Itinéraire D'une Avocate Enervée. De la Garde à Vue au Garde à Vous

7/25/2019 Itinraire D'une Avocate Enerve. De la Garde Vue au Garde Vous.

1/63

Itinraire dune avocate au garde vous. Page 1

ITINERAIRE DUNE AVOCATE

AU GARDE A VOUSOu: DE LA GARDE A VUE AU

GARDE A VOUS, ITINERAIRE DUNEAVOCATE ENERVEE

Le droit pnal treint au gosier toutes sortes de situations, des plus

prmdites aux plus inconscientes et hasardeuses. Je ne peux tre

assure, en cultivant une vie range, loin des excs des stupfiants,des vols de voitures, ou du proxntisme, de ne pas connatre un

jour les couloirs dun commissariat, et les heures dattente engele.

Le crime a en effet ses raisons que la raison ignore. On aime, et

puis un jour on tue. Pourquoi ? Comment ? Cest arriv desgens dit trs normaux , parce que la vie a soudain touch un de

leurs nerfs vif.

Les ressorts de la passion amoureuse par exemple.

Et puis un jour vous tes assimil un terroriste parce que vous

vous tes lanc dans la religion avec une ferveur mystique,

inspiration soufiste, ou bien, dans le registre qui na rien voiravec les barbares du djihad, parce que vous cultivez des lgumes

bio en Dordogne et participez une fois par an une manifestationpour soutenir des zadistes et que vous tes ce titre inscrit sur une

fiche s et victimes dun dbarquement policier chez vous, aumilieu de la pampa, au petit matin.

Ou, dans la vie courante, ni mystique, ni militante, sauf pour le

conducteur du vlo, vous conduisez une automobile et vous

renversez un cycliste qui meurt de ses blessures.

Et parce que vous vous rendez compte que vous tes finalement


2/63


compltement et rsolument lac et que vous aimez les banquets

festifs, vous vous autorisez le verre de trop, cd le deuxime, et,

interpell, dun souffle, vous dvoilez la carte des crus de la soire lthylotest que vous avez l bien en bouche, avec son got amer.

Et parce quil ny a pas que les attentats et que la vie continue,parce que vous pensez que cest impossible de vivre sans trelibre, vous organisez un petit vnement sportif, et cest un dramede plus, les gradins seffondrent.

Esprant avoir enfin une bonne ide, vous dcidez dacheter uneboulette de hashish, en esprant que vous ne financez pas des

terroristes radicaux, place de la Victoire Bordeaux, en flippantde vous faire interpeller, et puis ensuite vous partez en boite,

parce que les superbes ides ne courent pas les rues, et vous vous

battez la sortie, parce que non dcidment les bonnes ides ne

courent pas les rues, et aussi parce que vous descendez du coq

gaulois, et que la violence, malheureusement, est ordinaire, entre

coqs.

Le lendemain parce que vous vous intressez beaucoup dautreschoses part les botes de nuit, vous avez apparemment enfin une

bonne ide, et vous dcidez de participer une manifestation

politique pacifiste : vous tes arrt force matraques par des

policiers habills en robocop.

Autant dvnements dun quotidien, qui nest peut tre pas celuide tout le monde, mais qui peut ltre et cest ce qui importe, le

potentiel tre vcu. Que la vie soit ordinaire, ou extraordinaire,on force de dsirer tre libre, on en oublie presque les risques

encourus, pour la faute pas de chance.

Tu ne comprends pas ce qui tarrive et la brutalit avec laquelleon te traite, tu tentes de discuter mais on te rabroue en te

dvisageant avec un profond mpris. Tu comprends que tu ne

peux plus discuter :

Tu parles avec un policier, lecteur.


3/63


On te met les menottes, tu es priv de tous tes moyens de

communication et de tous tes effets personnels, on te fait une

fouille au corps, tu ne peux plus contacter ton milieu habituel

pendant des heures.

Te voil en garde vue, lecteur !

En 1993, il y a quelques vingt annes, la loi franaise reconnaissait

le droit du gard vue sentretenir avec un avocat.

Les annes ont pass, et le rgime de la garde vue a plusieurs

fois t modifi.

Le sera-t-il encore, au nom du renforcement de la scurit, contre

les liberts, en raction tous les attentats djihadistes qui

terrorisent la plante.

On parle dune garde vue qui irait jusqu 120 heures pour cescrimes l, encore faudrait t-il que les militants sociaux et

cologistes ne leur soient pas assimils comme on a pu le constater

ds linstauration de ltat durgence en France, voire avant mmeque ltat durgence ne soit instaur avec la mort du militant vertRmi Fraysse et les interventions contre les zadistes, dfenseurs de

lenvironnement, et que lon appelait dans certainsenvironnements politiques les terroristes verts .

Si lon revient sur les dernires annes, on voit quele nombre degardes vue a beaucoup augment au cours des annes 2000, les

motifs dy recourir tant de plus en plus vastes, en particulierpour les infractions au Code de la Route et les dlits financiers les

plus mdiatiss.

La politique du chiffre , basant lobtention de certaines primes

sur les statistiques ralises avec les gardes vue, encourageantles interventions policires, particulirement pour de petits dlits,


4/63


ne causant pas ncessairement un trouble lordre publicvraiment vident. Des fumeurs de joint en firent les frais, lors de

consommations de rue, mais pas seulement. Beaucoup de gardes

vue sont en effet souvent inutiles ou vexatoires.

Petit petit, la garde vue, cette mesure policire denfermement,devenait donc la crainte des gens honntes et des petites gens, des

conducteurs automobiles en particulier, et le spectre des hommes

daffaires et des politiques affairistes ou corrompus.

Aujourdhui on remplace la politique du chiffre par la politiqueanti-Islamistes, voire anti-Islam, moteur de laction, nerf de laguerre, et objet de motivation justicire.

Reste que le sujet de la garde vue na rien perdu de sa superbe, lheure o le rgime politique se transforme sous le choc desvnements, en rgime policier, avec rgression des liberts

fondamentales et recrudescence des atteintes aux liberts

individuelles, perptres dans lindiffrence la plus profonde parlopinion publique et la socit civile dune manire gnrale, etdonnant tous pouvoirs aux prfets et aux procureurs, audtriment du contrle traditionnel effectu par le juge judiciaire

sur les liberts.

Il me semblait, quand jtais plus jeune, que les personnes quimentouraient avaient une conscience politique, taient impliquesdans leurs choix. Comme si, depuis lors, ces personnes avaient t

passes sous administration danesthsiant vtrinaire, non pas

type ktamine, mais type remde contre lesprit de rbellion etpour les dictatures.

Syndicats de magistrats, magistrats, et avocats slvent contre lesmesures qui sont prises actuellement et qui voudraient mme

constitutionnaliser le rgime de ltat durgence, alors quelarsenal des outils de rpression ou de prvention policire pourlutter contre le terrorisme existaient sans que lon gnralise leur

emploi en les faisant entrer sous la bannire large et extensible lenvi, des atteintes lordre public et la scurit publique


5/63


qui sont les critres grosso modo dapplication de la loi sur ltatdurgence de 1955.

Il fallait une rponse langagire, juridique et politique aux

attaques du Bataclan qui se rajoutaient aux attaques de CharlieHebdo, une rponse de taille, qui paternalise les inconscients et

qui rassure par la radicalit de sa dnomination. Ltat durgencetait tout trouv pour cela. Certains ne sy sont pas tromps, quivotrent contre ladoption de ltat durgence lAssemblenationale. (Pouria Amirshahi, Barbara Romagnan, Isabelle

Attard, Grard Sebaoun, Sergio Coronado, Nol Mamre)

Pendant ce temps, le budget de la justice reste parmi les plus

faibles dEurope et a na pas lair de vouloir sarranger, puisquela solution qui serait trouve, serait donc du ct de la restriction

des pouvoirs du juge judiciaire. Zauront plus se plaindre.

Des gardes vue, en revanche il y en aura encore, et pour tout le

monde ds que sont souponns la commission dun dlit ou duncrime, et si certains font un business avec cela*, quils serassurent, ils ont encore un avenir avec la police, mme si depuis

2009 leur nombre diminue, ils reprsentent environ 800 000personnes chaque anne en incluant les dlits routiers.

En 2010 par exemple, pas moins de 600 000 personnes furent

places en garde vue en France. (ces chiffres sentendent a priorihors dlits routiers) Soit environ 1 % de la population. Les

chiffres de lincarcration que lon trouve facilement concernantces annes-l, commencent aussi par un 6, savoir que lon compte

peu prs 60 000 dtenus en permanence dans les prisonsfranaises en 2011. Mais ce chiffre ne peut tre compar au chiffre

des gards vue, car il concerne le chiffrage de population au

cours de lanne, cest une sorte de moyenne du nombredincarcrs, mais cela ne dit pas combien de personnes ont tincarcres, seul ce chiffre aurait pu tre mis en comparaison avec

le nombre de garde vue.

Si lon avait ces chiffres, on pourrait cependant certainement endduire que beaucoup de gardes vue ne sont pas suivies


6/63


dincarcration. Ce sont l les mcanismes du sursis, et desprocdures alternatives aux poursuites, qui entrent en jeu au

bnfice du mis en cause, qui lon attribue des chances, de sereprendre en main, dchapper la prison, des chances desinsrer, ou de ne pas se faire prendre la prochaine fois.

Il semble beaucoup moins simple dchapper une garde vuequ une incarcration.

*Il existe des formations professionnelles dont lobjet est de prparer leschefs dentreprise lventualit dune garde vue dans leur carrire. Lecot de ces sessions est important et les rserve aux populations qui nont

pas lhabitude de faire le rcit circonstanci de leurs interpellations auprsde leurs amis, celles qui ne sen vantent jamais, mais pour qui lactualitnous laisse parfois envisager quil pourrait galement sagir dune sorte derituel de passage.

Car le dlit, comme le crime, peuvent concerner absolument

nimportequi, et nimporte quand dans une vie.

Ils font irruption dans les failles de comportements, et depersonnalits, ou tout simplement, vous tombent sur le bec, sur la

gueule dira t-on, sur le paletot, ou tout simplement sur la tte (une

enclume).

