11
DWMJ. SUGU~C Le 12 janvier 1982, le premier ministre du Canada dkvoilait une importante rkorganisation ministkrielle en vue de permettre au gouvernement d’aider encore davantage les Canadiens, dans cliaque rkgion du pays, A tirer meil- leur parti des possibilitks d’emploi et de dkveloppement kconomiquel. On a ainsi assist6 h la rkorganisation, de haut en bas, de certains ministkres A vocation dconomiqne, cle m&me qu‘A la modification du processus dkcision- nel du cabinet. Cette rdorganisation avait pour but premier d’assurer que Ic cabinet et l’administration centrale soient mieux en mesure d’incorporer la dimcnsion rkgionale dans l’klaboration des politiques nationales. En annonpnt sa nonvelle rkorganisation ministdrielle, Trudeau fit remar- quer qu’il s’agissait la de In premikre &ape vers I’implantation des stratkgies Cconomiques kbauchkes dans Ic document d’orientation que le gouverne- ment avait dkposk quclques mois auparavant2. I1 ktait soutenu dans ce document que l’kquilibrc regional ktait en train de changer par suite de l’essor dc l’Ouest, dc: I’optimisme de l’Est et d e la mollesse sans prkckdent du Centre. I1 y ktait kgalement nvanck quc l’on pouvait maintenant trouver dans “toutes” lcs regions du pays autant de possibilit6s que de problkmes kconomiques. Ces opinions n’ktaient pas sans fondement si I’on considkre les perspectivcs kconomiques associkes aux mkgaprojets de mise en valeur des ressources naturelles dnns les provinces de 1’Est et de I’Ouest et le ra- justement industriel rendu nkcessaire dans les provinces du Centre par suite de l’accroissement de la concurrence internationale. C’cst ainsi qu’on en est venu h conclure qu’il fallait intkgrer une optique rkgionale dans les politiques nationales. Mais il y a kgalement d’autres facteurs qui ont conduit h la rkorganisation du gouvernement:i. On a vouIu se dkbarrasser d’un ministkre (le MEER) L’aiiteur est directeur gkni.ral, Institut canadien de recherche sur 1e d6veloppement rt.giona1, Universite de Moncton. 1 Ottawa, Cabinet dri Premier ministre, “Rkorgmisation en vne du dhveloppement hconomique”, comniiiniqiii. publib le 12 janvier 1982. 2 Ottawa, Ministkre des Finances, Le ddueloppement e‘conomique du Canada duns les unne‘es 1980, novembre 1981. 3 Voir, par exeniplc, 11.J. Snvoic, “The Toppling of DREE and Prospects for Regional Economic Development”, AnaZ?yse de politiques, vol. X, n* 3. NOTE DE RECHERCHE Implantationd’une nouvelle organisation en matiere de developpement economique C:ANADIAN PUBLIC AI)MINISTHATION / ADMINISTRATION I’UBLIQUl? DU CANADA VOLUME 28, NO. 4 (WINTER/IIIVER 1985 ), PP. 606-16.

Implantation d'une nouvelle organisation en matière de développement économique

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DWMJ. SUGU~C

Le 12 janvier 1982, le premier ministre du Canada dkvoilait une importante rkorganisation ministkrielle en vue de permettre au gouvernement d’aider encore davantage les Canadiens, dans cliaque rkgion du pays, A tirer meil- leur parti des possibilitks d’emploi et de dkveloppement kconomiquel. On a ainsi assist6 h la rkorganisation, de haut en bas, de certains ministkres A vocation dconomiqne, cle m&me qu‘A la modification du processus dkcision- nel du cabinet. Cette rdorganisation avait pour but premier d’assurer que Ic cabinet et l’administration centrale soient mieux en mesure d’incorporer la dimcnsion rkgionale dans l’klaboration des politiques nationales.

En annonpnt sa nonvelle rkorganisation ministdrielle, Trudeau fit remar- quer qu’il s’agissait la de In premikre &ape vers I’implantation des stratkgies Cconomiques kbauchkes dans Ic document d’orientation que le gouverne- ment avait dkposk quclques mois auparavant2. I1 ktait soutenu dans ce document que l’kquilibrc regional ktait en train de changer par suite de l’essor dc l’Ouest, dc: I’optimisme de l’Est et de la mollesse sans prkckdent du Centre. I1 y ktait kgalement nvanck quc l’on pouvait maintenant trouver dans “toutes” lcs regions du pays autant de possibilit6s que de problkmes kconomiques. Ces opinions n’ktaient pas sans fondement si I’on considkre les perspectivcs kconomiques associkes aux mkgaprojets de mise en valeur des ressources naturelles dnns les provinces de 1’Est et de I’Ouest et le ra- justement industriel rendu nkcessaire dans les provinces du Centre par suite de l’accroissement de la concurrence internationale. C’cst ainsi qu’on en est venu h conclure qu’il fallait intkgrer une optique rkgionale dans les politiques nationales.

