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  • la petite vermillon

     

    lisbonne_pv_1.fm  Page 1  Vendredi, 6. mars 2009  10:53 10

  • Du même auteur

    Roger Nimier, trafiquant d’insolence

    , Le Rocher, 1989,prix des Deux-Magots ; La Petite Vermillon,2007.

    Basse saison

    , Albin Michel, 1991.

    La vie sera plus belle

    , Albin Michel, 1994.

    Port d’attache

    , Albin Michel, 1998. Prix François-Mauriac de l’Académie française et prix Henri-Queffélec.

    Souviens-toi de Lisbonne

    , La Table Ronde, 1998.

    Maupassant, le clandestin

    , Mercure de France, 2000.

    Esquisses normandes

    , National Geographic, 2002.

    Ports mythiques

    , Le Chêne, 2002.

    Un homme à la mer

    , Mercure de France, 2004 ; Folio,2007.

    Vietnam,

    Éditions du Chêne, 2004. Photographiesde Nicolas Cornet.

     

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  • La Table Ronde

    14, rue Séguier, Paris 6

    e

    Olivier Frébourg

    SOUVIENS-TOIDE LISBONNE

     

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  • Première publication : La Table Ronde, 1998.

    © Éditions de La Table Ronde, Paris, 2008.ISBN 978-2-7103-3054-7.

     

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  • « Le Portugal est un pays où l’on estheureux, où je crois nous pourrionsvivre agréablement. Il a pour lui leclimat, les paysages, l’océan et aussi leclimat moral d’un vieux et glorieuxroyaume européen avec de vastescolonies, un empire d’outre-mer.Comme la Hollande. En Europe, lespetits États ont toujours été et seronttoujours ceux où l’on vit le mieux. »

    Valery Larbaud

    .

    À jamais, je resterai l’amant idéal et indignedes voyages lointains et des mers azur,et je mourrai un soir semblable à tous les soirssans fendre la ligne trouble des horizons.

    Nikos Kavaddias.

     

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  • Tu sais, je suis revenu à Lisbonne, dans cetteganterie de la rue des Carmes qui est un jeu demiroirs et de marbre, une incursion viennoisedans une ville atlantique.

    Chez

    Luvas

    , tu avais choisi des gants decuir rose. Le vendeur y avait versé du talccomme s’il répandait du sable. Tu n’as jamaisaimé tes mains. Tu n’auras pas mis une seulefois les gants effilés, de cuir rose, que je t’avaisofferts au Portugal.

     

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  •  

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    Je vais remonter les losanges blancs de la ruedes Carmes et de la rue Garrett. Je prendraiun café à la terrasse de

    A Brasileira

    et m’abî-merai dans la contemplation des passants quidévalent vers le Rossio, s’arrêtent devant lesboutiques provinciales, entrent dans desimmeubles obscurs, à l’escalier poussiéreux,aux boîtes aux lettres anonymes. Je visiterailes trois églises qui bordent la frontière entreChiado et Rossio, présences massives et blan-ches, promesses que le ciel ne s’écrouleraplus.

    C’est un rite, ce café, le matin ; une ciga-rette blonde, à la terrasse de

    A Brasileira

    , duhaut d’un balcon qui ouvrait nos voyages à Lis-bonne. Je dresse l’état des lieux. La lumière melaisse en suspens, particule qui finirait par dis-

     

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  • paraître dans le soleil : la fuite, le bonheur, lamélancolie, l’amour fou peut-être.

    Lisbonne. Je m’y coulerai, j’y reviendrai.Ces allers et retours seront des caresses, desoscillations : les matins du Portugal, le cielbleu au-dessus des maisons, l’air du Tage etl’incertitude déchirante qui gouverne toute vieportuaire. Longtemps, nous avions gardé cemot de passe sur nous et entre nous : Lis-bonne. Si l’aventure tournait mal, si l’histoiredevenait trop noire, la ville blanche serait notrepoint de chute. Nous n’étions ni gangsters nidesperados, mais amants, ennemis privésrecherchés par nous-mêmes.

