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J Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 9, 1025-1030 © Masson, Paris, 2004. 1025 COMMUNICATION DE LA SFO La rétinopathie chez le porteur du trait drépanocytaire AS : mythe ou réalité ? A. Fany, S. Boni, C. Adjorlolo, M.L. Toure Konan, K. Gbe, F. Coulibaly, R. Berete Service d’Ophtalmologie, CHU de Treichville, Abidjan, Côte d’Ivoire. Communication orale présentée lors du 108 e congrès de la SFO en mai 2002. Correspondance : A. Fany, 08 BP 674, Abidjan, Côte d’Ivoire. Reçu le 19 août 2002. Accepté le 22 décembre 2004. Retinopathy as a sickle-cell trait: myth or reality? A. Fany, S. Boni, C. Adjorlolo, M.L. Toure Konan, K. Gbe, F. Coulibaly, R. Berete J. Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 9: 1025-1030 Introduction: The retinopathy of sickle cell diseases is an ischemic retinopathy that occurs frequently in the major forms of HbSS and HbSC sickle cell diseases. The retinopathy of sickle trait HbAS has not been described extensively. Patients and methods: The aim of this study was to describe the retinal characteristics and thus gain better knowledge of sickle trait HbAS retinopathy. Seventy HbAS patients had a complete ocular examination including fluorescein angiography. Results: Seventy percent of the patients had retinal lesions, with 49.3% non-vasoproliferative lesions, 22.7% prevasoproliferative lesions and 2.7% neovascular lesions. Discussion and conclusion: Retinopathy is associated with the HbAS sickle cell trait, but it is less serious than in the major forms of sickle cell syndrome. Key-words: Sickle retinopathy, sickle trait HbAS, non-vasoproliferative retinopathy, prevaso- proliferative retinopathy. La rétinopathie chez le porteur du trait drépanocytaire AS : mythe ou réalité ? Introduction : La rétinopathie drépanocytaire est une rétinopathie ischémique fréquente dans les formes drépanocytaires majeures SS et SC. La rétinopathie du trait drépanocytaire AS étant peu décrite dans la littérature, sa réalité est remise en cause. Patients et méthode : Cette étude s’est fixé pour objectif de contribuer à une meilleure connaissance de cette pathologie, à travers un examen clinique et angiographique de 75 patients porteurs du trait drépanocytaire AS. Résultats : Soixante-douze pour cent de cet effectif avait des lésions rétiniennes avec 49,3 % de lésions non-prolifératives contre 22,7 % de lésions pré-prolifératives et 2,7 % de néo- vaisseaux. Discussion et conclusion : Il existe une rétinopathie en rapport avec le trait drépanocytaire AS. Elle est moins importante et moins grave que celle retrouvée dans les formes drépano- cytaires majeures. Mots-clés : Rétinopathie drépanocytaire, trait drépanocytaire AS, rétinopathie non-proliférative, rétinopathie proliférative. INTRODUCTION La drépanocytose est une maladie héréditaire du globule rouge. Elle est liée à un trouble qualitatif en rapport avec une substitution d’un gène de structure. Elle touche environ cent millions de personnes à travers le monde et 25 % des populations mélano- africaines de la vaste région allant du sud du Sahara au nord du Zambèze. En Côte d’Ivoire, 12 % de la popu- lation est atteinte. La drépanocytose constitue un véritable problème de santé Publique tant par sa fréquence que par sa gravité liée à ses nom- breuses complications. La rétinopathie drépanocytaire est une rétinopathie ischémique. De nombreuses publications ont contri- bué à son étude. Cependant, peu de travaux ont porté sur la rétinopathie du trait drépanocytose AS, et les ré- sultats restent controversés. L’objectif de cette étude est de rechercher des manifestations réti- niennes chez le porteur du trait drépanocytaire AS, et d’en apprécier la fréquence et la gravité. PHYSIOPATHOLOGIE DE LA RÉTINOPATHIE DRÉPANOCYTAIRE Le facteur initial de la rétinopathie drépanocytaire est la falciformation des hématies par polymérisation de l’hémoglobine S, responsable d’une diminution de leur déformabilité et

La rétinopathie chez le porteur du trait drépanocytaire AS : mythe ou réalité ?

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J Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 9, 1025-1030© Masson, Paris, 2004.

1025

COMMUNICATION DE LA SFO

La rétinopathie chez le porteurdu trait drépanocytaire AS : mythe ou réalité ?

