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Le droit d’auteur : des « Lumières » à Internet Actes du colloque organisé par le Syndicat national des auteurs et des compositeurs le 27 novembre 2006 L’ uteur au XXI e siècle

L’ uteur au - CNM-IRMA · 2019. 3. 8. · Jean Delannoy, Jean Dréjac, Antoine Duhamel, Claude Lemesle et Jacques Vigoureux, représentants, vous le constatez, de notre diversité

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Le droit d’auteur : des « Lumières » à Internet

Actes du colloque organisé par le Syndicat national des auteurs et des compositeurs le

27 novembre 2006

L’ uteur au XXIe siècle

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L’Auteur au XXIe siècle

Le droit d’auteur : des « Lumières » à Internet

Actes du colloque organisé par le Syndicat national des auteurs et des compositeurs

le lundi 27 novembre 2006

Snac

La mise en forme écrite a été réalisée par Maurice Cury, Simone Douek, Emmanuel de Rengervé, Sylvie Saracino et Youri

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Conception graphique et typographique : Marc AutretFonte de labeur ITC « Legacy Sans » créée par Ronald Arnholm en 1992.

Tous droits réservés — © Snac, 2007

Avertissement

Tous les textes du présent livre restent la seule propriété des intervenants cités qui ont accepté, par leur participation au colloque, une publication, sans qu’il y ait cession de leurs droits.

Le Snac les remercie de leurs apports aux débats.

La remise en forme écrite a été réalisée par chacun des modérateurs des tables rondes du colloque, ainsi que par Maurice Cury, Emmanuel de Rengervé et Sylvie Saracino, d’après la transcription des bandes magnétiques enregistrées par les soins de la Sacem*.

Toute intervention orale, à plus forte raison si elle est improvisée ou faite d’après un simple canevas, ne peut pas être reproduite dans un texte publié tel quel. Utiliser les interventions brutes aurait même desservi certains intervenants à la parole « trop » généreuse ou certains des participants de la salle désireux de s’exprimer sans avoir pu préparer leurs formulations.

Notre travail a donc consisté en un « élagage », d’un tiers environ de la transcription initiale : par suppression des redites, hésitations et phrases inachevées. Nous avons aussi été amenés à synthétiser les paroles foisonnantes, mais toujours en respectant le fond des propos.

Nous pensons ainsi publier les actes véritables et intéressants du colloque L’Auteur au XXI e siècle – Le droit d’auteur : des « Lumières » à Internet.

Bonne lecture…

Le Snac

* Nous avons constaté, à cause des changements de support intervenus en cours de débats, des manques (limités) dans les interventions de Jack Ralite (milieu) pour le module 1, Paul Otchakovsky-Laurens (fin) et Pascal Rogard (début) pour le module 2 et Jean-Pierre Spièro (fin) et Jean-Marie Moreau (début) pour le module 3. Nous prions les intervenants concernés de bien vouloir nous excuser de cette situation indépendante de notre volonté.

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SOMMAIRE

OUVERTURE Le droit d’auteur, un droit moderne 7Maurice cury ...................................................................... 7

MODULE 1 Le droit d’auteur dans le monde 11eMManuel de rengervé ....................................................11Stéphane laporte .............................................................15halit uMan .........................................................................17david FerguSon ................................................................ 20JacqueS toubon ............................................................... 23Jack ralite ......................................................................... 29bernard Miyet .................................................................. 36priSeS de parole danS la Salle ...................................... 43

MODULE 2 Droit d’auteur et accès à la culture 45SiMone douek ................................................................... 45alain abSire ....................................................................... 48paul otchakovSky-laurenS ........................................... 53paScal rogard .................................................................. 56Joëlle Farchy .................................................................... 62laurent duvillier ............................................................ 70claude leMeSle ................................................................. 73priSeS de parole danS la Salle .......................................74

MODULE 3 La vie des auteurs et l’évolution des techniques 89

youri ................................................................................... 90victor haïM ....................................................................... 90yveS FréMion ....................................................................102Jean-pierre Spièro ...........................................................107Jean-Marie Moreau .........................................................112laurent petitgirard ......................................................120Jean-pierre ancel ............................................................131pierre Sirinelli .................................................................139priSeS de parole danS la Salle .....................................151

MEssagE Les auteurs demandent… 157

aNNE XE Les intervenants du colloque 161

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Le droit d’auteur, un droit moderne

À l’occasion de sa 60 e année d’existence, le Snac, dont l’objet princi-

pal est la défense du droit d’auteur et des auteurs, a décidé, après

tous les débats qui se sont déroulés dans les derniers mois autour

du droit d’auteur et d’Internet, d’être à l’initiative de l’organisation

d’un colloque et d’inviter à y participer les auteurs, les compositeurs,

les politiques, les journalistes et les juristes. Ce colloque s’est tenu le

lundi 27 novembre 2006 dans l’auditorium Debussy Ravel de la Sacem.

OuvERtuRE

Maurice cury (président du Snac). — Je vous souhaite la bienvenue. Je tiens à remercier la Sacem pour son hospitalité et son accueil, particulièrement son président Claude Lemesle* et le président du directoire Bernard Miyet.

En préalable à notre réunion quelques recommandations pour son bon déroulement :

éteindre vos portables évidemment ; —lors des questions posées dans la salle, merci de demander —

un micro qui vous sera donné par l’une des hôtesses présentes. Merci également de donner votre nom si vous intervenez afin d’être identifié dans l’enregistrement qui permettra la publication faite à l’issue de ce colloque ;

vous êtes nombreux à vous être inscrits, ne laissez pas de —fauteuils libres au milieu des rangées pour permettre aux retarda-taires ou à ceux qui arrivent pour les prochains modules de pouvoir nous rejoindre sans vous déranger ;

9h15

* Laurent Petitgirard a succédé à Claude Lemesle à la présidence de la Sacem.

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ry il n’y aura pas de pause entre les modules qui vont s’enchaîner —au fil de la journée. Si vous souhaitez sortir, merci par avance de le faire par les portes du fond de la salle, de façon à ne pas perturber les débats.

En introduction, et pour présenter ces réunions, je vous rappelle que nous commémorons cette année les soixante ans du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac), organisateur de cette journée consacrée au droit d’auteur.

Le Snac est né en 1946 du regroupement de plusieurs syndicats : d’auteurs, de cinéastes et de compositeurs. C’est le seul syndi-cat rassemblant, en France, toutes les disciplines de la création littéraire au sens le plus large, mais également de l’audiovisuel et de la musique.

Les présidents depuis la création de notre syndicat furent successi-vement : Armand Salacrou, Henri Février, Marcel Achard, Georges Auric, Jean Cocteau, Henri Busser, Georges Duhamel, Darius Milhaud, René Clair, Jacques Deval, Pierre Descaves, Paul Vialar, Jean Delannoy, Jean Dréjac, Antoine Duhamel, Claude Lemesle et Jacques Vigoureux, représentants, vous le constatez, de notre diversité *.

Le Snac combat, depuis son origine, pour la défense des auteurs individuellement et collectivement dans toutes les instances où nous sommes représentés, ainsi qu’auprès des pouvoirs publics et du législateur, pour défendre la condition et les intérêts des auteurs.

Nous avons décidé à l’occasion de cet anniversaire d’organiser un colloque sur le thème : L’auteur au XXI e siècle (le droit d’auteur : des « Lumières » à Internet). Les débats parlementaires et médiatiques qui se sont déroulés autour du droit d’auteur, les dangers qui le

* Depuis la date du colloque et donc de ces propos, Jean‑Marie Moreau a succédé, en juin 2007, à Maurice Cury, comme président du Snac.

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menacent, nous ont incités à organiser cette journée de réflexion et de propositions. L’amorce de cette réflexion a été engagée avec d’autres organisations d’auteurs : syndicats, associations et sociétés d’auteurs. Nous espérons que cette rencontre ouvrira la perspective d’actions à mener en commun.

Le métier d’auteur a beaucoup changé depuis 1946, il s’est diversifié. S’il y eut des avancées, voire des conquêtes dans certains domaines comme celui de la sécurité sociale par exemple, nous avons subi de nombreuses attaques et celles que nous subissons aujourd’hui ne sont pas les moins dangereuses.

Nous ne refusons ni les mutations ni les nouveaux moyens de diffusion de nos œuvres. Face aux concentrations éditoriales dans tous les domaines — plus propices à mes yeux à l’uniformité qu’à la diversité culturelle — les nouveaux médias peuvent apporter, peut-être, plus de liberté au créateur. Mais ces nouveaux moyens ou ces nouvelles techniques de diffusion ne doivent pas pour autant déposséder l’auteur de sa création. Nous ne devons pas devenir les victimes expiatoires d’un prétendu progrès qui nierait la paternité et la singularité de nos œuvres. Si la culture est le bien de tous, une œuvre appartient d’abord à son auteur.

On veut imposer à nos sociétés de gestion la sacro-sainte loi de la concurrence, ce n’est pas l’auteur qui y serait gagnant. En allant au plus offrant, l’utilisateur irait là où les droits d’auteur seraient minorés. Nous souhaitons que la gestion collective puisse s’étendre à tous les domaines, de l’édition au cinéma et que la transparence demandée aux sociétés de gestion le soit, également, aux exploi-tants des œuvres.

Si la culture

est le bien

de tous,

une œuvre

appartient

d’abord à

son auteur.

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ry Mais je ne veux pas anticiper sur les débats à venir…

Auteurs, nous sommes à l’origine d’un secteur économique impor-tant qui va de l’édition littéraire et musicale et du spectacle à l’audiovisuel, alimentant la culture au sens le plus large mais égale-ment l’industrie, le commerce et le tourisme.

Unis, nous représentons une force. Nous demandons à être consul-tés — nous, organisations syndicales ou associations d’auteurs — quand des décisions qui engagent notre sort sont prises en notre nom.

Je suis persuadé que les réflexions que nous allons mener tout au long de cette journée, avec des intervenants élus politiques, juristes et de nombreux auteurs — de toutes disciplines — seront fructueu-ses et, c’est mon souhait le plus cher, le début, quand ce n’est pas la poursuite, d’actions unitaires et d’un combat commun.

Merci de votre présence et de votre attention. Je vais maintenant donner la parole et céder ma place au délégué général du Snac, Emmanuel de Rengervé, pour qu’il présente les intervenants de la première table ronde.

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Le droit d’auteur dans le monde

La place et le rôle de l’auteur dans la société diffèrent selon

que l’on affirme les droits des auteurs ou les droits des entre-

prises qui exploitent les œuvres ; c’est en bonne partie la

différence entre droit d’auteur et copyright. À quoi les auteurs

doivent-ils s’attendre, à court et moyen terme, compte tenu

des derniers débats législatifs et jurisprudentiels, en Europe et

dans le monde ? La Loi votée en 2006 par le Parlement français

constitue-t-elle une bonne évolution pour le droit d’auteur ?

MOdulE 1

Intervenants : David Ferguson (compositeur, président de la British Academy of Composers), Stéphane Laporte (auteur et adaptateur de pièces de théâtre et de comédies musicales), Bernard Miyet (président du directoire de la Sacem, président du Gesac), Jack Ralite (sénateur, initiateur des États généraux de la culture), Jacques Toubon (député européen, ancien ministre de la culture et de la francophonie), Halit Uman (éditeur de musique, administrateur de la Sacem, vice-président de la CSDEM).

Modérateur : Emmanuel de Rengervé (délégué général du Snac).

eMManuel de rengervé. — Bonjour. Comme vous le remarquez, il nous manque encore un intervenant pour commencer, à savoir Jacques Toubon. Il est dans les encombrements de circulation. Cela ne m’empêche pas de vous présenter déjà les intervenants

9h30 / 11h

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rvé présents et de commencer notre tour de table, Jacques Toubon

nous rejoindra.

En guise d’introduction je souhaite rappeler quelques éléments permettant d’entrer dans le vif du sujet de notre colloque.

Le droit d’auteur, c’est la possibilité pour les auteurs de vivre dans la société des revenus de leurs activités professionnelles en étant asso-ciés aux recettes d’exploitation de leurs œuvres. Le droit d’auteur, c’est la possibilité de faire respecter l’intégrité des œuvres et la qualité de créateur sur celles-ci.

Depuis la Révolution, la France a affirmé sa volonté de faire du droit d’auteur un système protecteur des auteurs et des œuvres.

Les débats législatifs et médiatiques à l’occasion de la dernière loi sur le droit d’auteur ont révélé des divergences profondes au sein de la société française sur plusieurs des questions essentielles à la survie du métier d’auteur.

À la naissance du droit d’auteur, il s’agissait de protéger « le pot de terre » (l’auteur) contre « le pot de fer » (l’exploitant de l’œuvre). Cet axiome est-il encore pertinent et peut-il encore être un fondement de notre droit ?

Les modes de consommation des œuvres, la concentration des industries de la culture et les modalités d’exploitation des œuvres, grâce aux nouvelles techniques, ont modifié le rapport qui existait entre l’auteur, le cessionnaire des droits de l’auteur, le consomma-teur et la société.

La propriété littéraire et artistique (droit d’auteur ou copyright) et certaines règles de gestion collective de droits des auteurs

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pourraient-elles être remises en cause parce qu’elles constitueraient une entrave aux règles de libre circulation des biens culturels ? Et si oui, jusqu’à quel point ?

La cohabitation dans l’Union européenne, voire dans le monde, entre droit d’auteur et copyright pourra-t-elle durer sans qu’un choix de cohérence et d’harmonisation ne soit fait ?

Le premier module de cette journée porte sur le droit d’auteur dans le monde, dans l’Union européenne et en France.

Les intervenants que nous avons réunis autour de ce thème ont des compétences, des expériences et des origines professionnelles variées.

Ils s’empareront des différentes questions qui se posent pour apporter à chacune leur analyse et leur réponse et ainsi susciter le dialogue et le débat avec la salle. Nous souhaitons que nos réunions comportent un temps de parole des intervenants mais aussi un temps de parole de la salle. Nous disposons d’une heure et demie : une heure pour les différentes interventions et une demi-heure pour vos questions dans la salle.

Nos intervenants sont :Stéphane Laporte, auteur dramatique et de spectacles musi- —

caux. Son travail est exploité en France, en Belgique, en Suisse et aux États-Unis.

Halit Uman, éditeur de musique. Il gère pour le territoire —français la sous-édition de quelques catalogues américains indé-pendants. Pendant les débats de la loi intitulée Droit d’auteur et droits voisins dans la société de l’information (DADVSI), il a participé à certains des rendez-vous organisés entre la filière musicale et les politiques.

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rvé Il pourra vous faire partager les impressions qu’il a ressenties à l’oc-

casion de ces rendez-vous.David Ferguson, compositeur. Il préside une importante orga- —

nisation de compositeurs en Angleterre. Il nous expliquera si les mêmes débats se déroulent en Angleterre et comment les auteurs doivent s’unir pour faire entendre leurs voix en Europe. Il est venu exprès d’Angleterre pour notre réunion. Je le remercie pour sa dispo-nibilité et son engagement.

Jacques Toubon, député européen et ancien ministre de la —Culture. Il est particulièrement bien placé pour vous expliquer les choix de l’Union européenne et vous présenter les futurs débats qui s’y dérouleront.

Jack Ralite, sénateur, initiateur des États généraux de —la culture. Il a été très actif pendant les négociations de l’OMC (Organisation mondiale du commerce) sur la question de l’excep-tion culturelle. Il intervient dans tous les débats sur le droit d’auteur, la culture et l’audiovisuel.

Bernard Miyet, président du directoire de la Sacem. Il nous —dira quelles conséquences il pourrait y avoir pour les auteurs français et leurs sociétés si la commission européenne parvient à imposer ses vues, par exemple dans les domaines de la gestion collective des droits ou sur la rémunération au titre de la copie privée.

Je donne maintenant la parole à Stéphane Laporte que je vous demande d’accueillir avec amitié car il m’a avoué être intimidé par votre assistance et ne pas être familier de ce type d’exercice en public.

Auteur dramatique et de spectacles musicaux, il est confronté, de par son activité professionnelle, à différents problèmes, différentes questions qu’il a accepté de vous exposer ce matin.

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Stéphane laporte. — Je vais parler de ma « petite expérience » d’adaptation d’œuvres américaines et d’exploitation d’œuvres aux États unis. C’est pour cela qu’Emmanuel m’a demandé de partici-per à ce colloque.

Mon expérience professionnelle a commencé il y a quelques années, en Suisse. Il s’agissait de la production d’un spectacle américain, intitulé en français Un trait de l’esprit, que j’avais traduit avec Jeanne Moreau.

Parallèlement, à la même époque, j’avais traduit Titanic, la comédie musicale américaine pour l’Opéra royal de Wallonie, théâtre subven-tionné — bien subventionné qui plus est. L’usage veut d’accorder une avance sur royalties à tous les auteurs et adaptateurs. C’est comme cela que j’ai démarré en Belgique avec une avance que je qualifierai de confortable et qui couvre forfaitairement trois ans d’exploita-tion. À l’issue des trois ans, on considère que l’ouvrage, c’est-à-dire l’adaptation en l’occurrence, passe dans le catalogue. L’avance est considérée comme remboursée ou « caduque » et on commence à toucher des droits sur l’exploitation de l’ouvrage.

En Suisse c’était différent. Il s’agissait d’une production du secteur privé. Le système est exactement le même que le système français.

Quand j’ai traduit la pièce d’Eric-Emmanuel Schmitt Monsieur Ibrahim ou les fleurs du Coran en anglais, et qu’elle s’est jouée à New York, je me suis rendu compte que les systèmes droit d’auteur ou copyright pouvaient être extrêmement différents.

D’abord les pourcentages réservés, aux USA, aux auteurs sont bien moindres que ce qu’ils sont en France. Quand un spectacle marche, tout le monde est content. Quand un spectacle ne marche pas, tout le monde doit baisser ses prétentions financières, y compris les

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rte auteurs. Le système américain privilégie, ce n’est pas très nouveau,

ce qui est rentable. Si on a un spectacle à Broadway — billets à cent dix dollars et mille cinq cents places dans le théâtre — on peut faire « fortune » assez rapidement. En revanche, quand on est dans un petit théâtre et quand on est l’auteur ou l’adaptateur d’un spectacle qui ne marche pas, on peut très bien ne rien avoir du tout.

Ainsi, de mes quelques expériences, la comparaison des systèmes que j’ai connus est quand même à l’avantage de la France pour la garantie d’une rémuné-ration minimum au profit des auteurs.

Dieu merci, j’ai un agent qui s’oc-cupe pour mon compte de tout ce qui est contrat ou droits d’auteur. C’est Suzanne Sarquier, elle est aussi, entre autres, l’agent de Victor Haïm qui sera là tout à l’heure. Dans mon expérience professionnelle, je considère qu’un agent est indispensable pour la négociation de mes contrats. Personnellement je ne peux pas m’en sortir seul, mais je veux bien admettre qu’il y a des auteurs qui sont plus compétents que moi dans ce domaine.

eMManuel de rengervé. — Merci Stéphane Laporte. Nous passons d’une expérience d’auteur de théâtre à celle d’éditeur de musique avec Halit Uman.

La comparaison des

systèmes que j’ai

connus est quand

même à l’avantage

de la France pour

la garantie d’une

rémunération

minimum au profit

des auteurs.

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halit uMan. — Comment vous parler des différents rendez-vous politiques auxquels j’ai assisté lors des débats de la Loi DADVSI sans paraître sévère par moment ? Je tâcherai quand même de tempérer mes propos… dans la mesure du possible.

En résumé, qu’avons-nous vu ? J’ai participé à la délégation d’édi-teurs qui a rencontré différents groupes parlementaires fin 2005. Nous avons perçu l’incompréhension et la tension chez nos inter-locuteurs concernant la gestion de nos droits pour les diffusions Internet. La même délégation d’éditeurs a été reçue par le ministre de la Culture flanqué de ses proches collaborateurs. Sans doute avons-nous été trop courtois pour parvenir à leur faire partager nos craintes par rapport à cette « jacquerie parlementaire » qui se dessinait dès avant le vote de la licence globale.

Pour faire bref, le ministère a très mal géré l’histoire… l’affaire est, malheureusement, tombée sur la place publique.

Les médias s’en sont donné à cœur joie dans la démagogie et la confusion la plus totale. C’est ainsi, alors que j’étais sorti de la conférence de presse quasi improvisée — ce fameux 22 décembre — après le vote de la licence globale, au cours de laquelle nombre d’auteurs, compositeurs, petits producteurs et toute la mosaïque de nos métiers s’étaient exprimés contre cette expropriation de leurs droits que — rentrant chez moi — prenant les informations du 20 heures sur une grande chaîne nationale, j’ai eu la surprise d’ap-prendre que la filière musicale s’était félicitée de l’adoption de cette licence globale, à l’exception des multinationales du disque !

Dans le prétendu débat qui oppose le « petit » internaute au « grand » Pascal Nègre [nom du dirigeant de la major Universal], malheu-reusement, vous [les auteurs], vous n’existez pas. Vos répertoires, ou vos œuvres, n’existent pas… et je n’existe donc pas non plus.

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man Il y a quand même une institution qui s’est distinguée, favorable-

ment, c’est le Conseil constitutionnel. Il a eu le bon sens et le bon goût de se borner à constater qu’un délit commis sur Internet restait un délit et qu’Internet ne pouvait pas servir de prétexte à certai-nes personnes pour remettre en cause le droit d’auteur qui est un droit fondamental. L’affaire me semble loin d’être définitivement enterrée…

eMManuel de rengervé. — Pourriez-vous nous présenter vos acti-vités d’éditeur de musique et aussi de gestionnaire de catalogues indépendants américains ? Vous agissez en tant qu’éditeur de musique sur le fondement du droit d’auteur (comme cessionnaire), mais en tant que sous-éditeur sur la base du copyright. Cela pose-t-il problème ? Les deux systèmes peuvent-ils, selon vous, coexister harmonieusement sans difficulté majeure ?

halit uMan. — Il n’y a, selon mon expérience, aucune spécificité particulière pour mener l’activité éditoriale sur une œuvre selon qu’elle est soumise au régime du copyright plutôt qu’à celui du droit d’auteur.

Toutefois, en venant ici tout à l’heure, j’ai repensé à un cas que j’ai vécu. Je travaillais et je représentais les œuvres de deux composi-teurs américains qui ont collaboré à un feuilleton qui se passe dans le milieu « des sauveteurs d’une station balnéaire de la côte Ouest américaine ». Le diffuseur, français en la circonstance, avait envi-sagé de substituer une musique de son cru à la musique originale, arguant que ce serait beaucoup plus favorable à la diffusion en France. La Sacem, de façon orthodoxe sur le plan juridique, avait décidé de répartir les droits sans tenir compte de la substitution de musique, en fonction de la feuille d’enregistrement des composi-tions musicales, compte tenu de l’absence d’accord entre l’ensemble des ayants droit.

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Mon éditeur original avait l’air de considérer qu’il était seul titulaire des droits et que les auteurs n’avaient pas vraiment voix au chapitre. La Sacem a dû s’incliner lorsque le studio américain lui a fourni le contrat d’engagement des compositeurs qui acceptaient par avance l’éventuelle substitution de leur musique, sur la seule décision de l’éditeur de musique.

Dans ce seul cas, j’ai effectivement senti une différence dans la gestion des droits entre droit d’auteur et copyright. Cette anecdote est peut-être emblématique. Il y a danger si la musique n’est pas appréciée pour sa propre valeur mais pour une valeur de produit d’appel, de produit interchangeable, ou encore, pour servir des intérêts qui ne sont pas les siens ou ceux des créateurs.

eMManuel de rengervé. — Merci Halit Uman. Votre exemple montre aussi l’absence de droit moral dans la pratique liée au copyright et donc l’une des différences essentielles entre droit d’auteur et copyright.

David Ferguson parle très bien français. Il a accepté — pour vous — de faire l’effort de s’ex-primer dans notre langue pendant l’ensemble de son intervention. Je veux l’en remercier et lui céder la parole pour qu’il nous explique en quoi la situation anglaise est proche de la nôtre, par certains débats qui s’y déroulent.

Il y a danger si la

musique n’est pas

appréciée pour

sa propre valeur

mais pour une

valeur de produit

d’appel, de produit

interchangeable…

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son david FerguSon. — Bonjour. Je vais massacrer votre langue

maintenant…

En Angleterre, comme vous le savez, il y a un système différent qui est celui du copyright. C’est un droit tout à fait économique. Il n’y a pas de droits d’auteur. C’est la même situation dans les pays de droit anglo-saxon : l’Irlande, l’Amérique par exemple. Parce que c’est un droit économique, les combats sont un peu différents, je crois.

S’il y a des difficultés entre les propriétaires de copyright et les utili-sateurs du copyright, on a un système en Angleterre qui s’appelle le Tribunal du copyright. C’est une forme de comité juridique mis en place par le gouvernement et non pas par les juges. Ce tribunal comporte un juge professionnel mais aussi deux membres repré-sentant le public ou les utilisateurs. Le choix des représentants du public est bizarre… vraiment bizarre… les deux représentants actuels sont un amiral et le président d’un club de chiens… c’est le système anglais…

L’Angleterre vient de connaître une bataille très difficile pour les auteurs et pour les éditeurs au sujet des licences d’Internet. La PRS MCPS [l’équivalent de la Sacem] a proposé un contrat global (droits mécaniques et exécutions publiques) aux utilisateurs d’Internet. Le taux de perception pour cette licence était de 8 %, avec l’espoir de l’augmenter jusqu’à 12 %.

Ce qui est arrivé, c’est que les compagnies de disques, les opéra-teurs de réseaux mobiles et les fournisseurs des services ont fait une alliance contre cette rémunération pour les auteurs dans un procès qui a duré dix-huit mois. Ce qui est très important c’est que, quand le tribunal a rendu sa décision, une bonne décision pour les auteurs, elle est intervenue alors qu’un accord avait été passé, en dehors du tribunal, avec quelques-unes des parties. Le cadre juridique et

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économique ainsi créé ne pourra pas être remis en cause dans les prochaines années.

Les deux ou trois fois où nous avions été au tribunal pour d’autres combats, nous avions perdu. Même s’il n’y a pas beaucoup d’argent aujourd’hui avec Internet et les licences sur le online, c’était absolu-ment indispensable de mener la bataille jusqu’à la fin pour avoir une décision de principe.

L’accord concerne les compagnies de disques, avec les majors par exemple mais pas les très grands diffuseurs Internet américains. Cela veut dire que pour AOL ou Real Networks, qui sont défendus par un avocat américain très combatif, la procédure continue et on ne sait pas encore comment cela va se terminer. Toutefois l’ac-cord est important pour sauvegarder nos possibilités d’avenir. C’est la première fois que l’on fixe dans un accord une percep-tion minimum garantie.

Les ressources provenant d’Internet peuvent être très faibles. Même si les four-nisseurs de services et de musique décident de donner la musique et non plus de la vendre, il faudra qu’ils payent un minimum aux auteurs, pas uniquement un pourcen-tage sur des recettes quasi nulles. Cette bataille juridique, qu’il fallait faire, a coûté très cher à notre société PRS, un minimum de dix millions de livres (pour les frais de procès et d’avocats). Les seuls gagnants en ce moment sont les avocats. Aujourd’hui les perceptions qui étaient remises en cause

Même si les

fournisseurs de

services décident de

donner la musique

et non plus de la

vendre, il faudra qu’ils

payent un minimum

aux auteurs, pas

uniquement un

pourcentage sur des

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son dans cette procédure, ce sont moins d’un million de livres par an

pour PRS…

Les auteurs ont besoin de faire entendre leur voix dans les instan-ces européennes. Avec le Snac, l’Unac et l’UCMF, nous essayons de construire un network, une alliance des organisations européennes d’auteurs. Je crois que dans tous les genres musicaux, on constate que ce n’est plus possible de ne rester que des organisations natio-nales pour se faire entendre du monde politique. Il faut trouver le moyen de parler d’une seule voix en Europe. Depuis deux à trois ans nous avons beaucoup réfléchi, lors de nos réunions, pour élabo-rer une construction commune. Nous sommes prêts maintenant et dans les prochains mois nous devrions aboutir.

C’était très important que nous ayons ce dialogue entre le Snac, l’Unac, l’UCMF et la British Academy of Composers pour trouver les moyens de se comprendre, de s’entendre et d’éviter la division des auteurs au niveau européen, qui ne pourrait servir que les intérêts de nos ennemis.

Les organisations des compositeurs audiovisuels avaient commencé en formant une organisation, FFACE (Federation of Film and Audiovisual Composers of Europe), elle a commencé avec neuf pays je crois, main-tenant ils sont onze. Les organisations qui représentent les compo-siteurs de la musique classique avaient fait une grande réunion à Vienne pour former eux aussi une organisation ECF (European Composers Federation). Maintenant ce sont les compositeurs de musique populaire qui ont décidé de former une organisation APCOE (Association of Professionnal Composers Organisations in Europe). C’est affreux comme nom ! APCOE va élaborer ses statuts et on espère la faire naître lors du Midem qui se déroulera en janvier.

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La grande idée avec ces trois fédérations, ces trois jambes (si on peut dire), est de créer une association les regroupant. Ce serait « The european music rights and network », dans le but d’en faire une ONG reconnue à Bruxelles, représentant auprès de la Commission et des instances européennes tous les compositeurs, toutes les formes de musiques. Cette organisation doit être en dehors des sociétés de gestion collective car ces dernières représentent d’autres organismes ou d’autres personnes qu’uniquement les créateurs. Nous travail-lerons, bien sûr, avec nos sociétés, elles sont nos alliées, mais il faut que les politiciens européens puissent voir que les créateurs sont différents, et davantage, que leurs sociétés de droits.

Voilà le projet. Comme je peine à m’exprimer en français, je vais arrêter là. Mais je pense que j’ai déjà trop parlé…

eMManuel de rengervé. — Merci David Ferguson, votre intervention sur l’Europe me fournit une transition aisée pour passer la parole à Jacques Toubon, député européen, ancien ministre de la Culture, dont les auteurs se souviennent, particulièrement ici à la Sacem. Je rappelle qu’il fut le ministre qui a permis la survie de la chanson d’expression française en instaurant les quotas à la radio.

Il serait intéressant, monsieur le ministre, de vous entendre sur les sujets concernant les auteurs en débat actuellement en Europe, et sur ceux qui viendront.

JacqueS toubon. — Merci beaucoup. D’abord je suis très content d’être au milieu des auteurs et des compositeurs parce que, comme j’aurai l’occasion de le signaler de nouveau tout à l’heure, c’est natu-rellement de là que tout part. Souvent les débats portent sur les phases ultérieures de processus de création et de diffusion mais je crois que, sans démagogie, il faut dire que si vous n’étiez pas là, rien n’existerait. Tout le problème est de savoir si, dans la nouvelle

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on économie que l’on essaie d’organiser, il continuera à y avoir des

créateurs, auteurs et compositeurs.

Je vais essayer de vous dire deux ou trois choses aussi concrètes que possible. Elles se termineront naturellement sur une note politique parce que je crois qu’au point où nous en sommes aujourd’hui, on ne peut plus se contenter de faire un travail purement technique.

Premièrement, il y a un sujet auquel je tiens beaucoup, et pas seule-ment parce que j’ai fait la loi de 1994 sur l’emploi du français, c’est l’utilisation des mots. Cela peut devenir un point fondamentalement destructeur.

Nous avons trop tendance dans nos discussions, à mettre copyright à toutes les sauces. Ce matin, c’est le sujet que j’ai souhaité traiter : copyright et droit d’auteur. Le mot copyright, David Ferguson l’a bien montré, est une notion englobante, elle fait passer tout le reste derrière. Nous devons continuer à utiliser en français, en anglais, en allemand, les mots qui disent le droit d’auteur, qui disent le droit des interprètes, qui disent les droits dérivés, qui disent les rému-nérations, qui disent les compensations, les rémunérations équita-bles. Sinon, on entrera dans un système où l’on finira par n’avoir que deux mots qui vont tout recouvrir. C’est d’ailleurs ce qui se passe déjà, en partie, aujourd’hui. Nous devons tous participer à la bataille si j’ose dire du vocabulaire.

Je crois vraiment qu’il faut, dans toutes les discussions, utiliser aussi la langue et la culture françaises. Même s’il faut s’exprimer en anglais autour de certaines tables ou dans certaines discussions, je ne dis jamais copyright, je dis toujours author rights. Je me bats pour parler de fair compensation.

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C’est un premier point, ce n’est pas un détail. Il faut faire attention dans tous les textes que l’on publie, dans toutes les interviews que l’on donne, à ne pas laisser perdre le sens des mots parce que sinon nous ne sommes plus sur notre terrain.

Deuxième point : je pense que la caractéristique fondamentale du droit d’auteur tel que nous le vivons, c’est sa continuité. Son carac-tère en quelque sorte imprescriptible si je voulais employer des mots du droit pénal. Il est égal pour tous, c’est-à-dire qu’il assure la diversité. Le copyright est un système, je résume, pour le producteur. Le système du droit d’auteur est un système pour les créateurs. Le copyright est un système, comme David Ferguson l’a fort bien expli-qué, économique qui permet de fabriquer l’œuvre, qui permet de la diffuser et qui se situe dans une perspective de négociation écono-mique, de négociation entre partenaires.

Le droit d’auteur est le système dans lequel le créateur a tout au long de la vie de l’œuvre un droit à rémunération, et s’il ne peut pas avoir une rémunération proportionnelle, l’auteur peut prétendre à une compensation financière.

Je reviens quelques instants à la copie privée. Elle n’est en aucune façon un prélèvement, un impôt, une taxation, une manière de renchérir les produits.

Il se trouve un certain nombre de circonstances dans lesquelles la rémunération ne peut pas être assise, elle ne peut pas être calcu-lée. Il faut donc prévoir une compensation calculée à l’avance qui permette d’assurer la rémunération de l’ensemble de la chaîne, y compris celle de l’auteur. Sur la copie privée, le seul discours à tenir est celui-là. Il ne faut entrer dans aucune autre considération, en particulier celle que la Commission tente de nous servir dans sa

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on recommandation, en prétextant des distorsions de concurrence qu’il

y aurait entre les fabricants de matériels, entre les pays, etc.

Il faut que nous nous battions simplement pour dire que ce sont les ayants droit, les auteurs, les interprètes et ceux qui les représen-tent et auxquels ils ont confié le soin de gérer ces droits qui doivent fixer dans chaque pays la rémunération pour copie privée en fonc-tion des circonstances. Rien ne serait pire qu’un système de fixa-tion au niveau européen. Dans le cas contraire, il est clair que cela provoquerait la disparition de la copie privée que veulent certains industriels.

L’un des points importants, Stéphane Laporte je crois l’a indiqué, c’est que notre système assure la diversité culturelle parce qu’il ne fonctionne pas uniquement selon les mécanismes économiques,

c’est-à-dire selon le succès commercial. Notre système est le seul susceptible, comme je le disais tout à l’heure, de fonctionner au premier centime jusqu’au dernier des millions. Ce n’est pas un système variable dans lequel l’œuvre n’est rémuné-rée qu’après amortissement. La diversité culturelle ou artistique, c’est pouvoir créer, donner jour puis exposer toutes les œuvres quelles qu’elles soient. Après, le public leur fera un sort favorable ou, au contraire, les dédaignera.

Je crois que nous sommes à un tournant pour toutes ces questions avec les initiatives de la commission européenne dont celle sur la copie privée qui est la plus spectaculaire, mais aussi celle sur la licence européenne de la musique en ligne et celle sur le système de réciprocité des sociétés de gestion collective.

Ou le

système est

adaptable à

la nouvelle

économie de

l’Internet, ou

la diffusion

Internet tuera

le système.

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Avec l’Internet, on prend conscience d’une chose : ou le système est adaptable à la nouvelle économie de l’Internet, ou la diffusion Internet tuera le système. C’est une question de vie ou de mort. De vie ou de mort du système que nous connaissons et de vie ou de mort des modes actuels de fonctionnement des créateurs, des auteurs et des compositeurs.

La Commission soutient les efforts des industriels et de ceux que l’on appelle les consommateurs, les consumers. Dans le domaine culturel, il n’y a plus d’auditeurs, de lecteurs, de téléspectateurs, de spectateurs. Il y a des consumers. Chacun est censé savoir quel est le comble du bonheur pour le consumer ; c’est bien connu c’est la baisse des prix.

Je conserverai le souvenir de cette conférence qui a eu lieu à Vienne en mars, sous la présidence autrichienne de l’Union européenne. Cette conférence devait permettre de réfléchir au rôle des industries créatives et à leur avenir pour la croissance, l’emploi, etc.

En fait cette conférence a tourné en une offensive généralisée en faveur de la gratuité pour les diffusions d’œuvres sur Internet et à une mise en cause systématique de toutes les règles existantes, à la fois de rémunération des auteurs et des interprètes, de financement des œuvres nationales ou européennes.

L’idéologie de certains universitaires hollandais ou scandinaves, prétendant qu’Internet introduirait une différence de nature fonda-mentale dans la création et dans la diffusion artistique et culturelle dont il fallait, selon eux, tirer les conclusions, les incitent à conclure que tout doit s’effacer derrière l’intérêt de celui qui est devant son clavier et qui profite des offres.

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on J’ai bien essayé, timidement et sans trop de succès, d’expliquer que

viendra un jour où il n’y aura plus rien de nouveau à tirer car la source sera tarie…

Ma conclusion est simple. Je trouve, comme l’a dit David Ferguson, qu’il faut créer des réseaux européens d’auteurs. C’est une excellente idée, ce travail doit être fait. Il faut rencontrer les responsables euro-péens, voir la Commission, envoyer des textes, argumenter, etc. Tout ce travail d’argumentation ou de pression est un travail nécessaire. Je pense que l’on se situe entre deux conceptions qui sont le jour et la nuit. Il me semble que nous sommes à l’approche, s’il n’y a pas une réaction, de voir triompher la conception de la Commission, qui est aussi celle des industriels. Si c’est le cas, cela conduirait, à terme, à la disparition du système auquel nous sommes attachés qui fonde à la fois notre art et toute notre politique culturelle.

