La Fiancée d'Anzar ( Tislit u Anzar ) Abdelilah Alilou

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La Fiance d' Anzar Les mythes et lgendes berbres ont toujours t une source dinspiration et de sagesse pour de nombreux auteurs de lAntiquit ou contemporains; on y trouve mme les ferments et les fondements de quelques mythes grecs et romains. Comme celui-ci, la Lgende du dieu Anzar, o on ne peut sempcher de penser la fameuse mtamorphose du dieu grco- romain Zeus/ Jupiter en aigle, pour contempler et ravir une belle humaine qui se baignait dans un lac. Les Imazighens ont une belle lgende pour parler de la beaut de larc en ciel. Voici un conte que jai confectionn partir de ce mythe merveilleux. jespre que vous y prendrez plaisir le dcouvrir.

La Fiance dAnzarIl y a longtemps, trs longtemps, lpoque o la Terre rejoignait encore par endroits le ciel, les pluies vinrent manquer cruellement, pendant une longue priode, ce qui provoqua une terrible scheresse dans limmense pays de Tamazgha. Quand parfois il se mettait soudain pleuvoir, ctait un tel fracas de tonnerres, suivi dun dluge monstrueux qui sabattait sur les montagnes et les plaines, dtruisant les villages, inondant les champs et ravageant tout ce que les paysans avaient russi faire pousser pour leur subsistance. Aprs ces brusques inondations qui dtruisaient des rgions entires du pays, il arrivait frquemment quune chaleur implacable, interminable vint consumer ce que lon avait pu prserver. Et le pays senfonait dans la dsolation, les Hommes, les animaux et les plantes dprissaient et mourraient de chaleur ou de froid, de famines et de soif. Les plus anciens, quand ils se mettaient en parler, se souvenaient avec beaucoup de nostalgie quil nen fut pas toujours ainsi : lorsquils taient petits leurs parents leur disaient quil faisait continuellement un temps merveilleux, les saisons taient ordonnes et clmentes ; en automne les nuages couvraient le ciel et il pleuvait abondamment, suffisamment pour remplir les ruisseaux et les rivires, pour arroser les plaines et les champs, puis lhiver ntait jamais ni trop long ni trop rigoureux, il neigeait sur les sommets et les versants des montagnes jusqu ce que le printemps, comme par un miracle rgulier, vint reverdir tout le pays et les arbres abondaient de fruits, les prs de hautes herbes et de fleurs de toutes les couleurs, le soleil rayonnait chaleureusement dans un ciel limpide, inondant toutes les cratures de joie et de bonheur. Lt arrivait ensuite, avec son cortge de lumire et de saveurs, resplendissant et fcond, saison des moissons et de joyeuses clbrations ! Africa la desse de la

terre et de la fertilit tait gnreuse, et Anzar, le dieu des pluies et des saisons bienveillant et sage ! Mais que stait - il donc pass pour quAnzar, le dieu de la pluie devint ombrageux et si capricieux ? On aurait dit quil nen faisait qu sa tte, quil ne savait plus ce quil faisait... Certains avaient avanc lide quil tait bien malade, sans doute trop vieux, peut tre mme mort ? Serait - il devenu jaloux, puisque son peuple, les Imazighen, staient dtourns de lui et sadonnaient ces tranges divinits orientales, les Ishtar, les Baal, que les Phniciens avaient ramen avec eux ? Dautres avaient prdit la fin des temps. Les plus critiques avaient commenc accuser toute la communaut, prtendant que lon tait devenus ingrats, trop avides, gaspilleurs et insenss, car lon faisait du tort la nature, en dboisant et en allumant des feux pour fertiliser les champs, en dtournant les cours des rivires, et que l- haut, dans le ciel, Anzar tait bien mcontent de tout cela ! Personne ne pouvait savoir ce qui allait advenir des Hommes ni de la Terre, jusquau jour o un fameux Agourram , un druide trs rput du Sud du Maroc, dcida dlucider le mystre. Ca ne peut plus durer ainsi ! Dclara t -il un jour en assemble plnire, devant ses confrres savants runis en congrs exceptionnel, Tetawine, tout l - bas, au nord du pays, o des sources sacres servaient de lieu de runion aux prtres. Le peuple souffre de la disette et le btail dprit ! Nos forts disparaissent et le dsert avance danne en anne, envahissant nos terres et nos villages ! Et nos fleuves sont devenus des fosss secs et caillouteux, sans le moindre poisson, sans le moindre vol de canards ni de hrons ! Si a continue comme a, tout disparatra dans dix ans ! Mais Agourram trs estim, que veux - tu quon y fasse ? Cest la Nature, et on ny peut rien ! On a multipli les prires et les processions, on a amnag les rservoirs, plant des arbres la lisire du dsert, largi les cours des rivires, rien ny fait ! On est si peu de choses face aux cataclysmes naturels ! Oui, on ny peut rien ! Renchrit un autre druide. Je prconise quon abandonne nos terres et quon nomadise, cest la seule manire de survivre face cette nature changeante ! Personne ne peut changer Anzar dopinion, tu le sais bien, Agourram, il nous faut nous adapter ses humeurs. Eh, bien ! Moi jirai lui parler, ce dieu de la pluie, et je saurai de quoi il sagit ! Il reste encore des Routes du Ciel ouvertes, nest ce pas ? Avez - vous oubli que les Anciens en parlaient ? Les savants de Titlan- tite en avaient, dit - t - on, trac des cartes prcises et je connais un de nos confrres qui en possde une, authentique ! Jirais le voir ds demain ! Certains druides prsents dans lassemble eurent envie den rire, mais pour ne pas contrarier leur collgue ils estimrent plus sage de ne pas le vexer, de ne rien dire. Comme la proposition semblait bizarre et inattendue, mme pour des druides habitus aux

