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http://www. metropolisation- mediterranee. equipement.gouv.fr La Méditerranée à l’heure de la métropolisation Coordonné par Nicolas Douay Chercheur postdoctoral du SEDET (Université Paris-Diderot/CNRS) février 2009 territoires méditerranéens observatoire des territoires et de la métropolisation dans l’espace méditerranéen

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La Méditerranée à l’heure de la métropolisation

Coordonné par

Nicolas DouayChercheur postdoctoral du SEDET

(Université Paris-Diderot/CNRS)

février 2009 terr

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Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional

Université Paul Cézannehttp://www.iar.univ-cezanne.fr/

avec le soutien du

Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement

durable et de l’Aménagement du territoire

Direction régionale de l’Équipement

Provence-Alpes-Cote d’Azuret la

Direction Générale de l’Aménagement, du Logement

et de la NaturePlan Urbanisme Construction

Architecture

et la contribution deE.Géopolis

www.e-geopolis.eu/

Supervision

Jean-Claude JagerDRE PACA

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Sommaire

Préface - Jean-Claude Jager ...................................................................................... P. 3

Métropolisation en Méditerranée :

le témoignage de Marcel Roncayolo recueilli par Nicolas Douay ............................... P. 5

De la métropolisation à l’altermétropolisation - Michel Bassand .............................. P. 19

La métropolisation : un processus lié à la privatisation de la mobilité

- François Moriconi-Ebrard .................................................................................... P. 33

Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons - François Moriconi-Ebrard . P. 55

Alexandrie - Marion Séjourné ................................................................................. P. 65

Alger - Sabrina Genieis ........................................................................................... P. 73

Athènes - Guy Burgel .............................................................................................. P. 81

Barcelone - Mariona Tomàs ....................................................................................P. 89

Beyrouth - Walid Bakhos ......................................................................................... P. 97

Gênes - Antida Gazzola ........................................................................................ P. 105

Istanbul - Jean-François Pérouse ...........................................................................P. 113

Marseille - Nicolas Douay ...................................................................................... P. 121

Montpellier - Jean-Paul Volle ............................................................................... P. 129

Naples - Fabio Amato et Raphaël Cattedra ......................................................... P. 137

Nice - Gabriel Jourdan .......................................................................................... P. 145

Oran - Naïma Chabbi-Chemrouk et Houcine Rahoui ......................................... P. 153

Rome - Luc Bonnard et Pietro Elisei ..................................................................... P. 161

Tel-Aviv-Jaffa - Rémi Manesse ............................................................................... P. 169

Tunis - Ali Bennasr ................................................................................................. P. 177

Valence - Roland Courtot ...................................................................................... P. 185

Métropolisation méditerranéenne : des enjeux aux défis de la coopération

- Nicolas Douay et Walid Bakhos ......................................................................... P. 195

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Préface

L’idée de cet ouvrage est née en 2004 au moment où était engagée, à l’initiative de la Direction

Régionale de L’Équipement Provence-Alpes-Côte d’Azur et en lien avec la Direction Régionale de

l’Équipement Languedoc-Roussillon, la phase de préfiguration de ce qui allait devenir l’Observatoire

des Territoires et de la Métropolisation dans l’espace méditerranéen (OTM), projet qui s’inscrivait

dans la suite des travaux menés dans le cadre de l’association Villes et Territoires Méditerranéens

(VTM)1 entre 1992 et 2002. Si chacune de ces initiatives a ses spécificités, elles ont pour lien d’être

basées sur le même constat, d’avoir les mêmes objectifs généraux et d’avoir pris le parti d’aborder

la gestion des territoires au travers du prisme de la métropolisation2.

L’ambition de cet ouvrage, dont la réalisation a été confié par l’Institut d’urbanisme et d’aménagement

régional d’Aix-en-Provence3 à un jeune chercheur, Nicolas Douay, est d’établir le lien entre les

travaux menés dans le cadre de l’OTM et ceux qui ont été initiés dans le cadre de Villes et Territoires

Méditerranéens.

Alors que les systèmes urbains sont devenus le moteur essentiel du développement, les phénomènes

de métropolisation actuellement à l’oeuvre bouleversent le fonctionnement des territoires.

Mouvements incessants de capitaux, mobilité accrue des entreprises et des Hommes, entraînent

des transformations rapides et profondes de nos sociétés alors que les systèmes urbains et territoriaux

dans lesquels elles s’inscrivent sont marqués par une forte inertie. Ces processus interpellent à

tous les niveaux la puissance publique soucieuse d’inscrire les territoires qu’elle gère dans une

dynamique de développement durable. Le changement d’échelle des problématiques auxquelles

elle est confrontée, l’accroissement de leur complexité et de leurs interactions, invitent à dépasser

les limites urbaines traditionnelles et à les inscrire dans un cadre territorial élargi. Elles appellent

à la mobilisation de toutes les compétences techniques et scientifiques aujourd’hui trop souvent

dispersées, à leur confrontation, et à leur renforcement.

1- créée en 1992 avec le soutien principal du Ministère de l’Équipement de l’époque aujourd’hui Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement durable et de l’Aménagement dun territoire et de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur.

2- voir en annexe la charte constitutive du forum VTM et celle de l’OTM.3- avec le soutien de la Direction régionale de l’Equipement PACA, sur financement du Plan Urbanisme, Construction,

Architecture (Direction générale de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Construction).

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C’est avec pour objectif d’aider à cette mobilisation et à son organisation que VTM, avec une

dimension méditerranéenne, puis l’OTM ont été initiés en vue d’offrir un espace de rencontres,

d’échanges, de confrontation, lieu de capitalisation des savoirs et des savoir-faire, d’approfondissement

collectif des connaissances, plateforme partenariale d’aide à la décision.

Le choix d’aborder la gestion des territoires à travers le prisme de la métropolisation renvoie aux

premiers entretiens du forum « Villes et Territoires Méditerranéens » qui se sont tenus à Marseille

en décembre 1997. Clôturant un cycle de sept séminaires tenus sur deux ans dans différentes

villes du bassin méditerranéen, les participants à ces entretiens, tous praticiens en situation de

responsabilité ou chercheurs, représentant 18 pays de la Méditerranée4, ont défini cinq axes

d’approfondissement et d’échanges jugés prioritaires parmi lesquels « la connaissance et la gestion

des espaces métropolisés5 ».

Dans la suite de ces entretiens, l’association VTM répondait à un appel à projet du programme

européen Interreg II B en proposant la mise en place d’un réseau transnational de pôles de

compétences sur la métropolisation. Ce projet recevait le soutien du Conseil régional et de la

Préfecture de région Provence-Alpes-Côte d’Azur, ainsi que du Ministère de l’Équipement aujourd’hui

Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement Durable et de l’Aménagement des Territoires

et la participation de partenaires de Rhône-Alpes, de Suisse et de plusieurs régions italiennes.

Dans ce cadre ont été produits, entre autres, les deux premiers cahiers de la métropolisation6 et

posées les bases d’un observatoire de la métropolisation.

L’achèvement de ce projet, début 2002, a coïncidé avec l’arrêt de l’activité de VTM. La reprise de son

héritage au sein de la Direction Régionale de l’Équipement Provence-Alpes-Côte d’Azur s’est traduite par

la mise en place de l’OTM dans un contexte plus institutionnel et sur un espace réduit, au moins dans un

premier temps, à l’espace méditerranéen français. Construit par et pour les acteurs de l’aménagement, du

développement et de la gestion des territoires en Provence-Alpes-Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon,

ces derniers ont, dans la phase de préfiguration, défini les questionnements prioritaires. Des laboratoires

de recherche se sont aussi mobilisés pour établir un état des connaissances, critique et prospectif, sur les

principaux enjeux auxquels la puissance publique est confrontée. Une première analyse des dynamiques

territoriales sur l’espace méditerranéen français a été réalisé, des recherches-actions ont été engagés

pour mieux cernés certains questionnements portant en particulier sur la prospective des mobilités aux

différentes échelles de la métropolisation et sur les déterminants sociaux et économiques des marchés

fonciers. Un dispositif de veille et de capitalisation a été mis en place,....

Le site Internet de l’OTM : http://www.metropolisation-mediterranee.equipement.gouv.fr

rend compte des travaux en cours et de leur développement.

4- Albanie, Algérie, Chypre, France, Egypte, Espagne, Grèce, Italie, Liban, Jordanie, Malte, Maroc, Monténégro, Portugal, Slovénie, Territoires palestiniens, Tunisie, Turquie, Syrie et rejoint par des représentant de Croatie et de Libye.

5- Les 4 autres axes étaient : la gouvernance urbaine et territoriale, le devenir et la réhabilitation des centres anciens, le partenariat public-privé dans la conception et la réalisation des grands projets urbains, l’aménagement et la protection des espaces littoraux.

6- L’un sur la définition et les enjeux de la métropolisation, l’autre sur les dynamiques de peuplement dans l’espace euroméditerranéen.

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En prenant le parti dans cet ouvrage de traiter de la Méditerranée à l’heure de la métrpolisation, nous

avons souhaité repositionner les enjeux auxquels nos métropoles méditerranéennes françaises sont

confrontées et qui sont abordés dans le cadre de l’OTM, aux enjeux auxquels les autres métropoles

du bassin méditerranéen doivent faire face.

S’agissant d’un travail universitaire, nous avons volontairement choisi de faire appel à des chercheurs

confirmés mais aussi à de jeunes chercheurs. En ce qui concerne les premiers, il s’agit pour la plupart

de collaborateurs historiques de VTM comme Marcel Roncayolo qui en fut le dernier président,

Michel Bassand et François Moriconi-Ébrard, Antida Gazzola, Roland Courtot, Jean-Paul

Volle, Ali Bennasr,…

L’ouvrage propose dans un premier chapitre une réflexion sur le processus de métropolisation avec

les témoignages de :

Marcel Roncayolo, qui offre une vision de géographe et d’historien sur l’espace méditerranéen ;

Michel Bassand, qui donne un point de vue de sociologue et qui développe le concept militant

d’alter-métropolisation ;

François Moriconi-Ébrard, qui construit une vision géo-structurale tout a fait originale du processus

de métropolisation.

Dans un deuxième chapitre, des portraits de quelques unes des principales métropoles du bassin

méditerranéen ont été établis par divers chercheurs pour qui ces métropoles sont le sujet de leurs

travaux. Toutes les monographies devaient répondre à une grille de lecture commune traitant

successivement des dynamiques spatiales, des dynamiques économiques, des dynamiques sociales et

des dynamiques politiques. Ces courts portraits sont introduits par une comparaison des dynamiques

spatiales de ces métropoles réalisée par François Moriconi-Ébrard à partir des données de

recensement des populations collectées dans le cadre du projet de recherche e-Geopolis (www.e-

geopolis.eu).

En conclusion, Nicolas Douay et Walid Bakhos proposent une lecture transversale des grands

enjeux et des défis auxquels doivent répondre les métropoles méditerranéennes et qui peuvent être

source d’échanges et de coopération entre elles.

Cet ouvrage se veut également un hommage aux quatre présidents qui se sont succédés à la tête

de l’association Villes et Territoires Méditerranéens :

Georges Lacroix, ingénieur général honoraire des Ponts et Chaussées, ancien directeur général puis

inspecteur général des services techniques de la Ville de Marseille, président du comité d’orientation

de l’institut méditerranéen de l’Eau ;

Paul-Marc Henry, ambassadeur de France, ancien directeur des opérations et administrateur du

Programme des Nations Unies pour le Développement (PNUD), ancien directeur de l’Organisation des

Nations Unies pour l’Alimentation et l’Agriculture (FAO) ainsi que de plusieurs autres institutions dont

l’Institut International de Recherche, Formation, Éducation et Développement, auteur entre autres

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de «La force des faibles» et «Chronique des empires défunts et des nationalismes triomphants»,

ancien président de l’association Échanges Méditerranée.