Ma position est simple. Il faut maintenant faire de la politique. Faire de la politique, pour moi naturellement, cela consiste à travailler au Parlement. Le gouvernement français a tiré la sonnette d’alarme, ce qui a conduit le président Barroso à dire que la recommandation sur la copie privée allait être revue ; il est probable qu’elle ne sortira pas cette semaine.

Faire de la politique c’est surtout que les intéressés, les profession-nels — vous ! — vous montiez en ligne mais désormais d’une autre manière. Il y a une occasion au mois de décembre normalement. On ratifie la convention internationale sur la diversité culturelle.

Il est clair que certains projets européens sont absolument antino-miques avec les buts que vous poursuivez. N’est-ce pas une opportu-nité que d’utiliser cet événement, qui est en soi extrêmement positif, pour rebondir et mener une offensive spectaculaire (et quand je dis spectaculaire, cela veut dire médiatique) ? Pas seulement sur la

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copie privée, pas seulement sur la licence européenne et les socié-tés de gestion collective. Il devrait s’agir d’une véritable offensive que je qualifierai de philosophique, il faut montrer qu’il y a deux conceptions de l’art, deux conceptions de la vie culturelle, et que les créateurs européens ne veulent pas abandonner la leur.

eMManuel de rengervé. — Les applaudissements que j’entends manifestent l’accord de la salle sur vos propos. Merci Jacques Toubon. Je vais maintenant donner la parole à Jack Ralite. Une rapide précision pour ceux qui sont debout, dans le fond de la salle, je veux les inviter à venir s’asseoir aux places encore disponibles dans le milieu des rangs de devant.

Jack Ralite, sénateur, par ses prises de positions a prouvé qu’il était l’ami des créateurs.

Jack ralite. — Ce n’est pas difficile de commencer mon intervention en enchaînant après Jacques Toubon, je suis tout à fait en phase avec la conclusion qu’il vient de donner.

En réalité, le droit d’auteur est un droit de civilisation. Il est aujourd’hui confronté à un nouvel esprit des lois, celui de la concur-rence libre et non faussée. L’une des plus grandes hypocrisies que l’on nous assène dans quantité d’endroits.

Pour ma part, je voudrais parler technique, c’est-à-dire de cette espèce de deus ex machina qui aujourd’hui nous est présenté comme « on peut pas faire autrement », « c’est obligatoire », « c’est fatal »… On nous demande, comment dirai-je, « d’être droit dans nos bottes » face au projet que l’on nous soumet.

J’ai envie de commencer par citer une phrase de Georges Balandier qui est à mon avis un des hommes qui pense le plus fort la période

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ite de bouleversement que nous vivons actuellement. Il dit : « Nous

sommes dans l’obligation de civiliser les nouveaux mondes issus de l’œuvre civilisatrice. » Personne n’a condensé aussi bien la question humaine, sociale, culturelle, philosophique à laquelle nous sommes confrontés dans le domaine du droit d’auteur. Je dis tout de suite, parce que je suis sensible aux « regardeurs », aux spectateurs, aux lecteurs, que le droit d’auteur, c’est un droit de travailleurs qui créent. Des travailleurs, peut-être d’une autre manière, mais plus proches que l’on ne le pense des travailleurs au sens habituel du terme.

Alors, comment civiliser ? Il faut s’entendre. J’ai participé à un débat à l’Unesco avec Alain Minc, il avait dit, pour être entendu des diplo-mates qui se trouvaient là, que pour comprendre le monde il fallait comprendre la phrase suivante : « Le marché est naturel comme la marée. » Quelques jours auparavant au Sénat, il y avait eu un débat sur les nouvelles technologies — je préfère dire les dernières technolo-gies parce qu’il y en aura d’autres — eh bien ! Alain Madelin y avait dit : « Les nouvelles technologies sont naturelles comme la gravita-tion universelle. » Ça a l’air d’être du bon sens, mais comme souvent le bon sens, c’est un peu grossier. Le marché et les technologies sont des inventions humaines. Les hommes les ont créées et mises à jour historiquement pour s’en servir. Pourtant aujourd’hui, à cause de cette espèce de naturalisation d’une invention, œuvre humaine, c’est le marché ou les nouvelles technologies qui se servent des hommes et des femmes.

L’auteur devient un être subsidiaire, une sorte d’invité. On lui fait comprendre qu’après tout il est peut-être en trop dans la société et qu’il a intérêt à se faire oublier.

Je disais que j’étais d’accord avec Jacques Toubon parce qu’il appelle à l’action, à la réaction. Je pense que c’est important. Très, très

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important. Pas seulement par une action lobbyiste, mais pour une action citoyenne.

Je dirais presque, mais cela ne vous étonnera pas dans ma bouche, par une action militante. Je suis un militant du droit d’auteur. Militer, « c’est un rêve qui entre en application ». Dire que les choses sont naturelles, inéluctables, c’est se mettre un bandeau, non pas sur les yeux, mais sur l’esprit.

Un philosophe allemand déclarait récemment que « le fait des temps modernes n’est pas la terre tournant autour du soleil, mais l’argent courant autour de la terre ». Le marché est roi, n’est-ce pas ? Sans pitié sont bousculés les êtres, sans pitié sont attaqués l’intime, disons même l’irréductible humain des êtres et l’être devient une marchandise, y compris l’être auteur. Alors je crois qu’il fallait bien s’étendre un peu sur cette question. Actuellement nous sommes comme guidés par des rails nous entraînant pour une destination que nous n’avons pas choisie.

En soi, toute technologie mise en application correspond toujours à un choix relativement aléatoire, c’est-à-dire toujours ouvert sur un autre possible. Lacan disait : « Quand la cause n’est pas là, les effets dansent. »

Aujourd’hui c’est comme si c’était impossible d’avoir un débat public. Un professeur de la Sorbonne écrivait : « Le destin techno-logique tel qu’il est assuré par les multinationales tient lieu de projet d’avenir et les États sont prêts à se battre pour ce projet. »

Nous sommes en plein dans cette conjoncture, nous venons de voter la loi sur la numérisation au Sénat — enfin moi je ne l’ai pas votée mais, elle vient d’être votée — c’est une parfaite illustration. Le projet de loi était dicté par les « grandes affaires ». Au point que

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ite la première caractéristique du projet, c’est de donner, d’offrir, de

faire cadeau de nouvelles puissances à la puissance déjà installée. Je ne veux pas être long sur cette question mais enfin : cadeau aux trois opérateurs audiovisuels historiques, cadeau d’un accès auto-matique aux futurs réseaux de télévision mobile personnelle pour les nouveaux entrants, cadeau du marché de la haute définition aux industries de l’électronique grand public et aux installateurs. Ce n’est pas une loi de régulation, c’est une loi de régularisation. Et cela, sans la moindre compensation. Certes des améliorations ont été obtenues, il y a eu des batailles, des interventions extérieures bienvenues. Mais je le dis comme je le pense, c’est quand même à la marge.

Souvent une technique nouvelle advient dans une bifurcation de l’histoire. Eh bien ! je crois qu’il nous faut bifurquer dans notre démarche culturelle, sociale, citoyenne, politique. Je suis de l’avis de

Jacques Toubon : « Il faut faire de la politique. » Parce qu’autrement on restera enfermé dans un débat technique qui a son importance, mais qui nous bride dans nos choix.

J’ai dit dans le débat sur le droit d’auteur que le droit d’auteur est maintenant étalonné par le droit économique, par le droit protecteur des investissements culturels. Il s’est vu d’une certaine manière — c’est à cette profondeur que cela se passe — absorber une partie de sa substance.

Il y a un déficit démocratique quand le cercle des gens qui décident ne correspond pas au cercle des gens qui subissent et, conséquence de la décision, c’est un vrai « renfermé social » qui se crée.

Le droit d’auteur

est maintenant

étalonné

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économique,

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investissements

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Comment rester raisonnable en de pareilles circonstances, d’autant que dans le débat sur le droit d’auteur, pèse lourdement le lobbyisme des propriétaires de tuyaux.

La conférence internationale de Tunis sur la société de l’information en novembre 2005 n’a, quant à elle, pas abouti à une régulation internationale d’Internet devant les pressions des USA en faveur d’une prorogation de la gestion privée du système d’adresses élec-troniques, tout cela sauvegardant leur propre sécurité stratégique et économique.

Enfin, on pourrait évoquer Google, mais on n’en finirait pas. En vérité sur ce sujet, il y a comme une « oppression délicate », c’est une expression d’un auteur, Bernard Noël. Donc, si elle est délicate, elle est caressante et on peut se laisser caresser.

Il faut faire attention de ne pas philosopher sur la délicatesse devant un rouleau compresseur. Bien sûr, il y a la marche des rencontres, des négociations mais pas de « disputes ». Moi, ce qui me plaît, j’es-père que cela va se passer ici, c’est un peu l’application de ce vieux concept du Moyen Âge — qui était moins Moyen Âge qu’on ne l’a dit — : la « disputation », c’est-à-dire l’affrontement franc. C’est ainsi que l’on trouve un terrain d’entente, un terrain de société, un terrain de construction. Autrement, on « jacasse ».

Je rappellerai que l’argumentation que l’on nous oppose sur le plan économique ou économico-technologique, on l’a rencontré il y a quelques années, rappelez-vous, avec l’informatique.

Le débat était le même. On était archaïque si l’on posait des ques-tions… Et je vous pose une ou plusieurs questions : qu’est devenu Olivetti en Italie ? Mort. Qu’est devenu Bull en France ? Mort. Qu’est

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ite devenu Siemens en Allemagne ? Mort. Qu’est devenu Philips en

Hollande ? Mort. Mais c’est un cimetière industriel !

Donc les règles que l’on préconisait peuvent — je ne dis pas doivent, ni que cela se passera fatalement — mais elles peuvent conduire à un cimetière industriel, en tout cas, mettre en panne la société.

Je crois qu’il faut tout mettre sur la table, recommencer, faire « œuvre » pour reprendre un terme qui vous est légitimement sensi-ble. Tenez, avant on disait audience de masse, maintenant on dit communauté d’intérêts ou collectif des usagers connectés.

Y a-t-il une réalité derrière l’affirmation que les flux transnationaux enrichissent les cultures nationales ? C’est une vraie question. Est-ce que les jeunes connaissent l’isolement ou confortent leur réseau social ? Quelle est la réalité de l’ampleur de la « fracture » numé-rique ? Qu’en est-il des rapports marchands et non marchands dans cette nouvelle configuration ? Avec l’usage d’Internet, comme technique de médiatisation culturelle, n’est-on pas confronté à un processus d’industrialisation de la pensée ? Mais par ailleurs la créa-tion confrontée à ce questionnement accumule les difficultés, non seulement de production, mais de diffusion, voire de réception.

Il est besoin d’une chaîne des artistes et des créateurs, d’un lien de dignité et de résistance offensive de toutes les disciplines artistiques et littéraires comme il y a besoin d’un lien avec les travailleurs dont tout à l’heure, j’ai évoqué la mutilation.

Pour conclure je reviens à la loi qui a été votée. Le gouvernement avait bétonné la discussion mais nous avons réussi ; tous ceux qui ont participé à l’intérieur du débat et à l’extérieur ont réussi à faire que des fleurs, quelques fleurs ont percé. Cela me faisait penser à ce que disait Claudel : « La création est un jeu de racines qui fait

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éclater la pierre, l’organique détruisant le minéral. » On a vécu cela un petit moment, je vous le dis franchement, à ce moment-là j’étais heureux d’être sénateur et je pense que je jouais le rôle dont ceux qui m’ont élu m’ont chargé.

Deux remarques encore : premièrement, je pense que dans la foulée d’une réunion comme celle-ci — dont il faut féliciter les organisa-teurs — je vais prendre une initiative pour tenir des assises où les différences ne seront pas indifférentes aux autres différences. Le pluralisme serait un malheur si chacune de ses composantes n’avait pas d’hospitalité pour l’autre. Dans notre pays, l’hospitalité, on ne la sent pas ou plus…

Deuxièmement, ce sont les créateurs qui doivent nous donner des conseils par leurs déclarations et leurs textes. Quand Graff dit : « Il faudrait élaguer entre soi et le monde, et tout ce qui n’est pas heure d’écoute profonde »…, quand Boulez dit : « La mémoire du créateur ne doit pas le rassurer dans l’immobilité illusoire du passé, mais le projeter vers le futur avec peut-être l’amertume de l’inconfort, mais plus encore avec l’assurance de l’inconnu »…, quand Malraux dit : « J’assiste impuissant et fort des usines du rêve producteur d’argent ; j’en appelle à la création d’usines du rêve producteur d’esprit »…, quand Scott G. Fitzgerald dit : « La marque d’une intelligence de premier plan est qu’elle est capable de se fixer sur des idées contra-dictoires sans pour autant perdre la possibilité de fonctionner », c’est ça la vie n’est-ce pas ?

Enfin pour finir, je vous livre une histoire que racontait Malraux parce qu’elle donne confiance…

Un empereur avait décidé de pendre un grand peintre… « ses doigts de pied touchant légèrement le sol, de façon que ce soit sa fatigue qui le pende ». Le peintre s’est mis alors à dessiner avec ses doigts de

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iyet pied dans la terre des souris si belles que de vraies souris ont grimpé

sur lui, puis sur la corde et l’ont coupée. Soyons des souris !

eMManuel de rengervé. — Merci Jack Ralite. Mission difficile pour Bernard Miyet, d’une part de succéder au lyrisme de Jack Ralite et, d’autre part, s’il le peut, de synthétiser dans toute la mesure du possible son intervention. Nous allons sûrement pas mal débor-der sur le temps prévu pour les interventions de la salle. J’espère quand même au moins dix minutes d’échanges avec la salle pour que celle-ci puisse réagir aux propos des intervenants.

bernard Miyet. — Je tiens à remercier vivement Jacques Toubon et Jack Ralite qui, dans tous les cercles où nous intervenons, Jacques à Bruxelles et Jack au Sénat, sont des alliés fidèles, actifs, toujours déterminés. C’est toujours un bonheur de travailler avec eux.

Je veux aussi — on a vécu ici le 22 décembre [date du vote à l’as-semblée nationale de l’amendement sur la licence globale] — indiquer que construire une organisation européenne des fédérations d’auteurs de la musique est primordial. Aujourd’hui les décisions bruxelloises touchent plus le monde de la musique que d’autres secteurs de la création, au moins sur le problème de la gestion collective des droits en ligne. Mais cela n’est pas le cas sur la problématique de la copie privée qui, elle, touche nécessairement tout le monde. Cela étant, ce qui peut être décidé concernant la gestion des droits en ligne de la musique rejaillira nécessairement sur l’ensemble des autres acti-vités culturelles.

Il faut être très attentif à la manière dont ce dossier est géré. Nous sommes aujourd’hui, c’est ce qui trouble les esprits, dans une révo-lution absolue sans, pour l’heure, de perspectives définies quant aux choix ou aux conséquences des orientations prises.

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Tout se conjugue, les problèmes « sociétaux » — on a vu la gratuité sur Internet évoquée tout à l’heure — et le peer-to-peer est encore au cœur des problématiques qui n’ont pas trouvé de solutions.

La situation, politique et économique, n’est pas simple, Jacques Toubon l’a évoqué tout à l’heure par exemple en parlant de copyright et de droit d’auteur. Même dans notre pays, le droit d’auteur n’est plus sacralisé comme il l’a été pendant des décennies. La montée en puissance, à Bruxelles, des industriels, notamment des multinatio-nales, est un élément important. On le constate chaque jour, entre autres, pour le dossier copie privée.

Nous sommes fragiles, en France, aujourd’hui dans cette période d’incertitude sur le plan politique et juridique. Nos moyens d’ac-tions sont fragiles eux aussi et incertains. La jurisprudence, depuis quelques années ne nous permet pas de penser que le juge a une orientation claire qui serait de stricte application et de fermeté dans l’application de la loi.

Nous sommes dans une période de transformation technolo-gique. Pour l’heure, qu’on le veuille ou non, il n’y a pas de pers-pectives absolues. On évoquait les moyens de filtrage, les moyens de contrôle, la problématique sur l’interopérabilité, celle sur les mesures techniques de protection. Tout cela crée beaucoup de flou, nous plonge dans une période d’incertitude sur les modèles écono-miques. Depuis dix ans, on voit, jour après jour, fleurir de nouveaux modes de diffusion des œuvres. On en voit aussi qui disparaissent du jour au lendemain. On invente dans cette maison [la Sacem] des licences pour tous types de diffusion de musique au fil des années, les modèles se détruisent eux-mêmes au fur et à mesure.

Nous sommes confrontés, du fait de cette révolution, à toute une série de débats qui s’ouvrent.

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iyet Le premier débat est celui concernant l’auteur face à l’investisseur,

il rejoint le débat copyright par rapport au droit d’auteur. Qui est au centre de la problématique ? Qui est le point focal d’intérêt ? Est-ce le créateur ? Est-ce l’investisseur ? Ce débat est au cœur des discus-sions à Bruxelles.

Deuxième débat, celui autour de la gestion collective en tant que telle, ce monopole naturel géré territorialement avec des principes clairs de solidarité et d’égalité de traitement entre tous les auteurs, les artistes. Jacques Toubon l’évoquait tout à l’heure, la gestion collective est mise en cause par la concurrence et le marché intérieur qui sont l’alpha et l’oméga de toute politique européenne.

Cela a suscité de notre part deux initiatives majeures à Bruxelles : l’une sur la gestion collective et l’autre à venir sur la rémunéra-tion pour copie privée. Sur la gestion collective qui est au cœur des préoccupations, on a eu affaire à des prises de positions, des initiatives, des mesures adoptées par la Commission sans aucune concertation, dans l’improvisation et, au bout du compte, nous sommes face à la plus grande confusion.

Dans la situation actuelle, la Commission hésite entre deux voies, mais toujours avec une seule préoccupation, celle du dogme « marché intérieur / libre concurrence ». Ils ont commencé par nous inventer un système, à l’origine provenant de la direction de la concurrence. Le raisonnement était : « Le monde d’Internet est un monde nouveau qui s’ouvre, la concurrence est une source de progrès, donc il faut qu’elle s’applique nécessairement à la gestion des droits sur le “en ligne”. » Toute société d’auteurs devrait avoir la capacité de conclure des autorisations : où que ce soit, dans n’im-porte quelles conditions, sur n’importe quel marché, sans aucune contrainte. Cette logique favorise très clairement, mais non sans

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arrière-pensée, les majors du secteur en les incitant à s’adresser à la société la mieux disante de leur choix.

Fnac.com ou Virgin pouvaient avoir naturellement toute liberté de se dire : « Je ne viens pas à la Sacem. Ils sont trop efficaces. Ils sont trop puissants. La loi française est trop protectrice, la jurisprudence est toujours attentive au droit d’auteur, je préfère aller me réfugier dans un pays à moindre protection dans lequel la société d’auteurs aura peu d’envies ou de moyens de contrôle ; parce que, n’ayant pas véritablement de répertoire propre, elle sera éventuellement prête à brader le répertoire des autres.

C’était la logique de la Commission en 2002. Cela a abouti à ce que les sociétés d’auteurs abandonnent un projet qu’elles avaient mis en place. Il s’agissait des accords de Santiago et de Barcelone par lesquels une société dans le monde pouvait accorder des licences à un utilisateur pour des répertoires internationaux mais à la condi-tion que le site demandant la licence s’adresse à la société d’auteurs dans laquelle son siège social était établi et où son activité économi-que principale s’exerçait. Ce principe ayant été remis en cause, on a dû abandonner ces accords et on est revenu au système antérieur, c’est-à-dire celui par lequel chaque société n’a de droits mondiaux que pour son propre territoire.

Une autre direction de l’Union européenne a inventé un nouveau système. Reconnaissant que l’on ne pouvait pas exproprier les auteurs de leurs droits de fixer les conditions d’utilisation de leurs œuvres, elle s’est attaquée aux sociétés d’auteurs. Il y a dans certains milieux une image véhiculée sur les sociétés d’auteurs, de prédatri-ces, de liberticides à l’égard de leurs membres et d’opaques vis-à-vis de l’extérieur.

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iyet Le thème est toujours véhiculé par les utilisateurs de musique dont

on sait (on y croit) que le seul désir (pour les grands radio diffuseurs, les services de musique en ligne, les discothèques, etc.) est de proté-ger les auteurs et d’augmenter leur rémunération. C’est connu, on peut donc leur faire confiance. Bizarrement, c’est toujours eux qui parlent d’absence de transparence, d’opacité, de rigueur de gestion… jamais les auteurs pourtant principaux intéressés.

La Commission semble avoir compris — mais difficilement — que la concurrence ne doit pas s’exercer au seul profit de l’utilisateur, sinon ce serait une pression à la baisse sur les droits des auteurs.

Il faut dire que certains éditeurs multinationaux peuvent parfois avoir de bonnes raisons de se plaindre, par exemple s’ils sont exclus du conseil d’administration de certaines sociétés étrangères (c’est le cas en Pologne, en Grèce ou au Portugal). Les éditeurs dans leur ensemble, y compris les majors, doivent pouvoir être présents dans la gestion de leurs sociétés. À défaut, un certain nombre de fragilités justifient la logique de méfiance développée par certains milieux.

Mais cela aboutit à quoi aujourd’hui ? À ce que les éditeurs aient la possibilité de retirer tout ou partie des droits dont ils sont cessionnaires, ceux-ci ne pouvant plus être négociés globalement, société par société, sur chacun des marchés. Cela interdit de facto aujourd’hui à toute société d’auteurs de disposer pour ses autori-sations du répertoire mondial.

Les utilisateurs qui avaient le choix auparavant d’une seule société pour obtenir le répertoire mondial, dans des conditions de sécurité juridique, d’efficacité économique absolue, sont obligés de faire le tour de toutes les sociétés d’auteurs, non plus pour obtenir le réper-toire mondial sur chaque territoire, mais pour obtenir des « bouts de répertoires » pour le territoire européen. La confusion est donc

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totale. Cette désolidarisation des répertoires entre eux présente le risque réel de créer des répertoires à plusieurs vitesses. Lorsque vous avez (ou représentez) le répertoire anglo-saxon, vous êtes puissant sur l’ensemble de l’Europe. Lorsque vous avez (ou représentez) le répertoire francophone, vous êtes puissant sur une partie de l’Eu-rope. Mais lorsque vous avez (ou représentez) le répertoire litua-nien, grec ou portugais, vous êtes strictement cantonné à une zone géographique et économique. Vous risquez d’être marginalisé, voire exclu du marché.

Il y a aujourd’hui un risque majeur d’inégalité entre les répertoires, entre les langues et selon les territoires. C’est un problème qui n’est pas simple. David Ferguson nous l’a indiqué tout à l’heure, ils en sont à dix millions de livres pour une solution transactionnelle qui n’est finale-ment pas meilleure que celle qu’il y avait à l’ori-gine et pour un minimum qui fait sourire ou plutôt pleurer du côté français par rapport à ce que nous sommes capables de négocier. Chaque société, dans chacun des pays, est tenue par des règles nationales, l’absence de répertoire natio-nal fort va tirer vers le bas les conditions tari-faires sur chacun des marchés, et cela aura une répercussion sur la rémunération de tous les auteurs.

Il y a nécessité de travailler activement pour répondre à la demande des utilisateurs d’avoir des guichets uniques mais aussi à celle de tous les créateurs d’avoir un équilibre, une égalité de traitement et la certitude que toutes les œuvres seront traitées de la même manière.

Il y a

aujourd’hui un

risque majeur

d’inégalité entre

les répertoires,

entre les

langues et selon

les territoires.

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iyet Sur la copie privée qui touche tout le monde, les dés étaient

« pipés ». Les fabricants de matériels électroniques et informatiques, les fabricants de logiciels informatiques et également les opérateurs de télécom sont ceux qui, depuis maintenant plus de dix ans, surfent sur la piraterie et garnissent leurs poches. Comme vous le disait Jack Ralite tout à l’heure, ces industries sont toutes délocalisées, ce qui s’est traduit par quelques « cimetières industriels ». Rien d’éton-nant à ce qu’elles proposent des flux commerciaux transfrontaliers exempts de toute rémunération pour copie privée ou l’application de la redevance du pays d’origine. Il existe en Europe une volonté très claire de réduction de la rémunération pour copie privée contre laquelle il va falloir rester mobilisé.

Sur le plan français, maintenant et très rapidement, la licence globale est temporairement, tout au moins sans doute sous sa forme actuelle, enterrée. La décision du Conseil constitutionnel est positive mais quid des décrets d’application, quid de la jurispru-dence qui va se mettre en place, quid des moyens de contrôle ? Quand on sait les positions de la Cnil (Commission nationale infor-matique et liberté) on peut s’inquiéter. Quid de la situation politi-que dans six à neuf mois, quid de la technologie et des business model qui se mettent en place aujourd’hui ? Autant d’incertitudes qui nécessitent à la fois vigilance et mobilisation.

eMManuel de rengervé. — Merci à Bernard Miyet ainsi qu’à tous les intervenants. Je regrette de ne pouvoir laisser la parole que briè-vement à la salle mais il faut absolument commencer le module suivant dans les minutes qui viennent pour reprendre la suite du déroulement de nos travaux.

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yveS-Ferdinand bouvier. — J’ai bien entendu Jacques Toubon dire qu’il faut faire la différence terminologique entre droit d’auteur et copyright. Mais sur tous les livres et disques publiés en France, il y a le petit symbole © qui veut dire copyright, parfois c’est aussi marqué en toutes lettres. Ne faudrait-il pas inventer un nouveau symbole, pour représenter notre droit d’auteur ?

JacqueS toubon. — C’est une bonne question à laquelle je n’ai pas de réponse. De plus anciens que moi peuvent peut-être répondre sur le ©. Mais je veux profiter de cette question pour dire quelque chose qui se réfère à l’intervention de Bernard Miyet, concernant un vrai point politique. La Commission refuse systématiquement d’agir dans le domaine de la propriété intellectuelle par la voie législative. La Commission agit en vertu des pouvoirs qui sont les siens, en matière de concurrence et en matière de marché intérieur, par la voie de recommandations, de communications, etc. Il n’y a donc pas de débat démocratique. L’une des choses que vous devez demander, concernant ces sujets fondamentaux du point de vue de l’identité européenne, c’est qu’ils fassent l’objet de débats législatifs, qu’ils soient examinés en codécision entre le Conseil des ministres et le Parlement.

eMManuel de rengervé. — Si nous voulons revenir à la question qui vient d’être posée, à titre de complément je précise que, dans certaines multinationales, le responsable des droits d’auteur a sur sa carte de visite le titre de responsable du service des copyrights. Le ©, signe conventionnel international, indique que l’œuvre ne fait pas partie du domaine public et qu’elle est protégée. Quelqu’un a-t-il une suggestion pour proposer autre chose que le « c » de copyright ?

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le JacqueS toubon. — Il faudrait mettre un « d » parce que cela voudrait dire « droit ».

un intervenant non identifié de la salle. — J’ai vu, il y a une quinzaine d’années au Québec, « da » dans un cercle, pour droit d’auteur au lieu de « c ». J’ai interrogé des sociétés d’auteurs qui m’ont dit que légalement ce n’était pas possible en Europe et en France.

eMManuel de rengervé. — Pour conclure : un aveu. Les propos des intervenants étaient si intéressants que je n’ai pas vraiment joué mon rôle de modérateur, du moins pour les temps de paroles. Il m’a semblé utile de les laisser s’exprimer pour vous exposer leurs interrogations et leurs positions. J’espère que vous aurez partagé ce point de vue et j’invite Simone Douek, la prochaine modératrice, à venir s’installer ainsi que ses intervenants.

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Droit d’auteur et accès à la culture

La culture et la diffusion des œuvres de l’esprit sont à l’origine d’une

économie induite, non négligeable pour la collectivité. Quel est le

contrat social passé entre la société et les auteurs ? Les créateurs de

l’imaginaire sont-ils encouragés dans leurs entreprises ? Comment

concilier droit des auteurs et intérêt général ? Quelle place pour

le droit moral ? Quelle est l’organisation actuelle des finance-

ments de la culture et de l’économie des industries culturelles ?

Intervenants : Alain Absire (écrivain, auteur de théâtre), Laurent Duvillier (délégué général de la Scam), Joëlle Farchy (professeur de sciences de l’in-formation et de la communication à l’université de Paris 1), Claude Lemesle (auteur-compositeur, président d’honneur du Snac et président de la Sacem), Paul Otchakovsky-Laurens (éditions P.O.L.), Pascal Rogard (directeur général de la SACD, président de la Coalition française pour la diversité culturelle).

Modératrice : Simone Douek (auteur de radio, vice-présidente du Snac).

SiMone douek. — Il nous revient maintenant d’explorer les liens et les rapports qu’entretiennent entre elles ces deux réalités que sont le droit d’auteur et l’accès à la culture, dans le contexte des techni-ques numériques.

Aux dires de certains, le premier entraverait le deuxième.

Alors il faut peut-être s’interroger sur les mots.

MOdulE 211h / 13h

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ek Parler d’accès à la culture, c’est évoquer tous les supports qui la véhiculent, toute la chaîne éditoriale, tous les moyens de diffusion par lesquels elle passe ; en d’autres termes, un produit industriel inscrit dans une économie de marché.

Parler de numérisation, c’est aussi parler de la dématérialisation de tous ces supports, pour un accès instantané à des foules de données. Mais quand on parle de culture, de quoi parle-t-on ? Envisage-t-on un patrimoine artistique, l’œuvre picturale, plastique, graphique, littéraire, musicale, cinématographique, photographi-que, radiophonique, ou envisage-t-on un contenu plus large qui, voulant offrir un bouquet encore plus fourni, oublierait la notion d’œuvre pour ne considérer celle-ci qu’à l’intérieur d’informations de toutes sortes ? Et dans ce cas, parle-t-on encore de contenu ou bien

est-on entré dans la logique d’un contenant qui absorbe toutes les nuances dans un flux gratuit, comme le souhaitent certains ?

Comment parler de l’accès à la culture et du droit d’auteur ?

Mettre sur le même plan des personnes qui créent des œuvres de l’esprit, esthétiques ou savantes, qui ont un coût, et d’autres pour qui le critère est la gratuité, suscite une inévitable aporie ; et de ce point de vue, le droit d’auteur est un obstacle à l’accès à la culture…et la gratuité de l’accès à la culture est un obstacle à la création.

Mais faut-il vraiment transformer le lecteur ou le mélomane, celui qui cherche la beauté et la connaissance, en un simple consommateur ?

Faut-il vraiment

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qui cherche la

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connaissance,

en un simple

consommateur ?

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Au milieu des passes d’armes, des polémiques, de la vie de l’éco-nomie induite de la culture, des intérêts des grands opérateurs, comment sortir de cette aporie ? Concilier le droit des auteurs et l’intérêt général qui est en train de se manifester ? Comment faire fonctionner ensemble les deux faces de ce qui semble pourtant être un même objet ?

Enfin, comment l’auteur lui-même peut-il s’emparer de ces nouveaux outils ?

Et comment la société veut-elle encourager les créateurs de l’imaginaire ?

Voilà, beaucoup de questions qui vont évidemment se poser dans cette table ronde dont je vais vous présenter les invités :

Alain Absire est écrivain, auteur de théâtre, il est vice-président —de la SGDL, du Conseil permanent des écrivains et de l’Agessa.

Paul Otchakovsky-Laurens est le directeur des éditions P.O.L., —mais il est aussi président de la Société civile des éditeurs de langue française et président du groupe de littérature générale au Syndicat national de l’édition.

Pascal Rogard est le directeur général de la SACD et président —de la Coalition française pour la diversité culturelle.

Joëlle Farchy est professeur de sciences de l’information et de —la communication à l’Université de Paris 1.

Laurent Duvillier est le délégué général de la Scam (Société —civile des auteurs multimédia).

Quant à Claude Lemesle, il est auteur-compositeur, président —de la Sacem et président d’honneur du Snac.

Pour commencer je vais donner la parole à l’auteur Alain Absire, à son expérience et à sa problématique de la question « droit d’auteur et accès à la culture ».

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re alain abSire. — Merci. Par rapport à votre présentation de mes acti-vités, je dirai que je suis plus auteur de romans qu’auteur de théâtre. La vraie question autour de ce débat, c’est ce contrat intellectuel, culturel, moral, social, patrimonial passé entre l’auteur, le créateur et la société.

Je vous donnerai essentiellement le point de vue de l’écrivain, puisque c’est le domaine que je connais. Je vous parlerai des spéci-ficités de ce domaine, de notre sphère de création.

Avant tout, n’oublions jamais que, d’une part, il n’y a que mille sept cents écrivains en France qui sont inscrits à l’Agessa, et qui vivent essentiellement de leurs droits d’auteur sur cinquante cinq mille ouvrages publiés à peu près par an. Il est vrai que l’aspect patrimonial qui se pose à nous est d’une nature tout à fait diffé-rente puisque, dans l’immense majorité des cas, les écrivains ont des sources de revenus professionnels principaux ou complémentaires.

Sur le débat en lui-même : droit d’auteur / copyright, je voudrais juste dire un mot parce que l’on en a déjà beaucoup parlé ce matin. Je trouve que l’on n’a peut-être pas tout à fait insisté sur le point qui nous semble à nous absolument fondamental et essentiel : le domaine du droit moral qui concrétise bien la différence entre les deux systèmes.

Le droit moral c’est l’expression inattaquable, intangible de la personnalité créative de l’auteur. C’est sur cet aspect avant tout que nous, auteurs à la Société des gens de lettres, nous voulons travailler pour préserver cette prérogative qui est la nôtre ; si nous ne la préservons pas, nous arriverons à un système à peu près équi-valent au copyright, mais sans les avantages du copyright, simplement avec ses inconvénients.

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Ce matin, Stéphane Laporte parlait d’agent, vous savez que pour les auteurs de l’écrit, les agents sont une denrée rare ; nous sommes seuls face aux éditeurs et il nous faut nous défendre, ce qui n’est pas notre métier.

Aujourd’hui, face à ce grand développement, face à Internet et à la circulation des œuvres, quel est le vrai problème qui se pose à nous ? Vous avez parlé de gratuité : il n’y a pas que la gratuité, il y a aussi à mon sens la notion de partage. J’ai le sentiment qu’il est maintenant illusoire d’imaginer que ce partage, cette notion de partage, voire de gratuité, soit réversible. Heureusement ou malheureusement, c’est une constatation, nous ne reviendrons pas en arrière face à ces nouveaux modes de partage des connaissances des œuvres. Que faire face à cela ? Comment réagir pour ne pas être complètement dépossédé à la fois du conte-nant et du contenu, surtout du contenu ? Car pour l’écrit, comme pour le reste d’ailleurs, que signifient la libre circulation, le libre partage ? Cela signifie aussi l’appropriation du contenu de nos œuvres, le détournement du contenu de nos œuvres. Face à cela, comment travailler, comment réagir ?

J’aimerais pour ma part lancer une idée. Je tiens à dire que je suis tout à fait partisan de la gestion collective bien sûr ; mais paral-lèlement, ne pourrait-on pas commencer à réfléchir à un nouveau concept, qui serait le concept du partage consenti ?

Aujourd’hui, vous le savez, Google nous pose un gros problème. Je signale d’ailleurs que la Société des gens de lettres a décidé d’aller

Heureusement ou

malheureusement,

c’est une

constatation, nous

ne reviendrons

pas en arrière face

à ces nouveaux

modes de partage

des connaissances

des œuvres.

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re en justice au côté du Syndicat national de l’édition contre Google. Depuis un an et demi nous répétons à Google la même chose : nos éditeurs s’occupent de notre droit patrimonial. Mais vous voulez mettre en ligne une partie de nos œuvres sans nous en deman-der l’autorisation ; au regard de notre droit moral, c’est impossi-ble. Vraiment impossible ! Donc, nous devons parler, nous mettre d’accord. Nous verrons ensuite. Nous sommes contraints sans joie d’aller en justice contre Google pour obtenir cette possibilité d’auto-riser ou bien d’interdire la mise en ligne de nos œuvres.

Ces problèmes étaient aussi contenus dans la licence globale, à laquelle nous étions farouchement opposés pour ces raisons-là, entre autres. L’exception pédagogique ne fait pas non plus forcé-ment un sort très enviable au droit moral. Que se passera-t-il dans un an et demi, quand elle entrera en vigueur, alors que des accords, dont on pensait qu’ils prévaudraient, avaient été signés ? Que se passera-t-il pour le contenu de nos œuvres, pour cette propriété qui est la nôtre ?

Je reviens donc au concept de partage consenti. Différentes solu-tions, différentes possibilités existent aujourd’hui. On parle en parti-culier des creative commons où l’auteur fait le choix d’autoriser la libre circulation de ses œuvres, dans un cadre juridique déterminé. Il peut exiger l’attribution de l’œuvre à l’auteur, ce qui est normal, en inter-dire l’utilisation commerciale ainsi que les travaux dérivés et exiger le partage à l’identique. Il y a six combinaisons possibles.

Il faut réfléchir à cette piste, je ne veux pas dire qu’il faut privi-légier cette solution. Mais en tout cas cette ouverture pourrait, peut-être, nous permettre d’entrevoir comment travailler, sur quels nouveaux modes de diffusion porter nos œuvres à la connaissance du public.

