La Civilisation Arabo Musilmane

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    Production doutils pdagogiques pour la promotiondu dialogue entre les cultures.

    LACIVILISATIONARABO-MUSULMANE

    AUMIROIRDELUNIVERSEL

    PERSPECTIVESPHILOSOPHIQUES

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    TABLE DES MATIRES

    AVANT-PROPOS 6PILAR ALVAREZ LASO, Sous-Directrice gnrale pour les Sciences sociales et humaines, UNESCOQIAN TANG, Sous-Directeur gnral pour lducation, UNESCO

    INTRODUCTION 8ANGELA MELO, Directrice de la Division droits de lhomme, philosophie et dmocratie, UNESCOMOUFIDA GOUCHA, Chef de la Section philosophie et dmocratie, UNESCO

    PROLOGUE 12ALI BENMAKHLOUF,

    I. RATIONALITSLe concept de civilisation 17ALI BENMAKHLOUF

    LAdabet la formation de lhomme 29MAKRAM ABBS

    Culture, civilisation et philosophie 41ALI BENMAKHLOUF

    La communication et le voyage des ides 53ALI BENMAKHLOUF

    Hrodote et Al Brn : la force du commun 61SOUMAYA MESTIRI

    Luniversel et lautre 73SOUMAYA MESTIRI

    La Recherche de la vrit 89ALI BENMAKHLOUF

    Traduire et transmettre : la traduction comme moyen de diffusion du savoir 101ALI BENMAKHLOUF

    II. SPIRITUALITSDieu et les mondes 113ABDENNOUR BIDAR

    Lamour de Dieu chez les philosophes et les mystiquesLe soufisme : un exercice spirituel 121ALI BENMAKHLOUF

    La tradition soufie moderne en Afrique : Amadou Hampt B et Tierno Bokar 133OSCAR BRENIFIER

    La Connaissance de soi 145ALI BENMAKHLOUF

    La sagesse selon Ibn Sina 153ALI BENMAKHLOUF

    Sohrawardi et Ibn Arab : lumires dOrient 161ALI BENMAKHLOUF

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    II I. LART, LA RAISON, LE CORPS

    De la dmonstration la posie : lenjeu de la logique dans la philosophie arabe 169ALI BENMAKHLOUF

    LArt dans la civilisation arabo-musulmane 177AURLIE CLEMENTE-RUIZ

    LArt potique arabe 189MAKRAM ABBS

    Le corps et lesprit dans la philosophie arabe 201MAKRAM ABBS

    Amour et techniques du corps chez les raffins daprs le Livre de brocart 209MAKRAM ABBS

    Quels usages de la raison pour la connaissance et la conduite spirituelles ? 221ABDENNOUR BIDAR

    Nasruddin Hodja, philosophe populaire et matre de la voie ngative 229OSCAR BRENIFIER

    IV. LES SAVOIRS SCIENTIFIQUES ET LA LOIAverros et linterprtation de la loi 241ALI BENMAKHLOUF

    Philosophie et sciences en pays dIslam : une cohabitation fconde 253AHMED DJEBBAR

    Lducation, sens et essence 265ABDENNOUR BIDAR

    Mohammad Iqbal 273ABDENNOUR BIDAR

    Les sciences arabes : entre savoir-faire, exprimentation et savoir thorique 281AHMED DJEBBAR

    La technique au service du progrs : lexemple des technologies hydrauliques 293AHMED DJEBBAR

    Lagronomie arabe : de la science de la terre et des plantes lart des jardins 305AHMED DJEBBAR

    V. LA VIE DANS LA CITLa pense politique dans le monde musulman 317ABDOU FILALI-ANSARY

    La Nahda: la renaissance arabe 329ABDOU FILALI-ANSARY

    Les grandes figures : Al Afghani, Muhammad Abduh et Al Kawakibi 341ABDENNOUR BIDAR

    Mouvements de femmes et femmes en mouvement dans le monde arabo-musulman 349FERIEL LALAMI

    Lutte, effort et combat 361MAKRAM ABBS

    La pense de la paix dans les Miroirs des princes arabes 376MAKRAM ABBS

    Frise chronologique 385JACQUES NICOLAUS

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    AVANT-PROPOS

    La publication intitule La civilisation arabo-musulmane au miroir de luniversel : perspectives philosophiques

    a lambition de contribuer un dialogue fond sur le respect et la comprhension mutuels, qui constitue lun des originale de ressources la fois philosophiques et pdagogiques en faveur de la connaissance et de la lutte contrelignorance. Cest ce qui lui attribue son caractre indit.

    Les contenus riches et varis qui composent cet ouvrage sont luvre dune quipe de philosophes et depdagogues qui se sont penchs sur la civilisation arabo-musulmane, travers un regard philosophique, en vuede faire partager aux lecteurs lapport multiple de cette civilisation la pense humaine ainsi que lampleur desconnaissances et des savoirs agrgs au cours des sicles et qui recouvrent plusieurs traditions, langues etcontinents, du persan larabe, de lAfrique lArabie.

    principalement la formation de formateurs : enseignants, professeurs, ducateurs, animateurs. Plus largement,elles ont vocation intgrer et toffer le corpus documentaire du monde de lducation, des mdias et de laculture. Elles aspirent ainsi fournir un contenu philosophique, labor par des philosophes contemporains,experts de la civilisation arabo-musulmane et portant un regard clair sur les enjeux de notre poque. Elles ardu et complexe, et ce par linclusion, pour chacune des thmatiques abordes, de rubriques daide lexploita-tion pdagogique en termes de cls de lecture ou de modalits et dexercices pdagogiques cibls.

    Cette matire philosophique, conjugue un cadre didactique, a pour leitmotivde proposer chaque lecteurde se forger un nouveau regard et de disposer de nouveaux arguments acadmiques en vue de lutter contre les

    Il sagit de rpondre au cadre de rfrence relatif au Mmorandum dAccord entre lUNESCO et lAlliance descivilisations pour un renforcement de la formation pdagogique en matire de comptences interculturelles, face auxproblmes poss par la diversit des cultures, des religions, des croyances et des traditions et le dveloppement 1.

    1 Point IV.1 MoU. UNESCO/UNACO, 2008.

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    Dans un monde en pleine mutation, lclairage apport par une approche philosophique sur les nombreusesquestions existentielles - qui interpellent chacun dentre nous, et en particulier les jeunes gnrations - prend unsens nouveau et pertinent. Lducation formelle, mais aussi non formelle, trouve ainsi substance et matire pournourrir lchange et le dialogue, pour lutter contre les prjugs ethniques, culturels et religieux, et pour encourager

    la tolrance et le respect, en particulier dans un contexte o les socits sont de plus en plus multiethniques etplurireligieuses. cet gard, lducation interculturelle et lenseignement de la philosophie deux dimensions cls

    Concernant lducation interculturelle, celle-ci doit aider (i) respecter lidentit culturelle de chacun traversun enseignement de qualit culturellement appropri et adapt ; (ii) dispenser les connaissances, attitudes etcomptences culturelles ncessaires pour que chacun puisse participer pleinement la vie de la socit ; (iii) permettre de contribuer au respect, la comprhension et la solidarit entre individus, groupes ethniques,sociaux, culturels et religieux.

    Quant lenseignement de la philosophie, cest celui de la libert et de la raison critique, rempart par excellencecontre toute forme de passion doctrinaire et dextrmisme de toute nature. La philosophie renvoie en effet lexercice

    dvelopper les comptences de chacun pour questionner, comparer, conceptualiser. Autant datouts qui fondentune vritable ducation de qualit.

    Le dialogue entre les peuples et les civilisations est une ardente obligation dont lUNESCO se saisit pleinement travers ses divers programmes. Puisse la dynamique de dialogue, initie dans cet ouvrage par les philosopheset les pdagogues, inspirer au mieux la formation acadmique au sein des coles, universits et autres lieuxformels et informels dapprentissage et de partage. Puisse chacun puiser aux sources de ce vaste vivier didesune nouvelle dcouverte de la trs riche civilisation arabo-musulmane.

    Pilar Alvarez LasoSous-Directrice gnralepour les Sciences socialeset humaines.UNESCO

    Qian TangSous-Directeur gnralpour lducation.UNESCO

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    LOUVERTURE LAUTREPendant des sicles, la civilisation arabo-musulmane a puis son dynamisme, son originalit et sa richesse

    dans la multiplicit de ses sources et de ses ressources, dans le dialogue instaur entre les penseurs ainsi quedans les fructueuses controverses que la tradition philosophique et lhritage grec ont rendu possibles.

    Cest ce dialogue et cette mulation essentielle de la vie de lesprit que les textes philosophiques rassemblsdans le prsent ouvrage tentent de traduire et de restituer en sinspirant des grands penseurs du pass et du prsent.

    Cet ouvrage sinscrit dans la volont constante de lUNESCO de toujours ouvrir un horizon de lumire et natures, quelle que soit leur origine. Cest cette ambition commune que traduit le Mmorandum dAccord entrelUNESCO et lAlliance des civilisations qui annonce, dans sa mise en uvre, la production dun Vademecuminterculturel : dispositif pdagogique, la fois pluridisciplinaire et multifonctionnel, destin au plus grand nombreet qui prsente une vision interculturelle de lhistoire unissant le monde arabo-musulman et le monde occidental.

    Ce programme, rendu possible grce la gnreuse contribution du Royaume dEspagne, comprend cinq musulman et le monde occidental (du VIIeau XIXe sicle) ; les jeunes artistes pour le dialogue interculturel entre lemonde arabe et le monde occidental ; les muses comme espace civique pour le dveloppement des comptences La civilisationarabo-musulmane au miroir de luniversel : perspectives philosophiques, fruit dun travail conceptuel denvergure.

    La philosophie, minente discipline de lesprit libre et indpendant, est en effet lune des voies privilgiespour accompagner la rencontre de lautre et le discernement de ses complexits. Lexpression philosophique libre de pluralit et de diversit qui permettra au lecteur de forger sa propre comprhension de la trs riche civilisationarabo-musulmane.

    Que la philosophie au sein de la civilisation arabo-musulmane soit compare aux diffrentes religions etspiritualits ou aux doctrines des philosophes grecs ; quelle mane de philosophes ayant suivi un cursus procde de la volont constante daccder la connaissance. Cest prcisment ce cheminement vers lautre,

    INTRODUCTION

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    UNE INVITATION NOURRIR LESPRIT

    Luniversel comme un universel composite et partag, la civilit comme une exigence humaine qui prend uneexpression culturelle selon tel ou tel contexte, la pluralit des voies du pass restitues selon leur raison propre,mais aussi le dsir contemplatif, le rapport styl la transcendance, sont autant de parcours qui sont dvelopps

    de la connaissance et le partage du savoir, ceux qui veulent stigmatiser cette civilisation en attisant peur et En effet, jamais il na t donn lhomme, par les moyens de communication, davoir autant accs une masse pas pour combattre les prjugs : trop de convictions sont mises en avant. Les expriences, les observations,

    et le rappel des fondamentaux de la culture arabo-musulmane.

