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IUFM de BOURGOGNE Mémoire professionnel de 2 ème année d’IUFM LA LITTERATURE DE JEUNESSE, UNE OUVERTURE VERS L’EDUCATION A LA CITOYENNETE CARNEIRO CARINE numéro de dossier : 05STA00720 Année 2005/2006 Sous la direction de Madame CLAUSTRE

LA LITTERATURE DE JEUNESSE, UNE OUVERTURE VERS … · IUFM de BOURGOGNE Mémoire professionnel de 2ème année d’IUFM LA LITTERATURE DE JEUNESSE, UNE OUVERTURE VERS L’EDUCATION

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IUFM de BOURGOGNE

Mémoire professionnel de 2ème année d’IUFM

LA LITTERATURE DE JEUNESSE, UNE OUVERTURE VERS L’EDUCATION A LA

CITOYENNETE

CARNEIRO CARINEnuméro de dossier : 05STA00720

Année 2005/2006 Sous la direction de Madame CLAUSTRE

Mes remerciements à Madame Claustre

INTRODUCTION .................................................................................................... p.3

I- PREMIERE PARTIE : La littérature de jeunesse ................... p. 6

1) Les enjeux de la littérature de jeunesse ............................................ p. 7

a) Développer des compétences et des savoir-faire en lecture....p. 7b) Comprendre un texte littéraire ..................................................... p. 8c) Développer une culture littéraire .................................................. p. 9d) L’occupation d’un territoire ............................................................. p. 9e) La littérature, un travail symbolique ............................................. p. 10

2) La lecture littéraire .................................................................................... p. 10

a) Les divers procédés pour assurer la compréhension globale .. p. 111) Le questionnement du texte ................................................ p. 112) Les écrits de travail .............................................................. p. 133) L'illustration ............................................................................ p. 16

b) Assurer la compréhension fine au travers de la lecture de passages – clefs ............................................................................ p. 20

3) Le débat littéraire ...................................................................................... p. 25

a) Les principes méthodologiques ....................................................... p. 26b) À partir du résumé ............................................................................ p. 27c) À partir du titre ................................................................................. p. 28d) À partir d’un événement dans l’histoire ........................................ p. 28

4) Imaginer une suite possible ...................................................................... p. 29

5) Familiarisation avec le monde de l’édition ........................................... p. 31

a) Comparaison de deux éditions ......................................................... p. 31b) La préférence d’une édition à une autre ....................................... p. 32

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SOMMAIRE

6) La mise en réseau ........................................................................................ p. 32

a) Petit - Gris de Elzbieta ..................................................................... p. 33b) Les fables de La Fontaine, « Le Loup et le Renard » ................. p. 35

II- DEUXIEME PARTIE : L'éducation civique à partir de la littérature de jeunesse ....................................................................................... p. 36

1) Les programmes de 2002 .......................................................................... p. 37

2) Pourquoi à partir de la littérature de jeunesse ? ............................ p. 39

a) Du débat littéraire à la mise en place du débat en éducation civique ................................................................................. p. 39

b) Une approche littéraire pour une meilleure appropriation ....... p. 40

3) Le débat en éducation civique .................................................................. p. 41

a) Le débat dans les programmes ........................................................ p. 41 b) Sa mise en place ................................................................................. p. 43c) Son déroulement ................................................................................. p. 44

4) Le rôle de l’éducation civique ................................................................... p. 46

a) Les finalités de l’éducation civique à l’école ................................. p. 46b) Acquérir des notions civiques et historiques ............................... p. 47

c) Devenir et se sentir citoyen à part entière ................................. p. 53

CONCLUSION ............................................................................................................ p.56

BIBLIOGRAPHIE ...................................................................................................... p. 58

ANNEXES

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Depuis 2002, la littérature de jeunesse fait partie des programmes à l’école primaire. Elle a acquis un statut non négligeable car elle est une ouverture vers l’interdisciplinarité comme par exemple : l’éducation à la citoyenneté. J’ai donc choisi de centrer mon mémoire sur deux points essentiels: le débat et la culture. Voici ce que préconisent les programmes de 2002 à propos du débat :

« Au-delà de cette obligation de faire lire régulièrement les élèves, c’est une imprégnation culturelle qui est visée. (…) Il faut qu’ils lisent et lisent encore. De ces lectures communes peuvent se développer dans l’école des débats sur les grands problèmes abordés par les écrivains, comme sur l’émotion tant esthétique que morale qu’ils offrent à leurs lecteurs. C’est sur la base des mêmes lectures que les enfants découvrent le plaisir de lire les textes qui les ont marqués ou de prolonger dans des tentatives d’écriture le plaisir qu’ils ont eu à les fréquenter. » (Extrait des programmes dans le champ disciplinaire « littérature (dire, lire, écrire)).

Le débat, à la fois littéraire et civique est alors possible grâce aux différentes interprétations que les élèves proposent à partir d’un album.

« Au-delà, il est tout aussi important de conduire les élèves à une attitude interprétative : le sens d’un texte littéraire n’est jamais totalement donné, il laisse une place importante à l’intervention personnelle du lecteur. C’est par le débat sur le texte entendu, qu les diverses interprétations peuvent être comparées. Elles doivent aussi être évaluées en revenant au texte lui- même de manière à contrôler qu’elles restent compatibles avec celui-ci. » (Programmes de 2002, Comprendre des textes, cycle 2).

En effet, chaque lecture, après un travail de compréhension et d’interprétation, tend vers l’expression de ses sentiments vis-à-vis de l’histoire étudiée et pose ainsi des questions qui deviennent des thèmes de débat. Cela montre clairement le lien que les programmes établissent entre la littérature de jeunesse et l’éducation civique dans le cadre de débats. En effet la littérature propose aux élèves des sujets qui peuvent faire l’objet de discussions qui les amènent à s’exprimer sur ce que l’auteur a voulu montrer.

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Introduction

En plus des débats, la littérature de jeunesse tend à une acculturation des élèves. Elle est l’occasion d’acquérir des connaissances sur le monde, les hommes pour faire le lien avec des situations réelles. Il m’a semblé alors intéressant de faire découvrir aux élèves des sujets liés à l’éducation à la citoyenneté au travers de la lecture d’album traitant des thèmes d’actualité : la différence, la tolérance, la pauvreté…

« L’appropriation des œuvres littéraires appelle un travail sur le sens. Elle interroge les histoires personnelles, les sensibilités, les connaissances sur le monde, les références culturelles, les expériences des lecteurs. Elle crée l’opportunité d’échanger ses impressions sur les émotions ressenties, d’élaborer des jugements esthétiques, éthiques, philosophiques et de remettre en cause des préjugés (…) d’interroger les valeurs qui organisent la vie et lui donnent une signification. » (Documents d’application « Littérature au cycle 3).

Voici ce que conseillent les programmes de 2002 au sujet d’une des multiples facettes de la littérature de jeunesse. Cette dernière permet le développement d’une culture commune par la construction du sens car :

« A l’école primaire, la littérature est simplement considérée comme un ensemble de textes, dont la qualité littéraire ne fait aucun doute et que l’on s’approprie en les lisant. Cette lecture doit être suffisamment approfondie pour que l’élève garde la mémoire de ce qu’il a lu et puisse en faire une référence de ses lectures ultérieures. » (Documents d’application « Littérature au cycle 3).

Alors, la rencontre d’œuvres littéraires permet alors :

« Une culture littéraire (qui) se construit par la fréquentation régulière des œuvres. Elle suppose une mémoire des textes, mais aussi de leur langue, une capacité à retrouver, chaque fois qu’on lit, les résonances qui relient les œuvres entre elles. Elle est un réseau de références autour desquelles s’agrègent les nouvelles lectures. » (Documents d’application « Littérature au cycle 3)

J’ai voulu mettre en œuvre ces idées lors de mes stages durant l’année de formation à l’IUFM. Pendant mon stage de pratique accompagnée, j’ai proposé aux enfants de cycle 2 (CP) des activités de littérature de jeunesse autour de Bélisaire de Dorémüs. Puis pendant mes trois semaines de stage en responsabilité, j’ai choisi d’exploiter deux œuvres de littérature de jeunesse à savoir L’île aux lapins de Jörg Müller et Jörg Steiner (édition Duculot) et Petit- Gris de Elzbieta (édition Pastel).

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Mais alors comment mettre en place des activités autour de l’éducation à la citoyenneté au travers d’albums de littérature de jeunesse ? De quelle manière construire de futurs citoyens à partir de la littérature de jeunesse ?

Telles sont les questions auxquelles j’ai tenté de répondre tout au long de mon mémoire.

Il se décline en deux parties, chacune d’elles traitant de mes pratiques pédagogiques dans chacun des thèmes de mon projet : la littérature de jeunesse et l’éducation à la citoyenneté.

Je me suis tout d’abord penchée sur l’exploitation de différents albums de littérature de jeunesse avec les élèves. La finalité était de permettre aux élèves découvrir unalbum à partir de multiples entrées pour approfondir leurs connaissances sur cedernier. Cela permettait ensuite d’établir des échanges oraux à partir des sujets traités dans l’album.Enfin, dans une deuxième partie, je me suis particulièrement intéressée à l’exploitation de l’éducation civique à partir de la littérature de jeunesse, avec les élèves, en proposant différentes activités autour de ces deux thèmes. Cela a permis de prendre conscience de la passerelle qui existe entre la littérature et l’éducation à la citoyenneté.

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Première partie :

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La littérature de jeunesse

1) Les enjeux de la littérature de jeunesse à l’école primaire :

a) Développer des compétences et des savoir- faire en lecture :

L’élève se voit endosser plusieurs rôles à la fois pour pouvoir comprendre le sens d’un ouvrage. La lecture littéraire suppose de faire appel tant à des compétences cognitives qu’à des compétences d’ordre culturel. L’enseignant doit familiariser ses élèves à adopter ce genre d’attitude vis-à-vis d’un texte littéraire. Il doit comprendre que le propre du récit littéraire est d’être un récit lacunaire. Il ne suffit pas de savoir déchiffrer les mots pour comprendre le sens d’un texte. A lui de faire des inférences pour cerner le sens du texte. Voici les règles à respecter que Catherine Tauveron a listées :

« Le texte littéraire attend de son lecteur qu’il œuvre à sa complétude ». Il exige de son lecteur d’incarner le rôle de détective qui cherche et regroupe les indices que l’auteur a volontairement éparpillés. De plus à cela s’ajoute le rôle d’orpailleur qui « découvrant un petit grumeau de sens, creuse à nouveau pour voir si la pépite ne s’étend pas en filon. » (Italo Calvino)

il n’existe pas qu’une seule interprétation. Pour peu qu’elle soit argumentée, explicitée, la pluralité d’interprétation est possible.

L’élève se voit également jouer le rôle « d’archéologue » car il est invité à créer des inférences, à faire appel à sa mémoire de textes pour réussir à mettre en résonance ses lectures antérieures avec l’ouvrage étudié dans le présent.

Finalement l’élève doit se transformer en « tisserand » pour percevoir les idées implicites que cachent chaque mot, chaque évènement intervenant dans le texte littéraire.

Voici les stratégies de lecture à acquérir, pour dépasser la littéralité du texte et voyager en profondeur dans chaque recoin du livre pour découvrir le ou les sens de ce dernier. Ces stratégies devraient être mises en place dès l’école maternelle.

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b) Comprendre un texte littéraire

pour donner le goût de lire :

A l’acquisition de ces stratégies expliquées ci- dessus (débusquer les effets de sens, mobiliser sa culture antérieure et sa culture du monde) doit se greffer l’apprentissage de la compréhension. Bon nombre d’enfants savent lire un texte sans pour autant résumer ce qu’il a lu. Or l’adjonction de la compréhension fine à la compréhension littérale peut permettre de pallier ce problème. Le goût de lire naît à ce moment- là. Il faut que s’opère la magie du livre pour donner le plaisir esthétique et culturel au lecteur.

Par exemple, un enfant qui ne ferait que déchiffrer La pêche à la sirène de Elzbieta (édition Pastel) ne pourrait pas saisir toute la poésie de ce livre. Il ne prendrait pas conscience de la douce amitié naissante entre le jeune garçon Fanch et la petite fille.

pour faire grandir les enfants :

La fréquentation d’œuvres littéraires permet à l’élève de s’identifier à travers la personnalité d’un personnage, ou à partir de ce qu’il vit. Faire vivre imaginairement un personnage grâce à la lecture peut amener l’enfant à prendre conscience d’un trait de sa personnalité qui était caché en lui. Le livre se présente donc comme un révélateur de la personne. La littérature ouvre l’enfant à d’autres mondes et l’aide en quelque sorte à grandir en lui faisant découvrir une pluralité d’éléments (des personnes, des caractères, des pays, des valeurs civiques).

Par exemple, dans Moi je déteste, maman adore de Elisabeth Brami et Lionel le Néouanic (éditions Seuil jeunesse), l’enfant peut se rendre compte pendant la lecture que le personnage du petit garçon ressent les mêmes émotions que lui vis- à- vis du regard que pose leur maman sur eux. Se créées alors des affinités entre l’élève et ce personnage de papier. Ils ont des impressions similaires comme le sentiment de honte quand la maman les infantilise devant leur camarade, le sentiment de colère quand elle prépare des légumes pour le dîner…

pour informer les enfants sur le monde environnant :

La littérature de jeunesse aborde des problèmes d’actualité que l’élève peut avoir à vivre à court ou long terme. Elle a donc pour objectif de l’informer, de le prévenir, de mettre un mot sur une situation et de lui donner des solutions. Le tout en laissant le libre choix au lecteur. Cette ouverture aux réalités sociales donne à la littérature une autre facette : celle de l’information. Les auteurs ne se satisfont plus de donner du plaisir à leurs lecteurs, ils leur suggèrent un message aussi. Au lecteur de le capter pour en faire l’usage qu’il souhaite.

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C’est le cas pour l’ouvrage Flon- Flon et Musette de Elzbieta (édition Pastel) qui raconte l’histoire de deux enfants d’origine différente qui sont liés par une grande amitié. Malheureusement, la guerre éclate entre le pays d’où vient Musette et celui de Flon- Flon. Ils se retrouvent séparés. Mais ils réussiront à se retrouver une fois la guerre terminée. C’est une grande réflexion sur la guerre vue par les enfants et expliquée par les adultes. « Il faut faire attention de ne pas réveiller la guerre », disent les parents ; « est-ce que je faisais trop de bruit avec Musette ? » demande alors le jeune garçon. L’élève qui lit cet album, va pouvoir prendre conscience de l’injustice de la guerre qui sépare des êtres humains car leur pays d’origine entre en conflit.

c) Développer une culture littéraire:

« Depuis plus de deux siècles, la littérature adressée aux enfants est riche de chefs- d’œuvre. » (Documents d’application « littérature au cycle 3).

Les contacts fréquents avec ces textes vont permettre à l’élève de se constituer une petite « bibliothèque » littéraire qu’il enrichira d’année en année. La mise en réseau des textes est un moyen de mettre en mémoire plus facilement les ouvrages lus. Le véritable lecteur sera donc celui qui ira puiser dans sa mémoire des éléments tirés de ces derniers.

d) L’occupation d’un territoire :

Un texte littéraire est une aire de jeu, comme le dit Tauveron. A l’élève d’occuper le texte, de s’investir pour pouvoir communiquer avec le sens de ce dernier. Cela suppose que le lecteur fasse appel à sa culture antérieure pour qu’en retour le texte littéraire fasse don de lui au lecteur. La lecture exige du lecteur « un acte d’appropriation » car « lire, c’est prendre, ce qui n’est pas un geste simple ». C’est prendre comme demeure le texte et s’y promener en faisant des va et vient. On peut donc résumer cet acte comme une conquête « amoureuse » du lecteur d’un « texte complice », comme le souligne Tauveron. L’élève doit investir cette aire de jeux, jouer avec ses éléments, repérer les silences, les allusions.

Prenons l’exemple avec Le petit homme de fromage et autres contes, de Scieszka Jon, Smith Lane (Seuil jeunesse, Paris, 1995) à partir duquel après discussion des différents termes évoqués dans ce livre comme la première de couverture, la page de garde…, les élèves peuvent alors devenir complice avec le petit lutin qui tourne volontairement à l’envers la page de garde pour attirer l’attention.

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e) la littérature, un travail symbolique :

Le lecteur se doit de faire le lien entre ce que vit un être de papier à la réalité. Il doit joindre le monde fictif au monde réel pour l’éclairer sur des situations qu’il peut être amenées à vivre. Il est amené à symboliser ce qu’il lit et à l’adapter à l’universalité. C’est le cas pour les trois œuvres que j’ai choisi pour mon projet. Les élèves doivent saisir les idées sous- jacentes comme pour Bélisaire l’acceptation de la différence, pour L’île aux lapins le respect du choix de l’autre…

Je vais à présent présenter les différentes activités que j’ai choisies de mettre en place durant mes deux premiers stages en responsabilité autour de la littérature de jeunesse.