A. Fany, S. Boni, C. Adjorlolo, M.L. Toure Konan, K. Gbe, F. Coulibaly, R. Berete

Service d’Ophtalmologie, CHU de Treichville, Abidjan, Côte d’Ivoire.Communication orale présentée lors du 108

e

congrès de la SFO en mai 2002.Correspondance : A. Fany, 08 BP 674, Abidjan, Côte d’Ivoire.Reçu le 19 août 2002. Accepté le 22 décembre 2004.

Retinopathy as a sickle-cell trait: myth or reality?

A. Fany, S. Boni, C. Adjorlolo, M.L. Toure Konan, K. Gbe, F. Coulibaly, R. Berete

J. Fr. Ophtalmol., 2004; 27, 9: 1025-1030

Introduction:

The retinopathy of sickle cell diseases is an ischemic retinopathy that occursfrequently in the major forms of HbSS and HbSC sickle cell diseases. The retinopathy of sickletrait HbAS has not been described extensively.

Patients and methods:

The aim of this study was to describe the retinal characteristics andthus gain better knowledge of sickle trait HbAS retinopathy. Seventy HbAS patients had acomplete ocular examination including fluorescein angiography.

Results:

Seventy percent of the patients had retinal lesions, with 49.3% non-vasoproliferativelesions, 22.7% prevasoproliferative lesions and 2.7% neovascular lesions.

Discussion and conclusion:

Retinopathy is associated with the HbAS sickle cell trait, but itis less serious than in the major forms of sickle cell syndrome.

Key-words:

Sickle retinopathy, sickle trait HbAS, non-vasoproliferative retinopathy, prevaso-proliferative retinopathy.

La rétinopathie chez le porteur du trait drépanocytaire AS : mythe ou réalité ?

Introduction :

La rétinopathie drépanocytaire est une rétinopathie ischémique fréquente dansles formes drépanocytaires majeures SS et SC. La rétinopathie du trait drépanocytaire AS étantpeu décrite dans la littérature, sa réalité est remise en cause.

Patients et méthode :

Cette étude s’est fixé pour objectif de contribuer à une meilleureconnaissance de cette pathologie, à travers un examen clinique et angiographique de75 patients porteurs du trait drépanocytaire AS.

Résultats :

Soixante-douze pour cent de cet effectif avait des lésions rétiniennes avec 49,3 %de lésions non-prolifératives contre 22,7 % de lésions pré-prolifératives et 2,7 % de néo-vaisseaux.

Discussion et conclusion :

Il existe une rétinopathie en rapport avec le trait drépanocytaireAS. Elle est moins importante et moins grave que celle retrouvée dans les formes drépano-cytaires majeures.

Mots-clés :

Rétinopathie drépanocytaire, trait drépanocytaire AS, rétinopathie non-proliférative,rétinopathie proliférative.

INTRODUCTION

La drépanocytose est une maladiehéréditaire du globule rouge. Elle estliée à un trouble qualitatif en rapportavec une substitution d’un gène destructure.

Elle touche environ cent millionsde personnes à travers le monde et25 % des populations mélano-africaines de la vaste région allant dusud du Sahara au nord du Zambèze.En Côte d’Ivoire, 12 % de la popu-lation est atteinte. La drépanocytoseconstitue un véritable problème desanté Publique tant par sa fréquenceque par sa gravité liée à ses nom-breuses complications.

La rétinopathie drépanocytaire estune rétinopathie ischémique. Denombreuses publications ont contri-bué à son étude. Cependant, peu detravaux ont porté sur la rétinopathiedu trait drépanocytose AS, et les ré-sultats restent controversés.

L’objectif de cette étude est derechercher des manifestations réti-niennes chez le porteur du traitdrépanocytaire AS, et d’en apprécierla fréquence et la gravité.

PHYSIOPATHOLOGIEDE LA RÉTINOPATHIE

DRÉPANOCYTAIRE

Le facteur initial de la rétinopathiedrépanocytaire est la falciformationdes hématies par polymérisation del’hémoglobine S, responsable d’unediminution de leur déformabilité et

A. Fany et coll. J. Fr. Ophtalmol.

1026

d’occlusions capillaires. Or, le diamètre du globule étantde 7

µ

m, l’érythrocyte doit utiliser sa propriété de dé-formabilité pour passer les capillaires rétiniens de dia-mètre plus petit (5 à 6

µ

m). La périphérie rétinienne etla zone équatoriale où les vaisseaux sont de petit calibresont les sièges électifs de ce phénomène [1].