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Car, j’en reviens au début de ce débat, à la thématique de ce débat, c’est bien cela l’important. Nous, auteurs de l’écrit, nous avons aujourd’hui un vrai gros problème : au bout de deux ou trois mois, nos livres, de manière générale, sont introuvables. À ce titre Internet représente une chance extraordinaire, une chance inouïe pour notre patrimoine individuel et collectif, à condition bien sûr que les choses soient réglementées. Dans ce domaine un concept a été lancé il y a quelques mois, mais qui a sans doute fait long feu : c’est le concept de la zone grise (imaginé par François Stasse, ancien directeur général de la Bibliothèque nationale). Il proposait, quand les livres ne font plus l’objet d’une exploitation commerciale suivie, après une période de cinq ans, de les numériser et de les mettre à la dispo-sition du public. Si la numérisation, c’est cela, évidemment, oui, à certaines conditions bien entendu. Discutons.

Accès aux œuvres, donc, mais autour de l’accès aux œuvres, je crois nécessaire une redéfinition de la création même des œuvres. Aujourd’hui, avec Internet, de nouvelles possibilités de création s’ouvrent à nous. D’un côté, les œuvres de l’écrit classiques, tradi-tionnelles, les livres tels que nous les écrivons, tels que j’en publie moi-même un par an, et puis, d’un autre côté, de nouveaux types d’œuvres. On parle de blogs, mais ce sont aussi des œuvres qui mêlent à la fois images, musiques, et sont un véritable espoir dans le domaine de la création. Pour cela, je crois qu’il est urgent, néces-saire, indispensable de réunir tous les membres de la chaîne du livre, les juristes, pour réfléchir à ce grand espace qui commence à exister. On commence à voir des choses tout à fait passionnantes. Imaginez que nous puissions appliquer les règles en vigueur aujourd’hui sur les supports « fixes » à des supports comme ceux là, collectifs, évolu-tifs… Il faut y réfléchir. Je n’ai pas la solution ; je parlais des creative commons, il y a sûrement bien d’autres possibilités…

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re Réfléchissons, à partir de là, à de nouveaux processus de diffusion. Il faut que les auteurs et les éditeurs se rencontrent, travaillent, de façon à nous donner une chance de continuer à vivre de nos créa-tions, avec nos créations. Pour ces nouveaux modes de diffusion, il faut aussi fiabiliser les contenus. Le problème de l’Internet, c’est que tout et n’importe quoi y circule, sans possibilité de savoir si les informations sont exactes ou fausses, si c’est bien ce qu’a dit l’auteur, ou si ce n’est pas ce qu’il a dit, ou si on a coupé, si on a rajouté des phrases, etc. Ce travail de fiabilisation ne pourra exister qu’à travers des éditeurs ou des producteurs qui seront, comme ils le sont aujourd’hui avec le papier, les garants des contenus. Parlons, discutons, travaillons, mais faisons vite parce que le temps presse.

Je crois qu’il y a autour de ces idées beaucoup à faire, beaucoup à réfléchir, de façon à ce que l’on puisse continuer à créer et à tenir compte de ce nouveau média, à vivre avec lui, à le canaliser, voire à le maîtriser.

Au niveau patrimonial, vous savez que nous cédons l’exploitation de nos droits patrimoniaux à nos éditeurs : là aussi, il faut absolument réfléchir, peut-être que dans ce cas-là, on peut penser que les creative commons ne sont pas la bonne solution. Je signale d’ailleurs que le 5 décembre prochain, une journée entière de débat sur ce thème-là se tiendra à la Société des gens de lettres.

SiMone douek. — Merci Alain Absire. Votre intervention suscite déjà énormément de questions et on verra cela, je pense, tout à l’heure. Je vais maintenant donner la parole à Paul Otchakovsky-Laurens, qui est éditeur, directeur des éditions POL, il va donner son point de vue d’éditeur sur la question.

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paul otchakovSky-laurenS. — Je poserai moins de questions que je ne lancerai d’affirmations. Je vais parler du contrat d’édition et à mon avis, ce contrat est susceptible de servir aussi face à Internet.

Aujourd’hui, plus que jamais, on a tendance à faire du droit d’auteur un obstacle à la diffusion des œuvres, à leur libre circulation.

Le droit d’auteur, chacun le sait bien ici, c’est l’alliance du droit patrimonial et du droit moral. Ces droits contribuent non seule-ment à la protection de l’auteur et de son œuvre, mais ils sont aussi les garants, à travers le contrat d’édition qui guide leur exercice, d’une transmission à la fois la plus large et la plus respectueuse de la création intellectuelle et artistique.

Si j’évoque le contrat d’édition, c’est évidem-ment parce que je suis d’abord et avant tout éditeur de livres, de livres en papier. Si j’évo-que le contrat d’édition, c’est aussi parce qu’il me semble être au cœur de notre sujet, car il permet l’articulation du droit d’auteur avec l’accès à la culture, qu’il s’agisse de papier, de numérique ou de virtuel.

Enfin, si j’évoque le contrat d’édition, c’est parce qu’il fait aujourd’hui l’objet d’atta-ques qui en réalité visent le droit d’auteur, tel que nous l’entendons, ou peuvent avoir pour effet certain d’en affaiblir la portée et de nous amener doucement, mais sûrement, au système du copyright. Ainsi de cette fameuse loi DADVSI, qui, en ajoutant de notables et désordonnées exceptions au droit d’auteur, contribue à le vider de son contenu.

Aujourd’hui, plus

que jamais, on a

tendance à faire,

du droit d’auteur

un obstacle à

la diffusion des

œuvres, à leur

libre circulation.

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s Ce que je constate pour ma part, c’est que l’on est en train d’es-sayer de « ringardiser » le droit d’auteur, face au copyright — je ne vois pas d’autre expression — parce que le copyright accompagne bizarrement Internet, parce qu’il a préexisté à Internet, mais la marée qui vient d’outre-Atlantique amène le copyright avec elle. C’est moderne, c’est bien, c’est formidable le copyright, c’est davantage de liberté de commerce, on l’a dit suffisamment, je ne vais pas revenir là-dessus.

Je voudrais rappeler qu’il y a trente ans exactement un combat s’est livré où la « ringardisation » était aussi un mot qui revenait souvent, c’était le combat pour le prix unique du livre. Et je pense que l’on est aujourd’hui dans une situation qui évoque celle du prix unique du livre, c’est plus diffus, c’est plus compliqué. À l’époque on nous opposait déjà la liberté du commerce. On disait que le prix unique du livre ferait baisser le prix du livre, que cela permettrait à des grandes surfaces qui diffuseraient le livre de s’installer partout. On a un contre exemple avec ce qui s’est passé en Angleterre où le prix unique du livre n’existe pas. Monsieur Ferguson me contredira si je dis des bêtises, mais il semblerait que le nombre de librairies indé-pendantes ait notablement baissé en Angleterre, que les chaînes y fassent la loi et que le prix du livre ait augmenté dans le temps.

Dans le contrat d’édition et dans ceux qui traditionnellement l’ac-compagnent, audiovisuel et numérique maintenant, l’éditeur devient cessionnaire de la plupart des droits patrimoniaux de l’auteur, à charge d’exploiter ses droits dans l’intérêt de celui-ci et dans le respect de son droit moral. Cette cession générale permet l’unité de gestion, elle maintient le lien entre l’œuvre d’origine et les exploi-tations dérivées secondaires dont elle peut être l’objet. Elle assure ainsi un suivi du droit moral et permet une efficacité économique qui bénéficie à l’auteur comme à l’éditeur.

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Je ne reviendrai pas sur le droit moral. Monsieur Absire a bien déve-loppé ce sujet. Je voudrais simplement rappeler que le droit moral n’est pas une clause de contrats mais une mention qui se trouve dans tous les contrats. L’auteur n’est pas seul pour la défense de son droit moral. C’est un droit qui lui appartient, qui est incessible certes, mais l’éditeur souvent défend l’auteur quand son droit moral est mis en cause. Je rappellerai l’exemple que vous connaissez peut-être, la manière dont les Éditions de Minuit surveillent les représen-tations qui sont faites des pièces de Samuel Beckett sur tous les tréteaux de France et interdisent tout ce qui ne convient pas, tout ce qui ne correspond pas à la volonté expresse de Beckett. Dieu sait qu’il avait une volonté très claire sur l’absence de décors, etc. Je voulais, quand même, rétablir un peu le rôle de l’éditeur dans la défense du droit moral de l’auteur.

Alors, qu’est-ce qu’un éditeur ? C’est avant tout une personne qui choisit et ensuite fait tout ce qui est en son pouvoir pour faire connaître ses choix au plus grand nombre et les faire partager, par le plus grand nombre. Il est un passeur, il est à côté des institutions culturelles, des critiques, des enseignants, des libraires et des biblio-thécaires, un des acteurs du bon accès à la culture.

Qu’entend-on par accès à la culture ? C’est certainement l’accès garanti dans les meilleures conditions possibles à l’offre culturelle la plus large possible. Qu’est-ce que, en matière de livres, l’offre la plus large possible ? C’est le fonds littéraire, la pensée, le savoir passé et présent. C’est aussi, j’y tiens, j’insiste beaucoup, la possibi-lité du nouveau, la possibilité d’un avenir pour la création, pour les créateurs, pour ceux qui prennent avec eux et pour eux le risque de la recherche. Un fonds, cela a un coût et ce coût, souvent, de plus en plus souvent, n’est plus couvert par les ventes du fonds en ques-tion. Il est cependant crucial de l’entretenir, de le maintenir vivant.

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gard SiMone douek. — Merci Paul Otchakovsky-Laurens. Je donne la

parole maintenant à Pascal Rogard.

paScal rogard. — Je vous parlerai surtout du travail politique qu’il faut faire auprès des autorités européennes et françaises.

Il faut se rappeler qu’à un moment donné, en Europe, il était ques-tion de mettre en place un système général de licence légale (dans la directive télévisions sans frontière) car le droit d’auteur était consi-déré comme un obstacle à la liberté de circulation des émissions de télévision ; effectivement les cablo-distributeurs devaient deman-der aux auteurs, à leurs sociétés, l’autorisation de retransmettre les œuvres sur les chaînes de télévision. On est parti, dans l’élabo-ration de cette directive, d’un principe de licence légale, ensuite la question du droit d’auteur a été sortie de la directive télévisions sans frontière, et il y a eu une nouvelle directive qui a interdit les licences légales en Europe. Cela montre que l’Europe, quand on se bat, quand on explique les choses, est capable non seulement de reculer mais de faire le contraire de ce qu’elle voulait faire au début. C’est quand même une leçon intéressante pour les affaires qui vont suivre, en particulier celle de la copie privée.

Ce qui m’a inquiété, je crois que plusieurs intervenants y ont déjà fait allusion, c’est que le débat sur la loi droit d’auteur / droits voisins dans la société de l’information (qui est la transposition d’une direc-tive tardivement faite en France) a suscité des débats nouveaux. On a constaté une opposition frontale entre le droit d’auteur et l’accès des consommateurs à la culture. En particulier à l’Assemblée natio-nale, une certaine mouvance politique — celle qui d’habitude défend les gens de culture — a déversé des flots extraordinaires de démago-gie où l’on vous disait toutes les heures : « Faites attention, les inter-nautes vous écoutent, ils peuvent regarder les débats sur Internet » et « Laissez aux consommateurs le droit d’utiliser librement les

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œuvres. » Il y a eu cette opposition frontale que l’on a ensuite un peu oubliée parce qu’au Sénat, un certain nombre de personnalités, dont Jack Ralite d’ailleurs que je salue, Catherine Tasca également du côté de la gauche de l’hémicycle — ont défendu le droit d’auteur et essayé de réconcilier droit d’auteur et accès des consommateurs aux œuvres.

Alors, on est face à un bouleversement extraordinaire qui permet aux consommateurs d’accéder dans des conditions illicites aux œuvres. La question qui a été posée à l’Assemblée nationale et au Sénat est la suivante : « Comment légaliser de telles pratiques ? » Ce que j’ai regretté, c’est que le monde de la culture, qui a su conser-ver une formidable union pour défendre par exemple la diversité culturelle, c’est-à-dire le droit, la liberté de chaque pays d’élaborer sa politique culturelle, s’est trouvé divisé. Il y avait les tenants de ce que l’on appelle une licence globale équivalant à une expropria-tion du droit d’auteur et une sorte de rémunération collective, et ceux qui défendaient les principes d’autoriser ou d’interdire et qui étaient rejetés dans le camp de la répression. D’un côté, il y avait une sorte d’alliance entre les auteurs qui défendaient leurs droits et de puissantes multinationales du disque, des producteurs, des éditeurs. De l’autre, des artistes plaidaient pour le fait que comme on ne pouvait pas s’opposer à ces systèmes de téléchargement, il fallait les légaliser et bénéficier de rémunérations comme cela existe pour la copie privée.

Ce clivage extrêmement fort n’a pas été résolu, c’est-à-dire que la crise couve toujours et cette crise-là va certainement aboutir à des positions qui pourraient devenir radicales dans un sens ou dans un autre au moment de l’élection présidentielle. De façon assez sché-matique, notre problème c’est que la culture n’intéresse plus grand monde en matière de politique. On voit monter en puissance l’en-vironnement — Nicolas Hulot se débrouille très bien, je le félicite —

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gard mais nous, on n’a pas le Nicolas Hulot de la culture, on n’a pas

accès à TF1 et à toutes les émissions grand public.

Donc, d’un côté il y a un candidat, qui n’est pas encore candidat, mais qui le sera peut-être cette semaine, qui a défendu des posi-tions extrêmement claires, extrêmement fermes sur le droit d’auteur, mais qui par ailleurs veut supprimer le ministère de la culture, et le rattacher à d’autres grands ministères. Je ne crois pas, non plus, que cette solution soit excellente.

De l’autre côté, il y a une candidate tout en blanc, qui a dit extrême-ment clairement qu’en ce qui concernait la musique — elle ne l’a pas dit pour l’audiovisuel — elle était pour les licences globales. Elle a pour proche conseiller un jeune internaute qui nous dit benoîtement qu’il ne peut plus payer les œuvres parce qu’il a dépensé suffisam-ment d’argent pour son abonnement au téléphone portable. Cela figure dans Le Monde, vous pouvez le lire.

Mon inquiétude est que nous devions dans les semaines et les mois à venir reconstruire un discours commun, un discours unique pour tous les gens qui vivent de la propriété intellectuelle. Il faut pouvoir faire passer ce message commun aux politiques car, si nous restons divisés, il est bien évident que la politique penchera du côté de l’internaute électeur parce qu’à un moment donné ce qui compte pour un homme politique ce n’est pas le soutien de quelques personnalités.

Je pense que la seule manière de pouvoir opposer un front à cette démagogie, c’est d’être unis sur ces questions et de pouvoir propo-ser ensemble, artistes, auteurs, producteurs, éditeurs, un front commun et un certain nombre d’idées communes au-delà de nos chapelles respectives et personnelles.

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Le deuxième sujet, Bernard Miyet l’a bien expliqué, c’est le paradoxe de Bruxelles et le paradoxe de la copie privée. Bruxelles s’apprête le 19 décembre à célébrer en « grande pompe » la convention sur la diversité culturelle. Je dois dire que cette convention sur la diversité culturelle, où l’Europe s’est très bien comportée, a été adoptée — ironie de l’histoire — sous présidence britannique, c’est un des rares succès, peut-être même le seul succès, de monsieur Barroso qui a fait des discours sur la culture absolument extraordinaires et qui n’a mis aucun obstacle à cette démarche commune des gouvernements français et canadien.

Au moment même où l’Europe s’apprête à ratifier cette conven-tion, il y a une offensive sans précédent, d’abord contre les socié-tés de gestion collective, parce que l’objectif — que les auteurs ne s’y trompent pas — du côté de certains, c’est d’affaiblir ceux qui vous soutiennent, ceux qui sont capables d’exprimer des positions fortes. Le rêve de beaucoup d’industriels, c’est d’avoir en face d’eux des auteurs individuels qui sont naturellement dans un rapport de force défavorable.

Je ne dis pas que les sociétés de gestion collective sont parfaites. Mais d’un côté on dit qu’elles sont des sociétés de services comme les autres, et de l’autre côté on les soumet à des règles de contrôle qui sont des règles de droit public comme si elles étaient des servi-ces publics. J’aimerais que si les sociétés de gestion collective, en France, ont des contrôles, on leur reconnaisse aussi de véritables missions de service public.

D’un côté, la commission européenne essaye de porter atteinte gravement au régime de la copie privée, voire de le supprimer. Au lieu de le faire comme une instance démocratique normale, c’est-à-dire en proposant un débat lors de l’adoption d’une législation, on le fait — et Jacques Toubon l’a souligné à juste titre — de la

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gard façon la plus sournoise, la plus insidieuse qui soit, c’est-à-dire avec

un système de recommandations qui a l’avantage pour l’Irlandais, McCreevy, de ne passer ni par le Conseil des ministres de l’Union européenne, ni par le Parlement européen. On évacue totalement le processus démocratique. Si la Commission européenne estime que la solution d’avenir pour le droit d’auteur, c’est la gestion numéri-que des droits — les fameux DRM — et que la copie privée est un obstacle à la libre circulation des produits, des magnétoscopes, des Ipod, etc., alors elle voudra la suppression de la copie privée. Mais qu’elle assume ses responsabilités, à ce moment là, que le Conseil des ministres ou le Parlement puisse se prononcer sur la question.

Le paradoxe absolu, c’est qu’au système de copie privée qui permet aux particuliers d’avoir accès aux œuvres dans leur cercle de famille, c’est-à-dire dans un cadre légal qui répond donc à cette question d’accès à la culture, la Commission européenne veuille substituer un régime de DRM qui n’est ni plus ni moins que le régime de la carte American Express. Cela voudra-t-il dire que les particuliers, chaque fois qu’ils voudront copier, devront mettre leur carte American Express dans leur magnétoscope numérique ou dans leurs appa-reils, et à ce moment là payer des licences à ceux qui auront créé ces systèmes de gestion numérique — derrière cela, il y a toute l’or-ganisation et tout le contrôle des droits de propriété intellectuelle — c’est-à-dire un certain nombre de grands opérateurs qui ne sont pas situés de ce côté-ci de l’Atlantique ? Nous devons nous mobiliser.

L’avantage de la bataille sur la copie privée, c’est qu’à la différence de la bataille sur le droit d’auteur, elle rassemble tout le monde, puisque toutes les catégories, producteurs, éditeurs, auteurs et interprètes, bénéficient de cette rémunération. J’espère que certains producteurs ne seront pas tentés d’abandonner en route le système de copie privée pour d’autres systèmes qu’ils croiraient plus avan-tageux pour eux.

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Nous devons engager deux batailles : une bataille en France où nous devons convaincre que droit d’auteur et accès à la culture sont parfaitement conciliables, une bataille en Europe où nous devrons faire reculer ces « fêlés » de la Commission européenne. Vous, vous ne les voyez pas, mais quand on les pratique, on voit qu’on a affaire à une bande de « fêlés ». Ils n’y connaissent rien. Ils arrivent après s’être occupés de tout à fait autre chose. Six mois après avoir décou-vert le droit d’auteur, ils veulent refaire le monde au nom d’une sorte de patriotisme irlandais. J’ajoute que l’Irlande est quand même championne. On nous parle de distorsion de concurrence, quand on va au fond des choses, on voit que les Irlandais sont les champions des abris fiscaux, ils ont des tas de systèmes pour attirer les entreprises chez eux et en réalité faire de la délocalisation sournoise. L’Irlandais, en matière de triche-rie, est franchement champion. Je n’attaque pas le peuple irlandais, j’attaque un certain nombre d’autorités irlandaises.

Nous devons nous battre de façon extrê-mement ferme, extrêmement forte et, je dois dire, qu’avec Bernard [Miyet] nous avons réussi à faire une union générale des gens de culture. Les artistes eux-mêmes se sont mobilisés. Les plus grands noms du cinéma aussi bien chez les auteurs que chez les artistes, les plus grands noms de la télévision, de la chanson se sont mobi-lisés sur cette question et j’ai bon espoir qu’avec l’appui du gouvernement français et l’appui d’autres gouvernements, nous fassions reculer la Commission.

Nous devons engager

deux batailles : une

bataille en France

où nous devons

convaincre que droit

d’auteur et accès

à la culture sont

conciliables, une

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nous devrons faire

reculer ces « fêlés »

de la Commission

européenne.

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y Mais nous devons être extraordinairement vigilants. Nous ne devons pas considérer le droit d’auteur et la protection du droit d’auteur acquis pour l’éternité. Il y aura toujours des combats à mener. En France, nous allons devoir les mener dans les semaines à venir et vous pouvez compter sur notre pugnacité.

SiMone douek. — Merci Pascal Rogard. Maintenant Joëlle Farchy, avec son regard d’universitaire, va nous dire comment elle perçoit cette question du droit d’auteur et de l’accès à la culture.

Joëlle Farchy. — Bonjour. Je vais aborder cette question d’une manière complètement décalée par rapport aux autres interve-nants parce que je ne suis ni auteur, ni professionnelle de la culture, tout simplement universitaire et économiste. C’est ce point de vue extrêmement partiel, beaucoup moins lyrique qu’un certain nombre d’autres interventions, beaucoup plus froid, que je vais vous présen-ter ici.

En ce qui concerne les liens entre droit d’auteur et accès à la culture — cela a déjà été un peu dit — il y a effectivement dans l’analyse économique une sorte de relation dialectique entre les deux. D’un côté, en effet, le droit d’auteur favorise l’accès à la culture, c’est un peu la thèse que Pascal Rogard a développée ici. Pour qu’il y ait accès à la culture, il faut que les œuvres soient produites, et en économie, le droit d’auteur est vu classiquement comme un moyen d’incitation pour les auteurs et pour les producteurs à continuer à créer.

L’idée principale est que le droit d’auteur est un droit exclusif d’autoriser ou d’interdire la reproduction ou la représentation d’une œuvre, et que cela exclut les copieurs qui ne peuvent plus copier sans autorisation. L’analyse économique nomme ces copieurs

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« passagers clandestins », l’analyse juridique va les nommer « contre-facteurs », mais c’est toujours la même idée.

Dans l’analyse économique, je sais que ce propos va un peu vous choquer par rapport à tout ce qui a été dit ce matin, l’aspect patri-monial du droit d’auteur se justifie pour des raisons qui sont assez identiques à l’aspect patrimonial du copyright, c’est-à-dire une logique d’incitation économique. C’est l’aspect positif du droit d’auteur, quant à l’accès à la culture.

Deuxième façon d’envisager le droit d’auteur, d’une façon beau-coup plus négative effectivement, c’est de dire que le droit d’auteur peut être considéré comme un frein à l’accès à la culture. À partir du moment où il donne un monopole juridique aux ayants droit, lorsque ce monopole juridique dure trop longtemps, cela peut procurer des rentes de situation et avoir des effets négatifs en terme de diffusion dans le public. Cette idée a été reprise très récemment dans l’analyse économique, c’est le concept qui s’appelle dans le jargon économique la tragédie des « anti commands ». Il montre que, quand il y a trop de propriété privée sur ce que l’on peut consi-dérer comme des ressources communes, cela aboutit à une sous-utilisation de ces ressources communes.

Donc dans l’analyse économique, il y a vraiment cette relation dialectique. Il y a l’idée que le droit d’auteur optimal doit assurer cet équilibre entre d’un côté le besoin d’incitation économique et, de l’autre côté, l’accès du public. Et, évidemment, pour assurer cet équilibre, la question essentielle est celle de la durée des droits.

Par rapport à cette vision très classique du droit d’auteur, tel qu’il est envisagé en économie, dans l’analyse économique, qu’est-ce qui change avec le numérique ? Beaucoup de choses changent avec le numérique, dans la mesure où — on l’a dit et répété — la dématéria-

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y lisation des contenus favorise la copie à grande échelle et les droits d’auteur sont de plus en plus faciles à contourner, par conséquent ils ont de plus en plus de mal à jouer leur rôle classique qui était le rôle d’exclusion des contrefacteurs. En conséquence, tout le modèle habituel de financement des industries culturelles est complètement bouleversé.

Dans ce monde où, d’un point de vue technique, tout le monde pourrait potentiellement avoir accès à tout, il est vrai que le droit d’auteur a été perçu au cours des années récentes par les internau-tes comme une sorte d’empêcheur d’accéder en rond. Dans cette demande d’accès très large, on voyait bien que le modèle habituel devenait complètement bouleversé, mais on ne voyait pas très bien quels modèles allaient pouvoir s’y substituer pour assurer la rému-nération des créateurs et le financement de l’ensemble de la filière.

Maintenant, même si les choses sont loin d’être stabilisées, on voit apparaître en gros trois modèles qui correspondent à des formes d’accès différents, à des modèles économiques différents.

Un premier modèle, on en a déjà parlé, c’est le modèle classique, le modèle de contrôle d’accès avec DRM dans lequel la technique joue le même rôle que jouait la propriété intellectuelle.

Deuxième modèle qui me semble beaucoup plus insidieux. On en parle moins mais c’est finalement un modèle qui est en train de se généraliser, c’est un modèle d’accès élargi avec transfert de valeurs. Un modèle redoutablement efficace sur le plan économique, même s’il pose un certain nombre de problèmes. On a une généralisation du modèle de produit d’appel. On ne vend plus de la culture pour vendre de la culture, la culture sert en fait de produit d’appel pour vendre toute autre chose, que ce soit des abonnements à Internet, du matériel de lecture ou des espaces publicitaires. Évidemment,

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Internet n’a pas créé ce modèle de produit d’appel, il existait aupa-ravant, mais simplement il l’a amplifié à une échelle considérable.

Enfin, le troisième modèle pourrait être appelé de « libre accès », il s’inspire de la philosophie du partage de logiciels libres. Mon voisin tout à l’heure en a parlé, c’est un modèle qui se cherche, qui n’est pas encore tout à fait stabilisé, dans lequel la question essentielle de rémunération des ayants droit est très complexe et pas du tout claire, mais qui me semble être un modèle extrêmement intéressant parce que justement, il s’accompagne de l’émergence de nouvelles formes de création spécialement adaptées à l’univers d’Internet.

On voit à travers tous ces modèles qui sont en train de se déve-lopper que le rôle économique classique du droit d’auteur, comme outil exclusif d’autoriser ou d’interdire l’accès aux œuvres, est remis en question.

Cette façon de présenter les choses, cette analyse économique du droit d’auteur, épuise-t-elle toute forme d’approche du droit d’auteur ?

Bien évidemment non, cela ne l’épuise pas parce que l’analyse que je viens de vous présenter, l’analyse économique du droit d’auteur, est doublement réductrice. Elle est doublement réductrice d’abord parce que c’est une approche que l’on appelle à juste titre « utilita-riste ». Elle peut évidemment être perçue comme une hérésie à la fois pour des juristes européens imprégnés de droit d’auteur naturel, et évidemment pour de nombreux professionnels de la culture, pour lesquels l’auteur est justement au centre du dispositif.

C’est une analyse doublement réductrice en ce qu’elle considère que le droit d’auteur n’est pas une fin en soi comme dans l’optique du droit naturel, mais que c’est un moyen. Cela a des conséquen-

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y ces énormes parce que si vous dites que le droit d’auteur est un moyen, et simplement un moyen, cela veut dire que le droit d’auteur n’est pas forcément pérenne. Il n’a plus de raison d’exister si vous pouvez trouver un moyen plus efficace d’aboutir au même objectif qui est un objectif d’incitation. Dans l’analyse économique, toute une littérature vous explique qu’il existe des moyens alternatifs pour aboutir exactement à la même chose.

Deuxième aspect, si c’est un moyen et pas une fin en soi, cela a un objectif précis, qui est dans notre jargon, la « maximisation du bien-être social ». Qui est alors au cœur du dispositif ? Ce n’est pas l’auteur, personne physique, mais l’efficacité de tout un modèle économique qui s’appuie sur la propriété intellectuelle comme outil d’incitation dans la filière.

Cette analyse est évidemment loin d’épuiser tous les arguments qui justifient la mise en place du droit d’auteur. Si, par exemple, le droit d’auteur a des objectifs différents de ceux que je viens d’annoncer, objectifs d’incitation et d’efficacité économique, ces autres objectifs ne sont pas du tout pris en compte dans l’analyse que je viens de formuler. Dans l’analyse économique, les raisons pour lesquelles il y a du droit d’auteur, ou les raisons pour lesquelles il y a du copyright, sont les mêmes.

Par contre, évidemment, concernant le droit moral ce n’est pas du tout la même chose. Sur le droit moral, en gros, l’économiste n’a rien à dire. Le droit moral est un choix de société différemment appliqué en France ou aux États-Unis. Il n’a aucune justification économique. Cela ne veut pas dire que l’économiste ne puisse pas s’exprimer sur le droit moral, parce que, comme toute règle de droit, le droit moral peut avoir des conséquences économiques importan-tes. Dans ce cas-là l’économiste retrouve une place, mais pour justi-

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fier la raison de la mise en place d’un droit moral, c’est vraiment un choix de société et pas du tout un choix économique.

L’approche économique que je viens de vous présenter, je le souligne de manière très forte, est une approche réductrice. Pourtant, elle me semble tout à fait indispensable parce qu’elle conduit à s’inter-roger sur l’utilité du droit d’auteur aujourd’hui, et sur son utilité pour demain. C’est une question vraiment très importante pour moi parce que la réponse qui semble aller de soi, à savoir que le droit d’auteur sert à défendre les auteurs et leurs créations, ne me satisfait absolument pas.

Dans le petit imprimé de présentation de la table ronde, il y avait une question : « La Loi votée en 2006 par le Parlement français constitue-t-elle une bonne évolution pour le droit d’auteur ? » J’avoue qu’en lisant cela, je me suis sentie totalement étrangère à ce combat, parce que cela ne m’intéresse pas du tout de savoir si la loi est bonne pour le droit d’auteur ou pas. Le droit d’auteur en lui-même, je le dirai de manière un peu brutale, je m’en fiche complètement. Ce qui m’intéresse, c’est de savoir si c’est un bon outil pour défendre les auteurs et leurs créations. Ce n’est pas tout à fait la même chose. C’était assez bien expliqué dans le petit texte du dossier de séance « Les auteurs demandent ». La place de l’auteur dans la société dépend du droit d’auteur bien sûr, mais elle dépend de bien d’autres facteurs, notamment du droit social ou fiscal qui sont autant de choses extrêmement importantes, peut-être même parfois plus importantes pour défendre les auteurs et leurs créa-tions que le droit d’auteur lui-même.

D’autre part, les flux de droits d’auteur aujourd’hui mêlent des formes de rémunérations extrêmement diverses. Par exemple, on le sait très bien, la rémunération pour copie privée sert aussi — pour 25 % — à financer les manifestations culturelles. La loi sur le droit

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y de prêt en bibliothèque alimente, en partie, les caisses de retraite des auteurs. Ces objectifs ne sont absolument pas illégitimes en eux-mêmes, simplement il y a, me semble-t-il, à travers ce type de dispositifs, une disparition, en tout cas un lien qui devient de plus en plus ténu entre un acte de création et l’acte d’utilisation des œuvres des auteurs. J’ai donc l’impression que l’on veut faire porter au droit d’auteur des choses qui sont un peu trop lourdes pour lui, et qui ne sont plus ce pourquoi il a été créé. C’est pour cela que revenir à ses fondements et au rôle que l’on veut lui donner me semble intéressant.

Autrement dit, j’ai le sentiment que l’on ne peut pas régler tous les problèmes de la création et des créateurs uniquement avec le droit d’auteur et uniquement avec une nouvelle loi sur le droit d’auteur. Il y a un problème de choix dans une multi-tude de compromis sociaux, de choix de société, sur ce que l’on veut faire avec le droit d’auteur. Est-ce que c’est effective-ment une rémunération des auteurs, qui peut d’ailleurs ne plus être proportion-nelle puisqu’on voit dans certains secteurs comme dans le cinéma, une généralisa-tion des minima garantis ? Est-ce cela que l’on veut privilégier, est-ce la défense d’une filière économique et de la renta-bilisation des investissements, est-ce une forme élargie d’accès à la culture grâce au numérique ?

Ce sont de vrais choix, ce ne sont plus des choix économiques, ce sont des choix politiques. C’est sans doute une des raisons pour

J’ai le sentiment

que l’on ne peut

pas régler tous

les problèmes

de la création

et des créateurs

uniquement avec

le droit d’auteur.

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laquelle la loi sur le droit d’auteur du mois d’août a été aussi criti-quée et a donné lieu à autant de polémiques. Finalement elle a eu beaucoup de mal à choisir à force de vouloir faire de l’équilibrisme de tous les côtés.

Parmi l’ensemble des choix possibles, une question me semble parti-culièrement sensible mais qui a donné lieu à beaucoup moins de débats que celui sur la gratuité, c’est la question des nouvelles fron-tières du domaine public. Le domaine public au sens large, c’est-à-dire qui ne comprendrait plus seulement les œuvres dont la durée des droits est arrivée à échéance, mais aussi les exceptions au droit d’auteur. La nouveauté, c’est que l’on voit bien que la plupart des exceptions sont pensées dans une logique économique et plus du tout dans une logique politique, cela devient presque insultant de penser qu’il peut y avoir des exceptions non compensées. Dès que l’on parle d’exception, on parle de compensation. Il y a les excep-tions, et puis il y a évidemment tout un domaine dont on a déjà parlé, ce que l’on pourrait appeler le domaine public consenti, c’est-à-dire, avec le consentement des auteurs dans le cadre d’œuvres sous licence libre. Tout cela constitue le vaste ensemble d’un domaine public numérique dont les frontières sont vraiment complètement à repenser aujourd’hui.

SiMone douek. — Merci Joëlle Farchy. Ce que je vous propose c’est que l’on essaye d’avoir au moins vingt minutes de questions de la salle parce qu’il y a là énormément de problèmes qui sont soulevés par les interventions des uns et des autres. Je vais donner la parole à Laurent Duvillier qui, lui va nous parler du droit d’auteur et de l’in-térêt général de son point de vue de délégué général d’une société de gestion de droits d’auteur.

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laurent duvillier. — Je ne vais pas trop parler de la gestion collec-tive car beaucoup d’intervenants en ont parlé et que beaucoup d’entre vous la connaissent.

On s’est posé la question à l’occasion de ce débat organisé par le Snac : un droit d’auteur qui est un droit privatif peut paraître anti-nomique à l’intérêt général. C’est bien toute la question qui s’est posée à l’occasion de la dernière loi sur la propriété littéraire.

Alors je vais essayer de traiter cela en trois points :1 — er point : est-ce que le droit d’auteur est antinomique à l’in-

térêt général ?2 — e point : le droit d’auteur dans notre conception française

vise à donner à l’auteur les moyens d’être en situation de créer.3 — e point : le droit d’auteur conçu ainsi n’est pas si éloigné

que cela de l’intérêt général et nous le verrons ensemble si vous le voulez bien.

Premier point, et vous le savez fort bien tous, auteurs, éditeurs, producteurs, juristes, économistes, le droit d’auteur est un droit privatif. C’est un droit de propriété individuelle, donc rattaché à la propriété privée. L’intérêt général, lui, renvoie à la notion de collec-tivité. C’est la sphère du droit public. L’intérêt général encadre, voire limite le droit privé. Dernièrement, certains d’entre vous l’ont rappelé, la loi a adopté de nouvelles exceptions : exception péda-gogique, exception pour prêt public en bibliothèque, exception au profit des handicapés, etc. On voit très bien que finalement l’intérêt général limite parfois le droit privé, il lui donne d’autres voies.

Deuxième point, pour autant le droit d’auteur vise à donner à l’auteur des moyens pour être en situation de créer au sens étymologique du terme, c’est-à-dire d’augmenter la somme des connaissances, de

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contribuer à la culture et de faire acte d’autorité par sa réflexion et son regard original.

Ainsi, le droit privatif rencontre l’intérêt général par l’accroissement de la culture, tisse le lien social par l’éducation. Jack Ralite l’a dit tout à l’heure, quand on défend la rémunération de l’auteur, ce n’est pas pour l’enrichir mais pour qu’il apporte plus à l’intérêt général puisqu’il apporte plus de connaissances et plus d’œuvres. Il s’agit donc de la reconnaissance des droits patrimoniaux pour lui permet-tre d’assurer son indépendance par rapport aux liens de subordina-tion comme aux contingences de la vie.

Certains d’entre vous l’ont dit, Alain Absire notamment, le droit moral permet de protéger son nom, le respect de son œuvre, et l’auteur, de cette manière, a une sorte d’autorité, une certification de légitimité. Ce sont ces prérogatives qui assurent à l’auteur une place éminente, celle que l’on voudrait voir assignée à la culture dans la société.

Troisième point : on voit ainsi que le droit d’auteur n’est pas si éloigné que cela de l’intérêt général. La consécration des droits patrimoniaux, si elle permet de récompenser, c’est-à-dire de donner une compensation à la création, permet aussi une mission d’aide à la création (voir la loi Lang de 1985 sur la copie privée) ce qui est en quelque sorte une mission d’intérêt général, relevant habituel-lement de la sphère publique rappelée par Joëlle Farchy à l’instant. La gestion collective s’est organisée librement à l’origine et elle est de plus en plus chargée d’une mission d’intérêt général, puisqu’elle gère notamment les 25 % de copie privée pour aider à la création, la diffusion, la production et l’information.

Dans le même état d’esprit, la gestion collective des droits telle qu’elle fonctionne en France, l’une des plus abouties, j’ose le dire,

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r permet certes de renforcer le statut des auteurs — on est dans la sphère privée — mais aussi de contribuer à la création et la fluidité de la circulation des œuvres pour les rendre accessibles au plus grand public, et là nous sommes dans la sphère publique. C’est aussi une forme aisée de vente de catalogues dans la simplicité et la sécurité juridique, ce sont les grands contrats que négocient vos sociétés d’auteurs. Il s’agit de mettre le répertoire à la disposition du public le plus large, du plus grand nombre d’utilisateurs, du plus grand nombre de consommateurs.