2) La lecture littéraire :

J’ai mis en place différents ateliers autour de la lecture littéraire pour permettre aux élèves de se familiariser et de se sentir le plus proche possible des œuvres que je leur ai proposées : L’île aux lapins pour les cycles 3 et Bélisaire pour les CP. J’ai choisi ces albums car, même si en apparence ils semblent faciles d’accès, ils offrent des points de résistances permettant des échanges. De plus les sujets traités me paraissent intéressants à travailler avec les élèves de fait de leur actualité. Pour mon premier stage en responsabilité, j’avais volontairement divisée la classe en deux groupes pour travailler dans de meilleures conditions autant pour l’écoute de l’histoire que pour les activités qui allaient en découler.

L’île aux lapins:

Pour chaque groupe d’enfants, j’ai choisi de procéder à une lecture complète de l’œuvre du premier livre en ayant pris soin auparavant de cacher la première de couverture pour laisser aux enfants l’occasion de trouver un titre à l’histoire de ce livre. Pendant toute ma lecture, je n’ai montré à aucun moment les illustrations car cela allait faire l’objet d’un travail futur. Les élèves étaient assis en demi-cercle devant moi.

Tout d’abord j’ai présenté le livre en donnant le titre du livre et son auteur.

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Bélisaire :

Avec mes 25 élèves de CP qui étaient assis dans le coin lecture en demi- cercle en face de moi, j’ai procédé en premier lieu à une lecture experte de l’album qui consiste pour le maître à avoir une connaissance approfondie du livre qu’il va présenter à sa classe pour pouvoir poser lui-même des questions de compréhension. Cela suppose également qu’il ait lu en profondeur l’ouvrage de sorte à mettre le ton approprié, à mettre l’accent sur des passages importants en jouant avec sa voix.

J’ai choisi la démarche de lecture avec découverte progressive qui consiste à lire, par exemple, une double page, et leur poser des questions sur ce qui vient d’être lu. Deux raisons justifient mon choix : d’abord, cela permet d’assurer la compréhension du texte, de lever le voile sur tout problème (vocabulaire, compréhension erronée…), et deuxièmement de laisser un brin de suspens en faisant imaginer aux élèves ce que pourrait être la suite. C’est pour cela que, contrairement à L’île aux lapins, à chaque double page, je demandais aux enfants de résumer ce qu’ils avaient compris car les élèves de CP ont plus de mal mémoriser les éléments importants et se dégager de ceux qui sont superflus dans l’histoire. Le fait de les questionner assez souvent leur permettait de garder en mémoire les évènements majeurs pour pouvoir ensuite en discuter. Attendre la fin de l’histoire pour leur demander de résumer m’aurait semblé être un travail difficile pour des élèves de début de CP.

Dans un second temps, les élèves ont découvert les illustrations de l’album. Il fallait déjà qu’ils saisissent la trame de l’histoire, qu’ils l’aient bien en tête pour pouvoir ensuite observer les images, qui sont complémentaires au contenu du texte, et qui permettent de mieux comprendre et de visualiser manière plus claire la réaction des villageois, à quoi ressemble Bélisaire... De plus, comme les illustrations donnaient des informations supplémentaires par rapport au texte, il état plus judicieux de les travailler en deux temps car les élèves auraient été parasités par cette « masse » d’éléments informatifs.

a) Les divers procédés pour assurer la compréhension globale :

1) le questionnement :

C’est ce que préconisent les programmes de 2002 :

« L’une des manières les plus efficaces est de progresser dans le texte en demandant aux enfants de rappeler ce qui vient d’être lu (…). Les phases de rappel permettent de contrôler les passages oubliés, de vérifier les passages déformés. Tout oubli ou toute erreur de compréhension doivent être repris grâce à une discussion collective. » (Documents d’application).

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L’île aux lapins :

Après lecture complète du livre, j’ai demandé aux élèves du groupe s’ils éprouvaient des difficultés de compréhension qui pourraient nuire aux travaux qui allaient être mis en place dans les séances à venir. Je leur ai ensuite posé quelques questions de compréhension d’ordre général comme : « De quoi parle le livre ? », « Qui sont les personnages principaux ? ». La majorité des réponses étaient correctes, les élèves avaient compris que le livre narrait l’histoire de deux lapins, Petit Brun et Grand Gris, qui s’étaient échappés de l’usine pour retrouver les joies de la nature et de la liberté. Malheureusement le plus vieux des lapins ne prenait plus goût à vivre dans la nature et décidait donc de repartir dans l’usine où il se sentait plus en sécurité et où il serait sûr d’avoir de la nourriture à volonté ainsi qu’un abris assuré. Seuls certains enfants n’avaient retenu que le début de l’histoire et ne s’étaient pas concentrés sur la suite.

Pour Bélisaire, j’ai procédé de la même manière en insistant sur le sens de l’écrit. Pour cela, je vérifiais la compréhension des élèves par un retour après ma lecture à voix haute (environ à toutes les deux pages) sur ce que les élèves pensaient avoir compris. Il n’y a pas eu de problèmes de compréhension, l’histoire semblait claire aux yeux des enfants. Certains d’entre eux ont été gênés par le système narratif à la première personne. En effet ils m’ont demandé si c’était moi qui racontais mon histoire. Il a donc fallu que je leur explique que l’histoire était contée par le petit garçon découvert dans la première page.

J’ai continué ma lecture des deux pages suivantes. De la même manière, les enfants ont redit dans leurs propres mots ce qu’ils avaient compris, ont décrit les images. Le but était qu’ils s’approprient correctement l’histoire pour pouvoir ensuite discuter de son contenu et du sort réservé à Bélisaire.

Lorsque Bélisaire est apparu en tigre devant les spectateurs, je leur ai demandé ce qu’ils avaient compris. Parmi leurs réponses, j’ai mis l’accent sur celle d’un élève qui a dit que Bélisaire avait fait peur aux villageois et qu’ils étaient partis chez eux.

Pour bien leur faire comprendre la trame de l’histoire, j’ai résumé en ces termes : à la page précédente Bélisaire conte une histoire déguisé en humain, il fait rire les villageois, par contre à la page suivante il conte une histoire pas déguisé (donc il ressemble à un tigre), il leur fait peur. Les élèves ont compris que la raison pour laquelle les habitants étaient effrayés était que Bélisaire ressemblait à un animal sauvage. Ils ne comprenaient pas vraiment pourquoi les hommes avaient réagi ainsi dans la mesure où Bélisaire était gentil et ne leur avait fait aucun mal.

Une fois l’album découvert, les élèves se sont exprimés sur leur impression générale du livre. Unanimement, ils étaient d’accord pour dire que l’histoire se finissait bien car Bélisaire avait été relâché grâce aux enfants, qu’il avait repris son métier de boulanger le jour et de conteur la nuit.

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Voici quelques unes de leurs réponses :

– C’est une belle histoire, même si Bélisaire a été triste quand il était en cage.

– Moi, j’ai bien aimé l’histoire parce que Bélisaire est heureux à la fin et il a retrouvé ses amis et son travail.

– Moi, j’aime beaucoup l’histoire, les enfants ont sauvé le tigre et ils ont montré aux parents que le tigre n’était pas méchant même si c’était un tigre.

– Moi j’ai beaucoup aimé le livre parce que Bélisaire est gentil, et les villageois l’ont accepté.

– Moi j’ai bien aimé l’histoire. Mais j’étais triste quand Bélisaire est allé en prison parce qu’il n’avait rien fait. C’est pas lui qui est méchant, c’est les villageois. C’est eux qui devraient être en prison.

– Moi aussi je suis d’accord, c’est pas parce qu’on n’est pas pareil qu’on est méchant.

Les enfants sont vites rentrés dans le jeu. Ils n’ont pas eu de mal à s’exprimer. Peut- être, aurais-je dû lire une deuxième fois l’album pour qu’ils aient une lecture continue de l’histoire. Je me suis rendue compte que résumer au fur et à mesure l’histoire au fil des pages leur demandait un effort de concentration et de mémoire assez important. Mais dans l’ensemble, je suis restée satisfaite de cette activité de découverte et de discussion à partir du livre.

2) Les écrits de travail :

Selon Catherine Tauveron, l’écriture est un des moyens pour construire la compréhension ou l’interprétation. Elle dit : « Les écrits sont conçus comme des écrits de travail, transitoires et éphémères, au service de l’élaboration de la pensée. ( Claustre Daniel, Dormoy Denis, Tauveron Catherine. Lire la littérature à l’école. Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? de la GS au CM, Hatier Pédagogie, 2002).

Les écrits de travail permettent donc aux enfants de mettre en mot leur pensée. Ils ont un caractère fonctionnel, dans le sens où ils sont au service du débat et ils se trouvent inclus dans la progression des idées dans la classe. Ces écrits jouent donc plusieurs rôles :

– ces derniers peuvent amener les élèves à un débat, à des « conflits cognitifs ». Les enfants sont amenés à reformuler à l’écrit ce qu’ils ont retenu de la première lecture de l’histoire, puis ils échangent et mettent en discussion leurs idées. Cette reformulation synthétique, selon Tauveron,

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pousse les élèves à organiser sa pensée de manière logique afin de retrouver les éléments essentiels de l’histoire. De plus, l’échange de ces reformulations entre élèves, permet de mettre en évidence qu’il existe une pluralité d’interprétations.

– ils peuvent aussi permettre à l’élève de voir l’évolution de ses écrits (sa pensée antérieure à sa pensée actuelle par rapport aux idées du livre). (Vérin, Mettre par écrit ses idées pour les faire évoluer en sciences, dans Repères n°12, Paris, p 21- 36).

Ainsi, nous pouvons en conclure que les écrits de travail permettent aux élèves de s’exprimer sur leurs premières impressions de lecture dans le but de mettre en lumière leurs erreurs de compréhension.

J’ai donc choisi de mettre en place différentes activités autour des écrits de travail pour que les élèves se sentent comme participants à l’élaboration de la compréhension du livre.

Faire un résumé :

L’île aux lapins :

Je leur ai ensuite distribué à chacun une feuille de brouillon sur laquelle ils devaient individuellement écrire ce qu’ils avaient compris et retenu du livre, tout cela en cinq lignes maximum (voir annexes 5 et 6). Au bout de quelques minutes, les élèves sont revenu en demi-cercle et, chacun à leur tour, ont lu leur petit résumé à haute voix. Le but de ce travail était que les enfants dégagent les idées principales que l’auteur avait mis en avant dans son livre à savoir : l’opposition entre l’enfermement représenté par la cage et la liberté à travers la nature. Voici certaines de leurs idées:

– les lapins vont à la recherche des autres lapins qui ont disparu.

– Grand Gris voudrait retourner chez lui.

– Grand Gris veut retourner dans son monde parce qu’il ne trouve pas sa nourriture habituelle.

– les lapins se sont enfuis de l’usine et ont essayé de trouver le gros lapin blanc. Les lapins sont transportés dans une cage sûrement pour être tués ensuite.

– Grand Gris ne voulait pas s’échapper mais il n’a pas voulu le montrer à Petit Gris, il est donc parti avec lui.

– C’est l’histoire de deux lapins en cage. Ils arrivent à se libérer de leur prison de bois et s’échappent dans la nature.

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Le but était non seulement de voir ce que les élèves avaient retenu de l’histoire mais aussi qu’ils sachent défendre leurs idées si un camarade n’était pas d’accord avec eux. Pour cela, ils devaient être le plus précis dans leurs paroles.

Trouver un titre :

L’île aux lapins :

Vient ensuite le moment où je leur ai demandé de réfléchir à un titre. J’avais pour volonté de tester leur imagination mais aussi leur degré de prise en compte des éléments les plus importants de l’histoire (voir annexes 5 et 6). Voici quelques exemples :

– «L’usine et les deux lapins »

– « Petit Brun et Grand Gris » (titre choisi par beaucoup d’élèves)

– « La mort ou la vie »

– « Libre ou enfermé »

– « Question de vie quotidienne »

– « La séparation des lapins »

– « Les deux petits lapins en liberté »

– « Les lapins s’évadent »

– « Petit Brun libre, Grand Gris à la fabrique »

– « La fabrique aux lapins »

Il est intéressant de voir à quel point les élèves sont capables de synthétiser l’histoire et de lui donner un titre. J’ai été très surprise par trois titres qui se différencient des autres à savoir : « question de vie quotidienne », « libre ou enfermé » et « la mort ou la vie ». Cela permet de mettre en évidence les différences qui existent entre des élèves d’un même niveau. Bien que les autres titres étaient tout à fait corrects, il est évident que ces trois-là décrivaient clairement l’histoire, et les idées que l’auteur avait voulu mettre en avant. Ces élèves avaient été plus loin dans leur réflexion et ne s’étaient pas arrêtés aux idées premières du livre comme dans certains titres « Petit Brun et Grand Gris » bien qu’ils soient acceptables. Cela demandait de la part des élèves un travail d’interprétation et de repérages des valeurs véhiculées par le récit. Les élèves étaient impatients de voir si leur titre correspondait à celui choisi par l’auteur. La recherche d’un titre est un travail agréable pour les élèves car ils se sentent à la place de l’auteur. Et ils sont d’autant plus fiers de l’exposer à leurs camarades, pensant qu’ils ont trouvé le vrai titre. C’est un petit exercice de réflexion et d’écriture qui, dans un sens, responsabilise les enfants dans le sens où ils ont comme mission de trouver la suite de mots qui colle le

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plus à l’histoire du livre.

Suite à l’exploitation des titres de chaque élève, j’ai enlevé le cache de la couverture pour leur montrer le titre originel. Ils ont tous été très surpris de découvrir que le titre était l’île aux lapins. Nous avons discuté sur ce titre pour essayer de comprendre ce que l’auteur avait caché derrière. Pour eux, ce dernier avait voulu laisser une part de mystère et ne pas dévoiler, d’emblée dans la première de couverture, l’histoire et le thème général. C’est le principe- même du récit littéraire. Comme le dit Tauveron, le récit littéraire est un récit lacunaire (voir 2) les enjeux de la littérature de jeunesse à l’école primaire, dans « développer des compétences et des savoir- faire en lecture »). Les élèves pensent souvent que comprendre un texte, c’est savoir lire les mots. Or, le sens du texte ne jaillit seulement que lorsqu’ils sont capables de faire des inférences. A eux de prendre conscience que le texte littéraire est un monde incomplet, contrairement au texte historique. C’est au lecteur de combler les lacunes, et donc d’imaginer autour d’un mot tout le panel d’idées implicites qui sont volontairement cachées.

Cela dépend donc de la subjectivité de chacun, et du degré de fréquentation des textes par les élèves. Dans l’activité proposée, les élèves avaient bien perçu que le livre était entouré de mystère. En effet l’histoire laissait envisager un autre titre que L’île aux lapins. Le récit littéraire est lacunaire stratégiquement. L’auteur peut avoir mis volontairement des énigmes (ici un titre lacunaire) qui visent à perdre le lecteur pour exercer sa sagacité. Ici il avait donné un titre à son album qui ne laissait pas envisager une telle histoire. Au lecteur de s’appuyer sur le contexte, sur les vides pour les compléter. Les élèves ont donc compris qu’un récit littéraire est volontairement ambigu. Il organise la confusion. Comme le souligne Ponti, il y a tout un tas de petites portes que le lecteur doit ouvrir tant au niveau des textes que des illustrations.

3) L’illustration:

Elle est un aspect essentiel du livre en littérature de jeunesse. Selon les documents d’application dans « Littérature au cycle 3 » :

« Elle participe largement, aux côtés de la mise en texte, à la proposition d’interprétation que l’éditeur donne de l’œuvre. (…) C’est donc bien l’ensemble texte/images qui, le plus souvent, doit être compris et interprété. »

De plus, il faut sensibiliser les enfants à prendre conscience des relations entre texte et images comme les effets de redondance, de complémentarité, de juxtaposition ou de divergences.

L’île aux lapins et Bélisaire sont deux ouvrages qui sont très riches au niveau des

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illustrations. Il m’a semblé intéressant de montrer aux élèves le rôle des illustrations par rapport au texte.

Observation des illustrations :

L’île aux lapins :

Ensuite, j’ai décidé de relire l’histoire pour que les élèves s’imprègnent à nouveau du récit, avec un changement : j’allais leur faire découvrir en même temps les images. Un grand cri de joie s’est fait entendre lorsque je le leur ai annoncé. Leur curiosité ne pouvait plus attendre, ils étaient impatients de voir à quoi ressemblaient ces deux lapins et la fabrique. Je leur ai demandé d’être particulièrement attentifs aux illustrations et à la manière dont elles étaient agencées et construites. Le travail sur le regard est très important en littérature quand les albums le permettent. La lecture des images permet de mettre en relation le texte et les illustrations. Dans L’île aux lapins, il était évident que les illustrations renchérissaient l’idée de prison. A l’inverse, les scènes qui se déroulaient dans la nature étaient plus gaies. Je leur ai demandé ce qu’ils observaient tout en les guidant par des questions. Voici quelques-unes de leurs réponses :

– « Dans la fabrique, les images sont sombres, tristes. »

– « On ne voit que des cages. »

– « Il n’y a pas le prénom des lapins, il y a des chiffres. » (j’ai demandé à l’élève ce que cela signifiait. Elle a répondu que c’était anonyme.)