Vous aussi qui lisez ces phrases, vous pouvez tre concern par la

garde vue policire, par accident ou parce que sciemment vous

aurez transgress la loi, et t interpell.

******************************

Remonter le fil des discours, partir la dcouverte de vies et

dhistoires, voil le mtier que je dcouvrais en assurant mespremires permanences davocate commise doffice.

Je prenais modle dans lavocat pris de justice sociale, le grandavocat, qui provoque ladmiration de son public, et mintressais


7/63


peu au plaideur sans cur, lavocat lgaliste, qui ne trouve lesmots pour dpeindre les misres de ses clients, que dans les codes

et dans les lois.

En France, en comparaison avec dautres pays dans lesquels lesliberts publiques sont encore moins bien respectes, la situation

de lavocat est assez confortable, mme sil nvolue pas toujoursdans un bureau feutr et en ronds de cuirs, ou parmi les alles des

palais de justice la recherche dune date daudience ou duneplaidoirie.

Bien quil ne risque pas frquemment sa vie pour dfendre lesliberts publiques, mme si tout peut changer tout moment, iljouit dun prestige certain et mrit : le mtier davocat descenden droite ligne des sophistes de la Grce antique.

Depuis lors, il recherche incessamment une vrit, celle de son

client, celle de son rcit.

Et lorsque survient un crime ou un dlit, la vrit du discours

commence dans les locaux de gendarmerie ou de commissariat,

avec les premiers interrogatoires.

Cest pendant ce temps-l que les premires orientations dudossier sont donnes. Cest le temps du procs-verbal, le temps duseul procs vient bien aprs. On peut toujours changer de version

aprs la garde vue, mais ce qui a t dit reste au dossier et

dcrdibilise ou crdibilise au contraire la version des faits donne

initialement.

Aussi, quand jassiste mes clients en garde vue, durant ce tempsobscur et intimidant pour eux comme pour moi, je suis moi aussi

la recherche de leur vrit dans le discours.

Voil vingt ans que lavocat, sous limpulsion du droit europen-dont certains parlent de se dispenser car il protgerait trop les

liberts- visite les commissariats et gendarmeries, la rencontre

de son client gard vue. Visite de courtoisie dira t-on ; nospouvoirs sont extrmement limits.


8/63


Pourtant jai toujours trouv fascinant dtre habilite entrerdans des lieux de privation de libert, et de pouvoir voir de mes

propres yeux la ralit dendroits sinistres et interdits au grandpublic.

Michel Foucault, dans Surveiller et Punir, en avait dduit que la

prison ressemble aux usines, aux coles, aux casernes, aux

hpitaux, qui tous ressemblent aux prisons .

Il navait pas inclus dans son descriptif les geles de garde vue.Mais il est vident quelles ressemblent aux cellules de prison, sanstoutefois leur tre totalement assimilables.

Jeune avocate en 2004, jai donc moi aussi pouss ces lourdesportes et fait mes premiers pas dans les geles des commissariats

et des gendarmeries de Gironde, et den savoir plus.Jtais une avocate commise doffice parmi les autres, et noustions lgions intervenir de jour comme de nuit, nous relayer

aux chevets des interpells pour trente brves minutes, qui nous

semblaient parfois une ternit.

30 minutes. Ctait le dlai imparti pour tenter dtre utile augard vue.

Lentretien pouvait se drouler directement dans la gele mais engnral lodeur tait tellement intenable que lon nous proposaitun bureau.

Mon premier souvenir va lodeur de ces entretiens.Et ce nestpas quun dtail.

Cette odeur est une odeur bien pire que du chien mouill. Cestune odeur svre, pugnace, raide, irrespirable. Une odeur comme

on en sent rarement ailleurs. Une bombe lacrymogne homemade,

qui fait douter de la rmanence doxygne dans lair donn respirer. Une odeur attentatoire aux liberts fondamentales. Une

odeur comme une arme de guerre.


9/63


Et nous, avocats commis doffice, on allait dentretiens enentretiens, couter le gard vue raconter avec terreur sa

douleur, les conditions de son interpellation et les premiers

arguments de sa dfense.

Souvent jeconstatais que les poignets avaient t lacrs par des

menottes trop serres ce qui avait pour effet de former des stries

la surface de la peau, plus ou moins profondes et rouges. Cest enfait un classique de linterpellation pour une douleur lancinante.Ou que les t-shirts dchirs, taient maculs de sang, en raison

dune bagarre ou cause de linterpellation, ctait difficile savoir.

Ce sont des visages sous des lumires blafardes que jentrevois.

Des visages blancs, ou presque. Des visages sombres souvent.

Tout a sur la chaise du gard vue, pas encore condamn.

Face moi, en tte tte, ou dans la gele qui odore toujours

autant ce mlange inhumain de pourritures varies et

capitonneuses.

Jai vu des centaines dhommes sur cette chaise, et entendu descentaines de rcits : les ressemblances dans les discours taient

nombreuses, force de les entendre, je reconnaissais les lieux

communs de linterpellation, les lieux communs du dlit. La loiconstruit les caricatures dans lesprit, au fil du temps.

Ce jeune a un casier impressionnant et des condamnations

nombreuses depuis son plus jeune ge ; je pense que lorsque

quelques fes se penchrent sur son berceau, il navait djdautre issue que de passer par la prison.Une galre. Un bonhomme brave par ailleurs, pourquoi pas. Agit

certes. En vie, ou en mode survie, au milieu des codes.

Un bel exemple dtre tout fait humain, et juvnile.Il commence se perdre dans une version assez pittoresque de son

histoire.

Jaccueille ses paroles travers la vitre perce de minuscules

orifices, ou directement auprs de lui sur le petit banc dans lagele. Les confessions ne sont pas toutes sincres.


10/63


Mes feuilles blanches et ce stylo sont mon arme ; on touffe de

puanteur lintrieur.Je note au fur et mesure quil parle. Etje constate une fois de plus, qu cestade de la procdure, ce quele gamin tente de dmontrer envers et contre tous, cest soninnocence. Une innocence de principe. Linnocence philosophiquede lhomme rousseauiste, celui qui ny estpas pour grand-chosedans ses torts. Une faute contextuelle, peut-on dire.

Il est trs angoiss. Lenfermement -cet antichambre de laveu- estil donc indispensable pour tenter dobtenir une vrit.La vrit des faits et des dires, cest ce qui fait courir le mondejudiciaire.

Souvent je me demande ce quils disent quand ils sont innocents,ce qui les diffrencie du coupable, de celui qui a vritablementcommis linfraction la loi.Je me demande sil est possible de lesreconnatre ces Patrick Dills et autres innocents victimes.Linnocence a t-elle un visage, un regard, des mots cls.Que disent t-ils vraiment quand ils disent quils sont innocents?Quils veulent chapper la condamnation? Certes.Mais au-del ? Ont t-ils seulement la force de se dfendre et de

riposter.

Certains vont jusqu hurler comme dans un asile. Hurlent t-ilsquils sont victimes de leur vie? Hurlent t ils simplement que lacellule empeste la fin, et quils veulent pouvoir respirer? Hurlentt-ils leur incomprhension de la socit qui les punit et quils neparviennent pas trouver leur place dans la lgalit de caste.

Hurlent t-ils quilsont la place du rebut dans le systme ?

Pour moi, comme pour dautres, cest trs clair,et nempeste pas

Herms, ni Chanel.

Une garde vue peut durer quelques heures, comme quelques

jours, et ne doit tre ordonne que si lOfficier de police judiciairesouponne la commission dun dlit ou dun crime. Unecontravention ne peut occasionner une garde vue. En principe la

garde vue ne doit se justifier que pour les besoins de lenqute,mais souvent lenqute traine et la garde vue sternise sans que

les motifs dy recourir subsistent.


11/63


Au milieu du choc que constitue la garde vue, ils se succdent

travers la vitre pour que je fasse quelque chose. Certains

expriment une premire forme de rponse violente et animale,dautres conservent leur calme et intriorisent leur rbellion etleurs vindictes. Dans ce local du Commissariat central strictementamnag pour les entretiens garde vue, le jeune de la cit est

rvolt et ne semble pas trs rjoui par la perspective de sa nuit

dans les murs.

Contrles didentits, procdures pnales, incarcrations ensalves.

La sienne, celle des autres.

Il a le cuir dur.Il en a vu dautres, mais cest toujours comme si lon retenait unanimal sauvage. Il rsiste.Pourtant, il faut bien se rendre compte quau mme moment cestun gamin qui vit une histoire damour et qui est sur le point de semarier. Une vie aux mollients aigre-douce. Il aspire autre

chose.

On la rveill quand je suis arrive.Je me demande sil nest passous lemprise dune drogue. Il somnole un peu quand je lui parle.Peu peu il revient lui et trpigne. Il bondit sur sa chaise et se

jette sur la vitre en tapant des poings.

Cest un jeune de la cit.Drle de sensation car on ne ma jamais appris dcrypter lescodes et images du langage des banlieues. Choc des milieux. Le

gamin slamme. Je suis presque mal laise pour comprendre sonlangage, mais japprcie la sonorit de la langue quil dploie avecrage. Il me faudrait presque un interprte tant le langage est

diffremment bariol. Il y a beaucoup dimages derrire les motsdans le langage des cits et tout cela est trs sophistiqu, pour les

plus cratifs.

Il y a beaucoup de potes dans la dlinquance de cit. A leur

manire. Linsulte est le dbut du langage disait bien, ce cherJaques Lacan.


12/63


Codes et images me reviennent de mes longues annes la facult

de droit.

A des annes lumires de cet univers-l.

Je plane sous les mots massifs.

Et je comprends lhistoirede ce gard vue.

Mais vous lecteur, victime de dgradations de votre logement, ou

de votre vhicule, fatigu des agressions usantes et rptitives,

quoi pensez-vous donc ? Murs tagus, vhicule endommag,

compagnie dassurance, argent, travail, matire. Alors quandvous pensez lui, ou elle, ce ou cette dlinquante, qui pourrait

bien tre lauteur(e) du vol de votre voiture, cest une chose biennormale quilou elle soit plac(e) en garde vue.

