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La Destruction des remparts

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L I G N E S

Tous les volumes de cette collection sont choisis conjointement et unanimement par

ALAIN BOSQUET JEAN-CLAUDE RENARD

ROBERT SABATIER

Marie-Claire Bancquart , Parti t ion, Opportuni té des oiseaux Jacques Boulerice, Apparence

Roland Busselen, Là où va l'île, elle va Jacques Crickillon, Retour à Tawani

Pierre Dalle Nogare, Récits des images Mal être

Patrice Delbourg, Génériques Charles Dobzynski, Table des éléments

Délogiques André Doms, Lecture silencieuse

Yann Gaillard, La sirène du jardin des plantes Bernard Hreglich, Droit d 'absence

Jacques Izoard, Vêtu, dévêtu, libre Huber t Juin, Le rouge des loups

Visages du fleuve Vénus Khoury-Ghata, Les ombres et leurs cris

Un faux pas du soleil Anise Koltz, La terre monte

Alain Lance, Ouvert pour inventaire James Laughlin, Ce que le crayon écrit Juan Liscano, Les nouveaux jours

François Montmaneix, Le livre des ruines Paul Neuhuys, Le pot-au-feu mongol

Jean Orizet, Niveaux de survie Jean Pache, Lacunaires

Marc Piétri, Je me suis déjà vu quelque pa r t Richard Rognet, Les ombres du doute Jean Rousselot, Les mystères d'Eleusis

Où puisse encore tomber la pluie Annie Salager, Figures du temps sur une eau courante

Osten Sjöstrand, Sous le signe du verseau Gyorgy Somlyó, Que cela

François Teyssandier, Livres du songe Bernard Vargaftig, Et l 'un l 'autre Bruna Zanchi

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LA DESTRUCTION DES REMPARTS

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Poème du même auteur chez le même éditeur :

Les guerriers du Chalco, 1976

Le rouge des loups, 1981

Les visages du fleuve, 1984

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HUBERT JUIN

L a

d e s t r u c t i o n des

r e m p a r t s

P I E R R E B E L F O N D

216, boulevard Saint-Germain 75007 Paris

Page 7: La Destruction des remparts

Si vous disposez d'un Minitel, vous pouvez connaître à tout moment le détail de tous les livres que nous publions — liste par auteurs, liste dans la presse. principales critiques parues dans la presse. Il vous suffit de composer le 36-15, code JET 7.

Si vous souhaitez recevoir notre catalogue et être tenu au courant de nos publications, envoyez vos nom et adresse, en citant ce livre, aux Editions Pierre Belfond, 216, bd Saint-Germain, 75007 Paris. E t pour le Canada à Edipresse (1983) Inc., 5198, rue Saint-Hubert, Montréal, Québec H2J 2Y3, Canada.

ISBN 2-7144-2074-5

Copyright © Belfond 1987

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LA TROISIEME PORTE

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Chaque planète a son soleil particulier. Toute planète a dans son soleil le miroir de sa propre essence.

L u d w i g F E U E R B A C H

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Les lamentations des Clarisses

Il y a une lumière comme sur les anges Et nous avons donné aux enfants les vêtements du mort Puis il y avait le gris d'un arbre dans le miroir parce qu'ils s'en allaient là-haut où le ciel bouge I l y a l'automne comme un masque avec les mains des femmes et les orties puissantes dans le vert

C'est ainsi que sont les spectres chaussés de daim et soucieux de nos cérémonies Il suffit de trois arbres isolés dedans le désert Puis le cri d'un oiseau que l'air déchire Et la danse nue aux hanches de l'aimée Avec le jour

Sombres sont les regards dans la naissance du printemps Je devine les corps sous la coupe noire des heures Ils vont jusque là où la fin commence pareils aux loups Ils grognent entre mes doigts Ils refusent d'être écrits Ils s'endorment aux rives et dans les marges Le glacier leur interdit la course des siècles alors ils geignent Les voici besogneux et avides avec des majuscules Vous connaissez la gentiane et l'orange Pas eux

Nous irons jusqu'au tréfonds des siècles fouiller l'or de la forêt et les semences du temps Tu ne seras jamais aussi belle qu'aujourd'hui Il y suffirait de trois arbres et de la courbe de tes reins Si belle que je fuis.

