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L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets/objets chez les enfants francophones et l’optionalité dans la grammaire enfantine by Isabelle Belzil A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doctor of Philosophy Graduate Department of French University of Toronto © Copyright by Isabelle Belzil 2009

L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

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L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets/objets chez les enfants francophones et l’optionalité dans la

grammaire enfantine

by

Isabelle Belzil

A thesis submitted in conformity with the requirements for the degree of Doctor of Philosophy

Graduate Department of French

University of Toronto

© Copyright by Isabelle Belzil 2009

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L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets/objets chez les enfants francophones et l’optionalité dans la grammaire

enfantine

Isabelle Belzil

Doctor of Philosophy

Graduate Department of French University of Toronto

2009

Abstract In light of recent theoretical and methodological developments in the areas of French

morphosyntax and child acquisition, the present dissertation reconsiders the asymmetry

reported in previous studies of the acquisition of subject and object clitics in French-

speaking children. Our reanalysis allows us to address two important questions in the

domain of acquisition, namely optionality in the child’s grammar and the role of input in

development. By means of an exhaustive analysis of child and adult production, our research

illustrates that adults produce several subject/object asymmetries, and we propose that the

asymmetry reported for children is attributable to properties of the target language and not to

the acquisition process. Beyond these conclusions, our research reveals a significant

asymmetry during the course of acquisition, namely that the subject clitic reaches the target

grammar faster than the object clitic. This asymmetry, which we qualify as rhythmic, is

caused by a prolonged optionality of the object clitic. However, our study shows that this

optionality is not generalized. Until roughly 3 years of age, object and subject clitics show a

parallel development in spontaneous speech: they are optional. After this period (around 3

years), their production reaches the levels observed in adults. In contrast, some studies in

elicited production have shown that object clitics are still optional beyond 3 years. These

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contradictory results lead us to propose that there are two types of optionality: spontaneous

and induced. We explore possible sources of these phenomena and propose that the status of

pronouns as clitic elements plays a role in spontaneous optionality. As for the induced

optionality, we propose that it is attributable to variation in the input and the child’s

tendency to regularize it. Overall, our results allow us to redefine the asymmetry, to propose

that optionality is a multifactorial phenomenon, and to illustrate the role of input in the

optionality exhibited by French children for this domain.

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Résumé À la lumière de développements théoriques et méthodologiques récents, la présente thèse

reconsidère l’asymétrie rapportée dans les études antérieures entre l’acquisition des clitiques

sujets et objets chez l’enfant francophone. Notre réanalyse du phénomène nous permet

d’aborder deux questions importantes pour le domaine de l’acquisition, à savoir l’optionalité

dans la grammaire enfantine et le rôle que joue l’input dans le développement. Par le biais

d’une analyse exhaustive des productions adultes et enfantines, notre recherche illustre que

l’adulte présente plusieurs asymétries sujets/objets et propose que l’asymétrie telle que

définie chez l’enfant est attribuable aux propriétés de la langue cible et non au processus

d’acquisition. Au-delà de ces conclusions, notre recherche met en lumière une asymétrie

significative pour le processus développemental, à savoir que le clitique sujet atteint la

grammaire cible plus rapidement. Cette asymétrie, que nous qualifions de rythmique, est

engendrée par l’optionalité prolongée du clitique objet. Notre étude démontre que cette

optionalité n’est cependant pas généralisée. Jusqu’aux environs de 3 ans, les clitiques objets

et sujets ont un développement parallèle en interaction spontanée : ils sont optionnels, après

quoi, leur production atteint les niveaux observés dans la grammaire cible. En revanche,

certaines études en production induite démontrent que le clitique objet est optionnel après

l’âge de 3 ans. Ces résultats contradictoires nous amènent à proposer qu’il existe deux types

d’optionalité : spontanée et induite. Nous explorons des sources possibles à ces phénomènes

et proposons que le statut affixal des éléments clitiques joue un rôle dans l’optionalité

spontanée. En ce qui a trait à l’optionalité induite, nous proposons qu’elle soit attribuable à

la variation dans l’input et à la tendance qu’a l’enfant à la régulariser. Globalement, les

résultats de notre recherche nous permettent de redéfinir l’asymétrie, de proposer que

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l’optionalité est un phénomène multifactoriel et d’illustrer le rôle de l’input dans ce

phénomène.

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Remerciements

En premier lieu, j’aimerais remercier mes directeurs de thèse Mihaela Pirvulescu et Yves

Roberge. Leurs compétences professionnelles complémentaires et leurs qualités personnelles

ont grandement contribué à ma réussite dans cette entreprise. Mihaela s’est avérée une

ressource précieuse pour le domaine de l’acquisition et Yves m’a sagement guidée dans la

complexité de la syntaxe générative. Sur une note personnelle, je tiens à vous remercier de

m’avoir constamment poussée à dépasser mes limites, vous avez su le faire avec brio.

Je remercie également tout spécialement les membres de mon comité de thèse Ana Pérez-

Leroux et Jeffrey Steele. Ces personnes ont également des compétences professionnelles très

complémentaires, ce qui a fait en sorte que j’ai eu le privilège d’être entourée d’une équipe

des plus enviables. Merci Ana pour avoir su m’amener à trouver les bonnes questions et

merci Jeff pour avoir notamment élargi le centre de mes intérêts à d’autres domaines de la

linguistique. Je désire également remercier mon examinatrice externe, Géraldine Legendre,

pour sa rigueur ainsi que pour la justesse de ses commentaires.

Je tiens également à exprimer ma gratitude envers les enfants qui ont participé à cette étude

ainsi qu’à leurs parents qui ont consenti à ce que leur enfant vive cette expérience. Un gros

merci à Josée qui m’a si gentiment ouvert les portes de sa garderie et qui m’a offert son

entière collaboration.

Je désire également remercier les nombreux chercheurs que j’ai eu la chance de côtoyer au

cours des diverses conférences auxquelles j’ai participé. Un merci particulier à Julie Auger

qui a pris de son temps pour m’apporter des précisions sur le monde des clitiques.

En dernier lieu, je tiens à remercier tous les membres de ma famille pour leur support

inconditionnel dans cette aventure. Merci à mon époux Eric, qui m’a fait réaliser que ce qui

importe vraiment c’est d’y croire soi-même. Merci à mes trois enfants, Cyntia, Ariane et

Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère,

Suzanne, dont l’encouragement a été commensurable à l’amour maternel. Merci, à mon père

Jean-Pierre et à mes sœurs, Nancy et Audrey, ainsi qu’à leur famille pour leur soutien

continu.

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Table des matières

Chapitre 1 Introduction............................................................................................................... 1

Chapitre 2 Les pronoms clitiques et l’asymétrie : traitements et hypothèses...................... 11

2.1 Les pronoms clitiques ..........................................................................................................11 2.1.1 Hypothèses de type 1 ........................................................................................................................ 17 2.1.1.1 Kayne (1975)................................................................................................................................ 17 2.1.1.2 Jaeggli (1986)............................................................................................................................... 19 2.1.1.3 Roberge & Vinet (1989) et Roberge (1990)............................................................................... 19 2.1.1.4 Auger (1994) ................................................................................................................................ 20 2.1.1.5 Sportiche (1996)........................................................................................................................... 23 2.1.2 Hypothèses de type 2....................................................................................................................... 26 2.1.2.1 Cardinaletti & Starke (1994)....................................................................................................... 26 2.1.2.2 Jakubowicz et al. (1998).............................................................................................................. 31 2.1.2.3 Jakubowicz & Nash (à paraître).................................................................................................. 32 2.1.2.4 Gabriel & Müller (2005) ............................................................................................................. 34 2.1.3 Résumé et comparaison entre les approches................................................................................... 37

2.2 L’asymétrie en acquisition : hypothèses...........................................................................37 2.2.1 Jakubowicz et al. (1996)................................................................................................................... 38 2.2.2 Hamann (2003) ................................................................................................................................. 39 2.2.3 Jakubowicz & Nash (à paraître)....................................................................................................... 40 2.2.4 Schmitz & Müller (2008) ................................................................................................................. 42

2.3 Conclusion ..............................................................................................................................43

Chapitre 3 L’asymétrie chez l’adulte....................................................................................... 44

3.1 Trois types d’asymétrie : brève revue des études antérieures .......................................44

3.2 L’asymétrie de pronominalisation......................................................................................46

3.3 L’asymétrie de réalisation ...................................................................................................48 3.3.1 Approche pragmatique ..................................................................................................................... 51 3.3.2 Approche syntaxique ........................................................................................................................ 54 3.3.3 Conclusion......................................................................................................................................... 59

3.4 L’asymétrie de réalisation clitique .....................................................................................60 3.4.1 Études empiriques antérieures.......................................................................................................... 61 3.4.2 Caractérisation de l’asymétrie de réalisation clitique..................................................................... 63 3.4.3 L’asymétrie de réalisation clitique : sources possibles et implications théoriques pour le statut des éléments clitiques ...................................................................................................................................... 67

3.5 Conclusion ..............................................................................................................................72

Chapitre 4 L’asymétrie chez l’enfant : analyse critique des études antérieures ................. 73

4.1 Études en interaction spontanée .........................................................................................74 4.1.1 Hamann, Rizzi & Frauenfelder (1996)............................................................................................ 75 4.1.2 Van der Velde, Jakubowicz & Rigaut (2002)................................................................................. 78 4.1.3 Jakubowicz & Rigaut (1997, 2000)................................................................................................. 80 4.1.4 Pirvulescu (2006).............................................................................................................................. 82 4.1.5 Notre analyse..................................................................................................................................... 84 4.1.6 Résumé et conclusion ....................................................................................................................... 87

4.2 Études en production induite ..............................................................................................87 4.2.1 Jakubowicz & Rigaut (2000)............................................................................................................ 88

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4.2.2 Van der Velde, Jakubowicz & Rigaut (2002)................................................................................. 91 4.2.3 Van der Velde (2003) ....................................................................................................................... 92 4.2.4 Jakubowicz & Nash (à paraître)....................................................................................................... 95 4.2.5 Pérez-Leroux et al. (2006, 2008) ..................................................................................................... 97 4.2.6 Pirvulescu & Belzil (2008a)............................................................................................................. 99 4.2.7 Résumé et conclusion ..................................................................................................................... 101

4.3 Conclusion générale............................................................................................................101

Chapitre 5 L’asymétrie de réalisation clitique chez l’enfant : nouvelle étude...................103

5.1 Corpus...................................................................................................................................103

5.2 Détails de la transcription et calcul des contextes..........................................................105

5.3 Analyse des données............................................................................................................111 5.3.1 Ana................................................................................................................................................... 113 5.3.2 Élie ................................................................................................................................................... 115 5.3.3 Ann................................................................................................................................................... 118

5.4 Conclusion ............................................................................................................................120

Chapitre 6 Au-delà de l’asymétrie : l’optionalité des clitiques dans la grammaire enfantine et le rôle de l’input ..................................................................................................122

6.1 L’optionalité spontanée : vers la source ..........................................................................124 6.1.1 Hyams (1986), Rizzi (2002) et Rasetti (2003).............................................................................. 124 6.1.2 Schaeffer (1997; 2000) ................................................................................................................... 127 6.1.3 Yang (2002)..................................................................................................................................... 129 6.1.4 Wexler et al. (2004) ........................................................................................................................ 131 6.1.5 Grüter (2006)................................................................................................................................... 133 6.1.6 Pérez-Leroux et al. (2006; 2008) ................................................................................................... 135 6.1.7 Discussion ....................................................................................................................................... 138

6.2 L’optionalité induite : vers la source................................................................................145 6.2.1 La variation de l’input et son rôle dans le processus acquisitionnel........................................... 146 6.2.2 Discussion ....................................................................................................................................... 150

6.3 Conclusion ............................................................................................................................155

Chapitre 7 Conclusion .............................................................................................................156

Bibliographie ............................................................................................................................163

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Chapitre 1 Introduction

L’acquisition de la langue maternelle est sans doute l’un des développements les plus

fascinants qu’il nous est donné d’observer. De manière très générale, on perçoit que les

productions enfantines s’allongent et se complexifient très rapidement (1), et ce,

particulièrement entre l’âge de 2 et 3 ans.

(1) a. *ELI: ___mets ton Kodac ___ton comptoir? (2;4.19 ans / Ana & Élie-4)

(Tu mets ton Kodac sur ton comptoir?) b. *ELI: j(e) te l’ai dit que [/] que tu (dé)fais pas mon casse-tête. (2;8.29 ans /Ana &

Élie-9)

L’acquisition d’une langue maternelle se fait sans enseignement explicite, c’est-à-dire sans

que les parents ne montrent à leurs tout-petits les règles qui régissent la langue de leur

milieu. Bien qu’il soit spontané et rapide, le processus acquisitionnel n’est pas pour autant

instantané et cela illustre qu’un développement important a lieu.

Les différences que l’on observe entre les productions enfantines et les productions adultes

(grammaire cible) nous permettent d’identifier ce qui caractérise le langage enfantin et de

mieux connaître la nature du développement qui s’effectue. À titre d’exemple, mes trois

enfants (unilingues francophones) ont tous passé par une période où ils utilisaient la forme

‘erronée’ ils sontaient au lieu de ils étaient, et ce, bien que les adultes de leur entourage

n’utilisaient pas cette forme verbale. Le fait que les productions enfantines diffèrent de la

langue ambiante (cible) et le fait que les enfants passent tous par les mêmes stades indiquent

que si l’exposition à une langue est l’un des éléments nécessaire au développement

langagier, il n’est clairement pas le seul. En d’autres termes, l’observation ne serait-ce que

superficielle du processus acquisitionnel révèle que nous faisons face à un phénomène

beaucoup plus complexe que la simple imitation. Outre l’exposition à une langue, un

développement interne d’une quelconque nature doit jouer un rôle pour que l’acquisition ait

lieu. La relation entre cet élément interne et l’exposition à la langue ambiante est au cœur du

développement langagier.

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Au cours des dernières décennies, de nombreuses études empiriques ont été effectuées dans

l’objectif de mieux définir le processus acquisitionnel. Ces études ont mis en lumière

certaines caractéristiques des productions enfantines et ont contribué au raffinement, voire

au développement, de la théorie générativiste. Parmi ces études, plusieurs (not. Hyams,

1986; Bloom, 1990) se sont penchées sur l’absence totale ou sporadique de certains éléments

(ex. sujets) dans les productions enfantines. D’autres (ex. Bloom, 1990; Hamann, Rizzi &

Frauenfelder, 1996) ont même rapporté qu’il existait un déséquilibre au niveau de

l’acquisition de certains éléments : un élément de type X étant davantage produit (ou acquis

plus rapidement) qu’un élément de type Y. On nomme généralement ce type de déséquilibre,

asymétrie.

L’étude de Bloom (1990) est l’un des travaux qui se sont penchés sur l’asymétrie, plus

précisément sur l’asymétrie sujet-objet. Cette étude fait état de l’analyse des productions de

trois enfants anglophones et illustre que les sujets sont beaucoup plus omis que les objets

chez les tout-petits (2 à 3 ans). Cette asymétrie a été interprétée comme appuyant

l’hypothèse selon laquelle l’absence sporadique (ou l’optionalité) de certains éléments dans

les productions enfantines n’est pas aléatoire mais découle plutôt d’une limite au niveau de

la performance (contrairement à une limite au niveau de la compétence). Bloom explique

l’asymétrie en faveur des objets par le fait qu’il y a davantage de ressources

computationnelles à la fin d’une phrase (selon l’ordre de réalisation), entraînant ainsi un taux

de production plus élevé des éléments qui se trouvent dans cette position. Les conclusions

tirées par Bloom vont directement à l’encontre de celles de Hyams (1986) qui avaient

également observé l’omission importante des sujets chez les enfants anglophones. Selon

l’hypothèse paramétrique adoptée par Hyams, l’absence sporadique de sujets réalisés chez

les enfants anglophones serait attribuable à l’universalité du paramètre du sujet nul.

Collectivement, les travaux de Bloom et de Hyams illustrent un phénomène semblable mais

l’interprétation qu’ils en font sur le plan théorique est complètement différente. Ces travaux,

parmi tant d’autres, illustrent qu’un même phénomène peut appuyer des hypothèses

différentes et démontrent la nécessité de poursuivre les recherches empiriques afin d’avoir

davantage de précisions sur un phénomène donné.

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Depuis les travaux de Hyams et de Bloom, plusieurs autres chercheurs se sont penchés sur le

phénomène de l’asymétrie sujet-objet. Un nombre important d’études faites sur le sujet (not.

Hamann, Rizzi, & Frauenfelder, 1996; Jakubowicz & Rigaut, 1997; Van der Velde,

Jakubowicz & Rigaut, 2002) ont rapporté que cette asymétrie était inverse chez les enfants

francophones, à savoir que les pronoms clitiques sujets (ex. je mange la pomme.)

apparaissent plus tôt et étaient beaucoup plus fréquents (moins omis) que les pronoms

clitiques objets (ex. je la mange.). L’étude d’un même phénomène de manière

interlinguistique est l’un des éléments qui nous aide à infirmer ou à confirmer une hypothèse

donnée. Dans le cas de l’asymétrie, les études faites chez les enfants francophones ont

démontré que l’hypothèse proposée par Bloom (1990) était inadéquate, du moins dans sa

forme originale. Si l’asymétrie observée en anglais était attribuable à un facteur de

performance (en opposition à un facteur de compétence), on s’attendrait à observer une

asymétrie identique dans toutes les langues qui comportent des sujets et des objets.

Outre l’asymétrie, plusieurs études (ex. Hyams, 1986; Rasetti, 2003) ont mis en évidence un

autre phénomène, à savoir que les productions enfantines sont fréquemment marquées par

l’optionalité. Pendant une certaine période, qui semble d’ailleurs varier selon les éléments et

les langues, on remarque à la fois la présence et l’absence d’un même élément linguistique

dans un contexte syntaxique pourtant très similaire (2). C’est le cas notamment des clitiques

sujets (ex. Rasetti, 2003) et objets (ex. Jakubowicz & Rigaut, 2000) chez les enfants

francophones.

(2) a. *ANA : __ veux jouer à cochon. (2;6.12 ans / Ana & Élie-5)

b. *ANA : je veux faire d(e) (l)a peinture. (2;6.12 ans / Ana & Élie-5)

Les différences importantes entre les données empiriques de manière interlinguistique ainsi

que celles qui se situent au niveau des hypothèses théoriques en ce qui a trait à la nature de la

‘grammaire’ de l’enfant démontrent l’importance de pousser plus loin les recherches, tant sur

le plan empirique que théorique.

Comme toute étude en acquisition, la présente thèse a comme objectif global de mieux

définir et de mieux comprendre le processus acquisitionnel. Notre recherche poursuit cet

objectif en se penchant sur l’asymétrie et l’optionalité des clitiques sujets et objets chez les

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enfants francophones, ainsi que sur le rôle que joue l’input dans ces phénomènes. Notre

étude se situe dans le cadre de la théorie générativiste (Chomsky, 1975, 1981, 1986, 1995) et

s’inscrit dans une approche minimaliste.

Tel que susmentionné, de nombreuses études (not. Hamann, Rizzi, & Frauenfelder, 1996;

Jakubowicz & Rigaut, 1997; 2000; Van der Velde, Jakubowicz & Rigaut, 2002) ont signalé

l’existence d’une asymétrie entre l’acquisition des éléments clitiques chez les enfants

francophones. Cette asymétrie a été considérée comme étant uniquement présente chez

l’enfant et donc non conforme à la langue cible (angl. non-target-like). En d’autres termes,

cette asymétrie a été interprétée comme propre au langage enfantin. L’asymétrie comme

phénomène d’étude s’appuie sur deux fondements : 1) la prémisse que la grammaire cible ne

présente pas d’asymétrie; 2) des données empiriques démontrant une asymétrie chez

l’enfant, à savoir que les clitiques sujets apparaissent plus tôt et sont davantage produits. Ces

deux fondements ont amené les chercheurs à tirer la conclusion que l’asymétrie chez l’enfant

se situait au niveau de l’ordre d’acquisition (séquentielle) et qu’elle était attribuable au

processus développemental.

Considérant l’importance des travaux sur l’asymétrie, il semble à prime abord non pertinent

d’aborder à nouveau ce sujet. Or de récentes avancées, tant au niveau théorique que

méthodologique, ont indiqué la nécessité de revoir ce phénomène. Ces avancés ont eu pour

effet d’ébranler les fondements mêmes de l’asymétrie, ce qui a eu pour conséquence de

mettre en doute les conclusions qui ont été tirées de la présence de ce phénomène, et par le

fait même, les hypothèses élaborées pour en rendre compte.

De récents travaux sur la représentation de la transitivité et des objets nuls dans certaines

langues, le français en particulier (not. Larjavaara, 2000; Lambrecht & Lemoine, 2005;

Cummins & Roberge, 2005), ont mis en doute la prémisse que l’adulte francophone ne

présentait pas d’asymétrie. Ceci fait en sorte que la présence d’une asymétrie chez l’enfant

pourrait être attribuable aux propriétés de la grammaire cible et non directement et

uniquement au processus développemental. Dans ce cas, il est possible que les conclusions

qui ont été tirées sur la grammaire enfantine soient erronées et il est donc essentiel d’y jeter

un second regard.

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Sur le plan méthodologique, les travaux de Pirvulescu (2006) ont indiqué que la

caractérisation de ce phénomène chez l’enfant a été basée sur une méthode de calcul

imprécise. Ces développements méthodologiques remettent en question le fait qu’il existe

une asymétrie au niveau de l’ordre d’acquisition et une asymétrie au niveau de l’optionalité

de ces éléments. Ceci soulève la question à savoir si ces éléments apparaissent réellement à

des moments différents et si leur période d’optionalité est similaire ou différente.

Globalement, ces avancées ont démontré qu’il était essentiel de reconsidérer le phénomène

de l’asymétrie et également celui de l’optionalité dans la production des clitiques sujets et

objets chez les enfants francophones. L’asymétrie est elle-même créée par une optionalité

considérable (ou une omission) des clitiques objets. La mise en évidence de l’optionalité des

clitiques objets a diminué l’intérêt qui était portée à l’asymétrie et à l’optionalité des

clitiques sujets. À ce jour, plusieurs hypothèses ont été proposées pour rendre compte de

l’asymétrie et de l’optionalité des clitiques objets. De par le fait que notre étude est

simultanément vouée à l’étude de l’acquisition des clitiques sujets et objets, elle nous permet

d’évaluer plusieurs de ces hypothèses.

Globalement, notre étude vise à reconsidérer l’asymétrie en tenant compte des avancées

théoriques et méthodologiques dont nous avons fait mention. La reconsidération de

l’asymétrie entraîne deux tâches : 1) une vérification de ses fondements dans le but de la

définir avec plus de précisions; et 2) une discussion portant sur les implications théoriques

des résultats obtenus. Dans le but d’effectuer adéquatement ces tâches, le présent travail est

morcelé en 6 chapitres.

Le second chapitre introduit les aspects théoriques essentiels à notre travail. Il décrit ce que

sont les éléments clitiques et présente les hypothèses proposées pour rendre compte de

l’asymétrie en acquisition. En première section, nous évaluons les hypothèses qui abordent

le traitement des clitiques par rapport au niveau d’adéquation descriptive qu’elles atteignent.

Cette évaluation est également liée au but que nous poursuivons, à savoir comprendre ce qui

pourrait engendrer l’asymétrie telle que décrite dans les études antérieures. Ainsi, les

traitements qui présentent eux-mêmes des asymétries entre les clitiques sujets et objets

constituent des outils théoriques privilégiés pour le présent travail et sont donc priorisés. Les

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hypothèses sur le traitement des clitiques sont présentées selon qu’elles s’appuient sur la

bipartition (Kayne, 1975) ou sur la tripartition (Cardinaletti & Starke, 1994). Parmi ces

hypothèses nous estimons que l’hypothèse de Roberge (1990) est celle qui atteint le niveau

d’adéquation le plus élevé parce qu’elle permet de rendre compte des caractéristiques du

français parlé et du français normatif.1 En ce qui concerne l’asymétrie comme telle, nous

estimons que l’hypothèse d’Auger (1994) a un potentiel descriptif intéressant puisqu’elle est

différentielle : les clitiques sujets sont des marqueurs d’accord et les clitiques objets, des

marqueurs d’argument.

En seconde partie du Chapitre 2, nous présentons les hypothèses (Jakubowicz et al., 1996;

Hamann, 2003; Jakubowicz & Nash, à paraître; Schmitz & Müller, 2008) qui ont été

proposées pour rendre compte de l’asymétrie en acquisition. La description de ces

hypothèses dans ce chapitre a pour but de faciliter la tâche aux lecteurs qui ne sont pas

nécessairement familiers avec les éléments clitiques parce que ces hypothèses dépendent de

manière cruciale du traitement des clitiques qu’elles adoptent. Le traitement des clitiques

adopté dans le cadre de ces études considère qu’il y a des différences fondamentales entre les

clitiques sujets et objets et que celles-ci sont en partie responsables de l’asymétrie observée.

Les Chapitres 3, 4 et 5 sont dédiés à notre première tâche, à savoir vérifier les fondements

empiriques de l’asymétrie dans l’objectif de la définir plus précisément. Ce travail est

effectué en deux étapes puisque nous vérifions les deux fondements de l’asymétrie de

manière indépendante. Le Chapitre 3 est consacré à évaluer la prémisse que l’adulte ne

présente pas d’asymétrie. Sur la base d’études antérieures et de données empiriques en

interaction spontanée, nous démontrons que l’adulte présente en fait 3 types d’asymétries.

Ces asymétries font en sorte que le clitique sujet sera généralement plus produit que le

clitique objet en proportion (en tenant compte des contextes où ces éléments sont attendus)

et toujours davantage produit en nombre absolu. De plus, notre analyse de la grammaire

adulte met en évidence que la production du clitique sujet est systématique alors que celle du

clitique objet est variable. En redéfinissant la grammaire cible, notre analyse démontre que

1 Les termes français parlé et français normatif désignent respectivement le français oral et le français écrit.

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7

l’asymétrie chez l’enfant pourrait être attribuable aux propriétés de la grammaire du français

et indique que la variabilité du clitique objet dans les productions adultes doit être considérée

comme pouvant entraîner des répercussions sur l’acquisition de ce morphème. De manière

globale, ce chapitre redéfinit l’input auquel l’enfant est exposé en ce qui a trait aux clitiques

sujets et objets, et ajoute un facteur supplémentaire que l’on doit considérer dans notre

interprétation de l’asymétrie chez l’enfant.

Les Chapitres 4 et 5 sont consacrés à évaluer l’état de l’asymétrie chez l’enfant francophone.

Au Chapitre 4, nous présentons une analyse critique et exhaustive des études antérieures sur

le sujet. Ce Chapitre a pour but de vérifier la solidité empirique de l’asymétrie. Nous

effectuons ce travail en considérant les avancées dont nous avons fait mention et en tenant

compte des asymétries présentes dans la grammaire cible. L’asymétrie chez l’enfant est

basée sur de nombreuses études en interaction spontanée et en production induite. Nous

évaluons la solidité empirique de ces études de manière indépendante.

Les études en interaction spontanée ont rapporté une asymétrie sur deux aspects : 1)

quantitatif : le clitique sujet est davantage produit; et 2) séquentiel : le clitique sujet apparaît

plus tôt en production. Notre analyse confirme en partie le premier aspect de l’asymétrie. Si

l’on considère la production des éléments clitiques en nombre absolu, il est indéniable que le

clitique sujet est davantage produit. Cependant, puisque les méthodes de calcul utilisées ne

visent pas spécifiquement les contextes dans lesquels les éléments clitiques sont attendus,

ces études ne permettent pas de confirmer la présence d’une asymétrie proportionnelle. Seule

l’évidence d’une asymétrie de ce type pourrait confirmer qu’il existe une asymétrie réelle

chez l’enfant. De plus, seule une analyse proportionnelle pourrait confirmer l’existence

d’une asymétrie séquentielle. Or, si les études antérieures en interaction spontanée ne

fournissent pas l’évidence d’une asymétrie proportionnelle, certaines études en production

induite le font incontestablement. L’asymétrie proportionnelle est d’ailleurs présente chez

l’enfant jusqu’aux environs de l’âge de 6 ans. Ainsi, les résultats de certaines études

antérieures en production induite confirment la présence d’une asymétrie réelle et pourraient

être interprétés comme indiquant la présence d’une asymétrie séquentielle. Cependant, seule

une réanalyse de données en interaction spontanée à partir de la nouvelle méthodologie de

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calcul développée par Pirvulescu (2006) peut permettre de vérifier l’état réel de l’asymétrie

chez l’enfant, ce qui est l’objet du Chapitre 5.

Le Chapitre 5 est entièrement consacré à cette tâche et présente une analyse des productions

langagières de 3 enfants, une européenne et deux québécoises âgées entre 2 et 3 ans, en

interaction spontanée. Nos résultats confirment qu’il existe bien une asymétrie en nombre

absolu mais ne confirme pas qu’il existe des asymétries proportionnelle et séquentielle. Nos

résultats démontrent que les clitiques sujets et objets ont un développement similaire en

interaction spontanée chez les tout-petits. Ces éléments apparaissent relativement au même

moment et sont optionnels jusqu’aux environs de la troisième année de vie, après quoi, leur

production est conforme à la langue cible.

Le corpus de français québécois utilisé pour cette tâche a été créé spécifiquement pour cette

thèse. Ce travail empirique était nécessaire puisque nous désirions avoir le maximum

d’informations contextuelles dans le but de cibler les contextes dans lesquels les éléments

clitiques étaient attendus. Ce corpus sera bientôt disponible aux chercheurs par le biais de la

banque de données CHILDES. Nous utilisons les données de ce corpus dans le présent

travail lorsque indiqué.

Notre sixième chapitre présente d’abord le bilan de la première étape de notre travail et

accomplit la seconde, à savoir discuter des implications théoriques de nos résultats.

L’ensemble de nos résultats nous amène à rejeter les conclusions des études antérieures sur

le sujet. Nous reconnaissons qu’il existe bien une certaine forme d’asymétrie chez l’enfant

(en nombre absolu) mais nous proposons qu’elle soit attribuable aux propriétés de la langue

cible et non au processus développemental. Au-delà de ces conclusions, notre recherche met

en lumière une asymétrie significative pour le processus acquisitionnel, à savoir que le

clitique sujet atteint la grammaire cible plus rapidement.

Cette asymétrie, que nous qualifions de rythmique, est engendrée par l’optionalité prolongée

du clitique objet. Ce phénomène a été observé dans plusieurs études en production induite

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mais n’est toutefois plus présent2 au même moment (après l’âge de 3 ans) dans d’autres

contextes de production.3 Les clitiques sujets, comme les clitiques objets, passent par une

étape d’optionalité. Cependant, notre étude démontre que celle-ci prend fin aux environs de

la troisième année de vie. Ces résultats contradictoires nous amènent à aborder la question de

l’optionalité dans la grammaire enfantine d’une nouvelle perspective en proposant qu’il

existe deux types d’optionalité : spontanée et induite. Nous qualifions d’optionalité

spontanée celle que l’on observe pour les clitiques sujets et objets avant l’âge de 3 ans et

d’induite, celle que nous observons uniquement dans certaines tâches en production induite.

Toujours dans le Chapitre 6, nous explorons des sources possibles à ces phénomènes en

analysant en détails les nombreuses hypothèses qui ont été proposées. L’optionalité des

clitiques sujets, et plus particulièrement celle des clitiques objets, a été attribuée à diverses

sources. Les hypothèses proposées attribuent l’optionalité à des facteurs très différents. Nous

insistons particulièrement sur les hypothèses de Hyams (1986), Rizzi (2002) et Rasetti

(2003) qui décrivent l’optionalité comme une transition entre deux valeurs paramétriques;

sur celle de Schaeffer (1997, 2000) qui impute l’optionalité au développement du système

pragmatique; sur celle de Yang (2002) qui attribue l’optionalité au développement quantitatif

du système grammatical; sur celle de Wexler et al. (2004) qui propose que l’optionalité

découle d’une contrainte maturationnelle; sur la proposition de Grüter (2006) qui attribue ce

phénomène à une limite mémorielle; et finalement sur celle de Pérez-Leroux et al. (2006,

2008) qui considère l’optionalité du clitique objet comme le signe de la présence d’un objet

nul référentiel dans la grammaire enfantine.

Notre analyse nous amène à conclure qu’aucune de ces hypothèses, du moins dans leur

forme actuelle, n’arrive à rendre compte adéquatement de nos résultats. Devant ce constat,

nous utilisons l’ensemble du présent travail, et ce, tant au niveau empirique (enfant et adulte)

que théorique, pour nous guider vers une hypothèse qui pourrait expliquer ces optionalités.

L’analyse des traitements des clitiques (Chapitre 2), la description des asymétries présentes

dans la grammaire adulte (Chapitre 3), la description des productions enfantines (Chapitres 4

2 De manière différente des productions adultes. 3 En interaction spontanée et dans l’étude en production induite effectuée par Pirvulescu & Belzil (2008).

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et 5) et la présence de deux types d’optionalité sont les éléments que nous considérons. Pris

dans leur ensemble, ces éléments pointent vers la nécessité d’adopter un traitement

différentiel des éléments clitiques et nous estimons que le choix d’une hypothèse de ce type

s’avère un élément clé qui nous amènera éventuellement à déterminer l’origine de

l’optionalité spontanée.

Quant à l’optionalité induite, à savoir celle qui n’apparaît que dans certains contextes de

production, nous formulons l’hypothèse qu’elle soit attribuable à la variation du clitique

objet dans l’input et par la tendance qu’a l’enfant à régulariser les variations auxquelles il est

exposé. Cette proposition est basée sur une revue des travaux de Hudson & Newport (2005)

et Miller (2007), et elle interprète l’optionalité comme l’étape de transition entre la

régularisation et la convergence. Nous nuançons notre proposition en suggérant que la

variation a possiblement un impact sur la durée de la période d’optionalité et non sur sa

présence comme telle.

Finalement, le Chapitre 7 clos la présente thèse en résumant l’essentiel de nos conclusions en

ce qui a trait au traitement syntaxique des clitiques et en ce qui concerne l’interprétation de

l’asymétrie et de l’optionalité dans le domaine de l’acquisition. Nous insistons

particulièrement sur l’importance de reconsidérer des phénomènes empiriques établis.

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Chapitre 2 Les pronoms clitiques et l’asymétrie : traitements et

hypothèses

Le présent chapitre présente les aspects théoriques essentiels à notre travail. Il décrit ce que

sont les pronoms clitiques, présente les analyses qui ont été proposées pour rendre compte de

leur distribution et fait une revue des hypothèses élaborées pour expliquer l’asymétrie en

acquisition.

En première section (2.1) nous décrivons les clitiques à partir des travaux de Kayne (1975)

et de Cardinaletti & Starke (1994). En section 2.2, nous évaluons les hypothèses élaborées

pour expliquer leur distribution. La troisième section (2.3) est dévouée à la présentation des

hypothèses qui ont été développées pour rendre compte de l’asymétrie telle qu’elle a été

définie dans les études en acquisition. Bien que ces hypothèses visent toutes à expliquer le

même phénomène, elles diffèrent grandement en ce qui a trait au traitement des clitiques

qu’elles adoptent. Puisque le traitement des clitiques adopté détermine de manière cruciale

l’orientation des hypothèses en acquisition, nous les présentons dans un même chapitre. Cet

ordre de présentation a pour but de faciliter la lecture et de démontrer l’importance du lien

entre la théorie syntaxique et les hypothèses en acquisition.

Finalement, la §2.4 clôt le présent chapitre par une discussion sur les hypothèses en

acquisition à la lumière de notre évaluation du traitement des éléments clitiques sur

lesquelles elles reposent.

2.1 Les pronoms clitiques

Plusieurs travaux ont été faits dans le but de décrire le système pronominal du français. Nous

présentons ici deux d’entre eux qui sont basés sur le comportement syntaxique des pronoms,

à savoir celui de Kayne (1975) et celui de Cardinaletti & Starke (1994).

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L’analyse du système pronominal du français de Kayne (1975) identifie deux classes de

pronoms : les pronoms forts et les pronoms faibles, aussi appelés clitiques. Les pronoms

forts (moi, toi, lui, elle, nous, vous, eux, elles)4 sont définis comme ‘NP-like’ par Kayne

parce qu’ils apparaissent dans le même environnement syntaxique que les syntagmes

nominaux (angl. ‘NP’ Noun Phrase, maintenant nommé Determiner Phrase).5

Les pronoms forts peuvent apparaître à l’intérieur d’un syntagme prépositionnel (1a), en

position clivée (1b) et ils peuvent être conjoints (1c).

(1) a. Mathieu parle à lui.

b. Lui , il parle à Mathieu.

c. Mathieu et lui parlent ensemble.

Les pronoms faibles (clitiques) n’ont pas la même distribution que les NP et ne peuvent pas

apparaître dans ces environnements. On peut regrouper en trois types les pronoms clitiques :

les sujets (nominatifs; je, tu, il, elle, on, nous, vous, ils, elles), les objets directs (accusatifs;

me, te, le, la, les, nous, vous), et les objets indirects (datifs et génitifs; me, te, lui, leur, nous,

vous). Dans la présente dissertation, nous nous penchons exclusivement sur les clitiques

nominatifs et accusatifs que nous désignons comme clitiques sujets et clitiques objets.

Les travaux de Kayne ont permis d’identifier quatre caractéristiques (2) qui distinguent les

clitiques des pronoms forts.

(2) a. Rien ne peut intervenir entre le verbe et le clitique mis à part d’autres clitiques (ex. *Je très veux manger.) b. Les clitiques ne peuvent être modifiés (ex. Tous ils mangent.) c. Ils ne peuvent être conjoints (ex. *Je et tu voulons manger.)

4 En français québécois : nous-autres, vous-autres et eux-autres font partie de la liste des pronoms forts. 5 Nous utilisons les acronymes anglais pour décrire les divers types de syntagme : NP = syntagme nominal; DP = syntagme déterminant; VP = syntagme verbal; TP = projection de temps; Infl. = projection de temps d’accord.

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d. Ils ne peuvent être mis en contraste (ex. *Il mangera en premier et non je.) ou utilisés de manière absolue (ex. *Qui est parti? Il.)

De plus, ces travaux ont également mis en lumière une différence entre les éléments

clitiques. Les clitiques sujets semblent occuper la même position que le NP sujet lexical (3),

ce qui n’est pas le cas des autres éléments clitiques.

(3) a. Il mange la tarte.

b. Mathieu mange la tarte.

Dans le cas des clitiques objets, outre à l’intérieur d’une phrase impérative, ils occupent une

position préverbale (4a) contrairement au DP objet qui est en position de complément du

verbe (4b), donc postverbale.

(4) a. Je le mange.

b. Je mange le pain.

En plus des caractéristiques générales décrites ci-dessus, Kayne discute aussi de l’inversion

des clitiques sujets. Cette inversion est possible avec les clitiques (5a) et non avec les DP

(5b) ou les pronoms forts. 6

(5) a. Part-il ?

b. *Part Jean ?

Ce type d’inversion n’est pas possible avec le clitique objet (6b), outre dans les impératives.

(6) a. Le veux-tu?

b.*Veux-le-tu?

La description générale du système pronominal tel que proposé par Kayne constitue une base

essentielle sur le plan syntaxique. Notamment, elle fait la distinction entre pronoms forts et

clitiques, elle identifie les environnements syntaxiques dans lesquels ces pronoms peuvent

apparaître, et elle définit le caractère dépendant des clitiques (ils dépendent de leur hôte, le

verbe). Sur la base de la distinction entre pronoms forts et faibles, le Tableau 2-1 fait état du

système pronominal du français. 6 Bien que l’inversion des clitiques sujets soit possible, elle est néanmoins peu fréquente en français parlé (voir not. Lambrecht, 1981; Auger, 1994; Zribi-Hertz, 1994).

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Tableau 2-1 Système pronominal du français

Pronoms Clitiques

Personnes

Forts

Sujets Objets directs

Objets indirects Réfléchis

singulier

1 Moi Je Me Me Me 2 Toi Tu Te Te Te 3 Lui/Elle Il/Elle Le/La Lui Se

pluriel

1 Nous

Nous-autres*7 Nous/On Nous Nous Nous

2 Vous

Vous-autres* Vous Vous Vous Nous

3 Eux

Eux-autres* Ils/Elles Les Leur Se

Près de 20 ans après la publication des travaux de Kayne, Cardinaletti & Starke (1994) ont

réanalysé le système pronominal du français en proposant qu’il n’existe pas deux types de

pronom mais bien trois. Ce modèle, que l’on nomme ‘tripartition’ propose que tous les

pronoms peuvent apparaître sous trois formes : forte, faible et clitique. Ces formes

pronominales ont une structure qui leur est propre. Ce ne sont pas toutes les langues qui

comportent les trois formes mais le nombre maximal pour chaque pronom est universel. Les

auteurs décrivent le français comme une langue à trois types de pronoms.

En français, les pronoms forts tels que définis par Cardinaletti & Starke sont les mêmes que

ceux identifiés par Kayne (1975), à savoir ceux qui se comportent comme des DP. Ces

7 Ces formes se retrouvent uniquement en français québécois (voir Auger, 1994).

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pronoms (moi, toi, lui, elle, nous, vous, eux, elles)8 peuvent apparaître à l’intérieur d’un

syntagme prépositionnel (PP), en position clivée et ils peuvent être conjoints. Le modèle de

Cardinaletti & Starke diffère de celui de Kayne parce que la catégorie ‘clitique’ est scindée

en deux, entre faible et clitique. La distinction entre faible et clitique est basée sur la

morphologie, la syntaxe, la phonologie et la sémantique.

La tripartition de Cardinaletti & Starke propose donc une différence importante entre les

‘clitiques’ sujets et les ‘clitiques’ objets, ce qui n’était pas le cas dans la bipartition de

Kayne. Pour ces auteurs, les ‘clitiques’ sujets et objets sont des éléments différents : les

‘clitiques sujets’ sont des pronoms faibles, et les ‘clitiques objets’ sont des pronoms

clitiques. Cette distinction est cruciale dans le cadre d’une étude qui se penche sur

l’asymétrie de ces éléments en acquisition parce que si les clitiques sujets et objets au sens

de Kayne sont des entités différentes, cela pourrait expliquer la présence même de

l’asymétrie. Néanmoins, il se pourrait également que la présence d’une asymétrie tire son

origine d’une toute autre source, voire même de plusieurs sources.