Nous constatons deux points de vue très opposés qui dépassent le droit privatif et l’intérêt général puisque les grands industriels d’aujourd’hui disent : le droit d’auteur freine l’exploitation, les

droits des producteurs sont de plus en plus gérés individuellement et par portefeuilles, voire les DRM, ce qu’a rappelé tout à l’heure Pascal Rogard. Or, nous sommes devant un fait nouveau : plus de cinq ou dix millions d’auteurs non professionnels dit-on, utilisent — il faut se poser la ques-tion — ce que l’on appelle les systè-mes de licences de mise à disposition ouverte des œuvres creative commons au nom de la défense d’un droit d’auteur renouvelé. Ces auteurs parlent d’une logique d’appropriation pour le plus grand nombre, disent qu’il ne faut gêner aucune exploitation ; c’est la logique la moins exclusiviste, la plus altruiste, ils demandent une grande flexibilité, c’est une logique collabo-rationniste puisque plusieurs auteurs

Nous sommes devant

un fait nouveau : des

millions d’auteurs non

professionnels utilisent

les systèmes de licences

de mise à disposition

ouverte des œuvres

(creative commons) au

nom de la défense d’un

droit d’auteur renouvelé.

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travaillent aux mêmes œuvres sans que l’on sache ce qui est apporté par chacun. Cela commence par la science, ce sont des œuvres scientifiques, puis ce sont des œuvres esthétiques. Rauchenberg, qui est exposé à Pompidou, montre comment on peut faire une œuvre avec des objets préexistants, ce qui n’avait jamais été fait.

Je ne vais rien dire d’affirmatif, je voudrais conclure sur un point d’interrogation. Faut-il dire non à tous ces systèmes parce qu’ils remettent en cause le droit d’auteur, tel que nous le connaissons depuis l’origine ? Ne faut-il pas les entendre, c’est-à-dire les compren-dre ? N’est-ce pas la naissance d’un nouveau monde ? Une sorte de préhistoire de nouveaux comportements ? Il faut s’interroger, me semble-t-il. N’est-ce pas une négation du droit d’auteur et peut-être un nouveau point de rencontre de l’intérêt privé et de l’intérêt général ? Merci.

SiMone douek. — Merci Laurent Duvillier. Avec vous Claude Lemesle, président de la Sacem, pour clore ce tour de table, un peu de philo-sophie et d’histoire ?

claude leMeSle. — Je voulais, pour conclure et expliquer le présent, voire l’avenir, faire un peu d’histoire, mais je pense qu’il y a beau-coup de choses qui ont été abordées c’est donc un petit peu inutile. Je crois que ce serait mieux d’avoir un débat, que les gens posent des questions, que l’on puisse leur répondre. Sans oublier que les gens ont faim et qu’il est presque temps que le Snac se transforme en snack… bar.

SiMone douek. — La parole à la salle pour vos questions…

claude leMeSle. — Les premières questions sont toujours les plus dures à obtenir, après ça fuse…

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Sylvain lebel. — Puisqu’il y en a un qui se doit de commencer… Je voulais répondre à madame l’économiste. Quand elle dit : « À quoi sert le droit d’auteur ? » J’ai envie de répondre : « À faire vivre les auteurs. » C’est vrai que parmi tous ces nouveaux modèles qui sont en train de se mettre en place, et où tout le monde est perdu, nous les premiers, ce qui nous chagrine le plus, c’est de voir que, de plus en plus, on se retrouve repoussés à la périphérie de la cible. De plus en plus on est considéré comme des empêcheurs de s’enrichir en rond. Et pour rejoindre ce que disaient tout à l’heure Jacques Toubon et Pascal Rogard, il y a effectivement urgence. Mais pas tant à savoir à quoi sert le droit d’auteur. Je crois que la réponse est simple, il faut faire vivre les auteurs. Nous sommes très fiers des systèmes de mutualisation que nous avons mis en place pour que des auteurs en fassent vivre d’autres. Je pense que l’on est nombreux dans cette salle à sentir le boulet, à sentir qu’un vent est en train de nous emporter et qu’il est effectivement urgent que la filière musi-cale se rassemble comme nous l’avons fait le 22 décembre 2005 et que nous prenions conscience que c’est le moment de faire enten-dre notre voix très fort. Le temps de la réflexion est à mon avis passé. Pour reprendre des citations chères à monsieur Ralite : « En ce moment on a l’impression que tout le monde obéit à ce que personne ne veut. »

Mouldi rhida khouini. — Je suis sociétaire Sacem et adhérent au Snac. Je demande à toutes les sociétés de droits d’auteur ce qu’elles ont fait avec les pays où il n’y a pas de contrats pour les droits d’auteur, comme les pays du Golfe mais aussi des pays en Europe, comme la Grande-Bretagne, comme l’Irlande, qui depuis quel-ques années ne paient pas tous les droits d’auteurs du répertoire Sacem ?

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SiMone douek. — Pascal Rogard souhaite prendre la parole.

paScal rogard. — Je pense que Pascal Rogard n’est pas encore à la Sacem, mais cela viendra peut-être. Pourquoi riez-vous ? Je vais répondre sur l’audiovisuel, pas sur la musique.

La situation est extrêmement complexe, parce que les auteurs peuvent parfaitement être rémunérés proportionnellement, sans avoir de système de gestion collective. Il y a beaucoup de pays où la gestion collective, à la différence de la France, dans l’audiovisuel, n’existe pas. Partout où on est invité nous expliquons les principes du droit d’auteur et nous essayons d’inciter les auteurs eux-mêmes à s’organiser en sociétés de gestion collective, mais on ne peut pas le faire à leur place. Chaque fois qu’on les rencontre, on leur fait la démonstration de l’intérêt du droit d’auteur. On le fait égale-ment dans le cadre de la coalition pour la diversité culturelle. Cela a permis, dans une quinzaine de pays d’Europe, d’avoir des regrou-pements entre des sociétés de musique, des sociétés audiovisuelles, des producteurs, des artistes interprètes. Tous ces gens se rendent compte qu’au-delà des principes de la diversité culturelle — c’est-à-dire de mettre fin à un libéralisme absolu en matière d’échanges de services — il faut aussi défendre la propriété littéraire et artistique.

Mais n’oubliez pas qu’une partie du monde est aussi, et cela on ne le changera pas, sous un régime de copyright qui donne aux auteurs des rémunérations forfaitaires. Même si aux États-Unis les auteurs, par des systèmes du droit du travail, se sont extrêmement bien organisés. En matière de sécurité sociale, d’assurance maladie, de régime de retraite, ils sont peut-être mieux couverts que nous ne le sommes en France. Mais ils l’ont fait par le droit du travail et avec des grèves de scénaristes et de réalisateurs.

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le Par contre, sauf si ce sont des gens extrêmement connus et donc puissants en tant qu’auteurs, ils n’ont pas la reconnaissance de leur droit moral, ainsi dans la plupart des cas l’œuvre peut être modifiée, changée sans leur accord.

Il y a des progrès à faire pour que le droit d’auteur, je dirai à « l’euro-péenne », progresse. Il va progresser parce que la législation euro-péenne peut aller dans le sens de la législation française. On a renforcé le droit d’auteur en Europe, mais maintenant il y a d’énor-mes tensions entre le droit d’auteur et ce que l’on appelle les règles du marché intérieur qui sont utilisées par les industriels pour affai-blir d’un côté les sociétés de gestion collective et de l’autre les systè-mes de rémunération des auteurs.

Nous sommes face à des forces extraordinairement puissantes. Les moyens d’une société comme la Sacem ou des grandes sociétés musicales en Europe sont ridicules par rapport à ceux des entrepri-ses de télécommunication qui, elles-mêmes, ont des moyens ridicu-les par rapport à Google, à Microsoft, à Yahoo, enfin à toutes ces entreprises qui essayent de déstabiliser le droit d’auteur.

Le plus grand « parasite » actuel du droit d’auteur s’appelle Yahoo. Il collecte des ressources publicitaires considérables en utilisant la propriété littéraire et artistique et je suis heureux qu’en Belgique la Scam et les éditeurs de presse aient commencé à attaquer. En France, il y a un producteur, président d’une organisation profes-sionnelle, Jean-François Lepetit, qui a également attaqué Google.

Je pense qu’il faut réconcilier les internautes avec les droits d’auteur. Beaucoup d’internautes mettent des œuvres, si ce ne sont pas des œuvres, en tous cas des images qu’ils ont eux-mêmes créées, à la disposition de sites. On leur fait signer des pseudo-contrats par lesquels ils abandonnent tous leurs droits. Ensuite ces sites vont

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gagner des fortunes en permettant l’échange de ces documents ou dans certains cas de ces œuvres. Je pense que les internautes vont s’apercevoir eux-mêmes que leurs créations sont pillées et que le droit d’auteur est une manière d’empêcher que ce qu’ils créent soit utilisé à leur détriment, ou en tous cas génèrent des ressources auxquelles ils ne pourront être associés. C’est vers cette réconcilia-tion entre l’internaute et le droit d’auteur que nous devons tendre dans les mois qui viennent.

Mais sur la question posée concernant la Sacem, Claude Lemesle est mieux placé que moi pour y répondre.

claude leMeSle. — Sur la question spécifique posée par monsieur, quant à la défense des droits dans certains pays, en particulier du Maghreb, il y a des sociétés dans chacun de ces pays. La Sacem a des accords avec elles mais c’est vrai que nous dépendons, sur le plan des rémunérations que l’on verse à nos sociétaires, du travail de ces sociétés locales. Nous ne pouvons pas intervenir sur leurs terri-toires, vous le savez bien, ce serait tout à fait contraire aux règles juridiques. Bernard Miyet sera certainement à même de répondre plus complètement sur les cas cités pays par pays.

bernard Miyet. — Simplement je voulais dire que l’on est toujours dépendants des législations de chacun des pays, des moyens qui peuvent exister en terme d’organisation de sociétés de gestion collective, du fait que les droits peuvent être dans certains cas complètement entre les mains des producteurs, c’est le cas en ce qui concerne les pays du Golfe dont vous avez parlé.

Dans certains pays nous avons commencé à avoir une action et nous nous interrogeons sur la possibilité d’être sur place. Nous avons d’ailleurs déjà un accord de licence avec une société de télé-phonie mobile de Barheïn, directement en tant que Sacem.

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le SiMone douek. — Alors encore une réponse rapide, peut-être de Laurent Duvillier, et puis une autre question de la salle…

laurent duvillier. — En ce qui concerne les pays du Maghreb, les sociétés d’auteurs françaises Sacem, SACD, Scam — je dis cela parce que je le fais — font les répartitions aux auteurs marocains. Avec l’Algérie, il y a le Bureau du droit d’auteur avec lequel nous avons un accord. Nous avons aussi un accord avec la Tunisie. Donc, dans les pays du Maghreb, il y a des accords anciens et même dans certains cas, comme pour le Maroc, une gestion directe par les sociétés d’auteurs françaises.

SiMone douek. — Merci, une autre question ?

Jean-pierre lang. — Je suis auteur compositeur, membre du Conseil d’administration de la Sacem et président d’honneur de l’Unac. Je voulais recentrer le débat sur l’urgence, comme l’a fait Sylvain [Lebel] tout à l’heure car aujourd’hui nous sommes confrontés à des problèmes d’une urgence formidable, qui touchent au droit d’auteur, à l’avenir même de nos métiers, et nous y sommes confron-tés au niveau européen.

J’ai beaucoup apprécié la description que Pascal Rogard a fait de nos interlocuteurs européens. Quand je dis nos interlocuteurs, je me trompe déjà puisque ce qui caractérise les personnes qui sont en face de nous, pour les auteurs que nous sommes, c’est qu’el-les nous ignorent. Nous n’avons pas été conviés aux préparations des recommandations, encore moins aux préparations des directi-ves. Nous n’avons été conviés à aucune communication, à aucune concertation.

Déjà ce fait devrait nous parler d’une manière extrêmement profonde. Il y a ce que j’appelle une copyright attitude, vous savez, on

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parle toujours de la rock’n roll attitude, et bien là, il y a la copyright atti-tude. C’est l’escamotage de l’auteur. L’auteur n’existe pas. Il n’a pas à donner son avis. Or, qu’est-ce que cette copyright attitude ? C’est quand on enlève les noms des auteurs des pochettes, quand on ne figure pas sur les génériques, c’est la copyright attitude. Quand on voit des fusions énormes se faire débouchant sur des millions d’œu-vres qui minimisent la part relative de chaque auteur qui devient un millionième, un dix-millionième de ce groupe, c’est de la copyright attitude. Lorsque l’on voit se développer d’immenses groupes qui sont des cartels, il faut bien le dire, il faut avoir le courage des mots aussi, c’est de la copyright attitude. C’est cette attitude, cet espèce d’enfermement, cet étouf-fement dans lequel se trouvent les auteurs qui doit cesser.

Je reprends l’invitation de Jacques Toubon, Pascal Rogard en a parlé aussi, c’est une invita-tion à laquelle il faut répondre vite. Il faut que les auteurs soient présents. David Ferguson nous a quittés il y a quelques minutes, je le regrette parce que sa présence est symbolique. Parce que l’ensemble des auteurs de musique européens est en train d’essayer de faire quelque chose avec des moyens extrêmement limités.

La France a une position politique, c’est impor-tant de faire de la politique. C’est important d’avoir une position claire dans le domaine du droit d’auteur mais c’est aussi important qu’il y ait une présence physique des auteurs qui puissent dire : « Nous avons notre position et cette position, nous entendons la défendre. »

Il y a la

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attitude ». C’est

l’escamotage

de l’auteur.

L’auteur n’existe

pas. Il n’a pas à

donner son avis.

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le Aujourd’hui il faut passer aux actes, nous avons peut-être trois semaines pour passer aux actes, comment pouvons-nous nous orga-niser d’une manière collective et je dirais consensuelle autour du sujet simple de l’existence de l’auteur face à l’Union européenne ? Il faut que le message soit fort, et qu’il soit, comme dit Pascal Rogard, spectaculaire, c’est-à-dire qu’il se donne en spectacle et qu’il montre que les auteurs existent.

Je ne voudrais pas que le droit d’auteur, par des arguties intellectuelles, finisse par être contesté. Je ne dis pas cela d’ailleurs contre Joëlle Farchy que je connais depuis longtemps. Je pense qu’il faut qu’il y ait des gens qui mènent une réflexion théorique sur le droit d’auteur. Mais nous ne sommes pas dans la théorie, nous sommes, comme le boulan-ger qui vend son pain chaque matin et qui fait son pain chaque matin.

Je demande : comment pouvons-nous aujourd’hui réunir toutes les bonnes volontés qui sont là, autour de tous les créateurs, pour faire savoir à l’Unesco bien entendu, mais à la Commission européenne avant tout, que nous existons et que nous entendons participer à toutes les décisions qui touchent à notre avenir, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui ?

SiMone douek. — Une réponse ou d’autres questions ?

réMy gruMbach. — Auteur réalisateur, je poursuis ce que disait Sylvain [Lebel] et ce que dit Jean-Pierre [Lang]. Je crois que le temps de la réflexion est terminé et je crois même que le temps de

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être contesté.

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la défense est terminé. Je voudrais savoir quels sont les vrais moyens de contre-attaque ?

SiMone douek. — Qui va répondre ? Le président de la Coalition pour la diversité culturelle peut-être…

paScal rogard. — Sur la copie privée, la contre-attaque a déjà commencé puisque le président Barroso est quand même alerté qu’il s’agit d’un sujet politique extrêmement sensible. Il a reçu de nombreuses lettres des plus grands créateurs européens qui se sont indignés de sa proposition de recommandation et, pour le moment, il a différé l’adoption d’une recommandation.

Il y a un film sur un monstre coréen qui vient de sortir sur les écrans. La recommandation de McGreevy ressemble un peu à ce monstre. Pour le moment elle est un peu rentrée dans l’eau mais elle va ressortir. Nous devons donc, premièrement, faire les interventions institutionnelles classiques, c’est ce que l’on appellerait le lobby clas-sique. Deuxièmement, il faut que les états membres se mobilisent, le gouvernement français s’est mobilisé, le ministre de la Culture en a parlé à un sommet européen. L’ambassadeur de France est très compétent sur ces questions audiovisuelles et ces questions de droit d’auteur. Ils se sont mobilisés. Nous devons impérativement, comme souvent en Europe, créer un axe franco-allemand sur cette question puisque la présidence de l’Union européenne va passer à l’Allemagne au début de l’année prochaine. L’ Allemagne est un des pays en Europe qui a un système de copie privée extrêmement développé, à la fois sur les appareils mais aussi sur les supports d’enregistrement.

Les autorités françaises au plus haut niveau s’impliqueront, j’espère que le président de la République s’impliquera aussi sur la question, comme il s’est impliqué sur la question de la diversité culturelle. On

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le doit faire passer le message à l’Europe qu’il y a plus de risques à poser cette question qu’à ne pas la poser. À un moment donné, si la pression s’organise, les hommes politiques reculent. La politique c’est un rapport de force et vous avez raison de le dire, il faut que les auteurs se mobilisent. Et si le 19, la Commission maintient — parce que ce n’est pas encore définitif — cette cérémonie de célébration de la diversité culturelle, nous devons la transformer en manifesta-tion de protestation et non pas uniquement en manifestation d’ap-probation. Il ne s’agit pas d’avoir une journée où les auteurs, les créateurs vont « cirer les pompes » de monsieur Barroso et de ses commissaires pour lui dire « c’est bien ce que vous avez fait ». Ces gens-là sont des libéraux. D’ailleurs Barroso c’est un troisième choix. C’est le choix de quelqu’un qui plaisait aux atlantistes. Il y avait d’autres candidats à la présidence. Des gens de haute culture, je parle en particulier du luxembourgeois, Jean-Claude Yuncker. Ceux qui étaient présents à Paris le savent, il avait fait un discours extra-ordinaire lors des assises de la diversité culturelle.

Aujourd’hui nous avons un environnement extraordinairement libéral. Nous devons lutter contre cet environnement en faisant comprendre que ce qu’ils sont en train de développer nuit à l’Eu-rope. Ce n’est pas un hasard si, dans un pays comme la France, il y a aussi eu le non au référendum. Tout simplement parce que l’Eu-rope ne propose pas des perspectives politiques attrayantes pour les citoyens qui la composent.

claude leMeSle. — J’abonde dans ton sens mon cher Rémy [Grumbach]. La contre-attaque, c’est que les créateurs fassent entendre leurs voix d’une façon ferme et virulente maintenant. Je prends l’exemple de ce qui s’est passé le 15 juin lorsque nous sommes allés à Bruxelles. Face à la direction de la concurrence de la Commission européenne, l’intervention de Robin Gibb des Bee-Gees a porté. On a vu les gens se troubler. L’intervention excel-

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lente de Jean-Pierre Lang, celle d’Yves Duteil, ce sont ces interven-tions qui tout de même ont contribué à déstabiliser et à lézarder un peu leurs certitudes.

De la même façon nos interventions, en septembre, devant la presse européenne ont porté. Je pense qu’il faut faire entendre la voix des créateurs auprès de ces instances. Je rappelais, en juin, devant la direction de la concurrence que l’année dernière à Bruxelles il y eut un sondage, la question posée aux belges était la suivante : Quel est pour vous le plus grand belge de tous les temps ? Réponse : Jacques Brel, un artiste, un auteur compositeur, devant le Roi Baudouin.

eMManuel de rengervé. — Je souhaitais revenir sur l’intervention de Joëlle Farchy. Vous nous avez expliqué que, selon vous, la défense des auteurs ne passait pas forcément par la défense du droit d’auteur. Pour des auteurs ou des juristes spécialisés en droit d’auteur, c’est une déclaration qui peut paraître surprenante. Il serait souhaita-ble que vous expliquiez votre point de vue. Vous dites cela et vous enchaînez en disant que, défendre les auteurs ou défendre la créa-tion, cela passe peut-être davantage par le droit social ou fiscal.

Quand on parle de droits d’auteur, on ne parle pas uniquement du régime s’appliquant aux œuvres, on parle aussi de la rémunération des créateurs par les droits d’auteur. C’est un problème de termi-nologie. « Droit d’auteur » c’est la matière juridique mais « droits d’auteur » c’est aussi le revenu de l’auteur. Quand vous dites que la défense des auteurs ne passe pas forcément par le droit d’auteur, qu’est-ce que vous visez exactement et que proposez-vous en matière sociale ou fiscale ?

Joëlle Farchy. — Je vois bien que j’ai dit quelque chose qui visible-ment n’est pas entendu. Je ne suis pas en train de dire qu’il faut remettre en question le droit d’auteur. Ce que je suis en train de

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le dire c’est que le droit d’auteur n’est pas le seul moyen d’aider à la création.

« Je me fiche du droit d’auteur », je l’assume parfaitement. Je sais bien qu’ici je suis assez marginale, mais j’assume l’idée. Ce qui m’in-téresse dans le droit d’auteur c’est lorsque le droit d’auteur défend les auteurs et la création. Je dis simplement que ce lien n’est pas toujours très clair. Je n’ai pas de choses à proposer, je n’ai pas une mallette clé en main « quel droit social pour les auteurs ». Je dis juste que, en ce qui concerne la rémunération des auteurs par exemple, il y a un certain nombre d’autres facteurs qui peuvent jouer, dont le droit fiscal, le droit social, le droit du travail, etc.

Je dis aussi que très souvent, par exemple dans le cinéma, ce que l’on nomme aujourd’hui droits d’auteur — c’était cela aussi que j’avais en tête — ce sont des rémunérations qui parfois n’ont plus rien à voir avec les principes originels du droit d’auteur.

Le principe originel du droit d’auteur est une rémunération propor-tionnelle qui n’est pas seulement un droit à rémunération, mais aussi un droit d’autoriser ou d’interdire. Très souvent, on a des rémunéra-tions qui sont purement forfaitaires. Dans le cinéma par exemple, on parle de droits d’auteur mais, dans la réalité, 90 % des contrats appliquent des minima garantis, et ensuite il n’y a plus rien, ce sont donc des contrats qui s’assimilent à un salaire. Nommez-les droits d’auteur si vous voulez, mais dans la réalité économique de leur fonctionnement, ce sont des formes de rémunération qui pour moi sont proches du salaire.

eMManuel de rengervé. — Pourtant ce ne sont que de simples avances ou à-valoir…

Joëlle Farchy. —…à-valoir jamais récupéré car jamais dépassé…

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eMManuel de rengervé. — Dans l’édition, il y a environ mille cinq cents auteurs professionnels (inscrits à l’Agessa) pour cinquante cinq mille livres publiés. Combien d’auteurs dont l’à-valoir est dépassé et qui touchent des droits au-delà de l’à-valoir versé ? Vous aurez un rapport qui sera quasiment le même que dans le cinéma. Cela ne démontre pas qu’il y aurait un détournement du droit d’auteur d’origine.

Joëlle Farchy. — Je n’ai pas parlé de détournement. Je dis que l’idée que le droit d’auteur est forcément proportionnel au succès est dans la réalité une chose qui n’est souvent pas réalisée. Souvent ce ne sont que des formes de rémunération qui ressemblent à des salai-res. Vous appelez cela droits d’auteur mais dans la réalité c’est très marginal.

Je voudrais revenir sur les formes de mutualisation. Je trouve que ces formes de mutualisation posent un vrai problème parce que vous n’avez plus le lien unique entre le créateur et son public. Par exemple, la loi sur le droit de prêt en bibliothèque pose vraiment un problème pour moi. Parce qu’en gros on fait financer ce système par des gens qui ne sont pas les utilisateurs de l’œuvre. Par ailleurs, on paye à des gens qui ne sont pas forcément les créateurs. J’ai l’impression que c’est quand même une façon d’envisager le droit d’auteur d’une manière un peu particulière. Mais après tout, si on veut dire que le droit d’auteur est un outil de redistribution publi-que, très bien. Mais ce n’est plus le droit d’auteur avec un auteur et un usage tel qu’il pouvait être défini au départ.

paScal rogard. — Non, mais attendez, madame. S’il y a au moins un truc que je connais un petit peu, c’est le cinéma.

Dans le cinéma, c’est extrêmement clair, à part deux ou trois socié-tés en France, on a affaire à des capitalistes sans capitaux. Donc,

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le ils prennent l’argent qui vient des autres, c’est-à-dire des chaînes de télévision, des distributeurs. Ils font des contrats de droits d’auteur avec des à-valoir et ils s’arrangent pour que les rémunéra-tions proportionnelles ne soient en réalité applicables qu’une fois l’œuvre amortie, pour une raison très simple, c’est que ce n’est pas leur propre argent, c’est l’argent qui vient de financements exté-rieurs. Mais dès qu’un film est un succès, et heureusement il n’y en a pas qu’un tous les 36 du mois, l’auteur bénéficie de rémunérations supplémentaires et dans certains cas, elles sont extraordinairement importantes.

En revanche si vous voulez dire qu’il y a énormément de produc-teurs qui ne rendent jamais de comptes aux auteurs, alors là vous avez raison.

SiMone douek. — Un mot d’Alain Absire et puis Jean-Marie Moreau.

alain abSire. — Juste un mot à propos du prêt en bibliothèque. Les sommes effectivement redistribuées pour la retraite complémen-taire, c’est entre 1 / 25 e et 1 / 30 e des sommes perçues. Je ne dis pas que c’est l’idéal. Enfin c’est mieux que rien.

Jean-Marie Moreau. — Auteur, membre du Snac*, je voulais juste répondre à Madame Farchy. Vous parlez de mutualisation des droits. Moi je parle pour la musique, particulièrement la chanson, en fait l’essentiel de nos droits correspond à une réalité, c’est-à-dire correspond vraiment aux passages de nos œuvres, à la diffusion de nos œuvres et à la vente de nos œuvres.

C’est bien pourquoi d’ailleurs la rémunération pour copie privée est quelque chose que l’on souhaite soutenir bien évidemment, mais dont nous sommes conscients qu’elle n’est qu’un ersatz du droit

* Président du Snac depuis mai 2007.

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d’auteur, une exception au droit d’auteur. On ne souhaite pas que tout se mutualise de cette manière.

Si l’on s’est battu contre la licence globale, c’est bien pour cela, c’est bien pour affirmer notre souhait que nos œuvres soient identifiées, qu’elles soient reconnues sur Internet et que l’on soit rémunéré pour chaque utilisation de nos œuvres. Donc, je vous assure que sur ce point en tout cas vous vous trompez. Le droit d’auteur reste pour nous la meilleure façon d’être rémunéré pour ce que nous faisons, pour notre travail de création.

SiMone douek. — Laurent Duvillier, après nous nous arrêterons.

laurent duvillier. — Pour répondre à Rémy Grumbach sur nos armes, notre défense… La Scam a aidé les syndicats de journalistes à faire procès aux Nouvelles d’Alsace. Il fallait faire interdire l’utilisa-tion non autorisée et non rémunérée des œuvres journalistiques sur Internet. On a gagné.

Depuis quinze jours nous sommes en procès avec Google en Belgique concernant des auteurs belges journalistes. Google envi-sage maintenant de négocier.

Voilà vos armes : la justice et la gestion collective.

SiMone douek. — Merci à tous. Malheureusement, malgré les mains que je vois encore se lever, je crois que l’on va être obligé de s’arrêter.

Jean-pierre Spièro. — Juste deux secondes. On appelle maintenant droits d’auteur n’importe quoi. On assimile des salaires à des droits d’auteur, uniquement pour ne pas payer de charges sociales, pour ne pas payer de cotisations retraite et autres, pour passer sous le

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le régime de l’Agessa. Si c’est à cela que vous faisiez allusion, Madame Farchy, c’est un détournement du droit d’auteur.

SiMone douek. — Merci beaucoup. On va se retrouver tout à l’heure, après la pause déjeuner.

La prochaine table ronde concernera la vie des auteurs. Merci.

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La vie des auteurs et l’évolution des techniques

Intervenants : Jean-Pierre Ancel (président de la 1 re ch. civ. de la Cour de Cassation), Yves Frémion (écrivain, président du CPE *), Victor Haïm (auteur de théâtre, comédien), Jean-Marie Moreau (auteur-compositeur, vice-président du Snac), Laurent Petitgirard (compositeur, chef d’orchestre, administrateur de la Sacem), Pierre Sirinelli (professeur des universités), Jean-Pierre Spièro (auteur-réalisateur, administrateur de la Sacem).

Modérateur : Youri (auteur-réalisateur, scénariste, auteur de théâtre, romancier, vice-président du Snac).

Le droit d’auteur est né pour permettre aux auteurs de vivre de

leur métier. Cette évidence est-elle encore bien comprise dans

notre société ? Nous sommes dans une culture numérique du

tout, tout de suite, prétendument gratuite dans le domaine cultu-

rel. Quel statut (social, sécurité sociale, fiscal) la société accep-

te-t-elle de donner aux auteurs pour qu’ils puissent exercer leur

métier et quelle est leur situation actuelle en France ? Quelle est

la conséquence de la société numérique sur la vie des auteurs ou

la survie de certains métiers d’auteur ? Internet peut-il constituer

pour les auteurs un moyen, une chance pour une « autoproduc-

tion » et une « autodistribution » de leurs œuvres afin de rencon-

trer le public ? Quelles sont les demandes et les propositions des

auteurs pour améliorer leurs conditions de vie professionnelle ?

MOdulE 314h30 / 16h30

* Yves Frémion n’est plus président du Conseil permanent des écrivains depuis octobre 2007.

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m youri. — J’espère que vous avez bien déjeuné, c’est très important pour le droit d’auteur.

Nous allons consacrer cette dernière table ronde à l’auteur face aux nouvelles techniques.

À côté de moi Laurent Petitgirard, Victor Haïm, Jean-Pierre Spièro, Jean-Marie Moreau, Yves Frémion et nos juristes Pierre Sirinelli et Jean-Pierre Ancel.

Nous allons commencer par le théâtre pour deux raisons : d’abord parce que le théâtre, nous le savons, est à l’origine du droit d’auteur tel que nous le concevons et tel que nous le défendons depuis Beaumarchais et, d’autre part, parce qu’il y a un ordre qui n’est pas tout à fait apparent mais c’est l’exposition aux risques de ces nouvel-les techniques. Le théâtre, pour le moment, est relativement à l’abri. Je passe la parole à Victor Haïm qui est comédien et auteur. Victor, tu es un auteur joué, ce qui est très important pour un auteur et ce qui n’est pas toujours le cas. Tu es un auteur couronné, mais es-tu un auteur heureux ?

victor haïM. — Je vais commencer par une information qui me semble essentielle.

Je suis venu ici par le métro.

Or, je pouvais soit prendre une bicyclette que quelqu’un voulait bien me prêter, soit une patinette (ceux qui me connaissent savent que j’ai beaucoup roulé en patinette), soit prendre un taxi, mais comme je vous l’ai dit je suis auteur dramatique (je voudrais aussi vous prier de ne pas mettre de virgule après « auteur »). Donc, les moyens ne manquaient pas pour me transporter dans cette immense maison

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où nous sommes si bien accueillis (je remercie le Snac mais aussi la Sacem).

Ce que je viens de dire sur les moyens de me transporter, qui fina-lement n’intéressent personne, c’est qu’il faut faire l’hypothèse suivante : imaginez que je ne sois pas attendu. Je veux dire, je me suis levé tôt et je n’aime pas cela. J’ai trouvé un moyen de locomo-tion, le temps est ce qu’il est mais il n’est pas si mauvais. Finalement c’est agréable de rencontrer des amis, des gens que je n’ai pas vus, pour certains, depuis vingt ans, vingt-cinq ans, c’est fou… Et quelqu’un me dirait : « Mais, vous n’êtes pas du tout attendu, on n’a pas besoin de vous, et encore moins que vous donniez votre opinion. »

Alors cette métaphore m’est inspirée par le sort fait aux auteurs dramatiques. Qui les réclame à cor et à cri ? Qui dit : Trouvez-nous des auteurs, il y a urgence ? C’est vraiment une question de vie ou de mort ? Qui ? Peu de gens. Et puis nous sommes français. Nous sommes des auteurs francophones.

Je ne peux pas oublier cette intervention d’un homme qui avait une grande responsabilité dans une institution de théâtre. Le repré-sentant d’une grande institution que je ne nommerai pas — parce qu’il n’est pas là, cela ferait un peu délation, enfin si vous voulez le rencontrer, c’est direct, on descend à Palais-Royal, c’est Place Colette — il avait dit dans un colloque, j’ai failli avoir une attaque : « Même quand une pièce allemande est complètement ratée, elle est quand même meilleure qu’une pièce écrite par un auteur français. » Je vous jure que c’est vrai, je n’invente pas.

Alors pour préparer mon intervention aujourd’hui, j’ai consulté quelques dossiers chez moi. Il y en a deux (de neuf centimètres d’épaisseur chacun) qui réunissent toutes les plaintes et tous les

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m gémissements que j’ai sécrétés depuis que j’écris pour le théâtre. C’est à faire pâlir un rabbin ashkénaze devant le Mur des lamenta-tions, à Jérusalem. Et moi, je suis allé devant le Mur. J’avais toujours peur que quelqu’un me tape sur l’épaule en me disant : « Vous aussi vous êtes auteur dramatique. »

Je voulais dire simplement que c’est terminé, je n’ai pas détruit le mur, il est toujours debout comme le veau d’or. Nous n’avons, nous, les auteurs dramatiques, pas de raisons de nous lamenter, de récriminer. C’est le théâtre qui va très mal et les raisons, tout le monde les connaît. Elles sont multifactorielles comme on dit. Lisez l’ouvrage édité par les EAT (Écrivains associés du théâtre) sur les raisons de ce mal. Toutes les raisons sont bonnes pour ne pas aller au théâtre… En plus, c’est très cher, tout le monde le dit.

Je continue à filer ma métaphore. Nous arrivons donc, en trotti-nette ou en taxi (peu importe), dans un château par des moyens de locomotion plus ou moins confortables. Cela s’appelle l’écriture. Le moyen de locomotion c’est l’écriture. Il y a ceux qui prennent la voiture de sport, ils vont très vite. Il y a les autres moyens, plus ou moins longs et pénibles. Nous avons des véhicules, c’est l’écri-ture. Mais nous avons aussi de bonnes routes et, pour moi, il y a d’abord évidemment la SACD fondée par Beaumarchais en 1777. On me dira c’est une autoroute à quatre voies, c’est du billard, certains détracteurs diront quand même que c’est une autoroute à péage, je rencontre beaucoup de gens qui disent : « Avec le pognon que vous nous piquez à la SACD, etc. » J’en ai marre d’entendre cette antienne, cela n’a aucun sens, ce n’est pas vrai. Cela n’a pas été toujours le cas, on n’a pas toujours eu une autoroute, on a eu des routes avec des ornières, des bosses, d’immenses ralentis-seurs et trop de sens interdits. Mais cela a changé. Pourquoi ? Nous avons changé de cantonniers, on a maintenant de bons cantonniers, après avoir eu quelques tenants de l’école buissonnière. C’est fini,

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on a une action culturelle, cela fait vingt ans que cela existe, elle est toujours entre la précarité et la fragilité, mais elle existe cette action culturelle.

On a aussi un radar géant. Il y a des radars il paraît sur les autorou-tes. Je ne sais pas, je n’ai jamais eu de voiture, mais il paraît qu’il y a des radars. Il y a un radar géant, ou plus modeste une baguette de sourcier, qui se nomme l’association Beaumarchais. Cela a été créé après 1985 et on vient maintenant de créer à la SACD un fonds de soutien au spectacle vivant. Tout cela c’est rue Ballu.

Alors là je mets le doigt sur une contradiction qui est ma contra-diction. Si on ne s’était pas plaint avec autant de force, est-ce que cela aurait évolué ? Bien sûr que non. Il faut continuer à se plaindre et à se battre, le mur est toujours debout, comme je l’ai dit tout à l’heure.

Concrètement parlant, vous savez qu’il y a plus de quarante mille auteurs à la SACD. Il n’y a pas quarante mille auteurs dramati-ques vous vous en doutez bien, mais il y a plusieurs répertoires : les metteurs en scène, les arts du cirque, les arts de la rue, les scéna-ristes, les réalisateurs de télé, de films, les auteurs de radio. Il n’y a pas vingt mille auteurs dramatiques. Il n’y a pas dix mille auteurs dramatiques. Qui est auteur dramatique ? Voilà la question qu’il faut se poser. Vaste question qui risque de fâcher. Qui est auteur dramatique ? Celui qui a écrit douze pièces et qui me dit : « Moi j’en suis à ma douzième pièce. » À qui je dis : « Où peut-on les voir ? » « Ah, eh ! bien. Elles ne sont pas jouées ! » C’est possible mais est-ce qu’il est auteur dramatique s’il n’a pas été joué ? C’est une question. Celui qui en a écrit deux, qui ont fait des triomphes mais qui n’écrit plus rien après un ou deux triomphes ? Celui qui en a écrit trois, publiées et jouées par des compagnies d’amateurs ?

