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MISE AU POINT Kératose pilaire G. Lorette Service de dermatologie, CHU Trousseau, avenue République-Chambray, 37044 Tours cedex 01, France MOTS CLÉS : Kératose pilaire ; Ulérythème ophryogène ; Atrophodermie vermiculée ; Alopécie de Siemens ; Déficits vitaminiques Résumé La kératose pilaire est caractérisée par des petites élevures centrées sur les follicules pileux. La kératose pilaire simple est formée d’éléments gris et kératosiques sur les bras, les cuisses, les fesses principalement. Elle est plus fréquente chez les femmes. La kératose pilaire rouge a souvent une évolution atrophiante. Plusieurs tableaux sont réalisés : ulérythème ophryogène, atrophodermie vermiculée, alopécie de Siemens. Les kératoses pilaires sont essentiellement d’origine génétique et peuvent s’intégrer dans différentes maladies héréditaires, en particulier le syndrome de Noonan ou encore des troubles vitaminiques. Le traitement fait surtout appel aux émollients et aux kératolyti- ques, il n’est que suspensif. © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. Introduction Une kératose pilaire est un état clinique cutané caractérisé par de petites élevures kératosiques centrées par des follicules pileux. Elles sont respon- sables d’aspérités à la palpation (impression de râpe ou de papier abrasif). Le début a lieu le plus souvent dans la petite enfance. C’est un état assez fréquent (1,3 % des enfants scolarisés dans des écoles de Hong Kong [3], 4 % chez des enfants scolarisés en Roumanie [9]). Le début a lieu dans la moitié des cas au cours de la première décennie [10]. Tableaux cliniques Kératose pilaire simple La peau comporte des petites aspérités, mono- morphes, kératosiques. À la palpation, on sent une rugosité et des petites aspérités sur la face latérale des bras (Fig. 1) et parfois sur la face antérieure des cuisses, les fesses ou le visage ; d’autres localisa- tions sont possibles (Fig. 2) ; des formes diffuses existent. Ces lésions sont asymptomatiques. Les filles sont atteintes plus souvent : 61 % de femmes pour 39 % d’hommes [10]. Le début a lieu souvent dans la petite enfance. La peau est le plus souvent sèche. Il y a une aggravation l’hiver et une amélio- ration l’été dans près de la moitié des cas [10]. Une amélioration au cours de la vie est constatée dans 35 % des cas, mais au contraire une aggravation est constatée dans 22 % des cas [10]. Kératose pilaire à évolution atrophiante Plusieurs entités sont caractérisées par une hy- perkératose folliculaire avec inflammation suivie Adresse e-mail : [email protected] (G. Lorette). Figure 1 Kératose pilaire du bras chez un enfant. Journal de pédiatrie et de puériculture 16 (2003) 252–255 www.elsevier.com/locate/pedpue © 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi: 10.1016/S0987-7983(03)00007-0

Kératose pilaire

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Page 1: Kératose pilaire

MISE AU POINT

Kératose pilaire

G. LoretteService de dermatologie, CHU Trousseau, avenue République-Chambray, 37044 Tours cedex 01, France

MOTS CLÉS :Kératose pilaire ;Ulérythèmeophryogène ;Atrophodermievermiculée ;Alopécie de Siemens ;Déficits vitaminiques

Résumé La kératose pilaire est caractérisée par des petites élevures centrées sur lesfollicules pileux. La kératose pilaire simple est formée d’éléments gris et kératosiques surles bras, les cuisses, les fesses principalement. Elle est plus fréquente chez les femmes.La kératose pilaire rouge a souvent une évolution atrophiante. Plusieurs tableaux sontréalisés : ulérythème ophryogène, atrophodermie vermiculée, alopécie de Siemens. Leskératoses pilaires sont essentiellement d’origine génétique et peuvent s’intégrer dansdifférentes maladies héréditaires, en particulier le syndrome de Noonan ou encore destroubles vitaminiques. Le traitement fait surtout appel aux émollients et aux kératolyti-ques, il n’est que suspensif.

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.