Paul Balta, journaliste et écrivain, directeur honoraire du centre d’études sur l’Orient contemporain

à la Sorbonne, auteur d’une vingtaine d’ouvrages sur le monde arabe et la Méditerranée dont

plusieurs avec son épouse Claudine Rulleau, parmi lesquels un des derniers : « La Méditerranée,

berceau d’avenir», membre du comité de rédaction du trimestriel Confluences-Méditerranée et du

conseil d’administration de la fondation René Seydoux pour le monde méditerranéen ;

Marcel Roncayolo, directeur d’études à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, professeur

honoraire de l’université Paris XII, directeur honoraire de l’institut d’Urbanisme de Paris, auteur

entre autres de «Les grammaires d’une ville. Essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille»,

«Histoire de la France urbaine : La ville aujourd’hui - Mutations urbaines, décentralisation et crise

du citadin» et plus récemment de : «Urbanisations dispersées : Interprétations/Actions France et

Italie (1950-2000)», préface à l’ouvrage de Chiara Barattuci, «Territoires en partage».

Je profite également de cette préface pour remercier Alain Budillon, ingénieur général des Ponts

et Chaussées, directeur régional de l’Équipement de Provence-Alpes-Côte d’Azur qui a permis le

transfert d’héritage entre VTM et l’OTM ainsi que Jean-Michel Jenin, directeur régional adjoint

et Pierre Calfas qui l’a précédé dans ces fonctions.

Jean-Claude Jagerarchitecte et urbaniste en chef de l’Étaten charge du secrétariat permanent de l’OTMancien délégué général de l’association VTM

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La Méditerranée

à l’heure

de la métropolisation

le témoignage de Marcel Roncayolo

recueilli par Nicolas Douay

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Métropolisation en Méditerranée 9

Définitions et concepts

Quelle est votre définition du concept de métropole ?

« Métropole, metropolis : l ’observateur informé, l’artiste ou le créateur de mythes, tel Fritz LANG dans son film de 1927, s’attachent à ce mot pour désigner la très grande ville. La métropole est le lieu le plus significatif d’un monde qui concentre sa population, ses forces économiques et son pouvoir de transformation, conçu en termes positifs ou négatifs. Déjà dans les années vingt, les sociologues de l’école de Chicago insistaient sur la diffusion des informations, le journal, les jeux de la bourse, la mobilité des hommes et celle de l’opinion qui s’y manifestait. Max SORRE en 1952 en fait le lieu « de la plus haute expression des caractères urbains », tout en insistant sur les particularités que cette densité et cette accumulation font naître. Lewis MUMFORD en 1961 rappelle les dangers que cette croissance des grandes agglomérations, indéfinie, non maîtrisable, fait courir à la civilisation urbaine, ce qui reprend les critiques déjà dessinées par son maître Patrick GEDDES contre l’excès de l’urbanisation contemporaine : le cumul et l’encombrement autour des villes-centres, l’expansion démesurée des banlieues, destructeurs les uns et les autres de la culture et de la communauté entre les hommes. Les métropoles paraissent condenser les caractères et les risques d’une certaine forme de modernité. » (RONCAYOLO, 2002).

Quelle importance donnez-vous à la notion de hiérarchie ?

La notion de métropole a d’abord été employée dans le sens de « ville-mère » conformément à la fabrication de ce mot d’origine grecque ;

d’ailleurs dans le sens originel, ça n’est pas forcément une ville plus importante, mais c’est une ville qui a essaimé plus ou moins d’enfants à travers le monde méditerranéen. La métropole est née de la colonisation et des grands mouvements de population à travers la Méditerranée et à travers le monde, notamment avec la colonisation grecque à partir du 6e siècle avant J-C. On peut prendre l’exemple de Marseille, où Phocée est la métropole de Marseille, car même quand Phocée disparaît, finalement sa fille Marseille reste vivante.

Le mot métropole n’a pas été tellement employé par Rome, mais il fut repris par l’organisation chrétienne qui avait une origine juive et grecque. La métropole est une ville à partir de laquelle s’organise la diffusion de la religion et du culte et, finalement, à partir de laquelle s’organise le système des Églises qui correspond en fait à un système urbain. D’ailleurs, au moment des grandes invasions, les villes sont restées organisées en cités qui étaient hiérarchisées autour de métropoles religieuses, comme par exemple Lyon, métropole des Gaules. Dans ce système hiérarchisé, la métropole des métropoles, c’etait Rome.

Finalement on passe de la notion de « ville-mère » à celle de hiérarchie urbaine qui fut d’abord fondée sur la religion. Pendant longtemps on a donc considéré Rome comme la métropole d’une certaine culture. Le problème de l’unité du monde chrétien s’est posé quand l’Empire romain s’est dédoublé et en fin de compte divisé entre l’Orient (avec les orthodoxes) et l’Occident. Cette division correspond finalement à deux Églises et à deux métropoles, soit Rome et Constantinople. Le passage du mot de métropole à celui

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Métropolisation en Méditerranée 10

de hiérarchie urbaine est intéressant à observer, car on passe d’un phénomène biologique à une définition beaucoup plus générale. Au final, la notion de métropole reste caractérisée par son importance et sa place dans la hiérarchie, notamment au regard d’un domaine particulier, c’est-à-dire d’une spécialisation qui va être valorisée, par exemple Rome métropole de l’Église catholique ou Paris métropole des Arts au 19 e siècle. Ce phénomène se traduit par une grande concurrence entre les métropoles, par exemple entre Paris, Milan et New-York pour être « la métropole de la mode ».

À par t i r du 16 e s ièc le et des grands mouvements de colonisation, nous avons retrouvé le sens premier du mot de métropole qui est la ville d’où partent les colonisations qui vont vers l’extérieur. Cela pouvait être une ville mais aussi un État puisque, par exemple, l’Espagne était la métropole de l’Amérique latine de même que Londres était la métropole de l’Empire britannique. Le cas de la France est à ce sujet intéressant car, à partir de la deuxième moitié du 19 e siècle, Marseille occupe ce statut à la place de Paris ; de plus, du fait de son importance coloniale on pouvait aussi considérer Marseille comme la métropole de la Méditerranée. Plus qu’un poste de commandement, la métropole est un lieu de diffusion des produits et des cultures qui n’a pas forcément à voir avec la hiérarchie des pouvoirs politiques. D’ailleurs, l’exemple de Marseille est là aussi frappant car elle n’a jamais eu un rôle politique majeur ni en France, ni même véritablement dans la région Provence-Alpes-Côte-d’Azur. La métropole joue donc un rôle de passage et d’articulation plutôt que de décisions politiques majeures.

Quelle importance donnez-vous à la notion de grande ville ?

Le deuxième sens du mot de métropole renvoie bien à cette notion de grande ville et s’est constitué avec la sociologie allemande, notamment avec G. SIMMEL : « Peut-être moins dans sa conscience que dans la pratique et dans l’obscurité des sentiments collectifs qui y naissent, l’individu est réduit à une quantité négligeable, à un grain de poussière en face d’une énorme organisation de choses et de pouvoirs » (SIMMEL, 1979). L’impersonnel et l’objectif, la banalité et l’uniformité se substituent au subjectif. Mais l’antidote est, là, la réserve et la résistance du sujet : « Libérés des liens historiques (soit la tradition, n.d.l.r.), les individus veulent aussi à présent se différencier les uns des autres. En chaque individu, ce n’est plus l’universalité de l’homme, mais précisément l’unicité qualitative et le caractère irremplaçable qui constituent à présent les supports de sa valeur… La fonction des grandes villes consiste à fournir le lieu du combat et des tentatives de réunification entre les deux modes » (FUSTEL DE COULANGES, 1982).

A partir de la diffusion de ces travaux, la métropole, c’est la très grande ville qui représente la forme d’urbanisation à la fois la plus moderne, la plus puissante et finalement la plus polyvalente du point de vue des fonctions. Ici aussi, ce n’est pas forcément une capitale au sens politique du terme mais une ville majeure, ce qui la rapproche finalement du concept contemporain de ville globale, sauf qu’il en existe davantage et que ces métropoles sont loin d’être toutes à l’échelle du monde. Cette notion de grande ville introduit un type d’organisation qui se rapproche de la grande agglomération, c’est-à-dire de la ville qui s’étend sur une série

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Métropolisation en Méditerranée 11

d’espaces campagnards et qui construit de la sorte son agglomération.

C’est des USA que vient l’application du mot « métropolitain » pour désigner la grande ville. Il y a en effet une dissociation entre les centres et les espaces suburbains ; la notion de métropole renvoie donc à la notion de l’unité géographique qui n’est pas forcément administrative mais plutôt statistique, dans le sens où elle va refléter les mouvements centre-périphérie liés à la résidence. A l’image de New-York, cette unité géographique ne correspond à aucune organisation administrative, sauf peut-être à l’organisation portuaire ou aéroportuaire. La spécificité de ces aires métropolitaines est d’avoir une diffusion et une spécialisation fonctionnelle plus fortes qu’en Europe ou en tout cas plus précoces. A cet égard, les travaux de l’école de Chicago ont bien démontré cet étalement et cette ségrégation des différentes populations et fonctions urbaines.

La notion de métropole renvoie donc sans cesse à cette ambiguïté du sens entre une forme d’organisation territoriale et une forme de hiérarchie économique et/ou culturelle.

Peut-on alors comprendre la métropole, comme la généralisation de l’urbain ?

« Urbanisation généralisée ? De nombreux auteurs américains considèrent que l’on ne peut plus envisager une coupure décisive (matérielle et conceptuelle) entre aires métropolitaines et fractions extérieures du territoire, intra-citadin et extra-citadin, que les zones d’influence des villes-centres et des satellites sont simplement affaire de degrés et n’obéissent pas à une géométrie naïve. Finalement, la plupart du territoire appartient au domaine urbain, à l’urban realm.

Les modes de vie, s’ils se différencient quelque peu, sont question de choix (ou de ressources). L’habitant arbitre entre des lieux de résidence qui vont du semi-rural, de la ferme remaniée et du nouveau village aux anciens faubourgs industriels réhabilités ou aux centres historiques gentrifiés, sans que le choix rompe la possibilité de bénéficier des espaces urbains dans leurs diversités et leurs contrastes de densité et de paysage. C’est la part réelle du choix et des contraintes économiques qu’il convient alors de faire intervenir pour comprendre les marginalités, les exclusions et les ségrégations. Les entreprises elles-mêmes entreraient dans la même logique » (RONCAYOLO, 2002).

Cette logique correspond-elle à celle de la métropolisation ? Comment définissez-vous ce concept ?

La métropolisation n’est que le résultat de cette évolution double (forme d’organisation territoriale et forme de hiérarchie), renforcée par l’amélioration des conditions de circulation. Ce phénomène se traduit par un double mouvement d’extension, de concentration et souvent de coalescence : de la conurbation (début 20 e siècle) à la mégalopole (GOTTMANN).

D’une part, on retrouve l’étalement urbain et l’extension du suburbain au-delà des banlieues traditionnelles et cette marche vers l’extérieur se traduit donc par l’absorption de villes plus ou moins importantes qui, finalement, même si il n’y a pas d’intégration administrative ou politique, vivent au rythme de cet ensemble métropolitain. Par exemple, Rambouillet fait partie de la métropole parisienne au même titre que les communes de la première couronne, même si le nom de Rambouillet reste le témoin d’une certaine identité.

