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Éditorial La réhabilitation rapide après chirurgie digestive. Une approche multidisciplinaire Early recovery after digestive surgery. A multidisciplinary approach Mots clés : Réhabilitation rapide ; Chirurgie ; Médecine factuelle Keywords: Fast-track surgery; Gastrointestinal surgery; Evidence-based medicine E. Pélissier et al. [1] publient dans ce numéro une étude sur la réduction de la durée d’hospitalisation après résection colorectale. Ils sont parmi les rares équipes françaises à avoir appliqué dans leur pratique quotidienne les principes de la « fast track surgery » (FTS) développés par Kehlet et son équipe [2] et surtout à avoir évalué et publié leurs résultats. Félicitations pour ce travail, qui ne manquera certainement pas d’encourager d’autres équipes à adopter cette approche. Les auteurs ont réussi à réduire la durée d’hospitalisation (moins d’une semaine) dans plus de la moitié des cas en n’uti- lisant qu’une partie des mesures préconisées par les promo- teurs de la FTS. Le rationnel du protocole de Kehlet est que tout acte chi- rurgical mené de manière conventionnelle est associé à un stress physiologique et psychologique pour le patient. Or, les années 1990 ont été le théâtre de nouvelles avancées scienti- fiques dans le domaine de l’analgésie et de la chirurgie per- mettant d’améliorer les soins périopératoires. Il était donc iné- luctable d’évoluer vers une moindre agression, dans l’espoir d’obtenir une meilleure réhabilitation, une meilleure qualité de vie et peut être une moindre morbidité postopératoire. Les mesures préconisées dans le cadre de la FTS nous amè- nent à : mettre à contribution le patient lui-même, collaborer plus étroitement avec les anesthésistes et le per- sonnel infirmier, nous débarrasser de certaines habitudes, remettre en question certains dogmes, réorganiser nos soins, enfin évaluer cette nouvelle approche. Récemment des chercheurs du nord de l’Europe se sont réunis sous l’égide de la Société européenne de métabolisme et nutrition clinique (ESPEN, European Society of Clinical Nutrition and metabolism) et ont mis au point un protocole (protocole ERAS pour early recovery after surgery) inspiré du concept de Kehlet et dans lequel toutes les mesures ont un niveau de preuves fondé sur des méta-analyses et des essais randomisés [3]. L’ensemble de ces mesures factuelles est résumé dans la Fig. 1. Les lecteurs intéressés par le protocole ERAS peuvent consulter les recommandations factuelles de ce groupe de travail, détaillées dans leur excellente publica- tion [3]. La mise en place de ce protocole nécessite d’abord une information détaillée au patient. Grâce à une collaboration étroite entre les différents intervenants dans les soins pério- pératoires (chirurgien, anesthésiste, infirmiers, kinésithéra- peute, médecin traitant), toutes les mesures (Fig. 1) semblent à notre portée. D’ailleurs la Société française de chirurgie digestive (SFCD) a récemment émis des recommandations « chirurgicales » [4] qui recoupent une grande partie de cel- les du protocole ERAS. Ce protocole conçu pour la chirurgie colorectale semble pouvoir être étendu au reste de la chirur- gie digestive et mérite d’être évalué en France. Il ne s’agit pas d’un protocole figé mais pouvant évoluer à la faveur des nouvelles données factuelles notamment médi- cales : par exemple, la place des corticoïdes ou celle des bêta- bloquants [5]. Qu’en est-il de l’évaluation factuelle de la FTS ? Nous disposons à l’heure actuelle de trois essais randomisés com- parant la FTS à la prise en charge conventionnelle [6–8]. La FTS est-elle faisable ? La réponse est oui. Toutes les études étrangères le confirment, et celle de Pélissier et al. [1] le suggère dans le cadre de l’activité privée en France. La FTS est-elle efficace ? La réponse est oui. Les trois essais randomisés [6–8] ont montré dans le groupe FTS une réduction significative de la durée d’hospitalisation, une meilleure convalescence (douleur, fatigue, fonction respira- toire) et un gain d’autonomie pour le patient. Même si le taux de réadmission paraissait plus élevé après FTS dans une étude comparative [9], la durée totale d’hospi- talisation (réadmission comprise) était plus courte après FTS Annales de chirurgie 130 (2005) 599–601 http://france.elsevier.com/direct/ANNCHI/ 0003-3944/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.anchir.2005.09.011

La réhabilitation rapide après chirurgie digestive. Une approche multidisciplinaire

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Page 1: La réhabilitation rapide après chirurgie digestive. Une approche multidisciplinaire

Éditorial

La réhabilitation rapide après chirurgie digestive.Une approche multidisciplinaire

