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http://sir.sagepub.com/ Religieuses Religion/Sciences Studies in http://sir.sagepub.com/content/43/1/135 The online version of this article can be found at: DOI: 10.1177/0008429813515415 January 2014 2014 43: 135 originally published online 23 Studies in Religion/Sciences Religieuses Amnon Jacob Suissa esquisse socioculturelle Inspiration et création artistique en contexte d'usage de psychotropes: Une Published by: http://www.sagepublications.com On behalf of: The Canadian Corporation for Studies in Religion can be found at: Studies in Religion/Sciences Religieuses Additional services and information for http://sir.sagepub.com/cgi/alerts Email Alerts: http://sir.sagepub.com/subscriptions Subscriptions: http://www.sagepub.com/journalsReprints.nav Reprints: http://www.sagepub.com/journalsPermissions.nav Permissions: What is This? - Jan 23, 2014 OnlineFirst Version of Record - Feb 27, 2014 Version of Record >> at UNIV OF SOUTHERN CALIFORNIA on April 8, 2014 sir.sagepub.com Downloaded from at UNIV OF SOUTHERN CALIFORNIA on April 8, 2014 sir.sagepub.com Downloaded from

Inspiration et creation artistique en contexte d'usage de psychotropes: Une esquisse socioculturelle

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Page 1: Inspiration et creation artistique en contexte d'usage de psychotropes: Une esquisse socioculturelle

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Religion/Sciences Studies in

http://sir.sagepub.com/content/43/1/135The online version of this article can be found at:

 DOI: 10.1177/0008429813515415

January 2014 2014 43: 135 originally published online 23Studies in Religion/Sciences Religieuses

Amnon Jacob Suissaesquisse socioculturelle

Inspiration et création artistique en contexte d'usage de psychotropes: Une  

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On behalf of: 

  The Canadian Corporation for Studies in Religion

can be found at:Studies in Religion/Sciences ReligieusesAdditional services and information for    

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Article

Inspiration et creationartistique en contexted’usage de psychotropes :Une esquissesocioculturelle

Amnon Jacob SuissaEcole de travail social, Universite du Quebec a Montreal, Quebec, Canada

Resume : A part les Inuits qui, jusqu’a l’arrivee de « l’homme blanc », ne pouvaient fairepousser des plantes pour des raisons climatiques, on peut dire que toutes les cultures etles societes humaines ont utilise une ou plusieurs substances psychoactives, leur usageetant universel. Si l’usage de certains psychotropes etrangers a la culture dominante estgeneralement associe a la deviance, les raisons multiples et variees qui sous tendentl’usage peuvent mieux nous eclairer sur le phenomene des drogues comme realitemultifactorielle. Parmi celles-ci, l’usage medical pour ramener le corps a la sante, le plaisiret l’experience sensorielle, la connaissance et l’exploration de soi, la psychotherapie avecle LSD 25, la guerre, le support aux pratiques religieuses et bien sur la creationet l’inspiration artistique. A travers une revue de litterature, cet article explore laperspective socioculturelle dans le champ des substances psychoactives et les liensavec le processus de creation (musique, poesie, arts, etc.). A partir d’une perspectiveconstructiviste et interactionniste, une analyse psychosociale sera privilegiee pour saisircertains enjeux sociaux et culturels du phenomene drogues en contexte de creation.

Abstract: Apart from the Inuits, who, until the arrival of the ‘white man’, were unable tocultivate plants because of the climate, it can be said that all cultures and human societiesused psychotropic substances, and their usage can be considered universal. Although theuse of certain psychotropic substances is associated with deviancy, multiple reasons canshed light on the drug phenomenon as a multifactorial reality. Among these reasons we

Corresponding author / Adresse de correspondance :

Amnon Jacob Suissa, Faculte des sciences humaines, Ecole de travail social, Universite du Quebec a Montreal

(UQAM), Pavillon Therese-Casgrain, 455, boulevard Rene Levesque, Est, Canada, H2 L 4Y2.

Email: [email protected]

Studies in Religion / Sciences Religieuses2014, Vol. 43(1) 135–151

ª The Author(s) / Le(s) auteur(s), 2014Reprints and permission/

Reproduction et permission:sagepub.co.uk/journalsPermissions.nav

DOI: 10.1177/0008429813515415sr.sagepub.com

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can mention: medical use for health reasons, pleasure and sensorial experience;knowledge and exploration of the self; psychotherapy with LSD 25; war; support forreligious practices; creation and artistic inspiration, etc. Through a literature review, thisarticle explores the sociological and anthropological perspective in the field of psycho-tropic substances and their ties with the process of creativity and artistic inspiration(music, poetry, the arts, etc.). With a constructivist approach, a psychosocial perspectivewill be enabled to take a hold on certain social and cultural challenges in the context ofpsychotropic substance use and artistic creation.

Mots clespsychotrope, creation, lien social

Keywordspsychotropic substance, creation, social ties

Introduction

L’usage des psychotropes en contexte de creation artistique nous renvoie en fait aux

relations qu’entretiennent divers artistes (musiciens, poetes, ecrivains, peintres, etc.)

dans les rapports sociaux. Au centre de ces relations, et au dela de la nature personnelle

et individuelle de l’artiste dans son rapport aux psychotropes et a la creation artistique, il

y a les valeurs societales et culturelles d’une epoque qui determinent fortement ce qui est

socialement desirable et ce qui l’est moins. Ainsi comprises, ces realites culturelles et

sociales de l’usage sont des faits essentiels a la comprehension du phenomene des depen-

dances. Dit autrement, les rituels, les lois et les valeurs de certains groupes sociaux et

culturels peuvent prevenir ou encourager un « bon ou un mauvais usage » des psycho-

tropes (Bibeau et Corin, 1979).

Dans cette perspective, les substances qualifiees de dangereuses ne le sont pas pour

des raisons objectives, comme l’intensite des effets pharmacologiques du produit, mais

bien parce qu’elles sont etrangeres a la culture dominante (Szasz, 1974). A titre d’exem-

ple, les substances considerees comme « pures » dans la culture occidentale sont l’alcool

et le tabac, alors que celles considerees comme « impures » sont le cannabis, les opiaces

et ses derives. Ainsi, le taux d’alcoolisme sera peu eleve dans une societe donnee ou le

fait de boire est evalue positivement par la culture dominante, et plus eleve s’il est eva-

lue comme un acte marginal ou asocial. Dans certains pays islamiques, par exemple,

l’usage d’alcool est marginalise, criminalise et reprime par des sanctions severes qui

peuvent aller jusqu’a la mort. Parce qu’etrangeres, ces substances representent, dans

diverses cultures et regions du monde, une forme de menace a l’ordre social, dans le

sens de corps etranger, et deviennent generalement le lieu de projections sociales

negatives.

