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UNIVERSITE DE MONTPELLIER I
CENTRE DE DROIT DE LA CONSOMMATION ET DU MARCHE
MASTER II RECHERCHE : DROIT DU MARCHE
ANNEE UNIVERSITAIRE 2010-2011
LL’’EESSTTOOPPPPEELL EENN DDRROOIITT DDEESS CCOONNTTRRAATTSS
Par :
Grégoire MERCIER
Directeur de recherche :
Cathie-Sophie PINAT, Doctorante à la Faculté de droit de Montpellier.
Mémoire présenté et soutenu dans le cadre de l’obtention de Master II Droit du Marché.
L’estoppel en droit des contrats
2
L’estoppel en droit des contrats
3
La Faculté n’entend donner aucune approbation ni aucune improbation aux
opinions émises dans ce mémoire ; ces opinions doivent être considérées comme
propres à leur auteur.
L’estoppel en droit des contrats
4
REMERCIEMENTS
Je tiens à adresser mes plus sincères remerciements à :
Mademoiselle Cathie-Sophie Pinat, Doctorante à la Faculté de droit de Montpellier et
Directrice de cette étude, pour sa disponibilité, ses précieux conseils et ses
encouragements.
Monsieur Daniel Mainguy, Professeur à la Faculté de droit de Montpellier et Directeur
du Master Recherche Droit du marché, pour m’avoir permis de réaliser cette étude dans
d’excellentes conditions.
Monsieur Malo Depincé, Maître de Conférences à la Faculté de droit de Montpellier et
co-directeur du Master Recherche Droit du marché, pour m’avoir encouragé dans mon
travail universitaire tout au long de l’année.
Et enfin, l’ensemble de l’équipe doctorale et les étudiants du Master Recherche Droit du
Marché de la promotion 20010/2011 qui m’ont aidé, d’une façon ou une autre, à
l’accomplissement de cette étude.
L’estoppel en droit des contrats
5
SOMMAIRE
1ère
partie – Le glissement de l’estoppel vers le droit privé français : effectivité et
virtualité ........................................................................................................................ 13
Titre I – L’accueil exprès de l’estoppel dans le droit privé français ...................... 14
Chapitre I – Le processus de construction de la reconnaissance de l’estoppel .. 14
Chapitre II – Les limites de la reconnaissance du principe d’estoppel .............. 26
Titre II – De l’estoppel à une obscure interdiction de se contredire au détriment
d’autrui dans l’ensemble du droit privé français des contrats ................................ 37
Chapitre I – L’appréhension française du traitement de la confiance, la loyauté et
la cohérence ........................................................................................................ 38
Chapitre II - L’existence implicite d’une interdiction générale de se contredire
au détriment d’autrui dans la jurisprudence française du droit des contrats ...... 43
2ème
partie - L’estoppel en droit privé français des contrats, entre technique et
politique juridique .................................................................................................... 53
Titre I – Les imbrications techniques entre le principe d’estoppel et les concepts
fondateurs du droit contractuel français ................................................................. 54
Chapitre I - Les possibilités d’admission du principe d’estoppel à travers les
concepts connus du droit des contrats ................................................................ 55
Chapitre II - Les limites de l’épanouissement d’un principe d’estoppel dans le
cadre actuel du droit français des contrats : l’estoppel, un mécanisme en quête
d’identité conceptuelle ........................................................................................ 64
Titre II – L’introduction du principe d’estoppel dans le droit privé français des
contrats : la remise en cause d’un modèle .............................................................. 77
Chapitre I – Les influences de l’estoppel sur le rôle du juge ............................. 77
Chapitre II - La possible consécration d’un principe d’estoppel assumé dans le
droit français des contrats : la perspective d’une réforme .................................. 82
L’estoppel en droit des contrats
6
PRINCIPALES ABREVIATIONS
Art. Article
Bull., civ. Bulletin civil des arrêts de la Cour de cassation
CA Cour d’appel
Cass., civ, 1ère
Cour de cassation, première chambre civile
Cass., civ, 2ème
Cour de cassation, deuxième chambre civile
Cass., civ, 3ème
Cour de cassation, troisième chambre civile
Cass., com Cour de cassation, chambre commerciale
Contrats, conc., consom Contrats, Concurrence, Consommation
D. Recueil Dalloz
Defrénois Répertoire Defrénois
Dir. Sous la direction de
Dr. & patrimoine Droit et Patrimoine
Ed. Edition
Fasc. Fascicule
Gaz. Pal. Gazette du Palais
JDI Journal du droit international
JCP Semaine juridique édition Générale
Obs. Observations
Préc. Précité
RDC Revue de droit des contrats
Rev. arb. Revue de l’arbitrage
RTD civ Revue trimestrielle de droit civil
RTD com Revue trimestrielle de droit commercial
S. Sirey
Th. Thèse
vol. Volume
L’estoppel en droit des contrats
7
INTRODUCTION
«Nous ne vivons que de contradictions et pour des contradictions, la vie est tragédie et
lutte perpétuelle sans victoire et sans espoir de victoire ; elle est contradiction »1.
1- La contradiction que Unamuno considère comme inhérente à la vie elle-même, a
en effet un caractère omniprésent, et le droit n’échappe pas à ce constat. Aussi,
l’estoppel n’est pas toujours visible mais il semble être partout. Il est un principe aux
yeux de beaucoup2, tant il est répandu, diversifié, et reconnu comme tel par le droit
international public, comme le droit transnational privé, ainsi que de nombreux
systèmes juridiques nationaux. Pour d’autres il est encore une simple règle exotique,
contrainte à la singularité. On le désigne généralement en France comme « l’interdiction
de se contredire au détriment d’autrui ».
L’estoppel est un terme à l’étymologie latine. En effet, il a été relevé que « estop », puis
« estoppel » viennent du latin stuppa, ayant donné « étoupe », qui renvoie à l’idée de
colmater et par extension de bloquer. Plus encore, les origines romaines de l’estoppel ne
sont pas uniquement étymologiques et ne se limitent pas à une seule question de
sémantique.
En effet ce mécanisme se retrouve dans le Droit ayant donné naissance aux systèmes
juridiques allemand, français, espagnol et plus largement à tous les systèmes d’origine
romano-germanique. Dans le digeste de Justinien on trouvait déjà la règle venire contra
factum proprium nulli conceditur3, ainsi on retrouve en termes identiques dans les droits
espagnols et allemands cette interdiction existant sous l’empire de Justinien d’aller
contre son propre fait4.
1 M. de Unamuno, Du sentiment tragique de la vie, 1913, trad. par Marcel Faure Beaulieu.
2 E. Gaillard, « L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui comme principe général du
droit du commerce international », Rev. arb. 1989, p. 241 et s. 3 « Nul n’est admis à venir contre son propre fait ».
4 E. Agostini, « L’estoppel : Rendons à César », D. 2006, p1424.
L’estoppel en droit des contrats
8
2- L’incidence des origines latines doit tout de même être nuancée. En effet le
principe d’estoppel tel qu’on le connait aujourd’hui, parfois appelé « principe de
l’estoppel », se retrouve principalement dans les pays de Common Law comme dans le
droit international, et il est le fruit d’une construction jurisprudentielle minutieusement
élaborée.
Ce principe d’estoppel est donc anglo-saxon, imprégné du système juridique anglais, et
on y retrouve inévitablement les caractéristiques de tout mécanisme issu de ce Droit,
dans lequel la jurisprudence dégage des principes au fur et à mesure de l’accumulation
des décisions. Tous les principes du droit anglais émanent donc de la jurisprudence et se
forgent dans les précédents jurisprudentiels. C’est dans ce contexte qu’est apparu au
XIIe siècle, le principe d’estoppel anglais, celui dont l’évolution et l’influence nous
conduit aujourd’hui à nous questionner à son propos.
Il est en outre important de distinguer les différences d’appréhension de l’estoppel selon
que l’on se réfère au droit anglais, au droit américain, au droit australien ou encore au
droit du commerce international. En effet, tous se sont forgés dans le droit anglais, mais
se sont développés différemment au contact des spécificités de chaque système
juridique. En droit du commerce international, il s’agit d’un principe, consacré par les
Principes relatifs aux contrats du commerce international (Unidroit), tandis que dans le
droit anglais, l’estoppel est beaucoup plus encadré, mais aussi plus sectorisé qu’en droit
australien par exemple.
Ainsi, il n’existe non pas un principe d’estoppel universel, mais une multitude. Cette
multiplicité se manifeste à travers les nuances dans l’appréciation et l’application du
principe d’un système juridique à un autre, mais aussi au sein même d’un ordre
juridique. Les juristes anglais en distinguent différentes formes5 : estoppel by record ou
estoppel rem judicatam, estoppel by deed, estoppel by convention, estoppel by
representation, promissory estoppel, proprietary estoppel, etc. A. Leopold a pu en
dénombrer douze variétés6, mais de nouvelles distinctions ont été relevées depuis
7.
Cette distinction entre plusieurs estoppels en droit anglais s’explique par la nature
même du système judiciaire. En effet, on oppose souvent la logique ascendante du droit
5 B. Fauvarque-Cosson, « L'estoppel, concept étrange et pénétrant », RDC, 2006, p. 1279 et s.
6 A. Leopold, « Estoppel : a pratical appraisal of recent developments », 1991, 7 Aust. Bar Rev.
7 M. Spence, Protecting reliance : the emergent doctrine of equitable estoppel, 1999, Oxford –
Portland Oregon, Hart Publishing.
L’estoppel en droit des contrats
9
anglais de la logique descendante du droit français. Bien que la classification ne soit pas
une tradition du droit anglais, cette typologie est la conséquence de l’étude des faits.
C’est cette étude qui a donné naissance à plusieurs règles distinctes, et c’est la logique
commune de ces règles qui a permis de dégager un principe.
3- A travers l’influence du droit anglais sur les autres pays de Common Law et sur le
droit international, certains mécanismes vont jusqu’à influencer les systèmes civilistes,
l’estoppel en est l’illustration.
Le principe d’estoppel, traduit dans la mesure du possible par « l’interdiction de se
contredire au détriment d’autrui » n’a pas réellement de place en France et plus
généralement dans les systèmes civilistes. On ne le retrouve dans aucune disposition
codifiée puisqu’aucune loi n’y fait référence et la jurisprudence, consciente de son
efficacité en Angleterre, Australie ou ailleurs, y est longtemps restée hostile. Pourtant,
nous verrons que l’estoppel n’a pas échappé à l’influence des droits étrangers sur la
jurisprudence française, à tel point que la Cour de cassation reconnaitra expressément
« la règle de l’estoppel » le 6 juillet 2005 dans un arrêt Golshani8, relatif à une
procédure arbitrale. Finalement le 13 janvier 2011, un décret destiné à réformer le droit
de l’arbitrage consacre cette jurisprudence9 et l’application de la règle de l’estoppel dans
la procédure arbitrale.
4- La jurisprudence française n’est donc plus hostile à ce principe et l’applique dans
le domaine du droit de l’arbitrage. Pour autant, son application est encore aujourd’hui
limitée à ce domaine précis et ne s’est pas généralisée à l’ensemble du droit privé
français, il demeure un principe défensif à la mise en oeuvre limitée. Si une partie de la
doctrine s’étant manifestée pour l’accueil de l’estoppel en droit privé français bien avant
l’arret Golshani10
, peut se féliciter de cette avancée, il ne semble pas que leur souhait ait
été entièrement exaucé.
Une application du principe à l’ensemble du droit privé français peut paraitre difficile,
qu’elle soit souhaitable ou non, pourtant la question semble se poser. Alors que depuis
plusieurs années la nécessité de réformer le droit français des contrats est régulièrement
8 Clunet 2006. 608, note M. Behar-Touchais, Rev. arb. 2005.993, note Ph. Pinsolle ; D. 2005. JP.
3059, note Th. Clay ; JCP G. 2005.I.179, n°6, obs. J. Ortscheidt. 9 Décret n° 2011-48
10 H. Muir Watt, « Pour l’accueil de l’estoppel en droit international privé français », in
Mélanges Y. Loussouarm, Dalloz, 1994, p. 302 et s.
L’estoppel en droit des contrats
10
mise en lumière, la généralisation du principe d’estoppel à notre droit des contrats n’est
pas une idée si singulière.
Si la jurisprudence connait vis-à-vis de l’estoppel la prudence précitée, on trouve dans
l’ensemble des décisions relatives au droit français des contrats, une certaine tendance à
la sanction de la contradiction. Nous l’avons précisé, l’estoppel peut se traduire « par
l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui ». Comme la jurisprudence a pu
porter le « germe de l’estoppel » dans ses arrêts relatifs à l’arbitrage, on peut assimiler
bons nombre de décisions à la volonté de sanctionner la contradiction préjudiciable
d’une partie dans une convention.
On peut se situer à la formation du contrat, à son exécution ou à son extinction, très
souvent ce qui est sanctionné peut être rapproché de la contradiction. Comme nous le
verrons la notion « d’attente légitime » d’une partie au contrat est prépondérante dans de
nombreuses situations concernées par l’estoppel. Or dans les décisions de la Cour de
cassation, l’attente ou croyance légitime voire plus largement la confiance légitime,
provoquée par une partie et ayant généré un préjudice sera sanctionnée sous divers
fondement. Cela sera valable que la contradiction provienne d’un comportement ou de
la composition même d’un contrat.
5- Que l’on parle d’une nécessité de modernisation, de compétitivité ou encore
d’uniformisation, le principe d’estoppel peut être un outil voire un atout.
La question de l’introduction de l’estoppel dans le droit français des contrats implique
donc un certain nombre d’enjeux au niveau de la politique juridique qui eux-mêmes
supposent de nombreuses réflexions techniques. Ces réflexions techniques sont
gouvernées par la nette opposition entre la logique juridique civiliste et celle du système
de Common Law. La notion de fondement textuel absente dans le droit anglo-saxon fait
surgir un certain nombre d’incompatibilités.
Cependant même en faisant abstraction des hypothétiques réformes, on sait que la
jurisprudence française a en de nombreuses occurrences une fonction créatrice de droit.
Aussi, des notions telles que l’exigence de bonne foi contractuelle du code civil ouvre la
voie de l’extension et n’est pas sans provoquer des interrogations relatives à la possible
introduction de l’estoppel en droit privé français. Nous relèverons que la distinction
L’estoppel en droit des contrats
11
entre estoppel et bonne foi semble acquise en droit du commerce international11
, pour
autant dans une perspective de droit interne la place de l’une et l’autre des deux notions
demeure une source de réflexion.
6- Les doctrines solidaristes et autonomistes génératrices de débats passionnés, sont
directement concernées par le sujet de notre étude. Le principe d’estoppel, si l’on se
place dans une logique d’introduction « intégrale » est un mécanisme à la fois défensif
et offensif, mais tel qu’il est envisagé par la jurisprudence française à l’image de l’arrêt
Golshani, celui-ci prend la forme d’une fin de non recevoir. En effet il permet
d’empêcher une partie ayant participé à une procédure arbitrale, de contester la validité
de celle-ci postérieurement, notamment à l’étape de l’exéquatur.
Limité à ce type de situation le principe est donc moins concerné par la doctrine
solidariste. Le solidarisme que l’on oppose à l’autonomisme s’intéresse à la relation
contractuelle et à l’engagement. La notion de bonne foi est au cœur des développements
de l’école solidariste mais au niveau de l’exécution du contrat, voire de sa formation12
.
Même dans l’hypothèse d’un rapprochement de l’estoppel observé dans l’arrêt Golshani
et de la bonne foi procédurale, la notion est hors de champ des déveeloppements liés au
solidarisme
Nous noterons que l’application du principe en droit américain et australien se distingue
du droit anglais, et que c’est notamment en Australie et aux Etats-Unis que l’estoppel
est un mécanisme offensif, tantôt fondé sur la notion de « reliance », tantôt sur celle de
« comportement sans conscience ». Partant de ces notions de mécanisme « offensif » et
« défensif », l’estoppel en droit français doit être rapproché des doctrines solidaristes et
autonomistes.
En effet, en développant les moyens d’une éventuelle irruption de l’estoppel en droit
français, et toujours dans une démarche comparatiste, nous verrons, qu’à travers
l’impératif de fondement textuel des civilistes, l’estoppel impliquera que soit évoquée la
place du juge et son intervention dans la relation contractuelle des parties.
11 Ph. Pinsolle, « Distinction entre le principe de l’estoppel et le principe de bonne foi dans le
droit du commerce international », JDI Clunet, 1998, p. 905 et s. 12
E. Savaux, « solidarisme contractuel et formation du contrat », in Le solidarisme contractuel –
mythe ou réalité?, dir. L. Grynbaum et M. Nicod, Economica, 2004, p. 43 et s.
L’estoppel en droit des contrats
12
7- Etudié par un juriste français, l’estoppel suscite donc des interrogations relatives
à son apparition dans le droit positif français et ses perspectives d’avenir dans ce
contexte. Par conséquent est soulevé le débat relatif à son opportunité, on se demande
alors par quel biais celui-ci peut avoir vocation à se développer et dans quel but.
Ainsi nous verrons de quelle manière l’estoppel est arrivé dans le droit positif français
et comment il s’y manifeste implicitement (1ère
partie), avant de voir quelles peuvent
être, techniquement les perspectives d’avenir de ce principe dans le droit français des
contrats et quelles seraient les conséquences de cet avenir, notamment en matière de
politique juridique (2ème
partie).
L’estoppel en droit des contrats
13
1ère
partie – Le glissement de l’estoppel vers le droit
privé français : effectivité et virtualité
8- Les instruments juridiques nationaux comme supranationaux ne manquent pas
d’influencer les ordres juridiques des différents pays concernés. Certains parlent même
d’un « processus d’acculturation, qui consiste en des transferts de droits d’un système
juridique à un autre »13
. C’est précisément dans ce processus que s’inscrivent
l’évolution et le développement du principe d’estoppel.
La France n’a pas échappé à cette dynamique et a donc subi l’influence du droit du
commerce international, lui-même forgé dans le droit anglais, conduisant à faire
apparaître l’estoppel dans son droit positif.
L’influence en question prend plusieurs formes selon le « niveau » atteint. En
effet, elle peut se manifester sous la forme de l’adoption par un système juridique d’un
instrument inconnu, mais bien souvent cette influence est dans un premier temps
implicite, on la décèle dans la jurisprudence bien qu’elle ne soit pas formelle, mais la
difficulté à la percevoir peut parfois la rendre presque « virtuelle »14
.
Ainsi, en droit privé français, si l’estoppel existe désormais en tant que tel (Titre I), il
existe plus largement, mais de façon implicite (Titre II)
13 E. Loquin, L. Ravillon, « La volonté des opérateurs vecteur d’un droit mondialisé », in E.
Loquin, C. Kessedjian, La mondialisation du droit, Litec, 2000, p. 91 et s. 14
D. Mazeaud, « La confiance légitime et l’estoppel : rapport français » in B. Fauvarque-Cosson,
« La confiance légitime et l’estoppel », Société de législation comparée, 2007, p. 265.
L’estoppel en droit des contrats
14
Titre I – L’accueil exprès de l’estoppel dans le droit privé
français
9- A travers plusieurs étapes, le principe d’estoppel s’est fait une place dans le droit
positif français, d’abord comme « interdiction de se contredire au détriment d’autrui »,
puis sans spéculations possibles sous le nom de « règle de l’estoppel ». Cette place se
situe dans le droit de l’arbitrage, avec toutes les particularités qu’il comporte. Il faut
donc comprendre le processus qui a permis la reconnaissance de l’estoppel en droit
privé français (Chapitre I), pour en faire ressortir les limites, ouvrant ainsi la réflexion a
d’autres perspectives (Chapitre II).
Chapitre I – Le processus de construction de la reconnaissance
de l’estoppel
10- Avant de contribuer à l’enrichissement reconnu du droit français, on a ressentit
de la part de la jurisprudence une volonté de sanctionner la contradiction d’une partie se
faisant au détriment de son cocontractant ou ancien cocontractant dans la procédure
arbitrale (Section I). Cette volonté a par la suite donné lieu à une reconnaissance
expresse de l’estoppel en droit français de l’arbitrage, puis à un décret dans le même
sens (Section II).
L’estoppel en droit des contrats
15
Section I – Un principe français d’estoppel en germe par
l’adoption de décisions liées au mécanisme
11- On peut parler de principe d’estoppel « en germe »15
dans la mesure où
l’influence du droit du commerce international se faisait ressentir quand bien même, le
principe d’estoppel n’était pas reconnu en France. Cette influence se manifestait donc
dans de nombreuses décisions (§ I), mais n’était pas sans poser de problèmes,
notamment concernant le fondement (§ II).
§ I – La multitude de décisions comportant les prémices de l’estoppel en
droit français
12- En étudiant les décisions permettant, sinon d’imaginer un éventuel accueil du
principe d’estoppel, de constater une sensibilité à ce dernier, on constate que
l’impulsion est donnée par les juges du fond et notamment la cour d’appel de Paris (I),
avant qu’ils ne soient « suivis » par la Cour de cassation (II).
I) Un processus lancé par les juges du fond
13- En dehors de tout débat sur l’opportunité de la façon dont sont élaborées les
décisions, l’intérêt des arrêts présentement étudiés réside dans leur référence à
l’estoppel, ou plus souvent à « l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui ».
L’une des premières avancées intéressantes du processus réside dans un arrêt ITM rendu
par la cour d’appel de Paris le 17 janvier 200216
. Dans cet arrêt, la Cour a jugé que : « la
société ITM ne peut sans se contredire au détriment de M. François Gavaud, soutenir
qu’il ne pouvait ‘se prévaloir du contrat de franchise en vertu de l’article 1165 du code
civil et plus généralement de l’effet relatif des contrats’ ; qu’elle a en effet perdu le
15 Ph. Pinsolle, note sous arrêt Golshani, Rev. arb. 2005, n° 4, p. 995.
16 Paris, 1
re ch. C., 17 janv. 2002, ITM c/ Gavaud, somm. Rev. arb., 2002.205.
L’estoppel en droit des contrats
16
droit d’invoquer tout grief tiré de l’absence comme de la nullité de la convention
d’arbitrage devant le juge de l’annulation ». La cour d’appel a ainsi refusé d’admettre
le moyen d’annulation.
En l’espèce, une des parties avait d’abord soulevé une exception d’incompétence devant
les tribunaux étatiques en application de la clause compromissoire présente dans le
contrat, pour soumettre le litige à un tribunal arbitral, avant d’en contester la validité
devant la cour d’appel de Paris. Cette même partie ayant participé sans réserve à la
procédure arbitrale qu’elle avait antérieurement revendiquée a vu son moyen rejeté pour
s’être « contredite au détriment » de la partie adverse. C’est donc en se référant à une
contradiction que la Cour a rendu une telle décision.
14- De façon plus implicite, le 18 novembre 2004, la cour d’appel de Paris sans se
fonder sur l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, rend une décision
portant également le « germe » de l’estoppel dans un arrêt Thalès Air Defence17
. En
l’espèce une partie attaquait une seconde sentence fixant le montant du dommage alors
que la première établissait le principe de sa responsabilité pour résiliation fautive d’un
contrat. Dans ce cas la partie défenderesse estimait que les critiques concernaient en
réalité la première sentence, qui n’avait pas été contestée en temps utile.
Face à cette situation particulière, la cour d’appel a considéré que « le moyen de
l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui relevé par Euromissile à titre de fin
de non-recevoir en ce que la société Thalès s’était toujours située dans l’optique d’une
exécution des contrats est également rejetée puisque l’étendue du contrôle
juridictionnel des règles impératives du droit communautaire ne doit pas être
conditionnée par l’attitude des parties ».
Il ne faut pas se méprendre face à cette décision rejetant le moyen du défendeur, car la
cour d’appel ne remet aucunement en cause l’existence d’un principe d’interdiction de
se contredire au détriment d’autrui. Le fait que la raison du rejet se situe ailleurs n’est
pas dû au hasard, et à défaut de reconnaissance expresse, la cour d’appel confirme
implicitement qu’il existe bien à ses yeux un tel principe.