La dlinquance est plus masculine que fminine, cest lhommequi part chasser et cueillir les baies pour son foyer, la dlinquance

a ce quelque chose dancestral.

La faade de la Maison darrt se profile dans notre esprit.Et dans le sien. La cellule de garde vue, prfigure le long voyagevers lincarcration.Quil soit corrig, a lui apprendra respecter les autres. On nebadine pas avec la proprit. Qui vole un uf, vole un buf. Et vaen prison, comme au Monopoly.

Il na bien sr pas pass le permis de conduire.Il a appris conduire les voitures en les volant.

Il est gris de voler les voitures la nuit pour aller battre desrecords de vitesse sur les voies rapides, en faisant sauter les

contrles radars.

La Guerre des Boutons, version XXIme sicle.

Cette fois, on ne lui reproche pas un vol de vhicule mais un recel

de portable et un outrage. Menus larcins ?

Le recel, je lai toujours trouv svre, un dlit semblable au vol,en apparence moins grave mais sanctionn de faon aussi grave


13/63


que le vol par la loi.

Tout repose sur la connaissance que lon a quune chose a tvole. Je me rappelle un jour o un juge dinstruction avaitindiqu sa dtestation du march aux puces et de la brocante

comme plaque tournante du recel sur la ville. Jaurais prfr quesoient dnoncs les recels dabus de confiance, les recels deblanchiment, les recels dinfraction daffaires.

Revenons notre gard vue : Linterpellation a tapparemment complique ; il a rsist et sest montr virulent,daprs le terme employ par les forces de police.Il aurait mmeinsult lofficier de police, avant de se retrouver terre, unebalayette plus tard. La parole de lOPJ fait foi, face au jargon descits, la jurisprudence protgeant la susceptibilit de nos agents.

Cependant, mme une expression polie et en apparence

inoffensive peut en raison des circonstances tre qualifie

dinjurieuse ou de diffamante.

Un regard insolent. Un souffle intempestif et appuy.

Quand vous tes habill en bas de jogging blanc, avec voschaussettes par-dessus le pantalon, que vous portez de belles

baskets Adidas, et une sacoche Lacoste, et que vous vous

promenez en bas de chez vous, vous avez le profil idal pour que

tout cart de langage fasse mouche.

Il faut dire que la gestion des mots nest pas toujours le fort de lafonction policire. La rponse policire peut aussi donner

limpression douvrir les hostilits au lieu de les calmer, tant elleest parfois malheureusement compltement caricaturale, par

dfaut de formation. Lusage de la force physique- pour signifierlinterdit- est t-il vraiment adapt pour montrer lexemple durespect de lautre? Pourquoi ne pas concevoir que lon exerceraitlordre en continuant user dun langage respectueux et duncomportement valorisant et diplomate ? Ces remarques sur

lusage de la force et la violence policire, mvoquent dans un

contre-sens apparent, les actions de rsistance civile dun certainGandhi, fondes sur la non-violence, qui conduisirent le pays


14/63


lindpendance, et amliorrent les droits civiques et politiques.Ces actions, comme celles dautres leaders des droits civiquesdmontrrent leur efficacit par lobtention des rsultats esprs,sur des actions moyen terme. Les Indigns que je dfendis pour

le groupement bordelais en mars 2012, les Zadistes, et denombreux rsistants continuent ces combats dans le monde, avec

ces armes.

Gandhi, avocat, en modle daction des forces policires? Lesforces de lordre, armes jusquau cou des plus rutilantestechnologies de gurilla urbaine, appliquant les principes

hindouistes de la non-violence. On demanderait seulement une

arrive du bobby anglo-saxon, toujours prt renseigner ou faire uvre de mdiateur courtois, dans les forces franaises pouradoucir les liens sociaux. Dautant plus que la composition desforces de lordre a chang, limage de toute la socit: lesfemmes font maintenant vraiment partie des effectifs policiers, et

apportent leurs temprances et leurs styles. En principe elles ont

un physique moins musculeux que celui de leurs collgues. Est-ce

dailleurs ce physique gracieux et gracile dans des uniformesunisexes, qui explique que le Syndicat des Commissaires de laPolice Nationale dnonce des disparits davancements dans lespostes de responsabilits entre hommes et femmes, celles-ci tant

trop souvent absentes des postes de haut niveau .

Un secteur professionnel traditionnellement rserv aux hommes,

o les femmes ont commenc faire leur entre par la petite porte

sous linfluence de Georges Clmenceau lpoque des Brigadesdu Tigre. Elles taient alors essentiellement dactylographes. Puis

dans les annes 70, o charges du stationnement elles deviennentles aubergines , puis les pervenches en 1977.

Lusage smantique du registre lgumier ou animalier leurgard illustre rondement les difficults dintgration sansdiscriminations.

Aujourdhui tous les concours de la police leur sont ouverts decelui de Raid celui de Crs.

Mais la fminisation dans ladministration de la police reste

infrieure la moyenne de la fonction publique. Certainsvoquent des rsistances au changement dans un milieu o


15/63


certaines reprsentations strotypes restent dominantes et o le

management est bien masculin.

Cest donc bien un secteur professionnel o les valeurs viriles dela force, de la capacit se battre, du droit la violence,

constituent un obstacle lintgration des femmes, qui sont bienobliges de trouver un autre style leurs fonctions entre

survalorisation transgenre des valeurs viriles, mise en

conformit du genre fminin avec les ralits du terrain et

fminit pacificatrice .

Le profil va du garon manqu, qui ne rate pas une sance de tir

et connait toutes les techniques sportives darrestation, etpatrouille dans les zones risque, au genre fminin non

accentu qui est celui que lon rencontre le plus et o les signesextrieurs de fminit sont gomms, pour se fondre dans un

paysage majoritairement masculin. En interrogatoire, si elle

renonce aux armes du corps, elle peut donner en revanche

facilement dans lagressivit verbale pour redonner sans doute unpeu de virilit son discours. Elle nira pas en principe jusqu lacompassion, mais elle pourra faire preuve de bienveillance.

GANDHI, qui tait avocat est-ce un hasard-, nous a laissconcernant les femmes, et les socits de femmes, les pensessuivantes les plus charges despoir et de force, comme parexemple, celle-ci :

Si la non-violence est la loi de lhumanit, lavenir appartient auxfemmes. Qui peut faire appel au cur des hommes avec plusdefficacit que la femme ?

Ses crits sur la non-violence, comme expression de lhumanit,lient la non-violence lhumanit, et aux femmes.

Quoi de plus lgitime alors pour les femmes policires que de

tenter de mettre en action ces penses, en usant de modration, de

psychologie et de diplomatie dans des situations difficiles, pour

ouvrir la voie une socit pacifie.

Lorsque la haine rpond la haine, elle ne fait que se rpandre. Ilny a de vritable force que dans la capacit ne pas avoir peur.


16/63


Si parfois la violence semble rtablir la justice, ce nestmalheureusement que transitoire car le mal produit, demeure.

On voit bien dailleurs que ne pas avoir peur est la premireaction de rsistance que lon peut manifester face au danger. Ceque lon apprend dsormais avec la violence arme qui frappe lasocit civile sur un lieu de spectacle, dans un bar, dans un lieu de

rjouissances et de rencontres est bien quil importe de vivre, dene pas avoir peur et de continuer tisser la vie autour de ses

dsirs, de vivre.

En opposant la haine la haine, on ne fai t que la rpandre, ensur face comme en profondeur .

La force rside dans labsence de crainte, et non dans la quantitde chair et de muscle que nous avons dans le corps.

Je moppose la violenceparce que lorsquelle semble produire lebien, le bien qui en rsulte nest que transitoire, tandis que le malproduit est permanent.

Je pense que lexercice de lordre nest pas incompatible aveclusage dun langage respectueux et dun comportementvalorisant, mettant en avant des valeurs humanistes plus que

guerrires. Les cas o lintervention arme sont ncessairesrestent minoritaires, et je trouve que lon ne fait pas assez usagedu verbe adroit dans la police, mais peut tre que je ne me rends

pas compte des ralits du terrain, seulement que je me sensagresse par la faon dont les hommes en bleus me regardent, me

parlent quand je me dplace pour une simple dmarche au

commissariat, alors quil est vrai quen tant que wasp quarantenaire blanche, dallure bourgeoise- je ne suis jamaisarrte pour un contrle et que cest tant mieux, mais que je medis que si on me parle comme a, moi, alors que je me prsente

volontairement dans un commissariat, a doit pas tre de la tarte

pour les autres.


17/63


Les femmes pourraient donc bien tre l aussi lavenir des forcesde police.

Le monopole de la violence lgale est un chapitre lourd assumer,

et qui cause mme des dnigrements ordinaires et douloureuxpour les agents de police eux-mmes, certains ne supportant plus

leurs fonctions et allant mme jusqu se donner la mort avec leurarme de service, tellement ils sont dsesprs.

Il existe des lieux de cure pour ceux qui ne supportent plus leur

fonction au quotidien, sont t ils accessibles ? On sent bien quilsont besoin de bnficier de suivis psychologiques plus frquents et

dvoluer dans un environnement o souffrir de dpression neveut pas dire que lon manque de caractre ou quon est faible.

Mais les douleurs ne sont pas quunilatralescomme on veut tropsouvent le faire croire, en passant sous silence les morts et les

mutils sous leffet des actions policires. Cest ce que relatentcertains travaux accomplis par des associations de rsistance

militante aux violences policires.

Ainsi daprs ce bilan dress par lassociation Basta!, plus de 120personnes ont t tues en France entre 2000 et 2014 et de

nombreuses autres ont t blesses, mutiles ou borgnes sous les

coups de la police dans les rues, les commissariats, les prisons, ou

encore aux frontires.

Comment peut-on entrer vivant dans un fourgon de police et en

ressortir mort ?

Il ressort de cette liste des morts que la majorit dentre eux ontdes noms consonance trangre, ou sont des personnes a priori

dsquilibres psychiquement, ou que la peur dtre arrt dans lacourse-poursuite a conduit se jeter dans un fleuve et y mourir

noy, ou encore que la course-poursuite sest termine par unecollision mortelle entre voiture de police et personne en fuite.

