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8 les brèves de stradda hors série / octobre 2015 spect a cles JEANNE SIMONE Nous sommes L e spectacle commence avant qu’il ne soit visible. Sur le parvis de l’église, les gens passent. Une presqu’île piétonne où les habitants du quartier, avec ou sans chien, vélo ou caddie, croisent les voyageurs qui se dirigent vers la gare. Au lointain, une femme au sac-cabas, un homme assis sur un mur, un autre qui porte un télévi- seur. Ne disant rien sur leurs intentions, ils se fondent dans le décor. Mais il arrive que des sons étranges surgissent, que des panneaux se mettent à bouger. Un rythme s’installe et puis, sans crier gare, huit personnes se rassemblent. Un premier prend la parole, ensuite une autre... Et soudain, la danse surgit, de façon aussi imprévisible que le spectacle lui-même. Chacun(e) s’adresse directement au public et avoue sa faiblesse, ses doutes, ses troubles. Chacun(e) interprète son propre texte, pour parler de ses interroga- tions, de ses inquiétudes. Leurs paroles inter- pellent, secouent, s’entrechoquent. Jeanne Simone change de cap. Nous sommes prend le contrepoint de tous ces spectacles de Laure Terrier où les danseurs bloquaient les flux de la circulation, en allant affronter les automobilistes. Par la force de son naturel, Nous sommes transforme chaque passant en performer, chaque son de la vie s’intègre à la partition musicale. A la création mondiale, au festival Mimos de Périgueux, cela tenait aussi au choix très avisé du lieu, dans un quartier légèrement excentré, à l’abri de la foule festi- valière. Le Nous inclut alors les spectateurs et les habitants. l THOMAS HAHN

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8 les brèves de stradda hors série / octobre 2015

spectacles

JEANNE SIMONE

Nous sommesL

e spectacle commence avant qu’il ne soit visible. Sur le parvis de l’église, les gens passent. Une presqu’île piétonne où les habitants du quartier, avec ou sans chien, vélo ou caddie, croisent

les voyageurs qui se dirigent vers la gare. Au lointain, une femme au sac-cabas, un homme assis sur un mur, un autre qui porte un télévi-seur. Ne disant rien sur leurs intentions, ils se fondent dans le décor. Mais il arrive que des sons étranges surgissent, que des panneaux se mettent à bouger.

Un rythme s’installe et puis, sans crier gare, huit personnes se rassemblent. Un premier prend la parole, ensuite une autre... Et soudain, la danse surgit, de façon aussi imprévisible que le spectacle lui-même. Chacun(e) s’adresse directement au public et avoue sa faiblesse, ses doutes, ses troubles. Chacun(e) interprète son propre texte, pour parler de ses interroga-tions, de ses inquiétudes. Leurs paroles inter-pellent, secouent, s’entrechoquent.

Jeanne Simone change de cap. Nous sommes prend le contrepoint de tous ces spectacles de Laure Terrier où les danseurs bloquaient les flux de la circulation, en allant affronter les automobilistes. Par la force de son naturel, Nous sommes transforme chaque passant en performer, chaque son de la vie s’intègre à la partition musicale. A la création mondiale, au festival Mimos de Périgueux, cela tenait aussi au choix très avisé du lieu, dans un quartier légèrement excentré, à l’abri de la foule festi-valière. Le Nous inclut alors les spectateurs et les habitants. l THOMAS HAHN

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les brèves de stradda hors série / octobre 2015 9

spectaclesCréation le 29 juillet 2015, festival MimosVu le 29 juillet 2015, festival MimosDiffusion le 19 septembre, L’Usine, scène conventionnée de Tournefeuille/Toulouse-Metropole & Pronomade(s) en Haute-Garonne, CNAR Toulouse (31) ; le 10 octobre, Festival Novart, Lormont (33) ; les 18 et 19 juin, Festival « La rue est à Amiens » PNAC Amiens (80) ; www.jeannesimone.com Contact [email protected]