17 Paris, 1
re ch. C., 18 nov. 2004, SA Thalès Air Defence c/ GIE Euromissile, Rev. arb.,
2005.715 ; JDI, 2005.357, note A. Mourre ; RTD com., 2005.263, obs. E. Loquin ; JCP, 2005 I.134, obs.
Ch. Seraglini ; JCP, 2005 II, 10038, note G. Chabot ; J. Intl. Arb., 2005.239, note D. Bensaude ; Rev.
Lamy de la conc., 2005.58, obs. E. Barbier de la Serre et Ch. Nourissat.
L’estoppel en droit des contrats
17
15- Le 19 février18
et le 3 juin 200419
également, la cour d’appel de Paris avait déjà
rejeté un moyen, au motif qu’en demandant l’annulation d’une sentence après avoir
revendiqué la validité du recours à la procédure arbitrale et après y avoir participé, une
partie se contredisait nécessairement.
16- Enfin, la cour d’appel de Rouen nous fait sortir de la sphère virtuelle dans une
décision du 25 novembre 200420
. Pour la première fois une juridiction, va parler
d’estoppel, pour des faits similaires à ceux précédemment étudiés. Si dans la finalité, la
décision ne se détache pas des autres puisqu’il s’agit de considérer un moyen
irrecevable, il n’y a rien d’anodin dans le fait que le terme « estoppel » soit utilisé. Nous
le verrons, et les juges de la cour d’appel en sont parfaitement conscients, une référence
à l’estoppel est chargée de sens, bien plus que celle faite à une « interdiction de se
contredire au détriment d’autrui » qui serait reconnue dans le cadre strictement
procédural et dans le domaine de l’arbitrage.
En effet pour rejeter le moyen d’annulation invoqué, la cour d’appel de Rouen a
considéré qu’il « résulte du principe d’estoppel applicable à l’arbitrage international
que nul n’est admis à se prévaloir de l’existence de faits contraires à ses allégations
précédentes ».
Il est donc clair que les juges du fond, à l’image des Cours d’appel de Paris et de
Rouen se sont manifestés en faveur de l’application d’un principe d’interdiction de se
contredire au détriment d’autrui, voire d’un principe d’estoppel, au moins dans le cadre
de l’arbitrage international.
18 Paris, 1
re ch. C., 19 fév. 2004, Euton c/ Ural Hudson, Rev. arb., 2004.873, note L. Jaeger.
19 Paris, 1
re ch. C., 3 juin 2004, Exodis c/ Ricoh France, Rev. arb., 2004.683, note P. Callé.
20 Rouen, 2
e ch. C., 25 nov. 2004, Cogecot Cotton Company c/ Marlan’s Coton Industries, Gaz.
Pal., 28 avr. 2005, n°118, p. 32.
L’estoppel en droit des contrats
18
II) Les premiers pas de la Cour de cassation
17- Pour parler de réception d’un principe, il est indispensable qu’au-delà des
décisions rendues en appel, la Cour de cassation se soit également prononcée. Ce sera
chose faite avec l’arrêt Golshani, mais avant lui, le germe de l’estoppel commençait
déjà à faire son apparition dans les arrêts de la Cour de cassation.
Plusieurs décisions vont dans le sens d’une volonté de réprimer la contradiction,
quelque soit le fondement ou le mécanisme en jeu dans la justification, cette question
étant abordée ultérieurement.
D’abord par le truchement de la renonciation, la Cour de cassation déclare irrecevable
un moyen invoqué en contradiction avec un comportement antérieur. Ces décisions sont
chargées de sens dans la mesure où il s’agit une nouvelle fois d’une question
d’irrecevabilité d’un moyen, bien que nous ne soyons plus dans le cadre d’une
procédure arbitrale.
La première, rendue le 30 novembre 2004 par la chambre commerciale21
, concerne une
situation dans laquelle des cédants d’actions, n’ayant pas réclamé l’exécution du contrat
dans son intégralité, se sont vus considérés comme ayant renoncé de façon non
équivoque à l’exécution intégrale d’une convention, pourtant valable.
Dans le deuxième arrêt datant du 1er
mars 200522
, la 1re
Chambre civile casse l’arrêt
d’appel qui avait rejeté une demande d’annulation de contrat de prêt lié à une vente
immobilière elle-même annulée dans les termes suivant : « sans relever d’acte positif de
nature à caractériser sans équivoque la volonté (…) de renoncer à se prévaloir de
l’interdépendance des contrats de vente et de prêt ». Notons qu’ici, la question du
double-emploi entre renonciation et estoppel peut être soulevée.
18- Enfin, ces « premiers pas » de la Cour de cassation, bien qu’ils se situent sur un
autre terrain que celui de l’arbitrage international, sont encore plus évidents dans un
arrêt de la Chambre commerciale de la Cour de cassation du 8 mars 200523
. La Cour a
considéré ici « qu’en dépit de la signature d’une convention d’unité de comptes, la
21 Cass. com., 30 nov. 2004, Bull. Joly, 2005.379, note P. Mousseron ; RTD civ., 2005.391, obs.
J. Mestre et B. Fages. 22
Cass. civ. 1re
, 1er
mars 2005, D., 2005.883, obs. X. Delpech ; RTD civ., 2005.391, obs. J.
Mestre et B. Fages. 23
Cass. com., 8 mars 2005 n° 02-15.783, RTD civ., 2005.391, obs. J. Mestre et B. Fages.
L’estoppel en droit des contrats
19
banque qui en faisant fonctionner les comptes litigieux comme des comptes
indépendants, avait adopté un comportement incompatible avec l’application de la
convention litigieuse, dont elle a revendiqué ensuite le bénéfice, avait manqué à son
obligation de l’exécuter de bonne foi ».
Dans ce cas encore, la Cour se réfère à la bonne foi. Pour autant, il est évident que c’est
la contradiction dans le comportement incohérent de la banque, qui est directement
visée et sanctionnée. Nous le verrons24
, les arrêts de ce type sont nombreux et au-delà
d’un indice sur l’acceptation de ce principe ayant conduit à l’étape de l’arrêt Golshani,
ils laissent transparaitre une volonté de réprimer les actes incohérents, les contradictions
faisant naître une attente légitime et préjudiciable, sur l’ensemble du droit français des
contrats et pas seulement en matière d’arbitrage.
§ II - La complexité du fondement de la sanction d’une contradiction dans
la procédure arbitrale
19- Nous avons vu que la jurisprudence portait en elle des indications sur une
reconnaissance à venir, mais le fondement reste un « problème » majeur, et nous
sommes loin d’une position claire vis-à-vis de l’estoppel.
La contradiction s’est-elle faite au détriment de l’autre partie ? Découle-t-elle d’une
renonciation volontairement occultée pour des raisons d’opportunisme ? Le fait de
l’occulter constitue-t-il un manquement à l’obligation de loyauté et de bonne foi
procédurale ? Comment souhaite-ton sanctionner cette contradiction ? C’est l’ensemble
de ces questions qui pose un problème dans le traitement de la contradiction et dans la
lisibilité de la place de l’estoppel dans le seul cadre de la procédure arbitrale. C’est
également l’ensemble de ces questions qui démontre la difficulté à fonder la sanction de
la contradiction, et remet parfois en cause la raison d’être de l’estoppel en droit privé
français.
20- La jurisprudence a apporté plusieurs éléments de réponse par le biais de
nombreuses décisions, rendues notamment dans le cadre de l’arbitrage international.
24 V. supra, n° 60 et s. et n° 98 et s.
L’estoppel en droit des contrats
20
En effet, le 12 septembre 200225
, la cour d’appel de Paris rend une décision intéressante.
A l’image des arrêts précédemment étudiés26
, la solution apportée rentre dans un
processus de reconnaissance progressive de l’estoppel, et met en évidence les difficultés
à fonder la sanction de comportements contradictoires s’inscrivant dans des faits
toujours sensiblement différents.
En l’espèce il s’agit une nouvelle fois d’une partie ayant contesté la compétence des
tribunaux étatiques au profit d’un arbitrage, puis, une fois devant l’arbitre avait contesté
sa compétence au profit d’une compétence judiciaire. La Cour d’appel de Paris a ici
considéré que cette partie avait manqué à son « devoir procédural de loyauté et de
bonne foi ».
Il a été relevé que la cour se réfère probablement ici au devoir procédural de loyauté
et de bonne foi dans le but de condamner une partie à des dommages et intérêts27
.
21- Que le but soit de rejeter un moyen d’annulation ou de condamner une partie au
versement d’une somme au titre de dommages et intérêts, le champ de la contradiction,
préjudiciable ou non, est si large qu’il est difficile d’en tracer les contours en droit
français.
Dans le manquement à l’obligation de bonne foi, il s’agira de rejeter une demande au
fond, alors que dans l’estoppel tel qu’il est envisagé dans les arrêts cités sous
l’appellation « interdiction de se contre dire au détriment d’autrui », il s’agit de
prononcer l’irrecevabilité d’un moyen. Ce qui signifierait que selon les circonstances, la
théorie de la bonne foi serait insuffisante pour sanctionner une partie incohérente et
ouvrirait donc la voie à une raison d’être de l’estoppel en droit français. Partant de ce
postulat, il est possible d’imaginer qu’il faudrait donc scinder les différents types de
contradictions : celles entrainant le rejet d’une demande au fond et celles conduisant à
l’irrecevabilité d’un moyen, ce qui ne rendrait pas plus aisée la difficile lecture de la
jurisprudence française, déjà stigmatisée28
.
25 Paris, 1
re ch. C., 12 sept. 2002, Macron et SARL International Display Design c/ société des
Cartonnages de Pamfou, Rev. arb., 2003.173, note M.-E. Boursier. 26
Cf. infra, n° 12 et s. 27
Ph. Pinsolle, note sous arrêt Golshani, Rev. arb. 2005, n° 4, p.1003. 28
Guy Canivet, « Il faut rendre notre jurisprudence plus lisible » in Les Echos, propos recueillis
par SENNEVILLE Valérie (de), 20 avril 2005.
L’estoppel en droit des contrats
21
22- Par ailleurs, s’agissant de la déclaration d’une irrecevabilité, donc dans les
contradictions théoriquement hors du champ de la bonne foi, certaines peuvent être
envisagées presque indistinctement sous l’angle d’une renonciation et sous celui de
l’estoppel. Cette constatation est soulignée par Philippe Pinsolle lorsque ce dernier
affirme que « pris abstraitement, le domaine d’application des deux règles [la
renonciation et l’estoppel] est très largement commun »29
.
Une nuance est au centre de la distinction entre ces deux règles au domaine
d’application largement commun, c’est la notion de « confiance légitime » absente dans
le concept de renonciation30
. Malgré tout, il existe des cas, comme ceux évoqués
jusqu’ici, où cette distinction est discutée, elle l’a étée par exemple au niveau
international dans le cadre de l’affaire du Golfe du Maine, où la Cour internationale de
Justice s’est exprimée en ces termes : « La chambre constate en tout cas que les notions
d’acquiescement et d’estoppel, quel que soit le statut que leur réserve le droit
international, découlent toutes deux des principes fondamentaux de la bonne foi et de
l’équité. Elles procèdent cependant de raisonnements juridiques différents,
l’acquiescement à une reconnaissance tacite manifestée par un comportement
unilatéral que l’autre partie peut interpréter comme un consentement ; l’estoppel étant
par contre lié à l’idée de forclusion. D’après une certaine façon de voir la forclusion
serait d’ailleurs l’aspect procédural et l’estoppel l’aspect de fond du même principe.
[…] les mêmes faits étant pertinents aussi bien pour l’acquiescement que pour
l’estoppel, sauf pour ce qui est de l’existence d’un préjudice, la Chambre peut
considérer les deux notions comme des aspects distincts d’une même institution »31
.
La « confusion » existe donc et la référence faite par la Chambre aux « principes
fondamentaux de la bonne foi et de l’équité » desquels découleraient les deux notions,
ne va pas dans le sens d’une clarification, quand bien même les notions se manifestent
différemment en droit privé français.
23- Comme pour la bonne foi et l’estoppel, il peut être soutenu que non seulement la
renonciation ne peut être un outil sanctionnant l’ensemble des contradictions que
l’estoppel a vocation à sanctionner, notamment sous « sa forme Common Law » au sens
29 Ph. Pinsolle, note sous arrêt Golshani, Rev. arb. 2005, n° 4, p.1005.
30 Cf. n° 60 et s.
31 Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du Maine (Canada c/ Etats-unis
d’Amérique), 12 octobre 1984, Rec. CIJ, 1984, § 130, p.305.
L’estoppel en droit des contrats
22
large, puisque nous l’avons vu elle ne peut que conduire à une irrecevabilité, mais
l’estoppel avec ses condition d’applications ne pourrait pas non plus intervenir
justement en lieu et place de la renonciation. L’estoppel dans sa conception la plus
large, n’aurait donc pas un champ d’application plus étendu que la renonciation mais
tout simplement distinct.
Pour illustrer cela, Philippe Pinsolle appuie l’idée de prise en considération par une
partie du comportement de l’autre, faisant ainsi référence à la notion de confiance
légitime. En effet dans certain cas il sera impossible de caractériser cette prise en
considération, alors que dans d’autres hypothèses, on ne pourra caractériser une
renonciation alors qu’il sera possible de protéger la confiance accordée par une partie.
Ces développements impliquent une application très stricte des concepts en fonction des
faits. Une application distincte serait alors possible en fonction des opportunités
factuelles, pour un résultat qui serait en toute circonstance, la déclaration d’une
irrecevabilité.
Section II – La reconnaissance par la jurisprudence comme
impulsion d’une consécration textuelle
24- La jurisprudence s’est longtemps montrée prudente avec le principe d’estoppel
et nous le verrons elle l’est toujours sous bien des aspects. Pourtant, dans un domaine
propice, elle a accueilli l’estoppel de façon explicite (§ I) et cet accueil a donné lieu à
une avancée concrète et textuelle, par voie de décret (§ II).
§ I – L’utilisation du terme « estoppel » par la Cour de cassation
25- Les indices développés précédemment n’étaient donc pas trompeurs, la Cour de
cassation a souhaité démontrer dans l’arrêt Golshani du 6 juillet 2005, que l’estoppel
pouvait exister en droit français. Nous verrons que la Cour de cassation n’a pas prouvé
qu’une application intégrale de l’estoppel pouvait exister de façon cohérente en droit
français, mais dans une situation au moins, l’estoppel aurait une raison d’être.
L’estoppel en droit des contrats
23
L’avancée est que cet arrêt consacre l’estoppel comme principe autonome, c’est en
vertu de ce principe que sera prononcée l’irrecevabilité d’un moyen.
Pourtant, nous l’avons vu, la Cour n’était pas dans l’obligation d’utiliser les termes, il
semble s’agir comme nous allons le voir, d’un choix manifestement délibéré, et c’est en
cela que la question d’une étendue de l’estoppel au droit des contrats en général,
inspirée d’un autre ordre juridique, trouve sa légitimité.
26- En reprenant les faits ayant conduit à cet arrêt Golshani en parallèle des
développements tenant à démontrer que le recours à l’estoppel et non à la bonne foi ou à
la renonciation est parfois justifié, nous verrons que l’utilisation par la Cour du terme
lui-même demeure chargée de sens.
Monsieur Golshani a saisi en 1982 le Tribunal arbitral pour le règlement des différends
irano-américain de la Haye, en vue d’obtenir une indemnisation d’un montant de 1,7
milliard de dollars en réparation du préjudice subi du fait de l’expropriation d’un certain
nombre de ses biens en Iran lors de la révolution iranienne de 1979. Une sentence
rendue en 1993 le déboute de ses demandes et le condamne au versement de 50 000
dollars au titre des frais d’avocats et dépens. Cette sentence devient définitive et le
Gouvernement Iranien en obtient l’exequatur en France dans le but de saisir des avoirs
appartenant à M. Golshani. Ce dernier fait appel de l’ordonnance d’exéquatur. Le 28
juin 2001, la Cour d’appel de Paris déboute M. Golshani qui invoquait l’absence de
convention d’arbitrage sur le fondement de l’article 1502-1° du nouveau code de
procédure civile, en précisant que « les personnes privées qui saisissent le Tribunal des
différends irano-américains adhèrent par là même à la convention d’arbitrage […]. M.
Abrahim Golshani, qui a saisi le 19 janvier 1982 le Tribunal des différents irano-
américains d’une demande d’indemnisation pour des faits d’expropriation est par suite
irrecevable à soutenir que le tribunal des différends irano-américain a statué sans
convention d’arbitrage ».
27- Ce qui est intéressant dans cette décision est la confusion relative au fondement
de la sanction. Cette décision venant sanctionner une contradiction parait justifiée et se
trouve dans la lignée des arrêts de cette même juridiction cités précédemment, mais ne
se prononce pas en faveur d’un fondement et se garde bien d’utiliser explicitement le
terme « estoppel ».
L’estoppel en droit des contrats
24
C’est donc sur l’interrogation qui subsiste sur ce fondement, que la Cour de cassation
est amenée à s’exprimer.
L’étude des faits présentés dans le cas de l’affaire Golshani, semble à première vue
ouvrir la voie à une irrecevabilité pour renonciation ou par le biais de l’estoppel. Nous
avons vu que la différence entre les deux mécanismes résidait principalement dans la
prise en compte des comportements des deux parties pour l’estoppel et uniquement
d’une des deux pour la renonciation. On observe alors qu’en l’occurrence, la
contradiction se fait bien « au détriment » de l’Etat iranien du fait de sa participation à
un arbitrage lourd. Alors que la renonciation qui semblerait découler de l’adhésion
implicite de M. Golshani à la convention d’arbitrage semble également établie.
Cependant, la renonciation, qui ne se présume pas, ne semble pas réellement expresse
en l’occurrence et d’autre part les conditions d’application de l’estoppel peuvent être
remplies ou non selon l’appréhension de l’estoppel adoptée. En effet, dans la prise en
compte des comportements des deux parties pour l’appréciation de l’estoppel, non
seulement, la contradiction doit se faire « au détriment » de l’autre partie, mais le
comportement contradictoire doit faire naitre une confiance légitime qui a été prise en
compte par la partie lésée. Cette prise en compte dans la jurisprudence internationale
suppose qu’«une déclaration qu’une partie à faite à une autre partie ou une position
qu’elle a prise envers elle et le fait que cette autre partie s’appuie sur cette déclaration
ou position à son détriment ou à l’avantage de la partie qui l’a faite ou prise »32
.
En l’espèce, le caractère exprès de la renonciation, comme le fait que le comportement
contradictoire ait pu susciter une confiance légitime à protéger pour l’Etat iranien qui se
serait « appuyé à son détriment » sur celle-ci, peuvent être débattus.
C’est en raison de ce constat, que l’on peut penser que le recours à « la règle de
l’estoppel », est le fruit d’un choix délibéré, pour entériner l’existence de l’estoppel
dans le droit français de l’arbitrage international.
Ce choix de la Cour de cassation d’accueillir l’estoppel, en se référent dans un premier
temps à la vision du droit international, pour ce qui concerne la procédure arbitrale, peut
justifier que se pose la question d’un éventuel choix à venir de l’utiliser dans le droit des
contrats en s’inspirant d’un des estoppels de Common Law.
32 Cour internationale de Justice, 13 sept. 1990, Affaire du différend frontalier terrestre, insulaire
et maritime (El Salvador c/ Honduras), Requète du Nicaragua à fin d’intervention, Rec. CIJ, 1990, v.
spéc. § 63, p. 118.
L’estoppel en droit des contrats
25
§ II – L’estoppel dans le décret du 14 janvier 2011
28- Il est important de préciser dans un premier temps que la conception d’estoppel
aux yeux de la Cour de cassation a connu une évolution entre l’arrêt Golshani dans
lequel elle y faisait référence pour la première fois et le décret du 14 janvier 2011, entré
en vigueur le 1er
mai33
.
En effet plusieurs arrêts ont fait référence à l’estoppel, dont un rendu le 3 février 2010,
dans lequel la Cour définit l’estoppel comme un « comportement procédural constitutif
d'un changement de position, en droit, de nature à induire en erreur sur ses
intentions »34
.
Le décret quant à lui, dans l’art. 1466, indique que « la partie qui, en connaissance de
cause et sans motif légitime, s'abstient d'invoquer en temps utile une irrégularité devant
le tribunal arbitral est réputée avoir renoncé à s'en prévaloir ».
29- On retrouve dans la disposition de l’art. 1466, les éléments de l’estoppel, à
savoir une contradiction, dans la mesure où l’irrégularité n’est pas invoquée en temps
utile, et une sanction par l’irrecevabilité. On notera cependant l’absence de référence à
la protection d’une confiance légitime, et de la nécessité d’une contradiction faite au
détriment de l’autre partie. Cela peut s’expliquer par le fait que l’irrégularité sera
toujours invoquée au détriment d’autrui. Par ailleurs, l’absence de référence à
l’observation des comportements des deux parties, et donc la confiance, s’explique
probablement par le fait que l’estoppel consacré par ce décret est un estoppel
uniquement procédural.
30- Nous sommes donc en présence d’une reconnaissance doublement limitée : cet
estoppel est réservé à la procédure, ne pouvant conduire qu’à l’irrecevabilité d’un
moyen et il ne concerne que la procédure arbitrale. Le décret, à l’image de la
jurisprudence de la Cour de cassation ne consacre pas l’accueil de l’estoppel tel qu’il est
appréhendé dans les systèmes de Common Law.
33 Décret n° 2011-48
34 Cass. civ. 1
re, 3 févr. 2010, Bull. civ. I, n° 25 ; D. 2010. AJ 448, obs. Delpech ; ibid. 2589, obs.
Clay.
L’estoppel en droit des contrats
26
Chapitre II – Les limites de la reconnaissance du principe
d’estoppel
31- En étudiant le principe d’estoppel tel qu’il est appliqué en Angleterre et tel qu’il
a inspiré les autres pays de la Common Law tels que l’Australie ou les Etats-Unis, ou
encore le droit international, on observe un mécanisme bien plus étendu et complexe
que celui reconnu en France.
La règle d’estoppel en France ne constitue qu’un moyen de défense dans la
procédure arbitrale (section I), ce qui permet de considérer son application comme
restreinte au regard de la doctrine issue des pays de Common Law (section II).
Section I – Un simple moyen de défense en procédure arbitrale
32- Dans la façon dont l’estoppel a été accueilli par la première chambre civile de la
Cour de cassation, puis appuyé par la voie décrétale, deux limites peuvent être
soulignées. D’une part, l’estoppel est uniquement appliqué dans le cadre de la procédure
(§ I), conduisant à l’irrecevabilité d’un moyen, d’autre part, cette application n’a encore
été observée que dans le cadre de l’arbitrage international (§II).
§ I – Un estoppel au développement restreint par son application au seul
domaine procédural
33- La principale particularité qui justifie que l’on caractérise l’accueil de l’estoppel
en France de limité, réside dans les aspects « offensif » et « défensif » du mécanisme.
L’estoppel est un instrument de protection de la confiance accordée par chacune des
parties. Il impose une certaine cohérence aux parties et tient compte des attentes
légitimes d’un cocontractant, engendrées par le comportement de l’autre partie.
Ainsi, en traçant les contours de l’application en France du principe, la Cour de
cassation limite son accueil.
L’estoppel en droit des contrats
27
Les notions d’estoppel « offensif » et « défensif », sont exprimées en anglais par
l’appréhension d’estoppel utilisé as a shield (comme un bouclier), ou as a sword
(comme une épée). En effet selon les cas, l’estoppel pourra être utilisé comme un
moyen d’action, le mécanisme pourra parfois donner lieu à l’octroi de dommages et
intérêts.