Mais il y a kgalement d’autres facteurs qui ont conduit h la rkorganisation du gouvernement:i. On a vouIu se dkbarrasser d’un ministkre (le MEER)

L’aiiteur est directeur gkni.ral, Institut canadien de recherche sur 1e d6veloppement rt.giona1, Universite de Moncton. 1 Ottawa, Cabinet dri Premier ministre, “Rkorgmisation en vne d u dhveloppement hconomique”, comniiiniqiii. publib le 12 janvier 1982. 2 Ottawa, Ministkre des Finances, Le ddueloppement e‘conomique du Canada duns les unne‘es 1980, novembre 1981. 3 Voir, par exeniplc, 11.J. Snvoic, “The Toppling of DREE and Prospects for Regional Economic Development”, AnaZ?yse de politiques, vol. X, n* 3.

NOTE DE RECHERCHE

Implantation d’une nouvelle organisation en matiere de developpement economique

C:ANADIAN PUBLIC AI)MINISTHATION / ADMINISTRATION I’UBLIQUl? DU CANADA VOLUME 28, NO. 4 (WINTER/IIIVER 1985 ), PP. 606-16.

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qui h i t parvenu, au fil des annkes, B crker dktroits liens de travail avec les gouvernements provinciaux. Par le biais dententes fkdkrales-provinciales de partage des coiits, le MEER a pu transfkrer des fonds considkrables aux provinces afin de leur permettre de rkaliser des projets, tr& en vue, dans le domaine du dkveloppement Cconomique. Or, notant qu’Ottawa n’ob- tenait pas tout le crkdit qui lui ktait dii pour ces dkpenses, les ministres fkdkraux se sont mis B critiquer ouvertement les programmes du MEER.

(I1 ne faut pas oublier que les affrontements entre le gouvernement fkdkral et les provinces Ctaient frkquents durant la pkriode qui a prkckdk la rkor- ganisation ministkrielle.) Le gouvernement fkdCral avait dkjA pris position sur des questions importantes d’intkr&t fkdkral-provincial, notamment en ce qui concerne Ia rkforme constitutionnelle et la politique knergktique. De plus, sur les dix gouvernements provinciaux klus, aucun ne se rkclamait de la m&me idkologie politique que le parti au pouvoir, A Ottawa.

C’est a I’ancien ministre de YExpansion kconomique rkgionale, Pierre De Bank, que Yon doit davoir dkclenchk le processus ayant conduit A la rkorganisation. En effet, peu aprBs sa nomination A la tBte du MEER, il a kcrit au Premier ministre afin de lui demander de rkviser le mandat de son ministAre, soutenant que celui-ci etait trop limitatif pour permettre au gouvernement fkdkral de s’attaquer avec vigueur aux problkmes de dkve- loppement kconomique rkgiona14. Bien qu’il ne l’ait pas dit spkcifiquement dans sa lettre, il a supposk que le Premier ministre allait le charger, lui, de ladite rkvision.

Or, il n’en a pas ktk ainsi. Le Premier ministre a prkfkre confier la tfiche B ses fonctionnaires du Bureau du Conseil privk ( BCP) . MBme si quelques hauts fonctionnaires de Yextkrieur ont kgalement ktk choisis pour y travail- ler, il ktait kvident que la rkvision alIait Btre menke par le BCP. D’ailleurs, c’est de lui que relBvent traditionnellement toutes les questions touchant aux mandats ministkriels. La raison en est bien simple. La dkfinition des mandats ministkriels doit demeurer le privilkge du Premier ministre. I1 ap- partient B lui seul, et non au cabinet, de dkcider de ce que tel ministre aura le pouvoir de faire. Souvent les mandats se chevauchent et Yon voit alors les ministres et leurs ministBres manoeuvrer les uns contre les autres en vue d’amkliorer leur position et leur sphBre d’influence. Mais, en dernikre analyse, seul le Premier ministre peut rksoudre les conflits de compktences au sein du cabinet. C’est pour &tre toujours B mBme de rksoudre ou de prkvenir ces conflits que le Premier ministre conserve le droit exclusif de dkfinir les mandats ministkriels.

