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John Everett Millais,Mariana, 1851.Huile sur acajou, 59,7 x 49,5 cm.Tate Britain, Londres.
L’Art anglais en 1844
Jusqu’en 1848, en Angleterre, on admirait, mais on ne s’étonnait pas. Reynolds et
Gainsborough étaient de grands maîtres, mais ils faisaient de la peinture du XVIIIe
siècle
et non de la peinture anglaise au XVIIIe
siècle. Ce furent leurs modèles, leurs ladies et leurs
misses, qui donnèrent un tour anglais à leurs figures : ce ne fut pas leur pinceau. Leur
esthétique était celle de toute l’Europe au temps où ils vivaient. Plus tard, Lawrence
peignit chez nos voisins comme Gérard chez nous. En parcourant les salles des musées de
Londres, on voyait d’autres tableaux, mais non une autre manière de peindre, ni de
dessiner, ni même de composer et de concevoir un sujet. Seuls les paysagistes, Turner et
Constable en tête, donnaient, dès le début du siècle, une note nouvelle et puissante. Mais,
l’un demeura seul de son espèce, aussi peu imité dans son pays que partout ailleurs,
n’appartenant pas plus à une région de la terre qu’une comète n’appartient à une région du
ciel, l’autre devint si rapidement suivi et dépassé par les Français, qu’il eut plutôt la gloire
de créer un nouveau mouvement en Europe que la chance d’assurer à son pays un art
national. Quant aux autres peintres, ils faisaient, avec plus ou moins d’habileté, la peinture
qu’on faisait partout. On s’intéressait une minute à leurs chiens, à leurs chevaux, à leurs
politiciens de village, à toutes ces petites scènes de genre, d’intérieur et de cuisine, qu’ils
traitaient moins bien que les Hollandais. Rien ne permettait alors de prévoir qu’il allait
sortir de tout cela quelque chose de neuf et de grand. Par moments, un éclair d’étrangeté
illuminait cette vie raisonnable et prosaïque. Un petit tableau de Blake montrait le premier
ministre, Pitt, sous la forme d’un ange, en robe vert et or, conduisant à travers les nuées le
parlement anglais représenté sous les apparences du monstre décrit dans le livre de Job1
.
Puis tout s’assoupissait de nouveau : petites gens, petites histoires, petite peinture. Une
couleur glabre, lustrée, plaquée sur du bitume, fausse sans vigueur, confite sans finesse,
trop noire dans les ombres, trop brillante dans les clairs. Un dessin mou, hésitant,
vaguement généralisateur. Et l’on songeait, en approchant de la redoutable date 1850, au
mot prononcé par Constable en 1821 : « Dans trente ans, l’art anglais aura vécu ».
Les Origines préraphaélitesI.
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Dante Gabriel Rossetti,Mariana, 1870.Huile sur toile, 109,8 x 90,5 cm.Aberdeen Art Gallery & Museums,Aberdeen.
Charles Allston Collins,Pensées du couvent, 1850-1851.Huile sur toile, 84 x 59 cm.The Ashmolean Museum of Art andArchaeology, University of Oxford,Oxford.
John Everett Millais,Ferdinand leurré par Ariel, 1849-1850.Huile sur panneau de bois, 64,8 x 50,8 cm.The Makins Collection, Washington, D.C.
Et cependant, si l’on regarde bien, deux caractéristiques étaient là, sommeillantes.
D’abord, l’intellectualité du sujet. De tout temps, les Anglais se préoccupèrent de choisir
des scènes intéressantes, voire un peu compliquées, où l’esprit avait autant à saisir que les
yeux, où la curiosité était piquée, la mémoire mise en jeu, le rire ou les larmes provoqués
par une histoire muette. Au Victoria & Albert Museum, on est saisi par ce goût
britannique. On peut y voir des scènes du Bourgeois gentilhomme, du Malade imaginaire, des
Femmes savantes, de Don Quichotte, des Joyeuses Commères de Windsor, de Mon Oncle Tobie,
de la Mégère apprivoisée, de L’Homme au bon naturel, puis le Refus, tiré de Duncan Grey, puis
Portia et Bassanio, en un mot le théâtre et le roman de tous les pays. Ces toiles sont signées :
Wilkie, Redgrave, Frith, Leslie. C’était l’art de la première moitié du XIXe
siècle. Déjà
s’affirmait cette idée, d’ailleurs bien lisible chez Hogarth, que le pinceau était fait pour
écrire, pour raconter, pour instruire, non simplement pour montrer. Seulement, ce qu’il
racontait avant 1850, c’était des actions mesquines ; ce qu’il exprimait, c’était de petits
travers, des ridicules ou des sentiments bornés ; ce qu’il en soignait, c’était des articles du
code de civilité. Il jouait le rôle de ces cahiers d’images qu’on donnait aux enfants pour
leur montrer où conduisait la paresse, le mensonge ou la gourmandise. L’autre qualité
était l’intensité de l’expression. Quiconque avait vu des chiens de Landseer ou tout
simplement dans les journaux illustrés anglais, quelques unes de ces études d’animaux où
l’habitus corporis est serré de si près, l’expression si recherchée, le tour de tête si
intelligent, si différent selon que l’animal attend, craint, désire, interroge son maître ou
réfléchit, pourra aisément comprendre ce que signifie ce mot : intensité d’expression. Ce
n’est pas seulement justesse qu’il faut dire, car ce ne serait point là une caractéristique de
l’art anglais. Nos animaliers du XVIIIe
et du XIXe
siècle attrapaient, eux aussi,
l’expression juste et pourtant quelle différence entre les chiens d’Oudry ou de Desportes
qui sont au Louvre et ceux de Landseer à la National Gallery de Londres ! Mais, de même
que l’intellectualité du sujet ne se voyait, avant 1850, que dans des sujets qui n’en valaient
pas la peine, de même l’intensité d’expression n’était obstinément recherchée et
heureusement atteinte que dans les représentations des figures animales. La plupart des
figures humaines avaient des attitudes banales, sans modalité expressive, ni vérité
spécifique, ni précision pittoresque, mises sur des fonds imaginés à l’atelier, accommodés
de « chic » à la sauce académique, d’après des principes généraux, excellents en soi, mais
mal compris et paresseusement appliqués, se perdant, s’évanouissant dans des souvenirs
de moins en moins lucides des beaux jours de Reynolds et de Gainsborough.