     

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    Dans la librairie de la rue Garrett, où sontexposées des cartes scolaires du Portugal, j’aiacheté des numéros d’

    Oceanos

    , la revue de géo-graphie maritime. Des photos noir et blancmontrent les côtes du Mozambique. J’enretiens des visions de forts, de citadelles aubord des plages, une impression d’attente,d’abandon. L’ancien comptoir portugais ren-voie à la route des épices, au croissant doré qui,du Tage, courait le long des côtes d’Afrique del’Ouest, passait le cap de Bonne-Espérance,reliait Goa et Macao. La guerre ! Je vois laguerre, des cuirasses, la tente d’un gouverneurmilitaire. Mozambique, Angola, São Tomé,points avancés de la chute de l’empire lusita-nien, « cul de Judas » où tomba, sous une cha-leur absurde, une génération de Portugais.

     

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  • L’empire n’est plus qu’un département dufinistère. Cette route de l’Ouest convient à lamélancolie. En fait, nous sommes des hippiesaux cheveux courts, qui porteraient une cra-vate de temps à autre. Habiller sa vie d’unemanière à peu près classique.

     

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    Je suis seul à Lisbonne comme l’année où jevins pour la première fois. Un voyage qui,entre-temps, m’a semblé appartenir à uneavant-guerre. Maintenant, attablé à la terrassed’un café, dans un tête-à-tête avec la ville où jeremonte le long monologue du Tage, il meparaît très proche.

    Tu as connu Antoine, cet ami de jeunessequi me révéla le Portugal. Saint Antoine estl’un des patrons de la ville, et

    La Tentation desaint Antoine

    de Jérôme Bosch se confond avecmon premier voyage. Un matin, dans le muséedésert des Arts antiques, rue das Janelas Ver-des, j’ai dérivé, seul, au fil du courant, entre

    LaTentation

    et le Tage. Le tableau était tourné versune fenêtre pour échapper à la fin du monde,et le fleuve, au pied du musée, évoquait sou-dain la mer libre.

     

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    Antoine avait séjourné en Algarve, dans lapetite île de Fuzeta. À la nuit tombée, il m’écri-vait des lettres. Une île, une femme blonde,une lampe à pétrole, des livres, des amandiersen fleur, des bouteilles de vinho branco, descigarettes S. G. Nous avions la conviction quenous partirions tous un jour pour Fuzeta.

    Étudiants à Rouen, Antoine et moi passionsnos journées dans les librairies, nos soiréesdans les bars, nos week-ends dans des maisonsde famille entre Sainte-Honorine-des-Pertes etPort-en-Bessin. Nous regardions l’horizon :pas de débarquement en vue. Nous nous pre-nions pour des résistants ou pour des person-nages de Bernard Frank. Au cimetière améri-cain d’Omaha-Beach, nous regardions lesnoms gravés sur les croix blanches. Nousrêvions d’acheter un Dodge et une Jeep frappésde l’étoile américaine.

    L’après-midi, dans des chaises longues detoile aux couleurs délavées par l’air salin, nouslisions

    Regain en pays d’Auge

    d’EmmanuelBerl : méditation sur la jeunesse, les généra-tions, la mémoire et les profils de jeune fille. Cepays d’Auge — la sonorité du nom et ses pers-pectives se confondent pour nous à tout jamais

     

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    avec le souvenir de Proust, des michelines rou-ges d’intérêt local et la lumière du matin —,c’était notre Balbec, notre géographie bleue etduveteuse.

    Le soir, à l’heure du Martini, nous écou-tions

    Le Chant des partisans

    et

    Warum

    deCamillo qui passaient sur un pick-up de for-tune (« Die Täge gehen ou sag Warum »). Lesable sur le parquet de bois, les filles qui mar-chaient pieds nus, nous renvoyaient à uneavant-guerre. Nous nous répétions ce dialoguede

    La Campagne d’Italie

    de Michel Mohrt :« Ils firent quelques pas en silence et Talbotdit :

    » — On reste sonné, tu ne trouves pas ?» — Oui, dit Léveillé, on n’est pas près de

    s’en remettre.» — On ne s’en remettra jamais, dit

    Talbot. »À la fin de la soirée, nous choquions nos

    verres en jurant de partir le lendemain pour lePortugal. Et pourquoi pas le Guatemala ?L’Australie ? Les îles Trobriand ?

    Tu te souviens que nous sommes allés tousles deux à la gare de Fuzeta-Moncarapacho,près de Tavira. Une fin d’après-midi, nous

     

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  • avons bu un café devant l’île, sur le bord demer qui disparaît dans la lagune et les maraissalants. Il était trop tard pour prendre unbateau. Le soleil si doux de novembre formaitun cercle de sang voilé par la brume du soir.Nous avons dîné à Tavira de crevettes grillées,orange comme des bananes de corail, et de vinblanc, au

    Sherry’s Bar

    , un comptoir de plage etde nuit, fréquenté par des Angolais.