Après les avoir incité à bien observer les deux pages où l’on voyait une succession d’images rectangulaires qui mettaient en scène les deux lapins, je leur ai demandé à quoi cela leur faisait-il penser ? Ils ont répondu :

– « A des cages, à des prisons. »

– « Tout est droit, enfermé comme dans une prison. »

A ce moment-là, je leur ai demandé de résumer ce qu’on venait de voir. Ils avaient compris que dans les illustrations, l’auteur avait voulu montrer l’idée de prison, d’enfermement à travers des images rectangulaires, droites comme des cages. Puis je leur montrai la page où l‘on voyait les deux lapins sortir de la bouche d’aération et celle où l’on voyait un champ d’herbe et la fabrique de l’extérieur. Tous ont été d’accord pour dire que ces deux pages étaient différentes dans le sens où l’une montre une succession de petites images qui font penser à la prison, tandis que l’illustration suivante prenait toute la page et montrait la nature. Les élèves, à la découverte de la suite des illustrations, ont remarqué que les couleurs étaient plus

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gaies (symbole de la nature et de la liberté), que les lapins avaient l’air heureux, qu’on voyait beaucoup de paysages représentant la nature (arbres, herbe, ruisseau, fleurs). Ils en ont conclu que les lapins vivaient dans la nature et qu’ils étaient libres. Puis dans les dernières pages, ils ont remarqué qu’il y avait un immeuble de dessiné. Je n’ai pas eu à poser la question de la raison de sa présence. Certains élèves ont vu la ressemblance entre les cages de la fabrique et cet immeuble gris, froid avec comme des sortes de petites cages en guise de fenêtres. C’est bien pour cela que les deux lapins avaient pris cette habitation pour la fabrique. Je ne leur ai pas volontairement montré la dernière image car je voulais travailler dessus plus tard. J’ai demandé aux élèves d’extraire les idées qui transparaissaient au travers des illustrations. Ils ont répondu que les images montraient les cages donc l’enfermement d’un côté alors que de l’autre côté il était question de la nature donc de la liberté.

Bélisaire :

Les illustrations jouent un rôle très important dans cet ouvrage. Je pense qu’il est nécessaire de les prendre en compte car Dorémus apporte de nouvelles informations par les images. Ainsi ces dernières jouent le rôle de complément vis-à-vis de l’écrit.

Finalement c’est très enrichissant de travailler sur l’image car elle permet d’affiner le regard de l’élève, de lui faire percevoir des éléments nouveaux ou implicites et de lui prouver que l’auteur a volontairement choisi telle illustration pour une raison précise. Par exemple, on peut faire prendre conscience aux enfants que la couleur de fond peut inférer l’idée d’ambiance plus ou moins gaie (le rose est synonyme de gaîté, de joie mais le bleu foncé traduit l’idée de peur, de danger).

Une fois la lecture experte achevée, nous avons débuté par la découverte de la première de couverture. Je leur ai demandé ce qu’ils observaient sur cette image. Tous ont été amusés par la moustache que portait Bélisaire, comme s’il voulait ressembler à une personne, selon un enfant.

Les élèves ont ensuite été amenés à décrire les illustrations, à dire ce qu’ils pensaient des couleurs utilisées par l’auteur. J’ai été particulièrement surprise par les réponses des enfants qui n’ont pas tardés à remarquer que le fait que l’image soit rose donnait une sensation de beau, de joyeux, ce qui était en accord avec le visage de chaque personnage. Voyant que le tigre soit habillé ne les dérangeait pas, je leur ai demandé de me décrire précisément Bélisaire. Ils m’ont répondu qu’il était content car il souriait, qu’il vendait du pain. J’ai précisé ma question en leur demandant de bien regarder ce qu’il portait sur lui. Ils ont enfin observé qu’il était vêtu d’une blouse de boulanger, mais ce qui m’a étonné c’est que cela leur paraissait banal de voir un tigre habillé de cette manière. Je leur donc demandé s’il était naturel de rencontrer un tigre de ce genre. Ils ont dit « non ».

C’était très intéressant de regarder les visages des élèves quand je leur montrais les

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illustrations. Ils étaient comme émerveillés par les couleurs, les dessins et les personnages. Certains m’ont même demandé ce qui était écrit en petit caractère, à savoir les paroles des différents personnages. J’ai constaté qu’ils étaient curieux et qu’ils attendaient avec impatience la suite de l’histoire.

C’était une scène joyeuse car le fond de l’image était rose comme les précédentes, et Bélisaire semblait heureux de raconter des histoires à ses pairs. Ecouter les élèves, chacun à leur tour, les faire décrire ce qu’ils voient et leur préciser que tout ce qu’ils disent est possible me semble être une démarche pédagogique essentielle. Cela leur donne ainsi confiance en eux et leur permet d’approfondir leur description.

Il leur semblait que Bélisaire volait de poubelles en poubelles grâce à son balai décoré en cheval. Puis je leur ai demandé qui étaient ces ombres en bas de page. Ils s’agissaient pour eux des habitants du village, des enfants, c’est-à-dire des spectateurs.

Comme je leur avais demandé auparavant d’observer Bélisaire, certains élèves ont remarqué qu’il portait un habit rouge, comme une personne. J’ai mis volontairement l’accent sur ce fait pour les pages suivantes où le tigre n’est plus habillé.

Puis j’ai lu les deux pages suivantes. Lorsque je leur ai montré les illustrations, les enfants ont tous poussé un cri d’étonnement « ouh ! ». Le changement entre les pages d’avant et celle-ci était tellement visible que la vue du tigre prenant les deux pages en longueur et la moitié de la largeur du livre les a surpris.

Je n’ai pas eu besoin de les questionner car ils se sont immédiatement exprimer sur leur impression. Un grand nombre d’élèves étaient d’accord pour dire que Bélisaire faisait très peur. En effet, ils ont remarqué qu’il avait sa bouche grande ouverte, que la vue de ses crocs et de ses griffes pointues donnait à penser qu’il allait dévorer quelqu’un. Puis je leur ai proposé de regarder la couleur de fond. Ils ont noté que la couleur n’était pas la même que celle dans les pages précédentes, et que celle-ci faisait peur car elle était bleue sombre. Un enfant a même dit qu’on dirait un tigre qui va dévorer sa proie la nuit. La réponse que je voulais entendre était ainsi annoncée. En effet le bleu nuit (couleur annonciatrice de la peur) s’opposait au rose (couleur gaie). A ce moment-là, je leur ai suggéré de réfléchir à Bélisaire en lui-même, à quoi ressemblait-il : les enfants ont répondu qu’il ne portait pas de déguisement contrairement aux pages précédentes, qu’il n’avait plus l’apparence d’une personne mais plutôt celle d’un vrai tigre.

Les élèves ont été très choqués à la vue du tigre enfermé dans une cage. Les réactions ont été assez unanimes. Lorsqu’ils ont vu Bélisaire enfermé dans une cage, certains élèves ont dit qu’ils ne voudraient pas être à la place du tigre car il devait être triste et se trouver bien seul. Je n’ai pas eu à leur demander ce qu’ils pensaient de l’image car, pour eux, la situation du tigre était injuste. L’illustration sombre (marron) leur faisait percevoir l’idée de tristesse.

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Réalisation d’un dessin à partir des illustrations :

Comme le souligne Tauveron, le dessin est un des moyens de questionnement des textes. C’est un dispositif qui joue un rôle non négligeable pour des élèves qui ont quelques difficultés à mettre en mot leurs impressions sur le texte ou même à donner une interprétation. Ces élèves ne se sentent donc plus bloqués par la mise en mots de leur pensée. Cependant, l’auteur précise que ce genre de procédé ne peut être utilisé que pour des passages problématiques ou pour retranscrire les idées principales du livre (les élèves ont exprimé par le dessin les deux idées opposées de L’île aux lapins). Par ailleurs, le dessin peut être utilisé par toute la classe, il permet à l’enfant de présenter et justifier le choix de son dessin, et de mettre en avant son interprétation personnelle de l’album.

L’île aux lapins :

A partir de leurs impressions sur les illustrations, ils ont retranscrit par le dessin les deux mots antithétiques dégagés dans le livre à savoir ; l’enfermement et la liberté. Les élèves n’ont pas éprouvé de difficultés de compréhension de la consigne peut-être car nous avions déjà longtemps débattu sur ces deux idées. De plus, l’observation des images du livre leur donnait une approche possible pour représenter par un dessin ces dernières (voir les productions des élèves annexes 7, 8, 9 et 10). Une fois que les élèves eurent terminé, ils sont venus présenter chacun leur tour devant la classe leur œuvre en expliquant leur choix. J’avais bien précisé au préalable qu’il n’était pas question de juger les dessins mais d’écouter attentivement les raisons que chaque élève avançait comme justification. Il était bien entendu que chaque dessin était accepté dans la mesure où il répondait à la consigne. Je me suis aperçue que, pour les élèves qui avaient quelques difficultés à s’exprimer à l’oral, cette activité leur donnait la possibilité de s’exprimer d’une autre manière que verbalement. Le dessin semble être un bon procédé pour retranscrire les idées que l’auteur a voulu faire émerger de la part de son lecteur à partir de son histoire.

b) assurer la compréhension fine au travers de la lecture de passages- clefs:

Discuter, débattre ensemble pour affiner la compréhension des élèves sur des thèmes importants implicites de l’album, peut prendre forme à partir d’échanges oraux. Comme le souligne Tauveron, « ils ont une importance capitale pour parler des textes, se parler sur les textes. (…) quand le texte est ouvert à une pluralité d’interprétations, il convient d’accueillir les réactions orales spontanées des élèves. » ( Claustre Daniel, Dormoy Denis, Tauveron Catherine. Lire la littérature

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à l’école. Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? de la GS au CM, Hatier Pédagogie, 2002).

Tout comme les questionnements premiers de l’enseignant sur le sens général du texte, les interactions verbales des élèves autour de ce dernier permettent la résolution collective des points résistants qui peuvent poser problème soit au niveau de la compréhension ou d’interprétation. A cela s’ajoute la possibilité d’approfondir son propre point de vue par la confrontation à celui de ses pairs.

L’île aux lapins :

Après m’être assurée de la compréhension globale de l’œuvre par l’écriture d’un résumé et la recherche d’un titre, je me suis penchée sur la compréhension fine de L’île aux lapins.

Pour cela, j’ai mis en place une activité autour de quelques passages qui me paraissaient soulever des idées importantes. Le but était de voir comment se situaient les élèves par rapport aux différents extraits et je voulais évaluer leur capacité à s’exprimer par rapport à un court extrait décontextualisé. Cela leur demandait donc un travail de concentration uniquement sur quelques phrases et une attention particulière à exposer ses idées de manière structurée (ce qui permettait de se familiariser encore plus avec les techniques de la discussion entre pairs vues dans les deux précédentes activités). Il me semble intéressant de mettre les élèves face à un court extrait, retiré de l’histoire car il s’agit, pour eux, d’interpréter ce qui vient d’être lu, de faire appel à leur mémoire à court terme. J’ai donc choisi de leur faire étudier quatre extraits. Voici leur résumé: le premier montrait que Grand Gris ne voulait pas quitter l’usine mais, ne voulant pas contrarier les projets d’évasion de Petit Gris et ayant perdu tout contact avec la nature, il le suivit quand même. Le deuxième passage mettait en évidence la perte de l’instinct naturel de Grand Gris, le troisième exposait les pensées du pêcheur surpris de voir gambader en liberté deux lapins dans la nature. Le dernier présentait la séparation des deux lapins avec Grand Gris qui souhaitait Bonne chance à son ami. J’avais pour objectif qu’ils mettent en évidence les idées principales : la liberté, perte de l’instinct naturel, prison et les dangers auxquels on est exposé dans la nature. Je lisais les passages un par un, et à la fin de chaque, je leur demandais ce qu’ils avaient retenu. Parfois je posais quelques questions intermédiaires si je m’apercevais que les interprétations n’étaient pas suffisantes. Comme le dit Tauveron, la gestion des échanges fait que parfois le maître doit renoncer à ses questions préparées et en reconstruire pour accompagner les élèves dans le chemin interprétatif du texte.

J’ai retenu, pour chacun des groupes, les interventions langagières des élèves :

1er extrait : « En réalité, le Grand Gris n’avait encore jamais songé à fuir. Il avait oublié le monde des fleurs, des nuages, de la pluie et de la neige. Cela faisait si

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longtemps déjà, qu’il était là ! »

Voici les différentes interprétations du premier groupe :

– Il décrit ce que Grand Gris ressent.

– Il va avoir honte parce que Petit Brun va croire qu’il ne connaît pas autant de choses que lui.

– Il a oublié la nature.

– Grand Gris ne sait plus du tout ce qu’est la campagne.

– (réaction par rapport à la dernière idée) Oui, mais Grand Gris connaît quand même des choses. Il sait des choses sur la fabrique.

Question intermédiaire :

« Que ressentez-vous par rapport à Grand Gris ? »

– Je le trouve bête parce qu’il ne connaît pas la nature.

– Il veut se faire passer pour quelqu’un d’autre qu’il n’est pas.

– Le pauvre !

– Grand Gris est naïf parce qu’il ne connaît pas la nature. Il n’a pas conscience de ce qui lui arrive.

– J’ai de la peine pour lui.

– Il me fait un peu pitié quand même.

Les réponses du deuxième groupe :

– Il ne se souvient plus de la nature car ça fait depuis longtemps qu’il est enfermé.

– Il a oublié la nature parce que quand on vit enfermé, on oublie le monde de dehors.

– Il a perdu son instinct naturel.

– Il n’avait pas songé à fuir encore parce qu’il vivait bien.

Question intermédiaire :

Grand Gris se rend-il compte de l’état de sa situation ? »

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– Il est naïf parce qu’il ne sait pas ce qui va lui arriver après s’il reste dans la fabrique. Il va se faire tuer pour être mangé.

2ème extrait : « « Grand Gris, ça y est ! Nous voilà libres ! » murmure le Petit Brun. Longtemps les deux lapins restent là à humer l’air. C’est une chaude nuit d’été. Un grillon chante dans le voisinage. « Je sens une drôle d’odeur », dit le Grand Gris. « Une odeur de foin », dit le Petit Brun. « C’est exact », dit le Grand Gris, bien qu’il ne sache plus ce qu’est le foin. »

Les réponses :

– Il ment car il a honte de son état.

– Il ne connaît plus l’odeur du foin, il a perdu son flair, il a perdu son instinct de lapin.

– C’est comme si, nous, on n’était pas à l’école. A l’école, on apprend des choses et on est libre. Alors que quand on est chez nous, on est enfermé, on ne fait rien et on n’apprend rien.

Question intermédiaire :

« Quel est le mot qui vous semble le plus important dans ce passage ? »

- C’est le mot « libres ».

Les réponses du deuxième groupe :

– Il ne sait plus ce qu’est la liberté.

– Il a honte de ne plus rien savoir, il a oublié la liberté.

– Grand Gris ment. Il ne veut pas se sentir gêné.

– Grand Gris a oublié ce qu’est du foin car ça fait longtemps qu’il est dans la fabrique.

– Grand Gris a oublié la vie dans le milieu naturel.

– Grand Gris n’est pas content de partir de la fabrique.

Question intermédiaire :

« Dans quel milieu se retrouvent les deux lapins ? Et à quoi ce milieu s’oppose-t-il ? »

- Ils sont en liberté parce qu’ils sont dans la nature. L’opposé, c’est d’être en cage, enfermé, en prison.

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3ème extrait : « C’est la première fois que j’en vois. Au fond, ils se comportent comme des lapins ordinaires, à la seule différence qu’ils courent en liberté et n’appartiennent à personne. »

Les réponses des deux groupes :

– Pour le chasseur, les lapins doivent être dans des cages et appartenir à quelqu’un.

– Mais en fait, la fabrique, c’est comme une prison pour lapins.

– Les deux lapins n’appartiennent à personne.

– Il y a encore le mot important « liberté ».

– Grand Gris préfère être enfermé.

Dernier passage du livre :

Les réponses des deux groupes :

– Grand Gris est triste que Petit Brun le quitte.

– Ils sont devenus amis.

Question intermédiaire :

« A votre avis, pourquoi Grand Gris souhaite-il bonne chance au petit lapin ? »

– Il a peur qu’il lui arrive quelque chose.

– Il est en danger dans la nature.

Je leur ai donc demandé à quels dangers il pouvait être exposé.

– Il peut se faire tuer par les chasseurs.

– Il peut ne pas trouver de nourriture.

– Il peut mourir de froid.

– Il peut se faire écraser.

– Il peut ne pas avoir de terrier.

Je leur ai ensuite demandé en quoi Grand Gris avait de la chance :

– Grand Gris n’a pas de problèmes de nourriture, il est au chaud. Mais il ne se rend pas compte qu’il va se faire manger.