    UNE DYNAMIQUE PHILOSOPHIQUE QUATRE TEMPS

    Le premier temps

    respectives avec lobjectif de mettre la disposition du lecteur des lments pertinents du savoir philosophique

    Comme tous les philosophes, et comme toute thique dcriture, les textes ont t rdigs avec toute lalibert acadmique requise. Et cest prcisment cette diversit et cette pluralit de vision et dargumentation quiconstitue loriginalit et la richesse de cet ouvrage. Le lecteur y trouvera un vivier dides dans lequel pourra se la civilisation arabo-musulmane.

    Le deuxime temps est celui de la dcouverte et de la comprhension du texte. Cest cet objectif que visela rubrique intitule Cls de lecture qui, selon son auteur, Khaled Roumo, est une sorte de guide de lecture somme de savoir touchant diffrentes disciplines, et ce, en lui vitant le sentiment daborder un monde inconnuet au contraire, de lencourager y entrer en guidant ses pas. cet effet, cette rubrique fait lnonc dun certainnombre de questions. Celles-ci sont construites avec des mots-cls issus du texte. Elles peuvent, de la sorte, offrirun champ dinvestigation interactive : le lecteur va sappuyer sur ces mots-cls pour entamer sa recherche et sadcouverte du texte. Une telle dmarche recle plusieurs atouts : apporter des rponses aux interrogations quitraversent, de prime abord, les esprits et qui peuvent relever soit du dsir de dcouverte soit dides reues, soit toutes les cultures.

    Le troisime temps composent louvrage comporte une rubrique intitulePropositions pdagogiques : vivre et penser linterculturalit.Cette rubrique est celle qui traduit la contribution des pdagogues au prsent projet. Elle sadresse dabord auxformateurs, destinataires premiers de louvrage, mais galement tout lecteur voulant approfondir et explorerdavantage le texte rdig par le philosophe.Cette rubrique saborde en plusieurs tapes : tout dabord, ltape de comprhension et de rcapitulation, temps desuspension du jugement, o il sagit surtout de dcouvrir de lintrieur une culture, une civilisation et une philosophie.

    Ainsi, sous lintitul Comprendre le texte, est propos un ensemble de questions portant sur les points cls de Puis vient ltape de lappropriation, de lanalyse et de la critique, o le lecteur peut mettre en uvre et lpreuveses jugements et ses partis pris. Ainsi, sous lintitul Dialoguer avec le texte, il est propos de travailler le texte

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    Ltape de la pratique, illustre sous lintitul Modalit pdagogique suggre, propose un certain nombre deprocdures pour confronter tant notre comprhension que notre rapport critique au texte, ce qui devrait permettre

    de ne pas en rester un simple change dopinions, de ne pas se camper sur des positions rigides. De surcrot,les diverses consignes nous invitent mettre en uvre un certain nombre de comptences philosophiques :analyse, jugement, argumentation, conceptualisation, problmatisation, etc. Ces trois premires tapes ont t La dernire tape de cette aide lexploitation pdagogique consiste en une srie d Exercices pdagogiques,rdige par Jonathan Levy, psychopdagogue et formateur. Selon lauteur, ces exercices visent formaliserune pdagogie de linterculturel conue comme une pdagogie de la co-construction de la connaissance danslaquelle les formateurs et les forms ne sont pas seulement les acteurs mais les auteurs de la productionde nouveaux sens et de nouvelles pratiques. Pour cela, il est ncessaire dintgrer une approche pluridisciplinaire,une mthodologie groupale, une pdagogie exprientielle . Cette dmarche entend porter une pdagogienovatrice qui, dans un contexte de diversit culturelle, doit considrer lacte d apprendre comme un acte richede sa complexit, des diffrentes conceptions pdagogiques, des modles et des thories pdagogiques ainsique des diverses mthodes et techniques. Lintitul Exercices pdagogiques offre ainsi les possibilits de

    ce sous forme de jeux, de simulations, dtudes de cas, dexercices de reprsentations Ces exercices ont pour

    Le quatrime tempsest celui de la mise en perspective avec dautres aires culturelles et civilisationnelles.Tel est le propos de la rubrique intitule Autres poques, autres lieux. Comme lexplique son auteur, JacquesNicolaus, cette rubrique souligne, par les exemples choisis, quil ny a pas de coupure ni de foss entre la civilisationarabo-musulmane et les autres civilisations, mais une interpntration beaucoup plus avance quon ne le croit, des sociaux et autres se sont poss dans des termes quasi identiques dans les diffrentes civilisations. Elles se rfrences culturelles sont en grande partie communes.

    domaines du savoir est avant tout une invitation changer de regard, voir au-del de ce que nous croyons service de la comprhension mutuelle et du dialogue ininterrompu des cultures.

    Cet ouvrage a fait le pari de faire dialoguer des textes de philosophes et des lectures de pdagogues, ilconjugue ainsi une double fonction chre lUNESCO : celle la fois de stimuler la production de contenusinnovants et de les rendre accessibles aux praticiens du monde de lducation et au-del.

    dialogue et de la connaissance mutuelle, lUNESCO poursuit rsolument sa mission de promotion dune culturede la paix nourrie par les dynamiques du savoir et lalchimie du partage.

    Angela MeloDirectrice de la Division droits de lhomme,philosophie et dmocratie.UNESCO

    Chef de la Section philosophie et dmocratie.UNESCO

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    Comit de pilotage

    Jonathan Levy (psycho-pdagogue, formateur) Khaled Roumo (formateur, crivain, pote)Jacques Nicolaus (historien, professeur associ pour la formation pdagogique) Feriel Ait-Ouyahia (UNESCO)Jun Morohashi (UNESCO)

    Florence Migeon (UNESCO)Mia Khochmatlian (stagiaire, UNESCO)

    Auteurs des rubriques pdagogiques

    de nombreuses annes, en France comme travers le monde, il travaille au concept de pratique philosophique ,tant sur le plan thorique que pratique. Il est un des principaux promoteurs du projet de philosophie dans la cit :ateliers avec enfants ou adultes, consultation philosophique, caf-philo, etc. Il a publi une trentaine douvrages en cedomaine, dont la collection PhiloZenfants (ditions Nathan), traduite en plus de vingt-cinq langues. Il a fond lInstitut en divers lieux : coles, mdiathques, maisons de retraite, prisons, centres sociaux, entreprises, etc. Il est lundes auteurs du rapport de lUNESCO, La philosophie, une cole de la Libert.Paris, ditions UNESCO, 2007.

    Jonathan Levy est formateur denseignants et de formateurs dadultes. N en Angleterre, spcialiste en pdagogieet sciences de lducation, il vit et travaille en France depuis 30 ans. Il conoit et anime des dispositifs de formationdenseignants et de formateurs dans les secteurs de lducation, du travail social, des organisations intergouver- Nord. Il est conseilleur pdagogique pour le programme ducation la paix pour Initiatives et Changement France

    AFJK (Association Franaise de Janusz Korczak).

    Jacques Nicolaus, n en 1948, est agrg dhistoire. Il a enseign toute sa carrire en Seine Saint-Denis(France),notamment au lyce Paul Robert des Lilas jusquen 2008. Pendant une dizaine danne il a t professeur associ concours de recrutement. Il a particip la rdaction de plusieurs manuels dducation civique pour les collgiens etde manuels dhistoire aux ditions Belin pour les lycens. De 2001 2004 il a travaill un projet France-UNESCO

    intitul la dfense au service de la paix .

    Khaled Roumo est formateur la diversit des cultures et des religions. Il est galement traducteur, professeurdarabe, auteur, pote et confrencier. Il est le fondateur et directeur artistique de WAJD , une production demusique du monde et anime rgulirement des cercles philosophiques. Il a publi de nombreux ouvrages dontLe Coran dchiffr selon lamour,Koutoubia, Paris, 2009, ainsi queLa Problmatique foi et raison chez Ibn Khaldunet son actualisation,in collectif Ibn Khaldun, fondation des sciences sociales, Publisud, Paris, 2009.

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    Les fiches regroupes ici sont un travail patient dlucidation des grandes bases intellectuelles, intellectuelles et les inventions marquantes qui ont ponctu cette civilisation.

    I. RATIONALITS

    Ce travail fait apparatre quil y a des rationalits luvre dans les champs du savoir et dans la pratiquehumaine, que celle-ci soit politique ou artistique. Comme dans dautres civilisations, les hommes ont ici appris vivre ensemble, construire des villes, assainir les rseaux daccs leau, duquer bien sr. Plutt quede parler dun ge dor li lexpansion du monde musulman durant le Moyen-ge, les auteurs ont voulu mettrelaccent sur les ponts, les changes, les formes de circulation du savoir et des hommes. Cela permet de comparerles cultures sans les galer : les comparer pour prendre conscience quil ny a pas dessence singulire qui mettelle ou telle civilisation hors dun critre de comparaison, sans les galer ensuite, car il ne sagit pas de dire queles cultures se retrouvent toutes dans un universel abstrait qui nie les diffrences. Quand un Shakespeare dit je vous enseignerai les diffrences , quand un Montaigne indiquait que toute sa logique consistait en ce mot : je distingue , ils nous ont donn la plus grande des leons humanistes : nous navons jamais cess de dcrireles diffrences observables.

