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La Souveraine des Ombres - 1er chapitre

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Le premier chapitre du premier tome de la trilogie des Elfes de Fer de Chris Evans à est découvrir en ligne dès maintenant.

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LA SOUVERAINE DES OMBRES

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Fleuve Noir

ChRIS EVANS

LA SOUVERAINE DES OMBRES

Traduit de l’américainpar Emmanuel Chastellière

Récits d’une fin de monde annoncée

Les Elfes de Fer, volume I

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Titre original :A DArknEss ForgED in FirE

(Book One of “The Iron Elves”)

Ouvrage publié sous la direction de Bénédicte Lombardo

Le Code de la propriété intellectuelle n’autorisant, aux termes de l’article L. 122-5, 2e et 3e a, d’une part, que les « copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective » et, d’autre part, que les analyses et les courtes citations dans un but d’exemple ou d’illustration, « toute repré sentation ou reproduction intégrale ou partielle faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause est illicite » (art. L. 122-4).

Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L. 335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

© 2008, by Chris Evans.© 2011, Fleuve Noir, département d’Univers Poche,

pour la traduction en langue française.

ISBN 978-2-265-08957-0

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À mes parents, robert et Barbara, pour avoir cru en moi.Cela fait toute la différence.

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nous sommes de petits moutons noirs égarésBaa-aa-aa !Des gentilshommes simples soldats partis festoyerDamnés ici-bas comme ailleursDieu a pitié de gars comme nousBaa ! Yah ! Bah !

Rudyard Kipling – gentlemen rankers

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ChAPITRE 1

Une montagne ne devrait pas hurler. Mais c’était le cas de celle-ci.

La roche ainsi tourmentée vibra sous les pattes d’un petit écu-reuil brun, tapi derrière un rocher, près du sommet. L’air noc-turne, glacial, frémissait à l’unisson avec la montagne, troublant la lumière d’une étoile filante à la traîne pourpre. Les ténèbres volèrent en éclats puis reprirent forme, leurs contours subtilement altérés.

L’écureuil se redressa sur ses pattes arrière et tourna ses pupilles étincelantes vers la voûte céleste, suivant des yeux la tra-jectoire de l’étoile rouge qui se consumait à travers le firmament, en direction de l’est. Il secoua sa petite tête en laissant échapper un soupir ; peu importe le nombre de siècles pour vous y préparer, les prophéties vous prenaient toujours au dépourvu. Les Étoiles étaient de retour. Curieuse pensée pour un écureuil, mais pas pour le magicien-elfe qui avait revêtu l’apparence de cet animal.

Demeurant pour l’instant sous cette forme, le magicien retomba sur ses quatre pattes. Il bondit jusqu’à un autre rocher, quelques dizaines de centimètres plus haut, étirant ses « bras » et ses « jambes » pour mettre à profit les plis de peau flasque qui les séparaient. Il atterrit sur le rocher suivant, haletant, le souffle court. Il était assurément plus facile de planer pour descendre ! Il leva la tête vers le sommet de la montagne et frissonna malgré son pelage. Le pic était couronné de quelques arbres éparpillés. Je ne suis qu’un écureuil, pensa le magicien, se frottant les pattes pour se réchauffer avant de poursuivre son ascension.

La queue du magicien se fit touffue tandis qu’il grimpait pres-tement vers le sommet. À chaque saut, le sol semblait de plus

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en plus corrompu. Quelque chose le transformait de l’intérieur, et il savait quoi. Les racines des arbres au sommet se frayaient péniblement un chemin pour pénétrer au cœur de la montagne et se nourrir de la roche. On les avait contenues jusqu’à ce soir. Isolés sur cette cime, ils pouvaient être contrôlés, à défaut d’être détruits. La chute de l’Étoile rouge, à l’est, indiquait que cette ère était révolue. Un pouvoir que ce monde n’avait pas connu depuis l’aube des temps était de retour. Un pouvoir qui pouvait soit le sauver, soit le détruire.