Ce qui caractérise essentiellement les travaux de Kayne (1975) et ceux de Cardinaletti &

Starke (1994) est que la description qu’ils font des éléments clitiques est basée sur le français

normatif. Dans le cadre d’une étude en acquisition, nous devons tenir en considération le

français parlé s’il s’avère différent du français normatif. Or des études effectuées dans les

années 80 et 90 (not. Hulk, 1986; Roberge, 1990; Auger, 1994) ont démontré que les

descriptions de Kayne et de Cardinaletti & Starke ne s’appliquaient pas au français parlé, du

moins de certaines variétés (ex. français québécois). La distinction entre le français normatif

et le français parlé se base essentiellement sur deux différences qui touchent le clitique

sujet : 1) la possibilité d’effacer ou non cet élément dans les propositions coordonnées (7a);

et 2) le redoublement ou l’absence de redoublement9 (7b).

(7) a. Il mange et __ boit continuellement.

b. Vincent il boit.

8 En fait la distinction n’est pas si simple. La corrélation entre le statut syntaxique et la forme morphologique des pronoms n’est pas parfaite. 9 La présence de ce phénomène est encore discutée au sein de la littérature (voir De Cat, 2005).

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En français normatif, il est possible d’effacer le clitique sujet (7a), mais il est impossible de

le redoubler (7b). En français parlé, la situation est complètement inverse. Le clitique sujet

est redoublable (7b) (not. Hulk, 1986; Roberge, 1990; Auger, 1994) mais non effaçable (7a)

(Lambrecht, 1981; Zribi-Hertz, 1994; Jakubowicz & Rigaut, 1998). Malgré tous les travaux

qui démontrent que les clitiques sujets peuvent être redoublés en français parlé, certains

chercheurs, dont De Cat (2005), contestent toujours ce fait. Récemment, une étude

d’envergure (Culbertson & Legendre, 2008) basée sur la parole spontanée et sur des

jugements de grammaticalité a démontré que les arguments avancés par De Cat (2005)

n’avaient aucun fondement empirique. C’est donc avec confiance que nous affirmons que le

français parlé permet le redoublement sujet.

L’un des buts du présent chapitre est d’évaluer les hypothèses élaborées pour rendre compte

de la distribution des éléments clitiques. Cette évaluation vise à déterminer quelle hypothèse

décrit le plus adéquatement le comportement des clitiques, ou en d’autres termes, à identifier

l’hypothèse qui atteint le seuil d’adéquation descriptive le plus élevé. Dans le cadre du

présent travail, nous considérons qu’une hypothèse théorique atteint un seuil d’adéquation

descriptive élevé si elle peut rendre compte des particularités du français normatif et du

français parlé, ainsi que des différences interlinguistiques que l’on observe entre les langues

romanes.10 De plus, au-delà de la notion de description, ce qui s’avère crucial pour le présent

travail est de déterminer quels traitements proposés ont le potentiel de nous aider à mieux

comprendre et à mieux décrire l’asymétrie telle qu’elle a été rapportée dans les études

antérieures. En ce sens, les traitements qui présentent une analyse différentielle entre les

clitiques sujets et objets sont privilégiés.

Dans la prochaine section, nous évaluons les hypothèses qui ont été proposées pour

expliquer le comportement des clitiques. Il existe essentiellement deux types d’hypothèses :

1) celles qui adoptent la bipartition (Kayne, 1975); 2) et celles qui s’appuient sur la

tripartition (Cardinaletti & Starke, 1994). Dans le premier cas, le comportement des clitiques 10 Les différences interlinguistiques se manifestent au niveau des clitiques sujets et des clitiques objets. Les clitiques sujets peuvent être soit réalisés (ex. français), soit nuls (ex. l’espagnol) et les clitiques objets peuvent être soit redoublés (Roberge & Vinet, 1989; Roberge, 1990; Auger, 1994) (français parlé), soit non redoublés (français normatif).

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est décrit par leur mode d’incorporation (syntaxique ou morphologique) et leur position

d’insertion (déplacement ou génération à la base) (type 1); et dans le deuxième, le

comportement des clitiques est considéré comme découlant des caractéristiques de leur

structure (type 2). Nous présentons ces hypothèses en deux temps de manière

chronologique : d’abord les hypothèses de type 1 (§2.2.1), suivies des hypothèses de type 2

(§2.2.2). Chaque hypothèse est d’abord décrite puis évaluée selon le niveau d’adéquation

descriptive qu’elle atteint et selon qu’elle présente ou non des caractéristiques différentielles

intéressantes pour l’étude de l’asymétrie.

2.1.1 Hypothèses de type 1

Les hypothèses de types 1 attribuent le comportement des éléments clitiques à leur mode

d’incorporation et à leur position d’insertion. Nous présentons ces hypothèses dans l’ordre

suivant : l’analyse syntaxique par déplacement de Kayne (1975), l’analyse syntaxique de

génération à la base de Jaeggli (1986), l’analyse syntaxique de Roberge (1990), l’analyse

morphologique d’Auger (1994) et l’analyse complexe (syntaxique et morphologique) et

hybride (génération à la base et déplacement) de Sportiche (1996).

2.1.1.1 Kayne (1975)

À partir des caractéristiques énumérées en §2.1, Kayne fait ressortir deux tendances : 1) les

clitiques objets sont plus près du verbe que leur contrepartie NP; et 2) les clitiques sujets

sont également près du verbe, mais toutefois moins que les clitiques objets. Il propose que

cette proximité de surface s’explique par le biais d’une analyse syntaxique de déplacement.

La théorie à cette époque comprenait une structure profonde (D) et une structure de surface

(S). Les transformations s’effectuaient entre les deux structures. Afin de satisfaire le cadre de

sous-catégorisation d’un verbe donné qui était introduit en structure profonde, l’objet sous sa

forme pronominale se trouvait d’abord en position de complément (à la droite de V) puis se

déplaçait sous V à la gauche du verbe pour apparaître dans sa position de surface. Les

clitiques objets se retrouvaient ainsi dominés par le nœud V. Cette structure est illustrée en

(8).

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(8) a : Structure profonde D

SV 3 V Pronom mange le

b : Structure de surface S

SV # V 2 Pronom V le mange

Le scénario est un peu différent pour les clitiques sujets. Kayne suggère que l’opération de

déplacement du clitique objet sur le verbe s’effectue avant le déplacement du verbe. Ainsi, le

sujet s’incorpore à un groupe verbal déjà formé de clitique objet + verbe, ce qui donne

l’ordre de surface observé, à savoir que les clitiques objets, s’il y en a, se trouvent entre le

clitique sujet et le verbe. L’analyse de Kayne est basée sur le français normatif où les

clitiques sujets et objets sont en distribution complémentaire avec les NP et les pronoms

forts. Elle a donc été élaborée avant les travaux de Roberge (1990) qui ont mis en évidence

que les éléments clitiques pouvaient être redoublés en français parlé. Ainsi, sans minimiser

l’apport substantiel que les travaux de Kayne ont amené, il va de soi que son analyse

n’atteint pas l’adéquation descriptive puisqu’elle ne peut que rendre compte du français

normatif.

Depuis Kayne, plusieurs approches relatives au traitement des clitiques ont été proposées,

notamment pour rendre compte du français parlé où le redoublement (clitique et DP) est

possible dans certaines variétés (ex. en français québécois : Vincent il a faim). Ce

redoublement, qui s’étend d’ailleurs aux clitiques objets dans plusieurs variétés des langues

romanes (not. Jaeggli, 1986; Roberge & Vinet, 1989), implique que les clitiques et les DP ne

sont pas en distribution complémentaire et donc qu’ils ne peuvent occuper la même position

syntaxique. C’est essentiellement la mise en évidence de ce phénomène qui a remis en

question l’analyse par déplacement de Kayne.

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2.1.1.2 Jaeggli (1986)

Les avancements sur le plan théorique, notamment avec le développement de la théorie du

gouvernement et du liage (Chomsky, 1982), ont permis d’élaborer une nouvelle analyse qui

peut tenir compte du redoublement. La nouvelle catégorie pro (un pronom nul) occupe la

position d’argument (d’objet dans le cas présent) et est récupérée par le clitique, qui lui n’a

pas le statut d’argument (9).

(9) Structure permettant le redoublement du clitique objet

VP 3 V DP lej +mange proj

Le statut d’argument est lié aux rôles thématiques (ex. agent ou patient).11 Dans le cadre de

la théorie du gouvernement et du liage, le critère thématique veut que tout argument ait un

rôle thématique et un seul. De plus, tout rôle thématique (qui dépend de la sémantique du

verbe) doit être attribué à un argument et à un seul. Ainsi, le redoublement fait en sorte

qu’uniquement pro a le statut d’argument.

Cette analyse avec pro permet de traiter de manière uniforme les langues où le redoublement

de l’objet est possible. La présence de pro satisfait le critère thêta (rôle thématique) du verbe

et l’interprétation de l’élément nul est récupérée par le clitique qui lui est coïndicé. Cette

analyse, généralement désignée sous le nom de ‘génération à la base’, a par la suite été

appliquée aux clitiques sujets par Roberge & Vinet (1989) et Roberge (1990).

2.1.1.3 Roberge & Vinet (1989) et Roberge (1990)

Jusqu’aux travaux de Roberge, le français était mis à part des langues romanes comme la

seule langue n’étant pas à sujets nuls puisque la réalisation du clitique sujet est obligatoire.

Roberge & Vinet (1989) et Roberge (1990) ont élaboré une proposition qui unifie les

langues romanes. La différence entre le français et l’espagnol par exemple, serait la façon

11 L’agent (ou l’actant) est l’entité qui effectue l’action et le patient est l’entité qui subit l’action.

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dont l’interprétation de pro est récupérée. En espagnol, pro serait récupéré par le biais de la

désinence verbale (ex. ablo espagnol). Dans le cas du français, cette interprétation se fait par

le biais du clitique sujet (10) (ex. je parle espagnol).

(10) Structure permettant le redoublement du clitique sujet

I’’ 3 proi I 3 I V’’ il i ….

L’analyse avec pro en position d’argument (sujet ou objet) a l’avantage de traiter les

clitiques sujets et objets de la même manière en ce qui a trait à leurs propriétés. Cela dit, ces

deux éléments ont quand même des comportements différents en français parlé : le clitique

sujet peut être redoublé, ce qui ne semble pas être le cas pour le clitique objet.

En résumé, Roberge propose une analyse de génération à la base dans l’esprit de Jaeggli

(1986) pour les clitiques sujets et les clitiques objets. Cette proposition atteint un seuil

d’adéquation descriptive assez élevé parce qu’elle a le potentiel de décrire les

caractéristiques du français parlé et du français normatif. En français normatif, le clitique

sujet serait inséré dans une position argumentale, ce qui ferait en sorte qu’il ne pourrait pas

être redoublé. Cette hypothèse a d’ailleurs subséquemment été reprise et modifiée par

plusieurs chercheurs, dont Auger (1994) et Sportiche (1996). Ces dernières hypothèses,

contrairement à celle de Roberge, ont été développées dans le cadre du programme

minimaliste (Chomsky, 1995).

2.1.1.4 Auger (1994)

Auger (1994) développe son analyse à partir du français parlé informel québécois (FPIQ).

L’auteur rejette d’emblée le traitement purement syntaxique des clitiques qui a été proposé à

la suite des nouvelles catégories fonctionnelles AGRS, AGRO, T et ASP qui sont apparues

dans le cadre du développement de l’approche minimaliste. Elle opte pour un traitement

morphologique des clitiques qui s’applique de manière présyntaxique, c’est-à-dire avant

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toute manipulation par la syntaxe. La question de génération à la base ou de déplacement

n’est pas pertinente dans le cadre de cette analyse.

À l’instar de Cummins & Roberge (1994), Auger propose que ce qui est introduit

présyntaxiquement est un ensemble de traits formels associés à la racine lexicale et non un

élément phonétiquement réalisé.

Ces traits formels auraient le même statut que les autres traits optionnels

ajoutés à un item sélectionné pour une dérivation donnée. Tout comme la

plupart des noms peuvent être singuliers ou pluriels, les verbes auraient

l’option de se présenter avec des clitiques. (Heap & Roberge, 2001; p.16)

Auger établit d’abord une distinction cruciale entre les statuts morphologique et

morphosyntaxique. Le statut morphologique d’un élément est indépendant de son statut

morphosyntaxique. Il existe dans les langues naturelles des affixes qui ne marquent pas

l’accord et des éléments non affixaux qui marquent l’accord. En d’autres termes, cela

implique que le statut morphologique d’un élément n’entre pas nécessairement en corrélation

avec son statut syntaxique. Ainsi, bien que les clitiques sujets et objets soient considérés

comme des affixes, ils ont un statut syntaxique différent : les affixes sujets se comportent

comme des accords alors que les affixes objets agissent comme des arguments.

Ce qui motive l’analyse des affixes sujets comme marqueurs d’accord est qu’ils sont les

seuls à pouvoir apparaître en présence de leur argument réalisé (redoublement) (11).

(11) a. Maman elle veut pas.

b. Maman la mange la pomme.

La proposition en (11a) comporte un sujet lexical redoublé d’un clitique sujet. Bien que la

phrase en (11b) soit superficiellement semblable, elle ne constitue pas un cas de

redoublement objet mais plutôt un cas de dislocation à droite.12 La dislocation est aussi

12 Il est à noter qu’aucune étude récente n’a évalué sur le plan technique (durée de l’allongement, chute du fondamental, etc.) la présence ou l’absence de redoublement du clitique objet. Il serait pertinent de confirmer qu’il n’y a pas de redoublement par le biais d’une étude qui utiliserait la même méthodologie que celle de Culbertson & Legendre (2008).

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possible dans le cas du sujet. Auger (2003) explique la différence entre le redoublement et la

dislocation de manière syntaxique et prosodique.

Sur le plan de la prosodie, bien qu’il n’y ait pas toujours une pause entre l’élément disloqué

et le pronom pour marquer la dislocation, d’autres particularités sont présentes. Auger (2003;

p. 392) cite notamment les caractéristiques de la dislocation à gauche en français québécois

telles qu’identifiées par Deshaies, Guilbault & Paradis (1993).

(12) i. absence d’enchaînement entre la consonne finale du syntagme disloqué et l’attaque vocalique qui suit. ii. accentuation de la dernière syllabe du syntagme disloqué.

iii. chute importante du F0 entre le syntagme disloqué et le reste de la phrase.13

Plusieurs autres arguments sont présentés pour qualifier les pronoms sujets de marqueurs

d’accord et les pronoms objets de marqueurs d’argument. Outre la prosodie, la fréquence de

la cooccurrence NP et clitique est nettement supérieure dans le cas des sujets. Pour le

clitique sujet, on recense des taux de cooccurrence oscillant entre 70% et 75%14 alors que

dans le cas des clitiques objets, la fréquence de cooccurrence se situe entre 15% et 40%.

Globalement, cette analyse se résume à ceci : 1) les pronoms sujets et objets sont des affixes

introduits en morphologie; 2) les pronoms sujets sont les seuls à être des accords puisqu’ils

sont les seuls à se retrouver dans toutes les constructions contenant normalement un accord

sujet-verbe; et 3) les pronoms objets, quant à eux, ont le statut d’argument et sont spécifiés

pour le trait accusatif. L’absence de redoublement dans le cas du pronom objet est cruciale

dans le fait qu’il soit considéré comme un argument. Le clitique objet est le seul à avoir le

trait casuel. La différence entre les éléments clitiques est donc attribuable à une différence de

trait.

13 La chute du F0 (du fondamental), correspond à une chute au niveau de l’intonation. Ces chutes apparaissent à la fin de plusieurs groupes rythmiques. 14 Ces taux sont présentés de manière très générale et l’article en question ne précise pas le nombre de sujets dont les productions ont été étudiées, ni la méthodologie utilisée. Pour plus de détails, l’auteur renvoie à son article de 1991.

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Pour l’étude de l’asymétrie, l’approche d’Auger est très intéressante puisqu’elle est

différentielle : les clitiques sujets se comportent comme des accords et les clitiques objets,

comme des arguments. Néanmoins, nous estimons qu’un traitement purement

morphologique des éléments clitiques est possiblement non adéquat. En tant qu’argument, le

clitique objet modifie le sens de la phrase. Si un élément modifie le sens de phrase, c’est

donc qu’il doit être inséré en syntaxe et non en morphologie. En d’autres mots, si le clitique

objet est un argument, il a donc des traits sémantiques. S’il a des traits sémantiques, il

devrait être inséré dans la position d’objet.

2.1.1.5 Sportiche (1996)

Sportiche propose une construction clitique unique qui tient compte à la fois des différences

entre le français parlé et le français normatif, ainsi que des différences entre les langues

romanes. Cette approche est qualifiée d’hybride puisque d’une part elle rallie génération à la

base (Jaeggli, 1986) au mouvement (Kayne, 1975) et d’autre part, elle adopte un traitement

syntaxique pour certains clitiques (ex. il, le, les) et un traitement morphologique (ex. t-il, t-

elle, en) pour d’autres.

Au départ, Sportiche considère le clitique et le DP comme des entités distinctes. Les

clitiques sont tous générés à la base puisqu’ils ont tous leur propre catégorie fonctionnelle.

Dans le cas du clitique nominatif, il suggère l’existence d’une catégorie fonctionnelle NomV

et dans le cas du clitique accusatif, il propose la catégorie AccV (V pour ‘Voice’). De plus,

le mouvement est aussi présent mais contrairement aux analyses précédentes où c’est le

clitique lui-même qui se déplaçait, c’est le XP (DP) qui se déplace dans la position de

spécifieur du clitique.

La position du spécifieur licence la présence de l’argument en accord avec ses propres traits,

notamment les traits de genre, de nombre et de cas. L’accord entre le clitique et son XP se

fait par la relation Spec/tête. Les clitiques sont ainsi considérés comme des morphèmes

d’accord complexes (aussi appelés ‘têtes d’accord’).

Sportiche (1996; p.237) présente les trois paramètres suivants pour les constructions

clitiques :

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(13) i. Le mouvement de XP au spécifieur de la projection du clitique peut se faire en syntaxe ou en LF (angl. overt/covert) ii. La tête peut être manifeste ou non (réalisée ou non)

iii. Le XP est manifeste ou non (réalisé ou non)

Ces trois paramètres lui permettent de proposer une seule et unique construction clitique qui

rend compte des particularités du français normatif et du français parlé. Si le XP est

manifeste (en syntaxe, c’est-à-dire phonologiquement réalisé et non sous forme de pro) et la

tête du clitique aussi, il y a redoublement. Pour ce qui est du français normatif, le XP sera

non manifeste, apparaissant comme pro et se déplacera en LF. La structure simplifiée est

présentée en (14).15

(14) NomV 3 XP^ Nom’ 3 Il (nom) AccV 3 XP^ AccV’ 3 le VP

La seule différence entre le français normatif et le français parlé est donc attribuable à des

différences paramétriques. Sportiche s’appuie sur la présence de filtres pour empêcher que la

tête et le spécifieur ne soient simultanément réalisés en français normatif.

Nous venons de décrire le traitement hybride génération à la base + mouvement de

Sportiche. Pour ce qui est du traitement complexe, syntaxe/morphologie, l’auteur fait la

distinction entre l’incorporation morphologique et l’incorporation syntaxique des clitiques.

L’incorporation syntaxique se fait par le biais d’un mouvement de tête tel que nous venons

de le décrire. Ce type d’incorporation est strictement compositionnel puisque le lexique n’est

pas accessible, toutes les opérations s’effectuent en syntaxe. Dans le cas de l’incorporation

morphologique, elle se fait dans le lexique avant la syntaxe et on s’attend à y retrouver des

15 Sportiche, p. 235.

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exceptions. L’auteur propose ainsi que certains clitiques soient insérés en morphologie, ce

qui serait notamment le cas des sujets inversés du type Mange-t-il?.

Ce qui est crucial pour cette analyse est que le clitique soit toujours [+spécifié]. Le

mouvement de pro vers la position Spec du ClP (NomV ou AccV) est justifié pour satisfaire

le caractère [+spécifié] du clitique tel que stipulé dans le critère clitique (15) (angl. clitic

criterion) où la propriété [+F] est la spécificité.

(15) i. Un clitique doit être en relation spec/tête avec un XP [+spécifique].

ii. Un XP [+spécifique] doit être en relation spec/tête avec un clitique. (1993, p.56)

Ainsi, le clitique en, un pronom clitique non spécifique, est automatiquement considéré

comme incorporé morphologiquement.

Cette approche est particulièrement différente des autres que nous avons vues jusqu’à

maintenant parce qu’elle peut rendre compte à la fois du français normatif et du français

parlé ainsi que des différences interlinguistiques entre les langues romanes. Ainsi, elle a un

potentiel d’adéquation descriptive relativement élevé.

Ceci dit, indépendamment de ce potentiel, cette hypothèse n’a pas les propriétés nécessaires

pour nous aider à comprendre l’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets et objets.

Contrairement aux propositions de Roberge (1990), d’Auger (1994) ainsi que celles qui

s’appuient sur la tripartition (voir §2.1.2), la structure proposée par Sportiche ne présente pas

d’asymétrie. Certes il est clair que les clitiques sujets et objets ne se retrouvent pas dans les

mêmes positions, mais en ce qui a trait aux mécanismes sous-jacents à leur production, on

observe ici une symétrie. Dans le cas du clitique sujet comme dans celui du clitique objet,

cette hypothèse veut qu’il y ait une catégorie fonctionnelle propre au clitique. Dans les deux

cas, ce n’est pas le clitique qui se déplace. De plus, on retrouve également une symétrie en

ce qui a trait au statut des éléments clitiques que Sportiche désigne sous le nom de

morphèmes d’accord complexes.

Le seul endroit où cette proposition permet une asymétrie est au niveau du redoublement.

Ceci est possible parce que Sportiche propose la présence d’un filtre qui s’appliquerait de

manière indépendante aux deux clitiques et qui ferait en sorte que si le filtre est « actif », la

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tête et le spécifieur de la projection clitique ne pourront être simultanément réalisés. En un

sens, le filtre permet une asymétrie au niveau du redoublement mais ne peut pas expliquer

l’asymétrie telle que rapportée en acquisition dans les études antérieures. De manière très

générale, et sans vouloir entrer dans les détails spécifiques, étant donné que la structure

clitique est symétrique chez Sportiche et que les mécanismes sous-jacents nécessaires à la

production de ces éléments sont identiques, cette hypothèse semble avoir peu de potentiel

explicatif en ce qui a trait à l’asymétrie. Il serait par exemple difficile de postuler que le filtre

pourrait causer l’asymétrie observée.

2.1.2 Hypothèses de type 2

Les hypothèses de type 2 attribuent le comportement des éléments clitiques à leur structure.

Nous présentons ces hypothèses dans l’ordre suivant : l’hypothèse de la tripartition de

Cardinaletti & Starke (1994), l’hypothèse de la tripartition adaptée au français parlé de

Jakubowicz et al. (1998), l’hypothèse de la tripartition selon la morphologie distribuée de

Jakubowicz & Nash (à paraître) et finalement l’hypothèse de la tripartition basée sur les

propriétés distributionnelles de Gabriel & Müller (2005).

2.1.2.1 Cardinaletti & Starke (1994)

Le travail de Cardinaletti & Starke visait à décrire les syntagmes nominaux des langues en

établissant un parallèle avec la structure phrastique. Ce parallèle a amené les auteurs à

proposer que la structure des syntagmes nominaux contenait trois niveaux tout comme la

structure phrastique, à savoir CP, IP et VP. Au même titre que les structures phrastiques

peuvent contenir de 1 à 3 niveaux, Cardinaletti & Starke ont proposé qu’il en était de même

pour les syntagmes nominaux.

L’hypothèse de Cardinaletti & Starke (1994) est à la base des hypothèses qui attribuent le

comportement des pronoms à leur structure. L’idée globale est que les éléments

pronominaux ont des structures différentes, ce qui entraîne des répercussions sur leur

distribution. Ce modèle est différent de celui de Kayne (1975) où les pronoms sont classés

en deux types, forts et clitiques. Cardinaletti & Starke proposent plutôt que tous les pronoms

peuvent apparaître sous trois formes : forte, faible et clitique. Ces formes pronominales ont

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une structure qui leur est propre. Ce ne sont pas toutes les langues qui comportent les trois

formes mais le nombre maximal pour chaque pronom est universel et le français est une

langue qui comporte les trois formes.

Le modèle de Cardinaletti & Starke diffère de celui de Kayne parce que la catégorie

‘clitique’ est scindée en deux, entre faible et clitique. La distinction entre faible et clitique est

basée sur la morphologie, la syntaxe, la phonologie et la sémantique. Essentiellement, ces

trois formes pronominales sont différentes quant au niveau de déficience de leur structure

syntaxique. En se basant sur le modèle T de la grammaire où les modules sémantique et

phonologique ne communiquent pas, les auteurs expliquent que si l’on observe des

différences dans ces deux modules, la source de leur différence doit être forcément

syntaxique, donc structurale. Les structures des formes pronominales sont comme suit : les

pronoms forts sont des XP sans aucune restriction distributionnelle, les pronoms faibles

(sujets en français normatif) sont des XP mais avec une distribution restreinte et les clitiques

(objets) ne sont que des têtes, donc des Xo et leur distribution est davantage restreinte. Les

structures proposées (Cardinaletti & Starke, 2000; p.183) sont illustrées en (16)16.

(16) a. Pronom fort

αP 3 α0 βP 3 β0 XP 3 X0 NP b. Pronom faible βP 3 β0 XP 3 X0 NP

16 Selon le parallèle que nous avons décrit précédemment, α0 et αP correspondent respectivement à C0 et CP.

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c. Pronom clitique

X 3 X0 NP

L’approche de Cardinaletti & Starke présente donc une différence entre les pronoms sujets et

objets en français normatif au niveau de la structure externe de ces éléments :

Deficient pronouns seem to lack the highest functional projection of noun

phrases, and from this all their deficiency follows. The underlying trigger of

deficiency is thus ‘lack of the highest functional projection of an extended

projection’, a property which is easily transposed to the clitic/weak

distinction. (p.183)

Les clitiques sujets (faibles) sont jugés moins déficients que les clitiques objets parce qu’ils

apparaissent en position Spec (de spécifieur) de la tête qui les légitime. En revanche, les

clitiques objets sont des têtes adjointes à leur tête légitimante à la suite d’un déplacement. De

plus, il existerait une différence supplémentaires entre les pronoms déficients et les pronoms

forts de troisième personne : seuls les pronoms forts auraient le trait [+animé] de manière

intrinsèque. Ceci implique que seuls les pronoms faibles (il , elle, ils, elles) et clitiques (le, la,

les) de troisième personne peuvent référer à des entités animés et inanimés.

La présence de ce trait intrinsèque pour les pronoms forts, considéré comme lexical, fait en

sorte qu’ils sont les seuls à pouvoir occuper la même position que les éléments nominaux,

qui eux-mêmes ont des traits lexicaux intrinsèques. Or ce trait, pourtant crucial à l’hypothèse

proposée, ne fait pas l’unanimité chez les chercheurs. Notamment, Zribi-Hertz (2000) a

démontré que les pronoms forts de troisième personne n’ont pas ce trait de manière

intrinsèque. Dans son article, elle présente plusieurs exemples qui démontrent que les

pronoms forts de troisième personne peuvent très bien référer à des entités non animées.

Nous présentons 3 de ces exemples en (17) (p. 4 & 9).17

17 D’ailleurs, tout lecteur attentif trouvera de nombreux exemples semblables à l’intérieur du présent travail. Il s’agit d’une coïncidence purement accidentelle.

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(17) a. Ce bureau occupe à lui seul beaucoup de place.

b. La guerre a emporté avec elle tous nos espoirs de jeunesse.

c. Toutes les bicyclettes étaient attachées entre elles.

Zribi-Hertz explique que le lien qui existe entre le genre et le sexe est à l’origine de

l’impression que les pronoms forts définis de troisième personne ne peuvent référer qu’à des

entités animées. Les entités animées ont toutes un genre parce qu’ils sont sexués. Les entités

inanimées ont également un genre, cependant, il est strictement grammatical et ne découle

pas de la notion de sexe. Ainsi, l’animation implique la présence d’un genre, mais le genre

n’implique pas l’animation (la sexuation). Puisque toutes les entités animées sont sexuées,

nous avons l’impression que les pronoms forts ne peuvent qu’être utilisés pour référer à ces

entités.

Le lien entre l’étude de Zribi-Hertz et l’hypothèse de la tripartition peut sembler à prime

abord indirect, voire obscur. Néanmoins, le lien est bien réel et il s’avère crucial pour le

phénomène de l’asymétrie. De manière globale, les travaux de Zribi-Hertz ont démontré que

les pronoms forts de troisième personne, tout comme les pronoms clitiques, ont la propriété

de pouvoir référer à des entités animées et inanimées. Ceci fait en sorte que les pronoms

forts comme les clitiques ne peuvent posséder de manière intrinsèque le trait [+ animé]. Or

dans la tripartition, la présence de ce trait est l’élément qui fait en sorte que les pronoms forts

se distinguent structuralement des autres types de pronoms. En d’autres termes, la présence

de ce trait est en partie à l’origine de l’asymétrie structurale proposée.

Cardinaletti et Starke (1994) avancent l’hypothèse que les PF [pronoms forts]

ont une structure interne plus riche que celle des pronoms clitiques. Plus

précisément, les PF incluraient une projection supérieure – que ces auteurs

baptisent CP – qui seraient absente dans les pronoms clitiques, et dont la tête

C0 contiendrait le trait [+ animé], conçu comme un trait lexical par défaut.

(Zribi-Hertz, p. 7-2)

La présence du trait [+animé] pour les pronoms forts est ce qui fait en sorte qu’ils devraient

être les seuls à pouvoir occuper la même position que les éléments nominaux parce qu’ils

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possèdent une structure non déficiente. Ces pronoms ont une projection supérieure qui est

attribuable à la présence du trait [+ animé] de la tête.

Si nous tenons compte des travaux de Zribi-Hertz, nous devons enlever cette projection

supplémentaire. Or, son extraction fait en sorte que les pronoms forts ont maintenant

exactement la même structure que les pronoms faibles (18).

(18) a. Pronom fort βP 3 β0 XP 3 X0 NP b. Pronom faible βP 3 β0 XP 3 X0 NP

Si les pronoms forts ont une structure identique aux pronoms faibles, cette hypothèse, dans

sa forme actuelle, ne peut expliquer les différentes distributions que nous observons entre les

divers types de pronoms.

Plusieurs chercheurs s’étant penchés sur l’asymétrie en acquisition ont adopté la tripartition.

Nous présentons les hypothèses qu’ils ont développées sur le traitement des clitiques dans la

présente section. Même si ces hypothèses se basent sur la tripartition et que nous estimons

que cette approche est inadéquate pour décrire le système pronominal du français et

l’asymétrie, nous les présentons en détails parce qu’elles proposent des analyses qui

suggèrent d’autres différences entre les clitiques sujets et objets. Ces différences ont le

potentiel d’expliquer l’asymétrie qui a été rapportée dans les études en acquisition et doivent

donc être analysées de manière indépendante.

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2.1.2.2 Jakubowicz et al. (1998)

Les travaux de Jakubowicz et de ses collaborateurs (1998; Jakubowicz & Rigaut, 2000)

décrivent les clitiques du français parlé, contrairement à l’hypothèse de Cardinaletti & Starke

qui visait à rendre compte du français normatif. Bien que les auteurs adhèrent à la tripartition

de Cardinaletti & Starke, ils considèrent que les clitiques sujets et objets ont le même degré

de déficience en français parlé. Les deux sont de simples têtes, donc des Xo. Cela implique

que ces éléments peuvent tous les deux être insérés en syntaxe, directement dans le champ

fonctionnel, sans aucun déplacement. Selon cette approche, il y a une distinction importante

entre les clitiques accusatifs de première et deuxième personnes et ceux de la troisième. Ces

éléments sont considérés comme plus déficient parce qu’ils ne sont pas spécifiés pour le trait

[+/-animé].

Contrairement à ce qu’a proposé Auger (1994), cette hypothèse veut que les clitiques sujets

et objets ne diffèrent pas en ce qui a trait à leur statut argumental : ils ont tous les deux le

statut d’argument.

[…] les clitiques nominatifs [tout comme les clitiques accusatifs]

pronominaux sont des arguments non-canoniques. Ils ont le statut

d’arguments parce que le verbe leur assigne un rôle thêta, mais ils sont des

arguments non-canoniques parce qu’ils n’ont pas la structure DP ou NP qui

est caractéristique des arguments verbaux canoniques. (Jakubowicz & Rigaut,

2000, p. 127)

La différence cruciale entre les clitiques nominatifs et accusatifs est essentiellement

attribuable à la fonction qu’ils occupent dans la phrase. Le clitique nominatif sert à identifier

le trait pronominal d’Infl., alors que le clitique accusatif sert à référer à un élément discursif

proéminent. Cette différence au niveau de la fonction a des conséquences sur le statut

obligatoire de ces éléments. Puisque le clitique nominatif est considéré comme exprimant la

finitude du verbe au même titre que la flexion verbale riche des autres langues romanes (voir

Nash & Rouveret, 1997), il est obligatoire en français parlé.

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En contrepartie, le clitique objet ne sert qu’à référer à un élément saillant dans le discours

précédent. Ceci a comme conséquence qu’il n’est pas obligatoire en français parlé. Ainsi, le

clitique nominatif est le seul élément à se retrouver dans toutes les propositions. Il est donc

le seul à faire partie du squelette fonctionnel obligatoire de la phrase (19).

(19) Structure syntaxique selon les travaux de Jakubowicz et al. (1998)

TP’ 3 proi T’ 3 il i TP 3 mangej VP 3 Spec V’ ti 3 tj

Cette approche est intéressante puisqu’elle arrive à rendre compte des propriétés du français

parlé. De plus, et c’est ce qui est crucial pour notre étude, elle propose des différences

importantes entre les clitiques sujets et les clitiques objets : les clitiques sujets et objets ont

des fonctions différentes et seuls les clitiques sujets font partie du squelette fonctionnel

obligatoire de la phrase.

2.1.2.3 Jakubowicz & Nash (à paraître)

Jakubowicz & Nash (à paraître) ont comme point de départ l’hypothèse élaborée par

Jakubowicz et al. (1998) mais adoptent le modèle de la morphologie distribuée (Halle &

Marantz, 1994). Dans ce modèle, toutes les catégories (lexicales et fonctionnelles) sont

composées de traits syntaxiques. Ainsi, toutes les catégories sont syntaxiques. Ce qui

distingue une catégorie fonctionnelle d’une catégorie lexicale est que seule une catégorie

lexicale comprend une racine lexicale (angl. root), tout simplement parce que le sens ne peut

pas être décomposé en traits syntaxiques. Cette racine, contrairement aux traits syntaxiques,

est phonologiquement spécifiée dès le départ.

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Par cette analyse, les auteurs reviennent une fois de plus sur l’absence de spécification du

trait [animé] pour ce qui est des clitiques accusatifs de troisième personne. Ce trait est

considéré comme un trait sémantique faisant partie de la racine. La sous-spécification de ce

trait pour le clitique accusatif de troisième personne amène les auteurs à proposer que seuls

ces éléments n’ont pas de racine. Les clitiques accusatifs de troisième personne sont

maintenant considérés comme des DP (donc des XP) sans racine, contrairement aux

pronoms forts et aux DP lexicaux qui eux sont spécifiés pour ce trait. Les structures en (20)

illustrent la distinction entre un DP/pronom fort et un clitique accusatif.18

(20) a. DP lexical ou pronom fort

D 3 [+/- défini] Nb 3 [+/-sing.] N 2 n √ [+/- masc.] [+/-animé] b. Clitique accusatif

D 3 [+/- défini] Nb 3 [+/-sing.] N # [+/- masc.]

Selon cette analyse, les clitiques objets se distinguent des clitiques sujets de par leur statut de

XP (les sujets n’étant que des X0). Ce statut proviendrait du fait qu’ils sont spécifiés pour le

genre et le nombre comme tout élément nominal. En tant que XP, ils doivent être intégrés

dans la structure en position d’argument, à savoir, dans la position de complément de v. Ce

type d’insertion permet de satisfaire le rôle thématique mais contrairement aux autres

éléments qui peuvent occuper cette position (les pronoms et les éléments lexicaux), sa

18 Structures tirées de Van der Velde (2003), p. 235.

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déficience le pousse à se déplacer ensuite dans une catégorie fonctionnelle plus haute pour

qu’il soit structuralement licencié (cas). En se déplaçant, le clitique objet change de structure

et passe d’un XP à une simple tête X0. Les auteurs proposent que le clitique se déplace alors

vers IP ou petit v. Cette hypothèse adopte donc une analyse par déplacement pour le clitique

objet et une analyse de génération à la base pour le sujet. En ce sens, elle diffère de l’analyse

précédente.

Selon cette hypothèse, il existe plusieurs différences entre les clitiques sujets et objets.

Notamment, ces éléments diffèrent en ce qui a trait à leur structure externe initiale. Les

clitiques sujets ne sont que de simples têtes fonctionnelles alors que les clitiques objets sont

initialement des DP. Or, si le statut de DP des clitiques objets est attribuable au fait qu’ils

sont spécifiés pour le genre et le nombre comme tous les éléments lexicaux, on devrait

s’attendre à ce que les clitiques sujets de troisième personne soient aussi initialement des DP

puisqu’ils sont également spécifiés pour le genre et le nombre. Or, les auteurs expliquent

qu’ils n’ont pas ce statut parce qu’ils servent à exprimer la finitude du verbe. S’ils servent à

exprimer la finitude, ils doivent donc être des accords et non des arguments parce qu’étant

insérés dans une position d’accord, ils ne peuvent pas recevoir de rôle thématique.

2.1.2.4 Gabriel & Müller (2005)

Contrairement aux travaux de Jakubowicz, les travaux de Müller (Gabriel & Müller, 2005;

Schmitz & Müller, 2008) se penchent sur le français normatif. L’analyse qu’ils proposent se

base sur la tripartition des pronoms et sur les approches de Déchaine & Wiltschko (2002) et

de Raposo (1998). Cette hypothèse veut que les pronoms faibles et les clitiques de troisième

personne se distinguent au niveau de leur structure interne. De plus, les pronoms forts se

distingueraient des éléments déficients de par leur structure externe. Cependant, il existe une

similarité entre les pronoms faibles et les pronoms forts : ils auraient tous deux une ‘couche

lexicale’, donc une structure interne identique. Les structures en (21) illustrent ces

différences.

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35

(21) Structures des pronoms forts, faibles et clitiques de troisième personne a. pronoms forts lui, elle, elles, eux DP 3 D ΦP19 3 Φ NP # N b. pronoms faibles il , elle ΦP 3 Φ NP # N

c. pronoms clitiques

le, la, les ΦP # Φ

Ce qui distingue les pronoms faibles des clitiques est que ces derniers n’ont pas de couche

lexicale. C’est ici que cette hypothèse diffère de celle de la tripartition. Bien que les auteurs

reconnaissent qu’il existe trois formes pronominales en français normatif, la déficience des

structures n’est pas attribuée à l’absence du trait [animé]. La différence structurale entre les

pronoms faibles et les clitiques découlerait du fait que seuls les pronoms faibles ont la

capacité d’avoir un étendu (angl. scope) sur un VP coordonné : «Subject clitics can have

wide scope over a coordinated VP, as can full DPs. Object clitics pattern differently in this

respect : They have to be repeated with each VP, unlike a DP argument, which may undergo

19 Le signe Φ représente les traits phi (genre, nombre et cas).

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ellipsis…» (p.35). Les exemples en (22) illustrent cette distinction en démontrant que les

clitiques objets, contrairement aux pronoms sujets, doivent être répétés sur chaque verbe.

(22) a. Il mange et __ boit tout le temps.

b. Vincent le mange et le digère en même temps.

En résumé, les pronoms sujets sont semblables aux pronoms forts en français normatif. Ces

éléments se distinguent des clitiques objets parce qu’ils sont les seuls à être pourvus d’une

couche lexicale. Cette couche permet aux pronoms forts et faibles d’être référentiels. Ceci

fait en sorte que les clitiques objets sont les seuls à ne pas être référentiels.

Cette proposition permet de rendre compte de la distribution des pronoms en français

normatif. La possibilité d’effacer le clitique sujet dans les propositions coordonnées est le

facteur le plus important de la distinction entre les pronoms faibles et les clitiques. Or, si

cette distinction est réelle en français normatif, elle n’existe plus en français parlé.

Jakubowicz & Rigaut (1998) ont démontré que l’effacement du pronom sujet n’est pas

possible en français parlé. Lambrecht (1981) et Zribi-Hertz (1994) ont rapporté que ce type

de construction est très rare, voire marginal. En français parlé québécois, Auger (1994) a

démontré que l’effacement n’est pas rare, il est totalement inexistant. Ainsi, l’ensemble des

études empiriques sur le sujet démontrent que l’effacement ne fait pas partie du français

parlé. Ceci a donc bien sûr des conséquences importantes.

Nous avons expliqué précédemment que pour qu’une hypothèse atteigne l’adéquation

descriptive, elle devait à la fois rendre compte du français parlé et du français normatif, ainsi

que des différences interlinguistiques entre les langues romanes. Dans le cadre du français

parlé, la distinction proposée entre les pronoms sujets et objets par les travaux de Müller et

de ses collaborateurs tombe : ces éléments n’ont pas de couche lexicale. Si c’est le cas, ils

ont donc tous les deux la même structure interne et seraient ainsi complètement différents

des pronoms forts. Néanmoins, si l’on veut véritablement rendre compte du français parlé,

nous devons expliquer le redoublement.

En français parlé, seuls les clitiques sujets sont redoublés. Puisque les pronoms sujets et

objets auraient des structures identiques en français parlé, cette hypothèse ne pourrait pas

expliquer ce phénomène et ne peut nous aider à mieux décrire et comprendre l’asymétrie.