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10 les brèves de stradda hors série / octobre 2015

spectacles

CIE LA FAUX POPULAIRE / LE MORT AUX DENTS

Le cirque Poussière

Création le 15 janvier 2015 au Théâtre / Scène Nationale de Narbonne Vu le 19 août au festival La Route du Sirque à NexonDiffusion les 3 et 4 octobre, Communauté de Communes de Lodévois et Larzac (Lodève) ; le 10 octobre, Les Scènes Croisées de Lozère (Langogne) ; du 28 au 31 octobre, Festival Cirque en Marche - La Verrerie PNC LR (Alès) ; du 7 au 21 novembre, Festival Mettre en Scène - Théâtre National de Bretagne (Rennes) ; les 4, 5 et 8 décembre, Centre Culturel Agora PNAC (Boulazac) ; du 13 au 19 décembre, Théâtre de le Coupe d’Or (Rochefort) ; les 6 et 7 janvier, Gallia Théâtre (Saintes) ; les 14 et 17 janvier, l’A4 (Saint Jean d’Angély) ; les 23 et 24 janvier, Trio Théâtre (Inzinzac Lochrist) ; les 30 et 31 janvier, Cirque Théâtre d’Elbeuf ; du 19 au 21 février, Théâtre Massalia (Marseille) ; du 7 au 13 mars, Pôle Jeune Public (Les Revest les Eaux) ; du 16 au 19 mars, La Garance - Scène Nationale (Cavaillon) ; du 24 au 26 mars, Mairie de Bègles ; les 2 et 3 avril, Centre Culturel Simone Signoret (Cestas) ; du 8 au 10 avril, Pont du Gard (Vers Pont du Gard) ; les 3 et 4 mai, la Mairie d’Issoire ; du 12 au 15 mai, Théâtre de Cusset (Cusset) ; du 20 au 22 mai, Festival les Ribambelles de Lorraine (Homécourt) ; du 26 au 28 mai, Théâtre Gérard Philippe de Frouard (Pompey) ; du 2 au 4 juin, Les Transversales (Verdun) ; du 8 au 11 juin, Les Rotondes (Luxembourg)Contact www.lafauxpopulaire.com ; [email protected]

Après un solo et un quintette, la compagnie aux deux noms accueille sous son chapiteaau un quatuor fougueux et déjanté, d’une parité exemplaire.

On retrouve le jongleur Julien Candy en « dompteur d’assiettes » et lanceur avisé de fourchettes, et le chanteur baroque contre-ténor Hervé Vaysse qui nous donne à entendre La mort de Didon de Purcell - excusez du peu !

La candeur des rêves.On découvre les circassiennes aériennes Juliette Christmann et Rachel Schiffer. Sous leurs vociférations en anglais, en allemand et au pas de course, les deux hommes filent doux. Jeux d’acteurs,

performances et musiques se déploient pour nous embarquer dans un univers à la hauteur de la candeur des rêves. L’idée de la scénographie ? Un plateau tournant avec un vieux carrousel dépouillé au centre de la piste. Mais l’équipe s’affranchit du folklore forain. Très proche du manège, le public ne sait s’il se trouve dans une usine de fabrication de bouteilles, dans un café ou une guinguette. Comment faire naître de la poésie et de l’imaginaire avec des objets quotidiens ?, c’est le fil rouge du Cirque Poussière. Des contre-pieds de nez inventifs, sensibles et burlesques. Une ode à la vie, au geste inutile. l CHRISTIANE DAMPNE

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spectacles

les brèves de stradda hors série / octobre 2015 11

CIRCO AEREO / JANI NUUTINEN

Intumus stimulus

Création le 7 juillet 2015 au festival des 7 collines – St EtienneVu le 9 juillet 2015 au festival des 7 collines – St EtienneDiffusion les 14 et 15 novembre, Culture Commune - Loos-en-Gohelle (62) ; du 13 au 16 janvier, Théâtre de Cusset (03) ; du 2 au 4 février, Festival Circonova - Quimper (29) ; du 16 au 19 mars, Bergerac avec L’Agora de Boulazac (24) ; les 23 et 24 mars, Périgueux avec L’Agora de Boulazac (24) ; les 1er et 2 avril, Festival Spring - Saint-Hilaire-du-Harcouët (50) ; du 6 au 8 avril, Théâtre Jean Lurçat - Aubusson (23) ; les 12 et 13 mai, La Mégisserie - St-Junien (87) ; du 18 au 21 mai, Cirque Théâtre d’Elbeuf (76)Contact www.circoaereo.net ; [email protected]