L’exemple de l’alcool dans l’histoire nous rappelle plus concretement les conceptions

differenciees selon les valeurs sociales et culturelles dans un contexte donne. Aupara-

vant, en Amerique du Nord, l’alcool etait vu par les pouvoirs ecclesiastiques comme une

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bonne creation de Dieu (a good creation of God), et boire etait plus associe, aux XVIIe et

XVIIIe siecles, a la normalite qu’a la deviance (Suissa, 2007). D’ailleurs, l’ivrognerie

etait assez bien integree sur le plan social et les maisons de boissons (drinking houses),

espaces reconnus de socialisation, etaient largement tolerees par les instances clericales

protestantes de l’epoque qui dictaient aux autorites civiles les regles a suivre dans la ges-

tion des questions considerees comme problemes sociaux et publics.

Comment les milieux artistiques divers tels qu’avec la musique, la poesie et l’ecriture

fonctionnent-ils dans la gestion et le maintien d’equilibre entre le dehors social qui dicte

les normes a suivre et le dedans du groupe social d’appartenance ? Quelles sont les dyna-

miques propres a certains groupes de createurs en contexte de psychotropes ? Quelle

place occupent les rituels dans le resultat des experiences percues comme positives ou

negatives par tel ou tel groupe social ? Comment expliquer que les effets physiologiques

de telle ou telle substance varient selon la culture et les valeurs sociales attribuees a cette

substance par des groupes sociaux ? En reponse a ces questions, nous effectuerons en

premier lieu un survol de la perspective culturelle et anthropologique du phenomene afin

de bien demontrer la place preponderante que jouent les valeurs culturelles dans le trace

des modes de consommation. A titre d’exemple, nous nous restreindrons au cas des

Amahuacas du Bresil et de la culture juive. En deuxieme lieu, nous illustrerons trois

exemples en lien avec le domaine de creation artistique soit : les dimensions de l’usage

de psychotropes aupres des musiciens de jazz en Amerique du Nord, aupres de poetes et

d’ecrivains reconnus, et les fonctions particulieres du cannabis (Ganja) aupres des rasta-

faris de Jamaıque avec la musique reggae. En conclusion, nous survolerons la perspec-

tive psychosociale pour nuancer les facteurs explicatifs plus globaux du phenomene des

addictions.

Perspective culturelle et anthropologique

Dans son sens anthropologique, le terme « culture » designe « l’ensemble des us et des

coutumes, les valeurs et les normes qui, ensemble, constituent et fondent les relations

sociales entre les individus et les groupes » (Bibeau et Corin, 1979). Dans toute societe,

la culture s’acquiert principalement par la socialisation et l’apprentissage (l’encultura-

tion). Chaque societe est composee d’individus et de groupes, diversement stratifies et

organises, qui partagent un ensemble de normes et de valeurs leur permettant d’entretenir

des relations significatives, directes ou symboliques.

Selon Cohen et Levy (1988), les etres humains ont, depuis toujours, cherche dans la

manipulation de leur conscience et des etats modifies qui en decoulent, la revelation des

fondements de la realite et de la finalite de l’existence. Dans toutes les cultures et a toutes

les epoques, la quete des etats modifies de conscience s’est poursuivie de facon indivi-

duelle ou institutionnalisee, reconnue ou marginalisee, souvent dans un contexte

religieux. Le recours a certaines substances psychoactives, a des techniques de medita-

tion, a des activites sportives et physiques diverses ou a des rituels religieux de priere,

represente diverses facons d’alterer sa conscience, fonction necessaire a la survie de

l’etre humain. Ceci etant, le monde occidental a, de facon generale, repousse a la peri-

pherie de son entendement les etats alteres de conscience en provenance d’autres

cultures.

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En fait, nous avons herite d’une resistance culturelle a traiter les etats modifies de

conscience comme n’importe quel autre phenomene (Weil, 1972). Depuis le XVIIe

siecle, le philosophe Descartes aura permis la division du monde en deux : les sub-

stances physiques qui relevent du domaine de la science, et les substances dites men-

tales qui seraient davantage propriete de la religion. C’est dans ce contexte que la

conscience et la subjectivite en Occident sont vues comme des elements incompatibles

avec la science, seul sera considere scientifique ce qui est physiquement mesurable.

Cette rupture scientifique, tout comme la rupture corps et esprit, continue encore

aujourd’hui en Occident a guider le discours medical dans le triage de ce qui est socia-

lement acceptable et ce qui l’est moins (Searle, 1984). Par consequent, deux etats de

conscience sont generalement acceptes en Occident, soit l’etat d’eveil et l’etat de som-

meil, tout autre etat de conscience etant considere comme invalide sur le plan scienti-

fique et, jusqu’a un certain point, suspect.

D’un point de vue anthropologique, les valeurs culturelles de certains pays ou de

groupes sociaux peuvent clairement demontrer, non seulement la place centrale des

valeurs dans l’explication des traces des modes de consommation, mais egalement

l’importance des facteurs spirituels ou religieux dans la saisie des dynamiques et des

relations particulieres de ces groupes culturels avec diverses substances psychotropes

(Suissa, 2007). Les finalites peuvent etre d’ordre therapeutique, de cohesion sociale,

d’interpretation de situations complexes, de reflexion philosophique et d’introspection

devant des conditions de crise, de connaissance et d’exploration de soi, de decouvertes,

de donner un sens a des evenements imprevisibles ou incomprehensibles, etc. A cette fin,

nous examinons brievement deux exemples soit celui des dimensions culturelles de

l’usage de l’alcool en Amerique du Sud et celui de la culture juive.

(a) Psychotropes et realites culturelles en Amerique du Sud

Dans les communautes vivant dans plusieurs regions d’Amerique du Sud, les rapports

d’usage aux substances s’inscrivent generalement dans un cadre ritualise dans le temps

et l’espace, tres souvent dans un contexte religieux ou therapeutique. L’exemple des

Indiens de l’Amazonie bresilienne (Amahuacas) temoigne de l’importance des motiva-

tions culturelles du groupe comme facteur explicatif central dans l’usage de telle ou telle

substance.

Les Indiens de l’Amazonie, plus que n’importe quelle autre communaute au monde,

utilisent des drogues a base de plantes. La richesse des plantes psychoactives dans cette

region du monde est reconnue comme tres diversifiee et possedant des vertus medici-

nales importantes. Quatre facteurs propres a cette communaute permettent d’expliquer

les distinctions importantes entre l’usage qu’ils font de ces substances et l’usage qu’on

en connait en Amerique du Nord (Weil, 1972).