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37

2.1.3 Résumé et comparaison entre les approches

Les hypothèses dont nous avons discuté diffèrent à plusieurs niveaux. Notre but était bien

sûr de présenter les clitiques, mais aussi de déterminer quelles hypothèses s’avéraient des

outils théoriques descriptifs intéressants pour l’étude de l’asymétrie.

Si nous faisons un bref retour sur les hypothèses de type 1, il est indiscutable que chacune de

ces hypothèses a apporté une contribution importante à notre compréhension du système

pronominal du français. Néanmoins, notre revue des diverses analyses nous a amenée à

conclure que les hypothèses de Roberge (1990) et d’Auger (1994) étaient particulièrement

intéressantes pour notre travail parce qu’elles proposent des analyses différentielles.

En ce qui a trait aux hypothèses de type 2, nous concluons que celle de Jakubowicz et al.

(1998) est la plus utile pour l’étude de l’asymétrie parce qu’elle tient compte des

particularités du français parlé et qu’elle propose des différences bien définies entre les

clitiques sujets et objets.

Dans la prochaine section, nous présentons les hypothèses qui expliquent l’asymétrie en

acquisition. Nous faisons régulièrement référence à l’analyse de la présente section pour

mieux décrire ces hypothèses.

2.2 L’asymétrie en acquisition : hypothèses

Au total, quatre hypothèses20 syntaxiques ont été proposées pour expliquer l’asymétrie en

acquisition telle que décrite dans les études antérieures. Nous présentons ces hypothèses

dans l’ordre suivant : Jakubowicz et al. (1996), Hamann (2003), Jakubowicz & Nash (à

paraître) et Schmitz & Müller (2008). À l’exception de Hamann (2003), ces hypothèses sont

toutes basées sur la tripartition.

20 Il existe une autre hypothèse qui s’appuie sur le développement des principes pragmatiques et sur la nature anaphorique des pronoms pour justifier l’asymétrie (voir Van Kampen, 2002). Cette hypothèse s’inscrit dans la lignée de Schaeffer (1997) que nous décrivons et rejetons au Chapitre 6.

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2.2.1 Jakubowicz et al. (1996)

Jakubowicz et ses collaborateurs (1996; Jakubowicz & Rigaut, 2000) ont proposé

l’hypothèse de la complexité computationnelle pour rendre compte du phénomène de

l’asymétrie. Selon cette hypothèse, la complexité du calcul computationnel requis pour la

production d’un élément est ce qui détermine son ordre d’acquisition : moins le calcul d’une

catégorie est complexe, plus elle sera acquise rapidement. Les détails concernant le

traitement des clitiques sur lequel cette hypothèse est basée sont présentés à la §2.1.2.2.

La notion de complexité est définie selon deux critères : la présence obligatoire de la

catégorie dans le squelette fonctionnel et le type de fusion (canonique ou non). Le calcul sera

moins complexe si une catégorie fait partie du squelette fonctionnel obligatoire de la phrase

et plus complexe, dans le cas d’une catégorie qui est présente uniquement dans certaines

propositions. La catégorie ne faisant pas partie du squelette fonctionnel obligatoire amène

des informations sémantiques additionnelles. Cette catégorie correspond dans le cas présent,

au clitique objet (à l’objet).

En ce qui a trait à la fusion, une fusion canonique (dans le domaine lexical) est moins

complexe qu’une fusion non-canonique (dans le domaine fonctionnel). Les pronoms forts du

français (des XP) ont une fusion canonique contrairement aux clitiques (des X0). Selon cette

hypothèse, puisque les pronoms forts sont fusionnés de manière canonique, ils devraient

apparaître avant les clitiques.

Dans ce cadre, la seule différence entre les clitiques sujets et les clitiques objets est que les

clitiques sujets font partie du squelette fonctionnel obligatoire, contrairement au clitique

objet. Par squelette fonctionnel obligatoire, les auteurs entendent l’ensemble des catégories

fonctionnelles qui sont présentes dans toutes les propositions. Nous avons expliqué

précédemment que le clitique sujet est considéré comme faisant partie de ce squelette parce

qu’il épelle le sens fini de la phrase.

En résumé, cette hypothèse propose que l’asymétrie est attribuable à la complexité du calcul

computationnel requis selon le type d’élément et fait la prédiction que les pronoms forts

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seront acquis avant les clitiques, et que les clitiques sujets seront acquis avant les clitiques

objets.

2.2.2 Hamann (2003)

Contrairement aux travaux de Jakubowicz, Hamann (2003) n’a pas recours à la notion de

complexité pour expliquer l’asymétrie. Hamann s’appuie plutôt sur l’hypothèse de la

troncation développée par Rizzi (1994; 2000). Selon cette hypothèse, deux contraintes (23)

guident le processus d’acquisition.

(23) a. L’économie structurale21 :

Utiliser le minimum de structure en conformité avec les contraintes de construction adéquate. b. L’uniformité catégorielle22 : Assumer une réalisation structurale unique canonique pour un type sémantique donné.

Hamann propose que contrairement aux clitiques sujets, qui sont considérés comme des

arguments introduits dans une position d’argument (uniformité catégorielle), les clitiques

objets devraient être plus difficiles à acquérir parce qu’ils sont des arguments mais ils

apparaissent dans une position autre, à savoir dans une projection fonctionnelle du domaine

verbal (à cause de leur distribution préverbale). Ainsi, ces éléments ont le statut d’argument

sur le plan sémantique mais non sur le plan syntaxique. Ceci fait en sorte qu’ils vont à

l’encontre de l’uniformité catégorielle parce que leur réalisation structurale n’est pas

typiquement celle d’un argument. Dans ce cas, l’uniformité catégorielle qui est censée

guider le processus d’acquisition n’est d’aucune aide à l’enfant puisque les évidences sont

contradictoires.

Dans le cas du clitique objet, l’auteur propose que l’économie structurale aura préséance

pour un long moment. Cette préséance est ce qui engendre l’omission du clitique objet et

donc l’asymétrie.

21 En anglais : Use the minimum of structure consistent with well-formedness constraints. 22 En anglais : Assume a unique canonical structural realization for a given semantic type.

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It is more likely that the child opts for omitting the clitic and inserting pro in

argument position, an option which is given by French grammar in special

cases. In this case, the child would adhere to categorial uniformity by

employing a DP argument and yet be as economical as possible in using a

lower projection and a non-overt element. (p. 94)

Cette hypothèse fait la prédiction que les clitiques objets, contrairement aux clitiques sujets,

seront omis pour une certaine période. L’auteur ne précise cependant pas la durée de cette

période.

Comme nous l’avons expliqué précédemment, cette hypothèse se distingue des autres qui ont

été proposées pour rendre compte de l’asymétrie parce qu’elle ne s’appuie pas sur la

tripartition. Hamann (2003) adopte plutôt l’analyse par déplacement de Kayne (1975) selon

laquelle les clitiques sujets sont introduits dans une position argumentale. Cette hypothèse ne

s’applique donc pas directement au français parlé mais uniquement au français normatif.

2.2.3 Jakubowicz & Nash (à paraître)

L’hypothèse de Jakubowicz & Nash (à paraître) s’appuie partiellement sur celle de

complexité computationnelle (§2.2.1) et propose toujours qu’il existe un ordre d’acquisition

entre les éléments clitiques. Cependant, cette nouvelle hypothèse est située dans le cadre de

la morphologie distribuée (Halle & Marantz, 1994) (voir §2.1.2.3).

Dans ce cadre, toutes les catégories (lexicales et fonctionnelles) sont composées de traits

syntaxiques. Ainsi, toutes les catégories sont syntaxiques sauf la catégorie Root (racine)

parce qu’il est impossible de décomposer le «sens» en traits syntaxiques. Dans cette nouvelle

analyse, les auteurs reviennent une fois de plus sur la non spécification du trait [animé] pour

ce qui est des clitiques accusatifs de troisième personne. Puisque le trait [animé] est

considéré comme faisant partie de la racine (il s’agit d’un trait lexical), la non spécification

de ce trait les amène à proposer que les clitiques accusatifs de troisième personne n’ont pas

de racine. Ces clitiques sont maintenant vus comme des DP sans couche racine (angl. Root)

(24).

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(24) Clitique accusatif

D 3 [+/- défini] Nb 3 [+/-sing.] N # [+/- masc.]

À partir de ce changement, une autre modification (sur le plan de la fusion) a été apportée à

l’hypothèse originale : les clitiques accusatifs sont maintenant intégrés à la structure dans

une position argumentale, c’est-à-dire de façon canonique. Ainsi les clitiques objets ne sont

plus considérés comme de simples têtes mais plutôt comme des XP. Le fait que ces clitiques

n’aient pas de racine les rend toutefois déficients (au niveau de leur structure interne) et c’est

d’ailleurs cette déficience qui amène leur déplacement. En ce sens, les clitiques objets

diffèrent des DP et des pronoms forts parce que ces derniers, étant pourvus d’une racine

lexicale, ne doivent pas se déplacer.

Dans ce cadre, les auteurs proposent que la difficulté qu’éprouvent les enfants avec les

clitiques accusatifs ne soit pas le mouvement du XP vers une autre position, mais le fait

d’attribuer au clitique objet un statut argumental. La difficulté réside dans cette attribution

parce que le clitique accusatif n’a pas de racine lexicale et qu’il contient seulement des traits

syntaxiques.

Basically, children regard clitic constituents […] as light functional elements

akin to inflection morphemes, rather than as full referential DPs which can

receive a theta-role. To treat clitics like normal arguments which originate

close to the verb, in spite of the absence of the Root layer, is what poses a

special challenge for a child. (p.74-75)

En résumé, Jakubowicz & Nash (à paraître) attribuent l’asymétrie entre la production des

clitiques sujets et objets chez l’enfant à la fois à la structure interne/externe de ces éléments

et à la position qu’ils occupent dans le squelette fonctionnel. Dans cet article, les auteurs

justifient davantage le phénomène de l’omission du clitique objet que celui de l’asymétrie

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comme tel. Néanmoins, l’asymétrie est définie comme se situant au niveau de l’ordre

d’acquisition.

Cette hypothèse fait les prédictions suivantes en ce qui a trait à l’acquisition : 1) les clitiques

sujets seront acquis avant les clitiques objets chez tous les enfants; 2) les clitiques accusatifs

de première et deuxième personnes devraient être acquis avant ceux de la troisième personne

parce qu’ils ont une couche racine; et 3) les clitiques sujets devraient être produits

rapidement et ce, au même moment que la flexion verbale puisque le clitique sujet épelle le

sens fini de la phrase.

2.2.4 Schmitz & Müller (2008)

L’hypothèse de Schmitz et Müller a certaines ressemblances avec la proposition que nous

venons de décrire parce qu’elle suggère qu’une asymétrie existe en acquisition entre les

pronoms qui ont une couche lexicale et ceux qui n’en ont pas. Cette hypothèse est basée sur

les travaux de Gabriel & Müller (2005) qui proposent que seuls les clitiques objets ne

possèdent pas de couche lexicale.

Les auteurs expliquent que si l’asymétrie au niveau de la structure interne se reflète dans le

processus d’acquisition, elle le fera de la manière suivante : «If children rely on the internal

syntactic architecture of pronouns, one can predict that strong pronouns and subject clitics –

element which possess an N-layer – should be acquired together, either before or after object

clitics which lacks the N-layer.» (p.24) En d’autres termes, si la structure interne a un effet

sur le processus d’acquisition, on s’attendrait à ce que les clitiques objets ne soient pas

acquis au même moment que les clitiques sujets et les pronoms forts. Les auteurs expliquent

que la seule façon dont cette prédiction pourrait être falsifiée est si les pronoms forts en

position d’objet apparaissaient beaucoup plus tardivement que les clitiques objets.

Cette hypothèse est basée sur le français normatif. Si nous l’appliquons au français parlé,

elle prédit l’absence d’asymétrie en acquisition parce que les clitiques objets auraient une

structure interne identique à celles des clitiques sujets. Ainsi, ces éléments devraient être

acquis simultanément. Cependant, en français parlé, nous avons vu que seuls les clitiques

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sujets sont redoublés. Puisque les pronoms sujets et objets auraient des structures identiques,

nous ne pourrions pas expliquer ce phénomène.

2.3 Conclusion

Nous avons décrit en détails divers traitements des clitiques ainsi que les hypothèses

élaborées pour rendre compte de l’asymétrie en acquisition. Parmi les traitements, nous

avons conclu que les propositions de Roberge (1990), d’Auger (1994) et de Jakubowicz et

al. (1998) représentaient des outils intéressants sur le plan théorique pour décrire le

phénomène de l’asymétrie. En ce qui concerne les hypothèses élaborées pour rendre compte

de l’asymétrie, nous avons présenté pour chacune d’elles les prédictions qu’elles font pour le

processus acquisitionnel. Ces hypothèses sont évaluées au Chapitre 6 à la lumière des

résultats de la présente étude.

Dans le prochain chapitre, nous nous penchons sur l’asymétrie sujet/objet chez l’adulte

francophone. L’étude de ce phénomène indique que la source de l’asymétrie que l’on

observe chez les enfants francophones est possiblement l’input, qui elle-même est le reflet

des propriétés de la grammaire cible. Si la source réelle de l’asymétrie découle de la

grammaire cible, l’étude de ce phénomène pourrait nous aider à mieux la définir. En ce sens,

cette étape de notre travail est cruciale et constitue une contribution en soi.

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Chapitre 3 L’asymétrie chez l’adulte

Les études antérieures qui ont rapporté une asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets

et objets chez les enfants francophones s’appuient sur la prémisse que l’adulte ne présente

pas d’asymétrie. Le présent chapitre a comme principal objectif de vérifier cette prémisse, et

du même souffle, de décrire avec précision la grammaire du français parlé. Cette description

constitue un travail essentiel à la présente thèse puisqu’elle nous permet d’adopter un

traitement des clitiques à la lumière de données empiriques. Ce traitement des clitiques

s’avère un critère essentiel dans la discussion que nous menons au Chapitre 6.

En première partie, nous présentons très brièvement les études antérieures (Fonàgy, 1985;

Lambrecht, 1986; Lambrecht & Lemoine, 1996, 2005; Larjavaara, 2000; Rasetti, 2003;

Cummins & Roberge, 2005) qui ont mis en doute l’absence d’asymétrie chez l’adulte.

Globalement, ces études démontrent que la grammaire adulte présente trois types

d’asymétrie sujets/objets. Nous définissons ces phénomènes en §3.1 et nous les caractérisons

en détail dans les sections subséquentes (3.2, 3.3, 3.4) en discutant notamment des

hypothèses proposées pour en rendre compte. Nous concluons le présent chapitre (§3.5) avec

une discussion sur les implications de la présence de ces asymétries pour la présente thèse.

3.1 Trois types d’asymétrie : brève revue des études

antérieures

Lambrecht (1986) a mis en lumière la présence de deux différences importantes entre les

sujets et les objets dans la grammaire française : 1) le sujet d’une phrase est

presqu’exclusivement réalisé sous forme pronominale alors que l’objet l’est

presqu’exclusivement sous forme lexicale; et 2) la position de sujet est beaucoup plus

réalisée que la position d’objet. Ces différences ont émergé de l’analyse d’un corpus en

interaction spontanée (François, 1974) qui a été recueilli auprès d’une famille habitant la

région parisienne.

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En ce qui a trait à la première différence, Lambrecht explique qu’il y a une très forte

correspondance en français parlé entre la fonction (sujet/objet) et la forme (pronominale/

lexicale) des arguments d’une phrase. L’analyse de son corpus révèle que le sujet d’une

phrase est pronominalisé dans 97% des cas, contrairement à 11.7% pour l’objet. En

revanche, le sujet apparaît sous forme lexicale (DP) dans seulement 3% des cas alors que

l’objet apparaît sous cette forme dans 88.3% des énoncés. Si l’on fait une comparaison en

nombre absolu entre les éléments pronominaux, on observe que les pronoms sujets sont 20

fois plus fréquents. Certes, ce taux peut varier selon le type de pronoms inclus23 et la nature

de l’entretien, mais il demeure que ces données illustrent incontestablement une différence

très marquée dans l’usage pronominal entre les positions de sujet et d’objet. Le tableau ci-

dessous (3-1) fait état de cette différence, que nous qualifions d’asymétrie de

pronominalisation.

Tableau 3-1 L’asymétrie sujet-objet dans la pronominalisation (Lambrecht, 1986)

Pronoms Éléments lexicaux (DP) Position Total

Compte Taux Compte Taux

Sujet 1486 1 440 97% 46 3% Objet direct 606 71 11.7% 535 88.3%

La deuxième différence mise en évidence par cette étude se situe au niveau de la réalisation

des positions de sujet et d’objet. Dans le corpus étudié, Lambrecht a recensé 1486 sujets et

606 objets. Ceci correspond à une proportion de 2.4 : 1. Nous qualifions cette différence

d’asymétrie de réalisation.

Récemment, plusieurs chercheurs (Fonàgy, 1985; Lambrecht & Lemoine, 1996, 2005;

Larjavaara, 2000; Rasetti, 2003; Cummins & Roberge, 2005) ont exposé une troisième

différence entre le sujet et l’objet dans la grammaire du français. Cette différence touche les

éléments clitiques qui occupent ces fonctions. Globalement, ces études ont démontré que le

clitique objet peut être omis en français (1), ce qui ne semble pas être le cas pour le sujet.

Nous qualifions cette différence d’asymétrie de réalisation clitique.

23 Dans cette étude, le pronom sujet ça/c’ est inclus et représente 28.3% des pronoms sujets (408 occurrences).

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(1) a. A : J’ai un truc pour toi si ça t’intéresse. B : C’est quoi? A : Je crois que t’aimes bien, toi, ce genre de truc. J’ai trouvé hier. (Lambrecht & Lemoine, 1996; p. 297)

b. A. Tu as lu les pages? Il avait lu __ . (Larjavaara, 2000; p.43)

c. A. Maîtrisez-vous vos interviews? C’est capital les interviews. B. Je maîtrise ___. (Larjavaara, 2000; p. 50)

Ensemble, les études antérieures dont nous venons de discuter ont mis en lumière trois

asymétries sujets/objets (2) dans la grammaire du français parlé.

(2) a. L’asymétrie de pronominalisation (type 1) : le sujet est généralement pronominalisé alors que l’objet est généralement introduit sous forme de DP; b. L’asymétrie de réalisation (type 2) : la position de sujet est plus réalisée que la position d’objet; et c. L’asymétrie de réalisation clitique (type 3) : en contexte où la présence d’un pronom clitique est attendue (élément topique dans le discours précédent), le clitique sujet est toujours réalisé contrairement au clitique objet.

Nous caractérisons en détails chacune de ces asymétries et discutons de leur origine

respective dans les sections qui suivent.

3.2 L’asymétrie de pronominalisation

L’asymétrie de pronominalisation se traduit par un nombre plus important (en nombre

absolu) d’éléments pronominaux en position sujet. Bien que ce phénomène ait été reconnu

par l’ensemble des chercheurs en acquisition (not. Jakubowicz & Rigaut, 2000), il n’a pas

été pris en considération de manière explicite dans l’étude de l’asymétrie chez l’enfant.

Lambrecht (1986) a attribué ce phénomène au fait que les locuteurs ont en général une

préférence pour une correspondance entre l’information pragmatique et la structure

syntaxique. Cette préférence est considérée comme universelle, ce qui suppose que l’on

devrait retrouver une asymétrie similaire à travers les langues qui possèdent des pronoms

sujets et objets. En ce sens, il est logique que ce phénomène n’ait pas été pris en

considération dans les études en acquisition puisqu’il n’est pas propre à la grammaire du

français. Ceci fait en sorte que sa présence ne pourrait pas justifier l’asymétrie qui a été

observée chez les enfants francophones.

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Néanmoins, Lambrecht décrit le français parlé comme une langue où la préférence pour une

correspondance entre l’information pragmatique et la structure syntaxique est très marquée.

Notamment, il fait une brève comparaison entre l’anglais, l’italien et le français (voir le

Chapitre 1) où il démontre ce fait. Toutefois, il pourrait s’agir là d’une simple préférence

stylistique.

Or, s’il est juste de dire que l’asymétrie de pronominalisation n’est pas caractéristique à la

grammaire française, cette affirmation n’est véridique que si l’on considère l’ensemble du

système pronominal. Si l’on s’attarde uniquement à certains éléments pronominaux, en

l’occurrence les clitiques (comme c’est le cas dans les études en acquisition), on devrait

s’attendre à ce que l’asymétrie de pronominalisation soit possiblement plus prononcée en

français. Cette manifestation accrue serait attribuable au fait que les éléments clitiques sont

toujours topiques en français et que la position de sujet est topique par défaut contrairement

à la position d’objet.

Selon l’hypothèse élaborée par Lambrecht, la correspondance entre l’information

pragmatique et la structure syntaxique se manifeste d’une manière complexe mais toutefois

non parfaite. De manière plus précise, cette correspondance existe entre le rôle pragmatique

(topique ou focus), la nature de l’information (connue ou nouvelle), le rôle syntaxique (sujet

ou objet), et la forme de l’argument (pronominale ou lexicale). Un topique24 comprend de

l’information connue, il apparaît majoritairement en position sujet et il est généralement

réalisé sous forme pronominale. En revanche, un focus25 comprend de l’information

nouvelle, il apparaît habituellement en position d’objet et il est souvent réalisé sous forme

lexicale. S’il est vrai que l’information connue (topique) apparaît généralement sous forme

pronominale, un pronom peut néanmoins référer à de l’information nouvelle (focus). En

d’autres termes, les pronoms ont en général la propriété d’être topique ou focus. Ce qui

confère à un pronom son statut pragmatique (topique ou focus) est l’accentuation. Un

24 «…the entity which the proposition is about, i.e. the discourse referent itself about which new information is being added in the proposition.» (p.93) 25 «..the pragmatically non-recoverable to the recoverable component of a proposition [thereby creating] a new state of information in the mind of the addressee. » (Lambrecht; 1994, p.218)

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pronom topique (information connue) est inaccentué alors qu’un pronom focus (information

nouvelle) est accentué (Goldberg, 2008, p.2). Or, le fait qu’un pronom puisse être accentué

découle en partie de la position qu’il occupe.

En français, les pronoms clitiques sont toujours topiques (outre dans les impératives) de par

la position qu’ils occupent. Or, puisqu’il existe une correspondance entre le rôle syntaxique

de sujet et l’information topique, on s’attendrait naturellement à retrouver un nombre

important de clitiques en position sujet. En revanche, puisque le rôle syntaxique d’objet

correspond à de l’information nouvelle, on s’attendrait à voir peu de clitiques objets puisque

ces éléments sont toujours topiques. L’asymétrie de pronominalisation devrait en principe

être moins marquée si l’on cible l’ensemble des pronoms (focus/forts et topiques/clitiques).

De plus, si l’on adopte l’analyse de Roberge (1990) qui propose que le clitique sujet est un

accord sujet-verbe en français parlé, il va de soi que cet élément sera davantage produit

parce qu’il sera présent même dans les cas où le sujet est focus (redoublement). Ce statut

d’accord expliquerait simplement pourquoi l’asymétrie de pronominalisation est si marquée

en français parlé.

3.3 L’asymétrie de réalisation

L’asymétrie de réalisation se traduit par un nombre plus important d’éléments réalisés en

position sujet. Ce phénomène a d’abord été décrit par Lambrecht et a par la suite été

caractérisé en détails par d’autres chercheurs, dont notamment Rasetti (2003). Rasetti

identifie de manière assez précise un nombre important de contextes dans lesquels l’objet

peut être non réalisé dans la grammaire adulte, ce qui n’est pas le cas pour le sujet. Elle

explique que bien que le français ne soit pas considéré comme une langue à objets nuls,

l’omission de l’objet avec un verbe transitif est fréquente chez l’adulte francophone. Rasetti

reconnaît donc que la transitivité est optionnelle et non catégorique. Les phrases en (3)

représentent cette optionalité.

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(3) a. Julie mange ___.

b. Julie mange le gâteau.

En l’absence d’un référent défini (linguistique ou extralinguistique), l’interprétation de

l’objet nul en (3a) est prototypique et provient directement de la sémantique du verbe.

Rasetti résume ce type de contexte en ces mots : «The intransitive variant of this alternation

involves an unexpressed but understood object, which is interpreted as somehow canonical

or prototypical. » (p. 236)

De plus, l’auteur explique que l’omission des objets ayant un référent défini (non réalisation

de l’objet) est possible et attribuable au contexte pragmatique : «Colloquial French admits

complement omission in undoubtedly transitive environments in informal situations, in so

far as pragmatic factors allow for the identification of the implicit referent.» (p. 237)

Plusieurs exemples (4) sont donnés pour illustrer ce type d’omission, qualifié de ‘légitime’.

(4) a. Tu veux que j’ouvre. [= la boîte].

b. Tu cherches. [= choupi].

c. On enlève. [= les cartes]

Rasetti décrit ces contextes comme étant contrôlés sur le plan pragmatique (angl.

Pragmatically Controlled Anaphora, PCA) :

In such constructions, the interpretation of the missing object appears to be

definite and anaphoric to some linguistic or pragmatically salient element.

Thus the possibility of omitting a complement exists only on condition that

the omission is authorized by a particular lexical item or grammatical

construction in the language, and within an ongoing discourse in which the

missing information can be immediately retrieved from the context. (p. 240)

L’auteur nuance cependant cette affirmation en expliquant que certains verbes permettent

moins l’omission de leur objet défini, et ce, indépendamment du contexte dans lequel ils sont

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produits. Ce phénomène est donc non catégorique mais le verbe semble y jouer un rôle. Par

exemple, il serait moins probable de laisser tomber l’objet avec des verbes légers26 tels faire

et prendre ou avec des verbes ditransitifs tels mettre ou donner. Cette caractéristique est

cependant une fois de plus nuancée puisque l’auteur explique que les verbes ditransitifs (5)

permettent la plupart du temps l’omission d’un des arguments objets en français parlé.

(5) Je (le) lui donne.

Outre cette nuance, l’auteur suggère également que le temps semble jouer un rôle dans le fait

qu’un objet défini sera produit ou omis : «transitive verbs which allow for object drop

usually refer to ongoing actions and are generally inflected for the present tense.» (p. 240).

De plus, certaines classes de verbes sont propices à l’omission. C’est le cas notamment des

verbes modaux (falloir , pouvoir, vouloir, aller), aspectuels (commencer, continuer, finir ),

épistémiques (comprendre, croire, penser) et de perception (écouter, voir, regarder).

L’omission de l’objet avec ces verbes est fréquente parce qu’ils sont souvent utilisés dans

des expressions figées où l’objet est implicite et anaphorique au contexte linguistique ou

extralinguistique. L’exemple suivant (6) illustre ce type d’omission avec un verbe aspectuel.

(6) Isa : faut finir notre casse-tête avant.

Isa : viens, on va finir.

(Corpus Belzil, Ana & Élie-9)

Les constructions impératives (7) sont aussi très susceptibles d’apparaître sans leur objet

défini en français parlé (voir également Larjavaara, 2000).

(7) Tourne __ encore, oui. (Rasetti, 2003 - Louis : 1;10.19 (la mère))

Rasetti a certes effectué un travail colossal en ce qui a trait à la caractérisation des contextes

dans lesquels l’objet peut être non réalisé. Toutefois, ce qui ressort de son analyse est qu’il

est extrêmement difficile, voire impossible, de définir les contextes dans lesquels la

production de l’objet est obligatoire en français parlé.

26 Un verbe léger est un verbe qui participe à une prédication complexe (V+V ou V+N) et qui a peu de contenu sémantique (ex. faire semblant, prendre un coup).

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Globalement, cette étude démontre que la transitivité d’un verbe n’est pas un facteur qui

entraîne automatiquement la réalisation de l’objet, que celui-ci soit défini ou non. Si certains

verbes semblent davantage transitifs, il demeure que la présence d’un référent dans le

contexte linguistique ou extralinguistique peut entraîner l’omission de l’objet défini. En

résumé, la production de l’objet n’est pas systématique contrairement à celle du sujet.

Les travaux de Lambrecht et de Rasetti ont clairement démontré la présence d’une asymétrie

de réalisation sujet/objet en français. Cependant, tout comme dans le cas de l’asymétrie de

pronominalisation, ce phénomène ne semble pas unique au français. Récemment, des

chercheurs (Goldberg, 2000; Cummins & Roberge, 2005) ont formulé des hypothèses pour

expliquer la réalisation non systématique de l’objet. Puisque ce phénomène est ce qui

engendre l’asymétrie de réalisation, nous discutons des ces hypothèses dans les sections

subséquentes (3.3.1, 3.3.2). Ces analyses se distinguent de par l’approche qu’elles adoptent :

alors que Goldberg (2000) se veut principalement pragmatique, l’analyse de Cummins &

Roberge (2005) est plutôt syntaxique. Nous concluons la présente section avec une

comparaison entre ces deux approches.

3.3.1 Approche pragmatique

Goldberg (2000) identifie ce qui, sur le plan pragmatique, permet à l’objet non défini d’être

omis (non réalisé), ce qui ne semble pas une possibilité pour le sujet. Dans son étude,

l’auteur propose le principe d’omission en (8) pour les arguments ayant le rôle thématique de

patient.

(8) Omission under Low Discourse Prominence

Omission of the patient argument is possible when the patient argument is

construed to be de-emphasized in the discourse vis à vis the action. That is,

omission is possible when the patient argument is not topical (or focal) in the

discourse, and the action is particularly emphasized. (Goldberg; 2000, p. 18)

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Ce principe exprime qu’un argument ayant le rôle thématique de patient peut être omis sous

certaines conditions : 1) l’objet ne doit pas être focus; 2) il ne doit pas être topique; et 3)

l’action doit être accentuée.27 Goldberg explique qu’un référent prévisible est un bon

candidat pour l’omission parce qu’il n’amène pas d’information nouvelle et donc n’est pas

focus. La sémantique du verbe joue un rôle capital dans l’omission du patient parce que

certains verbes (ex. recycler vs. casser) ont un argument patient (objet) plus prévisible, ce

qui les rend particulièrement non informatifs et donc non focus. Selon cette hypothèse, on

s’attendrait donc à ce qu’il y ait un effet lexical quant à l’omission du patient.

La deuxième condition pour l’omission (de l’argument) est que le patient ne doit pas être

topique : «Topical elements are most often definite, so the indefinite, non-specific nature of

the patient argument makes them ill-suited for topical status.» (p.14) Toujours selon cette

approche, on s’attendrait à ce qu’un patient défini et spécifique soit moins susceptible d’être

omis puisque sa nature le rend généralement topique.

La troisième condition nécessaire à l’omission selon Goldberg est que le verbe doit être

particulièrement accentué : « an object argument is omissible when it is not prominent in the

discourse, and when there is additionally reason to shift attention toward the action and

therefore away from the object itself. » (p.18) Cette condition est en quelque sorte une

conséquence du fait que l’argument patient n’est ni topique, ni focus. L’accent sur le verbe

peut être mis de plusieurs façons, dont notamment la répétition (9a), la focalisation (le verbe

amène de l’information pertinente et nouvelle) (9b), ou le contraste (9c).

(9) a. Vincent a poussé et poussé, mais Cyntia tirait de l’autre côté.

b. Audrey a pris son couteau à viande et a commencé à couper.

c. Cyntia ne mange pas, elle avale tout rond.

Cette approche justifie de manière précise l’omissibilité de l’argument patient, donc de

l’objet en général. Selon cette approche, des facteurs pragmatiques engendreraient

l’asymétrie de réalisation que l’on observe chez les locuteurs francophones. Cependant,

plusieurs études tendent à contredire la corrélation qui existe entre la pragmatique et

27 Le terme ‘accentuée’ désigne que l’action est le topique de la phrase, l’élément sur lequel on insiste.

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l’omissibilité des arguments puisque celle-ci ne semble pas s’appliquer de la même manière

à travers les langues. Par exemple, plusieurs études (not. Bloom 1970, Hyams, 1986)

démontrent que les arguments topiques sont ‘de bons candidats’28 pour l’omission. Cette

conclusion a été tirée de la présence des langues dites à sujets nuls (ex. l’espagnol).

Cependant, la plupart de ces langues ont un système flexionnel riche, ce qui a amené de

nombreux chercheurs (not. Lambrecht, 1994) à conclure que la flexion représentait le sujet.

Ainsi, ces langues ne peuvent pas être considérées comme l’évidence qu’un argument

topique est particulièrement omissible.

Il existe néanmoins, tel que l’explique Goldberg, d’autres langues (ex. le chinois, le coréen)

qui permettent l’omission des sujets topiques sans pour autant qu’elles n’aient de système

flexionnel compensatoire. Dans ces langues, Goldberg explique que l’omission de l’objet

topique est également possible à la condition que son interprétation soit récupérable et qu’il

n’apporte pas d’information nouvelle. Les évidences contradictoires au sujet de la

corrélation entre le statut pragmatique des arguments et l’omissibilité amènent Goldberg à

conclure qu’il n’existe pas de hiérarchie universelle à ce sujet mais elle suggère néanmoins

que la pragmatique joue un rôle dans ce phénomène. L’auteur tire donc la conclusion

suivante : « To summarize, discourse factors strongly motivate the phenomenon of argument

ellipsis, although it is clear that languages conventionally allow ellipsis under different

circumstances and to different contexts. » (Goldberg, 2008, p. 10)

Si l’on étend cette hypothèse à l’asymétrie de réalisation, elle propose que ce phénomène ne

soit pas universel puisque tout dépend de la façon dont les langues intègrent les facteurs

pragmatiques. Certaines langues omettent particulièrement les arguments topiques alors que

d’autres réalisent systématiquement ce type d’argument. Bien qu’on ne puisse nier

l’importance de la pragmatique en général, son lien avec l’omissibilité des arguments semble

toutefois fragile.

28 Nous reprenons ici l’expression utilisée par Goldberg.

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3.3.2 Approche syntaxique

Cummins & Roberge (2005) ont proposé que la non-réalisation de l’objet soit engendrée par

un lien sélectionnel entre le verbe et l’objet. Cette sélection (de l’objet par le verbe) assure

une relation hyponimique entre ces éléments (Hale & Keyser, 2002) et amène une

interprétation de l’objet qui correspond à la sémantique du verbe. Cette hypothèse rend donc

compte de l’omission de l’objet non défini. Par exemple, dans le cas d’un verbe que l’on

qualifierait d’intransitif, les auteurs proposent qu’un nom nu (N) est inséré en position

d’objet (10).

(10) Jean danse N. (= une danse)

Cette proposition est basée sur l’hypothèse de Hale & Keyser (2002) et sur les travaux de

Roberge (2002) qui ont mis en lumière que les verbes intransitifs ne sont pas les seuls à

pouvoir apparaître sans objets. Contrairement à ce qui est généralement pris pour acquis, les

verbes transitifs apparaissent fréquemment sans objet au même titre que les verbes que l’on

qualifie d’intransitifs peuvent avoir un objet. Devant ces constats, Roberge (2002) a formulé

l’hypothèse que la transitivité verbale découle de la syntaxe et non de la sémantique. Cette

hypothèse, nommée Transitiviy Requirement, propose qu’une position de complément est

toujours associée au verbe en syntaxe (11), et ce indépendamment du statut ‘transitif’ ou

‘intransitif’ du verbe.

(11) Hypothèse du Transitivity Requirement

V 3

V objet

Dans ce cadre, tous les verbes sont considérés comme transitifs. La différence entre les

verbes se situe dans le degré de manifestation explicite (avec objet réalisé) de cette propriété.

Ce qui distingue une phrase avec objet d’une phrase sans objet apparent, est la nature de

l’objet introduit et non le fait qu’une position soit présente en syntaxe. Les phrases en (12a)

et (12b) illustrent cette différence.

(12) a. Cyntia mange N.

b. Cyntia mange la pomme.

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En (12a), un objet nul générique est introduit (N) alors qu’en (12b), un DP est introduit. En

résumé, cette hypothèse propose que la présence de l’objet nul non référentiel (N) soit

attribuable au lien sélectionnel entre le verbe et son objet.

Si l’on étend cette hypothèse à l’asymétrie de réalisation, on pourrait déduire que la présence

même de ce phénomène indique que le verbe n’entretient pas de relation sélectionnelle avec

son sujet. Dans le cadre minimaliste (Chomsky, 1995; 2000), cette différence est d’ailleurs

reconnue mais elle est interprétée comme l’évidence que le verbe a une relation sémantique

moins proche avec son argument externe (le sujet). Cette différence est formalisée par le

Predicate-Internal Subject Hypothesis (PISH) qui est basé sur de nombreux travaux faits

dans le cadre du gouvernement et du liage. Notamment, Koopman & Sportiche (1991) ont

proposé le VP-Internal Subject Hypothesis pour expliquer la différence de proximité que

l’on observe entre le verbe et ses arguments.

Selon cette hypothèse, puisque l’argument externe (le sujet) reçoit un rôle thématique du

verbe, il est considéré comme étant en relation avec ce dernier, au même titre que l’argument

interne (l’objet). La relation de non proximité du verbe avec l’argument externe est

expliquée par le fait qu’il reçoit son rôle thématique du groupe verbal (verbe + objet),

contrairement à l’argument interne, qui lui, le reçoit directement du verbe. Dans le cadre

minimaliste, il y a deux relations qui peuvent assurer l’attribution des rôles thématiques : la

relation tête-complément et la relation spécifieur-tête. Selon cette hypothèse, l’argument

interne occupe la position de complément et l’argument externe, celle de spécifieur. Ces

positions font en sorte que l’argument interne reçoit son rôle thématique directement du

verbe alors que l’argument externe, étant fusionné (angl. merge) ultérieurement, le reçoit du

groupe verbal déjà formé du verbe et de son objet. Les structures en (13) illustrent ces

relations.

(13) Structure argumentale selon le VP-Internal Subject Hypothesis

Étape 1 : Première fusion V 2 V DP mange la pomme

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Étape 2 : Seconde fusion VP 3 Ariane V 2 V DP mange la pomme

Selon cette hypothèse, l’argument externe reçoit son rôle thématique à la suite de l’argument

interne. Cependant, puisque l’argument externe est en relation Spec-tête avec le verbe et que

c’est quand même ce dernier qui lui attribue un rôle, on doit conclure que l’argument externe

est sélectionné par le verbe au même titre que l’argument interne. Si le sujet était sélectionné

sémantiquement par le verbe au même titre que l’objet, on s’attendrait minimalement à

retrouver des sujets nuls génériques dont la sémantique découle du verbe (ex. N mange une

pomme). Or, les travaux de Roberge (2002) suggèrent que ce type de sujet semble inexistant.

La présence même de l’asymétrie de réalisation indique que seul l’argument interne (l’objet)

serait véritablement sélectionné par le verbe. Marantz (1984) a d’ailleurs déjà proposé une

hypothèse qui va dans ce sens. Concrètement, il propose que le verbe n’a qu’un seul

argument : l’argument interne. Cette proposition a été initialement basée sur le fait que

l’argument interne entraîne une interprétation particulière du verbe, ce qui n’est pas le cas de

l’argument externe. Des exemples (Marantz, 1984) démontrant le lien particulier entre le

verbe et l’argument interne sont présentés en (14).

(14) a. throw a baseball.

b. throw support behind a candidate.

c. throw a boxing match .

d. throw a party.

e. throw a fit.

Plusieurs auteurs dont Kratzer (1996) et Pyllkanen (2002) ont appuyé l’hypothèse de

Marantz en illustrant d’autres propriétés qui distinguent l’argument externe de l’argument

interne. Notamment, Kratzer (1996) a démontré que le verbe n’impose pas de restriction en

ce qui a trait à la sélection de l’argument externe : «If external arguments are true arguments

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of the verbs, then we expect verbs to impose selectional restrictions on external arguments

…» (p. 115). De plus, Kratzer a expliqué que la corrélation qui existe entre la présence de

temps et la réalisation de l’argument externe appuie l’hypothèse de Marantz :

…the head that introduces external arguments is not always present (e.g. in

gerunds). If it is a lexical head, its defective distribution comes as a surprise.

It is not a familiar phenomenon. But if it is an inflectional head, it is expected

that it must be present in some constructions, and absent in others. In

particular, it must be present in finite construction. (p.118)

Kratzer soulève ici un point particulièrement pertinent. Si la présence ou l’absence d’un

argument est systématique, comme c’est le cas pour le sujet, il ne peut que dépendre d’une

tête fonctionnelle. Ainsi, elle propose que les arguments soient introduits par des têtes

syntaxiques de nature différente : une tête lexicale (le verbe) dans le cas de l’argument

interne et une tête fonctionnelle (Voice) dans le cas de l’argument externe. Cette structure est

illustrée en (15).

(15) Relation des arguments avec le verbe

VoiceP 3 Arg. externe Voice’ 3 Voice VP 3

Arg. interne V’ 3 V …

Selon cette analyse, l’argument externe dépend d’une projection fonctionnelle dans le

domaine de Infl. Cette projection dénote une relation thématique et se joint au VP pour

ajouter un participant à l’évènement décrit par le verbe et son objet (Kratzer, 1996;

Pyllkanen, 2002). Ainsi, la réalisation de l’argument externe ne dépend pas du verbe mais

plutôt du domaine fonctionnel.

Cette analyse explique simplement pourquoi l’objet semble avoir des liens sémantiques très

étroits avec le verbe et pourquoi il ne semble pas exister de contrepartie à l’objet nul

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stéréotypé (N) décrit par Roberge (2002) et Cummins & Roberge (2005). En résumé, cette

proposition permet de décrire adéquatement l’asymétrie de réalisation.

Concrètement, ce que Kratzer a proposé est de sevrer l’argument externe du lien sémantique

qui l’unissait au verbe. Récemment, Borer (2005) a proposé que l’argument interne devait

subir le même sort : ‘I will suggest a Neo-Davidsonian representation, based on the fact that

neither internal nor external arguments are assigned by the verb…’ (p. 11-26). Borer propose

plutôt que l’argument interne est assigné par une structure évènementielle fonctionnelle.