Intumus stimulus a mijoté doucement pour des saveurs singulières de magie mentale au cœur du nouveau chapiteau autoporté de Jani Nuutinen. « Je suis un féti-

chiste des chapiteaux », aime t-il à dire et on le croit volon-tiers puisque c’est le quatrième qu’il conçoit et fabrique depuis son premier solo – Un cirque tout juste – en 2002. « Je conçois le chapiteau comme un décor du spectacle et j’invite les gens chez moi ». Sa Trilogie cirque d’objets propo-sait malicieusement la même jauge avec une structure de plus en plus petite.

Sens dessus dessous. La magie relève d’une histoire ancienne chez Jani, roi du close-up (magie de proximité) en Finlande pendant son adolescence, avant de l’aban-

donner au profit de la jonglerie et de la manipulation d’objets. Le Sirque - Pôle national des arts du cirque de Nexon en Limousin - lui commande en 2009 un spectacle chez l’habitant qui le fait revenir à ses premières amours. Dans Une séance peu ordinaire, il flirte entre attraction foraine et magie mentale. La configuration est frontale. Mais pour Intumus stimulus, l’artiste relève un défi de taille : faire de la magie en circulaire ! À vue de tous, il a dû faire preuve d’inventivité face à cette forte contrainte : « Cacher des choses en circulaire devient beaucoup plus difficile, c’est la première fois pour moi. C’est également un pas pour sortir des techniques traditionnelles de la magie et de la magie mentale, en intégrant des techniques psy-chologiques de la suggestion et des principes de program-mation neurolinguistique de la psychologie cognitive. »

Ses nourritures ? Deux gros tomes de T.A. Waters, Mind myth magick, qui l’inspirent pour créer son propre langage de l’illusion. Son appétence l’incite à explorer nos sens et ce qui les stimule. D’où le titre signifiant littéralement « Sti-muli intime ». Jani ne se restreint pas aux cinq sens appris à l’école, ajoutant la proprioception et la thermoception.

Ses ingrédients ? Le boniment soft et une bonne quin-zaine de spectateurs que l’artiste sollicite avec tact tout au long de la soirée pour faire œuvre collective. Une participation intégrée dans l’écriture dramaturgique qui constitue une prise de risque pour lui (« trouver les bonnes personnes ») mais appuie l’ingénuité du public. Muni d’un « tabouret de voyage », chacun se déplace plusieurs fois, changeant ainsi son point de vue. La pièce se construit en une succession d’expérimentations sensorielles entrecou-pées de dégustations culinaires au goût étrange.

Certaines séquences sont empreintes de délicatesse et de poésie, telle celle de l’ombre d’une jeune femme : les points touchés sur sa silhouette sont ressentis par elle ! On laisse à la porte notre besoin de comprendre pour se laisser mener par le bout du nez. On ressort bluffé, enjoué et conquis. Car le bonimenteur déploie un malin plaisir à brouiller nos sens sens-dessus-dessous tout en capturant notre raison par des explications plausibles. Un subtil mélange réussi. Homme rationnel, Jani cultive aussi les techniques de déduction pour faire croire qu’il sait lire dans nos pensées !

Intumus stimulus vient (re)questionner notre crédulité et notre plaisir à se laisser délicieusement manipulé. l CHRISTIANE DAMPNE

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spectacles

12 les brèves de stradda hors série / octobre 2015

COMP. MARIUS

Figaro Le savoir-faire de la compagnie Marius n’est plus à

démontrer. On a souvent loué son talent truculent à adapter des classiques, notamment la trilogie

pagnolesque à la sauce flamande. « Fabricants de théâtre » depuis 1991, Waas Gramser et Kris Van Trier conjuguent l’amour des mots à l’exigence du jeu, sur leurs jolis gradins de bois en demi-lune - avec dossier à chaque rangée s’il vous plaît, condition non négociable pour 3h30 de spectacle ! Surtout, ils savent mieux que personne porter haut le texte, avec une attention, derrière les mots, portée aux intentions de l’auteur.