Un rapport positif a la nature. La substance plante est associee positivement a leur mode de

vie et a leur environnement. Parce qu’ils vivent en harmonie avec la nature, les Amahua-

cas ont choisi de ne pas combattre la nature, dans le sens d’un controle, et les plantes sont

vues comme autant d’agents travaillant au bienetre de la communaute. Dans ce contexte,

les substances psychoactives ne sont pas consommees en reaction a un probleme comme

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l’anxiete, le travail ou le stress ; elles sont, au contraire, percues comme pouvant elargir

le champ de la conscience et de la connaissance, et considerees comme des energies

ouvrant sur des pouvoirs spirituels et religieux.

Consommation sous forme naturelle. Les Amahuacas utilisent les plantes psychoactives

sous leur forme naturelle et entiere, et evitent de consommer juste l’agent actif des sub-

stances extrait des plantes. Cette attitude s’appuie d’ailleurs sur un fait empirique et

scientifique : plus les individus se concentrent sur les agents actifs, plus il y a correlation

de problemes dus a cette concentration. Pour les Indiens d’Amazonie, consommer des

substances sous leur forme naturelle semble jouer un role de modulation de l’effet, grace

a l’apport de plusieurs autres ingredients se trouvant dans la plante consommee.

Reconnaissance du besoin naturel de modifier les etats de conscience. Le besoin d’alteration

des etats de conscience n’est pas reprime, au contraire, il est vu comme necessaire au

developpement de l’humain sur les plans individuel, social et communautaire. Dans cette

optique, les Amahuacas initient leurs enfants a la prise de substance afin de les familiari-

ser des le plus jeune age aux diverses richesses de leur environnement, et de leur faire

acceder rapidement a une certaine responsabilite communautaire. L’intoxication d’ordre

recreatif est aussi comprise comme legitime dans l’alteration de la conscience, sauf

qu’elle s’effectue dans un cadre minutieusement ritualise.

Le poids des rituels. En etablissant un cadre ordonne autour de l’usage, les pratiques

rituelles semblent proteger les individus et les groupes des effets negatifs des sub-

stances. Dans la mesure ou ces pratiques influent directement sur la substance et ses

effets, elles modelent egalement le comportement psychologique et social des indivi-

dus. A titre d’exemple, les rituels de guerison par le biais de prise de substance avec des

personnes souffrantes, et sous la supervision des « sages de la communaute », semblent

avoir des effets benefiques dans le traitement de certains malaises ou maladies. Bien

que, dans ces groupes culturels, le rituel soit explique par le respect a la Divinite ou

la solidarite communautaire, et qu’en Amerique du Nord, il soit plutot compris comme

« bonne forme sociale de l’usage », le principe fonctionne, dans les deux cas, en pro-

tegeant les utilisateurs du potentiel negatif des substances.

(b) La culture juive

Alors qu’ils ne sont pas, a priori, abstinents dans leur rapport a l’alcool, les historiens et

les sociologues ont remarque une tres faible incidence de l’alcoolisme chez les Juifs

(Glassner et Berg, 1980, 1984). Mis a part la place importante qu’occupe le rituel

du vin dans les ceremonies traditionnelles et religieuses, l’ethique juive (halakha) dis-

tingue tres clairement l’usage occasionnel de l’usage permanent, en mettant l’accent

sur les raisons qui sous-tendent l’usage. Ainsi, celui qui prend du vin pour oublier, fuir

ses problemes, ses responsabilites individuelles, familiales ou sociales, est vu comme

quelqu’un qui entre dans le cycle de la dependance et du danger. A l’oppose, le vin de

la joie (yayin shel simha) sera fortement privilegie durant les evenements traditionnels

et religieux. Les quatre verres de vin obligatoires durant les fetes de Paques, boire

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jusqu’a ne plus reconnaitre son voisin a Pourim (fete rappelant la reine Esther qui reus-

sıt a eviter la destruction du peuple par Nabuchodonosor), la fete de la reception de la

Torah (Simhat Torah), illustrent nettement les raisons a la consommation comme etant

des facteurs significatifs dans le developpement de « bonnes » ou de « mauvaises »

relations aux substances.

Sous un autre angle, le vin consomme pour des raisons negatives est compare au vin

de l’apres-midi dont les effets d’ebriete physiologiques sont plus forts que durant le reste

de la journee (Ben Amar, 2004). Sur le plan historique, la Torah interdit d’ailleurs aux

Cohens (pretres) de benir le peuple l’apres-midi, de peur qu’ils ne soient sous l’effet de

l’alcool et en danger de devier dans l’idolatrie. Les pretres etant les seuls, a l’epoque des

temples, a avoir eu acces au vin a des fins de rituel religieux, cette pratique se perpetue

encore aujourd’hui a la synagogue ou la priere est effectuee le matin et jamais l’apres-

midi. Le taux de faible incidence de l’alcoolisme chez les Juifs a ete explique egalement

par la piete et la peur de la desapprobation chretienne, la perte de controle dans un envi-

ronnement hostile, l’exposition des le jeune age aux ceremonies et aux rituels d’usage

sur une base moderee et, enfin, le desir d’etre different.

Ce type d’explication semble s’appliquer davantage aux Juifs de la Diaspora, genera-

lement plus attaches aux valeurs traditionnelles, qu’aux Juifs vivant en Israel, dont plus

de 60% ne se considerent pas du tout comme religieux ou traditionnels. Le mouvement

migratoire des Juifs d’URSS depuis la chute du communisme en 1989, explique egale-

ment une augmentation de l’alcoolisme en Israel, dans la mesure ou ces populations ont

apporte avec elles des modes de consommation abusifs, surtout avec la vodka. Il faut

donc noter une forte distinction de contexte culturel entre Juifs de la Diaspora et ceux

d’Israel (Suissa, 1992).

En resume, on peut dire que certains principes et fondements du judaısme semblent

agir comme mesures preventives dans le developpement d’abus de substances. Parmi

ceux-ci, l’usage est toujours distingue de l’abus et est souvent associe a un rituel et a

de la nourriture, une nette coupure existe entre les raisons negatives et positives de

l’usage. Enfin, il y a un systeme de solidarite et de regulation sociale et communautaire

qui agit comme espace primaire de prevention des conflits.

Rapport entre psychotropes et jazz en Amerique du Nord

L’influence des psychotropes dans les milieux de jazz en Amerique du Nord ne peut etre

comprise sans inclure les determinants historiques, sociaux et economiques dans le trace

des modes et styles de vie des Afro-Americains aux Etats-Unis. Au plan historique, rap-

pelons que le jazz a debute au debut du 20e siecle dans la ville de la Nouvelle-Orleans.