Introduction

Une kératose pilaire est un état clinique cutanécaractérisé par de petites élevures kératosiquescentrées par des follicules pileux. Elles sont respon-sables d’aspérités à la palpation (impression derâpe ou de papier abrasif). Le début a lieu le plussouvent dans la petite enfance. C’est un état assezfréquent (1,3 % des enfants scolarisés dans desécoles de Hong Kong [3], 4 % chez des enfantsscolarisés en Roumanie [9]). Le début a lieu dans lamoitié des cas au cours de la première décennie[10].

Tableaux cliniques

Kératose pilaire simple

La peau comporte des petites aspérités, mono-morphes, kératosiques. À la palpation, on sent unerugosité et des petites aspérités sur la face latéraledes bras (Fig. 1) et parfois sur la face antérieure descuisses, les fesses ou le visage ; d’autres localisa-tions sont possibles (Fig. 2) ; des formes diffusesexistent. Ces lésions sont asymptomatiques. Les

filles sont atteintes plus souvent : 61 % de femmespour 39 % d’hommes [10]. Le début a lieu souventdans la petite enfance. La peau est le plus souventsèche. Il y a une aggravation l’hiver et une amélio-ration l’été dans près de la moitié des cas [10]. Uneamélioration au cours de la vie est constatée dans35 % des cas, mais au contraire une aggravation estconstatée dans 22 % des cas [10].

Kératose pilaire à évolution atrophiante

Plusieurs entités sont caractérisées par une hy-perkératose folliculaire avec inflammation suivieAdresse e-mail : [email protected] (G. Lorette).

Figure 1 Kératose pilaire du bras chez un enfant.

Journal de pédiatrie et de puériculture 16 (2003) 252–255

www.elsevier.com/locate/pedpue

© 2003 Éditions scientifiques et médicales Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi: 10.1016/S0987-7983(03)00007-0

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d’une atrophie. Les différences entre elles sontassez minimes.

Kératose pilaire rouge

Elle est en général familiale. Les papules sontrouges (Figs. 3, 4). Elles deviennent souvent discrè-tement atrophiques à l’âge adulte. Une forme par-ticulière est l’ulérythème ophryogène, prédomi-nant aux joues et aux sourcils, dans ces cas survientsecondairement une alopécie des sourcils. Lesjoues sont rouges en permanence. Cet aspect esttrouvé dans plusieurs maladies génétiques en par-ticulier le syndrome de Cornelia de Lange [2] quicomporte en particulier petite taille, retard men-tal, microcéphalie, hirsutisme, sourcils épais.

Atrophodermie vermiculée

C’est un stade évolutif. Autour de chaque orificepilaire on observe une petite dépression. Cela peutêtre observé sur le visage, sur le dessus des mains,les joues les régions pré-auriculaires préférentiel-lement. La cause est inconnue soit idiopathique,soit dans le cadre d’une maladie génétique : syn-drome de Bazex, chondrodysplasie ponctuée. Onregroupe en général sous le nom de keratosis pilarisatrophicans faciei (kératose pilaire atrophiante deVinger) l’ensemble ulérythème ophryogène et atro-phodermie vermiculée.

Figure 2 Kératose pilaire du sein chez une adulte. Figure 3 Kératose pilaire rouge du bras chez un bébé de13 mois.

Figure 4 Kératose pilaire rouge de la joue chez un enfant de7 ans.

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Kératose spinulosique décalvantede Siemens

La kératose pilaire diffuse du cuir chevelu, évo-lue vers une alopécie également diffuse, les cils etles sourcils chutent et sont remplacés par des petitscônes hyperkératosiques. Une photophobie liée àune kératite est possible. Le début a lieu dansl’enfance. La survenue est sporadique ou de trans-mission récessive liée à l’X.

Histologie

Une biopsie est en général inutile. L’examenhistologique montrerait pour chaque élément unvolumineux bouchon corné dilatant et obstruantl’ostium du follicule pilosébacé. Une réaction in-flammatoire périphérique est possible, avec fibroseou infiltrat granulomateux.