Il se concentra sur la forêt, souhaitant être assez puissant pour l’effacer lui-même de la surface du globe, tout en sachant que cela lui était totalement impossible. Toutefois, il espérait que son plan pourrait aider celui qui en serait capable. Le magicien n’avait qu’à commettre un menu larcin. Et survivre. Voilà pourquoi il s’était transformé. Aucun magicien ne serait jamais revenu de cette forêt. Par contre, un écureuil avait une chance infinitésimale d’en réchapper, en passant inaperçu.

Du moins, l’espérait-il.Le magicien interrompit de nouveau son ascension pour

reprendre son souffle. Son haleine se changeait en une brume qui s’élevait dans l’air glacé, attirant son regard sur les arbres cram-ponnés à la roche.

Aucune chose vivante n’aurait dû trouver refuge ici. Pourtant, la forêt survivait, ses racines transperçant encore plus profondé-ment la roche, tétant le minerai amer qu’elles avaient trouvé. Les feuilles devenaient aussi noires que l’acier, le vent les affûtant telles des lames de rasoir. L’écorce se cristallisait, révélant au cours de ce processus l’épais ichor qui battait sous la surface alors que les branches s’atrophiaient jusqu’à se vider de leur substance, frappant le sol en cherchant vainement quelque chose de plus nourrissant à dévorer.

C’était une forêt, du moins, cela en avait-il l’apparence.La montagne frémit et envoya de gros morceaux de roche

dévaler ses flancs, comme si elle essayait de se débarrasser de la forêt. Le magicien se cacha dans une fissure juste à temps pour éviter l’éboulement. Quelques instants plus tard, il passa la tête et se prépara à une dernière course effrénée jusqu’aux arbres. Les choses se présentaient plutôt mal  : des brindilles, semblables à des flèches de fer, se brisaient contre la roche avec fracas, tandis que les arbres chassaient maintenant parmi les ombres.

Deux fois, le magicien remua la queue, puis se précipita à toute

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allure entre les troncs de cristal en direction du centre de la forêt. Des branches s’abattaient autour de lui tandis qu’il les esquivait et risquait sa vie dans l’ascension.

Au bout du compte, hors d’haleine, et sur le point de céder à l’épuisement, il arriva au cœur même de la forêt.

Là, sur une proéminence de granit déchiquetée, se dressait un chêne-loup argenté.

Il connaissait bien les chênes-loups et leurs glands délicieux, mais celui-ci ne ressemblait en rien aux arbres élancés et majes-tueux de la Grande Forêt du pays hynta, dans les plaines en contrebas. Ces arbres imposants déployaient leurs branches robustes et souples sous le soleil nourricier. Ce spécimen ne par-tageait aucune de leurs caractéristiques. Sa ramure rampante se déployait sur la roche, faisant serpenter ses branches déchique-tées dans toutes les directions pour prendre au piège ses rejetons dans un fourré affamé, dément et maléfique. Des glands étince-lants à la cupule d’obsidienne recouvraient le sol en dessous.

La forêt gagnait du terrain.Le magicien mourait d’envie de trouver refuge en hauteur. Il

regarda les arbres autour de lui et décida que la terre, aussi souil-lée fût-elle, était encore préférable. C’était ce qu’il avait redouté. Se tenir si près du chêne-loup argenté n’était pas sans consé-quence ; il commençait à penser comme un écureuil. Les chênes-loups constituaient les conduits naturels de la magie élémentaire de la nature, à l’état brut. Parmi eux, les argentés étaient sans égal. Et celui-là les surpassait tous.

Cinq cents cernes plus tôt, ce chêne-loup argenté n’était qu’un arbrisseau, une nouvelle et jeune vie pleine de promesses, pous-sant dans la prairie de la Grande Forêt qui l’avait vu naître. Avec le temps, il aurait dépassé les plus grands arbres et serait devenu un être singulier au pouvoir incroyable bien que de nature simple, gouvernant et protégeant la forêt en influençant tous les êtres vivants autour de lui. Il en était toujours allé ainsi. Avant que tout ne change à l’arrivée des elfes dans le pays hynta.