Cet aspect offensif est limité en droit anglais, ce qui nous le verrons suscite lé débat, et
conduit Bénédicte Fauvarque-Cosson à poser la question suivante : va-t-on « vers un
principe général d’estoppel en droit anglais ? »35
. Les systèmes australiens et
américains, inspirés par l’estoppel du droit anglais, ont adopté un principe général
d’estoppel et c’est principalement dans ces systèmes que l’estoppel peut avoir une
vocation offensive. L’exemple de la rupture brutale des pourparlers en droit australien
est un exemple intéressant. En effet, il est possible en Australie d’obtenir des dommages
et intérêts dans une telle situation sur le fondement de l’estoppel. La protection de la
confiance est donc plus aboutie. Ce type de situation se règlera en France par
l’intermédiaire de l’article 1382 du Code civil et le mécanisme de responsabilité
précontractuelle. Le caractère offensif va plus loin dans la mesure où une partie sera
parfois également indemnisée à travers la perte d’une chance.
34- La différence entre l’estoppel de la Common Law, malgré les nuances, et
l’estoppel reconnu en droit français réside donc dans cette étendue. Le premier est un
réel instrument du droit des contrats, un grand principe puisant nous le verrons sa source
dans les notions de « reliance » et de « comportement sans conscience », contrairement
au second plus pragmatique, réservé à la procédure arbitrale.
Cette différence s’explique probablement par un glissement du principe tel qu’il est
perçu par le droit international et non par le droit des pays de Common Law, notamment
l’Australie ou les Etats-Unis. En effet, il semblerait qu’il s’agisse d’un alignement du
droit interne français sur le droit international en matière d’arbitrage.
35 B. Fauvarque-Cosson, « L'estoppel, concept étrange et pénétrant », RDC, 2006, p. 1286 et s.
L’estoppel en droit des contrats
28
§ II – L’enfermement du principe d’estoppel dans les particularités liées à
l’arbitrage international
35- Le droit du commerce international dispose aujourd’hui d’un fonctionnement
propre, il répond à une logique particulière et cette particularité n’échappe pas à
l’arbitrage commercial international.
Tout d’abord, il est établi que dans toutes les sentences rendues en arbitrage commercial
international, l’estoppel est envisagé à l’image du droit anglais (bien que cela soit
discuté outre-manche), comme un mécanisme défensif. Mais par ailleurs, l’estoppel du
droit international, bien que limité à son rôle de « bouclier », est plus flexible et « libéré
des particularismes et carcans du droit anglais »36
.
Une très ancienne décision anglaise, reprise dans une des premières sentences
arbitrales publiées recourant au mécanisme de l’estoppel37
, indique l’affirmation
suivante : « A man shall not be allowed to blow hot and cold – to affirm at one time and
deny at another »38
.
On observe le recours à la formule « ne doit pas être autorisé », qui confirme clairement
le fait qu’en termes d’arbitrage commercial international, l’estoppel conserve sa
vocation originelle qui consiste à bloquer, il engendre le plus souvent l’irrecevabilité
d’un moyen qui souffle le chaud après avoir soufflé le froid.
La manifestation du caractère défensif prend une autre forme dans la sentence rendue
dans l’affaire Woodward Clyde Consultants39
. En l’espèce, Woodward Clyde
Consultants a produit un certificat datant de l’époque des faits pour établir qu’il était à
jour de ses obligations de paiement. D’un autre coté un document dont l’authenticité
n’est pas non plus remise en cause mais établi durant la procédure, affirme le contraire.
Le tribunal face à cette contradiction relève tout d’abord qu’un document est
contemporain des faits, puis fait référence à « the general rule of evidence that
contradictory statements should be construed against that party »40
.
36 B. Fauvarque-Cosson, « L'estoppel, concept étrange et pénétrant », RDC, 2006, p. 1292.
37 Sentence CCI, affaire n° 1512 de 1970, Yearbook, 1980, p.174.
38 « Un homme ne doit pas être autorisé à souffler le chaud et le froid – à affirmer d’un coté et à
dénier d’un autre ». Cave v. Mills, 1862, Hurlstone & Norman, p. 913, spéc. p. 927. 39
Rev. arb., 1985, p. 272. 40
« Le principe général du droit de la preuve selon lequel le déclarations contradictoires d’une
partie intéressée doivent s’interpréter contre elle ».
L’estoppel en droit des contrats
29
Ici, la contradiction est appréhendée en matière de preuve, toujours au stade de la
procédure et relève encore d’une logique défensive.
36- Concernant l’affirmation selon laquelle l’estoppel du droit international serait
libéré des contraintes du droit anglais, la première sentence rendue dans l’affaire
AMCO41
est une illustration claire. En l’espèce l’Etat indonésien soutient que la société
AMCO ne peut prétendre sans se contredire, que la société P.T Wisma et l’Etat
indonésien étaient, en réalité, les mêmes personnes, alors qu’elle a soutenu le contraire
devant les juridictions indonésiennes.
Les arbitres ont alors considéré qu’il fallait examiner le concept d’estoppel invoqué,
mais a surtout rappelé que la théorie de l’estoppel proprement dite, telle qu’elle s’est
développée dans les systèmes anglo-américains (nous avons vu à ce sujet qu’il n’existe
pas de théorie commune à ces systèmes), n’était pas d’application universelle. Le
tribunal en a conclu à juste titre qu’il lui appartient de dégager l’essence du concept42
.
De toute évidence, ces affirmations confirment celles de Bénédicte Fauvarque-Cosson
selon lesquelles, l’estoppel développé par le droit international est effectivement
indépendant de celui dont il est initialement inspiré.
Dans cette même sentence, le tribunal considère que « dans son applications aux
relations internationales, le concept est finalement caractérisé par l’exigence de bonne
foi »43
. La formule est intéressante puisque nous savons que le droit anglais refuse
l’application d’une exigence de bonne foi.
41 JDI 1986, p. 200, note E. Gaillard, spé. P. 250, § 47.
42 Ph. Pinsolle, « Distinction entre le principe de l’estoppel et le principe de bonne foi dans le
droit du commerce international », JDI Clunet, 1998, p. 921. 43
V. sur la distinction entre estoppel et bonne foi, Ph. Pinsolle, « Distinction entre le principe de
l’estoppel et le principe de bonne foi dans le droit du commerce international », JDI Clunet, 1998, p.905
et s., et supra. N° 80 et s.
L’estoppel en droit des contrats
30
Section II – Une application restreinte au regard de la doctrine
issue des systèmes juridiques de Common Law
37- Pour comprendre de quelle manière a été accueilli le principe d’estoppel en
France, il faut saisir en quoi il découle de l’influence du droit international, lui-même
influencé par le droit anglais dont il s’est affranchi dans sa conception du principe.
Aussi, pour comprendre la différence entre l’estoppel des pays de Common Law,
l’estoppel tel qu’il existe aujourd’hui en France, et tel qu’il pourrait se développer, il
faut appréhender les différents estoppels de Common Law (§ I), pour arriver au constat
suivant : l’estoppel ne peut être retranscrit en France sans adaptation (§ II).
§ I – Les « différents estoppels » de Common Law
38- Pour aborder avec cohérence les « différents estoppels » de Common Law, il
faut distinguer d’une part la différence entre les estoppels du droit anglais (I) et d’autre
part la différence entre les estoppels anglais et ceux des droits australien et américain
(II).
I) Les différents estoppels dans le droit anglais
39- Les premiers estoppels sont apparus en Common Law dès le XIIe siècle. Certains
auteurs ont pu en dénombrer douze44
, puis plus encore45
, mais en observant la pratique,
il semble opportun de distinguer l’estoppel by convention, l’estoppel by representation,
le proprietary estoppel et le promissory estoppel.
L’estoppel by convention concerne les situations d’erreur commune aux
cocontractants, quant aux effets juridiques du contrat auquel elles sont parties, ou d’une
44 A. Leopold, « Estoppel : a pratical appraisal of recent developments », 1991, 7 Aust. Bar Rev.
45 M. Spence, « Protecting reliance : the emergent doctrine of equitable estoppels », 1999,
Oxford – Portland Oregon, Hart Publishing.
L’estoppel en droit des contrats
31
de ses clauses. On considèrera alors que cette croyance commune fonde l’interdiction de
se prévaloir des effets ignorés du contrat, ceci étant contradictoire.
Il s’agit en réalité de rendre au contrat la signification qu’il avait initialement pour les
cocontractants, bien que la notion de consentement soit ignorée du droit anglais.
40- L’estoppel by representation est une autre forme d’estoppel, la representation
est en réalité le comportement qui engendre volontairement ou non, une croyance
légitime chez le cocontractant qui va agir en conséquence et à son détriment.
Ce mécanisme s’est développé dans la mesure où il s’encrait initialement dans un
simple débat de preuve, empêchant celui qui a généré la croyance légitime par sa
representation d’apporter des éléments de preuve qui contrediraient cette croyance due
à une situation de fait. Le droit anglais ne prenait pas en compte l’intention ou la
promesse du cocontractant. Originellement le mécanisme était donc sans réel lien avec
toute notion de bonne foi.
41- Une des déclinaisons de l’estoppel caractéristique du droit anglais est le
proprietary estoppel. Ici, le mécanisme sort de l’analyse d’une relation contractuelle, et
il faut intégralement occulter la logique civiliste pour en comprendre le fonctionnement.
Dés lors qu’une personne par son comportement, qu’il s’agisse d’une representation ou
d’une véritable promesse, a fait croire à une autre personne qu’elle bénéficierait d’un
intérêt ou d’un droit dans une propriété et que cette dernière a agit en conséquence, le
juge peut aller jusqu’à lui transférer ce droit.
Le juge bénéficie ici d’une marge de manœuvre importante, nous verrons que ce
mécanisme est impensable en droit français, même si certaines notions peuvent s’en
approcher, la logique contractuelle est telle que le mécanisme ne peut exister ainsi.
Enfin, le promissory estoppel s’est développé à partir de 194746
, sous l’impulsion de
Lord Denning et demeure la forme d’estoppel la plus moderne. L’arrêt Central London
Property Trust Ltd v. High Trees House Ltd, a donné lieu à une décision indiquant
que « si par ses paroles ou sa conduite, une personne fait une représentation non
ambiguë quant à sa future conduite, avec l’intention que cette représentation soit suivie,
sans que cela affecte les relations légales entre les parties, et que l’autre partie change sa
position sur la foi de celle-ci, celui qui fait la représentation ne peut plus agir de manière
inconsistante avec a représentation si, ce faisant, il cause un préjudice à l’autre ».
46 Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House Ltd, High Court, 1947, 68 LQR, 283.
L’estoppel en droit des contrats
32
On observe donc ici la nécessité d’une représentation ou promesse claire et sans
ambigüité, un agissement sur le fondement de cette représentation, et enfin la nécessité
que cet agissement lui cause un préjudice.
42- Ces distinctions sont aujourd’hui sujettes au débat, certains auteurs plaident en
faveur d’un principe général et unifié d’estoppel, ou une réorganisation du mécanisme
basée sur les modèles australien et américain.
II) Les différentes appréhensions du principe d’estoppel dans les
systèmes anglais, australien et américain
43- L’estoppel est utilisé par les juges américains, alors même qu’il n’est pas
mentionné par la loi, et qu’il semble même avoir vocation parfois à la contourner.
Bénédicte Fauvarque-Cosson ne manque pas de souligner cette contradiction, quand une
partie des juges américains se prononce en faveur du textualism et d’une interprétation
littérale des textes47
.
Dans l’utilisation de l’estoppel par les juges américains, on observe que c’est la notion
de reliance qui fonde le recours au mécanisme. En droit américain, on oppose l’échange
à la confiance. La relation contractuelle n’est pas fondée sur le consentement comme en
droit français, la notion de consideration que l’on pourrait rapprocher de la cause en
droit français est primordiale, c’est la contrepartie qui fonde la convention. La notion de
confiance, primordiale en droit anglais comme américain, va permettre de considérer
qu’en vertu de la reliance, le contrat né d’une consideration n’existe plus en tant que
tel. La contradiction ayant entrainé un comportement préjudiciable, fait échec à
l’application du contrat issu de la consideration, et c’est la croyance légitime, qui prend
le relai, ainsi le cocontractant se retrouve obligé par la reliance qu’il a suscité.
Le Second Restatement du droit des contrats inclut la notion d’estoppel en ces termes :
a promise which the promisor should reasonably expertto induce action or forbearance
on the part of the promisee or a third personand which does induce such action or
47 B. Fauvarque-Cosson, « L'estoppel, concept étrange et pénétrant », RDC, 2006, p. 1290.
L’estoppel en droit des contrats
33
forbearance is binding if injustice can be avoided only by enforcement of the promise.
The remedy granted for breach may be limited as justice requires48
.
44- C’est donc la notion de reliance qui est primordiale en droit américain, tandis
qu’elle ne suffit pas en droit australien. L’estoppel dont les juges australiens font
application, implique que l’on s’intéresse au comportement de l’auteur de la
contradiction. En effet, les juges australiens vont s’interroger sur l’unconscionability.
Par la prise en compte de la représentation, ils vont se demander s’il est unconscionable
de permettre à l’auteur de celle-ci de revenir dessus. Le droit australien marque ici une
différence fondamentale par rapport au droit anglais, puisque cette notion proche de la
bonne foi n’est pas reconnue par les juges anglais.
Ainsi, la bonne foi existe aux Etats-Unis comme en Australie, alors que le droit anglais
continue de l’ignorer. L’existence d’une bonne foi qui doit gouverner les relations
contractuelles influence donc la manière dont est appliqué le principe d’estoppel.
§ II – L’impossible transcription de l’estoppel de Common Law sans
adaptation
45- On peut parler de transcription impossible, dans la mesure où non seulement il
n’existe pas un estoppel, mais plusieurs doctrines, mais surtout son fonctionnement
repose initialement sur un système qui appréhende le contrat d’une manière totalement
différente du droit français.
Comme nous l’avons évoqué, le droit anglais, comporte une spécificité qui est
l’exigence d’une consideration, la relation dépend de cette consideration et l’estoppel
est en quelques sortes une exception à la règle. On voit ici la difficulté à accueillir en
France l’exception à une règle qui n’existe pas.
La consideration est la chose de valeur donnée en contrepartie (logique d’échange plus
que de consentement), pour que le contrat soit enforceable. La valeur de la chose doit en
48 « Si le promettant doit raisonnablement envisager que sa promesse engendrera ou induira, chez
le bénéficiaire de la promesse ou chez un tiers, une action ou une abstention d’agir de caractère clair et
substantiel et que de fait, elle entraine une telle action ou abstention, le promettant se trouve obligé par sa
promesse si l’injustice ne peut être évitée autrement. Le remède accordé peut être limité dans la mesure
où la justice l’exige ». in B. Fauvarque-Cosson, « L'estoppel, concept étrange et pénétrant », RDC, 2006,
p. 1289.
L’estoppel en droit des contrats
34
outre être, sufficient but not adequate. C’est toute la logique anglaise dans
l’appréhension du contrat qui rend son fonctionnement aux yeux du droit et donc la
doctrine de l’estoppel, ou des estoppels, difficilement lisible par le juriste français.
Le promissory estoppel, qui semble être la version la plus moderne et la plus utilisée de
l’estoppel en matière contractuelle constituera donc une exception à la règle de la
consideration.
Pour analyser en quoi le promissory estoppel est une exception, il faut tenir
compte du fait que le contrat est apprécié de façon stricte par les juges anglais.
L’interprétation d’un contrat écrit (le droit anglais reconnait l’existence de contrats
oraux) comme d’un texte légal (il y en a très peu), est toujours très étroite, et les juges
dans un contentieux relatif à un contrat ne chercheront pas la commune intention des
parties, ils appliqueront la lettre du contrat.
Les juges anglais en cas de contradiction ne chercheront pas la réalité de l’accord au-
delà de la lettre du contrat, ils ne chercheront pas non plus une quelconque mauvaise
foi, mais ils se réfèreront au promissory estoppel de la façon suivante : s’il y a une
relation contractuelle existante, qu’il y a eu une représentation, qui peut être une simple
promesse, et qu’elle a donné lieu à une reliance, alors il peut y avoir une réparation. Ce
qui signifie que bien que les parties soient tenues par la lettre du contrat, ce qui importe
bien plus que leur intention au moment de la formation, c’est ce qu’elles font du contrat
en pratique.
46- Ainsi, si la spécificité du droit anglais a conduit les droits américain, australien
puis international, à adapter l’appréhension et la mise en œuvre du principe d’estoppel à
leur ordre juridique. Il semble évident que cette adaptation est indispensable pour
reconnaitre un tel principe en France. Plus qu’une adaptation du mécanisme et de sa
logique, une adaptation de sa mise en œuvre parait être l’enjeu le plus important et le
plus complexe, dans la mesure où on estimerait souhaitable d’introduire un tel principe
dans le droit français des contrats.
L’estoppel en droit des contrats
35
47- Le principe d’estoppel, n’est pas universel, il est multiple et représentatif de
l’influence que peuvent avoir un système juridique sur un autre. Il s’est développé
comme principe en Angleterre il y a plusieurs siècles, puis est apparu dans le droit
positif des Etats-Unis et de l’Australie, sous des formes sensiblement différentes bien
que comparables. Finalement le droit international ou plus précisément le droit du
commerce international qui possède une logique autonome et se détache des droits
nationaux auxquels il emprunte certains concept, s’est approprié là règle de l’estoppel,
jusqu’à en faire un principe dont l’application se différencie également de celle que l’on
observe dans le droit national anglais qui l’a influencé.
Depuis 2005, l’estoppel a fait son apparition dans le droit positif français, c’est la
« version officielle », celle dont on se satisfait, puisque pour la première fois, dans notre
système civiliste français, la Cour de cassation a utilisé expressément cette « règle de
l’estoppel ».
Pourtant, le recours exprès à cette règle bien connue n’est pas le fruit de la fantaisie et
du gout de l’inconnu des juges de la Cour de cassation. Il est le résultat d’une influence
grandissante que l’on pouvait observer depuis plusieurs années, du droit international
privé sur notre droit national privé. Ce recours s’est fait dans le cadre d’une question
relative à l’arbitrage international, domaine propice à l’application de l’estoppel.
48- On peut considérer que c’est l’estoppel tel qu’il est appréhendé par le droit
international privé qui a influencé la Cour de cassation, si l’on tient compte du domaine
dans lequel ce recours a eu lieu, et des spécificités de l’estoppel dans les pays de
Common Law. En effet cette spécificité connue des juges français ne permet que soit
faite application en France de l’estoppel tel qu’il existe dans ces pays.
Il est donc possible de parler d’une reconnaissance limitée, à la fois dans l’ampleur
de son application, puisque c’est un estoppel purement défensif auquel se réfère la Cour
de cassation, mais aussi limitée à un domaine précis, celui de l’arbitrage, et non pas à
l’ensemble du droit des contrats.
Nous allons voir que cette limite n’est pas une fatalité, elle a peut-être vocation à être
franchie, dans la mesure où le mécanisme de l’estoppel sous diverses formes n’est pas
totalement absent de notre droit des contrats. On peut déceler dans les décisions de la
Conclusion du Titre I
L’estoppel en droit des contrats
36
Cour de cassation des indices indiquant qu’elle a une réelle volonté de sanctionner la
contradiction se faisant au détriment d’autrui, que l’on peut nommer comme une
interdiction implicite.
L’estoppel en droit des contrats
37
Titre II – De l’estoppel à une obscure interdiction de se
contredire au détriment d’autrui dans l’ensemble du droit
privé français des contrats
49- Le Professeur Dimitri Houtcieff souligne avec justesse que « tout corps de règle
porte en lui la matrice d’une interdiction de se contredire »49
. Cette phrase résume assez
bien l’idée directrice du présent développement. En effet, quelque soit le concept ou la
notion traités dans notre étude, qu’il soit un principe, une règle, applicable ou non,
appliquée ou non, le dénominateur commun est la sanction de la contradiction. Avec des
conditions d’application de différente intensité, on trouve dans tout droit des contrats ou
du contrat, une volonté de sanctionner la contradiction.
C’est pourquoi, même si l’estoppel n’a pas trouvé la place pour s’épanouir pleinement
en droit français, l’objectif poursuivi par ce dernier préexiste dans le droit positif
français des contrats. La contradiction, selon sa manifestation, ses conséquences, son
environnement, est sanctionnée de différentes façons, et quelquefois les mécanismes ne
sont pas sans rappeler certaines méthodes de mise en œuvre de l’estoppel.
Pour étudier cette préexistence, nous allons voir de quelle manière sont traitées
les notions auxquelles renvoie le principe d’estoppel, comme la confiance légitime, la
loyauté ou la cohérence dans le droit français (Chapitre I), pour déceler dans les
décisions du droit français des contrats une implicite interdiction de se contredire au
détriment d’autrui (Chapitre II).
49 D. Houtcieff, « L’estoppel, cet obscur objet du désir », in « Essai de maïeutique juridique : la
mise au jour du principe de cohérence », La Semaine Juridique Edition Générale n° 47, 16 Novembre
2009, 463.
L’estoppel en droit des contrats
38
Chapitre I – L’appréhension française du traitement de la
confiance, la loyauté et la cohérence
50- Les notions de confiance, loyauté ou cohérence gouvernent l’appréciation et
l’application du principe d’estoppel, quelque soit le contexte institutionnel dans lequel
on l’observe. C’est en vertu de la confiance donnée, des devoirs de loyauté et de
cohérence, que la contradiction qui se ferait au détriment d’autrui semble devoir être
sanctionnée. En étudiant la place occupée par de telles notions dans le droit français des
contrats, on étudie le caractère propice du terrain pour l’accueil de l’estoppel.
Cette étude permet donc de vérifier l’effectivité de l’affirmation de Dimitri
Houtcieff sur la « matrice de l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui » dans
le droit français des contrats.
Pour se faire, on peut étudier la manière dont se manifestent ses notions sous-jacentes
(Section I) et donc comprendre l’articulation qui existe entre elles (Section II).
Section I – Le caractère sous-jacent des notions de confiance,
loyauté et cohérence
51- La première chose qui nous semble devoir être soulignée, est ce caractère
« sous-jacent » des notions en question. En effet, nous l’avons précisé, elles gouvernent
notre vision du droit des contrats. Elles existent dans la Common Law, mais aussi dans
le droit positif français, bien qu’elles n’apparaissent expressément dans aucune
disposition textuelle.
Une simple équation permet d’arriver à la conclusion d’une existence sous-
jacente mais une utilisation pas moins effective de ces notions. La cohérence et la
confiance sont directement concernées par le principe d’estoppel ou l’interdiction de se
contredire au détriment d’autrui, moins systématiquement celle de loyauté. Or, dés lors
qu’on se rallie à la position du Professeur Dimitri Houtcieff, on considère par voie de
conséquence que l’ensemble de ces notions a un impact sur l’élaboration de la loi
L’estoppel en droit des contrats
39
encadrant le contrat, mais surtout sur son interprétation et son application, puisque la loi
porterait en elle la matrice d’une interdiction qui renvoie à ces notions.
52- La loyauté, la confiance ou la cohérence sont des notions difficiles à
appréhender dans la mesure où l’on ne sait pas exactement quelle importance et quel
impact elles ont dans notre droit. Le Professeur Hugues Kenfack s’est justement
demandé si la confiance ne constituait pas aujourd’hui en droit français le fondement de
la force obligatoire d’un contrat50
La question de leur impact permet d’apporter des
éléments de réponse aux questions qui entourent l’estoppel, puisque ce principe n’est
pas sans lien avec elles. En comprenant mieux leur place dans le droit positif français et
le raisonnement des juges, on comprend mieux quelle place tient la logique de
l’estoppel dans un ordre juridique différent de celui qui l’a vu s’épanouir.
