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La Revue de médecine interne 32S (2011) S213–S215 Disponible en ligne sur www.sciencedirect.com Infections respiratoires et voyages Respiratory tract infections and travels S. Ansart a,b,c,d,a Service des maladies infectieuses, CHRU de Brest, 29200 Brest, France b Inserm UMR 650, 29200 Brest, France c Faculté de médecine et des sciences de la santé, université de Brest, 29200 Brest, France d Service des maladies infectieuses, CHRU Cavale-Blanche, boulevard Tanguy-Prigent, 29609 Brest cedex, France info article Historique de l’article : Disponible sur Internet le 10 novembre 2011 Mots clés : Pneumopathies Infections respiratoires Voyages Voyageurs Fièvre Keywords: Pneumonia Respiratory tract infections Travels Travelers Fever 1. Objectifs pédagogiques Les objectifs pédagogiques sont : connaître les principales causes d’infections respiratoires au retour de voyage ; sensibiliser les praticiens à l’intérêt des mesures de prévention vaccinale chez les voyageurs. Le pourcentage de voyageurs présentant un problème de santé lié au voyage varie de 15 % à 64 %, selon les études, les conditions de séjour et la destination [1]. Les infections respiratoires consti- tuent une cause fréquente de morbidité du voyageur. Le spectre étiologique, dominé par les infections cosmopolites, est extrême- ment large, imposant la connaissance des risques épidémiques en fonction des zones visitées. À cet égard, le voyageur constitue une Auteur correspondant. Adresse e-mail : [email protected] véritable sentinelle épidémiologique [2], révélateur de pathologies épidémiques comme en atteste l’émergence du SARS en Chine en 2002–2003, ou, fin mars 2009, d’une nouvelle souche virale A/H1N1 au Mexique [3]. Certaines étiologies sont potentiellement graves. La morbidité des affections respiratoires est difficile à évaluer pendant le voyage. Ainsi, dans une étude évaluant les motifs de consultations dans deux cohortes de voyageurs franc ¸ ais (respecti- vement 860 et 276 touristes) au Népal à 17 ans d’intervalle (1984 ; 2001), les affections du tractus respiratoire bas étaient plus fré- quentes en 2001 qu’en 1984 (11,6 % versus 5,7 % ; p = 0,001). Les pneumopathies représentaient 0,5 % des motifs de consultation en 1984 contre 2,5 % en 2001, alors que le pourcentage d’infections ORL chutait de 11,9 % à 5,8 % entre les deux périodes [4]. Cette morbidité est mieux identifiée au retour de voyage. En effet, les infections respiratoires représentent de 7,7 % à 11,5 % des motifs de consultations au retour, constituant la deuxième ou la troisième place des motifs de recours aux soins [5–7]. La prévalence en est encore plus élevée dans certaines catégories de voyageurs, en particulier celle des voyageurs fébriles au retour (où cette pré- valence varie de 15 à 24 %) [6,8]. 0248-8663/$ – see front matter © 2011 Publi ´ e par Elsevier Masson SAS pour la Société nationale française de médecine interne (SNFMI). doi:10.1016/j.revmed.2011.09.006

Infections respiratoires et voyages

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La Revue de médecine interne 32S (2011) S213–S215

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Service des maladies infectieuses, CHRU de Brest, 29200 Brest, FranceInserm UMR 650, 29200 Brest, FranceFaculté de médecine et des sciences de la santé, université de Brest, 29200 Brest, FranceService des maladies infectieuses, CHRU Cavale-Blanche, boulevard Tanguy-Prigent, 29609 Brest cedex, France

n f o a r t i c l e

istorique de l’article :isponible sur Internet le 10 novembre011

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. Objectifs pédagogiques

Les objectifs pédagogiques sont :

connaître les principales causes d’infections respiratoires auretour de voyage ;sensibiliser les praticiens à l’intérêt des mesures de préventionvaccinale chez les voyageurs.

Le pourcentage de voyageurs présentant un problème de santéié au voyage varie de 15 % à 64 %, selon les études, les conditions

e séjour et la destination [1]. Les infections respiratoires consti-uent une cause fréquente de morbidité du voyageur. Le spectretiologique, dominé par les infections cosmopolites, est extrême-ent large, imposant la connaissance des risques épidémiques en

onction des zones visitées. À cet égard, le voyageur constitue une

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : [email protected]

248-8663/$ – see front matter © 2011 Publie par Elsevier Masson SAS pour la Société naoi:10.1016/j.revmed.2011.09.006

véritable sentinelle épidémiologique [2], révélateur de pathologiesépidémiques comme en atteste l’émergence du SARS en Chineen 2002–2003, ou, fin mars 2009, d’une nouvelle souche viraleA/H1N1 au Mexique [3]. Certaines étiologies sont potentiellementgraves.