(16) Structure selon Borer (2005)

Tmax 3 Spec. 3 Sujet T Aspmax 3

Spec 3 Objet Asp VP !

L’auteur justifie partiellement son approche en soulignant les problèmes auxquels fait face la

proposition de Kratzer. L’une d’entre elles est le fait qu’elle ne peut rendre compte du

phénomène de la transitivité optionnelle : «…any theory that assumes internal, but not

external, lexical assignment […] is faced with serious problems in accounting for the

properties of variable behavior verbs. » (p. 11-27). Le problème que Borer soulève est certes

pertinent, mais l’hypothèse du Transitivity Requirement proposée par Roberge (2002) offre

une solution simple à ce problème, et ce, tout en étant compatible avec la structure proposée

par Kratzer. Contrairement à Kratzer, Roberge propose plutôt que c’est la structure qui

demande une position d’objet et non le verbe comme tel. Ainsi, le fait qu’un verbe

apparaisse parfois avec ou sans un objet n’est pas un problème en soi puisqu’il assume qu’il

y a toujours une position d’objet.

De manière globale, la préoccupation centrale du travail de Borer est d’éliminer la

catégorisation qui est normalement attribuée aux éléments lexicaux. Selon cette approche, la

catégorisation d’un item lexical en tant que verbe ou nom est une conséquence de la

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structure syntaxique dans laquelle l’élément est inséré. Or, le débat relatif à la présence ou à

l’absence de la catégorisation va au-delà de l’objectif que nous poursuivons dans le présent

travail et c’est pourquoi nous n’abordons pas directement cette question. De plus, puisque

nous n’adoptons pas en tout point la proposition de Kratzer, c’est-à-dire que nous ne

considérons pas que c’est le verbe qui demande un ou des arguments mais plutôt le VP qui

donne une position de complément où s’insère l’objet, notre proposition n’entre pas en

conflit avec celle de Borer. Pour les besoins du présent travail, nous estimons que

l’hypothèse de Kratzer, nuancée par celle de Roberge, arrive à rendre compte adéquatement

de l’asymétrie de réalisation.

3.3.3 Conclusion

Nous avons vu dans la présente section deux hypothèses qui ont été proposées pour rendre

compte de l’omissibilité de l’objet : l’une s’appuie sur des facteurs pragmatiques et l’autre

sur les propriétés de la structure syntaxique. L’asymétrie de réalisation est un phénomène qui

permet de juger de la validité de ces hypothèses. Notre analyse sur le sujet nous amène à

préférer l’approche syntaxique puisqu’elle s’avère supérieure de par sa cohérence.

L’hypothèse de Goldberg explique que l’asymétrie de réalisation telle que nous l’observons

en français n’est pas universelle parce que les facteurs pragmatiques ne se manifestent pas de

la même manière à travers les langues. Par exemple, dans une langue comme le chinois où

les arguments topiques sont particulièrement omissibles, on s’attendrait à observer une

asymétrie inverse, c’est-à-dire en faveur des objets. Ceci est attribuable au fait que les sujets

sont habituellement des topiques, contrairement aux objets. On s’attendrait à observer ce

phénomène, et ce, même si l’on considère que certaines omissions de l’objet sont

attribuables à la ‘désaccentuation’ de l’objet vis-à-vis l’action (angl. Omission under Low

Discourse Prominence).

Si l’on fait abstraction des variations interlinguistiques en ce qui à trait au caractère topique

des arguments, cette hypothèse prédit qu’on devrait observer une asymétrie universelle en

faveur des sujets. En d’autres termes, si aucune langue ne permettait particulièrement

l’omission des arguments topiques, on s’attendrait à ce que les sujets soient toujours

davantage réalisés. Bien que les différences interlinguistiques ne soient pas problématiques

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comme telles, elles mettent en évidence une certaine incohérence dans l’hypothèse de

Goldberg, à savoir l’absence de corrélation directe entre les facteurs pragmatiques et

l’omissibilité des arguments.

L’absence de cette corrélation est cruciale puisque l’hypothèse proposée par l’auteur

s’appuie sur une corrélation de ce type. Cette hypothèse ne peut expliquer pourquoi les

mêmes facteurs pragmatiques s’appliqueraient à la fois de manière universelle et de manière

spécifique. Néanmoins, il demeure que ces facteurs doivent forcément jouer un rôle

important dans les langues. Nous ne saisissons peut-être seulement pas encore complètement

leur contribution.

En ce qui a trait à l’hypothèse selon laquelle certaines omissions de l’objet (non défini)

seraient attribuables à un lien sélectionnel particulier qui existe entre le verbe et son objet

(Kratzer, 1996; Roberge, 2002; Cummins & Roberge, 2005), nous la jugeons supérieure

puisqu’elle permet simplement de décrire l’asymétrie de réalisation.

3.4 L’asymétrie de réalisation clitique

L’asymétrie de réalisation clitique se traduit par une réalisation constante du clitique sujet et

une réalisation non catégorique du clitique objet dans les contextes où la pronominalisation

des arguments définis (topiques) est attendue. Cette asymétrie s’appuie sur les travaux de

plusieurs chercheurs (not. Fonàgy, 1985; Lambrecht & Lemoine, 1996; 2005; Larjavaara,

2000; et Cummins & Roberge, 2005) qui ont rapporté que les clitiques objets (donc définis)

sont omis dans divers contextes chez l’adulte francophone, contrairement aux clitiques

sujets.29

De plus, il a également été suggéré que l’omission des clitiques objets était plus marquée

dans certaines variétés, dont notamment le français européen (voir Cummins & Roberge,

2005). Bien que ces études aient mis en lumière ce phénomène, il existe peu d’études qui en

ont vérifié l’étendue sur le plan empirique. À notre connaissance, il existe 4 études en

29 À noter que ces chercheurs ne se sont pas penchés sur le phénomène de l’asymétrie comme tel.

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production induite et une seule en interaction spontanée qui ont effectué cette tâche. Notre

revue comparative des résultats de ces études en §3.4.1 illustre que l’omission du clitique

objet est un phénomène présent uniquement en interaction spontanée, donc en français parlé.

Ces résultats contradictoires démontrent la nécessité d’analyser d’autres données en

interaction spontanée, ce que nous faisons en §3.4.2. Nous concluons la présente section

(3.4.3) avec une discussion sur les implications théoriques de cette asymétrie pour le statut

syntaxique des éléments clitiques.

3.4.1 Études empiriques antérieures

Les études en production induite (Van der Velde, 2003; Pérez-Leroux et al., 2008;

Jakubowicz & Nash, à paraître; Pérez-Leroux et al., manuscrit) qui se sont penchées sur la

production/l’omission des clitiques sujets et objets présentent des résultats qui suggèrent que

les clitiques objets, tout comme les clitiques sujets ne sont pas omissibles chez l’adulte

francophone. La méthodologie utilisée dans ces études était somme toute, très similaire. Au

cours de la tâche d’élicitation, une image sur laquelle un personnage (sujet) effectuait une

action impliquant un objet (direct) était présentée aux participants. À la suite d’une très

brève introduction, les chercheurs posaient une (17a) ou deux questions (17a et 17b) selon

les études.

(17) a. Que fait X?

b. Que fait X à Y? ou Qu’est-ce que X fait à Y?

La question en (17a) avait pour but d’éliciter le clitique sujet et celle en (17b) les clitiques

sujet et objet. Ces questions comportaient des éléments lexicaux (DP) en position de sujet et

d’objet. Un exemple tiré de Pérez-Leroux et al. (2008) est présenté en (18).

(18) Question : Qu’est-ce la fille fait avec la fleur?

Réponse : Elle la sent.

Les résultats de ces études figurent au Tableau 3-2. Ce tableau met en évidence les tendances

suivantes : 1) une production systématique et homogène du clitique sujet en contexte où il

est attendu; 2) une variation au niveau de la forme de l’objet produit (DP et clitique); et 3)

une très légère variation au niveau de la réalisation du clitique objet. Globalement, ces

résultats suggèrent qu’il n’y a pas d’asymétrie de réalisation clitique chez l’adulte

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francophone, ce qui va directement à l’encontre de ce qui a été rapporté par de nombreux

chercheurs (voir §3.1).

Tableau 3-2

Taux de production et d’omission des clitiques sujets et objets dans les études en production induite chez les adultes

Objets

Études

Nombre de participants

Clitiques DP Omissions Autres

Sujets

Van der Velde (2003) 12 1 0 0 0 1

Pérez-Leroux et al. (manuscrit)

15 0.42 0.36 0.06 0.16 0.99

Jakubowicz & Nash (à paraître)

12 1 0 0 0 1

Pérez-Leroux et al. (2008)

30 0.82 0.18 0.01 0 1

En ce qui a trait à la seule étude qui s’est penchée sur la production/l’omission du clitique

objet en interaction spontanée (Pirvulescu, 2006), ses résultats illustrent que l’omission du

clitique objet est un phénomène non marginal dans la grammaire adulte. Cette étude présente

l’analyse de trois corpus (Corpus York : Mona, Para; Corpus Champaud) où les adultes

interagissent avec des enfants (angl. child directed speech). Dans le but de mesurer

adéquatement le taux de production/d’omission des clitiques objets, l’auteur a identifié et

ciblé les contextes dans lesquels ces éléments (3ème personne) sont susceptibles

d’apparaître. L’auteur définit ce contexte ainsi : « in the clitic-context the referent is definite;

it is the topic of the discussion; and it is contained in the immediately preceding discourse. »

(p.7)

Les résultats rapportés par Pirvulescu illustrent que même dans ce contexte considéré

comme ‘obligatoire’ par de nombreux chercheurs (ex. Huang, 1984), le clitique objet n’est

pas toujours produit. Concrètement, l’auteur observe que le clitique objet est omis (en

moyenne) dans 9.4% des cas chez les adultes analysés. Ces résultats démontrent que ce

phénomène est non négligeable, contrairement à ce qui a été observé dans les études en

production induite. La dichotomie entre la production spontanée et la production induite

Page 71: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

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laisse perplexe, d’autant plus que le contexte défini par Pirvulescu avait pour but de cibler

les contextes identiques à ceux de la production induite.

Cette différence découle possiblement du fait que les adultes ont une tendance à utiliser un

français plus normatif en situation de test. Cependant, nous laissons cette question de côté

puisqu’elle va au-delà de notre but actuel. Ce qui s’avère crucial pour notre étude est que le

travail de Pirvulescu a démontré que l’omission du clitique objet était un phénomène réel et

non négligeable chez les adultes francophones en français parlé. Bien que cette étude

suggère fortement la présence d’une asymétrie de réalisation clitique, son but n’était pas de

caractériser ce phénomène. Nous effectuons ce travail dans la prochaine section.

3.4.2 Caractérisation de l’asymétrie de réalisation clitique

Dans le but de caractériser spécifiquement l’asymétrie de réalisation clitique dans la

grammaire du français parlé, nous avons analysé en détails les productions de 5 adultes en

situation d’interaction spontanée avec des enfants.30 Quatre corpus sont en français européen

(Childes : Corpus Geneva; Corpus Lyon : Marie, Ana et Tim) et le cinquième est en français

québécois (Belzil). Nous présentons d’abord une analyse quantitative du phénomène (taux

de production et d’omission), suivie d’une analyse qualitative (contextes).

Afin de déterminer la fréquence de production/d’omission du clitique accusatif chez l’adulte,

nous avons retenu les contextes dans lesquels un référent linguistique est présent dans les 10

lignes précédant la production de l’adulte. Contrairement à Pirvulescu (2006), nous avons

exclu les contextes contenant un DP (19) puisque la répétition d’un élément sous sa forme

lexicale est très fréquente dans ce type d’interaction et indique possiblement que l’objet n’a

simplement pas été topicalisé.

(19) Adulte : Est-ce que tu as encore la grippe? Ana : Oui. Adulte : Qui t’a donné cette grippe-là? (Corpus Belzil, 9)

30 Cette analyse est basée sur un échantillonnage, à savoir 1 enregistrement par adulte. Chacun de ces enregistrements était d’une durée variant entre 40 et 60 minutes et contenait un minimum de 45 contextes clitiques objets.

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De plus, nous avons exclu l’expression figée Fais voir très fréquente en français européen,

l’expression Montre (Montre donc!) aussi très fréquente en français québécois, ainsi que tous

les contextes31 où il était impossible de déterminer si l’objet omis (nul) avait un référent

spécifique ou s’il impliquait un CP (20).

(20) Mère : et là qu’est-ce qu’i(l) fait?

Mère : Montre! (=ce qu’il fait?) (Corpus Geneva, Gen16)

Voici un exemple de ce que nous considérons comme une omission du clitique objet.

(21) Mère : L’armoire de tes chaussures est fermée? Enfant : mh. Mère : C’est papa qui a fermé? (Marie 34, Corpus Lyon)

Les résultats de notre analyse sont présentés dans le Graphique 3-3. Ces résultats illustrent

que la production du clitique objet n’est pas systématique : les taux d’omission varient entre

4.4% et 28.9%.

Graphique 3-3

Taux de production et d’omission des clitiques objets chez 5 adultes francophones (Corpus Belzil, Geneva et Lyon)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

Corpus Belzil CorpusGeneva

Corpus Lyon(Marie)

Corpus Lyon(Ana)

Corpus Lyon(Tim)

Corpus

Tau

x

Omission

Clitique

31 À noter que l’exclusion de ces contextes fait peut-être en sorte que nous sous-estimons la fréquence de l’omission du clitique objet chez l’adulte.

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Nos résultats confirment donc ceux de Pirvulescu (2006) et démontrent que l’omission du

clitique objet est non marginale chez l’adulte en français parlé. De plus, nous observons que

le taux d’omission rapporté dans le corpus en français québécois est inférieur (4.4%) à ce

que l’on observe en français européen (19.8%-28.9%). Cette différence appuie l’observation

de Cummins & Roberge (2005) selon laquelle l’omission du clitique objet est plus marquée

en français européen. Néanmoins, les données dont nous disposons sont beaucoup trop

fragmentaires pour que nous soyons en mesure de tirer une conclusion ferme sur le sujet.

En ce qui a trait au clitique sujet, notre analyse nous amène à conclure que son omission en

français moderne n’est pas très fréquente, mais cependant possible (voir, Roberge, 1990;

Auger, 1994). Notamment, le verbe falloir (22a) est particulièrement susceptible d’apparaître

sans sujet. C’est aussi le cas du verbe être à la troisième personne du singulier (féminin)

(22b) et à la troisième personne du pluriel (22c) au présent de l’indicatif en français

québécois.

(22) a. (Il) faut partir bientôt.

b. (Elle) est belle.

c. (Ils/Elles) sont partis.

L’omission du clitique sujet en français européen et en français québécois a une distribution

très restreinte et n’apparaît qu’avec certains verbes. En ce sens, le type d’omission que nous

observons pour le sujet semble incomparable à ce que nous avons vu pour l’objet.

En conclusion, notre analyse de l’asymétrie de réalisation clitique suggère que les clitiques

sujets sont produits systématiquement, contrairement aux clitiques objets en français parlé.

À la suite de notre analyse quantitative, nous avons examiné en détails les contextes dans

lesquels les clitiques objets étaient omis. Cette analyse a pour but de donner une

caractérisation qualitative du phénomène. En premier lieu, nous avons vérifié si l’omission

du clitique objet était typique de certaines constructions. Notre analyse démontre que ce

n’est pas le cas puisque ce phénomène apparaît dans une variété de constructions. Nous en

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avons retrouvé dans les impératives (23a, 30.2%), les déclaratives/interrogatives (23b,

53.5%), avec des verbes ditransitifs (23c,14%), et même en dislocation (23d, 7%).32

(23)33 a. Enfant : C’est dans la chambre d’Anne qu’y a la caisse à outils. Mère : Vite [/] Vite va __cher(cher). Mère : Tu l’as trouvé? (Corpus Lyon : Tim42)

b. Enfant : non c’est pas la même. Mère : alors j(e) vais __ reposer. Enfant : xx on va les reposer. (Corpus Geneva, Marie16) c. Enfant : mais je veux lui mettre la lune. Mère : Oui j(e) __ lui ai mis justement. (Corpus Lyon, Marie46) d. Mère : ah bah c(e)lui-là tu sais __ faire toute seule hein? (Corpus Lyon, Ana 40)

Nous avons ensuite vérifié s’il y avait un effet lexical marqué. Nos résultats semblent

suggérer que ce n’est pas le cas. Nous avons répertorié des omissions avec les verbes

suivants : mettre, poser/reposer, tourner/retourner, faire, ouvrir, voir, reconnaitre, aimer,

frotter, donner, remontrer, finir /terminer, fermer/refermer, apporter/ramener, trouver,

éteindre et chercher (voir les exemples en 24). L’exemple en (24b) démontre que même des

verbes légers tels faire peuvent apparaître sans objet (voir Rasetti, 2003).

(24) a. Mère : où il est l’autre? Mère : perdu! Mère : vas-y mets dans la boîte. (Corpus Lyon : Ana40)

b. Mère : ah bah c(e)lui-là tu sais faire tout seule hein! (Corpus Lyon : Ana40)

c. Mère : qu’est-ce que c’est alors ça? Mère : tu reconnais? (Corpus Lyon, Marie46)

d. Enfant : non # c’est pas la même. Mère : alors je vais reposer. (Corpus Lyon, Marie46)

32 À noter que l’omission en dislocation n’a pas été répertoriée dans notre échantillon du corpus en français québécois. 33 La signification des signes de transcription est disponible sur CHILDES (manuel CLAN).

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e. Mère : ici fallait mettre ceux-là. Mère : alors on retourne. (Corpus Geneva, Marie16)

f. Mère : tu vois on fait l’inventaire. Mère : on dit ça i(l) faut qu’on ramène. (Corpus Lyon, Tim42)

Même si nous avons répertorié des omissions avec plusieurs verbes, il demeure qu’ils

impliquent majoritairement la manipulation d’un élément physique. Il semble donc qu’ils

pourraient être considérés comme formant une ‘classe lexicale’. Néanmoins, nous ne

sommes pas en mesure de tirer cette conclusion parce qu’il se peut fort bien que cet ‘effet

lexical’ résulte de la nature de l’interaction spontanée avec des jeunes enfants. Cette

interaction implique généralement des objets tangibles et donc un nombre de verbe

relativement restreint.

En résumé, notre analyse de données en interaction spontanée nous permet de tirer les

conclusions suivantes : 1) il existe une asymétrie de réalisation clitique chez l’adulte

francophone en français parlé; et 2) ce phénomène est attribuable à un certain degré

d’optionalité dans la réalisation du clitique objet en contexte où il est attendu.

3.4.3 L’asymétrie de réalisation clitique : sources possibles et implications théoriques pour le statut des éléments clitiques

L’asymétrie de réalisation des pronoms référant à une entité spécifique et définie (clitiques)

est un phénomène dont ont discuté Lambrecht & Lemoine (2005)34: « In spite of persistent

claims to the contrary, French regularly permits the null-instantiation of object pronouns

denoting specific discourse entities… » (p.14).

Dans cet article, les auteurs identifient trois interprétations de l’objet nul en français :

indéfini, défini et libre. Le deuxième type, défini, est ce qui engendre l’asymétrie de

réalisation clitique. Les auteurs définissent ce phénomène comme un argument non réalisé

34 À noter que les auteurs ne reconnaissent pas l’appellation ‘clitique’.

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qui représente un référent défini dans le discours (p. 32). Les auteurs présentent plusieurs

exemples illustrant ce type d’omission et tirent la conclusion suivante :

It appears that in spoken French the verbs that permit Topical DNI with

nominal arguments do not constitute a natural lexical class. […] The null

option can therefore be said to be generalized, the constraints on its

application being mainly (but not exclusively) pragmatic or stylistic. (p. 32)

La conclusion des ces auteurs est similaire à la nôtre : l’omission du pronom objet défini

topique (le clitique) est généralisée et possible avec l’ensemble des verbes en français.

Lambrecht & Lemoine soutiennent que la pragmatique joue un rôle dans ce phénomène.

Néanmoins, à l’instar de Goldberg (2000; 2008), ils arrivent à la conclusion qu’il n’existe

pas de corrélation directe entre le statut pragmatique d’un argument et son omissibilité.

Concrètement, ces auteurs reconnaissent qu’il n’y a pas de lien universel entre le degré

d’activation d’un référent (saillance) et sa probabilité d’être nul. Malgré cette observation, ils

soutiennent quand même que le degré de topicalisation d’un référent peut jouer un rôle dans

ce phénomène : « The pragmatic status of the referent in the discourse must be salient

enough for its occurrence in the proposition to be considered highly predictable for the

hearer at the time of Utterance ». (Lambrecht, 1994 : chap.4)

Sans toutefois être en mesure de démontrer en détails comment certains facteurs

pragmatiques jouent un rôle dans le fait qu’un pronom objet spécifique puisse être omis en

français, les auteurs concluent néanmoins qu’une approche paramétrique (donc syntaxique)

est tout à fait inappropriée pour décrire le phénomène observé. Étant donné l’importante

variation dans la réalisation de l’objet, il est impossible de soutenir ce type d’approche dans

laquelle il faudrait classer le français comme une langue à objet nuls ou à objet non nuls. Les

auteurs expliquent cependant : « The very complex system of null complementation is part

of the grammar of individual languages and must be learned as such by native speakers. »

(p.49)

Bien que l’hypothèse de Lambrecht & Lemoine ait une base empirique solide, elle présente

une certaine incohérence, comme c’était le cas de l’hypothèse de Goldberg (2000; 2008).

Ces hypothèses (basées sur l’approche pragmatique) ont en commun qu’elles reconnaissent

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l’absence de corrélation entre le statut pragmatique des arguments et leur omissibilité tout en

proposant une relation similaire pour expliquer les phénomènes observés. Nous considérons

que l’approche pragmatique a un pouvoir descriptif essentiel à notre compréhension du

système langagier parce qu’elle met en évidence des phénomènes qui sont souvent non

considérés par l’approche syntaxique.

Sur le plan syntaxique, Cummins & Roberge (2005) sont, à notre connaissance, les seuls à

avoir décrit l’omission du clitique objet. En fait, cette hypothèse bien qu’essentiellement

syntaxique, s’appuie partiellement sur le module pragmatique. Cummins & Roberge

adoptent l’approche de Sportiche (1996) dans laquelle le clitique objet en français est

constitué de deux éléments, pro et le clitique. Ces auteurs proposent qu’il y ait en fait une

différence minime entre une phrase où le clitique est produit et une phrase où il est omis

(appelée en anglais clitic-drop). Les phrases en (25) illustrent ces deux possibilités.

(25) a. Vincent lai frappe proi. (Arianei)

b. Vincent _ frappe proi. (Arianei)

Sur le plan sémantique, comme sur le plan structural, il n’y a pas de différence entre les

phrases en (25). La seule différence se situe sur le plan phonologique : « in the clitic-drop

construction [25b] no morphophonological realization is assigned to the features [les traits

de la tête] » (2005; p.53).

L’absence de réalisation phonologique entraîne des répercussions sur le mode

d’identification de pro. Dans la phrase en (25a), cette identification se fait par le biais du

clitique alors qu’en (25b), elle se fait directement via l’antécédent. Ce type d’identification

est possible et il est attribué au module pragmatique. Les auteurs adoptent l’approche de

Levinson (2000) (qui s’appuie sur le principe I) qui propose que l’auditeur amplifie

systématiquement l’information que lui transmet le locuteur dans le but d’identifier

l’interprétation la plus spécifique possible.

Le principe I (angl. I-principle) de Levinson est basé sur la maxime informative (angl.

Maxim of Informativeness) de Grice (1975) selon laquelle l’auditeur assume un lien pertinent

entre l’information linguistique qui est transmise et le contexte.

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Si l’analyse de Cummins & Roberge (2005) permet de décrire les mécanismes sous-jacents à

l’omission du clitique objet, elle n’arrive cependant pas à expliquer pourquoi le clitique sujet

n’est pas omissible dans les mêmes conditions en français. Or, la présence même de

l’asymétrie de réalisation clitique en français démontre que si les conditions identifiées par

cette hypothèse sont nécessaires, elles ne sont cependant pas suffisantes pour justifier

l’omissibilité du clitique objet. En un sens, cette hypothèse, tout comme l’hypothèse de

Lambrecht & Lemoine, indique le chemin à suivre sans pour autant fournir toutes les

indications.

Nous laissons de côté la question de l’omissibilité du clitique objet pour nous concentrer sur

l’asymétrie de réalisation clitique que nous avons observée dans le présent Chapitre. La

présence de ce phénomène nous amène à conclure que si le fait d’être un élément clitique

semble être une condition nécessaire pour l’omission, elle n’est pas suffisante. Si cette

condition était suffisante, on s’attendrait à retrouver l’omission du clitique sujet en français

parlé, ce qui n’est pas le cas. Si l’on adopte l’analyse syntaxique proposée par Cummins &

Roberge (2005), nous arrivons donc à la question suivante : pourquoi, si l’omission du

clitique objet découle en partie du statut clitique de cet élément et du module pragmatique,

ce phénomène n’est-il pas permis pour le clitique sujet en français?

Cette question origine possiblement du fait que l’analyse de Cummins & Roberge adopte le

traitement des clitiques proposé par Sportiche (1996). Selon cette approche, les clitiques

sujets et objets sont liés à des pro et il n’y a pas d’asymétrie en ce qui a trait aux mécanismes

sous-jacents à la production de ces éléments. De plus, dans l’approche de Sportiche, les

clitiques sujets et objets ont un statut identique : ce sont des morphèmes d’accord complexes.

Nous avons conclu le Chapitre précédent en proposant que les hypothèses de Roberge (1990)

et d’Auger (1994) présentaient des analyses différentielles intéressantes pour l’étude de

l’asymétrie. Selon l’hypothèse de Roberge, les éléments clitiques sont insérés dans des

positions syntaxiques différentes : le sujet apparait sous I, alors que le clitique objet apparaît

directement sur le verbe. En ce qui concerne l’approche d’Auger, les clitiques sujets et objets

ont des statuts différents : l’un est marqueur d’accord et l’autre marqueur d’argument. Si l’on

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tient en considération ces deux hypothèses, il est possible que nous soyons en mesure de

décrire l’asymétrie de réalisation clitique.

Concrètement, nous pourrions proposer que les éléments clitiques soient introduits en

syntaxe comme le propose Roberge. Ainsi, le clitique sujet serait inséré sous I et aurait le

statut de marqueur d’accord tel que le propose Auger. En ce qui concerne le clitique objet, il

pourrait avoir le statut de marqueur d’argument (Auger) et être introduit syntaxiquement,

(dans l’esprit de Kayne, 1975). Le statut de marqueur d’accord du clitique sujet pourrait faire

en sorte que contrairement au clitique objet, il ne pourrait pas être omis pour la simple raison

que son rôle est de marquer l’accord sujet-verbe. Il est introduit par une tête fonctionnelle et

non par une tête lexicale comme le clitique objet. De par son rôle d’accord et de sujet, le

clitique sujet est systématique et n’a pas de lien sémantique direct avec le verbe. Quant à

l’objet, puisqu’il est un marqueur d’argument et qu’il est l’objet du verbe, il a une relation

directe avec ce dernier et pourra être omis si les conditions pragmatiques sont réunies. De

plus, étant donné que le verbe est une tête lexicale (voir section 3.3.2), on s’attendrait à ce

qu’il y ait une relation lexicale entre le verbe et le clitique objet, comme c’est le cas pour

tout élément qui joue ce rôle, qu’il soit clitique ou non. Il s’agit ici des rudiments d’une

proposition qui vise à rendre compte de l’asymétrie de réalisation clitique. Cette proposition

est décrite de manière plus détaillée en §6.1.7 et elle est élaborée en tenant compte des

caractéristiques des productions enfantines.

À noter que notre proposition est dans l’esprit de celle de Jakubowicz et al. (1998)

puisqu’elle veut que les clitiques sujets et objets aient des fonctions différentes dans la

phrase. Cette hypothèse établit un lien entre la production optionnelle ou systématique des

éléments. De manière plus précise, elle explique que la systématicité du clitique sujet vient

du fait qu’il est considéré comme exprimant la finitude du verbe au même titre que la flexion

verbale riche des autres langues romanes (voir Nash & Rouveret, 1997). En revanche,

puisque le clitique objet ne sert qu’à référer à un élément saillant dans le discours précédent,

il est considéré comme non obligatoire en français parlé et doit donc avoir un certain lien

avec le degré de saillance des éléments dans le contexte.

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3.5 Conclusion

Le but du présent chapitre était de vérifier s’il y avait bel et bien une absence d’asymétrie

chez l’adulte francophone entre les clitiques sujets/objets. Nous avons déterminé qu’il existe

trois types d’asymétries sujets/objets en français et que celles-ci font en sorte que le clitique

sujet sera toujours (en nombre absolu) davantage produit que le clitique objet.

Notre caractérisation des trois types d’asymétrie nous a permis de proposer que ces

phénomènes sont d’origines différentes. L’asymétrie de pronominalisation découlerait de la

pragmatique et des propriétés des clitiques, et l’asymétrie de réalisation serait attribuable à la

structure argumentale. Quant à l’asymétrie de réalisation clitique, nous avons proposé

qu’elle soit attribuable aux statuts différents des éléments clitiques (le clitique sujet étant un

accord (non-argument) et le clitique objet un argument) et à la position qu’ils occupent

(argument interne ou externe).

En ce qui a trait aux implications de nos conclusions pour l’étude de l’asymétrie dans

l’acquisition des clitiques sujets et objets chez les enfants francophones, il est clair que

l’input doit être considéré comme un facteur très important. Si les productions adultes

n’avaient pas présenté d’asymétrie, il aurait été indéniable qu’une asymétrie chez l’enfant

serait directement attribuable au processus acquisitionnel. Or, le fait que nous ayons

démontré qu’il existe trois types d’asymétries qui font en sorte que le clitique sujet sera

toujours quantitativement et proportionnellement plus produit que le clitique objet, implique

que l’input (et donc indirectement la nature même du système pronominal en français parlé)

pourrait entraîner des répercussions sur le processus acquisitionnel.

Au prochain chapitre, nous nous penchons sur l’asymétrie chez les enfants francophones

telle qu’elle a été décrite dans les études antérieures en tenant compte des conclusions que

nous avons tirées du présent chapitre.

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Chapitre 4 L’asymétrie chez l’enfant : analyse critique des études

antérieures

Le présent chapitre fait une analyse critique et exhaustive des études antérieures qui ont

établi l’asymétrie comme un phénomène en acquisition. L’intérêt de ce phénomène provient

originalement d’observations basées sur les productions enfantines en interaction spontanée

(en français parlé). Des études longitudinales et transversales ont rapporté les constats

suivants : les clitiques sujets apparaissent plus tôt et sont plus produits que les clitiques

objets. Ainsi, c’est à partir de constatations empiriques que le phénomène a soulevé un

intérêt du point de vue théorique. Il est nécessaire de revoir et de connaître en détails ces

bases empiriques. Cette nécessité découle directement du fait que nous avons identifié au

chapitre précédent trois types d’asymétries qui découlent directement de plusieurs propriétés

de la grammaire et non de l’acquisition. Ces asymétries pourraient expliquer l’asymétrie telle

que décrite chez les enfants francophones.

Nous présentons les études en interaction spontanée et les études en production induite en

deux temps parce que leurs résultats sont incomparables. La première partie du présent

chapitre traite donc des études en interaction spontanée en abordant les questions centrales

posées dans les études antérieures : 1) Pourquoi, de manière absolue, le clitique sujet est-il

davantage produit que le clitique objet?; et 2) Pourquoi le clitique sujet apparaît-il plus tôt

que le clitique objet? Ces questions sont abordées dans le but d’analyser leur origine.

En deuxième partie, nous présentons six études en production induite. En premier lieu, nous

présentons cinq études qui ont utilisé la méthode d’élicitation traditionnelle (Jakubowicz &

Rigaut, 2000; Van der Velde et al., 2002; Van der Velde, 2003; Jakubowicz & Nash, à

paraître; Pérez-Leroux et al., 2008). Par la suite nous présentons une nouvelle étude qui

utilise une toute autre méthode d’élicitation (Pirvulescu & Belzil, 2008a). Un résumé des

résultats ainsi qu’une comparaison entre ces des deux types d’étude concluent cette section.

Finalement, la §4.3 clôt le présent chapitre avec un bilan de notre analyse des études

antérieures. Globalement, nous concluons que l’ensemble des résultats analysés ne permet

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pas de déterminer la nature réelle de l’asymétrie et n’appuie donc pas unilatéralement la

définition du phénomène proposée par les études antérieures. Ainsi, le présent chapitre met

en évidence la nécessité de notre étude.

4.1 Études en interaction spontanée

Nous présentons d’abord les études longitudinales de Hamann, Rizzi, & Frauenfelder (1996)

et de Van der Velde, Jakubowicz & Rigaut (2002) ainsi que l’étude transversale de

Jakubowicz & Rigaut (1997, 2000). Ces études ont en partie été citées comme établissant

l’asymétrie par Jakubowicz & Rigaut (2000) dont nous discutons dans le présent chapitre.

Par la suite, nous présentons les résultats de l’étude de Pirvulescu (2006) et notre analyse du

corpus Mona (§4.1.5). Chacune de ces études est décrite selon les critères suivants : méthode

de calcul des pourcentages; MLU et âge; type de clitiques considérés et exclus dans le

calcul.

Les méthodes de calcul utilisées dans le cadre de ces études ébranlent grandement le

fondement même de l’asymétrie comme phénomène découlant du processus d’acquisition

puisqu’elles ne tiennent pas compte des asymétries dont nous avons discuté au chapitre

précédent. La méthode de calcul développée par Pirvulescu (2006) permet de cibler

précisément l’asymétrie de réalisation clitique. Nous avons présenté cette méthode au

chapitre précédent. Cette méthode a été développée pour le clitique objet et nous l’étendons

aux clitiques sujets.

Malgré le fait que cette méthode de calcul permet de mesurer plus fidèlement le phénomène,

nous considérons que son application chez l’enfant est plus complexe parce que l’enfant

semble plus limité au niveau de la longueur de ses énoncés. En fait, ce n’est pas tant la

méthode qui est difficile à appliquer mais plutôt les inférences que l’on peut tirer des

résultats obtenus. Contrairement à l’adulte, la longueur moyenne des énoncés que l’enfant

produit (MLU) pourrait peut-être jouer un rôle dans la présence/l’absence de certains

éléments. Toutefois, le fait d’attribuer l’absence d’élément directement au développement du

MLU serait téméraire (Brown, 1973). C’est donc avec grande prudence que nous présentons

les études antérieures en tenant compte du MLU.

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4.1.1 Hamann, Rizzi & Frauenfelder (1996)

L’étude de Hamann et al. aborde plusieurs questions relatives à l’acquisition des clitiques en

français. Les auteurs se posent notamment les questions suivantes : «Do subject and object

clitics arise simultaneously in the course of acquisition? If not, how can we interpret the

observed order?» (p.312) Afin de répondre à ces questions, ils ont analysé un corpus

longitudinal (10 mois) d’un enfant (Augustin) âgé entre 2;0.2 et 2;9.30 ans (MLU non

mentionné). Les enregistrements avaient lieu à toutes les 3 ou 4 semaines, à l’exception de

deux sauts de 2 mois chacun. La méthode de calcul des pourcentages de production des deux

types de clitiques donne d’abord une idée globale de la production parce que le premier

tableau présente les pourcentages en fonction du nombre de phrases contenant un verbe, que

celui-ci soit conjugué ou non.

Un dépouillement plus précis (Tableau 4; p. 322) présente les pourcentages de production

des clitiques sujets en excluant les contextes où ils ne sont pas requis chez l’adulte

(impératives, relatives et infinitives). Les pronoms je, tu, il , elle, on, ils et c’ ont été

comptabilisés.35 Les pourcentages de production représentent le nombre de pronoms divisé

par le nombre de phrases contenant un verbe. Les taux rapportés varient entre 17% et 74%

pour une moyenne de 34%. La moyenne en elle-même ne donne pas d’information valide

puisqu’il s’agit d’une étude longitudinale.

En ce qui a trait aux clitiques objets, tous les types ont été pris en considération (direct,

indirect, locatif, partitif et réfléchis) me, te, se, le, la, les, en et y. La méthode plus raffinée du

calcul de pourcentage pour les clitiques objets se base sur le nombre de verbes ayant un ou

plusieurs compléments direct, indirect, locatif ou autre. Dans le cas des verbes nécessitant

deux compléments, le verbe était compté deux fois. Il est important de mentionner que ce qui

importe est si un verbe donné prend ‘obligatoirement’ un complément, en d’autres termes,

un verbe transitif ou ditransitif.

35 Le pronom ça est considéré comme un pronom démonstratif non-clitique. Sa distribution chez l’enfant reflète celle de l’adulte dès les premiers enregistrements. Les auteurs considèrent donc que l’enfant maîtrise la distinction entre clitique et non-clitique.

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76

Le Graphique 4-1 présente les taux selon les méthodes raffinées de calcul. Deux tendances

ressortent de ce graphique : le clitique sujet est plus produit que le clitique objet (sujet : moy.

34%; objet : moy. 5%), et il apparaît plus tôt. Cependant, les méthodes de calcul favorisent

grandement le clitique sujet puisque si dans la plupart des cas36 un verbe conjugué (en

excluant les impératives) nécessite ce type d’élément, ce n’est pas le cas pour le clitique

objet.

Graphique 4-1 Taux de production des clitiques sujets et objets selon l’âge (Hamann et al., 1996)

0%

20%

40%

60%

80%

100%

2;0.2 2;0.23 2;1.15 2;2.13 2;3.10 2;4.1 2;4.22 2;6.16 2;9.2 2;9.30

Âge

Tau

x

Clitiques sujets

Clitiques objets

La méthode de calcul basée sur le nombre de verbes transitifs ne tient pas compte des

contextes précis dans lesquels les clitiques sujets et objets sont attendus. Nous considérons

donc que les taux de production pour les clitiques objets sont peu significatifs étant donné

que le nombre de contextes favorisant sa production n’est pas le dénominateur dans la

méthode de calcul. Il est en fait possible que lors des premiers enregistrements, aucun

contexte de ce type n’ait été présent. La seule conclusion que l’on peut tirer est que le

clitique sujet est davantage produit que le clitique objet en nombre absolu, ce qui est

d’ailleurs aussi le cas chez l’adulte.

Outre la quantité de clitiques produits, les auteurs se sont penchés sur la proportion de

clitiques sujets/objets par rapport aux autres types d’éléments (lexicaux) afin de voir si

l’enfant utilisait moins fréquemment les clitiques que l’adulte dans les positions de sujet et 36 Nous définissons au Chapitre 4 le contexte plus spécifique à la présence du clitique sujet.

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77

d’objet. Les résultats du Graphique 4-2 sont présentés comme soutenant une différence

marquée entre l’enfant et l’adulte même si le clitique sujet est aussi plus utilisé chez l’adulte.

Ce graphique illustre que les enfants comme les adultes ont une asymétrie de

pronominalisation très marquée.

Graphique 4-2

Taux de production proportionnel des clitiques sujets et objets chez les enfants et les adultes (Hamann et al., 1996)

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Adultes Enfant

Locuteurs

Tau

x

Clitiques sujets

Clitiques objets

Le fait que la position sujet soit essentiellement réalisée sous forme pronominale par les

enfants francophones avait d’ailleurs déjà été mis en lumière par les travaux de Hulk (1987) :

[…] dans nos données le sujet se présente dans la très grande majorité des cas

(80%) sous forme de clitique [...]. Les sujets de forme nominale sont très

rares (2%) et s’ils se présentent c'est en général dans une construction à

redoublement (10%) [...]. (p. 60)

L’étude de Hamann et al. présente les résultats d’un seul enfant mais sur cette base, les

observations suivantes sont soulignées par les auteurs : 1) les clitiques sujets apparaissent

plus tôt et en plus grand nombre que les clitiques objets; et 2) il y a un délai de 6 mois entre

l’utilisation productive des clitiques sujets et celle des clitiques objets (2 mois pour la

première production recensée). D’autre part, les auteurs observent ce qui pourrait être

caractérisé comme un retard de production des clitiques nominatifs de première et deuxième

personnes puisque ces pronoms n’apparaissant que vers 2;6 ans chez cet enfant. Ce

phénomène est toutefois possiblement lié à la nature de l’interaction.

Page 86: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

78

4.1.2 Van der Velde, Jakubowicz & Rigaut (2002)

Les travaux de Van der Velde et al. font état de l’analyse du discours spontané chez trois

enfants francophones : Chloé (1;11.19 à 2;5.14 ans), Victor (1;11.10 à 2;5.29 ans) et Hugo

(1;8.14 à 2;5.19 ans). Chloé et Victor ont participé à 7 enregistrements d’environ 45 minutes

(une fois par mois), alors que Victor a participé à 11 enregistrements (de une à deux fois par

mois). Avant de présenter les résultats de cette étude, il est impératif une fois de plus de

s’attarder à la méthode de calcul.

Le pourcentage de clitiques nominatifs a été calculé à partir du nombre de clitiques produits

divisé par le nombre total de verbes nécessitant un sujet. Les autres types de sujets (lexicaux,

noms propres et pronoms forts) n’ont pas été pris en compte. En d’autres termes, les phrases

ayant par exemple un élément lexical (DP) en position sujet n’ont pas été exclues du

dénominateur et n’ont pas été incluses dans le numérateur.

En ce qui a trait aux pourcentages de clitiques objets, le nombre de clitiques produits a été

divisé par le nombre de verbes transitifs tout comme dans l’étude de Hamann, Rizzi &

Frauenfelder (1996). Une fois encore, les autres types d’objets n’ont pas été pris en

considération. Ce type de calcul est approximatif puisqu’il ne tient pas compte des

asymétries présentes dans la grammaire cible.

Bien que les auteurs tiennent en considération leur analyse de la parole spontanée dans

l’appuie de leur hypothèse de départ, elles sont conscientes du fait que les enfants réalisent

l’objet du verbe principalement sous forme de DP (donc de l’asymétrie de

pronominalisation). D’ailleurs, elles mentionnent qu’il serait intéressant de déterminer les

contextes favorisant la cliticisation en parole spontanée.