Early recovery after digestive surgery. A multidisciplinary approach

Mots clés : Réhabilitation rapide ; Chirurgie ; Médecine factuelle

Keywords: Fast-track surgery; Gastrointestinal surgery; Evidence-based medicine

E. Pélissier et al. [1] publient dans ce numéro une étudesur la réduction de la durée d’hospitalisation après résectioncolorectale. Ils sont parmi les rares équipes françaises à avoirappliqué dans leur pratique quotidienne les principes de la« fast track surgery » (FTS) développés par Kehlet et sonéquipe [2] et surtout à avoir évalué et publié leurs résultats.Félicitations pour ce travail, qui ne manquera certainementpas d’encourager d’autres équipes à adopter cette approche.Les auteurs ont réussi à réduire la durée d’hospitalisation(moins d’une semaine) dans plus de la moitié des cas en n’uti-lisant qu’une partie des mesures préconisées par les promo-teurs de la FTS.

Le rationnel du protocole de Kehlet est que tout acte chi-rurgical mené de manière conventionnelle est associé à unstress physiologique et psychologique pour le patient. Or, lesannées 1990 ont été le théâtre de nouvelles avancées scienti-fiques dans le domaine de l’analgésie et de la chirurgie per-mettant d’améliorer les soins périopératoires. Il était donc iné-luctable d’évoluer vers une moindre agression, dans l’espoird’obtenir une meilleure réhabilitation, une meilleure qualitéde vie et peut être une moindre morbidité postopératoire.

Les mesures préconisées dans le cadre de la FTS nous amè-nent à :• mettre à contribution le patient lui-même,• collaborer plus étroitement avec les anesthésistes et le per-

sonnel infirmier,• nous débarrasser de certaines habitudes,• remettre en question certains dogmes,• réorganiser nos soins,• enfin évaluer cette nouvelle approche.

Récemment des chercheurs du nord de l’Europe se sontréunis sous l’égide de la Société européenne de métabolismeet nutrition clinique (ESPEN, European Society of ClinicalNutrition and metabolism) et ont mis au point un protocole(protocole ERAS pour early recovery after surgery) inspirédu concept de Kehlet et dans lequel toutes les mesures ont un

niveau de preuves fondé sur des méta-analyses et des essaisrandomisés [3]. L’ensemble de ces mesures factuelles estrésumé dans la Fig. 1. Les lecteurs intéressés par le protocoleERAS peuvent consulter les recommandations factuelles dece groupe de travail, détaillées dans leur excellente publica-tion [3].

La mise en place de ce protocole nécessite d’abord uneinformation détaillée au patient. Grâce à une collaborationétroite entre les différents intervenants dans les soins pério-pératoires (chirurgien, anesthésiste, infirmiers, kinésithéra-peute, médecin traitant), toutes les mesures (Fig. 1) semblentà notre portée. D’ailleurs la Société française de chirurgiedigestive (SFCD) a récemment émis des recommandations« chirurgicales » [4] qui recoupent une grande partie de cel-les du protocole ERAS. Ce protocole conçu pour la chirurgiecolorectale semble pouvoir être étendu au reste de la chirur-gie digestive et mérite d’être évalué en France.

Il ne s’agit pas d’un protocole figé mais pouvant évoluer àla faveur des nouvelles données factuelles notamment médi-cales : par exemple, la place des corticoïdes ou celle des bêta-bloquants [5].

Qu’en est-il de l’évaluation factuelle de la FTS ? Nousdisposons à l’heure actuelle de trois essais randomisés com-parant la FTS à la prise en charge conventionnelle [6–8].

La FTS est-elle faisable ? La réponse est oui. Toutes lesétudes étrangères le confirment, et celle de Pélissier et al. [1]le suggère dans le cadre de l’activité privée en France.

La FTS est-elle efficace ? La réponse est oui. Les troisessais randomisés [6–8] ont montré dans le groupe FTS uneréduction significative de la durée d’hospitalisation, unemeilleure convalescence (douleur, fatigue, fonction respira-toire) et un gain d’autonomie pour le patient.

Même si le taux de réadmission paraissait plus élevé aprèsFTS dans une étude comparative [9], la durée totale d’hospi-talisation (réadmission comprise) était plus courte après FTS

Annales de chirurgie 130 (2005) 599–601

http://france.elsevier.com/direct/ANNCHI/

0003-3944/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.doi:10.1016/j.anchir.2005.09.011

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[6,9] et les essais randomisés n’ont pas montré une augmen-tation du taux de réadmission après FTS.

La FTS est-elle dangereuse ? La réponse est non, à condi-tion que tous les critères de sortie de l’hôpital soient respec-tés. Aucune étude n’a montré une augmentation de la morbi-dité ou un retard de prise en charge des complications dans lecadre de la FTS.