La morbidité des affections respiratoires est difficile à évaluerpendant le voyage. Ainsi, dans une étude évaluant les motifs deconsultations dans deux cohortes de voyageurs francais (respecti-vement 860 et 276 touristes) au Népal à 17 ans d’intervalle (1984 ;2001), les affections du tractus respiratoire bas étaient plus fré-quentes en 2001 qu’en 1984 (11,6 % versus 5,7 % ; p = 0,001). Lespneumopathies représentaient 0,5 % des motifs de consultation en1984 contre 2,5 % en 2001, alors que le pourcentage d’infectionsORL chutait de 11,9 % à 5,8 % entre les deux périodes [4].

Cette morbidité est mieux identifiée au retour de voyage. Eneffet, les infections respiratoires représentent de 7,7 % à 11,5 % desmotifs de consultations au retour, constituant la deuxième ou la

troisième place des motifs de recours aux soins [5–7]. La prévalenceen est encore plus élevée dans certaines catégories de voyageurs,en particulier celle des voyageurs fébriles au retour (où cette pré-valence varie de 15 à 24 %) [6,8].

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. Place chez les patients fébriles au retour

Les infections respiratoires constituent une des principalesauses de fièvre au retour des tropiques. Elles représentent ainsia troisième cause de fièvre au retour après les infections gastro-ntestinales (23 %) et le paludisme (21 %) dans une étude portant sur22 voyageurs consécutifs consultant pour un problème de santéurvenu dans les trois mois suivant le retour [6]. Une infection res-iratoire haute (n = 6), une pneumopathie (n = 20), un syndromerippal (n = 10), une pneumonie à éosinophile (n = 5) étaient alorsiagnostiqués.

Dans une étude portant sur 232 voyageurs australiens fébrilesospitalisés, les infections respiratoires constituaient la secondeause de fièvre (24 %), précédées des maladies vectorielles (le palu-isme étant diagnostiqué dans 27 % des cas) [8]. Dans ce travail, les

nfections du tractus respiratoires haut (URTI) représentaient 50 %es atteintes pulmonaires, les angines et pharyngites étant diag-ostiquées dans 32 % des URTI. Les pneumopathies bactériennesotalisaient 25 % des atteintes respiratoires, avec documentation

icrobiologique dans 50 % des cas (Streptococcus pneumoniae, Sta-hylococcus aureus, Haemophilus influenza, Salmonella, Mycoplasma,eisseria meningitidis, Legionella pneumophila).

Dans une série italienne incluant 515 voyageurs dans les 18 moisuivant leur retour, 10 % (n = 51) d’entre eux décrivaient des symp-ômes respiratoires [9]. Dans ce travail, il convient de noterue la réalisation systématique d’un cliché thoracique a per-is d’identifier 13 malades avec une atteinte respiratoire (dont

uit pneumopathies), en l’absence d’autre signe clinique que laèvre. De plus, chez 24 malades présentant des signes respiratoires,ne infection autre était diagnostiquée : paludisme (n = 14), fièvreyphoïde (n = 2), autres (n = 8) [9].

. Études spécifiques

Les études spécifiques portant sur les affections respiratoiresu retour de voyage sont peu nombreuses. Dans l’expérienceu Geosentinel (21 960 voyageurs internationaux – 1997–2001),719 infections respiratoires (7,8 %) étaient diagnostiquées avecne bronchite, une pneumonie, une grippe, une légionellose, uneleurésie dans respectivement 20,3 %, 13,5 %, 5,6 %, 0,12 % et 0,81 %es cas [10] ; à noter l’existence d’un effet centre (64 % des patho-

ogies rapportées au Népal) dans ce travail [10].

. Étiologies des infections respiratoires au retour deoyage

Le spectre étiologique des infections respiratoires au retour deoyage reste dominé par les infections cosmopolites mais inclusussi des maladies tropicales parfois rares.