     

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  • 19

    Devions-nous faire de la saudade notrerespiration ?

    J’appartiens à une génération que les anna-les ne retiendront pas. Notre champ de bataillefut sans victoire ni défaite. Nous n’avonsconnu ni l’élan de la conquête ni le dénue-ment. Nous avons préféré l’économie à l’aven-ture, le confort à la fracture. « Ce qui nous dis-tinguait de nos maîtres à vingt ans, écrivaitMalraux, c’était la présence de l’Histoire. Poureux, il ne s’était rien passé. Nous, nous com-mençons par des tués. Nous, nous sommes desgens dont l’Histoire a traversé le champcomme un char. » Cette déception nous a sansdoute conduits à jouer la vie sur une ligne defuite.

    J’avais abordé le Portugal par Porto. C’étaiten février. La longue route de l’aéroport, entre

     

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  • mer et forêt. Le visage slave et crispé du chauf-feur de taxi, sa nuque rase d’agent secret. Ilallait me conduire dans une villa perdue où jeserais interrogé par la police politique et péri-rais d’ennui.

    La tristesse m’avait saisi dès le

    Majestic

    , uncafé qui fut ma première image du Portugal.Un paysage de ventilateurs, des moulures, destables de marbre, du vieux cuir, des serveursgalonnés, des étudiantes en droit. Depuis,n’importe quelle jeune Portugaise habilléed’une jupe noire et d’un chemisier blanc estune étudiante en droit. C’était il y a dix ans etmaintenant, seul, je me surprends à désirer cesadolescentes serrées dans des pantalons, con-quérantes qui, la nuit, vont danser sur lesdocks d’Alcântara.

    À Porto, prisonnier de la mélancolie den’être que moi-même, j’aurais pu reprendre lepremier avion. Dans le même temps, je décou-vrais l’exotisme de la ville, la fatalité et ladéception du fleuve, le Douro. Le Portugalétait une province d’Amérique du Sud. L’his-toire aurait pu commencer à Veracruz.

     

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    Rien ne me surprit à Lisbonne. Quand j’ailongé en taxi l’avenida Infante dom Henrique,j’ai eu l’impression de filmer ma vie. Je recon-naissais les hangars, les couleurs, les quais, lesbateaux. Ces quartiers déchus, je les avais déjàtraversés. Lisbonne était une ville flottante.Mes ivresses l’avaient dessinée. Elle se soumet-tait à mes métamorphoses.

    La nuit, abruti par le gin, j’allais au

    Ritz

    ,dancing pouilleux et théâtral, écouter unorchestre de rastas jouer

    Que reste-t-il de nosamours

    ?

    De vieux maîtres d’hôtel fatigués parles nuits blanches, les orchestres et les clientsamers, glissaient sur un parquet imprégné desueur et de fumée. À la sortie, je m’étais battuderrière la gare du Rossio. Bousculade sur lespavés qui me collaient aux pieds. Coup de

     

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  • 278. Jean-Paul Caracalla Saint-Germain-des-Prés279. Stéphane Martinez Slam entre les mots280. Patrice Lelorain La Légende de Muhammad Ali281. Alain Saint-Ogan Je me souviens de Zig et Puce282. Gabriel Matzneff Comme le feu mêlé d’aromates283. Pierre Joannon Michael Collins. Une biographie284. Jean Freustié Ne délivrer que sur ordonnance.

    L’Entracte algérien285. Jean Anouilh Pièces brillantes286. Jean Anouilh Pièces grinçantes287. Jean Anouilh Pièces roses288. Jean Anouilh Pièces noires289. Jean Anouilh Pièces costumées290. Jean Anouilh Nouvelles Pièces grinçantes291. Jean Anouilh Pièces baroques292. Jean Anouilh Pièces secrètes293. Jean Anouilh Pièces farceuses294. Jean-Luc Coatalem Suite indochinoise295. Sébastien Lapaque Court Voyage équinoxial296. Olivier Frébourg Souviens-toi de Lisbonne

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  • Cet ouvrage a été achevé d’imprimerpar l’Imprimerie Darantiere (Quetigny)

    en avril 2008 pour le compte desÉditions de La Table Ronde.

    Dépôt légal : avril 2008.Nº d’édition : 157712.Nº d’impression : •••••••••••••

    Imprimé en France.

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