Je leur ai ensuite posé la question suivante : « Que pensez-vous de la réaction de

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Petit Gris ? » :

– Il respecte son choix.

– Il accepte que Grand Gris retourne dans la fabrique.

– Il est tolérant.

Je leur ai demandé ce qu’ils en concluaient :

– Quand on est libre, on court de grands dangers, mais il vaut mieux être libre et courir de grands dangers qu’être enfermé. Mais si quelqu’un choisit d’être enfermé, il faut respecter ce choix.

J’étais satisfaite des réponses des élèves car ils avaient perçu les deux thèmes principaux qui s’opposaient dans l’histoire, à savoir : la liberté représentée par la nature et la prison symbolisée par la fabrique et les cages. A cela s’ajoutait aussi la perception qu’étant libre, on courrait plus de dangers qu’enfermé (nourriture, abris, chasseurs…).

3) Le débat littéraire :

« L’appropriation des œuvres littéraires appelle un travail sur le sens. (…) Le sens n’est pas donné, il se construit dans la relation entre le texte, le lecteur et l’expérience sociale (…). »

« (…) La littérature de jeunesse n’a jamais manqué de mettre en jeu les grandes valeurs, de montrer comment les choix qui président aux conduites humaines sont difficiles, et comment un être papier (comme un être de chair) n’est jamais à l’abri des contradictions ou des conflits de valeurs qui guettent chacune de ses décisions. » (Documents d’application, « La littérature au cycle 3).

Il y a donc débat littéraire lorsque les élèves exposent chacun d’entre eux des interprétations différentes. A ce moment- là et seulement à partir de là, les échanges s’installent.

Seulement le rôle de l’enseignant est de leur faire comprendre que toutes les interprétations ne sont pas possibles et que certaines peuvent entrer en contradiction avec le contenu même du texte. Ils doivent également se rendre compte que la multiplicité des interprétations dans le groupe classe ne fait que retranscrire la

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dialectique entre singularité des situations et l’universalité des principes.

Pour Tauveron, le texte littéraire ressemble à une aire de jeu où les élèves sont invités à quitter leur rôle de « réceptacle passif » pour entrer dans « une maison où il puisse entrer, jouer, grandir et rapetisser, découper avec les yeux comme avec les ciseaux, mélanger, recomposer et coller avec l’eau des rêves. Un univers où il puisse aller dans tous les sens de ses sens. » (Claustre Daniel, Dormoy Denis, Tauveron Catherine. Lire la littérature à l’école. Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? de la GS au CM, Hatier Pédagogie, 2002).

La lecture est donc un acte d’appropriation du texte par le lecteur et peut être partagée par autrui. Ainsi, la lecture littéraire offre aux élèves une pluralité d’interprétations (tout de même être en accord avec le texte) qui doivent être argumentées. La classe devient alors un lieu de négociation de sens, un lieu d’écoute de soi et de ses pairs, un lieu d’échange et de tolérance mais aussi, selon Tauveron, « d’esprits critiques ». C’est donc un lieu d’intersubjectivité.

a) Les principes méthodologiques :

Le débat tient une place importante en classe car c’est une manière d’apprendre les différentes techniques pour s’exprimer devant le groupe classe. Il permet de donner des outils aux élèves pour qu’ils oralisent leurs pensées de la manière la plus exacte et compréhensible. Que ce soit dans le cadre de l’éducation civique ou dans celui de la littérature, conduire un débat nécessite une technique. L’élève doit se familiariser avec cette dernière de sorte à ce que ses camarades ainsi que le maître puissent suivre le fil du discours oral sans en perdre le sens, de manière à ce que le débat soit relancé voire réorienté. Dans mon stage, j’ai pu m’apercevoir à quel point il était difficile de suivre le discours des élèves lorsqu’ils s’exprimaient sur l’œuvre. Ils voulaient tellement dire ce qu’ils pensaient que le débat devenait vite ingérable. Parfois il arrivait même que, lorsque je leur demandais de me rappeler le sujet dont il était question, les enfants avaient perdu le fil conducteur et ne pouvaient plus me dire le thème de la discussion. Il arrive aussi que le discours tourne en rond, que l’on répète la même chose. Ou que l’on passe trop vite sur ce qui méritait d’être développé tellement les élèves se concentrent sur ce qu’ils veulent dire et non sur ce que dit leur camarade. C’est un travail d’apprentissage de l’écoute, d’organisation formelle du discours. Parfois même, les élèves entrent trop dans le détail au point de ne plus savoir d’où il était parti. Un des phénomènes le plus récurrent lors de débats est lorsqu’ils passent sans cesse d’un sujet à un autre parce que chacun suit son idée sans écouter les autres. Ainsi, pour résumer, ils ne sont pas capables de percevoir de tels

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dysfonctionnements. C’est à l’enseignant de repérer le problème et de pointer vers une solution. Par exemple lorsque j’ai proposé aux élèves de lire à haute voix leur résumé sur ce qu’ils avaient retenu du livre, à la réponse « Grand Gris voudrait retourne chez lui », j’ai demandé à cet élève d’argumenter. Le but était de lui faire comprendre qu’il n’était pas suffisant de dire cela mais que, pour être crédible, il fallait dire pourquoi et mettre en avant des arguments. Je lui ai proposé de dire « Grand Gris voudrait rentrer chez lui parce que… ». Il fallait montrer à ce moment-là l’importance de l’explication dans un débat, non seulement pour justifier son choix, mais aussi pour structurer son discours et être compris par tout le monde. De plus le fait d’argumenter impose à l’élève un travail de mémoire, de relevage d’indices d’une lecture antérieure, permettant d’expliquer son choix.

Il fallait parfois arrêter quelques temps le débat car des élèves riaient de certains titres. Je demandais donc à un élève de me rappeler les principes de base d’une discussion ou d’un échange. « Ne pas se moquer des idées des autres » était particulièrement de mise dans ce genre d’exercice. Il est indispensable que les élèves non seulement s’écoutent les uns les autres mais aussi qu’ils ne se moquent pas des idées de leur camarade. D’autant plus si l’élève est timide, il est nécessaire d’accepter sa proposition et de le féliciter en lui disant que c’est un titre tout à fait approprié au livre. C’est un point qui fait partie de l’éducation à la citoyenneté. Ce sont les principes méthodologiques nécessaires pour mettre ne place un débat dans de bonnes conditions. On remarque donc que le débat littéraire fait appel à des valeurs d’éducation civique et que tous deux sont liés par ces dernières.

b) À partir du résumé :

L’île aux lapins :

A la réponse « Ensemble ils partent dans la nature et ils sont donc en liberté. Mais Grand Gris avait oublié ce qu’étaient un arbre ou du sable. », j’ai demandé à l’élève de me dire exactement ce qui lui permettait d’affirmer que Grand Gris ne se sentait pas bien. Cela ne lui paraissait pas indispensable dans le sens où, pour elle, elle avait raison et que dans le livre cette idée était assez claire. Pourtant en lui posant des questions telles que « comment se sent Grand Gris ? », « Comment sais-tu qu’ils sont en liberté ? », « pourquoi le vieux lapin a-t-il oublié ce qu’était un arbre ? », je l’ai amené à prendre conscience que ses propos n’étaient pas assez détaillés. Lorsqu’elle a étoffé son discours des différents éléments à partir des questions que je lui avais posées, elle s’est rendue compte qu’il était plus détaillé et que tout le monde était d’accord avec son résumé. Elle avait donc illustré ses propos par un exemple en employant le terme « par exemple », justifié ses dires par « parce que », et affirmé ses propos par « moi, je pense ». Parfois je demandais aux élèves s’ils étaient d’accord avec ce que tel camarade disait. Souvent les réponses étaient « oui » ou « non ». Mon travail

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consistait alors à leur apprendre à prendre position de manière justifiée et réfléchie dans un discours. Je leur donnais des phrases introductrices telles que « contrairement à …, je pense que… », « je ne suis pas tout à fait d’accord avec…. Moi je pense… », « je suis d’accord avec …parce que… », « pour aller dans le sens de …, je pense que … ». Après ce travail nous avons rassemblé oralement les différentes idées. Le travail sur la langue a bel et bien pour but de faire accéder les enfants à un langage adulte. Il faut donc promouvoir l’emploi des connecteurs même s’ils sont assez peu employés volontairement par les élèves.

c) À partir du titre :

L’île aux lapins :

De même que le travail précédent, j’ai demandé aux élèves de dire à haute voix leur titre en essayant de donner les justifications nécessaires à leur choix. Je voulais relancer la discussion à travers l’argumentation, l‘explication, l’illustration, la confrontation et la confirmation. La séance s’est bien passée car les élèves avaient bien retenu le fonctionnement du débat précédent.

d) À partir d’un évènement dans l’histoire :

Bélisaire :

Les élèves ont discuté ensemble du sort de Bélisaire et ont proposé des idées.

J’ai voulu faire émerger chez les enfants l’idée de différence. Pour cela, je les ai questionné sur le sort du tigre. Voilà les questions que je leur ai posées ainsi que leur réponse :

– Pensez-vous que c’est bien de le mettre en cage ?

Certains répondent « oui ». Donc je leur demande pourquoi.

– Parce qu’il a mangé des animaux.

– Mais est-ce qu’on est vraiment sûr qu’il les a mangé ?

– Non, ce sont les adultes qui ont dit ça car ils n’aiment pas Bélisaire.

– Comment appelle-t-on des paroles qui ne sont pas justifiées ?

Je me suis rendue compte que ma question était trop difficile pour eux. Ils n’ont pas su me répondre. Je reprends alors par :

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– Pourquoi n’aiment ils pas Bélisaire ?

– Parce que c’est un tigre.

– Et quelle est la différence entre un tigre et un humain ?

– Ce n’est pas pareil, c’est un animal.

– Et est-ce qu’on ne doit pas aimé seulement parce qu’il est différent ?

A ce moment là, j’ai apporté le terme « différence » car les élèves ne savaient pas quel mot mettre pour décrire la situation.

Les enfants répondent unanimement « non » parce qu’il n’est pas méchant.

4) Imaginer une suite possible :

Selon les documents d’application « littérature au cycle 3 », « le plaisir d’écrire vient naturellement prolonger celui de lire. ».

L’île aux lapins :

Puis finalement, j’ai montré la dernière page de l’histoire où apparaissait Petit Gris en compagnie d’un hérisson à l’orée d’un bois. Les enfants l’ont trouvé très jolie car elle représentait la nature et le soleil qui brillait leur faisait penser à « la belle vie ». Je leur ai proposé un travail écrit qui consistait à inventer ce que Petit Gris racontait au hérisson de son aventure avec Grand Gris. Au départ, ils étaient un peu gênés par la présence du hérisson. Ils ne savaient pas réellement comment faire vivre le petit animal. Je leur ai donc demandé de quelle manière on pouvait rendre vivant un personnage dans une histoire : il lui faut un prénom, et il faut qu’il y ait des dialogues (la réponse a été donnée par certains élèves et acceptée communément).

L’exercice a été bien réalisé dans l’ensemble (voir annexe 14). Le résultat était satisfaisant. Dans un second jet, ils ont corrigé leurs erreurs d’orthographe ou de grammaire et ont modifié les passages qui semblaient parfois flous.

Pour finir l’étude de l’œuvre de Steiner, j’ai réuni les élèves autour de moi et nous avons discuté des différentes activités réalisées. Le but était qu’ils identifient les différentes possibilités de jouer autour d’un livre, de devenir pour un temps auteur, de rechercher les interprétations les plus plausibles et de les mettre en application par le biais du dessin. Je leur ai demandé de me repréciser les idées sous-jacentes dans l’île aux lapins. Les termes de liberté et d’enfermement avaient pris sens dans l’esprit des enfants. J’a voulu voir leur capacité de projection en leur demandant

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finalement si la situation des lapins ne pouvait pas être transposable dans un autre monde. Ils avaient pris conscience que les dilemmes enferment/ liberté, le respect de l’autre étaient des notions auxquelles les humains étaient confrontés.

Je leur ai demandé dans quel cas. Ils ont répondu que, par exemple, on pouvait nous aussi être en cage donc en prison, et dans la nature quand on est libre. Pour eux, la liberté était source de dangers mais il valait mieux, tout de même, être libre qu’enfermé. Sans le savoir, les élèves alliaient littérature de jeunesse et éducation civique dans leurs propos.

Bélisaire :

J’ai décidé de leur faire imaginer ce que pourrait être la suite de l’histoire. J’ai demandé aux élèves de réfléchir dans leur tête quelques instants. Je leur ai précisé qu’on acceptait toutes les propositions, et qu’on découvrira ensuite celle choisie par l’auteur.

Voici les différentes suites possibles :

– il va pleurer

– il ne va plus faire de pain et il n’y en aura plus au village

– il va manger les enfants et les villageois

– il va se faire tuer

– il va se retrouver tout seul

– il va partir dans un autre village raconter ses histoires et faire son pain ailleurs.

Je note au tableau toutes les réponses. Je leur dis que nous allons découvrir ce qui lui est réellement arrivé dans les pages suivantes. Tout d’abord on remarque l’attitude des villageois qui raconte des méchancetés au sujet de Bélisaire, qui se réunissent entre eux pour dire des anecdotes à son sujet toutes farfelues. J’ai remarqué que les enfants étaient tous très curieux de connaître ce que se racontaient les habitants entre eux. Pour eux les hommes étaient vraiment méchants et médisants à l’égard de Bélisaire, que ce n’était pas juste.

Puis vient le moment où l’on découvre le sort du pauvre tigre : il est enfermé en cage. Aucun enfant n’avait proposé cette solution mais, dans un sens, certaines étaient justes comme : il va pleurer, il n’y aura plus de pain, il va se retrouver seul. Les enfants étaient fiers de voir qu’ils avaient deviné partiellement le sort de Bélisaire. J’ai volontairement mis l’accent sur le fait que certaines propositions n’étaient pas

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incompatibles avec l’image du tigre en cage pour leur donner confiance, les responsabiliser, et leur montrer que leurs propos ont du sens.

Je pense qu’il est nécessaire que l’élève prenne conscience qu’il est acteur dans la lecture et dans la compréhension. De même il est intéressant de leur montrer qu’ils peuvent jouer avec le texte, c’est-à-dire imaginer une suite possible d’un évènement intervenu à un moment donné. Leur donner la possibilité de le faire leur permet ainsi de se familiariser avec l’écrit, avec le livre et de se défaire de l’idée de la littérature comme figée.

Les élèves ont beaucoup ri quand ils ont vu les enfants se déguiser en tigre. Je leur ai demandé la raison pour laquelle ils avaient décidé de ressembler à Bélisaire. Ils ont répondu que c’était pour montrer à leurs parents que même s’ils lui ressemblaient, ils n’étaient pas pour autant méchants et ne devaient pas être mis en cage eux aussi.

Pour les deux dernières pages du livre, les élèves ont remarqué, seuls, que c’étaient les mêmes images que les deux premières de l’histoire à l’exception que celles-ci étaient bleues claires alors que les précédentes étaient roses.

5) Familiarisation avec le monde de l’édition :

L’île aux lapins :

a) Comparaison de deux éditions :

Mon travail sur cette œuvre s’est achevé par la comparaison par les élèves de la première version française de 1978 traduite de l’allemand aux éditions Duculot et une autre version postérieure datant de 1999 parue aux éditions Mijade en format poche. Le but était de leur faire percevoir les différences qui pouvaient exister entre deux traductions françaises d’un livre étranger tant au niveau de la mise en page qu’au niveau du contenu textuel en lui-même. Ils ont tout de suite remarqué que le format n’était pas le même. Je les ai ensuite invité à comparer les illustrations. En montrant simultanément les deux traductions, ils ont pu observer qu’à certain moment l’éditeur de la deuxième version avait pris quelque liberté par rapport à la première version car une image se retrouvait dans un ordre différent (les séries d’images décrivant la fuite des deux lapins par la bouche d’aération). Nous avons ensuite comparé le contenu du récit en lui-même. Sachant par avance les différences qui existaient entre les deux livres, je leur ai lu les passages qui montraient véritablement ces écarts. Voici quelques exemples que les élèves ont retenus.

- Dans les premières pages :

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Dans la première version : « …derrière les rubans, assis à l’étroit dans leurs cages, des lapins qui grignotent machinalement. Ils engraissent rapidement et quand ils sont bien gros, on les expédie ; mais eux ne savent pas. »

Alors que dans la seconde version, les élèves ont trouvé que le vocabulaire était plus dur, plus cru :

« Le long des tapis, dans des cages, des centaines de lapins mangeaient sans s’arrêter. Ils n’avaient rien d’autre à faire. Ils ne savaient pas qu’on les tuerait pour les manger quand ils seraient assez gros. »

Pour les enfants, l’éditeur a voulu dire la vérité et ne pas la cacher.