Ainsi, dans une série rétrospective de 17 adultes, hospitali-és à la Pitié-Salpêtrière pour une pneumopathie survenue danse mois suivant leur retour de pays tropical, quatre pneumopa-hies supposées bactériennes sans étiologie et dix pneumopathiesactériennes documentées (S. pneumoniae [n = 2], Mycoplasmaneumoniae [n = 2], L. pneumophila [n = 1], Coxiella burnetti [n = 1],eptospira sp. [n = 1], Mycobacterium tuberculosis [n = 3]) étaientiagnostiquées mais également une étiologie fongique (histo-lasmose), une parasitaire (bilharziose d’invasion) et une viraledengue) [11].

.1. Causes bactériennes

Les principales étiologies bactériennes des pneumopathies auetour de voyage ont été citées précédemment, même s’il fautouligner ici l’importance de la légionellose, notamment lors deroisières en bateau [12] et l’existence de cas de transmission

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de tuberculose, notamment lors de transports aériens [13]. Derécentes publications ont par ailleurs rapporté des cas isolés depneumopathies liées à Salmonella paratyphi A au retour d’Asie [14],ou à S. aureus sécréteur de la leucocidine de Panton Valentin aprèsun séjour en Afrique [15]. Des cas de tuberculoses multirésistantesont également été rapportés [7].

Parmi les causes bactériennes tropicales, il faut insister sur lamélioïdose (infection grave due à Burkholderia pseudomallei (bacilleà Gram négatif hydrotellurique, saprophyte de l’environnement(sol ; eaux stagnantes)) et caractérisée par la formation d’abcèsnotamment pulmonaires et hépatiques, pouvant mimer une tuber-culose). Les autres étiologies sont : la fièvre Q à C. burnetti, et plusrarement le typhus des broussailles, la tularémie, la peste pulmo-naire, le charbon [16].

Enfin, il faut rappeler que la survenue de catastrophes natu-relles peut être à l’origine d’infections à bactéries multirésistantes(Aeromonas, B. pseudomallei, Pseudomonas, Acinetobacter baumanii,Stenotrophomonas, entérobactéries BLSE, SARM) [17].

4.2. Causes virales

Les causes virales sont dominées par la grippe, avec l’émergencefin mars 2009 au Mexique d’une nouvelle souche virale A/H1N1 [3]qui a ravivé la crainte pandémique suscitée jusqu’alors par le H5N1.Ainsi, si les premiers cas suspects ont été recensés dans l’état deVeracruz dans le village de la Gloria fin mars 2009 (616 cas suspectssur 3000 habitants), au 25 mai 2009, le virus a touché 43 pays àtravers le monde [18].

À noter que préalablement, des épidémies de grippe étaientdécrites chez les voyageurs lors de transports en avion, ou en bateau[19].

Il convient également d’insister dans ce travail sur la réémer-gence épidémique de la rougeole, dont plus de 7000 cas ont étérapportés en France depuis 2008 [20] et dont l’atteinte pulmo-naire constitue une complication potentiellement grave, justifiantd’y sensibiliser le voyageur avant départ [20].

Les arboviroses (hantanvirus et dengue) constituent les prin-cipales autres affections respiratoires virales au retour de voyage,sans oublier, en contexte épidémique, le SARS et la grippe aviaire[16].

4.3. Causes parasitaires

Des manifestations respiratoires liées à des atteintes parasi-taires sont rapportées au cours du paludisme (lors d’accès graveà Plasmodium falciparum, mais également d’accès de reviviscenceà P. vivax) [16]. Les autres causes de pneumopathies parasitairestropicales sont dominées par la bilharziose, l’amibiase, la porocé-phalose, l’hydatidose et la paragonimose [16].

4.4. Causes fongiques

Elles sont rares, et comprennent l’histoplasmose, la blastomy-cose, la coccidoïdomycose, la paracoccidoïdomycose [16].

5. Conclusion

Les infections respiratoires sont une cause fréquente de mor-bidité au retour de voyage, imposant de ne pas méconnaître lesinfections cosmopolites (pneumocoque +++) devant les patholo-gies tropicales rares. Il faut insister sur la nécessité d’une attitudesystématique imposant la réalisation devant toute fièvre au retour

des tropiques, d’un cliché thoracique ainsi que d’un frottis goutteépaisse quels que soient les signes associés.

Enfin, il faut insister sur l’importance des mesures de préventionvaccinales (pneumocoque, grippe, rougeole).

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[19] Ansart S, Caumes E. Influenza and travelling. Med Mal Infect 2006;36:

S. Ansart / La Revue de médec

éclaration d’intérêts

L’auteur déclare ne pas avoir de conflits d’intérêts en relationvec cet article.

éférences

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190–5.20] Le Calendrier des vaccinations et les recommandations vaccinales 2011 selon

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