Le ravissement des sens. C’est ainsi qu’ils ont décidé d’adapter deux des plus fameux textes de Beaumarchais (Le Barbier de Séville et Le Mariage de Figaro), ravis par le côté très contemporain de la dramaturgie de l’auteur et ses décrochages incessants. Le plaisir est total, jubilatoire, et toutes les générations s’y retrouvent : se laisser couler dans la langue, saisir par les innombrables rebondissements, happer par les ingéniosités scénographiques dans un cadre nécessairement bucolique. A Istres, c’était devant l’Etang des Oliviers, au soleil couchant, accompagné du caquètement des canards. Et comme ventre affamé n’a pas d’oreilles, la compagnie reste fidèle à sa tradition de mêler « le pain et les jeux », avec paëlla géante servie à l’entracte au public, et limonade au gingembre proposée dès son arrivée. A l’image de son breuvage, le théâtre de la compagnie Marius est inventif et raffiné, populaire et surprenant, et mise tout sur le ravissement des sens. l JULIE BORDENAVE

Création août 2014, Zomer van Antwerpen, Anvers (Belgique) ; première française en juin 2015, Théâtre de l’Olivier, Istres Vu le 4 juin, Théâtre de l’Olivier, IstresDiffusion du 1er au 4 octobre, Le Parvis, scène nationale de Tarbes ; du 19 au 21 mai, Westerlo, Belgique ; du 26 au 28 mai, Warandeplein, Turnhout, Belgique ; du 1er au 5 juin, Landes-le-Gaulois ; du 10 au 18 juin, Oerol Festival, Terschelling (NL) Contact [email protected]

RAIEMANTA COMPAGNIE LISE PAUTON

Au fil des torsionsDifficile à pratiquer, difficile aussi à regarder, la

contorsion étonne ou dérange. Lise Pauton, jeune artiste formée à l’école de Châtellerault, relève le

défi avec Au fil des torsions, proposition étonnante de 35 minutes dont seule la résistance physique semble avoir limité la durée. Lovée sur un socle circulaire qui définit l’espace, elle est là, sous nos yeux, dans une présence tranquille. D’un point d’initiation déterminé, hanche, épaule, sternum, la question du chemin du mouvement dans le corps se pose à elle. « D’où ça part, par où ça passe, où ça va… » Points fixes et points mobiles se cherchent, le corps se déploie sans excès en laissant vibrer la matière. La modification corporelle se propage dans la lenteur d’un flux continu. La performance se fait oublier dans ce déploiement paisible du corps dans l’espace. De torsions en torsions inattendues, simultanées, ouvrant l’espace dans toutes les directions, la transformation s’opère comme une quête… jusqu’à la position finale debout.

Art de l’intime. En s’écartant de l’imagerie d’un corps rompu, contraint, que l’empathie a tendance à rendre douloureux autant qu’exceptionnel, Lise Pauton réussit à nous faire entrer dans une sensation vivante (vivable ?) et apprivoise nos peurs. Le travail du son répond au travail du corps ; Philip Glass n’est pas loin dans cette composi-tion aux boucles incessantes. Espace restreint – sobriété du son - mouvement continu, la contorsion devient un art de l’intime cherchant ses marques loin du spectaculaire... Un texte écrit spécialement pour ce solo par Frédéric Forte, membre de l’Oulipo, fait résonner ce corps embar-qué sur le chemin des possibles. l ODILE COUGOULE

Création novembre 2014 Vu le 31 juillet 2015, au festival Mimos, Périgueux Diffusion www.raiemantacompagnie.fr Contact [email protected]

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spectacles

les brèves de stradda hors série / octobre 2015 13

DÉLICES DADA

La Géographie des BordsLe goût de l’air ! D’après notre géographe, il ne serait

pas le même, selon qu’on déguste les molécules près du sol ou à hauteur d’homme. Tant de saveurs à

découvrir! Avec sa vieille raquette de tennis transformée en capteur d’ions, l’énergumène mesure la capacité de l’air à nourrir la population. Cette nouvelle discipline scientifique qu’est La Géographie des Bords nous révèle que tout reste à découvrir, même sur les bords des rues, là où nous n’attendions plus rien.

