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Brouillon
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2.2 La sélectivité de la mémoire
Le commun des mortelles n’a pas nécessairement la capacité de se rappeler l’entièreté de
son existence. Pour certains, se rappeler leur dernier repas représente même un défi
incommensurable, ce qui ne les empêche pas d’avoir de frais souvenirs de moments
antérieurs à la dernière fois qu’ils aient rompu le pain. Si la durée du temps écoulé a un
impact sur notre capacité de rappel des événements, cela n’en fait pas le critère principal.
Notre mémoire à court terme, que nous nommons aussi la mémoire de travail, est celle
qui engrange les éléments de l’instant présent au-delà des simples sensations. C’est ainsi
que nous sommes, par exemple, capables de retenir un numéro juste avant de le
composer. Dans ce genre de situation, nous nous surprenons à le répéter inlassablement
pour s’en souvenir. Répéter l’information indique à notre cerveau qu’elle est importante,
à force de le prononcer nous allons l’absorber dans notre mémoire à long terme, car ce
sont des stimuli répéter qui se grave dans notre mémoire. L’information répétée sera
entreposée en périphérie de l’hippocampe, car elle est importante et ne relève donc plus
de notre mémoire à court terme, de notre attention, mais de notre mémoire à long terme.
Ce n’est pas seulement en faisant une litanie de ce numéro que nous allons le retenir. Si
on l’écrit, l’entend ou le compose, l’information sera absorbée de manière multi
référentielle, par l’intermédiaire de plusieurs référents, ce qui augmentera de facto notre
capacité à nous en souvenir. On peut ainsi conclure que ce qui va déterminer ce que l’on
se rappellera le plus sera la manière dont nous l’avons absorbé.
Dans cet ordre d’idées, il est donc beaucoup plus facile de se rappeler un événement vécu
qu’un que l’on vous aurait raconté, puisque dans les deux situations les référents sont
différents. Lorsque nous sommes présents lors d’un d’événement, l’ensemble de nos sens
sont en fonction et recueil de l’information qui vient marquer plus profondément dans
notre mémoire ce qui se déroule devant nous. C’est tout le contraire de la seconde
situation où on nous fait le récit de quelque chose qui s’est déroulé lorsque nous étions
absents. Dans ce cas présent, nous allons écouter l’histoire qui nous est dépeinte, mais
pas la vivre et donc, seules les paroles de notre interlocuteur vont nous stimuler. Vous
aurez d’ailleurs sans nul doute plus de facilité à rappeler à votre bon souvenir le moment
où on vous a exposé ladite histoire, car vous y étiez.
Vos sens ont beau avoir un grand rôle dans le marquage de vos souvenirs, il ne faut
néanmoins pas négliger les émotions. La passion est une arme puissante, et bien
qu’Antigone en ait assez fait les frais, c’est ce qui nous rend tout de même humains. On
associe aujourd’hui les émotions au tortueux système limbique qui se retrouve
évidemment relié avec l’établissement de la mémoire à long terme au niveau de
l’hippocampe. Dans cet ordre idée, une émotion violente, positive ou négative, peut
provoquer l’entreposage dans la mémoire à long terme d’un souvenir associé à cette
émotion. Un souvenir heureux sera à jamais gravé dans votre mémoire, de même qu’une
de vos douleurs. Par contre, cette même émotion violente peut aussi provoquer dans une
certaine mesure une amnésie sur le passé que l’on divisera en deux catégories : les
amnésies traumatiques lacunaires et les amnésies psychogènes. La première est
provoquée par une décharge de cortisol découlant d’un grand stress ou d’un survoltage
émotionnel qui peut entraîner des pertes neuronales importantes dans des structures clés
de la mémoire comme l’hippocampe. La seconde n’est pas de nature biologique, c’est
une mesure de défense face à des souvenirs beaucoup trop douloureux comme une
agression.
On peut aussi considérer que l’intérêt joue un rôle dans notre capacité d’absorption.
Effectivement, l’information que nous trouvons digne de notre intérêt sera plus
facilement retenue, car non seulement nous aurons nos sens plus aux aguets afin de capter
la moindre des ramifications de ce sujet que nous jugeons passionnant. Notre intérêt va
de plus être associé à une émotion positive, puisque nous aimons en apprendre plus sur
ledit sujet.
Il y a de cela un millénaire et des poussières, Saint-Augustin se posait déjà quelques
questions sur la curieuse façon que nous avions de nous rappeler nos souvenirs : « Quand
j’y pénètre [le palais de la mémoire], je demande à toutes les images que je désire, de
comparaître. Certaines se présentent tout de suite, d’autres se font attendre assez
longtemps et semblent s’arracher à de plus profondes retraites. Il en est qui se précipitent
par bandes et, pendant que je me demande et que je cherche d’autres souvenirs,
bondissent face à moi avec l’air de me dire : ‘‘Ne serait-ce pas nous par hasard’’ ? D’un
geste de mon esprit, je les chasse du champ visuel de ma mémoire jusqu’à ce que celle
que je demande émerge des ténèbres et quitte sa cachette pour s’ouvrir devant moi. »
(D’Hippone, 1941, p.284) Nous sommes maintenant en mesure d’expliquer ce
phénomène après toutes ces années; les souvenirs absorbés de manière multi référentielle
et en phase avec des émotions sont ceux qui se graveront le plus profondément dans notre
mémoire. Ce seront donc ces souvenirs qui seront les plus susceptibles de, non seulement,
ne pas être oublié, mais aussi de se rappeler le plus souvent à notre bon souvenir. Ils ne
seront pas toujours les plus utiles dans certaines situations, mais ils demeureront fidèles
au poste.
Nous sélectionnons ainsi parfois volontairement et parfois involontairement ce qui sera à
jamais gravé dans notre être.