Pour appréhender la place de ces notions, que nous considérons comme sous-jacentes, il
faudra se pencher sur la place du juge, dans la relation contractuelle. En effet, il serait
incorrect de soutenir dans un droit des contrats civiliste tel que le droit français, que des
notions qui ne sont pas expressément évoquées dans les textes gouvernent de façon
implicite une relation contractuelle sans considérer que le juge à travers son application
et son interprétation des textes, fait d’une certaine manière naitre des normes. Le
professeur Frédéric Rouvière utilise une formule constituant une synthèse pédagogique
de cette idée, en affirmant « qu’à propos de la remise en cause du contrat, nous avons
sans doute changé d’épouvantail. Hier c’était le législateur qui était censé remettre en
cause le concept de contrat51
et aujourd’hui, c’est le juge qui l’a relayé pour appuyer de
funestes prédictions de ruine52
»53
.
Si l’on ne s’accorde pas pour dire que le juge est aujourd’hui en France un élément clé
dans toute relation contractuelle, alors l’étude des notions sous-jacentes dont il est ici
question perd de son intérêt.
50 H. Kenfack, « La consécration de la confiance comme fondement de la force obligatoire du
contrat ? », in V.-L. Bénabou et M. Chagny (dir.), « La confiance en droit privé des contrats », Dalloz,
2008, p.117 et s. 51
Ph. Rémy, « Droit des contrats : questions, positions, propositions », in L. Cadiet (dir), « Le
droit contemporain des contrats », 1987, n° 4 p. 271 et s. 52
D. Mazeaud, « Le juge et le contrat. Variations sur un couple « illégitime » », Mélanges offerts
à J.-L. Aubert, Dalloz, 2005, p. 235 et s. 53
F. Rouvière, « La remise en cause du contrat par le juge », in G. Lareux (dir.), « L’efficacité
du contrat », Dalloz, 2011, p. 41.
L’estoppel en droit des contrats
40
53- De telles notions, notamment la loyauté ne sont pas les moteurs de l’intervention
du juge uniquement dans le cadre de la sanction d’une contradiction, même au sens
large, mais cette interdiction est tout de même une bonne illustration. On peut
comprendre le terme « sous-jacent » à deux niveaux. D’abord parce que lorsqu’aucun
texte légal ni aucune convention ne l’indiquent, et que le juge parle pourtant d’un devoir
de loyauté ou de cohérence, dans un système où le modèle reste l’autonomie de la
volonté, le terme sous-jacent semble approprié. Le terme est également adéquat, mais à
un autre niveau lorsque le juge ne parle pas d’une notion, mais lorsque la cohérence des
décisions rendues tend à prouver qu’il cherche à faire respecter un devoir de cohérence,
par exemple.
C’est exactement le cas de la cohérence contractuelle, de la protection de la confiance
légitime ou du devoir de loyauté contractuelle. Ils sont présents dans le droit positif
français des contrats, mais pas de manière expresse. C’est pourquoi on peut considérer
que le droit français, sanctionne déjà d’une certaine manière la contradiction au
détriment d’autrui, sans faire application de l’estoppel. Il y a donc un champ
d’application et une logique différents, pour une tradition différente, mais des
similitudes incontestables. Nous le verrons, à travers différents fondement, les
raisonnements du juge conduisant à certaines sanctions sont gouvernés par ces notions
et se rapprochent donc de l’application sinon d’un estoppel à la française, d’une
implicite interdiction de se contredire au détriment d’autrui.
L’estoppel en droit des contrats
41
Section II – Le dénominateur commun aux notions de
confiance, loyauté et cohérence
54- La confiance, la loyauté et la cohérence apparaissent presque « intuitivement »
comme étant liées. Nous verrons donc qu’elles peuvent être rapprochées d’une même
vision morale du droit des contrats (§ I) tout en étant dans certains cas compartimentées
dans leur influence sur les mécanismes de ce droit, notamment sur l’estoppel (§ II).
§ I – Un rapport commun à la morale
55- Horatia Muir Watt, qui qualifie l’estoppel de « mécanisme purement défensif
enraciné dans l’équité et tendant à la moralisation des comportements processuel »54
met en exergue un de ces dénominateurs communs. En effet c’est la référence à la
morale que nous retiendrons ici, étant entendu qu’il s’agit d’une référence à la morale
du droit des contrats tout entier, à la moralisation de ce droit, et non de ses références à
la morale des acteurs de la relation contractuelle et de sa manière de la traiter.
56- Le Professeur Gautier estime qu’il est possible de « mettre ensemble la
confiance et la loyauté » pour leur rapport aux qualités morales d’un cocontractant, alors
que la cohérence relèverait des qualités intellectuelles55
. Dans la recherche d’un
dénominateur commun entre ces notions gouvernant nos principes contractuels, il nous
semble qu’une telle affirmation doit être nuancée. Ce rapport aux qualités morales nous
parait concerner l’ensemble de ces notions et même être le grand dénominateur commun
aux trois.
En effet, il peut sembler difficile d’affirmer que l’incohérence est seulement liée aux
qualités intellectuelles d’un cocontractant alors même que ce qui va très souvent
54 H. Muir Watt, « Pour l’accueil de l’estoppel en droit international privé français », in
Mélanges Y. Loussouarm, Dalloz, 1994, p. 304. 55
P.-Y. Gautier, « Confiance légitime, obligation de loyauté et devoir de cohérence : iddentité ou
lien d’affiliation », in V.-L. Bénabou et M. Chagny (dir.), La confiance en droit privé des contrats,
colloque du 22 juin 2007 organisé par l’Université de droit et de science politique de Versailles-Saint-
Quentin-en-Yvelines, Dalloz 2008, p. 110.
L’estoppel en droit des contrats
42
justifier la sanction d’une incohérence à travers divers fondements, sera la confiance
qu’elle a volontairement suscité et généralement la déloyauté.
Ainsi, ces notion sont intimement liées et difficilement détachables entre elles, en raison
de leur lien commun avec une certaine volonté de moraliser les rapports contractuels.
On peut trouver une logique dans cette démonstration en se référant au caractère
averti et au statut de professionnel des personnes qui rédigent généralement les contrats,
des conventions qui répondent exactement aux attentes des parties. La technique
contractuelle est souvent une stratégie, et les termes d’un contrat sont souvent en phase
avec la stratégie, en partie comportementale, des parties. Aussi, dire que l’incohérence
relèverait d’une simple défaillance intellectuelle sans tenir compte de l’intention, et
donc d’une certaine morale, semble devoir être nuancée.
Il existe certaines situation où cette affirmation du Professeur Gautier nous parait
vérifiée, ces situations, nous allons le voir, étant souvent liées à la théorie de l’estoppel
qui est la parfaite illustration.
§ II – Une absence d’autonomie conceptuelle
57- La référence aux seules qualités intellectuelles, bien qu’elle ne puisse être
généralisée, peut cependant être illustrée, mais hors du droit français des contrats
semble-t-il. En effet le droit anglais, contrairement au droit australien par exemple,
n’observera pas dans son appréciation du promissory estoppel, le comportement des
deux parties au contrat. Seule une représentation entrainant une confiance légitime et
donc un comportement adopté à son propre détriment justifiera une réparation, sans la
recherche d’une hypothétique intention.
Mais même dans cette situation, on pourra alors considérer que seule la loyauté fait
référence aux qualités morales aux yeux du droit, puisque la confiance entrainant un
préjudice, suscitée involontairement par l’incohérence, entraine réparation. La simple
existence d’une confiance provoquée pourvu qu’elle soit légitime suffira, ainsi, il
s’agira ici d’une notion de confiance sans aucun lien avec une quelconque morale,
L’estoppel en droit des contrats
43
puisque c’est une situation de fait, sans référence à une pratique « immorale », qui
justifiera la réparation.
Cette démonstration ne peut cependant pas remettre en cause, les liens étroits entre ces
notions d’une part, et la morale d’autre part, puisque dans le droit français il n’existe pas
de cas où elles sont réellement détachées de toute référence à la morale.
58- Finalement, il semble que dans une appréciation française et civiliste du droit
des contrats, confiance, loyauté et cohérence sont intimement liées entre elles et elles-
mêmes gouvernée par une certaine vision de la morale.
Il est d’autant plus délicat de prouver que de telles notions ont une existence autonome,
qu’elles se situent initialement hors du droit et ont investi la relation contractuelle au fur
et à mesure que son encadrement par le droit, notamment en France, a connu des
évolutions.
Il est donc clair que l’estoppel, à travers son application, impose une certaine cohérence
et une loyauté d’une part, et qu’il a pour but de protéger un comportement favorisé par
la confiance légitime d’autre part. Ainsi à chaque étape de son appréciation et de son
interprétation, subsiste cette référence à des notions issues d’une conception de la
morale dans la relation contractuelle.
Chapitre II - L’existence implicite d’une interdiction générale
de se contredire au détriment d’autrui dans la jurisprudence
française du droit des contrats
59- La présence des notions sous-jacentes que nous avons évoquées dans le droit
positif français, se manifeste par l’existence implicite d’une interdiction de se contredire
au détriment d’autrui en droit français des contrats. Elle se manifeste sous diverses
formes, au niveau procédural bien entendu, dans l’arbitrage à travers l’application de la
règle d’estoppel, mais aussi au niveau de la relation contractuelle elle-même sous
différentes formes.
Bien que l’estoppel ne soit pas appliqué de manière générale en droit français, diverses
règles répondant à des logiques variées, des conditions d’applications différentes, et
L’estoppel en droit des contrats
44
protégeant des intérêts également différents, stigmatisent et sanctionnent la
contradiction se faisant au détriment d’autrui.
Nous pouvons donc observer divers cas dans lesquels ces règles s’appliquent, au
stade de la formation du contrat (Section I), de son exécution (Section II) et de son
extinction (Section III).
Section I – A la formation du contrat
60- Il est possible de dissocier deux types de situation au stade de la formation du
contrat dans lesquelles on retrouvera une volonté des juges du fond de sanctionner une
contradiction ayant entrainé un préjudice.
Tout d’abord il s’agit du cas de la rupture brutale et imprévisible des négociations (§ I),
puis, plus marginal, le non respect d’un délai de maintien d’une offre de contracter (§
II).
§ I – La rupture brutale et imprévisible des négociations
61- Cette situation est celle classique d’une négociation de contrat qui dure. Les
enjeux et la complexité du futur contrat impliquent que les négociations soient
sérieuses, elles pourront nécessiter des investissements préalables, des expertises ou
l’intervention de tiers variés. Ces négociations seront donc parfois couteuses, à la fois
financièrement et en matière de temps.
Lorsque des dépenses sont engagées, pour préparer la future conclusion du contrat,
généralement les parties ont trouvé un accord de principe sur les « grandes lignes » du
contrat, qui sera rarement formalisé. Dés lors que les parties en sont au stade des
investissements, il semble légitime de penser que ces derniers ne sont nécessaires que
pour effectuer les ultimes réglages et mettre au point les dernières modalités. Pourtant,
aucun contrat n’est encore né aux yeux du droit français, puisque l’accord sur les termes
de celui-ci est encore incomplet. Ainsi, les hypothétiques parties se trouvent encore dans
la phase dite « précontractuelle ». Pourtant, La Cour de cassation a constaté à plusieurs
L’estoppel en droit des contrats
45
reprises56
, que l’ensemble des dépenses engagées, ainsi que la durée des négociations
justifiaient que l’une des parties puisse légitimement s’attendre à l’aboutissement du
projet et à un accord.
On retrouve ici les éléments caractéristiques de l’estoppel, à savoir une représentation,
constituée par l’incitation à des dépenses de temps et d’argent, une confiance légitimée
par le comportement de l’autre partie aux négociations et donc une volonté de
sanctionner l’incohérence de la partie mettant fin aux pourparlers après tout ce temps et
causant ainsi un préjudice.
62- Il est à noter que les juges américains vont parfois dans des situations d’estoppel
de ce type jusqu’à compenser le gain manqué, tout comme les juges australiens, plus
favorables encore à utiliser l’estoppel as a shield57
, de manière offensive. En droit
français, dans une situation pareille, la Cour de cassation refuse d’indemniser la perte
d’une chance à l’image de la décision rendue en la matière le 28 juin 2006 : « une faute
commise dans l’exercice du droit de rupture unilatérale des pourparlers précontractuels
n’est pas la cause du préjudice consistant dans la perte d’une chance de réaliser les gains
espérés de la conclusion du contrat »58
.
63- Une parfaite illustration des parallèles entre les décisions de la Cour de cassation
relatives à ces situations et la théorie de l’estoppel, se trouve dans un arrêt récent, rendu
le 18 janvier 2011 par la chambre commerciale59
. Au-delà du fait qu’elle fait clairement
ressortir une stigmatisation de la contradiction elle fait apparaitre des conditions
d’application s’approchant de l’estoppel mais ancrées dans les mécanismes français. En
effet, la Cour précise que « la rupture des pourparlers n'engage la responsabilité de son
auteur que si elle est fautive et qu'elle ne repose pas sur un motif légitime », mettant par
là même en avant les notions de responsabilité fautive, mais aussi de contradiction avec
l’illégitimité du motif de la rupture. En indiquant que « les frais exposés dans le cadre
des pourparlers contractuels ne peuvent, en cas de rupture de ceux-ci, constituer un
56 Cass. com., 22 avr. 1997, D. 1998,45, note P. Chauvel ; D. 1998, p.45, note P. Chauvel ; RTD
civ. 1997, p.651, obs. J. Mestre ; Cass. com., 26 nov. 2003, RDC 2004, p. 257, obs. D. Mazeaud ; RTD
civ. 2004, p.80, obs. J.Mestre et B. Fages. 57
« Comme une épée », v. B. Fauvarque-Cosson, « L'estoppel, concept étrange et pénétrant »,
RDC, 2006, p. 1291. 58
Cass. com. 26 nov. 2003, Bull. civ. IV, n° 186 ; R., p. 391 ; D. 2004, 869, note 59
Cass. com., 18 janv. 2011, n° 09-14.617.
L’estoppel en droit des contrats
46
préjudice réparable que s'ils sont la conséquence de la faute commise par l'auteur de la
rupture », elle confirme la non prise en compte de la perte d’une chance et met surtout
en avant la causalité, indiquant également que la faute est une condition tandis que dans
certaines appréciations de l’estoppel, une simple représentation peut suffire.
§ II – Le délai de retrait de l’offre
64- Dans la phase précontractuelle de négociation, le comportement de l’offrant
pourra être constitutif d’une contradiction qui entrainera sa responsabilité. En effet, plus
subtil que pour la rupture brutale de pourparlers largement avancés, la logique du
raisonnement est proche et peut encore une fois être rapprochée du principe d’estoppel,
par cette stigmatisation de la contradiction préjudiciable.
La contradiction est ici moins évidente, mais pourtant réelle. En effet, il s’agit du retrait
d’une offre pendant le délai express ou raisonnable d’acceptation. Dans l’hypothèse de
la rupture brutale des pourparlers, la constitution du préjudice va aller jusqu’à se
confondre avec la contradiction. En effet c’est parce qu’une personne à incité une autre
à engager des dépenses et laissé les négociations s’étaler dans le temps, que la rupture
des négociations est contradictoire, et c’est aussi cet ensemble de faits qui va constituer
un préjudice.
65- Dans le cas du retrait d’une offre, la contradiction sera claire si un délai est
prévu expressément et que l’offrant ne le respecte pas. Dans le cas du non respect d’un
délai raisonnable, la contradiction semble découler du simple fait que l’offre implique à
elle seule qu’un cocontractant potentiel puisse attendre légitimement qu’elle soit
maintenue durant un délai raisonnable. La situation se rapproche également du
mécanisme de l’estoppel, bien que dans une approche française qui ne compense pas la
perte d’une chance, la constatation d’un préjudice en dehors de toute hypothèse de gain
manqué semble ici plus difficile.
L’estoppel en droit des contrats
47
Section II – Durant l’exécution du contrat
66- Un arrêt ancien rendu le 13 avril 198860
témoigne du fait que la contradiction est
clairement stigmatisée dans la jurisprudence française depuis longtemps, sans pour
autant recourir à la théorie de l’estoppel. En indiquant que « le sous-traitant ne peut à la
fois se prévaloir du contrat de sous-traitance pour obtenir le paiement de ses travaux et
le rejeter pour échapper à ses obligations contractuelles », la Cour nous rappelle la très
ancienne formule issue de la doctrine anglaise, consistant à dire qu’on ne peut pas
« souffler le chaud et le froid »61
.
67- Un autre exemple parlant au niveau de l’exécution d’un contrat concerne une
décision rendue le 14 novembre 2001, par la 1re
chambre civile de la Cour de cassation.
Il s’agit d’un emprunteur qui a conclu un contrat de prêt avec une banque pour financer
l’achat d’un bien déterminé. Le contrat prévoyait que les fonds devaient être versés au
vendeur sur présentation d’un certificat de livraison signé par l’emprunteur. La Cour a
logiquement décidé que « l’emprunteur qui détermine l'établissement de crédit à verser
les fonds au vendeur au vu de la signature par lui du certificat de livraison du bien, n'est
pas recevable à soutenir ensuite, au détriment du prêteur, que le bien ne lui avait pas été
livré ».
On retrouve ici une irrecevabilité venant sanctionner une contradiction. Le mécanisme
de l’estoppel se retrouve d’une certaine manière, même si dans ce cas il ne s’agit pas
d’une représentation entrainant une confiance légitime, mais plutôt d’une stricte
exigence de cohérence. Il s’agit de la sanction d’une contradiction au moment de la
procédure comme nous avons pu le voir en arbitrage. Même si la Cour constate cette
contradiction au moment de se prononcer sur un arrêt sanctionnant une inexécution
contractuelle, et non pas un arrêt se prononçant sur une exéquatur.
Il s’agit donc d’une réelle contradiction en lien avec l’exécution du contrat, même si en
l’occurrence le mécanisme du promissory estoppel par exemple, est hors de propos.
60 Cass.
civ. 3
ème, 13 avr. 1988, RTD civ. 1989, p. 743, obs. J. Mestre.
61 « Un homme ne doit pas être autorisé à souffler le chaud et le froid – à affirmer d’un coté et à
dénier d’un autre ». Cave v. Mills, 1862, Hurlstone & Norman, p. 913, spéc. p. 927.
L’estoppel en droit des contrats
48
68- Dans le domaine des contrats de distribution, l’intervention du juge intéresse les
observateurs et la sanction de comportements contradictoires dans l’exécution d’un
contrat est régulière. C’est le cas du concédant qui abuse de son pouvoir de fixer
unilatéralement les conditions de vente que doivent appliquer les concessionnaires.
Dans un arrêt du 15 janvier 2002, la Cour de cassation vient clairement sanctionner un
comportement contradictoire dans l’exécution du contrat62
. En faisant appel à la notion
d’abus, la Cour sanctionne une société concédante qui impose des conditions de vente si
draconiennes qu’elles mettent en danger l’activité des concessionnaires en raison d’une
conjoncture extrêmement difficile, mais d’un autre coté procède à une distribution de
dividendes à ses actionnaires.
Encore une fois, cette situation ne renvoie pas vraiment au concept de l’estoppel by
representation, la notion de représentation est inexistante dans cette situation, même le
promissory estoppel tel qu’il a été développé par Lord Denning et tel que nous l’avons
vu est loin d’un tel comportement. Il s’agit ici de sanctionner une incohérence
comportementale, une contradiction se faisant effectivement au détriment d’autrui mais
difficile à rapprocher de la notion d’estoppel. Denis Mazeaud citant cet arrêt dans le
contexte d’un rapport français sur « la confiance légitime et l’estoppel », ne se risque
d’ailleurs à aucun parallèle avec l’estoppel et met en exergue une « incohérence
contractuelle devant être sanctionnée »63
, elle l’est en effet au titre d’un abus.
69- Un autre exemple de sanction d’une contradiction en droit français, celle-ci
encore plus proche de l’estoppel est la situation que l’on pourrait résumer par
« l’exécution d’un contrat annulable ». Une partie qui bénéficierait de la part de son
cocontractant de l’exécution de ses obligations et qui viendrait ensuite contester la
validité du contrat en invoquant la nullité de ce dernier pour une fraude, à laquelle elle
s’est logiquement prêtée serait irrecevable. Comme le souligne le Professeur Denis
Mazeaud, on peut spontanément déceler ici une « volonté de sanctionner l’indignité du
contractant qui conclut délibérément un contrat atteint d’une clause de nullité, obtient le
paiement de sa créance, puis en demande l’anéantissement pour ne pas payer ses dettes
62 Cass. com., 15 janv. 2002, D. 2002, p.1974, note Ph. Stoffel-Munck et p. 2841, obs. D.
Mazeaud ; Contrats, Conc., consomm. 2002, comm. n°94 ; JCP 2002, 10157, obs. Ch. Jamin ; RTD civ.
2002, p. 294, obs. J. Mestre et Ch. Jamin. 63
D. Mazeaud, « La confiance légitime et l’estoppel : rapport français » in B. Fauvarque-Cosson
(dir.), « La confiance légitime et l’estoppel », Société de législation comparée, 2007, p.256.
L’estoppel en droit des contrats
49
contractuelles»64
. Cependant, de tels faits renvoient à un raisonnement que nous avons
largement développé antérieurement. Plus qu’une « indignité », on peut voir ici le
comportement contradictoire sanctionné en se rapprochant du raisonnement de
l’estoppel. En effet, par son exécution d’un contrat annulable, le contractant provoque
chez l’autre une confiance légitime (représentation), qui l’incite à agir à son détriment
(paiement d’une créance), et une contradiction dans la mesure où il soulève une
exception de nullité pour un contrat dont il a bénéficié auparavant.
Section III – A l’extinction du contrat
70- L’extinction du contrat est une étape de la relation contractuelle au niveau de
laquelle on peut également constater une sensibilité de la jurisprudence à la possibilité
d’une règle d’interdiction de se contredire au détriment d’autrui.
La première illustration est celle du distributeur, responsable d’un réseau, qui
subordonne l’entrée ou le maintien dans son réseau à la réalisation d’importants
investissements. En passant par la notion de rupture déloyale, constituée par un abus du
droit de résiliation unilatérale ou de non renouvellement du contrat, la Cour de cassation
sanctionne d’une certaine façon l’incohérence d’un concédant qui incite, voire oblige
son distributeur à réaliser des investissements pour finalement résilier le contrat65
. En
effet, le comportement du concédant fait naitre chez son cocontractant une confiance
légitime. Le distributeur croyant logiquement et légitimement en un maintien du contrat
au moment de réaliser les investissements, le fait de résilier constitue une contradiction
qui se fait au détriment d’autrui.
Il est possible de considérer que nous sommes ici en présence d’une sanction qui est la
conséquence d’une interdiction de se contredire au détriment d’autrui qui n’avoue pas
son nom.
64 D. Mazeaud, « La confiance légitime et l’estoppel : rapport français » in B. Fauvarque-Cosson
(dir.), « La confiance légitime et l’estoppel », Société de législation comparée, 2007, p.259. 65
Cass. com., 20 janv. 1998, D. 1998, p. 413, note Ch. Jamin ; Contrats, conc., consomm. 1998,
comm. n° 56, obs L. Leveneur ; D. 1999, p. 114, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999, II, 10085, obs. J.-P.
Chazal ; RTD civ. 1998, p.675, obs. J. Mestre.
L’estoppel en droit des contrats
50
71- Dans une logique semblable à celle que nous venons d’évoquer, le
comportement contradictoire d’un concédant peut également engager sa responsabilité
si celui-ci exige du concessionnaire qu’il mette tout en œuvre pour rétablir une situation
commerciale défaillante. Si le concédant présente un calendrier pour mettre en œuvre un
plan d’action destiné à améliorer la situation, son comportement sera considéré comme
contradictoire s’il met fin au contrat alors même que le calendrier a été respecté.
Cette contradiction sanctionnée également par le biais du constat d’un abus, se
rapproche tout autant d’une logique d’estoppel. En effet le concessionnaire peut
légitimement croire que ce calendrier lui permettra de poursuivre l’exécution du contrat
s’il le respecte. Il agira alors à son détriment en engageant des dépenses qui ne lui
permettront finalement pas de poursuivre la relation contractuelle sur laquelle repose
son activité66
.