La rkvision du mandat du MEER a dkbutk immkdiatement aprks que De Bank en eut fait la demande, soit B la fin de 1980; elle a ktk terminke peu avant le dkvoilement de la nouvelle organisation. Comme nous l’avons

4 le 13 janvier 1982, p. 13.

Voir “De Bangs Future Appears Bright Despite New Post”, The Gazette, Montrdal,

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dkjh dit, la revision a ktk menhe par un groupe select de fonctionnaires, et trks peu de personnes de I’extBrieur ont Btk tenues au courant des pro- grks rBalisBs ou des options considkrkes, rejetkes ou retenues. Chose cer- taine, on s’est bien gardk de consulter ou de renseigner les principaux inthressks : le MEER et le ministkre de I’Industrie et du Commerce (IB~c).

Bien entendu, la nouvelle s’est rkpandue B Ottawa wmme quoi le BCP

avait entrepris la revision en profondeur du mandat des ministkres clks charges du dkveloppement kconomique. De Bank, quant h lui, n’a pas fait mystkre du fait qu’il avait hi-meme demand6 au Premier ministre de revoir le mandat de son ministbre. Comme c’est habituellement le cas dans de telles situations, les rumeurs se sont multiplikes de semaine en semaine sur I’abolition de ministkres existants et la crkation de nouveaux ministkres. Mais les rumeurs en sont restkes au point mort, car les responsables de la revision ont su garder le silence sur leurs travaux et trks peu de renseigne- ments “fiables” ont ktk communiquks h I’exterieur. En rBponse aux ques- tions sur les raisons du silence et du nombre restreint des personnes char- gkes de la rBvision, un porte-parole du groupe expliqua que s’il y avait eu consultation extkrieure, rien n’aurait 6th accompli5. Le problkme, dit-il, vient de ce que les reprksentants des ministbres organiques ont invariable- ment des intBr&ts h proteger et ne peuvent faire autrement que de s’opposer h toute rBforme, sauf si elle est h leur avantage. Puisqu’il est impossible de renforcer le mandat de tous les ministkres visBs, il est prkfkrable de travailler en petit comitk et sans faire de bruit.

En fin de compte, le groupe de travail a trks bien rkussi h garder le secret. Peu de fonctionnaires du MEER ou de 1’1ac ont su en quoi wnsistait la nouvelle organisation avant le week-end prkcedant l’annonce faite par le premier ministre. Les ministres, par contre, en ont eu connaissance seule- ment aprks I’annonce officiellea. Pour ce qui est des ministres directement touch& par la rkorganisation, ils n’ont 6th avisBs par le Premier ministre que peu de jours h l’avance. C‘ktait lh, pour le Premier ministre, davantage une occasion d’expliquer les nouvelles fonctions des ministres visks par le remaniement prochain qu’une occasion de discuter des nouvelles orienta- tions en matikre de dhveloppement rBgiona1. A part le Premier ministre, il n’y avait donc qu’une petite poignBe de fonctionnaires privilkgiks qui savaient h quoi s’en tenir.

La nouvelle organisation Un des klkments clhs de la rkorganisation du gouvernement Btait la crBa- tion d’un nouvel organisme central, le departement d’Etat au DBveloppe- ment kconomique et rBgional (DEDER). Ce nouvel organisme a 6th crBB h partir du departement d’Etat au DBveloppement Bconomique (DEDE), 5 6

Entretien avec un fonctionnaire du Bureau du ConseiI privb. Entretiens avec d‘anciens ministres fbdkraux.

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qui existait dkjh et auquel on a tout simplement “ajout6” quelques fonc- tions, soit l’klaboration et la coordination dune politique dexpansion r6- gionale. Le DEDE avait 6tk ktabli A la fin de 1978 afin de coordonner et de diriger la politique de dkveloppement kconomique du gouvernement fkdk- ral, de m6mc que pour gkrer l’enveloppe du dkveloppement kconomique7.