mystres de lunivers, on hocha simplement de la tte, puis les dlibrations se poursuivirent de manire plus rationnelle, pour prendre des dcisions concrtes et immdiates, car la situation ne permettait plus de divagations ni dhypothses improbables vrifier. On laissa donc le druide vaticiner, puisque ctait son rle et que ces druides du Sud sont rputs, nest - ce - pas, dtre extravagants et on prit des mesures draconiennes : constructions de greniers collectifs, retour au nomadisme et aux transhumances, adaptation au milieu ou exil, sil le fallait, etc. Mais lAgourram tait ttu et rfractaire toute forme dadaptation force par les circonstances et le soir mme il ne participa pas au banquet de clture du congrs, non par dpit mais parce quil avait pris une dcision ferme : tenter limpossible pour changer la destine de sa patrie ; il prpara donc ses affaires pour partir en voyage, de la nourriture pour la route et des vtements chauds, des couvertures, car l o il allait il faisait trs froid. Son mulet harnach et charg, il partit trs tt le lendemain matin, alors quil faisait encore nuit et que la lune clairait de toute sa splendeur laiteuse le ciel toil. Il se dirigea rsolument vers le Sud, vers les plus hautes montagnes de toute Tamazgha, l o les sommets se perdent continuellement dans les nuages des hautes sphres. Bien avant dy arriver, il sarrta la ville dAmerrukash o il se reposa chez Anejjam, lun de ses confrres. Ils schangrent des politesses, puis des nouvelles, des recettes de potions et de mdicaments, puis parlrent tout naturellement du Congrs des Druides et de la situation du pays. Et donc tu espres, malgr la dsapprobation des sommits intellectuelles et spirituelles du pays entreprendre un voyage pour rencontrer Anzar le dieu de la pluie et lui parler ? Mais pourquoi devrait - il changer davis ? Les habitants de ce pays mritent ce qui leur arrive, car ils ont perdu tout contact avec le Ciel et ont oubli les traditions et les secrets des Anctres. Oui, Anejjam, tu as raison ; les savoirs des origines se perdent peu peu et on respecte de moins en moins la Nature, je te le concde. Mais est - ce une raison de ne plus esprer un avenir meilleur, de ne plus essayer de sauver la vie ? Tu sais mon avis l - dessus, mon ami. La Nature est le matre suprme on doit obir ses lois et nous conformer sa volont. On ne peut rien changer ni son rythme, ni ses imperfections et on ne peut que se soumettre ses caprices. Elle a cr toutes choses comme elle veut et elle sait mieux que nous ce qui est bon ou non pour la vie. Prtendre se mler de ses affaires cest une folle prtention, un orgueil dmesur et ne peut quengendrer la destruction de lharmonie du monde. Anejjam, mon ami, reprit Agourram dun ton calme et rsign. Cest vrai que nous sommes les enfants de la Nature, au mme titre que les plantes, les animaux et toute parcelle visible ou non de la cration. Mais est - ce une raison valable de subir les

caprices du temps, de souffrir de toutes sortes de calamits, sans essayer de nous protger et damliorer notre sort ? Je nai jamais prtendu changer le cours de la vie, mais je ne crois pas en la fatalit du destin ; je ne suis ni un orgueilleux ni un insens, seulement jessaye de rendre la vie des ntres un peu plus supportable et plus facile ! Nest - ce - pas l notre rle de guides de la nation amazigh toute entire ? Agourram, tu es un sage et un idaliste et tu sais ce que tu fais ; pour ma part je respecte tes rves, je te trouve audacieux et gnreux et je ne dsire pas te dcourager dans tes esprances. Comme tu sembles y croire encore tellement je vais te montrer la carte de la Septime Porte du Ciel, que jai hrit de mes arrires grands parents. Je lai souvent tudie, mais je dois tavouer que je nai jamais cru en sa vracit. Permets - moi galement de te dire que mme si elle est authentique et admettons que tu russisses dans ton entreprise, tu ne feras que retarder laffreuse chance qui nous attend tous : la dsagrgation de notre peuple et de notre pays, cause de la ngligence et de loubli des origines. Les gens sont bien ingrats et chacun ne recherche plus que son propre profit, vois - tu, et par consquent ils ne mritent pas tes efforts. Je te suis reconnaissant, Anejjam ; disons que si je ne le fais pas pour nos contemporains, je le fais pour les gnrations futures, en esprant quelles se ressaisiront, je le fais aussi pour lamour de notre terre qui a tant donn et tant souffert, pour les plantes et pour les animaux que tu aimes autant que moi et qui sont innocents de tout ce qui nous arrive. Et le druide dAmerrukash sortit dune jarre un rouleau en peau de chevreau, quil dploya et qui reprsentait la carte du Chemin du ciel. A laide dun bton de craie il traa sur le sol le dessin quil recopiait scrupuleusement, en rcitant lentement litinraire que lAgourram devait suivre : ... Au niveau de la cime la plus haute du mont At-boukal, par le versant nord, tu verras en face de toi un promontoire rocheux envelopp de brumes ; lorsque au petit matin tu verras Amanar, lEtoile du Nord tinceler vivement pour annoncer son dpart, une brche se dgagera dans le mur de nuages o tu seras envelopp ; l tu avanceras hardiment, car cette ouverture ne restera accessible que quelques instants, le temps que les rayons du Soleil commencent poindre lEst. Quand tu seras engag dans cette porte du ciel tu te rendras compte par toi mme que tu es entr dans le Domaine du dieu Anzar, lorsque tu verras comme une cit de glace et de cristal ; naie surtout aucune crainte, il est, dit - on, pacifique et apprcie les visiteurs courtois. Voil tout ce que je peux te dire, cher ami. Agourram tait pensif et fort intress par le discours dAnejjam, pendant que la lumire de la lampe dhuile clairait tendrement les murs et le plafond de la pice de reflets orangs dansants, et de temps en temps il devait carter sa tte et tout son buste pour

mieux voir le dessin reproduit sur le sol, en refaisant laide dune pointe de roseau le chemin quil devait suivre, seul. Il rcitait, en se frottant le menton, voix haute les tapes pour mieux les retenir, et Annejam confirmait chaque fois en hochant de la tte, par des oui, oui... approbateurs, rajoutait encore des claircissements quil se rappelait, des conseils quil jugeait utiles. Ainsi inform, ds le lendemain, lAgourram se leva de bonne heure, se prpara, se recueillit un moment dans la cour de la maison sous le ciel toil et aprs avoir copieusement djeun en compagnie de son ami il prit cong, promit de revenir le voir avec de bonnes nouvelles sur le chemin du retour, puis il partit tout joyeux, en jouant de sa flte, vers les hauts sommets. Petit petit il quitta toute trace de prsence humaine et stait aventur sur des pentes escarpes, dans un paysage gris et rocailleux o dnormes rochers et des monceaux de neige poudreuse lui barraient le passage. A maintes reprises son mulet sarrtait, ne pouvant plus avancer, car le chemin devenait troit et de plus en plus glissant. lAgourram mit pied terre, prit le mulet par les rennes et le mit labri sous une vaste dalle de basalte, un endroit o le parterre tait recouvert dherbes vertes, fraches et tendres. Te voil ici mieux qu la maison, vieux compagnon ! Attends - moi sagement, et surtout ne redescends pas ! . Il caressa sa monture, la dchargea de son fardeau et aprs avoir pris lessentiel il poursuivit tout laprsmidi son ascension vers la plus haute cime, qui paraissait tellement proche, mais qui sloignait au fur et mesure quil lui semblait latteindre. A chaque fois ses pieds drapaient sur un tapis roulant de cailloux et de pierres glissantes. Par moments il tait surpris lorsque soudain, dans le silence, un mouflon norme sautait dun rocher un autre, puis disparaissait vers une destination inconnue. Il manquait dair et sarrtait frquemment pour se reposer et reprendre son souffle ; de rares touffes dherbes poussaient a et l et il restait de longs moments les observer, pour en recueillir quelques feuilles, des ptales ou des graines quil rcoltait ; il y avait l, ses pieds, des plantes trs recherches quil connaissait et dautres dont il avait entendu parler mais quil navait jamais vues auparavant, pensant quelles nexistaient plus. Que de trsors ! Que de merveilles ! Sextasiait - il chaque fois quil reprait quelque arbuste nouveau ; il mchouillait une brindille pour en savoir la saveur, humait les fleurs pour en distinguer les senteurs, comme tant de plaisirs et de dcouvertes dont il aurait aim jouir longuement, si ce ntait les parois rocheuses quil lui fallait encore grimper, parfois au dessus du vide, de plus en plus haut, jusqu en perdre compltement de vue les hautes plaines quil laissait derrire lui. Absolument seul, il tait compltement isol dans cet immense espace blanc et sauvage qui ltourdissait et laspirait davantage, chaque pas quil faisait. Il lui sembla