Ce type de situation analysée comme un abus du concédant dans l’exercice de
son droit de résiliation a pour effet de sanctionner ce dernier, pour avoir eu un
comportement contradictoire dans sa prise d’initiative pour l’extinction du contrat.
Bien entendu de manière encore plus claire, la solution sera similaire lorsqu’un
concédant mettra fin au contrat alors qu’il est resté silencieux face au concessionnaire
qui souhaitait être éclairé sur le maintien de son contrat.
66 Cass. com., 9 janv. 2001, inédit.
L’estoppel en droit des contrats
51
72- Si l’estoppel n’existe pas en tant que principe applicable à l’ensemble du droit
des contrats aux yeux du droit français, comme on peut l’observer dans d’autres droits
nationaux avec des doctrines de l’estoppel très développées, l’interdiction de se
contredire au détriment d’autrui n’est pas totalement inexistante dans notre droit
national des contrats. Tout d’abord parce que des notions que l’on ne retrouve pas dans
les textes et rarement dans les décisions influencent immanquablement notre droit des
contrats. Ces notions telles que la loyauté, la confiance légitime ou la cohérence
contractuelle en font partie et elles sont étroitement liées, sinon à l’estoppel à
l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui.
73- On retrouve dans la jurisprudence française un certain nombre de décisions qui
sans jamais faire référence à l’estoppel ni à une interdiction de se contredire au
détriment d’autrui vont sanctionner une contradiction. Si ce que l’on sanctionne semble
être autre chose, comme un abus, on peut avoir une lecture différente de la décision et
considérer que l’abus consiste non pas en un excès mais en une contradiction et que
c’est elle qui justifie la sanction.
Conclusion du Titre II
L’estoppel en droit des contrats
52
Conclusion de la 1ère
partie
74- Le développement de la doctrine dans le droit comparé permet de mieux
comprendre certains mécanismes, qui possèdent parfois une influence étrangère difficile
à percevoir.
Le principe d’estoppel qui s’est épanoui en Angleterre, puis en Australie et aux Etats-
Unis, ainsi que dans le droit international privé, est allé jusqu’à exercer son influence
sur le droit français, un système civiliste que l’on oppose traditionnellement à la
Common Law. A travers l’influence du droit du commerce international et de l’arbitrage
international, dont l’appréhension du principe d’estoppel s’est forgée dans le droit
anglais, l’estoppel est apparu en France en 2005 quand la Cour de cassation a appliqué
pour la première fois de manière expresse « la règle de l’estoppel ».
L’accueil de ce principe est le fruit d’un mouvement amorcé depuis longtemps par les
juges du fond, notamment dans le domaine de l’arbitrage international. L’utilisation de
cette règle par la Cour de cassation ne constitue donc pas une révolution, elle ne fait que
suivre ce mouvement dans un cadre qui s’y prête. Le décret du 14 janvier 2011 venant
réformer le droit français de l’arbitrage consacre d’ailleurs la règle telle qu’elle est
appréhendée dans l’arret Golshani.
75- L’estoppel a donc aujourd’hui une réelle place dans le droit positif français.
Pourtant l’étude du mécanisme tel qu’il est appliqué dans les autres systèmes nous
démontre que cette place est assez limitée. Tout d’abord l’étendue du principe inspirée
de ce qui se fait dans les pays de Common Law est impossible si l’on tient compte des
particularités du droit français des contrats. Par ailleurs, les différences entre ces mêmes
pays peuvent susciter l’interrogation et conduire à se demander ce que le principe a
vocation à devenir dans notre droit des contrats. D’autant plus que l’étude de la
jurisprudence nous conduit à observer une réelle tendance à sanctionner la contradiction
au détriment d’autrui tout au long de la relation contractuelle. Sans recourir à l’estoppel
et à travers des mécanismes divers, on constate que la Cour de cassation rend des
décisions pouvant être interprétées en ce sens.
L’estoppel en droit des contrats
53
2ème
partie - L’estoppel en droit privé français des
contrats, entre technique et politique juridique
76- Le simple fait d’associer l’estoppel et tout ce que ce mot implique au droit
français des contrats suppose que l’on s’interroge sur plusieurs problématiques. Après
avoir abordé la question de ses origines et fait le constat de son glissement, réel mais
inabouti, vers notre droit positif, on peut l’étudier de manière plus opportuniste et dans
le but de dégager les perspectives d’une intégration plus probante. En effet, la première
question que l’on se pose spontanément est de savoir s’il est opportun d’accueillir
l’estoppel en droit français et c’est à travers cette question que l’on devra se pencher sur
la technique juridique et sur les enjeux politiques.
Le principe d’estoppel n’est pas totalement ignoré du droit français des contrats, et
certaines règles développées par la jurisprudence entretiennent des liens étroits avec ce
mécanisme. Ainsi, pour envisager l’estoppel dans le droit français des contrats, il faut
analyser les relations qu’il entretient avec lui et les opportunités de développement que
lui offre notre droit positif. Cette analyse permettra de voir les apports potentiels de
l’estoppel dans notre ordonnancement juridique, ce qui nous permettra de nous
interroger ensuite sur l’opportunité de créer un terrain propice à son développement à
travers une réforme du droit des contrats.
Nous verrons donc les imbrications techniques qui existent entre les concepts
fondateurs du droit contractuel français et le principe d’estoppel (Titre I), et les limites
de ces relations permettront d’envisager l’opportunité d’une évolution de ce droit
incorporant le principe d’estoppel et remettant ainsi en cause un modèle contractuel
« dépassé » (Titre II).
L’estoppel en droit des contrats
54
Titre I – Les imbrications techniques entre le principe
d’estoppel et les concepts fondateurs du droit contractuel
français
77- Le droit français des contrats est reconnu par la majorité de la doctrine et des
praticiens comme complexe et difficilement lisible. Ainsi, le fait que l’on constate une
tendance de la jurisprudence à sanctionner à travers lui l’interdiction de se contredire au
détriment d’autrui, conduit à s’interroger sur les liens que ce droit entretient avec un
mécanisme tel que l’estoppel.
La jurisprudence française est volontiers reconnue aujourd’hui comme créatrice de droit
en matière contractuelle, notamment parce qu’elle intervient dans des situations
relatives aux contrats d’affaire modernes, qui étaient inexistants, lorsque le code civil a
été conçu. Bien qu’il ne soit plus aujourd’hui le seul support légal en matière
contractuelle, la création prétorienne est toujours en lien avec ses dispositions. Ainsi,
l’idée d’un accueil de l’estoppel étendu au droit des contrats peut se faire dans une
perspective jurisprudentielle en observant les dispositions légales et les règles qui ont
été révélées par les juges en vertu de ces dispositions.
On peut observer des similitudes entre l’estoppel et l’application de certaines
notions du droit français des contrats. Celles-ci font resurgir des possibilités
d’admission du principe d’estoppel à travers les concepts connus de notre droit des
contrats (Chapitre I). L’ensemble de ces observations conduit naturellement à mettre en
lumière les limites d’un potentiel épanouissement du principe d’estoppel dans le
contexte légal et jurisprudentiel actuel. L’estoppel est donc en quête d’identité
conceptuelle au sein du droit français des contrats (Chapitre II).
L’estoppel en droit des contrats
55
Chapitre I - Les possibilités d’admission du principe d’estoppel
à travers les concepts connus du droit des contrats
78- Le droit positif n’ignore pas la sanction de la contradiction se faisant au
détriment d’autrui. Nous l’avons vu, indirectement, voire implicitement, de telles
sanctions existent. Une telle affirmation peut apparaitre comme un euphémisme aux
yeux du Professeur Dimitri Houtcieff qui considère comme nous l’avons souligné, que
« tout corps de règle porte en lui la matrice d’une interdiction de se contredire au
détriment d’autrui »67
.
Aussi, il ne s’agira pas de voir à ce stade de notre étude si une interdiction de se
contredire au détriment d’autrui existe dans le droit français, mais si les mécanismes
existants et appliqués permettent d’obtenir le même résultat que l’estoppel dans les pays
de Common Law.
Nous avons vu que l’estoppel tel qu’il existe et s’épanouit dans plusieurs ordres
juridiques ne peut être importé en France68
. Aussi il est intéressant de voir s’il est
opportun de l’importer, et si finalement, il a une raison d’être et permet de sanctionner
des comportements que le droit français sanctionne « mal » ou ne sanctionne pas. En
réalité on peut se demander si la complexité reconnue du Code civil français et de son
application ne justifie pas que l’estoppel vienne combler un « vide juridique », ou si
finalement un principe d’estoppel élargi dans le droit français des contrats ne ferait pas
double emploi avec les mécanismes existants.
Parmi les mécanismes évoqués qui permettent en France de sanctionner la contradiction
au détriment d’autrui, on peut distinguer la bonne foi, qui constitue un fondement
incomplet (section I), des autres mécanismes qui permettent également de dégager des
fondements potentiels (section II).
67 D. Houtcieff, « L’estoppel, cet obscur objet du désir », in « Essai de maïeutique juridique : la
mise au jour du principe de cohérence », La Semaine Juridique Edition Générale n° 47, 16 Novembre
2009, 463. 68
Cf. infra, n° 45 et s.
L’estoppel en droit des contrats
56
Section I – La bonne foi : un fondement incomplet
79- Le rapprochement entre la théorie de l’estoppel et celle de la bonne foi a été
souvent abordé, majoritairement contesté, et il ne s’agit pas ici de voir quelles sont les
différences fondamentales entre ces deux notions, mais d’analyser l’intérêt que pourrait
avoir un principe d’estoppel large appliqué en France alors même que le principe de
bonne foi est reconnu, et consacré par le Code civil. Il est intéressant de voir dans quelle
mesure l’estoppel peut avoir une raison d’être au regard de l’application du principe de
bonne foi observable dans notre droit positif.
Pour se prononcer sur cette légitimité, il faut distinguer les estoppels offensif et
défensif, distinction largement influencée par la prise en compte de la bonne foi (§ I), ce
qui permettra de voir ensuite en quoi l’estoppel quelque soit la forme sous laquelle il est
adopté, ne peut être appliqué uniquement à travers le principe de bonne foi tel qu’il est
appréhendé par le code civil (§ II).
§ I – La bonne foi confrontée à la distinction entre estoppels offensif et
défensif
80- La distinction entre l’estoppel dit offensif et l’estoppel défensif semble devoir se
faire à la lumière des doctrines anglaise d’une part, puis américaine et surtout
australienne d’autre part. En effet, aucun principe de bonne foi n’est reconnu comme
applicable au droit des contrats en Angleterre. En droit anglais l’estoppel vient
« suppléer, lorsque cela est nécessaire, l’absence de droit à agir, pour défaut de
consideration »69
, il ne peut donc être un moyen d’action, car cet aspect offensif
ruinerait la doctrine de la consideration de toute sa logique. En droit australien, au
contraire, la théorie de l’estoppel peut constituer un moyen permettant d’agir de manière
offensive. Cela se justifierait par une prise en considération de la mauvaise foi d’une
partie contractante.
69 Ph. Pinsolle, « Distinction entre le principe de l’estoppel et le principe de bonne foi dans le
droit du commerce international », JDI Clunet, 1998, p. 913.
L’estoppel en droit des contrats
57
Concrètement, il s’agit plus de savoir si l’on cherche à protéger la bonne foi d’une partie
ayant agi à son détriment ou sanctionner la mauvaise foi d’un contractant peu
scrupuleux. Dans la mesure où l’on se contentera avec l’application anglaise du principe
d’estoppel de protéger la bonne foi, il suffira d’empêcher celui qui a créé la confiance
légitime par son comportement contradictoire, actif ou passif, de se prévaloir de cette
contradiction. Jamais les juges anglais ne vont rechercher les motifs qui ont poussé
l’auteur de la contradiction à agir, une simple causalité entre la déclaration ou la
représentation, et un changement de comportement préjudiciable, suffira pour constater
que celui qui se contredit est estopped.
L’estoppel dans son application anglaise, comme mécanisme défensif, est donc
totalement étranger au droit français, tandis que l’estoppel dans son aspect offensif tel
qu’il est appliqué en Australie et faisant référence à la bonne foi se rapproche de la
logique du principe de bonne foi contractuelle que l’on retrouve à l’art. 1134 al. 3 du
code civil.
81- La doctrine de l’estoppel sous certains aspects semble donc se rapprocher du
principe de bonne foi contractuelle, et non procédurale où nous l’avons vu, l’estoppel tel
qu’il a été introduit pour la première fois avec l’arrêt Golshani a une raison d’être
indépendante. Pourtant, nous allons voir que dans le champ d’application, des nuances
existent, si bien que même une version envisageable d’estoppel français, différente de
toutes les doctrines que nous avons vues, ne semble pouvoir être appliquée sur le
fondement de la bonne foi contractuelle et ne peut être considérée comme faisant double
emploi avec cette dernière.
L’estoppel en droit des contrats
58
§ II – Un fondement inapte au regard de sa fixité en droit contractuel
français
82- Le principal élément de distinction entre la bonne foi contractuelle et l’estoppel,
même offensif, semble être que la bonne foi de notre code civil repose sur un modèle où
le consentement est donné sur des termes précis (I), alors que l’estoppel protège la
confiance des parties qui peut évoluer tout au long de la relation dans un contrat à
exécution successive (II).
I) La bonne foi du code civil comme protection des parties dans une
situation « figée » dés sa formation
83- La question d’une réforme, du droit des contrats, et à travers elle, celle de
l’insertion de notions telles que la confiance à laquelle renvoie l’estoppel, tend à
démontrer que le code civil tel qu’il règlemente le droit des contrats, avec une
application complexe, ne permet pas de les appliquer en l’état. Si nous l’envisagerons à
travers l’ensemble des mécanismes existant, la bonne foi semble devoir faire l’objet
d’un développement séparé.
Dans un colloque dirigé par le Professeur Bénédicte Fauvarque-Cosson, intitulé
L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, cette dernière considère que
« l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui pourrait être un sous-principe du
principe de bonne foi ». Cette affirmation est nuancée lorsqu’elle indique justement à ce
propos en note de bas de page qu’« il faudrait peut-être plutôt dire principe de bonne foi
ou sanction de l’abus de droit, parce qu’en l’état de la jurisprudence actuelle il y a peut-
être quelque peine à les distinguer, la Cour de cassation visant parfois concomitamment
les deux fondements »70
.
70 M. Behar-Touchais (dir.), L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui, Economica,
2001, p.95.
L’estoppel en droit des contrats
59
84- L’estoppel, contrairement à la seule exigence de bonne foi, pourrait être en ce
qu’il consacrerait la protection de la confiance, un principe de régulation du
comportement des contractants71
.
Tout d’abord, la faute précontractuelle qui consiste à développer des pourparlers longs
et couteux pour ne pas aboutir à la conclusion du contrat, serait appréciée en fonction de
la confiance légitime observée à la lumière du comportement de l’autre personne en
négociation, et sanctionnée au titre de l’estoppel.
Au stade de l’exécution du contrat, sa force obligatoire ne serait pas issue de la parole
donnée, mais de la confiance en l’exécution du contrat qui a été suscitée. Ainsi, la bonne
foi qui vient « moraliser » l’exécution d’un contrat fondé sur la volonté de s’obliger, se
différencie de l’estoppel qui vient protéger cette confiance.
La logique de la bonne foi issue de l’art. 1134 du code civil repose sur le fait que
les parties s’engagent à exécuter un contrat dont le contenu est précis et figé.
L’évolution de leur relation, ne change en rien l’accord sur lequel est basé ce contrat.
Ainsi, l’exigence de bonne foi permet de nuancer le fait que les parties soient liées par
une convention qui avait vocation à évoluer. Au-delà de l’imprévision, la relation
contractuelle au sens strict voire intime du terme, peut évoluer en fonction de l’entente
entre les parties, pour autant, les termes du contrat et l’engagement restent figés.
L’exigence vient donc assurer une loyauté voire une coopération dans la relation
contractuelle fondée sur l’engagement tandis que l’estoppel protège la confiance donnée
au-delà des stipulations contractuelles. Le fait de rechercher l’intention des parties serait
suppléé par des considérations de fait.
71 V. à ce propos V. Edel, « Faut-il introduire un principe de confiance dans le Livre III du titre
III du code civil ? » in V.-L. Bénabou et M. Chagny (dir), « La confiance en droit privé des contrats »,
colloque du 22 juin 2007 organisé par l’Université de droit et de science politique de Versailles-Saint-
Quentin-en-Yvelines, Dalloz, 2008, p. 141 et V. Edel, La confiance en droit des contrats, Thèse
Montpellier, 2005.
L’estoppel en droit des contrats
60
II) L’estoppel comme instrument de protection des parties dans une
relation contractuelle « évolutive »
85- L’estoppel se différencie vraisemblablement de la bonne foi du code civil telle
qu’elle est appréciée car il répond à une logique différente. En effet, il permet de
protéger la confiance d’une partie, suscitée par l’évolution de la relation contractuelle et
donc des comportements, sans pour autant que soit constatée la mauvaise foi d’une
partie qui revendique des stipulations contractuelles « obsolètes ».
On peut également imaginer que l’estoppel en France qui viendrait protéger une
confiance légitime, puisse être invoqué pour ce qui concerne une contradiction entre la
représentation sur les suites de la rupture et le comportement d’une partie, alors que la
bonne foi de l’article 1134 du code civil ne concerne que les obligations relatives à
l’exécution du contrat. En effet la 3e chambre civile de la Cour de cassation a précisé sur
ce point que « l’exigence de bonne foi n’a plus lieu d’être lorsque la relation
contractuelle a cessé ». Cependant, cette affirmation peu être nuancée, car il est reconnu
que l’exigence de bonne foi se manifeste également à la formation du contrat72
.
86- C’est surtout parce que la logique de l’estoppel ne renvoie pas à l’exécution
loyale d’un engagement basé sur le consentement, mais sur une loyauté dans l’exécution
d’un contrat reposant sur l’échange (consideration), que la bonne foi contractuelle
française et l’estoppel sont différents. C’est en cela qu’une application de l’estoppel qui
se ferait à travers l’exigence de bonne foi du Code civil n’est pas juste, la logique n’est
pas la même car le modèle contractuel sur lequel repose l’exigence de bonne foi est
différent.
Ainsi, même si l’on s’en tient à l’unique fonction de protection dans l’exécution d’un
contrat, -et non procédurale, relative à la revendication d’une clause compromissoire,
par exemple- la logique entre les deux mécanismes est trop différente pour que l’on
puisse considérer, à notre sens, que dans ce domaine l’estoppel viendrait remplir une
fonction déjà épousée par l’exigence de bonne foi.
72 V. sur ce point, E. Savaux, « solidarisme contractuel et formation du contrat », in Le
solidarisme contractuel – mythe ou réalité?, dir. L. Grynbaum et M. Nicod, Economica, 2004, p. 43 et s
L’estoppel en droit des contrats
61
87- Plus encore, alors que Laura Weiller indique que « le concept de confiance73
ferait double emploi avec d’autres notions mieux éprouvées du droit français, comme la
bonne foi ou loyauté en particulier, mais aussi l’apparence, la croyance légitime ou
l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui qui peuvent leur être rattachées »74
,
nous allons voir que l’articulation entre les notions que l’on retrouve dans le code civil
ne permet pas d’exclure qu’une introduction de l’estoppel soit opportune, en ce qu’elle
insérerait un mécanisme différent, qui défendrait une vision du contrat renouvelée.
Finalement, malgré les distinctions soulignées entre bonne foi du code civil et
estoppel, nous verrons que l’hypothèse d’un développement de l’estoppel sur le
fondement de la bonne foi n’est pas à exclure puisque cette notion est propice à
l’interprétation et susceptible d’être développée. Pour reprendre un arrêt déjà cité, rendu
par la Cour de cassation le 8 mars 2005, un devoir de cohérence à tout de même été
exprimé sur le fondement de l’exigence de loyauté issue du 3ème
alinéa de l’article 1134
du code civil75
.
Section II – La combinaison des notions françaises du droit des
contrat : des fondements potentiels
88- Alors que nous avons vu qu’estoppel et protection de la confiance légitime ne
pouvaient se confondre pleinement avec l’exigence de bonne foi malgré des liens
étroits, nous allons voir comment se manifestent les analogies que l’on peut observer
entre l’estoppel et l’ensemble des notions du droit français des contrats à travers des
situations de contradiction traitées par la Cour de cassation. Il nous semble que
contrairement à l’exigence de bonne foi, des notions telles que la fraude ou l’abus par
exemple ne doivent pas être envisagées comme se rapprochant du fonctionnement de
73 Que nous considèrerons ici en ce qu’il est protégé par le mécanisme d’estoppel.
74 L. Weiller, « Faut-il introduire un principe de confiance dans le Livre III du titre III du code
civil ? » in V.-L. Bénabou et M. Chagny (dir), « La confiance en droit privé des contrats », colloque du 22
juin 2007 organisé par l’Université de droit et de science politique de Versailles-Saint-Quentin-en-
Yvelines, Dalloz, 2008, p. 143. 75
Cass. com., 8 mars 2005, D. 2005, p. 2843, obs. B. Fauvarque-Cosson ; RDC 2005, p. 1015,
obs. D. Mazeaud ; Rev. Lamy, Droit civil, juil./août, 2005 p.5, note D. Houtcieff ; RTD civ. 2005, p. 391,
obs. J. Mestre et B. Fages.
L’estoppel en droit des contrats
62
l’estoppel mais plutôt dans le cadre de la question du fondement de l’estoppel dans un
droit civiliste, à savoir le droit français.
Aussi il nous a semblé opportun d’envisager la sanction de la contradiction à
travers les concepts de faute lourde et d’obligation essentielle (§ I), puis à travers la
cause conjuguée à l’obligation essentielle (§ II).
§ I – La faute lourde et l’obligation essentielle : sanction de la contradiction
inhérente à la substance du contrat
89- La Cour de cassation dégage à travers ces notions de faute lourde et d’obligation
essentielle une idée simple. Elle l’a fait en se prononçant sur le cas d’une clause
limitative de responsabilité. Dès lors qu’une inexécution contractuelle porte sur une
obligation essentielle76
, fondamentale77
ou substantielle78
du contrat, la clause est
considérée comme inefficace. La faute lourde qui résulterait d’une inexécution et
entrainerait une inefficacité de la clause peut être considérée comme sanctionnant une
contradiction entre la démarche même du contrat et cette clause, contradiction qui se fait
au détriment d’un cocontractant dont la confiance a été trompée. Plus qu’un
comportement contradictoire ici, c’est les termes de la convention qui sont en
contradiction avec le but présumé d’un contrat. Ainsi, il semble y avoir une volonté de
protéger la partie qui a pu croire que le contrat générerait un type d’engagement qui n’a
pas été respecté.
On peut donc imaginer ce type de situation sanctionnée par un estoppel défensif,
qui empêcherait simplement une partie de se prévaloir d’une clause limitant sa
responsabilité pour inexécution alors même qu’elle a laissé croire à son partenaire que
cette exécution était de l’essence même du contrat.
76 V. Cass. civ. 1
ère, 18 janv. 1984, RTD civ., 1984, 727, obs. J. Huet.
77 V. Cass. civ. 1
ère, 15 mars 1988, RTD civ. 1990, 666, obs. P. Jourdain.
78 V. Cass. com., 9 mai 1990, RTD civ. 1990, 667, obs. P. Jourdain ; Cass. civ. 1
ère, 2 déc. 1997,
D. 1998, 200, obs. D. Mazeaud ; JCP 1998, I, 144, obs. G. Viney.
L’estoppel en droit des contrats
63
§ II – La cause et l’obligation essentielle : une protection de la confiance
légitime
90- Le célèbre arrêt « Chronopost »79
doit également être évoqué dans le cadre du
présent développement. Il concerne une clause limitative de réparation stipulée dans un
contrat de transport rapide conclu entre la société Chronopost et un de ses clients. Cette
clause a été réputée non écrite par la chambre commerciale de la Cour de cassation au
nom de la cause. La stipulation indiquait qu’en cas de retard dans la livraison du
courrier l’indemnisation serait limitée au montant du prix versé lors de la conclusion du
contrat, et ce sans prendre en compte le montant du préjudice subi en raison du retard.