Beaucoup de balles dans le dos galement.

Des bavures, des morts suspectes et des morts injustes qui font

justement froid dans le dos la lecture de ces cinquante annes derpertoire des morts par action policire, inventorie par cette


18/63


association, dfaut dtre comptabilise officiellement par leMinistre de lIntrieur ou le Ministre de la Justice.La violence exerce par les forces de lordre, lorsquelle provoquela mort, est-t elle tabou en France ? Des dcs auraient t ils pu

tre vits ? Aucune statistique officielle nexiste sur le sujet. LaCommission nationale de dontologie de la scurit, charge de

juger des cas de violences illgitimes et des dcs suite

interpellation dont elle tait saisie, a disparu, alors quelle taitune voie de recours interne ladresse dune sorte de police despolices pour surveiller et rguler les abus policiers.

Rmi Fraisse est le dernier mort rpertori dans la liste, pour

violences dEtat.Il tait un militant pacifiste et il est mort sous lefeu dune grenadeoffensive de la police alors quil manifestaitsurle site zadiste du barrage de Sivens dans le Tarn.Certaines morts nauraient t elles pas pu tre vitessi le recours la force tait moins immdiat et moins forcen ?

Les hommes et femmes qui sont morts de violences policires

ntaient pas ncessairement arms.Aux Etats Unis, suite la mort de Michael Brown Ferguson- un

afro-amricain- des voix slvent pour demander une rformedes mthodes policires. Avocat et activiste, Cornell William

Brooks est le reprsentant du principal lobby afro-amricain : Il

faut changer la faon dont la police fait son travail (), il fauttraiter ces jeunes avec respect, agir sur la base de preuves et

engager un dialogue avec les communauts sur les mthodes

policires.

Doit-on mourir pour avoir cambriol une maison ou vol une

voiture ? Ny a-t-il pas moyen de prserver la vie et de laisser unechance au dlinquant ou au criminel de trouver sa place dans la

socit ? Comment faire pour permettre une volution de ltatdesprit des forces de policeet viter que larme ne soit utiliseinjustement ?

Drle de fonction dans une socit, que celle de la police, et drles

de rgressions aussi, latentes ou actives.

Ainsi il semble que les violences policires ne soient ni plus de


19/63


droite, ni plus de gauche, daprs les recherches effectues parMaurice Rajsfus, qui a analys les diffrentes priodes de

rpression dtat. Si lanne 2006anne o Nicolas Sarkozy estministre de lIntrieur- nenregistre 5 morts, lanne suivante,anne de llection prsidentielle, compte l 16 morts de violencespolicires, dont plusieurs cas troubles, daprs le travail derecherche de lassociation Basta!. A insi les deux dernires annesde scrutin prsidentiel 2007 et 2012 ont t particulirementmeurtrires : 16 et 19 morts. Ce qui est moins le cas pour les deux

prcdentes 1995 et 2002 avec respectivement 4 et 5 morts.Pour la gauche, 1984 demeure une anne noire, avec 14 dcs.

Lventail des 320 personnes tues par un agent des forces delordre ou suite leur intervention rpertori par lassociationBasta ! est large : g de 7 ans Ibrahim Diakit, tuaccidentellement Paris le 26 juin 2004 par un policier stagiaire

qui manipule son arme de service ou g de 77 ans JosephPetithuguenin, un ouvrier la retraite qui meurt dans le

dpartement du Doubs le 22 juin 2010 pendant sa garde--vue. Un

profil-type se dessine cependant : lindividu qui dcdera sera un

homme noir ou dorigine arabe, habitant un quartier populaire delagglomration francilienne ou lyonnaise, et g de 25 30 ans.On peut aussi anticiper les modalits de la mort : ce sera laconsquence dune course-poursuite en voiture, dune garde--vue, dun placement en cellule de dgrisement, dun contrledidentit, duneinterpellation, ou encore suite une tentative defuite.

Dans une majorit des cas, policiers et gendarmes concernsferont usage de leur arme feu.

Dj, jusqu ce que ltat durgence suite aux attentats soitdclar en France, la majorit des tirs touchait des rgions du

corps non destines une neutralisation qui aurait pu permettre

dviter la mort. Sur un chantillon de 200 personnes tues parballes, une cinquantaine ont t atteintes la tte, 25 dans la

poitrine, 25 dans le dos, une dizaine dans labdomen, une dizaine

dans la nuque, une dizaine dans le cur, 6 dans le cou. Une


20/63


soixantaine de morts par balles nest pas renseigne. Pourtant,dans ces cas prcis, les situations o les agents se font tirer dessus,

et sont donc contraints de riposter, demeurent exceptionnelles.

Les nouvelles lgislations concernant les pouvoirs policiers enriposte des attaques terroristes, leur arrogent, et cest trsinquitant une extension de leurs pouvoirs dans lutilisation deleur arme de service, qui leur confre la sorte de permis de

tuer quils avaient perdu depuis lpoque du far west. Ce quiinquite de surcrot est que cela corresponde au fantasme de

puissance originel du policier qui sengage. Comment encadrer lesripostes, alors que les vnements donnent la crdibilit de cette

profession, le regain dnergie, et de fonctionnalit quilsattendent tant sur le terrain et dans les bureaux. Certains

navaient pas besoin de ces nouveaux pouvoirs pour se ressentirdans une sur puissance virilisante inquitante.

Pour ce qui est des gardes vue qui se terminent par un malaise

cardiaque, on peut se demander si le manque doxygnation nepeut pas tre lorigine du trouble.Le malaise cardiaque est en

effet une cause de mort naturelle frquemment rvle par lesautopsies ou avance par les autorits. Plus de vingt personnes ont

ainsi pri lors de leur interpellation ou de leur garde vue. La

plupart de ces malaises sont conscutifs une arrestation

muscle ou une immobilisation par la technique du pliage et

par asphyxie posturale , pratique notamment lors de

tentatives dexpulsion de sans-papiers. Cest le cas pour Wissam-el-Yamni, qui meurt le 9 janvier 2012, Clermont-Ferrand,

quelques jours aprs son interpellation. Quand ces malaises seproduisent au commissariat, les manquements aux soins, lerreurde diagnostic mdical, la non-assistance personne en danger sont

souvent points du doigt par les proches des victimes, voire par les

enqutes et expertises qui suivent le dcs. Le fonctionnaire depolice ayant la garde dune personne dont ltat ncessite des soinsdoit f ai re appel au personnel mdical et, l e cas chant, pr endre desmesures pour protger la vie et la santde cette personne , stipulele Code de dontologie de la police.


21/63


Ces dcs au commissariat sont souvent entours de circonstances

troubles : traces decchymoses ou de blessures, versionscontradictoires des agents en poste, rtention dinformations.Illustration ? Un homme interpell mi-juillet 2007 en tat

dbrit sur la voie publique Rouen et plac en cellule. Sa mort,considre comme naturelle suite une crise cardiaque, est tenue

secrte pendant deux semaines. Autre affaire emblmatique du

voile opaque qui peut recouvrir ces malaises mortels : le cas

Abou Bakari Tandia, retrouv dans le coma dans une cellule du

commissariat de Courbevoie le 5 dcembre 2004, et qui dcde un

mois et demi plus tard lhpital. Sa famille porte plainte pouractes de tor ture et de barbar ie ayant entranla mort . Il faudra

huit ans de procdures pour aboutir un non-lieu , qui nest niune relaxe, ni une condamnation. Entre versions contradictoires et

expertises mdicales, les causes relles du dcs de cet homme de

38 ans restent toujours inconnues. La Cour europenne des Droits

de lHomme est par exemple saisie de ce procs..

Il ressort aussi de cette liste que beaucoup de morts surviennent

donc dans des accidents de la circulation, o lon retrouve des

situations trangement similaires, dans la prise en chasse par lespatrouilles de police par course poursuite. Rgulirement les

versions des forces de lordre diffrent de celles des tmoins: lestmoins relatent lexercice de la technique du parechocage quiconsiste tenter dimmobiliser les vhicules, le plus souvent desdeux roues, au moyen de la voiture de police, soit en les serrant

contre le bord de la route, soit en les percutant, provoquant la

perte de contrle ou laccident.Pourtant, en France les consignes

sont dviter les courses-poursuites car leurs consquences sontdisproportionnes par rapport aux infractions.

Le 21 fvrier 2013, ce sont deux policiers de la BAC, dont la

voiture est percute volontairement par un 4X4 en fuite sur le

priphrique, qui trouvent la mort dans ce type dintervention.Le ministre de lIntrieur va-t-i l se dcider interdi reoff iciel lement cette pratique ? , interroge le bulletin de mars 2013de Que fait la police ?.


22/63


Il semble enfin que la gendarmerie soit lunit la plusconcerne,avec 45 dcs, dont plus des trois-quarts sont causs par lusage deleur arme. En effet, les militaires sont en premire ligne dans lamise en uvre de barrages routiers sur tout le territoire etbnficient aussi dune prsomption de lgitime dfense , ceque rclament galement plusieurs syndicats de police. Au regard

des effectifs, lunit de la Police nationale dont les interventionscausent le plus de morts sont pour leur part, les Brigades anti-

criminalit (BAC). 33 affaires impliquent ainsi des policiers de la

BAC, alors quils ne sont que quelques centaines (compar aux 98000 gendarmes). Les CRS au nombre de 14 000 apparaissentdans une quinzaine de dcs, dont trois grvistes deux ouvrierset un lycen tus lors de lvacuation de lusine Peugeot deSochaux, en juin 1968.

Pour les fonctionnaires de police ou les gendarmes mis en examen

aprs un homicide, un profil type se dessine galement : il est desexe masculin, plutt jeune et donc en dbut de carrire.