Selon Galinos

et al.

[2], la division dichotomique desartérioles et la raréfaction de la trame capillaire sont res-ponsables d’un ralentissement circulatoire. À ce phéno-mène, s’ajoute une marginalisation des hématies lelong des parois, due au bas débit local. La diminutionde la pression partielle intraluminale en oxygène favo-rise la falciformation des globules rouges, responsabled’une oblitération complète.

La conséquence des occlusions artériolaires estl’apparition d’une capillaropathie ischémique rétiniennepériphérique avec engainement vasculaire blanc et non-perfusion du lit capillaire. Il se développe alors unecirculation de suppléance en arcades anastomotiquesartérioveineuses sans doute par dilatation sous pressiondes capillaires engorgés préexistants.

À partir de ces anastomoses, le plus souvent sur leurversant veineux selon Raichand

et al.

[3], des néovais-seaux vont se développer sous la dépendance du pro-cessus ischémique et de facteurs angiogéniques [4, 5].

Les hémorragies peuvent survenir dès le stade d’obs-truction artériolaire. Il s’agit d’hémorragies saumonéespouvant être intra-rétiniennes, laissant après résorptiondes zones biréfringentes sous-rétiniennes, responsablesde taches noires solaires pré-rétiniennes. Les hémorra-gies peuvent également provenir de la rupture desnéovaisseaux, conséquence des tractions vitréennesexercées au niveau des proliférations fibrovasculaires.Ces tractions sont responsables des principales compli-cations que sont les hémorragies intravitréennes, lesdécollements de rétine par traction, les déchirures réti-niennes et les décollements rhegmatogènes [6].

MATÉRIEL ET MÉTHODE

Nous présentons une étude portant sur 75 patients por-teurs du trait drépanocytaire AS. Ces patients ont étérecrutés par l’intermédiaire du service d’hématologieclinique du CHU de Yopougon Abidjan et de la consul-tation d’ophtalmologie. Un examen du fond d’œil auverre à trois miroirs de Goldmann et une angiographierétinienne à la fluorescéine ont été effectués. Les pa-tients diabétiques, les hypertendus et ceux souffrantd’autres affections susceptibles de provoquer descomplications vasculaires ont été exclus de l’étude.

RÉSULTATS

Cette série de 75 patients était composée de 26 hommes(34,7 %) et de 49 femmes (65,3 %). La moyenne d’âge

était de 32,6 ans avec des extrêmes allant de 6 à 59 ans ;26 patients (34,7 %) avaient entre 30 et 39 ans.

L’examen clinique et angiographique a permis d’ob-server une rétinopathie drépanocytaire chez 54 patientssoit 72 % de cet effectif

(fig. 1)

, dont 19 hommes(35,2 %) et 35 femmes (64,8 %). Le risque relatif pourle sexe masculin était de 1,08 avec un intervalle deconfiance compris entre 0,77 et 1.

La répartition des porteurs de rétinopathie selon l’âge

(fig. 2)

montre qu’au-delà de 20 ans, il y a plus de por-teurs de lésions rétiniennes que de patients indemnesdans une même classe d’âge. Nous avons observé49,3 % de lésions non-prolifératives contre 22,7 % delésions prolifératives

(fig. 3)

. Concernant les lésionsnon-prolifératives

(tableau I)

, la pâleur rétiniennepériphérique «

whitening

» est la lésion la plus fré-quente. Elle est retrouvée chez 33 patients (40 %) avecune localisation temporale supérieure. Nous retrouvonsensuite les tortuosités vasculaires (25,3 %)

(fig. 4)

, lesengainements périvasculaires (20 %) et les micro ané-vrismes (13,3 %)

(fig. 5)

.Les hémorragies saumonées, les «

blacks sunburstspots

» et les atrophies rétiniennes sont moins fré-quents et concernent respectivement 4 %, 6,7 % et8 % des patients. Les ischémies rétiniennes

(fig. 6)

tou-chent 2,7 % de la cohorte. Il faut noter l’observationd’un cas de membrane épipapillaire (1,3 %) et 1 casd’hémorragie prérétinienne dense avec un niveau liqui-dien associée à des hémorragies en flammèches le longdes arcades veineuses

(fig. 7)

.Concernant les lésions prolifératives, elles ont été

appréciées selon la classification de Goldberg (1971) [7]

(tableau II)

. Les occlusions artériolaires ont été obser-vées chez 6 patients (8,1 %). Elles sont périphériquessoit isolées, soit en arrière des zones d’ischémie, s’asso-ciant alors aux anastomoses artérioveineuses. Celles-ci

Tableau ILésions non-prolifératives.