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Noli me tangere

Qui sont-ils avec leurs lèvres rouges et le bateau vide qui jusqu'ici les mène De quoi parlent-ils dans leurs patois de villages et le goût de fraise dans leurs mots Pourquoi de si blondes chevelures et tant de masques de carnaval Tant de blasphèmes dans les sentiers Tant de vénérations dans le dédain Ils sont là pareils aux invisibles dieux vaincus et si beaux que nos cœurs battent Dans le gris de l'arbre mort ils ont des visages de papier Ils griffent Jusqu'au sang lorsque le temps passe Alors ils rient et s'en vont si vite qu'ils éveillent les hameaux

Il y aura des tombes vertes demain

Il y a encore les autres qui sont hissés dessus les aigles du foin et l'homme saoul qui prophétise Puis les Ardennes tel un cimier Vient l'orage parmi les blés Van Gogh déchirant l'air L'yeuse s'enfuyait La mer perdait son sel parmi les chaises de paille égarées devant le seuil Un œil de cheval nous contemplait depuis la préhistoire Lui tremblait de tous ses os parmi les chênes

Je l'ai retrouvée peut-être dans le miroir de ses cheveux croyant l'avoir perdue C'était dans un café où l'homme saoul dessinait les nuages On rêvait d'usines fantômes Les grands écarts du crépuscule et le mort qui nous serrait entre ses bras.

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Le don du manteau

On enterre l'étranger aujourd'hui pour toujours Il reste une auberge sans joie parmi les saules Le vent coiffe à rebours les chars de fenaison Les portes sont closes sous la couronne des lilas Et cela pleut comme aux fenêtres la plainte du dégel et l'ocre du soleil renaissant

Je me souviens de ce jour qui n'est pas encore étendu dessus les genoux du mort L'église muette avec la couronne éperdue des oiseaux Ainsi un casque de liège que la rivière tenait serrée entre ses eaux Alors parmi les saules il y a l'éclair pourpre

C'était un désastre dans nos villages Ils avaient la tête sous le flot L'acier perméable de la faim

Tout est dans le noir Le jardin et les anges qui s'endorment aux quatre coins Tout périt lorsque le corps est cendres Tout vieillit dans la vieillesse aux larges rides Tout trépasse dans le bœuf écorché Toujours l'œil du cheval nous contemple parmi le frisson des eaux

Ainsi nous voici seuls parmi les étoiles veuves et la fin des mondes Et quel serait le cri dans la gorge brûlée pareil au train qui fend en deux le paysage et retrouve l'homme

[saoul dans l'astre La vitesse lumière apaisée Il ne reste de l'arbre qu'un très honnête crépuscule Avec les daims qui courent Et les chasseurs figurés pêle-mêle dedans la décalcomanie.

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Le songe d'Innocent III

Fleur blonde Il faut que je parle de toi

Comment je devine le bouclier des seins Le ventre Les cuisses qui vont si loin que je les invente Panique de la mer Delta Les chevelures sur toi comme autant de capitales et de feux J'ai songé à l'oiseau touché en plein vol qui fait se courber l'étoile Immobilité des ailes

Eux s'en allaient avec le laurier fauve et les ormes plantés dans le lointain

Il suffisait d'un lieu C'était le refuge des paroles Parfois contre ma jambe une chaleur de toi Brouillard roux Voici le partage des cieux théologiques L'ocre inventée par les scoliastes Tu ignores être mes alchimies Paix à l'aurore

Mais il importe que je parle de toi encore Que je dise tes quatre baisers alors que les furies fouettent l'air bleu Il y a des pourparlers de comètes Des heurts de métaux dans la vase J'ai goût des trois arbres gardiens en ce dix-huit octobre qui oublie de revenir La toison complice Le thym est debout dans l'éclat nu du bois Tu contiens le navire Tu accostes devant les chiens Tu parcours les routes obliques Tu te rends à perdre haleine Parfois ton regard m'éveille.

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Le poverello

Le réveil parmi les algues L'arbre debout dans le gris du texte Je reconnais les épées du jour levé J'abandonne la fragilité du toit les orgues impérieuses et les anges Tu es sur mon chemin la pierre blanche Je vois ta gorge le profond de tes lèvres là-bas où tes cuisses s'en vont ensemble Je parle par la langue du mort avec les saints et l'Esprit céleste Je dessine tes cils Sans moi ton azur se dessèche Dis-moi comment s'agitent le

[ fleuve et les rivières dans son manteau partagé

Il y a les aigles Ils périssent sous le dard nuageux Soudain c'est pareil à la plaine On ne distingue rien On peine On souffre Les anges sont par-dessus nous avec des fouets

Puis ils sont venus dans leurs vêtements sombres les beaux [bourreaux

poussant devant eux les damoiselles et les flots pourpres Ils avaient des faux et devinaient le dessein du ciel avec des

[ alexandrins des opéras barbaresques On les retrouve parfois fanés au crépuscule Nous n'avons plus de saisons à leur offrir Nos mains unies laissent couler l'abandon des sables Les colosses sont habillés de jaune Ainsi ces arbres qui disent le

[ futur Où est le mal La terre donnée Où le terrible Arbitre Le fiel Le miel L'abandon de tes buissons sous la langue Corps courbe Je t'oublie afin que tu reviennes Espace jadis créé.