presque atteindre le ciel, en palper la vote inconsistante et laiteuse. Larte ultime tait l, devant lui, et une rampe rocheuse y menait, comme un bras tendu vers le firmament. Un vent glacial tournoyait par dessus les crtes, soufflant de toutes parts, samusant rpandre la neige poudreuse en tous sens, comme sil tait agit par une kyrielle de gnies espigles et mugissants. Comme il faisait dj nuit il se mit sous des rochers de granite et bien labri du froid et des rafales du vent il alluma un feu et se restaura de figues sches et dpinards sauvages, en contemplant le ciel merveilleusement toil, travers sur toute sa longueur par une trane de poudre dor et dargent , le fameux Assif n- akfay , le Fleuve de lait. L - haut, les astres formaient une myriade de constellations et tincelaient de toute leur splendeur. Comme linfini est tellement plus beau vu de prs ! Smerveillait - il devant la beaut de la nuit. Et dans cette symphonie silencieuse et lumineuse chaque toile, chaque plante semblait pulser dune brillance et dun chant qui lui taient particuliers, des jaunes ples tincelants, des bleus luminescents puis vanescents, des orangs flamboyants, des blancs scintillants, des pourpres incandescents et profonds parvenaient jusqu lui, dans son antre de fortune, comme une mlodie infinie et secrte des dieux. Il tait compltement subjugu par la contemplation du ciel et essayait den dchiffrer le langage, de reconnatre chaque repre, de se rappeler les noms des constellations, de trouver lemplacement de chaque plante et de chaque toile dans cette trame immense, mouvante et pourtant si bien ordonne ! Il tait tout la fois enchant et dsempar face cette merveille ternelle, cras par la profondeur vertigineuse de ce gouffre suspendu au dessus de son pauvre tre, et en mme temps dlicieusement travers par le souffle majestueux et paisible de linfini. Assurment je suis aux portes du Domaine des dieux et des esprits ! Pensa - t - il, au comble de lextase et de la frayeur. Il avait facilement reconnu Amanar, lEtoile du Nord, sa lumire dor ple si tendre ; elle semblait se distinguer singulirement dans ce concert harmonieux, tincelante comme un joyau de feu, comme une danseuse ferique qui lui adressait un regard rassurant, des clins dil complices et elle semblait lui dire quelle veillait sur lui, quil tait arriv destination. Il lui adressa son tour des louanges, lui dit comme une femme bien aime combien elle tait belle et rayonnante et la pria de lui tre favorable. Il tait, aux rives de cet ocan stellaire qui lui contait la gense du monde et lpope des dieux comme pench sur un livre au savoir incommensurable, en compagnie des hros lgendaires, dtenteurs de la connaissance universelle et de la puissance infinie, quil admirait tant et pour lesquelles il avait vou toute son existence, pour que ses semblables puissent vivre libres et heureux !

Il pensait son village, aux siens qui souffraient de la scheresse et de la soif, de la misre grandissante, mais aussi, et encore plus insidieux que toutes ces calamits il entrevoyait le spectre hideux de lignorance qui ne cessait de dployer son voile sur les consciences, comme une chape tnbreuse et touffante qui se propageait, spaississait de gnration en gnration ; la rsignation face au destin teignait toute tincelle de vie et denthousiasme dans les esprits, effaant inexorablement tout lien qui menait la Source o les Anciens puisaient la sagesse et la force qui leur permettaient de vivre en bonne entente et harmonie avec lunivers. Il savait que toute cette architecture parfaite, construite de mots, de mmoire, de perceptions, de chants et de lgendes tait en train de scrouler, que des pans entiers de cet escalier impalpable qui mne vers les toiles mres tait sur le point de seffondrer et quil ne pouvait rien faire pour viter cette destine tragique. Dautres temps encore plus obscures viendront, o notre Etoile plira, quand le souvenir qui mne vers la Porte du ciel aura disparu ; alors nous serons abandonns notre sort par les divinits du firmament qui veillent sur nous... Mais toi, noublie pas que chaque lettre, que chaque point de lcriture que nous avons trouve reprsente une toile qui te racontera ton histoire si tu sais lcouter, et la plus belle, Argaz la bleue, lHomme debout et libre, marche l - bas, dans la constellation de la Croix du Sud, la tte releve et fire... Il se remmorait des bribes du discours mystrieux que lui tenait son grand - pre, qui savait encore faonner en des bijoux dargent et des motifs tisss sur des tapis ou peints sur les poteries les plus banales toutes les constellations du ciel, o il voyait dj le dclin de sa civilisation. Il lui racontait que ses anctres avaient pntr jusquen Egypte, quand un immense cataclysme avait remu Amda, le Grand Ocan, engloutissant la Terre maternelle dont son peuple tait originaire. Titlan- Tite avait tragiquement disparu sous les flots et avec elle toute la connaissance originelle et les mystres des Dieux. Ce sont ces Prcdents, rescaps du grand Tourbillon qui avaient montr aux gomtres des pharaons comment btir des temples et des pyramides en parfaite conformit avec larchitecture du ciel, car ils savaient que les mes demeurent ternelles et rejoignent par des accs lumineux et prcis le Domaine des Dieux... Tout cela tait confus dans son esprit et il se sentit misrable, insignifiant sous ltendue et la profondeur du ciel, incapable den dchiffrer les calculs, les rapports et les nigmes, tant de donnes dsormais irrmdiablement perdues tout jamais. Le peu quil avait pu en prserver il se promettait de le transcrire sur des peaux, des stles ou dans des pomes quil transmettra ceux qui viendront aprs lui. Il scrutait, tout en mditant ainsi sur la fragilit des savoirs et de la mmoire, lEtoile Thuban, le seul