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Métropolisation en Méditerranée 12

D’autre part, la métropole s’illustre par un mouvement de concentration lié à un territoire où les villes étaient un phénomène limité par rapport aux campagnes. La ville, ou plutôt la métropole, devient donc un point de concentration par rapport à une répartition du peuplement plus large. On parle du phénomène de métropolisation quand on constate que le peuplement de la population et les activités de toute nature ont tendance à se concentrer à l’intérieur de ces grandes agglomérations, au détriment finalement des arrière-pays. Paris et le désert français (GRAVIER, 1947) est en quelque sorte une caricature de ce phénomène car la métropolisation ne se fabrique pas nécessairement à partir d’une ville capitale.

Comment peut-on situer le concept de métropolisation par rapport aux autres définitions de la ville et de l’urbain ?

Il y a eu des concepts de transition : par exemple quand nous sommes passés de la « ville limitée » dans un périmètre visible à l’agglomération ; en effet, même avec cette notion, il y avait des problèmes d’identification, comme dans le cas de l’agglomération parisienne que l’on a voulu un moment identifier à l’ancien département de la Seine. Mais rapidement les limites départementales ont été dépassées. L’exemple de New-york rejoint en partie Paris, car les Boroughs à eux seuls ne correspondent pas au phénomène de l’agglomération new-yorkaise, dans ce cas-là une seule organisation pourrait correspondre véritablement à cet ensemble : l’organisation portuaire ou aéroportuaire car ce sont les seules à dépasser les limites de l’État de New-York. N ous sommes pas s é s de l a not i on d’agglomération à celle de métropole. Le point

de vue des sociologues nous rappelle que la métropole se manifeste aussi par l’expression de genres de vie particuliers, mais aussi très divers. L’école de Chicago (GRAFMEYER & JOSEPH, 1979) dans son étude de la division sociale de l’espace avec la formation de ghettos a bien mis en valeur ce phénomène. Nous passons ainsi d’une notion construite autour des questions géographiques et économiques à la notion d’un genre de vie métropolitain qui en fait n’est pas homogène mais, au contraire, marqué dans une certaine mesure par la complexité de ces manifestations. Mais, en même temps, il y a cette complexité des peuplements, une forme d’individualisation qui se produit dans le genre de vie de la métropole, et c’est tout le problème des rapports entre individus, origines et catégories collectives.

Ce changement de vocabulaire s’effectue essentiellement avant la Seconde Guerre mondiale et il est principalement tourné vers l’avenir, dans des visions esthético-prophétiques. Le film Métropolis de Fritz LANG (1927) traduit parfaitement ce phénomène, curieusement quelques décennies plus tard, le 5e élément de Luc BESSON (1997) en reprend de nombreux thèmes, notamment à travers l’utilisation de nouveaux moyens de transport. Dans ces deux exemples, la notion de métropole reste une vision de l’avenir. Finalement, le grand problème de la métropole, c’est qu’elle induit des inégalités : c’est-à-dire que le genre de vie métropolitain, même s’il favorise l’individualisme par rapport à la campagne, produit aussi toute une série d’inégalités, à la fois à l’intérieur même de la métropole, mais aussi vis-à-vis de l’extérieur, dans la mesure où cette métropole a tendance à concentrer les richesses à son profit.

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Métropolisation en Méditerranée 13

Comment peut-on situer le concept de métropolisation par rapport aux concepts de mondialisation et de globalisation ?

Ce phénomène de mondialisation est très ancien : par exemple au 19 e siècle, alors que Paris est en quelque sorte, la capitale des arts et du bien-être, l’importance financière de Londres en fait déjà la seule véritable ville globale, New-York étant encore à cette époque sous la domination de Londres. Finalement, l’entre-deux-guerres marque l’arrivée de New-York à ce niveau. Une ville globale pourrait se définir simplement en constatant que de cette ville peut naître une crise qui va être globale.

Ces phénomènes de mondialisation ne sont que la vérification tardive de quelques grands changements : l’affaiblissement des États-Nations et aussi la diffusion de l’information qui circule maintenant en temps réel (la crise de 1929 en fut le premier signe) et qui abolit les distances. La ville globale est donc le point d’émission et de réception privilégié de ces informations provenant du monde entier. Ces deux phénomènes participent à la création d’une économie de plus en plus internationale au-delà de toute frontière. Les tankers, les porte-containers ou les avions gros porteurs symbolisent finalement l’avènement de cette nouvelle organisation dans le domaine de la marchandise.

L’ensemble de ces changements permet de passer de la notion de métropole (où il y avait plusieurs métropoles et plusieurs types de métropoles) à la notion de ville globale qui au dessus des États-Nations symbolise le pouvoir économique, lequel se situe en définitive au-

delà du pouvoir politique. La globalisation produit une sélection des villes à travers la concentration dans quelques unes d’entre elles des principaux centres de décisions ou d’innovations, par exemple avec la sélection et la mise en réseau des bourses financières.

A l’échelle de la métropole elle-même, la mondialisation ne fait qu’accroître les inégalités et les diversités qui sont déjà présentes dans cet espace. Dans le domaine des migrations, il existe une attraction des populations vers les pays riches et principalement vers les grandes métropoles. Comme l’indique Saskia SASSEN (1996), l’une des expressions de la ville globale, c’est de concentrer les fonctions de direction de l’économie et de la société à l’échelle mondiale, mais aussi d’attirer les populations pauvres au sein de ces grands centres accumulant la richesse. Néanmoins il ne faut pas oublier que ces migrations ne sont qu’une conséquence de cette globalisation, mais absolument pas une condition suffisante pour créer une ville globale. Ce phénomène d’attraction des populations concerne aussi les élites et leurs formations ; en effet, comme la ville globale concentre à la fois l’information mais aussi la formation, on retrouve toujours de grandes universités autour de ces villes globales (Oxford et Cambridge pour Londres ou Columbia et Princeton pour New-York). Ce pouvoir de formation devient donc un pouvoir de sélection mondiale. D’ailleurs, le retard et la baisse de l’attractivité des universités parisiennes reflètent parfaitement le décalage plus général qui peut exister entre Paris et Londres ou New-York par exemple.

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Métropolisation en Méditerranée 14

Le processus méditerranéen de métropolisation

Comment s’exprime ce processus de métropolisation dans l’espace méditerranéen : quelle est sa nature, quel est son rythme, quelles sont ses étapes ? Peut-on repérer une spécificité propre à cet espace méditerranéen ?

La Méditerranée se définit d’abord par des langues ; elle fut un berceau très varié dans la mesure où elle fut toujours en contact entre terre (une terre très découpée) et mer qui permet finalement une circulation maritime plus aisée que la circulation terrestre. La Méditerranée a été en permanence une zone où les cultures (au sens ethnologique du terme) et les langues se sont retrouvées ; la Méditerranée est dans une certaine mesure une tour de Babel.

La ville méditerranéenne est d’abord une ville bordière (dans ce sens Milan ou Madrid ne sont pas des villes méditerranéennes, même si elles exercent une influence sur celles-ci). Le caractère de ces villes méditerranéennes est d’avoir longtemps été les principales communautés urbaines du monde. Les peuples arrivaient, paysans ou tribaux de l’intérieur et s’urbanisaient en atteignant les bords de la Méditerranée.

La Cité-État portuaire est assez caractéristique de la Méditerranée, car elle n’est pas très puissante par l’organisation qu’elle délivre vers l’intérieur des terres, mais plutôt très puissante parce qu’elle participe à des réseaux, soit avec des villes dont elle est la mère, soit avec des villes dont elle est l’alliée, soit enfin avec des villes dont elle est la correspondante. La ville

méditerranéenne est donc très souvent une ville d’archipel, plus qu’une ville d’arrière-pays et de région. En somme, l’arrière-pays est fait pour faire pénétrer le plus loin possible le commerce, mais non pour générer des organisations politico-territoriales. Cette caractéristique crée des conditions avantageuses tant que le commerce maritime se porte bien, mais cela peut aussi évoluer, comme à la fin du 15e et du 16e siècles quand se sont constitués les grands États modernes qui sont par définition des États territoriaux. On le voit pour la France où Marseille vivait en marge, presque comme une République indépendante qui ne fut annexée que tardivement par le royaume de France à la fin du 15e siècle. Barcelone est dans un cas différent : elle avait un arrière-pays assez puissant et c’est d’ailleurs ce qui la différencie de nombreuses villes méditerranéennes car c’est une grande capitale. Enfin on doit noter les villes italiennes qui avec leurs forces économiques avaient repris (15e et 16 e siècles) le rôle des Cités-États grecques.

A partir du 16 e siècle, les organisations politiques se transforment en de plus grandes organisations territoriales et deviennent beaucoup plus continentales, par exemple l’Espagne avec Madrid comme capitale. Les Cités-États méditerranéennes ne sont plus l’échelle normale des relations internationales, tant sur le plan économique que politique.

Que peut-on penser de la fonction portuaire et du rapport à la mer dans ce processus de métropolisation en Méditerranée ?

Cette question est fondamentale pour ces villes mais aussi très variable dans l’histoire. Tout d’abord, en termes de moyens de circulation,

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la navigation est plus ou moins fragile ; en effet, les changements technologiques ont modifié les conditions d’accès aux ports, par exemple Marseille comme Gênes ont été obligées de créer de nouveaux bassins adaptés à ces nouvelles conditions de transport. Toutes les villes méditerranéennes ont eu à résoudre ces problèmes.

La fonction portuaire dépend aussi de l’accès vers l’intérieur ; c’est pourquoi on retrouve la question de la constitution de ces grands États territoriaux formés autour de capitales. Par exemple, la France se constitue autour de Paris ; elle dispose de différents ports qui en sont les entrées comme Marseille, mais aussi Rouen, Le Havre, Nantes ou Bordeaux. Ce problème n’est pas exclus ivement méditerranéen, mais nous pouvons aussi remarquer des exceptions comme Londres qui est à la fois un très grand port et une capitale.

A partir du 19 e siècle avec l’intervention de la vapeur (train + bateau), ces différents ports entrent en concurrence les uns par rapport aux autres et préfigurent la mondialisation que nous connaissons aujourd’hui. La rivalité concerne à la fois l’accès, mais aussi la desserte de l’arrière pays.

Le commerce portuaire est instable par nature, car les produits comme les itinéraires changent. Le commerce maritime ne tient plus la place qu’il tenait au 19 e siècle. Par exemple, Marseille bénéficie de la colonisation qui modifie les produits qu’elle importe ; mais le canal de Suez se révèle en partie décevant, Marseille se trouve au final presque marginalisé par rapport à des concurrents d’Europe du Nord qui reçoivent directement

les marchandises d’Outre-mer (avantages du fret maritime sur le fret ferroviaire).

Aujourd’hui, la compétition et la concurrence s’expriment aussi entre axes routiers et aéroports ; et, bien sûr, l’avion ne connaît plus ni la mer, ni la terre ; ainsi les villes portuaires qui font l’originalité de la Méditerranée voient leurs centralités ou leurs positions de transit remises en cause. De ce point de vue, c’est la spécificité de la Méditerranée qui est menacée. Il faut une réinterprétation de la situation portuaire (croisières et tourisme littoral) pour revaloriser le contact avec la mer.

Les métropoles méditerranéennes ont-elles une spécificité, notammentune situation de décrochage économique dans un contexte de globalisation généralisée ?