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La soumission aux biens

Il ne faudra plus énoncer ni proscrire Les anges sont venus qui massacrent J'ai deviné aux veines de tes membres l'obscure géographie du

[destin Je remonte tes fleuves J'ai saisi tes sources à pleins bras

Tu es belle ainsi le seigle roux Je revois ta jambe dans l'eau multiple

Tu es une ville avec des fanions Avec les mendiants du soir Les orchestres mercenaires dans la royauté du jour Ainsi disent mes mots Ainsi je t'ouvre Fenaison à tes genoux Vient le silence Hostie blanche

Tout ainsi se retrouve brisé perdu plié Telles des couleurs pliées et l'eau froide Dehors les gendarmes crient Dans les cours des fermes les fruits jaunissent avec les merles Dedans c'est le tumulte Dedans les bouches se serrent l'une contre l'autre enseignant l'automne Et si venait la neige Nous ne le saurions pas Ainsi passent et passent les années et la moisson Puis le Salut Elie nous menace depuis le char de feu

Cela s'évase Cela nomme Cela se tait Et les frelons chantent quelque part dans le poème.

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Le ministère de l'homme-esprit

Belle muraille ensemencée où l'ombre des baigneuses dessine l'ombre de la mer Si bleue que la solitude s'enfuit par la fenêtre C'est la porte des dieux lorsque le jour peine à naître Solstice dans le gant d'acier de la nuit la plus lente Les lampes vont d'étages en étages avec les lettres inutiles Elles écrivent au dos des énigmes Elles inscrivent l'air

On respire avec des feintes Pareils aux oiseaux et à la glu Les fresques du musée s'éventrent aux remparts de la ville Et quelqu'un parle faisant le monde égal Quelqu'un de rouge Avec une coiffe d'aigle Et un peuple fantôme La porte des dieux s'ouvre La place est déserte où va mon amour toujours semblable toujours autre au fil acéré des rues de cette cité peinte que le fleuve sauve du désastre terrible des eaux

Qu'il l'épargne et tu me rejoins Il l'épargne te voilà perdue Il la voue aux tumultes coléreux des flots Je te retrouve Il faut jeter l'or et l'argent dans la vasque Ici prononce l'Oracle Le renard a porté le feu sur son dos Les ailes l'attisent Il crie Le feu crie Je te vois dans ton miroir Tu lisses tes ailes

Ceinturée de tours inexplicables tu portes tes fanions un nom de femme ainsi dans la courtoisie des vergers l'adoubement des cistres et des mots ensemble entrelacés Tu es aussi forêt lorsque Déméter s'assied dans le ciel jetant des palmes sous les pas de l'ânesse

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Il se fit des désordres quelque part Les dieux sortaient de la tombe Donnaient l'assaut Le règne s'effondrait à nouveau Car tout règne est inutile à l'instant où paraissent les pleureuses Elles écartent les oliviers avec des gestes d'argent Elles mesurent le sol et le creusent Avec les ongles s'il le faut Elles portent les cheveux du soleil sur leur dos Leur poitrine est lisse comme l'écorce avant qu'on la brûle

Ayant échoué le héros recommence Il rassemble ses armes Il déchire son nom et ses titres Il s'avance avec fracas Il calcule et s'élance La dansante poussière l'arrête Il tombe

Corps suprême dans la coupe de mes mains par toi multipliées tu es vent dans le vent étoile dans le voile étoilé Sphère sans faille Céleste corps noyé dans les reflets de l'Arno avec les barques frondeuses et les plaintes de Francesca

En vain ils soignent les blessures Les oiseaux les dominent En vain ils s'avancent entre les guerriers de marbre parmi le peuple des colonnes et les baptistères aux vastes conques

C'est en vain qu'ils agitent les débris du sanglant simulacre les pleureuses assises sur les chaises de paille découvrent les Amériques en déchirant les brocarts du temple

Quelqu'un a poussé la porte C'est une ombre aussi nombreuse que la multitude déferlante des vagues Et c'est en vain que les lèvres frémissent Que les casques d'airain se heurtent Que les lances vertes se mesurent Ton corps est le combat dernier

Et si quelqu'un soudainement ouvre la fenêtre tu te refermes pliant le panorama du monde et le dissimulant en toi avec les draps rangés et la lavande

Maintenant il ne reste que le devoir sacré La déchéance du dieu Les corbeilles marines en offrandes votives délivrent l'oracle de son secret La parole retrouvée repeuple déjà le jour.