Anomalies rétiniennes Nombre de patients

Pourcentage

Pâleur rétinienne périphérique (« whitening »)

33 44

Tortuosités vasculaires 19 25,3

Engainements périvasculaires 15 20

Microanévrismes 10 13,3

Atrophies rétiniennes 6 8

Taches noires solaires 5 6,7

Hémorragies saumonées 3 4

Ischémies rétiniennes 2 2,7

Hémorragies prérétiniennes 1 1,3

Membrane épipapillaire 1 1,3

Vol. 27, n° 9, 2004 La rétinopathie chez le porteur du trait drépanocytaire AS : mythe ou réalité ?

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ont été observées chez 9 patients (12 %), égalementpériphériques à la limite des zones d’ischémie. Elles sontaussi parfois isolées. Nous avons observé 2 cas de pro-liférations néovasculaires. Elles étaient fines, unilatéra-les

(fig. 8)

associées à d’autres lésions telles une atro-phie rétinienne, une ischémie rétinienne, des occlusionsartériolaires (shunts artério-veineux). Nous n’avonsobservé ni hémorragie intrarétinienne, ni décollementde la rétine.

DISCUSSION

L’hémoglobine S diffère de l’hémoglobine normale Apar la substitution d’un acide aminé de structure. En

effet, l’acide glutamique en position 6 sur la chaîne bêtaest remplacé par la valine. Cette anomalie est respon-sable de la falciformation des hématies qui produit ledrépanocyte. Très peu de travaux ont porté sur la formehétérozygote AS en Afrique. Milhuedo [8] a étudié22 patients atteints de rétinopathie drépanocytaire AS.Nagpal

et al.

[9] ont rapporté des lésions proliférativeschez 7 patients AS quant à Balo

et al.

[10], il signalait11 patients atteints d’AS dans son étude.

Cette étude a porté sur 75 patients et représentel’une des plus grandes séries africaines consacrées à larétinopathie chez l’hétérozygote AS.

Soixante-douze pour cent de l’effectif présentait deslésions rétiniennes. Si les hétérozygotes ont long-temps été considérés comme ayant un faible risquede complications oculaires, de nombreuses étudesrécentes rapportent le contraire. En effet, Pichard

et al.

[11] pensent que le caractère asymptomatique deshémoglobinoses hétérozygotes AS n’est pas toujoursvérifié, que les complications ophtalmologiques sontsans doute bénignes, mais sont fréquentes et méritentd’être signalées. Rigal

et al.

[12], après avoir observédes lésions rétiniennes chez un hétérozygote AS,concluent qu’il y a pas de différence sémiologique vraieentre homozygote et hétérozygote.

Milhuedo [8] retrouve une rétinopathie chez 40,9 %des 22 patients AS de sa série. Jackson

et al.

[13]présentent 3 cas cliniques de patients AS ayant descomplications oculaires avec un facteur favorisant (trau-

72 %

28 %NORMALE

PATHOLOGIQUE

0

2

4

6

8

10

12

14

16

18

%

[0 - 10[ [10 - 20[ [20 - 30[ [30 - 40[ [40 - 50[ [50 - 60[

RETINOPATHIE

RETINE NORMALE

Âge (année)

48,33 %

28 %

28 %

NORMALE

NON PROLIFÉRATIVE

PROLIFÉRATIVE

Figure 1 : Répartitions des patients selon l’état de la rétine.Figure 2 : Répartition des porteurs de la rétinopathie par classe d’âge.Figure 3 : Répartition des patients selon le type de lésions.

1 2

3

Tableau IILésions prolifératives.

Anomalies rétiniennes Nombre de patients

Pourcentage

Occlusions artériolaires 6 8

Anastomoses artérioveineuses 9 12

Neovaisseaux 2 2,7

Hémorragies du vitré 0 0

Décollement de rétine 0 0

A. Fany et coll. J. Fr. Ophtalmol.

1028

matisme, diabète). Nagpal

et al.

[9] rapportent la pré-sence de lésions prolifératives chez 7 patients « AS »(7 cas cliniques) ; tandis que Balo

et al.