Cette situation est un peu inévitable dans la mesure où elles n’ont pas trouvé de relais par rapport aux vieux commerces méditerranéens, qui consistaient finalement à importer de la matière première et à la travailler. Elles ont mal géré la décolonisation qui est un des aspects de la mondialisation. Dans cet esprit, il faut voir la mondialisation sous l’aspect de la transformation de la carte et de la nature des matières premières et de leurs traitements. Aujourd’hui les produits pétroliers subissent la même évolution et sont en partie traités au départ.

La Méditerranée n’a pas réussi sa reconversion vers des produits plus sophistiqués ; d’ailleurs, dans cette perspective, le projet ITER représente aujourd’hui une chance inouïe pour cet espace. Dans ce jeu que constitue la mondialisation, des villes ont su créer le mouvement alors que d’autres sont restées en rade.

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Alors peut-on parler d’unité ou de fracture nord-sud à propos du bassin méditerranéen ?

« BRAUDEL évoque à plusieurs reprises l’idée que les deux bassins de la Méditerranée, l’oriental et l’occidental, communiquent difficilement » (RONCAYOLO, 2004 ). Cette fracture existe, bien entendu, à la fois en termes de niveaux de vie et d’accès à la modernisation. Cela ne veut pas dire que les pays du Sud ne connaissent pas la modernisation, mais leur accès à la modernisation est influencé par les structures politiques héritées (notamment de la colonisation) qui ont en partie retardé leurs capacités à absorber cette modernisation. Ces structures forment un écran qui sélectionne cette modernité et celle-ci apparaît finalement comme un apport extérieur qui crée plus de problèmes qu’il n’en résout.

Ce qui est à redouter pour ces pays, ce n’est pas qu’ils échappent à la modernisation, mais qu’eux-mêmes soient pénétrés par une modernisation sélective et qu’ils fassent passer la coupure nord-sud au sein de leurs propres territoires. Cette question de la double vitesse apparaît déjà comme évidente notamment pour la Turquie entre Istanbul et l’Anatolie ou encore entre la Palestine et Israël.

Cette coupure Nord-Sud, on la retrouve aussi au Nord, à l’échelle des pays, par exemple en I tal ie et en Espagne. Ces « messiogiorno » n’échappent ni à l’histoire, ni aux transformations même si aujourd’hui on n’en parle plus comme des territoires du Sud, puisque l’entrée dans une grande économie de production et de consommation a permis d’égaliser en partie les niveaux de vie à l’échelle nationale.

Dans nos métropoles du Nord, nous intégrons plus par l’intermédiaire de la consommation que du travail. Une autre division Nord-Sud se retrouve dans nos métropoles par exemple entre le centre de Paris et certaines de ses banlieues. Ces banlieues sont marginalisées dans l’accession à la modernité et à la modernisation, car elles en sont à la fois très proches mais aussi très éloignées.

Quelles tendances pouvons-nous déceler pour l’avenir ?

La métropolisation peut continuer d’être un processus d’agglomération de populations dans un ensemble urbain et péri-urbain sur des étendues dont les périmètres seront de plus en plus mal fixés, et dans lesquels les gens pratiqueront une territorialité qui n’est plus directe, affranchie dans une certaine mesure les problèmes de distances. Ce phénomène rejoint la vieille tradition d’urbanisation de la vie rurale dont certains traits remontent à l’Antiquité. La structure du terroir marseillais est très significative de cette interférence entre la ville et son environnement rural. La ville méditerranéenne a une vocation polynucléaire dans la mesure où il y avait une très forte densité de villes à proximité les unes des autres. Il ne faut pas oublier la définition de la Provence (valable aussi pour une grande partie de l’Italie) qui est d’être une société terrienne et une culture citadine. Ce fait culturel peut expliquer la polynucléarité, la polyurbanité de l’espace méditerranéen qui s’exprime très bien par exemple dans la région marseillaise. En ce sens, l’absence d’un réseau de RER crédible et efficace dans cette région est une grave erreur en terme de choix de stratégies de politiques publiques. Cela pourrait en effet libérer une bonne partie de

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Marseille qui est complètement étouffée par l’automobile.

Finalement, la métropolisation abolit les périmètres et les frontières, si bien qu’il faut voir ce phénomène dans l’exemple de Marseille, observant depuis Nice et jusqu’à Genève, la zone de densité croissante (sauf pour les communes centres) le long de la côte et de la vallée du Rhône. Le film « Conte d’automne » d’Eric ROHMER (1998) illustre d’ailleurs à merveille, cette nouvelle organisation autour de centres divers de la vallée du Rhône, où nous voyons déambuler des « bobos » (finalement…) qui prennent l’apéro dans un village, puis mangent dans une petite ville, avant de partir encore un peu plus loin pour passer la soirée. Ce film met bien en évidence un continuum non pas dans le sens topographique, mais plutôt dans le sens de genres de vie qui se manifestent dans la quotidienneté. C’est la fin des périmètres fermés et bien définis qui perdent de l’importance au profit d’itinéraires. Cela met en évidence des logiques d’archipel. La logique traditionnelle du rapport entre centre et périphérie se trouve bouleversée car nous sommes face à une explosion possible du centre qui peut se retrouver partout, faisant éclater de la même manière la périphérie.

Une dernière question plus personnelle : quelle est votre ou voire vos métropoles méditerranéennes préférées ?

Mes villes préférées ne sont pas forcément méditerranéennes ; je m’en méfie un peu car elles sont trop enrobées d’histoire, même si je suis un défenseur de l’histoire ! C’est le côté rétro de la justification par l’archaïsme qui m’ennuie. Pour commencer, je suis très sensible à Athènes, mais négativement : c’est

une grande capitale qui est devenue métropole, mais qui a perdu en grande partie son caractère de ville maritime. De même en Italie, ce n’est pas Gênes qui a mes faveurs, mais plutôt Rome. J’ai une passion pour les villes qui s’affirment comme mondiales, à la fois par leurs références historiques et actuelles et par leurs caractères cosmopolites. C’est le cas de Rome, à la fois italienne et cosmopolite. Ville très diverse où se superposent les cultures et les populations, ce qui permet une remarquable alchimie. On retrouve une grande diversité dans les espaces publics et c’est quelque chose de fondamental pour moi : c’est comme ça que j’aime les villes. Rome permet de pénétrer dans le temps, sans être nostalgique, on peut retrouver l’archaïsme là où il est, sans être folklorisé comme élément de marketing ou de légitimation ; on voit donc beaucoup de traces du passé, mais ce sont des traces qui nous promènent dans le temps sans nous y engloutir. Et enfin, je dois évoquer Marseille pour des tas de raisons. Nous sommes tous des hommes et nous avons tous une coquille à notre origine et pour moi la coquille, c’est Marseille.

Justement peut-on considérer Marseille comme une ville méditerranéenne ?

« Elle est une ville méditerranéenne par sa situation physique, évidemment, que l’on conçoive la Méditerranée comme une mer presque « intérieure » ou comme zone climatique ; c’est une ville-port accrochée à son littoral, à l’opposé des villes-ports des grands estuaires de l’Europe du Nord. Largement ouverte à la vie maritime, elle y a participé, à travers la permanence des relations proches, enchaînées (le cabotage, ce réseau dense des « prolétaires de la mer », heureusement défini par Fernand BRAUDEL) et les fluctuations de

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la grande navigation. C’est une ville de transit, presque « extraterritoriale » de ce point de vue, créée, nourrie à plusieurs reprises par des mouvements de population d’origine méditerranéenne venus de la mer et vivant constamment des échanges de marchandises, du moins jusqu’à la fin 19 e siècle. Mais c’est aussi une ville méditerranéenne par le mode de relation qui s’établit entre mer et terre. Certes, Marseille bénéficie d’une situation presque exceptionnelle, à proximité de la vallée du Rhône et de l’isthme européen. Mais, comme toujours en Méditerranée, la relation est à la fois difficile, coupée de difficultés physiques et nécessaire. Fernand BRAUDEL l’explique fort bien. Parce qu’on a besoin de main-d’œuvre temporaire ou fixe pour le port, parce que la démographie des villes en Méditerranée (est-ce si particulier ?) est fragile, marquée par une mortalité très forte, soumise à tous les risques de contagion, Marseille a fait appel aux réserves humaines des arrière-pays continentaux et, en particulier, à l’encadrement montagnard. L’immigration dite « italienne », avant l’Unité, est d’abord piémontaise, alpine, cousine de celle du versant « français ». Sorte de météorologie entre fortes pressions et faibles pressions, elle est un appel d’air, sans doute. Mais elle est aussi une tentation du gain, de l’aventure.

Cette tentation ne touche pas que les pauvres montagnards. Marseille, dans des conjonctures très variables, a attiré ou accueilli aussi à la fois des aventuriers et de la Méditerranée et des peuples dispersés. Diasporas de toutes origines, où destins individuels et épreuves collectives se mêlent. Par mer, bien entendu. Mais de l’intérieur, elle a aussi tenté les hommes d’affaires, les esprits entreprenants du Languedoc encore proche, mais aussi des cantons helvétiques et des régions

rhénanes. Surtout depuis le 18e, cette vieille ville catholique s’est fabriquée à côté d’une bourgeoisie juive, orthodoxe, « levantine », une bourgeoisie (grande et petite) appartenant au protestantisme. L’effectif est alors moins important que les liaisons qu’il implique. C’est d’abord humainement que Marseille est une ville archipel. Changeons d’échelle : la relation mer / terre présente d’autres aspects de proximité relative, à travers la double résidence. La bourgeoisie marseillaise, surtout à partir du 17 e siècle, a cultivé cet art : la ville pour travailler, la bastide pour se nourrir en partie, se reposer, goûter les charmes de la campagne et du repos, et surtout la recherche de la sécurité en période d’épidémie. L’image de flots de chariots quittant la ville, sous le coup d’une contagion, est devenue stéréotype. Mais cette double appartenance, dans la continuité ou la discontinuité géographique, est un des caractères de la Méditerranée : par exemple, familles à la fois alpines et marseillaises en fonction de leur travail. Cet aspect se retrouve dans la Corse (contemporaine, du moins) et au Liban. Les quartiers de Beyrouth faisaient écho, y compris dans leurs rivalités religieuses et claniques, aux villages de la montagne. Cette constante des rapports mer/terre se prolonge tout au long des côtes italiennes, jusqu’à Sorrente, en Calabre, en Sicile, sur la côte orientale de l’Adriatique ; c’est une sorte de leitmotiv. (RONCAYOLO Marcel, 2004).

Et le Marseille d’aujourd’hui ?

Je suis critique d’Euroméditerranée car dans un grand projet urbain, il y a l’aspect du traitement de l’espace et celui plus général de la modification des activités économiques, sociales et culturelles. Ce deuxième aspect me

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semble plus important que le premier. Dans Euromed, on a fait passer le premier aspect avant que l’on construise et qu’on donne un élan au second aspect. On a mis la charrue avant les boeufs !

Je ne prévoyais pas une telle réussite pour la bibliothèque de l’Alcazar, mais je pense que son succès, en terme de fréquentation et d’ouverture vers de nouveaux publics, est significatif de Marseille. Cela nous rappelle que Marseille est un lieu d’intégration, d’assimilation où on ne perd pas sa culture tout en restant proche de l’autre.