Dans environ 130 affaires impliquant les forces de lordre (soit

40% des tus), lassociation Basta! na pas eu connaissancedventuelles suites judiciaires, alors que des enqutes internes la police ont pu tre diligentes ou que des plaintes contre X ont

t dposes. Il nest pas toujours possible de savoir si la justice at saisie. A cette absence de possibilit de savoir sil y a eu dessuites judiciaires, sajouteune quarantaine de non-lieux, rponsesibylline aux plainte des familles et associations de victimes.

En fait, dans plus de 60% des cas o lusage de la force estmortelle, le comportement des policiers impliqus demeure

potentiellement contestable. Dans le tiers des procdures

existantes, les agents des forces de lordre impliqus ont treconnus coupables, en fonction des circonstances, de non-

assistance personne en danger, dhomicides involontaires oudhomicides volontaires : la majorit dentre eux a tcondamne des peines de prison avec sursis. Ainsi, seize fonctionnaires de

police et de gendarmerie ont t condamns de la prison ferme,

soit pour 5% des affaires recenses par la socit civile.


23/63


Une opacit plane. La lenteur des autorits claircir ces affaires

tient probablement au profil type des personnes dcdes, sur 61

morts entre 1977 et 2011, 39 taient Algriennes, donc peut tre

moins arme pour dfendre leurs droits. Les catgories

populaires, en particulier dorigine immigre, et vivant lapriphrie des centres urbains, sont les plus touches par les

violences policires, l aussi o se dploie la politique scuritaire,

et la politique du chiffre.

Contrles rcurrents, dlits de facis, recherche outrance de

flagrant dlits gnrent chez les populations cibles la crainte de

se faire interpeller, elles-mmes productrices de comportements

suspects aux yeux des agents. Un climat illustr par la mort, Clichy-sous-Bois, de deux ados, Zyed et Bouna, qui fuient une

tentative dinterpellation. Le drame dclenchera trois semaines dervoltes dans toute la France. Que la politique scuritaire prenne

pour cible les plus dfavoriss vise la foi s occulter lesingal its et sanctionner une seconde fois ceux qui en sont lesvictimes , explique lanthropologue Didier Fassin qui a enqutun an auprs dune BAC. Pour Omar Slaouti, du Comit de

soutien Ali Ziri, un retrait de 69 ans dcd au commissariatdArgenteuil, la bavure ne se rsume pas certains pol iciersqui feraient mal leur boulot , mais relverait plutt dune volontde ltat. Thse que dfend Mathieu Rigouste, chercheur ensciences sociales, dans son dernier livre La Domination pol icire.Une violence industrielle[6]. La violence policire na riendaccidentel. La violence politique, tant le produit dune mcaniquergule et de protocoles techniques, ltat prmdite

insti tu ti onnell ement le meurtr e des damns intrieurs , crit-il. Cequi expliquerait que, pour linstant, trop peu dactions ne soientmenes pour lendiguer.

*Les propos propos des violences policires sont

inspirs dun article de Ludo Simbille et Ivan du Roy,sur le site de lassociation Basta.

Pour revenir ce jeune homme qui fait semblant de dormir,

recouvert dune couverture puante, dans sa cellule vitre souslil des camras, il ne semble pas des plus dangereux dans cette
http://www.bastamag.net/Homicides-accidents-malaises#nb6http://www.bastamag.net/Homicides-accidents-malaises#nb6


24/63


forteresse.

Il bidouille dans le trafic de cannabis depuis quelques temps.

Menus larcins.

Il trouve cela plus rentable que de travailler en intrim sur un

chantier, ou de rpondre aux convocations fantmes dun Pleemploi.

Et puis il prfre lui aussi faire appel son rseau, celui quilentretient depuis lenfance, avec ses voisins de pallier, avec sescamarades dcole publique- jusqu ce quil ait t dscolaris-,avec son grand frre (pas celui qui est mort, lautre), avec le fils dela meilleure amie de sa mre, avec son beau-pre.

Sa vie ne ressemble pas celle que lon peut avoir quand on estissu dune classe moyenne classique. Et encore, la dlinquance lieau trafic de stupfiants, et particulirement de haschich concerne

tous les milieux. Mais la plus connote reste celle des banlieues

difficiles, dans lesquelles ce trafic sest organis en activitrsidentielle et alternative lucrative. Lespoir dune gnration,qui amne la dlinquance et la prison.

Quand on nest pas issu de cette culture, cest difficilede se mettre la place de lautre, de comprendre son chemin en dehors de sespropres clous, de comprendre pourquoi il vend du haschich plutt

que de chercher un emploi et de chercher sembourgeoiser defaon range.

Moi cest mon mtier de comprendre, de memparer dun sujet,de percevoir son environnement humain, social, culturel et

conomique, et de tenter de restituer la ralit de son quotidien.

Cest ma fonction de comprendre, denvisager le tout dans saglobalit humaniste.

Cette immenseaptitude la comprhension, qui est le ciment detoute dfense, est aussi la marque de lhumain dans un procs. Leprocs, ce temps qui, dans la peine, permet chacun de rflchir

et de cheminer sur son existence. Faire comprendre et dfendre,

voil les deux missions que je me reprsentais dans le procs. En

tant quavocate pnaliste, je me posais en faveur de la libert parprincipe ds que possible. Dfendre la libert tout prix, choque


25/63


le tout pensant qui se demande quoi sert de lutter contre la

privation de libert. Mais cest ainsi, tout comme le cordonnierrpare les chaussures, le pnaliste dfend la libert. Cest sontravail, sa mission. Le reste ne lui appartient pas. Dailleurs, onattribue souvent lavocat le meilleur comme le pire du procs : ilest libre cest cause, ou grce lavocat, sil est condamn idem.Pourtant lavocat ne fait que plaider, cest bien au juge que londevrait adresser tous les griefs de laudience et du procs, puisquecest bien lui qui dcide in fine. Aussi, sil peut sembler choquantlors dun procs, dentendre les points de vue des diffrentsavocats la barre, il ne faut jamais oublier que la responsabilit

de leur plaidoirie nest pas celle du procs, et quils plaident avanttoute chose pour leur client, et pour servir une parole, une pense,un systme de dfense. Lavocat a une libert dexpressionlargie.Il nest pas tenu par la diffamation, mme si, plus qu un autre,sa parole se doit dtre parfaitement impeccable, la maniredun accord toltque. Cest aussi l quintervient cet art oratoire :tout dire, le dire mais en jonglant avec les limites. La cour

europenne protge la libert dexpression des avocats, quigarantit leur indpendance, leurs pouvoirs parmi les institutions,

Cette libert de parole, mme si elle est un peu monologique, et deton, fait de lavocat, dans certaines causes difficiles, aux enjeuxpolitiques ou socitaux, un acteur trs important de dmocratie.

En tous les cas, lors du procs, chacun est dfendu, la victime

comme lagresseur suppos, la gentille et brave souricette, avec unair de maigre et brave rat , comme le mchant et gras chat. Le

gueux comme le riche. Chacun dfend ses intrts.

A quoi sert de dfendre le gros et mchant matou, si tout le mondesait quil lest, entend t-on parfois.Un jeune dlinquant est t il un gros et mchant matou ?

Ce jeune dlinquant, qui dort avec sa couverture pleine de

djections humaines, nest pas un gros et mchant matou, mais ilencourt pourtant une peine qui va loccuper un moment.

Sil avait t un monstre, jaurais malgr tout recherch son

humanit au milieu des ruines et de ses cauchemars.La dfense pnale consiste faire surgir lhumain derrire le


26/63


criminel ou le dlinquant.

Je suis prte dfendre ce jeune dlinquant priv de libert.

A chaque rcit de dlinquant, correspond une catastrophehumaine, sociale, psychologique ou psychiatrique.

Il y a une victime en chacun de ces gards vue, une victime

part entire, quil conviendrait didentifier et de rconcilier avecelle-mme et avec le monde alentour, si le systme rpressif tait

efficace, plutt de de lui faire subir des chtiments

supplmentaires, qui lisolent dans son statut.

Lexemple du jeune dlinquant, celui que lon croise en serrantson sac, tait un simple exemple.

Je reviens au commissariat central, et jobserve.Que pensez-vous de cette femme qui arrive au

Commissariat menotte ? Pourquoi a t-elle a t interpelle ?

Figurez vous quon lui reproche des violences volontaires sur sonconjoint. Son mari sest plaint quelle avait trop bu et quelle avaitt violente avec lui. Les violences sur les hommes, a arrive. La

femme, elle, du haut de ses 1m 50, me raconte que son mari,

salari dans une banque, et toujours bien vtu, la frappe. Pour

preuve elle me montre les bleus partout sur son corps menu, sur

ses bras, sur ses jambes.

Ny a-t-il pas une difficult dans ce dossier ?

Je minterroge.

Le motif de placement en garde vue est t-il juste et proportionn

?

Pourquoi a-t-elle t interpelle ? Parce quelle avait un peu bu cesoir-l ? Parce que cest lui qui a appel en premierles autoritsde police ? Ou parce quil tait plus simple de lamener elle, pluttque lui ?

La mesure est-elle proportionne ?


27/63


Derrire la vitre, cette jolie bourgeoise ressemble lhomme deMunch, trangle par langoisse qui se dilate autour delle et dansses yeux effars.

Elle me supplie de la faire librer.

On lui a fait la fouille au corps. Elle na plus ni soutien-gorge, nibijoux. Elle se sent vraiment nue. Elle ne men dira pas plus. Ellea froid. Elle demande un verre deau. Elle a des manires dechtelaine dans cet endroit sinistre.

Jusqu cette nuit, elle ignorait tout de la garde vue.Elle ne stait jamais intresse la garde vue, car cela ne laconcernait pas, a priori, vu sa tranche sociale.

Elle naurait jamais pens quon puisse la traiter comme

nimporte qui, cest--dire, les autres.Elle pleure violemment. Cette nuit est un cauchemar. Elle ne cesse

de me supplier de la faire librer. Elle ne veut savoir que cela,

comme les autres.

Malheureusement je ne peux rien lui rpondre de trs prcis.

