel Broquet

Renseignementssur le centre du jeu excessif :www.jeu-excessif.ch

La dépendanceaux jeux de hasard et d’argent

ww

w.p

hoto

s.co

m

Décelée à temps, cette chute vers lejeu excessif, comparable à d’autresproblèmes de santé mentale, peutêtre traitée et guérie.

Formation à la prévention

C’est pour aider les acteurs de lascène socio-sanitaire, les assis-tants sociaux, les médecins, lesjuristes et tous les professionnelsconcernés que le Centre du jeuexcessif du Département de psy-chiatrie de l’UNIL-CHUV met surpied, en collaboration avec le Centre de formation continue, une formation universitaire certifiante de prévention du jeu excessif etd’action communautaire.

Dans ce domaine, l’UNIL fait œuvrede pionnier et s’entoure desmeilleures institutions pour garantirune approche interprofessionnelle etmultidisciplinaire, en particulier laFédération romande des organismesde formation dans le domaine desdépendances (FORDD) et le Grou-pement romand d’études des addic-tions (GREA).

F o r m a t i o n c o n t i n u e

Centre de formation

continueUniversité

de Lausanne

Unithèque

1015 Lausanne

www.unil.ch/formcont

téléphone : +41 (0)21 692 22 90

fax : +41 (0)21 692 22 95

[email protected]

Le bulletin d’inscription

peut être téléchargé sur

le site Internet.

Santé -Social

> DIPLÔME

Préventionet traitement des troubles liésau stresstraumatique

printemps 2008 àdécembre 2010

Santé sexuelle et reproductive

septembre 2008 àjuin 2010

> CERTIFICAT

Guidanceen sexualité, vie affective etprocréation

septembre 2008 àjuin 2009

Migrations :relationsinterculturelleset pratiquesprofessionnelles

automne 2008 àautomne 2009

Qualité des soins

février 2008 à juin 2009

> COURSNON CERTIFIANT

Adolescents etpsychopathologie

15, 16, 17, 29 et 30avril 2008

Crise suicidaire :formation àl’intervention

décembre 2007 àjuin 2008

Cycle deconférences pourpharmaciensd’officine

janvier à novembre2008, en soirée

L’enfant anxieux

29, 30 et 31 mai2008

L’enfant violent

11, 12 et 13 juin2008

Mauvaistraitementsenvers lesenfants et lesadolescents

23, 24, 25, 28, 29 avril et 25 septembre 2008

Psychopathologieet enjeux deformation àl’adolescence

printemps 2009

Troubles ducomportementalimentaire

21, 22, 23, 28 et 29février 2008

Troubles dudéveloppementet desapprentissageschez l’enfant etl’adolescent

31 janvier, 1er, 7 et 8 février2008

ww

w.p

hoto

s.co

m

A L L E Z S A V O I R ! / N ° 4 0 D É C E M B R E 2 0 0 76 4

ww

w.p

hoto

s.co

m