Le magicien combattait ses instincts les plus primaires – qu’ils soient de nature elfique ou animale – qui le poussaient à redes-cendre au pied de la montagne en toute hâte. Il ne le pouvait pourtant pas encore, pas sans avoir obtenu ce qu’il était venu cher-cher. Une patte après l’autre, il commença à avancer prudemment en direction du chêne-loup argenté, avant que sa progression ne

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soit interrompue par l’écureuil en lui. Plus raisonnable, celui-ci lui avait sauvé la vie en se dissimulant entre deux rochers.

Un givre blanc, mortel pour la végétation, scintillait sur les rochers, rayonnant depuis l’arbre dans toutes les directions. Quelques instants plus tard, un morceau de nuit se détacha du reste des ténèbres.

La Souveraine des Ombres, sorcière-elfe de la haute et sombre forêt, était arrivée.

Elle se tint à côté du chêne-loup argenté, tandis que la puan-teur d’un pouvoir froid et métallique emplissait la forêt. Le magicien le sentit plus qu’il ne le vit. Elle tourna la tête dans sa direction. Son souffle se figea dans ses poumons et sa vision péri-phérique s’assombrit.

Le regard de la sorcière se déporta. Le magicien se détendit à peine, prenant une infime inspiration. Le givre luisait sur ses moustaches.

La Souveraine des Ombres se tourna vers le ciel, suivant des yeux la trajectoire de l’Étoile rouge sur le point de s’écraser. Elle toucha l’arbre de ses doigts. Colère, douleur et désir les enva-hirent tous les deux, de même qu’un autre sentiment, déformant jusqu’à l’air qui les entourait. Leur folie s’entrelaça au point que leurs pouvoirs ne fassent plus qu’un, souillant toute chose. Elle enveloppa ensuite l’arbre de Ses bras, une chose sombre en ber-çant une autre, et le magicien perçut ce qu’il avait longtemps redouté : par-dessus tout, Elle voulait se venger.

Le magicien leva la tête, regardant attentivement le tableau obscur à quelques pas de ses moustaches. La Souveraine des Ombres baissait les yeux sur une mare d’ichor à côté du chêne-loup argenté. La mare miroita, révélant une image de la Grande Forêt, à l’ouest de la montagne. Les elfes du Long Guet, formés pour protéger la Grande Forêt de Sa folie, patrouillaient au milieu des arbres. Cela faisait des siècles désormais qu’ils La tenaient à distance, toujours vigilants, La maintenant, Elle et Sa forêt, isolées au sommet de la montagne.

C’était une vision réconfortante. Ce qui se passa ensuite ne le fut en rien.

Un feu noir dansa dans la Grande Forêt, et arbres et elfes commencèrent à se flétrir, à mourir. Les Étoiles tombèrent, mais quel que soit leur point de chute, Sa forêt était là, dévorant leur pouvoir pour le faire Sien. De nouveaux arbres jaillirent de la terre froide, telles des dagues de cristal et de minerai. Ils se

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multiplièrent, recouvrant toujours davantage de terrain, jusqu’à ce que plus aucun espace libre ne subsiste… Montagne et désert, lac et océan, tout était enveloppé dans une seule et même forêt maléfique.

La montagne frémit à nouveau. Une image différente prit forme dans la mare sombre. À présent, on voyait des soldats patienter, leurs vestes vertes et leurs mousquets en fer, caracté-ristiques de l’Armée impériale de Calahr, reconnaissables entre mille. Calahr, la force de frappe de l’empire humain, de l’autre côté de l’océan.

La mare en dévoila davantage comme le point de vue offert s’éloignait. Sur une colline, une petite forteresse lui était vague-ment familière. Son pouvoir coula jusqu’à la mare et l’image s’agrandit. Elle était ici à la recherche de quelque chose. Tout à coup, le magicien eut le souffle coupé, balayé par Sa magie. Il lutta pour rester maître de lui-même et se souvenir de la raison de sa présence ici, sachant qu’il perdait lentement cette bataille tandis que la magie de Sa forêt lui ravageait l’esprit.

L’étoile filante s’embrasa dans les cieux, au-dessus du petit fort, avant de s’arrêter, suspendue là comme un soleil rouge. L’éclat de sa lumière grandit au point que l’ichor devint totalement pourpre. Puis la lumière disparut et il ne resta plus aucune trace de l’étoile. Mais quelque chose avait changé.