Je lencourage resterpatiente ; dans quelques heures elle seraauditionne par un Officier de Police. Le temps na pas le mme

sens lorsquon est dans un lieu de privation de libert. Il devientvide, priv des moyens dagir. Je lui promets de parler de sasituation aux officiers qui assurent la permanence de nuit, les

officiers du quart, et de tenter dintercder auprs deux pourquelle puisse rentrer chez elle, ou se mettre labri dans safamille, ou encore dans un foyer pour femmes victimes de

violences. Alors quon la reconduit la gele, elle continue de mesupplier la faire librer. Mais la triste vrit est que mme dans

un cas comme celui-ci, o une victime est peut tre prive delibert, je ne peux malheureusement rien faire pour obtenir la

libration de cette personne : il nexiste aucune voie de recourscontre la mesure administrative de garde vue. Seul le Procureur

de la Rpublique, juge et partie, contrle, distance, les

oprations. Aucun juge indpendant ne contrle vraiment le bien-

fond de cette privation de libert.

Dailleurs la Cour de Cassation a prcdemment dclar que le

Ministre Public, cd le Parquet, ou encore le Procureur de laRpublique, ne sont pas des autorits judiciaires faisant preuve


28/63


dindpendance et dimpartialit au sens de la Conventioneuropenne, sorte de gifle en pleine figure prise par les magistrats

du parquet leur sens de lhonorabilit, et la gageure morale deleurs interventions. Rappelons en effet quil y a en France deuxsortes de magistrats, issus de la mme cole : les magistrats dusige qui assis, rendent les dcisions, et les magistrats du parquet

qui debouts, requirent au nom de lEtat et proposent des peinesen matire pnale.

En France, le placement en garde vue, par la police, est notifi

un magistrat du Parquet, qui dirige la police, et le renouvellement

de la garde vue est soumis sa mme autorisation crite, ce qui

ne garantit pas le contrle de la mesure par une autorit

indpendante, le parquet chapeautant laction policire, les uns etles autres tant juge et partie - juge du procs et partie au

procs-, donc dnus dindpendance vritable.Pourtant, bien quun point de justice lmentaire soit l bafou, lasituation est telle depuis bien longtemps alors quil aurait t plusnaturel de confier ce rle au fameux Juge des Liberts et de la

Dtention, comptent lorsque la libert individuelle des citoyens

est en cause. Cette bascule na pour linstant pas eu lieu, bien quilen soit parfois discrtement question, et cest le chef des policiersqui dcide du maintien et du bien-fond de lenfermement engarde vue. La question ne franchit pas les portes de la maison

poulaga et on ne peut donc porter beaucoup despoir sur cecontrle des liberts.

Alors quand ils me disent: Matre, je suis innocent , je les

coute, en sachant que je ne peux gure uvrer pour leur

libration effective. Je nai aussi aucun moyen, sauf informels,dentrer en liens avec le Parquet et de faire valoir des argumentspour la libration.

Et le combat de lavocat pourla dfense continue.

Ce Vendredi aprs midi l, ce Vendredi 15 Avril 2011, en pleinaprs-midi, lAssemble Plnire de la Cour de Cassation prside

par Monsieur Lamanda, dcidait, aprs des mois de combatmens par les avocats de France pour aligner la jurisprudence


29/63


franaise sur la jurisprudence de la Cour Europenne des Droits

de lHomme, de marquer dune dcision incroyable, etdapplication immdiate, le cours tranquille des procdures degarde vue la franaise.

Ce jour-l, il est devenu obligatoire que tous les gards vue

puissent immdiatement bnficier, si tel tait leur souhait, de

lassistance dun avocat au cours de lentretien pralable, maisaussi tout au long de la garde vue, et notamment lors des

interrogatoires de la garde vue, peine de nullit pure et simple

de la mesure de garde vue. La veille, le lgislateur avait bien

modifi les rgles, et consacr aussi le droit fondamental au silence

du gard vue. Mais lon ne sattendait pas ce que la Cour deCassation prenne linitiative de dire cette rforme immdiatementapplicable, sans laisser plus de temps aux acteurs de la garde

vue, de farder leurs interventions et leurs procs-verbaux en vue

de la rception de lavocat dans leurs bureaux.Du Quai de lHorloge, aux couloirs des commissariats etgendarmeries de France, territoires et dpartements dOutre-mer,en passant par les services de tous les Parquets de France, il

scoulera bien plus dune minute, avant que le message ne passeeffectivement ses destinataires, et que les procdures soient

rectifies sur les claviers des forces de lordre.Et les circulaires de fuser du Ministre de la Justice jusquauxProcureurs

Cet aprs-midi l, cest avec les yeux carquills que lunivers dupnal se rveilla dun long somme. A laudience des comparutions

immdiates, les avocats commis doffice, alerts par quelquesconfrres prsents laudience, eux-mmes informs par lesbruits du Palais, relays par e-mail du Btonnier rceptionn sur

tlphone portable, semparent dela nouvelle rgle de droit pourdonner un argument supplmentaire leurs demandes de nullit.

Cest un peu la panique bord. On ne change jamais aussirapidement la rgle de droit.

Entre le 14 et le 15 Avril, dtranges procdures, cheval sur lesdeux rgimes, prolifreront : des gards vue, auditionns depuis


30/63


quelques heures ou plus, qui lon proposera soudain de se taire,et de contacter leur avocat pour quil assiste aux auditions.

Lhybridit de ces procdures nmouvra pas les magistrats qui rejetteront en bloc les motifs de nullits, renvoyant leurs avocats rviser les chapitres de leurs manuels consacrs La politique

pnale .

Une rvolution venait davoir lieu, qui voyait soudain lavocatobtenir un regard et une coute depuis lintrieur mme descommissariats et des gendarmeries, pendant les interrogatoires pr carr de laccusation.

De la gele, lavocat passait au bureau de lenquteur, o aucuneodeur suspecte ntait a priori dplorer. Un soulagement pourtous.

Une rvolution, non sans rappeler le 8 Dcembre 1897 des droits

de la dfense, o la loi Constans admettait lassistance de linculppar lavocat, devant le Juge dinstruction.

Cest avec beaucoup de rserve que la porte des commissariatssouvrit donc le 15 Avril aux premiers avocats dsigns par leurBtonnier en urgence.

Ni eux, ni nous ntions vraiment prpars cette nouvelleorganisation.

Pour eux, un traumatisme. Pour nous, une victoire.

Les questions existentielles quils se posrent, je ne les connais pas,

mais elles ont d tre nombreuses voir les mines quiaccueillirent notre entre au srail.

Pass le tohu-bohu des dbuts, on se mit sereinement, mais

rapidement rflchir aux contours de nos nouvelles missions. Il

apparut que cette rforme, que nous, avocats pnalistes, avions

majoritairement souhaite, tait certainement une avance pour

les droits de la dfense. Cependant, en pratique, tout restait

mettre en place. Au-del de lmotion cre par la nouveaut, etqui nous occupa pendant plusieurs mois, nos premires


31/63


proccupations furent galement organisationnelles et pratiques :

comment trouver sans dlais, suffisamment davocats volontairespour passer des journes entires dans les commissariats,

comment parvenir se mobiliser sur une journe entire pour une

seule garde vue, comment rmunrer les volontaires alors queles budgets allous pour laide juridictionnelle ne suffisent pas rmunrer suffisamment lavocat de lindigent (revenus infrieurs 1200 euros).

Dans les commissariats, les amnagements furent probablement

plus lgers : un peu de rangement dans les bureaux des

dinosaures, entre les vieilles archives, la machine caf et le pot

crayons.

La question, qui pourrait sembler anecdotique, se posa aussi de

savoir si lon devrait revtir ou pas notre robe davocat, lorsquelon se prsenterait dans ces forteresses.Mais, question de dosagepratique sans doute, il appart rapidement que notre prsence en

civil, aux cts du conducteur de vhicule mch, aux cts du

fumeur de joints, aux cts du braqueur de banque, du violeur, du

tueur de sang-froid, du mari conduit, et du trafiquant de

stupfiants, suffisait amplement prouver lesprit douverturede nos htes en uniforme bleus et kpis.

De garde vue rforme, en garde vue rforme, on se rendit

compte que finalement la rforme navait pas vritablementaugment nos pouvoirs, mais quen revanche elle avait larginotre domaine dintervention.

En un mot, nous avions un pied dans la porte, maintenant ce sont

les deux pieds qui sont passs. Et la tte bien sr. Certains disent : Nous faisons tout ce que nous faisions avant, cest--dire parfoisrien, parfois beaucoup, plus le reste. Notre prsence peut jouer

un rle dissuasif pour certains OPJ. Peut-tre forcent t-ils moins

laveu, ou usent t-ils moins dintimidations.Nous sommes en tousles cas devenus les tmoins du droulement de laudition, et cetteimmixtion dans la sphre policire est le signe dune avance trsnette de lavocat dans lchiquier de la procdure, sur le terrain

nagure rserv laccusation. Notre passage dans les locauxpoliciers ou de gendarmerie, de trente minutes, sest tendu


32/63


plusieurs heures, voire parfois plusieurs journes, au cours

desquelles nous travaillons la dfense de notre client, et

observons le fonctionnement de cet univers qui nous devient

familier, mais o nous ne saurions nous sentir chez nous.

Le gendarme fait emprisonner le voleur, et lavocat le fait librer.Philosophiquement, il y a de vastes champs dincomprhensionentre nos deux professions. Il y a un monde entre ces deux mtiers

mme si nous ctoyons des problmatiques semblables. Les uns

nourrissent une forme danimosit ou de ressentiment lgarddes autres. Aussi au quotidien les relations professionnelles entre

avocats et policiers ou gendarmes sont gomtrie variable.

Voil un peu comment les choses se passent, mme depuis les

attentats, avec quelques rcits piqus dans le vif, qui respecterontla rgle de la confidentialit et de lanonymat, pour cesdlinquants ordinaires, vous, moi, eux.

On sen doute, lhistoire commence fort mal pour le gard vue,et pour la victime de linfraction, qui aura galement droit dtre

assiste dun avocat pendant son audition.