– Dans la première version : « Grand Gris » alors que dans la deuxième le lapin est appelé « Gros Gris »

– Dans la première version : « on raconte qu’il y a aussi d’énormes lapins blancs là-bas. Ce sont des gardiens qui veillent sur les autres lapins. ». dans la deuxième, il est écrit : « Ils protègent les lapins qui ont été gentils et les autres, ils en font de la chair à pâté ! »

– Dans la première édition : « Pourvu que je ne reste pas bloqué ». dans celle de 1999 : « Ah, si seulement je n’étais pas si rouillé ».

– Dans la première version : « Un ruban qui transporte sûrement de la nourriture, comme à la fabrique. ». dans celle de 1999 : « Ici aussi ils ont un tapis roulant, comme chez nous ! ».

– Dans la version de 1978 : « Tu trouveras un autre ami, j’en suis sûr… Tu as probablement raison, murmure le Grand Gris. ». Or dans la version suivante : « Ne m’oublie pas, là-bas, dans ton terrier… Tu trouveras un autre ami, dit Petit Brun… Pas un ami comme toi, dit Gros Gris. ».

b) La préférence d’une édition à une autre :

Je voulais savoir quelle version ils avaient préféré. Leur réponse a été quasi unanime. Ils appréciaient beaucoup plus la première version de 1978 car les mots utilisés étaient moins choquants. Une élève a même précisé que le texte de la première version était plus poétique que le deuxième (lumière douce). Seuls quelques élèves (les garçons) préféraient la version la plus récente car les termes étaient plus réalistes et plus accrocheurs.

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6) La mise en réseau :

« Pour que l’élève puisse acquérir des références culturelles, il importe que les lectures ne soient pas abordées au hasard, mais se constituent, tout au long du cycle, en réseaux ordonnés (…) » (Programmes 2002, « lecture des textes de la littérature de jeunesse », cycle 3).

Pour cette raison, j’ai décidé d’apporter aux élèves une culture littéraire supplémentaire en leur proposant de mettre en réseau L’île aux lapins de Steiner et Petit- Gris de Elzbieta autour de notions d’ordre civique comme : accepter la différence d’autrui, respecter l’autre et ne pas le juger…

a) Petit- Gris de Elzbieta :

J’ai choisi de mettre en réseau avec L’île aux lapins de Steiner un autre ouvrage de littérature de jeunesse intitulé Petit- Gris de Elzbieta, éditions Pastel (1995). En effet, ces deux livres sont en liaison thématique. Le premier traite de l’opposition entre liberté/prison et des contraintes de la vie en liberté. Le deuxième réinvestit ces notions et traite du besoin de rester lié pour braver les épreuves de la vie, de l’opposition entre pauvreté/richesse (état visible par les tenues vestimentaires des personnes), des sans-papiers et de leurs dures épreuves, et la mise en évidence qu’il n’est pas forcément nécessaire d’être riche pour vivre heureux.

Je leur ai présenté l’ouvrage sans leur dire qu’il se rapprochait de L’île aux lapins.

Après une lecture magistrale sans leur montrer les illustrations, les élèves ont résumé oralement ce qu’ils avaient compris de l’histoire. Les élèves semblaient être touchés par les aventures de Petit- Gris et de sa famille même si l’histoire leur paraissait trop courte. Les élèves ont trouvé assez facilement ce dont il était question : la pauvreté, la famille unie, le harcèlement de la police, la perte de son domicile, la prison et la liberté. Toute cette activité s’est déroulée sous forme de discussion collective, chaque enfant exprimait ses idées.

Je leur ai demandé à quoi cette histoire leur faisait penser. Ils ont su faire le lien entre cette histoire et L’île aux lapins. Pour eux, il était question de la liberté et de la prison, et du fait qu’il valait mieux être libre qu’enfermé malgré les dangers (la police, trouver un toit, avoir de l’argent).

Je leur ai ensuite montré les illustrations en leur relisant l’histoire. Ils devaient

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observer attentivement les images car celles-ci permettaient d’enrichir le récit. Elles apportaient des indices supplémentaires. Les élèves ont remarqué que :

– la maison était délabrée à cause de fissures dans les murs et des volets arrachés (signe de pauvreté).

– Les vêtements des parents sont simples par rapport à celle de l’autre famille. La famille de Petit- Gris porte des habits reflétant leur manque d’argent, tandis que l’autre couple est revêtu de beaux manteaux de fourrure. De plus la dame porte un beau collier et semble être maquillée. Les enfants en ont donc conclu que la pauvreté se voit. On juge sur les apparences.

– Le couple semble avoir un beau jardin, signe de nourriture, la famille de Petit- Gris n’en avait pas.

– Par rapport à la décision des parents de ne pas abandonner leur fils malgré leurs problèmes, il vaut mieux rester uni pour braver les dangers.

– Ils vivent dans un terrier, donc par extension, comme des SDF. (je leur avais demandé de rapprocher la situation des lapins à celle des hommes).

– A la fin du livre, on se rend compte qu’on n’a pas besoin de beaucoup de choses pour être heureux : être ensemble, avoir un jardin à cultiver, avoir un toit, avoir des vêtements.

Suite à ce travail, les enfants ont observé la première de couverture et se sont aperçus qu’elle ressemblait à une enveloppe dont le destinataire était Petit-Gris. Je leur ai demandé de réfléchir à la signification du timbre postal représentant le petit lapin avec son éponge magique à la main. Certains élèves ont émis l’idée suivante : « ça veut peut-être dire que Petit- Gris a trouvé une maison parce que le timbre est en forme de maison et il a l’air heureux. ».

Assurer la compréhension du texte :

Remettre dans l’ordre l’histoire, et donner un titre à chaque passage :

J’ai mis en place ensuite une activité qui avait pour finalité d’aiguiser la réflexion des élèves en faisant appel à leur mémoire et à leur logique. J’ai mélangé les phrases de l’histoire de chaque page, le but étant de la remettre dans l’ordre et de donner un titre à chaque partie de texte découpée (voir annexes 11, 12 et 13). J’ai été très surprise

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de voir leur capacité à reconstruire un récit et à donner des titres sensés. Le fait de nommer chaque passage leur permet de travailler sur trois domaines : la compréhension du morceau de l’histoire, pouvoir extraire les idées les plus importantes (dignes d’apparaître dans le titre) et les condenser en un ou deux termes. Ensemble nous avons vérifié si l’ordre était le même pour tous puis, chacun leur tour, ils sont venus présenter leur titre en justifiant leur choix.

Ils ont su ressortir les notions essentielles que l’auteur avait mis en avant telles que la pauvreté, la prison, les sans papiers, le harcèlement, la famille.

Ce travail était en quelque sorte une manière pour les élèves de s’approprier les thèmes de l’histoire et servait de rappel à la séance dédiée à la construction du sens de l’histoire.

L’île aux lapins de Steiner et Petit- Gris de Elzbieta sont des ouvrages riches à travailler en réseau car ils ouvrent tout un panel de sujets liés à l’éducation civique. Les élèves n’ont pas eu l’impression d’étudier des notions d’éducation civique, pourtant ils ont réussi à cerner les idées implicites dans les deux livres. Cela prouve donc que la littérature de jeunesse peut être une passerelle entre la littérature et la découverte de certaines notions liées à l’éducation civique. Le fait de passer par la littérature de jeunesse permet peut-être aux élèves de mieux s’approprier des sujets parfois durs émotionnellement (pauvreté, sans papiers). S’identifier à un personnage amène les enfants à réfléchir à la situation de ce dernier, à le comprendre. Il en découle qu’ils arrivent mieux à cerner les notions de citoyenneté.

b) Les Fables de La Fontaine, « Le loup et le Renard » :

Je leur ai finalement lu une histoire tirée des Fables de La Fontaine intitulée « le Loup et le Renard ». Ils ont remarqué que l’histoire du renard se rapprochait de la situation de Grand Gris car l’animal sauvage était enchaîné et ne pouvait vagabonder en liberté dans la nature. Par contre, ils ont conclu en observant qu’il y avait une différence entre les deux histoires ; en effet Grand Gris était heureux d’être dans la fabrique, alors que le renard semblait être malheureux d’être attaché.

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Deuxième partie :

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L’éducation civique à partir de la littérature

de jeunesse

L’éducation civique a une « histoire » qui s’inscrit dans notre histoire, depuis sa création par la IIIème République jusqu’à aujourd’hui. Elle a été associée à l’histoire et à la géographie, c’est une spécificité française. Cette situation s’explique par la conception de la formation du citoyen, développée sous la IIIème République.

Née en grande partie avec l’école républicaine, l’éducation du citoyen a été conduite depuis un peu plus d’un siècle avec des contenus, des objets d’étude mais aussi des méthodes différentes. Elle s’est affirmée et transformée en fonction de la demande sociale à travers la réflexion de plusieurs générations de sociologues, de philosophes et d’historiens. Par conséquent, pour définir le « vivre ensemble » et « l’éducation civique », il est nécessaire de revenir aux origines de ces deux concepts.

1) Les programmes de 2002 :

Comme celui de 1995, le programme de 2002 est organisé selon les cycles. L’enseignement primaire étant le niveau où les tensions entre la construction de l’autonomie et l’intériorisation des règles de la vie sociale, entre l’apprentissage de connaissances et l’importance accordée à la vie scolaire et aux comportements s’affirment le plus fortement, les programmes comportent une partie intitulée Vivre ensemble (aux cycles 1 et 2) et une partie intitulée Education civique (au cycle 3). Selon les programmes de 2002: « Cette citoyenneté se prépare dès le plus jeune âge par le biais, notamment, de l’éducation civique. (…) L’éducation civique se constitue progressivement au fil des cycles. »

La priorité est donnée au vivre ensemble. On ne parle pas d’éducation civique car les disciplines qui servent d’appui (l’histoire, la géographie et les sciences) ne sont pas encore constituées. Il s’agit de respecter la communauté dans laquelle les élèves vivent et accepter les règles.

Vivre ensemble aux cycles 1 et 2:

Apprendre à vivre ensemble est l’un des principaux objectifs de l’école maternelle. Ce domaine vise à la construction de la personnalité, l’acceptation du caractère collectif de la vie scolaire, le respect de l’autre.

Education civique au cycle 3 :

Les programmes précisent les connaissances que les enfants doivent acquérir au

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cours du cycle 3 en matière d’éducation civique. Il s’agit de définir la manière de lire la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, être citoyen dans sa commune et en France, s’intégrer en Europe, découvrir la francophonie, s’ouvrir au monde, connaître quelques articles de la constitution de 1958. Mais la nouveauté réside essentiellement dans l’affirmation du caractère transversal de l’éducation civique.

On peut remarquer aussi l‘importance accordée aux règles de vie et aux valeurs telles que le respect, la participation, l’engagement. La transmission- construction de connaissances et les règles de vie ont pour but d’instruire mais aussi de mettre en place des comportements sociaux. Le préambule insiste sur les valeurs civiques que l’élève doit s’approprier :

« Ce n’est qu’au cycle 3 que l’élève commence à prendre conscience de l’existence des valeurs civiques et acquiert, à partir des différentes disciplines, les premiers savoirs susceptibles de nourrir sa réflexion et mieux le préparer à être citoyen. » (préambule des programmes de 2002).

N’étant pas considérée comme une matière ou une discipline telle que les mathématiques, l’éducation civique est un domaine transversal. C’est ce que soulignent les programmes de 2002 :

« La maîtrise du langage et de langue française, l’éducation civique sont des domaines transversaux qui concernent tous les champs disciplinaires et toutes les activités scolaires. ».

Elle s’acquiert durant la vie en classe et en communauté. Sa finalité est de deux ordres : tout d’abord, elle permet de découvrir les richesses et les contraintes de la vie avec des pairs, coopérer, respecter autrui et comprendre et s’approprier les règles collectives. D’autre part, cette éducation à la citoyenneté permet une première approche des valeurs civiques et républicaines. De plus, elle sensibilise les élèves à la pratique de débats qui favorise l’émergence de l’argumentation, le respect et l’écoute de celui qui s’exprime. Enfin, elle initie les élèves à accepter les conclusions d’un échange collectif, même si elles sont parfois éloignées de ses propres idées.

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2) Pourquoi à partir de la littérature de jeunesse ?:

a) Du débat littéraire à la mise en place du débat en éducation civique :

Tout au long de mon stage, et en parallèle avec l’étude des deux ouvrages de littérature de jeunesse, j’ai choisi de travailler avec les élèves l’éducation civique. J’ai voulu lier ces deux thèmes car je me suis rendue compte qu’ils se rejoignaient sur certains points : dans des ouvrages de littérature de jeunesse, certaines questions sont liées à des sujets appartenant à l’éducation civique. L’élaboration de réponses tend alors vers une discussion entre tous les membres de la classe et amène alors au débat. Dans mon projet, le débat littéraire amène à un débat en éducation civique. C’est en prenant appui sur L’île aux lapins de Steiner et Petit- Gris de Elzbieta que j’ai présenté les thèmes qui me paraissaient intéressants de traiter avec des élèves de cycle 3.

Il y a également un intérêt à découvrir des sujets d’éducation civique au travers d’albums. Comprendre, étudier un livre instaure le débat littéraire. Il s’agit de discuter, de défendre son point de vue sur ce qu’on pense avoir compris de l’histoire. Le débat littéraire se met alors en place. Ecouter son camarade, respecter ses propos, ne pas couper la parole font partie de l’éducation civique. Chaque enfant doit acquérir ses principes à l’école. Vivre en communauté avec ses pairs implique un minimum d’éducation civique. Donc la littérature est un moyen d’étudier ce domaine mais elle est en elle- même une mise en pratique de ce dernier. Les enfants débattent alors de thèmes liés à l’éducation civique mais ils appliquent en même temps certains principes civiques.

Comme le souligne Tozi, il est intéressant de débattre à partir de la littérature car cela ouvre la voie à un débat réflexif. Les personnages ne sont plus étudiés seulement pour leur rôle et leur place dans l’ouvrage. Ils sont aussi des points d’appui pour discuter à partir de leur situation et de leur aventure. L’élève réfléchit sur le personnage et est amené à prolonger sa réflexion aux hommes dans le monde réel.

Bélisaire :

L’auteur de ce livre a eu pour volonté de mettre en scène, à partir de l’histoire du tigre, ce sujet tant délicat que les élèves vont rencontrer dans leur vie, à savoir l’acceptation d’une personne malgré sa différence. C’est à partir d’un support écrit riche tant au niveau de l’histoire que des illustrations que Dorémus a voulu donner ce message aux enfants. Ainsi la littérature de jeunesse permet de leur enseigner les principes de la citoyenneté, la manière de se comporter correctement en société et avec les autres. C’est à partir des travers des adultes que les enfants vont pouvoir découvrir et débattre du sujet qui leur est proposé dans le livre. C’est en lisant, en s’appropriant l’histoire vécue par les protagonistes, puis en oralisant leur suggestion

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qu’ils vont pouvoir donner du sens à leur lecture et en tirer le savoir implicite. La littérature de jeunesse est alors une voie originale à la fois personnelle et collective pour aborder l’éducation à la citoyenneté.

b) Une approche originale pour une meilleure appropriation :

Etudier des thèmes d’ordre civique à partir de la littérature de jeunesse me paraît être un bon moyen de découverte et d’appropriation. Je pense que l’éducation à la citoyenneté prend tout son sens à partir de cette méthode- là car ils n’ont pas été abordés en tout premier lieu comme des sujets d’éducation civique. Au contraire, c’est à travers la situation vécue par les personnages principaux que les élèves ont découverts et ont discuté de ces derniers. Ils ont donc été proposés de manière détournée, à partir de la littérature et non dans le cadre d’une « leçon » en éducation civique. En effet j’ai voulu entrer dans le thème de l’éducation civique par un autre chemin : celui de la littérature de jeunesse. Mon choix s’explique dans ce sens : en liant la littérature de jeunesse à l’éducation à la citoyenneté, cela a permis aux élèves de trouver par eux-mêmes grâce aux thèmes des ouvrages les valeurs civiques. Ils ont pu s’approprier de façon plus cohérente des sujets qui, dans la vie courante sont assez délicats à traiter. Je pense par exemple à l’exclusion, à la pauvreté, le dilemme entre liberté et enfermement. Le fait d’étudier ces sujets au travers de personnages non humains de la littérature de jeunesse permet aux élèves de prendre du recul et d’adoucir légèrement la réalité. La littérature de jeunesse est un tremplin vers la découverte de l’autre et vers la prise de conscience des valeurs. L’enfant s’identifie aux personnages de l’ouvrage et comprend la complexité psychologique. Il mesure aussi la gravité et le scandale de certaines situations. Les sujets anthropomorphiques sont un moyen d’entrer dans les sujets d’éducation civique mais de manière moins brutale. J’ai choisi de montrer aux élèves des albums ne faisant apparaître que des animaux car, il me semble que, c’est une entrée possible pour pouvoir ensuite élargir aux hommes en général. Cela créé un rapport affectif être le livre et l’enfant et permet d’élargir ensuite sur le monde réel. Il n’est pas question de s’arrêter simplement sur ce que vivent les animaux. Il est question d’associer les différents thèmes d’éducation civique au champ humain pour que chaque élève se sente concerné et puisse les adapter aux situations que nous sommes sujets à vivre.

