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L’Inde des Cerfs-Volants En Inde, le cerf-volant est un jeu très populaire. Il se pratique sur les toits ou sur des terrains en périphérie de ville où des adultes, le plus souvent, se livrent à des combats acharnés. Le but du jeu est de couper le fil du cerf-volant adverse grâce à une ligne de coton enduite de poudre de verre pilé, appelée Manjha ou Dore en Inde du Nord et au Pakistan. L’origine des cerfs-volants en Inde est incertaine, ils pourraient être arrivés soit par des voyageurs venus de Chine pour obtenir des textes sacrés, on parle de Fa Hien et Hiuen Tsang 1 soit par les commerçants musulmans. Les commerçants musulmans et plus tard les empereurs Moghols encouragèrent l’artisanat dans toutes les régions. De la bijouterie d’or en passant par le travail des textiles, en incluant les cerfs-volants, les communautés musulmanes ont maintenues jusqu’à aujourd’hui un haut niveau dans le savoir-faire manuel. Cette communauté domine actuellement le commerce des cerfs-volants. Grâce à leur savoir-faire et à leur grande qualité technique, ils ont su conquérir de nouveaux marchés et développer le commerce 2 . Quelques uns des plus grands fabricants actuels sont Mouné Miya à Bareilly, Chotey Lal à Moradabad, Babu Khan à Jaïpur ou Abdul Rauf à Mumbaï. Nous savons grâce à des textes anciens que le cerf-volant est présent en Inde depuis des centaines d’années. En 1300 après Jésus-Christ, pour la première fois le mot « Gurdhi » signifiant « cerf- volant » est utilisé dans une chanson hindoustani par Santnambe et en 1542 après Jésus-Christ, le poète Manzan utilise le mot patang, le plus communément usité en hindi pour « cerf-volant », dans un poème 3 . Des miniatures mogholes, ainsi que des peintures de la collection personnelle de H. H. Brigadier Bhawani Singh, autrefois souverain de Jaïpur attestent également de l’existence de cerfs-volants dans l’Inde du 16 ème siècle 4 . 1 - Ajay Prakash, Nomad Travel, Mumbaï, Inde, 2003 2 - Skye Morrison, « String of a Timeless Tradition », Government of Gujarat, Inde, 2004 3 - Skye Morrison, « String of a Timeless Tradition », Government of Gujarat, Inde, 2004 4 - Ajay Prakash, Nomad Travel, Mumbaï, Inde, 2003 Selon le Nawab Jafar Mir Abdullah de Lucknow, le cerf-volant arriva en Inde durant le règne de l’empereur moghol Shah Alam (1759-1806), comme étant le dernier sport à la mode. Les gens l’adoptèrent avec beaucoup d’enthousiasme, et du jour au lendemain, une communauté de « Patangbaazes » (cervolistes) vit le jour. Il raconte aussi qu’en 1775, le Nawab Asaf-Ud-Daula Bahadur délaissa Faizabad au profit de Lucknow pour en faire la nouvelle capitale, et qu’il s’installa dans le palais Sheesh Mahal . C’est alors que commença l’âge d’or d’Awadh 5 . L’épicentre de toute vie sociale, culturelle, spirituelle et de divertissement du pays se déplaça. Ce bouleversement fut suivi d’un véritable exode vers Lucknow depuis Delhi et d’autres villes importantes, de poètes, artisans, artistes, musiciens, sportifs, et autres éminences diverses. Parmi ces migrants figuraient certains « patangbaazes » réputés de Delhi, qui introduisirent les combats de cerf-volant, le « Pench Ladana ». Le Nawab Asaf-ud-daula Bahadur était lui-même un Patangbaaz accompli, son patang royal était reconnaissable en vol entre mille, grâce à un « Jhill Jhill » (sorte de plume faite de rubans d’or et d’argent). Quiconque réussissait à « capturer » le patang royal, à couper son fil, avait la liberté soit de le ramener au Palace pour une récompense de 5 roupies, soit d’aller le vendre au marché ouvert pour la somme de son choix. 6 Actuellement, même si les indiens volent toute l’année, certaines périodes sont plus propices à l’envol des cerfs-volants qui sont alors associés à des célébrations particulières. Au Pakistan et au Punjab, il est de coutume de faire voler les cerfs-volants au moment des fêtes de Basant, fête de la récolte de moutarde et arrivée du printemps. A Ahmedabad dans le Gujarat, comme à Jaïpur dans le Rajasthan, la fête des cerfs-volants est célébrée le 14 janvier lors du Makar Sankranti, entrée du soleil dans le « Makar Rashi » et dans l’hémisphère nord. Pour ce jour particulier, de nombreuses boutiques de la ville se transforment en boutique de cerfs-volants et des stands de rue sont installés, toute la population est sur les toits pour disputer des combats acharnés qui se termineront tard le soir après le vol de nuit. Delhi célèbre son festival de cerfs-volants le 15 août qui est le jour de l’Indépendance de l’Inde et Kolkatta le 26 janvier qui est le jour de la République en Inde 7 . De nombreuses autres villes indiennes ont leur tradition du cerf- volant, ainsi, pour une approche de l’Inde et de sa culture et afin d’expérimenter l’enthousiasme et la passion des combats, une visite à Ahmedabad, Khambhat, Surat, Varanasi, Amristar, Jaïpur, Lahore, Kolkatta ou Hyderabad, lors des festivals de cerfs-volants, est hautement recommandée. Karine Boitrelle Petit 5 - Ancien nom de Lucknow 6 - Propos recueillis par Nicolas Chorier 7 - Dilip Kapadia, Golden Kite Club, Mumbaï, Inde, 2005

L’Inde des Cerfs-Volantsl.bobin.free.fr/Sites/Manjhateam/docs/Inde_des_cerfs-volants.pdf · Delhi célèbre son festival de cerfs-volants le 15 août qui est le jour de l’Indépendance

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L’Inde des Cerfs-Volants

En Inde, le cerf-volant est un jeu très populaire. Il se pratique sur les toits ou sur des terrains en périphérie de ville où des adultes, le plus souvent, se livrent à des combats acharnés. Le but du jeu est de couper le fil du cerf-volant adverse grâce à une ligne de coton enduite de poudre de verre pilé, appelée Manjha ou Dore en Inde du Nord et au Pakistan.