    Si toute civilisation mesure ses acquis par ladoucissement des murs1au sens o la civilit quelle meten place suppose un adoucissement des peines, une ducation en vue de la bonhomie et de la promotion de Adab2, une dveloppement des vertus. Savoir vivre, savoir faire et savoir tout court sont impliqus dans ce concept qui a t esicle) et Al Jhiz (IXesicle) :

    PROLOGUE

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    II. SPIRITUALITS

    Dpendant au dpart du plerinage, le voyage est vite devenu le moyen par lequel les hommes ont validleur connaissance. Remonter la source du savoir, rapporter ce savoir aux lments quasi sensoriels deson mission, constituer la chane des transmissions : voil des actes cognitifs qui supposent un engagement transmission dun message langagier et qui a dabord fait ses preuves dans la transmission des ditsprophtiques. lire la grande tradition de gographes arabes comme Ibn Battuta ou Al Birn3, on voit monter ustraen arabe).

    contre le pire ennemi de lhomme : lignorance qui signore, celle qui engendre la peur de savouer comme telleet qui est responsable de bien des malheurs humains.

    de lhomme la vrit. La recherche de la vrit est selon Al Kind un processus historique auquel participenttoutes les nations, et Ibn Khaldun souligne que les sciences sont tudies par les adeptes de toutes les religions ;elles existent dans lespce humaine depuis que la civilisation est apparue dans le monde. La vrit4entretient unrapport troit avec la sagesse dans le monde arabo-musulman. Parmi les quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu il y acelui de sage et de vrace . Si donc la philosophie est une sagesse, elle est aussi une recherche de la vrit.Par des moyens dmonstratifs, elle permet de parvenir des vrits que la religion prsente de faon image, le texte sacr enjoint lhomme de rechercher la connaissance des choses en vrit. Il y a un processus historiquede la vrit qui sincarne tantt dans des crits religieux, tantt dans des crits philosophiques. Les mystiques 5de leur ct se saisissent des quatre-vingt-dix-neuf noms de Dieu pour souligner quils sont raliss en lhomme

    asctique concomitant dune pure des sentiments et des connaissances. La perplexit du philosophe orientela connaissance sur le comment du monde et produit toutes les sciences et les techniques profanes comme lamdecine, lagriculture, la botanique, la logique, etc. La perplexit du mystique est oriente vers le fait du monde :cest la surprise face tout ce qui existe et qui interroge lhomme quant sa place dans le cosmos et face sessemblables. Dans le monde arabo-musulman, les confrries mystiques ont particip la circulation du savoir et se que celles du Sngal6. Mais chaque fois cest le mystre de la transcendance du divin qui est clbr.

    Si pour les savants musulmans, la connaissance de soi7passe par la connaissance du divin, les modalitsde cette connaissance du divin divergent : pour la tradition rationaliste dAl Frb et dAverros, cest lintellect 8aporte sa haute expression, la connaissance du divin suppose limagination prophtique, la pense des saintsintercesseurs du divin. En somme, une thosophie o lesprit est illumin par le divin.

    II I. LART, LA RAISON, LE CORPS

    Au cur de ces deux mthodes, la mthode rationaliste et la mthode spiritualiste, il y a la place occupepar la posie9 dans laquelle les hommes se sont rapports au rel dans lArabie antislamique. La mmoire potique a ainsiconserv la manire dont les Arabes voyaient et nommaient les choses. Certes, avec larrive de lIslam, le potena plus le pouvoir sacral quil avait dans les temps paens, mais cest encore la posie qui vient, si lon peut dire,au secours du texte sacr pour en permettre lintelligibilit : grce lentre dans la civilisation de lcrit partir dela transcription et de la diffusion de la parole sacre, les savants ont cherch conserver le trsor ancien de lalangue arabe, sdiment dans les posies et dont la connaissance tait indispensable pour comprendre les textes

    Les philosophes ont pris part ce dbat. Ils ont compris que le projet ducatif auquel ils tenaient tant, projet -tion de la dmonstration10

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    formes sensibles de la persuasion rhtorique et de la fabrication des images. Le jugement, le raisonnementproduisent certes un assentiment, mais cet assentiment peut prendre la forme dun contentement rhtoriquequand les preuves avances sont elliptiques. La lecture du texte sacr exige que des prmisses, venues des

    crypte, sotrique. Ou encore, selon une mthode toute diffrente, inspire de la voie mystique, la mditationpeut se faire en vers comme chez Mohammed Iqbal11, philosophe du XXesicle dans le Pakistan naissant. Elle 12: celui-ci reprsente

    caractre sacr de la langue arabe, par laquelle sest faite la rvlation coranique au prophte Muhammad,

    impose de fait la calligraphie comme une caractristique majeure de lart islamique13

    . De plus, cet art secaractrise pour beaucoup par labstraction gomtrique, celle-ci devient lun des vecteurs symboliques de prsent en toutes choses. Par extension, cet art est une expression de Sa beaut. Le spirituel rejoint alors le

    La mosque reste llment le plus emblmatique de larchitecture islamique, elle remplit une fonctionpdagogique majeure car elle nest pas seulement un lieu de prire, elle est aussi un lieu o se dispense le savoir.On vient de loin pour couter tel ou tel cheikh14qui runit quelques disciples pour commenter un passage obscur la madrasa ou cole coranique, lhpital, lhospice, le souk, le hammam. Le corps aussi bien que lesprit trouvedonc les conditions de son dveloppement.

    IV. LES SAVOIRS SCIENTIFIQUES

    Si, durant la Renaissance, le retour lapprentissage du latin et du grec simpose, pour les savants arabes de la traduction15. Cest ainsi que des coursiers du savoir se sont mobiliss pour traduire des textes de mdecine,de philosophie, dastronomie16, etc. La langue arabe sest trs vite enrichie de ces traductions car une langue qui 17, de dvelopper les sciences et les arts. Les villes comme Bagdad,Fs, Le Caire, Kairouan nont pu se dvelopper que par la connaissance conjointe des ingnieurs de lpoque,ayant matris les formes anciennes dirrigation, les adductions deau, les techniques agricoles18damliorationdes cultures, toutes choses qui ont mis sur les routes les savants pour collecter le savoir des Anciens.

    Que ce soit par les changes mditerranens ou par les traductions du savoir mdival capitalis par lesArabes, la civilisation arabo-musulmane a t et reste encore aujourdhui pour lEurope un champ de prsence,cest--dire, un ensemble dnoncs discuts, critiqus, devenus en somme anonymes en raison de leurs succs.On a pu dire quAverros19tait le pre spirituel de lEurope car maintes distinctions conceptuelles prsentes dans techniquement, thse du monopsychisme. Pensons aussi Avicenne et sa distinction capitale entre lessence etlexistence20: aujourdhui encore, cette distinction est un outil conceptuel majeur que tout le monde utilise sansplus se rapporter celui qui la dabord magistralement thmatis. Pensons encore, dans dautres domainescomme celui de lhistoire, de la gographie et des sciences, la cosmographie de Lon LAfricain21, intituleDescription de lAfrique, et qui, au XVIesicle, a permis lEurope de mieux connatre ce continent si proche delleet si ignor cependant. Une nouvelle cosmographie, cest--dire une nouvelle cartographie de la terre, se met enplace grce ce Lon qui sappelait dans sa vie antrieure, au service du roi du Maroc, avant sa capture au large - celle de Copernic fait de plus en plus dadeptes.

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    1 Fiche : Le concept de civilisation 2 Fiche : LAdabet la formation de lhomme

    3 4 Fiche : La Recherche de la vrit 5 6 7 Fiche : La Connaissance de soi 8 9 Fiche : LArt potique arabe 10 Fiche : De la dmonstration la posie : lenjeu de la logique dans la philosophie arabe 11 Fiche : Mohammad Iqbal 12 13 Fiche : LArt dans la civilisation arabo-musulmane 14 Fiche : Lducation, sens et essence 15 Fiche : Traduire et t ransmettre : la traduction comme moyen de diffusion du savoir 16 Fiche : Philosophie et sciences en pays dIslam : une cohabitation fconde 17 Fiche : La pense de la paix dans les Miroirs des princes arabes 18 Fiche : Les sciences arabes : entre savoir-faire, exprimentation et savoir thorique ,

    Fiche : La technique au service du progrs : lexemple des technologies hydrauliques Fiche : Lagronomie arabe : de la science de la terre et des plantes lart des jardins

    19 Fiche : Averros et lin terprtation de la loi 20 Fiche : La sagesse selon Ibn Sina 21 Fiche : La communication et le voyage des ides 22 Fiche : Le corps et lesprit dans la philosophie arabe 23 Fiche : La pense politique dans le monde musulman 24 Fiche : La Nahda : la renaissance arabe 25 26 Fiche : Mouvements de femmes et femmes en mouvement dans le monde arabo-musulman

    La civilisation arabo-musulmane au miroir de luniversel : perspectives philosophiques ISBN 978-92-3-204180-7 UNESCO

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    LE CONCEPTDE CIVILISATION

    On peut avancer de faon liminaire que lacivilisation cest le bon sens, non pas le sens commun,ni un ensemble de trivialits ou de prjugs, cest unecoalition de cultures o des pratiques discursives sontprsentes ensemble : art, posie, gographie, histoire,philosophie, grammaire, ouvertes les unes sur lesautres. Il y a eu quelque chose de cet ordre dans laVienne du dbut du sicle, dans la Bagdad du Xesicle,et dans la France de la Renaissance : quelque chose dela civilit et de lurbanit qui donne le mot dynamiquede civilisation, apparu au XVIIIesicle sous la plume du

    marquis de Mirabeau. La civilit, la civilit des Italiens,cest un mot pour dire ladoucissement des murs,adoucissement qui prend la forme de la convivialit(al Munassa), du plaisir partag de la conversation,de la courtoisie et de la clmence. Le mot de civili-sation est rcent. Il date du XVIIIe sicle. Ce seraitMirabeau lan qui, dans LAmi des hommes ou traitde la population, en 1757, aurait donn ses lettres denoblesse ce mot pour dsigner le moyen par lequelles hommes deviennent civils, cest--dire adoucissentleurs murs. Lide de non-violence (douceur) est

    LHOMME, TRAVERS LA CIVILIT ET LA CIVILISATION,APPREND VIVRE AVEC SES SEMBLABLES.LE PARTAGE MINIMAL DACTIONS MENES AU QUOTIDIEN PERMETDE COMPARER LES HOMMES LES UNS AUX AUTRES, SANS LES GALER.LUNIVERSEL NEST PAS UNE ABSTRACTION, IL EST PLUTT LAPPRENTISSAGEDE LA DIVERSIT HUMAINE DANS LHARMONIE DUN DESTIN PARTAG.PLUS LE MONDE SLARGIT, PLUS IL DEVIENT URGENT DE CONNATREET DE RESPECTER LAUTRE. LADOUCISSEMENT DES MURS EST LATOUT MAJEUR

    DE TOUT TRAVAIL CIVILISATIONNEL, MAIS CEST AUSSI UN TRAVAIL PRCAIREQUI SUPPOSE UNE TCHE CONTINUE ET PARTAGE.

    INTRODUCTION

    Avance et tu seras libre Calligraphie de Karim Jaafar

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    dveloppement, biensance, qualit des rapports entrepersonnes vivant dans la cit, voil les autres carac-tristiques majeures que renferme ce mot. Quant au

    mot civilit , terme attest ds le XIVe sicle chezOresme, il est synonyme de courtoisie et renvoie sontour ladoucissement des murs dans une cit.