Les critères de sortie de l’hôpital [3] peuvent être résumésainsi : douleur bien contrôlée par les antalgiques, alimenta-tion solide bien tolérée, mobilisation autonome ou au mêmeniveau qu’avant l’intervention, aucun signe infectieux, patientacceptant la sortie. De toute manière le protocole de FTS doitintégrer une organisation facilitant la réadmission.

La FTS est-elle moins coûteuse ? La réponse est peut-être.Une étude a suggéré une réduction du coût global [10], maison peut craindre un transfert des dépenses de l’hôpital vers lemilieu extrahospitalier du fait de la nécessité de soins exter-nes (consultations médicales, soins paramédicaux) [11].L’étude comparative rétrospective dans cinq pays du nord del’Europe a montré l’hétérogénéité des protocoles de réhabi-litation et la nécessité d’une évaluation prospective des effetsréels de la FTS [9].

Qu’en est-il de la France ? L’étude publiée dans ce numérosuggère que la FTS est possible entre les mains d’un chirur-gien français expérimenté exerçant dans le secteur privé.

Mais, l’est-elle au sein d’une équipe hospitalière ou àl’échelle nationale ? Pour l’instant la réponse est peut-être !En l’absence d’étude française à grande échelle, nous nesavons pas dans quelle proportion on peut appliquer cette nou-velle approche à nos patients.

Le patient et (plus largement) la société bénéficieront-ilsde la FTS ? Les chirurgiens français devront dans l’avenirmettre au point des études cliniques (de préférence randomi-

sées) pour évaluer cette approche qui est loin d’être une mode,mais plutôt une approche moderne factuelle et un excellentexemple de collaboration multidisciplinaire.

Références

[1] Pélissier E, Monek O, Cuche F. Réduire la durée d’hospitalisationaprès résection colorectale. Ann Chir 2005;130:608–12.

[2] Kehlet H, Wilmore DW. Fast-track surgery. Br J Surg 2005;92:3–4.

[3] Fearon KCH, Ljungqvist O, Von Meyenfeldt M, Revhaug A,Dejong CHC, Lassen K, et al. Enhanced recovery after surgery: aconsensus review of clinical care for patients undergoing colonicresection. Clin Nutr 2005;24:466–77.

[4] Mariette C, Alves A, Benoist S, Bretagnol F, Mabrut JY, Slim K. Soinspériopératoires en chirurgie digestive. Recommandations de laSociété française de chirurgie digestive (SFCD). Ann Chir 2005;130:108–24.

[5] Devereaux PJ, Beattie WS, Choi PT, Badner NH, Guyatt GH, Vil-lar JC, et al. How strong is the evidence for the use of perioperativebetablockers in non-cardiac surgery? Ssytematic review and meta-analysis of randomised controlled trials. BMJ 2005;331:313–21.

[6] Delaney CP, Zutshi M, Senagore AJ, Remzi FH, Hammel J,Fazio VW. Prospective, randomized, controlled trial between a path-way of controlled rehabilitation with early ambulation and diet andtraditional postoperative care after laprotomy and intestinal resection.Dis Colon Rectum 2003;46:851–9.

[7] AndersonAD, McNaught CE, MacFie J, Tring I, Baker P, Mitchell CJ.Randomized clinical trial of multimodal optimisation and standardperioperative surgical care. Br J Surg 2003;90:1497–504.

[8] Susa A, Roveran A, Bocchi A, Carrer S, Tartari S. Fast-track approachto major colorectal surgery. Chir Ital 2004;56:817–24.

[9] Nygren J, Hausel J, Kehlet H, Revhaug A, Lassen K, Dejung C, et al.A comparison in five European centres of case mix, clinical manage-ment and outcomes following either conventional or fast-track perio-perative care in colorectal surgery. Clin Nutr 2005;24:455–61.

Fig. 1. L’ensemble des mesures préconisées dans le protocole ERAS pour améliorer la réhabilitation après chirurgie colique [3]. Ces mesures concernent lespériodes préopératoire, peropératoire et postopératoire et intègrent aussi une évaluation interne des résultats.

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[10] Stephen AE, Berger DL. Shortened length of stay and hospital costreduction with implementation of an accelerated clinical care pathwayafter elective colonic resection. Surgery 2003;133:277–82.

[11] Bohmer RM, Newell J, Torchiana DF. The effect of decreasing lengthof stay on discharge destination and readmission after coronarybypass operation. Surgery 2002;132:10–5.

K. SlimService de chirurgie générale et digestive,

Hôtel-Dieu, boulevard Léon-Malfreyt, BP 69,63058 Clermont-Ferrand, France

Adresse e-mail : [email protected] (K. Slim).

Disponible sur internet le 17 octobre 2005

601Éditorial / Annales de chirurgie 130 (2005) 599–601