[10] retrouvent100 % de lésions prolifératives chez les 5 patients hété-rozygotes de leur série.

Notre étude a porté sur un échantillon de populationplus important (75 patients) avec 72 % de lésions réti-niennes. Nous avons exclu tous les patients présentantdes facteurs favorisants afin de mettre en évidence laresponsabilité du trait drépanocytaire AS. Nous confir-

mons donc l’existence de lésions rétiniennes liées à laforme hétérozygote AS.

Les lésions non-prolifératives sont considérées commemoins graves et non-compliquées. Dans cette série,elles concernent 49,3 % des patients et 61,5 % desporteurs de lésions rétiniennes.

La pâleur rétinienne périphérique «

Whitening

» a étéobservée chez 40 % des patients. Elle est considéréepar Hamard

et al.

[14] comme un signe indirect d’hy-povascularisation siégeant de préférence en temporal

Figure 4 : Tortuosités vasculaires périphériques.Figure 5 : Micro anévrismes diffus.Figure 6 : Occlusions artériolaires, shunts artérioveineux limitant une zone ischémique.Figure 7 : Hémorragie prérétinienne.

4 5

6 7

Vol. 27, n° 9, 2004 La rétinopathie chez le porteur du trait drépanocytaire AS : mythe ou réalité ?

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supérieur. Cependant, cette pâleur rétinienne périphé-rique peut être rencontrée aussi chez les sujets mélano-dermes indemnes de toute hémoglobinose. Son inter-prétation chez des patients doit rester très nuancée.

Les hémorragies saumonées, les taches noires solaireset les atrophies rétiniennes ont été observées respecti-vement chez 4 %, 6,7 % et 8 % des patients. C’est VanMeurs qui a décrit l’évolution d’une hémorragie saumo-née vers la formation d’une tache noire solaire [5]. Lestaches noires solaires représentaient 14,9 % des lésionsobservées par Mihluedo [8]. Balo

et al.

[15] ont retrouvéde multiples taches noires solaires chez un des patientshétérozygotes AS de leur série ; de même, Rigal

et al.

[12] ont décrit des foyers choriorétiniens cicatriciels avecpigmentation centrale chez leur patient. Notre étudenote un pourcentage relativement bas (6,7 %) de cetype de lésion dans notre population. Les tortuositésvasculaires, les microanévrismes et les engainementspérivasculaires sont des lésions souvent associées etconsidérées par Hamard

et al.

[14] comme des lésionsplus évoluées que les précédentes. Ces lésions sont sanslocalisation privilégiée, et sont observées aussi bien enpériphérie qu’au pôle postérieur, en péripapillaire ou enpérimaculaire. Ces lésions sont retrouvées dans des pro-portions respectives de 25,3 %, 13,3 %, et 20 %.

Les ischémies rétiniennes sont la conséquence d’occlu-sions artériolaires. Elles sont le plus souvent limitées pardes shunts artério-veineux. Nous en avons observé deuxcas. Une hémorragie prérétinienne en nappe avec niveauliquidien a été constatée chez un patient. Rigal

et al.

[12rapportent une observation identique chez un patient hé-térozygote AS. Pichard

et al.

[11] ont observé un cas d’hé-morragies maculaires chez une femme enceinte hétéro-zygote AS. Selon Menez [16], ces hémorragies maculaires

proviennent de thromboses et s’expliquent par une occlu-sion aiguë d’un vaisseau de drainage du pôle postérieuren l’occurrence d’une veinule temporale le plus souventsupérieure, assurant le retour sanguin de cette zone pri-vilégiée de la rétine. Roy

et al.

[17] ont démontré que lapathologie vaso-occlusive est due à un ralentissement dela circulation maculaire. Nous pensons également qu’ils’agit plus d’une pathologie vaso-occlusive que d’une rup-ture de néovaisseaux. Welch et Goldberg [18] pensent queces hémorragies maculaires sont en rapport avec une pro-lifération de néovaisseaux rétiniens. Une membrane épi-papillaire a été observée chez un patient. Cette lésion bienque non-décrite classiquement est retrouvée dans des pu-blications récentes. Mihluedo [8] décrit un cas chez un pa-tient SC. Binaghi

et al.

[19] pensent que ces membranesépipapillaires sont observées en cas d’association avecd’autres pathologies, ce qui n’est pas le cas de notre pa-tient.