Selon Howard (1988: 49), et a part les commerces avec le continent Europeen, le port de

cette ville etait d’une grande importance car elle drainait la plus grande partie des impor-

tations d’Amerique du Sud et des Caraıbes. C’est dans ce contexte qu’on peut expliquer

l’avenement de deux realites majeures a la Nouvelle-Orleans : l’institutionnalisation de

la prostitution qui offrait aux marins et aux hommes d’affaires des services dits de plaisir

d’une part, et la naissance du jazz comme style de musique, d’autre part. Le jazz naquit

donc dans cet espace social ou les musiciens africains et creoles s’equipaient

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d’instruments venus de l’Europe et d’ailleurs, ce qui permit de developper un style qui

leur etait propre.

Les bateaux (steamboats) qui remontaient le fleuve du Mississippi pour aller a Saint-

Louis et Chicago servaient de tremplin pour les musiciens de jazz qui etaient de plus en

plus sollicites pour animer des soirees dans les clubs de ces villes. Cette rencontre des

musiciens avec les clubs dans ces nouvelles villes americaines a permis la construction

graduelle de quartiers urbains ou prostitution et musique de jazz faisaient bonne figure,

d’ou le nom de Red Light Districts. A cela, nous pouvons ajouter les bars prives (private

bars) et les « speak easy ». Il faut attendre la periode de la prohibition entre 1929 et 1933

pour voir une augmentation significative de ces clubs et avec eux une circulation gran-

dissante de psychotropes dont la cocaıne, l’heroıne et bien sur l’alcool. Derriere les lois de

la prohibition, il y a lieu de souligner l’importance des interets economiques et sociaux

en jeu a l’epoque. Au plan economique, les corporations voyaient dans la prohibition des

benefices et des gains tres concrets :

(a) une main d’œuvre sobre et abstinente serait plus efficace et plus productive ;

(b) moins d’accidents au travail signifieraient moins d’argent consacre aux compen-

sations et reglements en cour ;

(c) les travailleurs auraient plus d’argent a depenser pour l’achat de marchandises

diverses ;

(d) il y aurait moins de greves et de demandes d’augmentation de salaires ;

(e) une fois fermes, les bars (saloons) ne serviraient plus aux assemblees syndicales

et aux organisations socialistes venues d’Europe ;

(f) il y aurait moins de crimes, de pauvrete, de maladies, de desordre urbain et, donc,

moins de taxes a payer pour les services publics comme la police, les prisons et

les hopitaux.

Au plan social, cette transformation majeure se voulait un gage de paix, de prevention

des manifestations de deviance et de profond sens moral. Sur le plan pratique, les

modes de consommation durant la prohibition (1919–1933) se transformerent, paralle-

lement aux changements plus globaux sur les plans economique et social. L’alcool,

moins accessible et plus dispendieux pour les classes ouvrieres, se retrouvait en grande

quantite chez les classes moyennes et riches qui voyaient leur consommation fortement

augmenter. L’emergence des « night clubs », nouvelles institutions reservees a cette

elite, temoigne fortement de cette distinction de classe et de modes de consommation.

Ces pratiques discriminatoires entrainerent le developpement graduel d’un systeme

souterrain de production et de distribution d’alcool par le crime organise. L’alcool etait

importe et passe en contrebande aux frontieres canadiennes, ce qui permit a plusieurs

compagnies de serieusement s’enrichir durant cette periode. La compagnie Seagram du

Canada illustre bien cette realite. Il fallut attendre 1926 pour voir la montee d’un

mouvement organise d’opposition a la prohibition ayant pour but l’abolition des lois

prohibitives. A leur tete, de puissants conglomerats economiques, sous le parapluie

de l’AAPA (Association Against the Prohibition Amendment), s’opposaient a l’adop-

tion d’un amendement a ces lois et exigeaient leur disparition pure et simple. L’AAPA

etait financee par des compagnies comme Dupont Chemicals, General Motors,

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Page 9: Inspiration et creation artistique en contexte d'usage de psychotropes: Une esquisse socioculturelle

American Telephone and Telegraph, Pacific Railroad, General Electric, US Steel et

Boeing Aircraft.

Selon Gelt (1983), les correspondances entre les styles de musique et les choix de con-

sommation existent bel et bien. Deja en 1880, le blues comme style de musique, par

exemple, s’inscrit dans les luttes des Noirs Americains comme un mode d’expression

dans les chants de travail. Generalement demunis au plan economique, les musiciens

de blues ne pouvaient s’offrir que peu d’alcool et de tabac. Le Ragtime, autre style de

musique entre 1897 et 1917, etait axe sur un solo de piano ou les musiciens se retrou-

vaient plus dans des bordels de Storyville de la Nouvelle-Orleans. Jusqu’en 1943, c’est

le style boogie-woogie qui prend le relai. Dans ce contexte, la substance opium circulait

de maniere importante et etait consommee par le personnel meme des etablissements en

question. Avec le style Dixieland, c’est la substance cocaıne qui est plus adoptee, cette

substance aurait ete rapportee de France par des veterans de la Premiere Guerre mondiale

d’ou l’appellation de « happy music » (Tanner et Gerow, 1977).

Ces realites economiques et sociales expliquent en grande partie la periode de grands

changements pour le jazz entre 1932 et 1942. De grands noms du jazz tels que Bennie

Goodman, Duke Ellington, Count Basie et autres prirent la route du Nord vers Saint-

Louis et Chicago ou ils avaient egalement un acces facile aux substances psychotropes

aupres de ces etablissements, dont les grandes salles de bal qui etaient a la mode de

l’epoque. Le crime organise, fort de ses enormes benefices avec la prohibition et la con-

struction des casinos de Las Vegas dans le desert du Nevada, se mit a investir dans le

trafic d’heroıne aux Etats-Unis et en particulier aupres des communautes noires qui

etaient alors les plus vulnerables.

Dans cet environnement economique et social difficile, et de transformation musicale

avec l’introduction du Bebop, on peut mieux comprendre le recours aux psychotropes et

a l’heroıne en particulier dans les milieux des musiciens de jazz. Ces derniers devaient se

battre durement pour se faire reconnaitre par leurs pairs, qui etaient de plus en plus exi-

geants en termes de discipline et de creativite. A l’epoque, il y avait une forte pression de

groupe exercee aupres des musiciens moyens par les vedettes plus connues de l’epoque,

ce qui pesait lourd sur les nouveaux musiciens qui n’avaient d’autre choix que de suivre

la filiere de « carriere deviante » (Becker, 1963). Carriere deviante, car le jeune musicien

devait se soumettre a une initiation sociale au cours de laquelle, non seulement il devait

faire ses preuves en termes de connaissance musicale, il devait egalement s’initier a

l’usage des psychotropes dont le cannabis, l’heroıne et la cocaıne, appartenance au

groupe oblige. Alors que certains brillants musiciens comme Sonny Rollins et John Col-

trane reussissaient a traverser ces obstacles, d’autres decederent, dont les plus connus

sont Charlie Parker, Billie Holiday et Miles Davis.