Un rêve ? Certes, mais un rêve qui permet d’avancer. La Géographie des Bords est une science internationaliste, utopiste, voire dadaïste. Venus d’horizons divers et lointains, les géographes ne nient rien de leurs traditions vestimentaires ni de leurs accents. Le charme et la cohérence de leurs récits incarnent l’évidence d’une vie consacrée entièrement à l’exploration de voies insoupçonnées. Délices Dada réinventent leur façon de percer les secrets de notre environnement et se montrent

au sommet de leur art. On écoute leurs aventures de la jungle, et on croit en leur soif d’investigation pour le bien de l’humanité. A tout défi théâtral de l’espace public, ils trouvent la réponse optimale. De vrais scientifiques ! Le public, reçu en petits groupes, devient co-explorateur et peut dialoguer avec l’équipe après le spectacle. On se surprend alors à rejoindre cette communauté d’esprit, recueillant au passage quelques citations surréalistes comme celle attribuée à Salvador Dali: « L’érosion de l’ivresse des cimes n’est pas due à l’affaissement du ballon d’Alsace ». CQFD. l THOMAS HAHN

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Création le 16 mai 2015, Festival Les Rencontres d’Ici et d’Ailleurs, Noisy-le-SecVu 21 août 2015, Festival d’AurillacDiffusion Le 3 octobre, Carrément à l’Ouest, Port-Saint-Louis-du-Rhône (13) ; les 6 et 7 octobre, saison du Train-Théâtre, Portes-les-Valence (26) ; www.delices-dada.orgContact [email protected] ; 04 75 90 05 65

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spectacles

14 les brèves de stradda hors série / octobre 2015

A la tombée de la nuit, dans la cour du Musée Chagall. Un espace circulaire vierge planté d’un seul arbre, clos d’une fine corde blanche tenue à

intervalles par des piquets verts qui se confondent avec la pelouse. Au pied de l’arbre, une touffe luxuriante de marguerites et, émergeant de cette masse de fleurs, le poitrail et la tête d’un cheval brun, dressé nu et soli-taire, immobile, calme et attentif. L’image de ce « Cheval aux Marguerites » qui semble échappé des cimaises du musée tout proche trouble, déconcerte, arrête le regard et la pensée par sa matérialité immédiate et charnelle autant que par son apparente irréalité.

Listan, c’est son nom, nous regarde, palpite, frémit, vibre silencieusement. Comme nous, spectateurs, il semble attendre quelque chose. Et en même temps, il se fond si bien dans cet environnement qu’il fait figure de « nature vivante » posée là et présente de toute éternité, porteuse, à chaque geste, à chaque respiration, d’une harmonie d’un autre temps, un temps d’avant les hommes lorsque bêtes et nature vivaient en bonne intelligence. Un Eden oublié mais palpable, sensible, qui ressurgit soudain devant nos yeux. Une telle perfection bien sûr ne peut pas durer très longtemps. Le sol se met d’un seul coup à trembler, des mottes de terre se soulèvent et l’homme (le danseur Gaëtan Morlotti) apparaît en rampant. Petit, brutal, laborieux, presque nu lui aussi, maladroit, frénétique même mais avec cette terrible volonté, ce désir de conquête, d’appropriation, d’expé-riences, cette soif inextinguible de vivre, de détruire les obstacles et de dominer les éléments. La confrontation

et la comparaison de ces deux corps - celui de la grâce et de la puissance et celui de la résistance et de l’obs-tination - est cruelle et pourtant, le vainqueur final de cette lutte inégale ne sera pas celui que l’on croit. Celui qui devrait l’être. Ces deux puissances si différentes vont se guetter, s’approcher, se mesurer, s’esquiver, s’enlacer, se tourner autour dans tous les sens du terme en une sorte de danse amoureuse et guerrière jusqu’à ce que l’homme, à force de ruse et de persévérance, finisse par soumettre l’animal et lui grimper dessus.