Marseille, c’est aussi l’altérité, même si je n’aime pas tellement le Marseille trop englué dans une seule image populaire ou culturelle. J’aime Marseille, car c’est la ville de tous les croisements et de tous les contacts, de la porosité sociale : aujourd’hui, alors que la Canebière ou l’Opéra ont en partie perdu cette fonction, le stade Vélodrome l’a-t-il retrouvée ? Et finalement, la dernière métropole que je voudrais évoquer, c’est New-York car malgré l’architecture, j’y ai retrouvé certains aspects méditerranéens, notamment cette diversité et cette porosité dans l’espace public. En effet, New-York est aussi la ville par excellence, une ville hyper-sophistiquée mais très populaire également.

Bibliographie FUSTEL DE COULANGES, 1982, (1864), La cité antique, Paris, Albatros / Valmonde. GRAVIER J.-F., 1947, Paris et le désert français, Paris, Flammarion GRAFMEYER Y., JOSEPH I., (sous la direction de), 1979, L’école de Chicago, Paris, Le Champ urbain.

RONCAYOLO M., 2002, « Métropole : réalités dans le temps ou label d’avenir ? » in Lectures de villes, formes et temps, Ed. Parenthèses. RONCAYOLO M., 2004, « Relire la Méditerranée de Fernand Braudel » in La Méditerranée sous la direction de BORNE D. et SCHEIBLING J., Paris, Hachette. SORRE M., 1952, Les fondements de la géographie humaine, III, L’habitat, Paris, Armand Collin, pp 293. SASSEN S., 1996, La ville globale. New York, Londres, Tokyo. Paris, Descartes (1991 pour l’édition américaine, Princeton University Press). SIMMEL G., 1979, (1905), Métropoles et mentalités in GRAFMEYER Y., JOSEPH I. (sous la direction de), L’école de Chicago, Paris, Le Champ urbain.

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De la métropolisation

à l’altermétropolisation

Michel Bassand

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La métropolisation1 concerne un nouveau processus d’organisation sociale et spatiale. Précédemment on parlait de villes et d’urbanisation : les activités et la population se concentraient dans des villes denses et avec un environnement construit compact, leur croissance économique et démographique étaient considérables. Ces processus se déroulaient principalement dans une seule commune plutôt de grande taille qui était dénommée ville. Or, il y a quelques dix années, cette concentration s’arrêta, les villes étaient saturées. Elles se déversèrent dans les communes voisines, c’est dire que se mit en place un développement spatialement étalé changeant profondément la structure sociospatiale des villes. Progressivement mais systématiquement naissaient des réseaux d’agglomérations urbaines, parmi elles certaines de très grande taille avoisinant et dépassant le million d’habitants, elles sont baptisées métropoles. Plusieurs spécialistes parlent de la mort des villes (LEFEBVRE, 1968 ; CHOAY, 1994), nous préférons dire qu’elles se sont radicalement transformées. La métropolisation désigne ces changements de l’organisation de l’espace fondé dès lors d’une part, sur un réseau d’agglomérations urbaines et de métropoles et d’autre part, sur la mutation de la société industrielle en société informationnelle, c’est cette dernière qui accompagne ou génère l’étalement spatial.

Notre point de vue : la sociologie urbaine

Notre angle d’analyse des collectivités urbaines est la sociologie urbaine ; nous le résumons en cinq thèses ; nous pensons utile de les expliciter rapidement car elles sont significatives pour les métropoles (BASSAND, KAUFMANN & JOYE, 2001).

Une collectivité urbaine est profondément marquée par la société qui l’englobe

A chaque type de collec t iv ité urbaine correspond un type de société, ainsi la cité correspond à la société antique, la ville médiévale implique la société agraire féodale, la ville classique est conditionnée par une société agraire mais de t ype absolutiste, la ville industrielle est fille de la société industrielle, alors que la société informationnelle contemporaine donne naissance aux agglomérations urbaines et métropoles. Impossible d’entrer dans le détail de ces différents types de collectivités urbaines et de sociétés. Nous insistons seulement sur le fait que la collectivité urbaine est déterminée par la société qui l’englobe, mais aussi que cette société vit au rythme de ses collectivités urbaines. De plus ces dernières actualisent en les adaptant, les groupes, les collectivités, les institutions, les formes de sociabilité, les rapports sociaux propres à chaque société. Ainsi par exemple la ville industrielle reproduit les luttes de classes sociales, les groupes et organisations, les institutions de la société industrielle.

Nous ne méconnaissons pas le débat lancé par quelques sociologues (TOURAINE, 2005) sur le concept de société que d’aucuns considèrent comme n’étant plus pertinent. Jusqu’à preuve du contraire, en raison de nos observations et analyses, nous ne sommes pas d’accord, partant la société reste pour nous un concept clé : c’est un macrocosme générant un vivre ensemble structurant.

1 Cet article est conçu à partir du livre de Michel Bassand, La métropolisation de la Suisse, Le savoir suisse, PPUR, Lausanne, 2004. Un autre point de vue, mais finalement très proche du nôtre, est défendu par François Ascher, Métapolis, O. Jacob, Paris ,1995.

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En quelques phrases définissons ce que recouvre le concept de société. Il implique six champs très imbriquées les uns dans les autres, assumant chacun un ou des enjeux qui sont assumés par les acteurs individuels et collectifs, plus ou moins spécifiques à chaque champs. En un mot ces champs sont 1) l’économie et les inégalités sociales avec les enjeux de produire des richesses et de les répartir, 2) le et la politique qui tentent de régler les conflits qui surgissent de ce système qui est le plus souvent inégalitaire, 3) la population qui doit assumer sa reproduction en se faufilant entre surpopulation et vieillissement, 4) le territoire et l’environnement qui doivent être équitablement répartis, 5) la culture qui donne du sens aux acteurs, 6) la reliance qui assure le renouvellement micro et macrosociologique des solidarités entre les acteurs. Chaque champ doit être piloté, mais il en va de même pour la société toute entière qui est enserrée et donc conditionnée par les deux cents sociétés qui quadrillent le monde, c’est un défi considérable. Il génère des hiérarchies d’acteurs souvent conflictuelles.

Actuellement nous vivons, dans le monde occidental, dans des sociétés de l’information où les technosciences, la mondialisation, les rapports de mouvements sociaux, l’individualisation et l’individuation, la gouvernance sont déterminants ; ces sociétés de l’information sont donc radicalement différentes des sociétés industrielles d’antan.

Les collectivités urbaines résultent d’un jeu complexe d’acteurs individuels et collectifs

Nous n’utilisons pas les concepts d’agent et de sujet, souvent confondus avec celui d’acteur,

parce qu’ils impliquent des postulats nous semble-t-il indéfendables scientifiquement. L’agent parce qu’il est considéré comme totalement déterminé par la société qui l’englobe, et inversement le sujet parce qu’il fonctionne en raison d’une liberté totale qu’on ne peut déceler scientifiquement d’où elle vient. Par contre l’acteur individuel et collectif se définit d’une part, par les positions qu’il occupe dans la société (catégories socioprofessionnelles, âge, genre, nationalité, culture, position dans la hiérarchie des collectivités locales, etc.) et ensuite par l’autonomie qu’il s’efforce de conquérir dès le plus jeune âge et qui lui donne une marge de manœuvre plus ou moins grande. Une tension entre déterminisme et autonomie définit l’acteur, elle conditionne ses pratiques et ses représentations. Notamment les identités et les projets de l’acteur résultent de cette tension. La collectivité urbaine est construite par un système d’acteurs individuels et collectifs, très divers et conflictuels, en d’autres termes elle est façonnée par une structure du pouvoir.

Les collectivités urbaines impliquent, inextricablement liées, une morphologie, des pratiques sociales et des représentations collectives2

La tentation est grande de définir la collectivité urbaine par l’un ou l’autre de ces trois niveaux, la sociologie urbaine défend l’idée que les trois sont essentiels et étroitement interdépendants. La morphologie désigne ce que chacun peut observer : un territoire et un environnement naturel, des bâtiments de toutes sortes, des réseaux techniques et spatiaux comme rues, places, moyens de transports, canaux d’eau potable et usée, lignes énergétiques,

2 G. Gurvitch décrit dix paliers en profondeur, pour simplifier nous n’en retenons que trois.

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etc. Les pratiques sociales sont les multiples comportements sociaux, économiques, politiques, culturels que les citadins développent et qui sont déterminés par la morphologie susmentionnée mais surtout par les positions sociales que ces citadins occupent dans la société. Quant aux représentations collectives ce sont les systèmes d’idées, de connaissances, de signes et symboles, de valeurs, etc. que chaque citadins, certes à des degrés divers, élabore ou emprunte et qui donnent sens à ses pratiques et les orientent. Les identités, les projets sont par exemple des représentations.

Si la morphologie est relativement aisément observable par quiconque, les pratiques sociales le sont déjà moins et les représentations le sont très peu, mais l’importance de ces trois niveaux ne dépend pas de leur accès plus ou moins facile. Ce qui compte avant tout, c’est de ne pas réduire la collectivité urbaine à l’un ou l’autre niveau, les trois sont indispensables.

La collectivité urbaine comprend une sphère privée et une sphère publique, elles sont inséparables

La sphère privée correspond à des espaces appropriés par des acteurs spécifiques comme par exemple la famille s’approprie l’espace domestique qui est strictement privé ; l’entreprise s’approprie l’espace de travail qui lui aussi est privé, etc. La sphère publique définit des espaces qui restent ouverts à tous les citadins et qui par conséquent leur permettent de se rencontrer et d’accéder fluidement aux divers lieux de la collectivité ; les réseaux de rues, de places et de parcs (BASSAND, 2001) sont par exemple des espaces publics. Cette distinction entre le privé et le public n’est toutefois pas faite une fois pour toute. Par exemple les acteurs

dits « libéraux » des agglomérations urbaines et des métropoles du monde occidental se caractérisent par une politique de privatisation des espaces publics car prétendent-ils, ils sont sources de confusion et désordre. Certains acteurs politiques contestataires ripostent en mettant en relief les risques de conflits sociaux qu’implique cette privatisation et proposent diverses stratégies de consolidation des espaces publics, car ils sont les garants de la cohésion urbaine et du fonctionnement en souplesse des collectivités urbaines.

Les collectivités urbaines contemporaines développent ségrégation sociale et spécialisation fonctionnelle du sol

Certes ces deux processus sont à l’œuvre dans presque toutes les collectivités urbaines. Ils se redéploient de manière spécifique et vigoureuse dans les agglomérations urbaines et les métropoles contemporaines. Nous entendons par ségrégation sociale le processus par lequel les catégories sociales (CSP, âge, genre, culture, nationalité, etc.) s’établissent séparément dans l’espace urbain, formant des communautés (d’aucuns disent ghetto) qui s’excluent mutuellement. Ce processus se fait par l’intermédiaire du prix du logement et du marché. Par ce mécanisme économique les catégories aisées se retrouvent dans un habitat qu’elles se sont réservées, d’où sont exclues les catégories en difficulté socioéconomique, qui se regroupent dans un habitat plus rudimentaire. A ce développement se combine un processus socioculturel. En effet, ces différents types socioéconomiques d’habitants se différencient culturellement. Ces différences (nationales, religieuses, ethniques) entraînent elles aussi une ségrégation, mais qui ne se fait plus par le marché mais par un jeu d’affinités. Par

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exemple les catholiques ont tendance par affinité à vivre ensemble, ce que les institutions religieuses paroissiales facilitent et légitiment. Des processus analogues se mettent en place pour les nationalités, les spécificités ethniques, et autres traits culturels (GURVITCH, 1958).3 D’une manière générale l’exclusion qu’implique la ségrégation sociale est porteuse de tension, de conflit, voire de violence.