A titre d’exemple, la trajectoire de Miles Dewey Davis illustre bien cette relation

entre le style de vie et le choix de psychotropes. Trompettiste autodidacte, il est un des

plus jeunes musiciens qui passait son temps a trainer dans les clubs de la 52e rue de New

York ou il y rencontra ses futurs partenaires dont Dizzy Gillespie et Charlie Parker, mais

aussi l’alcool et l’heroıne. Considere comme instable, Miles Davis etait constamment a

la recherche du « nouveau truc » et experimentera presque tous les styles de musiques.

Entre 1945 et 1949, le musicien se fait un nom et rencontre Thelonious Monk. Continuel-

lement en mouvement, Miles est present quand le Bebop revolutionne une premiere fois

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le jazz et produit son premier chef d’œuvre : Birth Of The Cool. Ce style de cool jazz sera

a jamais marque par Miles qui lui donnera ses lettres de noblesse. Avec les premieres

tournees outre-Atlantique, Paris et les premieres heures de gloire internationales, la face

autodestructrice de son comportement prend le pas sur son existence. Il connait des

ennuis avec l’alcool et sa dependance a l’heroıne devient envahissante. Selon les travaux

de Winick (1960, 1962), il est indeniable que les musiciens de jazz evoluaient dans un

milieu des plus favorables a l’utilisation de drogues : horaires irreguliers, cachets assez

eleves, performances nocturnes, voyages frequents, contacts avec un milieu criminogene

dans les clubs de nuit, etc.

Il faut attendre le debut des annees soixante pour voir une nouvelle cuvee de musi-

ciens avec le Free Jazz qui allait etre en rupture avec ce style de vie. Cette transition

changea la dynamique sociale de reconnaissance et d’adhesion au monde du Jazz en

epousant un style de vie plus sain, passant d’un mode abusif de consommation a un usage

plus modere des psychotropes.

Poetes, ecrivains et autres artistes : psychotropes etprocessus de creations

Chaque societe a les stimulants et les psychotropes qui font partie de leur environnement

social et culturel. Selon Schivelbush (1990: 39), les stimulants mineurs tels le cafe et le

tabac ont marque l’histoire par leur role dans les spheres de la litterature. Pour le cafe,

son effet le plus immediat est sans doute sa contribution directe a l’installation du rituel

de la « civilisation de la conversation ». Cette civilisation a touche, non seulement le

monde des affaires et de la bourgeoisie, mais egalement le monde des arts et de la littera-

ture. Quant au tabac, et a part le fait que cette substance ait fait l’objet de grands debats

de societe, il a ete egalement un repere important dans l’emancipation des femmes ecri-

vaines comme Georges Sand et Lola Montes, qui revendiquaient le droit de fumer en

public contre le patriarcat de l’epoque en 1840.

En ce qui concerne les substances psychotropes considerees toxiques (opium, heroıne,

cocaıne, cannabis), il faut rappeler que l’opium, par exemple, est jusqu’au debut du XIXe

siecle, en vente libre dans les pharmacies et est prescrit souvent par les medecins plus

qu’aucun autre medicament a cause de ses effets sedatifs et analgesiques. Si Karl Marx

avait formule la fameuse phrase « La religion est l’opium du peuple », c’est parce que les

travailleurs en surconsommaient pour traverser essentiellement les contraintes liees aux

conditions sociales et economiques difficiles de l’epoque.

En ce qui a trait a l’absinthe, c’est un alcool illicite prepare a partir de la plante du

meme nom, il contenait des agents chimiques dont la toxicite pouvait entrainer des trou-

bles importants du systeme nerveux. Selon Gingras (2011), la liqueur de l’epoque pou-

vait contenir jusqu’a 75% d’alcool et creait des delires, convulsions, amnesie et

hallucinations. Ces effets auraient ete presents aupres de peintres reconnus comme

Toulouse-Lautrec et Vincent Van Gogh. Celebree par une foule d’artistes du 19e siecle

dont Gauguin, Degas, Verlaine, Rimbaud et Maupassant, cette liqueur verdatre a ete

frappee d’interdit en 1915 par une coalition de vignerons qui voyait une perte de profits

dans le marche des boissons (Gingras, 2011).

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Selon Schivelbush (1990: 35), c’est dans les reves opiaces des poetes et de certains

peintres tels que John Martin que sont evoques les etats d’ame alteres ayant permis la

creativite de plusieurs œuvres artistiques. Des fumeurs notoires d’opium et de hachich

provenaient des milieux litteraires et artistiques. A Paris, on peut penser au Club des

hachichins qui associait directement production litteraire, peinture et consommation

de psychotropes. Parmi les plus celebres ecrivains citons Balzac, Beaudelaire, Victor

Hugo, Theophile Gauthier mais aussi Delacroix, Nerval, De Quincey, Poe, etc. Flaubert

disait : « Si je n’avais pas peur du hachich, je m’en bourrerais plutot que de pain » alors

que Beaudelaire rencherit avec « Verse ton poison pour qu’il nous reconforte ! Nous vou-

lons, tant ce feu nous brule le cerveau, Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’im-

porte ? » (Xiberras, 1988: 28).

Reprenant les pistes ouvertes par Beaudelaire, Rimbaud enrichit ces propos en sou-

lignant qu’il etait flatte d’inventer un verbe poetique accessible un jour ou l’autre a tous

les sens (Xiberras, 1988: 28). En notant ce qu’il nommait l’inexprimable, Rimbaud disait

ecrire des silences et qu’il ne se contentait pas de livrer les secrets de l’acces a l’au-dela,

il revelait egalement les moyens d’en revenir. Dans son ouvrage intitule Opium, Journal

d’une desintoxication (1930), Cocteau temoignait egalement de son experience qu’il

resumait ainsi : « Sans l’opium, les projets : mariages, voyages me paraissaient aussi fous

que si quelqu’un tombant par la fenetre, souhaitait se lier avec les occupants des cham-

bres devant lesquelles il passe ».