Lentement, silencieusement, il sortit peu à peu de sa cachette et rampa sur le sol en direction de ce qui avait motivé sa venue. À chaque pas, une aiguille froide lui blessait les pattes, mais là, à seulement un pied de lui, se trouvait l’un des glands à la cupule obsidienne du chêne-loup argenté. Il était proche, mais il avait besoin d’une diversion.

Le magicien se concentra, tentant de puiser de la magie dans le pouvoir immonde qui coulait à flots autour de lui. Grimaçant de douleur, il le tamisa dans son esprit jusqu’à ce qu’il soit capable d’en purifier assez pour conjurer un sort mineur. Il faudrait que cela fasse l’affaire.

Il concentra ses pensées sur un arbre de l’autre côté de la clai-rière, et, un instant, celui-ci ressembla davantage à ce qu’il aurait dû être ; brun, vert, et vigoureux. Les autres l’attaquèrent tous à la fois, le battant et le poignardant dans une rafale de branches. Le magicien bondit en avant, empoigna le gland entre ses pattes, et le fourra dans sa bouche. Des éclairs froids lui transpercèrent le crâne, mais il parvint à détaler derrière un rocher avant de

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cracher le gland dans ses pattes, où celui-ci se mit à fumer à l’air libre.

La montagne trembla de nouveau, avec un bruit grave, triste. La roche se scinda en morceaux. De profonds abîmes s’ouvrirent au cœur de la montagne, dévoilant son passé antique. Des flammes de givre noir bondirent des ténèbres, très haut dans le ciel nocturne. Sa forêt s’enfonçait encore plus loin, fouillant au-delà de la roche, remontant à une ère depuis longtemps révolue. L’air s’emplit de rugissements primitifs, avides, à vif, que l’on n’avait pas entendus depuis des centaines d’années. Une autre voix s’éleva au-dessus des leurs, et le peu de conscience qui restait encore au magicien frémit à ces mots.

— Vous vous nourrirez également, leur dit-Elle.Des racines extrayaient des profondeurs des créatures dif-

formes. Elles se déversèrent en formant des tas noirs, masse de membres crochus et d’yeux d’un blanc laiteux, au pas traînant.

— Arpentez ce monde comme vous l’avez fait autrefois. Rassemblez autour de moi ceux qui portent ma marque. Ceux qui voudraient nuire à mon royaume… Détruisez-les.

Chaque fibre de son corps lui disait de s’enfuir tant qu’il en avait encore l’occasion, mais il devait courir le risque d’un dernier coup d’œil dans la mare. Comme dans le cas de la Grande Forêt, des langues de givre brûlant engloutissaient la forteresse sur la colline, dévorant tout sur leur passage. Ses arbres ouvraient des brèches dans la terre déchirée par leurs racines, à la recherche de l’étoile qui était tombée là.

Assez. Il fourra à nouveau le gland dans sa bouche et s’enfuit pour sauver sa peau.

La douleur était écrasante, mais il lui fallait redescendre jusqu’en bas avec ce trésor. Chaque bond l’éloignait davantage de ce lieu d’abomination et le rapprochait de celui qui avait désor-mais une chance de L’arrêter.

Quand il atteignit le pied de la montagne, il trouva une grotte à proximité et rampa à l’intérieur, cracha le gland et s’écroula, à bout de forces, son corps retrouvant son apparence elfique. Il laissa la souffrance et l’épuisement s’emparer de lui, perdant len-tement connaissance avec la satisfaction de savoir que la première partie de sa mission était accomplie. Une fois complètement réta-bli, il serait en mesure de remettre le trésor en mains propres.

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Très haut dans la montagne, la Souveraine des Ombres, debout, scrutait la forêt. Elle vit le magicien elfe s’effondrer dans la grotte. Les créatures se tenaient à côté d’Elle, à l’affût. Cer taines affichaient encore une apparence elfique, bien que terriblement contrefaite. Elles attendaient l’ordre de mettre en lambeaux le magicien, un ordre qui ne vint pas. Au lieu de cela, la Souveraine des Ombres sourit.

Les mondes ne devraient pas hurler. Mais ce serait le cas de celui-ci.