    Dans la langue arabe, le mot hadra renvoieaussi bien lurbanit qu la civilit. Ibn khaldun, auXIVesicle a conscience que ce mot mrite lui seulune science nouvelle. Cest l une nouvelle semencelance sur le terrain des tudes qui, jusqu Ibnkhaldun, rapportait la civilit des travaux de rhtoriqueou de politique sans relier les deux domaines, puisquela rhtorique faisait partie de la logique - considrecomme pratique raisonne du discours - et la politiquedu champ des affaires humaines o sexerce la volont.

    Il sagit dornavant de croiser ces disciplines pourmontrer les formes de changement historique qui affec-tent les hommes et les inclinent organiser leur socitdiffremment : non pas selon une transcendance

    hors du monde et de lhistoire, mais par des relationsinterhumaines o sexerce tous les jours la civilit sansles obstacles discursifs et politiques son avnement.La science nouvelle quIbn Khaldun entend promouvoirdoit pouvoir croiser lobjet de la rhtorique : enracinerdes dispositions permanentes dans lme humaine parla technique de persuasion, et lobjet de la politique : inspirer aux gens un comportement favorable laconservation et la prennit de lespce 1. De cecroisement entre la politique et la rhtorique, on envient considrer la civilit comme un enjeu dhuma-nisation, que certains traduiront plus tard comme unpassage de ltat de nature la culture.

    Bertrand Russell Gottlob Frege, logicien philosophe Bertrand Russell,latomisme logique Montaigne Averros Al Frb,philosophie Bagdad au Xesicle

    Lauteur

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    Les trois exemples prcits sont une quintessencede cette civilit, on peut leur associer des noms propres :

    Al Frb (Bagdad, Xes.), Montaigne (Bordeaux, XVIes.), Freud (Vienne, XXes.). Il ne sagit dans aucun cas

    dune priode dge dor. Les trois priodes durantlesquelles ont vcu ces mes cosmopolites sont despriodes de tumulte, mais, dans le tumulte, dans lagita-tion, il y a aussi entendre une libert luvre, mieuxvaut une libert agite quune servitude tranquille noteJean-Jacques Rousseau dans le Discours sur lorigineet lingalit parmi les hommes -sins au dbut du Xesicle ; les guerres religieuses duXVIesicle font rage en France, et les procs en sorcel-lerie sont lgion, au moment o se fait le massacre

    massive de lEurope dans la premire guerre mondialese fait au moment o lhomme europen a le pluscru au progrs de lhumanit. Il ne sagit donc pas dedcrire un ge dor, mais de voir luvre ce travail

    civilisationnel dans ce quil a de prcaire, le reconnatrel o il est menac, cest pourquoi il importe de fairedes haltes sur ces quelques moments du pass pourcomprendre notre temps; notre temps, qui nous semblebien chaotique, mais qui nous donne aussi des signesde ce travail civilisationnel quil nous appartient de conti-nuer, dpanouir. Il sagit douvrir la bote outils quest par exemple la premire mondialisation qui a eu lieuau XVIe sicle pour se donner les moyens de rendreintelligible celle que nous vivons aujourdhui.

    Al Frb vit Bagdad, et frquente les milieuxpolitiques, les milieux littraires o se croisent lessavoirs venus de Perse et des savoirs de ceux quonappellera aprs les Mongols et les Turcs. Il frquenteaussi les milieux confessionnels divers : juifs, chrtiensnestoriens, spcialistes de syriaque et de traduction

    du grec. Je ne veux pas distinguer uniquement cette autour de lui, ou ayant vcu immdiatement aprs, miri,ce sont des gens que lon retrouve comme person-nages de ce livre qui est le pendant des Mille et UneNuits, et qui sintitule Plaisir et convivialit dAl Tawhd(Al Imt wal monassa), livre qui dveloppe un art dela conversation et qui a t considr comme les Milleet Une Nuits philosophiques. Je dis conversation, je nedis pas controverse, je ne dis pas argumentation serreet technique. La conversation est lincarnation du bonsens, de la civilit : propos et hors de propos, sousforme de on dit que et sous forme de je dis pour mapart , sous forme de suggestions, de formules comme me semble-t-il , o on sait que le discours appartientmoiti celui qui lnonce moiti celui qui lcoute. sont un exemple de cet art de la conversation o lon -cits de la langue grecque o larabe risque de perdre -

    Revenons sur le contexte culturel de Bagdad auXesicle. Quatre noms simposent dans ce nouveau (893-974), Ab Sulaymn Al Sijistn (ca 912-987),

    (m .1023). Dans le Bagdad trouble du dbut du Xesicle,

    de nombreux savants ont connu la misre et ont dse transformer en copistes pour gagner leur pain. Ladpendance lgard des vizirs tait alors trs grande.

    jacobite, disciple dAl Frb. Il fut non seulement

    un philosophe logicien, mais aussi un traducteur dusyriaque vers larabe et un copiste. Ab SulaymneAl Sijistn est lui aussi un logicien. Il fut certainement Potique dAristote. partir de 942, il ny a plus quIbn Ad Bagdad, puisquAl (940). On estime quAl Sijistn stablit Bagdadautour des annes 939, et que sitt arriv Bagdad,il domine pleinement lcole dAl Frb. Tous ceux qui chez lui. Ce que lon sait dAl Sijistni nous vient deSiwn al hikma, Lantichambre de la sagesse, ouvragedun inconnu qui rapporte les paroles dAl Sijistn. Il na do la relative ignorance dans laquelle est tenue sonuvre. Il fait cependant partie de cette chane detransmission philosophique qui relie Al Frb et

    Avicenne. Le cercle dtudes autour dAl Sijistn estfortement marqu par le no-platonisme. Pour coupercourt aux polmiques thologiques, Al Sijistn pose plotinienne libre le champ du travail rationnel de touteentrave thologique.

    Al mir i. Il appart ient galement ce quon peutappeler lcole dAl Frb ; n Nishapur, il a aussirejoint Bagdad et est connu pour avoir rdig un livreintitul Le bonheur et ses causes ; il utilise un style

    CONVERSER EN PRIODE TROUBLE :PLAISIR ET CONVIVIALIT

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    Rubrique rdige par Jacques Nicolaus

    Voici quelques courts extraits de louvrage Grammaire des civilisations,crit en 1963

    par Fernand Braudel1. Comme dans son ouvrage le plus clbre, La Mditerrane autemps de Philippe II, il y dveloppe une analyse fonde sur la prise en compte dunetriple temporalit : le temps gographique (longue, voire la trs longue dure) ; le tempssocial (moyennement long, celui des tats) et le temps de lvnement (trs court, celuique lon ressent pour le vivre, lhistoire politique longtemps privilgie par les historiens).Il met laccent sur ltude des phnomnes anciens qui structurent les socits etcherche crer des liens entre lhistoire et dautres disciplines (sociologie, conomie,anthropologie), ce qui lui a valu souvent des critiques de la part de celles-ci, laccusantde soumettre ces disciplines lhistoire.

    Dans lextrait qui suit, il tablit les liens, dans la longue dure, entre les civilisations duProche-Orient qui ont prcd lIslam. Soutenir que lIslam nat en quelques annes, avec Mahomet, est trs exact, en mme temps inexact,

    peu comprhensible. La Chrtient, elle aussi, est ne avec et bien avant le Christ. Sans Mahometet sans le Christ, il ny aurait eu ni Chrtient ni Islam; cependant, ces religions nouvelles ont, chaque avenir. LIslam, forme nouvelle du Proche-Orient. Une civilisation seconde comme le christianisme plus vieux, peut-tre le plus vieux carrefour dhommes et de peuples civiliss qui soit au monde. Cest -tifs de gopolitique, des formes urbaines, des institutions, des habitudes, des rituels, des faonsanciennes de croire et de vivre. [] Ce nest donc pas par la prdication de Mahomet, ou au coursde la dizaine dannes des premires conqutes fulgurantes (632-642), que dbute la biographie delIslam. Au vrai, elle souvre par linterminable histoire du Proche-Orient.

    Fernand Braudel,Grammaire des civilisations ,Paris, 1963, rdition Flammarion 1993, pp. 73 et 75

    LIslam nest donc pas une rupture avec la civilisation grco-latine et les civilisationsdu Proche-Orient, comme il a parfois t dit et crit, mais une continuation solidement et diffuser les textes anciens Une civilisation marque par son origine gographique,mais sans elle, lEurope occidentale, isole aprs les invasions barbares aurait t(encore plus) mise lcart du reste du monde.

    [] (LIslam) seul, rptons-le, met en contact les grandes aires culturelles entre quoi se divise leVieux Monde : lExtrme-Orient, lEurope, lAfrique Noire. Rien ne passe quil ny consente, ou pourle moins quil ne ferme les yeux. Il est lintermdiaire. []. Cependant, des sicles durant, lIslam le poivre, les pices, les perles de lExtrme-Orient, en transit vers lEurope. En Asie et en Afrique, ou dAlexandrie, ou dAlep, ou de Beyrouth, ou de Tripoli, de Syrie / Idem, p. 95

    LIslam a videmment ses particularits, parmi celles-ci, la plus importante est sansdoute la langue du Coran ; larabe devenu la premire langue de communication inter-nationale pour le monde musulman et base de sa culture. Elle a donn une unit et traductions, celui qui lit larabe a accs la culture du monde.

    Al-Rashid, Mamm (813-833), fera traduire en arabe un nombre considrable duvres trangres,surtout grecques. La diffusion de ces connaissances fut trs rapide, dautant que lIslam connut trs possdait, dit-on, une bibliothque de 400 000 manuscrits (avec 44 volumes de catalogues), et mme nen contenait que 900. Idem pp.104-105

    1 Fernand Braudel (1902-1985). En 1937, aprs avoir rencontr Lucien Febvre, il rejoint lcole des Annales fonde en1929. Fait prisonnier en Allemagne pendant la guerre, il passe ses annes de captivit prparer sa thse en utilisant saseule mmoire, il la soutient en 1947 : Cette tude

    marque une date dans lhistoriographie, car il ne sintresse pas la politique du souverain Philippe II, mais une gohistoirecentre sur ltude de la Mditerrane. Il y dveloppe une analyse fonde sur la prise en compte dune triple temporalit

    Autrespoques,

    Autreslieux

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    et dapophtegmes grecs , et comme Al Sijistni, ilest la recherche dune formule no-platoniciennequi conviendrait son ge et sa nation 2 pour les apophtegmes vient de cette valorisation de

    Plaisir et convivialit :la parole rapporte ses conditions dnonciation resteune parole vivante.