Les taux de production des éléments clitiques sont présentés sous forme graphique sans

pourcentage précis. Les Graphiques 4-3, 4-4 et 4-5 reproduisent ces résultats qui

comprennent les clitiques nominatifs (sujets) et accusatifs (objets direct) seulement (toutes

les personnes).

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Graphique 4-3

Taux de production des clitiques sujets et objets selon l’âge : Chloé (Van der Velde et al., 2002)

0%20%40%60%80%

100%

1;11.19 2;0.10 2;1.8 2;2.4 2;3.4 2;4.1 2;5.14

Âge

Tau

x

Clitiques sujets

Clitiques objets

Graphique 4-4 Taux de production des clitiques sujets et objets selon l’âge : Victor (Van der Velde et al., 2002)

0%

20%

40%

60%

80%

100%

1;11.10 2;0.14 2;1.0 2;3.0 2;4.4 2;4.25 2;5.29

Âge

Tau

x

Clitiques sujets

Clitiques objets

Graphique 4-5 Taux de production des clitiques sujets et objets selon l’âge : Hugo (Van der Velde et al., 2002)

0%20%40%60%80%

100%

1;10

.6

1;10

.24

2;1.7

2;1.29

2;2.

27

2;3.17

2;4.8

2;5.

5

2;5.

19

Âge

Tau

x

Clitiques sujets

Clitiques objets

Tel que l’ont constaté les auteurs, il est clair que ces trois enfants produisent (outre pour

Chloé lors du premier enregistrement) toujours davantage de clitiques sujets que de clitiques

objets. Toutefois, les résultats de ces enfants ne corroborent pas le retard d’apparition des

clitiques objets tel que rapporté dans l’étude de Hamann, Rizzi & Frauenfelder (1996). Alors

que cette étude mettait en évidence un retard de 6 mois, la production de deux des trois

enfants de la présente étude ne démontre qu’un léger retard : 2 mois chez Victor et 3 mois

Page 88: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

80

chez Hugo. À noter que la production de clitiques sujets est très faible chez Hugo avant 2;1.7

ans, âge auquel les clitiques objets apparaissent.

Puisque la méthode de calcul est naturellement biaisée en faveur du clitique sujet, on

s’attendrait à une asymétrie chez l’enfant comme chez l’adulte. Or, à ce chapitre, on

remarque une variation entre les enfants. Si à partir de ces données l’asymétrie semble très

importante chez Victor (49%), elle l’est moins chez Chloé (37%). Par moins importante,

nous entendons que la différence entre le taux de production des deux types de clitiques est

moins grande. La question à se poser est si l’ampleur de l’asymétrie est cruciale, ou si seule

sa présence l’est. La simple présence de l’asymétrie dans les taux de production en elle-

même est une réplique de la grammaire adulte.

4.1.3 Jakubowicz & Rigaut (1997, 2000)

Les travaux de Jakubowicz & Rigaut font état d’une étude transversale. Au total, 12 enfants

âgés entre 2;0.13 et 2;7.3 ans ont été observés pour une période de 45 minutes chacun. Les

12 enfants ont été séparés en 2 groupes sur la base de leur capacité linguistique en

production. Cette capacité a été estimée à partir de trois critères : 1) la fréquence d’énoncés

contenant un verbe conjugué divisé par le nombre total d’énoncés; 2) la fréquence

d’infinitifs racines; et 3) la production de propositions subordonnées avec complémenteur.

La division des groupes correspond au MLU moyen de chaque enfant. Les 5 enfants du

groupe 1 ont en moyenne un MLU de 3 alors que les 7 enfants du groupe 2 ont en moyenne

un MLU de 4.

En ce qui a trait à la méthode de calcul, les auteurs ont utilisé la même que Van der Velde,

Jakubowicz et Rigaut (2002). Toutefois, contrairement à cette étude, les pourcentages ici

présentés pour les clitiques objets comprennent dans un premier temps tous les types de

clitiques objets, à savoir réfléchis, indirects et accusatifs. Les résultats sont ainsi présentés

parce que l’hypothèse de départ prédit une dissociation entre les clitiques nominatifs et les

clitiques objets en général.

Dans cet article, les auteurs isolent les clitiques de troisième personne pour des raisons

théoriques, à savoir parce que ces clitiques ne sont pas spécifiés pour le trait [+ animé] (voir

Page 89: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

81

le Chapitre 2). Le fait d’isoler la troisième personne rend ces résultats incomparables à

l’étude de 2002. Toutefois, les taux globaux37 sont présentés et pour des fins de

comparaison, nous utiliserons ces derniers. Il est toutefois important de mentionner que

contrairement à l’étude de Hamann et al. (1996), plusieurs exclusions ont eu lieu.

Notamment, les phrases présentatives de type ‘c’est…’ et ‘il y (en) a…’ ainsi que les

impératives.

Bien que la présente étude soit transversale et que les auteurs séparent les enfants en deux

groupes, nous présentons les résultats selon le MLU de chaque enfant en ordre ascendant

pour nous donner une idée du développement.

Graphique 4-6 Taux de production des clitiques sujets et objets selon le MLU (Jakubowicz & Rigaut, 2000)

0%20%40%60%80%

100%

Valenti

n 2.92

Rapha

el 2.9

3

Gaetan

2.9

7

Jérém

ie 3.0

5

Claire

3.15

Louis

e 3.

22

Sylvio

3.47

Léo 3

.78

Flora 3

.80

Pierre

4.06

Hélène

4.82

Elisa 4

.95

Enfants selon le MLU

Tau

x

Nominatif

Accusatif

Ce graphique démontre clairement que les enfants produisent davantage de clitiques sujets

(clitiques nominatifs= 77% vs clitiques accusatifs=14%) en nombre absolu. Ce qui rend ce

graphique intéressant n’est pas l’asymétrie dans la production mais plutôt l’absence de

corrélation entre le pourcentage de clitique produit et l’augmentation du MLU.

Si l’augmentation du MLU semble aller de pair avec l’augmentation de production des

clitiques sujets, ce n’est pas le cas pour l’objet. Il semble y avoir en moyenne davantage de

clitiques objets avec l’augmentation du MLU mais la tendance n’est pas évidente. Par

37 Y compris toutes les personnes.

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82

exemple Raphael (MLU 2.93) produit 14% de clitiques objets et Élisa (MLU 4.95) en

produit à peine davantage, 16%. Ainsi, il est possible qu’un même pourcentage représente

deux taux de production proportionnelle tout à fait différents. À titre d’exemple, un taux de

production de 15% peut signifier que l’enfant produit toujours le clitique en contexte où il

est requis, ou bien qu’il le produit 50% du temps. En d’autre termes, ces données ne nous

indiquent en rien s’il y a ou non une asymétrie de réalisation clitique réelle, c’est-à-dire,

proportionnelle.

En résumé, ces données indiquent : 1) une plus grande utilisation des clitiques sujets; et 2)

l’absence de corrélation entre le MLU et la production de clitiques objets. La nature

transversale de cette étude ne nous permet pas de déterminer s’il y a un délai entre

l’apparition des divers clitiques et l’exclusion de certaines constructions rend difficile la

comparaison avec l’étude de Hamann et al. (1996). Ainsi, cette étude ne nous permet pas

d’identifier avec assurance la nature de l’asymétrie.

4.1.4 Pirvulescu (2006)

Contrairement aux études dont nous venons de discuter, celle de Pirvulescu (2006) se penche

sur le phénomène de l’omission des clitiques objets et non sur celui de l’asymétrie. L’auteur

aborde la différence observée entre les taux en production induite et en parole spontanée.

Plus précisément, elle s’intéresse au fait que peu d’omissions de l’objet (toutes les formes)

sont rapportées en parole spontanée (voir Hamann et al., 1996), ce qui est contraire à ce que

l’on observe en production induite (voir section suivante). L’apport méthodologique de cet

article est considérable puisque l’auteur met en lumière que la production induite vise

spécifiquement le contexte où devrait apparaître un clitique objet, ce qui n’est pas le cas pour

les méthodes de calcul utilisées jusqu’à maintenant en parole spontanée. En définissant le

‘contexte clitique’, la comparaison avec la production induite est maintenant possible.

Le contexte clitique pour l’objet est défini ainsi : « in the clitic-context the referent is

definite; it is the topic of the discussion; and it is contained in the immediately preceding

Page 91: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

83

discourse. » (p.7) Dans ce contexte, il est possible de retrouver 3 éléments : le clitique (1a),

son omission (1b), ou un DP (1c)38 (p.7).

(1) a. Adulte : Elle n’est pas sèche [la pâte à modeler]. Enfant : Moi va l’couper. Max 2;2.22

b. Adulte : Tu ne veux pas le mettre dans l’eau? Enfant : __mettre ici. Max 2;0.14 c. Adulte : Voilà la cuillère à Anne. Enfant : Willy mange la cuillère à Anne. Anne 2;4.20

Dans son article, l’auteur se penche sur l’omission mais rapporte les taux de production des

trois types d’éléments (1). Les trois corpus analysés proviennent de la banque de données

Childes (2 de York et 1 de Champaud). Deux des enfants analysés parlent le français

européen (Para et Champaud) et un enfant (Mona) parle le français québécois. La

présentation des taux recensés pour les trois types d’éléments nous permet de nous pencher

sur le taux de production du clitique objet. Nous entendons ici le clitique accusatif de

troisième personne seulement.39 Le Graphique 4-7 présente le pourcentage de production de

chaque type d’élément en contexte clitique. Les taux présentés sont les taux moyens pour

chacun des enfants.

Graphique 4-7 Taux moyens de production des éléments en contexte clitique dans trois corpus (Pirvulescu, 2006)

0%

20%

40%

60%

80%

100%

Para (MLU: 2.58-3.59) Âge: 2;2.3-2;10.18

Mona (MLU:1.78-3.68) Âge: 2;0.14-2;6.12

Champaud (MLU: 1.74-4.7) Âge:1;10.20-2;5.27

Corpus

Tau

x

Nuls

Clitics

DP

Pronom

38 À noter que la forme sous laquelle le référent est introduit dans le discours précédent immédiat est aussi variable. Le référent peut occuper la position de sujet sous forme de clitique, de DP ou de pronom fort. Il en est de même pour la position d’objet. 39 À noter que les impératives ne constituent pas une base pour l’exclusion. Si le contexte est clitique, la présence d’un verbe à l’impératif est tenue en considération.

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84

La moyenne des trois enfants pour ce qui est du taux de production du clitique est de 44%

(37%-56%). Ce taux obtenu avec la méthode définie par Pirvulescu s’avère nettement

supérieur à ce que nous avons pu observer dans les autres études. Notamment, les taux

rapportés par Van der Velde, Jakubowicz & Rigaut (2002) s’élèvent à 23% (Chloé), 11%

Hugo et 14% (Victor), pour une moyenne de 16%. La différence démontre que la méthode

de calcul a un effet considérable sur les pourcentages rapportés et que cela peut

potentiellement biaiser l’interprétation des résultats en augmentant considérablement

l’ampleur de l’asymétrie entre les clitiques sujets et objets.

Afin de mesurer si cette méthode de calcul réduit véritablement l’ampleur de l’asymétrie, il

est impératif de faire une analyse aussi précise de la production des clitiques sujets. Nous

effectuons cette tâche dans la prochaine section en définissant un contexte clitique propre au

clitiques sujets et en analysant le corpus Mona (CHILDES).

4.1.5 Notre analyse

Définir le contexte clitiques sujets pour mesurer plus fidèlement l’ampleur de l’asymétrie

n’est pas chose facile parce qu’il faut tenir compte d’un ensemble de phénomènes

spécifiques à une variété donnée. Tel que défini par Pirvulescu, le contexte clitique objet

vise la troisième personne uniquement. La définition du contexte où un clitique de première

ou deuxième personne devrait apparaître est différente puisque ces pronoms sont déictiques.

Compte tenu de ces caractéristiques, nous proposons les définitions suivantes :

(2) a. Contexte clitique sujet : 1ère et 2ème personnes

i. Le référent doit être contenu dans le contexte extralinguistique.

ii. Le groupe verbal doit être fléchi (sauf l’impératif) et comprendre tous les éléments nécessaires (ne pas considérer les cas d’omission de l’auxiliaire ou du verbe modal). iii. Il doit apparaître lorsqu’un pronom fort est présent ou est disloqué à gauche ou à droite.

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b. Contexte clitique sujet : 3ème personne i. Dans le cas où il y a un référent (non explétif), ce dernier doit être défini et être le topique du discours précédent (10 lignes et moins en transcription). ii. Le groupe verbal doit être fléchi (sauf l’impératif) et comprendre tous les éléments nécessaires (ne pas considérer les cas d’omission de l’auxiliaire ou du verbe modal). iii. Ce clitique doit apparaître lorsqu’un pronom fort ou un DP est disloqué à gauche ou à droite.

Ces définitions sont générales et plusieurs particularités propres aux diverses variétés de

français doivent être ajoutées. Nous retenons les particularités suivantes : 1) ne pas

considérer le pronom ça comme un pronom sujet mais plutôt démonstratif à cause de son

statut ambigu (Auger, 1994); 2) considérer le pronom on à la première personne (français

québécois et européen); 3) ne pas considérer le clitique devant sont (français québécois),

faut, faudrait (français européen et québécois) parce que l’adulte l’omet de manière

optionnelle dans ces contextes (effet lexical prononcé); 4) ne pas comptabiliser la particule

interrogative tu en français québécois (ex. T’en veux-tu?); 5) ne pas considérer les contextes

où est est précédé du pronom elle puisque la transcription ne donne pas d’information sur

l’allongement vocalique ou sur la nature ouverte ou fermée du e et que cet environnement

entraîne ‘l’absence’ du clitique sujet (français québécois); et 6) ne pas considérer les

contextes où il est impossible de déterminer s’il y a une omission à cause de la réduction

phonologique (ex. il y a [jα] et ses variantes en français européen et québécois).

En plus de ces particularités, nous mettons de coté les répétitions exactes de l’adulte ou de

l’enfant lui-même, les verbes précédés d’un e seul puisqu’il est impossible de déterminer la

nature de cet élément (réfléchi, sujet, objet, hésitation) et nous ne retenons que les

enregistrements au cours desquels il y a au moins 3 contextes. À partir de cette définition,

nous avons mesuré l’ampleur réelle de l’asymétrie de réalisation clitique dans le corpus

Mona (français québécois). Le Graphique 4-8 illustre les résultats de cette analyse.

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Graphique 4-8 Taux de production des clitiques sujets et objets en contexte clitique selon l’âge (Mona)

0%10%

20%30%

40%50%

60%70%

80%90%

100%

2;0.14(1.78)

2;0.28(1.83)

2;1.16(2.11)

2;2.9(2.73)

2;2.22(2.47)

2;3.20(2.51)

2;4.4(2.98)

2;4.18(3.21)

2;5.1(3.73)

2;5.15(3.29)

2;5.15(3.46)

2;6.12(3.68)

Âge et (MLU)

Tau

x

Clitiques objets

Clitiques sujets

Notre analyse démontre l’absence d’une asymétrie généralisée en faveur des clitiques sujets

et l’absence d’un délai entre l’apparition des clitiques sujets et des clitiques objets chez cet

enfant. De plus, on voit clairement que la production des clitiques sujets, comme celle des

clitiques objets, est optionnelle au cours de la même période. Mais au-delà des clitiques, que

produit cet enfant à la place des clitiques tant attendus?

En fait, cela dépend de la position. En position sujet, on retrouve soit des clitiques, soit des

sujets nuls. Les DP ne représentent que 1% des éléments produits. En revanche, en position

objet, les DP et pronoms forts représentent (moyenne de l’ensemble des enregistrements)

16% des éléments produits. Ce taux est similaire à ce qui a été observé chez les adultes dans

l’étude de Pirvulescu (2006) où le taux moyen de DP rapporté est de 14.6% (p. 231). La

similarité entre les enfants et les adultes à ce niveau indique que chez l’enfant, les éléments

lexicaux ne remplacent pas les clitiques. Chez l’enfant, la variation est entre la production du

clitique objet et son omission. La plus grande variété d’éléments produits en position d’objet

fait en sorte que la comparaison basée sur le taux de production des éléments clitiques est

biaisée. Même si les résultats de notre analyse démontrent qu’il ne semble pas y avoir

d’asymétrie généralisée en faveur des clitiques sujets, pour que notre comparaison soit

fiable, nous nous devons de modifier la méthode de calcul.

Page 95: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

87

En n’excluant pas la production de DP du nombre de contextes total, notre méthode de

calcul est naturellement biaisée en faveur des clitiques sujets. On s’attend à observer une

asymétrie plus probable en faveur de ces éléments. Étant donné que l’article de Pirvulescu se

penchait sur le phénomène des objets nuls et non sur l’asymétrie, il était impératif qu’elle

tienne compte de ces éléments. En revanche, dans le cadre d’une étude sur l’asymétrie, il

faut impérativement mettre de côté les éléments lexicaux en contexte clitique.

4.1.6 Résumé et conclusion

Notre revue des études antérieures en interaction spontanée et l’analyse que nous avons faite

du corpus Mona nous permet de tirer les conclusions suivantes : 1) il n’y a pas de base solide

sur le plan empirique pour soutenir un retard d’apparition; 2) il y a une variation importante

entre les études quant aux taux rapportés; 3) ces variations sont dues aux méthodes de calcul

et aux variations individuelles; et 4) la méthode de calcul développée par Pirvulescu et notre

adaptation aux clitiques sujets réduisent considérablement l’ampleur de l’asymétrie

proportionnelle. De plus, nous avons conclu que même si une méthode de calcul plus

restrictive est utilisée, il demeure qu’il existe si l’on veut un quatrième type d’asymétrie.

Alors que le contexte clitique sujet oblige la production d’un clitique, le même contexte pour

l’objet n’oblige pas la production d’un clitique puisqu’un DP peut être inséré. Ceci fait en

sorte que si l’on veut véritablement mesurer l’ampleur de l’asymétrie de réalisation clitique,

nous devons mettre de côté les éléments lexicaux.

En théorie, ce que l’on retrouve en parole spontanée, devrait apparaître en situation de test.

Or, tel qu’il sera question dans la section suivante, les résultats en production induite

semblent à prime abord très différents (outre pour l’étude de Pirvulescu & Belzil, 2008a) de

ce que l’on retrouve en parole spontanée, et ce, pour les deux types de clitiques. Cela

suggère que la méthode d’élicitation a un effet sur les productions de l’enfant et qu’il faut

être très prudent dans l’interprétation de ces résultats.

4.2 Études en production induite

Plusieurs chercheurs ont eu recours à la production induite dans le but d’analyser la

production des clitiques sujets et objets. L’élicitation a pour effet de cibler précisément

Page 96: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

88

l’asymétrie de réalisation clitique. Nous nous penchons sur les études de Jakubowicz &

Rigaut (2000), Van der Velde, Jakubowicz & Rigaut (2002), Van der Velde (2003),

Jakubowicz & Nash (à paraître), Pérez-Leroux et al. (2006, 2008) et Pirvulescu & Belzil

(2008a). Pour chacune de ces études, nous discutons de la méthodologie employée, des

résultats recueillis et tout comme dans la section précédente, nous analysons de manière

critique les résultats présentés.

Fait important à mentionner, seuls les clitiques de troisième personne sont visés dans les

études en production induite et l’étude des objets est restreinte aux pronoms accusatifs

uniquement. Cela est attribuable à l’hypothèse (adoptée dans les travaux de Jakubowicz) qui

décrit les clitiques de troisième personne comme étant dépourvus du traits [+animé] et au

caractère déictique des pronoms de première et deuxième personnes.

4.2.1 Jakubowicz & Rigaut (2000)

La tâche en production induite de cette étude a été effectuée auprès des mêmes enfants ayant

participé au volet en interaction spontanée (voir §4.1.3), à savoir 12 enfants âgés entre 2;0.13

et 2;7.3 ans. Ces enfants ont été séparés en 2 groupes sur la base de leur capacité de

production linguistique. Comme nous l’avons mentionné précédemment, les 5 enfants du

groupe 1 ont en moyenne un MLU de 3 alors que les 7 enfants du groupe 2 ont en moyenne

un MLU de 4.

Au cours de la tâche, deux types de question ont été présentées aux enfants. Les questions

avaient le format suivant :

(3) a. Que fait X?

b. Que fait X à Y?

La question en (3a) avait pour but d’éliciter les clitiques sujets et réfléchis et celle en (3b),

les clitiques nominatifs (sujets) et accusatifs (objets). Le Graphique 4-9 présente les résultats

pour le clitique sujet.

Page 97: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

89

Graphique 4-9 Taux de production des clitiques sujets en production induite selon le MLU (Jakubowicz & Rigaut, 2000)

0%10%20%30%40%50%60%70%80%90%

100%

Valenti

n 2.92

Raphael 2

.93

Gaetan 2

.97

Jérém

ie 3.

05

Claire 3.15

Louis

e 3.22

Sylvio 3.47

Léo 3.

78

Flora 3.80

Pierre

4.06

Hélène 4

.82

Elisa 4

.95

Enfants selon le MLU

Tau

x

Clitiques sujets

Le graphique ci-dessus illustre d’abord que le clitique sujet est davantage produit en

production induite si on le compare à la production en interaction spontanée (PI=90%,

IS=77%). Cet effet est possiblement lié à la nature de la tâche qui en un sens limite la taille

des phrases à produire.40 De plus, on note que les enfants du groupe 1 (de Valentin à Claire)

ne sont pas vraiment différents de ceux du groupe 2 (moy. : groupe 1= 86%; groupe 2= 92%)

en ce qui a trait à leur production. Cela indique que dès ce stade, le clitique sujet semble

assez généralisé chez l’enfant francophone.

Pour ce qui est du clitique objet, les résultats sont beaucoup plus difficiles à interpréter parce

qu’il n’y a pas seulement des clitiques objets et des omissions. Le Graphique 4-10 présente

les taux de production selon le type d’éléments par enfant.

40Les auteurs démontrent que la taille du syntagme verbal entre en corrélation avec l’omission du clitique nominatif chez ces enfants en parole spontanée.

Page 98: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

90

Graphique 4-10 Taux de production des éléments en réponse à la tâche qui vise la production du clitique objet par enfant selon le MLU (Jakubowicz & Rigaut, 2000)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

Valent

in 2.

92

Rapha

el 2.9

3

Gaetan

2.9

7

Jéré

mie

3.0

5

Claire

3.1

5

Loui

se 3

.22

Sylvio

3.47

Léo

3.78

Flor

a 3.8

0

Pierre

4.06

Hélène

4.8

2

Elisa 4

.95

Moy

enne

Enfants selon le MLU

Ta

ux

Clitiques objets accusatifs

Clitiques objets réfléchis

DP

Pronoms forts

Omissions

Le graphique ci-dessus met en évidence que les enfants fournissent des réponses de nature

très différente. Ce qui frappe à prime abord est le pourcentage élevé de clitiques réfléchis.

Nous croyons que l’utilisation des mêmes verbes pour l’élicitation des deux types de

clitiques (réfléchis et accusatifs) a possiblement amené une sous-production des clitiques

accusatifs et une surproduction des clitiques réfléchis. Les verbes raser, habiller, gratter,

coiffer, couper les cheveux, cacher, déguiser, laver les mains, brosser les dents, sont tous

fréquents avec le clitique réfléchi et il est plausible que les enfants ne les utilisent (au début)

que dans ce contexte. Cet ‘effet’ expérimental ne devrait cependant pas être pris à la légère

puisqu’il peut être un signe que l’acquisition des clitiques objets en général (leur production)

est d’abord lié au verbe sur le plan lexical.

Si l’on s’attarde aux résultats en séparant les deux groupes, d’autres aspects intéressants

ressortent. Le Tableau 4-11 présente les taux de production par type d’élément par groupe.

Page 99: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

91

Graphique 4-11 Taux de production des éléments en réponse à la tâche visant la production du clitique objet par groupe (Jakubowicz & Rigaut, 2000)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

Clitiques objetsaccusatifs

Clitiques objetsréf léchis

DP Pronoms forts Omissions

Éléments

Tau

x

Groupe 1

Groupe 2

Le graphique ci-dessus illustre que les clitiques accusatifs sont complètement absents chez

les enfants du groupe 1 bien qu’on retrouve des clitiques réfléchis et malgré le fait que les

clitiques accusatifs soient pourtant présents en parole spontanée chez ces mêmes enfants

(voir §4.1.3). Si les auteurs ne s’étaient penchés que sur la production induite, elles auraient

pu conclure à tort que les clitiques accusatifs étaient totalement absents chez les enfants de

ce groupe. Or, ce n’est pas le cas et il est possible que la présence de clitiques réfléchis

indique soit que les enfants ont mal compris la tâche, soit que la présence du clitique objet

est intimement lié aux verbes utilisés. Mais au-delà de la possible confusion avec les

clitiques réfléchis, il demeure que l’éventail des éléments produits pour l’objet est nettement

plus considérable que pour le sujet, ce qui a pour effet d’amener une asymétrie de réalisation

si l’on s’attarde aux taux de production des clitiques.

4.2.2 Van der Velde, Jakubowicz & Rigaut (2002)

Van der Velde et al. utilisent exactement la même méthode pour induire la production des

divers clitiques que l’étude de Jakubowicz & Rigaut (2000). Les trois enfants, soit Chloé,

Victor et Hugo ont participé à la tâche de production induite alors qu’ils étaient âgés de 2;5

ans (MLU 4).

Page 100: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

92

En ce qui a trait aux clitiques sujets, des taux de 100%, 66% et 100% (moy. : 89%) sont

rapportés. Ces taux sont très similaires à ceux de l’étude de Jakubowicz & Rigaut (2000).

Pour ce qui est du clitique accusatif, le Graphique 4-12 fait état des divers éléments produits.

Graphique 4-12 Taux de production des éléments en réponse à la tâche qui vise la production du clitique objet (Van de Velde et al., 2002)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

Chloé Victor Hugo Moyenne

Enfants

Tau

x

Clitiques objets accusatifs

Clitiques objets réfléchis

DP

Omissions

Ces résultats sont somme toute très semblables à ceux de l’étude de (2000) parce qu’un

nombre très important de clitiques réfléchis est produit (38% pour Chloé et Hugo et 50%

pour Victor). Les auteurs expliquent qu’il est possible que les enfants produisent ce clitique

parce qu’il est moins spécifié au niveau des traits phi que le clitique accusatif. Outre cette

caractéristique, ce qui ressort une fois de plus est la variation dans les éléments de réponse.

Cette variation engendre inévitablement une asymétrie au niveau des taux de production.

4.2.3 Van der Velde (2003)

Van der Velde (2003) utilise sensiblement la même méthode d’élicitation que celle des

études dont nous venons de discuter. Les verbes utilisés sont toutefois différents et deux

expériences ont été menées : une avec référents accusatifs animés (verbes : gratter, laver,

coiffer, gratter), et l’autre avec référents accusatifs inanimés (verbes : viser, arroser,

montrer du doigt et éclairer). Au total 12 enfants de 3 ans, 4 ans et 6 ans ont participé à

chacune des expériences. En ce qui a trait aux clitiques nominatifs, on recense des taux

moyens variant entre 96% et 99.7% chez les enfants, et ce, avec un écart-type très minime

Page 101: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

93

(4,3 chez les 3 ans). Ces résultats ne font que confirmer une fois de plus que le clitique

nominatif semble généralisé avant l’âge de 3 ans et que la méthode d’élicitation utilisée

oblige sa production.

En ce qui a trait aux clitiques accusatifs, le Graphique 4-13 présente les taux de production

des divers éléments produits à la première tâche.

Graphique 4-13 Taux de production des éléments en réponse à la tâche avec référents animés par groupe d’âge (Van de Velde, 2003)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

3 ans 4 ans 6 ans Adulte

Groupe

Tau

x

Clitiques objets accusatifs

Clitiques objets réfléchis

DP

Omissions

Le graphique ci-dessus illustre que même si le clitique réfléchi est présent, il l’est beaucoup

moins que dans les autres études. Ceci est possiblement attribuable à la nature du test (verbes

différents). De plus, ce graphique démontre que la production des clitiques accusatifs

augmente en fonction de l’âge. Chez les 3 ans ce taux atteint 44%, ce qui est nettement plus

élevé que chez les enfants de deux ans.41 Chez les 4 ans, il atteint 79% puis 92% chez les 6

ans.

Nous ne disposons pas des taux individuels. Toutefois, l’auteur présente les écarts-types et

ceux-ci sont particulièrement élevés. Chez les enfants de 3 ans, l’écart-type pour la

41 Les clitiques datifs sont ici considérés comme une forme acceptable et cela est lié à la nature de la tâche.

Page 102: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

94

production du clitique accusatif s’élève à 29.3 alors que la moyenne est de 44%. L’écart-type

mesure la dispersion des résultats autour d’une moyenne et une fois la valeur de cet écart

devrait couvrir 68% des résultats obtenus. Ceci implique donc que les taux individuels

doivent minimalement varier entre 15% et 73%. En revanche, il n’y a pas d’écart-type

semblable pour le clitique sujet. Chez les enfants de 3 ans, cet écart n’est que 4.3 (moy.

96%).

La différence au niveau des écarts-types nous démontre que la production des clitiques sujets

est très homogène contrairement à celle des clitiques accusatifs. Cette tendance n’est pas

seulement présente chez les enfants de 3 ans. L’écart-type pour les clitiques accusatifs chez

les enfants de 4 ans s’élève à 21.1 et à 17.8 chez les 6 ans. Ces chiffres nous portent à croire

que la fonction qu’occupent ces éléments joue réellement un rôle dans l’asymétrie chez les

enfants et que la production optionnelle du clitique objet n’est pas liée à une difficulté de le

produire, sinon elle serait plus homogène.

En ce qui concerne la deuxième expérience qui portait sur des référents inanimés, les

résultats sont très similaires à ceux de la première. Pour le clitique nominatif, on recense des

taux variant entre 96% (3 ans) et 99.8% (6 ans). Le Graphique 4-14 fait état des résultats

pour le clitique objet. Tout comme dans la première tâche, on remarque que plusieurs types

d’éléments sont produits. Cependant, les clitiques réfléchis ont complètement disparus. Ceci

indique clairement que la production de cet élément est attribuable à la nature de la tâche et

non au fait que ces éléments soient moins difficiles à produire parce qu’ils sont moins

spécifiés (voir Van der Velde et al., 2002).

Page 103: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

95

Graphique 4-14 Taux de production des éléments en réponse à la tâche avec référents inanimés par groupe d’âge (Van de Velde, 2003)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

3 ans 4 ans 6 ans Adultes

Groupes

Taux

Clitiques objets accusatifs

DP

Omissions

Si l’on s’attarde aux variations individuelles (écarts-types), leur ampleur est toujours aussi

élevée. Chez les 3 ans et les 4 ans, les écarts-types s’élèvent respectivement à 25.5 (moy. :

54%) et à 26.3 (moy. : 74%). En revanche, chez les 6 ans, l’écart-type n’est que de 4.2 (moy.

: 97.6%). Ce qui ressort de ces résultats est que l’augmentation du taux de production des

clitiques objets est en partie attribuable à la diminution de la variété d’éléments produits.

Ceci suggère possiblement que les conditions discursives et pragmatiques favorisant la

pronominalisation de l’objet ne sont pas claires pour le jeune enfant et que celles-ci ne

s’appliquent pas au sujet peut être parce qu’il occupe une fonction différente dans la phrase.

4.2.4 Jakubowicz & Nash (à paraître)

Cette étude utilise la même tâche d’élicitation que Jakubowicz & Nash (2000). Au total, 12

enfants âgés de 3 ans, 4 ans et 6 ans ont été testés. Les enfants de 6 ans se comportent

essentiellement comme des adultes, nous reproduisons dans le Graphique 4-16 les résultats

pour les enfants de 3 et 4 ans.

Page 104: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

96

Graphique 4-15 Taux de production des clitiques sujets et objets par groupe d’âge (Jakubowicz & Nash, à paraître)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

3 ans 4 ans

Groupes

Tau

x

Clitiques sujets

Clitiques objets

Les résultats de cette étude ne font aucun doute, il y a une asymétrie proportionnelle en

faveur des clitiques sujets. Toutefois, si on s’attarde à l’ampleur de l’écart-type, on observe

une fois de plus qu’elle est nettement plus considérable pour les clitiques objets. Alors que

des écarts-types de 4.9 (moy. : 94%) chez les 3 ans et de 4.8 (moy. : 97%) chez les 4 ans sont

rapportés pour le clitique sujet, on note des écarts-types de 27.6 (moy. : 39%) chez les 3 ans

et de 19.7 (moy. : 78%) chez les 4 ans pour le clitique objet. On retrouve, tout comme dans

l’étude de Van der Velde (2003), l’absence d’uniformité dans la production du clitique objet

chez les enfants d’un même groupe d’âge.

En ce qui a trait aux divers types d’éléments produits dans le cas de la question visant le

clitique accusatif, on note à nouveau une variation importante (4-16).

Page 105: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

97

Graphique 4-16 Taux de production des éléments en réponse à la tâche qui vise la production du clitique objet par groupe d’âge (Jakubowicz & Nash, à paraître)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

3 ans 4 ans

Groupes

Tau

x

Clitiques objets accusatifs

Clitiques objets réfléchis

DP

Omissions

4.2.5 Pérez-Leroux et al. (2006, 2008)

Pérez-Leroux et al. se penchent uniquement sur l’acquisition du clitique objet, et plus

particulièrement sur son omission et sur l’omission de l’objet en général. Même si le test

utilisé vise uniquement l’objet, il engendre l’élicitation du clitique sujet.

Le test utilisé est très similaire à ceux que nous avons décrits précédemment. Les seules

différences sont les verbes et la forme de la question employés (Qu’est-ce que X fait avec Y?

et non Que fait X à/avec Y?). Les résultats de cette étude semblent à prime abord différents

des ceux des études dont nous venons de discuter parce que les taux de production des

clitiques objets sont moindres et les pourcentages d’omissions sont plus élevés. Le

Graphique 4-17 présente ces résultats.

Page 106: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

98

Graphique 4-17 Taux de production des éléments en réponse à la tâche qui vise la production du clitique objet par groupe d’âge (Pérez-Leroux et al.,2006, 2008)

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

3 ans 4 ans 5 ans Adultes

Groupes

Taux

Clitiques objets

DP

Omissions

Les auteurs expliquent les différences entre leurs résultats et celles des autres études ainsi :

The source of these different results is likely methodological. We could

attribute it to a number of factors: prompt type (prompt that placed the target

referent explicitly as theme, rather than as a related adjunct (do to instead of

do with)), saliency (our stories mentioned the referent verbally several times

besides the prompt), animacy (our stories had inanimate objects, which favor

omissibility; Serratrice et al 2004). (Pérez-Leroux et al., 2006; p.28)

Les explications proposées par ces auteurs nous amènent à soulever la question suivante : si

les techniques d’élicitation ont clairement un effet sur la production du clitique objet, ont-ils

le même effet sur la production du clitique sujet? Si aucune différence n’est retrouvée au

niveau du taux de production des clitiques sujets entre cette étude et les études précédentes

malgré le fait que le référent du sujet est mentionné à maintes reprises sous forme de DP,

cela indique en fait que la production du clitique sujet est beaucoup moins sensible à divers

facteurs. Cela montre que la production de cet élément est purement systématique sur le plan

syntaxique et que ces éléments auraient réellement une fonction différente.

L’analyse des données recueillies par ces auteurs illustre que le clitique sujet n’est pas

sensible aux changements méthodologiques. On recense un taux de production de 94% chez

Page 107: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

99

les 3 ans et de 96% chez les 4 ans, ce qui est essentiellement ce que nous avons pu observer

dans les autres études sur le sujet.

4.2.6 Pirvulescu & Belzil (2008a)

Pirvulescu & Belzil se sont également penchées sur la production/l’omission du clitique

objet chez les enfants francophones. Devant le constat qu’il y a une dichotomie frappante

entre la production des clitiques objets en interaction spontanée et en production induite, les

auteurs proposent que la méthode d’élicitation utilisée est possiblement ce qui affecte la

production. Ces auteurs ont donc développé une toute nouvelle méthode d’élicitation qui se

veut très près de l’interaction spontanée.

La méthode traditionnelle était constituée d’une image statique où un actant et un patient

entraient en relation par le biais d’un verbe d’action. Le verbe était fléchi pour le temps

présent et l’actant et le patient étaient introduits sous forme lexicale.

La nouvelle méthode développée par ces auteurs utilise des objets tangibles et l’investigateur

fait lui-même l’action. Un exemple de cette tâche est présenté en (4).

(4) Introduction : « Écoute et regarde bien ce que je fais parce qu’ensuite je vais te poser une question. » Action : L’investigateur met de la pâte à modeler dans un pot. Introduction : « Tu as vu, j’ai mis la pâte dans le pot. » Question : « Dis-moi, qu’est-ce que j’ai fait avec la pâte à modeler? » Réponse attendue : « Tu l’as mis(e) dans le pot. »

Ce test comportait deux tâches, une tâche où le verbe était fléchi au passé (composé) et une

autre où le verbe était au présent. L’utilisation de deux temps différents avait pour but de

vérifier si le temps jouait un rôle dans la réalisation/l’omission du clitique objet. Les deux

tâches ont été effectuées auprès des mêmes enfants à une semaine d’intervalle. L’ordre de

présentation des tâches a été équilibré de manière à ce que la moitié des enfants passent le

test au passé en premier.

Page 108: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

100

Au total, 29 enfants unilingues francophones des banlieues de Montréal ont été testés. Ces

enfants ont été séparés en 2 groupes : 13 enfants de 2 et 3 ans (âge moyen de 3.2 ans) et 16

enfants de 4 et 5 ans (âge moyen de 4;8 ans).42 De plus, 8 adultes ont été testés. Le Tableau

4-18 fait état des résultats de cette étude43 (p. 19).

Tableau 4-18 Taux de production des éléments en réponse à la tâche qui vise la production du clitique objet (Pirvulescu & Belzil, 2008a)

Éléments produits Tâche Participants Clitiques objets DP Omissions

Passé composé 2-3 ans 4-5 ans Adultes

0.75 0.69 0.83

0.14 0.13 0.16

0.10 0.19

0

Présent 2-3 ans 4-5 ans Adultes

0.82 0.85 0.88

0.14 0.09 0.11

0.04 0.06

0

Ces résultats démontrent sans l’ombre d’un doute que la méthode d’élicitation utilisée a un

effet considérable sur les productions enfantines. C’est d’ailleurs ce que concluent les

auteurs. Toutefois, si on observe les résultats de plus près, on se rend compte qu’elle a

également un effet sur les productions adultes. Avec la méthode d’élicitation traditionnelle,

les travaux de Pérez-Leroux et al. (2006; 2008) ont démontré que les adultes produisent en

moyenne 36% de DP en position objet. Avec cette nouvelle méthode, ce pourcentage chute à

16% et 11%. La méthodologie utilisée affecte donc autant les enfants que les adultes.

Dans cette nouvelle étude, on remarque que les enfants ont un comportement quasi identique

à celui des adultes. De plus, il n’y a plus d’effet développemental chez les enfants. Il n’y a

pas de différence significative entre les enfants de 2-3 ans et ceux de 4-5 ans. Les auteurs

concluent ce travail en se demandant ce qui cause la différence entre la tâche traditionnelle et

la nouvelle tâche. Les auteurs expliquent que la réponse à cette question est probablement

42 Ces deux tranches ont été déterminées selon l’âge des participants de l’étude. Ces regroupements avaient pour but de permettre l’observation de développements. 43 Les résultats ont été arrondis à la deuxième décimale.

Page 109: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

101

d’ordre pragmatique (ex. Speas, 2004) mais ne formulent pas d’hypothèse précise. Les

auteurs suggèrent des pistes d’analyse mais concluent qu’il est impératif de mener de

nouvelles expériences avant d’élaborer une proposition.

4.2.7 Résumé et conclusion

Dans la présente section, nous avons passé en revue l’ensemble des études en production

induite qui se sont penchées sur les éléments clitiques. Nous sommes en mesure de tirer 3

conclusions sur le sujet : 1) il existe des différences importante entre les études; 2) la

méthode d’élicitation a un effet autant sur les productions des enfants que sur celles des

adultes; et 3) les résultats de l’étude qui utilise une nouvelle méthode d’élicitation

démontrent clairement que l’enfant (à l’âge de 3 ans) n’a aucune difficulté à produire les

clitiques objets.

4.3 Conclusion générale

Le but du présent chapitre était de présenter et d’analyser les études antérieures qui ont établi

l’asymétrie comme un phénomène en acquisition. Notre objectif était d’identifier l’origine

(les données empiriques) des questions suivantes : 1) Pourquoi, de manière absolue, le

clitique sujet est-il davantage produit que le clitique objet?; et 2) Pourquoi le clitique sujet

apparaît-il avant le clitique objet?

Nous avons établi que la première question tirait son origine d’études en interaction

spontanée qui démontrent une différence quantitative entre la production des clitiques sujets

et objets. À la lumière de notre analyse, nous sommes portée à proposer que cette différence

est attribuable à la méthode de calcul utilisée qui ne tient pas compte des asymétries

présentes dans la grammaire française.

En ce qui a trait à la deuxième question, elle tire également son origine d’études en

production spontanée qui ont mis en évidence un délai d’apparition entre les éléments

clitiques. Notre analyse en §4.1 a permis de démontrer que ce délai n’est pas généralisé.

Nous proposons donc que le délai observé par Hamann et al. (1996) est possiblement

attribuable à l’absence de contexte clitique objet dans les enregistrements dépouillés.

Page 110: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

102

En deuxième section, nous avons fait une revue critique et exhaustive des études en

production induite. L’analyse comparative de ces études nous a amenée à conclure que les

enfants francophones n’éprouvent pas de difficulté à produire le clitique objet à l’âge de 3

ans. L’asymétrie proportionnelle présente dans certaines études en production induite doit

donc découler d’une autre source.