repre tangible dans ce grand Livre ternel. Elle tait grosse comme son poing, presque porte de sa main, comme une lampe clairant le Petit Chariot que guidait le dieu Anzar. A un moment elle semblait devenir plus claire, et sa lumire dore devint dun jaune ple intense, puis opalescente. Il se ressaisit de sa rverie, se redressa, puis sortit au grand air de la cavit qui lui servait dabri. A ses pieds locan tumultueux de nuages sombres et laiteux stendait perte de vue et lui tait l, sur ce promontoire rocheux comme sur une le perdue, naufrag entre labme du ciel et le gouffre de la terre, esprant quelque vnement miraculeux survenant de linfini. A un moment une vague cumante de nuages pais se dressa soudain devant lui et se dcoupa en deux colonnes de vapeur qui semblaient soutenir le ciel. Et au milieu il y avait comme un sentier lumineux vers lequel il courut sans plus rflchir, harcel par les rafales du vent, en criant : Ca y est ! La voie est ouverte ! La Voie est ouverte ! . Il sengouffra dans lpais manteau de nue duveteuse sans voir o il posait ses pieds, sans savoir o il allait, de peur de manquer cet instant rare et phmre. Il lui sembla marcher sur un tapis de plumes blanches et douces, traverser des tentures de neige tendre et lumineuse et peu peu il se trouva face un vaste espace ouvert o se dressaient des dmes de cristal, des colonnes translucides et aussi lisses que la glace, avec une clart tendre et dore qui se diffusait de partout et de nulle part, du sol poli et tincelant comme un miroir, du plafond tellement lev quil se confondait avec le ciel. Il tait abasourdi par tant de douceur et de splendeur, avanait timidement, lentement, en se rptant voix basse : Je suis dans le Domaine des dieux... Je suis dans le Domaine des dieux... Suis - je dj mort ou encore vivant ? . Il tait suspendu entre le rve et la ralit, un pauvre mortel, tranger, perdu et errant dans une dimension fantastique o rgnaient un calme souverain, une lumire douce et diffuse. Par intermittences se propageaient des hauteurs des tours de cristal comme des notes dune musique fine et leve qui se perdaient au loin, se diluaient dans lair lger et brumeux. Deux tres gracieux, surgis de derrire une cascade de glace lui apparurent ce moment l. Ils ressemblaient des enfants humains, plutt des adolescents, quoique leur peau tait diaphane, presque transparente. Ils taient vtus de tuniques brillantes et lgres comme du satin neuf et leurs pieds nus et menus semblaient peine effleurer le sol o leurs pas se refltaient. Sans un mot ils se dirigrent vers lui et en souriant, chacun deux lui prit une main et le guidrent amicalement vers un dme de cristal. Oh ! La ! La ! Lui dit lun des deux gamins en porcelaine. Vous tombez vraiment mal, Anzar notre an est dhumeur massacrante ! Oh ! La ! La ! Scria lautre bambin de verre. Vous arrivez au

moment propice, Anzar, notre frre a besoin daide ! Venez ! Venez vite ! Cest... Le Ciel qui vous envoie ! Et ils lentranrent, en riant, lintrieur de ldifice circulaire o une multitude dautres tres qui leur ressemblaient taient runis comme un essaim de lucioles autour dune fontaine colossale do se dversaient des torrents deau de toutes les couleurs et au milieu de toute cette ferie un gant, aussi ple et aussi lumineux que ces petits tres de lumire, tait assis sur un trne de diamant. LAgourram tait poustoufl par la majest du colosse qui le regardait dun air soucieux et mlancolique. Il ne savait ni quoi dire ni comment agir, esquisser une rvrence de politesse, baisser la tte en signe de respect et dhumilit, ou relever le front dune manire franche et fire et soutenir le terrible regard de ce visage clatant de lumire ? Il demeura ptrifi tandis quun grand silence rgnait dans la salle o lon nentendait plus que le bruit cristallin de leau et ces notes de musique aigus qui slevaient rgulirement par dessus la fontaine - trne, chaque fois que les couleurs changeaient. Te voil enfin, toi ! Tonna Anzar dune voix vibrante de chagrin, lintention de lAgourram. Cela fait trs longtemps que jattends un messager de ton peuple et quand bien mme je nai aucune notion de votre temps, mortel, cette attente ma paru durer une ternit ! " Je suis votre service, Majest, Sire... Cest tout ce que lAgourram avait trouv dire, car il lui semblait vident quil sadressait quelque extraordinaire monarque et que cette formule, quoique plate et convenue tait la plus approprie la situation. [...] La Fiance d' Anzar Deuxime partie, suite et fin. [...] _Voil le problme : le Matre des Mondes, lEtre suprme en dautres termes, qui veut se consacrer uniquement lexpansion de lUnivers et lastro - culture, son grand uvre ce quil dit, ma assign la tche modeste et ingrate dentretenir avec cette bande de fainants le cycle des saisons et de contrler les dbits des eaux ncessaires toute vie sur votre Terre. Cest comme tu vois une charge astreignante que je puis accomplir sans faillir, mais vois - tu, je suis hlas ! Affreusement seul et jai besoin dune pouse qui mapporte ce dont jai cruellement besoin ici : de la posie et de lart, une sensibilit et une fracheur que je ne connais pas et sans lesquelles je ne pourrais travailler avec plaisir et enthousiasme ! En un mot Frre Anzar sennuie et se meurt damour... ! Lana un phbe aux bouclettes argentes, un sourire moqueur aux lvres.

Silence, Badad ! Coquin ! Oui, trs estim Agourram, je suis une de vos divinits tutlaires mais je nen possde pas moins un cur sentimental, et je dsire une femme qui mapporte tout ce que je tai dit : de la chaleur et un peu de lexubrance humaine ! Africa, ma sur germaine, qui a reu en charge le ministre de la fcondit des espces et la fertilit de la terre est trs mcontente contre moi ; elle prtend, cette mgre, que je macquitte mal de mon devoir ; elle maccuse dtre trop brouillon, des fois avare et dautres trop dpensier en liquidits, ce qui fait que cest nimporte quoi en bas et quil ny a plus de saison ! Est - ce - bien vrai, tout cela ? Vas - y, parle franchement ! Et le dieu Anzar, de son regard phosphorescent et courrouc incitait le pauvre Agourram dire ce pourquoi justement il tait venu jusque dans ce monde trange qui le dpassait et o il avait subitement perdu tout sa vaillance et son assurance terrestres. Heu... Votre majest... Se hasarda - t - il bredouiller malgr tout, et sa voix fluette se rpercuta en un cho dsagrable dans la vaste salle de cristal o tous les tres retenaient leur souffle, attendant ce quil allait dire. Nous avons remarqu, il est bien vrai, quelques drglements climatiques rcurrents qui provoquent quelques fois des priodes de canicules et de scheresses, suivies par des prcipitations excessives et des inondations imprvisibles. Je viens justement rclamer votre clmence de la part des miens et de tous les tres vivants sur Terre. Il tait soulag davoir pu dire tout cela dun trait pourtant son pauvre cur battait la chamade dans lexpectative dune saute dhumeur du dieu Anzar. Je vois ! Je vois ! Plus on vous en donne plus vous en rclamez ! Et dire que je me suis assagi depuis le temps o je fus dbutant dans le mtier, lorsque je dclenchais des glaciations sur la moiti de la plante ! Jai commis une seule erreur ! Je le reconnais ! Africa narrive toujours pas me le pardonner et cest pour cela quelle men veut ! En voulant asscher les marcages du Sahara o elle dsirait concevoir le plus beau jardin de la Terre je lavais compltement dshydrat ! Mais voil, jestime avoir assez pay Pour mon erreur et maintenant jen ai assez de la solitude ! Si vous voulez que je vous sois plus favorable, accordez - moi donc vous aussi une faveur... Anzar est amoureux ! Anzar est amoureux ! chantrent en chur une ribambelle de chrubins en sesclaffant, alors que le dieu Anzar semblait plus abattu sur son trne de diamant, fixant dsesprment lAgourram qui se ratatinait devant lui. Ecoute, Agourram ; oui, je suis amoureux dune jeune fille des Sanhaja, qui vivent dans le Haut Atlas. Elle a un prnom prdestin : elle sappelle Tanite, lAnge ! Ma sur Africa men a parl et je lai souvent vue, dguis en aigle, son insu ! Elle est tellement belle et si gaie ! Jaime le son merveilleux de sa voix quand elle chante, son rire et ses robes de toutes les couleurs !