Le DEDER devait dksormais veiller A ce que la priorit6 soit accord6e aux considkrations dordre rkgional dans toutes les dkcisions kconomiques prises par le cabinet. Pour bien s’acquitter de ce inandat supplbmentaire, le nouvel organisme a ktk amenk B dkcentraliser une partie de ses opkra- tions. Des bureaux dotks dc huit A douze annkes-personnes ont donc ktk ktablis dans chaque province sous la direction d’un cadre supkrieur, appelk “coordonnateur fkdkral du dkveloppement kconomique” (CFDE). Ce der- nier avait pour r81e de conseiller le cabinet, de coordonner les activit6s du gouvernement fkdkral dans In rkgion, de promouvoir la collaboration avec le gouvernement provincial, le5 travailleurs, le secteur privk et les groupes de dkveloppement kconomique, d’assurer la diffusion, sur le terrain, de l’information sur la politique fkdkrale de dkveloppement kconomique et rkgional et de travailler en collaboration avec les autres ministkres f6d6- raux8.

Le CFDE devait jouer un r81e qui 6tait perqu comme dkterminant pour la nouvelle organisation. Plus prkciskment, on lui demandait d’informer les fonctionnaires fkdkraux, qui ktaient en poste sur le terrain, des activitks et des dkcisions du Comitk ministkriel du dkveloppement kconomique et rkgional. On lui demandait kgalement dassurer une prksence fkdkrale, coor- donnke, dans chaque rkgion, notamment en prksidant un comitb rkgional des ministkres du dkveloppement kconomique.

Avec l’aide de ce comitk et de son propre personnel, le CFDE devait klaborer un plan de dkveloppement kconomique pour sa province. Ce plan devait, A son tour, servir de fondement aux nkgociations fkd6rales-provin- ciales sur le d6veloppement dconomique, tout en aidant A sensibiliser les minist&res et les organismes fkdkraux la situation kconomique des pro- vinces.

En annonqant la rkorganisation de son gouvernement, le premier minis- tre a soulignk l’importance, pour tous les ministkres fkdkraux, de jouer iin r8le plus actif en mati6re de dkveloppement rkgional. Ce thkme a ktk repris maintes et maintes fois par le ministre responsable du DEDER, le sknateur Bud Olson. Par exemple, lorsqu’il a annonce la nomination du CFDE pour l’Ile-du-Prince-fi:douard, Olson a dkclark que le Comit6 minis-

7 Voir, entre autres, Ronald W. Ciowley, “A New Power Focus in Ottawa: The Min- istry of State for Economic and Regional Development”, Optimtrm, Ottawa, vol. 13, no 2, pp. 5-16. 8 Ottawa, D8paI tenient d’Btat nu DCveloppement Cconomique et rCgiona1, “Contacts in Federal Econoniic and Regional Development Departments”, janvier 1984, p. 2.

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tkriel du dkveloppement kconomique et rkgional avait entrepris la rkvision de tous les programmes de dhveloppement kconomique existants afin de dkterminer s’ils pouvaient &tre davantage orientks vers les objectifs r 6 gionaux9.

Le DEDER a ktk dBcrit par Ottawa comme un “organisme central dhcentra- lis6”, surtout en raison du r81e attribuC au CFDE. On a supposk qu’ktant dkcentralisk, le DEDER allait &re bien placC pour fournir au cabinet une base de donnkes rkgionales grandement amklior6e grice B la prCsence, dans les rkgions, de services fkdkraux sectoriels ou B la rkalisation, sur place, de recherches et d’analyses commandbes par le DEDER.

Bien que dkcentralisk, le DEDER allait toutefois conserver pour base principale la capitale nationale. Ses effectifs, qui avaient 6t6 fix& B un peu plus de 100 annkes-personnes en 1978, allaient passer B pr& de 300, dont 100 devaient &tre affectkes aux nouveaux bureaux r6gionaux. Cela corres- pondait donc A la rkpartition des effectifs, dans un rapport de deux B un, entre l’administration centrale et les rkgions.

Cette forte augmentation des effectifs ktait justifike, a-t-on soutenu, parce qu’il fallait s’assurer que la “dimension rkgionale” soit incorporke dans le processus dkcisionnel du gouvernement fkdkral. Mais, pour cela, le DEDER avait besoin dun rkseau d’information amkliork sur les questions rkgionales. Un nouveau poste a ktk crkk, celui de secretaire associk, ou de sous-ministre adjoint. C’est autour de ce nouveau poste que le rkseau d’information rkgionale allait &tre mis sur pied, y compris les bureaux rkgionaux.