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m Quand j’étais prof dans un cours privé de théâtre, le concours d’en-trée, c’était le chèque évidemment bien provisionné par les parents des élèves. Il y avait des jeunes qui passaient trois mois dans une classe et puis qui un jour partaient. L’un deux m’a dit : « Écoutez monsieur, vous êtes sympa, vous n’êtes pas en cause, mais le théâtre c’est chiant. Moi ce que je veux, c’est aller à Cannes sur le tapis rouge. » Je me souviens d’avoir dit méchamment, mais je le regrette, je regrette toujours quand je suis méchant, je lui avais dit : « Avec le talent que tu as, on ne va pas te déployer un tapis persan, ce sera plutôt un tapis percé. » Eh ! bien ces apprentis qui étaient décou-ragés par le fait que le théâtre était difficile, l’année suivante, je voyais leurs photos dans des annuaires du spectacle ! On voyait Robert Hirsch, on voyait Suzanne Flon, on voyait Philippe Noiret — pensons à lui — on voyait tout un tas d’acteurs et puis on voyait Isabelle Dugenoux et Pierre Trucmoche en photo, sachant parler l’anglais et monter à cheval. Ils s’étaient autoproclamés acteurs. Pourquoi n’aurais-je pas la liberté de souligner que certains écrivains qui font une pièce s’autoproclament auteurs ? Tout le monde veut et tout le monde dit pouvoir écrire une pièce. Je pourrais presque dire : « Que ceux qui ne l’ont jamais fait lèvent le doigt ! » Il n’y en aurait pas beaucoup. Tout le monde, du plus acharné au velléitaire, du passionné au dilettante, tous écrivent des pièces comme des fourmis qui transportent des poids cent fois plus lourds qu’elles. C’est respectable, il faut respecter celui qui écrit, tout en sachant que vivre du métier d’auteur dramatique, c’est devenu une gageure formidable.

Quand je dis formidable, c’est au sens étymologique du terme, c’est-à-dire « formis » du latin qui veut dire effrayant, qui fait peur. Car vivre c’est quoi ? Être au-dessus du Smic : treize mille euros par an. À la SACD qui regroupe quarante mille auteurs comme je l’ai dit, il y a dans le théâtre ou le spectacle vivant, combien d’auteurs qui vivent avec plus que le Smic ? Ils s’élevaient, en 2005, à quatre cent

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sept et il y a dix ans à deux cent soixante-cinq. Cela veut-il dire que le théâtre se porte mieux ?

Demandez aux directeurs de théâtre. Bien sûr ils vont dire et redire : « Les manuscrits que l’on reçoit sont nuls. » J’entends cela depuis cinquante ans. « C’est nul. » « Vous l’avez lu ? » « Non je n’ai pas eu le temps mais je vais le lire. » Car de même un spectateur qui va trois fois de suite au théâtre et qui s’y ennuie deux fois, est perdu presque ad vitam æternam pour le théâtre. Un directeur de théâtre qui lit dix textes et qui est déçu neuf fois se sent fondé à décréter qu’il n’y a pas d’auteurs.

C’est difficile de lire des pièces de théâtre. Il y a beaucoup de char-mants directeurs de théâtre qui me disent : « Moi, je ne sais pas lire, je ne me rends pas compte. »

Nous ne devons pas nous plaindre, parce que nous sommes quand même soutenus, nous sommes quand même aidés. La DMDTS — c’est la Direction de la musique, de la danse du théâtre et des spec-tacles au ministère de la Culture — lors de sa session de février 2006, a attribué quarante-sept subventions et trente-deux aides forfai-taires. Ces subventions concernent les auteurs, les traducteurs, les dramaturgies qui ne font pas appel uniquement au langage, l’aide à la première reprise et des aides d’encouragement qui se montent chacune à trois mille euros.

La question primordiale qui se pose est la suivante. Pourquoi quand on additionne les avis favorables sur une pièce, ceux de la SACD, de l’association Beaumarchais dirigée par Paul Tabet, du comité de lecture des EAT, du théâtre du Rond-Point, de gens comme Lucien Attoun de « Théâtre ouvert », une pièce qui recueille un tel faisceau d’avis favorables n’est-elle pas montée ? C’est que nous avons des directeurs, quel que soit le statut de leurs entreprises publiques ou

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m privées, qui sont des quasi délinquants, tellement ils ne font pas leur travail. Surtout si l’on apprend ensuite que n’importe quelle vedette médiatisée (c’est un peu un pléonasme « vedette médiatisée », par définition une vedette est médiatisée) va amener lesdits directeurs à trouver tout à fait acceptables des navets qui vont bourrer les salles de « téléspectateurs », parce que ce sont des vedettes de la télévision qui décident d’écrire ou bien de jouer. Ils aiment le théâtre comme moi j’aime la langue de porc. C’est terrible. On a affaire à ces gens et c’est le droit des directeurs de dire : « Je veux untel ou untel qui passe à TF1 ou sur France 2 pour remplir mon théâtre. »

Ce que l’on a oublié, c’est que toute une frange de public potentiel ne trouve plus son plaisir dans les pantalonnades que l’on nous sert ou dans des spectacles — là je parle du théâtre public — qui finissant vers minuit et demi quand ils commencent à 7 heures, obligent des spectateurs à se coucher à près de 2 heures du matin alors que leur réveil va sonner à 6 heures. Personnellement je ne tiens pas le coup avec de tels horaires.

Dans un bilan, il y a du positif et du négatif. Là je suis un peu négatif, mais où est le positif ? Moralement parlant, la création en 2000 des Écrivains associés du théâtre a été une révolution. À quelques-uns qui en sont adhérents, je dis, sans le moins du monde prétendre donner des leçons : « Arrêtez de penser que les EAT vont monter vos pièces. » Je leur dis aussi : « Sans les EAT, vous risquez de devenir de gros consommateurs de Temesta, de Lexomyl et de Prozac. » Je prends les trois en même temps, c’est pour cela que je suis toujours un peu énervé. Mais rien n’est pire, socialement, que la solitude. Et pourtant rien ne se crée en art sans solitude. Ce n’est pas un para-doxe, c’est la réalité.

Le théâtre a son écriture spécifique. Il faut apprendre. Je suis auteur dramatique, vraiment je ne fais que cela. Vous pouvez « cliquer »

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sur mon nom pour en avoir la preuve. Je n’ai pas d’ordinateur, je n’ai rien du tout. J’écris avec un stylo à bille. Je n’ai rien, mais il paraît que quand on clique sur mon nom, on voit que je suis auteur dramatique. Eh bien ! J’en suis fier !

Les gens qui vous parlent avec condescendance vous disent : « Tu es auteur de théâtre, il faut faire autre chose. Il y a la télé, ses débouchés. Il y a les DVD, les satellites », tous ces truchements qui devraient nous faire rouler sur l’or, nous, auteurs de théâtre. Moi je dis : pas de magie technologique pour améliorer notre sort. Si nous vivons dans la passion, nous en bavons. C’est tout à fait romanti-que, voire pour les plus pointus politiquement, c’est réactionnaire de dire cela.

Quand un amateur de tableaux de maître dira : « C’est pas mal La Ronde de nuit. Rembrandt il se défend, mais bon les soldats dans La Ronde de nuit, ils font semblant d’avancer, trouvons une techni-que pour qu’ils avancent vraiment et que l’on entende leurs chants comme les chœurs de l’armée rouge. » Là il y aura un progrès tech-nologique. Moi, je m’en fous de ce progrès technologique. Moi c’est un texte, des acteurs et puis un décor. Il y a aussi des metteurs en scène avec qui l’on peut s’entendre. Cela arrive.

Après un succès, disons en 1998, croyez-vous qu’un auteur va avoir un succès forcément en 1999 ? Vous savez ce qui m’est arrivé en 2003 ? J’ai eu le Molière du meilleur auteur vivant francophone. Vous vous rendez compte ! J’étais très content et tout le monde m’a téléphoné pour me dire : « Dis donc ! Tu as des demandes mainte-nant, tu vas voir les directeurs de théâtre ! » Il n’y a pas eu un appel. Ils s’en contrefoutent. Qu’ils fassent un autre métier en attendant, voilà ce qu’il faut dire aux auteurs.

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m Regardez le cas des acteurs, il y en a peut-être dans la salle, ils sont heureux de faire de la synchro pour des raisons économiques, et plutôt insatisfaits pour des raisons artistiques. À cet égard, c’est très édifiant quand on rencontre des acteurs qui font de la synchro. Ils sont contents, ils gagnent de l’argent. Mais ils vous disent toujours : « Quand pourrai-je jouer une pièce, quand pourrai-je monter sur une scène ? »

Des pièces, il y en a que l’on peut réussir, d’autres que l’on peut rater. Il n’y a pas de CAP d’auteur dramatique. Si vous avez un CAP d’ébéniste, vous réussissez une table, vous avez des chances de réussir toutes les tables que vous faites ; auteur dramatique, non. Je parle en expert : vous avez des succès, voire des triomphes, mais vous avez des bides… mais des bides à vous arracher la peau du ventre.

Il n’y aucune prétention dans ce propos et il n’y a pas d’auto-flagel-lation, on se moque beaucoup de mon sens de l’auto-flagellation. Non je suis heureux, c’est de la lucidité. Réussir une pièce dans sa forme, vous vous rendez compte de ce que c’est, le sujet, la construc-tion, le langage, le ton. Vous y réfléchissez pendant trois ans, vous mettez un an à l’écrire, vous mettez deux ans à prospecter, vous mettez trois ans à ce qu’un directeur de théâtre ait sa salle libre et que l’acteur qui voulait la jouer soit disponible en même temps. Cela tient du miracle. Sans compter que des acteurs qui pourtant trouvent votre pièce très belle, très bien écrite, très intéressante, tremblent dans leur culotte à l’idée de décevoir leur public. C’est très français cela.

La symbiose de tous ces éléments, croyez-moi, c’est plus difficile que d’ouvrir un cinéma porno à Téhéran. Il faut que vous le sachiez.

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C’est une passion, si l’on veut écrire pour le théâtre. Il y a ici des gens témoins de mes tout débuts. J’avais des cheveux, je n’avais pas de lunettes et pas de ventre. J’étais beau et jeune, beau, enfin j’exa-gère un peu ! Mais en tous cas, ces gens m’ont vu me battre et ce n’est pas la technologie qui m’a changé la vie.

On a toujours parlé de crise du théâtre, j’ai retrouvé dans mes archi-ves un article de Pierre Marcabru, je ne vous dis pas la date, je vous la dirai après. « Un théâtre vide, voilà le symbole de demain. » Vous vous souvenez de lui, il était critique au Figaro. C’était en 1954, quelques-uns étaient encore une lueur dans le regard de leur père, d’autres étaient nés quand même, selon l’âge.

À la bibliothèque Jean Matthyssens, rue Ballu, à la SACD, vous trou-verez toutes les annonces de mort subite ou lente que l’on profère dès qu’il s’agit du théâtre. On dit que le théâtre est mort depuis 100 ans. Et après ? Tristan Bernard disait : « Au théâtre personne n’a moins d’importance que l’auteur, c’est la cinquième roue de la char-rette. » Il y a une trentaine d’auteurs aujourd’hui en France qui, socialement, économiquement, artistiquement, peuvent revendiquer le titre envié d’auteur dramatique.

Ne soyez pas angoissés par mes propos. Si vous êtes auteur, vous écrirez. Si vous êtes joué, vous pouvez changer de trottoir quand vous me croise-rez en riant de mon pessimisme et en vous gaus-sant de ma sincérité et de ma lucidité. Le pivot, la clé de voûte, la pierre de touche du théâtre, c’est encore l’auteur, j’en ai la conviction. La technique vous aidera-t-elle ? Non. Si votre pièce est ambi-tieuse et novatrice, croyez-moi, vous aurez autant

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du théâtre,

c’est encore

l’auteur, j’en ai

la conviction.

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m de mal à la placer que vous en avez à essayer de caser des scénarios dans les chaînes. Voilà, c’est pareil.

Note optimiste, il y a une vingtaine d’années Michel Vinaver était venu rue Ballu. Michel Vinaver, vous le connaissez, moi je l’admire. C’est un auteur considérable. Il avait demandé à la SACD de faire revivre l’édition, et pour cela, il nous demandait un effort finan-cier. Je ne sais pas si ce n’était pas Youri qui était président à cette époque de la SACD.

youri. — Je n’aurais pas refusé.

victor haïM. — Oui. Il y a eu un vote. Tu sais comment c’est démo-cratique. Le vote a dit non, on ne va pas encore se priver d’une petite parcelle de nos droits d’auteur pour aider l’édition. Il n’y avait pour ainsi dire pas d’édition théâtrale à ce moment, en 1985. Maintenant il y a beaucoup d’édition théâtrale. Vinaver on ne l’a pas suivi. Il y a des éditeurs maintenant en très grand nombre, mais aussi des organisations qui peuvent discuter avec eux, je pense au CPE (Conseil permanent des écrivains). Donc nos œuvres peuvent circuler en 2006.

Cela dit, les grands ténors des centres dramatiques continueront à ne pas accuser réception de nos envois parce qu’ils disent : « Mais attendez, moi je suis metteur en scène dans mon centre drama-tique. Vous reconnaissez à la SACD qu’un metteur en scène c’est un auteur. Vous, vous êtes auteur, vous accepteriez que l’on vous dise : “ Écris une pièce comme cela avec deux nanas, trois mecs, un loubard, un beur, etc. ” Tu n’accepterais pas, tu écris ce que tu as envie d’écrire. » Alors les metteurs en scène disent : « J’ai envie de monter ce que j’ai envie de monter. » S’ils ne montent que du Molière, on est furieux, ils ne respectent pas les cahiers des charges. Ou alors ils biaisent, ils vous montent un 15 août à minuit dans une

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petite salle de quatorze places. Ils font ce qu’ils veulent, ils nous blousent et ils continueront. Pourquoi ? Parce que le ministère de la Culture est très impressionné par ces gens-là. Ils ont le verbe haut, ils ont le pouvoir, ce sont des grands metteurs en scène.

En conclusion, vous savez ce que nous sommes ? Nous sommes le Sisyphe d’aujourd’hui dont Albert Camus décrit l’inutile tâche qui consiste à rouler sans cesse son rocher vers le sommet. Et ce rocher redescend bien sûr. Alors Sisyphe recommence. Mais Camus ajoute à la fin de son livre, de son essai plutôt : « Il faut s’imaginer Sisyphe heureux. »

Pour finir, je crois que les conditions inhérentes à notre position sociale sont au regard de certains pays francophones, dont j’ai rencontré quelques auteurs, quasiment privilégiés.

Mince consolation que de dire qu’il y a plus mal lotis que nous. Pensons pourtant que nous sommes encore libres d’écrire. Cela ne va peut-être pas durer, mais pour l’instant nous sommes libres d’écrire ce que nous avons envie d’écrire. Les pièces de théâtre sont « comme les enfants des femmes : conçues avec volupté, menées à terme avec fatigue et enfantées avec douleur. »

youri. — Merci. Avant de passer la parole à Yves Frémion, je voudrais rappeler que les aides que tu as évoquées, aussi bien de Beaumarchais que de l’édition, dépendent en grande partie de la copie privée qui nous pose un tel problème actuellement. Si les nouvelles techniques pour l’instant n’apportent pas grand chose au théâtre, qu’en est-il dans le monde de l’édition ? Yves Frémion, écrivain, président du Conseil permanent des écrivains et homme politique, nous confirmera que le livre est déjà confronté à cette évolution.

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n yveS FréMion. — Le Conseil permanent des écrivains s’appelle main-tenant le Conseil permanent des écrivains illustrateurs et auteurs de livres parce qu’il me semble que ceux qui dessinent, notamment dans les livres, sont les éternels oubliés de tous les ministères et aussi de tous les débats.

Je n’ai pas préparé une intervention. J’ai juste noté quelques idées que je ne voulais pas que l’on passe sous silence dans ce colloque.

La première : un téléchargement n’est pas un livre. Un télécharge-ment c’est une copie d’un contenu, la copie d’une œuvre. Cette œuvre, il faut le rappeler, est le fruit d’une élaboration longue et difficile, elle est le fruit d’un travail. Et comme pour tout travail, il doit y avoir une rémunération. Quand on accède à une œuvre sans payer pour cela, on augmente son revenu d’une dépense que l’on n’a pas faite. Mais en même temps, on diminue le revenu de quelqu’un qui, lui, aurait dû toucher cette rémunération. La licence globale encourage le vol d’un travailleur.

À propos du droit d’auteur, on se posait beaucoup de questions ce matin sur ce qu’il était et à quoi il servait. Les auteurs ne sont pas forcément contre l’utilisation d’une partie de leurs droits sans rému-nération, à condition que ce soit eux qui en décident. On n’impose pas, par voie législative, à un boulanger de garder une partie de sa production de pains au chocolat gratuitement pour les pauvres. On n’exige pas des enseignants d’enseigner bénévolement une partie de leur temps.

Deuxième idée : le droit d’auteur est un droit. Cela paraît bizarre de devoir le rappeler mais beaucoup de gens semblent oublier que le droit d’auteur est un droit. Il se décompose en deux éléments essen-tiels : le droit moral (respect de l’œuvre et du nom de l’auteur) et un droit à rémunération pour l’utilisation du travail. Cela arrange

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souvent nos adversaires d’oublier une des deux parties. C’est un droit, ce n’est pas un dispositif administratif. Le législateur (ou le Parlement européen) peut essayer d’utiliser le droit d’auteur pour résoudre des problèmes sociaux ou de société qui ne sont pas résolus autrement.

Troisième idée : pendant que l’on amuse la galerie avec tous ces débats sur les nouvelles technologies, sur la nouvelle idéologie, sur le droit d’auteur comme un obstacle, la dégradation de la situa-tion des auteurs s’est considérablement accélérée depuis dix ou vingt ans. La rémunération des auteurs s’est effondrée en vingt ans. Les à-valoir en moyenne ne cessent de diminuer. Quelques stars ont de gros à-valoir mais en contrepartie il faudra sous-payer cent auteurs. Les pourcentages diminuent. Je ne sais pas combien il y a encore d’écrivains dans cette salle qui touchent réellement 10 % quand ils font un roman ou un essai ? Alors qu’il y a vingt ans, on touchait 10 % du prix de vente de nos livres.

Le marché est « bouffé » par les faux livres qui prennent la place des livres des auteurs dans les librairies, sur les étals. Et je ne parle pas des médias et de la critique. On parle de concurrence faussée. J’aimerais moi aussi parler de concurrence faussée pour nous de temps en temps…

J’étais hier au salon du livre jeunesse de Montreuil. Paradoxalement, on parle d’une embellie de l’édition. On dit : « Formidable, le secteur jeunesse a monté de 17 % depuis l’année dernière. » Et quand les rémunérations des auteurs et illustrateurs jeunesse montent-elles de 17 % ? Quand il y a une embellie, elle ne profite pas aux créateurs.

Formidable, l’arrivée des nouvelles technologies, c’est-à-dire les nouveaux supports sur lesquels nos œuvres vont pouvoir être communiquées à notre public ! Plus il y a de supports pour les

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n œuvres, plus on est content. Plus il y a de gens qui lisent notre œuvre et payent pour cela, plus on est satisfait. Les nouvelles technologies auraient dû résoudre beaucoup de problèmes, en multipliant les supports sur lesquels paraissent nos œuvres, elles pourraient nous permettre enfin de vivre dignement de notre métier. Mais le profit de ces nouveaux supports échappe complètement aux auteurs et très peu d’auteurs peuvent dire que, grâce aux technologies, grâce aux nouveaux supports, leur vie a changé.

J’ai constaté la précarité généralisée de la profession d’auteur. Je voudrais expliquer que, quand on pille une œuvre, on vole un auteur c’est sûr, mais on vole surtout un pauvre. Si vous avez encore des amis que la politique ou les médias aurait amenés à prendre telle ou telle position sur des problèmes récents, dites-leur bien

qu’ils ont encouragé le fait que l’on puisse voler les pauvres. Vous allez vous tailler un certain succès.

Quatrième idée : une nouvelle idéologie, celle de la gratuité. On dit : « Internet a tout changé », « C’est un changement culturel », « Il faut s’y préparer », « Il faut le devancer », « Il faut y répondre ». Conclusion : le droit d’auteur c’est un vieux truc du xviii e siècle. L’idée, sympathique en apparence, c’est la gratuité. L’idéologie de la gratuité, c’est « vachement » intéressant. Personnellement, politiquement, je suis très en faveur de l’idéo-logie de la gratuité : je suis pour prendre les transports en commun gratuitement, je suis pour que tous les produits des boulangeries et des supermarchés soient gratuits. Je suis pour que tout soit gratuit. Quand tout cela

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surtout un pauvre.

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sera gratuit, je vous le jure, je le promets devant vous, je serai pour que mes livres aussi soient gratuits. Avant, j’ai du mal avec cette idéologie variable.

Qu’est-ce que cette gratuité dans un monde qui lui, ne cesse d’être marchand ? Tout ce qui était gratuit quand j’étais jeune encore (je ne suis pas si vieux), ne l’est plus. L’eau était gratuite. Le paysage était gratuit. L’accès à la nature était gratuit.

On nous a déjà fait le coup de la gratuité dans le passé. Prenons un exemple dans la bande dessinée américaine underground. Ceux qui en faisaient partie avaient dit : « Nous, on veut l’accès gratuit à nos œuvres », free copyright. Cela a été formidable pendant quel-ques années, les journaux du monde entier reproduisaient leurs œuvres, sans payer, mais avec leur autorisation de le faire. Le droit moral dont ils ne bénéficient pas aux États-Unis était quand même respecté. Puis au bout de quelques années, Balantine Books a mis « copyright Balantine Books » et a commencé à faire des procès dans le monde entier à tous ceux qui reprenaient ses œuvres. Fini la gratuité et l’underground !

On nous a fait le coup aussi en France avec les radios libres. Au début, liberté et gratuité, l’accès à tout le monde en vigueur, puis rapidement, les marchands sont arrivés. Ils ont commencé à mettre de la pub dans toutes les radios libres. Aujourd’hui il n’y a plus vraiment de radios indépendantes importantes en France qui ne dépendent pas de la publicité. L’idéologie de l’accès gratuit n’est pas une idéologie nouvelle, née avec Internet, c’est une régression, un balbutiement de l’histoire.

Il y a des gens qui aimeraient bien refaire la Restauration, en matière de droit d’auteur. Le droit d’auteur est une chose moderne qui est née de la révolution politique des esprits. Il y a pourtant des gens

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n qui aimeraient revenir au temps où les auteurs n’existaient quasi-ment pas. Des gens à qui l’on pouvait dire : « Mon brave, laissez votre manuscrit, on vous écrira. » Des gens qui veulent utiliser une œuvre musicale, audiovisuelle ou autre, la faire circuler mais n’avoir jamais à rémunérer son auteur. Cette vision est en fait une vision ultralibérale.

Contrairement à ce que pensent beaucoup d’internautes qui disent : « Avec le téléchargement gratuit, on va “niquer” les majors compa-gnies », c’est le contraire qui se passera. Les majors ont toujours rêvé, comme de bonnes entreprises capitalistes, de réduire au silence les auteurs et de piller leurs œuvres. Si le droit d’auteur était écarté, le droit marchand le remplacerait.

C’est que cette idéologie a conquis aussi bien à droite qu’à gauche et on l’entend surtout, c’est terrible, dans la bouche des jeunes parce qu’ils sont internautes et qu’ils n’ont pas de fric. On me dit : « Bien sûr, tu as raison, mais quand même, c’est formidable Internet, on peut mettre nos œuvres en ligne, dans le monde entier, on va lire nos ouvrages, écouter nos musiques, voir nos images, etc. c’est formidable cette communication. » Bien sûr, mais cela a toujours existé, les poètes ont toujours déclamé dans les bistrots, le slam n’a rien inventé. On peut à tout moment communiquer tout ce que l’on veut aux gens. Si vous voulez écrire une œuvre sous forme de tract et la distribuer dans les boites aux lettres, vous pouvez. Donc ce n’est pas tellement une chose nouvelle. Cela ne fait pas de vous un écrivain.

Nous essayons de vivre de notre métier sinon on n’existe pas dans la société. On reste un joyeux amateur.

Ma dernière réflexion concernera le fait que le droit d’auteur est perçu comme un obstacle à la liberté du commerce, à la liberté de

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la culture. Je pense que c’est surtout un obstacle à une vision libé-rale, ultralibérale de la société. Je souhaite vraiment que l’on s’or-ganise de la façon la plus efficace possible pour continuer à faire obstacle à cet ultralibéralisme dont ils pensent que nous sommes le principal obstacle.

Merci de continuer à faire obstacle…

youri. — Merci Yves Frémion.

Jean-Pierre Spièro, auteur, réalisateur et administrateur Sacem. Bien entendu l’image se trouve au cœur du numérique. Alors quels sont les défis d’aujourd’hui pour toi ?

Jean-pierre Spièro. — L’image existait déjà avant le numérique et certains auteurs, que vous connaissez peut-être comme Méliès, étaient déjà des plus inventifs. Depuis, cela a énormément évolué. Est arrivé le cinéma, est arrivée la télévision et puis aujourd’hui arrive ce que l’on appelle la révolution numérique.

L’image, parlons-en. On a beaucoup parlé de textes aujourd’hui, on a beaucoup parlé de musique, on a très peu parlé d’images. L’image représente dans les expressions créatives quelque chose d’absolu-ment essentiel. Je ne vais pas prêcher pour ma paroisse car je suis là en tant que défenseur de tous les auteurs.

Si je vous parle de l’image, c’est que les nouvelles technologies ont suscité des vocations que vous ne pouvez pas imaginer. Un môme de deux ou trois ans sait déjà manipuler une souris, à cinq ans il est capable de monter un blog et de commencer à y mettre des photos, à écrire des textes. Il s’amuse avec son téléphone à faire des vidéos, et pourquoi pas une vidéo très créative ? Est-ce qu’à sept ans, il ne va pas être un prodige comme le sont certains musiciens, comme

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ro le sont certains comédiens à la vocation précoce ? Est-ce qu’il ne va pas être l’auteur polymorphe ? Je ne l’appelle pas auteur audio-visuel, cela dépasse l’audiovisuel. Il va être auteur de ses images, de sa musique, de ses textes.

C’est un petit prodige. Il a des idées et on lui a offert un instrument électronique lui permettant de composer et de jouer de la musique sur son ordinateur, de l’écrire et de l’enregistrer. Des logiciels vont lui permettre d’être un graphiste totalement créatif. D’un coup à sept ans, il va nous pondre une œuvre d’une inventivité, d’une créa-tivité que personne ne peut imaginer. Tout cela grâce à la révolu-tion numérique, grâce aux nouvelles technologies. Elles ne sont que des moyens d’écriture comme un pinceau et une palette sont des moyens pour un peintre de s’exprimer, mais là, d’un coup, on donne les moyens de s’exprimer quasiment à la totalité des sens.

Je ne caricature absolument pas quand je vous dis cela. Les nouvel-les technologies, que nous considérons comme nouvelles sont pour nos enfants et nos petits enfants des choses qui leur sont aussi, voire plus, quotidiennes que le fait d’écrire avec des fautes d’ortho-graphe, que le fait d’essayer de compter ou d’essayer de conjuguer un verbe. Cela fait partie de leur culture, je dirais que maintenant c’est presque dans leurs gènes. Une forme de mutation…

Du moment qu’ils ont ces moyens de s’exprimer, pourquoi ne s’en serviraient-ils pas ? Sont-ils pour autant des auteurs ? Peut-être pas tous mais cela va encourager les vocations de certains vers les métiers de la création qui sont liés à ce numérique.

Ces jeunes dont je vous parle sont créateurs mais ils sont aussi et surtout consommateurs. C’est-à-dire que tout ce que ces nouvelles technologies vont leur permettre de faire, ils vont le consommer. Ils créent et ils consomment.

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On en a fait des consommateurs, on leur a donné l’habitude de consommer. Je reviens du Mipcom, tout ce que j’ai entendu, du gros producteur hollywoodien jusqu’au patron de chez Orange, tous tiennent le même discours, le producteur d’une superproduc-tion comme le producteur d’une minute trente sur votre téléphone. Quelle est leur définition du consommateur ? Le consommateur c’est qui ? C’est quelqu’un qui dit : « Je veux avoir ce que je veux, quand je veux, où je veux. »

Ce que je veux… on va me proposer en tant que consommateur une variété de formes et de choses qui s’adapteront à mon goût. Cela veut dire que l’auteur, dès le départ, va être pris dans une sorte de carcan. On va lui dire : « Mon vieux, t’es créatif, mais il faut que tu sois créatif dans les formats définis par le consommateur. » Il faut être créatif dans une superproduction à X milliards d’euros, produite par un studio d’Hollywood avec des effets spéciaux et il faut en même temps être créatif pour faire une minute trente chez Orange.

Quand je veux… c’est la consommation immédiate à la demande. N’importe qui veut, à n’importe quel moment, pouvoir accéder à ce qu’il veut.

Pour une fois, je voudrais essayer d’être optimiste, même si je pense qu’actuellement c’est un énorme foutoir. Les producteurs essayent de caser tout ce qu’ils ont en le coupant en morceaux ou en le remontant autrement, pour se mettre à la hauteur de ces nouveaux supports de production, mais aussi de diffusion, on appelle cela le multiplateforme.

C’est-à-dire qu’avec un ordinateur, un poste de télé, une gameboy, un agenda électronique, vous allez pouvoir regarder la télé, aller sur

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ro Internet, écrire et recevoir des mails, enregistrer de la vidéo, faire du montage vidéo. Ce n’est pas de la science-fiction.

Trente-six sortes d’outils vous permettent de tout faire.

Il est bien certain que pour une même œuvre, on va se retrouver avec différentes formes de plateformes de diffusion et aucune de ces plateformes n’a la même législation sur les droits d’auteur. Si vous êtes diffusé à la télé ou à la radio, vous avez une forme de droits d’auteur. Si vous êtes diffusé, actuellement, sur Orange, il n’y a pas de droits d’auteur. On est en train de discuter avec eux mais pour le moment ils vous disent : « C’est gratuit pour les abonnés. Je ne vais pas vous payer des droits d’auteur. » Ce qu’ils oublient de dire, c’est que l’accès aux tuyaux dans lesquels vous passez, ils le font payer un maximum. Ils refusent de reconnaître que, s’il n’y avait pas d’œuvres et d’auteurs, il n’y aurait rien dans les tuyaux.

Vous voyez la complexité des choses. Qui dit nouvelle technologie dit nouvelle économie, y compris pour les auteurs, c’est évident.

Il va apparaître quelque chose dont Jean-Marie [Moreau] nous parlera plus en détail tout à l’heure et dont le mot n’a pas encore été prononcé, le buy out. Au lieu de vous verser des droits d’auteur proportionnels, on vous achète forfaitairement votre œuvre. Les nouveaux auteurs sont formés aux nouvelles technologies et à la création. Ils sont super-productifs. Ils savent se servir de toutes les formes de logiciels qui ne coûtent pas cher. On leur dit : « Écoute Coco, je vais te filer cinquante mille balles par mois — excusez-moi de ne pas parler en euros. Tu viens, tu fais ce que je

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dit nouvelle

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les auteurs,

c’est évident.

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te demande, tu ne t’occupes pas des droits d’auteur mais tu prends ton salaire, Coco, et réjouis-toi, tu vas avoir une vie heureuse. »

Mettez-vous à la place des mômes qui n’ont pas de pognon. Ils ont fait des études, on leur propose cinquante mille balles par mois, alors qu’ils sont payés chez McDo je ne sais pas combien mais une misère, pour travailler entre deux cours, donc ils acceptent.

Actuellement les gens qui bossent pour le jeu vidéo ne sont pas considérés comme des auteurs, ce sont des salariés.

Beaucoup de nos amis auteurs se sont présentés pour bosser dans les boîtes de jeux vidéo : graphistes ou musiciens. On leur a dit : « Ne faites surtout pas partie d’une société d’auteurs, vous voyez la porte, elle est là. » Certains ont eu le courage de dire : « Je fais partie d’une société de gestion de droits d’auteur. » Ils sont allés voir ailleurs, même s’ils n’avaient pas d’autres moyens de survie. Certains auteurs qui avaient signé des apports de gestion à leur société de gestion collective ont dit : « Moi, la Sacem, je ne connais pas. » Ils sont allés travailler là. Certains en sont déjà revenus. Cela vous paraît caricatural mais cela se développe chez les jeunes auteurs.

Pourquoi est-ce dangereux ? Parce que ces jeunes auteurs, ce sont les auteurs d’aujourd’hui et de demain. Ils vont créer des œuvres qui vont avoir un statut juridique différent.

Aujourd’hui, on cherche l’efficacité la moins chère et la plus courte. Les nouvelles générations sont des générations du zapping, du super zapping. La vie doit être rapide, un plan doit durer une seconde, si cela dure une seconde trente ou deux secondes, c’est « emmerdant ».

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au Quand j’entends Victor Haïm décrire l’état de son secteur, je me dis que c’est absolument épatant. Mais j’ai bien peur pour l’avenir de l’œuvre de Victor Haïm… comme pour celle de Victor… Hugo (pour rester dans les Victor).

youri. — Jean-Marie Moreau, vice-président du Snac et respon-sable des variétés, pourrait maintenant nous parler de l’influence des nouvelles techniques dans son secteur et pour les auteurs de chansons.

Jean-Marie Moreau. — On vient de parler d’auteurs classiques, d’auteurs numériques, d’auteurs pointe bic… rassurez-vous, je ne vous parlerai pas d’auteurs alcooliques ! J’ai choisi de vous parler des sirènes, celles qui veulent séduire les utilisateurs de musique et les consommateurs et qui sont de plus en plus nombreuses… Ces mêmes sirènes qui tournent autour des créateurs pour les détourner du droit d’auteur et de la gestion collective…

Ces sirènes sont plus ou moins sexy et elles sont plus ou moins anciennes. Jean-Pierre Spièro a parlé du buy out. Je crois qu’il a tout dit, ce n’est pas la peine d’en rajouter car ce n’est pas un phénomène nouveau. Le buy out, c’est une vieille sirène. Elle a quelques heures de natation, mais elle a encore de quoi séduire parce qu’effective-ment il y a beaucoup de jeunes auteurs qui se laissent prendre dans ses filets. Ils signent des contrats contre un chèque qui peut paraî-tre alléchant et abandonnent ainsi leurs droits ad vitam aeternam. Ils risquent de s’en mordre les doigts par la suite si leur musique fait le tour du monde à travers un jeu vidéo ou un autre support.

Il y a une sirène un peu plus jeune dont on a parlé ce matin, celle des creative commons, les licences libres. Je ne vais pas rentrer dans le détail de ces licences et de leurs déclinaisons parce que je crois qu’il y a onze déclinaisons possibles et que c’est assez complexe.

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En principe ces licences s’adressent à des auteurs qui n’ont pas fait acte d’adhésion à une société de gestion collective sinon ils seraient en contradiction avec leur société. Ce sont des auteurs qui, dans un premier temps du moins, ne souhaitent pas tirer de leurs droits d’auteur des revenus professionnels. Ces licences prétendent à travers toutes leurs déclinaisons être capables de répondre aux différentes attentes des créateurs. Par exemple, il est possible de faire une réserve pour toute utilisation commerciale d’une œuvre bien qu’elle soit copiable et modifiable à l’envi sur le Web… C’est une autre sirène, elle tente de détourner l’auteur du droit d’auteur tel qu’on le défend dans l’Europe latine.

La plus sexy des sirènes est celle qui se manifeste sur les sites communautaires, là c’est carrément streets of love, c’est free of charge ! Il s’agit d’un phénomène sociologique important qui nous dépasse totalement. Pour ne citer qu’un exemple je parlerai de myspace.com. Mais demain ce sera peut-être un autre site communautaire qui prendra le pas sur les précédents. Je crois qu’on est à plus de cent trente millions d’abonnés aujourd’hui sur MySpace.

MySpace est un site ouvert à tous les créateurs. C’est gratuit. Vous ouvrez votre blog sur le site. Vous mettez quatre chansons en streaming c’est-à-dire en écoute. Les droits d’auteurs sont complè-tement oubliés. Vous êtes un jeune créateur, auteur-compositeur-interprète. Vous avez grâce aux nouvelles techniques, votre home studio. Vous avez enregistré chez vous quelques chansons, vous les avez mixées, vous avez tout fait vous-même. Vous n’avez pas d’édi-teur, pas de producteur, aucune attache. Quelques belles photos, vous tournez un clip aussi parce qu’effectivement, c’est très facile avec une webcam de tourner son propre clip, avec talent ou pas.

Vous mettez en ligne. C’est une vitrine, il faut bien le dire, extraor-dinaire. Pourquoi ces jeunes gens seraient tentés de passer par nos

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au vieilles organisations, qu’elles soient d’auteurs, de producteurs ou d’éditeurs ?

On ne peut plus ignorer le phénomène. Le problème est : Quelle réponse intelligente lui donner ? Quelle réponse une société de gestion collective lui donne ? Personne ne peut contrôler tout ce qui circule sur YouTube ou sur MySpace.

Que faire ? Essayer les mesures de rétorsion ? Interdire ? Comprendre et laisser faire ? Fermer les yeux ? Là sont les vraies questions que l’on peut se poser. Le projet MySpace va loin, il proposera aux jeunes

créateurs de vendre directement leur musique par fichiers audio téléchar-geables et c’est MySpace qui s’occupera de gérer le commerce ainsi généré.

Quelles sont les intentions de MySpace ? Négociation avec les socié-tés d’auteurs ou passage en force ? Cela fait partie de ces business models qui se développent, qui ont un succès fou. Il y a une vraie question parce que, dans ce modèle, le droit d’auteur, en a-t-on besoin ? Certains auteurs peuvent se dire : « Mais au fond, je vends mes disques, je deviens même commerçant, besoin de personne… » et aussi : « Je suis un créateur, j’ai du talent, les gens viennent me voir et se connectent, je vends mes fichiers audio, besoin de personne… »

Quelles sont les

intentions de MySpace ?

Négociation avec les

sociétés d’auteurs ou

passage en force ?

Cela fait partie de ces

business models qui se

développent et ont un

succès fou… A-t-on

besoin du droit d’auteur

dans de tels modèles ?