Elle aussi maime et les pomes quelle compose pour mvoquer sont si merveilleux et si touchants ! Aussi je te demande tout simplement daller voir ses parents, son peuple, et de leur demander sa main pour moi ! Jaccepte davance leurs conditions. Le ferais - tu ? Oui, Monseigneur, je ferai selon vos dsirs. Rpondit lAgourram, satisfait de loffre que lui soumettait Anzar. Le jour mme il quitta le royaume du Dieu de la pluie, press de retrouver le village de la fille en question et de conclure cette affaire qui, somme toute prenait une bonne tournure et semblait tout fait honnte. La descente de la montagne fut plus facile et plus rapide que son ascension car le dieu Anzar avait retenu les rafales de vent et aplani la neige, traant des sentiers faciles suivre. En peu de temps notre homme arriva la grotte o il avait laiss son mulet et il ly trouva frais et repos, se dlectant avec quitude et nonchalance des touffes dherbe de la prairie. Il se mit aussitt en route vers Amerukash, tout excit de raconter cette aventure extraordinaire son ami Anejjam, le druide. Il se sentait investi dune mission exceptionnelle de la plus haute importance, une sorte dambassadeur des dieux auprs des Humains, aussi ne sattarda t- il pas en route observer et rcolter les plantes. En fin de journe il arriva la maison de son ami et lui relata toute laffaire. _Cest fabuleux ! sexclama le druide en se tenant la tte. Donc tout cela est bien vrai ! La Route des Etoiles, la Porte du Ciel, ce ne sont pas des fables ! Et dire que je ny croyais pas, je te prenais pour un fou ! Non, lami, toutes les indications que tu mavais donnes sont vraies et il nous faut maintenant nous atteler notre tche, accomplir cette mission. Connais- tu le village dont il est question ? Oui ! Amez- miz nest pas loin dici. Si nous partons demain matin nous y serons le soir mme. Jai hte de voir Tanite et de rencontrer ses parents ! Et ils prparrent, fbriles, leur voyage pour le lendemain, bavardant longtemps en soire, puis, fatigu par une journe aussi mouvemente lAgourram sendormit la belle toile, dans la cour de la maison. Le lendemain ils se levrent tt, lheure du chant du coq, traversrent la ville encore endormie et se dirigrent vers le plaines des hauteurs, l o les Senhaja, tribu semi sdentaire se dplaaient avec leurs immenses troupeaux en qute de pturages. Ils traversrent des prairies fleuries, des forts sombres et fraches de chnes et de cdres, des torrents leau joyeuse et limpide o abondaient les poissons deau douce. En fin de journe ils aperurent au loin, niche mi colline, Amez- miz dont les murs bruns et ocres se confondaient parfaitement avec les amas de pierres rouges colossales et les parois rocheuses dresses vers le ciel comme un bouclier de bronze. Ils se

dirigrent aussitt vers la place du village et demandrent au premier homme qui leur souhaita la bienvenue o se trouvait la maison de lAncien. Il les conduisit de bon cur en marchant devant eux par quelques ruelles puis leur montra une maison en pis, dont les murs et la porte principale taient dcors de peintures vives. Cest l la maison dAssarou et sa famille. Cest lui, lAncien de la tribu. Ils le remercirent et frapprent la lourde porte carre. Un jeune homme vint leur ouvrir puis, stant enquis de ce quils dsiraient il rentra en appelant son pre : Ibba ! Wa ibba ! Des gosses curieux et criards accoururent, regardrent bahis les visiteurs, puis, profitant de louverture de la porte ils sortirent gambader devant la maison, tout en observant les trangers et leurs belles montures. Un vieillard apparut alors lembrasure de la porte, houspilla les gamins qui se calmrent, puis accueillit les deux hommes avec cordialit, comme si il les connaissait de longue date. Il ne tmoigna daucune surprise ni aucune mfiance leur gard, demanda au jeune homme de se charger du mulet et de la jument puis les invita entrer dans une salle au mobilier austre mais latmosphre paisible et accueillante. Soyez les bienvenus dans votre maison. Nous sommes honors par votre visite et sommes votre service. Ils continurent ainsi schanger des politesses entrecoupes de silences quand une jeune fille portant deux longues tresses qui lui tombaient sur les reins entra dans la pice, arienne et souriante, pour dposer une petite table charge dun pot de petit lait, de fromage, de figues sches et de pain. Cest elle ! Tanite ! Cest extraordinaire ! Ca ne peut tre quelle ! Pensa aussitt lAgourram. Pendant quil la regardait discrtement disposer le plateau devant eux puis repartir, lAncien continuait parler avec Anejjam le druide de la pluie et du beau temps, des pturages et des rservoirs deau. LAgourram se ressaisit de son tonnement et sans rien dire il fit semblant de sintresser la conversation. Les temps ne sont plus clments avec nous, disait lAncien, depuis trois ans nous navons eu que trs peu de pluies ; il nous reste peu deau et lherbe se fait rare, le fourrage commence manquer... Et le druide Anejjam qui ne stait pas rendu compte du trouble de son ami continuait lui aussi la liste des litanies : De notre ct, cest tout le contraire : on dirait que toutes les neiges et les pluies se sont donnes rendez- vous au dessus de nos ttes et on ne cesse de subir les dluges et les inondations ! Ah ! la ! la ! Les saisons ne sont plus ce quelles taient ! Et ils demeuraient encore de longs moments silencieux, comme au comble de laffliction. Cest alors que lAgourram prit la parole pour expliquer la raison de leur visite. _Cher ami, justement, cest pour mettre fin toutes ces calamits que nous sommes venus vous voir, sur la demande du dieu Anzar