Tel était l’art en Angleterre, lorsque Ford Madox Brown revint d’Anvers et de Paris avec
une révolution esthétique dans ses cartons. Il ne s’agit pas de dire que toutes les
tendances qui prévalèrent depuis cette époque, toutes les individualités qui se
développèrent, sortirent de cet artiste, ni qu’au moment où il débarqua, personne parmi
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Sir Joseph Noel Paton,Le Rendez-Vous sanglant, 1855.Huile sur toile, 73 x 65,2 cm.Kelvingrove Art Gallery and Museum,Glasgow.
ses compatriotes ne sentait, ni ne rêvait les mêmes choses que lui. Mais, si l’on songe
qu’en 1844, lorsque fut exposé Guillaume le Conquérant, rien de ces choses nouvelles n’était
apparu, que Rossetti avait seize ans, Hunt dix-sept, Millais quinze, Watts vingt-six,
Leighton quatorze, Burne-Jones onze et qu’aucun de ces maîtres n’avait, par conséquent,
accompli sa formation ; si l’on songe ensuite que la façon de composer, de dessiner et de
peindre inaugurée par Madox Brown se retrouve, cinquante ans après sa première œuvre,
dans les tableaux de Burne-Jones, après être passée par ceux du maître de Burne-Jones,
Rossetti, il faut bien reconnaître à l’exposant de 1844 le rôle décisif du semeur, là où les
autres n’avaient fait que labourer avant l’heure ou moissonner une fois la récolte venue2
.
Qu’y avait-il donc dans la main de ce semeur ? Dans sa tête, il y avait cette idée très nette
que l’art périssait à cause de la généralisation systématique des formes et ne pouvait être
sauvé que par le contraire, c’est-à-dire par la recherche minutieuse du trait individuel.
Dans son cœur, il y avait le désir confus, mais ardent, de voir l’art jouer en Angleterre un
grand rôle social, le rôle du pain, au lieu de demeurer une sucrerie réservée à la table des
riches. Enfin, dans sa main, il y avait une certaine gaucherie élégante, une délicatesse un
peu raide, une recherche minutieuse qu’il avait prises, en partie, à l’école gothicisante du
baron Wappers à Anvers et, en partie, à la contemplation directe des primitifs. Tout cela
était révolutionnaire et devait, à ce titre, déplaire à l’esprit conservateur des Anglais.
Mais, tout cela était antifrançais, anticontinental, absolument original et pour ainsi dire
autonome et, à ce titre, devait plaire à leur patriotisme. « C’est à Paris que je pris la
résolution de faire des tableaux réalistes, parce qu’aucun français ne faisait ainsi », a dit
Madox Brown. Sans s’arrêter au mot « réaliste », qui peut avoir différentes significations,
selon les pays ne retenons que ce cri de ralliement contre l’école française et en faveur
d’un art national3
.
Comme Madox Brown arrivait à Londres, on s’occupait encore de ce grand concours
commencé en 1843 pour la décoration du nouveau palais de Westminster et qui n’avait pas
produit moins de cent quarante cartons signés des meilleurs artistes du temps. Ce tournoi
esthétique est une date dans l’histoire des arts en Angleterre, parce qu’il fit surgir de la
foule des chefs encore inconnus. Un jeune artiste formé sans maître, Watts, venait de s’y
révéler. Madox Brown y avait envoyé cinq grandes compositions. La principale était un
épisode de la conquête normande : Le Corps d’Harold apporté à Guillaume le Conquérant.
C’étaient là ses premiers essais dans une voie nouvelle. C’était sa protestation contre les
vieilles méthodes et l’art officiel. Mais aucun écho n’y avait répondu. L’échec était tel, le
mépris public si évident, que, le jour où le jeune maître reçut une lettre signée d’un nom
italien : Dante Gabriel Rossetti, dans laquelle celui-ci demandait avec force éloges de
devenir son élève, il ne fit pas de doute pour lui que l’inconnu se moquait de lui. Quelques
c.rollandRectangle
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John William Waterhouse,La Dame de Shalott, 1888.Huile sur toile, 153 x 200 cm.Tate Britain, Londres.