La décision a pour effet de priver la société Chronopost du droit de se prévaloir de sa
propre contradiction. En effet, grâce à la théorie de la cause, la Cour met en avant le fait
que ce qui détermine le choix de contracter du client est justement la fiabilité quant à un
délai de livraison intéressant. Il y a donc une contradiction entre le discours de la société
et les termes du contrat, contradiction qui se fait au détriment du client dont la confiance
légitime a été trahie.
La théorie de la cause en droit français peut donc également être rapprochée de
l’estoppel.
S’il n’y a pas de comportement contradictoire, à proprement parler, la théorie de la
cause se rapproche tout de même de celle de l’estoppel dans la mesure où il y a une
representation dans la promesse faite au client d’un service fiable et rapide, laquelle
génère une confiance légitime qui doit être protégée.
La mise en parallèle de la théorie de la cause et celle de l’estoppel est très intéressante
dans la mesure où la cause est un élément qui se rapproche de la logique contractuelle
de Common Law et de la consideration.
91- Concernant l’économie générale du contrat, l’idée reste la même puisque par
une référence à cette notion, la Cour de cassation sanctionne une incohérence dans la
79 Cass. com., 22 oct. 1996, Contrats, conc., consommé. 1997, comm.. n° 24, obs. L. Leveneur ;
D. 1997, p.121, note A. Sériaux et p. 175, obs. P. Delebecque ; Defrénois 1997, p. 333, obs. D. Mazeaud ;
JCP 1997, I, 4002, obs. M. Fabre-Magnan et 40025, obs. G. Viney et II, 22881, obs. D. Cohen ; RTD civ.
1997, p. 418, obs. J. Mestre.
L’estoppel en droit des contrats
64
composition du contrat, qui finalement, le vide de sens. Sans se décharger de son
obligation principale, essentielle ou encore substantielle, l’une des parties insère une
clause qui est en contradiction avec l’objectif même du contrat, son économie générale.
Un parfait exemple est l’arrêt rendu 15 février 2000 par la Chambre commerciale de la
Cour de cassation80
. Dans un contrat de crédit-bail conclu en vue de financer un contrat
de prestation d’images, une clause de divisibilité précisait que l’éventuel anéantissement
du contrat financé n’affectait pas l’efficacité du contrat de financement. La
contradiction parait ici évidente. La légitimité d’une confiance trompée peut par contre
être remise en cause, dans la perspective d’une analogie avec l’estoppel.
Chapitre II - Les limites de l’épanouissement d’un principe
d’estoppel dans le cadre actuel du droit français des contrats :
l’estoppel, un mécanisme en quête d’identité conceptuelle
92- Après avoir souligné que l’estoppel se différenciait non seulement des
mécanismes connus du droit des contrats dans sa logique mais aussi dans son étendue,
la question d’un estoppel face au droit des contrats suscite plusieurs réflexions. Tout
d’abord se pose la question de son fondement en droit français. L’hypothèse d’une
réforme du droit des contrats qui inclurait un principe d’estoppel doit être envisagée et
elle fera l’objet d’un développement ultérieur. Cependant, nous avons constaté que dans
de nombreuses décisions fondées sur des dispositions existantes du droit des contrats,
on pouvait relever des analogies avec le principe d’estoppel, sans pour autant considérer
que le but poursuivi par celui-ci soit réellement atteint. Alors la question d’une véritable
application du principe avec des nuances inspirées d’ordres juridiques étrangers au notre
peut se poser. Certains concepts considérés comme « malléables », tels que la bonne foi
bien entendu, laissent une ouverture à une incorporation de l’estoppel par la
jurisprudence.
80 Cass. com., 15 févr. 2000, D. 2000, p.365, obs. Ph. Delebecque ; RTD civ. 2000, p. 325, obs.
J. Mestre et B. Fages ; Defrénois 2000, p. 1118, obs. D. Mazeaud.
L’estoppel en droit des contrats
65
Si l’on envisage un accueil du principe d’estoppel par l’élargissement de
l’interprétation de certaines dispositions légales, se pose le problème du choix de ces
dispositions. La question du fondement est alors complexe puisqu’un fondement unique
pour l’application du principe est inenvisageable.
Nous verrons donc comment se manifeste l’absence d’uniformité face à l’exigence
française d’un fondement (Section I), et en quoi cela donnerait naissance à une absence
d’uniformité dans le régime (Section II).
Section I – L’absence d’uniformité face à l’exigence française
de fondement
93- Le fait de vouloir appliquer le principe d’estoppel dans notre droit des contrats
se heurte à cette exigence de fondement. Un principe d’estoppel ne peut en l’état actuel
du droit s’appliquer à la relation contractuelle, de la négociation jusqu’à l’extinction et
au contentieux, ainsi qu’à la contradiction issue de la composition du contrat, à travers
un unique fondement. Dans les pays de Common Law plusieurs types d’estoppel
s’appliquent, celui-ci va même au-delà de la relation contractuelle avec le proprietary
estoppel, mais le problème du fondement ne se pose pas comme en France.
Les dispositions françaises ne s’opposant pas fondamentalement à une
interprétation qui permettrait d’appliquer un principe d’estoppel français, il va falloir
distinguer la pluralité de fondements pour la contradiction comportementale ou volte-
face (§ I), du fondement susceptible de sanctionner la contradiction des stipulations (§
II).
L’estoppel en droit des contrats
66
§ I – La pluralité de fondements en cas de contradiction comportementale
ou volte-face
94- Bien que le système français ouvre la possibilité d’accueillir une interdiction de
se contredire au détriment d’autrui dans l’ensemble de son droit des contrats, la façon de
penser le contrat par le droit français ne permet de recourir à un fondement qui à lui tout
seul ouvrirait la voie de cet accueil à la jurisprudence.
C’est pour cette raison que nous envisagerons les fondements d’une interdiction de se
contredire au détriment d’autrui potentiellement plus expresse, au niveau précontractuel
(I), puis au niveau de l’exécution du contrat (II) et enfin au stade de son extinction (III).
I) La responsabilité délictuelle au service de la sanction des
contradictions précontractuelles
95- Lorsqu’une partie fait volte-face au stade de la négociation d’un contrat, il sera
généralement assez aisé d’établir l’existence d’une contradiction se faisant au détriment
d’autrui. Comme nous avons pu le souligner précédemment, lorsque deux parties sont
arrivées à un stade avancé de négociation, il est contradictoire d’y mettre fin sans qu’un
évènement ou une série d’évènement ne viennent légitimer cette rupture. Par ailleurs, la
situation aura pour de nombreux contrats condui l’une des parties potentielles à agir à
son détriment, en engageant un certain nombre de dépenses en temps et en argent pour
préparer la conclusion d’un contrat qui n’aboutira pas.
Le code civil permet de sanctionner une telle rupture en obligeant celui qui met fin aux
pourparlers « sans motif illégitime », à réparer le préjudice causé. Il s’agit de
l’engagement de sa responsabilité précontractuelle, donc délictuelle. Cette
responsabilité est une responsabilité pour faute, cette faute sera appréciée en fonction de
l’illégitimité des motifs de la rupture. Bien que la Cour de cassation sanctionne une
contradiction au détriment d’autrui, son raisonnement s’accorde mal avec la logique de
l’estoppel.
L’estoppel en droit des contrats
67
96- Un raisonnement plus proche consisterait à engager la responsabilité délictuelle
de l’auteur de la contradiction, non pas en appréciant la faute en fonction des motifs de
la rupture, mais en fonction de la représentation faite.
La principale difficulté qui sépare le raisonnement de la Cour de cassation fondé sur
cette responsabilité et celui d’une juridiction qui appliquerait l’estoppel réside dans cette
appréciation de la légitimité de la rupture. Cependant la qualification de faute relève du
contrôle de la Cour de cassation comme le précise l’arrêt de la 2ème
chambre civile du 16
juillet 195381
. L’article 1383 indiquant que chacun est responsable du dommage qu’il a
causé « par sa négligence », permet de considérer que le simple fait de laisser croire à
une personne avec qui on négocie que le contrat sera conclu en l’incitant à engager des
dépenses engage la responsabilité. Ce type d’estoppel que l’on fonderait sur une faute
au niveau précontractuel n’est pas en contradiction avec la logique de l’estoppel. En
effet il s’agirait ici d’un estoppel offensif, à l’image de l’estoppel auquel on peut avoir
recours en Australie. Or, si le fait de prendre en compte le comportement de l’auteur de
la représentation n’est pas en accord avec le mécanisme d’estoppel anglais, il l’est tout à
fait avec l’estoppel utilisé as a shield en Australie.
Il ne s’agit pas ici de protéger la confiance en empêchant une partie de se prévaloir de sa
propre contradiction, sans même accorder d’intérêt à son comportement fautif ou
négligent.
Ainsi, au stade précontractuel, la sanction de la contradiction peut semble-t-il se faire
par l’engagement d’une responsabilité délictuelle, qui correspond à la logique de
l’estoppel offensif observé notamment en Australie.
81 Cass. civ. 2
e, 16 juill. 1953, JCP 1953, II, 7792, note R. Rodière.
L’estoppel en droit des contrats
68
II) La pertinence de la bonne foi comme fondement de la sanction des
contradictions dans l’exécution du contrat
97- La distinction entre estoppel et bonne foi dans le droit du commerce
international n’est plus à démontrer82
, tout comme la nuance abordée précédemment
dans la logique même des deux concepts. Egalement, la différence entre l’application
actuelle de l’exigence de bonne foi dans l’exécution des contrats et ce que pourrait être
l’estoppel en droit français des contrats nous apparait, et nous l’avons développé,
comme incontestable.
98- Cependant, cela ne permet pas à notre sens d’en conclure que l’exigence de
bonne foi de l’article 1134 alinéa 3 du code civil, ayant généré un devoir de loyauté,
puis de cohérence, ne permette pas à la jurisprudence de faire application d’un principe
d’estoppel au niveau de l’exécution du contrat. Une application qui nous allons le voir
serait tout de même limitée à une « version » singulière d’estoppel.
En effet, l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui stigmatise la seule
contradiction de façon objective pour protéger la confiance légitime de celui qui a agit à
son détriment. Le droit anglais qui a développé la doctrine de l’estoppel tout en ignorant
la bonne foi en est une bonne illustration. Pour autant, cette distinction nous semble très
théorique et ne permet pas d’exclure qu’une interdiction de se contredire ou d’adopter
un comportement contradictoire dans l’exécution du contrat ne puisse être consacrée à
la lumière de la bonne foi. Il est difficile d’imaginer une situation où une personne
adopte un comportement tout à fait contradictoire, opère un changement de
comportement imprévisible causant un préjudice à une personne n’ayant pu
légitimement l’anticiper, en étant loyale et de bonne foi83
. C’est pourquoi le devoir de
cohérence déjà révélé par la jurisprudence à travers l’exigence de bonne foi nous semble
en accord avec cette idée selon laquelle l’interdiction de se contredire au détriment
d’autrui et même l’estoppel sont empreints de bonne foi.
82 Ph. Pinsolle, « Distinction entre le principe de l’estoppel et le principe de bonne foi dans le
droit du commerce international », JDI Clunet, 1998, p. 905 et s. 83
V. à ce propos D. Mazeaud, « La confiance légitime et l’estoppel : rapport français » in B.
Fauvarque-Cosson (dir.), « La confiance légitime et l’estoppel », Société de législation comparée, 2007,
p. 267.
L’estoppel en droit des contrats
69
L’indifférence quant à la bonne ou mauvaise foi de l’auteur de la contradiction
présenterait tout de même un intérêt d’ordre probatoire, pour la partie lésée.
III) L’abus de droit comme fondement de la sanction des contradictions
se manifestant à l’exécution du contrat
99- La jurisprudence se réfère souvent à la notion d’abus pour le cas par exemple du
contrat de concession, lorsque le concédant rompt le contrat après avoir incité le
concessionnaire à engager des dépenses pour le maintien de celui-ci. Pourtant le lien
entre abus et bonne foi est si étroit qu’il est difficile de dire que la sanction de cette
contradiction ne repose pas sur une exigence de bonne foi. D’ailleurs, la Cour de
cassation a face à certains faits, estimé qu’une clause résolutoire pouvait être invoquée
de mauvaise foi84
. Elle se fonde alors sur une exécution de mauvaise foi du contrat,
puisque la partie sanctionnée se prévaut d’une clause, alors que l’abus semblerait plus
résider dans l’abus du droit de résilier à tout moment un contrat à durée indéterminée.
Pourtant la logique demeure la même, et les recours à l’abus et la bonne foi restent liés
car ils possèdent un lien étroit.
100- Par ailleurs, en vertu de cette même bonne foi, une représentation sur les
conséquences d’une rupture, et non sur l’hypothétique maintien du contrat lui-même qui
serait contredite par un comportement contradictoire avec celle-ci, même dans le respect
des stipulations contractuelles pourrait semble-t-il être sanctionnée si l’autre partie a agi
à son détriment.
84 Cass. Civ. 1
ère, 31 janv. 1995, D. 1995. Somm. p. 230, obs. D. Mazeaud ; Defrénois 1995,
p.749, obs. Delebecque ; RTD civ. 1995, p.623, obs. J. Mestre.
L’estoppel en droit des contrats
70
§ II – La cause, un fondement pour la sanction des contradictions internes
observables dans le contrat
101- La contradiction au détriment d’autrui peut se manifester à travers la
composition même du contrat. Une clause, peut être en contradiction avec l’économie
générale du contrat, elle peut également avoir pour effet de tenir en échec une obligation
essentielle. La sanction de cette contradiction se fait de façon cohérente sur le
fondement de la cause (I), mais ce fondement peut malgré tout être discuté (II).
I) Un fondement en phase avec la notion de contradiction
102- Comme le souligne le Professeur Denis Mazeaud, tous les mécanismes allant
dans le sens d’une interdiction de se contredire au détriment d’autrui à travers la
composition du contrat relèvent de la théorie de la cause85
. Chaque décision dans
laquelle une clause a été réputée non écrite, pour avoir donné lieu à une incohérence
contractuelle, l’a été sur le fondement de la cause et au visa de l’art. 1131 du Code civil.
Dans une telle situation, le recours à la cause peut être mis en parallèle avec une
protection de la confiance légitime. Le professeur Hugues Kenfack a d’ailleurs mis en
évidence ce lien qui témoigne de la pertinence du recours à la cause pour sanctionner la
contradiction. En effet, ce dernier estime que « le concept de confiance -légitime- peut
être utilisé en droit positif pour éradiquer certaines clauses qui affectent le contrat en
permettant à un contractant, soit de se soustraire purement et simplement à ses
engagements, soit de neutraliser les conséquences d’une inexécution qui lui serait
imputable en éludant toute sanction ou en fixant un plafond de réparation dérisoire. […]
L’analyse de la jurisprudence montre qu’elle sanctionne une telle attitude non pas
directement par le recours à la notion de confiance, mais indirectement par des notions
comme l’obligation essentielle ou même l’économie générale du contrat ».
85 D. Mazeaud, « La confiance légitime et l’estoppel : rapport français » in B. Fauvarque-Cosson
(dir.), « La confiance légitime et l’estoppel », Société de législation comparée, 2007, p. 267.
L’estoppel en droit des contrats
71
Ces développements démontrent bien que la cause est un fondement pertinent pour
sanctionner la contradiction interne au contrat, car il renvoie indirectement à la notion
de confiance légitime que protège l’estoppel.
II) Un fondement discutable
103- Le fait de recourir à la cause pour sanctionner une telle contradiction pose
difficulté quant à l’accueil de la théorie de l’estoppel pour de telles contradictions. Bien
que la cause permette ici de sanctionner une incohérence, l’estoppel viendrait protéger
la confiance du cocontractant en un hypothétique effet du contrat, effet contredit par une
clause le vidant de sens. L’estoppel semble donc recouvrir un champ plus large et il
serait difficile de venir justifier le recours à l’estoppel sur le fondement de la cause,
quand bien même celle-ci permet à la jurisprudence de sanctionner une incohérence.
En effet, l’estoppel empêche l’auteur de la contradiction de s’en prévaloir, notamment
pour bénéficier d’une clause limitative de responsabilité, quand la théorie de la cause
permet de réputer non écrite une clause qui limite la responsabilité de l’auteur d’un
manquement à une clause essentielle. Dans l’hypothèse où l’auteur d’une représentation
pourrait laisser croire à son cocontractant que le contrat aboutira à une situation en
contradiction avec les termes exacts, l’estoppel peut s’appliquer s’il y a un préjudice.
Alors même que cette clause serait sans lien avec une « obligation essentielle ».
L’estoppel se focalise sur la représentation et la contradiction, puis sur la confiance
suscitée, peu importe que la clause soit essentielle, qu’elle vide de sens un contrat ou
bouleverse son économie générale. Une clause contraire à ce qu’une partie pouvait
légitimement attendre du contrat au regard de la promesse ou représentation suffit.
Cependant le modèle contractuel français pose un problème à ce stade. En effet, il ne
s’agit pas d’une exécution de mauvaise foi d’un contrat, il s’agit de l’exécution d’une
clause contradictoire avec les attente légitimes provoquées, or le modèle contractuel
français ne permet pas de faire échec à une telle clause.
L’estoppel en droit des contrats
72
Une application de l’estoppel à travers le droit français est donc difficile même
si certains mécanismes s’en rapprochent, ce qui donne lieu à un régime de l’interdiction
de se contredire au détriment d’autrui très complexe.
Section II – L’absence d’uniformité dans le régime
104- La difficulté à trouver un fondement permettant d’appliquer un principe
d’estoppel en France conduit à l’observation d’une réelle interdiction de se contredire au
détriment d’autrui mais qui manquerait d’autonomie et d’identité conceptuelle dans le
contexte français. Par conséquent le régime de cette interdiction est tout aussi disparate.
Le premier constat est qu’en France la sanction de la contradiction est conditionnée par
l’existence d’un préjudice, ce qui est handicapant pour dégager un régime uniforme (§
I), notamment parce que cela traduit une logique de réparation. Concernant ensuite la
sanction elle-même, on ne peut que constater son caractère plural en fonction du type de
contradiction (§ II).
§ I – Une condition handicapante pour l’uniformité du régime : la
constatation d’un préjudice subi
105- C’est la première exigence, qui apparait dans toutes les situations où la
jurisprudence sanctionne l’auteur d’une contradiction en droit français. Il en va de
même pour le régime de l’estoppel dans tous les ordres juridiques où il s’applique. C’est
pour cette raison que le principe d’estoppel est traduit en français comme l’interdiction
de se contredire « au détriment » d’autrui, la formule souligne l’exigence d’un
préjudice. La contradiction n’est donc pas condamnable en elle-même.
La croyance, confiance, ou même espérance légitime, ne mérite donc d’être protégée
que dans la mesure où elle a conduit une partie à agir en fonction d’elle et à son
détriment, créant de ce fait un préjudice au moment de la contradiction.
106- Nous avons relevé précédemment le cas de la rupture d’un contrat de
concession par le concédant, alors que le concessionnaire avait légitimement pu croire
L’estoppel en droit des contrats
73
que le contrat serait maintenu en raison du comportement de son cocontractant. La Cour
de cassation a clairement démontré que dans ce type de situation, la sanction est
conditionnée par la constatation d’un préjudice, dans une décision rendue le 5 octobre
200486
. Alors que le concédant convie son concessionnaire à une réunion portant sur la
stratégie commerciale et l’organisation de la concession, le concessionnaire peut
légitimement croire au maintien de son contrat. Pourtant, le concédant décide de rompre
unilatéralement le contrat. Le concessionnaire considère alors la rupture comme
abusive, en raison du comportement déloyal du concédant87
. Pourtant la Cour de
cassation va considérer qu’en « se déterminant par ces motifs, alors que le concédant
était en droit de rompre un contrat, à tout moment, (…) la cour d’appel, qui n’a pas
constaté que le concédant avait fait croire au concessionnaire que le contrat serait
poursuivi pour l’inciter à procéder à des investissements, n’a pas donné de base légale à
sa décision ». On voit donc que l’abus n’est reconnu que dans la mesure où la
contradiction a provoqué un préjudice.
§ II – La pluralité de sanction selon la nature de la contradiction
107- Le caractère plural des sanctions traduit un manque d’uniformité mais répond à
une logique factuelle. Nous verrons que dans le cas des contradictions internes au
contrat, la clause à l’origine de la contradiction sera réputée non écrite (I), alors que
l’allocation de dommages-intérêts sera récurrente pour sanctionner la contradiction
comportementale.
86 Cass. com., 5 oct. 2004, Cont. conc. conso., 2005, comm. n° 1, obs. L. Leveneur ; JCP 2005, I,
p.114, obs. M. Chany ; RDC, 2005, p. 288, obs. P. Stoffel-Munck et p. 384, obs. M. Béhar-Touchais ;
Revue Lamy, Droit civil, janv. 2005, p. 5, note D. Mainguy et J.-L. Respaud ; RTD civ. 2005, p. 128, obs
J. Mestr et B. Fages. 87
Ces considérations ne manquent pas de mettre en avant le lien étroit entre les notions d’abus et
de bonne foi, V. à ce propos D. Mazeaud, « La confiance légitime et l’estoppel : rapport français » in B.
Fauvarque-Cosson (dir.), « La confiance légitime et l’estoppel », Société de législation comparée, 2007,
p. 267.
L’estoppel en droit des contrats
74
I) La clause, source de la contradiction interne, reputée non écrite
108- Dans la totalité des cas où la contradiction émane des termes du contrat, il
s’agit d’une clause en contradiction avec l’esprit du contrat, le vidant de son sens ou
encore bouleversant son économie générale. Dans tous les arrêts envisagés
précédemment à ce propos, la clause à l’origine de cette contradiction a été réputée non
écrite sur le fondement de la cause.
La sanction est appropriée puisqu’elle permet de supprimer l’élément à l’origine de la
contradiction pour rendre sa cohérence au contrat. De ce fait, la contradiction ne pourra
produire d’effets au détriment d’autrui.
II) L’allocation de dommages-intérêts, sanction récurrente de la
contradiction dans une logique de réparation
109- La contradiction comportementale est traitée de façon beaucoup moins claire
par le droit français des contrats. Elle est représentative du manque d’autonomie de
l’interdiction de se contredire au détriment d’autrui et de son régime disparate.
La sanction généralement reconnue est l’allocation de dommages-intérêts en réparation
du préjudice subi du fait de la contradiction.
110- L’estoppel, qui a initialement pour but de « stopper » l’auteur de la
contradiction, de l’empêcher de s’en prévaloir, suppose que l’on considère dans certains
cas des sanctions telles que la fin de non recevoir ou la déchéance du droit ou du
pouvoir88
acquis par le biais de la contradiction. Dans le cas de l’arrêt Golshani, la
contradiction a été sanctionnée par l’irrecevabilité du moyen invoqué.
Ces sanctions semblent adaptées, mais la déchéance, notamment, pose un problème
dans certaines hypothèses. En effet si dans l’exécution d’un contrat, une personne a par
son comportement fait une représentation contredite ensuite de façon imprévue, il
semble adapté de prononcer la déchéance du droit dont il se prévaut en vertu du contrat
ou d’une disposition légale. Cependant, la représentation cesse au moment où est
88 propos D. Mazeaud, « La confiance légitime et l’estoppel : rapport français » in B. Fauvarque-
Cosson (dir.), « La confiance légitime et l’estoppel », Société de législation comparée, 2007, p. 270.
