5
2.2 La sélectivité de la mémoire Le commun des mortelles n’a pas nécessairement la capacité de se rappeler l’entièreté de son existence. Pour certains, se rappeler leur dernier repas représente même un défi incommensurable, ce qui ne les empêche pas d’avoir de frais souvenirs de moments antérieurs à la dernière fois qu’ils aient rompu le pain. Si la durée du temps écoulé a un impact sur notre capacité de rappel des événements, cela n’en fait pas le critère principal. Notre mémoire à court terme, que nous nommons aussi la mémoire de travail, est celle qui engrange les éléments de l’instant présent au-delà des simples sensations. C’est ainsi que nous sommes, par exemple, capables de retenir un numéro juste avant de le composer. Dans ce genre de situation, nous nous surprenons à le répéter inlassablement pour s’en souvenir. Répéter l’information indique à notre cerveau qu’elle est importante, à force de le prononcer nous allons l’absorber dans notre mémoire à long terme, car ce sont des stimuli répéter qui se grave dans notre mémoire. L’information répétée sera entreposée en périphérie de l’hippocampe, car elle est importante et ne relève donc plus de notre mémoire à court terme, de notre attention, mais de notre mémoire à long terme. Ce n’est pas seulement en faisant une litanie de ce numéro que nous allons le retenir. Si on l’écrit, l’entend ou le compose, l’information sera

La sélectivité de la mémoire

Embed Size (px)

DESCRIPTION

Brouillon

Citation preview

Page 1: La sélectivité de la mémoire

2.2 La sélectivité de la mémoire

Le commun des mortelles n’a pas nécessairement la capacité de se rappeler l’entièreté de

son existence. Pour certains, se rappeler leur dernier repas représente même un défi

incommensurable, ce qui ne les empêche pas d’avoir de frais souvenirs de moments

antérieurs à la dernière fois qu’ils aient rompu le pain. Si la durée du temps écoulé a un

impact sur notre capacité de rappel des événements, cela n’en fait pas le critère principal.

Notre mémoire à court terme, que nous nommons aussi la mémoire de travail, est celle

qui engrange les éléments de l’instant présent au-delà des simples sensations. C’est ainsi

que nous sommes, par exemple, capables de retenir un numéro juste avant de le

composer. Dans ce genre de situation, nous nous surprenons à le répéter inlassablement

pour s’en souvenir. Répéter l’information indique à notre cerveau qu’elle est importante,

à force de le prononcer nous allons l’absorber dans notre mémoire à long terme, car ce

sont des stimuli répéter qui se grave dans notre mémoire. L’information répétée sera

entreposée en périphérie de l’hippocampe, car elle est importante et ne relève donc plus

de notre mémoire à court terme, de notre attention, mais de notre mémoire à long terme.

Ce n’est pas seulement en faisant une litanie de ce numéro que nous allons le retenir. Si

on l’écrit, l’entend ou le compose, l’information sera absorbée de manière multi

référentielle, par l’intermédiaire de plusieurs référents, ce qui augmentera de facto notre

capacité à nous en souvenir. On peut ainsi conclure que ce qui va déterminer ce que l’on

se rappellera le plus sera la manière dont nous l’avons absorbé.

Dans cet ordre d’idées, il est donc beaucoup plus facile de se rappeler un événement vécu

qu’un que l’on vous aurait raconté, puisque dans les deux situations les référents sont

différents. Lorsque nous sommes présents lors d’un d’événement, l’ensemble de nos sens

sont en fonction et recueil de l’information qui vient marquer plus profondément dans

notre mémoire ce qui se déroule devant nous. C’est tout le contraire de la seconde

situation où on nous fait le récit de quelque chose qui s’est déroulé lorsque nous étions

absents. Dans ce cas présent, nous allons écouter l’histoire qui nous est dépeinte, mais

pas la vivre et donc, seules les paroles de notre interlocuteur vont nous stimuler. Vous

aurez d’ailleurs sans nul doute plus de facilité à rappeler à votre bon souvenir le moment

où on vous a exposé ladite histoire, car vous y étiez.

Page 2: La sélectivité de la mémoire

Vos sens ont beau avoir un grand rôle dans le marquage de vos souvenirs, il ne faut

néanmoins pas négliger les émotions. La passion est une arme puissante, et bien

qu’Antigone en ait assez fait les frais, c’est ce qui nous rend tout de même humains. On

associe aujourd’hui les émotions au tortueux système limbique qui se retrouve

évidemment relié avec l’établissement de la mémoire à long terme au niveau de

l’hippocampe. Dans cet ordre idée, une émotion violente, positive ou négative, peut

provoquer l’entreposage dans la mémoire à long terme d’un souvenir associé à cette

émotion. Un souvenir heureux sera à jamais gravé dans votre mémoire, de même qu’une

de vos douleurs. Par contre, cette même émotion violente peut aussi provoquer dans une

certaine mesure une amnésie sur le passé que l’on divisera en deux catégories : les

amnésies traumatiques lacunaires et les amnésies psychogènes. La première est

provoquée par une décharge de cortisol découlant d’un grand stress ou d’un survoltage

émotionnel qui peut entraîner des pertes neuronales importantes dans des structures clés

de la mémoire comme l’hippocampe. La seconde n’est pas de nature biologique, c’est

une mesure de défense face à des souvenirs beaucoup trop douloureux comme une

agression.

On peut aussi considérer que l’intérêt joue un rôle dans notre capacité d’absorption.

Effectivement, l’information que nous trouvons digne de notre intérêt sera plus

facilement retenue, car non seulement nous aurons nos sens plus aux aguets afin de capter

la moindre des ramifications de ce sujet que nous jugeons passionnant. Notre intérêt va

de plus être associé à une émotion positive, puisque nous aimons en apprendre plus sur

ledit sujet.

Il y a de cela un millénaire et des poussières, Saint-Augustin se posait déjà quelques

questions sur la curieuse façon que nous avions de nous rappeler nos souvenirs : « Quand

j’y pénètre [le palais de la mémoire], je demande à toutes les images que je désire, de

comparaître. Certaines se présentent tout de suite, d’autres se font attendre assez

longtemps et semblent s’arracher à de plus profondes retraites. Il en est qui se précipitent

par bandes et, pendant que je me demande et que je cherche d’autres souvenirs,

bondissent face à moi avec l’air de me dire : ‘‘Ne serait-ce pas nous par hasard’’ ?  D’un

geste de mon esprit, je les chasse du champ visuel de ma mémoire jusqu’à ce que celle

Page 3: La sélectivité de la mémoire

que je demande émerge des ténèbres et quitte sa cachette pour s’ouvrir devant moi. »

(D’Hippone, 1941, p.284) Nous sommes maintenant en mesure d’expliquer ce

phénomène après toutes ces années; les souvenirs absorbés de manière multi référentielle

et en phase avec des émotions sont ceux qui se graveront le plus profondément dans notre

mémoire. Ce seront donc ces souvenirs qui seront les plus susceptibles de, non seulement,

ne pas être oublié, mais aussi de se rappeler le plus souvent à notre bon souvenir. Ils ne

seront pas toujours les plus utiles dans certaines situations, mais ils demeureront fidèles

au poste.

Nous sélectionnons ainsi parfois volontairement et parfois involontairement ce qui sera à

jamais gravé dans notre être.