La spécialisation du sol concerne les différents types d’activités économiques qui ont avantage à se regrouper en quartier d’habitation, zone industrielle, zone administrative, rue commerçante, parc, quartier de gare, quartier d’hôpital, etc.

La ségrégation et la spécialisation structurent la collectivité urbaine sous forme d’une mosaïque d’espaces socioéconomiques et socioculturels. Plus les différences sont marquées et impénétrables entre les pièces de cette mosaïque, plus la collectivité urbaine risque de dérailler en conflits parfois violents, remettant en cause la cohésion de l’ensemble. Pour éviter ces conflits, chaque pièce de cette mosaïque doit s’ouvrir, c’est-à-dire être reliée aux autres par des réseaux de transport, d’échange, de communication.

Ces cinq thèses s’impliquent mutuellement; elles donnent une idée de la complexité de la collectivité urbaine. Celles que nous venons de présenter sont valables, certes avec des nuances, pour la cité, les différents types de villes et pour la métropole. Ces cinq thèses ont donc une tendance à être universelles mais jamais de manière mécanique et

absolue, dans chaque collectivité urbaine, il y a toujours un jeu d’acteurs qui produisent des spécificités. Penchons nous maintenant sur les métropoles, quelles sont leurs spécificités ?

La métropolisation et la société informationnelle

La société informationnelle succède à la société industrielle. Notre thèse consiste à rendre compte de la métropolisation par des dimensions sociospatiales spécifiques qui se développent dans le contexte des sociétés de l’information. La métropolisation se fait donc avec les structures sociales, les institutions, les formes de sociabilité, etc. propre à ce type de société. Nous expliciterons ci-dessous notre point de vue en quelques propositions.

La métropolisation est frappée par la technoscience, la mondialisation, l’individualisation et l’individuation, toutes quatre étant des dimensions propres à la société informationnelle

La technoscience signifie que la technique et la science se sont couplées ce qui les rend plus performantes. Les domaines comme la technobiologie, la nanotechnologie, la physique nucléaire, l’informatique, les télécommunications, l ’astronomie, l ’écologie, l ’informatique illustrent ce couplage. Plus encore ces savoirs sont devenus des facteurs de production qui révolutionnent l’économie, qui se différencie fondamentalement de l’économie industrielle. En rapport à ces changements l’économie se

3 L’école de Chicago dès les années 1920 a démultiplié les travaux sur ces thèmes Cf. notamment R.E. Park,E.W. Burgess, R.D. McKenzie, The City, University of Chicago Press, Chaicago, 1925 ; cf. aussi P.K.Hatt, A.J.Reiss,jr, Cities and Society, The Free Press, NewYork,1967.

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globalise. L’horizon économique devient le globe. Les acteurs économiques développent des stratégies mondiales, plus encore les autres champs sociaux comme l’environnement, le territoire, la culture, etc. se mondialisent. Les rapports sociaux changent complètement. Dans ce maelström, l’individualisation (c’est-à-dire l’émancipation de l’individu par rapport aux diverses organisations et institutions) qui a des lettres de noblesse plus anciennes, se poursuit et se combine à l’individuation (nous entendons par ce concept la quête de distinction que chaque individu, dans la masse des individus, met en œuvre). Ces quatre processus sont fondateurs de la métropolisation. Les métropoles deviennent les plates-formes permettant d’accéder aux diverses autres métropoles du monde. Elles se sont organisées en armature mondiale grâce aux innovations en matière de transports tant aériens, maritimes que terrestres et aux télécommunications.

L’étalement métropolitain

En même temps que la mise en mouvement de ces quatre dimensions, il apparaît que les villes ne peuvent plus contenir tant leur croissance économique que leur croissance démographique. Elles s’étalent dans les communes autour d’elles, cela grâce à de nombreuses innovations en matière de transport et de télécommunication qui sont accessibles à un public qui ne cesse de grandir. Nous distinguons trois mouvements qui se sont faits successivement.

La suburbanisation se profile la première et correspond à la saturation de la ville liée à sa croissance, l’une et l’autre entraînent un coût du sol urbain considérable, rendant impossible la construction de logements pour les CSP populaires. Ce coût du sol rend aussi difficile la transformation

de nombreuses entreprises ayant besoin de plus d’espace ou bien parce qu’elles s’agrandissaient ou bien parce que leur modernisation demande plus d’espace. Habitants et entreprises vont donc s’établir dans les communes voisines où le coût du sol est nettement moindre. Ce sont les communes suburbaines.

La périurbanisation vint ensuite mais cette fois ce sont les CSP dirigeantes qui ne trouvent plus de logement à leur convenance : en effet le centre-ville leur impose une coexistence avec les CSP populaires que les premières jugent intolérable, la densité non organisée est souvent désagréable et donne un sentiment de promiscuité, l’insécurité de toutes sortes ne cesse de croître, des valeurs inhérentes au logement sont irréalisables en centre-ville, etc. Aussi ces catégories se lancent dans la promotion de lotissements de maisons individuelles au-delà des zones suburbaines qui semblent promettre plus de confort, de soleil, de nature, de paysage, de sécurité. Peu importe les longs trajets quotidiens entre le domicile et le lieu de travail resté en centre-ville, la voiture permet de les assumer, car elle signifie plaisir, liberté, confort.

Émergea ensu i te un mouvement de rurbanisation. Il ne concerne pas seulement l’habitat, mais toutes sortes d’équipements comme gares de trains à grande vitesse, aéroports, hypermarchés avec de très grands parkings de voitures automobiles, grandes entreprises nécessitant beaucoup d’espace, prisons, stations d’incinération et d’épuration trop désagréables pour être implantées dans des communes centre-ville, suburbaines ou périurbaines, dépôts d’ordures ménagères et industrielles, etc. Dans les zones rurbaines coexistent des communes rurales, des communes touristiques, des communes avec des zones

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industrielles importantes nécessitant beaucoup de places de parcs automobiles. Enfin dans ces communes rurbaines s’implantent les voies d’autoroute et ferroviaires qui accèdent à l’agglomération ou à la métropole et qui sont gourmandes en espace, elles constituent des barrières difficilement franchissables et remettent en cause la cohésion de la commune. En bref ces trois types d’étalement sont gourmands en espace et leurs équipements ne sont pas toujours aussi agréables que prévu, c’est un peu du rebus dont personne ne veut… C’est à la suite de ces trois mouvements que naissent les agglomérations urbaines et les métropoles. Une agglomération urbaine et une métropole, contrairement à une ville qui ne compte qu’une commune, s’étalent sur un nombre considérable de communes toutes jalouses de leur autonomie et qui partant n’entrent que difficilement en matière pour partager la gestion d’un territoire qui pourtant les concernent toutes. Le chacun pour soi est la règle. Tout au plus on entre en matière pour une gouvernance, une bonne gouvernance a-t-on l’audace de préciser.

Redéploiement de la ségrégation sociale et de la spécialisation fonctionnelle du sol

Les agglomérations urbaines et les métropoles en simplifiant beaucoup regroupent quatre types de communes : les communes centre-ville, suburbaines, périurbaines et rurbaines. Elles sont le fruit de la ségrégation sociale et de la spécialisation fonctionnelle du sol. La commune centre-ville se distingue par le fait que c’est souvent une ancienne cité, ou ville médiévale, classique ou industrielle. Elle comprend donc un patrimoine architectural et urbanistique important qui limite sa marge de manœuvre. Elle a perdu beaucoup d’habitants, mais elle reste un pôle d’emplois

et de services (commerces, administrations diverses, équipements, etc.) au bénéfice de toute la métropole, entraînant une mobilité quotidienne pendulaire source de désagréments. Souvent l’identité de la métropole est construite à partir de la commune centre-ville. Des quartiers divers regroupent les habitants restant, parmi eux coexistent des quartiers très populaires et des quartiers huppés, les deux s’excluent, bien que souvent très proches. La commune centre-ville garde ses caractéristiques d’antan : grande taille, densité élevée, compacité de l’environnement construit. C’est ce que d’aucuns fuient, et que d’autres recherchent comme étant par excellence de l’urbanité. Nous n’avons rien d’autre à ajouter sur les communes suburbaines, périurbaines et rurbaines définie précédemment.

La métropole se distingue donc par une organisation sociale et spatiale en quatre types de communes très distinctes.

Réseaux techniques et spatiaux et mobilité spatiale

L’organisation sociale et spatiale qui découle des paramètres que nous venons de mentionner comme caractéristique de la métropole à savoir l’étalement, la fragmentation et l’individualisation, nécessite des réseaux techniques et spatiaux qui génèrent des réseaux sociaux. Les premiers sont principalement des réseaux de transport et de télécommunication, ainsi que d’énergie, d’eau et de services de toutes sortes. Cette infrastructure de réseaux entraîne une mobilité importante des habitants de la métropole, souvent source de problèmes car elle n’est pas adaptée aux handicaps de certains habitants (enfants, jeunes, vieux, handicapés)

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et encore parce qu’elle n’est pas correctement gérée. C’est par exemple le cas de l’importance démesurée de l’automobile.

Elle représente intrinsèquement un instrument de transport intéressant et utile qui de plus génère de nombreux emplois. Mais la pertinence de l’automobile dépend de la qualité du réseau des rues et des routes de la métropole. Or dans la plupart des cas ce réseau est inadapté à la masse de véhicules qui circulent, ce qui occasionne des encombrements entraînant des pertes de temps considérables, une pollution de l’air qui a des conséquences graves sur la santé et le réchauffement climatique, de nombreux accidents socialement coûteux, des stationnements gourmands en espace et laids. L’ennui vient du fait que souvent d’une part, il n’est possible d’améliorer le réseau viaire qu’à des coûts exorbitants et que d’autre part, de nombreux automobilistes n’envisagent pas un report modal (KAUFMANN V., 2000). Si les habitants des métropoles veulent circuler fluïdement il est indispensable de revenir aux transports publics, qui eux aussi entraînent des coûts pas négligeables ; en fait objectivement il n’y a pas d’autres solutions. Il est même indispensable de faire douce pression sur les automobilistes, par l’intermédiaire de taxes, de coûts et d’un nombre limité d’ emplacements de stationnement en centre-ville, pour qu’ils délaissent de temps à autre leur véhicule ; peut- être que la pénurie d’essence qui s’annonce résoudra le problème…

Les acteurs de la métropolisation

Nous avons vu de manière générale qu’ils sont incontournables. Il convient de distinguer les acteurs individuels des acteurs collectifs. Pour ce qui est des premiers nous distinguons les acteurs

économiques (les dirigeants des entreprises de toutes catégories, les propriétaires fonciers), les acteurs politiques (élus de tous types, dirigeants de partis politiques), les professionnels de l’espace (architectes,urbanistes, aménagistes et les experts en recherche urbaine qui les assistent), les habitants-usagers-citoyens qui se différencient par les positions qu’ils occupent dans diverses hiérarchies de CSP, âges, genres, nationalités, ethnies, etc. On retrouve ces acteurs individuels dans tous les cas d’aménagement et tous les types d’équipements urbains, ces derniers ne sont significatifs que si on met en relief leurs relations avec les acteurs qui les façonnent et les utilisent. D’une manière ou d’une autre ces acteurs sont tous pertinents, ce qui ne veut pas dire qu’ils sont égaux en termes de pouvoir. Ce sont incontestablement les acteurs économiques qui sont les plus puissants ; souvent ils le sont à eux seul, mais aussi en concluant des alliances avec les autres acteurs. Quant aux acteurs collectifs, à côté des nombreux groupes, associations, organisations, nous distinguons trois mouvements sociaux. Nous entendons par là des ensembles qui développent un (ou des) projet de société, qui désigne leur adversaire et élabore leur identité. Dans les sociétés informationnelles et dans les métropoles du monde occidental s’affrontent trois mouvements sociaux : les rationnalisateurs, les contestataires et les réactionnaires. Les premiers raisonnent quasi exclusivement en termes de rationalité économique, ils recherchent plus d’efficacité, plus de performance, plus de rentabilité. Ils valorisent la mondialisation et la métropolisation qui doivent être gérées par l’intermédiaire du marché exclusivement. Ce sont surtout des dirigeants d’entreprises, mais aussi des citoyens de droite. Les contestataires s ’af frontent aux rat ionnal isateur s en brandissant les valeurs d’équité, de solidarité,