    Le chafisme est lune des quatre grandes coles

    juridiques. Elle a domin dans la basse gypte, enArabie du Sud, en Iraq ainsi quen Asie du Sud-Est.Cest lcole qui a rassembl de faon cohrente etsystmatique les bases fondamentales de la jurispru-

    Ces deux disciples dAl Frb sont les personnagesprincipaux des Entretiensou Muqbasst Ces entretiens, au nombre de 106, ont le ton de laconversation sur des sujets trs divers et selon descroyances fort distinctes : musulmans, juifs, chrtiens,sabens confrontent leur credo. Le but poursuivi parlauteur dans ces Entretiens est prsent dans lEntre-tien n2 : Mon but est de collecter des choses qui serapportent la philosophie et den ajouter dautres du sicle et des matres dont je fus le contemporain .Protg par le vizir Ibn Sadn, jusqu lexcution de -nage central de son livre Plaisir et convivialit, sorte

    de Mille et Une Nuits philosophiques durant lesquellesdivers sujets sont dbattus.

    On peut parler dune culture de cour dont le pour leur indiffrence ou tolrance religieuse, ontpermis lclosion dun vritable esprit philosophique,fait de dbats et de divergences ayant toujours en vuela formation de lesprit et non la polmique sectaire ; onpeut paraphraser le propos de Montaigne les princesvous font du bien quand ils ne vous font pas de mal ,les Buyides taient sinon respectueux des choses delesprit, du moins indiffrents leur dveloppement.Dans son ouvrage, Immisme et littrature sous lesBuyides lgard des Abbassides a t le fruit de compromis entre ces princes iraniens, et lopportunit politique qui luiconseilla de mnager les califes et la majorit sunnite() somme toute le Shiisme modr ou immite, sans

    slever au rang de confession dtat, et tout en gardantsa position minoritaire, devient en Iraq sous les Buyides,une doctrine la mode o trempent sous la rservede tashayyu hasan[un bon shiisme], bien des esprits

    cultivs () On ne peut se soustraire limpression quecet panouissement culturel hors pair est li cette libert 3.

    La cour dAbu Mohammed Al Muhallab (m.974) apermis de nombreux lettrs de donner leur mesure. Rayy, a rejoint Bagdad et fait partie de la gnration deslves dAl Frb. Selon lui, ce vizir, linstar de celui avec adresse ; il tait loquent et inspirait le respect ; ilrussissait se procurer de largent et tait au fait des

    anciens usages du vizirat. Il tait gnreux, courageux,cultiv et parlait un persan pur. Il remit en honneur ungrand nombre dusages de la chancellerie qui avaient exploiter les sources des richesses. Il accomplit ainsi de les hommes de lettres et de science ; il ressuscita lesdisciplines tombes dans loubli, en proclama les mritesdonnant ainsi tous le got de revenir ce quils avaientnglig 4. R. Walzer note que les ouvrages dAl Frbcomme Les vues des habitants de la cit vertueuse dAl Frb, luvre est adresse tous ceux qui ne

    sadonnent pas activement la philosophie, compte nontenu de la nation particulire ni de la religion auxquellesils appartiennent. Il ne fait pas de doute cependant quellesadresse aux musulmans au premier chef () je penseque les secrtaires , les membres de ladministration,les kuttb,qui reprsentaient une sorte de culture laquedans le monde musulman de cette poque, composaientla majorit de son public 5.

    service de la conversation qui exerce lhumanit deshommes en dialogue.

    La conversation cest le parler prompt et vif quigarde au langage sa vigueur, cest un doux assai- recouvert de musique. Ce nest donc pas la contro-verse qui dgnre en esprit partisan. Il sagit dedeviser plutt que de donner son avis. L est lesprit dela civilit.

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    LE XVIeSICLE :UN MONDE LARGIET UNE FORME

    DE MONDIALISATION Faisant maintenant le voyage vers la France duXVIesicle pour explorer plus avant cet art de la conver-sation. La priode nest pas moins trouble : les indiensdAmrique sont massacrs, la guerre civile et religieusefait rage en France, les Turcs tendent leur empire.LAfrique entre dans lhistoire grce au tmoignage de Fs, captur aux larges de Carthage, vendu son nom. Bodin, Montaigne reprennent non seulementdes exemples de Lon, mais leur scepticisme leurfait aussi adopter cette prudence pistmique de la

    description : quand Montaigne parle du roi Abd-el-Melik, il salue en lui un hros stocien 6car ce roi asu vivre sa mort au naturel, mais cela sapparente plus un montage de cas qu linscription de lexempledans une construction thorique.

    Que ce soit Moulay Abd-el-Melik, affrontant samort sans tonnement et sans soin ou Soliman le historiques inattendues entrent dans la littraturefranaise, viaMontaigne.

    Montaigne reconnat trois excellents hommes,

    ou plutt, les plus excellents parmi les hommes : Mahomet, second de ce nom, empereur des Turcs quand, crivant au pape Pie II, il dit : je mtonne,comment les Italiens se bandent contre moi, attendu quenous avons notre origine commune des Troyens, et que

    les Turcs lont hiss au rang de lgende. Au momento Montaigne crit, les Mahomtans, qui mprisenttoutes autres histoires, reoivent et honorent la sienneseule par spcial privilge (ibidem, Montaigne, lesEssais, p. 307).

    esicle.Au moment o lEspagne fait la colonisation desAmriques centrale et du Sud, lI tal ie dcouvrelAfrique par la figure de Lon lA fricain, lEurope vitdes changements politiques de taille, sous leffet delexpansion ottomane. Interrogeons, du point de vuede cet empire, la perception de la frontire. Comment

    frontire ottomano-moldave ou au-del du territoire de de vue de la domination indirecte des Ottomans, queces principauts, ne font pas partie des territoires biengards du sultan.

    dune grandeur romaine. Sil lui arrive de coloniser place le roi pour quil soit utile sa servitude commefaisaient autrefois les Romains : Il est vraisemblable

    que Soliman, qui nous avons vu faire libralit du tats, regardait plus cette considration qu celle quil avait accoutumdallguer : quil tait saoul (rassasi) et charg, de tantde monarchies et de puissance 7.

    Les territoires du sultan sont certes les territoiresbien gards de lIslam mais la frontire les dlimitant

    Jusquau XVIIIe les sultans ottomans nentrete-naient pas dambassades permanentes ltranger,mais pratiquaient lenvoi de missions ponctuelles.

    Ltat minuscule de la Rpublique de Raguse(Dubrovnik actuelle), est au moins partir de 1430,tributaire de lEmpire ottoman, cette rpublique paie untribut chaque anne au sultan moyennant quoi elle areu des garanties et des privilges commerciaux. Cestatut, on le trouve aussi sur la frontire du ct de la ce nest pas un tat qui paie un tribut puisquil estmusulman, il na pas payer de kharaj8, les princes deCrime reoivent une pension annuelle du trsor de laprovince ottomane, mais il ne sagit pas non plus dune tat vassal qui a gard son propre gouvernement etsa structure tribale propre. La Crime est-elle partie

    Il faudra attendre la fin du XVIIIe sicle pour admette que lempire a des limites. Le triomphe duralisme sur lidologie, en somme.

    Dans ces conditions, lexpansion ottomane nonseulement dans les priodes de dclin de lempire, maisy compris dans la priode de la plus grande expansion,ne sest pas faite dans une invincibilit absolue, lesTurcs ont connu des revers.

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    Comprendre le texte

    Dialoguer avec le texte

    Modalit pdagogique suggre :problmatiser par la questionUne ou plusieurs questions sont choisies.Chacun rpond individuellement par critaux questions donnes.Chacun lit ses rponses au groupe.Chacun doit choisir une proposition nonceo il peroit un problme, puis formuler une question - ou choisie, qui rpondra au problme soulev.Le groupe dtermine collectivement si la rponse est

    satisfaisante ou non. Une courte discussion pourra sensuivre. Un nouveau problme est soulev. Le mmeprocessus reprend. Si cela est possible, recommenceravec dautres questions. Analyse du travailet de lexercice avec lensemble du groupe.

    Exercices pdagogiquesSimulation

    ses caractristiques comportementales et attitudes le dveloppement des arts et des sciences, des religions et des croyances, leurs systmesde gouvernance et leur vision de la civilisation.

    pour les dlgus, les autres participants forment

    expliquer) les diffrentes caractristiques culturelles.Discussion sur des lments douverture et de fermeturedans diffrents domaines.

    Culture, civilisation et philosophie .

    du dbat et celui des deux textes.

    Propositions pdagogiques : vivre et penser linterculturalit

    Rubrique rdige par Jonathan Levy

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    > Commenter, dans le contexte, cette phrase de J. J. Rousseau : Mieux vaut une libert agite quune servitude tranquille .

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    > Peut-on parler dun art de la convivialit lorsquil sagit de distinguer

    >

    >

    > Dcouvrir les Mille et Une Nuits philosophiques des dynasties tolranteset une sorte de culture laque dans le monde musulman du Xe sicle.

    > Montaigne et la perception des frontires au XVIe sicle.

    >

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    > non pas des traits et des rgnes, mais des hasards de lutte et des dispersions .

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    Cls de lecture

    Rubrique rdige par Khaled Roumo

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    MALAISEDANS LA CIVILISATION

    Le troisime moment se situe dans la Vienne dudbut du XXe. Freud stonne de voir lhomme animpar sa pulsion de mort au point de laisser sombrer toutlacquis civilisationnel dans le carnage de la premire quil donne dans Lavenir dune illusionpour dbrouillerce paradoxe humain de dfaire ce qui le constitue :

    La culture humaine (...) prsente comme on le saitdeux faces lobservateur. Elle englobe dune part tout lesavoir et tout le savoir-faire que les hommes ont acquis elle des biens pour la satisfaction des besoins humains,et dautre part tous les dispositifs qui sont ncessaires

    pour rgler les relations des hommes entre eux et enparticulier la rpartition des biens accessibles 9.

    Ces deux faces de la culture sont dans unrapport paradoxal, car la transformation de la nature aenregistr des progrs que lon ne retrouve pas dansle domaine des rgulations humaines. Ce fait a tconstat aussi bien par Lvi Strauss que par Freud,le premier pensant que cest prcisment la domina-tion exerce sur la nature qui nous a mis dans linca-pacit de prendre la mesure de ce qui change dansles relations humaines, et le second reconnat quetandis que lhumanit a fait de constants progrs dansla domination de la nature et quelle est en droit den

    attendre de plus grands encore, il nest pas certainquon puisse constater un progrs analogue dans largulation des affaires humaines, et il est vraisemblableque de tout temps, aujourdhui comme hier bien deshommes se sont demand si cette part dacquis culturel 10

    On ne peut pas conclure htivement de ceparadoxe que les progrs techniques sous la forme de

    la domination de la nature ne sont pas souhaitables,ni quils constituent un obstacle la rgulation desaffaires humaines. De la constatation que les progrstechniques ne saccompagnent pas ncessairementdune satisfaction que lon peut attendre de la vie,ni dune amlioration avre des relations entre leshumains, il ne sagit pas de conclure que ce progrs se contenter de tirer de cette constatation la conclusionque le pouvoir sur la nature nest pas lunique condition lunique but des tendances de la culture, et non pasen dduire la non-valeur des progrs techniques pournotre conomie du bonheur 11.