La rkorganisation du gouvernement comprenait kgalement l’ktablisse- ment d’un nouveau ministilre organique : le ministkre de l’Expansion in- dustrielle rkgionale (MEIR). Celui-ci a ktk form6 essentiellement par l’amal- gamation des programmes de dkveloppement rkgional du MEER et des 618- ments industrie, petite entreprise et tourisme de 1’1src. L’klkment commerce de 1’1kc a Ctk transfkrk au ministilre des Affaires extkrieureslO.

En fusionnant le MEER et 1’1&c, on espkrait allier les caractkristiques les plus positives des deux, B savoir l’organisation dkcentraliske et sensi- biliske au dkveloppement rkgional du premier et la capacitk centraliske et efficace de recueillir de l’information industrielle et dentretenir des rela- tions avec l’industrie et le gouvernement du second. Bref, le MEIR n’allait pas &tre aussi dkcentralisk que l’ktait le MEER, ni aussi centralisk que l’ktait l’rsrc. Le MEIR devait mettre ses programmes B exkcution par l’intermkdiaire de bureaux provinciaux et sous-provinciaux. Ces derniers sont devenus les principaux points de contact pour tout nouveau client intkressk & obtenir de I’aide en vertu des programmes du MEIR.

9 10 Cconomique”, communiqui. publik le 12 janvier 1982.

Ottawa, DCpartement d’ktat au dkveloppement Cconomique et rkgional, op. cit. Ottawa, Cabinet du Premier ministre, “RCorganisation en vue du dkveloppement

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Structurellement, les bureaux provinciaux du MEIR sont dirig6s par des cadres supkrieurs qui relevent directement de I’administration centrale, A Ottawa. 11s sont habilitks B mettre des programmes en place et dot& dune section d’analyse kconomique, d u n e section de dkveloppement dont la thche principle consiste A repkrer de nouvelles possibilitks de dkveloppe- ment B l’6chelle locale, d’une section dinformation publique et d u n e sec- tion d‘administration.

La “liquidation” du departement d’Etat au Developpement economique et regional

Environ deux ans apr&s avoir dkvoilk sa nouvelle stratkgie de dkveloppe- ment kconomique. Trudeau donne sa dkmission en tant que Premier minis- tre. John Turner lui succkde et annonce, en prksentant son cabinet, que l’un de ses principaux objectifs est d’allkger le gouvernement fkdkral qui, insiste-t-il, est devenu “trop lourd, trop complexe, trop lent et trop co& teux”’l.

Plusieurs mesures sont alors prises pour simplifier le processus dkcision- nel du cabinet. Pour commencer, le nombre des comitks ministkriels tombe de 13 B 10 et le nombre des ministres, de 36 B 29. Puis, deux organismes centraux, le dkpartement d ’ h t au Dkveloppement social et le dkparte- ment d’gtat au Dkveloppement kconomique et rkgional, sont liquid&.

Turner envoie kgalement les CFDE, nommks lors de la creation du DEDER, au ministkre de 1’Expansion industrielle rkgionale. I1 crke ensuite un nou- veau bureau au sein du MEIR, le Bureau de dkveloppement rkgional, puis nomme un ministre d’Etat au dkveloppement rkgional, lequel releve A toutes fins pratiques du ministre de 1’Expansion industrielle rbgionale et fonctionne sous l’kgide du portefeuille du MEIR.

Peu aprks son investiture en tant que Premier ministre, Turner d6crkte la tenue d’klections genbrales, qu‘il perd de faqon dkcisive aux mains du Parti Progressiste Conservateur dirigk par Brian Mulroney. Dans son cabi- net, ce dernier ne nomme personne responsable du dkveloppement rkgio- nal, abandonnant ainsi la notion de ministre d‘etat au dkveloppement rb- gional, laquclle venait tout juste d’6tre introduite par Turner. Aucun autre changement n’est apportk par Mulroney, qui ne juge pas utile de restaurer le DEDER.

Une evaluation de la nouvelle organisation

On se souviendra que Trudeau avait rkorganisk soil gouvernement en vue d’assurer que le dkveloppement rkgional soit pris en consid6ration dans

11 “Trudeau - Pitfield Bureaucracy First Item on Turner’s Overhaul”, The Globe and Mail, Toronto, le 2 juillet 1984, p. 5.