Voici ce Monsieur qui lon reprochele cambriolage dune ou deplusieurs maisons dans la nuit du 30 Septembre 2008. Son

interpellation a eu lieu au petit matin, son domicile, sur

commission rogatoire du Juge dinstruction.Malheureusement il tait encore au lit avec Madame. On lui a

intim lordre douvrir sa porte.Il a dfr linjonction, vitant

lenfoncement de la porte dentre.Il a enfil un survtement, etest parti menott, devant un voisinage rassasi de frquents

incidents. Monsieur part pour un temps dont il ne connait pas la

dure, et Madame lui portera sa valise de vtements aux couleurs

de la maison darrt ultrieurement.Scne dune vie quotidienne faite de forfaits en tant que systmesocital, dincarcrations et de librations, qui nempchent pas detenter de construire naturellement une vie familiale.

Nous autres avocats, ne participons pas linterpellation.


33/63


Heureusement.

Les droits de la dfense commencent au placement en garde vue,pourtant contemporain sur le papier de linterpellation. Argutiejuridique. Parfois cest quand mme le bon sens qui lemporte.Nous nous sentirions assez mal laise, sur la banquette arrire,conduits par la voiture de police sur les lieux de commission de

linfraction. Attention matre, je vous couvre ! Non ce nest pas notre rle,nous sommes du ct du langage, nous sommes des praticiens

intellectuels dans la justice. Nous pourrions nous saisir de

lhygiaphone pour appeler au calme, connatre les arguments du

braqueur ou du kidnappeur, et faire de la mdiation, lextrieurdu lieu dintervention, comme dans les films amricains. Ngocierun hlicoptre ou une demande de ranon. Un peu daction quediable.

Ceci dit dans certains dossiers, nous quittons nos bureaux feutrs

pour aller sur le terrain flairer le dossier, chercher desarguments sur place, nous imprgner dune ambiance, duncontexte. Cest aussi cela que servent dailleurs les reconstitutions , sur les lieux du crime en prsence de toutes lesparties au procs, on retrace le droulement des faits, et de la

ralit mergent des vrits que lon aurait occultes en se limitant une contextualisation sur le papier.

Pour nous autres, tandis que dautres sont dj en gele, toutcommence par un coup de tlphone, qui peut survenir nimportequand, la nuit, le jour, au petit matin, au moment du placement en

garde vue.Dans un demi-sommeil, et alors que je cherche dans le noir un

stylo et un papier, lofficier de police me donne le nom du gard vue, la nature de linfraction quon lui reproche, et lheure deplacement en garde vue.

A chacun sa petite entreprise. Cest ainsi, et cest la crise . Et cestquand mme bien fatigant de travailler toute la nuit et

denchaner le lendemain avec une audience au Tribunal, quandon est jeune avocat et quon a besoin de ces commissions doffice


34/63


pour boucler le mois. Cest aussi la crise conomique donc. Maiscest surtout actuellement la crise avec ltat durgence, auquel sixdputs se sont tout de mme opposs ds le lendemain desattaques du Bataclan, alors quon voudrait en plusconstitutionnaliser un rgime qui a dj commenc porteratteinte des militants sociaux et cologistes, comme le dnoncent

les principaux syndicats davocats et de magistrats.

Je suis toujours en ligne avec lofficier de police, avec quijchange quelques mots sympathiques, lui qui travaille aussi encette nuit dinfractions. Lappel mane de la campagnemdocaine. Je pense toutes ces destinations sur le pourtour de la

Gironde, quil faut rejoindre en moins de deux heures, en pleinenuit, par tous les temps, ou dans le soleil et les embouteillages des

vacanciers. Le Verdon. Lesparre. Langon. Destinations

complexes.

Il faut limaginer, cet avocat commis doffice, qui, afin de ralisersa prestation rmunre forfaitairement, quel que soit le temps

pass, lheure du jour ou de la nuit, et les distances parcourir,son Code Pnal sous le bras, sillonne le dpartement, de la lisiredes Landes, aux bordures de la Garonne, jusquaux confins duMdoc.

Le voil donc enfin qui arrive. Le reconnaissez-vous ? Il a son

cartable et son air press et srieux. Il est concentr.

En ce qui concerne les avocats commis doffice, on en trouvera de

toutes sortes, certains seront concentrs et scrupuleux commecelui que je dcris, et viendront rellement pour vous assister

juridiquement autant que faire se peut. Dautres ne se sentirontpas trs investis par leur mission juridique et se prsenteront

uniquement comme un soutien ponctuel, sachez alors les

questionner sur vos droits, sur la peine que vous encourrez, sur les

preuves dont vous pourrez faire utilement tat, ou bien conservez

toujours en tte les coordonnes de votre avocat habituel, tout en

vous tant assur quil pratique le droit pnal.


35/63


Dans la gendarmerie, je retrouve le brigadier en charge de

lenqute qui me prsente brivement la situation, et me mnerapidement au bureau dans lequel je vais pouvoir mentreteniravec le gard vue.

Parfois cest un bureau, parfois cest une gele.

Je jette un il la dcoration du bureau, et constate que lendroitfourmille dobjets insolites. Ainsi, mon regard est accroch parune collection de bongs qui se dressent, comme en majest, en

hauteur sur une armoire.

Sortes de tuyaux branchs sur un rservoir deau, utiliss par lesfumeurs de haschish pour augmenter les effets du produit, ils ontdes formes insolites et multicolores, trs phalliques vrai dire, je

me surprends penser. Presque les confondre avec une

collection de godemichets. Collection freudienne dans une

gendarmerie, qui nest pas pargne par la construction dumonde.

Face moi, je dcouvre une affiche grandeur nature de Tomb

Raider figurant la redoutable guerrire et archologue LaraCroft au physique tellement engag.

Je remarque aussi quelques mots dhumour sur le thme delunivers carcral, qui permettent la personne interroge de semettre loisir dans lambiance quon lui prsente.

Comme on dit dans le jargon, on m amne le gard vue,qui, pour les besoins de sa surveillance, est un objet que lon

dplace, que lon amne dun endroit un autre, et que lonmamne finalement dmenott.Une odeur forte sinstalle dans lespace.Une odeur unique mlant la gele et lhumain.Une odeur o lon respire un peu la mme stagnation que celleque lon retrouve dans les Maisons dArrt, o il y a en plus, enarrire fond olfactif, lodeur de la bectance qui mijote dans lescuisines.

Comme une odeur souche, qui se transporte de geles en geles,jusqu la cellule de dtention.


36/63


Je suis soulage que lentretien ne se droule pas dans la gele,dans cette odeur insoutenable, et indigne. Je me demande souvent

comment les gards vue arrivent respirer cet air-l. Ils nonten tout cas dj plus le choix de lair quils respirent.Le basanMohammed de son prnom- sinstalle prcipitamment sur lachaise en face de moi. Alors quil passe de la pnombre de sonrduit, la lumire du bureau, je sais quil me voit comme unespoir, puisque je suis lavocate. Je lui confirme dailleurs queje suis bien lavocate et non pas un gardien de la paix,linterprte, ou le mdecin, qui sont les autres interlocuteurs quilaura probablement au cours de ce temps. Mme si, en y

rflchissant bien, je suis un peu tout a aussi, moi lavocate : jelui pose des questions, je tente de dcoder son langage, jcoute sesmaux. Quoi quil dise, quoi quil ne me dise pas, quelle que soitlinfraction quon lui reproche, je sais dores et dj que son rcitsera unique, puisque lui-mme Mohammed le basan est une

personne part entire avec ses joies et ses peines, ses exploits et

ses checs.

Il se met me parler avec, comment dire ?

Empressement ?Fureur?...Rage ?...Dsespoir ?...Energie ?...Le rcit commence. Jcoute son histoire avec ses menus dtails.Je my perds dans tout ce dballage de faits, de sentiments, decoups de poings et de coups de pieds, et larrte pour le fairerpter. Ma feuille se noircit de notes, de noms, de mots, de

croquis. Je remarque que mon client a les mains toutes gonfles,

presque oedmiques. Il me prcise quil a des problmesdaddiction, et quil prend du subutex.

Je men tais bien sr doute. Le subutex peut aussi sinjecter cequi provoque des ractions dans le rseau veineux et des dmes.

On a trouv dans son garage 300 kgs de haschich soigneusement

empaquets. Il sait quil a le droit de garder le silence eninterrogatoire, et dattendre que je puisse consulter le contenu dudossier aprs la garde vue. Mais il veut me parler. Je suis

lavocate du diable.Il mexplique en quoi consiste sa dfense et pourquoi il ignorait


37/63


que cette marchandise attendait dans son garage. Il nest pas aucourant de ce quon lui reproche. Selon lui, on a probablementfractur ce garage dans lequel il ne va jamais, et entrepos l cette

marchandise. Je me rends compte quil ne comprend pas bien lesmots juridiques qui sont employs pour dsigner les infractionsquon lui reproche.Les mots courants tels que tournante pour viol en runion,

braquage pour vol en bande organise avec violence et usage

dune arme, go fast pour transport de stupfiants, tomb ducamion pour recel, ou va nicker ta mre pour outrage posent

moins de difficults.

Mais ce nest pas dans ce sens que lon prsente dabord au gard vue la nature de linfraction reproche, et un petit rappel destermes juridiques simpose, qui permettra peut-tre de rpondrede faon plus adapte aux questions poses en interrogatoire.

Les faits comme les notions juridiques sont complexes. Les faits,

parce quils resteront toujours, en dpit de tous les effortsdenqute, incomplets.

Les notions juridiques, parce quelles sont peut-tre tropcompltes.

En ce qui concerne les stupfiants, la dure maximale de la garde

vue peut aller jusqu 96 heures, avec intervention retarde delavocat la 72meheure.Pour linfraction de terrorisme, la garde vue de principe est de 4jours, mais peut aller jusqu 6 jours pour le cas de menace

dattentat imminent ou de ncessit de coopration judiciaireinternationale, avec intervention de lavocatpossible partir de la72

me heure, mais une modification devrait allonger les dlais

jusqu 120 heures de garde vue pour le terrorisme, tout enmaintenant linterdiction de la torture. Dans le cas de JawadBendaoud, dont limage de beau gosse avec blouson en cuir etlunettes de thsard, et les propos je voulais juste hberger deux

potes pour quelques jours , ont fait le tour du net, avant dtre

relays par le jeu de fautes dorthographes autour du bouquetmissaire , la dure a t porte six jours avec placement en


38/63


dtention provisoire lissue de la garde vue. Les potes ntaientpas trs regardants car ils se fichaient quil ny ait pas de matelaspar terre. Cest malheureusement aussi cela la solidarit desbanlieues, peut tre une certaine forme dindulgence et desympathie pour des barbares, tueurs de civilisations souscaptagon, qui brandissent la folie comme tendard.