Physiopathologie

Un facteur génétique est habituel ; une atténua-tion survient souvent à l’âge adulte. Des kératosespilaires peuvent être consécutives à des produitsappliqués sur la peau : goudrons, huiles, voire, maisc’est exceptionnel, certains cosmétiques. En prati-que, des facteurs externes sont rarement incrimi-nés, la cause de la création de bouchons cornésn’est pas bien connue, mais correspond à un trou-ble de la kératinisation.

Étiologies

La kératose pilaire isolée est souvent familiale,transmise sur le mode autosomique dominant.

La kératose pilaire fait partie du tableau deplusieurs maladies génétiques.

Syndrome de Noonan

Il réalise un aspect phénotypique proche du syn-drome de Turner, mais en l’absence d’anomalieschromosomiques. Le syndrome cardiofaciocutanéest proche du syndrome de Noonan, s’il n’en est pasune variante : il comporte aussi une kératose pi-laire.

Syndrome de Fairbanks

Il associe un ulérythème ophryogène, une kéra-todermie palmoplantaire en aires, des dystrophiesunguéales, des dysplasies épiphysaires, des dystro-phies de la cornée.

Une association à un monilethrix (alternance denouures et de strictions à l’examen des cheveux enlumière polarisée), à une koïlonychie familiale estpossible [12].

Pachyonychie congénitale

Elle associe une dysplasie unguéale, une hype-rkératose palmoplantaire, une kératose pilaire [4].

Acrokératose verruciforme de Hopf

Elle est caractérisée par des papules des doigtssimulant des verrues planes, des ponctuationstranslucides des paumes et des plantes, une kéra-tose pilaire inconstante.

Autres

• Un ulérythème ophryogène et une kératosepilaire ont été décrits en cas de monosomie18 p [13].

• L’association syringomes éruptifs, grains demilum, hypotrichose, tricho-épithéliomes, ba-saliomes, cyanose, anomalies des fibres élasti-ques constitue le syndrome Rombo.

• Une kératose pilaire est fréquente chez lessujets ayant une dermatite atopique (DA). Ils’agit d’un des critères de DA dans la classifi-cation de Hanifin et Rajka. Dans une étude,elle n’a cependant pas été trouvée, en l’ab-sence d’ichtyose, plus fréquemment que chezles témoins [8]. Elle est fréquemment associéeà l’ichtyose vulgaire [8].

• En cas de monilethrix caractérisé par des nodu-les répartis régulièrement sur les cheveux, unefragilité existe au niveau de ces nodules. Dansles zones où les cheveux sont cassés trèscourts, en particulier dans la région occipitale,il existe une kératose folliculaire limitée aucuir chevelu.

• Une kératose pilaire est un des signes du syn-drome d’Olmstedt qui comporte une kérato-dermie palmoplantaire très épaisse, des pla-ques kératosiques péri-orificielles une alopéciediffuse. Une association inédite kératodermie,hypotrichose, leuconychie totale, kératoder-mie palmoplantaire, plaques hyperkératosi-ques a été décrite [1].

• Une kératose pilaire est une manifestation in-constante des dysplasies ectodermiques. Elle aaussi été décrite au cours de la dysplasie héré-ditaire muco-épithéliale. Celle-ci est caracté-risée par des plaques très rouges des muqueu-ses, une kératose pilaire, une kératite, unecataracte, une photophobie, une diminution

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de l’acuité visuelle, une alopécie non cicatri-cielle, des infections cutanées et muqueusesrécurrentes, des bulles d’emphysème pulmo-naires ; la cause est une dyskératose et unedéhiscence des cellules épithéliales [11].

• Des troubles nutritionnels, en particulier undéficit en vitamine A (ou phrynodermie), B, ouC peuvent être responsables d’une kératosepilaire.

Diagnostic différentiel

Certaines ichtyoses sont à prédominance follicu-laire c’est le principal diagnostic différentiel.L’ichtyose folliculaire est de survenue précoce (à lanaissance ou dans les premières années de vie). Latransmission est autosomique dominante. La diffé-renciation clinique et histologique avec une formeprofuse de kératose pilaire peut être très difficile[5].