Dans cette veine, mentionnons egalement le poete Jacques d’Adelsward Fersen

(1880–1923) qui etait opiomane, homosexuel et dandy et caracterisait le monde parisien

de l’epoque. L’extrait du poeme intitule pour la deuxieme lune du mois de chien, de Hei

Hsiang, reflete bien cet engouement pour l’opium d’ou le nom de poemes opiaces :

Ce soir, je chante l’opium, l’opium illimite, l’opium immense, l’opium, fils hierarchique de

l’Asie qui dispense, la douceur pour nectar, la paix pour ambroisie et dont les dix-mille

genies tutelaires ont suscite, comme un pardon, les paroles de lumiere de Confutse a Meng

Tseu. (Hei, 1921)

Vantant le cote asocial de l’artiste et epousant une posture clairement antibourgeoise, le

poete de l’epoque transforme graduellement le texte ecrit comme un reve opiace. Sans le

savoir, ces ecrivains amateurs d’opium, de hachich et d’autres psychotropes, fournis-

saient a la classe dominante bourgeoise les munitions qui allaient permettre d’etablir

un tabou de deviance et de delinquance envers ce type de substances. Menacant l’ordre

social bourgeois, ces substances drogues deviennent graduellement l’objet de controle

social et de politiques d’Etat particulierement avec la contamination de la Chine par

l’opium. C’est dans ce contexte que nous assistons alors a une campagne politico morale

qui donnera le ton aux traites internationaux visant a bannir la majorite de ces psycho-

tropes et a entrer dans la dynamique de la guerre a la drogue.

Dans un article intitule « La drogue, la poesie, le theatre et l’Occident », Thompson

(1991) nous invite a une analyse plus poussee au plan historique et social. En remon-

tant jusqu’a Platon, il demontre comment le philosophe avait exclu les poetes de toute

participation a la Noesis les releguant ainsi a des statuts non valides dans l’interpreta-

tion de la realite sociale. Ceci etant, Thompson (1991: 78) revele que le poete Henri

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Michaux, par exemple, a tire de son experience avec les psychotropes, non seulement

une remise en question de notre savoir, mais egalement des fondements memes de ce

savoir. Les psychotropes sont compris comme des substances qui liberent, mais font

sauter egalement les verrous crees et disposes par la societe ; pour paraphraser le poete

Michaux : la drogue ne deconnecte pas du reel, au contraire elle revele ce que nous

sommes. Dit autrement, la substance drogue n’est pas la pour « donner un sens a

l’insense » mais pour explorer l’insense qui est sous-jacent au sens. Porteuse a la fois

d’un pouvoir potentiellement destructeur, la drogue est egalement revelatrice d’une

autre structure qui depasse la vision binaire pour se projeter vers un monde de la pensee

complexe dont celui de la creation. Des sa premiere experience psychotrope en 1956,

alors qu’il finissait le livre Miserable miracle, Michaux met en garde les lecteurs de

cette facon :

Aux amateurs de perspective unique, la tentation pourrait venir de juger dorenavant

l’ensemble de mes ecrits, comme l’œuvre d’un drogue. Je regrette. Je suis plutot du type

buveur d’eau. Jamais d’alcool. Pas d’excitants, et depuis des annees pas de cafe, de tabac,

de the. De loin en loin du vin, un peu. Depuis toujours, et de tout ce qui se prend, peu.

Prendre et s’abstenir. Surtout s’abstenir. La fatigue est ma drogue, si l’on veut savoir.

(Michaux, 1956)

Reprenant cet etat de fatigue chez Michaux comme une condition propice a l’usage

de psychotropes, Thevoz (1991) souligne justement ce fait ou Michaux devait se

defaire des effets des psychotropes pour retrouver sa lucidite pour ecrire et peindre.

La these liant production artistique et consommation de psychotropes est ainsi cri-

tiquee par Thevoz (1991) comme etant plus un alibi. Selon ce conservateur d’art

Suisse, si l’on faisait le compte des artistes qui ont cherche l’inspiration dans la dro-

gue, le bilan serait pauvre. Il denonce egalement le mythe des artistes « psychede-

liques » qu’il trouve derisoire lorsque compare avec les grands createurs qui ont ete

abstinents durant l’histoire.

A la fois poete et essayiste, Michaux mettait en garde les lecteurs d’associer son

œuvre a un drogue car cela releverait d’une erreur de pensee, sa demarche de creation

etant motivee principalement par un desir de connaissance. Pour resumer la pensee de

Michaux (1956, 1963, 1986), dans l’etude de ce qu’il considerait les drogues de la mo-

dernite, la drogue est a concevoir comme un agent et non comme une cause dans la

decouverte de la vastitude des univers artistiques et sociaux. Utiliser une grille qui eti-

quette en fait le normal de l’anormal, n’est-ce pas ce que denoncait Foucault deja, non

pas comme une condition pathologique figee, mais comme une construction historique et

sociale de la folie (Foucault, 1961).

Parmi les autres grands ecrivains ayant marque la reflexion sur les liens entre psycho-

tropes et litterature, les pensees de Marguerite Duras et de William S. Burroughs contri-

buent a mieux nuancer ces liens. Dans un extrait d’entrevue radio, Duras disait que

C’est Dieu l’alcool. C’est sur que l’alcool mene a la mort. Ca, cette fois-ci, je l’ai senti, tan-

giblement. Je ne pouvais plus ecrire, par exemple, la main ne tenait plus la ligne droite.

(Psychotropes, 1985: 61)

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En ingurgitant six litres de vin par jour, Duras reconnaissait qu’elle se defaisait et que

c’etait jouissif de degringoler dans le degout de soi. Dans ce bain d’alcool, elle avait ecrit

Le Ravissement de Lol V. Stein. Dans cette sensibilite du gouffre, dans le roman L’amant,

Duras mentionnait que « Le visage de l’alcool m’est venu avant l’alcool. Tout a com-

mence de cette facon pour moi, par ce visage voyant, ces yeux cernes en avance sur

le temps » (Duras, 1984).

Quant a Burroughs, toxicomane et homosexuel, il incarnait un veritable mythe en

mettant sa narcomanie au centre de son œuvre. Natif des Etats-Unis et diplome de Har-

vard, il etait en perpetuel exil des la fin des annees 40 au Mexique, en Amerique du Sud,

a Tanger, a Paris et a Londres pour ne retourner en Amerique qu’en 1975. Selon Delcour

(1991), dans cette œuvre concue comme un moyen privilegie d’experience interieure, il

decrit de maniere methodique les effets hallucinatoires de sa premiere injection de mor-

phine en 1944 a New York, ville ou la repression contre le milieu des junkies etait tres

forte a l’epoque. En 1953, il publie son premier livre intitule Junky sous le pseudonyme

de William Lee. Cet ouvrage eut un succes retentissant et sa diffusion avait atteint plus

de 300 000 exemplaires. Comme l’œuvre interactionniste de Becker (1963), Burroughs y

decrit de l’interieur les mecanismes de la narcomanie et les meandres de sa trajectoire

toxicomane et de creation litteraire. Vivant dans des conditions incroyablement degra-

dees et precaires, son desert interieur exigeait de plus en plus le recours aux psychotropes

de maniere exponentielle.