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de paix et de respect de l’environnement ; ils revendiquent une altermondialisation et une altermétropolisation. Ce sont principalement des militants d’associations écologistes, pacifistes, des membres de groupements de gauche, des jeunes. Quant aux réactionnaires, ils s’affrontent aux deux premiers les accusant d’être des modernisateurs bafouant les valeurs traditionnelles, et leur reprochant de faire trop souvent appel de manière immodérée aux travailleurs étrangers. D’ailleurs ces derniers sont aussi la cause de tout ce qui ne va pas… Partant, il faut les renvoyer chez eux de la manière la plus énergique. Les réactionnaires recrutent leurs adhérants un peu dans toutes les CSP, et souvent chez les plus âgés. Les partis politiques nationalistes et populistes sont le cœur des mouvements réactionnaires. Ces trois mouvements s’affrontent à toutes occasions et chaque fois que la métropole et / ou la société a recours aux urnes. Leurs débats sont conflictuels, ce qui rend souvent impossible l’élaboration de compromis créatifs. Ce manque de créativité ne serait-elle pas plutôt due à la démobilisation des démocrates ? Enfin d’aucuns regrettent que les réactionnaires accèdent au pouvoir selon des règles démocratiques, alors qu’ils ne cessent de critiquer la démocratie… Par ailleurs certains accusent la démocratie de faiblesse ; d’autres pensent qu’à court terme, la participation des réactionnaires est regrettable certes, mais au fond elle est équitable et c’est le meilleur moyen de contrôler les réactionnaires…

Ces deux typologies d’acteurs se recoupent-elles ? C’est une importante question à laquelle la recherche scientifique doit encore apporter réponse. A partir de nos propres travaux il ne fait pas de doute que rationnalisateurs et acteurs économiques se rejoignent, mais le mouvement des rationnalisateurs recrute

aussi chez les autres acteurs individuels, mais dans des proportions qui ne sont pas connues. Les contestataires sont surtout des jeunes, impossible de dire maintenant l’importance relative des autres acteurs individuels. Les réactionnaires ont incontestablement le soutien des citoyens plutôt âgés et des catégories populaires, mais c’est impossible de dire dans quelles proportions. Un important travail de recherche reste à faire… Soyons donc prudents dans nos affirmations.

La politique métropolitaine

La réflexion sur les acteurs nous mène directement à ce thème. Les v i l les et l’urbanisation ayant pour cadre un seul type de commune, c’est-à-dire la ville, la question de la démocratie ne se posait que rarement. Son accès était clairement et simplement codifié.

Les agglomérations urbaines et les métropoles constituent des entités socioéconomiques incontestables, pourtant politiquement elles n’existent pas. En effet ces entités sont éclatées en de nombreuses communes jalouses de leur autonomie, et surtout très critiques, à tord à notre avis, à l’égard de la commune centre-ville responsable d’une gestion dite déplorable…Partant pas question de se fédérer en une institution politique d’agglomération ou de métropole. Ce qui fait que ces macrocosmes ne sont pas gérés politiquement. Leur gestion est menée au coup par coup entre des partenaires publiques (communes, Région, État) et avec des acteurs privés qui sont des acteurs économiques et leurs experts. Les habitants-usagers-citoyens ne sont pas conviés à ce management car ils sont considérés par les premiers comme incompétents. Les tenants de ce management proclament fièrement à qui veut l’entendre qu’ils pratiquent

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la gouvernance, et ils ont l’impudence de dire encore « la bonne gouvernance »…Comme ce système est fondé sur la cooptation des partenaires, en fait, la gouvernance est une forme de technocratie occultée. Il est donc urgent de doter les agglomérations et les métropoles d’authentiques institutions démocratiques, ce qui n’est pas une mince affaire vu les intérêts divergents qui sont impliqués. Nous pensons qu’avec ces six points – qui pourraient être présentés beaucoup plus longuement - nous rendons compte des principales caractéristiques des métropoles et de la métropolisation. Nous ne sommes en aucun cas exhaustif. Nous complèterons et conclurons notre réflexion par l’idée d’altermétropolisation.

En guise de conclusion : l’altermétropolisation

Nous prétendons que la métropolisation est un processus incontournable, nombreux sont les chercheurs qui par le monde le décrivent en des termes qui convergent. Tout au long de cette brève analyse, compte tenu des valeurs démocratiques notamment qui marquent le contexte où la métropolisation se déroule, il apparaît qu’elle est porteuse de difficultés, de contradictions, générant des conflits qui rendent difficile un management cohérent. La métropolisation ne peut donc plus se dérouler comme elle le fait maintenant spontanément, c’est pour cela que d’ores et déjà il faut travailler à mettre en œuvre une autre métropolisation, soit l’altermétropolisation. Restons dans les grandes lignes. Les propos que nous avons précisés ci-dessus font apparaître au moins quatre défaillances majeures, notamment :

la ségrégation sociale, - la dégradation de la qualité de vie des -métropoles,

l’utilisation quasi exclusive de l’automobile, -l’absence d’institutions démocratiques. -

Il y en a bien sûr d’autres. Restons en à ces quatre. Que faire ? Nous proposons quatre démarches, d’emblée d’aucuns pensent que nous sommes utopiques donc irréalistes, donc sans intérêt. Evidemment nous ne sommes pas d’accord. Nous reconnaissons que les quatre défaillances que nous mettons en relief sont complexes et sont souvent inhérentes au système social, mais elles sont parfaitement corrigeables plus ou moins immédiatement, elles sont de l’ordre de la raison, il suffit de le vouloir sincèrement et de disposer d’une marge de manœuvre politique, ce qui n’est pas toujours acquis, c’est vrai...

La ségrégation sociale

Celle-ci est grave parce qu’elle sépare dans l’espace les groupes sociaux et qu’ainsi elle empêche les groupes les plus défavorisés de participer à la société toute entière. Elle procède donc par exclusion, ce faisant la ségrégation sociale est porteuse de confits qui déraillent en violences. Elle doit donc être évitée et quand elle existe déjà, elle doit être démantelée vigoureusement. Disant cela nous savons bien qu’une telle réalité ne peut pas être défaite du jour au lendemain.

L’action contre la ségrégation sociale doit être menée à différents niveaux. D’abord à celui de la planification du logement, et à celui de l’archi-tecture. Souvent les architectes prétendent qu’ils ne sont pas concernés par la conception du loge-ment des catégories populaires, par conséquent pour ces dernières on construit n’importe quoi, peut-on encore parler d’habitat ? La réponse est négative… L’enjeu est de ne concevoir que des catégories de logements de qualité, certes diffé-

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rents mais intégrés, c’est-à-dire qui ne forment pas des ghettos. Certes c’est compliqué, mais si les architectes ne peuvent relever ce défi qui le fera ? En outre, il faut planifier un nombre suffisant de logements pour les catégories populaires, ce qui demande de prendre des mesures économiques, politiques, architecturales et urbanistiques. C’est un défi incontestablement difficile mais c’est une des clés de la réalisation de collectivités urbaines équitables, plaisantes, originales et dynamiques. La lutte contre la ségrégation sociale passe aussi par des actions contre les inégalités sociales qui ne se mènent pas exclusivement au niveau du territoire, elles sont mises en œuvre par des poli-tiques de salaires équitables et des luttes contre le chômage. Elle implique encore des mesures d’instruction publique et d’action culturelle, non seulement pour la jeunesse, bien sûr elles sont très importantes, mais ces mesures doivent être opératoires à tous les âges de la vie. A tout âge, chaque individu qui le souhaite doit avoir la chance de réorienter sa carrière professionnelle, même ceux qui ne le souhaitent pas doivent être encou-ragés à la faire…

La dégradation de la qualité de vie

Celle-ci nécessite des politiques de dévelop-pement durable impliquant de satisfaire les besoins des contemporains sans compromettre ceux des générations futures. Ce défi implique que soit pris en compte la croissance écono-mique, le développement social et le respect intégral pour l’environnement. Ce dernier pa-ramètre concerne la lutte contre 1) les diverses pollutions de l’eau, du sol, de l’air, mettant en cause la santé des hommes, 2) les pénuries de l’eau, de l’énergie, etc. 3) les menaces relatives à la biodiversité, 4) les gaz à effet de serre entraînant un réchauffement climatique aux effets catastrophiques.

Le tout automobile

Nous avons évoqué les conséquences de politi-ques du tout à l’automobile ; certes ce véhicule est utile, agréable mais en trop grand nombre il perd ces qualités. Les métropoles contemporai-nes ont franchi le seuil qui font que dorénavant l’automobile est un instrument néfaste. Comment faire marche arrière ? Il faut d’abord arrêter le tout à l’automobile en la taxant plus encore, en restreignant les facilités de stationnement, en freinant l’amélioration des infrastructures routiè-res. Mais en même temps il faut perfectionner les transports publics du point de vue du coût, du confort, de la fréquence, de la rapidité… c’est la quadrature du cercle hurlent d’aucuns… Il est néanmoins indispensable de travailler dans cette direction. Mais ce n’est pas encore suffisant : il faut construire la collectivité urbaine en évitant l’étalement périurbain et rurbain, et en construi-sant du logement de manière plus dense, plus concentré et de haute qualité, condition sine qua non pour rendre pertinente une politique de transport public. A nouveau les architectes ont un rôle premier à jouer !

La démocratie et la participation

L’altermétropolisation implique encore d’introduire systématiquement la démocratie et la participation des habitants-usagers-citoyens. Pour le moment la métropolisation s’est faite comme si l’une et l’autre avaient été oubliées. En effet les agglomérations urbaines et les métropoles sont nées sans institutions politiques idoines et comme si les institutions communales allaient être suffisantes et miraculeusement pertinentes ou pire encore comme si une « bonne gouvernance » ferait l’affaire. Or la métropolisation réorganisent spatialement les sociétés de l’information, partant, l’organisation

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politique et démocratique de ces nouveaux territoires doit être inventée. Les expériences tentées de ci de là ne peuvent pas encore faire école. Il faut reconnaître que cette question fait l’objet de débats passionnés. D’aucuns pensent qu’il ne faut rien tenter, donc laisser les institutions communales et la gouvernance régler les problèmes qui se posent ; d’autres pensent que c’est une impasse, et préconisent qu’il faut imaginer et mettre en œuvre des institutions démocratiques d’agglomérations et de métropoles. C’est faire de la bureaucratie inefficace répliquent les premiers. Que sortira-t-il de ce débat ? Peut-on encore attendre ? Ces nouveaux territoires sont là et rien ne les oriente politiquement parlant. C’est une situation périlleuse…

La recherche scientifique

Les métropoles et la métropolisation posent un autre problème, celui de la recherche scientifique qui tente d’en rendre compte. Pour le moment sous le couvert de la multidisciplinarité,un ensemble considérable de disciplines (de la philosophie à la géographie, de l’ethnologie à l’hydrologie, de l’urbanisme à la sociologie, de l’architecture à l’économie, des sciences de l’ingénieur à la psychologie, etc.) sous le regard hilare des praticiens, produisent chacune séparément des essais s’inspirant à des degrés divers les uns les autres et qui sont à la fois partiels et partiaux. Le résultat de cet effort considérable est pour le moins confus, bien que l’Université souvent le cautionne…. Que faire ? Il faut entrer dans une franche interdisciplinarité, c’est-à-dire dans un débat ouvert entre ces disciplines pour qu’elles construisent ensemble une synthèse des résultats de recherches, et ensuite les publient et qu’elles lancent ensemble des recherches de terrains allant de

la formulation d’hypothèses interdisciplinaires à leur vérification, entraînant des écrits collectifs accessibles à tous. Superbe diront d’aucuns, mais ça prend du temps et de l’argent. C’est vrai, c’est donc dire que la recherche urbaine interdisciplinaire sur la métropolisation doit être organisée sur d’autres bases que ce qui existe actuellement. Cette nouvelle politique de recherche interdisciplinaire dépend tant des universités, d’instituts privés, des fondations qui financent la recherche scientifique, que des métropoles mondiales qui sont à court d’idées mais qui sont avides de propositions pour lancer et évaluer des expériences novatrices. Cette démarche peut débuter modestement avec quelques partenaires et progressivement s’enrichir et devenir plus complexes en entraînant d’autres. Par contre il est indispensable que rapidement des « chefs d’orchestre » soient désignés pour assurer la continuité de l’effort.