Goldberg [7] estime à 100 000, les noirs américainsmenacés chaque année par une rétinopathie drépano-cytaire proliférative. Il définit 5 stades prolifératives dela rétinopathie drépanocytaire. Ces stades sont évolutifset aboutissent à l’hémorragie du vitré et au décollementde rétine par traction. Ce caractère évolutif n’est pas enrapport avec la gravité de l’hémoglobinopathie sur leplan général [19]. Nous avons retrouvé dans cette étude22,7 % de lésions prolifératives. Les occlusions artério-laires ont été observées chez 8 % des patients. Ellesétaient isolées ou associées à d’autres lésions. Ce tauxest proche de celui retrouvé par Mihluedo qui compte6,1 % d’occlusions artériolaires dans une série de22 patients AS. Selon Hamard

et al.

[14], c’est au staded’anastomose artério-veineuse périphérique que l’onconstate des signes de souffrance rétinienne. Elles sontretrouvées surtout sous la forme de taches solaires noi-res, et assez peu sous la forme de phénomènes d’isché-miques aigus. Ces anastomoses artério-veineuses se-raient en rapport avec des modifications d’ordrebiologique intervenant à la jonction rétine saine/rétineischémique. Nous avons observé 12 % d’anastomosesartério-veineuses, le plus souvent au niveau de zonesd’ischémies. Les proliférations néovasculaires sont sou-vent associées à une prolifération fibreuse. Elles se pré-sentent classiquement sous la forme d’éventail de mer«

sea fan

». Les néovaisseaux résultent de l’interventionde facteurs prolifératifs, probablement synthétisés dansles zones hypoxiques. La rétinite représenterait la réac-tion gliale à ces éléments. Nous avons observé un faibletaux (2,7 %) de prolifération néovasculaire chez lespatients. Mihluedo a retrouvé 2 cas de néovaisseaux(9,1 %) parmi les 22 patients hétérozygotes AS de sa sé-rie. Balo

et al.

[21] relèvent 3 cas de proliférations néo-vasculaires, dont 2 compliquées d’hémorragie du vitréparmi les 11 hétérozygotes de leur série. Les hétérozygo-tes AS présentent donc des proliférations néovasculaires.Elles sont certes moins fréquentes et moins importantesdans leurs aspects cliniques et angiographiques, maiselles peuvent être à l’origine de complications.

Figure 8 : Tache noire solaire, zone ischémique, petits néovaisseaux.

A. Fany et coll. J. Fr. Ophtalmol.

1030

Les stades 4 et 5 de la classification de Goldberg sontcaractérisés par les hémorragies intra-vitréennes et lesdécollements de rétine. Ces 2 stades sont des stades decomplications, responsables de mal voyance et de cé-cité. Mihluedo a observé 2 cas d’hémorragies du vitréet 1 cas de décollement de rétine chez les hétérozygo-tes AS. La rareté de ces complications dans notre étudeest certainement due au fait que la grande majorité despatients ont été examinés de façon systématique, alorsqu’ils n’avaient aucune manifestation clinique.

Nous avons comparé les complications associées auxformes AS et SC

(tableau III)

. L’étude de Balo

et al.

[10]portant sur 190 patients avec 79 SC a retrouvé chez cesderniers : 63,3 % de rétinopathie dont 3,8 % au stadenon-prolifératif, 59,5 % au stade prolifératif et 37,9 %de néovaisseaux. Nos résultats sont de 72 % de rétino-pathie, 49,3 % au stade non-prolifératif, 22,7 % austade prolifératif et 2,7 % de néovaisseaux. La rétino-pathie du trait drépanocytaire AS est aussi fréquenteque celle de la forme SC. La forme proliférative estmoins importante et les lésions sont moins graves.

CONCLUSION

Cette étude a concerné 75 patients porteurs du traitdrépanocytaire AS. Elle révèle l’existence d’une rétino-pathie dans 72 % des cas, avec 22,7 % de lésions pro-lifératives. La rétinopathie de l’hétérozygote AS semblemoins importante et moins grave. Cependant, elle né-cessite une surveillance.

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Tableau IIIComparaison des formes drépanocytaires AS et SC.

Hémo- globine

Nombre de patients

Lésionsrétiniennes

Rétinopathie non

proliférative

Rétinopathie proliférative

Hb SC 79 63,3 % 3,8 % 59,5 %

Hb AS 75 72 % 49,3 % 22,7 %