Je n’ai jamais assez de came – on n’en a jamais assez. Trente capsules de morphine par jour

et ce n’etait pas suffisant. (Citation dans Delcour, 1991: 91)

Dans ce contexte difficile, il reussit toutefois a ecrire des dizaines d’œuvres litteraires et

d’essais de grande importance. Dans ses publications, c’est dans sa critique du pouvoir

economique et politique qualifie de virus du controle social, qu’il donne le ton a ses

ecrits. Denoncant sans relache la mainmise du pouvoir policier, il denonce la politique

de « la guerre a la drogue » comme etant un objectif d’elimination de citoyens drogues

issus principalement de milieux defavorises. Il n’hesite pas a comparer cette politique a

une pratique de « solution finale » du probleme de la drogue. En abordant la question des

drogues et de l’assuetude, Burroughs a reussi a travers son œuvre litteraire a dresser un

portrait saisissant de la societe du 20e siecle.

Musique reggae, Ganja et rastafaris

Bob Marley a fait decouvrir au monde le Reggae, un riche derive du blues qui a consi-

derablement influence la musique populaire occidentale. Sa musique a touche tous les

publics, transcendant les genres, comme en temoigne un large culte encore en pleine

expansion dans le monde entier de la fin du vingtieme siecle jusqu’a nos jours. La con-

tribution de Bob Marley est bien plus large que celle du simple chanteur capable de pro-

duire des succes populaires comme Is This Love ou Could You Be Loved. Exprimant a

l’origine l’affirmation de la dignite et la valorisation d’une identite Noire pour son peu-

ple bafoue par des siecles d’esclavage (Slave Driver, Redemption Song), de colonialisme

(Music Lesson, Crazy Baldhead) et d’oppression economique (Revolution), il incarne

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avec le mouvement rastafari (Positive Vibration, War) l’eveil de son peuple a une revo-

lution spirituelle contre un oppresseur qu’il decrit d’abord comme etant le fruit d’une

imposture chretienne (Get Up Stand Up), voire paıenne (Heathen), capitaliste (Rat

Race), corrompu, raciste et hypocrite (Who the Cap Fit) a la fois. Parolier remarquable

capable de s’approprier avec naturel des formules du langage populaire, n’hesitant pas a

aborder les themes les plus universels, Bob Marley reste d’abord un symbole d’emanci-

pation et de liberte. Il est aussi devenu l’un des symboles universels de la contestation

(Soul Rebel), voire de la legitime defense (I Shot the Sheriff), supplantant souvent dans

l’inconscient collectif des politiciens comme Che Guevara, Malcolm X, Leon Trotsky et

Nelson Mandela. Son message est d’abord d’ordre spirituel et culturel, et enrobe d’un

proselytisme a consommer du chanvre (Smoke Two Joints), un rituel rasta (Kaya, Easy

Skanking).

Miroir de l’esprit rebelle des peuples opprimes, heros, exemple et modele a la fois,

Bob Marley est considere par plusieurs generations comme le porte-parole defunt mais

privilegie des defavorises. Il est avant tout le premier musicien a incarner et assumer

pleinement cette identite de porte-parole contestataire, un statut que d’autres musiciens

comme Bob Dylan ou John Lennon ont approche et assume pour diverses raisons.

Grace au mouvement Rasta (Forever Loving Jah, Rastaman Chant), Bob Marley a

ouvert une voie qui ne se limite pas a la protestation d’ordre colonial et postcolonial.

Il a souhaite montrer a l’humanite, la falsification de l’histoire des peuples Noirs. Il a

aussi une approche de la bible jusque la essentiellement inedite, et de plus en plus lar-

gement etudiee et reprise depuis. Son approche theologique rastafarienne relayee par

sa celebrite, fait ainsi de Marley l’objet d’un certain nombre de reflexions de nature

hagiographique.

Une des etudes anthropologiques interessantes sur les dynamiques sociales et rela-

tionnelles des Rastafaris dans leur rapport au cannabis (Ganja) est celle de Danielle Grat-

ton (1983). L’origine du mouvement rastafari remonte aux annees 1920 ou le predicateur

Marcus Garvey denonce les conditions sociales et economiques en Jamaıque en predi-

sant que la liberation du peuple n’etait qu’une question de temps. En 1930, Ras Tafari,

de son nom d’origine, Haile Selassie, est sacre empereur d’Ethiopie et devient le sym-

bole d’un Dieu vivant pour plusieurs Jamaıcains. A partir de ce moment, de plus en plus

de Jamaıcains s’identifierent pleinement a cet empereur et c’est le debut du mouvement

rastafari dans le pays.

En ce qui a trait a la substance cannabis (Ganja) et sa fonction dans la societe jamaı-

caine, elle est profondement ancree dans la culture et la tradition en Jamaıque. Des l’ado-

lescence, il y a un rite initiatique du jeune ou il fume le Ganja pour la premiere fois afin

de determiner le passage entre l’enfance et l’age adulte. Comme avec l’etude classique

de Becker sur comment devient-on fumeur de marihuana (1963), l’experience du jeune

Jamaıcain pourra donner le feu vert au jeune comme membre de la communaute a part

entiere et comme une identite de fumeur si son experience est positive, si elle lui procure

du plaisir et contribue a une certaine vision du monde. En revanche, si cette experience

s’avere negative, ce jeune ne sera pas encourage a en reprendre. A l’age adulte, la

majeure partie des rastafaris consomme generalement du Ganja comme agent facilitateur

lors des divers contacts sociaux dans leur style de vie. Selon la classe sociale a laquelle

vous appartenez, le mode de consommation peut etre different. Ainsi, les classes

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privilegiees ont souvent utilise le Ganja pour ses vertus medicinales : boisson pour divers

malaises, cataplasme sur des plaies ouvertes ou baigner le nouveau-ne dans un bain de

feuilles de Ganja. Ces usages medicinaux sont socialement desirables par les gens issus

des classes dominantes qui en consomment meme sous forme de the sur une base regu-

liere. Ceci etant, cette meme substance est plus condamnable par ce groupe social quand

elle est fumee. Cette realite demontre clairement que c’est le mode de consommation qui

est associe a la deviance, voire a la delinquance, par les gens au pouvoir et non la sub-

stance comme telle. Cette differenciation au sein du meme pays par le biais des modes de

consommation, illustre le fait que chez les classes ouvrieres, tous les modes de consom-

mation sont acceptables en reconnaissant ces effets benefiques sur le sommeil, l’appetit,

la sexualite, la reflexion, la relaxation et permettrait d’avoir souvent des idees claires, de

se concentrer, de mediter et de prier.