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Hier on disait : « Mais non, Internet n’a jamais fait découvrir un artiste. » Aujourd’hui c’est faux. Un artiste peut être découvert sur Internet. Je crois qu’il y a un groupe en Angleterre qui a vendu un million de copies d’un CD uniquement grâce à MySpace.

MySpace, mais ce sera peut-être un autre site demain, c’est peut-être finalement uniquement un moyen de se faire voir avec l’idée d’en sortir au plus vite. Un jeune artiste peut se dire : « Je vais sur MySpace, je me fais connaître, après je me barre pour être signé par une major ». Peut-être. Donc est-ce qu’il faut les empêcher de se montrer ? Est-ce qu’il faut les priver de cette vitrine ?

Tout à l’heure mon voisin [Yves Frémion] disait que ce n’était pas nouveau. Je ne suis pas tout à fait d’accord avec lui. Jamais, en musique en tout cas, on n’a pu mettre seul et face au monde entier, une œuvre entièrement réalisée. Le numérique fait plus de promes-ses aux auteurs interprètes qu’à nous auteurs de l’ombre. On est moins concernés, encore que nos chansons se baladent sur ces sites sans qu’on le sache parce que nos jeunes interprètes les ont mises en ligne.

Je vous l’ai dit, les business models de consommation, disons d’utilisa-tion et d’écoute de musique, sont nombreux et balbutiants. Difficile de savoir qui va emporter la mise et comment l’amateur de musique va se comporter demain. Il y a tellement de façons d’écouter de la musique, si différentes selon les tranches d’âges, selon le milieu socioprofessionnel.

Mais je voudrais en évoquer quelques-unes avec vous, dont vous avez sûrement déjà entendu parler. Il y a, par exemple, le buzzmusic d’Universal qui vient de faire son apparition. C’est une sorte de radio à la carte, sur un catalogue de cinquante mille titres, avec un abonnement à 9,99 € par mois et un lecteur dédié Néo qui est

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au vendu 99 €. Il n’y a pas de téléchargement définitif, c’est-à-dire que vous perdez les titres en cas de non-paiement de l’abonnement. C’est quand même assez nouveau comme système, une sorte de location de musiques. Je ne suis pas en train de faire de la pub pour tel ou tel système, je tente juste un petit inventaire.

On peut parler d’une radio comme Pandora qui est sur Internet. Là c’est extraordinaire. Vous faites vos radios à la carte : radio Gainsbourg, radio Rolling Stones ou radio Prince. Vous aimez Serge Gainsbourg ? C’est gratuit, vous téléchargez Radio Pandora, et vous allez avoir en écoute tous les titres de Gainsbourg, plus tous ceux qui ressemblent à du Gainsbourg, à son esprit ou sa couleur musi-cale. Vous pouvez vous faire jusqu’à cent radios et les mixer entre elles. Tout cela dans la plus grande illégalité, mais cela n’exclut pas le plus grand bonheur… La liberté absolue.

L’offre de Fnac Music est comparable à l’offre de Musicme, c’est aussi de l’écoute illimitée pour 9,99 €, reposant sur un accord passé avec les majors concernant quatre-vingt-dix mille albums, un million de titres, sans téléchargement. On est toujours dans la location de musique.

Vous avez sûrement entendu parler aussi du projet Universal et EMI publishing aux USA. Il devrait ouvrir en décembre. Il s’agit de faire rémunérer la musique par la publicité. Je trouve cela plutôt intéres-sant puisque finalement, en musique, c’est bien grâce aux sommes qui sont collectées par les régies publicitaires que nous sommes rémunérés pour les passages radio ou télévision. Il n’y a donc rien de très nouveau. Dans la mesure où nos œuvres sont identifiées, pour-quoi pas ? Pourquoi s’est-on opposé à la licence globale ? Parce que nos œuvres n’étaient pas identifiées et qu’on ne pouvait pas négo-cier les forfaits. Le droit exclusif est respecté, à partir du moment où une société de gestion collective a la possibilité de négocier notre

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rémunération avec le diffuseur, et d’identifier les œuvres qui sont diffusées.

L’offre la plus étonnante est peut-être celle de Microsoft avec le lancement de son lecteur Zune. Microsoft veut évidemment concur-rencer le célèbre Ipod. Ils ont eu l’idée audacieuse, en échange de la mise à disposition de son catalogue, de reverser à Universal une dîme sur chaque vente de lecteur. Dans une certaine mesure, ils sont en train de réinventer la copie privée sans passer par la case société de gestion collective.

Quid des sociétés de gestion collective ? Quid de notre négociation ? Je ne sais pas ce qui va se passer parce que finalement en principe cet accord Universal / Microsoft prévoit un reversement aux artistes. Comme d’habitude les artistes, on ne sait pas ce que cela veut dire, est-ce que ce sont les seuls interprètes ou bien aussi les auteurs et les compositeurs ?

Toutes ces réflexions nous conduisent à nous poser des questions sur le rôle des sociétés de gestion collective dans un futur proche et sur les dangers qui les menacent. En tout cas, la tâche de percep-tion se complique. Le constat est simple : c’est un éparpillement des sources de droits. On pourrait dire que c’est une « balkanisa-tion » des droits. Ce qui ne signifie pas une augmentation mais un saupoudrage de nos droits. Nos droits, si tout va bien, vont prove-nir de sources différentes mais de tas de petites sources. Certaines risquent d’être microscopiques. Peut-être, les petits ruisseaux faisant les grandes rivières, faut-il être optimiste.

Mais cela ne simplifiera pas la mission de nos sociétés de gestion. Ce qui ne va pas non plus simplifier le travail des sociétés de gestion, c’est de voir les éditeurs multinationaux retirer leurs droits sur le « en ligne ». C’est de voir, par exemple, une société d’édition interna-

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au tionale s’allier avec une ou deux sociétés de gestion collective pour créer son propre pôle de perception. Il est légitime de penser que le online c’est l’avenir du droit d’auteur, même si aujourd’hui ce n’est encore pas l’essentiel. Perdre le online est sans doute lourd de consé-quences pour l’avenir.

Pour les majors de l’édition ou du disque, comme pour les géants de l’électronique grand public, tout ce qui relève de la gestion collec-tive, y compris les droits d’auteur, doit être soumis à concurrence.

Les sociétés de gestion collective sont en danger face aux fusions des monstres de l’édition qui tentent d’en prendre le contrôle. Par ailleurs, ces groupes gigantesques se tournent délibérément vers la gestion de catalogues au mépris des œuvres et de leurs auteurs qui ne sont plus que des lignes dans un Bottin gigantesque.

En conclusion, je dirai qu’Internet et les nouvelles technologies ont bouleversé la filière musicale.

Mais il y a des points positifs pour la création grâce aux nouvelles techniques. C’est vrai que les home studios, les logiciels d’informati-que musicale ont permis le développement de l’autoproduction. Je ne dis pas que tous les gens qui s’autoproduisent ont du talent, mais c’est la possibilité donnée à des créateurs d’exprimer leur talent. Et cela c’est un point très positif.

La piraterie, est-ce la peine d’en parler ?

Je préfère parler d’un autre phénomène, l’entrée de nouveaux acteurs dans notre métier, dans notre monde, les fournisseurs d’accès à Internet, les opérateurs de téléphonie mobile et même les moteurs de recherche comme Yahoo qui voudraient carrément remplacer les majors.

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On le sait, les techniques ne sont ni bonnes ni mauvaises. Elles ne sont pas nécessairement ennemies du droit d’auteur. Elles peuvent favoriser les échanges culturels. Elles peuvent aussi aider les auteurs à identifier leurs œuvres sur Internet. Des sociétés ont proposé des études d’identification des œuvres circulant sur Internet, même des œuvres pirates.

On peut imaginer que le droit exclusif n’est pas incompatible avec une forme de forfaitisation dans la mesure où les œuvres sont identifiées et dans la mesure où les forfaits sont négociés. Peut-être que l’avenir c’est une forfaitisation, une forme de licence, mais une licence négociée avec des œuvres identifiées.

La polémique sur les DRM a remis en cause la copie privée. La rémunération pour copie privée, je l’ai dit, ce n’est qu’un ersatz du droit d’auteur. On est content de l’avoir, on veut la sauver à condi-tion qu’elle demeure une exception. Nous sommes quelques-uns à penser que son champ de perception pourrait s’étendre aux flux, c’est-à-dire aux fournisseurs d’accès et aux opérateurs de télépho-nie puisque tout passe par là et que tout passera par là. À charge pour ces propriétaires de tuyaux de gérer cela avec leurs clients. Malheureusement on connaît la puissance du lobbying, notamment de Nokia et de Philips, auprès de la Commission européenne. Nous sommes légitimement pessimistes sur l’avenir de l’extension de la copie privée aux flux.

En conclusion, les pirates sont certainement les ennemis des auteurs, mais nos pires ennemis sont les industriels qui se servent de nos œuvres pour s’enrichir à nos dépens. C’est pourquoi les pouvoirs publics, l’Europe et les organisations internationales doivent nous garantir la possibilité d’être entendus dans tous les débats où notre avenir est en jeu. Je vous remercie.

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rd youri. — Merci Jean-Marie.

Laurent Petitgirard, vous êtes à la fois compositeur et chef d’orches-tre et, je le rappelle, vous avez présidé la Sacem. Vous travaillez pour le cinéma, on vous doit beaucoup de musiques de films dont vous assurez souvent l’orchestration. Alors, ce carrefour de l’image et de la musique, est-ce que l’on peut le dissocier ou, au contraire, faut-il absolument qu’il reste stable ?

laurent petitgirard. — Bonjour. C’est certain que vouloir disso-cier le cinéma et la musique a été une tentation, une tentation qui est venue d’abord de ce que les milieux du cinéma ont été finale-ment aussi imprévoyants que ceux de la musique. Rappelons nous ce grand patron d’une major musicale qui disait il y a cinq ans : « Quand on me parle d’autoroute de l’information, je me marre. » Il ne rit plus bien sûr à 40 % de recettes en moins. De la même façon, dans le cinéma, il y eut pendant des années une protection par rapport au débit, en disant « de toutes façons il faut une demie journée pour télécharger un film, il n’y a pas de problème », sauf que, maintenant, il faut trois minutes…

Je voudrais dégager trois idées. Le problème technique en lui même — mais cela a déjà été beaucoup évoqué — l’influence de ces tech-niques sur la perception de l’idée du droit d’auteur parmi le public et parmi les élus et puis, enfin, l’impact de ces techniques sur la gestion collective.

Le manque d’anticipation, on l’a vu partout. Cette dématérialisation des supports a amené un concept tout à fait nouveau dans l’idée de la « consommation » — pardon de ce mot affreux — de la musique et du cinéma. En même temps, tout cela va à une vitesse terrible. La vente de CD vierges ou de DVD vierges qui représentait le principal des recettes de la copie privée est en train de dégringoler parce que

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le support physique comme idée de la possession pour la consom-mation de la musique ou du cinéma, est dépassé maintenant. On aura un baladeur sur lequel il y aura des milliers de titres.

Les techniques bougent vite, c’est clair. Beaucoup plus vite que les lois qui doivent les accompagner. Le débit, on l’a dit, augmente à une telle vitesse que le cinéma n’est plus protégé.

On nous a parlé d’interopérabilité, évidemment nécessaire. Rien n’est plus stupide que de télécharger un fichier audio ou vidéo et de ne pas pouvoir le lire sur un autre support. Mais on voit bien pour-quoi Apple n’était intéressé que par la vente des Ipod et qu’Itunes ne sert qu’à vendre des appareils. La vente de musique est acces-soire. Ils perdent même peut-être de l’argent dessus. Ils s’en foutent, ce qu’ils veulent c’est vendre des appareils. Ils ne sont pas prêts à accepter l’interopérabilité.

Nous avons eu un ministre très critiqué. Je salue, quand même, son opiniâtreté vis-à-vis de certains concepts du droit d’auteur, même si son cabinet a été d’une maladresse rare et d’une incompétence fréquente. L’État voulait s’engager à garantir cette interopérabilité alors qu’il n’en a absolument pas les moyens puisque l’on est devant des sociétés commerciales. On voit bien la limite entre les promes-ses, le désir de faire plaisir, le désir de respecter un certain concept, et puis la réalité du marché.

Le bouleversement des habitudes de consommation est incroya-ble. Il faut passer de l’envie d’emmagasiner au sentiment d’avoir tel lement de choix que l’on ne voit plus l’utilité de stocker. Il n’y a rien que je déteste plus que d’arriver devant un buffet et de voir deux cent cinquante plats. J’aime bien être devant une carte et choisir un plat.

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rd On est devant un phénomène qui joue sur des millions de titres, avec, suivant les catégories, des œuvres qui prennent ou qui ne prennent pas. Le domaine de la musique classique, par exemple, que je connais bien, puisque c’est la partie principale de mon travail, est constitué de gens extrêmement attachés à la qualité des fichiers, avec un certain fétichisme du support et de la pochette. On voit bien que le téléchargement pour le classique, nous n’y sommes pas encore du tout. Je dirais même que la piraterie dans le classique ne fonctionne que sur des titres, à peu près introuvables, sauf grâce à Internet. À ce moment-là — oubliez ce que je vais dire aussi vite que je le dirai ! — si vraiment une musique est devenue complètement introuvable et que quelqu’un qui l’adore réussit à la trouver par un chemin pas très légal, je le déplore, mais ce n’est pas celui-là qui va me gêner.

Il y a un bouleversement, tout à fait différent dans le monde de la variété où la qualité du support, s’il en gêne certains, n’en gêne pas d’autres, du moment qu’ils ont l’information.

Les illusions de la promotion, l’idée de se dire Internet c’est vrai-ment formidable, on va pouvoir tout mettre, tout le monde a accès à tout, etc.

C’est vrai, Jean-Marie Moreau a cité un groupe qui a réussi grâce à cela. Il n’empêche qu’Internet est en même temps une jungle incroyable. Ceux qui veulent vraiment percer sur Internet font de la promotion essentiellement dans le monde physique. Et dans les journaux, dans la presse, la promotion pour Internet, celle-là, croyez-moi, elle coûte cher.

Au point de vue de la technique, ce qui m’intéresse beaucoup plus, c’est l’impact de cette technique sur l’idée que va avoir du droit

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d’auteur toute une nouvelle génération et, d’une façon plus géné-rale, le public ainsi que les politiques.

Le débat sur la licence globale auquel on a assisté a eu des consé-quences dramatiques. On est arrivé à l’idée que le droit exclusif était de droite et que la licence globale est de gauche. C’est dramatique et c’est faux ! Mais on voit bien que c’est tellement ancré qu’un célèbre ministre de la culture que je ne nommerai pas, dont une loi sur le droit d’auteur porte le nom, et dont les initiales sont J. L., a été extraordinairement silencieux au moment du débat sur la licence globale. Tellement c’était politiquement incorrect de prendre certai-nes positions.

Finalement, ceux qui ont pris des risques sur la licence globale sont ceux qui politiquement ne figuraient pas vraiment en tête ou qui ne se présentaient pas directement aux suffrages. On voit qu’il y a là un net manque de courage. Je reprendrai ce que vous disiez tout à l’heure, je souhaite qu’un certain nombre d’artistes engagés, dont je respecte totalement l’engagement, profitent précisément de la proximité qu’ils peuvent avoir avec telle ou telle personne politique pour leur faire entendre cette idée et leur faire comprendre la néces-sité du courage. Le courage, de temps en temps, paye. Un ancien président de la République au moment de sa campagne a annoncé qu’il allait supprimer la peine de mort, alors que 70 % des Français étaient contre l’abolition. Il a tenu bon. Il l’a fait. Eh bien chapeau ! Ce courage politique, il faut l’avoir maintenant.

J’ai beaucoup dialogué avec des jeunes sur les sites Internet, on s’aperçoit qu’en même temps que le débat, a surgi une remise en question de la notion de droits d’auteur.

D’abord, pourquoi des droits d’auteur ? Pourquoi, après tout, est-ce que les enfants continueraient à toucher, une fois que le « papa »

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rd n’est plus là, pour une chanson ? Elle fait partie du patrimoine commun ! C’est une première idée, évidemment confortée par toutes les exagérations débiles sur la notion de droit d’auteur qui vont jusqu’à demander des droits d’auteur pour une photographie de son chien ou des lumières de la Tour Eiffel lorsque l’on en prend une photo ! Je me rappelle d’une discussion avec un patron de société de photographie à qui je disais, effaré : « Mais bientôt vous allez faire payer pour une photomaton. » Il me répondit : « Parfaitement, parce que si l’appareil est automatique, c’est la façon dont vous vous êtes positionné par rapport à l’objectif qui définit la photo. Vous êtes donc l’auteur de la photo. »

Ces exagérations nous ont nui incontestablement. On assiste à une remise en question de la notion du droit d’auteur avec, je ne devrais pas dire, la revanche de ceux qui n’y ont pas accès, mais en tout cas des gens dont la musique n’est pas ou très peu diffusée. Ils ont vu dans ce combat une sorte de revanche et la possibilité d’accuser le système.

Très souvent, j’ai été confronté à la discussion consistant à dire : « La Sacem est injuste »… « Pourquoi est-elle injuste ? »… « Parce que vous donnez beaucoup à ceux qui passent le plus »… On a dit que cette licence globale était « un moyen de re-répartir à tout le monde ». Je vous rappelle qu’à l’Adami, la copie privée répartit un minimum absolument à tout le monde.

On voit bien qu’il y a là un système qui peut fonctionner mais qui est extrêmement dangereux parce que le travail d’une société de gestion collective, à partir du moment où la diffusion a eu lieu, ne peut et ne doit que refléter l’économie réelle de la musique ou du spectacle. Si on ne respecte pas ce principe, ce sont tous les accords internationaux de propriété intellectuelle et le principe même du droit d’auteur qui sautent.

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Il y a eu une volonté de déstabiliser et de prendre une revanche sur le succès de quelques-uns. Eh bien ! même si le succès, de temps en temps, est totalement disproportionné par rapport à la qualité de l’œuvre, il vaut mieux respecter cette disproportion plutôt que de tomber dans un système égalitaire ou au mérite, injuste et subjectif.

En même temps, on assiste à quelque chose d’extrêmement grave qui est la confusion avec le droit voisin. Nous continuons à lire Nicole Vulser, journaliste au Monde, spécialisée dans tous ces problè-mes, qui écrit à chaque fois « les sociétés d’auteurs » en parlant de l’Adami, de la Spedidam, elle met tout le monde sur le même plan. Elle n’a toujours pas compris, du moins fait-elle semblant de ne pas comprendre et cela fait des années que cela dure. Elle n’est pas la seule mais cela a quelque chose de terrifiant.

On a bien vu la scission qu’il y a eu entre, d’un côté, les interprè-tes, de l’autre les auteurs. C’est dramatique et effrayant, parce que nous avons profondément besoin des interprètes, beaucoup d’entre nous sommes aussi interprètes. Je vous demande de vous mettre une seconde à ma place, étant compositeur, à l’époque j’étais prési-dent du conseil d’administration de la Sacem, compositeur d’opé-ras et donc membre de la SACD, chef d’orchestre donc membre de l’Adami, chef d’orchestre faisant des enregistrements donc membre de la Spedidam. Je peux vous dire que le soir, j’avais franchement mal à la tête !

Nous devons comprendre le côté absolument primordial du droit d’auteur. Le droit voisin est un droit très noble que nous voulons défendre, qui est essentiel, mais qui est un droit secondaire, qui correspond à des utilisations postérieures d’un travail, d’une fixa-tion qui a généré une rémunération.

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rd La problématique est extrêmement différente entre sociétés de gestion de droits. On a bien vu la fragilité qu’il y avait dans les rapports entre nos sociétés, avec le désir de certains d’avoir 25 % par le biais de la licence globale. Tout cela devenait énorme. Au lieu d’avoir cinquante millions d’euros, ce qui est à peu près ce que répartissent dans l’action culturelle les différentes sociétés de gestion collective, on en aurait eu deux cents, deux cent cinquante. Mais ce n’est pas notre rôle de devenir des ministères de la culture « bis ». L’action culturelle via la copie privée, c’est formidable, mais elle a ses limites. Cela permet aussi au gouvernement, quel qu’il soit, sous tous les régimes, de se désengager. Il est quand même affli-

geant de penser que si demain l’Europe prenait des dispositions dramatiques vis-à-vis de la copie privée, c’est tout un pan du spectacle vivant qui serait foutu en l’air dans notre pays, avec aussi des festivals qui se casseraient la figure en cascade.

Nous devions être une énergie d’appoint, nous sommes en train de devenir une énergie essentielle. Il y a là quelque chose de profondément malsain.

Enfin je voudrais terminer par l’impact sur la gestion collective. Il faut bien parler de Bruxelles. Il faut parler de l’aberration de ces personnages devant lesquels nous nous trouvons. Ils ne voient ou ne parlent que de concurrence et visent le bien-être du public, sans se rendre compte — avec les organisations de consommateurs — que le bien-être du public passe par la diversité de l’offre.

Il est affligeant

de penser que

si demain

l’Europe prenait

des dispositions

dramatiques vis-à-

vis de la copie

privée, c’est tout un

pan du spectacle

vivant qui serait

foutu en l’air dans

notre pays…

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Si les systèmes dont on nous a parlé sont mis en place, on voit bien ce qui est fragile et se cassera la figure, parce que ce sont par exemple — pardonnez moi l’expression — les « danseuses », notam-ment dans la musique classique. Si Sony se casse la figure ou perd de l’argent, c’est Deutsch Grammophon qui va être le premier à y « passer »… Deutsch Grammophon coûte beaucoup plus d’argent qu’il n’en rapporte. C’est peut-être du prestige, mais à un moment donné le prestige coûte trop cher.

On pressent le danger devant lequel nous risquons de nous trouver si nous avons tout à coup un pan de la création qui ne sera que le produit d’appel de telle ou telle marque de téléphone ou de telle ou telle marque de machine à laver.

Il faut parler des conséquences. Dans la directive Bolkestein, le cinéma réussirait à tirer son épingle du jeu tandis que les sociétés de gestion collective seraient soumises au jeu de la concurrence depuis le vote dramatique intervenu il y a quelques mois. On a trop passé sous silence le lobby effréné des majors avec les différentes plaintes que l’on a connues et les recommandations qui s’en sont suivies.

Dans les faits cela donne par exemple l’annulation imposée par la Commission européenne des accords de Santiago concernant Internet. Ces accords de bon sens, stipulaient que la société de gestion de droits du pays de résidence des activités principales du fournisseur d’accès avait le droit de donner une licence pour le répertoire du monde entier. Au nom de la concurrence il a fallu annuler ces accords.

Que s’est-il passé ? Comme l’a dit tout à l’heure Jean-Marie Moreau, les majors ont retiré des répertoires des sociétés de gestion collective comme la Sacem une grande partie de leurs catalogues ou de leurs droits pour la gestion sur Internet. Mais ce n’est pas forcément,

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rd comme le disait Jean-Marie [Moreau], pour les donner à une autre société. Parfois c’est pour créer ce que l’on appelle une joint venture. Autrement dit, la major, crée, avec la société de gestion collective de son choix, une société indépendante, avec un Conseil d’admi-nistration partagé, dans laquelle elle fait apport de son répertoire pour Internet. La société va ainsi missionner la société de gestion collective pour assurer la perception et la répartition suivant les conditions qu’elle aura définies et négociées et qui ne correspon-dront plus, bien sûr, aux tarifs et aux principes de la société de gestion collective. Ils vont probablement exclure de leurs règles tous les avantages obtenus par les auteurs en matière de retraite, en matière de culture.

On voit bien quelles conséquences ces monstres économiques vont avoir sur nos sociétés et nos vies.

Conséquence aussi pour les utilisateurs du répertoire. Une personne voulant lancer une grande radio sur Internet installée quelque part dans la banlieue parisienne s’adressait à la Sacem pour avoir le répertoire mondial. Maintenant elle devra s’adresser à trois ou quatre sociétés pour obtenir le répertoire de quatre majors. Vous pensez qu’elle va faire l’effort, après, d’aller négocier les droits pour le reste du répertoire mondial ? Elle va plutôt dire à ses program-mateurs : « Écoute, tu me prends ta programmation dans les cata-logues des quatre majors. Tu as 80 % du répertoire là dedans, alors ça va. » Nous avons expliqué cela aux responsables, notamment au commissaire irlandais McCreevy qui semble bien « sourdingue » sur ces sujets. À force de parler de liberté, on va simplement effacer les « petits auteurs » et les répertoires les plus fragiles.

Deuxième conséquence : on va foutre en l’air un principe « sacré » selon lequel une minute de musique qui passe sur un même support, à la même heure, doit représenter exactement la même somme, le

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même revenu pour l’auteur. Dans le nouveau modèle qui se dessine, suivant qu’une musique sera dans le répertoire de telle ou telle société, plus ou moins puissante, elle bénéficiera de l’application de tels ou tels accords. Le traitement et la rémunération seront donc différents.

Que de problèmes aussi pour la gestion de nos sociétés… Comment allons-nous faire dans le futur ? Il faut bien comprendre que les majors ne sont pas les ennemis absolus. Je vois à titre personnel que quelqu’un comme Nicolas Galibert [dirigeant des éditions Sony et membre du conseil d’administration de la Sacem] est toujours à la recherche de jeunes talents. Les majors mettent, de temps en temps, la puissance de leur organisation au service de la création. N’empêche, nous sommes devant des figures internationales, des monstres économiques. On dit d’un animal sauvage qu’il ne faut pas qu’il goûte le sang humain quand on l’a apprivoisé. S’il goûte le sang humain, il redevient sauvage et dangereux pour l’homme. Les multinationales vont avoir goûté le bonheur de faire des sociétés extérieures pour Internet ne respectant ni les obligations morales ni les obligations sociales que se sont imposées les auteurs depuis des années. Ce goût là, ils vont le développer. Le plus grand danger pour nous, c’est que ce qui se passe pour Internet rejaillisse sur la gestion du reste de nos droits et de nos perceptions.

De plus en plus de grandes télévisions vont être diffusées par Internet. Les accords qui sont pris pour Internet ne concernent pas, pour l’instant, la télévision hertzienne ou le câble. Pour combien de temps encore ? Je vous promets que l’on fera tout pour se battre, au nom de la défense des auteurs et de celle des consommateurs, pour maintenir la diversité culturelle.

C’est une vraie question pour nous, sociétés de gestion collective, de savoir comment vont se comporter certains des partenaires

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rd membres de notre Conseil d’administration qui retirent une partie de leur apport. Est-ce qu’ils vont continuer à participer à la prise de décisions sur le monde d’Internet alors qu’ils n’amènent plus leurs droits ? À un moment donné il faudra se poser la question, avec eux, en toute amitié mais en toute fermeté. On ne peut pas avoir les avantages d’un système et, en même temps, en sortir quand cela arrange et même s’opposer à lui.

Dernier point pour conclure. Un autre danger menace les auteurs… Les auteurs eux-mêmes. Le nombre d’imbécillités que disent tel ou tel compositeur, tel ou tel auteur, simplement pour se faire bien voir dans certains cénacles.

Je me rappellerai toute ma vie une journée entière passée au festival de Cannes quand on a commencé à dire qu’il y avait un million de films téléchargés illégalement par jour en France. Cette grande journée a commencé par la musique. Nicolas Seydoux a voulu que j’entame cette conversation, c’était dans la grande salle du festival.

Il y avait beaucoup de monde, on a parlé pendant six heures non stop. Luc Besson est arrivé, il a dit des choses d’une grande finesse et d’une grande précision. Tout le monde a pris la parole. À la fin, au moment où tout était terminé, on a dit : « Nous accueillons le président du festival. » Tarantino est arrivé. Le modérateur a eu le malheur de lui demander : « Alors qu’est-ce que vous pensez de tout cela ? » J’ai vu pâlir Nicolas Seydoux et l’autre a dit : « Je trouve très bien que l’on me pirate parce que comme cela il y a plein de gens qui n’avaient pas pu voir mes films et qui ont pu les voir et puis dans tels pays… » et en deux minutes il a foutu en l’air une journée entière. Nicolas Seydoux qui était à côté de moi, m’a dit : « Les journalis-tes ne vont parler que de ces deux minutes. » Évidemment il avait raison. C’est donc à nous, de temps en temps, dans nos cercles, de

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faire un peu la morale et de rappeler à un certain nombre d’auteurs qu’ils déraillent parce qu’ils ont tels petits mécontentements sur tels petits points dont d’ailleurs les désagréments peuvent leur être imputables. 50 % des réclamations et des demandes qui sont faites à la Sacem se révèlent fautives du fait de celui qui a fait la réclama-tion, 30 % par la faute des différents diffuseurs et à peu près 20 % par la faute de la Sacem. C’est trop mais cela baissera. Nous avons, nous, la responsabilité de dire aussi à nos confrères, de nous dire à nous-mêmes — surtout lorsqu’on est bavard comme moi — atten-tion, ça c’est trop, c’est dangereux…

Je vous remercie.

youri. — Ces questions dont nous débattons depuis ce matin, on va à nouveau les examiner mais, cette fois, sous un angle juridique avec nos deux juristes, Jean-Pierre Ancel et Pierre Sirinelli.

Jean-Pierre Ancel, tu es magistrat, président de la 1re chambre civile de la Cour de cassation. J’aimerais connaître le point de vue du juriste sur tous les thèmes que nous avons abordés.

Jean-pierre ancel. — Je crois nécessaire de définir les outils du droit pour les auteurs. Pour cela, je voudrais revenir au sous-titre de ce colloque, le droit d’auteur : des « Lumières » à Internet.

Rassurez-vous, je ne vais pas faire l’historique des « Lumières » jusqu’à Internet mais rapidement un petit survol pour que l’on voie vraiment la racine de ce droit très particulier.

J’irai même un petit peu plus loin puisqu’on cite à l’origine du droit d’auteur, de ce droit exclusif de l’auteur sur son œuvre, quel-ques écrits du poète latin Martial. Poète satirique, il a écrit des épigrammes absolument délicieux, dont certains sont parfaitement

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cel salaces — hélas ! ce n’est pas un de ceux-là que je vais vous lire —

mais un autre qui concerne le droit d’auteur et qui brocarde un certain Fidentinus, un imposteur qui récitait des vers de Martial comme s’ils étaient de lui. Il disait ceci : « Les vers que tu lis au public, Fidentinus, sont de moi. Mais quand tu les lis si mal, ils commencent à être de toi. » Nous avons déjà là l’essentiel du droit d’auteur qui est l’identité de celui qui crée.

C’est évidemment avec la philosophie des « Lumières » qu’apparaît cette espèce de glorification de la personne, de l’individu, comme auteur d’une œuvre. Auparavant l’auteur n’était jamais que le propriétaire du manuscrit qu’il allait livrer à des libraires qui, eux-mêmes, obtenaient du roi un « privilège » pour l’éditer et le publier. L’auteur n’était rien d’autre que ce fournisseur de papier.

Avec les « Lumières » il devient une véritable personne et c’est la Révolution évidemment qui, reprenant cet héritage comme sur bien d’autres plans avec la vigueur, la puissance et la pertinence que l’on sait, par deux lois de 1791 et 1793, établit vraiment ce que devait être le droit de l’auteur. La première loi a institué un droit de représentation publique et la seconde un droit de reproduction de l’œuvre. Un auteur est propriétaire d’une œuvre et il a un droit sur cette œuvre.

Ce mouvement va se développer tout au long du xix e siècle, par l’of-fice des juges notamment, pour faire constituer ce corpus de droit que l’on appelle maintenant le droit d’auteur. Ce que l’on appelle le droit d’auteur, c’est en fait l’auteur au centre du mécanisme. Il n’est plus le propriétaire de son œuvre mais c’est l’œuvre qui est la repré-sentation de la personne de l’auteur. Et cela, c’est quelque chose de fondamental, l’œuvre incarne l’identité même de l’auteur. C’est un concept tout à fait nouveau, tout à fait révolutionnaire d’ailleurs, qui perdure jusqu’à maintenant et qui explique pourquoi notre droit

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d’auteur se partage entre les deux droits fondamentaux dont on a parlé ce matin. D’abord le droit moral car c’est le premier que la loi énonce, le droit moral de l’auteur sur son œuvre. Ce droit inaliéna-ble et imprescriptible transmis aux héritiers ou à la personne dési-gnée par l’auteur qui est le droit au respect de l’œuvre.

Si Mozart avait des descendants, ils pourraient s’opposer à ce que la musique de Mozart soit utilisée n’importe comment, comme souvent à l’heure actuelle. Droit moral, le droit principal, et puis les droits patrimoniaux, bien entendu, qui sont essentiels pour la vie de l’auteur : le droit de représentation et le droit de reproduc-tion. Cette conception dualiste du droit d’auteur est typique de notre droit français. Nous ne sommes pas les seuls dans le monde ou même en Europe, mais enfin nous sommes, on peut le dire, tout à fait à l’avant-garde de la protection de l’auteur quant au respect de son œuvre et de ses droits pécuniaires. Le régime de la protec-tion des droits d’auteur en France institue donc au profit de l’auteur un véritable monopole d’exploitation, je crois que cela ne peut pas se définir autrement. Seul l’auteur a le droit d’exploiter son œuvre, sinon il doit céder ce droit ou, en tout cas, on doit lui demander son autorisation pour l’utiliser.

Je voudrais aussi insister sur un point important. Le droit d’auteur est certes inscrit dans notre droit, le Code de la propriété intellec-tuelle, mais le droit d’auteur fait également partie des droits de l’homme. Il ne faut pas oublier ce que la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, dans son article 27 énonce : « Chacun a droit à la protection des intérêts moraux et matériels découlant de toute production scientifique, littéraire ou artistique dont il est l’auteur. » Donc n’oubliez pas, mesdames et messieurs les auteurs, les créateurs, que vous êtes titulaires d’un droit fondamental et que l’on doit vous assurer les moyens de le faire respecter.

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cel La convention européenne des droits de l’homme, malheureu-

sement, n’en dit pas un mot, c’est dommage. Mais le pacte de New-York du 19 décembre 1966 relatif aux droits économiques, sociaux et culturels retient également ce droit, au titre des droits de l’homme. La charte des droits fondamentaux de l’Union euro-péenne du 18 décembre 2000 y fait une petite allusion, en l’affir-mant d’une manière assez laconique mais enfin on peut dire que c’est suffisant, la propriété intellectuelle est protégée. On a vu ce que cela pouvait donner sous l’angle des institutions européennes, j’en dirai un mot tout à l’heure.

Voilà résumées en quelques règles les lois internes françaises très protectrices, les règles supranationales, les déclarations universel-les, la charte des droits fondamentaux, le droit international égale-ment avec la convention de Berne de 1886, déjà une grande création protectrice du droit d’auteur. La convention de Berne créait une union de dix pays signataires assurant une protection minimum et si un État signataire avait une protection plus favorable, cette protec-tion plus favorable devait s’appliquer.

Voilà des droits consacrés par la législation interne et par le droit international. Tout cela est sérieux et solide. Mais alors quid de l’in-cidence du droit européen et communautaire ? On en a déjà beau-coup parlé, alors je ne vais pas trop insister mais il est certain que dans l’élaboration des directives européennes, l’effort d’harmoni-sation très louable en lui-même, est extrêmement difficile puisque les législations sont hétérogènes. On peut compter celles proches de notre législation : la Belgique, l’Allemagne, la Grèce par exemple, mais le Royaume-Uni et l’Irlande sont, comme vous le savez, à l’opposé.

Les autorités européennes ont quand même écrit dans la directive du 22 mai 2001, que l’harmonisation devait se réaliser sur un niveau

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de protection élevé. Voilà qui est un peu rassurant, mais enfin nous savons ce qu’il en est advenu. La législation européenne, on l’a dit et je le redis, c’est une logique économique. Cela provient tout simple-ment des origines de l’Union européenne. Rappelez-vous pour ceux qui sont en âge d’avoir ces souvenirs, c’était le charbon et l’acier.

On a voulu commencer par l’économie en disant : le politique suivra. Malheureusement, actuellement, c’est un peu en panne de ce côté là. Petit à petit le politique suit, mais la logique profonde de ceux qui pensent les législations européennes, c’est la logique économique : libre concurrence, libre circulation des biens et servi-ces. Évidemment, de temps en temps, sur cet itinéraire, notre droit d’auteur du droit français peut apparaître comme un obstacle. C’est une difficulté réelle.

Quelle est l’incidence de l’évolution des techni-ques ? Elle est importante et elle l’a toujours été. L’effet de l’évolution des techniques n’a cessé de se faire sentir sur le droit d’auteur et ce, depuis sa naissance à la Révolution. On parle de la société de l’information, notion dangereuse parce que floue, elle risque de brouiller les cartes. Il ne faudrait pas que cela conduise à assimiler au regard de la protection légale des droits d’auteur l’information et la création. Il y a là un risque de confusion réel.

Sur l’idée de licence globale, on en a beaucoup parlé, j’en dis simplement un mot. Qu’est-ce que la licence globale ? C’est la liberté du contrefac-teur, la liberté d’un profit illicite. On nous dit que c’est la liberté de l’internaute. Pardonnez-moi, je voudrais rappeler ce qu’est la liberté. Ce n’est pas

Qu’est-ce que la

licence globale ?

C’est la liberté

du contrefacteur,

la liberté d’un

profit illicite…

Si vous me

permettez un

commentaire, la

licence globale

nuit aux auteurs.

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cel faire n’importe quoi, la liberté. Je vais vous lire un petit texte, vous

allez le reconnaître : « La liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui. Ainsi l’exercice des droits naturels de chaque homme n’a de bornes que celles qui assurent aux autres membres de la société la jouissance de ces mêmes droits. Ces bornes ne peuvent être déterminées que par la loi. » Il s’agit de l’article 4 de la déclaration des Droits de l’homme de 1789. Il y a des textes qu’il faut toujours garder auprès de soi. J’ai personnellement toujours ce texte là pas loin. On y trouve tout ce que l’on peut y chercher. Qu’est-ce que la liberté ? « Tout ce qui ne nuit pas à autrui. » Si vous me permettez un commentaire, la licence globale nuit aux auteurs. C’est chose absolument certaine.