L’origine des cerfs-volants en Inde est incertaine, ils pourraient être arrivés soit par des voyageurs venus de Chine pour obtenir des textes sacrés, on parle de Fa Hien et Hiuen Tsang1 soit par les commerçants musulmans. Les commerçants musulmans et plus tard les empereurs Moghols encouragèrent l’artisanat dans toutes les régions. De la bijouterie d’or en passant par le travail des textiles, en incluant les cerfs-volants, les communautés musulmanes ont maintenues jusqu’à aujourd’hui un haut niveau dans le savoir-faire manuel. Cette communauté domine actuellement le commerce des cerfs-volants. Grâce à leur savoir-faire et à leur grande qualité technique, ils ont su conquérir de nouveaux marchés et développer le commerce2. Quelques uns des plus grands fabricants actuels sont Mouné Miya à Bareilly, Chotey Lal à Moradabad, Babu Khan à Jaïpur ou Abdul Rauf à Mumbaï.

Nous savons grâce à des textes anciens que le cerf-volant est présent en Inde depuis des centaines d’années. En 1300 après Jésus-Christ, pour la première fois le mot « Gurdhi » signifiant « cerf-volant » est utilisé dans une chanson hindoustani par Santnambe et en 1542 après Jésus-Christ, le poète Manzan utilise le mot patang, le plus communément usité en hindi pour « cerf-volant », dans un poème3. Des miniatures mogholes, ainsi que des peintures de la collection personnelle de H. H. Brigadier Bhawani Singh, autrefois souverain de Jaïpur attestent également de l’existence de cerfs-volants dans l’Inde du 16ème

siècle4.

1 - Ajay Prakash, Nomad Travel, Mumbaï, Inde, 2003

2 - Skye Morrison, « String of a Timeless Tradition », Government of Gujarat, Inde, 20043 - Skye Morrison, « String of a Timeless Tradition », Government of Gujarat, Inde, 2004

4 - Ajay Prakash, Nomad Travel, Mumbaï, Inde, 2003

Selon le Nawab Jafar Mir Abdullah de Lucknow, le cerf-volant arriva en Inde durant le règne de l’empereur moghol Shah Alam (1759-1806), comme étant le dernier sport à la mode. Les gens l’adoptèrent avec beaucoup d’enthousiasme, et du jour au lendemain, une communauté de « Patangbaazes » (cervolistes) vit le jour. Il raconte aussi qu’en 1775, le Nawab Asaf-Ud-Daula Bahadur délaissa Faizabad au profit de Lucknow pour en faire la nouvelle capitale, et qu’il s’installa dans le palais Sheesh Mahal . C’est alors que commença l’âge d’or d’Awadh5. L’épicentre de toute vie sociale, culturelle, spirituelle et de divertissement du pays se déplaça. Ce bouleversement fut suivi d’un véritable exode vers Lucknow depuis Delhi et d’autres villes importantes, de poètes, artisans, artistes, musiciens, sportifs, et autres éminences diverses. Parmi ces migrants figuraient certains « patangbaazes » réputés de Delhi, qui introduisirent les combats de cerf-volant, le « Pench Ladana ». Le Nawab Asaf-ud-daula Bahadur était lui-même un Patangbaaz accompli, son patang royal était reconnaissable en vol entre mille, grâce à un « Jhill Jhill » (sorte de plume faite de rubans d’or et d’argent). Quiconque réussissait à « capturer » le patang royal, à couper son fil, avait la liberté soit de le ramener au Palace pour une récompense de 5 roupies, soit d’aller le vendre au marché ouvert pour la somme de son choix.6

Actuellement, même si les indiens volent toute l’année, certaines périodes sont plus propices à l’envol des cerfs-volants qui sont alors associés à des célébrations particulières. Au Pakistan et au Punjab, il est de coutume de faire voler les cerfs-volants au moment des fêtes de Basant, fête de la récolte de moutarde et arrivée du printemps. A Ahmedabad dans le Gujarat, comme à Jaïpur dans le Rajasthan, la fête des cerfs-volants est célébrée le 14 janvier lors du Makar Sankranti, entrée du soleil dans le « Makar Rashi » et dans l’hémisphère nord. Pour ce jour particulier, de nombreuses boutiques de la ville se transforment en boutique de cerfs-volants et des stands de rue sont installés, toute la population est sur les toits pour disputer des combats acharnés qui se termineront tard le soir après le vol de nuit.

Delhi célèbre son festival de cerfs-volants le 15 août qui est le jour de l’Indépendance de l’Inde et Kolkatta le 26 janvier qui est le jour de la République en Inde7.

De nombreuses autres villes indiennes ont leur tradition du cerf-volant, ainsi, pour une approche de l’Inde et de sa culture et afin d’expérimenter l’enthousiasme et la passion des combats, une visite à Ahmedabad, Khambhat, Surat, Varanasi, Amristar, Jaïpur, Lahore, Kolkatta ou Hyderabad, lors des festivals de cerfs-volants, est hautement recommandée.

Karine Boitrelle Petit

5 - Ancien nom de Lucknow6 - Propos recueillis par Nicolas Chorier

7 - Dilip Kapadia, Golden Kite Club, Mumbaï, Inde, 2005