lui mme ! _Quoi ? Le dieu Anzar ! Que me chantez- vous l ? Vous plaisantez ? Le pre Assarou part interloqu et changea subitement dattitude. Il devint plus mfiant, regardant tour tour les deux hommes, ne sachant sil devait rire ou se fcher car il ne supportait pas quon plaisantt des misres de son peuple. LAgourram ressentit la gne de lAncien et tout en souriant, calmement, il lui raconta depuis le dbut son incroyable voyage au Domaine des dieux, sa rencontre avec le dieu de la pluie et le vif dsir de ce dernier dpouser une fille des Sanhaja. ... Ainsi, pour mettre fin toutes ces catastrophes climatiques, le dieu Anzar ma charg personnellement de vous demander la main de votre fille Tanite, et il accepte davance toutes les conditions que vous lui soumettriez. _Tanite ! sexclama le pre Assarou, outr. Mais cest de ma fille quil sagit ! Dans toute la tribu cest la seule qui porte ce prnom ! Est- ce que vous vous rendez compte de ce que vous me demandez l ? Lhte devint franchement menaant, se redressa face aux deux invits et sadressant au druide, qui ne savait pas quoi dire, il dclara dune voix calme, mais nanmoins mue : _Je vous ai accueillis comme deux honorables voyageurs, je vous ai ouvert ma maison et mon cur et vous semblez vous moquer de nos malheurs et de lhonneur de ma famille ! A moins que vous soyez fous je ne vous pardonnerai pas un tel affront. Avant que je vous attrape par le capuchon et que je vous mette la porte coups de bton je vous prie de quitter sur le champ ma maison et mon village. Au moment o il se levait, leur dsignant avec morgue la sortie on entendit frapper la porte, justement ; les deux hommes se regardaient, peins, esprant encore convaincre lhomme courrouc. _ Ecoutez, je vous assure... bredouillait lAgourram, dsespr pendant que son ami se cachait derrire lui, prt dguerpir. _Pre ! Damya veut absolument te voir ! Damya ! la Sage- femme ! Dcidment cest la journe des visites spciales ! Et avant que lAncien tout tonn ragisse la Sage femme en question entra dans la salle sans plus attendre de permission. Ctait une grande colosse Chleuh, ni plus jeune ni trop vieille, au visage hardi et rigolard, la poitrine conqurante et le tour des hanches imposant qui arrta net lAncien et ses deux invits conduits. Cest un grand jour ! Comme je suis heureuse de vous rencontrer ! Bienvenue vous, mes amis ! Bienvenue aux messagers du ciel ! Oh ! Comme je vous ai attendus ! Et elle serra dans ses larges bras tour tour lAgourram confus et son

ami Anejjam, soulags par ce dnouement inattendu. Aprs ces effusions exubrantes elle sadressa au matre de la maison qui attendait des explications pendant que les autres personnes de la famille, des femmes, des jeunes filles, des jeunes hommes et tout une ribambelle denfants sagglutinaient, curieux, devant la porte du salon. _Alors, Assarou, vieux renard ! Tu ne mas mme pas prvenue de larrive de tes invits ? Tu voulais garder la nouvelle pour toi seul ? _Mais que racontes- tu, oiseau de malheur ? Ce sont deux escrocs ou deux fous que je ne connais pas et qui prtendent que le dieu Anzar en personne les a envoys pour me demander la main de ma fille Tanite ! Te rends- tu compte ? Jallais les renvoyer coups de pieds dans le derrire quand tu as surgie pour men empcher ! Et toute la maisonne poussa un cri de surprise et dindignation, en scrutant les deux bonhommes, puis Tanite qui devint toute rouge et se cachait derrire une autre femme. Damya apaisa alors tout le monde et dclara, extasie : _Assarou, mon ami ! Toujours prt commettre une bavure ! Tu ne te rends mme pas compte que tu nous annonces une grande nouvelle ! Notre village est honor par la visite de ces hommes illustres ! Ta maison et ta famille sont bnies du ciel ! Et elle leur raconta quelle avait vu cette rencontre merveilleuse en songe plusieurs nuits de suite, que ctait un vnement extraordinaire qui allait sauver le peuple des catastrophes climatiques. LAncien ne savait plus quoi dire, les siens restaient bahis et silencieux, quand Tanite avana delle mme vers son grand pre et les deux hommes qui demeuraient discrets. Et devant tout le monde elle annona avec calme ses parents : Ibba, Inna, cela fait longtemps que moi aussi jattends ce jour, car le dieu de la pluie me lavait annonc dans des rves qui me semblaient plus beaux et plus vrais que la ralit ! Il ma dit quil maimait dun amour ternel et quil me dsirait auprs de lui ! Et je lui ai donn mon cur dans une promesse que je lui ai faite en secret. Oh ! Comme je serai heureuse de vivre avec lui ! Le pre Assarou restait fig dincrdulit et de stupeur ; tous le regardaient, attendant un souffle de sa part, mais il ne ragit point. LAgourram, enhardi par le soutien inespr de la jeune fille vint au secours de lAncien, dpass par la situation : Trs estim ami, je navais jamais dsir offenser ni ta confiance ni ton honneur ; je tavais annonc toute la vrit et le destin de tous tient dsormais entre tes mains. Ne dsirant pas perdre la face Assarou dcida alors : Je renvoie la discussion et ma dcision finale pour demain, la mi journe, au plus tard. Il faut en informer lAssemble de la tribu et je prendrai le conseil de la majorit ! Pour linstant, retournez vos occupations ! Il renvoya toute sa famille sauf sa femme et Tanite, ainsi que les deux invits et la Sage- femme.

LAgourram fut mis encore contribution, il dut raconter une nouvelle fois tout ce quil avait vu et entendu dans le Domaine dAnzar et Tanite semblait merveille par les descriptions quil leur faisait et surtout par les paroles que le dieu de la pluie avait dites ! Et le lendemain il y eut foule dans lAssemble, sous le grand olivier de la place publique. Ce fut Damya la Sage- femme, accompagne des deux druides qui ne la quittaient plus qui avait pris la parole dune voix ferme et sonore devant tous les habitants du village . Elle avait dabord prsent la situation conomique dsastreuse du pays, puis elle a invit Agourram donner son tmoignage ; elle demanda ensuite Tanite de parler et de donner sa dcision personnelle devant tout le monde ; quand la jeune fille exprima son accord il y eut des cris de joie et des applaudissements parmi lassistance, alors le pre Assarou ne put que donner son approbation finale. Jeunes et vieux flicitaient tour tour Assarou et sa petite fille et bientt ce fut une liesse gnrale, la dcision des fianailles de Tanite du dieu Anzar fut prise lunanimit. En quelques jours peine, le temps de prparer le voyage de la jeune fille et ses noces extraordinaires la nouvelle se rpandit dans tout le pays, de bouche oreille. Ce furent des journes de liesse et dexcitation dans tous les hameaux, les villages et les cits o lon ne parlait plus que de la Fiance dAnzar, Tislit u- Anzar et tout le monde voulait y mettre du sien, participer de quelque manire que ce fut. Ce fut la Sage femme, conseille par lAgourram et Anejjam qui prit les dcisions adquates et donna le ton lorganisation des clbrations. Ce jour l Tanite tait pare de tous ses bijoux comme il sied la plus belle des fiances ; elle avait pris soin de choisir elle mme ses beaux vtements, ses robes prfres de toutes les couleurs et ses sept rubans dont les nuances douces ressemblaient celles des fleurs de la prairie au Printemps. Tenant une gerbe de bl entre ses mains dcores au henn, chausse de ses hautes bottines bleues, elle avait lapparence dun ange du ciel, juche sur une superbe jument blanche harnache des cuirs les plus beaux, des toffes prcieuses et lon organisa derrire elle une procession joyeuse travers les grandes routes de la contre. La foule suivait, chantant et dansant au son des tambourins, des cloches et des fltes qui emplissaient la campagne dune stridence de fte comme il ny en eut point depuis des gnrations ! Pour personnifier le dieu Anzar la Sage femme et ses confrres menaient la crmonie, ouvrant la procession nuptiale en brandissant de grandes louches leffigie de la Petite Ourse, symbolisant ainsi la prosprit, leau et le char tincelant qui porte le dieu Anzar dans le ciel. Devant chaque maison les matresses du logis apportaient quelque don que lon dposait dans la corbeille des maris, une charrette tire par deux bufs emplie de