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Gloriosa donna

Reconnaissable tel est l'univers premier Et lorsqu'ils furent trois commença le déluge Sous les hautes fougères les sentiments mûrirent Ils écartaient les lèvres avec beaucoup d'effort mais ce qu'ils disaient convoquait l'homme de l'avenir qui n'aura plus de tout ceci que souvenance modeste

Voici Tu es la seule héritière de ce qui vient de loin Entre toi et moi la procession d'un arc de lumière Une flamme tendue dans le lieu où fut la dextre divine Je fouille très profond dans l'inachevé Je creuse vers toi Je me penche sur le puits des jambes nues pour me voir ainsi debout à l'envers de toi

Ta paume caresse un pays défait Les traces de la mer au loin se sont perdues Comme un pont qui surgit abrupt d'une rive noyée ton corps se tend C'est le sentier des astres Corps multiple A nous les saveurs du banquet sacré

A nous les dômes les coupoles et les feuilles et les ondes De ton endormissement les mondes divers s'évadent C'est un peuple d'images qui vainc l'ombre sourde

Nous allons détisser le dessin de la laine le blanchir et le parfaire enfin Et l'honorer ainsi qu'il sied.

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Donna Angelicata

Il nous sera possible d'accueillir en ce lieu le langage d'autrefois Du temps où le foyer loin d'être englouti dans les sables affirmait les bienfaits du blé et les gourdes fraîches du raisin

Les femmes étaient immédiates sous le haut vol des chevelures Les formes fragiles brillaient dans le ciel clair Et chaque chose avait un nom

Admirable est le lieu Tu y reposes parmi les cerfs du livre antique La Ville est ouverte telle un fruit mûr

Les hommes ouvrent des chemins à coups de hache dans le brouillard Les bateaux dansent n'ayant plus peur

Des lanternes et des tisons éclairent le lieu Tu as la couleur du miel sauvage Blonde Sombre Anneau de cuir

Tes cuisses sont jetées autour de moi comme les branches d'une étoile

J'ai mis de l'ordre dans le rien J'édifie de la brume J'ajoute un peu de pluie pour lier les couleurs et l'air

Je te retrouve Tu as les ailes étendues Tu bouges à peine On dirait des ruines peintes nouvellement Des hêtres Je te découvre à la criée de tes hanches dans l'or noir

Tu disposes les quatre éléments en une pyramide sans fin

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Tu n'hésites pas à offrir ton corps à la becquée des oiseaux

Les cages se balancent parmi le feuillu des branches

Il y a de lentes voiles qui passent dessus le blanc des murs

Ce sont des angelots qui tombent depuis le campanile.

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Simple pudeur

Pour Octavio Paz

Les mots me retiennent dans le lieu innombrable Ils ont détruit les remparts Et les dames de sable vont et viennent dans la chambre mouvante Le cadastre de la ville maintenant s'empourpre On ne voit plus les portes On confond les visages Quelqu'un entre chez les morts insaisissables et brasse à pleines mains ce vivant obscur qui gît abandonné

Voici que renaît l'adolescent sans peur La destruction des remparts s'achève dans l'air doux Il reste à déposer une pierre au front de la statue et détourner les eaux de la fontaine aux coins déserts de la place Mais déjà tout s'est refermé comme une main rapace Le silence déjà rend la justice

Quelque part il y a un soleil coiffé de plumes la danse des guerriers aux rives d'un mirage Nul ne hante plus le lac du Chalco où sont les étrangères les messagères et les prêtresses au ventre pur

Quelque part elle se penche à la fenêtre Coupée en deux par le regard ivre Quelque part dénuée d'appel la jeune fille caresse un cheval Sa robe tachetée dans le miel du soir.