    Il y a une ambivalence constante entre deux faonsde considrer lhomme dont on occulte la culture, dunepart on lui dnie tout un champ civilisationnel, de lautreon le prend comme une survivance heureuse dun gedor disparu. En ralit cette ambivalence est structu- que la croyance en un ge dor ou une humanitprimitive est une ngation de lexprience anthropo-logique, de lexprience humaine se faisant. Une tellecroyance procde d une illusion de rtroactivit selonlaquelle le bien originel cest le mal ultrieur contenu(...) lhomme de lge dor, lhomme paradisiaque, jouis-sent spontanment des fruits dune nature inculte, non

    sollicite non force non reprise. Ni travail, ni culture,tel est le dsir de rgression intgrale 12.

    La civilit consiste contrer lge dor par le travail,certes prcaire, certes prissable, mais combien prcieux,de llimination de la guerre (familiale, civile ou religieuse)parmi les hommes. Ibn Khaldun a compris la contingence luvre dans lhistoire et la part toujours menace,et bien fragile de luvre civilisatrice des hommes.

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    Jacques Berque, dans son livre-entretiens, intitulArabies, soulignait il y a un quart de sicle maintenantque pour les Arabes, la vie de lhomme et la vie dumonde seraient pour ainsi dire places sous une clochepneumatique o Dieu, tous les instants devrait insuf- dacier. Notre respiration, les battements de notre curseraient cration permanente, simples atomes de ladure. Il y a certainement de cette temporalit chez les

    Arabes, et, en tout cas, chez leurs thologiens. Mais jesuspecte les thologiens de nexprimer quune part desralits. Ou plutt nous ne pouvons lentendre que par

    rfrence la nappe dattitudes et de pratiques qui lesenveloppe. Il est vrai que les penseurs arabes nont pasencore trouv de Michel Foucault (p.130). En disantcela, Berque a pens bien sr la prpondrance destextes thologiques, mais il reconnat que ces textesnexpriment quune part de la ralit. Certains, commeIbn Khaldun se sont chargs dexprimer bien dautresparcelles de cette ralit, puisquil croise les rfrencesdes historiens, des potes, des philosophes, des juristeset des thologiens. Ses textes sont une marqueterie etnadoptent nullement cette unit de ton que lon trouvesouvent chez les thologiens. Il a donc su se mettre la lecture des archives de la socit de laquelle iltait issu. Sans aller jusqu dire que ce fut le Michel

    Foucault appel de ses vux par Jacques Berque, onpeut mettre en avant la part et critique et gnalogiquede son uvre, ce qui lapparente au philosophe de lavolont de savoir ou de la volont de vrit .

    Ibn Khaldun souligne que lhistoire est un art par des nations du pass : Lerreur tapie dans lhistoire -tions des nations et des gnrations en raison de -tion du monde et des nations, leurs habitudes, leurs mais elle change selon les jours et les moments dutemps, passant dun mode lautre, comme cela sevoit chez les individus (Ibn Khaldun, op. cit., p.28).Cette analogie entre le destin des individus et celuides nations nous rappelle cette mthodologie dessciences humaines o le concret des faits individuelsdevient modle dinterprtation de labstrait des faits -cits dune politique, dun langage, des arts qui sontautant de marques de fabrication dun corps politique -ment importante : elle indique la part dmiurgique delhistoire ; plutt que de penser comme les thologiens dire que les grands bouleversements historiques font

    comme si lhomme tait cr nouveau (Ibn Khaldun,op. cit expression une valeur pistmique et une valeurmthodologique la rationalit historique quil met enuvre : les changements densemble sont commeun changement radical de la crature et une mtamor-phose du monde tout entier ; cest comme sil sagissaitdune crature nouvelle, indite, et dun monde nouvel-lement advenu (Ibid, p. 31). La mthode est ici dans le comme si : nous allons faire comme si le mondetait recr, ce qui nous dispense de convoquer le

    poumon dacier et latomisme des thologiens dontparle Berque.

    Lhistoire nest donc pas prise dans le messia- des rapports entre les hommes (tabdl al ahwl). Lhis- elle nest pas rcit dun sens accompli ou accomplir.Elle tient compte de lmergence du pouvoir politique,des acquisitions des richesses, de lclosion des artset des sciences, avec cette ide que si le pass nousintresse cest quil ne passe jamais vraiment, il informele prsent qui lui ressemble : le pass ressemble ce qui va advenir comme leau leau . Le pass

    nous intresse non au sens dune origine, mais ausens dune provenance, comme dirait Michel Foucault.Il nous intresse aussi dans ses discontinuits qui brisent linstant et dispersent le sujet en de multiplesfonctions possibles 13. Ce moment de dispersion peut dcline. Il faut en saisir les signes : par exemple, quandle calife se met utiliser de lor pour ses pes au lieudu cuivre. Les historiens des Omayyades comme des

    Abbassides ont tous not que les califes nutilisaientque le cuivre pour leurs pes, leurs montures, etc,

    jamais lor. Cest le huitime calife aprs Al Rachid, quia utilis de lor. (Ibn Khaldun, op. cit., p. 20). Lide dediscontinuit est majeure, car elle place lhistorien faceaux contingences de son objet.

    Ibn Khaldun inaugure une nouvelle faon de fairede lhistoire, puisquil se refuse rduire celle-ci lhistoire des dynasties. Lhistoire sera plutt celle des De plus, la socit humaine sera contextualise : elleest un chanon de lespce humaine, elle nest pasanalyse du point de vue dun rfrent transcendantcomme Dieu.

    Ibn Khaldun ne se limite ni ltude de terrain, -sations striles et les histoires nationales. Il estanim par une pense de la connexion, de la miseen relation, appliquant le principe selon lequel aucun

    IBN KHALDUN :LA CIVILISATIONCOMME UVRE FRAGILE

    DE LHISTOIRE

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    philosophie, gographie sont mises en commun pour dcrit assez bien ce type de mthode luvre et lescueils auxquels elle chappe : Beaucoup danthro- toute autre mthode que le travail sur le terrain, car ils sont systmatiquement lies celles des autres. Le savoir local est essentiel, mais il doit venir au fondamental dintgrer et de confronter nos observa-tions et nos conclusions celles dautres chercheurs,

    en ayant recours toutes les mthodes possiblesaussi imparfaites quelles soient. En rejetant lestechniques autres que le travail de terrain et la spcu-lation, on a tendance se replier dans de profondesdescriptions du peuple quon sest appropri , sans fondement et de lautre avec la recherche denouveaux dieux 14. Ces nouveaux dieux pouvant quelconque. En cela rside le sophisme de la spci-

    Quand Ibn Khaldun fait la gense concomitante

    du pouvoir politique ainsi que des formes humaines deregroupement, il tudie un champ de prsence au seinduquel se constitue une civilisation comme discours, ausens large du terme, au sens foucaldien du terme. Ence sens, il difforme et dguise le savoir traditionnel pourne plus y reconnatre que le travail de lhistorien. Ibn

    Khaldun fait de la manire de manifestation du pouvoirsa matire essentielle. Lhistoire est aussi faite de toutce quon ne dit pas , mais aussi de tout ce quon nesait pas, et les points de lacune jettent comme uneombre relative sur ce que lon sait. ce titre, Ibn Khaldunfustige le privilge accord aux transmissions fortes : lescultures o il y a eu des prophtes et la culture grecque.Ibn Khaldun critique le miracle grec dans une veineproche de celle des historiens qui ont travaill avecFoucault comme Veyne : cest une pure contingencequun calife (Al Mamn) se soit trouv l au IXesicle pour engager la srie des traductions, mais

    lhistoire est aussi faite de ce qui na pas t transmiscomme le savoir des Caldens, des Syriaques, desBabyloniens, des Coptes (Ibn Khaldun,op. cit., p.35-36).Ce passage relie ensemble les points de lacune avecle rgime de vrit comme rgime de pouvoir ; il met envidence la volont de vrit qui, comme volont, inscritdans la vrit la contingence travers les accidents deparcours de sa transmission. Lternisation et luniver-salisation de la vrit sont des processus historiquesqui reposent sur un oubli redoubl : loubli de la lacune.Les points de lacune sont une faon de reconnatreles contingences historiques, mais aussi et avec cescontingences les rapports de force. Ils sont constitu-tifs de lhistoire : lhistoire est un art o les savants

    Khaldun, op. cit., p.7).

    Lhistoire la manire khaldunienne, est une histoirenon pas des traits et des rgnes, mais des hasards delutte et des dispersions.

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    AlMuqaddima Le livre des exemples,

    Le souvenir de lancienne Perse chez le mir

    3 Immisme et littrature sous les Buyides, Le Shisme immite : Colloque de

    Strasbourg, 6-9 mai 1968

    Lhumanisme arabeau IVe/Xesicle, 2edition,

    Al Frb , in Lveil de la philosophieislamique

    LAfrique au miroir de lEurope, , Essais

    Montaigne, Essais, II, XXIV, De la grandeur

    romaine

    Les non musulmans vivant en pays musulman dhimmis dhimma djiziyaou kharj

    Lavenir dune illusion

    op. cit,

    Malaise dans la culture

    Le normal et le pathologique,

    , Lordre du discours, ,

    En parcourant le XVIe de Lon lAfricain, par lequel lAfrique est entre danslhistoire commune de lEmpire ottoman dont lexpan- par de multiples traits et conventions, a eu du mal et de son art de la conversation, auteur qui rassemble donner un aperu dune premire forme de mondialisa-

    tion o la question de la civilit et de la civilisation sestpose avec acuit. Cest bien dans le tumulte et lagita-tion, cest bien dans le pril que le salut se cherche. Lacivilisation ne fait pas des coupes claires, tranches,il y a toujours entre ces frontires, entre ces dedans-dehors, entre ces dominations, un espace du entrequiest lespace des liberts, cest--dire des possibilits.

    ou le partage de luniversel, celui-ci doit en quelque sorterester vide, le vide est le vrai espace de la libert. Sinous revenons notre monde contemporain, on voitbien que lEurope sous la forme de lUnion Europennenest pas souveraine et cependant elle fait du droit, cest

    l pour nous un laboratoire intressant. Du point de vue -ment des peines, sous la forme de labolition de la torture

    et de la peine de mort, et lEurope a russi non seule-ment cela, mais aussi llimination de la guerre dans sonespace. LEurope cest lespace vide dune souverai-net, mais cet espace a la puissance de contraindre lestats appliquer du droit : cest lentre tats qui a suliminer la guerre. LEurope se donne des atouts, mais aencore du mal les partager et continue exporter desguerres et produire des outsiders, des gens hors deleur place, non plus otages savants pris par les corsaires

    au large de Tunis comme le fut Lon lAfricain, maishommes jetables de lle Lampedusa ou des enclavesespagnoles au Maroc. Cet entre tats, cet espacevide de souverainet que lEurope a su construire pour peut essayer sinon de penser sa frontire au moinsdagir avec pragmatisme comme surent le faire Solimanet ses successeurs qui, dans leur relation de vassalit,ont su introduire un jeu, un espace de jeu, condition delibert. Nous avons la chance davoir une souverainetsans empire, une souverainet vide en quelque sorte,il reste repenser ce vide comme condition de civilit etde civilisation pour toutes les autres contres du monde,sans vise impriale et selon des idaux qui sont moins

    des contraintes auxquelles il faille se conformer que destalons de mesure, en somme une bote outils pourpenser notre prsent.