Mon client nest a priori pas terroriste, ni vert, ni musulman, maisautant dire que si mon client dcide de ne pas parler, et

daffronter les questions des officiers de police en rpondant chaque fois, en ma prsence, je ne souhaite pas parler , il risque

fort dirriter son monde, et le Procureur de la Rpublique, ou le

Juge dinstruction.En rplique, la dure de la garde vue sera probablement

exponentielle, et ses conditions difficiles. Si les charges contre mon

client sont finalement faibles, il pourra probablement tre libr.

Certains se sont mme fait avoir par des manuvres abusives dela part de leurs juges : interpell par les douanes, on promet un

conducteur de camion bourr de cargaisons de hashisch un statut

fantmatique de repenti, un peu comme en Italie, sil balance tout

le rseau, sauf que ce statut nexiste pas en France et que cemonsieur, qui croyait dur comme fer aux manuvres malfaisantesdu Parquet et du Juge dinstruction, est toujours en prison, si lesbarons de son rseau ne lui ont pas dj fait la peau pour avoir

tlguid les procdures dinterpellation et de saisine des droguesdepuis le bureau du Juge dinstruction en Espagne et en Hollande.Une procdure nanmoins passionnante, mais un mis en cause

largement victime. Victime dtre plus lourdement condamn que

les chefs du rseau, qui ne seront jamais condamns, et victimedtre lejouet des magistrats avides dattraper tout prix lesparrains, comme dans le film.

Si les charges sont importantes, mme sans les dclarations du mis

en cause, ni ses aveux, il sera probablement prsent au Procureur

de la Rpublique, et dfr.

L encore, lorsque la personne a choisi la stratgie du silence, il lui

faut encore se taire, car lavocat ne connait toujours pas le

contenu du dossier denqute. Ce nest quune fois que ledferrement aura eu lieu, que lavocat pourra accder au contenu


39/63


du dossier, et informer son client de ce quil contient. Uneinstruction aura peut-tre t ouverte, avec un dbat initial sur la

libert de linculp.Tout est question de choix et de circonstancesde fait. La question doit cependant tre tudie. Lentretien etlinterrogatoire se terminent et je laisse cet innocent monsieurrepartir dans sa gele pour dinterminables heures de rflexiondans une puanteur proche dun acte de torture.

Dans un autre genre, voici que Monsieur Jai perdu lacomptabilit de mon entreprise , a t plac en garde vue pour

abus de biens sociaux. Il semble trs intress par mes conseils

bien quil ait plus de chances dtre libr de sa garde vuerapidement, que le dlinquant prcdent. Peu de risques que cemonsieur soit jug htivement lors de laudience descomparutions immdiates.Je vois quil ne supporte pas plus que les autres lodeur infme,insupportable, abjecte de la cellule. Il me demande fort justement

si les agents dentretien passent dans la cellule pour la nettoyerparfois. A vrai dire, je ne me suis jamais pos la question. Mais je

suis sre que non.

Il me dit quil va se plaindre un ami lui. Que cestinadmissible.

Jacquiesce. Jimagine les cellules du Moyen Age, semblables, oupires encore. Pires encore, car on y tait dans lattente de mourirsur place publique, ou dtre cartel.Je tente dimaginer lodeur inimaginable.Nous commenons digresser, voire divaguer, sur un projet de

prison de luxe. Moi je pense simplement une prison qui aiderait

rellement linsertion, et qui apprendrait vivre libre, au lieudapprendre vivre dans un tat de soumission infantilisant ethumiliant. Une prison qui apprendrait la dignit. Et que lon nerserverait pas certains, mais qui permettrait de restaurer un

comportement civique, parfois oubli en raison des violences

sociales et socitales subies au cours dune existence marque parles discriminations.

On frappe la porte. Le gendarme rest en poste lextrieur dubureau me signifie que lentretien est termin. Avait t-il loue


40/63


assez fine pour entendre le contenu de lentretien? Force ma tde constater que dans les commissariats et les gendarmeries, les

portes ne sont absolument pas isophoniques. Ces portes sont fines

comme du papier cigarette.

Jentends parfois lagent rest derrire la porte, qui toussote. Peurassurant.

Pour un avocat, la confidentialit des entretiens est un principe

fondamental. Alors autant dire quil vaut mieux parfois aussi, enfonction de lpaisseur des cloisons, se taire pendant lentretienavec lavocat, mon avis, mais la paranoa nest jamais facile vivre.

Une sorte dobligation au silence en fonction de lpaisseur descloisons.

Les portes se rpartissent en deux catgories : les paisses portes

des geles qui ont pour fonction denfermer, et les fines portes desbureaux qui ont pour destination de rester inluctablement

ouvertes.

En effet, les portes des bureaux sont toujours largement ouvertes,

ce qui permet aussi la circulation impromptue des collgues, et

notamment lorsque sy droule une audition un peu dlicate.

En cours daudition, il nest pas rare que le bureau se remplisse,donnant plus dintensit au jeu de poker qui sy droule. Lesbureaux rpartis de part et dautre de longs couloirs, en une sorted open space laissent peu de place lintimit de lagent ou delofficier, ce qui permet aussi sans doute une sorte de contrlerciproque des uns sur les autres, tous nayant pas la mme

conception de la fonction ou du mtier.En tout cas, pour les affaires courantes et pour les entretiens

avocats, la confidentialit des entretiens, ce nest pas vraiment laculture de la Maison dans laquelle les secrets sont bien partags.

Mais prenez garde, je ne suis pas en train de dire que lon nousespionne.

Je mtonne seulement que lentretien pralable avec lavocat,pour lequel la confidentialit est de la plus haute importance, se

droule derrire des cloisons papiers de cigarettes, et que lonentende lofficier de police toussoter lextrieur du bureau.


41/63


Mon client mexplique quon lui a dconseill de solliciter unavocat, en lui disant que lorsque lon est innocent on nen na pasbesoin selon le bon sens populaire, et que mon intervention allait

retarder lenqute. Cest probablement ce qui explique quebeaucoup de personnes ne voient pas davocat pendant leur garde vue. Malgr cela il a tenu accder lassistance dun avocat,car il souhaitait avoir des prcisions objectives sur les peines

encourues et sur les preuves dont il pouvait se prvaloir.

Et son avocat ne manquerait pas son tour de garde, car rmunr

trois cent euros Toutes Taxes Comprises pour une priode de

vingt quatre heures dintervention, mais hors charges ordinales etcharges ordinaires, il apprcie ces prestations qui le mobilisent

non-stop sur cette tranche horaire, mais qui amliorent sartrocession mensuelle davocat collaborateur, ou davocatentrepreneur individuel, et qui lui font soudainement prtendre

gagner autant quunbon artisan exerant son compte pour unejourne de travail. Et ce nest pas tous les jours quun jeuneavocat, ou un avocat moins jeune, mais militant, peu en dire

autant vrai dire, dans le chiffres.

Dfendant ma paroisse, en essayant de ne pas tre corporatiste, je

dirais du choix de cette personne qui tient parler avec un ou une

avocate, quil est tout fait appropri. Non pour ces raisonscorporatistes et financires, mais parce que plong dans le temps

dune garde vue, lavocat est le seul interlocuteur avec lequel legard vue peut obtenir un conseil de dfense. Pour des raisons

formules de faon plus abstraites et thoriques, mais nanmoinsrelles, on peut considrer quaucune renonciation un droit nedevrait se faire sans les conseils libres et clairs dun avocat ,cest--dire, pas seulement sur la base des conseils de officiers depolice, qui vont dans leur sens. Les conseils prodigus par les

officiers de police ne pourraient tre libres et clairs puisque ces

derniers exercent en mme temps une mesure denfermement surla personne qui ils dispensent les conseils. Pourtant il faut

reconnatre que dans la pratique, dans certaines affaires, lesmmes officiers de police peuvent aussi faire preuve dhumanitet


42/63


adoucir leur style, mme si leur amabilit ponctuelle naugure enrien de la peine qui sera malgr tout sans doute dcerne. Certains

sy perdent, confondant amabilit et indulgence. Le tutoiementpratiqu habituellement lgard des personnes les pluspgresou trangres, participe de cette confusion des styles.

Juridiquement, il est des avocats qui dnoncent systmatiquement

toute renonciation un droit au cours de la garde vue, sans

lassistance et le conseil dun avocat. Cest un peu excessif, maisde bonne guerre car les consquences peuvent tre gravissimes

dans certains cas.

De fait, une tude effectue aux Etats Unis a dmontr que, enraison de la situation de contrainte physique, les innocents tendent

renoncer lassistance de lavocat et reconnatre leurculpabilit beaucoup plus facilement et rapidement que les

coupables. (C. Mauro, Rflexions sur la garde vue, Dr. Pnal,

dc. 2010. 6, n8)

Linnocent est plus vulnrable que le coupable.

Comme chaque garde vue, jignore tout de linnocence de monclient, et je lui explique presque machinalement quil a le droit degarder le silence et de ne sexprimer que face un juge. Comme jenai pas lair de trop insister sur cette prrogative et peut treparce quil ne conoit pas en quoi cela consiste, il me dit quil tient sexpliquer immdiatement.

Lentretien se passe calmement, mais plusieurs propos ont tdforms ou mal retranscrits dans le procs-verbal, ce que mon

client relve lorsque je linvite relire le document la fin delaudition.

Jinvite toujours mes clients relire leurs dclarations avant designer le procs-verbal, et demander des modifications si elles

correspondent la ralit de laudition telle quelle s

Documents

Itinéraire D'une Avocate Enervée. De la Garde à Vue au Garde à Vous