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I’klaboration des politiques et la prise des dCcisions, B Ottawa, Cette r6or- ganisation avait Bgalement pour but d’amalgamer la promotion du com- merce et les relations extkrieures, au gouvernement fkdkral. Toutefois, ktant donne que, dans sa confkrence de presse, le Premier ministre n’a pas autant insistk sur ce dernier objectif que sur le dhveloppement rkgional, nous ne nous y attarderons pas davantage ici.

Peu apr& le devoilement de la nouvelle organisation, deux documents ont ktk publiks, l’un soutenant que la rkorganisation allait &re bien loin des attentes et l’autre qu’elle allait permettre de sensibiliser Ottawa B la situation kconomique des rkgions12. Aujourdhui, quelque trois ans plus tard, nous sommes un peu mieux plac6s pour dkterminer si les objectifs visCs ont Btk atteints.

Mais comment faire pour savoir si la nouvelle organisation a permis d’at- teindre les objectifs visks? I1 faut commencer par se demander si le cabinet et ses comitCs ont rkussi B faire plus que contrbler et coordonner les minis- titres organiques. On a vu que la rdorganisation du gouvernement visait B permettre, par le biais d’un organisme central, I’klaboration de politiques et de programmes destinks B favoriser le dkveloppement kconomique rk- gional. I1 faut kgalement jeter un coup d’oeil sur les programmes perma- nents en place pour voir s’ils ont 6th rkvisks en fonction des objectifs vids. Enfin, iI faut consulter les dkcideurs afin de dkterminer s’ils ont constatk une amklioration dam l’information et les conseils fournis par les fonction- naires.

AU dkbut, la rkorganisation s’est heurtke A une certaine opposition et A un certain cynisme de la part des reprhsentants de plusieurs ministkres organiques, en particulier dans les trois ministitres touches, dont le MEER

et l’mc. La rkorganisation Btait perSue comme donnant le droit aux diri- geants d u n organisme central de bricoler avec les rouages du gouverne- ment. On les trouvait trop idkalistes, trop enclins B klaborer des projets grandioses qui paraissent excellents sur papier, mais qui sont difficiles B rkaliser dans la pratique. 11 est B remarquer que, dans l’ensemble, les res- ponsables de la nouvelle organisation ont jouh un rble de surveillance tout au long de l’implantation. En fait, celle-ci a htk confiBe aux ministhes d & le ditvoilement de la nouvelle organisation.

En outre, les fonctionnaires du MEER et de 1’1src sentaient une menace peser sur leurs projets de carrikre et, dans de nombreux cas, sur leurs postes. En effet, plusieurs mois apr&s l’annonce, on ne savait trop si des bureaux

12 Donald Savoie, “The Toppling of DREE and Prospects for Regional Economic Development”. Voir aussi Peter Aucoin et Herman Bakvis, “Organizational Differentia- tion and Integration: The Case of Regional Economic Development Policy in Canada”, article prksenti. i I’assemblCe annuelle de I’Association canadienne de Science politique, juin 1983.

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rkgionaux allaient fermer, si certains postes 8 Ottawa allaient &tre dkclarks redondants et si les dernikres retouches organisationnelles allaient durer encore longtemps.

Une skrie de groupes de travail ministkriels ont ktk formks, au sein du DEDER et du MEIR, afin de surveiller 1’6laboration et la rkalisation de nou- veaux programmes et de mettre en place le systkme administratif requis. Les membres de ces groupes de travail disent maintenant avoir r e p trks peu dappui des organismes centraux, que ce soit sous forme de me- sures destinkes B kliminer les lenteurs administratives ou sous forme didkes originales visant 8 faire en sorte que qa marche’“.

Pour ce qui est de l’objectif gknkral visk, il faut admettre que la nouvelle organisation n’a pas vraiment eu deffet sur les programmes permanents du gouvernement. Malgrk les exhortations du premier ministre, les minis- tkres organiques n’ont pas nkcessairement vu le mkrite qu’il y avait 8 modifier leurs programmes en faveur du dkveloppement rkgional. En fait, il vient tout juste d&tre rkv61k que les hauts fonctionnaires de certains grands ministkres ont affect6 du personnel B la “protection” de leur base “ A ( c’est- 8-dire, les crkdits budgktaires affectks aux programmes perma- nents) contre toute rkvision kventuelle par le D E D E R ~ ~ . Pour sa part, et contrairement B ce qu’en a dit le ministre d’ptat au dkveloppement kcono- mique rkgional, le DEDER n’a jamais entrepris la rkvision en profondeur des programmes des ministkres afin de voir s’ils ktaient conformes aux objectifs visks. Avant la reorganisation, le DEDER Ctait un organisme cen- tral qui avait pour mandat 1’6laboration dune “politique Cconomique nationale”. Or, durant sa courte existence, le DEDER ne semble pas avoir rkussi 8 abandonner son optique “nationale” pour adopter une perspective plus “r6gionale”. Ceci ne devrait surprendre personne. Dans leur ktude de la mise en oeuvre des politiques et des programmes, Pressman et Wil- davsky expliquent que les anciens modes de comportement sont souvent rationalisks rktrospectivement de manikre 8 correspondre aux nouveaux objectifs; c’est 18 la nature m6me de l’administration15.