victuailles de toutes sortes, de la farine, de lhuile, de la semoule, des lgumes et des pices et ceux qui navaient pas grand chose offrir tenaient apporter un modeste prsent, une jarre deau, une poigne de fves ou de lentilles ou ne fut- ce quun peu de sel, afin dorganiser un grand festin le soir mme, o tout le monde tait convi. Et partout dans la rgion, pendant plusieurs jours, ce ne furent que rjouissances, chants et danses, en lhonneur de Tanite et de son fianc. Mais il arriva ces jours- l que dautres jeunes filles, envieuses du bonheur et de la gloire de Tanite prtendirent effrontment quelles taient, elles aussi les vraies fiances du dieu Anzar ! Elles apparurent ici et l travers le pays, ce qui prta confusion, malgr les protestations de lAgourram et de la Sage femme, mais rien ny fit ; on assista alors la multiplication des fiances et des cortges de mariage, jusqu ce quun prodige survenant du ciel vint mettre fin ce dsordre : un nuage de rose survolait la jument qui portait Tanite et la couvrait de son ombre et de sa fracheur, tandis que des grlons gros comme des ufs sabattirent sur les fausses maries, obligeant les escrocs senfuir pour se cacher de la colre dAnzar et des quolibets de la foule ! Les festivits durrent sept jours, puis il fut convenu que ce serait lAgourram, le Messager du ciel, qui accompagnerait la jeune fille jusqu sa nouvelle demeure, auprs de son divin poux. Pendant que Tanite pleurait en compagnie de sa mre, de ses surs et de ses amis les hommes dressaient leur liste de dolances transmettre aux sommits du ciel et ce fut Anejjam qui transcrivit, sous la dicte dAssarou, les clauses du contrat : Il est convenu que le dieu Anzar, dsormais membre part entire de la famille des Imazighens, prendra le plus grand soin de leur fille Tanite, et quil lui accordera la permission de rendre visite une fois lan au moins sa famille terrestre. Le dieu Anzar veillera galement ce quil ny ait plus ni de scheresses prolonges ni de prcipitations dsastreuses : un juste quilibre dans la rpartition des eaux ainsi quun bon droulement des saisons sera maintenu tout le long de lanne, afin que les rcoltes soient abondantes et que les pturages ne manquent jamais dherbes... Et chacun voulut y mettre du sien : qui dsirait quil ny ait plus de chaleurs excessives, qui voulait quil ny ait plus de neige certains endroits et certaines poques de lanne, qui souhaitait quil ny ait plus que deux saisons au calendrier agricole : un automne pour les labours et un printemps pour les moissons ; certains ont parl de la rgulation des vents, dautres exigrent quil ne pleuve plus que la nuit, la disparition du froid et le bannissement perptuel des vents chauds du dsert et des temptes vers les hautes cimes, do elles ne devraient jamais plus redescendre... Mais lAgourram, Anejjam et la Sage femme taient sages et surent temprer lenthousiasme exagr du peuple : il fut convenu

que ce serait Tanite elle mme qui veillerait au bien tre de la Terre et quelle saurait conseiller et aider son poux. Un beau matin, un long cortge prit la direction dAmerukash. Tanite tait radieuse malgr sa peine de quitter les siens. Toute sa famille la suivait, ainsi que beaucoup de gens qui tenaient laccompagner jusquaux hautes montagnes. Mais seuls lAgourram, Anejjam, Damya et Assarou accompagnrent la jeune fille au del des hautes plaines. Lascension de la Route du ciel fut trs commode cette fois- ci, car le druide se rappelait du raccourci direct que le dieu de la pluie avait amnag pour lui, et de ce fait ils purent monter avec leurs mntures jusquau plus haut promontoire o ils passrent la nuit la belle toile, sans souffrir ni du froid ni du vent. Assarou tenait affectueusement sa fille contre lui tandis que les trois sages attendaient patiemment, en contemplant la majest du ciel. Damya parlait de toiles comme si elle les connaissait une une et elle les nommait, racontait leur histoire Tanite merveille ; elle lui dsigna la Grande Ourse, chariot de la desse Africa, o elle brille avec ses sept enfants : Amourane, lan, en tunique pourpre, Umizar le sombre, Taluth Tazegzawte la bleue, Amegraz le dor, Tafught la verte, Adub le Pacifique, Amerrak le colrique.... Elle lui montra la Constellation dAlegmad, le terrible dragon qui rampe sur ses quatorze anneaux lumineux, la Constellation dAgdid, limmense oiseau qui stire dans le ciel et la splendide Biga qui scintille de mille feux, puis la Constellation des Ihiyaden jouant ternellement une douce musique pour bercer la mlancolie des Plades , les sept filles du dieu Atlas qui supporte le monde sur ses paules... Elle lui nomma tant dautres toiles et dautres astres mais Tanite ntait subjugue que par la Constellation du Petit Chariot, l o elle allait dsormais rsider auprs de son poux dont elle fixait Amanar, lEtoile Polaire, sublime entre toutes, comme un ternel chant damour ! Et bien quheureuse elle avait toujours ce pincement au cur de quitter les siens, dfinitivement. Assarou ressentit la mlancolie de sa fille et lui dit : Ma fille, promets- moi de ne jamais oublier ton peuple ! soisheureuse et noublie pas de nous adresser un signe de l o tu seras. Pre, je te promets que je ne vous oublierai jamais et que je veillerai toujours sur vous ! Je vous fais la promesse de venir vous voir rgulirement, tant que vous ne mavez pas oublie. Je mettrai ma robe de mariage et vous me reconnatrez facilement aux sept rubans de toutes les couleurs que tu mavais offert ! Tous avaient souri ses paroles sauf lAgourram qui ne cessait pas de scruter Amanar qui scintillait l- haut, dans le ciel. Il devint fbrile lorsque ltoile se mit irradier dun clat particulier, comme cette premire fois o il lavait vue ; puis, lorsquelle devint plus blanche