En §4.1.5, nous avons démontré que la méthodologie développée par Pirvulescu (2006) et

étendue aux clitiques sujets réduisait considérablement l’ampleur de l’asymétrie, du moins

chez l’enfant du corpus Mona. De plus, nous avons établi que la seule façon de déterminer

l’ampleur réelle de l’asymétrie de réalisation clitique était de modifier cette méthode de

calcul en mettant de côté les éléments lexicaux (sujets ou objets). Dans le prochain chapitre,

nous analysons les productions de 3 enfants francophones avec cette méthode. Nous

estimons que l’ensemble des travaux analysés dans le présent chapitre démontre la nécessité

d’une analyse de ce type.

Page 111: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

103

Chapitre 5 L’asymétrie de réalisation clitique chez l’enfant :

nouvelle étude

Le présent chapitre a pour but de déterminer l’ampleur et la nature de l’asymétrie de

réalisation clitique chez les enfants francophones à partir d’une nouvelle méthodologie qui

nous estimons permettra d’avoir une idée plus précise du phénomène. Nous effectuons cette

tâche par le biais de l’analyse des productions langagières de 3 enfants francophones, deux

québécoises (corpus Belzil) et une européenne (corpus Para). L’analyse simultanée du

français québécois et du français européen est nécessaire parce que, comme nous l’avons

démontré au Chapitre 3, l’asymétrie de réalisation clitique semble plus importante en

français européen. Si l’enfant parlant cette variété présente également une asymétrie plus

importante, cela indiquerait que les propriétés de la grammaire cible (l’input) jouent

possiblement un rôle dans l’asymétrie observée chez les enfants.

Le présent chapitre se divise en quatre sections. La première (5.1) donne les détails

méthodologiques relatifs aux corpus utilisés, à savoir le profil des participants (nombre

d’enregistrements, âge, langue(s) parlée(s)), la nature des enregistrements (activités, lieux et

durée), et le processus de transcription. La seconde (5.2) décrit la méthode de calcul que

nous avons employée pour déterminer les taux de production des clitiques sujets et objets.

Cette section fait également état des contextes qui ont été exclus des calculs. En troisième

partie (5.3), nous présentons le dépouillement du corpus en français québécois suivi de celui

en français européen. Finalement, nous concluons le présent chapitre avec un bilan

comparatif des résultats obtenus (§5.4).

5.1 Corpus

Tel que susmentionné, le présent chapitre fait état de l’analyse des productions langagières

de trois enfants, une provenant du corpus Para, et deux provenant du corpus Belzil. Le

corpus Para, disponible sur la banque de données CHILDES et crée par Bernadette Plunket,

comprend 35 enregistrements d’une enfant nommée Ann. Ce corpus couvre une période de

2.7 ans, soit de l’âge de 1;10.12 ans jusqu’à 3;5.4 ans. Ces enregistrements ont eu lieu

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environ aux deux semaines et sont sous forme d’interaction spontanée avec activités

dirigées. Les enregistrements ont été faits par une investigatrice au domicile de l’enfant.

Étant donnée le contexte des séances, les membres de la famille de l’enfant sont

fréquemment présents dans les enregistrements. La participante est française ainsi que sa

famille. Pour les besoins du présent travail, nous avons dépouillé un total de 12

enregistrements (un mois d’intervalle entre chacun). Nous avons sélectionné les

enregistrements 10, 12, 15, 16, 18, 20, 22, 23, 24, 26, 28 et 30. Ces enregistrements couvrent

une période d’un an, soit de 2;2.30 à 3;2.09 ans (MLU : 2.7 à 4.3), ce qui correspond

relativement à la période couverte par le corpus Belzil.

En ce qui a trait au corpus Belzil, nous le décrivons plus en détails parce qu’il a été créé

spécifiquement pour la présente thèse. Le recueil de ce corpus était essentiel à notre

recherche, et ce, pour plusieurs raisons. En premier lieu, nous désirions recueillir les données

pour être en mesure d’avoir le maximum d’information sur le contexte dans lequel chaque

énoncé est produit. De plus, bien qu’il y ait un certain nombre de corpus déjà disponibles sur

CHILDES, un seul corpus en français québécois (Mona) était disponible. Il était donc

nécessaire d’avoir davantage de données sur cette variété.

Le corpus Belzil compte les transcriptions de 9 enregistrements ayant eu lieu sur une période

de 6 mois. Les enregistrements avaient lieu à toutes les 2 à 4 semaines. Deux enfants, Ana

(2;3.29 à 2;10.0 ans) et Élie (2;2.26 à 2;8.29 ans), ont été enregistrées au cours de cette

période. Ces enfants habitent en banlieue de Montréal (Québec, Canada) et grandissent dans

un milieu unilingue francophone. Les parents respectifs de ces enfants sont francophones et

la garderie qu’elles fréquentent est également francophone. Les enregistrements ont eu lieu

dans une salle de la garderie qui se trouve à être adjacente à la salle de jeux principale. Au

total, 6 enfants fréquentent cette garderie qui est désignée comme étant familiale. Les deux

participantes étaient les plus âgées du groupe au moment des enregistrements.

Dans la plupart des enregistrements, les deux enfants sont présentes, toutefois, à deux

reprises, elles ont été enregistrées de manière indépendante pour des raisons personnelles

(ex. maladie et retard). La durée des enregistrements varient entre 30 et 52 minutes. Ces

enregistrements en interaction spontanée ont été effectués par moi-même et étaient sous

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105

forme de jeux dirigés. À chaque séance, nous apportions de nouveaux jeux (casse-têtes,

livres, jeux d’association), ce qui s’avérait un sujet de conversation en soi. Outre ces jeux,

nous avions accès à plusieurs autres jeux qui étaient réservés aux enfants plus âgés de la

garderie (ex. costumes, poupées, cuisinière, piano, etc.). Plusieurs activités avaient lieu à

chaque enregistrement selon l’humeur des participantes. Peu importe le type d’activité

choisi, nous posions constamment des questions aux enfants et participions activement à

l’activité en cours. Le niveau de langage utilisé lors des activités est familier et non normatif.

Les séances de jeux ont été enregistrées sur caméra numérique. Chaque enregistrement a été

gravé sur un disque compact et la transcription n’a débuté qu’une fois tous les

enregistrements terminés. Les transcriptions initiales ont été effectuées par deux assistantes

de recherche, toutes deux étudiantes de premier cycle en linguistique. Ces assistantes ont

reçu une formation pour être en mesure de faire les transcriptions directement dans le

logiciel CLAN. Les transcriptions ont par la suite été revérifiées et corrigées par moi-même.

Ce corpus sera bientôt disponible sur CHILDES.

5.2 Détails de la transcription et calcul des contextes

La transcription des enregistrements avec des enfants de 2-3 ans n’est pas une tâche facile.

Pendant la transcription du corpus Belzil, nous avons observé plusieurs phénomènes (1) de

nature phonétique (comme l’allongement vocalique) qui amènent fréquemment une

ambiguïté quand à la présence/l’absence de certains éléments fonctionnels.

(1) a. *ISA : pourquoi i(l) pleure, ton bébé?

*ISA : t(u) es-tu xx?

*ANA : t(u) vas : prendre.

*ISA : oui?

*ISA : tu veux q(ue) j(e) le prenne?

(Ana & Élie-1)

b. *ISA : comment tu l(e) [= le bébé] trouves?

*ANA : c’est beau.

*ISA : c’est beau?

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*ANA : on va : attacher.

*ISA : on va l’attacher [= le chapeau]?

*ANA : oui.

(Ana & Élie-2)

Ce corpus a été transcrit sans analyse phonétique, ce qui fait en sorte que nous ne pouvons

tirer aucune conclusion de ces phénomènes. Cela dit, il ne faut cependant pas sous-estimer

leur importance.

À ce stade du développement langagier (entre l’âge de 2 et 3 ans), la réalisation de plusieurs

phonèmes, particulièrement les consonnes, est instable (2). Les difficultés qu’éprouvent les

enfants avec la réalisation de certains phonèmes rendent la transcription très difficile et

possiblement inexacte à l’occasion.

(2) a. *ISA : qu’est-ce que tu fais, Ana?

*ANA : couper (l)es pommes.

*ISA : oui, tu vas couper les pommes.

*ANA : oui.

(Ana & Élie-2)

b. *ISA : est : [ : elle est] où, la suce?

*ANA : la suce (d)u bébé.

*ISA : est : où, la suce du bébé?

*ELI : (d)ans ton lit.

*ISA : dans son lit?

(Ana & Élie-1)

c. *ANA : c’est crop [ : trop] (pe)tite.

*ISA : hein?

*ANA : c’est crop [ : trop] (pe)tite.

*ISA : est : trop p(e)tite?

*ISA : non, j(e) pense qu’est : trop grosse.

(Ana & Élie-1)

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De plus, plusieurs proto-éléments sont présents (3), ce qui augmente davantage le niveau de

difficulté de la transcription et d’interprétation des données.

(3) *ISA : c’est quoi, ça?

*ANA : aé [ : une?] co(r)de.

*ISA : une corde?

(Ana & Élie-1)

Au-delà des difficultés relatives à la transcription, nous avons fait face à plusieurs

particularités du langage enfantin qui nous ont poussée à retreindre davantage les contextes

clitiques sujets et clitiques objets tels que définis dans le précédent Chapitre (4).

(4) a. Contexte clitique sujet : 1ère et 2ème personnes

i. Le référent doit être contenu dans le contexte extralinguistique.

ii. Le groupe verbal doit être fléchi (sauf l’impératif) et comprendre tous les éléments nécessaires (ne pas considérer les cas d’omission de l’auxiliaire ou du verbe modal). iii. Il doit apparaître lorsqu’un pronom fort est présent ou est disloqué à gauche ou à droite.

b. Contexte clitique sujet : 3ème personne

i. Dans le cas où il y a un référent (non explétif), ce dernier doit être défini et être le topique du discours précédent (10 lignes et moins en transcription). ii. Le groupe verbal doit être fléchi (sauf l’impératif) et comprendre tous les éléments nécessaires (ne pas considérer les cas d’omission de l’auxiliaire ou du verbe modal). iii. Ce clitique doit apparaître lorsqu’un pronom fort ou un DP est disloqué à gauche ou à droite.

Ces restrictions s’appliquent généralement aux deux corpus mais parfois à un seul, et ce,

parce que les variétés que nous analysons ont des particularités qui leur sont propres et que

nous nous devons d’en tenir compte pour obtenir un calcul des plus précis. Notamment, il

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existe des différences en ce qui a trait aux expressions figées que nous avons exclues. De

plus, en français québécois, nous avons dû enlever du dénominateur des clitiques sujets les

occurrences où le clitique sujet précède sont (que le sujet soit féminin ou masculin) et est

(lorsqu’il est précédé de elle). Ces exclusions sont justifiées par le fait que les clitiques sujets

qui précèdent ces formes verbales sont très fréquemment réduites ou omises en français

québécois parlé (voir not. Auger, 1995).

En ce qui concerne les proto-éléments, nous n’avons pas opté pour l’exclusion pure et

simple, et ce, pour les deux corpus. Lorsque leur nature était non ambigüe selon le contexte

phrastique, ces éléments ont tantôt été considérés comme des déterminants, tantôt comme

des clitiques sujets.

Outre les proto-éléments ambigus, nous avons exclus de l’analyse l’expression figée Tiens.

Cette expression, largement utilisée en français québécois et en français européen, semble

prendre diverses significations selon le contexte de production. Voici quelques exemples

recensés chez l’adulte dans le corpus Belzil.

(5) a. *ISA : tiens, on va les [= les souliers] ranger.

b. *ISA : tiens, i(l) veut aller t(e) voir.

c. *ISA : tiens, vous en avez chacun un. (Ana & Élie-1)

En plus de cette expression figée, nous avons exclus les impératives, et ce, dans les deux

corpus. Cette exclusion n’a aucune incidence pour le calcul des clitiques sujets parce que cet

élément n’est pas requis dans ce contexte. Cependant, en ce qui a trait au calcul des clitiques

objets, cela amènerait possiblement un impact majeur et ferait augmenter de manière

significative le pourcentage d’omissions (6).

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(6) *ANA : cochon, i(l) est où?

*ISA : le cochon i(l) est là [= dans l’étagère].

%exp : le cochon c’est un autre jeu auquel elles ont déjà joué. Il y a un

appareil qui lit les cartes.

*ANA : donne.

*ANA : donne.

%act : Ana tend la main et ordonne à Isa de lui donner le jeu du cochon.

(Ana & Élie-3)

Notre décision d’exclure les impératives du calcul découle du fait que ce mode favorise

grandement la production d’un objet latent (objet nul) en français, tel que rapporté par

Fonàgy (1985), Lambrecht & Lemoine (1996) et Larjavaara (2000). À ce propos, Larjavaara

explique :

[…] un facteur important qui favorise la présence d’objets latents avec les

impératifs est la topicalité du référent. Quand un ordre est donné, c’est le plus

souvent à propos de quelque chose dont il a déjà été question. Le référent a

donc tendance à avoir un haut degré de topicalité avec l’impératif, et il a alors

de fortes chances d’être représenté par un objet latent. (p. 51)

L’autre modification que nous avons faite au mode de calcul décrit en (4) est l’exclusion des

éléments lexicaux des dénominateurs. En d’autres termes, lorsqu’un DP était produit dans un

contexte favorable à la production d’un clitique, nous avons exclu ce contexte du nombre

total de contextes, et ce, tant pour les sujets que pour les objets.

En ce qui concerne les clitiques sujets spécifiquement, nous avons exclu les formes il y a et

il faut pour les deux variétés (français québécois et français européen) et elle est - ils/elles

sont pour le français québécois uniquement. Ces expressions ont été écartées parce que la

production du clitique sujet est très instable chez l’adulte et lexicalement déterminée.

En ce qui a trait aux répétitions, nous avons exclu celles que l’enfant fait d’une phrase

prononcée immédiatement avant par l’adulte ou par un autre enfant, et ce, toujours dans les

deux corpus. Ces répétitions (7) sont parfois complètes, parfois partielles, parfois tronquées

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110

et sont très courantes dans le corpus en français québécois, particulièrement chez l’une des

enfant ( Élie).

(7) a. *ELI : un aut(re).

*ISA : un autre?

*ELI : oui.

*ISA : merci.

*ISA : oups, j(e) l’ai [= le collier] échappé par terre.

*ELI : échappé par terre.

*ISA : oui.

*ISA : (at)tention pas tomber.

(Ana & Élie-1)

b. *ISA : qu’est-ce que j’ai fait avec mon morceau?

*ELI : a(v)ec mon mo(r)ceau.

*ISA : oui, qu’est-ce que j’ai fait avec mon morceau?

*ANA : fait a(v)e(c) mon mo(r)ceau.

*ISA : tu répètes c(e) que je dis.

*ISA : t(u) es-tu dans la lune ma cocotte?

*ELI : oui.

*ISA : oui, tu répètes hein?

(Ana & Élie-3)

Dans le même ordre d’idée, nous avons exclu les répétitions d’un jeu qui parle ou de paroles

de chansons.

(8) %exp : le jeu dit : «enlève les cartes».

*ELI : enlè(ve) les ca(r)tes!

*ISA : enlève les cartes!

*ISA : ok.

*ELI : ok.

(Ana & Élie-3)

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Nous avons aussi exclu les énoncés où l’enfant se répète lui-même sans modification ni ajout.

(9) *ELI : xx (c)o(m)ent ta [ : ça] [= le BBQ] marche? *ELI : (c)o(m)ent ta [ : ça] marche?

*ELI : (c)o(m)ent ta [ : ça] marche?

*ELI : (c)o(m)ent ta [ : ça] marche?

*ELI : (c)o(m)ent ta [ : ça] marche?

*ISA : i(l) [=le BBQ] marche [ : fonctionne] pas?

(Ana & Élie-1)

Finalement, nous avons également enlevé du nombre de contextes total les phrases où il était

impossible de déterminer si le son produit par l’enfant était ou non un élément ciblé.

L’exclusion de ces contextes (10) est essentielle parce qu’il est impossible de déterminer ce

qui a été produit ou omis par l’enfant.

(10) %exp : Isa pointe une image sur laquelle une fille se lave les mains.

*ANA : (s)e lave les mains. *ISA : hein? *ANA : xx lave les mains. *ISA : oui. (Ana & Élie-1)

5.3 Analyse des données

Les données ont été analysées manuellement et non par le biais du logiciel CLAN. Nous

avons lu intégralement chaque enregistrement afin de connaître avec précision le contexte

entourant les productions des enfants. Nous présentons l’analyse des deux enfants du corpus

en français québécois (Ana & Élie), suivi de celle du corpus en français européen (Ann).

Pour chacun des corpus, nous discutons de l’ampleur et de la nature de l’asymétrie en

contexte clitique et nous répondons aux 2 questions suivantes : 1) les clitiques sujets

apparaissent-ils réellement avant les clitiques objets (compte tenu que les contextes sont

présents)?; et 2) y a-t-il véritablement une asymétrie de réalisation clitique (proportionnelle)?

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Pour chacun des enfants analysés, nous avons produit 3 graphiques : 1) « Taux de production

des clitiques sujets et objets »; 2) « Asymétrie de pronominalisation : nombre de contextes »,

et 3) « Ampleur de l’asymétrie ». À noter que chaque graphique contient l’âge et le MLU

(par le biais du logiciel CLAN) des enfants au moment de l’enregistrement. Le premier

graphique représente les taux de production des clitiques sujets et objets par enregistrements.

Pour obtenir ce taux, nous avons divisé le nombre de clitiques produits par le nombre total

de contextes. Ce graphique vise à déterminer la présence ou l’absence d’asymétrie

proportionnelle, globale et par enregistrement. À noter que ce graphique ne contient pas le

nombre de contextes. Ce nombre est représenté dans le graphique intitulé « asymétrie de

pronominalisation : nombre de contextes ». Le nombre de contextes et les taux de production

sont illustrés dans deux graphiques différents parce que nous examinons deux phénomènes

différents, à savoir l’asymétrie de réalisation clitiques (les clitiques sujets sont davantage

produits en proportion) et l’asymétrie de pronominalisation (les contextes clitiques sujets

sont beaucoup plus fréquents que les contextes clitiques objets). Le nombre de contextes

considérés pour le calcul des taux de production proportionnels est donc inscrit au-dessus de

chaque bande du graphique « Asymétrie de pronominalisation : nombre de contextes ». Ce

graphique a pour but d’illustrer l’ampleur de l’asymétrie au niveau du nombre de contextes

favorables à la cliticisation. Cette asymétrie entraîne directement une asymétrie en nombre

absolu en faveur des clitiques sujets, comme c’était le cas chez l’adulte.

Le troisième graphique (Ampleur de l’asymétrie) vise à déterminer s’il existe toujours une

asymétrie proportionnelle en faveur des clitiques sujets, c’est-à-dire à chaque

enregistrement. Pour chaque enregistrement, nous avons soustrait le taux de production des

clitiques objets du taux de production des clitiques sujets. Ceci fait en sorte que nous

sommes en mesure de déterminer à la fois l’ampleur, la présence et la direction (en faveur

des clitiques sujets ou des clitiques objets) de l’asymétrie. À noter que ce tableau peut

sembler à prime abord non pertinent parce que la comparaison entre les taux pourrait être

considérée comme inappropriée, étant donné l’importante différence entre le nombre de

contextes rapportés par type d’éléments. Une des façons de remédier à la situation serait de

regrouper les enregistrements afin d’obtenir un nombre plus important de contextes pour les

clitiques objets. Une telle alternative pourrait permettre de comparer les données sur le plan

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113

statistique. Néanmoins, cette façon de faire est inadéquate pour la nature des données que

nous analysons. Nous avons mentionné à maintes reprises que dans une étude longitudinale,

la moyenne ne peut pas être significative en soi. Utiliser la moyenne nous empêche d’évaluer

le développement même du langage en ce qui a trait aux clitiques sujets et objets et nous

éloigne de l’objectif que nous poursuivons.

5.3.1 Ana

Le Graphique 5-1 fait état des pourcentages de production des clitiques sujets et objets par

enregistrement.

Graphique 5-1

Taux de production des clitiques sujets et objets : Ana

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

2;3.29(2.6)

2;4.12(2.4)

2;5.10(2.8)

2;5.22 (2.3)

2;6.12(2.5)

2;7.12(2.7)

2;8.16 (2.7)

2;9.9 (2.9)

2;10.0(2.9)

MOYENNE

Âge et MLU

Taux

Clitiques sujets

Clitiques objets

Les résultats du graphique ci-dessus indiquent qu’il y a bel et bien une certaine asymétrie

entre la production des clitiques sujets et objets si l’on se ‘fie’ à la moyenne. Cependant,

comme nous l’avons déjà mentionné, la moyenne est totalement inutile si ce n’est d’illustrer

une certaine asymétrie ou son absence.

Au-delà de ce phénomène de surface, notre analyse nous a permis d’observer la présence

d’une différence importante au niveau du nombre de contextes où ces éléments sont

attendus. Le Graphique 5-2 illustre cette différence que nous qualifions d’asymétrie de

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114

pronominalisation. Ce graphique représente le nombre de contextes répertoriés par type

d’élément pour chacun des enregistrements.

Tableau 5-2

Asymétrie de pronominalisation chez Ana : nombre de contextes

72

9

35 34 32

70

40

70

59

47

16

5 3 4 610 7 5 6 7

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

2;3.

29 (2

.6)

2;4.

12 (2

.4)

2;5.

10 (2

.8)

2;5.

22 (

2.3)

2;6.

12 (2

.5)

2;7.

12 (2

.7)

2;8.

16 (

2.7)

2;9.

9 (

2.9)

2;10

.0 (2

.9)

MOYENNE

Âge et MLU

Nom

bre

de c

onte

xtes

Contextes clitiques sujets

Contextes clitiques objets

Le graphique ci-dessus illustre que le contexte clitique sujet est en moyenne 6.8 fois plus

fréquent que le contexte clitique objet chez Ana.

Si l’on compare les Graphiques 5-1 et 5-2, on voit que l’asymétrie de réalisation clitique

(proportionnelle) est beaucoup moins franche et moins importante que celle de

pronominalisation. Dans le but de dresser le tableau développemental de l’asymétrie, nous

avons analysé ce phénomène pour chacun des enregistrements. Pour chaque enregistrement,

nous avons mesuré l’ampleur du phénomène. Pour ce faire, nous avons soustrait le taux de

production du clitique objet à celui du clitique objet. Lorsque que la différence est positive

(ex. +15%) cela signifie que le clitique sujet est davantage produit et donc que l’asymétrie

est en sa faveur. En revanche, lorsque la différence est négative (ex : -15%) cela indique que

le clitique objet est davantage produit et que l’asymétrie est inverse.

Le Graphique 5-3 illustre que l’asymétrie en faveur des clitiques sujets n’est pas généralisée.

On remarque une asymétrie inverse dans 1 enregistrement, l’absence d’asymétrie dans 3

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115

enregistrements (moins de 5% d’écart), et une asymétrie en faveur des clitiques sujets dans 5

enregistrements.

Graphique 5-3 Ampleur de l’asymétrie de réalisation clitique : Ana

-40%

-20%

0%

20%

40%

60%

80%

100%

2;3.29(2.6)

2;4.12(2.4)

2;5.10(2.8)

2;5.22 (2.3)

2;6.12(2.5)

2;7.12(2.7)

2;8.16 (2.7)

2;9.9 (2.9)

2;10.0(2.9)

MOYENNE

Âge et MLU

Am

pleu

r

Ampleur

Ces résultats démontrent qu’il n’y a pas d’asymétrie complètement généralisée en faveur des

clitiques sujets chez cette enfant.

En résumé, l’analyse des productions langagières d’Ana nous permet de répondre à nos deux

questions de la manière suivante : 1) les clitiques sujets n’apparaissent pas avant les clitiques

objets; et 2) il n’y a pas d’asymétrie de réalisation clitique proportionnelle totalement

généralisée.

5.3.2 Élie

Le graphique 5-4 fait état des pourcentages de production des deux types d’éléments par

enregistrements chez Élie. À noter qu’il n’y a pas de taux pour les clitiques objets lors du

troisième enregistrement parce que le nombre de contextes favorisant la production de cet

élément était inférieur à 3. Pour déterminer le nombre minimal de contextes à considérer

pour calculer un taux, nous nous sommes basée sur la méthodologie de Pirvulescu (2006).

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Graphique 5-4

Taux de production des clitiques sujets et objets : Élie

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

2;2.26 (2.4)

2;3.10 (2.6)

2;4.7 (2.2)

2;4.19 (2.2)

2;5.10 (2.3)

2;6.10 (3.3)

2;7.14 (3.7)

2;8.7 (3.7)

2;8.29 (3.7)

MOYENNE

Âge et MLU

Taux

Clitiques sujets

Clitiques objets

Tout comme chez Ana, si on s’attarde uniquement à la moyenne, on remarque une certaine

asymétrie entre la production des clitiques sujets et objets. L’asymétrie de réalisation clitique

sur une base développementale est tout comme chez Ana beaucoup moins franche que celle

de pronominalisation (Graphique 5-5). Contre toute attente d’ailleurs, les clitiques objets

semblent cesser d’être omis (optionnels) dans nos enregistrements avant les clitiques sujets.

Le fait que les taux affichés atteignent 100% dans les 3 derniers enregistrements n’implique

pas pour autant que cet enfant n’omettra plus jamais le clitique objet, ni qu’elle n’ait atteint «

la grammaire cible », et ce, parce que nous avons exclu du calcul les contextes où l’objet

était réalisé sous forme lexicale. Il se pourrait notamment que l’enfant produise davantage

d’éléments lexicaux que l’adulte en contexte où la production d’un élément clitique est

préférable. Ceci dit, une comparaison de cette nature, c’est-à-dire au niveau de la production

des éléments lexicaux entre l’enfant et l’adulte, n’est pas une tâche facile notamment parce

qu’il est extrêmement difficile de déterminer si la répétition chez l’enfant est une stratégie

utilisée pour éviter la production du clitique ou s’il s’agit d’une simple répétition,

phénomène linguistique si fréquent et si nécessaire à l’âge des participantes que nous

analysons. Même en comparant les taux d’éléments lexicaux produits par les enfants et les

adultes, l’inférence que l’on pourrait tirer d’une possible différence serait difficilement

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117

viable si l’on considère les particularités de la parole enfantine que nous venons de

mentionner. Ce qu’il faut retenir des taux présentés au Graphique 5-4, est qu’il n’y a pas

d’asymétrie séquentielle en parole spontanée chez cet enfant en faveur des clitiques sujets

(i.e. les clitiques sujets ne cessent pas d’être omis avant les clitiques objets), et donc, que

l’asymétrie de réalisation clitique sur le plan développemental ne semble pas une réalité, du

moins en interaction spontanée. Cela démontre que les productions de cette enfant ne

présentent pas d’asymétrie de réalisation en faveur des clitiques sujets.

Notre analyse révèle qu’il y a une importante asymétrie de pronominalisation, mais elle est

moins marquée que chez Ana. Chez Élie, le contexte clitique sujet est en moyenne 3.5 fois

plus fréquent que le contexte clitique objet (Graphique 5-5).

Graphique 5-5

Asymétrie de pronominalisation chez Élie : nombre de contextes

5

1911 10

35

72

53

3832 31

3

12

26

11 1216

7 9 9

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

2;2.

26 (

2.4)

2;3.

10 (

2.6)

2;4.

7

(2.2

)

2;4.

19 (

2.2)

2;5.

10 (

2.3)

2;6.

10 (

3.3)

2;7.

14 (

3.7)

2;8.

7

(3.7

)

2;8.

29 (

3.7)

MOYENNE

Âge et MLU

Nom

bre

de c

onte

xtes

Contextes clitiques sujets

Contextes clitiques objets

Le Graphique 5-6 illustre que l’asymétrie n’est pas plus stable chez Élie qu’elle ne l’est chez

Ana. Au total, on dénombre une asymétrie inverse dans 3 enregistrements, l’absence

d’asymétrie dans 1 enregistrement (moins de 5% d’écart), et une asymétrie en faveur des

clitiques sujets dans 4 enregistrements.

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118

Graphique 5-6

Ampleur de l’asymétrie de réalisation clitique : Élie

-40%

-20%

0%

20%

40%

60%

80%

100%

2;2.26 (2.4)

2;3.10 (2.6)

2;4.19 (2.2)

2;5.10 (2.3)

2;6.10 (3.3)

2;7.14 (3.7)

2;8.7 (3.7)

2;8.29 (3.7)

MOYENNE

Âge et MLU

Am

pleu

r

Ampleur

En résumé, chez Élie comme chez Ana, les clitiques sujets n’apparaissent pas avant les

clitiques objets et il n’y a pas d’asymétrie de réalisation clitique proportionnelle totalement

généralisée en faveur des clitiques sujets.

5.3.3 Ann

Le graphique 5-7 présente les pourcentages de production des clitiques sujets et objets par

enregistrement chez Ann.

Tableau 5-7 Taux de production des clitiques sujets et objets : Ann

0%

10%

20%

30%

40%

50%

60%

70%

80%

90%

100%

2;2.30 (2.7)

2;4.02 (2.8)

2;5.18 (3.2)

2;6.02 (3.3)

2;7.01 (2.9)

2;8.03 (2.9)

2;9.15 (3.6)

2;10.18 (3.6)

2;11.02 (3.9)

3;0.10 (3.4)

3;1.15 (3.5)

3;2.09 (4.3)

MOYENNE

Âge et MLU

Tau

x

Clitiques sujets

Clitiques objets

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119

Si l’on s’attarde aux moyennes, il y a toujours une certaine asymétrie proportionnelle

globale. Ce qui ressort chez Ann est que le clitique objet est omis beaucoup plus longtemps

que le clitique sujet. En fait, il demeure optionnel (minimalement 5 mois) bien après que le

clitique sujet ait atteint le stade des 100%. Ce type d’asymétrie ressemble étrangement à ce

que nous avons observé chez les adultes européens.

Comme chez Ana et Élie, il y a une asymétrie de pronominalisation. Le Graphique 5-8 fait

état de ce phénomène et démontre qu’en moyenne le contexte clitique sujet est 5.4 fois plus

fréquent chez Ann.

Graphique 5-8

Asymétrie de pronominalisation chez Ann : nombre de contextes

26

65

85

100

65

41

97

128 126

71

105

150

88

6 7 614

6 6 11

31 30

7

45

2616

-10

10

30

50

70

90

110

130

150

2;2.

30 (

2.7)

2;4.

02 (

2.8)

2;5.

18

(3.2

)

2;6.

02 (

3.3)

2;7.

01

(2.9

)

2;8.

03 (

2.9)

2;9.

15

(3.6

)

2;10

.18 (

3.6)

2;11

.02 (

3.9)

3;0.

10

(3.4

)

3;1.

15

(3.

5)

3;2.

09 (

4.3)

MOYENNE

Âge et MLU

Nom

bre

de c

onte

xtes

Contextes clitiques sujets

Contextes clitiques objets

Le Graphique 5-9 présente l’ampleur de l’asymétrie de réalisation clitiques par

enregistrement.

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120

Graphique 5-9

Ampleur de l’asymétrie de réalisation clitique : Ann

-20%

0%

20%

40%

60%

80%

100%

2;2.30 (2.7)

2;4.02 (2.8)

2;5.18 (3.2)

2;6.02 (3.3)

2;7.01 (2.9)

2;8.03 (2.9)

2;9.15 (3.6)

2;10.18 (3.6)

2;11.02 (3.9)

3;0.10 (3.4)

3;1.15 (3.5)

3;2.09 (4.3)

MOYENNE

Âge et MLU

Am

pleu

r

Ampleur

Le graphique ci-dessus illustre que l’asymétrie n’est pas stable chez Ann. Au total, on

retrouve une asymétrie inverse dans 1 enregistrement, l’absence d’asymétrie dans 3

enregistrements (moins de 5% d’écart), et une asymétrie positive (en faveur des clitiques

sujets) dans 8 enregistrements. Tout comme chez Ana et Élie, les productions d’Ann ne

présentent pas une asymétrie totalement généralisée en faveur des clitiques sujets. Seulement

66% (8 sur 12) des enregistrements présentent une asymétrie en faveur des clitiques sujets

alors que c’était le cas dans 55% chez Ana (5 sur 9) et dans 44% (4 sur 9) chez Élie.

L’analyse des productions langagières d’Ann nous permettent de conclure que les clitiques

sujets apparaissent en production avant les clitiques objets mais que cela est attribuable à

l’absence de contexte clitique objet lors des premiers enregistrements (avant

l’enregistrement 10; voir également Pirvulescu (2006) à ce sujet). De plus, nous pouvons

affirmer qu’il n’y a pas d’asymétrie de réalisation (taux de production) proportionnelle

totalement généralisée en faveur des clitiques sujets. Néanmoins, même si ce phénomène

n’est pas généralisé, il semble toutefois plus marqué qu’en français québécois.

5.4 Conclusion

Le présent chapitre avait pour but de déterminer l’ampleur et la nature de l’asymétrie de

réalisation clitique chez l’enfant francophone en utilisant une méthode de calcul différente

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121

de celles qui avaient été utilisées dans les études antérieures. Les résultats que nous avons

obtenus de l’étude des productions langagières de trois enfants francophones révèlent qu’il

n’y a pas d’asymétrie de réalisation généralisée et que les clitiques sujets n’apparaissent pas

en production avant les clitiques objets si l’on tient compte des contextes où ces éléments

sont attendus. De plus, notre analyse a mis en lumière des différences entre nos enfants

québécois et notre enfant européen. Nos enfants québécois ont une asymétrie moins marquée

en faveur des clitiques sujets. D’autre part, la période où le clitique objet est optionnel

semble moins longue chez nos enfants québécois. Certes, il s’agit là de tendances qui

doivent être vérifiées par une étude empirique de beaucoup plus grande envergure.

Néanmoins, ces tendances indiquent la présence d’un lien entre l’input et les productions

enfantines, ce qui suggère que l’asymétrie observée chez les enfants est probablement

attribuable aux propriétés de la langue cible.

Dans le prochain chapitre, nous rappelons brièvement les conclusions que nous avons tirées

des chapitres précédents (Chapitres 3, 4 et 5) et nous abordons une question importante pour

le domaine de l’acquisition, à savoir l’optionalité dans les productions enfantines. Étant

donné que la présente étude suggère qu’il existe un lien entre l’input et ce que nous

observons en acquisition au niveau des clitiques sujets et objets, nous discutons également et

amplement du rôle que pourrait jouer l’input dans ce phénomène.

Page 130: L’asymétrie entre l’acquisition des clitiques sujets ... · Vincent, qui m’ont donné l’énergie nécessaire pour mener à bien ce projet. Merci à ma mère, Suzanne, dont

122

Chapitre 6 Au-delà de l’asymétrie : l’optionalité des clitiques dans

la grammaire enfantine et le rôle de l’input

L’objectif principal de la présente thèse est de reconsidérer l’asymétrie qui a été rapportée

entre l’acquisition des clitiques sujets et objets à la lumière d’avancées théoriques et

méthodologiques récentes. Nous avons déterminé que ce travail requérait deux étapes : 1)

une vérification des fondements de l’asymétrie dans le but de la définir avec plus de

précisions; et 2) une discussion portant sur les implications théoriques des résultats obtenus.

Les Chapitres 3, 4 et 5 ont été dédiés à la première étape et le présent chapitre a pour but

d’accomplir la seconde.

Les conclusions que nous tirons de notre analyse des fondements de l’asymétrie nous

amènent à traiter de la question de l’optionalité dans la grammaire enfantine et du rôle que

joue l’input dans ce phénomène. Au Chapitre 3, nous avons mis en lumière que l’input

auquel les enfants francophones sont exposés présente plusieurs asymétries dont celle de

réalisation clitique. La réalisation du clitique sujet est systématique alors que celle du

clitique objet est variable. D’autre part, l’étude exhaustive que nous avons faite de données

empiriques aux Chapitres 4 et 5 révèle l’absence d’asymétrie séquentielle mais la présence

d’une asymétrie rythmique dans l’acquisition des éléments clitiques chez les enfants

francophones. Notre analyse a exposé que les clitiques apparaissent relativement au même

moment en production et qu’ils sont optionnels chez les tout-petits. Cependant, l’optionalité

du clitique objet perdure au-delà de celle du clitique sujet mais elle n’apparaît que dans

certains contextes de production. Ces conclusions nous conduisent à discuter de l’optionalité

puisqu’elle est en quelque sorte la cause de l’asymétrie (rythmique) que nous observons.

L’ensemble de notre recherche nous conduit à aborder l’optionalité d’un nouvel angle en

proposant d’une part que nous faisons face à deux types d’optionalités et en formulant

l’hypothèse que l’input joue un rôle dans ces phénomènes. Nous qualifions d’optionalité

spontanée (clitiques sujets et objets) celle que l’on observe en interaction spontanée et

d’optionalité induite (clitique objet), celle que nous observons uniquement dans certaines

études en production induite. Les termes ‘optionalité spontanée’ et ‘optionalité induite’

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123

désignent strictement et simplement le contexte de production où ces optionalités se

manifestent. Ainsi, si l’on observe un autre type de contraste entre ces contextes de

production, les qualificatifs ‘spontanée’ et ‘induite’ pourraient être facilement transférables.

À titre d’exemple, nous avons vu au Chapitre 3 que les adultes francophones ont une

production du clitique objet qui est systématique uniquement en production induite. Nous

pourrions nommer ce phénomène ‘systématicité induite’.

En §6.1 nous explorons des sources possibles à l’optionalité spontanée en analysant en

détails les nombreuses hypothèses qui ont été proposées pour rendre compte de ce

phénomène. Ces hypothèses exhibent des différences notamment en ce qui a trait à leur

conception de l’acquisition (ex. hypothèse de continuité forte, de continuité faible et

maturationnelle) et au traitement des clitiques qu’elles adoptent (mouvement, génération à la

base, analyse hybride). Il va donc de soi qu’elles attribuent l’optionalité à des facteurs très

différents. Nous présentons les hypothèses de Hyams (1986), Rizzi (2002) et Rasetti (2003)

qui décrivent l’optionalité comme une transition entre deux valeurs paramétriques; celle de

Schaeffer (1997, 2000) qui impute l’optionalité au développement du système pragmatique;

celle de Yang (2002) qui attribue l’optionalité au développement quantitatif du système

grammatical; celle de Wexler et al. (2004) qui propose que l’optionalité découle d’une

contrainte maturationnelle; la proposition de Grüter (2006) qui attribue ce phénomène à une

limite mémorielle; et finalement celle de Pérez-Leroux et al. (2006, 2008) qui considère

l’optionalité du clitique objet comme le signe de la présence d’un objet nul référentiel dans

la grammaire enfantine.

Notre analyse nous amène à conclure qu’aucune de ces hypothèses, du moins dans leur

forme actuelle, n’arrive à rendre compte adéquatement de nos résultats. Devant ce constat,

nous utilisons l’ensemble du présent travail, et ce, tant au niveau empirique (enfant et adulte)

que théorique, pour nous guider vers une hypothèse qui pourrait expliquer ces optionalités.

L’analyse des traitements des clitiques que nous avons faite au Chapitre 2, la description des

trois asymétries présentes dans la grammaire adulte (Chapitre 3), la description des

production enfantines (Chapitres 4 et 5) et la présence de deux types d’optionalité sont les

éléments que nous considérons. Pris dans leur ensemble, ces éléments pointent vers la

nécessité d’adopter un traitement différentiel des éléments clitiques et nous estimons que le

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124

choix d’une hypothèse de ce type s’avère un élément clé dans notre compréhension de

l’origine de l’optionalité spontanée.

En §6.2, nous discutons de ce qui pourrait engendrer l’optionalité induite. Les hypothèses

spécifiques que nous venons de citer ne peuvent expliquer ce phénomène et nous explorons

la possibilité qu’il puisse découler de la variation présente dans l’input et de la tendance qu’a

l’enfant à la régulariser. Cette proposition est basée sur notre analyse des travaux de Hudson

& Newport (2005) en conjonction avec ceux de Miller (2007).

6.1 L’optionalité spontanée : vers la source

À ce jour, de nombreux chercheurs se sont penchés sur l’optionalité dans la grammaire

enfantine. Ce phénomène est attribué à diverses sources et nous présentons ici les hypothèses

les plus élaborées ainsi que celles qui ont été spécifiquement développées pour rendre

compte de l’optionalité des clitiques sujets ou objets. L’étude simultanée de l’acquisition des

clitiques permet d’évaluer les hypothèses qui visent à rendre compte de l’optionalité de l’un

ou de l’autre de ces éléments. Nous présentons ces hypothèses en ordre chronologique, outre

pour celles de Hyams (1986), Rizzi (2002) et Rasetti (2003) qui sont présentées dans une

même section puisqu’elles ont un fondement commun, à savoir la proposition de Hyams.

6.1.1 Hyams (1986), Rizzi (2002) et Rasetti (2003)

Les propositions de Hyams, Rizzi et Rasetti attribuent l’optionalité à la transition entre deux

valeurs paramétriques. La sélection de paramètres se fait par le biais de l’exposition à la

langue ambiante qui permet à l’enfant de déterminer la valeur (positive ou négative) des

paramètres de sa langue.

The child interprets the incoming linguistic data through the analytic devices

provided by Universal Grammar, and fixes the parameters of the system on

the basis of the analyzed data, his linguistic experience. Acquiring a language

thus means selecting, among the options generated by the mind, those which

match experience, and discarding the other options. (Chomsky, 2002; p.16)

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125

Dans ce cadre, l’optionalité de certains éléments est interprétée comme l’évidence que

l’enfant choisit initialement une valeur paramétrique qui ne correspond pas à celle de la

langue cible et qu’il est en voie de changer cette valeur.

En mettant en lumière la présence de sujets nuls chez les enfants anglophones, une langue

dites à ‘sujets non nuls’, le travail de Hyams (1986) est le premier à avoir mis en évidence

l’absence de corrélation paramétrique entre les productions enfantines et adultes.

Concrètement, Hyams a proposé que les enfants anglophones avait au départ la valeur non

marquée du paramètre du sujet nul (valeur positive : + nul), pour ensuite se rendre compte,

par le biais de l’exposition à la langue qu’ils devaient changer la valeur de ce paramètre (de

+ à -). La présence généralisée de sujets nuls chez les enfants (de manière interlinguistique)

au début de l’acquisition a été interprétée comme l’évidence qu’il existait une valeur par

défaut aux paramètres. Dans le cas du sujet, la valeur serait par défaut positive (+sujets nuls).