« Mon partenaire artistique est un cheval ». Charlène Dray, dans sa démarche d’artiste chercheuse qui mêle art contemporain et performances circa-ciennes, s’attache à questionner directement l’identité de son cheval à travers les différentes représentations – conscientes ou inconscientes – qu’il va pouvoir endos-ser. Chercher ce que pourrait être l’essence singulière (et insaisissable) de ce corps-là via des expérimenta-tions multiples. Comme elle le dit elle-même « mon par-tenaire artistique est un cheval. Dans mes recherches, je ne le considère pas comme un animal dressé ou auto-matisé mais propose de nouvelles manières de l’aborder. Par la scénographie, je fabrique des environnements et déclenche - comme un chef d’orchestre - des situations, pour que l’animal réponde à des stimuli visuels ou sonores par des réactions biologiques. Il joue son propre rôle : celui du cheval ». Des rôles variables suivant les dispositifs et les scénographies mais dont aucun ne suffit à épuiser le sens et la vérité de Listan. l MARC MOREIGNE

CHARLÈNE DRAY

Pas croisés au musée Chagall

Vu à Jardin du musée Marc Chagall de Nice, le 10 juillet 2015Site www.charlenedray.comContact [email protected] ©

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spectacles

les brèves de stradda hors série / octobre 2015 15

Vu au Théâtre Paris-Villette, le 13 septembre 2015Création 24 et 25 janvier 2010 au Théâtre Brétigny, scène conventionnée de Cœur d’EssonneContact [email protected].

GROUPE ICI-MÊME

First Life Le spectacle en immersion, dont vous êtes peu ou prou

le héros, a connu de multiples variations ces dernières années. Mais avec First Life, Ici Même (Paris) en offre

une déclinaison subtile, littéralement désorientante.On les connaissait surtout pour leur mobilier urbain,

décalé voire provocateur quand ils endossaient en 2004 le rôle du salaud de promoteur avec la maison « Solo » en chronolocation. Leur dernière création détourne le titre d’un jeu de simulation en 3D qui eut son heure de gloire dans les années 2000, la scénographie se fait discrète, presque invisible, et l’objet principal léger. First Life est une immersion à deux degrés : le spectateur, doté d’un smartphone et d’un casque, se voit invité à emprunter le parcours d’un personnage dont les pérégrinations lui sont livrées sur l’écran, à imiter ses gestes et se laisser guider, par l’image et surtout par le son qui peuple des pièces le plus souvent vides. Immersion dans le personnage, l’image et le son, donc, et immersion du spectateur dans l’environnement immédiat : bureaux, rues, bâtiments que quelques accessoires transforment en foyer de migrants, salle municipale ou cabinet médical...

Bien évidemment, les personnages auxquels on s’identifie sont marqués par la difficulté – femme de ménage sans-papiers, Africain réfugié, personnage

borderline en traitement psychiatrique... – et leur parcours semés d’embûches. L’invitation à se mettre dans la peau des laissés pour compte et fragilisés n’est pas nouvelle. La finesse de First Life est dans la zone de flottement laissé au spectateur, libre de déterminer le degré de son immersion: autant le son vous enveloppe, autant l’image sur un écran de taille réduite, permet au regard de divaguer sans cesse entre décor réel et scènes filmées.

Perte d’orientation. Directif, le protocole permet pourtant du jeu, entre glissement dans la peau du personnage et regard distancé. C’est précisément dans cette marge que se situe la réussite de l’aventure : on hésite, on divague, on se perd un peu dans une zone d’inconnu et de maladresse, entre scènes filmées, scènes jouées et parcours solitaire, on se laisse un peu paumer comme les personnages le sont eux-mêmes, on ne sait jusqu’à quel point pousser l’identification et la reproduction. L’émotion surgit de cette perte d’orientation et de repères, bien plus efficace pour nos mettre dans la peau du personnage que ne le serait un protocole plus banalement directif, au point, parfois, d’en sortir un peu sonné... tout autant que désireux de recommencer l’expérience. l VALÉRIE DE SAINT-DO

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