Par ailleurs, la plupart des ministkres fkdkraux n’ktaient pas pr&ts pour la reorganisation. I1 ne faut pas oublier que les ministkres sont, pour la plupart, des organisations traditionnelles, hautement centraliskes et habitukes B dkfinir leurs politiques et leurs programmes en termes sectoriels. Ils voyaient peu davantages B les dkfinir soudainement en termes rkgionaux.

13 Entretiens avec des fonctionnaires fCd6raux. 14 Peter Aucoin et Herman Bakvis, “Regional Responsiveness and the Organization of the Government of Canada”, article present6 i la Commission royale sur I’union Ccono- iiiique et les perspectives de d6veloppement du Canada, p. 70. 15 Jeffrey L. Pussnian et Aaron Wildavsky, Implementation ..., Berkeley, University of California Press, 1973.

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Daprks eux, le Premier ministre avait exprimk, hardiment, une intention, sans avoir fait grand travail prkparatoire avant ou aprbs son annonce pour expliquer comment la nouvelle approche serait mise en pratique.

Quant aux CFDE, ils ont Ptabli des bureaux dans les dix provinces et pris un certain nombre d'initiatives. Par exemple, ils ont prkparC des documents sur les perspectives rkgionales et conch une skrie dententes fkdkrales- provinciales pour le financement de projets de dkveloppement kcono- miquelO.

Toutefois, ils ont aussi kprouvk certaines difficultks. Par exemple, le systkme ktait tel que chaque CFDE devait dkfinir, par lui-mCme, son man- dat et ses objectifs. Rksultat : les bureaux rkgionaux ont tous pris une orientation diffkrente, certains devenant ni plus ni moins que des bureaux de relations fkdkrales-provinciales sur le terrain, tandis que dautres ont audacieusement Ctendu leur r81e h diverses activitks se~toriellesl~.

Dans l'ensemble, il ne fait pas de doute que les bureaux rkgionaux des ministbres organiques ne savaient trop comment rkagir face B la rkorgani- sation. Dans bien des cas, le personnel affect6 sur le terrain est B un niveau relativement subalterne et peu au fait du processus dkcisionnel dOttawa. Quant au personnel d u n niveau supkrieur, il tend B avoir une orientation technique et, par conskquent, peu dintkr6t pour l'klaboration de politiques. I1 n'est donc pas ktonnant que le personnel des ministbres organiques n'ait pas compris B quoi rimaient les efforts des CFDE'~.

M6me les CFDE admettent que leurs efforts ont eu trks peu dimpact sur l'aff ectation des crkdits budgktaires rCservCs aux programmes permanents des ministbres organiques. Dans certains cas, par exemple, l'administration centrale recommandait h son personnel rkgional de ne pas trop collaborer nvec les C F D E ~ ~ . Elle craignait que, sous l'influence de ces derniers, son personnel rCgional ne devienne trop autonome et ne rkclame la trop grande rkgionalisation de ses programmes nationaux. I1 va sans dire que ces crain- tes btaient sans fondement puisque les decisions relatives aux politiques, aux programmes et aux budgets des ministitres sont prises B Ottawa et non sur le terrain. M&me si les fonctionnaires fkdkraux locaux avaient voulu modifier les programmes existants, ils n'en avaient tout simplement pas le pouvoir. Aucun effort n'a donc ktk fait pour aider les CFDE B dkcentraliser encore davantage les opkrations et les pouvoirs dkcisionnels des ministkres organiques fkdkraux.

On se souviendra qu'un nouveau poste, celui de secrktaire associk, avait ktk crkk au DEDER pour surveiller l'implantation de la rhorganisation. Le titulaire ne l'a occupk q u e quelques mois avant dCtre mutk B un autre

16 17 18 Ibid. 19 Ibid.