Nous reprenons ci-dessous les propos de Rizzi (2002) qui résument clairement et

simplement cette proposition :

Suppose that the Null Subject Parameter (whatever its appropriate

formulation) is initially set on the positive value, the one licensing null

pronominal subjects in tensed clauses. Then nothing happens in the

acquisition of Italian, Spanish etc. : the evidence available to the child is

consistent with the initial value, and no development is observed. On the

other hand, the child learning English, French, etc., must eventually realize

that the target system is not a NSL; but this takes time, whence the

developmental effect and the observed null subject phase. (Rizzi, 2002; p.4)

L’hypothèse dont nous venons de discuter implique que les paramètres doivent être changés

de valeur au cours du processus acquisitionnel et qu’il existe possiblement une valeur

paramétrique par défaut. Ces changements devraient en principe engendrer une modification

plus ou moins drastique des productions enfantines. La présence d’une optionalité

relativement longue ébranlerait donc possiblement cette hypothèse. Récemment, Thornton et

Tesan (2007) ont proposé que l’optionalité ne constitue pas un obstacle en soi.

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126

Thornton et Tesan se sont penchés sur le phénomène des sujets nuls chez les enfants

anglophones dans le but de comparer, et donc d’évaluer, la validité de trois hypothèses :

l’hypothèse de l’acquisition hiérarchique des paramètres (angl. Hierachical Acquisition;

Baker, 2001, 2005), l’hypothèse de la sélection paramétrique hâtive (angl. Very Early

Parameter Setting model; Wexler, 1998) et l’hypothèse de la variation statistique angl.

Variation model; Yang, 2002, 2004). Leur analyse a démontré que la période d’optionalité

des pronoms sujets chez les enfants anglophones ne durait que 3 mois. Cette période a été

considérée comme un changement drastique et les auteurs, en considérant également

d’autres éléments, ont conclu que l’hypothèse d’acquisition hiérarchique était supérieure aux

autres. Selon leur analyse, un changement drastique n’est donc pas ‘instantané’ mais s’étend

sur une période relativement courte. C’est au cours de cette période que nous observons

l’optionalité. Leur proposition fait en sorte que l’on s’attendrait à ce que l’optionalité ne

dépasse jamais 3 mois et qu’elle soit suivie d’une variation n’excédant pas 10% pour tenir

compte des particularités du langage enfantin.

In principle, categorical acquisition occurs when one sentence type, based on

the initial setting of the parameter, is used in 100% of children’s productions,

and then drops to 0% once the parameter is reset. This makes no allowance

for noise, however. To accommodate noise in child language, we simply

adopt the standard criterion (ex. Brown, 1973) that 90% ‘correct’ adult-like

usage in obligatory contexts indicates that a sentence structure has been

acquired. (p. 62)

Or, cette proposition est incompatible avec les résultats de notre étude puisque nous avons

observé que la période d’optionalité du clitique sujet durait 5 mois chez Élie et plus de 7

mois chez Ana. Chez Ana, même au septième mois, l’optionalité dépassait la variation

permise (10%). Ainsi, l’optionalité que nous observons ne peut pas être considérée comme

du ‘bruit’ au sens de Brown (1973). Par conséquent, nos résultats illustrent possiblement que

la notion de changement paramétrique est soit inadéquate pour décrire le développement

langagier, soit que la question de changement ‘drastique’ n’est pas pertinente. Il existe

également une autre possibilité, notamment il serait envisageable que l’optionalité en tant

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127

que phénomène ait plus d’une source. En d’autres termes, il est possible que l’optionalité

que nous observons dans nos données ne soit pas d’origine paramétrique.

Nous concluons que la proposition de Hyams ainsi que celles qui sont dans la même lignée

(Rizzi, 2002 & Rasetti, 2003) ne peuvent pas rendre compte de l’optionalité spontanée des

clitiques sujets et objets dans leur forme actuelle. Pour que ces hypothèses atteignent cet

objectif, elles doivent traiter en profondeur de la question de période d’optionalité et

proposer une explication élaborée à ce sujet. Notamment, il faudrait discuter de l’importance

de la présence d’un changement drastique dans les productions enfantines ou considérer que

certaines optionalités soient attribuables à des facteurs non paramétriques.

6.1.2 Schaeffer (1997; 2000)

Tandis que les approches dans la lignée des travaux de Hyams (1986) font appel aux valeurs

paramétriques pour expliquer l’optionalité, Schaeffer attribue ce phénomène (pour ce qui est

des clitiques objets spécifiquement) au développement du module pragmatique. Schaeffer

(1997, 2000) a proposé que ce phénomène soit imputable à l’absence d’un principe

pragmatique chez les jeunes enfants : celui de la connaissance non partagée (angl. Concept

of non-shared knowledge). Ce concept fait en sorte qu’un locuteur a conscience que

l’information qu’il connait n’est pas nécessairement commune (connue de son interlocuteur).

Comme les jeunes enfants n’ont pas encore développé ce concept, ils ne réalisent pas que les

connaissances du locuteur et de l’auditeur sont indépendantes.

Selon l’hypothèse de Schaeffer, le concept de la connaissance non partagée est lié à la

présence du trait [+spécifique] dont dépend notamment la projection ClP (Sportiche, 1996)

et par le fait même, le clitique objet. Schaeffer propose qu’aussi longtemps que ce concept

pragmatique n’est pas complètement acquis (jusqu’à environ l’âge de 3 ans), le trait

[+spécifique] sera optionnel, ce qui entraîne l’absence sporadique du ClP et donc

l’optionalité du clitique objet. Cette hypothèse prédit que tout élément lié à la présence du

trait [+spécifique] devrait demeurer optionnel jusqu’aux environs du début de la troisième

année de vie. Étant donné que (dans l’analyse de Sportiche) le clitique sujet a les mêmes

propriétés, cette hypothèse prédirait un développement similaire entre les clitiques sujets et

objets jusqu’à l’âge d’environ trois ans. En ce sens, elle fait les bonnes prédictions si l’on se

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128

penche uniquement sur l’optionalité spontanée que nous avons observée et si l’on considère

que l’optionalité spontanée a une origine différente de l’optionalité induite.

Néanmoins, étant donné que cette proposition attribue l’optionalité à une lacune chez

l’enfant, elle prédit également que ce phénomène devrait disparaître, c’est-à-dire qu’au-delà

de l’âge de 3 ans et chez l’adulte, nous devrions observer une systématicité de production.

Les données que nous avons analysées au Chapitre 3 démontrent que l’optionalité du clitique

objet est toujours présente chez l’adulte, ce qui en soi va à l’encontre des prédictions de

l’hypothèse de Schaeffer.

Dans un tout autre ordre d’idées, il serait néanmoins concevable que l’ampleur de

l’optionalité chez l’enfant soit en partie attribuable à l’absence du concept de la connaissance

non partagée, et ce, si l’on considère que l’optionalité à ce stade est un phénomène

multifactoriel. Toutefois, une étude récente menée par Wittek & Tomasello (2005) indique

que dès l’âge de 2;5 ans, les enfants sont sensibles à la connaissance de leur interlocuteur.

[…] it appears that 24-30 months is the age during which German- and

English-speaking children become sensitive to knowledge states of their

listeners in the manner to make appropriate choices of referring expression.

( p. 557)

La conclusion tirée par Wittek & Tomasello est basée sur trois études expérimentales qui

visaient à vérifier la sensibilité des jeunes enfants à la connaissance de leur interlocuteur et

au contexte perceptuel en lien avec le choix d’une expression référentielle (lexicale,

pronominale ou nulle). Pris dans leur ensemble, ces études démontrent que les enfants âgés

de 2;5 ans utilisent les différentes expressions référentielles en conformité avec la

connaissance de leur interlocuteur.

[…] young children can tell from an adult’s question the degree to which a

target referent is known to him. If the adult asks a specific question naming

the target referent in the process, the child assumes the referent is known to

him; if the adult asks a general question, the child can tell that the target

referent is not known to him; and if the adult asks a question indicating that

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129

he has a wrong idea about what the target referent is, the child can correct

him. (p. 556)

Qui plus est, des études comme celle de Ud Deen (2004) montrent que le marquage de la

spécificité est acquis très tôt en swahili (une langue avec accord obligatoire des objets directs

spécifiques). Dans l’étude cette étude, les enfants atteignent un taux d’accord de l’objet

direct en contexte obligatoire de 90%.

6.1.3 Yang (2002)

Yang est l’un des chercheurs les plus connus qui a avancé l’idée que l’optionalité était le

reflet de la présence de plusieurs grammaires. De manière plus précise, l’hypothèse

développée par Yang vise à rendre compte de l’optionalité en général : celle que l’on

observe chez les enfants et celle qui se manifeste chez les adultes. Yang attribue ce

phénomène au fait que l’enfant, tout comme l’adulte d’ailleurs, a accès à l’ensemble des

grammaires possibles. Dans ce cadre, les différences entre les grammaires sont attribuées à

la combinaison statistique des paramètres. Toutes les grammaires possèdent l’ensemble des

paramètres mais ceux-ci se manifestent à divers degrés. Par exemple, l’anglais, comme

toutes les autres langues, possèderait le paramètre du sujet nul. Ce qui caractérise cette

langue est que ce paramètre a un poids de 1%, comparativement à disons 90% pour une

langue comme l’espagnol.44

Selon l’analyse de Yang, le poids statistique du paramètre du sujet nul en combinaison avec

celui des autres paramètres est ce qui compose la grammaire des langues. L’enfant comme

l’adulte a accès à l’ensemble des paramètres et donc à l’ensemble des grammaires. Dans ce

cadre, la différence entre l’enfant et l’adulte s’explique par le fait que l’enfant n’a pas encore

la même combinaison statistique que l’adulte. Bien que cette approche soit développée dans

le cadre génératif, elle s’appuie fortement sur des capacités externes au système langagier

telles que généralement définies dans cette approche.

44 Yang aborde d’ailleurs spécifiquement la question du paramètre du sujet nul. Or, tel que nous en avons discuté au Chapitre 3, le fait que les langues en général permettent à la fois des sujets et des objets nuls non définis va fortement à l’encontre de l’existence d’un tel paramètre.

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130

Pour expliquer le processus d’acquisition, Yang propose que les grammaires aient toutes au

départ un poids neutre. L’acquisition est donc considérée comme la transition entre un poids

neutre et le déséquilibre qui correspond à la grammaire cible. Cette hypothèse s’appuie sur le

fait que l’enfant est muni d’un ‘système d’analyse statistique’ qui lui permet d’examiner

l’input reçu et de la comparer avec les grammaires possibles. Les grammaires qui analysent

avec succès l’input reçu sont ‘récompensées’ et celle qui échouent à la tâche sont

éventuellement ‘punies’. C’est ce système qui fait en sorte que l’enfant quitte le stade

d’équilibre pour le stade de déséquilibre, ce qui donne lieu à l’atteinte de la grammaire cible.

À titre d’exemple, un enfant exposé à une langue comme l’anglais devrait finir par

sélectionner uniquement les grammaires dans lesquelles le paramètre du sujet nul a un poids

très faible. Dans ce contexte, les grammaires comme l’espagnol ou l’italien devraient être

rapidement punies. Ce processus de récompenses et de punitions fait en sorte que l’on

s’attend à observer une certaine période où les productions langagières de l’enfant ne

correspondent à aucune grammaire connue. Cette hypothèse repose de façon cruciale sur la

nature de l’input. Un paramètre pour lequel l’input donne de fréquentes évidences devrait

être ‘récompensé’ plus rapidement qu’un paramètre pour lequel l’input est peu fréquent ou

ambigu. Si nous appliquons cette hypothèse aux clitiques sujets et objets, on devrait

s’attendre à ce que ces deux éléments passent par une période d’optionalité où les taux de

production répertoriés ne correspondent pas à ceux de la grammaire cible. Dans les deux cas,

c’est bien ce que nous avons observé. Néanmoins, au-delà de ce fait, cette hypothèse nous

semble difficilement applicable au phénomène présentement étudié, et ce, parce qu’elle

repose de manière cruciale sur la notion de paramètres. Bien que le paramètre du sujet nul ait

été identifié depuis longtemps, il n’y a pas à notre connaissance de paramètre similaire qui a

été proposé pour l’objet. Si l’on tient compte du fait que la transitivité est optionnelle, il

serait difficile, voire impossible, de proposer un tel paramètre. Sur le plan conceptuel, nous

considérons que la proposition de Yang est intéressante. Néanmoins, nous ne pouvons

l’appliquer directement à nos données à moins de nuancer ou de modifier la notion de

paramètre.

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131

6.1.4 Wexler et al. (2004)

Wexler et al. ont récemment proposé une hypothèse qui vise à rendre compte de l’optionalité

du clitique objet : la contrainte de la vérification unique (angl. Unique Checking Constraint;

Wexler, 1999; Wexler et al., 2004). Cette hypothèse s’inscrit dans le cadre de l’approche

maturationnelle (Chomsky, 1986; Borer & Wexler 1987; Wexler, 1999) qui considère que

les changements en cours d’acquisition sont notamment attribuables au fait que la grammaire

de l’enfant se modifie graduellement par le biais d’une maturation biologique.

L’hypothèse de la contrainte de la vérification unique (UCC) explique l’optionalité des

clitiques objets par une compétition entre deux contraintes, le UCC et la minimisation des

violations (angl. Minimize Violations; MV). Le UCC est un principe développemental, c’est-

à-dire qu’il disparaît éventuellement en raison d’une maturation biologique aux environs de

2;6 ans. Ce principe fait en sorte qu’un seul trait ininterprétable (D-feature) d’un DP peut

être vérifié, donc une seule catégorie fonctionnelle. À ce principe s’ajoute le principe (MV) :

«Given an LF, choose a numeration the derivation of which violates as few grammatical

properties as possible. If two numerations are both minimal violators, either may be chosen.»

(Wexler, Gavarro & Torrens, 2004; p. 2)

La conjonction de ces deux principes est ce qui engendre l’optionalité en production puisque

la réalisation comme l’omission de certains éléments entraînent tout deux une violation, soit

une violation du UCC, soit une violation de la propriété d’interface (angl. Interface

Property). Tant que le UCC demeure actif, la production comme l’omission d’un élément

constitue une violation. Une fois que le UCC n’est plus actif (à cause d’une maturation

biologique), seule l’omission d’un élément engendre une violation. La production deviendra

donc préférable à ce moment et l’optionalité disparaît graduellement.

Étant basée sur le modèle de Sportiche (1996), l’hypothèse du UCC prédit que la production

optionnelle du clitique objet est attendue uniquement dans les langues où il y a accord du

participe passé. Cette prédiction découle directement du traitement des clitiques objets

adopté. Dans une langue avec accord du participe passé, le XP en position d’objet (pro objet)

doit vérifier deux traits ininterprétables, le trait de cas (accusatif) dans AgrO et le trait défini

dans ClP. Dans le cas d’une langue sans cet accord, il n’y a qu’un seul trait ininterprétable à

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vérifier, celui du ClP. Ainsi, cette hypothèse prédit qu’il ne devrait y avoir aucune

conséquence du UCC, donc aucune omission, dans les langues qui n’ont pas l’accord du

participe passé. Puisque le français possède cet accord, l’enfant francophone devrait passer

par une période où la production du clitique objet est optionnelle.

Si nous étendons cette analyse aux clitiques sujets, toujours selon la proposition de Sportiche

(1996), cette hypothèse prédit une optionalité semblable. Tout comme dans le cas de l’objet,

le clitique devrait vérifier un trait dans AgrS puis un autre dans NomV. Lorsque l’enfant fait

les deux vérifications, le clitique sujet devrait être produit. En revanche, lorsque l’enfant

n’effectue qu’une seule vérification, le clitique sujet sera omis. Ainsi, nous devrions pouvoir

observer des phrases où le verbe est fléchi mais où le clitique sujet n’est pas produit.

De manière générale, cette hypothèse fait la prédiction que les clitiques sujets et les clitiques

objets devraient être optionnels chez les enfants francophones, et ce, jusqu’aux environ de la

troisième année de vie. En ce sens, elle ne prédit pas d’asymétrie au niveau de la période

d’optionalité des clitiques sujets et objets, ce qui est conforme à ce que nous avons observé

en interaction spontanée au Chapitre 5.

Au-delà de cette prédiction, et comme nous l’avons expliqué précédemment, cette hypothèse

implique la présence d’une corrélation entre l’accord du participe passé et l’omission

(optionnelle) du clitique objet. Dans les langues où il y a accord du participe passé, Wexler

et al. assument que le clitique objet, peu importe que le verbe soit fléchi au présent au passé,

doit vérifier le trait de cas dans AGRO. Cette vérification, combinée à celle de la projection

clitique pour le trait défini, entraîne toujours invariablement une double vérification de trait,

ce qui combiné au UCC, engendre l’optionalité. Toujours selon cette hypothèse, nous

devrions donc observer une certaine corrélation entre la présence du participe passé dans la

grammaire de l’enfant et l’omission du clitique objet. En d’autres termes, plus cet accord est

prédominant, voire présent chez l’enfant, plus l’omission du clitique objet devrait être

importante, et ce, jusqu’aux environs de 3 ans.

Récemment, Pirvulescu & Belzil (2008b) ont effectué une étude dans le but de déterminer

s’il existait un lien entre l’accord du participe passé et l’omission du clitique objet chez les

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enfants francophones. Dans l’objectif de vérifier si une telle corrélation existait, cette étude a

établi une comparaison directe entre la présence de l’accord du participe passé et les taux

d’omission des clitiques objets chez des enfants francophones québécois. En premier lieu,

nous avons effectué une tâche de préférence qui avait comme objectif de vérifier si les

locuteurs francophones québécois, enfants et adultes, considéraient l’accord du participe

passé ou son absence comme grammaticale. Pour effectuer cette vérification, nous avons

élaboré une tâche de préférence qui comprenaient d’autres accords, à savoir l’accord sujet-

verbe et l’accord de l’adjectif. L’incorporation de ces autres accords visait à valider, le cas

échéant, l’importance de l’accord du participe passé. Les résultats obtenus ont démontré que

l’accord du participe passé était un phénomène très faible chez les enfants (29% de

préférence chez les 3 ans) et peu robuste chez les adultes (60%). Ces résultats se sont avérés

marqués en comparaison avec les autres accords testés qui atteignaient des taux de

préférence entre 90 et 100% chez les enfants de tous les groupes d’âge étudiés (3, 4 et 5 ans).

De plus, ces mêmes résultats mis en parallèle avec les taux d’omission des clitiques objets

rapportés dans deux études effectuées auprès d’enfants francophones québécois habitant la

même région (Pirvulescu, 2006 & Pérez-Leroux et al., 2008) ont démontré que plus la

préférence pour le participe passé était importante (43% chez les 5 ans), moins le clitique

objet était omis (ex. Pérez-Leroux et al., 2008 : 3 ans = 35%, 4 ans = 26%, 5 ans = 12%).

Devant ces résultats, nous avons tiré la conclusion suivante : « Crucially, the period when

PPA is the weakest (3-year-olds) is also the period where object clitic omissions are still

high in child production. » (p.85) Ces résultats suggèrent qu’il n’y a pas de corrélation entre

l’accord du participe passé et l’optionalité du clitique objet et donc que l’optionalité

spontanée ne peut être expliquée par l’hypothèse de la contrainte de la vérification unique.

6.1.5 Grüter (2006)

Récemment, Grüter (2006) a proposé une analyse qui attribue l’optionalité (l’omission

optionelle) du clitique objet à une contrainte externe à la grammaire de l’enfant, à savoir à

une limite mémorielle. L’hypothèse du Decayed Feature Hypothesis (1) repose sur la

computation nécessaire à la réalisation du clitique objet pour expliquer sa production

optionnelle.

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(1) The Decayed Features Hypothesis (DFH)

Under limited working memory capacity, a syntactic long-distance Agree relation between two elements h1 and h2 may be computed incompletely, due to the activation level of (some of) h1’s features having decayed below the required threshold level by the time h2 is merged. This may result in the underspecification of h1 and/or h2, and thus affect the choice of the relevant vocabulary item(s) selected at MS (Morphological Structure).

Une des façons de vérifier s’il s’agit d’une proposition viable est de démontrer que la

distance entre la fusion de pro sujet et de son clitique, est relativement équivalente à celle

que l’on retrouve entre la fusion de pro objet et de son clitique, puisque la période

d’optionalité spontanée que nous avons observée est essentiellement la même. Le cas

échéant, cette hypothèse aurait le potentiel de décrire nos données. Grüter définit la notion

de distance de façon similaire à Gibson (2000) : «Distance here is conceived in terms of the

number and complexity of derivational steps that take place between the merge of h1 and the

merge of h2…» (p.171) De plus, Grüter explique que la présence d’une limite de phase (angl.

phase boundary) augmente la distance entre deux éléments.

[…] these two elements [pro et le clitique objet] are merged at a considerable

distance : after the merge of pro, the merge of Cl0 occurs only after a number

of intermediate computational operations, and after at least one phase

boundary (vP). Under a Dependency Locality Theory for language

production, as suggested in (6), the activation of pro and its features is

therefore expected to have decayed considerably by the time Cl0 is merged.

(p.177)

La validité de cette hypothèse dépend fondamentalement du traitement des clitiques que l’on

adopte. Grüter adopte l’analyse de Sportiche (1996) selon laquelle les clitiques sujets et

objets sont liés à des pro. Dans ce cadre, le pro sujet et le pro objet sont introduits à

l’intérieur du vP, ce qui fait en sorte qu’il y a dans les deux cas une limite de phase entre

l’insertion de pro et de leur clitique. De plus, toujours selon l’analyse de Sportiche, il y

aurait le même nombre d’opérations intermédiaires à effectuer pour la production des deux

types de clitique. Ces éléments (pro) doivent se déplacer d’abord dans AGRS ou AGRO

pour terminer en position de spécifieur de la projection clitique (NomV ou ClP).

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En quelque sorte, l’hypothèse de Grüter prédit les optionalités spontanées que nous

observons. Cependant, au-delà de ces phénomènes, elle prédit également que l’optionalité

devrait finir par disparaître complètement, c’est-à-dire qu’elle ne doit pas se retrouver chez

l’adulte. En attribuant l’omission optionnelle du clitique objet chez l’enfant à une contrainte

mémorielle, nous devrions nous attendre à ce qu’une fois cette limite disparue, l’omission ne

soit plus présente. Or, ceci est contraire à ce que nous avons pu observer chez l’adulte en

production spontanée au Chapitre 3. Ceci dit, notre travail n’est pourtant pas le premier à

démontrer que l’omission du clitique objet est possible chez les adultes francophones.

D’ailleurs, Grüter discute elle-même des travaux antérieurs qui démontrent qu’il s’agit d’un

phénomène bien réel : « In sum, there appears to be converging evidence that referential null

objects are indeed attested in French » (p. 38).

Néanmoins, cet auteur finit par adopter une vision conservatrice du phénomène en prenant

pour acquis que l’omission du clitique objet chez l’enfant est un phénomène déviant de la

langue cible : « Yet if there is no difference between child and adult grammars in terms of

grammatical representations, where else can we look for an explanation of children’s non-

target performance (i.e., object clitic omission) in production? » (p. 161) Or, à la lumière de

notre revue des études antérieures chez l’adulte sur le sujet et en considérant les données que

nous avons présentées au Chapitre 3, nous considérons qu’il est inadéquat de postuler que

l’omission (l’optionalité) des clitiques objets est unique à l’enfant. Si ce phénomène n’est

pas unique à l’enfant, il faudrait postuler qu’il soit possiblement d’origine multifactorielle.

6.1.6 Pérez-Leroux et al. (2006; 2008)

Récemment, Pérez-Leroux et al. (2006; 2008) ont proposé une hypothèse pour rendre

compte de l’optionalité du clitique objet. Ces auteurs ont attribué ce phénomène au fait que

l’objet nul N (voir le Chapitre 3) avait des propriétés référentielles chez les enfants. Cette

propriété ferait en sorte que les enfants produiraient d’abord uniquement des objets nuls (et

non des clitiques) indépendamment du contexte (spécifique ou non).

Par la suite, on s’attendrait à observer une période d’optionalité du clitique objet parce que

les enfants francophones seraient en voie d’abandonner ce N référentiel pour pro. Cet

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abandon serait engendré par l’exposition à l’input qui permet à l’enfant de réaliser que les

objets nuls ont des propriétés sémantiques qui leur sont propres, c’est-à-dire qu’ils ont une

interprétation générique qui découle directement du verbe. Selon cette hypothèse, la durée de

la période de transition (d’optionalité) devrait varier d’une langue à l’autre. Cette durée

serait déterminée par le nombre d’objets nuls que l’enfant a dans sa grammaire cible. Plus il

y a d’objets nuls dans une langue donnée, plus la période d’optionalité sera longue.

Dans la grammaire du français, les auteurs proposent qu’il existe deux types d’objets nuls :

N et pro (Cummins & Roberge, 2005). En revanche, dans une langue comme l’anglais, seul

N serait possible. Ainsi la période où N a des propriétés référentielles serait plus courte en

anglais. La présence de deux types d’objets nuls en français amènerait une ambigüité

supplémentaire en ce qui a trait au statut défini ou indéfini de l’objet, ce qui aurait pour effet

d’allonger la période d’optionalité.

In our approach, developmental rates are directly tied to the complexity of

the input: differences in the rate of object omissions would be tied to the

extent and variety of null object constructions available in the target

grammar. All children would go through a stage of apparent object

optionally. This stage does not reflect difficulty or optionality in

computation, just free availability of referential null cognate objects.

Children exposed to a language like French will retain the referential reading

of the null cognate object longer because they will be exposed to a wider

variety of null object contexts. (p. 22)

Cette hypothèse est basée sur l’analyse de Sportiche (1996) selon laquelle les clitiques sujets

et objets sont liés à des pro.

Dans le cas du clitique objet spécifiquement, puisqu’il est lié à pro, nous sommes forcée de

conclure qu’au moment où nous observons l’optionalité, pro fait déjà partie de la grammaire

de l’enfant. La présence de pro devrait indiquer que l’enfant a un objet non référentiel nul

(N) qui est distinct de l’objet référentiel nul (pro), ce dernier étant récupéré par le clitique. Si

tel est le cas, comment expliquer que l’enfant ne produise pas systématiquement le clitique

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objet (et le clitique sujet) lorsqu’un référent défini et spécifique est présent dans le contexte?

La proposition de Pérez-Leroux et al. suggère une réponse à cette question.

Selon ces auteurs, l’input que l’enfant reçoit est souvent très ambigu parce qu’il permet

simultanément une interprétation générique et spécifique de l’objet. L’exemple en (2) illustre

cette ambiguïté (Pérez-Leroux et al., 2006; p. 18).

(2) Mary comes to the lunch table with a lunch bag. She places the bag on the table and

says:

a. Mary : I brought a sandwich, but … b. …I don’t want to eat it. c. …I don’t want to eat. [= ‘anything’ ]

Marie vient à la table à manger, sa boîte à dîner à la main. Elle dépose sa boîte sur

la table et dit :

a. J’ai apporté un sandwich mais je ne veux le pas manger. b. J’ai apporté un sandwich mais je ne veux pas manger.

Dans la phrase en (2b), l’objet de manger peut être interprété de manière générique ou

spécifique. On pourrait déduire que Marie ne veut pas manger son sandwich (spécifique) ou

bien qu’elle ne veut rien manger du tout (générique). Cette ambigüité découle de la présence

d’un référent spécifique dans le contexte. Même si un référent spécifique est présent, le

locuteur n’est pas obligé d’y référer. Les travaux effectués par ces chercheurs démontrent à

quel point l’input auquel l’enfant est exposé peut être ambigu. L’input joue un rôle clé dans

le développement langagier mais il n’est pas pour autant facilement interprétable.

Si nous établissons une comparaison avec les clitiques sujets, nous pourrions postuler que

l’enfant doit également départager les sujets spécifiques des sujets ‘génériques’. En fait le

parallèle n’est pas exact parce qu’il n’y a pas de N en position sujet. Néanmoins, tout comme

pour le sujet, nous pourrions supposer que l’enfant a deux options : pro + clitique et PRO

(arbitraire). Étant donné ces deux possibilités, l’enfant aurait le même travail à faire que dans

le cas de l’objet, c’est-à-dire déterminer quels contextes nécessitent l’un ou l’autre de ces

éléments. Contrairement au clitique objet, il serait possible de postuler que l’input soit moins

ambigu à cause de la présence de temps.

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Le temps indique si le sujet est spécifique (clitique) ou arbitraire (PRO). Or, les omissions

(clitiques sujets) que nous avons répertoriées dans la présente thèse surviennent lorsque le

verbe est fléchi ce qui implique que PRO n’est pas présent à ce moment dans la

représentation de l’enfant et suggère que seul le clitique sujet est omis (non-réalisé). Puisque

les verbes en français portent des traces d’accord et de temps, nous devons supposer que

l’input est beaucoup moins ambigu que dans le cas de l’objet. Dans le cas de l’objet, il n’y a

pas ‘d’indice’ systématique qui pourrait indiquer si l’interprétation est spécifique ou

générique. Néanmoins, nous observons quand même une optionalité du clitique sujet qui

dure aussi longtemps en interaction spontanée que celle que nous avons observée pour le

clitique objet. L’omission du clitique sujet ne peut pas être attribuable à l’ambigüité du

contexte comme il est possible de le proposer pour le clitique objet mais pourtant ces

optionalités se manifestent de manière similaire.

De manière globale, la proposition de Pérez-Leroux et al. met en lumière la complexité de

l’input en ce qui a trait à la présence du clitique objet et cet apport est très important parce

qu’il met en évidence une caractéristique propre à ce clitique. Cet ambigüité est un facteur à

considérer et pourrait certainement jouer un rôle dans l’optionalité du clitique objet.

6.1.7 Discussion

Notre analyse des hypothèses qui visent à rendre compte de l’optionalité spontanée des

clitiques sujets et objets nous amène à conclure qu’aucune d’elles ne peut adéquatement

rendre compte de nos résultats. Dans la présente thèse, nous avons observé que l’optionalité

spontanée touchait les deux clitiques et qu’elle s’estompait à l’aube de la troisième année de

vie. En un sens, nous en sommes arrivée à la conclusion qu’il y a certaines similitudes entre

les éléments clitiques chez l’enfant en interaction spontanée.

Au-delà de ces similitudes, nous avons pu observer certaines différences. La plus importante

pour la présente étude est le fait que seul le clitique objet manifeste de l’optionalité induite.

La présence de cette différence pourrait indiquer que les clitiques sujets et objets sont des

entités de nature différente et que nous nous devons d’en tenir compte dans notre analyse de

l’optionalité spontanée. Néanmoins, puisque nous étudions le système langagier des enfants

et que ce dernier est en développement, il est possible que la source de cette différence soit

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développementale (not. Wexler et al., 2004 et Pérez-Leroux et al., 2006; 2008) et ne soit pas

le signe que les clitiques sujets et objets soient fondamentalement différents.

Une des façons de départager ces possibilités est de vérifier si nous observons un phénomène

similaire dans les productions adultes. Si les adultes ont un comportement linguistique

différent en interaction spontanée et en production induite, et ce, uniquement pour le clitique

objet, nous serions alors bien positionnée pour proposer que la nature des éléments clitiques

joue un rôle dans les optionalités que nous avons décrites chez l’enfant. En d’autres termes,

le cas échéant, nous estimons qu’une analyse différentielle des éléments seraient un élément

clé dans la compréhension des optionalités observées chez les enfants francophones

puisqu’une analyse de ce type aurait alors le potentiel de décrire à la fois la langue cible et

l’acquisition.

L’analyse des productions adultes que nous avons faite au Chapitre 3 a révélé que l’adulte,

tout comme l’enfant, exhibait une différence au niveau de ses productions entre la

production spontanée et la production induite, et ce, uniquement pour le clitique objet.

Contrairement à l’enfant, la production induite n’engendre pas l’optionalité du clitique objet

mais plutôt sa production systématique, ce qui est opposé à ce que l’on observe en

interaction spontanée. Nous pourrions d’ailleurs nommer ce comportement ‘systématicité

induite’. Tout comme chez l’enfant, le fait qu’il y ait une différence de comportement

langagier entre le contexte spontané et le contexte induit chez l’adulte, et ce, uniquement

pour le clitique objet, indique qu’une analyse différentielle est souhaitable. Concrètement, ce

que les résultats empiriques chez les enfants et les adultes nous indiquent est que le clitique

objet est sensible au changement de contexte, contrairement au clitique sujet.

Outre les résultats empiriques dont nous venons de faire mention, d’autres éléments nous

portent à croire que les clitiques sont des entités différentes. Au Chapitre 2, nous avons

expliqué qu’il existait essentiellement deux différences entre le français normatif et le

français parlé et que celles-ci ne touchaient que le clitique sujet : 1) la possibilité d’effacer

ou non cet élément dans les propositions coordonnées (3a); et 2) le redoublement ou

l’absence de redoublement (3b).

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(3) a. Il mange et __ boit continuellement.

b. Vincent il boit.

Selon l’ensemble des travaux effectués sur le sujet, la possibilité de l’effacement et celle du

redoublement semblent être mutuellement exclusives. En d’autres termes, lorsqu’il y a

redoublement, comme c’est le cas en français parlé, l’effacement est impossible (Lambrecht,

1981; Zribi-Hertz, 1994; Jakubowicz & Rigaut, 1998). La situation inverse est l’image

miroir : lorsqu’il y a possibilité d’effacement comme c’est le cas en français normatif, le

redoublement est exclu. Dans les études faites sur le sujet au cours des années 80 et 90 (not.

Hulk, 1986; Roberge, 1990; Auger, 1994), la présence du redoublement a été interprétée

comme le signe que le clitique sujet était un accord sujet-verbe et non un argument. Dans le

cadre d’une analyse syntaxique, le clitique sujet peut être inséré sous I, au même titre que la

flexion verbale (ex. Roberge, 1990). En revanche, dans le cadre d’une analyse purement

morphologique comme celle d’Auger (1994), c’est l’absence du trait de cas nominatif qui

permet le redoublement.

De manière peut-être préliminaire, il serait possible d’associer la présence de redoublement

au statut d’accord et son absence au statut d’argument. De la même manière, il serait

également possible de faire un lien entre la possibilité de l’effacement et le statut d’argument

d’un élément. Si nous revenons à ce que nous avons pu observer chez l’adulte en interaction

spontanée, on pourrait alors conclure que l’effacement (l’omission) possible du clitique objet

est un signe que cet élément est un argument et non un accord. Certes, il s’agit là d’un lien

qui peut sembler téméraire parce que contrairement au clitique sujet qui a des conditions

d’effacement strictes qui sont déterminées par le contexte syntaxique, c’est-à-dire dans les

phrases coordonnées, nous avons pu observer au Chapitre 3 que ce n’est pas le cas pour le

clitique objet. De plus, contrairement au clitique sujet en français normatif (écrit),

l’effacement du clitique objet n’est pas permis dans les phrases coordonnées (4).

(4) a. *Je l’ouvre et ___ ferme.

À la lumière de ces observations, nous devons nous poser la question suivante : le fait que

l’effacement du clitique objet ne soit pas contrôlé syntaxiquement de la même manière que

le clitique sujet remet-il en question le fait qu’il puisse avoir le statut d’argument? En

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d’autres termes, la comparaison directe est-elle applicable? Si nous considérons les trois

asymétries sujet-objet que nous avons décrites au Chapitre 3, il semble peu probable qu’une

comparaison directe ne soit possible et que l’on puisse appliquer exactement les mêmes

critères au clitique sujet et au clitique objet pour déterminer leur statut morphosyntaxique.

Au Chapitre 3, nous avons discuté du lien qu’entretient le verbe avec ses arguments (§3.3.2)

et nous en sommes venue à la conclusion que l’argument externe et l’argument interne

avaient des relations différentes avec le verbe. Dans les faits, nous avons adopté l’hypothèse

de Kratzer (1996) qui propose que seul l’argument interne (l’objet) est argument du verbe.

Selon cette analyse, l’objet serait introduit par le verbe alors que le sujet serait introduit par

une catégorie fonctionnelle externe au verbe, Voice (5).

(5) Relation des arguments avec le verbe

VoiceP 3 Arg. externe Voice’ 3 Voice VP 3

Arg. interne V’ 3 V …

Si l’on adhère à cette proposition, il va de soi que l’on doit s’attendre à ce que les conditions

d’effacement pour le clitique sujet et le clitique objet soient différentes. D’une part, si l’on

adopte une analyse syntaxique, ces éléments n’occupent pas la même position. D’autre part,

et c’est ce qui est possiblement crucial, seul l’objet a une relation sélectionnelle avec le

verbe. Le sujet est en fait un argument de la phrase et non du verbe. En revanche, l’objet est

un argument du verbe (du VP selon l’analyse de Roberge 2002) et non de la phrase. Cette

différence fondamentale est possiblement à l’origine de toutes les asymétries sujet-objet que

nous avons décrites dans le présent travail.

En résumé, l’ensemble des résultats empiriques que nous avons analysés dans le présent

travail indiquent que les clitiques sujets et objets sont différents. De plus, notre revue des

travaux théoriques nous portent à croire qu’en français parlé, les clitiques sujets seraient des

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142

accords sujet-verbe et que les clitiques objets auraient le statut d’argument. En tant

qu’accords, les clitiques sujets se veulent obligatoires, systématiques et peuvent apparaître

en présence du sujet (redoublement). En revanche, en tant qu’arguments, les clitiques objets

ne sont pas nécessairement systématiques puisqu’ils entretiennent un lien sémantique avec le

verbe et comme tout objet, ils sont sensibles aux contextes autres que syntaxiques.

Pour résumer à nouveau, de manière purement descriptive, nous proposons que les clitiques

sujets soient des accords et que les clitiques objets aient le statut d’argument. Cette

proposition est compatible avec la proposition purement morphologique d’Auger (1994)

parce qu’elle qualifie les clitiques sujets de marqueurs d’accords et les clitiques objets, de

marqueurs d’arguments. Néanmoins, nous estimons qu’une approche purement

morphologique n’est pas souhaitable dans la mesure où elle ne peut pas rendre compte des

autres asymétries sujet-objet que nous avons observées au Chapitre 3. Ceci dit, si l’on adopte

un traitement syntaxique des éléments clitiques, il est possible de proposer à la suite de

Roberge (1990) que le clitique sujet est introduit sous I, et à l’instar de la proposition initiale

de Kayne (1975), que le clitique objet soit introduit en complément du verbe puis se déplace

par la suite (voir le Chapitre 2 pour une description détaillée de ces deux propositions).

Cette proposition est en soi similaire à celle de Jakubowicz et al. (1998), décrite au Chapitre

2 parce qu’elle est asymétrique et propose que les éléments clitiques ont des fonctions

différentes dans la phrase. De manière globale, nous estimons qu’une analyse de ce type est

nécessaire si l’on veut décrire adéquatement toutes les asymétries que nous avons observées.

Pour revenir à l’optionalité spontanée chez l’enfant, contrairement à l’optionalité induite et

aux productions adultes, elle semble relativement symétrique parce que le clitique sujet et le

clitique objet passe par une période d’optionalité qui a une durée similaire. En un sens, il

semble y avoir une différence entre la grammaire adulte et la grammaire enfantine à ce point

donné du développement pour ce phénomène en particulier.

Ceci dit, au-delà de cette similarité qui rappelons-le ne touche que la réalisation des éléments

clitiques, il demeure que les enfants âgés entre 2 et 3 ans présentent clairement les

asymétries de pronominalisation et de réalisation (voir le Chapitre 4). Ce sont d’ailleurs ces

asymétries qui engendrent une différence quantitative (en nombre absolu) importante entre la

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143

production du clitique sujet et du clitique objet. En considérant ce fait, nous sommes donc

forcée de postuler que si ces asymétries sont attribuables à la nature de la structure qui fait en

sorte qu’il y a une asymétrie entre l’argument externe et l’argument interne, les enfants

doivent posséder cette structure. De plus, et c’est possiblement ce qui est crucial, ceci

indique que l’asymétrie de réalisation clitique que nous observons chez l’adulte ne peut pas

découler de la structure mais plutôt du statut des éléments clitiques comme nous le

proposons. Si tel est le cas, nous devons proposer la même chose pour l’absence d’asymétrie

en ce qui a trait à l’optionalité spontanée chez l’enfant, à savoir que le statut des éléments

clitiques doit jouer un rôle.

Les conclusions que nous avons tirées du présent travail suggèrent que l’optionalité

spontanée des clitiques sujets et objets n’est pas d’origine paramétrique et que le statut

différent des éléments clitiques joue un rôle dans ce phénomène. Puisque le présent travail

porte sur le phénomène de l’asymétrie, la présente discussion a comme objectif de fournir

des indices aux chercheurs qui se penchent spécifiquement sur l’optionalité et non d’élaborer

une hypothèse sur le sujet.

Notre analyse de l’optionalité des clitiques sujets et objets chez les enfants francophones

suggère fortement que l’optionalité spontanée est un phénomène indépendant de l’optionalité

induite. Ceci implique que ces phénomènes auraient des sources complètement

indépendantes. Puisque la présence des asymétries de pronominalisation et de réalisation

chez les jeunes enfants nous a amenée à conclure que les enfants francophones devaient

posséder une structure syntaxique similaire à l’adulte, nous estimons que l’optionalité

spontanée doit découler d’un facteur périphérique à la syntaxe proprement dite. Parmi les

facteurs possibles, nous pourrions notamment penser à une hypothèse dans l’esprit de Grüter

(2006) qui attribue l’optionalité à une limite mémorielle chez le jeune enfant ou à une

hypothèse comme celle de Borer & Rohrbacher (2002) qui attribue l’omission de certains

éléments fonctionnels à une méconnaissance des formes morphophonologiques.

De plus, il serait également possible de considérer qu’une contrainte d’ordre morphologique

joue un rôle dans ce phénomène étant donné le statut affixal des éléments clitiques.