L’estoppel en droit des contrats
75
prononcée la déchéance, on peut alors se demander si l’auteur de la contradiction a
vocation à rester estopped, s’il faut l’empêcher de se prévaloir de son droit ou pouvoir,
pour une durée indéterminée.
Une sanction de ce type qui ne serait pas revêtue d’un caractère provisoire, serait
créatrice d’une situation de déséquilibre. On peut parler de déséquilibre dans la mesure
où l’auteur de la contradiction sera alors tenu par sa représentation, qui sera
généralement à l’avantage de son cocontractant, alors même qu’il n’a jamais souhaité
s’engager en ce sens. La victime de la contradiction verra alors une sanction qui ira plus
loin que la réparation de son préjudice.
111- Ces développements nous conduisent naturellement vers la question de
l’exécution forcée. Pour le concédant ayant fait croire au concessionnaire par son
comportement qu’il maintiendrait un contrat et se contredirait ensuite en en résiliant,
peut-il être contraint au maintien du lien contractuel en étant déchu de son droit de
résiliation ? La jurisprudence est encore très claire à ce sujet et refuse une telle sanction.
Par ailleurs, dans le cas des négociations ayant entrainé des dépenses importantes pour
l’une des parties au contrat potentiel, il est également difficile d’envisager de retirer à
l’auteur de la contradiction son droit de mettre fin aux négociations et de ne pas
contracter. Une conclusion forcée reste inenvisageable au regard du droit positif.
Le régime se limite donc à l’allocation de dommages-intérêts pour réparer le préjudice
subit en raison du comportement contradictoire, sur les divers fondements évoqués.
L’estoppel en droit des contrats
76
112- En France il n’existe pas de principe d’estoppel applicable au droit des contrats
de manière générale, nous l’avons vu l’estoppel dont il est fait application dans le cadre
de l’arrêt Golshani est limité en plusieurs occurrences.
Malgré tout, après avoir constaté que l’interdiction de se contredire au détriment
d’autrui se manifeste dans le droit français, on peut analyser l’absence d’application
d’une telle interdiction de manière claire.
L’interdiction de se contredire au détriment d’autrui se développe à travers les
mécanismes du droit français et ne produit pas les mêmes effets que l’estoppel car ne
répond pas à la même logique. Cependant certains mécanismes de notre droit des
contrats seraient susceptibles de reconnaitre un principe d’estoppel. L’exigence de
bonne foi dans l’exécution du contrat, bien que ne se confondant pas avec l’estoppel
pourrait avec une appréciation large permettre d’appliquer sinon l’estoppel, une
protection de la confiance plus aboutie que le devoir de cohérence déjà dégagé de l’art.
1134 par la jurisprudence. La notion d’abus en ce qu’elle entretient un lien étroit avec la
bonne foi pourrait également répondre à la même démarche au stade de la négociation
du contrat. Enfin la théorie de la cause serait susceptible d’être le point de départ du
développement d’un estoppel sanctionnant la contradiction interne au contrat.
113- Les mécanismes du droit français laissant une ouverture au développement
d’une interdiction de se contredire au détriment d’autrui plus aboutie ne permettent tout
de même pas de considérer que le droit français des contrats est réellement propice à la
consécration de l’estoppel. S’il n’ignore pas les grandes lignes du principe relatives à la
confiance légitime, la contradiction ou encore la cohérence, le modèle contractuel
français n’est pas fondé sur ces dernières. L’étude du régime disparate des mécanismes
sanctionnant la contradiction au détriment d’autrui le démontre.
Conclusion du Titre I
L’estoppel en droit des contrats
77
Titre II – L’introduction du principe d’estoppel dans le droit
privé français des contrats : la remise en cause d’un modèle
114- L’introduction de l’estoppel dans le droit français des contrats, quelque soit la
forme sous laquelle il se développe, est plus qu’une question d’opportunité et de
compatibilité, c’est une question de choix, d’orientation et de politique juridique. Dans
ce que le mécanisme apporterait de nouveau, il remettrait en cause un modèle
contractuel français basé sur l’autonomie de la volonté, bien que déjà nuancé par la
jurisprudence à travers certains concepts comme la bonne foi.
En envisageant l’estoppel dans notre droit des contrats, on envisage une nouvelle
façon de penser le contrat et le droit des contrats. L’estoppel en droit français des
contrats aurait pour effet de modifier le rôle du juge vis-à-vis de la relation contractuelle
(Chapitre I). Ce rôle du juge en évolution constante, a suscité depuis plusieurs années la
volonté de réformer le droit des contrats français, considérant que le code civil n’était
plus adapté à la modernité des relations d’affaires, ni à la dimension internationale de
ces relations. Dans une perspective de réforme, il semble donc que l’estoppel ait une
place dans les débats (Chapitre II).
Chapitre I – Les influences de l’estoppel sur le rôle du juge
115- Il y a incontestablement dans le mécanisme de l’estoppel lorsqu’il est appliqué
au droit des contrats un rôle important accordé au juge. Même si dans le droit anglais il
n’y a pas de d’appréciation de la bonne foi et si le mécanisme est théoriquement limité à
une fonction défensive, cette idée est remise en cause et l’estoppel dans les autres
systèmes juridiques et tel qu’il pourrait se développer en France, fait appel à une
appréciation et un contrôle étendus du juge.
Dans un système français, fondé sur la volonté de s’engager et dans lequel subsiste la
prééminence de l’autonomie de la volonté, de nombreuses notions qui apparaissent ou
ont vocation à apparaitre dans le droit des contrats, répondent à une logique différente
développée par la doctrine solidariste.
L’estoppel en droit des contrats
78
Nous allons voir en quoi d’une certaine manière l’estoppel tel qu’il pourrait se
développer en France répond à cette logique (Section I) et en quoi ceci met en lumière
cette crainte de l’atteinte d’une « sécurité juridique » (Section II).
Section I – L’estoppel et la doctrine solidariste
116- L’école solidariste que l’on oppose généralement à l’autonomisme contractuel,
défend le recours à des notions « malléables » pour permettre de rétablir un certain
équilibre dans les relations contractuelles et pour canaliser la tournure que peut prendre
dans les faits, une relation contractuelle préétablie. En ce sens, l’estoppel se rapproche
de cette logique (§ I), mais nous verrons que le solidarisme ne remet pas en cause le fait
que la force obligatoire du contrat repose sur la volonté de s’engager et non sur une
notion d’échange et de confiance (§ II).
§ I – L’estoppel et le solidarisme : une dynamique commune
117- L’idée qui fonde le rapprochement entre estoppel et solidarisme contractuel est
que malgré les termes précis d’un contrat, si celui-ci est contradictoire dans sa
composition ou si un comportement est respectueux des stipulations mais rend leur mise
en œuvre contradictoire aux yeux du cocontractant, alors ces dispositions contractuelles
ne doivent pas demeurer « intouchables ».
Pour l’école solidariste, il doit exister entre deux personnes liées par un contrat, un
esprit de collaboration, prenant en compte les intérêts de chacun et servant l’objectif
commun qui est la réalisation de l’objet du contrat89
. Toute contradiction est donc
fondamentalement opposée aux idées défendues par le solidarisme contractuel.
Les solidaristes poussent loin ce raisonnement puisqu’ils conçoivent la relation
contractuelle comme la source d’un devoir de collaborer et donc dans certains cas, de
89 J. Cedras, « Liberté-Egalité-Contrat, le solidarisme contractuel en doctrine et devant le Cour
de cassation », lexinter.net.
L’estoppel en droit des contrats
79
faire des sacrifices90
. Certains auteurs vont même jusqu’à parler de relation fraternelle
entre les parties91
.
Les idées se recoupent et on peut donc considérer que l’estoppel en France, au moins
dans le but poursuivi, se rapproche de l’école solidariste. Mais par conséquent, cette
concordance concerne également le rôle attribué au juge.
118- En prônant un recours dynamique aux notions de bonne foi voire d’équité issue
de l’art. 1135, même si cela concerne moins le mécanisme de l’estoppel, le solidarisme
entend modifier le rôle du juge. Celui-ci sans réellement s’immiscer dans la relation
contractuelle exerce un contrôle différent, puisqu’il ne se limite pas à contrôler la
validité de l’engagement et le respect des obligations découlant de celui-ci, il contrôle la
validité et la cohérence de l’exécution. Sans revenir sur l’absence de dimension
subjective, ou de bonne foi dans l’appréhension par les juges anglais de l’estoppel,
absence que nous considérons comme artificielle, il est incontestable que ce rôle est
attribué au juge dans l’appréciation d’une situation à laquelle s’applique le principe
d’estoppel.
Qu’il s’agisse de la légitimité de la confiance, ou encore du caractère contradictoire
avéré, le juge interprète une situation de fait pour contrôler les effets pervers provoqués
par un contrat. La démarche commune est d’autant plus importante lorsque le juge
apprécie le comportement des deux parties comme c’est le cas pour l’estoppel du droit
australien et comme ce serait le cas vraisemblablement dans l’hypothèse d’un accueil de
l’estoppel dans le droit français des contrats.
§ II – La source de la force obligatoire du contrat : le point de divergence
entre estoppel et solidarisme
119- Le solidarisme défendu par de nombreux auteurs en doctrine, ne remet pas en
cause le modèle contractuel de façon fondamentale dans la mesure où la volonté de
s’engager demeure la source de l’effet obligatoire de la convention. L’estoppel, qui
90 Ch. Jamin, « Plaidoyer pour le solidarisme contractuel », in « Le contrat au début du XXIème
siècle », Etudes offertes à J. Ghestin , L.G.D.J. 2001 91
D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité, la nouvelle devise contractuelle ? », in « L'avenir
du droit », Mélanges en hommage à F. Terré, Dalloz, 1999.
L’estoppel en droit des contrats
80
rentre dans le champ de la dynamique souhaitée par la doctrine solidariste, repose
pourtant sur un contrat dont la force obligatoire proviendrait plus de la confiance
donnée et de la contrepartie, force obligatoire remise en cause par la contradiction qui
trompe la confiance.
On retrouve donc une problématique déjà abordée qui est une volonté de défendre des
idées servies par le mécanisme de l’estoppel, mais dans un contexte ne pouvant
réellement l’intégrer, même à travers les notions sur lesquelles repose le solidarisme.
120- La volonté comme source de l’effet obligatoire s’accorde initialement avec le
modèle autonomiste. Pourtant le solidarisme nous semble plus en phase avec une vision
moderne du droit des contrats, c’est pourquoi il trouve sa place dans les différents
projets de réforme du droit des contrats, destinés à le moderniser et l’harmoniser.
L’estoppel participe donc de cette modernité.
Par droit des contrats, on peut aujourd’hui entendre droit des contrats d’affaires, tant la
technique contractuelle et le contentieux sont dirigés principalement vers ces derniers.
Aussi, la complexité de ces contrats, de leur négociation et de leur mise en œuvre,
implique un contrôle plus important du juge. Au-delà de l’image de fraternité proposée
justement et pédagogiquement, il y a une dimension de complexité. Le contrat est
devenu complexe, la technique contractuelle est aujourd’hui une stratégie, elle est aux
antipodes de la fraternité. Insérer une coopération dans le droit des contrats permet en
réalité de rendre à la convention le sens cohérent mais aussi souvent souhaité, par une
au moins des parties, et donc répondant à sa volonté. Ainsi, protéger la confiance,
revient à protéger la volonté, et c’est là que l’estoppel semble avoir un rôle à jouer. En
protégeant la confiance d’une partie au titre de la contradiction, il protège généralement
sa volonté, puisque celle-ci est difficilement lisible dans une convention conçue par des
professionnels de la technique contractuelle.
Généralement on assimile l’octroi de trop grands pouvoirs au juge à
« l’insécurité juridique ». Ainsi l’estoppel serait source d’insécurité juridique. Nous
allons voir que cette conception française de l’insécurité peut être discutée.
L’estoppel en droit des contrats
81
Section II – L’estoppel et la notion de « sécurité juridique »
121- « Bonne foi et sécurité juridique, même combat »92
. C’est avec cette formule
que le Professeur Denis Mazeaud affiche clairement l’idée selon laquelle la bonne foi, et
à travers elle le solidarisme, ne sont pas vecteurs d’insécurité juridique.
Si l’on part du postulat que les acteurs du monde des affaires ne contrôlent pas
intégralement les effets des contrats en vertu desquels ils s’engagent, en raison d’une
technique contractuelle complexe et d’un droit des contrats difficilement lisible, alors
l’insécurité juridique pourrait provenir au contraire d’une intervention trop limitée du
juge. Non seulement l’estoppel en ce qu’il rejoint les objectifs de la doctrine solidariste,
protège la volonté des parties en même temps que la confiance légitime, mais il sécurise
les effets concrets de contrats complexes et mal maitrisés.
L’insécurité juridique que l’on peut attribuer à un recours important à l’abus de droit,
l’exigence de bonne foi et à travers elle le devoir de loyauté et de cohérence par
exemple, peut également permettre que le contrat reste « la chose des parties » en
maintenant les effets auxquels ils ont souhaité se soumettre ensemble.
122- On imagine aisément un acteur économique dont la situation a évolué et ne
souhaitant plus exécuter son contrat, du moins dans les conditions qui lui convenaient
jusqu’alors. Parfois un contrat « bien rédigé », lui permettra de se sortir de cette
situation en vertu de certaines stipulations. Dans la mesure où la revendication de ces
stipulations est contradictoire avec le comportement adopté depuis la conclusion du
contrat, l’estoppel permet de bloquer ce changement de position qui ne correspond pas à
la relation dans laquelle les parties se sont engagées.
92 D. Mazeaud, « Loyauté, solidarité, fraternité… » in Etudes offertes à F. Terré, Dalloz, 1999, p.
629.
L’estoppel en droit des contrats
82
Chapitre II - La possible consécration d’un principe d’estoppel
assumé dans le droit français des contrats : la perspective d’une
réforme
123- Le principe d’estoppel ne peut trouver une application aboutie dans le droit
français des contrats tel qu’il est actuellement, alors que d’une part, la jurisprudence et
la doctrine évoluent en partie vers des objectifs poursuivis par l’estoppel et d’autre part,
il n’est plus à prouver que le droit français des contrats avance vers une réforme que la
majorité considère comme nécessaire.
Il est donc légitime et opportun d’envisager la place que pourrait tenir l’estoppel dans
un droit des contrats réformé, et de se prononcer sur certaines caractéristiques de cette
réforme.
Face aux nécessités exprimées de modernisation du droit des contrats, il semble
que l’estoppel soit en phase avec cette modernité de la technique contractuelle, et qu’il
ne puisse s’épanouir que dans un droit conçu en fonction de cette modernité et adapté à
cette complexité (Section I). Par conséquent si l’on s’intéresse à la logique contractuelle
qui semble gouverner le fonctionnement de l’estoppel, on observe une place primordiale
accordée à la notion de confiance (Section II).
Section I – L’estoppel au service d’un droit adapté aux
montages contractuels des affaires
124- Le principe d’estoppel dans son rapport au droit des contrats renvoie presque
systématiquement à des notions propres aux contrats d’affaires modernes. Le
mécanisme a un fonctionnement qui permet d’appréhender la relation contractuelle en
fonction des comportements des acteurs économiques contemporains.
D’une part, la grande majorité des contrats qui génèrent du contentieux, sont des
contrats à exécution successive, et l’estoppel est un mécanisme adapté à cette donnée (§
I), d’autre part, il permet d’appréhender les situations des parties, avérées ou
potentielles, en tenant compte du fait que le contrat est aujourd’hui un véritable outil de
stratégie économique (§ II).
L’estoppel en droit des contrats
83
§ I – Un mécanisme adapté aux contrats à exécution successive
125- La majorité des conventions génératrices de contentieux dans le monde des
affaires, sont aujourd’hui des contrats à exécution successive. Nous allons voir que c’est
en partie pour cette raison que le droit français des contrats est aujourd’hui considéré
comme trop complexe. En réalité les dispositions relatives au droit des contrats
présentes dans le Code civil sont considérées comme obsolètes, puisqu’elles font l’objet
d’une interprétation active et seule la création prétorienne permet de les adapter aux
réalités actuelles. Le droit des contrats français dans son ensemble est lui, plutôt
considéré comme illisible93
.
L’obsolescence en question est à l’origine, d’une part de cette volonté grandissante de
réformer le droit des contrats, d’autre part, de la difficulté à concevoir un
épanouissement de l’estoppel dans ce droit français94
. La question de la modernité
rapproche donc l’estoppel d’une hypothétique réforme du droit des contrats.
126- La priorité d’une réforme serait d’adapter le droit des contrats à ce facteur
temps de la relation contractuelle, ignoré des dispositions du code civil. Le professeur
Daniel Mainguy a mis en avant cette problématique en exposant que « le modèle
contractuel qui inspire le code civil est la vente, à l'image de l'ensemble de la structure
du code civil, tournée autour des différentes manières dont on acquiert la propriété,
adaptée aux projets et aux ambitions du législateur de 1804 pour le propriétaire terrien
héritier de la Révolution française, mais nettement moins à la société économique et
politique de 2008. Or, la vente est un contrat très singulier, translatif de propriété, sans
durée ou presque, aux obligations simples et bien définies, alors même que les contrats
d'affaires sont des contrats qui s'inscrivent dans la durée, avec toutes les conséquences
de la prise en compte de ce facteur temporel : la négociation, la circulation, l'adaptation,
la rupture inéluctable, etc. ».
Pour mettre en exergue cette réelle adaptation de l’estoppel au facteur temps des
relations contractuelles modernes, il suffit de se pencher à nouveau sur la logique qui le
fonde et ne lui permet pas de s’adapter aux concepts du droit français des contrats. Dans
93 D. Mainguy, « Défense, critique et illustration du projet de réforme du droit des contrats », D.
2009, Chr., p. 308 94
V. infra, n° 93 et s.
L’estoppel en droit des contrats
84
la mesure où il s’agit de protéger la confiance d’une personne, trompée par la
contradiction d’une autre, il n’y a pas de distinction pour un tel principe entre
négociation et exécution du contrat par exemple. Alors qu’en France il est difficile de
s’appuyer sur les textes du code civil pour démontrer que la bonne foi s’applique à
l’exécution du contrat mais aussi à sa formation95
, l’estoppel recouvre l’ensemble de la
relation contractuelle. Il y a donc une unité du principe qui s’applique à une relation
contractuelle envisagée comme un ensemble.
§ II – Un mécanisme adapté aux contrats conclus dans une démarche
stratégique
127- « En affaires,… trompe qui peut ! »96
. C’est en ces termes que le Professeur
Muriel Chagny a exposé son sentiment vis-à-vis du monde des affaires. Cette remarque
volontairement imagée et incisive est représentative de l’idée présentement développée.
Pour démontrer que l’estoppel est un mécanisme au service d’un droit moderne des
contrats voire d’un droit des contrats modernes, on peut considérer le fait que le concept
n’ignore pas l’aspect stratégique du contrat, qui est un véritable outil.
128- Sans revenir sur la nécessaire intervention d’appréciations subjectives lorsqu’il
s’agit de se prononcer sur une contradiction préjudiciable et une confiance légitime,
l’estoppel n’est pas opposé à l’idée de stratégie dans le contrat. En effet dans la mesure
où l’estoppel permet de protéger la confiance légitime trompée par le comportement
d’un cocontractant et ne vient pas sanctionner une mauvaise exécution, une faute, ou un
défaut de cause. Il s’agit simplement de considérer qu’il est envisageable que dans un
contrat, les parties ne soient pas toujours dans une démarche fraternelle, et que
l’évolution d’une situation ne doit tourner à l’avantage d’une partie simplement parce
qu’une clause a une rédaction particulière, si le comportement des parties jusqu’alors
95 V. à ce propos, E. Savaux, « solidarisme contractuel et formation du contrat », in Le
solidarisme contractuel – mythe ou réalité?, dir. L. Grynbaum et M. Nicod, Economica, 2004, p. 43 et s.
96
M. Chagny, « La confiance dans les relations d’affaires » in V.-L. Bénabou et M. Chagny
(dir), « La confiance en droit privé des contrats », colloque du 22 juin 2007 organisé par l’Université de
droit et de science politique de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, Dalloz 2008.
L’estoppel en droit des contrats
85
permet de considérer que cette clause n’avait vocation à produire un autre effet. Ce
fonctionnement permet de prendre en compte la réalité des stratégies contractuelles pour
mieux les contrôler.
Ces idées n’occultent pas le fait qu’un contrat sera souvent conclu dans le cadre d’un
rapport de force. Ce n’est pas ce rapport de force qui est remis en cause. En effet, il ne
s’agit pas de chercher à établir un équilibre contractuel, mais d’empêcher que la relation
de confiance (même déséquilibrée) établie ne puisse engendrer un préjudice du fait
d’une contradiction validée par les termes d’un contrat.
Le développement d’un estoppel assumé remplissant la fonction précitée de
modernisation ne peut se faire que dans un droit qui envisage le contrat différemment du
droit français actuel, tout au moins du code civil. Il s’agira de consacrer la confiance
dans la relation contractuelle, puisque c’est elle que l’estoppel a vocation à protéger.
Section II – Un changement de logique contractuelle par la
consécration de la confiance
129- Selon le Professeur Terré, le contrat serait en réalité l’expression d’une
« confiance juridicisée »97
. Deux personnes pourraient donc se faire confiance parce
qu’elles se sont engagées en vertu d’un contrat. C’est sur cette idée qu’est fondée la
logique selon laquelle le contrat est basé sur la confiance et c’est cette dernière qui doit
guider le droit des contrats.
La volonté des parties exprimée dans un contrat n’a de raison d’être protégée que dans
la mesure où elle est le support de la confiance.
Il faut que le droit des contrats consacre la confiance légitime comme source de la force
obligatoire du contrat pour que l’estoppel puisse jouer le rôle modernisateur précité.
C’est parce que l’effet obligatoire reposera sur cette confiance légitime que l’estoppel
permettra de venir bloquer ou sanctionner la contradiction qui a trahi cette confiance et
généré un préjudice.
97 F. Terré, Le doute et le droit, Dalloz, 2004.
L’estoppel en droit des contrats
86
130- L’idée selon laquelle ce serait la confiance qui fonderait l’effet obligatoire du
contrat est défendue par plusieurs auteurs, ainsi une clarification législative de cette idée
est envisageable. En effet, Philippe Stoffel-Munck considère que « le fondement le plus
vraisemblable de la force obligatoire du contrat repose plutôt sur l’idée, assez
synthétique, de protection de la confiance légitime […] »98
.
Sans aller aussi loin dans ce raisonnement, le doyen Carbonnier avait déjà affirmé que
« ce qui fait la force obligatoire du contrat, c’est la confiance du créancier, non la
promesse du débiteur »99
. Cela mettait déjà en perspective l’importance que pouvait
jouer la confiance dans la relation contractuelle.
Vincent Edel indique, qu’à travers sa thèse, « l’objectif était de consacrer un principe de
confiance en tant que principe de régulation du comportement des contractants et
servant par là même de modèle explicatif du renouveau du droit des contrats »100
. Il
confirme ensuite que ce travail, volontiers prospectif, proposait que le principe de
confiance légitime serve de fondement à la force obligatoire du contrat. Pour lui, « ce
qui oblige le débiteur à s’exécuter, ce n’est pas le respect de la parole donnée du
débiteur ; c’est la confiance du créancier dans l’exécution du contrat conformément aux
engagements du débiteur, mais également au comportement qu’il peut afficher lors de
l’exécution du contrat »101
. Il s’agit là d’une conception du droit des contrats et d’une
vision de ce que doit incorporer une réforme, en phase avec la volonté d’intégrer
l’estoppel au droit français des contrats. On trouve un terrain propice à l’application
d’un estoppel relatif aux contradictions internes et comportementales, à travers un
régime unifié.