Je vais reprendre la question de ce matin posée par Jack Ralite : « Comment civiliser ? » Nous sommes dans une société dite de l’in-formation où tout doit circuler, tout doit être libre, rien ne doit être contrôlé. Nous en avons eu un exemple avec l’affaire du film Mulholland drive de David Lynch soumise à la chambre que je préside à la Cour de cassation, au mois de février 2006, au moment précis où était discuté à l’Assemblée nationale le fameux texte qui allait devenir la loi du 1er août 2006.

Vous savez dans quelles conditions chaotiques ce texte a été discuté. Le débat de cette licence globale était l’expression parfaite de la liberté de tout le monde.

Ce procès posait très directement la question puisqu’il s’agissait en l’occurrence d’un film acheté en DVD, le film Mulholland drive bien connu. L’acheteur avait une intention extrêmement louable, il voulait copier le film pour ses vieux parents. Voilà qui est tout à fait respectable. Mais il s’aperçoit que des mesures techniques ont été prises pour que le film ne puisse pas être copié, il parvient à les supprimer. D’où procès. La Cour d’appel de Paris ayant enfour-

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ché le cheval de la copie libre, le pourvoi en cassation nous posait directement la question : est-ce que c’est conforme au droit d’in-terdire la copie d’un film ou est-ce qu’il faut laisser la liberté à tout le monde de copier comme il le veut ? Nous avons donc débattu cette question qui n’était pas simple et nous avons rendu un arrêt le 28 février 2006 en plein débat parlementaire. J’avais souhaité que le débat vienne avant que la loi ne soit adoptée de manière à ce que le juge soit parfaitement libre de dire ce qu’il pensait, ce que nous avons fait.

Que dit cette décision ? D’abord nous constatons que la question en litige est bien celle de la copie privée. La copie privée est définie par l’arrêt non comme un droit pour l’utilisateur mais comme une exception au monopole d’exploitation de l’auteur. Voilà un premier point. D’après notre législation, la copie privée est une exception admise au monopole d’exploitation de l’auteur.

Deuxième point, l’exception de copie privée doit être interprétée à la lumière de la directive européenne de 2001 et en application notamment de la convention de Berne. La France a des engage-ments internationaux. Elle a sa législation interne et, à la lumière de cette directive, nous appliquons le test des trois étapes pour justifier l’exception aux droits de l’auteur. Parmi ces trois étapes que vous connaissez figure le cas où la copie privée, je cite, « porterait atteinte à l’utilisation normale de l’œuvre ». La Cour de cassation a indiqué que « cette atteinte doit s’apprécier en tenant compte de l’incidence économique qu’une telle copie peut avoir dans le contexte de l’en-vironnement numérique ». Cela pour signifier que dans le grand bouleversement actuel, il faut être conscient des incidences écono-miques que peut avoir la copie d’une œuvre cinématographique.

Troisième point, l’incidence économique doit être envisagée, je cite l’arrêt, « quant à la sauvegarde des droits d’auteur et à l’importance

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cel économique que l’exploitation de l’œuvre sous forme de DVD repré-

sente pour l’amortissement des coûts de production cinématogra-phique ». Cela signifie, en d’autres termes, que notre Cour, rappelant les engagements internationaux de la France et la substance même du droit d’auteur telle que nous la concevons, admet la légitimité de certaines mesures techniques de protection empêchant la reproduc-tion du film et par voie de conséquence le piratage systématique. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Cela est fait au nom du respect du droit de l’auteur sur son œuvre et des impératifs économiques de la production cinématographique qui, en l’occurrence, nous semblaient rejoindre les exigences de respect des droits de l’auteur puisque, sans production cinématographique évidemment, il n’y aurait plus de création cinématographique.

La loi est intervenue depuis notre décision, mon voisin [Pierre Sirinelli] vous en dira quelque chose. Cette loi sur ce plan reprend le test des trois étapes mais avec certaines incertitudes qui demeu-rent quant à la mise en application des décrets que nous devons maintenant attendre.

Alors je dirai simplement pour conclure qu’il faut voir de la part du juge le souci d’un respect total du droit de l’auteur. Le juge français — je parle pour moi personnellement mais je crois que je peux aussi parler pour les juridictions françaises en général — est très attaché au respect des droits de l’auteur tels que nous les concevons depuis ces temps si lointains et ses racines aussi profondes. Le juge exerce également sa fonction qui n’est pas seulement une fonction de dire le droit mais aussi une fonction de régulation sociale. En conclu-sion, mais ce n’est peut-être pas très rassurant, après tout il faut faire confiance aux juges.

youri. — Et alors les malheureux parents de ce garçon n’ont pas vu le film…

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Pierre Sirinelli, vous êtes professeur des universités et on attend de vous aussi un point de vue juridique sur nos problèmes.

pierre Sirinelli. — D’abord, il est très délicat de parler en dernier, en plus de parler douze minutes après la clôture de la séance, donc je vais essayer d’être bref et je vais plutôt essayer d’envisager avec vous, en quelque sorte, l’impact des évolutions juridiques sur votre situation à vous, celle des auteurs.

Tout le monde sait que vous êtes protégés par le droit d’auteur, même si le droit d’auteur est malmené et l’exposé qui vient d’être fait l’a démontré. Au demeurant on peut ajouter, je pense que le président Ancel est mal placé pour le dire, en raison de la réserve qui doit être la sienne, que la jurisprudence française ajoute une « deuxième couche » de protection en faveur des auteurs et qu’elle fait généralement des textes une interprétation favorable aux créa-teurs. Vous avez une « première couche » de protection qui est légis-lative, la deuxième est jurisprudentielle.

Si on essaye de voir comment le droit appréhende la révolution numérique, il suffit de prendre les textes qui ont été adoptés depuis dix ans.

Dans les traités de l’OMPI [Organisation mondiale de la propriété intellectuelle] en 1996, il n’est pratiquement pas question d’Inter-net, mais on aborde la question du numérique. Cinq ans plus tard, dans la directive communautaire de 2001 intitulée « Droit d’auteur, droits voisins dans la société de l’information », il s’agit d’intégrer dans l’ordre communautaire certaines règles internationales et de faire entrer la propriété littéraire et artistique dans le xxi e siècle en appréhendant les difficultés pratiques. La loi du 1er août 2006 inter-vient cinq ans après la directive, elle devait être le texte d’intégration

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li de cette directive, laquelle n’intégrait que le traité OMPI dans l’es-pace communautaire.

Si on essaye de comprendre ces textes, on est d’abord surpris par l’âpreté des débats de l’année écoulée. Ces débats ont été parfai-tement résumés tout à l’heure. Alors que techniquement parlant ce n’est qu’un texte de transposition d’une directive communau-taire, c’est-à-dire que la messe avait déjà été dite à Bruxelles et au Parlement européen. Elle avait même déjà été dite cinq ans plus tôt puisque, je viens de l’indiquer, la directive n’était que la transposi-tion dans l’ordre communautaire des traités OMPI.

Ces textes ont dix ans d’âge, ce qui n’est rien pour un juriste : le droit des obligations a vingt siècles d’existence. On peut penser que la loi est gravée dans le marbre, qu’elle est dotée d’une certaine pérennité. Dix ans, ce n’était rien. Les questions que la directive tranchait en 2001 étaient des questions de la fin du xx e siècle, pas du tout celles qui se posent aujourd’hui à l’entrée du xxi e siècle. La directive n’apportait pas les réponses aux bonnes questions parce qu’elle ne posait même pas les bonnes questions.

L’âpreté des débats vient en partie des mauvaises réponses appor-tées par certains parlementaires reposant sur des constructions nouvelles, audacieuses, non conformes d’ailleurs à l’ordre juridique international. La licence globale est un débat qui ne pouvait même pas avoir lieu. Elle est contraire à nos engagements internationaux. Cela aurait dû être rayé en un « trait de plume ». Pourtant, vous avez eu ce putsch dans la nuit du 21 au 22 décembre 2005, tout ce qui a suivi en est la conséquence. Si la loi n’est pas très bonne, c’est parce qu’ensuite il a fallu ramer à contre-courant et contre un vote de trente voix contre vingt-huit, mais avec des voix mal comp-tées. Et il faut savoir que parmi ceux qui ont voté contre le projet, il y avait quand même quatre députés suppléants de ministres. Ces

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députés ont voté contre le gouvernement qu’ils étaient censés soute-nir. Quand on leur pose des questions, ils nous disent que c’est très compliqué et qu’ils n’ont pas compris…

Essayons de comprendre comment tout cela a des conséquences sur votre vie. Retournons dix ans en arrière.

Les nouvelles technologies, les techniques étaient considérées plutôt comme une malédiction en ce qu’elles facilitaient la contre-façon ou la fabrication de clones. C’est-à-dire de copies parfaites, là où autrefois la copie privée était simplement des reproductions imparfaites. La copie sur une cassette audio, on entendait très bien le souffle mais un peu moins les artistes interprètes ou les créa-teurs. Indiscutablement l’arrivée de clones change la perception des problèmes.

Vous avez montré comment les sociétés de gestion collective sont encore vivantes, même si elles sont très sérieusement menacées par les initiatives de Bruxelles et éventuellement par certains de vos partenaires (normalement naturels) qui ont une vision un peu différente de la vôtre.

On se rend bien compte que tous les pronostics et toutes les prévi-sions à court ou moyen terme ont été déjoués. Si on laisse de côté la situation des sociétés de gestion collective, peut-on vraiment parler de la disparition des intermédiaires et de contact direct entre l’auteur et son public ? C’est vrai que dans certains cas il y a cette mise à disposition gratuite. On a même voté au Parlement un texte pour dire que l’auteur pouvait mettre ses œuvres gratuitement à la disposition du public et on l’a inséré, si ma mémoire est bonne, à l’article L. 122-7, alors que l’article précédent dit exactement la même chose. C’était parfaitement inutile. C’est de la loi spectacle…

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li Disparition des intermédiaires, peut-être dans certains cas, mais aujourd’hui vous avez en plus un FAI (Fournisseur d’accès Internet) qui intervient dans le processus. Vous avez d’autres personnes qui peuvent se glisser comme les fabricants de mesures techniques de protection. Tout cela d’ailleurs avec une conception très particulière de certains de ces nouveaux intermédiaires qui vivent en parasites des industries culturelles. En parasites de ceux qui sont à l’origine de l’industrie culturelle.

Quand on leur dit : vous pourriez peut-être participer d’une façon ou d’une autre à l’économie de cette filière culturelle, la réponse est généralement négative.

Les fournisseurs d’accès à l’Internet par exemple vous disent : « La directive du 8 juin 2000, sur le commerce électro-nique, dit que je suis irresponsable. » Tant qu’il n’y aura pas une volonté poli-tique pour les faire plier, ils ne vous donneront pas satisfaction. Chacun le sait, l’infrastructure de l’Internet fran-çais a été financée grâce aux industries culturelles. Les abonnements ADSL ont explosé le jour où l’on vous a dit : « vous pouvez télécharger », même si c’était du téléchargement illicite. Les économistes expliquent cela très bien : l’internalité, les externalités. Il y a tout un jargon que je ne maîtrise absolument pas, donc je ne m’y risquerai pas.

Mais voilà des intermédiaires qui ont vécu à vos crochets et auxquels mainte-

L’infrastructure de

l’Internet français a

été financée grâce

aux industries

culturelles. Les

abonnements ADSL

ont explosé le jour où

l’on vous a dit : « vous

pouvez télécharger »,

même si c’était du

téléchargement illicite.

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nant il faut dire : « Vous allez participer à l’essor, au nouvel essor des industries culturelles et à la vie des créateurs. » L’ auteur est parfois complètement absent des nouveaux modèles.

Revenons aux textes. Qu’est-ce qu’ils disent ? Si l’on s’attache au traité de l’OMPI de 1996, il prône un renforcement de vos droits, il réaffirme le monopole d’exploitation en l’appliquant à la révolution numérique, il prône l’exigence partout du respect du test des trois étapes dont il a été question tout à l’heure. Procédure très intéres-sante parce qu’elle limite la portée des exceptions imposées à votre monopole. Et enfin, ce texte impose des constructions relatives aux mesures techniques de protection. La directive communautaire c’est la même chose. Elle ajoute simplement dans un article 5 une liste d’exceptions dites facultatives, mais la liste est fermée. Cela veut dire que le législateur ou le juge ne peut pas créer d’exceptions exté-rieures à cette liste. C’est également un texte protecteur de vos inté-rêts. La loi française est un texte protecteur de vos intérêts.

Le problème c’est que la loi votée, à ne pas confondre avec la loi promulguée — c’est important puisqu’il y a même de nos jours des lois qui sont promulguées et qui ne sont pas appliquées — la loi telle qu’elle a été votée pouvait être inquiétante pour vous en ce qu’elle multipliait les exceptions, en atténuant les peines encourues en cas d’infractions. On n’y revient pas, c’est abandonné, mais ces 38 euros d’amende c’est mettre le droit d’auteur, donc les créateurs, dans le caniveau. On en revenait à cela, puisque c’est le coût de l’amende pour les déjections canines.

Concrètement, on aurait pu méconnaître le droit d’auteur puisque cela ne coûtait rien de ne pas le respecter. La loi promulguée, après le passage devant le Conseil constitutionnel (qui ne fait pas de poli-tique mais du droit) est moins inquiétante. Les 38 euros ont disparu. Ont disparu aussi les exonérations en cas de contournement de

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li mesures techniques à des fins d’interopérabilité. Le texte est un peu plus satisfaisant. Si on fait le bilan de ces dix ans de législation, ce qui reste le point fort de cette construction législative ce sont les mesures techniques de protection. On peut être un peu perplexe. Est-ce qu’une construction qui verrouille les œuvres est vraiment heureuse à tous points de vue ?

Pour un juriste, dire qu’il doit y avoir une protection des mesures techniques de protection, cela déclenche toute une série de problè-mes en cascade. Vous connaissez le point de départ. Un ayant droit peut prendre des mesures techniques pour protéger ses œuvres. Les États membres ont l’obligation de protéger ces mesures techniques contre les contournements.

On a donc une « couche » de droits d’auteur, à laquelle j’adjoins une « couche » de protection technique, des barbelés juridiques pour que les gens ne viennent pas sur mon champ, ma pelouse verte de droit d’auteur.

Ensuite les États membres disent : « Mais quand quelqu’un vient contourner ces dispositifs de protection pour commettre malgré tout des actes de contrefaçon nous devons sanctionner ces actes de contournements personnels ou les actes préparatoires au contour-nement par l’édiction de sanctions pénales. »

Cela devient fascinant. Un abîme extraordinaire : une couche de droit d’auteur, une couche de mesures techniques et une couche de droit pénal qui vient au secours de la mesure technique qui venait au secours du droit d’auteur qui venait au secours des auteurs.

On a une espèce de construction « mille-feuille » qui, en fait, prouve que l’on n’a pas confiance dans la magie, dans le verbe du droit d’auteur. Parce que mettre des barbelés là où, normalement, la

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propriété devrait être respectée, cela prouve que l’on ne croit pas à la magie de la propriété et mettre du droit pénal pour sanctionner les atteintes, cela prouve que l’on ne croit même pas à la vertu de la pédagogie de la loi qui consisterait à dire : « Voilà, cela vous n’avez pas le droit de faire. »

Il y a, pardonnez-moi de le dire, dans l’édiction de ces solutions, un aveu de faiblesse de votre bon droit, de votre protection ou de la foi que l’on peut avoir dans votre utilité sociale.

Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas le faire, mais il faudrait quand même faire passer le message un petit peu différemment.

Mais ce n’est pas fini. Ensuite, il y a en cascade toute une série de problèmes, parce que l’on met des mesures techniques de protec-tion. Cela veut dire qu’à cause de ces verrous, de ces barbelés, le consommateur — voilà un nouvel entrant dans le débat sur le droit d’auteur — le consommateur, lui, ne peut plus accomplir certains actes que l’on appelle exceptions et que la loi lui donnait la possibi-lité de faire. Alors on va se dire : « Cela ne peut pas être les verrous techniques qui vont remplacer l’équilibre social ou politique voulu par le législateur », d’abord les intérêts des auteurs puis ensuite quel-ques exceptions. Cet équilibre-là a été voulu, il faut le ménager. Comment trouver le moyen d’articulation entre les mesures tech-niques de protection et le bénéfice des exceptions ? Il faut rappeler que ce qui devrait normalement primer c’est la protection des inté-rêts des créateurs.

La directive dit : « Il y a certaines exceptions qu’il faut garantir. » Elle ne dit rien d’ailleurs, cette directive, de l’exception de copie privée. Ce débat, c’est le législateur français qui s’en est emparé tout seul. Je ne sais pas s’il y avait un représentant des consommateurs ce matin parmi vous. (Non, ah ! bon, vous filtrez à l’entrée ?) En fait le litige

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li qui a été soumis aux tribunaux était un coup d’essai, c’était pour voir. J’essaye un peu et je vais voir ce que vont dire les magistrats. Les magis-trats se sont emparés, avec sévérité et efficacité de la question, ils ont dit exactement le contraire de ce qu’attendaient les consomma-teurs. Mais cela a permis de créer de l’agitation au Parlement. Et alors que la directive ne dit rien sur le droit du consommateur à la copie privée, le législateur français s’est posé la question de savoir s’il n’allait pas garantir un droit à copie privée.

Vous savez, les Américains se moquent de nous : « Les Français vous êtes extraordinaires. Votre nouvelle devise c’est liberté, égalité, fraternité, copie privée. » La Cour de cassation nous a dit : « Il n’y a pas de droit à la copie privée. » Le législateur a essayé de trouver une solution : « Il n’y a pas de droit à la copie privée, mais il faut essayer de garantir le bénéfice de l’exception au profit des consommateurs. » Et il a refilé la patate chaude à une institution qu’il a créée, l’Auto-rité de régulation des mesures techniques, laquelle d’ailleurs a une autre mission, la question de l’interopérabilité.

La question de l’interopérabilité, je crois que vous en avez parlé ce matin, est fascinante. Elle doit être garantie, c’est ce que nous dit le législateur. Je suis prof de droit, j’applique la loi. C’est l’autorité de régulation qui devra mettre en place les moyens de l’interopérabi-lité, soucieuse de respecter les textes, tous les textes.

C’est étonnant, c’est le signe des temps. Quand j’avais ma cassette audio et que j’essayais de la mettre dans mon mange-disque, cela ne marchait pas. Quand, ensuite, j’ai acheté un magnétoscope, on m’a dit qu’il fallait choisir parmi trois standards : betamax, VHS ou VR2000. Le VR2000, c’était paraît-il le plus performant, donc je l’achète, en plus c’était européen, Philips. Je vais dans mon vidéoclub et on me dit : « Le parc magnétoscope des VR2000 est très réduit, vous avez trois cassettes là au fond du magasin. » Alors qu’il y avait

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trois salles complètes pour les VHS. J’ai deux solutions : soit je vais exiger du législateur qu’il fasse une intéropérabilité entre les diffé-rentes cassettes et les différents magnétoscopes, soit je vais acheter un JVC pour lire les VHS. Pour ce qui me concerne, j’étais petit, j’ai acheté un JVC, je n’ai pas pensé à m’adresser au législateur.

De la même façon, avec les consoles de jeux vidéo. Il y a la Xbox, il y a la Playstation et il y a la Gamecube. Je vous conseille d’évi-ter de mettre un produit Microsoft si vous avez Nintendo chez vous. Cela ne marche pas, ce n’est pas interopérable. À ma connaissance, personne n’a saisi le législateur pour demander une intéropérabilité.

Je ne critique pas, on va la faire cette intéropérabilité. Il s’agit d’ap-pliquer la loi. C’est pour montrer l’évolution. On fait du droit en amont, ensuite il y a toute une série de scories, pardonnez-moi l’ex-pression, de dommages collatéraux. Mais qui prend la balle perdue ? Les personnes qui sont ici à ma droite [montrant les intervenants auteurs]. Enfin celles qui sont ici dans la salle concrètement.

C’était Portalis, je parle sous le contrôle de la Cour de cassation, qui disait qu’il fallait légiférer « d’une main tremblante ». Là, on a quand même sorti l’artillerie lourde mais sans s’en rendre compte, parce que je vous l’ai dit, c’est de la législation en cascade.

Après les conséquences juridiques, parlons des conséquences socia-les. C’est qu’en effet sont nées des aspirations : « J’ai un droit à la consommation plus facile », « J’ai un droit d’accès comme consom-mateur ». Il y a aussi, et c’est plus pernicieux, un droit d’accès qui peut être revendiqué par les ayants droit. Les mesures techniques de protection dont on parlait jusqu’à présent, ces barbelés de techni-ques qui viennent en plus du droit, qui décide de les mettre ? Vous auteurs ? Ce sont plutôt les producteurs. Dans la loi nouvelle il est

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li dit : « Le producteur doit avertir l’auteur lorsqu’il va mettre des MTP. » Très bien. Et à quoi cela va-t-il servir ? Une fois qu’il vous a averti, vous dites : « Je ne suis pas d’accord. » Que se passe-t-il ? Les conséquences, c’est vous qui allez les gérer parce que les MTP auront je crois des répercussions sur le montant ou la capacité de copie privée et donc sur la redevance à ce titre qui vous est versée par l’intermédiaire de vos sociétés de gestion collective.

Dans l’esprit du public, on est parti pour une guerre frontale : « J’avais une aspiration parce qu’il y avait des usages sociaux qui s’étaient développés », « J’avais une aspiration, une consommation plus facile »… Et voilà que de méchants auteurs me disent : « Pas du tout, on a des droits d’auteur. » Une parenthèse quand même pour dire que je n’ai pas vu beaucoup d’auteurs dans la rue pendant les débats parlementaires, quelques-uns dans les couloirs peut-être…

Concrètement, la perception de ce que vous êtes et la perception du droit qui a été créé pour vous, le droit d’auteur, devient complè-tement différente. La personne qui utilise une œuvre — c’est de la sociologie de café du commerce, mais c’est contre cela qu’il faut se battre — cette personne se dit : « J’ai acheté une œuvre, je dois pouvoir la copier ou l’utiliser comme je le veux. »

Et pour effectuer ces actes, il faut s’entendre avec celui qui cède les DRM, ce n’est pas vous qui possédez les DRM ou les MTP. Ce sont les grands groupes industriels qui les mettent en place et les contrôlent. Il se passe que le lien entre le public et l’auteur se distend. Vous n’êtes plus visible. La mesure technique s’interpose entre vous et le public, c’est l’octroi du Moyen Âge. Vous arrivez à une espèce de fleuve. Un type dit : « Si vous voulez passer de l’autre côté pour accéder à l’œuvre, il faut me payer. » Vous, l’auteur, vous êtes derrière l’œuvre, au-delà du fleuve. Le public ne vous voit plus. Vous êtes devenu trop lointain.

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Il y a une perte de légitimité de l’existence du droit d’auteur dont pourtant l’utilité sociale est absolument indéniable. On ne voit plus l’auteur pour qui le droit d’auteur est fait. Vous en avez payé le prix pendant tous ces débats.

Des gens ont su faire intelligemment de l’agitation. Internet est un outil fabuleux de diffusion et d’amplif ication parfois factice, Ségolène Royal s’en est bien rendue compte. Les sites diffusaient : « À bas le droit d’auteur », « À bas les auteurs », « La loi est une horreur absolue ». Il y avait sans doute bien dix gamins derrière chacun des sites. Il y avait peut-être deux mille person-nes dans toute la France qui protestaient contre la loi sur le droit d’auteur mais comme il y avait beaucoup de sites repre-nant leurs propos, l’intoxication a touché tout le monde.

En fait le droit d’auteur est victime d’une crise de légitimité qui n’est fondée sur rien. Cette crise ne devrait pas exister, le droit d’auteur c’est le droit de la création, c’est le droit de l’innovation. Mais le débat était mal engagé parce que le dialogue n’a pas été mené comme il le fallait.

Heureusement, le Conseil constitutionnel est intervenu, c’était la première fois qu’il avait à le faire dans le domaine du droit d’auteur. Il a rappelé que le droit d’auteur était un droit de propriété, ce qui l’a en quelque sorte sacralisé. Un des rôles de la Constitution c’est

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li de défendre le droit de propriété. En conséquence, il a annulé les dispositions législatives qui allaient à l’encontre du droit d’auteur.

J’ai toutefois deux regrets. Le premier : j’aurais aimé que le Conseil constitutionnel dise que ce qui est sacré c’est l’œuvre elle-même, pas la propriété de la mesure technique ou de protection de celle-ci. Le deuxième : j’aurais aimé que le Conseil constitutionnel dise, ce que Jean-Pierre Ancel disait tout à l’heure, que le droit d’auteur est un droit de propriété mais aussi un droit fondamental. Mais à une autre occasion le Conseil pourra revenir sur cette notion car je crains que le droit d’auteur n’ait pas à se battre uniquement contre les mesures techniques et les consommateurs. Demain, le droit d’auteur devra répondre aux attaques du droit de la concurrence et je suis prêt à vous parier que, si rien ne change, ce combat-là, vous allez le perdre parce qu’à Bruxelles, la valeur sacrée c’est le droit de la concurrence, ce n’est pas le droit d’auteur…

C’est pour cette raison qu’il est nécessaire de dire que le droit d’auteur est un droit de l’homme.

Demain, peut-être des gens voudront refaire la loi, c’est en cela que la décision du Conseil constitutionnel est intéressante, car elle permet de poser les limites à ne pas dépasser.

On peut combattre les menées contre le droit d’auteur (et donc contre les auteurs), en refondant l’analyse économique des droits d’auteur, en disant que le droit d’auteur a son utilité sociale, en lui ajoutant des justifications supérieures : droit d’auteur / droit de l’in-novation, droit d’auteur / droit de l’homme, et l’homme en question c’est le créateur.

Voilà je vous remercie.

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youri. — Merci Pierre Sirinelli. On me signale qu’il n’y a plus que dix minutes pour le débat. On attend vos questions. Je vous rappelle que si vous intervenez nous vous demandons d’indiquer vos noms et, éventuellement, votre qualité.

priSeS de parole danS la Salle

eMManuel de rengervé. — Quelques informations pendant qu’une personne prend le micro. Faute de temps, on ne pourra pas vous présenter une synthèse des différents modules, comme cela était prévu. En revanche, nous maintenons évidemment la lecture du message commun cosigné par douze* organisations profession-nelles. Il nous paraît essentiel de lire, en cette fin de colloque, un message démontrant que les auteurs ne sont pas toujours sur la défensive mais qu’ils expriment des demandes communes sur lesquelles se sont accordées leurs organisations professionnelles.

doMinique verdan (compositeur). — Je suis membre de l’Union des compositeurs de musiques de films et de la Fédération européenne des compositeurs de musiques de films. Nous avons eu des exposés qui étaient vraiment très intéressants à tous les points de vue : juri-dique et économique. Ils ont le mérite de montrer exactement quelle est la pensée des commissaires à Bruxelles. Il nous faut comprendre leur cheminement pour savoir comment agir de notre côté.

À deux reprises au moins ce matin on a parlé de la nécessité de se manifester par des actions spectaculaires. On a parlé de Bruxelles le 19 décembre. On a envie de se précipiter tout de suite à la SNCF pour prendre un billet pour le 19 décembre : mais est-ce la bonne méthode pour faire voir que les auteurs sont là et pas seulement leurs sociétés de gestion ?

youri. — Qui veut répondre ?

* trois associations profession‑nelles ont signé après le colloque, portant ce nombre à quinze.

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le yveS FréMion. — Juste une remarque, l’exception culturelle a été emportée par des actions de ce type. C’est quand de nombreux artistes, en particulier les grands noms du cinéma, sont montés à Bruxelles que les votes ont changé. Par exemple, la gauche française qui, en juin, avait voté contre l’exception culturelle, en septembre, a voté pour.

Je me souviens, on était au début des années 90, en 1993 par là… Je pense que c’est évidemment quelque chose de ce genre qu’il faudrait refaire. Moi, je n’organise rien, mais je viendrai si quelqu’un ou si une structure organise quelque chose.

laure tarnaud (déléguée générale de la Société des réalisateurs de films). — À propos de la loi sur les droits d’auteur, finalement, le « grand Satan » de la licence globale a été évité. Très bien. Le Conseil constitutionnel a fait son travail. Mais les sanctions sont tellement graves, tellement fortes, qu’elles ne seront pas appliquées. Tous les décrets d’application ne sont pas encore sortis, donc en fait le droit d’auteur n’est pas du tout respecté, protégé… Je voulais avoir l’avis des juristes sur cette question.

pierre Sirinelli. — On attend des décrets d’application : sur l’autorité de régulation des mesures techniques, sur la responsa-bilité de l’abonné, bref sur un certain nombre de questions. Vous avez raison de dire que trois ans d’emprisonnement c’est beau-coup pour un internaute. Si vous avez suivi les débats, vous avez pu constater qu’au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artis-tique (CSPLA), il avait été envisagé d’agir surtout contre d’autres personnes, les responsables du modèle économique incitant à la contrefaçon et pas uniquement contre les internautes. Pour ce qui me concerne, j’ai la plus grande confiance dans les magistrats, un juge n’est jamais obligé de condamner à trois ans d’emprisonnement ou à 300 000 euros d’amende. Il n’est absolument pas obligé de le

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faire. Je parle sous le contrôle d’un magistrat, à qui je vais rendre immédiatement le micro.

Jean-pierre ancel. — C’est tout à fait exact. On cite souvent les peines prévues par les textes, elles sont en général de purs fantas-mes juridiques. On dit untel a fait telle chose, il mérite, il risque cinq ans de prison parce qu’il a renversé une petite fille dans la rue. C’est vrai que la peine maximum était de cinq ans. Dans ce domaine, le juge a une totale liberté d’appréciation, ce qui d’ailleurs, je le dis en passant, provoque quelques remous de la part du juge quand on prévoit des peines plancher, par exemple. Enfin nous n’en sommes pas encore comme aux États-Unis où il y a des guidelines qui prévoient exactement chaque peine pour chaque délit. C’est l’horreur absolue. Excusez-moi, je sors du débat d’aujourd’hui, mais déjà les peines plancher nous paraissent une atteinte intolérable à la liberté du juge.

laurent petitgirard. — Je veux juste vous demander quel a été le sentiment des deux juristes présents lorsque, au lendemain du vote de cette loi, le ministre de la culture a demandé au garde des sceaux, par voie de presse, de ne pas appliquer, en partie, la loi votée ? On est dans une forme d’incohérence qui consiste à voter des lois et ensuite à ce que les plus hautes autorités de notre pays demandent qu’elles ne soient pas appliquées.

Jean-pierre ancel. — Il faudrait plutôt poser la question à un consti-tutionnaliste parce que ce sont les pouvoirs publics et leur organisa-tion qui sont en cause. Il y a peu, on a même vu le président de la République promulguer une loi pour dire que l’on n’allait pas l’ap-pliquer. À partir de là, tout est possible.

pierre Sirinelli. — C’est une circulaire qui est à l’étude. Il y a quand même une hiérarchie des normes juridiques. Une circulaire ne peut

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le pas aller à l’encontre d’une loi, laquelle transpose une directive, laquelle transpose un traité international. On peut être hostile à une norme, mais la circulaire donnera des indications aux magis-trats, lesquels appliqueront la loi.

eMManuel de rengervé. — Ce n’est pas une question, il ne reste plus tellement de temps pour en poser. C’est plutôt une remarque concernant la personne (de l’UCMF) qui souhaitait savoir : Que fait-on maintenant ? Dans quelques minutes nous donnerons lecture d’un message commun cosigné par douze organisations (syndicats, associations, sociétés d’auteurs) qui représentent, si on additionne les adhérents de ces organisations, plus de cent mille auteurs et compositeurs. Il y a six points rédigés ayant fait l’objet d’un accord pour le moment. Commençons par cela mais sans doute faut-il poursuivre le travail en commun…

Il serait nécessaire de créer un comité de liaison ou un bureau de coordination des structures d’auteurs afin d’essayer de dégager les actions communes à mener en faveur des auteurs et du droit d’auteur. Pour le 19 décembre c’est très court et il y a aussi des problèmes de moyens financiers. Tout dépend de l’importance de l’action que l’on veut avoir. Toutes les organisations devraient se concerter et essayer d’agir en commun pour des actions européen-nes. À la suite du débat de ce matin une lettre ouverte des auteurs sera préparée et adressée aux députés européens.

youri. — Prenons quelques instants pour vous donner connaissance du message commun signé par les organisations d’auteurs.

Maurice cury. — Pendant que les lecteurs de ce texte se mettent en place, je veux vous remercier pour votre attention et votre patience pendant toute cette journée.

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J’espère que vous avez été intéressés par ces interventions qui ont été très riches, variées et instructives.

Comme l’a dit Emmanuel de Rengervé, je pense que maintenant nous devons nous unir pour les combats futurs.

Les modérateurs des trois tables rondes vont maintenant vous donner lecture du texte rédigé et signé par les organisations profes-sionnelles d’auteurs (associations, syndicats et sociétés d’auteurs).

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Les auteurs demandent…*

MESSAgE

SiMone douek. — Les auteurs demandent que leur voix spécifique soit écoutée et prise en compte dans tous les débats où leurs intérêts vitaux sont en jeu, que ce soit au niveau national ou européen, afin que ni la mondialisation, ni l’univers numérique ne remette en cause leur droit patrimonial ou leur droit moral.

youri. — Les auteurs demandent que leurs sociétés de gestion collective, au plan européen et mondial, y compris sur les réseaux numériques, puissent conti-nuer d’assurer un niveau élevé de protection dans le cadre de l’exploitation de leurs œuvres.

eMManuel de rengervé. — Les auteurs demandent, face à toutes les menaces de suppression de la copie privée, le maintien d’un système de rémunération qui constitue une indispensable contrepartie économique des copies des œuvres faites par les particuliers pour leur usage privé. Les auteurs rappellent que les 25 % prélevés sur les sommes perçues à ce titre sont indis-

* Ce message a été cosigné par les organismes suivants : AtAA (Association des traducteurs/adaptateurs de l’audiovisuel), AtLF (Association des traduc‑teurs littéraires de France), La Charte des auteurs et des illustrateurs jeunesse, Cose‑Calcre, CPe (Conseil permanent des écrivains), eAt (écrivains associés du théâtre), FFACe (Federation of film and audiovisual composers of Europe), Maison des écrivains, SACD (Société des auteurs compositeurs dramatiques), Scam (Société civile des auteurs multimedia), SGDL (Société des gens de lettres), Snac (Syndicat national des auteurs et des composi‑teurs), uCMF (union des compositeurs de musiques de films), union des écrivains, unac (union nationale des auteurs et compositeurs).

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ent… pensables au financement des festivals, des manifestations culturel-

les et des aides à la création.

SiMone douek. — Les auteurs demandent que le législateur mette en place des moyens réels de contrôle de la transparence et de la véra-cité des comptes des diffuseurs d’œuvres de l’esprit, seule garantie pour eux et/ou leurs sociétés de gestion collective de percevoir la juste rémunération proportionnelle aux recettes d’exploitation des œuvres et d’être informés de la diffusion réelle de celles-ci dans le public.

youri. — Les auteurs demandent que le législateur renforce le rôle et les moyens dévolus à la négociation collective, y compris sur les durées de cession et l’étendue des droits cédés, afin de favoriser des conditions contractuelles plus équilibrées. La concentration des industries de la culture ayant rendu impossible la négociation indi-viduelle, les contrats de cession de droits par l’auteur deviennent, de fait, de simples contrats d’adhésion.

eMManuel de rengervé. — Les auteurs demandent que le législateur et les pouvoirs publics soient à l’initiative d’une concertation avec les organisations professionnelles pour harmoniser la terminologie de certains textes du Code général des impôts et du Code de la sécurité sociale, ceci afin d’éviter les situations administratives invi-vables par les créateurs d’œuvres. Notre législation fiscale et sociale doit prendre en compte, en tant que telle, la nature particulière des activités professionnelles des auteurs.

Ce texte a été rédigé et signé par l’ATLF (Association des traducteurs littéraires français), La Charte des auteurs et illustrateurs jeunesse, le Salon des auteurs Cose-Calcre, le CPE (Conseil permanent des écri-vains), les EAT (Écrivains associés du théâtre), la FFACE (Federation of film and audiovisual composers of Europe), la SACD (Société des auteurs

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et compositeurs dramatiques), la Scam (Société civile des auteurs multimédia), la SGDL (Société des gens de lettres), l’UCMF (Union des compositeurs de musiques de films), le Snac (Syndicat national des auteurs et des compositeurs) et l’Unac (Union nationale des auteurs et compositeurs). Le texte de cette plateforme commune des organisations d’auteurs qui exprime les demandes des auteurs sera adressé à l’ensemble des politiques, sénateurs, députés et de la presse. Il sera remis également au ministère de la culture, qui n’a pas été représenté officiellement comme vous avez pu vous en rendre compte aujourd’hui. Quoiqu’invités évidemment, le ministre et ses conseillers techniques avaient apparemment autre chose à faire que d’assister à un colloque organisé par des auteurs.

Je voudrais encore une fois remercier la Sacem de nous avoir accueillis pour notre colloque, en particulier Bruno Mareau qui nous a accompagnés de sa régie pour la technique au long de nos débats et Marie-Thérèse Masson qui nous a facilité l’organisation matérielle de la journée. Je vous invite à vous rendre au cocktail de clôture qui nous attend.