L’analyse que nous avons faite de la production des clitiques sujets et objets chez les deux

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enfants du corpus Belzil nous indique qu’il s’agit là d’une piste intéressante. Afin de

déterminer si le contexte morphosyntaxique pouvait jouer un rôle dans l’optionalité des

éléments clitiques, nous avons examiné leur production dans deux contextes : co-occurrent et

indépendant. Le contexte cooccurrent est lorsque le clitique sujet et le clitique objet

apparaissent sur le même verbe (ex. je le mange.) et le contexte indépendant est lorsque les

éléments clitiques apparaissent sur différents verbes (ex. je veux le manger.). Étant donné le

faible nombre de clitiques objets par enregistrement, nous avons regroupé les

enregistrements en deux périodes pour chacun des enfants. L’âge (et le MLU) auquel

correspond chacune des périodes est indiqué dans le Tableau en 6-1. Les résultats présentés

dans ce tableau illustrent que le contexte de cooccurrence défavorise grandement la

production du clitique objet (les taux d’omission étant de 2 à 4 fois plus élevés).

Tableau 6-1

Taux d’omission du clitique objet dans différents contextes morphosyntaxiques

Cooccurrent Indépendant Période

Omissions Contextes Omissions Contextes

Ana

2;2.26 – 2;6.10 ans

(MLU = 2.3-2.6)

70.6% 17 36.8% 21

2;7.12 – 2;8.29 ans

(MLU= 3.3-3.7) 31.6% 20 8.6% 34

Élie

2;3.29 – 2;6.12 ans

(MLU = 2.3-2.6)

64.5% 17 33% 21

2;7.12 – 2;10.0 ans

(MLU= 2.4-2.8) 55% 19 14.3% 14

Ces résultats illustrent que le contexte morphosyntaxique affecte la production du clitique

objet avant l’âge de 3 ans en production spontanée. En revanche, notre analyse de la

production des clitiques sujets démontre qu’il n’y a pas d’effet similaire pour le clitique sujet

au cours de la même période.

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Tableau 6-2

Taux d’omission du clitique sujet dans différents contextes morphosyntaxiques

Co-occurrent Indépendant Période

Omissions Contextes Omissions Contextes

Ana

2;2.26 – 2;6.10 ans

(MLU = 2.3-2.6)

41.2% 17 41.4% 167

2;7.12 – 2;8.29 ans

(MLU= 3.3-3.7) 19.2% 20 23.4% 222

Élie

2;3.29 – 2;6.12 ans

(MLU = 2.3-2.6)

17.7% 17 20% 65

2;7.12 – 2;10.0 ans

(MLU= 2.4-2.8) 5.3% 19 14.1% 177

Les clitiques sujets sont optionnels mais nous n’observons pas de patron d’omission

similaire à ce que nous voyons pour le clitique objet. Ces observations nous amènent à

conclure que le statut affixal des clitiques objets n’est pas en soi la cause de son optionalité

mais il y joue certainement un rôle.

6.2 L’optionalité induite : vers la source

L’optionalité induite est l’optionalité du clitique objet que nous observons uniquement dans

certains contextes de production, c’est-à-dire dans certaines études en production induite au-

delà de l’âge de 3 ans. Les hypothèses dont nous avons discuté dans la section précédente ne

peuvent rendre compte de ce phénomène. Ce constat nous pousse à explorer la possibilité

que l’input puisse jouer un rôle dans ce phénomène. Une des contributions empiriques

importantes de notre travail est la démonstration que les productions de l’adulte présentent

une asymétrie : le clitique sujet est systématique alors que le clitique objet est variable. Cette

asymétrie, qui elle est causée par la présence d’une variation dans la réalisation du clitique

objet, fait en sorte que si l’on observe un phénomène chez l’enfant, l’input doit être

considéré comme une source potentielle.

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146

La présente section se veut donc essentiellement une exploration de cette possibilité. En

premier lieu (§6.2.1), nous présentons deux études qui portent sur le rôle que joue l’input

dans le processus acquisitionnel (Hudson & Newport, 2005; Miller, 2006). L’analyse que

nous faisons de ces études nous amène à adopter l’hypothèse que la variation dans l’input

engendre une régularisation et donc pourrait avoir une incidence sur le moment où survient

la période d’optionalité pour un élément donné. Cette période serait en quelque sorte

retardée (dans un contexte donné). La régularisation ne serait donc qu’une étape dans le

processus d’acquisition. Notre analyse de ces études nous amène à proposer qu’il existe en

fait trois étapes dans le processus lorsque l’enfant est exposé à un input variable :

régularisation, transition, convergence. Par la suite (§6.2.2) nous appliquons cette analyse à

l’optionalité induite du clitique objet. Nous proposons que ce phénomène soit engendré par

la présence d’une variation dans l’input et par la tendance qu’a l’enfant à la régulariser. Dans

ce cadre, l’optionalité doit être interprétée comme l’étape de transition.

6.2.1 La variation de l’input et son rôle dans le processus acquisitionnel

L’input est généralement défini comme l’expérience linguistique à laquelle un enfant est

exposé. Cette expérience diverge d’un enfant à l’autre puisque l’input de l’enfant est

composé des productions des locuteurs présents dans son environnement. De plus, l’input

varie considérablement selon les éléments à acquérir. En ce qui a trait aux clitiques sujets et

objets, nous avons démontré dans le présent travail qu’il se distingue au niveau de la

variabilité. Nous avons établi que le clitique sujet est systématique alors que le clitique objet

est variable (voir le Chapitre 3). Nous définissons la variation comme l'existence minimale

de deux réalisations phonologiques dans un environnement morphologique, syntaxique et

sémantique identique.

Récemment, plusieurs chercheurs (Hudson & Newport, 2005; Miller, 2007) ont abordé la

question du rôle que joue la variation de l’input dans le processus acquisitionnel. Ces études

se penchent sur la réaction de l’enfant face à un input variable. Telles que présentées, les

conclusions de ces études sont opposées. Hudson & Newport concluent que l’enfant a

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147

tendance à régulariser un input variable alors que Miller suggère que l’enfant reproduit assez

fidèlement la variation à laquelle il est exposé.

Hudson & Newport abordent la variation en posant la question suivante : «…[do] learners

acquire variability veridically or [do] they change it, making the language more regular as

they learn it.» (p.151) Afin de répondre à cette question, les auteurs ont créé une langue

artificielle très restreinte (1 déterminant, 4 verbes et 12 noms) qu’ils ont enseignée à un

groupe d’adultes et à un groupe d’enfants (âge moyen : 6;4 ans). Chacun de ces groupes était

divisé en deux : l’un était exposé à un input variable et l’autre à un input systématique. La

variation comme telle se situait au niveau de la production du déterminant : l’input variable

comprenait un déterminant dans 60% des cas et l’input systématique comprenait cet élément

dans 100% des cas. Dans l’input à réalisation variable, cette réalisation était aléatoire (ex.

non-contrainte en fonction du verbe utilisé) : il n’y avait donc pas de paradigme (angl.

pattern) à acquérir.

Dans l’étude de Hudson & Newport, les participants étaient appelés à participer à une tâche

de production induite qui consistait à traduire une phrase de l’anglais vers la langue

artificielle, et ce, à la suite de 7 séances d’exposition (sur une période de 9 jours). Les

auteurs ont analysé les résultats de chaque participant de manière à déterminer s’ils avaient

une tendance à régulariser la variation présente dans l’input. Cette analyse a amené les

chercheurs à diviser les participants en quatre catégories : les utilisateurs systématiques, les

non-utilisateurs systématiques, les utilisateurs systématiques autres (dont la régularité ne

semble pas provenir de l’input) et les utilisateurs variables (non-systématiques). Les résultats

de cette classification illustrent que les enfants et les adultes réagissent de manière différente

face à un input variable : les enfants sont plus systématiques (71%) que les adultes (50%).

Ayant analysé les résultats sous cet angle, les auteurs tirent la conclusion suivante :

«…children do not learn such variability veridically; they impose systematicity on the

language as they learn it.» (p.188) Si leurs résultats illustrent que les enfants régularisent

l’input à court terme, il n’y a cependant aucune évidence (du moins dans cette étude) qui

démontre que cette régularisation perdure à long terme parce que la période d’exposition à la

langue en question n’était que de 9 jours. Il est possible que la régularisation ne soit en fait

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148

qu’une étape dans le processus d’acquisition sinon cette tendance engendrerait

éventuellement des changements importants au niveau de la grammaire cible. Néanmoins

dans l’étude de Hudson & Newport, la régularisation adoptée par les enfants n’est pas

homogène : 14% produisent toujours le déterminant et 57% l’omettent toujours. L’absence

d’homogénéité nous porte à croire qu’il serait donc préférable d’interpréter la régularisation

observée dans cette étude uniquement comme une étape dans le processus d’acquisition si

l’on considère l’acquisition d’une langue en contexte naturel. De plus, étant donné que

l’étude de Hudson & Newport utilise une langue fictive et qu’il y a quand même 29% des

enfants qui ne régularisent pas leur productions, il faut être très prudents dans l’interprétation

des résultats de cette étude et dans les parallèles que nous pouvons établir avec l’acquisition

d’une langue naturelle.

Il est néanmoins possible d’établir un parallèle entre la variation présente dans l’input de

cette étude et celle que nous avons observée dans la production des clitiques objets chez les

adultes francophones. Au Chapitre 3, nous avons démontré que bien que plusieurs facteurs

semblaient jouer un rôle dans le fait que les clitiques objets soient réalisés ou non (verbe,

contexte linguistique, contexte extralinguistique), il demeure qu’aucun des ces facteurs n’est

catégorique. À la suite de l’analyse de l’étude de Rasetti (2003) et de nouvelles données en

interaction spontanée, nous avons conclu qu’il est extrêmement difficile, voire impossible,

de définir les contextes dans lesquels la production de l’objet (et du clitique) est obligatoire

en français parlé. En ce sens, cet input peut être considéré d’une certaine manière comme

aléatoire et les résultats de l’étude de Hudson & Newport peuvent nous donner des indices

sur la source de l’optionalité induite.

Contraire à l’étude de Hudson & Newport, l’étude de Miller (2007) examine l’acquisition

d’une langue naturelle et elle se penche sur le rôle que joue de l’input dans le

développement, et ce, en comparant l’acquisition d’un même morphème (le « s » du pluriel)

dans deux variétés de l’espagnol (chilienne et mexicaine). Ce morphème est réalisé

systématiquement par les adultes mexicains alors qu’il est occasionnellement nul (en

moyenne de 32 à 50% des occurrences selon les classes sociales) chez les locuteurs chiliens.

L’étude de Miller vise en premier lieu à déterminer si l’enfant régularise ou reproduit la

variation présente dans l’input. Les sujets de cette étude sont âgés de 4;5 à 5;11 ans et

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149

proviennent de milieux sociaux-économiques différents. À partir d’une revue des études sur

le sujet, Miller formule l’hypothèse que les enfants reflèteront en production le modèle (angl.

pattern) de production auquel ils sont exposés.

Miller présente les résultats de 3 tâches de production (de conversation, de répétition et

d’identification (angl. naming task)). Les résultats globaux de ces tâches l’amènent à

conclure que les enfants exposés à un input variable (les Chiliens dans le cas présent)

reproduisent cette variation dans leur production et ne la régularisent pas.

Chilean adult and child subjects omitted the plural morpheme on 17% to 58%

of all plural lexical items. […] Chilean children, like Chilean adults, appear

to show variability in their production of plural morphology […] Mexican

children, like Mexican adults, appear to consistently mark plural lexical items

with a plural morpheme. This suggests that children exposed to variable input

will be variable in their own production. (p. 129-129)

Miller présente ces résultats comme étant diamétralement différents de ceux de l’étude de

Hudson & Newport, et ce, parce que la nature de l’input est différente. Miller explique que

les enfants de l’étude de Hudson & Newport étaient exposés à un input non constant (angl.

inconsistant) plutôt que variable. Cette différence amène l’auteur à suggérer que les résultats

de cette étude sont en quelque sorte incomparables à ceux de son étude. Nous proposons

plutôt que la différence entre les conclusions tirées par ces auteurs réside dans la nature

même des études et n’est pas attribuable au fait que l’input soit différent comme l’explique

Miller.

Bien que ces chercheurs se penchent sur le comportement langagier d’enfants relativement

du même âge (Hudson & Newport, âge moyen 6;4 ans; Miller : 4;5 à 5;11 ans), les résultats

rapportés peuvent être interprétés comme reflétant deux stades distincts du processus

d’acquisition à cause de la différence au niveau de la durée d’exposition à l’input et de la

durée d’utilisation de la langue. Les enfants de l’étude de Hudson & Newport n’ont été en

contact avec la langue que durant 7 séances d’exposition sur une période de 9 jours. Ainsi, il

est possible que l’étude de Hudson & Newport représente une étape relativement peu

avancée du processus alors que celle de Miller représente une étape beaucoup plus avancée.

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Certes, il est difficile d’accepter sans objection cette analyse. Notamment, il faudrait

considérer que la langue de Hudson & Newport était en réalité une langue seconde acquise

dans un contexte très formel et très limité et non une langue première. Tenir compte de cette

distinction dans notre analyse va au-delà du but poursuivi par le présent travail et il est

possible qu’on ne puisse mesurer précisément l’importance de ce fait. Néanmoins, en toute

connaissance de cause, nous proposons qu’il soit possible que la régularisation présente dans

l’étude de Hudson & Newport constitue une phase relativement précoce du processus

d’acquisition. De plus, l’étude de Miller suggère fortement que la variation peut être acquise.

Ensemble, ces deux études tendent à indiquer qu’il y a plusieurs étapes dans le processus

acquisitionnel lorsque l’enfant est exposé à un input variable et que la régularisation et la

convergence en font partie.

Dans ce cadre, nous devons aborder deux questions : 1) si la régularisation est une étape

précoce du processus d’acquisition, quelle étape l’optionalité constitue-t-elle?; et 2) si

l’enfant fini éventuellement par converger à la grammaire cible comme le démontre l’étude

de Miller, qu’est-ce qui amène l’enfant à quitter la régularisation? Si l’on applique la

première question à l’acquisition des clitiques objets chez les enfants francophones, nous

pourrions postuler que l’optionalité représente l’étape de transition entre la régularisation et

la convergence. Quant à la seconde question, il serait possible que l’abandon de la

régularisation soit attribuable au fait que plus l’enfant vieillit, plus il est exposé à un input

strictement linguistique, c’est-à-dire sans support extralinguistique direct. Nous élaborons

davantage cette proposition dans la section suivante.

6.2.2 Discussion

À la lumière de l’analyse que nous avons faite des travaux de Hudson & Newport (2005) et

de ceux de Miller (2007), nous formulons l’hypothèse que l’optionalité induite découle de la

présence d’une variation dans l’input et de la tendance qu’a l’enfant à la régulariser. Nous

proposons que le type de régularisation observé soit imputable au fait que le clitique objet

peut jouer deux rôles dans la grammaire cible, à savoir anaphorique (lié à un antécédent

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151

intralinguistique) et exophorique45 (lié à un référent extralinguistique sans antécédent

intralinguistique). Ce qui distingue l’interaction spontanée de la production induite

traditionnelle est qu’en interaction spontanée, le référent de l’objet est presque toujours

saillant dans le contexte extralinguistique (chez l’enfant). La discontinuité que nous

observons entre les contextes de production indique donc possiblement que le clitique objet

chez l’enfant est d’abord lié à la présence de cet élément. En d’autres termes, les clitiques

que l’enfant produit seraient au départ essentiellement exophoriques. Dans ce cadre,

l’optionalité induite serait engendrée indirectement par la présence d’une variation dans

l’input. Elle serait le signe qu’une régularisation a eu lieu et que l’enfant est en voie de

l’abandonner pour converger avec la grammaire cible.

Une étude récente (Belzil, Pirvulescu & Roberge, 2008) a mis en lumière que le clitique

objet exophorique était d’ailleurs particulièrement présent chez les tout-petits (2 à 3 ans).

Cette étude a également démontré que ce type de clitique était présent chez l’adulte mais

dans une moindre mesure. À partir de données en interaction spontanée, Belzil, Pirvulescu &

Roberge (2008) ont démontré que le clitique exophorique représente de 6 à 8% de

l’ensemble des clitiques produits par les adultes alors qu’il représente de 0 à 75%46 des

clitiques produits (selon les enregistrements) par les enfants âgés de 2 à 3;1 ans.

Ces pourcentages, chez l’enfant comme chez l’adulte, s’avèrent l’estimation la plus

conservatrice du phénomène puisqu’en interaction spontanée le contexte extralinguistique et

le contexte linguistique sont presque toujours correspondants. Cette correspondance fait en

sorte qu’il est impossible de déterminer la nature du clitique produit (exophorique ou

anaphorique) et donc, qu’on ne peut déterminer avec certitude le taux de clitiques

exophoriques. Les taux rapportés dans l’étude de Belzil, Pirvulescu & Roberge représentent

le pourcentage de clitiques objets qui avaient uniquement un référent dans le contexte

extralinguistique. Cette recherche a permis de démontrer que les clitiques objets, comme les

pronoms forts d’ailleurs (voir Rozendall, 2006), peuvent être exophoriques et anaphoriques.

En d’autres termes, elle a démontré hors de tout doute, que les clitiques peuvent jouer ces

45 Le terme exophorique est tiré des travaux de Cornish (1999). 46 Il existe de grandes variations entre les divers enregistrements chez un même enfant.

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deux «rôles». Il s’agit là d’une propriété commune aux pronoms en général. De plus, et c’est

ce qui s’avère important, elle a mis en lumière la présence d’une différence quantitative entre

l’enfant et l’adulte en ce qui a trait à la production des clitiques exophoriques. Cependant,

contrairement à ce que nous proposons, cette différence n’a pas été interprétée comme la

présence d’une régularisation chez l’enfant mais plutôt comme l’indication que l’enfant a

une grammaire différente de celle de l’adulte.

Belzil, Pirvulescu et Roberge ont situé cette différence au niveau de la représentation de

l’objet nul. Cette proposition est basée sur les travaux de Pérez-Leroux, Pirvulescu et

Roberge (2006; 2008) qui mettent de l’avant l’hypothèse que l’enfant diffère de l’adulte en

ce qui a trait au nombre d’objets nuls présents dans sa grammaire.

L’enfant possède un objet nul N qui peut avoir un indice référentiel, c’est-à-dire qu’il a la

propriété de pouvoir référer directement à un antécédent linguistique. En ce sens, il joue au

départ le rôle de N et de pro. Cette propriété est considérée comme engendrant l’omission du

clitique chez l’enfant puisqu’en principe le clitique dépend de la présence de pro. Dans ce

cadre, l’optionalité que l’on observe dans certaines études en production induite (passé l’âge

de 3 ans) est engendrée par la transition entre l’abandon de N référentiel et l’usage généralisé

de pro en contexte spécifique. Or le fait que le clitique objet soit produit de manière

exophorique par l’enfant semble à prime abord contredire cette hypothèse. De manière plus

précise, si l’omission du clitique objet était attribuable au fait que N a des propriétés

référentielles étendues, on devrait s’attendre à observer l’omission du clitique (et donc une

optionalité similaire) dans tous les contextes, indépendamment du type de référent.

Or, Belzil, Pirvulescu & Roberge expliquent que la présence de clitiques exophoriques ne

contredit pourtant pas cette hypothèse. Selon cette analyse, comme N a la propriété de

pouvoir référer directement à un antécédent chez l’enfant, ceci a pour effet d’engendrer

l’omission du clitique objet dans un contexte anaphorique. En quelque sorte, ceci a comme

impact que le clitique objet n’a pas de ‘fonction’ comme telle, à savoir de récupérer les traits

de la catégorie vide en position d’objet (pro). Puisque le clitique objet n’a pas cette fonction,

il peut en occuper une autre. Les auteurs résument cette proposition en ces mots : « The role

of the clitic in early grammar is not to recover the features of the null category; it seems to

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153

function as an optional argument marker of a null category which is contextually linked. »

(p.9). Ainsi, la présence importante de clitiques exophoriques chez l’enfant ne contredit pas

directement cette proposition.

Si cette proposition est juste, la baisse de l’usage du clitique exophorique devrait coïncider

avec l’apparition de pro dans la grammaire. L’étude de Belzil, Pirvulescu et Roberge

illustrent qu’à l’âge de 3 ans, le clitique exophorique chez l’enfant a atteint des proportions

similaires à l’adulte. Or si tel est le cas, il faut donc conclure, comme nous le faisons pour

l’adulte, que l’ensemble des clitiques produits à ce stade (passé l’âge de 3 ans) sont

maintenant liés à un pro.

Si tel est le cas, l’optionalité que l’on observe dans certaines études en production induite à

cet âge ne peut pas être attribuée à la transition entre l’abandon de N référentiel et l’usage

généralisé de pro. En résumé, l’absence de continuité entre l’interaction spontanée et

certaines études en production induite au niveau de la production du clitique objet nous

amène à rejeter cette interprétation des clitiques exophoriques (lié à un N référentiel).

Notre proposition, qui interprète la discontinuité entre les contextes de production comme le

signe d’une régularisation, n’implique pas que l’enfant ait une grammaire différente de celle

de l’adulte en ce qui a trait à ses éléments. Nous proposons que l’enfant possède les mêmes

éléments que l’adulte, la seule différence est qu’il régularise ses productions. L’hypothèse

que nous formulons est fort simple : nous proposons que l’enfant associe une forme du

clitique (nulle ou réalisée) à une fonction donnée (anaphorique ou exophorique).

Dans ce cadre, nous considérons que l’enfant a tout comme l’adulte N et le clitique (et non

pro) (6) (voir la §6.1.7). Le clitique objet n’est pas lié à un pro mais plutôt introduit en

position d’objet. Il s’affixe par la suite au verbe.

(6) V-N (non-référentiel) Cl-V (référentiel)

Ce que nous observons dans certaines tâches en production induite passé l’âge de 3 ans est

une optionalité et non une omission systématique et c’est de cette optionalité dont nous

tentons de rendre compte. En ce sens, notre proposition basée sur l’idée d’une régularisation

n’est pas pleinement appuyée par les résultats dont nous avons discuté jusqu’à maintenant.

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Une façon de montrer que l’optionalité que nous observons pourrait être l’étape de transition

entre la régularisation et la convergence, serait la présence d’une régularisation (telle que

nous la décrivons) antérieure à l’optionalité.

Il s’avère qu’une étude antérieure en production induite (Jakubowicz & Rigaut, 2000)

démontre qu’une régularisation de la sorte a eu lieu au début du processus d’acquisition.

Cette étude, dont nous discutons d’ailleurs au Chapitre 4, a été effectuée auprès de 12

enfants âgés entre 2;0.13 et 2;7.3 ans. Ces 12 enfants ont été séparés en 2 groupes sur la base

de leur capacité de production linguistique. Les 5 enfants du groupe 1 ont en moyenne un

MLU de 3 et les 7 enfants du groupe 2 un MLU de 4. Les résultats présentés illustrent que

les clitiques objets sont complètement absents chez les enfants du groupe 1 bien qu’ils soient

pourtant présents en parole spontanée chez ces mêmes enfants. Ainsi, les résultats de cette

étude appuient notre proposition. Dans ce cadre, l’optionalité que nous observons en

production induite chez les enfants plus âgés peut réellement être considérée comme le signe

que l’enfant est en voie d’abandonner sa régularisation et qu’il s’approche de la

convergence. Nous proposons les étapes suivantes (7) en ce qui a trait à la production du

clitique objet en contexte anaphorique.

(7) Étape 1 : Omission généralisée Ø-V (anaphorique) Étape 2 : Optionalité (quantitativement différente de l’adulte) Ø-V (anaphorique) Cl-V (anaphorique) Étape 3 : Atteinte (quantitative) de la grammaire cible (voir le Tableau 3-2) Ø-V (anaphorique) Cl-V (anaphorique)

Notre proposition est certes préliminaire mais il se peut qu’elle soit néanmoins dans la bonne

direction. Dans ce cadre, l’optionalité induite est engendrée par la variation et sa

régularisation. Pour démontrer que notre hypothèse est adéquate, il faudrait notamment

expliquer pourquoi la forme réalisée du clitique objet est d’abord exophorique plutôt

qu’anaphorique. En d’autres termes, il faudrait expliquer pourquoi la régularisation va dans

le sens que nous l’observons et non dans l’autre.

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Une façon de trouver une réponse à cette question serait d’observer l’utilisation des pronoms

objets (spécifiques et définis) dans d’autres langues où il n’y a pas de variation dans l’input.

Si l’on observait un usage exophorique suivi d’un usage anaphorique, il faudrait conclure

que le sens et même la présence d’une régularisation découle possiblement de l’interaction

entre les productions et les types de contextes. Si tel était le cas, cela n’impliquerait pas pour

autant que la variation ne joue pas de rôle. Il est possible que la variation présente dans

l’input allonge la période de transition, donc la période d’optionalité, et qu’elle n’en soit pas

la source.

6.3 Conclusion

Le présent chapitre avait pour but d’accomplir la seconde tâche nécessaire à la

reconsidération de l’asymétrie, à savoir discuter des implications théoriques de nos résultats.

Les conclusions que nous avons tirées de notre analyse des fondements de l’asymétrie nous

ont amenée à aborder la question de l’optionalité dans la grammaire enfantine et du rôle

possible de l’input dans ce phénomène. Nous avons proposé que dans le cas des éléments

clitiques, nous faisons face à deux types d’optionalité : spontanée et induite. Nous avons

évalué au total 6 hypothèses qui ont été proposées pour rendre compte de ce phénomène

(§6.1) et nous avons conclu qu’aucune n’était adéquate dans sa forme actuelle pour

expliquer les résultats de la présente thèse. Devant ce constat, nous avons formulé des

propositions qui visent à expliquer les optionalités. Nous avons proposé que le statut des

éléments clitiques jouait un rôle dans l’optionalité spontanée et nous avons expliqué que

l’optionalité induite (ou possiblement la durée de cette optionalité) pouvait être attribuée à la

variation présente dans l’input et à la tendance qu’à l’enfant à la régulariser.

Dans le prochain chapitre, nous faisons le bilan de la présente thèse en résumant l’essentiel

de nos conclusions en ce qui a trait au traitement syntaxique des clitiques et en ce qui

concerne l’interprétation de l’asymétrie et de l’optionalité dans le domaine de l’acquisition.

Ce chapitre final fait état des contributions de notre travail et identifie le travail empirique

qui devra être mené pour développer davantage nos propositions et pour mieux comprendre

le lien entre le développement et la nature de l’input.

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Chapitre 7 Conclusion

La présente thèse avait pour but initial de reconsidérer l’asymétrie entre l’acquisition des

clitiques sujets et objets à la lumière d’avancées théoriques et méthodologiques récentes.

Dans le but d’atteindre cet objectif, notre travail a été centré sur deux tâches : 1) vérifier les

fondements de l’asymétrie pour la définir avec plus de précisions; et 2) discuter des

implications théoriques des nos résultats.

Le Chapitre 2 a été voué à la présentation des concepts théoriques essentiels à notre travail.

En première section, nous avons présenté les éléments clitiques et analysé les traitements qui

ont été proposés pour rendre compte de leur distribution. En deuxième section, nous avons

présenté les hypothèses qui ont été élaborées pour expliquer l’asymétrie telle qu’elle a été

rapportée dans les études antérieures. Notre analyse des traitements des éléments clitiques

nous a amené à conclure que de toutes les approches, qu’elles se basent sur la bipartition de

Kayne (1975) ou sur la tripartition de Cardinaletti & Starke (1994), les propositions de

Roberge (1990), d’Auger (1994) et de Jakubowicz et al. (1998) sont celles qui s’avèrent des

outils théoriques intéressants pour l’étude de l’asymétrie parce qu’elles proposent un

traitement différentiel des clitiques sujets et objets.

Dans l’objectif de mieux définir l’asymétrie, nous avons reconsidéré ses deux fondements :

1) la prémisse que la grammaire cible ne présente pas d’asymétrie; et 2) des données

empiriques démontrant une asymétrie chez l’enfant, à savoir que les clitiques sujets

apparaissent plus tôt et sont davantage produits. Ce travail a été effectué aux Chapitres 3, 4

et 5 et visait essentiellement à répondre aux deux questions suivantes : 1) la grammaire

adulte présente-t-elle une asymétrie entre la production des clitiques sujets et objets?; et 2)

l’enfant francophone présente-t-il véritablement l’asymétrie telle que décrite dans les études

antérieures?

Le Chapitre 3 a été consacré à mieux définir la grammaire adulte. Notre revue de travaux

théoriques, d’études antérieures très récentes en interaction spontanée et l’analyse de 5

corpus nous a permis de conclure que l’asymétrie n’était pas absente dans la grammaire

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adulte mais plutôt présente, et ce, d’une manière très complexe. Nous avons identifié qu’il

existe en fait trois types d’asymétrie sujet/objet en français (1) et que celles-ci font en sorte

que le clitique sujet sera généralement plus produit que le clitique objet en proportion (en

tenant compte des contextes où ces éléments sont attendus) et toujours davantage produit en

nombre absolu.

(1) a. L’asymétrie de pronominalisation (type 1) : le sujet est généralement

pronominalisé alors que l’objet est généralement introduit sous forme de DP; b. L’asymétrie de réalisation (type 2) : la position de sujet est beaucoup plus réalisée que la position d’objet; et c. L’asymétrie de réalisation clitique (type 3) : en contexte où un pronom clitique est attendu (élément topique dans le discours précédent), le clitique sujet est toujours réalisé contrairement au clitique objet.

La présence de ces asymétries nous a amenée à conclure que l’asymétrie quantitative telle

qu’observée chez l’enfant francophone est conforme à ce que l’on retrouve dans la

grammaire cible et ne peut aucunement être considérée comme l’évidence que son

acquisition précède celle du clitique objet. Alors que l’asymétrie de type 1 était reconnue par

l’ensemble des chercheurs s’étant penchés sur le phénomène (voir le Chapitre 4), les

asymétries de réalisation n’avaient pas été prises en considération. Notre caractérisation de

ce phénomène nous a permis notamment de montrer qu’il est extrêmement difficile

d’identifier les contextes dans lesquels la production de l’objet (et du clitique) est

obligatoire, contrairement à celle du sujet. Cela peut expliquer pourquoi ces asymétries

n’avaient peu ou pas été considérées explicitement dans les études antérieures en acquisition.

Notre analyse de la grammaire adulte a été effectuée à partir d’une nouvelle méthodologie

développée par Pirvulescu (2006) qui permet de cibler spécifiquement les contextes dans

lesquels la production des éléments clitiques est attendue en interaction spontanée. Cette

méthodologie a été développée pour le clitique objet et nous l’avons adaptée au clitique

sujet. Nous avons pu ainsi mieux caractériser la grammaire adulte et mettre en lumière que la

production du clitique sujet est systématique (liée à la présence temps) alors que la

production du clitique objet est variable. Ceci a pour effet de redéfinir la grammaire cible en

ce qui a trait au clitique objet et fait en sorte que l’input présente une asymétrie qui pourrait

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avoir des répercussions sur le processus d’acquisition. D’un point de vue plus théorique, le

travail effectué dans ce chapitre visait également à identifier la source des asymétries que

nous avons identifiées. Nous avons conclu notre travail en proposant que l’asymétrie de

pronominalisation découle possiblement de la pragmatique et des propriétés des clitiques;

que l’asymétrie de réalisation provient de la structure argumentale; et que l’asymétrie de

réalisation clitique résulte du statut des éléments clitiques (le clitique sujet étant un accord et

le clitique objet, un argument).

Les Chapitres 4 et 5 ont été consacrés à établir s’il y avait véritablement une asymétrie

d’acquisition (ordre) chez l’enfant telle qu’identifiée. Pour ce faire, nous avons d’abord fait

une revue critique et exhaustive des études antérieures en interaction spontanée et en

production induite sur le sujet (Chapitre 4). En ce qui a trait aux études en interaction

spontanée, nous avons constaté que la méthode de calcul utilisée pour caractériser

l’asymétrie était inadéquate puisqu’elle ne tenait pas en considération les contextes

favorables à la production des éléments clitiques, et ce, particulièrement pour l’objet. Cette

méthode de calcul permet de vérifier s’il existe une asymétrie de production en nombre

absolu mais ne permet pas de déterminer si les clitiques sujets apparaissent réellement avant

les clitiques objets. De plus, cette méthode ne permet pas non plus de vérifier si de manière

proportionnelle (c’est-à-dire en tenant compte du nombre de contextes) il existe réellement

une asymétrie. Ainsi, les résultats de ces études ne nous permettaient pas de répondre à notre

deuxième question.

Pour ce qui est des études en production induite, elles ont l’avantage de pourvoir le même

nombre de contextes favorables à la production des deux éléments. De manière concrète, ces

études permettent de vérifier s’il existe une asymétrie proportionnelle entre la production des

clitiques sujets et des clitiques objets mais ne permettent pas de déterminer si les clitiques

sujets apparaissent réellement avant les clitiques objets en production. Or, comme nous

l’avons expliqué précédemment, l’asymétrie de réalisation clitique n’apparaît que dans

certaines études. Ceci fait donc en sorte que l’optionalité qui se retrouve dans ces études doit

être causée, du moins en partie, par quelque chose d’externe au clitique lui-même.

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Dans les études en production induite qui illustrent une asymétrie, on observe un

développement : l’ampleur de l’asymétrie s’estompe au fil du temps. Les enfants plus âgés

produisent davantage de clitiques objets et convergent avec le comportement des adultes

vers l’âge de 6 ans. Il doit donc y avoir quelque chose qui se développe pour expliquer cette

progression.

Au Chapitre 5, nous avons vérifié l’ampleur et la nature réelle de l’asymétrie chez trois

enfants de moins de 3 ans. Cette analyse, effectuée à l’aide d’une nouvelle méthodologie

(définition des contextes clitiques sujets et exclusion des éléments lexicaux), a notamment

révélé que les clitiques sujets n’apparaissent pas de manière unilatérale avant les clitiques

objets en parole spontanée et qu’il n’y a pas d’asymétrie proportionnelle généralisée en

faveur des clitiques sujets telle qu’on la retrouve en production induite. En moyenne, nous

observons une asymétrie proportionnelle neutre ou inversée (c’est-à-dire soit que les

clitiques objets sont autant ou davantage produits) dans 45% des enregistrements.

Les clitiques sujets, comme les clitiques objets, sont optionnels en contexte où ils sont

attendus, et ce, jusqu’aux environ de la troisième année de vie. Passé ce stade, la production

du clitique objet demeure légèrement optionnelle (du moins chez Ann) mais dans des

proportions et dans des contextes similaires à ce que l’on retrouve chez l’adulte en

interaction spontanée. De manière plus précise, on observe un taux d’omission moyen de

16% dans les trois enregistrements au cours desquels Ann (Corpus Para) est âgée de plus de

3 ans. Ce taux est similaire à ce que l’on retrouve chez l’adulte en interaction spontanée (de

4% à 29%, voir le Chapitre 3). En ce qui a trait au contexte, nous observons que 65% (17 sur

26) des clitiques omis dans ces 3 enregistrements le sont avec le verbe mettre (2). Ceci

indique possiblement qu’il s’agit d’une forme figée caractéristique du français européen.

(2) Ann : ça, on met où, les poires? (Para 28)

Notre analyse met donc en lumière qu’il n’y a pas d’asymétrie généralisée au niveau de

l’apparition en production et que l’asymétrie proportionnelle (quantitativement différente des

adultes) n’est présente que dans certaines études en production induite.

Les analyses présentées aux Chapitres 4 et 5 nous ont permis d’affirmer que l’asymétrie telle

que décrite dans les études antérieures peut bel et bien être présente. Cependant, nous avons

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rejeté les conclusions qui ont été tirées de la présence de ce phénomène. Dans les études

antérieures, le phénomène de l’asymétrie était défini ainsi : 1) les clitiques sujets

apparaissent en production avant les clitiques objets; et 2) les clitiques sujets sont davantage

produits.

Cette définition de l’asymétrie n’est pas erronée en soi. Il est vrai que chez certains enfants

les clitiques sujets apparaissent avant les clitiques objets en production mais ceci est

attribuable à l’absence ou au faible nombre de contextes favorisant la production du clitique

objet. Au Chapitre 5, nous avons déterminé que le contexte favorisant la production du

clitique sujet est de 3.5 à 6.8 fois plus fréquent que le contexte favorisant la production du

clitique objet. Si l’on tient compte des contextes favorables, c’est-à-dire si l’on fait une

comparaison proportionnelle plutôt qu’en nombre absolu, les clitiques sujets n’apparaissent

pas nécessairement en production avant les clitiques objets. En ce qui a trait au fait que les

clitiques sujets soient davantage produits en nombre absolu, même si ce fait a déjà été

démontré et est à nouveau confirmé dans la présente étude, ceci découle simplement des

asymétries présentes dans la grammaire cible. La présence de ces asymétries chez le jeune

enfant indique d’ailleurs qu’il possède une structure syntaxique similaire à l’adulte.

En résumé, nous ne nions pas l’existence de l’asymétrie telle qu’elle a été décrite dans les

études antérieures mais nous en rejetons l’interprétation, à savoir qu’elle constitue l’évidence

qu’il existe une asymétrie au niveau de l’ordre d’acquisition des clitiques sujets et objets.

Les clitiques sujets et objets sont acquis de manière parallèle mais certaines études en

production induite illustrent que leur rythme d’acquisition est différent : le clitique sujet

atteint la grammaire cible plus rapidement que le clitique objet. En ce sens, notre recherche

redéfinit l’asymétrie comme se situant au niveau du rythme d’acquisition et non au niveau de

l’ordre d’acquisition.

L’étude que nous avons faite de l’acquisition des clitiques sujets et objets a notamment mis

en évidence le fait que ces éléments étaient optionnels chez les tout-petits, mais également

que cette optionalité perduraient plus longtemps pour le clitique objet. Nos résultats ont

démontré qu’à l’âge de 3 ans, le clitique objet était produit en conformité avec la langue

cible en interaction spontanée. Ces constats nous ont amenée à aborder nos résultats sous

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l’angle de l’optionalité. Le Chapitre 6 a été entièrement consacré à ce sujet. En considérant

que les clitiques sujets et objets sont d’abord optionnels en interaction spontanée et que

l’optionalité se manifeste en production induite uniquement pour le clitique objet, nous

avons proposé que nous fassions face à deux types d’optionalité. Nous avons qualifié

d’optionalité spontanée (clitiques sujets et objets) celle que l’on observe avant l’âge de 3 ans,

et d’optionalité induite (clitiques objets), celle qui se manifeste uniquement dans certains

contextes de production (certaines études en production induite).

Notre discussion sur l’optionalité spontanée (évaluation de 6 hypothèses) s’est soldée par le

constat que le statut affixal et différentiel des éléments clitiques devait jouer un rôle dans ce

phénomène. De plus, nous avons conclu que ce phénomène était multifactoriel et qu’il était

possiblement attribuable à quelque chose de périphérique à la syntaxe. Quant à notre

discussion sur l’optionalité induite, nous avons formulé l’hypothèse qu’elle découle

(possiblement sa durée) de la variation dans l’input et de la tendance qu’a l’enfant à la

régulariser (Hudson & Newport, 2005; Miller, 2007). Nous avons proposé que face à un

input variable, l’enfant passe par trois étapes : régularisation, transition et convergence. De

plus, nous avons proposé que sans qu’elle ne soit la source de la régularisation, la variation

dans l’input pourrait jouer un rôle. De manière plus précise, nous avons émis l’hypothèse

que la variation pourrait avoir un impact sur la durée de la période de transition

(allongement), donc sur la durée de la période d’optionalité.

Le travail que nous avons accompli dans la présente thèse est certes important mais les

propositions que nous faisons en ce qui a trait à l’optionalité (spontanée et induite) et au rôle

que joue l’input dans ce phénomène doivent être mises à l’épreuve par le biais d’études

empiriques de plus grande envergure. Il serait notamment intéressant de faire une étude dans

l’esprit de celle de Miller qui comparerait la durée d’optionalité d’un même élément dans

deux variétés où l’input diffère. Bien que l’étude de Miller accomplisse exactement cette

tâche, les enfants testés étaient beaucoup plus âgées et il serait pertinent d’évaluer le même

phénomène chez des enfants âgés de 2 à 3 ans. Dans un tout autre ordre d’idée, il serait

également approprié de faire une étude empirique plus importante sur les différences entre le

français européen et le français québécois. Les résultats de notre étude, tant chez l’adulte

(voir le Chapitre 3) que chez l’enfant (voir le Chapitre 5), indiquent que la variation au

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niveau de la réalisation du clitique objet est plus importante en français européen. Il serait

intéressant de vérifier si l’ampleur de la variation, ou en d’autres termes l’importance de

l’omission du clitique objet en contexte favorable, a une incidence sur la durée d’optionalité,

et ce, en interaction spontanée comme en production induite. Finalement, il serait également

très intéressant de développer l’étude effectuée par Pirvulescu & Belzil (2008a) dans le but

de déterminer l’importance de la présence d’un référent extralinguistique sur la production

des clitiques objets. Il serait notamment possible de créer une tâche d’élicitation strictement

verbale où l’on situerait l’enfant dans un contexte très familier (Question : Que fais-tu avec

tes bottes avant de sortir dehors? Réponse attendue : Je les mets.).

En conclusion, nous estimons que la présente thèse apporte une contribution importante sur

plusieurs plans. Sur le plan théorique, elle a évalué plusieurs hypothèses tant en syntaxe

(Chapitre 2) qu’en acquisition (Chapitres 2 et 6). Sur le plan méthodologique, notre travail a

introduit une méthodologie raffinée pour examiner le phénomène de l’asymétrie et a

démontré à quel point il est nécessaire de remettre continuellement en doute non seulement

notre conception de la grammaire cible, mais également des phénomènes solidement établis

dans le domaine. Sur le plan empirique, elle a amené de nouvelles données qui complètent

celles qui sont déjà disponibles. Nous jugeons que notre proposition sur l’optionalité est sans

doute l’apport le plus important parce qu’elle peut éventuellement amener les chercheurs à

une meilleure compréhension de ce phénomène. Il se peut fort bien que notre analyse s’avère

erronée ou trop simpliste, mais il demeure néanmoins qu’elle ouvre la porte à de nouvelles

possibilités.

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