Ces albums à la fois d’ordre littéraire et documentaire s’apparentent à de la fiction documentaire. Cette dernière se distingue du livre documentaire dans le sens où le thème général tourne autour des sciences humaines. Il est question du rapport de l’homme aux hommes, du rapport de l’homme au monde dans ses aspects les plus divers. Dans un sens, l’esprit des élèves s’éclaire dans le présent grâce au passé (aux situations et péripéties vécues par les personnages du livre). Ainsi cette lecture apporte des solutions aux problèmes que peuvent connaître les enfants tout en

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gardant son aspect littéraire (évasion, aventure et dépaysement). La fiction permet donc une approche de la réalité par l’enfant. Après perception de cette réalité, l’élève se doit de combler les brèches par un questionnement pour pouvoir percevoir le message que l’auteur a voulu faire passer.

La fiction documentaire s’est développée depuis les années 1980 car les sujets relatifs à l’histoire, aux relations familiales et sociales, aux divers genres de conflits se sont multipliés. On accorde une grande importance à l’enfant en tant que personne. On le considère capable d’appréhender le monde dans sa complexité. C’est la raison pour laquelle, nombre de sujets mis à l’écart, sont aujourd’hui proposés aux enfants. Comme le souligne Niurka Regle, conférencière à l’institut Charles Perrault, « Ces textes, lorsqu’ils mêlent rigueur documentaire et art du récit sont des éveilleurs. Ils conviennent à la réflexion personnelle. ». On constate dès lors le pouvoir réflexif des livres documentaires qui offrent aux enfants la possibilité de faire un lien entre l’histoire du livre et la réalité tout en leur donnant des pistes pour palier à leurs interrogations.

Comme le soulignent les programmes de 2002, il s’agit d’analyser ce que vivent les personnages et passer ensuite à une étude plus large (p 171) :

« … l’organisation des débats dans lesquels la classe organise et régule la vie collective, tout en passant progressivement de l’examen des cas singuliers à une réflexion plus large. »

De plus, les élèves se sentent motivés pour travailler l’éducation civique à partir d’albums au lieu d’observer simplement des documents dans un manuel pour ensuite répondre aux questions du fichier.

3) Le débat en éducation civique :

a) Le débat dans les programmes :

Déjà, en 1947, dans le plan Langevin- Wallon, il état question du débat à l’école. Dans l’éducation morale et civique et la formation de l’homme et du citoyen, il est notamment affirmé :

« L’exposé et la discussion des évènements et des problèmes dans leur actualité ne seront pas exclus de l’école. Des clubs d’étude et de discussion

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enseigneront aux jeunes la valeur et les difficultés d’une recherche sincère de la vérité, le respect de la liberté de pensée et d’expression pour tous. » (Claude Allègre, François Dubet, Philippe Meirieu, Le rapport Langevin- Wallon, éditions Mille et une nuits, 2004).

Les programmes de 1995 pour l’école parlaient de discussion sur des problèmes mettant en jeu les valeurs sociales et de réflexion sur les valeurs relatives à la personne et sur les normes de la vie en commun en éducation civique au cycle 3.

Dans le contexte social actuel, face à la croissance des incivilités et à la montée de l’individualisme, le débat est considéré comme un moyen privilégié pur restaurer le lien social. Il s’agit par la pratique de débat, d’aider l’élève à bâtir une citoyenneté responsable et réfléchie.

Le débat réglé est une nécessité à l’école primaire. Comme le souligne le BO du 14 Février 2002 :

« L’éducation civique implique des comportements et des attitudes. Pour être efficace et solide, elle doit se construire, jusqu’à la fin du cycle 2 à partir du respect de soi et de l’autre dans la découverte progressive des contraintes du vivre ensemble. L’apprentissage de la communication réglée en est l’un des meilleurs instruments. ».

Débattre est une nécessité dans toute société démocratique. Débattre, c’est construire intellectuellement et culturellement le système dans lequel on vit avec d’autres, et c’est également se construire soi- même. Débattre, c’est s’expliquer, argumenter, exposer son point de vue et écouter l’autre. C’est accepter la parole de l’autre, les points de vue divergents et pouvoir discuter de ces derniers. Dans certains cas, le débat aboutit à rapprocher les points de vue, à les unifier. Mais il faut surtout qu’il oblige chacun à aller le plus loin possible dans l’argumentation.

Pour conclure, débattre, c’est permettre de vivre dans une société où la relation est possible, où la communication ne laisse pas place à l’ignorance, à l’indifférence.

Pourquoi débattre en classe ? Savoir débattre est une compétence clef de l’éducation civique, une façon pour les élèves de faire l’expérience en classe d’une parole responsable et publique. Cela suppose donc la mise en place éthique d’une éthique de la communication sans laquelle on bascule dans l’incompréhension. Débattre est donc civilisateur.

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b) Sa mise en place :

« La tenue de débats où chacun doit savoir réfréner sa parole, laisser la place à celle de l’autre et comprendre son point de vue, même quand on ne le partage pas, chercher à le convaincre en argumentant, est la première forme d’éducation à la démocratie. » (BO du 14 Février 2002).

J’ai voulu mettre en place le plus souvent possible des petits débats en éducation civique comme je l’avais fait en littérature. Il fallait que les élèves se sentent responsables, actifs et faisant partie d’une discussion sur des sujets importants. Par ce mode d’expression, ils comprennent que la confrontation à autrui apporte à chacun malgré ses contraintes. Ecouter l’autre est une première forme de respect et d’acceptation de la différence et de divergence des idées.

C’est donc un apprentissage de la citoyenneté car le débat permet de développer plusieurs compétences nécessaires pour intervenir dans un groupe, c’est-à-dire exprimer oralement une opinion, construire une opinion, écouter les autres, essayer de convaincre.

J’ai choisi de traiter l’éducation civique au travers d’un ouvrage Déclaration universelle des Droits de l’Homme de Héliane Bernard et Alexandre Faure, une coédition Mango- Album Dada avec l’Organisation des Nations Unies. Selon les programmes de 2002, ce sujet est « l’occasion d’aborder les articles qui concernent les diverses expressions de la liberté. » (p173).

Selon les programmes de 2002, un des objectifs de l’éducation civique au cycle 3 est de conduire l’enfant « à réfléchir sur les problèmes concrets posés par sa vie d’écolier et ainsi à prendre conscience de manière plus explicite de l’articulation entre liberté personnelle, contraintes de la vie sociale et affirmation des valeurs partagées. » (Programmes 2002, chapitre « éducation civique », cycle 3). De plus « l’élève doit avoir compris et retenu quelles sont les libertés individuelles qui sont permises par des contraintes de la vie collective ; quelles sont les valeurs universelles sur lesquelles on ne peut transiger (en s’appuyant sur La Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen). (Programmes 2002, chapitre « éducation civique, être citoyen en France »).

J’ai tout d’abord lu deux articles (article premier et article 19) de cet ouvrage sans leur donner la source. L’un traitait de la liberté et de l’égalité de chacun tandis que l’autre abordait la liberté d’opinion et d’expression. J’ai volontairement choisi ces deux articles car ils reprenaient les idées principales des deux ouvrages littéraires. Le but était que les élèves fassent le lien entre le contenu des articles et les albums. On peut parler ici de lecture en réseau dans le sens où l’objectif était qu’ils relient les

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thèmes récurrents. On remarque qu’il existe évidemment une passerelle entre la littérature de jeunesse et l’éducation civique.

c) Son déroulement :

Avant chaque débat, nous avons repris ensemble, avec les élèves les trois règles indispensables pour débattre. 1) Savoir présenter en public à savoir exposer clairement son idée. 2) Savoir intervenir dans la cadre d’un débat donc comprendre ce qui est dit par les autres intervenants, retenir ce qui est dit et ce qu’on a à dire, apporter une critique constructive. 3) Et enfin savoir respecter les règles du débat donc faire des interventions courtes et précises, illustrer son propos d’un exemple, respecter l’opinion des autres, réfuter un argument sans blesser celui qui l’expose, ne pas interrompre, demander la parole, attendre son tour. Les élèves s’étaient appropriés les règles sans grande difficulté. Ils étaient enthousiastes à l’idée de débattre sur un sujet car ils se sentaient libres de dire ce qu’ils avaient envie de dire. Ils appréciaient particulièrement le principe de s’exprimer librement sans se faire juger. Le fait que la maîtresse accueille leurs paroles simplement leur donnait de l’assurance.

Débat sur le sort de Bélisaire :

Le débat littéraire établit avec les élèves sur le sort de Bélisaire, sur l’acceptation de la différence fait autant partie du domaine de la littérature que de l’éducation civique. En effet ce débat intervient dans le cadre de la compréhension fine du texte mais il fait également partie d’une approche de la découverte de valeurs telles que la différence. J’ai choisi de le mettre plus particulièrement dans le débat littéraire car ce sujet est intervenu à la lecture du livre en premier lieu (voir partie sur le débat littéraire, 1ère partie). Néanmoins il ne faut pas oublier que le débat littéraire amène à un débat en éducation civique. Dans ce sens, littérature et éducation à la citoyenneté sont liées.

Débat à partir de la Déclaration universelle des droits de l’homme :

Suite à la lecture de deux articles de la Déclaration universelle des droits de l’homme, je leur ai demandé s’ils pouvaient deviner la provenance des deux textes qu’ils venaient d’écouter (à aucun moment je n’avais prononcé le terme d’ « article » pour ne pas les aiguiller). Certains ont répondu :

– « C’est le discours de quelqu’un de célèbre. »

– « Ça vient de L’île aux lapins. »

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Les élèves n’avaient pas réellement d’idées. Je les sentais gênés par ce texte historique qui avait l’air difficile d’accès pour eux. Les deux élèves qui ont répondu sont deux élèves qui participent généralement bien dans la classe. La réponse du premier ne se trouvait pas trop éloignée de la réalité.

Alors je les ai aidé en leur disant que c’étaient des articles. Mais, à ma grande surprise, ils ne trouvaient toujours pas. Je leur ai donc donné le titre de l’ouvrage, et quelques uns d’entre eux s’étaient rendus compte qu’ils avaient déjà « entendu » ce titre. Je leur ai présenté, à l’oral, le rôle de cette déclaration, pourquoi elle avait été écrite, son ancrage et son contexte historiques :

« La Déclaration universelle des droits de l’homme est un texte qui se décline en trente articles et qui a été adopté en 1948. Est-ce que vous connaissez l’évènement historique qui a précédé cette date ? C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (1939-1945). Vu l’atrocité de cette guerre, l’assemblée générale des Nations Unies a écrit ces articles et a proclamé les droits civils, politiques, sociaux et économiques des hommes. On ne souhaite plus revivre l’horreur de telles guerres. Les états membres de l’ONU doivent adopter et respecter cette déclaration pour que chacun puisse vivre en paix. »

Puis certains élèves ont reformulé ce que je venais de dire. Cela leur permettait de se familiariser avec ce sujet. J’essayais d’interroger des élèves un peu timides pour qu’ils entrent dans la discussion et qu’ils ne se laissent pas intimider par un texte historique. Voici ce qu’ils ont dit :

– « On a écrit ce texte après la seconde guerre mondiale parce que les hommes ne voulaient plus vivre ce qu’ils avaient vu pendant la guerre. »

– « L‘ONU a écrit ce texte pour que tous les pays ne se fassent plus la guerre, pour qu’il y ait la paix. »

« Mais que dit cette déclaration vis-à-vis des hommes ? » :

– « Elle dit les droits des hommes, ce qu’ils ont le droit de faire. »

Petit à petit, les élèves entraient dans la discussion après un moment d’hésitation dû, je pense, au sujet.

Ma question suivante s’est portée sur ce qu’ils avaient compris des deux articles. J’ai relu les deux articles. Un débat s’est mis en place dans la classe sur les différentes idées des élèves. Tous les élèves ont participé, même si certains avaient plus d’idées

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que les autres. Mais en général, même les plus réticents se sont mis à participer. Voici quelques unes de leurs réponses :

– « On a le droit d’être libre. »

– « Ca ressemble à L’île aux lapins avec Petit Brun qui veut être en liberté dans la nature. »

– « On est pareil. »

– « On est tous libres et égaux. »

– « C’est comme la famille de Petit- Gris qui veut être libre. »

Les deux élèves (Lucie, CM1 et Adrien CE2) à avoir évoqué L’île aux lapins et Petit- Gris sont deux enfants qui perçoivent le lien entre des ouvrages. Cela est peut- être dû à la fréquentation régulière de livres. Les autres élèves se sont ensuite mis à réfléchir sur la relation qui pouvait exister entre les deux ouvrages et les articles lus. Il y a eu donc un phénomène de réflexion et d’ouverture d’esprit grâce à ces deux élèves.

4) Le rôle de l’éducation civique :

a) Les finalités de l’éducation civique à l’école :

L’éducation civique a trois finalités : une finalité civique, celle de transmettre une conception de la citoyenneté qui s’enracine dans une histoire, dans des textes de référence ; une finalité intellectuelle et culturelle, celle d’initier des méthodes de raisonnement, de réflexion, de critique ; une finalité patrimoniale et sociale, celle de faire naître et développer des comportements sociaux et civiques qui vont imprégner la vie sociale et politique de l’individu tout au long de la vie.

une finalité civique :

La formation du citoyen est une des missions de l’école. Dans l’Antiquité, le citoyen se définit par son appartenance à une cité. Dans la période révolutionnaire, on introduit l’idée de représentation, ce qui montre que le citoyen est le membre de la nation vivant dans une communauté seule dépositaire de la souveraineté nationale.

Aujourd’hui, pour répondre à la demande sociale, l’école enseigne une nouvelle conception de la citoyenneté, la citoyenneté sociale qui se traduit par une éducation à la responsabilité, par la mise en place de comportements devant permettre le vivre

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ensemble. Ces finalités civiques sont rappelées dans les textes de lois d’orientation de 1989. Le projet de Loi d’orientation pour l’avenir de l’école (2005) définit un socle commun de connaissances et de compétences qui comprend « une culture humaniste et scientifique permettant l’exercice de la citoyenneté ».

Dans une démocratie, un individu autonome agit autant que possible après réflexion et délibération. L’acquisition des valeurs morales et civiques passe par la connaissance. L’enseignement civique apporte des savoirs et le citoyen instruit devient autonome. Il est alors plus apte à prendre des décisions pour bien se construire comme personne et comme être social. La découverte des valeurs implique une pratique citoyenne respectant les valeurs.

une finalité intellectuelle et culturelle :

L’enseignement de l’éducation civique a pour finalité d’aider à la construction de l’intelligence de l’enfant et à la formation de valeurs. Le maître met les enfants en situation de se familiariser avec une analyse des situations de la vie scolaire mais aussi sociale. Il les initie au questionnement et au débat. L’entraînement au maniement du raisonnement s’appuyant par exemple sur la découverte de documents vise à rendre l’enfant capable de penser et de juger librement. Ainsi l’épanouissement de l’enfant se mesure à un équilibre entre des valeurs personnelles et des valeurs sociales : respect des principes, et les mettre en pratique.

une finalité patrimoniale et sociale :

L’éducation civique a également pour finalité de faire construire à l’enfant sa place dans la société. Elle se doit aussi de faire construire à l’enfant son identité fondée sur la connaissance et le respect du patrimoine.

b) Acquérir des notions civiques et historiques :

Il fallait ensuite vérifier s’ils comprenaient « égaux en dignité et en droits ». Après explication de cette expression qui signifiait « que tout le monde avait les mêmes droits, qu’ils devaient être considérés de la même manière, et qu’ils avaient les mêmes droits », un élève de la classe a levé le doigt et a dit :

– « Les brigands n’ont pas le droit de pourchasser Petit- Gris car la famille du petit lapin était « comme eux ». Ils ne devaient pas les traiter comme des pauvres et des sans papiers. »

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Ce qui m’a surpris, c’est que cela venait d’un élève (Hugo) qui avait des difficultés dans les autres disciplines. Il avait donc réussi à mettre en relation la littérature et l’éducation civique. De plus il avait réussi à argumenter ses propos en faisant écho aux principes civiques. J’ai félicité Hugo et j’ai senti qu’il était fier. Il avait pris de l’assurance. Tous les élèves ont approuvés.

J’ai demandé ensuite ce que signifiait « agir les uns envers les autres dans un esprit de fraternité » :

– « Ca veut dire qu’il faut accepter les autres et se comporter comme des frères. »

– « C’est comme Petit Brun qui accepte le choix de Grand Gris. Il est d’accord pour le ramener à la fabrique. »

J’étais satisfaite car ils avaient su mettre en relation le contenu de l’article lu et les problèmes auxquels les personnages principaux des deux livres de littérature de jeunesse avaient dû faire face. Ils avaient compris que ce qui était écrit dans les deux articles de la déclaration n’était pas mis en acte dans les aventures de Petit- Gris. Les brigands avaient donc enfreint la loi. Par contre dans L’île aux lapins, Petit Brun avait respecté la liberté d’opinion de son ami.