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annie prévot. — … Je souhaite intervenir, j’avais demandé la parole à peu près dix fois ce matin, sans l’obtenir. Il me semble que si nous voulons attirer l’attention des politiques, il faut sortir du simple aspect catégoriel de nos intérêts pour être plus nombreux. Il faut dire que si les auteurs ne travaillent plus, c’est tout un pan de l’ac-tivité économique qui s’écroule et plein d’autres emplois qui seront remis en question. Je suis cinéaste, par exemple, je pense qu’il faut avoir avec nous les producteurs de films. Toute l’activité française du cinéma repose sur le droit d’auteur. Le premier acte d’un film est la cession des droits d’auteur. De la même façon il y avait un éditeur

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N de livres ce matin, nous devons travailler avec les éditeurs, si l’on parle d’emplois, je crois que nous serons plus écoutés.

Jean-FrançoiS puJol [sans micro]. — … Là où il y a le plus de monde c’est chez les salariés. Ils sont beaucoup plus nombreux que les producteurs.

eMManuel de rengervé. — Je crois reconnaître la voix de Jean-François Pujol, un comédien qui n’a pas besoin de micro parce que sa voix porte… Vous avez tous entendus ce qu’il disait, tu souhaites un micro… non… pour répondre à madame… Je crois que la filière musicale et la filière audiovisuelle mettent en avant l’importance économique des industries de la culture. Le Snac et d’autres organi-sations participent à différents bureaux de liaison : le Bloc (Bureau de liaison des organisations du cinéma), le Clic (Comité de liaison des industries de la culture), la Coalition pour la diversité culturelle. On participe à ces mouvements qui réunissent auteurs, artistes-in-terprètes, techniciens, producteurs, éditeurs et distributeurs. Nous continuerons à nous associer à ces mouvements. Ce qui manquait, et c’est l’originalité du message, c’est une réunion organisée par un syndicat d’auteurs et non une société de gestion de droits d’auteur pour parler des auteurs et du droit d’auteur. C’est une bonne chose qu’elle se soit déroulée. Ce n’est pas pour autant qu’il faut écarter ce que vous avez mis en avant, c’est-à-dire faire front commun avec les producteurs et les éditeurs lorsque nos intérêts communs sont menacés.

Maurice cury. — Je vous invite à poursuivre la ou les conversations autour d’un verre et, pour ceux que cela intéresse, je les informe que le Snac publiera les actes des débats.

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Les intervenants du colloque

ALAIN AbSIRE

Né en 1950, Alain Absire est romancier, nouvelliste, essayiste et auteur de théâtre. Parallèlement à une carrière profession-nelle menée, jusqu’en 1999 dans la communication d’entre-prise, il a publié vingt-cinq livres depuis 1979, traduits dans de nombreuses langues et a obtenu le Prix Fémina en 1987 pour son roman L’Égal de Dieu.

Récemment, il a publié un recueil de nouvelles Au voyageur qui ne fait que passer et un roman librement inspiré d’un épisode de la vie du peintre Francis Bacon, Deux personnages sur un lit avec témoins, parus tous deux chez Fayard. Il termine actuel-lement l’écriture d’un nouveau roman sur les travailleurs clandestins en France qui doit paraître pour la campagne des élections présidentielles.

Président élu de la plus importante association d’auteurs en France, la Société des gens de lettres, de juin 2002 à juin 2006, dont il reste actuellement vice-président*, il est également vice-président du Conseil permanent des écrivains et de l’Agessa et administrateur de la Sofia.

Face à la montée du péril de la gratuité d’accès des conte-nus, il est l’ardent défenseur du droit d’auteur à la française : droit moral et droit patrimonial.

AnnExE

* Alain Absire est redevenu président de la SGDL en 2007.

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E JEAN-PIERRE ANCEL

Né en 1941 à Paris, Jean-Pierre Ancel est magistrat. Il est, depuis décembre 2001, président de la 1re chambre civile de la Cour de Cassation. Marié, quatre enfants, il est licencié en droit et titulaire d’un DES en droit privé.

Il a été successivement juge à Compiègne (1967), subs-titut au Service de documentation et d’études de la Cour de Cassation (1970), Conseiller référendaire à la Cour de Cassation (1975), Conseiller à la 1re chambre C civile de la Cour d’Appel de Paris (1982), Président de la 1re chambre civile de la Cour d’Appel de Paris (1989), Conseiller à la 1re chambre civile de la Cour de Cassation (1992).

Jean-Pierre Ancel est : Officier de l’Ordre national de la légion d’honneur, Officier de l’Ordre national du mérite, Chevalier de l’Ordre des arts et des lettres. Il a reçu égale-ment la Médaille de l’Éducation surveillée.

MAuRICE CuRy

Maurice Cury est président* du Syndicat national des auteurs et des compositeurs depuis 2001.

Maurice Cury est scénariste-dialoguiste de cinéma et de télé-vision, romancier — dix-huit romans dont Sur la Route de Salina (Denoël), adapté au théâtre et au cinéma (film de Georges Lautner avec Rita Hayworth) et Une chaise dans les champs (Albin Michel), objet de deux adaptations pour les télévi-sions française et polonaise — auteur de plusieurs essais, de recueils de nouvelles et de nombreux livres de poèmes réunis dans Poésies complètes (le Nouvel Athanor), auteur de plusieurs pièces théâtrales publiées et d’une quarantaine de pièces radiophoniques — ces dernières réunies en partie dans Théâtre radiophonique (E.C. Éditions). Maurice Cury a signé de nombreux articles, critiques et reportages. Il a également participé à un grand nombre d’ouvrages de collaboration.

Maurice Cury est actuellement président de la commission professionnelle des auteurs audiovisuels de l’Agessa. Il a été secrétaire national de l’Union des écrivains puis président durant 12 ans du Conseil permanent des écrivains, il a égale-ment siégé durant 6 ans au conseil d’administration de la Maison des écrivains dont il fut le secrétaire général.

* Maurice Cury est président d’honneur du Snac depuis qu’il a quitté la prési‑dence en mai 2007.

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SIMoNE DouEk

Simone Douek est productrice à France Culture.

Elle a animé, pendant plusieurs années, des émissions en direct du car-studio de France Culture, pour Départementales et La radio sur la place, aux après-midi de France Culture, diffu-sées depuis la province ; elle a participé à la création, l’éla-boration et la diffusion des Îles de France, émission sur les grandes mutations de Paris et de sa banlieue, mais aussi sur tout ce qui constitue le fonds historique, sociologique, humain et enfin poétique de la capitale.

Elle est auteur de nombreux documentaires concernant l’eth-nologie (La matinée des autres), le cinéma (les Mardis du cinéma, Ciné-Club), la sociologie (Le temps qui change, Grand Angle), l’his-toire contemporaine (Lieux de mémoire), ainsi que l’explora-tion du savoir comme Les chemins de la connaissance et Tire ta langue, ou les grands portraits que constituait la collection « Le bon plaisir de… » Elle collabore depuis plusieurs années à Une vie, une œuvre, anthologie sur les écrivains ou les artis-tes, à Surpris par la nuit et À voix nue. Ses entretiens À voix nue avec Naïm Kattan ont été publiés aux Éditions Hurtubise HMH Itée (Montréal, 2002).

Elle donne un cours intitulé Radiophonies, sur l’écriture radio-phonique, à l’université de Marne-la-Vallée.

Elle est vice-présidente du Snac pour le groupement radio.

LAuRENt DuvILLIER

Né en 1947, diplômé en droit privé, Laurent Duvillier entame sa carrière en 1969, à la SGDL (Société des gens de lettres), en tant qu’adjoint à la direction. En 1979 il en devient le délégué administratif, puis en 1981 il est nommé délégué général de la SGDL et de la Scam (Société civile des auteurs multimédia) créée cette année-là par la SGDL.

En janvier 1997, la SGDL et la Scam devenant deux sociétés autonomes, Laurent Duvillier poursuit sa carrière à la Scam, toujours en tant que délégué général.

Au titre de la société qu’il représente, la Scam, Laurent Duvillier siège dans un certain nombre d’organismes ou d’instances réunissant des représentants des sociétés de gestion de droits dont entre autres : le Gesac et la Cisac (comme membre), au Conseil d’administration de Sorecop,

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E Copie-France, de la SDRM, de la Sesam dont il est vice-président et d’Ava (société des Arts visuels associés) dont il est président. Il est également au Conseil d’administra-tion du Fipa et de Sorimage. Il est aussi membre du CSPLA (ministère de la Culture), membre de la Commission L. 311-5 (ministère de la Culture).

Laurent Duvillier participe à des publications diverses spécialisées en droit d’auteur, notamment : Jurisclasseur, Revue politique et parlementaire, Dossiers de l’audiovisuel (Ina), Enjeux Économiques, Les écrits de l’image, etc.

JoëLLE FARChy

Économiste et normalienne de formation, Joëlle Farchy est professeur de sciences de l’information et de la communica-tion à l’université de Paris I et membre du Centre d’économie de la Sorbonne (CES), Paris I — CNRS.

Cette spécialiste de l’économie des industries culturel-les a notamment publié La fin de l’exception culturelle (CNRS Éditions, 1999), Internet et le droit d’auteur (CNRS Éditions, 2003), L’industrie du cinéma (Presses universitaires de France, coll. « Que sais-je ? », 2004), Les enjeux de la mondialisation cultu-relle avec Jean Tardif (Éditions HC, 2006). Elle participe à la direction scientifique de l’Institut Français de la communi-cation (IFC) de l’université de Paris I.

Elle fait partie des personnalités qualifiées désignées par le ministre de la Culture et de la Communication pour siéger au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA). À ce titre, elle participe activement aux travaux menés dans certaines commissions dont celle qui a rendu un rapport sur la distribution des contenus numériques en ligne.

DAvID FERguSoN

Actuellement président de la « Creators Rights Alliance » et de la « British Academy of Composers and Songwriters ».

David Ferguson est un compositeur d’expérience et de renommée, il travaille depuis 27 ans dans le domaine du rock et de la musique pour l’audiovisuel.

Au cours de ses années de présidence de la CRA, David Ferguson a développé un savoir et des connaissances sur le

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droit d’auteur qui ne concernent pas uniquement les compo-siteurs, mais de nombreux autres créateurs — dont les écri-vains, les photographes, les réalisateurs, les illustrateurs et les journalistes. Depuis décembre 2002, il cumule les fonc-tions de président de la « British Academy of Composers and Songwriters » avec celles de membre du bureau de la « British Music Rights », ce qui lui a permis d’acquérir des connais-sances étendues sur les différents aspects du métier de la musique et, notamment, sur les rapports entre auteurs et propriétaires de copyright. David Ferguson est égale-ment l’un des auteurs membre du conseil d’administration de MCPS (Mechanical Copyright Protection Society) et de PRS (the Performing Right Society).

David Ferguson a commencé sa carrière en tant que membre d’un groupe intitulé Random Hold qui a réalisé trois albums et donné de nombreux concerts avec XTC, Orchestral Manœuvres et Peter Gabriel. C’est en 1983 qu’il a commencé à écrire de la musique pour la télévision. Après une série de petits documentaires, il est devenu l’un des compositeurs favoris de la BBC. À la suite de cela, il a écrit la musique de The Sword of Islam qui a été nommé aux BAFTA et EMMY, ce qui a vraiment fait décoller sa carrière de compositeur.

Depuis, il a écrit les musiques de plus de 180 documentai-res télé allant de Story of a Princess (dédié à Diana) à History of American Art de Robert Hughes produit par la BBC. David Ferguson a également travaillé pour des fictions télé comme Cracker, Inspector Rebus Quartet, sur les adaptations par la BBC des romans de Barbara Vine ainsi que sur la saison 4 de Auf Wiedersehen Pet.

David Ferguson a également composé des musiques pour des ballets télévisés et pour des films de publicité.

yvES FRéMIoN

Yves Frémion est né dès le précédent millénaire. Pour atténuer l’ennui d’une si longue existence, il a eu des acti-vités multiples.

L’écriture a occupé beaucoup de son temps, il publiera prochainement son centième titre. Son œuvre comprend des romans, des nouvelles, des essais, des poèmes, des pamphlets, des albums pour la jeunesse, des biographies, des chansons, des anthologies, et même un pop-up. Polar,

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E science-fiction, histoire, écologie, humour, bande dessinée, ruralité et politique sont au cœur de son travail.

Passionné par les rencontres, il ne laisse pas le hasard les organiser, il s’en charge. Parmi de multiples initiatives, il a fondé l’Institut de Zygomatique Appliquée (sur l’humour), les Ateliers du Tayrac (culture et écologie, c’est aussi une maison d’édition), Papiers Nickelés (sur l’imagerie populaire, dont il dirige la revue éponyme), l’Ouvroir de POLitique POTentielle (au sein du Collège de ’pataphysique) et bien d’autres. Il anime chaque année le festival à la ferme Les GamBerges de la Dourbie en Aveyron où il réside en alternance avec Belleville.

Chroniqueur à Fluide glacial, son passé journalistique est chargé. Il a été critique (littéraire, art populaire, specta-cle, etc) et le reste. Son activité politique l’a conduit à être successivement député européen, conseiller régional en Île-de-France (missionné sur le Livre et la lecture) et briève-ment un des dirigeants du parti Vert.

Longtemps président du Syndicat des écrivains de langue française (Self), il préside aujourd’hui le Conseil permanent des écrivains*, illustrateurs et auteurs du livre et de l’écrit (CPE) et est administrateur de la Sofia.

vICtoR hAïM

Victor Haïm a écrit une trentaine de pièces dont vingt sont publiées à l’Avant-Scène et aux Éditions des Quatre-Vents, mais aussi à Art et Comédie. Une pièce a été publiée chez Papiers et une chez Crater. Les œuvres de Victor Haïm ont été jouées dans vingt-trois pays et traduites en seize langues.

Victor Haïm, acteur, a joué ses propres pièces, poussé littéra-lement sur scène par Étienne Bierry, au Théâtre de Poche en 1976, où il a interprété Isaac et la sage femme et Accordez vos violons. Plus tard, il a créé Velouté. Il a tourné dans une douzaine de téléfilms et films.

Victor Haïm a reçu plusieurs prix dont le prix Lugné-Poe, le prix Jacques Audiberti et le Prix Plaisir du Théâtre.

En 2003, il a reçu le « Molière » du meilleur auteur vivant pour Jeux de scène, pièce créée au Théâtre de l’œuvre en 2002.

En 2006, il a joué sa pièce La Peau d’un fruit au Théâtre du Rond-Point.

* Yves Frémion a quitté la prési‑dence du CPe en octobre 2007.

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StéPhANE LAPoRtE

Stéphane Laporte est adaptateur de pièces ou de comé-dies musicales et auteur de livrets et de paroles de comédies musicales.

• Adaptateur-théâtre : Titanic de Maury Yeston et Peter Stone (Opéra Royal de Wallonie, Liège 2000), Wit de Margaret Edson, co-adaptation avec Jeanne Moreau, sous le titre Un trait de l’esprit (Théâtre de Vidy à Lausanne — reprise Théâtre Chaillot à Paris), I do ! I do ! adaptation française de la comédie musicale de Tom Jones et Harvey Schmidt (Théâtre 14 — nominations aux Molières 2002 et 2003 : meilleur spectacle musical), A song at twilight de Noël Coward, adaptation sous le titre Poste Restante (Molières 2003 : meilleure comédienne dans un second rôle), Sugar (Certains l’aiment chaud) comédie musicale tirée du film de Billy Wilder, Monsieur Ibrahim ou Les fleurs du Coran d’Éric-Em-manuel Schmitt, adaptation anglaise (création New York janvier 2004 — lecture à la BBC — récompense : Silver Sony Radio Academy Award), Beyond Therapy de Christopher Durang, adaptation sous le titre Garçon, un psy ! (2005), Un violon sur le toit, comédie musicale de Joseph Stein, Sheldon Harnick et Jerry Bock (Théâtre Comédia — 3 prix aux « Musicals » de Béziers, nominations aux Molières 2006 : meilleur spectacle musical et meilleur adaptateur), D’amour et d’Offenbach, adap-tation française de The game of love, comédie musicale de Tom Jones, basée sur Anatol de Schnitzler, avec des musiques de Jacques Offenbach (création 2006 au Théâtre 14).

• Auteur-théâtre : livret et paroles originales de Simenon et Joséphine (Forum de Liège 2003). Prix SACD du meilleur livret 2005 — Prix de la Fondation Beaumarchais.

CLAuDE LEMESLE

Claude Lemesle est né le 12 octobre 1945 à Paris 12 e. Parents photographes. Études supérieures de lettres. Hypokhâgne et Khâgne à Henri IV. Licence d’Histoire à la Sorbonne. Petit conservatoire de la chanson de Mireille de 1965 à 1967. Vainqueur des relais de la chanson française en 1966. Depuis 1966, auteur de plus de 3000 chansons dont 1350 enregistrées par, entre autres, Joe Dassin, Serge Reggiani, Nana Mouskouri, Gilbert Bécaud, Alice Dona, Michel Sardou, Michel Fugain, Dalida, Gilbert Montagné,

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E Hervé Vilard, Isabelle Aubret, Julio Iglésias, Carlos, Willy Denzey, Mireille Mathieu, Johnny Hallyday, Nicoletta, Nicole Croisille, Roberto Alagna, etc.

Défenseur des auteurs et du droit d’auteur, il a pris des responsabilités variées dans de nombreuses organisations.

Il est actuellement président d’honneur du Snac et président du conseil d’administration de la Sacem*.

bERNARD MIyEt

Bernard Miyet est diplômé de l’Institut d’Études Politiques de Grenoble et ancien élève de l’École Nationale d’Adminis-tration (1974-1976).

Il fut secrétaire des Affaires étrangères affecté à la direc-tion des nations-unies (1976-1979) puis premier secrétaire à la mission permanente de la France auprès de l’Office des nations-unies à Genève (1979-1981). Il intègre alors le secteur de la communication et de l’audiovisuel en deve-nant directeur du cabinet du ministre de la Communication (1981-1983), concepteur de la première chaîne de télévi-sion commerciale « La Cinq » (1985-1986). Il revient ensuite dans la diplomatie comme consul général de France à Los Angeles (1986-1989), avant de devenir président-directeur général de la Société financière de radiodiffusion (Sofirad) (1983-1984), puis président du Comité européen des coor-dinateurs Euréka audiovisuel et directeur général adjoint des relations culturelles au ministère des affaires étrangères (1989-1991). Affecté à Genève comme ambassadeur auprès de l’Office des nations-unies (1991-1993), il est ensuite nommé ambassadeur chargé des négociations du GATT sur les questions culturelles et audiovisuelles (1993-1994), puis à Vienne auprès de l’organisation pour la sécurité et la coopé-ration en Europe (1994-1996). Début 1997, il est détaché auprès des Nations-unies comme secrétaire général adjoint chargé du maintien de la paix.

Il est devenu président du directoire de la Sacem en février 2001.

* Claude Lemesle n’est plus prési‑dent de la Sacem en 2007 mais fait encore partie de son conseil d’administration.

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JEAN-MARIE MoREAu

Avec une mère professeur de musique, Jean-Marie Moreau a grandi dans les affres des gammes de piano et le martyre des cordes de violon. Mais c’est à la guitare qu’il joue du Rock tout en écrivant ses premières chansons et en pour-suivant des études littéraires. Puis, maîtrise de lettres en poche, il quitte sa Touraine natale et entame à Paris une carrière de journaliste. C’est là qu’il approche le monde du spectacle, celui de la variété française comme celui du rock anglo-saxon. Mais, très vite, il décide de retourner vers ce qu’il appelle « les angoisses de la page blanche et les joies du romantisme échevelé ».

Tour à tour auteur, compositeur, directeur artistique, producteur, éditeur, il s’intéresse à tous les aspects du métier du disque et fait même quelques incursions dans la publicité en tant que réalisateur-concepteur de messages radio et de bandes-son TV. C’est à la fin des années 80, avec Rien que pour toi, interprété par François Feldman, que commence une série de tubes dont Les Valses de Vienne (prix Sacem Vincent Scotto), Petit Frank, Slave, Le mal de toi, C’est toi qui m’as fait, J’ai peur, Comme au cinéma (Alain Delon), On écrit sur les murs (Demis Roussos), J’aurais voulu te dire (Caroline Legrand), Magdalena (Julie Piétri)… Avec des interprètes comme Sylvie Vartan, Diane Tell, Sacha Distel, Mireille Mathieu, Hervé Vilard, Les Vagabonds, Michèle Torr, C. Jérôme, Rachid Bahri, Pierre Groscolas, Natasha St-Pierre…

Sa passion pour la défense de la création artistique le conduit naturellement au Snac dont il est un vice-prési-dent*. Membre du conseil d’administration de la Sacem (2003-2006), il est actuellement entre autres vice-président de la SDRM et au conseil d’administration du FCM.

PAuL otChAkovSky-LAuRENS

Paul Otchakovsky-Laurens est né en 1944. Après des études de droit, il s’oriente vers l’édition.

Christian Bourgois l’accueille comme stagiaire puis comme lecteur extérieur en 1969. À partir de 1970, il intègre le service littéraire des éditions Flammarion. Il y créera en 1972 la collection « Textes » qu’il dirigera jusqu’en 1977.

* Jean‑Marie Moreau est prési‑dent du Snac depuis mai 2007. Il a été réélu au conseil d’adminis‑tration de la Sacem.

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E En 1978 il entre chez Hachette où il créera la collection « Hachette / P.O.L » qui deviendra un département en 1979.

En 1983 il crée les éditions P.O.L avec l’appui du groupe Flammarion. Les éditions P.O.L font aujourd’hui partie du groupe Gallimard. Elles ont un peu plus de 800 titres à leur catalogue et près de 120 auteurs leur ont confié leurs œuvres, essentiellement dans le domaine de la littérature française contemporaine, même si littérature étrangère et essais — notamment dans le domaine esthétique — ne sont pas absents.

Paul Otchakovsky-Laurens participe aux travaux du Syndicat national de l’édition (SNE) dont il est membre.

LAuRENt PEtItgIRARD*

Musicien éclectique, sa carrière de compositeur de musique symphonique et de musique de films se double d’une activité de chef d’orchestre invité dans le monde entier (Orchestre de l’Opéra national de Paris, Orchestre phil harmonique de Monte-Carlo, Orchestre national de France, Bamberger Philharmoniker, Berliner Symphoniker, TonHalle, de la Fenice, de la BBC, Seoul Philharmonic & KBS, Suisse Romande…).

Directeur musical de l’Orchestre symphonique français de 1989 à 1996, il a été élu directeur musical de l’Orchestre Colonne en décembre 2004.

Son premier opéra, Joseph Merrick dit Elephant Man, créé sous sa direction à Prague, puis à Nice dans une mise en scène de Daniel Mesguich, est sorti en CD et DVD (Naxos-Marco Polo) et a été présenté dans une nouvelle production en mai 2006 par l’Opéra de Minnéapolis.

Il compose actuellement son deuxième opéra : Guru (commande d’état, Opéra de Nice saison 08-09).

Ses dernières œuvres symphoniques et concertantes font l’objet de 2 CD à paraître chez Naxos en novembre 2006.

Laurent Petitgirard a reçu le Grand prix lycéen des Compositeurs 2000 et le Prix Musique 2001 de la SACD. Commandeur des arts et lettres, il a été élu en décem-bre 2000 membre de l’Académie des Beaux-Arts.

* Laurent Petitgirard est président de la Sacem depuis mai 2007.

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JACk RALItE

Jack Ralite est né le 14 mai 1928 à Chalons en Champagne.

Journaliste, il a été responsable de la rubrique radio-télévi-sion, puis de la rubrique culture à l’Humanité Dimanche.

Depuis 1995, Jack Ralite est sénateur et participe entre autres à tous les débats qui concernent les secteurs culturels.

Jack Ralite a d’abord été maire adjoint à la culture et à l’en-seignement d’Aubervilliers de 1959 à 1984, puis il a été élu maire d’Aubervilliers de 1984 à 2003.

Jack Ralite a siégé au Conseil régional Île-de-France (1986 à 1992).

Élu député d’Aubervilliers de 1973 à 1981, il a été entre autres rapporteur du budget du cinéma à l’Assemblée nationale.

Jack Ralite a occupé diverses fonctions ministérielles : minis-tre de la santé (1981 à 1983), ministre de l’emploi (1983 à 1984).

Jack Ralite a été l’initiateur et l’animateur essentiel des États généraux de la culture qui ont pris position sur les grands sujets du secteur culturel de ces 20 dernières années.

EMMANuEL DE RENgERvé

Docteur en droit, spécialisation en propriété littéraire et artistique, Emmanuel de Rengervé est délégué général du Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac) depuis 1987.

Il siège, au titre du Snac, pour faire entendre la voix des auteurs représentés par cette organisation dans de nombreuses commissions et instances, dont entre autres : le Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), le Bureau de liaison des organisations du cinéma (Bloc), le Comité de liaison des industries de la culture (Clic), la sécurité sociale des auteurs (conseil d’administra-tion, commission de contrôle et commissions profession-nelles de l’Agessa), le Fonds de soutien aux théâtres privés, la Commission de licence des entrepreneurs de spectacles, le Centre national des variétés, le Fonds pour la création musicale (FCM), le Conseil permanent des écrivains (CPE), la Coalition française pour la diversité culturelle.

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E Par la diversité des dossiers professionnels qu’il gère, ou dont il doit s’occuper, il centralise un grand nombre de compéten-ces et d’informations sur les auteurs et les conditions d’exer-cice de leurs activités. Il est ainsi en contact quotidien avec les auteurs de l’audiovisuel, du livre, de la musique et du spectacle vivant.

PASCAL RogARD

Pascal Rogard, né en 1949, diplômé en droit public, se forme à l’Institut d’études politiques de Paris. Il débute en créant une troupe de théâtre et en réalisant plusieurs mises en scène et occupe de 1981 jusqu’au 31 octobre 2003 diffé-rentes fonctions au sein de nombreux organismes profes-sionnels et en particulier :

— Secrétaire général de la Chambre syndicale des produc-teurs et exportateurs de films français (CSPEFF) ;

— Secrétaire général du CICCE (Comité des industries cinématographiques et audiovisuelles des communautés européennes et de l’europe extracommunautaire) ;

— Délégué général de l’Arp (Société des auteurs, réalisa-teurs et producteurs).

Le 1er janvier 2004, Pascal Rogard est nommé directeur général de la Société des auteurs et compositeurs dramati-ques (SACD) et préside la Coalition française pour la diver-sité culturelle.

Depuis juillet 2005, Pascal Rogard est président du Comité de lecture et de la Commission de soutien à la production audiovisuelle de la région Rhône-Alpes.

Pascal Rogard est également chevalier de la Légion d’hon-neur, officier de l’Ordre du mérite national, commandeur des Arts et lettres.

PIERRE SIRINELLI

Professeur à l’université Paris I (Panthéon-Sorbonne), il est spécialiste de la propriété littéraire et artistique et de droit du multimédia.

Dans ces domaines de compétences, il est l’auteur de très nombreux ouvrages ou articles juridiques publiés par diffé-rents éditeurs ou dans différentes revues spécialisées. Il

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participe à de nombreuses réunions, conférences nationa-les ou internationales, sur le droit d’auteur et les nouvelles techniques.

Pierre Sirinelli siège, comme personnalité qualifiée, au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique (CSPLA), à ce titre il a présidé plusieurs des commissions constituées au sein de cet organisme et dernièrement celle portant sur la distribution des contenus numériques en ligne. Il a parti-cipé un temps au conseil d’orientation du Forum de l’Inter-net (FDI). Il est président de l’Association française pour la protection internationale du droit d’auteur (Afpida) et vice-président de l’Association littéraire artistique internationale (Alai). Il est directeur d’une unité du Centre d’études et de recherche en droit de l’immatériel (Cérdi) qui doit réfléchir et prendre en compte l’évolution de l’informatique et des nouvelles techniques.

Il dirige l’Institut français de la communication (IFC), orga-nisme créé en partenariat entre l’Ina et l’université Paris I.

JEAN-PIERRE SPIèRo

Jean-Pierre Spièro, né en 1937 à Düsseldorf (RFA), diplômé de l’Idhec (Institut des hautes études cinématographiques), est auteur-réalisateur et producteur. Il est sociétaire définitif à la Sacem depuis 1975.

Jean-Pierre Spièro est administrateur Sacem / SDRM. Il a été vice-président de la Sacem en 2003 et membre de la Commission intersociale (Sacem/SACD/SGDL) de 1970 à 1975.

Au cinéma (1957-1958), il a été l’assistant-réalisateur de Jean Renoir : Le testament du Docteur Cordelier, Le déjeuner sur l’herbe, remontage de La Grande Illusion (partie musicale).

À la télévision (1963-2004), comme réalisateur et produc-teur TV :

— Variétés et divertissements : Tilt-Magazine (prod. Michèle Arnaud, révélation de Michel Drucker comme anima-teur), Télé-Dimanche (prod. Raymond Marcillac), Quatre Temps (prod. Michèle Arnaud), 24 h pour 3 idoles (film) avec J. Hallyday, Cl. François et J. Dutronc, Studio 102, La Bande à Cloclo, 1 heure avec Claude François (shows Claude François), Cadet-Rousselle, Top Club, Cadence 3, Système 2 et La Classe (avec

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E Guy Lux), Libre-Échange : production et réalisation, recherche de nouveaux talents à travers la France (série), Champs-Elysées, Stars 90, Faites la fête, Studio Gabriel.

— Opérations spéciales : co-créateur, producteur, réali-sateur du Téléthon depuis 1987, inauguration de Canal+, Les 50 ans de la Télévision, ouverture et clôture des J. O. d’Al-bertville en haute définition, La grande Éclipse du Soleil, En direct du Tonga : le premier passage en l’An 2000.

— Émissions scientifiques : coproduction et réalisation Planète Bleue, Objectif Demain (avec Laurent Broomhead).

— Fictions : Ubu Roi, Notre correspondant à Madras, YAC 19, Voltaire’s Folies, Hélène et les Garçons.

JACQuES touboN

Jacques Toubon est né en 1941. Il est conseiller d’État, il a fait une licence de droit public, l’IEP de Lyon et l’Ena (promotion 1965).

Jacques Toubon a été délégué national du RPR chargé des élections (1976-1978), il en a été secrétaire général adjoint (1978-1981), puis secrétaire général (1984-1988). Élu député de Paris entre 1981 et 1993, il a également été maire du 13e arrondissement et adjoint au maire de Paris (1983-2001). Il a été président du Haut Comité homme et société au RPR (1990), président du Club 89 (1993).

Jacques Toubon a été ministre de la Culture et de la Francophonie de 1993 à 1995. Il a également été Garde des sceaux, ministre de la justice, entre 1995 et 1997. Il a occupé un poste de conseiller auprès du président de la République (1997-1998).

Jacques Toubon préside le Fonds Eurimage du Conseil de l’Europe depuis 2002. Il est député européen depuis 2004 : membre de la commission parlementaire du marché intérieur et de la protection des consommateurs, membre suppléant de la commission parlementaire des affaires constitution-nelles, premier vice-président à la commission parlementaire mixte UE-Turquie, président de la cité nationale de l’histoire et de l’immigration.

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hALIt uMAN

Né à Istanbul (Turquie) en 1954, Halit Uman est titulaire d’une maîtrise d’urbanisme (Paris).

Après un bref passage par le disque (WEA 1982-1983), il travaille chez W. B. music où il occupe le poste de general-manager de 1984 à 1987, puis il devient gérant de Rondor music (1988-2000).

Fin 2000, il crée Halit Music, société d’édition musicale indépendante qui édite des musiques de répertoires variés et représente pour la France de nombreux catalogues indé-pendants étrangers (principalement anglo-saxon) de musi-ques de 1950 à nos jours.

Son expérience professionnelle l’a donc amené à une bonne connaissance des négociations commerciales faisant intervenir des sociétés de différents pays dans le domaine musical.

Halit Uman est administrateur de la Sacem et de la SDRM. Il est vice-président de la Chambre syndicale des éditeurs de musique (CSDEM) et membre du Conseil supérieur des musiques actuelles (CSMA).

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Auteur-réalisateur d’une trentaine de films originaux pour la télévision, dont certains ont connu une carrière interna-tionale, il a reçu le Prix Italia, le grand prix Albert Ollivier (scénario et réalisation) et le prix de télévision de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques (SACD).

Au Théâtre Essaïon a été représentée en 2000 sa pièce Appelez-moi Rose, il a écrit également Lettres piégées (en cours de montage) et Le Choix du prince.

Romancier, son dernier roman Choisis une étoile (aux éditions Henry) a été couronné en 2005 par le Prix du Roman jeunesse et en 2007 paraîtra Sous les pas de la Mémoire.

Poète, il a publié trois recueils, l’un chez Seghers et, cette année Poèmes de jour, poèmes de nuit aux éditions de la Maison de Poésie.

Il a présidé à deux reprises la SACD, et durant plusieurs années la SDRM et Copie France qu’il a contribué à fonder. Il est vice-président du Snac.

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Version e-book réalisée en décembre 2007 Production : Marc Autret — STUDIO ÉDITORIAL

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historique

Créé au mois de mai 1946, le Snac est né de la fusion de cinq organisations syndi-cales (compositeurs de musiques de films, auteurs dramatiques, scénaristes, auteurs et compositeurs dramatiques, lyriques ou de variétés) en une seule organisation suscep-tible de réunir tous les auteurs profession-nels. Le Snac est, aujourd’hui encore, le seul syndicat national (régi par la loi du 21 mars 1884) pouvant réunir tous ceux dont le métier est d’écrire ou de composer. Le Snac a eu des présidents prestigieux : des écrivains pluralistes comme Georges Duhamel ou Jean Cocteau, des auteurs dramatiques comme Armand Salacrou ou Marcel Achard, des cinéastes comme René Clair ou Jean Delannoy, des musiciens comme Darius Milhaud, Antoine Duhamel ou Georges Auric, des auteurs de chansons comme Jean Dréjac ou Claude Lemesle pour ne pas tous les citer.

Ses adhérents

Le Snac compte environ 800 adhérents, professionnels des différents secteurs de la création : écrivains, auteurs de bande dessinée, scénaristes, dialoguistes, réalisa-teurs, auteurs de chansons, compositeurs de musiques, auteurs de théâtre (dramatur-ges, metteurs en scène) ou de dramatiques radio, adaptateurs auteurs de doublages et de sous-titres, chorégraphes, scénographes, auteurs multimédia.

Sa mission

Le Snac est un outil au service de la profes-sion. Il est là pour aider les auteurs, les conseiller dans la négociation de leurs contrats, les soutenir dans leurs litiges, les défendre sur tous les plans, individuel-lement et collectivement. Le Snac réunit des professionnels, hommes et femmes, créa-teurs isolés ou dont les œuvres sont dissé-minées dans les différents répertoires des sociétés d’auteurs, pour défendre leur droit d’expression, leurs conditions de travail et leurs moyens de production, afin de favori-ser l’éclosion des œuvres.

Ses actions

Le Snac revendique une liberté d’expression totale au regard de la défense des auteurs et du droit d’auteur. À son initiative, ou à la demande d’un auteur, le Snac peut soutenir une action en justice, il peut aussi donner des consultations juridiques et rédiger des actes sous seing privé au profit de ses adhé-rents. Le Snac représente les auteurs au sein de différentes instances telles que le Conseil permanent des écrivains, le Conseil d’administration et les commissions profes-sionnelles de l’Agessa, le Fonds de soutien au théâtre privé, le CNV, le FCM, le Bloc, l’Association des Victoires de la musique, le CSPLA, la Coalition française pour la diver-sité culturelle, etc.

Snac : 80, rue taitbout – 75009 paris tél. : 01 48 74 96 30 | www.snac.fr

S y n d i c a t N a t i o n a l d e s A u t e u r s e t d e s C o m p o s i t e u r s

le Syndicat national des auteurs et des compositeurs ( Snac )

Si les diverses formes d’activités des créateurs peuvent donner naissance à des intérêts particuliers, il y a néanmoins, dominant tout le reste, un intérêt commun à tous : la défense du droit d’auteur.

1946-2006

60 ans au service des auteurs et du droit d’auteur

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Le droit d’auteur : des « Lumières » à Internet

L’ uteur au XXIe siècle

À l’occasion de sa 60 e année d’existence, le Syndicat national des auteurs et des compositeurs (Snac), dont l’objet principal est la défense du droit d’auteur et des auteurs, a décidé, après tous les débats qui se sont déroulés autour du droit d’auteur et d’Internet, d’être à l’initiative de l’organisation d’un colloque et d’inviter à y participer les auteurs, les compositeurs, les diffuseurs d’œuvres, les politiques, les journalistes et les juristes.

les auteurs sont à l’origine d’un secteur économique important qui va de l’édition littéraire et musicale et du spectacle à l’audiovisuel. les auteurs et leurs œuvres alimentent la culture au sens le plus large mais également l’industrie, le commerce et le tourisme.

la publication des actes de ce colloque est destinée à permettre la mémoire des interventions qui furent riches, variées et instructives sur la situation passée, présente et surtout future du droit d’auteur.

Informés et unis, les auteurs représentent une force. Expliqué et défendu, le droit d’auteur est un droit légitime et efficace.

Sont intervenus dans ces débats :

Alain Absire • Jean‑Pierre Ancel Maurice Cury • Simone Douek

Laurent Duvillier • Joëlle Farchy David Ferguson • Yves Frémion

Victor Haïm • Stéphane Laporte Claude Lemesle • Bernard Miyet

Jean‑Marie Moreau Paul Otchakovsky‑Laurens

Laurent Petitgirard • Jack Ralite Emmanuel de Rengervé

Pascal Rogard • Pierre Sirinelli Jean‑Pierre Spièro • Jacques Toubon

Halit Uman • Youri

80, rue Taitbout – 75009 Paris Tél. : 01 48 74 96 30 www.snac.fr