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La donna Schermo

C'est un cortège de cités conquises détruites lacérées Cicatrices de pierre pour les ombres inconsolables La bouche des vestales telle une vasque de cuivre déserte la parole Ce n'est pas le bûcher qui fume c'est le cloaque Tout cela dans les sables

Son bouclier raconte l'histoire des héros Comment ils s'enfuirent Combien ils pleuraient L'Erèbe de leurs gémissements informes Et qu'ils avaient la peur posée sur l'épaule comme un vautour nu Il n'y avait pas de remparts Ni rien

Elle a franchi les escaliers d'étoiles Porté la paix aux morts tout au long de l'Arno Dante allait vers elle pour se protéger du vent le tôt-levé Elle distrayait les pâtres Retroussait l'aiguille des oliviers Elle serrait le bouclier contre ses seins Son ventre barque d'argent était d'eau fraîche et lente Ses cheveux, incendie de forêts

Elle recueille la Ville dans sa paume Elle est séparée de tout comme une vitre.

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Envoi des dix-sept poèmes

La femme est fatalement suggestive ; elle vit d'une autre vie que la sienne propre : elle vit spirituellement dans les imaginations qu'elle hante et qu'elle féconde.

C h a r l e s BAUDELAIRE

C'est un désert très aimable Depuis toujours peut-être Il y a des arbres publics sous le toit du monde La voix vient boire à la source du tourment Si elle crie c'est avec la troupe des voix Confondue dans la clameur commune Séparée par le fantôme des remparts Là-bas très loin

Dans la horde des lances rien ne la distingue sinon qu'elle parle à la même femme jamais la même

Sinon que ta lèvre moqueuse refuse de la mordre et se dérobe comme bronche un cheval dans les prés.

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LA FENETRE

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La passante interdite et charnue dans le soleil Dans les neiges des prairies creuse un bain de son Où les miroirs volants viennent boire Il faut voir s'ouvrir aussitôt Les lèvres mouillées du printemps Multitude candide

Paul ELUARD, 1934

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Là-haut le ciel se vide Et la terre où j'aurai mon lit repose dans l'étreinte du lait La sandale des dieux ailée autant que les urnes du vin a marqué le sol de ses enseignes a foulé les chemins gris défait et refait la bordure des champs L'Histoire est immobile héron aux yeux clos

Les mortels orgueilleux sont pliés dans la main en courroux des dieux Suprême soc du temps mettant à bas les remparts de la Ville ses guerriers ses femmes apparues au cœur des vitres ses statues ambulantes et sur les chaises de paille s'effeuillant au soleil l'ivrogne qui ne sait ce qu'il dit

Maintenant les douze Peuples se sont assemblés Le désespoir est au ciel vide autant qu'une outre desséchée et qui a perdu son nom dans le sable.

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Maintenant les grains de la prière ont affligé l'oracle Les femmes vêtues de longues robes blanches sont autour de nous comme nous autour du Temple

L'héroïne éphémère a déserté son théâtre de verre La transparence pâle hésite aux vantaux de la maison La Ville respire à peine Comme une personne très lasse que la chaleur incommode

Maintenant où nous sommes la grande déesse se montre à nous tel l'hiver lorsqu'il perce la terre de son dard Elle n'est plus Comment dire Sinon qu'elle est et n'est pas Qu'elle surgit et s'efface Non elle brille Non Et s'il lui advenait de chanter ni toi ni moi ne l'entendrions mon amour.

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En dessous ce n'est pas la mort déjà mais une caravane emplie de tumulte et de bruit Il semble que la mer s'éloigne Que les barques chargées de femmes lentes et peintes s'inclinent en gravissant l'écume Que les remparts disparaissent dans la brume armée

Plus loin des musiques éclatent en bouquets et s'agenouillent Il ne reste qu'un murmure d'acier où s'étend au loin la campagne avec ses osiers et ses javelles Ainsi le temps a passé comme dans une auberge le rire d'un enfant

Nous sommes déchargés de nos faix Nous contemplons nos os qui sont hors de nous comme des lances désormais inutiles.

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Toute prière est une incarnation de Dieu. L u d w i g FEUERBACH

Seule demeure une image vivante car tous nous succombons Chaque astre a son astre et nous notre fantôme Les remparts gisent au large de la Ville avec la nuit qui pèse sur eux tel l'assassin blême Telle la Grèce lorsqu'on ferme les yeux

L'eau qui parlait s'est tue L'œil du cheval est un soleil

Les Dioscures ont franchi le fossé La forêt a fermé ses arbres comme une fenêtre que quelqu'un clôt poussant avec violence les battants et vibre la vitre avec la tremblante image qui peine à s'effacer

Sur le sommet des monts campent les nuages bleus Une étrangère est venue ici Elle a marqué la terre de la trace de son pas.

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