Je leur ai relu l’article 19 en leur demandant ensuite de reformuler l’article. Le but était qu’ils s’approprient aisément le message de l’article avec leurs mots à eux. Voici leurs réponses :

– « On a le droit de dire ce qu’on pense. »

– « On a aussi le droit de dire ce qu’on veut. »

– « On est libre. »

Ils ont ensuite été amenés à réfléchir sur le terme « inquiété ». Vu qu’aucun ne connaissait la signification de ce mot, un élève a été cherché dans le dictionnaire et a lu la définition : « être harcelé, être menacé… ». Ils ont tout de suite pensé à Petit- Gris qui était harcelé par la police mais également à Grand Gris qui avait le droit d’exprimer sa préférence de rester enfermé dans la fabrique :

– « C’est comme Petit- Gris et sa famille qui sont poursuivis par les gendarmes. »

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– « Ils n’ont pas le droit de les mettre en prison pour ça. »

– « C’est pas bien de les mettre en prison parce qu’ils n’ont pas de papiers. Ca veut pas dire qu’ils sont hors la loi. »

– « C’est comme si les gendarmes étaient hors la loi parce qu’ils harcèlent la famille de Petit- Gris. » (Paroles de Lucie, CM1).

Le débat avait pris de la profondeur car ils avaient su accompagner leurs propos par des valeurs civiques.

Je leur ai ensuite distribué un petit explicatif de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme pour comprendre son historique, ses finalités. Le but était qu’ils saisissent l’importance de cette déclaration, la symbolique de sa date de diffusion (trois après la seconde guerre mondiale) et sa portée dans le monde entier. Les enfants se sont exprimés librement sur ce texte :

– « Il ne faut plus que ça arrive. »

– « C’est comme si c’était un pacte entre tous les pays de ne plus faire la guerre et de vivre en paix. » (Lucie, CM1).

– « Ce sont des lois qu’il faut respecter sinon on risque d’aller en prison. »

Ainsi verbaliser leurs pensées sur ce sujet leur permettait de mieux comprendre l’importance de ce dernier et de saisir le souhait de tous les pays de vivre en paix. Ils ont pris connaissance des trente articles.

Après cela, les élèves ont observé au tableau l’affiche de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (voir annexe 16). Je leur ai expliqué le contexte historique et nous avons analysé ensemble son contenu tant au niveau des illustrations qu’au niveau du texte. Le but de cette démarche était de deux ordres. Tout d’abord pour l’aspect culturel : il me semble que leur montrer un exemplaire historique leur permet d’acquérir des connaissances culturelles, historiques et civiques. Leur présenter un document « concret » et non simplement un document tiré d’un manuel leur donne la possibilité d’être plus sensibilisés et ainsi de garder en mémoire la symbolique de cette affiche. Deuxièmement pour l’aspect notionnel : leur donner des articles à lire et réfléchir dessus leur demande un travail de recherche de sens, d’idées et également de faire des inférences par rapport aux deux œuvres vues en classe. Pour chaque article choisi, un élève venait le lire face à ses camarades. C’était le cas pour les articles 9, 13(1°), 18, 25 et 26 en plus des deux découverts précédemment. Je leur ai distribué un exemplaire de La Déclaration universelle des Droits de l’Homme (voir

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annexe 15) pour qu’ils puissent suivre la lecture de leur camarade. Avec leur fluo, ils surlignaient les articles lus car la mise page de leur document personnel n’était pas très claire.

Voici leurs suggestions :

pour l’article 9 : « Nul ne peut être arbitrairement arrêté, détenu ni exilé. »

– « Ca veut dire que la police n’a pas le droit d’arrêter des personnes comme ça. »

– « Ça veut dire qu’on ne peut pas mettre des gens n prison sans savoir pourquoi. »

– « Ça me fait penser aux policiers qui veulent mettre en prison la famille de Petit-Gris parce qu’elle n’a pas de papiers. »

pour l’article 13 : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l’intérieur d’un Etat. »

– « On a le droit de marcher où on veut. »

– « On est libre d’aller où on veut. »

– « On peut habiter où on veut en France. »

– « C’est comme Petit Brun et Grand Gris, ils ont le droit d’être en liberté. »

– « Aussi, Grand Gris a le droit de choisir où il veut vivre. Il peut vivre dans la fabrique s’il en a envie. »

pour les articles 18 et 23 : « Tout personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ;( ce droit implique la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seul ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte ou l’accomplissement des rites.)». « Toute personne a droit à un travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection cotre le chômage. »

(Ces articles étaient assez complexes, je leur ai expliqué en leur donnant un exemple concret, une situation de classe, pour qu’ils comprennent le sens de ces passages).

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– « On a le droit de penser et de dire ce qu’on veut. »

– « Grand Gris a le droit de dire qu’il veut rentrer dans la fabrique parce qu’il se sent mieux là-bas, il est en sécurité. »

– « Petit Brun a aussi le droit de dire qu’il préfère être libre même s’il court de grands dangers. »

– « Il faut respecter les autres. »

– « C’est comme les parents de Petit- Gris qui choisissent de garder leur enfant même s’ils n’ont plus de maison. »

pour l’article 25 : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien- être et ceux de sa famille, notamment par l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux (…).»

(Je leur ai également donné des pistes pour qu’ils comprennent plus facilement cet article). Ils n’ont pas su exprimer en quoi renvoyait cet article dans la vie réelle. Ils ont seulement fait le lien avec Petit- Gris.

– « C’est comme Petit- Gris et sa famille qui n’ont pas de maison et d’argent. S’ils tombent malades, ils ne pourront pas aller chez le docteur parce qu’ils n’auront pas assez d’argent. Ils ont le droit d’avoir un toit. »

– « Ils ne peuvent pas aussi s’acheter à manger sauf s’ils font un jardin comme ils l’ont fait à la fin du livre. »

pour l’article 26 : « Toute personne a droit à l’éducation. L’éducation doit être gratuite au moins en ce qui concerne l’enseignement élémentaire et fondamental (…). L’éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et au renforcement du respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elle doit favoriser la compréhension, la tolérance et l’amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux ou religieux, ainsi que le développement des activités des Nations unies pour le maintien de la paix (…). »

(J’ai choisi de leur faire découvrir cet article, qui n’avait pas de liens apparents avec les œuvres lues, car je pensais qu’établir une passerelle entre ce document historique et le lieu dans lequel ils étaient pouvaient les sensibiliser encore plus et les impliquer de manière plus concrète dans ce sujet. Cela pouvait, par ailleurs, permettre un travail sur le rôle de l’école.) :

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– « Tous les enfants doivent aller à l’école. »

Après leur avoir expliquer les termes essentiels dans 2°, ils ont suggéré :

– « L’école permet aux enfants d’être heureux, d’apprendre des choses. »

– « L’école permet aussi de se faire des copains. »

– « Il faut respecter les autres. »

Suite à leurs propositions et aux différents articles lus, les élèves ont pris leur classeur d’éducation civique et on écrit « En tant qu’enfants, à quoi nous sert la Déclaration universelle des Droits de l’Homme ? »

L’activité a été très bien accueillie, les élèves levaient le doigt lorsqu’ils avaient une idée. Mon rôle était de les lister au tableau pour qu’ils puissent ensuite les recopier. L’ensemble de leurs idées se résume ainsi :

– à respecter les autres.

– A ne pas commander les autres.

– A ne pas forcer les autres à penser comme nous.

– A ne pas être jugé pour nos opinions.

– A ne pas se moquer des autres.

– A être libre de faire ce qu’on veut.

– A pouvoir s’exprimer et dire ce que l’on pense.

– A connaître nos droits.

– A savoir comment nous comporter en société.**

– A bien se comporter avec nos camarades.

– A ne pas juger sur les apparences.

– A devenir responsable.

– A ne pas être raciste.

Tous les élèves ont participé, peut- être parce que cela les concernait entièrement. Ils avaient tous quelque chose à proposer et étaient impatients que j’écrive au tableau leurs idées. Aucun phénomène de leader n’est apparu. Si un élève avait du mal à formuler correctement ses propos alors ses camarades lui venaient en aide. Un climat

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d’échange, d’écoute de l’autre et d’entraide s’était mis en place. Je les ai félicité pour cela.

c) Devenir et se sentir citoyen à part entière :

La finalité de cet exercice était qu’ils se sentent investis dans le rôle qu’ils jouent dans la société. Il fallait qu’ils comprennent que cette déclaration n’était pas seulement destinée à un public adulte mais aussi aux enfants car ils font partie intégrante de la société. Se sentir impliquer et réfléchir sur le rôle de ce document les amène à percevoir les responsabilités et les devoirs qu’ils doivent accomplir dans la vie de tous les jours.

Bélisaire :

Arrivés en fin de séquence, les élèves devaient réaliser une activité de « vivre ensemble ». Ils avaient une feuille sur laquelle il y avait différentes images décrivant, pour chacune d’elle, un enfant qui se moquait ou bien était ami avec l’autre enfant. Ils ont découpé leurs étiquettes, les ont étalé sur leur table. Puis nous avons discuté sur ce qui se passait dans chaque image, sans dire si c’était bien ou mal.

Ils ont pris leur cahier « Vivre ensemble » sur lequel était tracé au préalable un trait horizontal au milieu de la page. En haut de la première moitié de la feuille, se trouvait dessiné un point vert (symbole de « c’est bien ») et sur l’autre un point rouge (symbole de « c’est mal »). Les élèves connaissaient déjà ce code couleur.

L’objectif était de bien observer les images et de les classer selon la scène qu’elles représentaient « bien » ou « mal » (voir annexe 3). Au dessus de chacune d’elles était dessiné un symbole, soit un soleil (je m’entends bien avec mon camarade) soit un nuage avec des éclairs (je ne m’entends pas bien avec mon camarade). Cependant je me suis rendue compte que je n’aurais pas dû ajouter ces deux derniers symboles car certains élèves s’en sont servis pour ranger leurs étiquettes dans les parties rouge ou verte.

Une fois terminé, on a vérifié en collectif si tout le monde avait placé les images de la même manière en discutant sur ce qui était bien, et ce qui n’était pas bien dans ces illustrations. Les élèves ont collé leurs étiquettes (voir annexe 4).

Ils devaient ensuite réfléchir à un titre. Des élèves ont proposé :

– « Il faut être gentil avec les autres. »

– « Il ne faut pas être méchant. »

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Je voulais que les élèves se souviennent du terme que je leur avais dit « différence ». Comme il n’apparaissait pas dans leurs titres, je leur ai demandé la raison pour laquelle Bélisaire avait été rejeté. J’ai été surprise par la réponse d’une élève qui a répondu « parce qu’il est différent ». Cela ne m’étonnait pas de la part de cette élève. Mathilde avait, elle aussi comme deux élèves de CE2/ CM1, l’habitude de fréquenter les livres. Cela lui avait permis de cerner la situation de Bélisaire et de faire un lien avec l’éducation civique en lui donnant le terme de « différence ».

Je reprends en leur demandant un titre possible avec le mot « différence ». Mais je me suis rendue compte qu’ils n’arrivaient pas à verbaliser, à mettre en mot, ce à quoi ils pensaient. Donc je leur ai proposé le titre suivant : « J’accepte les différences ». J’ai demandé à certains élèves de répéter la phrase pour voir s’ils étaient d’accord avec et s’ils la comprenaient.

L’île aux lapins et Petit- Gris :

« Et l’école ? », ils ont réfléchi sur ce qu’ils pouvaient écrire : « Elle est gratuite. Elle nous apprend les valeurs républicaines**. Elle permet l’épanouissement de notre personnalité. Elle nous apprend le respect des droits de l’homme. Puis elle nous enseigne à tolérer et respecter les autres (voir annexe 17).

(** J’ai amené moi-même ces idées dans la mesure où le rôle du maître est de prendre en considération et valider les propositions qui sont acceptables mais aussi d’apporter des connaissances et des notions qu’ils ne pourraient pas deviner tout seul.)

Pour qu’ils aient une trace écrite de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, ils ont eu un tableau résumant « j’ai le droit »-« je n’ai pas le droit, on n’a pas le droit » (voir annexe 18). Le but était qu’ils aient à leur disposition un petit récapitulatif simplifié de leurs droits, tout en signifiant sur le document que nous étions partis des deux œuvres étudiées pendant les trois semaines.

Pour finir, je leur ai remis le document de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen qu’ils ont lu avant d’en discuter. Cela permettait de faire un parallèle entre la Déclaration universelle des Droits de l’Homme et de leur donner un apport culturel qu’ils pourront réinvestir lorsqu’ils l’étudieront de manière plus approfondie. Cela permet de les sensibiliser sur ce sujet par une première approche. Voici l’explication donnée aux élèves de cette déclaration :

« Cette déclaration a été rédigée le 26 Août 1789 pendant la révolution française. Le roi, avant cette déclaration, avait les pouvoirs, c’est-à-dire que le peuple ne décidait pas, ne votait pas les lois. Mais grâce à ce texte qui se décline en dix sept articles, les hommes ont désormais des droits inviolables, que

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personne ne peut leur interdire ni les en priver, comme la liberté et l’égalité de chacun, la liberté de pensée, d’opinion et d’expression. Ce sont en fait les principes universels des hommes. »

J’ai pu constater que la citoyenneté pouvait se construire à partir d’une réflexion sur les textes de La Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 puis sur La Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948. En effet l’enfant qui participe déjà à son niveau, en tant qu’enfant, à la vie de son groupe, est déjà, à son niveau, un citoyen à part entière.

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Tout au long de ce mémoire, j’ai tenté de montrer la manière de traiter avec les élèves des sujets d’éducation civique au travers de l’exploitation d’albums de littérature de jeunesse. Il est assez difficile de traiter de manière décontextualisée des sujets d’ordre civique à partir d’un manuel. J’ai donc voulu trouver un autre moyen d’entrée permettant la réelle implication des élèves.Proposer des lectures riches de sujets « citoyens » rend les élèves capables d’une réflexion fine. Ils mobilisent des compétences nécessaires à la construction du citoyen. De plus, la littérature de jeunesse permet de traiter avec les élèves de manière détournée des sujets d’actualité comme : l’acceptation de la différence, la tolérance, la pauvreté… En effet, elle est un bon support car elle touche la sensibilité des enfants et les implique dans les activités proposées en classe. Les élèves découvrent des thèmes d’éducation civique au travers de personnages fictifs. La littérature permet aux élèves de prendre distance par rapport à des situations qu’ils peuvent vivre dans la réalité. Elle est un moyen d’adoucir les sujets d’actualité tout en leur montrant leur existence.Mais tout d’abord, avant de discuter sur des thèmes d’éducation civique, il est nécessaire, pour une meilleure appropriation, que l’élève ait compris le sens de l’album. Cela demande un long travail de découverte du sens, une recherche du sens caché, une appropriation personnelle de l’histoire et l'identification avec les personnages. C’est ce que préconisent les programmes de 2002 :

« Le sens n’est pas donné, il se construit dans la relation entre le texte, le lecteur et l’expérience sociale et culturelle dans laquelle il s’inscrit. Cette curiosité- là s’apprend, s’exerce, se développe progressivement. Elle forge les compétences propices à l’entrée en littérature. » (Documents d’application « Littérature au cycle 3).

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Conclusion

Il faut que les élèves prennent conscience qu’il est nécessaire d’endosser le rôle de chercheur. C’est donc :

« Avoir compris que le sens d’une œuvre littéraire n’est pas immédiatement accessible, mais que le travail d’interprétation nécessaire ne peut s’affranchir des contraintes du texte. » (Compétences devant être acquises en Littérature « dire, lire, écrire » au Cycle 3).

J’ai tenté de montrer différentes activités offrant ce cheminement: le questionnement du texte, les écrits de travail, le travail à partir des illustrations. Vient ensuite la discussion sur le texte qui permet d’aiguiser la compréhension des élèves de l’album. Le débat joue un rôle très important tant en littérature qu’en éducation civique. Débattre sur les différentes interprétations possibles d’un album, sur des sujets d’ordre civique semble une activité essentielle à mettre en place en classe. Débattre est une nécessité dans toute société démocratique. Débattre, c’est construire intellectuellement et culturellement le système dans lequel on vit avec d’autres, et c’est également se construire soi- même. Débattre, c’est s’expliquer, argumenter, exposer son point de vue et écouter l’autre. C’est accepter la parole de l’autre, les points de vue divergents et pouvoir discuter de ces derniers. Dans certains cas, le débat aboutit à rapprocher les points de vue, à les unifier. Mais il faut surtout qu’il oblige chacun à aller le plus loin possible dans l’argumentation. Pour conclure, débattre, c’est permettre de vivre dans une société où la relation est possible, où la communication ne laisse pas place à l’ignorance, à l’indifférence.