il scria lintention de ses compagnons : Ca y est ! Cest le moment ! Effectivement locan de nuages commena sagiter au dessous deux et les deux colonnes de vapeur se formrent lentement devant leurs regards bahis. Et au milieu le chemin du ciel souvrait, les invitant y pntrer. LAgourram avana rsolument le premier, suivi dAnejjam qui ttonnait, effar dans ce vide cotonneux, en essayant de sagripper chaque fois quil trbuchait , de Damya qui ouvrait de grands yeux, bouche be, les bras ballants, puis de Tanite que son pre serrait contre lui pour la rassurer. Le petit cortge avana sans dire un mot, lentement, jusqu limmense espace de cristal qui se dvoilait peu peu devant eux. Puis ils virent les dmes tincelants, les tours de glace et venant vers eux, toute une foule dtres lumineux qui riaient, chantaient, leur souhaitaient la bienvenue. Ils taient tous stupfaits par le spectacle inconcevable auquel ils assistaient et se laissrent faire docilement quand les cratures de lumire les prirent par les mains et les guidrent vers le grand dme do slevait une musique cristalline. Bienvenue la Fiance dAnzar ! Vive Tanite ! criait la foule qui les attendait lintrieur, leur formants une haie jusquau centre, l o se dressait la fontaine aux jets colors. Le dieu Anzar tait l, devant son trne de diamant et malgr sa majest et sa stature colossale il semblait lui aussi intimid tel un jeune amoureux, enchant daise devant lapparition de sa bien aime. Elle le reconnut immdiatement et elle savana vers lui, lui prit les deux mains et ils se regardrent longuement, en silence, devant lassistance qui les applaudissait. Vas- y, Anzar, ne sois pas timide ! Embrasse ta fiance ! lui lancrent un groupe dangelots. Dautres sifflaient dadmiration et denvie/ Quelle est belle ! Elle est des ntres ! Mais ni Anzar ni Tanite ne semblaient plus faire attention ce qui ce passait autour deux ; ils se contemplaient avec amour, se souriaient tendrement et semblaient tre ailleurs, dans un autre univers o il ny avait plus queux deux. Alors Anzar baissa sa tte vers Tanite comme pour lui dire quelque chose au creux de loreille ; elle lcouta puis lembrassa chastement sur le front et tout coup il irradia dun halo de lumire vive et il prit une taille humaine normale ! Il tait devenu un merveilleux jeune homme, pareil un prince charmant au doux visage souriant, vtu dhabits dors tincelants parsems de pierreries, de joyaux et de rais de lumire tels des clairs qui brillaient sur sa poitrine ! Il prit des mains dune sylphide une couronne de perles et de rose quil dposa dlicatement sur la tte de Tanite. Toute la salle tait mue par les vibrations damour et de tendresse qui se propageaient de ce couple si parfait, si harmonieux et tous se rendirent compte quils taient faits lun pour lautre, quils se

compltaient comme sils ne formaient plus quun seul corps merveilleux. Un discours ! Un discours ! Criait un chrubin qui tapait des mains. Le dieu Anzar se ressaisit de son ravissement puis dune voix mue il sadressa tous : Mes chers amis, je ne peux vous dcrire mon bonheur ! Voici donc Tanite parmi nous, comme nous lavions tant souhait ! Je sais que vous laimez dj comme votre propre sur, et que vous lui accorderez toute la place quelle mrite parmi nous ! Dsormais notre maison commune va vibrer des chants de joie et damour et il y aura enfin quelquun ici qui vous apprendra les bonnes manires ! Je compte sur vous pour la guider dans son nouveau Domaine et pour lui faciliter les tches qui seront siennes... ! Je lui apprendrai ptrir la neige ! Je lui apprendrai tresser la pluie ! Et moi chevaucher les vents ! Je lui montrerai comment tisser les nuages ! Et moi comment allumer les clairs ! Je lui apprendrai faire des colliers de rose ! Et moi parfumer la brise ! Et chacun des petits tres lumineux y allait de son vu, lorsque le dieu Anzar fit un geste de la main pour poursuivre son discours : Je tiens ici tmoigner toute ma reconnaissance pour son pre Assarou qui la accompagne jusquici, en bnissant son choix. Il aura toujours la pluie pour ses champs et ses herbages et aucune calamit ne sabattra sur son pays, tant que les siens vivront en harmonie avec la Nature ! Quant toi, estim Agourram, pour rcompenser ton courage et ton esprit visionnaire, je te nomme Grand Commandeur de lEtoile Polaire et reois en signe de gratitude le don de Dcouvreur de sources et de Faiseur de pluies ! A chaque fois que tu moduleras grce ta flte un air particulier tu auras le pouvoir de faire la pluie et le beau temps ; je sais que tu ne seras pas capricieux comme les tiens et que tu en feras un bon usage ! Et vous, Anejjam et Damya, recevez en remerciements pour votre aide la capacit de comprendre le langage des toiles et de prvoir lavenir dans la course des astres ! Que votre science soit utilise uniquement pour le bien de votre communaut. Voil, je crois que jai dit lessentiel... Et maintenant, place aux festivits ! Les tres de lumire tincelaient, dansaient de bonheur, formaient des farandoles joyeuses et lanaient des perles de rose et des ptales de cristal sur le couple royal qui avanait au milieu de la foule, main dans la main. IL y eut une grande crmonie de mariage et de nombreuses divinits y taient convies, heureuses que le dieu de la pluie soit guri de sa longue mlancolie. Africa fut radieuse, embrassa affectueusement son frre et sa merveilleuse belle sur, quelle promit de combler de tous les prsents. Une pluie bienfaisante et fine tomba sur terre pendant

des jours et des jours et tous les habitants de Tamazgha comprirent que l- haut, dans le ciel, les dieux et les humains staient finalement rconcilis. Bien des jours aprs, lAgourram, ses deux amis et le pre de Tanite quittrent regret le Domaine des dieux et descendirent de la haute montagne vers la plaine rejoindre les leurs. Il avait cess de pleuvoir sur terre et tous aperurent dans le ciel un merveilleux prodige quils navaient jamais vu auparavant : un immense arc de lumire et de couleurs tendres se dploya dans lhorizon clair et tous reconnurent aussitt Tanite et ses sept rubans colors ! Et tous scrirent de bonheur, dans les villages, les cits, les hautes plaines et les collines, partout dans la belle Tamazgha il ny eut plus que cette exclamation de joie : Cest Tanite ! Tislit u- Anzar ! Cest elle ! Elle tait tellement belle et lumineuse, elle semblait leur dire quelle tait heureuse, quelle tait prsente avec eux malgr son loignement et quelle veillerait sur leur pays ternellement !