    CONCLUSION

    La civilisation arabo-musulmane au miroir de luniversel : perspectives philosophiques ISBN 978-92-3-204180-7 UNESCO

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    LADAB

    ET LA FORMATIONDE LHOMME

    LE TERME ADAB EST POLYSMIQUE. IL DSIGNE AUSSI BIEN LDUCATIONQUE LINSTRUCTION, AUSSI BIEN LES BELLES LETTRES QUE LA SAGESSE,VOIRE MME LA CIVILIT, LE SAVOIR-FAIRE. LENSEMBLE DE CES DSIGNATIONSSONT ORIENTES VERS LIDE DE LA FORMATION DE LHONNTE HOMME, LA MANIRE DU MODLE QUI PRVAUT EN EUROPE DURANT LA RENAISSANCE.IL SAGIT DACTIVER EN LHOMME, PAR LTUDE DES LETTRES, LA BONHOMIE.LE SAVOIR AU SENS STRICT RESTE CONDITIONN PAR LAPPRENTISSAGEDU SAVOIR VIVRE ET DU SAVOIR FAIRE.

    Comme lensemble des notions et des conceptsns lge classique de lIslam (VII-XVe sicles), le Pouvant dsigner la fois lducation, les rgles deconduite, la culture, le savoir-faire, les maximes desagesse, llgance, les Belles-Lettres, le terme parat dans lesquels il se prsente. Ces diffrentes accep-tions variaient moins selon les poques historiquesque selon les contextes et les usages internes aux perspective diachronique pour saisir les ventuellesvolutions de cette notion lpoque mdivale seraitainsi plus ou moins voue lchec. En effet, le termea pu dsigner, aussi bien lducation des enfants que la

    possession dun certain savoir gnral et la matrise dunensemble de connaissances indispensables la forma- la systmatisation, le mot adabdevient synonyme deprceptes, de codes et de rgles (dthique, de conduitemorale, etc.), comme le montrent les premiers traitsles plus clbres portant ce titre, Al-Adab al-kabr (laGrande thique) etAl-Adab al-saghr(la Petite thique)dIbn Al Muqaffa, sur lesquels nous reviendrons plusloin. Un usage restreint de ce terme mais qui dcoule sentences , de maximes de sagesse comme en db al-falsifa,les Maximes des philosophes1.

    DFINITION DE LADAB

    Album de calligraphie, Turquie, XIXesicle IMA/Ph. MaillardLart dcrire demeure un savoir-faire reconnu pendant longtemps destin une lite sociale.

    La pratique passait par des exercices de calligraphie que lon retrouve dans des cahiers,souvent plis en accordon comme celui-ci ralis en Turquie ottomane au XIX esicle.

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    adbincarnelidal de la socit abbasside des IX-Xe siclesqui a pouss jusquaux limites les plus recules, et

    travers de nombreuses disciplines (philosophie, Cette acception majeure de ladab en tant quil est le fait de prendre de tout un peu , de toucher tous les domaines de la culture et davoir unecertaine matrise dans de nombreuses disciplines2.Cette matrise, qui doit rester gnrale, sopposedonc au type de savoir que possde le spcialistedun domaine particulier comme la grammaire, laposie, la lexicographie, lhistoire, la rhtorique, lapolitique, etc. De l dcoule galement une autreacception renvoyant lusage social de ces connais-

    sances, et notamment des connaissances histo-riques et littraires. Cet usage qui fait de ladab les se munir pour appartenir llite littraire, scienti- -pement de la prose arabe partir du VIIIesicle. Cedveloppement rpond aux besoins du secrtariat ausein de ladministration califale et spanouit grce la prsence dune culture de cour qui pousse

    lmulation de nombreux hommes de lettres. Prisdans ce sens, le pluriel db une acception qui a t fondamentale au niveau dellaboration de cette notion et qui est historique-

    ment lie une querelle ayant oppos les Arabes etles Perses aux IIe et IIIe sicles de lhgire (VIII-IXesicles). levs aux plus hauts rangs de ladminis-tration califale grce la matrise de lart dcrire etsurtout grce aux connaissances relatives lart degouverner, certains lettrs dorigine perse nont pashsit critiquer la suprmatie ethnique des Arabes,et revendiquer la supriorit culturelle des Persessur les nouveaux matres de lOrient. Plus prcis-ment, laccusation portait sur le fait que les Arabestaient des peuples dpourvus de db, de grandes traits les plus aboutis qui sest attaqu cettequerelle connue sous le nom de shubiyya est Le

    Livre des Arabes sur la rfutation de la Shubiyya vcu au IXe sicle. En attirant lattention sur le faitque ces attaques sont mues par lenvie et la jalousie,il veut rfuter la thse centrale qui sest cristalliseautour de la question de ladab et montrer que les

    voire plus3. Cet objectif lamne dun cot dcrireles murs des Arabes avant lIslam, leurs codes

    Islam et politique lge classique,

    Lauteur

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    thiques, leurs actes de bravoure, et il le conduit delautre rappeler quils avaient des savoirs dans lesdiffrents domaines (hippologie, astronomie, physio-gnomonie, maximes de sagesse, et surtout posie

    fond idologique de cette querelle, il est sans adab en lui rajoutant tout ce qui touche la une notion qui soppose la rudesse des murs et -ment (zarf) et la matrise dun certain art de vivre,notamment sur le plan culinaire et vestimentaire,ladabincarne chez lirakien Al Washsh ( - des bonnes manires et les fruits des intelligences)laspect moral du zarf, puisquil renvoie un contenuartistique et esthtique, comme les belles posies ou

    les histoires quil faut savoir citer propos dans lessalons ou dans les cours. Ce contenu littraire doit adb, lui donnerloccasion de montrer aux autres ses qualits moraleset spirituelles et surtout, lui permettre de procurer ses amis et commensaux ainsi quaux grands quilfrquente les plaisirs de la bonne compagnie et les

    joies des discussions amicales.

    notion dadab nen est pas moins cohrente, puisque

    discours ou traits se proclamant de ce domaine. Toute- vers un foyer originel illumin par trois faisceaux. Toutadabrenvoie dabord un ensemble de connaissancesrelatives une catgorie socioprofessionnelle ou prdis-posant lui appartenir. On le voit par exemple traversces quelques titres :Adab al-ktib, (les -tion des secrtaires) dIbn Qutayba,adab al-qddb(les ) adabal-wizra(les ) dIbn AlKhatb,db al-mulk(les )dAl Thalb ou dIbn Razn Al Ktib, Adab al-nadm(les ) de Kushjim,

    premier chef, les Belles-Lettres, doivent ensuite agirsur le caractre de lindividu et participer sa formationmorale, ce qui fait de ladab lquivalent de la padeiagrecque. Dans ce deuxime faisceau se rassemblent et culture, et voquant la manire dont se comporte unindividu, les murs rpandues chez telle ou telle nation,les habitudes suivies par les individus comme par lesgroupes (cest ainsi quon parle par exemple de db

    > , Lducation dans les socits musulmanes ,Perspectives,vol. XXIV, N1/2, 1994 (89/90), repris dans Ibn Khaldunrevisit, Casablanca, Les Editions Toubkal, 1999, p. 75-91.

    > ,Al Muqaddima,trad. fran. A. Cheddadi

    dans Le Livre des Exemples,

    > IBN AL MUQAFFA, al-Adab al-sahgr wa l-adab al-kabr,Dr al-Marif li l-tiba

    > IBN SNA, De la politique Penser lEconomique,Tunis, Edition Mdia Com, 1995.

    > AL , Rislat al-mad wa-l mash,(De la vie future et de la vie terrestre),dans Rasil Al Jhiz, t.1, Beyrouth, Dr al-jl, 1991.

    > W, Paideia. La formation de lhomme grec,

    > , Kitb al-adab wa l-mura,dans M. Kurd-Ali, Rasil al-bulagh,Le Caire, Dr al-kutub al-arabiyya al-kubr, 1913.

    > AL MWARD,Adab al-duny wa l-dn,Damas-Beyrouth, Dr Ibn Kathr, 2002.> , Trait dthique,trad. fran. M. Arkoun, Institut franais de Damas, 1988.

    > C. PELLAT, article Adab , dans J-E. Bencheikh, Dictionnaire de littratures de languearabe et maghrbine francophone,Paris, PUF, Quadrige, 2000.

    Bibliographie

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    Autres

    poques,Autreslieux

    Ladab lhonnte homme qui est apparu enEurope au XVIIesicle ayant pour principales caractristiques : limportance donne laculture gnrale, la courtoisie, la sociabilit, la modration, lquilibre etc.

    dhumanit atteindre pour le courtisan. Une faon de civiliser laristocratie qui -gnie agrable et savoir dpasser ses sentiments sans se mettre en valeur tout propos.Pour plaire la cour, il doit matriser son amour propre, savoir dpasser ses sentimentset pratiquer laltruisme. Ainsi, Molire dans le Misanthrope exprime par linterm- e sicle.