On retrouve dans les développements des différents auteurs présentés, les
fondations d’une construction du droit des contrats basé sur une logique permettant à
l’estoppel de jouer pleinement son rôle, de façon autonome, uniforme et efficace. Il
98 Ph. Stoffel-Munck, L’abus dans le contrat, th. Univ. Aix-Marseille, 2000, n°2178.
99 J. Carbonnier, Droit civil, Les obligations, t. 4, 22
e éd., Puf, coll. « Thémis Droit privé », 2000,
n° 21. 100
V. Edel, « Faut-il introduire un principe de confiance dans le Livre III du titre III du Code
civil ? », in V.-L. Bénabou et M. Chagny (dir), « La confiance en droit privé des contrats », colloque du
22 juin 2007 organisé par l’Université de droit et de science politique de Versailles-Saint-Quentin-en-
Yvelines, Dalloz 2008, p. 141. 101
V. Edel, « Faut-il introduire un principe de confiance dans le Livre III du titre III du Code
civil ? » préc., p. 142.
L’estoppel en droit des contrats
87
deviendrait un outil pour le juge dont l’utilisation reposerait sur une législation qui
assume un principe en parfait accord avec elle.
L’estoppel en droit des contrats
88
131- Une introduction parfaite du principe d’estoppel dans le droit français des
contrats remet en cause tout un modèle. Même à travers des notions que l’on qualifiera
volontiers de « souples », l’estoppel n’a pas vocation à être accueilli par la
jurisprudence au regard du droit applicable en France.
Le principe d’estoppel, à travers ses objectifs, rejoint d’une certaines manière la
doctrine solidariste. Cependant il reste fondamentalement opposé au modèle sur lequel a
été fondé le code civil, à sa voir l’autonomie de la volonté. Or le code civil demeure la
principale source législative du droit des contrats et ne permet pas à l’estoppel de
s’épanouir dans le droit français.
132- Dans la mesure où l’estoppel participe des impératifs reconnus de renouveau
dans le droit français des contrats, il est intéressant de penser aux alternatives permettant
son accueil. Par conséquent, l’opposition de l’estoppel au modèle contractuel sur lequel
repose encore le droit français, malgré les nuances apportées par le développement
d’une jurisprudence active, nous oblige à envisager son développement de manière
complète, uniquement à travers une réforme.
La réforme devra ainsi consacrer un modèle contractuel basé sur la notion de confiance.
Ce modèle qui reconnaitrait à la confiance légitime la nature de source de la force
obligatoire du contrat, permettrait que l’estoppel se développe. Ainsi le principe
trouverait un terrain propice à la sanction de la contradiction au détriment d’autrui sur
l’ensemble de la relation contractuelle et à travers un régime autonome et unifié.
Conclusion du Titre II
L’estoppel en droit des contrats
89
Conclusion de la 2ème
partie
133- Après avoir observé qu’il y avait dans les décisions de la Cour de cassation de
ces dernières années une tendance à sanctionner la contradiction au détriment d’autrui,
il était nécessaire de se demander quels étaient réellement les rapports entre ce principe,
reconnu au niveau procédural et le complexe droit français des contrats.
Le premier constat est que le droit français et l’estoppel possèdent un certain
nombre d’imbrications techniques. En effet, on retrouve dans la jurisprudence
l’identification de d’un devoir de cohérence fondé sur l’exigence de bonne foi
contractuelle. On observe également des similitudes conceptuelles à travers les notions
de cause. Il est enfin possible de nuancer très largement l’absence d’influence de la
bonne foi sur le principe d’estoppel tel qu’il se développe dans plusieurs systèmes
juridiques étrangers, et par conséquent d’imaginer un développement de cette bonne foi
dans le sens du mécanisme d’estoppel.
134- Malgré toutes ces imbrications techniques, le second constat est le manque
d’autonomie conceptuelle de tous ces mécanismes français qui tendent vers une
interdiction de se contredire au détriment d’autrui. Le système français qui exige un
fondement à toute décision conduit à un régime disparate de cette interdiction de se
contredire au détriment d’autrui, protégeant la confiance. La diversité voire la confusion
sont indéniables au regard de la sanction de cette contradiction. Ainsi, on ne peut que
constater qu’il existe malgré toutes les imbrications conceptuelles une réelle
incompatibilité entre le droit français des contrats et le principe d’estoppel.
Cette incompatibilité peut tout d’abord être expliquée. Le principe d’estoppel repose sur
un modèle contractuel particulier. Le code civil qui demeure la principale source légale
du droit des contrats repose encore sur le modèle de l’autonomie de la volonté. Bien que
la doctrine solidariste combatte une vision radicale de ce modèle et puisse en ce sens
être rapprochée de l’estoppel, elle ne conteste pas pour autant que la volonté est la
source de la force obligatoire du contrat.
Par conséquent, pour envisager un épanouissement de l’estoppel en France, il faut
imaginer une réforme du droit des contrats se libérant du modèle incompatible avec
l’estoppel. Cette réforme considérée par la majorité comme souhaitable, pourrait
objectivement se faire dans une perspective propice à l’accueil de l’estoppel, puisque la
L’estoppel en droit des contrats
90
confiance légitime est au cœur des débats relatifs au renouveau du droit des contrats. En
effet elle peut être analysée comme répondant aux impératifs de modernisation, de
compétitivité et d’harmonisation du droit des contrats.
L’estoppel en droit des contrats
91
CONCLUSION GENERALE
135- L’estoppel est un mécanisme qui s’est d’abord développé en Angleterre. Il est
ensuite devenu un principe, observable dans l’ensemble des ordres juridiques de
Common Law, jusqu’à ce qu’il s’étende jusqu’au droit international. En tant que
principe reconnu du droit international, son influence a pu s’observer dans les ordres
juridiques dit civilistes, notamment en France.
L’intensité de cette influence s’est faite de plus en plus pressante et l’estoppel a
finalement été reconnu par la Cour de cassation. Cet accueil de « la règle de l’estoppel »
est intervenu dans le domaine de la procédure arbitrale, secteur reconnu volontiers
comme propice à une application du principe.
L’apparition d’un tel principe dans le droit positif français est le fruit d’une évolution
progressive de la jurisprudence. En effet la sensibilité des juges du fond au mécanisme a
été de plus en plus remarquable, jusqu’à l’accueil de la Cour de cassation intervenu en
2005 dans le fameux arrêt Golshani, lequel a été consacré textuellement par une
formulation de l’applicabilité du principe au domaine de l’arbitrage dans le décret du 13
janvier 2011, destiné à réformer le droit de l’arbitrage.
L’étude du mécanisme, suscitée par le recours de la Cour de cassation à ce
dernier, conduit à observer une présence implicitement plus étendue de ce principe
assimilé à une « interdiction de se contredire au détriment d’autrui » en France. En effet,
l’analyse de la jurisprudence conduit à constater une réelle tendance à sanctionner une
telle contradiction dans l’ensemble du droit des contrats, à travers différents
mécanismes.
Un regard attentif sur cette jurisprudence permet de faire le constat d’une
certaine imbrication technique entre les concepts connus du droit français des contrats et
l’estoppel, tel qu’il se développe dans différents ordres juridiques. Cette imbrication,
conjuguée à la tendance jurisprudentielle à sanctionner des comportements apparaissant
comme contradictoires, ainsi qu’au recours symbolique à « la règle de l’estoppel » par
la Cour de cassation, permet d’envisager un éventuel développement de l’estoppel dans
l’ensemble du droit des contrats.
L’estoppel en droit des contrats
92
L’existence de dispositions légales accueillantes dans le droit français des contrats,
permet en effet d’étudier les potentialités d’une étendue de l’application du principe à
l’ensemble de ce dernier. Cette étude conduit à l’observation d’une réelle disparité dans
les perspectives d’application française du principe, ne permettant de considérer le droit
contractuel français comme propice au développement de l’estoppel, avec la logique du
concept construite dans un droit de Common Law. Ces difficultés sont semble-t-il dues à
l’opposition réelle entre la vision du contrat sur laquelle reposent les différents ordres
juridiques.
136- Le discours récurrent en France, consistant à présenter la réforme du droit des
contrats comme nécessaire, permet d’envisager la place que pourrait tenir l’estoppel au
sein d’une telle réforme. Cette tendance à mettre en exergue l’impératif de moderniser
et de rendre plus compétitif et efficace le droit français des contrats, doit être mise en
parallèle avec la progression du principe d’estoppel. Un concept reconnu par le droit
international, et l’ensemble des pays de Common Law, malgré certaines nuances semble
avoir sa place dans le débat relatif au renouveau du droit contractuel français. La plupart
des réformes envisagées et des orientations proposées pour les mettre en œuvre sont
finalement promptes à pallier cette incompatibilité entre notre droit des contrats et
l’estoppel.
Ainsi, à travers un renouveau du droit des contrats en France, qui replacerait par
exemple la confiance légitime au cœur de l’appréhension de la relation contractuelle,
apparaitrait le terrain d’accueil d’un estoppel assumé et au régime unifié, pour sa
consécration française au sein du droit des contrats.
L’estoppel en droit des contrats
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IV - Jurisprudence
A- Décisions fondées sur l’estoppel ou sanctionnant directement une
contradiction
1°- Décisions de la Cour de cassation
- Cass. Civ. 1ère
, 6 juill. 2005, arrêt Golshani, Clunet 2006. 608, note M. Behar-
Touchais, Rev. arb. 2005.993, note Ph. Pinsolle ; D. 2005. JP. 3059, note Th.
Clay ; JCP G. 2005.I.179, n°6, obs. J. Ortscheidt.
- Cass. civ. 1re
, 3 févr. 2010, Bull. civ. I, n° 25 ; D. 2010. AJ 448, obs. Delpech ;
ibid. 2589, obs. Clay.
2°- Décisions de cours d’appel
- Paris, 1re
ch. C., 17 janv. 2002, ITM c/ Gavaud, somm. Rev. arb., 2002.205.
- Paris, 1re
ch. C., 19 fév. 2004, Euton c/ Ural Hudson, Rev. arb., 2004.873, note
L. Jaeger.
- Paris, 1re
ch. C., 19 fév. 2004, Euton c/ Ural Hudson, Rev. arb., 2004.873, note
L. Jaeger.
- Paris, 1re
ch. C., 18 nov. 2004, SA Thalès Air Defence c/ GIE Euromissile, Rev.
arb., 2005.715 ; JDI, 2005.357, note A. Mourre ; RTD com., 2005.263, obs. E.
Loquin ; JCP, 2005 I.134, obs. Ch. Seraglini ; JCP, 2005 II, 10038, note G.
Chabot ; J. Intl. Arb., 2005.239, note D. Bensaude ; Rev. Lamy de la conc.,
2005.58, obs. E. Barbier de la Serre et Ch. Nourissat.
- Rouen, 2e ch. C., 25 nov. 2004, Cogecot Cotton Company c/ Marlan’s Coton
Industries, Gaz. Pal., 28 avr. 2005, n°118, p. 32.
L’estoppel en droit des contrats
100
3°- Décisions de la Cour internationale de Justice
- 12 oct. 1984, Délimitation de la frontière maritime dans la région du golfe du
Maine (Canada c/ Etats-unis d’Amérique), 12 octobre 1984, Rec. CIJ, 1984, §
130, p.305.
- 13 sept. 1990, Affaire du différend frontalier terrestre, insulaire et maritime (El
Salvador c/ Honduras), Requête du Nicaragua à fin d’intervention, Rec. CIJ,
1990, v. spéc. § 63, p. 118.
4°- The High Court of Justice
- High Court, 1947, Central London Property Trust Ltd. v. High Trees House
Ltd, 68 L.Q.R. 283.
B- Décisions sanctionnant indirectement une contradiction ou une
incohérence
1°- Dans le comportement du contractant
a- Négociation du contrat
- Cass. com., 22 avr. 1997, D. 1998, p.45, note P. Chauvel ; RTD civ. 1997,
p.651, obs. J. Mestre.
- Cass. com., 26 nov. 2003, RDC 2004, p. 257, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 2004,
p.80, obs. J.Mestre et B. Fages.
- Cass. com., 18 janv. 2011, n° 09-14.61
L’estoppel en droit des contrats
101
b- Exécution du contrat
- Cass. civ. 1ère
, 8 avr. 1987, RTD civ. 1988, p.122, obs. J. Mestre et p.146, obs.
Ph. Remy ; JCP 1988, II, 21037, obs. Y. Picod ; Defrénois 1988, p.375, obs. J.-
L. Aubert.
- Cass. civ. 3
ème, 13 avr. 1988, RTD civ. 1989, p. 743, obs. J. Mestre.
- Cass. civ. 1ère
, 16 févr. 1999, D. 2000, p. 360, obs. D. Mazeaud.
- Cass. com., 15 janv. 2002, D. 2002, p.1974, note Ph. Stoffel-Munck et p. 2841,
obs. D. Mazeaud ; Contrats, Conc., consomm. 2002, comm. n°94 ; JCP 2002,
10157, obs. Ch. Jamin ; RTD civ. 2002, p. 294, obs. J. Mestre et Ch. Jamin.
- Cass. com., 17 juil. 2002, RTD civ 2002, p. 93, obs. J. Mestre et B. Fages.
- Cass. com., 30 nov. 2004, Bull. Joly, 2005.379, note P. Mousseron ; RTD civ.,
2005.391, obs. J. Mestre et B. Fages
- Cass. civ. 1re
, 1er
mars 2005, D., 2005.883, obs. X. Delpech ; RTD civ.,
2005.391, obs. J. Mestre et B. Fages
- Cass. com., 8 mars 2005, D. 2005, p. 2843, obs. B. Fauvarque-Cosson ; RDC
2005, p. 1015, obs. D. Mazeaud ; Rev. Lamy, Droit civil, juil./août, 2005 p.5,
note D. Houtcieff ; RTD civ. 2005, p. 391, obs. J. Mestre et B. Fages.
c- Extinction du contrat
- Cass. com., 5 avr. 1994, Contrats, conc., consomm. 1994, comm. n° 159, obs.
L. Levneur ; D. 1995, p. 90, obs. D. Mazeaud ; RTD civ. 1994, p. 603, obs. J.
Mestre.
- Cass. com., 20 janv. 1998, D. 1998, p. 413, note Ch. Jamin ; Contrats, conc.,
consomm. 1998, comm. n° 56, obs L. Leveneur ; D. 1999, p. 114, obs. D.
Mazeaud ; JCP 1999, II, 10085, obs. J.-P. Chazal ; RTD civ. 1998, p.675, obs.
J. Mestre.
- Cass. com., 9 avr. 2002, RTD civ. 2002, p.811, obs. J. Mestre et B. Fages.
- Cass. com., 9 janv. 2001.
- Cass. com., 5 oct. 2004, Cont. conc. conso., 2005, comm. n° 1, obs. L.
Leveneur ; JCP 2005, I, p.114, obs. M. Chany ; RDC, 2005, p. 288, obs. P.
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- Paris, 1re
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SARL International Display Design c/ société des Cartonnages de Pamfou, Rev.
arb., 2003.173, note M.-E. Boursier.
2°- Dans les termes du contrat
- Cass. civ. 1ère
, 18 janv. 1984, RTD civ. 1984, p. 727, obs. J. Huet.
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- Cass. civ. 1ère
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Mazeaud.
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1080, obs. A. Debet ; RTD civ. 2005, p. 133, obs J. Mestre et B. Fages.
- Cass. civ. 1ère
, 22 juin. 2004, RDC 2005, p.270, obs. D. Mazeaud.
L’estoppel en droit des contrats
103
C- Décisions rendues dans divers domaines
- Cass. civ. 2e, 16 juill. 1953, JCP 1953, II, 7792, note R. Rodière
L’estoppel en droit des contrats
104
INDEX ALPHABETIQUE
A
Abus : n° 68 / 71 / 99 et s.
Arbitrage : n° 13 et s. / 35 et s.
Autonomie (de la volonté) : n° 116 et s.
B
Bonne foi : n° 18 / 21 / 79 et s.
C
Cause : n° 90 et s. / 101 et s.
Confiance : n° 22 / 27 / 50 et s. / 129 et
s.
Consideration : n° 43 et s. / 79 et s.
F
Faute : n° 63 / 89 et s.
G
Gain manqué : n° 33 / 65
Golshani (arrêt) : n° 25 et s. / 62
L
Loyauté : n° 20 / 50 et s.
O
Offre : n° 64 et s.
P
Préjudice : n° 105 et s.
R
Reliance : n° 34 / 43 et s.
Renonciation : n° 17 et s.
Représentation : n° 40 et s.
Rupture brutale : n° 33 / 61
S
Solidarisme : n° 116 et s.
L’estoppel en droit des contrats
105
TABLE DES MATIERES
REMERCIEMENTS ........................................................................................................ 4
SOMMAIRE ..................................................................................................................... 5
PRINCIPALES ABREVIATIONS .................................................................................. 6
INTRODUCTION ............................................................................................................ 7
1ère
partie – Le glissement de l’estoppel vers le droit privé français : effectivité et
virtualité .................................................................................................................... 13
Titre I – L’accueil exprès de l’estoppel dans le droit privé français ................ 14
Chapitre I – Le processus de construction de la reconnaissance de l’estoppel .. 14
Section I – Un principe français d’estoppel en germe par l’adoption de
décisions liées au mécanisme ......................................................................... 15
§ I – La multitude de décisions comportant les prémices de l’estoppel en
droit français ............................................................................................... 15
I) Un processus lancé par les juges du fond ......................................... 15
II) Les premiers pas de la Cour de cassation ....................................... 18
§ II - La complexité du fondement de la sanction d’une contradiction dans
la procédure arbitrale .................................................................................. 19
Section II – La reconnaissance par la jurisprudence comme impulsion d’une
consécration textuelle ..................................................................................... 22
§ I – L’utilisation du terme « estoppel » par la Cour de cassation ............. 22
§ II – L’estoppel dans le décret du 14 janvier 2011 ................................... 25
Chapitre II – Les limites de la reconnaissance du principe d’estoppel .............. 26
Section I – Un simple moyen de défense en procédure arbitrale ................... 26
§ I – Un estoppel au développement restreint par son application au seul
domaine procédural .................................................................................... 26
§ II – L’enfermement du principe d’estoppel dans les particularités liées à
l’arbitrage international .............................................................................. 28
L’estoppel en droit des contrats
106
Section II – Une application restreinte au regard de la doctrine issue des
systèmes juridiques de Common Law ............................................................ 30
§ I – Les « différents estoppels » de Common Law ................................... 30
I) Les différents estoppels dans le droit anglais ................................... 30
II) Les différentes appréhensions du principe d’estoppel dans les
systèmes anglais, australien et américain ............................................... 32
§ II – L’impossible transcription de l’estoppel de Common Law sans
adaptation ................................................................................................... 33
Conclusion du Titre I .......................................................................................... 35
Titre II – De l’estoppel à une obscure interdiction de se contredire au
détriment d’autrui dans l’ensemble du droit privé français des contrats ....... 37
Chapitre I – L’appréhension française du traitement de la confiance, la loyauté et
la cohérence ........................................................................................................ 38
Section I – Le caractère sous-jacent des notions de confiance, loyauté et
cohérence ........................................................................................................ 38
Section II – Le dénominateur commun aux notions de confiance, loyauté et
cohérence ........................................................................................................ 41
§ I – Un rapport commun à la morale ......................................................... 41
§ II – Une absence d’autonomie conceptuelle ............................................ 42
Chapitre II - L’existence implicite d’une interdiction générale de se contredire
au détriment d’autrui dans la jurisprudence française du droit des contrats ...... 43
Section I – A la formation du contrat ............................................................. 44
§ I – La rupture brutale et imprévisible des négociations .......................... 44
§ II – Le délai de retrait de l’offre .............................................................. 46
Section II – Durant l’exécution du contrat ..................................................... 47
Section III – A l’extinction du contrat ............................................................ 49
Conclusion du Titre II ........................................................................................ 51
Conclusion de la 1ère
partie ............................................................................................. 52
L’estoppel en droit des contrats
107
2ème
partie - L’estoppel en droit privé français des contrats, entre technique et
politique juridique .................................................................................................... 53
Titre I – Les imbrications techniques entre le principe d’estoppel et les
concepts fondateurs du droit contractuel français ............................................ 54
Chapitre I - Les possibilités d’admission du principe d’estoppel à travers les
concepts connus du droit des contrats ................................................................ 55
Section I – La bonne foi : un fondement incomplet ....................................... 56
§ I – La bonne foi confrontée à la distinction entre estoppels offensif et
défensif ....................................................................................................... 56
§ II – Un fondement inapte au regard de sa fixité en droit contractuel
français........................................................................................................ 58
I) La bonne foi du code civil comme protection des parties dans une
situation « figée » dés sa formation ........................................................ 58
II) L’estoppel comme instrument de protection des parties dans une
relation contractuelle « évolutive » ........................................................ 60
Section II – La combinaison des notions françaises du droit des contrat : des
fondements potentiels ..................................................................................... 61
§ I – La faute lourde et l’obligation essentielle : sanction de la contradiction
inhérente à la substance du contrat ............................................................. 62
§ II – La cause et l’obligation essentielle : une protection de la confiance
légitime ....................................................................................................... 63
Chapitre II - Les limites de l’épanouissement d’un principe d’estoppel dans le
cadre actuel du droit français des contrats : l’estoppel, un mécanisme en quête
d’identité conceptuelle ........................................................................................ 64
Section I – L’absence d’uniformité face à l’exigence française de fondement
........................................................................................................................ 65
§ I – La pluralité de fondements en cas de contradiction comportementale
ou volte-face ............................................................................................... 66
L’estoppel en droit des contrats
108
I) La responsabilité délictuelle au service de la sanction des
contradictions précontractuelles ............................................................. 66
II) La pertinence de la bonne foi comme fondement de la sanction des
contradictions dans l’exécution du contrat ............................................. 68
III) L’abus de droit comme fondement de la sanction des contradictions
se manifestant à l’exécution du contrat .................................................. 69
§ II – La cause, un fondement pour la sanction des contradictions internes
observables dans le contrat ......................................................................... 70
I) Un fondement en phase avec la notion de contradiction .................. 70
II) Un fondement discutable ................................................................ 71
Section II – L’absence d’uniformité dans le régime....................................... 72
§ I – Une condition handicapante pour l’uniformité du régime : la
constatation d’un préjudice subi ................................................................. 72
§ II – La pluralité de sanction selon la nature de la contradiction .............. 73
I) La clause, source de la contradiction interne, reputée non écrite ..... 74
II) L’allocation de dommages-intérêts, sanction récurrente de la
contradiction dans une logique de réparation ......................................... 74
Conclusion du Titre I .......................................................................................... 76
Titre II – L’introduction du principe d’estoppel dans le droit privé français
des contrats : la remise en cause d’un modèle ................................................... 77
Chapitre I – Les influences de l’estoppel sur le rôle du juge ............................. 77
Section I – L’estoppel et la doctrine solidariste ............................................. 78
§ I – L’estoppel et le solidarisme : une dynamique commune ................... 78
§ II – La source de la force obligatoire du contrat : le point de divergence
entre estoppel et solidarisme....................................................................... 79
Section II – L’estoppel et la notion de « sécurité juridique » ......................... 81
Chapitre II - La possible consécration d’un principe d’estoppel assumé dans le
droit français des contrats : la perspective d’une réforme .................................. 82
L’estoppel en droit des contrats
109
Section I – L’estoppel au service d’un droit adapté aux montages contractuels
des affaires ...................................................................................................... 82
§ I – Un mécanisme adapté aux contrats à exécution successive ............... 83
§ II – Un mécanisme adapté aux contrats conclus dans une démarche
stratégique ................................................................................................... 84
Section II – Un changement de logique contractuelle par la consécration de la
confiance ......................................................................................................... 85
Conclusion du Titre II ........................................................................................ 88
Conclusion de la 2ème
partie ............................................................................................ 89
CONCLUSION GENERALE ........................................................................................ 91
BIBLIOGRAPHIE ......................................................................................................... 93
INDEX ALPHABETIQUE .......................................................................................... 104
TABLE DES MATIERES ............................................................................................ 105