Entretiens avec danciens fonctionnaires du DEDER.

Voir Aucoin et Bakvis, pp. 45-79.

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UNE NOUVELLE ORGANISATION EN M A T I ~ R E DE D~VELOPPEMENT ECONOMIQUE

ministhe, et le poste est demeurk vacant pendant prits d u n an. Durant ce temps, les CFDE ont signal6 avoir eu du ma1 B communiquer avec la haute direction du DEDER, B Ottawa, Ceci a kgalement rendu difficile la rkvision des programmes permanents des ministkres, ainsi que l’klaboration et l’orientation des nouveaux programmes fkdkraux.

Par contre, les dkcideurs et, en particulier, les ministres ont exprimk leur satisfaction B l’kgard du nouveau systAme. Selon eux, ils Btaient mieux renseignks et plus A mkme de juger les programmes soumis A l’approbation du cabinet’O. I1 s’agissait la, toutefois, des programmes fkdkraux-provin- ciaux de dkveloppement kconomique. A l’kpoque du MEER, les ministres ne cessaient de dkplorer le fait que des programmes ktaient klaborks et des ententes conclues avec les provinces avant m&me que le cabinet n’en soit saisi. Pour leur part, les CFDE se faisaient un devoir de consulter les ministres (notamment ceux de leur province) dbs le dkbut de l’daboration des programmes de sorte que, lorsque des ententes ktaient soumises au cabinet, plusieurs ministres ktaient dkjB au courant de la situation. Mais cela ne s’applique qu’aux “nouveaux” programmes fkdkraux-provinciaux. Les ministres ne disent pas avoir ktk mieux renseignks ou conseillks sur les programmes fkdkraux, existants ou nouveaux.

11 est un ministkre qui semble avoir atteint les objectifs visks par la rkorganisation : le MEIR. En effet, celui-ci a mis sur pied un important programme de dkveloppement r6gional et industriel, qu’il a dkcentralisk dans les diffkrentes rkgions du pays. Par rapport aux programmes qu’il a remplacks, ce programme a suscitk un trks grand intkr&t de la part des in- vestisseurs, de m&me qu’un trks grand nombre de demandes de subven- tions21. Du point de vue organisationnel, il y a eu amalgamation, bien qu’aprbs un dklai de plusieurs mois, danciens bureaux et crkation de nou- veaux bureaux sans occasionner trop de difficult& ni trop de d6mknage- ments aux anciens employks du MEER et de ~’I&c.

Donc, pour rksumer, il est possible de conclure que l’implantation de la rkorganisation a kchouk B trois niveaux : celui des comitks ministkriels, celui du r61e du nouvel organisme central et celui de la rkvision des poli- tiques et des programmes existants. Comme on l’a vu, il y a plusieurs raisons pour lesquelles les objectifs vis& n’ont jamais ktk atteints. On peut sQrement ajouter B cela le manque de temps que la nouvelle organisation a eu pour dkmontrer qu’elle pouvait fonctionner, puisque deux ans seule- ment apr& sa mise en place, elle a ktk liquidke par un nouveau Premier ministre. Celui-ci a agi en ne tenant aucun compte des raisons qui avaient

20 Entretiens avec deux anciens ministres fkdkraux. 21 Entretiens avec des fonctionnaires rkgionaux du MEIR. Voir Ottawa, Ministere de I’Expansion industrielle rkgionale, Rapport annuel du programme de de‘veloppement industriel et r6gional 1983-1984. Voir aussi le rapport sur les offres nettes de subven- tions au dkveloppement rkgional acceptkes entre le ler juillet 1969 et le 31 mars 1981.

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DONALD J. SAVOIE

conduit Q la rkorganisation du gouvernement. Sa principale prkoccupation ktait que le gouvernement ktait devenu “trop lent et trop lourd .

Et pourtant, ce que Trudeau avait essentiellement voulu faire en crkant un nouvel organisme central, c’ktait de changer les attitudes et les prioritks qui, depuis longtemps, prksident ri l’klabaration des politiques et des pro- grammes du gouvernement fkdkral. Comme chacun le sait, il est tr&s diffi- cile et gknkralement trits long dopkrer des changements dans de grandes bureaucraties. Or, le temps est justement ce qui a fait d6faut A la nouvelle organisation.

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