Entrer en communion avec Dieu est une des raisons principales de l’usage de Ganja

aupres des rastafaris. Selon Gratton (1983: 43), le fumeur rastafari prend un temps

d’arret et recite une priere que ce soit dans une pratique individuelle, une session de dis-

cussion ou un Nya Bingi qui est un rituel de fete qui signifie « mort aux oppresseurs noirs

et blancs ». Utilise pour creer un sentiment d’appartenance et de cohesion sociale, le

Ganja aiderait donc a la meditation et a la priere. Dit autrement, le Ganja est fume pour

se rapprocher de Dieu et s’opposer simultanement a la societe d’oppression en faisant la

promotion du changement social, politique et economique.

En etablissant un cadre ordonne autour de l’usage, les pratiques rituelles semblent

proteger les individus et les groupes des effets negatifs des substances. Dans la mesure

ou ces pratiques influent directement sur la substance et ses effets, elles modelent egale-

ment le comportement psychologique et social des individus. Bien que dans ce groupe

culturel, le rituel soit explique par le respect a la Divinite ou la solidarite communautaire,

et qu’en Amerique du Nord, il soit plutot compris comme « bonne forme sociale de

l’usage », le principe fonctionne, dans les deux cas, en protegeant les utilisateurs du

potentiel negatif des substances psychotropes (Westermeyer et Neider, 1986).

Conclusion et perspectives

A la lumiere des exemples fournis dans les dynamiques sociales et culturelles des

musiciens de jazz, des ecrivains, et des rastafaris de Jamaıque dans leur rapport aux

psychotropes, nous remarquons que les etats de conscience et les effets recherches peu-

vent fortement varier d’une culture a une autre, d’un groupe social a un autre, et des

reactions sociales et modalites de controle social d’une societe donnee. Selon Lucchini

(1985), c’est precisement sur la nature symbolique de la socialisation et de l’interaction

humaine que l’autonomie des sujets est fondee. Par nature symbolique, il faut entendre

l’apprentissage du rapport individu / environnement permettant de donner un sens a sa

vie, a ses choix, a ses gestes, et a ses comportements. L’autonomie de l’individu et ses

modes d’adaptation sont intimement lies au degre de concordance entre les symboles

appris et les besoins dans l’environnement reel. La richesse des solutions adoptees par

les individus pour controler leur environnement, repose fortement sur l’activite sym-

bolique de l’etre humain. Au centre de cette activite symbolique, la culture occupe une

place preponderante dans l’explication et l’integration des symboles en question

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(Peele, 1984). C’est donc le caractere symbolique d’un comportement qui explique

pourquoi, dans des contextes semblables, on obtient des comportements differents.

Cela expliquerait egalement le phenomene de la toxicodependance que Lucchini

(1985) definit comme:

« Un comportement qui resulte en partie de la recherche avortee de symboles en mesure de

conferer un contenu a l’identite en formation du sujet ».

Nous remarquons egalement que l’alteration des etats de conscience est une activite na-

turelle qui traverse toutes les societes et les cultures. Les effets benefiques de la musique

sur les emotions et le cerveau, par exemple, representent bien cette realite. Des

recherches scientifiques recentes de Salimpoor et collaborateurs (2009, 2011) ont etudie

les reponses du cerveau au plaisir musical. Les resultats demontrent que les sensations de

plaisir en ecoutant de la musique sont associees a des changements importants au niveau

d’une augmentation de stimulations au plan emotionnel. Des etats d’euphorie avec une

liberation importante de dopamine ont ete clairement identifies et cela illustre sans doute

pourquoi la musique constitue un langage universel a travers toutes les cultures.

En adoptant une perspective psychosociale, le phenomene de la dependance nous per-

met de mieux comprendre les divers comportements humains dont ceux des artistes, des

peintres, des poetes et des musiciens. Que ce soit la dependance aux drogues, a l’alcool,

au travail, a la nourriture, au jeu ou a la therapie, cette perspective nous permet de nous

pencher sur le phenomene de la dependance comme une realite globale. En incluant les

dimensions psychologiques et personnelles propres a chaque individu, et en insistant sur

les motivations relationnelles aux substances / activites dans un contexte social et cul-

turel donne, il est clairement demontre que la dependance est loin d’etre une fatalite

d’ordre physiologique, genetique ou hormonale (Peele, 1989). La devise de la perspec-

tive psychosociale peut, jusqu’a un certain point, etre resumee ainsi : « ne devient pas

dependant/toxicomane qui veut, cela prend certaines conditions psychosociales et cul-

turelles pour creer et maintenir un ‘pattern’ de dependance ».

Dans cette optique, la dependance s’inscrit dans un continuum, c’est-a-dire comme

le produit d’une realite changeante, non d’une realite en noir et blanc. Autrement dit,

une personne peut etre plus sujette a la dependance a un moment precis de sa vie ou elle

se sent particulierement vulnerable ou impuissante, c’est le cas de Marguerite Duras,

de Miles Davis ou de Henri Michaux.

Une facette importante de la dependance repose sur le fait qu’elle detourne la per-

sonne de ses autres centres d’interet et de satisfaction. En se concentrant graduellement

sur une activite ou sur une substance, l’individu se retrouve a consacrer de plus en plus de

temps a cette activite ou substance, et a delaisser simultanement d’autres centres

d’interet. Il faut donc comprendre les dependances comme servant a combler des vides

dans la vie de l’individu, a remplir des temps morts. Cette demarche peut aller jusqu’a

entrainer la concentration quasi exclusive de la personne sur l’objet de la dependance.

Un autre facteur dans l’installation de la dependance est celui de l’incapacite de la per-

sonne dependante a choisir. Pris dans un circuit qui produit une anesthesie des sentiments

desagreables en les remplacant par des sentiments de plaisir crees artificiellement, l’indi-

vidu dependant participe a une construction d’une illusion de plaisir qui justifiera la

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reprise de la substance ou de l’activite en question. C’est ainsi que le cycle de la depen-

dance devient fonctionnel puisqu’il repond aux sentiments negatifs par une alternative,

temporaire et artificielle, mais source de plaisir quand meme puisqu’elle reduit la

douleur.

Distinguer l’usage de l’abus avec les substances psychotropes ou certaines activites

pouvant developper une dependance est une condition prealable centrale dans la saisie

des dynamiques sous-jacentes au cycle de la dependance. Si les grandes œuvres et rea-

lisations artistiques, toutes categories confondues, peuvent parfois puiser leur inspiration

dans des substances psychotropes, ces conditions s’inscrivent dans un continuum sans

etre une fatalite permanente. Si le grand poete Bob Dylan chantait « Everybody must get

stoned » il n’a pas ete qu’un poete et chanteur « drogue », il a aussi contribue a l’eman-

cipation et a la prise de conscience des droits civiques et des mouvements sociaux pour

une societe plus juste et plus egalitaire et ce, jusqu’a aujourd’hui.

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at UNIV OF SOUTHERN CALIFORNIA on April 8, 2014sir.sagepub.comDownloaded from