    [] Philinte Mon Dieu, des murs du temps mettons-nous, moins en peine, Et rigueur, Et voyons ses dfauts avec quelque douceur Il faut, parmi le monde, unevertu traitable ; force de sagesse, on peut tre blmable ; La parfaite raison fuit touteextrmit, Et veut que lon soit sage avec sobrit. Cette grande roideur des vertus

    autre seconde. De vouloir se mler de corriger le monde. Jobserve, comme vous, point tre, Je prends tout doucement les hommes comme ils sont, Jaccoutume mon est philosophe autant que votre bile

    Molire le Misanthrope acte I scne I

    Rubrique rdige par Jacques Nicolaus

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    possde pas dducation, et il nest point dducationpour celui qui nest pas dou de raison. Celui qui croit permettre de se passer des autres, celui-l na point

    de raison. Car il y a loin dune raison forte de plusieurs une raison qui serait certes bien faite, mais sans rien adab fait de laraison le moyen daccder lducation et datteindre al-mura lhomme de refaire le chemin fait par les autreshommes avant lui et de semployer, sa vie durant, acqurir ce que lhumanit a produit de beau et denoble : il nest point doutil pour acqurir lducationqui soit mieux que la raison, et il nest point dorne-ment sans la belle ducation , dit un vers cit parSlih ibn Janh13. Cela montre que ladabest loin le fait

    dinstruire ou demmagasiner les connaissances quede prparer lindividu accder ce rang suprieur(al-mura) travers lequel se nouent tous les rapportsde lindividu ses semblables, sur le plan moral, socialet politique. Autrement dit, et comme cest le cas aveclapadeiagrecque, il ne sagit pas dinstruire, mais deformer14. Toutefois, ce discours sur lducation laborbien avant la traduction des uvres philosophiquesgrecques ninsiste pas uniquement sur la formationdu philosophe ou dune catgorie particulire de gens,mais concerne plutt lhomme en gnral. Ds saformulation au premier sicle de lIslam avec Slih ibn Ktib et Ibn Al Muqaffa, ce discours insiste sur louver-

    ture ce qui fait consensus entre les plus bellesnations , selon l expression dAl Jhiz15. Lhommesera invit poursuivre la perfection de sa raison innepar lacquisition de lintelligence puise chez les autresindividus et chez les autres nations. Les sages, inne et la noblesse instinctive ne peuvent atteindrele degr ultime de la perfection quavec laide de laraison acquise. Ils ont illustr cela par les mtaphoresdu feu et du bois, de la lampe et de lhuile. Car la raisoninstinctive est un instrument et celle qui est acquise estune matire. Ladabnest, en effet, que la raison desautres que tu ajoutes la tienne 16. Les lumires dela raison, illustres ici travers les mtaphores du feuet de la lampe, sont donc le produit de lducation quiagit sur une matire brute, appele par les moralistesarabes la raison inne ou instinctive (al-aqlal-gharz pour slever au plus haut stade de lhumain, il savretoutefois quelle est ncessaire pour lacquisition dessavoirs et des qualits louables. Une dialectique sta-blit ainsi entre la raison et lducation en tant que lapremire est la condition de la seconde, et que celle-ciest loutil du perfectionnement de la premire et de sonpassage du stade de linstrument celui de la matire. Kalila et Dimna ladab est semblable la lumire du jour qui permet voir, mais qui agit avec des effets inverses sur leschauves-souris en augmentant leur mauvaise vue.Cette mtaphore appuie lide selon laquelle ladababesoin de la raison pour accomplir son travail et qu

    qui lui est offerte17. Les lumires de la raison sont le fruitde linstrument primaire qui est, en puissance, ce quipermet lhomme de se sparer de lanimal mais cetinstrument peut, lorsque lducation fait dfaut, rester

    inoprant et faire sombrer lhomme dans lanimalit.La raison dite acquise (aql muktasab) se prsentedonc comme le rsultat de la raison instinctive, mais quil soit susceptible daugmentation ou de diminution, quil analyse longuement : dun ct lexprience quiamne utiliser frquemment la raison et qui carac-trise lhomme prudent, lephronimos, et de lautre lesfacults intellectuelles comme lintelligence (dhak)lexcellence de lintuition (jawdat al-hads), la sagacit(), et la rapidit desprit (surat al-khtir) qui, enassistant la raison instinctive, permettent lindividu de 18.

    Cette dialectique de la raison et de lducationest parfaitement dcrite par Slih Ibn Janh traversdes mtaphores politiques et artisanales : Sache,dit-il, que la raison est un prince et que lducationest un ministre. Si le ministre disparat, le princesaffaiblit, et si le prince disparat, le ministre na plus semblables au fourbisseur et lpe. Lorsquon objet] sur lequel on sappuie et auquel on a recours.Le fourbisseur, cest lducation (al-adab), et lpe,cest la raison (al-aql). Lorsque lducation rencontre

    fait le fourbisseur de lpe. Mais si lducation netrouve pas de raison, elle ne peut rien faire, car onne peut rformer que ce qui existe dj. [] Ainsi,il se peut que lun des deux hommes ayant reu la pntration desprit, et cela selon la nature de la raisonet en fonction de sa force initiale 19.Ce qui caract-rise la premire mtaphore de lducation dans cepassage, cest quelle lui confre le rle de gouverner, du prince soit des plus beaux et des plus glorieux.Le mot ministre (wazr -ment celui qui assume une charge quelconque. Siladab obit aux commandements de la raison, sildoit mettre en uvre les prescriptions de lautorit de rvler la splendeur du rgne du prince. La deuximemtaphore met davantage laccent sur lducation entant quart dans le sens antique et mdival du terme,cest--dire en tant que savoir-faire, talent, matrise decertaines rgles dont la mise en uvre conduit desrsultats concrets et pratiques desquels on peut juger. adabavec le fourbisseur qui tout en polissant linstrumentquil a entre les mains, lui confre sa valeur, la foismatrielle et esthtique. Cette seconde mtaphore estdautant plus parlante que le mot adab - culture lheure actuelle se dit thaqfa , terme quirenoue avec cette ide de polir, dintervenir sur unematire brute, puisque la racine dont il drive dsignele fait denlever les asprits dune branche ou dunmorceau de bois, de le rendre lisse et de le polir.

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    >

    >

    > tablir un parallle entre la notion de l adib et de l honnte-homme de lge classique.

    > Commenter lunion de ces trois dimensions : humanit, ducation, raison.

    >

    >

    > Etablir la diffrence et le lien entre raison instinctive et raison acquise .

    >

    >

    > Reprer les lments de formation morale de lhomme dou de sens dans sa vie prive et publique.

    > >

    >

    > Apprcier des orientations pdagogiques dune tonnante modernit chez Avicenne et Ibn Khaldun.

    Cls de lecture

    Cette interdpendance entre la raison et ladab

    est donc une constante des discours classiques portantsur la formation de lindividu. Cest par cette ide quesouvre lun des traits clbres dIbn Al Muqaffa,al-Adab al-saghr, en mettant en avant, comme SalihIbn Janh, lide que la raison possde des disposi-tions et des caractristiques innes grce auxquelleselle accepte lducation (ladab) et que grce celle-cila raison augmente et se dveloppe 20. Cette interd-pendance a amen la plupart des auteurs faire untravail de description des qualits morales en sins-pirant la fois de lthique arabo-musulmane et desapports des cultures grecque, perse et indienne. Noustrouvons, cet effet, de nombreux textes abordantsystmatiquement, mais avec des intentions diver-

    gentes et des mthodes de composition diffrentes,

    les caractres et les vertus thiques. Cest le cas de laGrande thiqueet de la Petite thiquedIbn Al Muqaffa,de la Rforme de lthique Des caractreset des modes de vie Des rgles de Menant une tude sur le juste milieu dans les vertuset une recherche sur le mode de vie le plus lev, cescrits dveloppent ladabdans son sens le plus profondet le plus systmatique, celui des rgles de conduite faut transformer en dispositions pratiques, en rgles devie. Cest de l que provient la distinction entre le lim

    LES PRINCIPES DE LDUCATION

    Rubrique rdige par Khaled Roumo

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    Comprendre le texte

    Puis proposez trois termes diffrents susceptibles dtrela meilleure hypothse dune traduction unique du

    Dialoguer avec le texte

    paraissent contradictoires entre eux.

    dans ce texte, qui ne correspondent pas aux vtres.

    semble devoir tre mieux intgre dans votre conception

    Modalit pdagogique

    suggre : analyse critique

    Le groupe est spar en quipes de trois personnes.Une ou plusieurs questions sont choisies.Chaque quipe rdige une rponse communeaux questions choisies.Lune aprs lautre, chaque quipe lit Chaque quipe slectionne collectivementtrois rponses quelle souhaite critiqueret rdige sa critique. Chaque quipe prpare ses rponses aux critiques

    Si cela est possible, recommenceravec dautres questions.Analyse du travail et de lexerciceavec lensemble du groupe.

    Exercices pdagogiques

    Jeu de citations

    Lducation, sens et essence

    danalyser le texte individuellement,puis dchanger leurs points de vue.

    au sous-groupe, diffrentes expriences ducateurs, enseignants.

    un argumentaire comme explication de lAdab.

    de lAdab. Il illustre avec des situationsou des exemples ducatifs.

    entre les citations.

    les modles, les mthodes pdagogiqueset les consquences pour le monde arabo-musulman.

    Propositions pdagogiques : vivre et penser linterculturalit

    Rubrique rdige par Jonathan Levy

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    (le savant) et le adb -tion ne repose pas sur le fait que le mot ilm savoir religieux et que ladab dcrit le savoir profanecomme lavancent certaines tudes21, mais sur le fait

    que le premier renvoie la simple instruction, alors quele second concerne lducation. Cest, aussi, la raisonpour laquelle qil adab, puisque la raison nepeut se manifester qu travers ladab et lexpriencevcue. La formation de lhomme requiert, comme le dispositions sont tributaires de la discipline et du faitdprouver quelque chose, de le vivre. Ladab, note

    celle-ci la forme que tu veux 22. Il existe donc unerationalit intimement lie au processus ducatif, etdont il faudrait prciser le statut : Sagit-il simplementde lthosdisciplinaire qui aide brimer les passions de

    -lit, ou bien avons-nous affaire une forme suprieurede logos

    Les deux thiquesdIbn Al Muqaffa qui ne sont, aufond, que les maximes de sagesse extraites de Kalilaet Dimna, dbarrasses de leur support narratif et lauteur, tentent de dessiner le portrait parfait du qil,de lhomme dou de sens. Dune manire gnrale,ce portrait retrace les qualits que nous retrouvons et qui est devenu capable de diriger la conduite deceux qui se trouvent sous son commandement. La

    thmatique du gouvernement de soi (sysat al-nafsou tadbr al-nafs) qui nest autre que la science delthique et la premire partie dun triptyque formant,avec le gouvernement domestique et la direction dela cit, lensemble de la science pratique correspondglobalement aux exigences de ladab, de cette forma-tion morale de lhomme qui