On peut discuter aussi le lichen nitidus, le lichenspinulosum, la maladie de Darier, le pityriasis rubrapilaire. Le pityriasis rubra pilaire comporte unekératodermie orangée, une hyperkératose du cuirchevelu, des placards hyperkératosiques des conve-xités avec souvent quelques papules kératosiquesen bordure. En cas de doute, l’examen anatomopa-thologique permet de faire la différence.

Des lymphomes T peuvent exceptionnellementavoir une présentation sous forme de kératose pi-laire [6].

Il existe des formes folliculaires de psoriasis, desyphilis. La dermatomyosite peut s’accompagnerde plaques de kératose pilaire ; dans le type Wong,ces kératoses sont nombreuses et peuvent précéderde plusieurs mois l’apparition d’autres signes dedermatomyosite.

Traitements

Ils ont pour but une amélioration fonctionnelle,rendre la peau plus douce au palper. Cette amélio-ration n’est que temporaire et nécessite un traite-ment régulier. Dans les formes modérées, aucuntraitement n’est nécessaire sauf demande expressedu patient.

Les traitements locaux sont suffisants dans lesformes limitées. On associe des bains émollients,des topiques émollients (contenant en particulierde l’urée), des traitements locaux décapants(contenant en particulier de l’acide salicylique à

10 ou 20 %) sur des étendues limitées. Une prépa-ration de calcipotriol a été essayée, elle a été sanseffet [7].

Un traitement général est le plus souvent inutile,dans ce cas on utilise l’isotrétinoïne ou l’acitrétinemais avec des résultats incomplets.

Le laser à colorant pulsé a été utilisé dans leskératoses pilaires atrophiantes avec des énergiescomprises entre 6 et 7,5 J/cm2. Une améliorationde l’érythème a été mise en évidence en comparantdes scores, la rugosité cutanée a aussi été amélio-rée mais pas dans tous les cas.

Références

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[2] Florez A, Fernandez-Redondo V, Toribio J. Ulerythemaophryogenes in Cornelia de Lange syndrome. Pediatr Der-matol 2002;19:42–5.

[3] Fung WK, Lo KK. Prevalence of skin disease among schoolchildren and adolescents in a Student Health Service cen-ter in Hong Kong. Pediatr Dermatol 2000;17:440–6.

[4] Gassia V, Restoueix C, Bonafé JL. Conduite à tenir devantune kératose pilaire. Ann Dermatol Venereol 1991;118:69–76.

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[6] Hodak E, Feinmesser M, Segal T, Yosipovitch G, Lapi-doth M, Maron L, et al. Follicular cutaneous T-celllymphoma: a clinicopathological study of 9 cases. Br JDermatol 1999;141:315–22.

[7] Kragballe K, Steijlen PM, Ibsen HH, Van DeKerkhof PC,Esmann J, Sorensen LH, et al. Efficacity, tolerability, andsafety of calcipotriol ointement in disorders of keratinisa-tion. Results of a randomised, double-blind, vehicle-controlled, right/left comparative study. Arch Dermatol1995;131:556–60.

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[9] Popescu R, Popescu CM, Williams HC, Forsea D. The preva-lence of skin conditions in Romanian school children. Br JDermatol 1999;140:891–6.

[10] Poskitt L, Wilkinson JD. Natural history of keratosis pilaris.Br J Dermatol 1994;130:711–3.

[11] Scheman AJ, Ray DJ, Witkop CJ, Dahl MV. Hereditarymucoepithelial dysplasia. Case report and review of theliterature. J Am Acad Dermatol 1989;21:351–7.

[12] Thai KE, Sinclair RD. Keratosis pilaris and hereditary koilo-nychia without monilethrix. J Am Acad Dermatol 2001;45:627–9.

[13] Zouboulis CC, Stratakis CA, Rinck G, Wegner RD,Gollnick H, Orfanos CE. Ulerythema ophryogenes and kera-tosis pilaris in a child with monosomy 18 p. Pediatr Derma-tol 1994;11:172–5.

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