Ainsi à travers les albums que j’ai proposés aux élèves, durant mes différents stages, j’ai voulu prouver le lien qui existe en la littérature de jeunesse et l’éducation à la citoyenneté. La littérature permet d’atteindre des objectifs qu’il est essentiel pour un enseignant de mettre à jour : traiter avec les élèves de sujets civiques d’actualité pour comprendre le monde dans lequel ils vivent et pour agir en tant que citoyens, et leur apprendre à faire appel à leur sens critique pour devenir des citoyens libres, réfléchis, conscients de leurs actes et de leurs décisions.

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Littérature :

Claustre Daniel, Dormoy Denis, Tauveron Catherine. Lire la littérature à l’école. Pourquoi et comment conduire cet apprentissage spécifique ? de la GS au CM, Hatier Pédagogie, 2002.

Scéren, CNDP, Lire au CP (1), Documents d’application, Ministère de l’éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche, Collection Ecole, 2002.

Scéren, CNDP, Lire au CP (2), Documents d’application, Ministère de l’éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche, Collection Ecole, 2002.

Scéren, CNDP, Littérature (1) cycle 3, Documents d’application, Ministère de l’éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche, Collection Ecole, 2004.

Scéren, CNDP, Littérature (2) cycle 3, Documents d’application, Ministère de l’éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche, Collection Ecole, 2004.

Scéren, CNDP, Lire et écrire au cycle 3, Documents d’application, Ministère de l’éducation nationale de l’enseignement supérieur et de la recherche, Collection Ecole, 2003.

Scéren, CNDP, qu'apprend-on à l'école élémentaire, Programmes de 2002, Ministère de l'éducation nationale, XO éditions, 2002.

Poslaniec Christian, Vous avez dit « littérature » ?, Hachette éducation, 2002.

Poslaniec Christian, Pratique de la littérature de jeunesse à l’école, comment élaborer des activités concrètes, Hachette éducation 2003.

Beltrami Daniel, Quet François, Rémond Martine, Ruffier Josyane, Lectures pour le cycle 3, enseigner la compréhension par le débat interprétatif, Hatier, Paris 2004.

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BIBLIOGRAPHIE

Scéren, CRDP Académie de Versailles, La lecture et la culture littéraires au cycle des approfondissements, 2004.

Gombault Ludovic- Jérôme, Miri Nadia, Rabany Anne, Littérature: l'album cycle 2, Bordas pédagogie, 2002.Vérin, Mettre par écrit ses idées pour les faire évoluer en sciences, dans Repères n°12, Paris, p 21- 36).

Education à la citoyenneté :

Boulanger Claudine, Jourdanet Jacques, Martinetti Françoise, Marzuk Brigitte, Ricard Christophe, Pratiques de l’éducation civique à l’école primaire, Scéren, CRDP Académie de Nice, 2005.

Flonneau Monique, L'éducation à la citoyenneté cycles 2 et 3, Nathan, 2004.

Héliane Bernard et Alexandre Faure, Déclaration universelle des Droits de l’Homme, une coédition Mango- Album Dada avec l’Organisation des Nations Unies.

Allègre Claude, Dubet François, Meirieu Philippe, Le rapport Langevin- Wallon, éditions Mille et une nuits, 2004.

Albums de littérature de jeunesse :

Müller Jörg, Steiner Jörg, L’île aux lapins, Duculot, 1978.

Müller Jörg, Steiner Jörg, L’île aux lapins, Mijade, 1999.

Elzbieta, Petit- Gris, L'école des loisirs, 1995.

Dorémus Gaëtan, Bélisaire, Seuil Jeunesse, 2001.

La Fontaine, Les fables, « le loup et le renard »,

Elisabeth Brami et Lionel le Néouanic, Moi je déteste, maman adore, éditions Seuil jeunesse.

Elzbieta, Flon- Flon et Musette, édition Pastel, L'école des Loisirs, 1993.

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Scieszka Jon, Smith Lane, Le petit homme de fromage et autres contes, Seuil jeunesse, Paris, 1995.

Elzbieta, La pêche à la sirène, Editions Pastel, L'école des Loisirs, 1992.

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Annexes

Annexe 1 :

A) Résumé de Bélisaire :

Bélisaire est l’histoire d’un tigre qui, le jour est boulanger, et la nuit conteur devant

les villageois. La particularité de cet animal est qu’il s’est approprié le mode de vie des

humains dans le sens où il porte des vêtements. Aimé de tout le monde, et

particulièrement des enfants à qui il donne des bonbons, Bélisaire s’est parfaitement

intégré dans la vie des hommes. Cela jusqu’au jour où il décide, un soir, de se montrer

sous sa vraie nature, pas déguisé mais en tigre. Les villageois apeurés interdirent aux

enfants de le revoir, se rassemblèrent et décidèrent communément de l’envoyer en

cage, et non en prison (seulement destinée aux humains). Seul, Bélisaire balance entre

tristesse et colère d’avoir été jugé ainsi par ses « anciens pairs ». Mais les enfants

n’acceptent pas la décision des adultes, et pour cela, ils se peignent en tigre. Leurs

parents, conscients de leur erreur de jugement, demandent pardon au tigre. C’est

ainsi que ce dernier retrouve sa liberté et peut ainsi reprendre son métier de

boulanger le jour et de conteur le soir.

B) Résumé de L’île aux lapins :

Petit- Gris, un petit lapin, est amené dans une fabrique de lapins qui les nourrit

abondamment pour ensuite les tuer et les vendre dans le commerce. Mais cela n’est

pas dit explicitement dans le livre, on le devine seulement. Le jeune lapin est mis dans

la cage d’un gros lapin, Grand- Gris, qui est déjà dans ces lieux depuis quelques temps.

Petit- Gris n’apprécie pas du tout cet endroit et rêve de liberté. Il pousse son nouveau

camarade à s’enfuir avec lui en creusant un tunnel. Bien qu’il n’ait pas très envie de

partir (car il ne sait plus à quoi ressemble la vie

dans la nature), il le suit. Une fois en liberté, ils leur arrivent quelques péripéties et

quelques aléas de la vie en nature auxquelles ils doivent faire face : la route à

I

traverser, trouver à manger, fuir un chasseur et son chien, creuser un terrier. Grand-

Gris ne se sent pas bien, il a perdu tous ses instincts d’animal. Il propose au petit lapin

de le ramener à l’usine où il pourra manger à son gré, être au chaud et en « sécurité ».

Voilà nos deux lapins qui se quittent mais qui resteront toujours amis : l’un ayant fait

découvrir l’usine, l’autre la liberté.

C) Résumé de Petit- Gris :

Petit- Gris est un jeune lapin qui vit avec ses parents dans une maison très délabrée.

Un jour, la police vient les retrouver et leur demande de montrer leurs papiers.

Malheureusement la famille lapins n’en possède pas et ils sont exclus de leur logement.

Les voilà errant dans la nature à chercher un nouveau toit. Constatant leur niveau de

vie, ils décident de donner leur fils à une famille aisée où il pourra vivre dans le

confort tant matériel que moral. Mais leur amour pour lui est plus fort, et ils

choisissent de le garder. En effet on est plus fort quand on est ensemble. La police

les pourchasse et les menace de les envoyer en prison. En marchant, Petit- Gris trouve

une éponge et la garde précieusement, elle pourra peut- être lui être utile un jour où

l’autre. Un jour ils décident de vivre sur une île sur laquelle ils y construisent une

maison à l’aide de cartons, un jardin. Les voilà heureux et comblés : un toit, de la

nourriture, des vêtements. Mais la police les harcèle toujours, et leur répète : « pas

de papiers, en prison ». Petit- Gris, qui ne supporte plus leurs menaces, prend son

éponge magique et les efface. Les voilà désormais tranquilles et en paix.

II

Annexe 2:

Bref historique de l’évolution de l’éducation à la citoyenneté à l’école :

L’instruction morale et civique dans l’école républicaine, les programmes de

1882 et de 1887 :

L’œuvre scolaire de la IIIème République demeure la réalisation la plus importante de

l’époque. L’instruction morale et civique correspond à la mise en place de l’école

républicaine par Jules Ferry. Il est écrit dans les lois de 1881-1882 que

« l’enseignement primaire comprend l’instruction morale et civique, la lecture et

l’écriture, la langue et les éléments de la littérature française… ». (, p 15). Ce

texte, qui remplace l’enseignement religieux par l’instruction morale et civique, palace

celle- ci en tête et vise à établir l’égalité devant des savoirs fondamentaux.

En 1887, un arrêté fixe l’organisation pédagogique. L’article 17

indique : « L’enseignement donné dans les écoles primaires publiques se rapporte à

un triple objet : l’éducation physique, l’éducation intellectuelle, l’éducation

morale. » (Pratique de l’éducation civique à ‘école primaire, p 15). Il est précisé qu’il

fau consacrer une heure et quart par semaine à l’instruction civique et morale.

les programmes de 1923 :

Ils sont en lien avec le contexte historique dans lequel se trouve la France, à savoir

l’après première guerre mondiale. Cela marque une rupture majeure dans l’histoire de

l’Europe. Les instructions officielles rappellent les finalités de l’enseignement

primaire qu sont de « former l’homme et le citoyen de demain »

(extraits des IO du 20 Juin 1923). Comme le souligne Paul Bourde dans Le Patriote

(extrait des Cours des Ecoles primaires élémentaires, Instruction civique à l’usage du

cours supérieur des écoles primaires, éditions Delagrave, Paris, p 22) : « La France

III

est un pays libre où la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens de sorte

que, comme citoyen, tu possèderas une partie du pouvoir souverain. C’est un

droit qui te donnera une influence dans les affaires de la nation, et c’est une

fonction qui te rendra responsable de cette influence.(…) Si tu veux vivre en

honnête homme aimant ses semblables, il faut que tu sois un citoyen attentif à

ses devoirs et ardent à les remplir. ».

La morale, les programmes de 1940 et 1941 :

La France se trouve sus le gouvernement de Vichy. L’instruction civique est remplacée

par la morale. Voici les programmes des 23 Novembre 1940 et 10 Mars 1941 qui

revendiquent une heure par semaine d’apprentissage de la morale :

a) Principes de la morale : la conscience.

b) Morale personnelle : devoir de l’homme envers lui- même.

c) Morale sociale : le Travail, loi essentielle de l’homme.

d) Les fins de la morale : le bien et le bonheur.

Le retour de l’instruction civique, les programmes de 1947 :

La IVème République est marquée par un redressement économique, par une

croissance liée au Baby- boom et par l’épanouissement de la population.

Sur le plan éducatif, la commission Langevin- Wallon créée en 1944 élabore un plan

célèbre. Pour la première fois dans un texte officiel, l’Ecole est conçue

explicitement en fonction des enfants, de leur âge, de leurs aptitudes. Dans le

chapitre intitulé « L’éducation morale et civique, formation de l’homme et du citoyen »

(p 74), il est souligné que : « L’éducation morale et civique n’aura sa pleine

efficacité que si l’influence de l’enseignement proprement dit se complète par

l’entraînement à l’action. Le respect de la personne et des droits d’autrui, le

IV

sens de l’intérêt général, le consentement à la règle, l’esprit d’initiative, le goût

des responsabilités ne se peuvent acquérir que par la pratique de la vie sociale.

Elle devra donc s’organiser pour leur permettre de multiplier leurs expériences,

en leur donnant une part de plus en plus grande de liberté et de responsabilité

dans le travail de classe. »

Les programmes de 1947 :

En 1945, après la période de Vichy qui a bafoué les idéaux républicains fondés sur les

droits de l’homme, l’instruction morale et civique propose de créer le désir et la

capacité de comprendre ce qu’est une démocratie en France.

L’instruction civique dans les programmes de 1969 :

Au cours des années 1960, on assiste à un lent déclin de l’enseignement de

l’instruction civique à l’école primaire. La France cherche son unité ailleurs que dans

l’étude des institutions et des principes politiques. Cela s’explique par l’ouverture à

l’Europe et au monde. Il ne s’agit plus de faire des bons français, républicains et

patriotes mais des consommateurs avertis. Les préoccupations vont vers les

approches transversales et l’interdisciplinarité. En effet le chapitre « instruction

civique » des programmes à l’école disparaît. On s’appuie désormais sur l’idée que

l’apprentissage du civisme se fait naturellement. Il est indiqué que « l’éducation

civique est une préoccupation permanente de tous les

éducateurs quelque soit la discipline qu’ils enseignent. En conséquence, elle ne

dispose pas d’un horaire spécifique. »

L’éducation morale et civique dans les programmes de 1977, 1978 et

1980 :

V

Le ministère annonce, pour chacun des trois cycles, que l’éducation morale e civique

mérite que lui soit réservé un texte particulier. Voici un extrait du BO n°12 du 31

Mars 1977 : « Ce sont par lesquels (les objectifs) l’école s’efforce de développer

les divers aspects de la personnalité de l’enfant qui contribuent à forger les

cadres et les ressorts de la vie morale de l’homme et du citoyen qu’il est appelé

à devenir (…). ».

Au cycle préparatoire, les programmes privilégient une éducation au comportement.

Il s’agit de donner aux élèves des manières de se comporter physiquement et

moralement car ce sont les supports de l’épanouissement de l’homme en devenir.

Au cycle élémentaire, il faut continuer cette éducation morale et civique. L’enfant

doit s’adapter à la vie sociale (règles du groupe, respect d’autrui, respect de soi) et à

la vie de classe.

Au cycle moyen, les programmes axent l’éducation civique sur deux volets : d’un côté,

il s’agit de connaître le fonctionnement de la vie sociale, se comporter correctement

envers les autres et les respecter, d’acquérir des attitudes de civisme telles que la

prise de conscience des valeurs démocratiques. D’un autre côté, au niveau

pédagogique, il s’agit de mettre en place une démarche éducative fondée sur deux

principes : aller du vécu au conçu et aller du spontané au réfléchi. Tout cela vise à

l’épanouissement harmonieux des personnalités.

L’éducation civique depuis 1985 :

Depuis une vingtaine d’années, la citoyenneté est revenue au premier plan des

préoccupations du système éducatif français. Ceci est lié au contexte économique et

social que connaissent le monde et la France depuis les années 1970.

Au début des années 1980, de nouvelles préoccupations apparaissent, liées aux

mutations économiques et sociales qui accompagnent la montée du chômage. La France

se découvre davantage plurielle, les incivilités se multiplient dans les établissements

scolaires. A partir de 1982, une réflexion sur l’éducation aux droits de l’homme

VI

s’amorce, liée à l’évolution de la société française.

L’éducation civique rentre à nouveau dans les programmes de l’école avec Jean- Pierre

Chevènement en 1985. Il déclare que : « L’éducation civique est un devoir de la

République parce que la République a besoin de citoyens. (…) ». Eminemment

morale, l’éducation civique développe l’honnêteté, l courage, le refus des

racismes, l’amour de la République. ». Ainsi l’éducation civique est la pièce maîtresse

de l’éducation, elle est garant des libertés. elle apprend à l’enfant qu’il ne vit pas seul,

qu’il a des droits mais aussi des devoirs. Eminemment morale, l’éducation civique

développe l’honnêteté, le courage, le refus des racismes.

Les programmes de 1995 définissent trois finalités pour l’éducation civique (éducation

aux droits de l’homme, éducation à la responsabilité, éducation au jugement). Ils

suggèrent une démarche nouvelle basée sur l’analyse de situations ayant trait à la vie

quotidienne de l’élève, sur une initiation aux méthodes de recherche et sur la

connaissance des grands textes de référence.

En 1997-1998, deux textes de Ségolène Royal précisent ce que doit être l’éducation

civique à l’école. Elle doit inclure l’éducation aux valeurs universelles des droits de

l’homme et de la démocratie. Voici un extrait du BO du 16 Octobre 1997 :

« Apprendre la citoyenneté pour les élèves d’aujourd’hui, c’est d’abord apprendre

à vivre ensemble à l’école.

Apprendre la citoyenneté, c’est également comprendre que la vie en société

nécessite des efforts et du travail.

Apprendre la citoyenneté, c’est aussi être capable de donner le meilleur de soi-

même en étant attentif aux camarades en difficultés ou handicapés. »

Il faut donc savoir choisir sa conduite et déterminer son comportement sur les bases

VII

d’une morale civique.

VIII

Annexe 3

IX

Annexe 4

X

Annexe 5

XI

Annexe 6

XII

Annexe 7

XIII

Annexe 8

XIV

Annexe 9

XV

Annexe 10

XVI

Annexe 11

XVII

Annexe 12

XVIII

Annexe 13

XIX

Annexe 14

XX

Annexe 15

XXI

Annexe 16

XXII

Annexe 17

XXIII

Annexe 18

XXIV

RESUME :

L'école a pour rôle d'éduquer les élèves à la citoyenneté. Mais pour qu'ils s'investissent réellement dans cet apprentissage, il faut trouver un mode d'entrée original. Pour cette raison, la littérature de jeunesse semble être une voie possible, au travers des différents thèmes d'actualité qu'elle propose, pour aborder les compétences nécessaires à la construction du futur citoyen.

MOTS CLES :

Littérature de jeunesse / civisme / éducation civique.

LA LITTERATURE DE JEUNESSE, UNE OUVERTURE VERS L'EDUCATION A LA

CITOYENNETE