Bibliographie BASSAND M., KAUFMANN V., JOYE D., 2001, Les enjeux de la sociologie urbaine, PPUR, Lausanne. BASSAND M., 2001, Vivre et créer l’espace public, PPUR, Lausanne. CHOAY F., 1994 « Le règne de l’urbain, la mort de la ville » in La ville : art et architecture en Europe 1870-1933, Centre Pompidou, Paris, pp. 26-35. GURVITCH G., 1958, Traité de sociologie, T.1, Paris. KAUFMANN V., 2000, Mobilité quotidienne et dynamique urbaine, P.P.U.R., Lausanne. LEFEBVRE H., 1968, Le droit à la ville, Anthropos, Paris. TOURAINE A., 2005, Un nouveau paradigme, Fayard, Paris.

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La métropolisation : un processus

lié à la privatisation de la mobilité

François Moriconi-Ebrard

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L’étude de la métropolisation est revendiquée par diverses disciplines des sciences humaines, de sorte qu’elle a déjà fait l’objet d’une abondante littérature. Dans les sciences humaines, on a d’abord distingué les métropoles par leurs fonctions stratégiques : ce sont les « métropoles mondiales », qui se réduisent à trois ou quatre villes selon les auteurs. Le concept a cependant peu à peu été étendu à des métropoles de second rang qui seraient aussi bien celles des pays en développement, que les métropoles secondaires des pays développés. La géographie a tardé à se saisir de cet objet qui, encore aujourd’hui, souffre d’un problème crucial d’absence de définition spatiale précise. Or, on sait que du problème de délimitation géographique d’un quelconque espace, dépend en grande partie celui de son contenu, de sa nature, de son profil : taille démographique, superficie, densité, caractéristiques socio-économiques, activités, fonctions... L’ensemble des sciences humaines souffre aujourd’hui de cette absence de clarification des concepts géographiques, à telle enseigne que le vocabulaire confond encore souvent les notions de « ville » mondiale, d’« agglomération », d’« aire métropolitaine ». Ce malaise apparaît également au travers du florilège de néologismes qui a vu le jour à la fin du 20 e siècle : mégalopole, mégapole, métapole… Cette profusion d’expressions porte préjudice à l’approche géographique elle-même, dans la mesure où, convoqués tardivement dans ce débat, certains géographes se sont saisis des diverses acceptions existantes empruntées à d’autres disciplines, si bien que les mêmes expressions désignent souvent des réalités différentes et conduisent à des conclusions contradictoires. Prolongeant les travaux initiés par l’association Villes et Terrotoires Méditerrannéens en 1999 (DINARD & MORICONI-EBRARD, 2001), nous proposons

ici de resserrer la problématique autour de son entrée spatiale, qui aboutit à une démarche fondée sur la description des faits géographiques. Cette démarche implique une réflexion sur la singularité du sens des expressions fondées sur la racine « métropol- ».

Dynamique du sens

Cadre épistémologique

La démarche que je propose ici a pour but de cerner au plus près à quelle réalité ontologique correspond cette chose que l’on pense pouvoir être objectivement identifiable dans l’espace géographique : « l’aire métropolitaine ». La méthodologie s’inscrit dans le cadre de l’école du structuralisme dynamique. Elle conduit à séparer au préalable deux niveaux de réflexion pour pouvoir ensuite les relier : l’un sur les mots qui représentent la chose métropolitaine, l’autre sur la description sensible de la chose.

Dépassant la critique qu’a reçue le structuralisme, le structuralisme dynamique permet de prendre en compte le fait que le langage possède sa propre dynamique, indépendante des « choses » qu’il cherche à représenter. Jean PETITOT (1989) formule à cet égard que : « les formes ne sont pas que des apparences. Elles possèdent une réalité ontologique. Elles régulent une intériorité substantielle extra spatio-temporelle ». Ceci signifie : 1) que les formes du monde ne se réduisent pas aux projections de nos représentations sur le monde, 2) qu’elles existent indépendamment du regard et de la pensée de l’observateur, et 3) que l’intérieur d’une forme a une substance qualitativement différenciée de son apparence extérieure et obéit à des contraintes endogènes spécifiques, spatiales et temporelles.

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Le geste du géographe est littéralement d’écrire (graphein) la terre (geo) : il voile pour ainsi dire le monde d’un tissu langagier. Une définition statistique, une carte ne « sont » pas la réalité, mais des représentations qui se déploient dans le champ d’un langage institué. Les mots qui représentent cette chose ne sont ni choisis au hasard, ni inventés par le sujet parlant au fur et à mesure qu’il déploie son discours, mais appar-tiennent à une culture. LEGENDRE nous dit à ce propos qu’ils créent une « créance généalogi-que ». Entendons par là que, bien que possédant leur propre dynamique, les mots conservent une partie minimum de leur signification, ce qui per-met à telle génération de se saisir du sens que leur accordaient les générations précédentes, pour les transmettre aux suivantes.

Définitions

Le mot « métropolisation » renvoie à un processus (suffixe en –tion), c’est-à-dire, structurellement, à un signifiant. Ce signifiant conduirait à la formation d’un objet appelé « métropole ». Cet objet possèderait une morphologie sensiblement identifiable à la surface de la terre : il est généralement appelé « aire métropolisée » (parfois : aire métropolitaine, area metropolitana, metropolitan area…) et fait l’objet de définitions statistiques légales dans plusieurs États de la Planète.

L’émergence d’une nouvelle expression pour désigner une morphologie de surface, prouve, s’il le fallait, la nécessité de démarquer la dynamique de la métropolisation à la fois de celle des agglomérations et de celle des villes (MORICONI-EBRARD, 2000).

L’expression « aire métropolitaine » est en effet apparue aux États-Unis dans les années 1930.

Au recensement de 1950, elle alimenta pour la première fois de l’Histoire une définition statistique dont les critères étaient fondés sur la mobilité, et non pas sur le statut administratif (ville) ou l’édification du sol (agglomération). Cette définition se superpose depuis lors sans l’annuler à la définition administrative (incorporated areas : cities, towns, etc. ) et à celle de l’agglomération urbaine (urban area). Une metropolitan area américaine intègre par les flux plusieurs villes, des agglomérations urbaines et des périphéries qui restent rurales au regard des deux autres définitions. Inversement, des centaines de villes et d’agglomérations ne font partie d’aucune aire métropolitaine.

Comme la définition ne fut établie qu’à partir des plus grandes villes du pays, on a rapidement assimilé « métropolitain » à « grande ville ». Adoptée ensuite par de nombreux pays, cette définition légale est généralement réservée à la seule capitale (Manille, Buenos Aires, etc.), ou à des aires de plus d’un million d’habitants environ (Royaume-Uni, Corée du Sud, Colombie, Mexique, Brésil, Afrique du Sud…). La France a fait exception en évitant d’employer ce mot, et en développant en 1962 la notion de ZPIU (1962), remplacée dans les années 1990 par les « aires urbaines », qui se superpose également aux agglomérations (unités urbaines) et aux villes (communes). Pour pouvoir saisir en quoi consiste la spécificité de l’aire métropolisée, il est utile de comparer rapidement ces trois types de définition.

La ville est une morphologie politique : ses limites sont invisibles dans la nature et renvoient à un découpage administratif territorial. Ses habitants sont des citadins, ce qui rappelle l’étymologie politique de citoyen. Lorsqu’une ville s’étend, elle implique des fusions communales. Ce processus

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met en jeu l’appareil juridique, de sorte que la morphodynamique des villes émerge à la surface sensible de la Terre comme une affaire de débats politiques.

L’agglomération urbaine est une morphologie de surface qui se rapporte à l’édification du sol. C’est un ensemble de constructions dense qui ne présente aucune solution de continuité, telle, par exemple l’« unité urbaine » définie par l’INSEE en France. Ses habitants sont appelés « urbains », ce qui s’oppose sémantiquement aux « ruraux ». L’exode rural, mouvement centripète, a contribué à la croissance urbaine tout en vidant le monde rural de ses populations actives. Une agglomération s’étend au rythme de l’avancée du front des constructions : on parle à cet égard d’« étalement de la tâche urbaine » et parfois de « consommation d’espace ».

L’aire métropolitaine est pour sa part définie comme une morphologie de réseau : c’est un ensemble de point densément mis en relation, qui dessine un espace où la circulation des biens, des personnes et des informations est intense, plus ou moins polarisée, parfois multipolarisée. La plupart des définitions légales existantes mettent surtout en valeur les flux des actifs entre lieu de résidence et lieu d’emploi, ce qui revient à relier un pôle d’emploi à des périphéries dans lesquelles un certain pourcentage de population migre quotidiennement au centre, mais qui ne sont ni forcément des villes, ni forcément agglomérées.

Ces trois définitions se superposant dans l’espace géographique, « ville », « agglomération » et « aire métropolitaine » sont souvent confondues dans le vocabulaire courant. Cependant, il convient ici d’insister sur le sens précis que nous donnons à ces mots dans la présente étude.

Cette nécessité est d’abord technique et peut être démontrée à l’aide de quelques exemples. Le territoire d’une ville peut comporter une ou plusieurs agglomérations mais également, à l’intérieur de ses limites administratives, des champs, des villages, etc. C’est le cas de l’immense commune de Rome (1 285 km2), d’Alexandrie (2 700 km2), ou de Murcie (885 km2). Au contraire, certaines villes comme Athènes (39 km2), Tel Aviv (52 km2), Naples (117 km2) ou Barcelone (99 km2) ne couvrent qu’une petite partie de leur agglomération. Mais le plus souvent, comme à Marseille, le territoire de la ville comprend de vastes surfaces non bâties (massif du Garlaban), tandis que sur d’autres fronts l’agglomération déborde les limites administratives de la ville. Ainsi, « ville » et « agglomération » ne peuvent être confondues. Par analogie, une aire métropolitaine peut donc de même interconnecter plusieurs « villes », plusieurs « agglomérations », ainsi que des villages et des établissements ruraux.

Singularité morphodynamique de la métropolisation

Au-delà de cette nécessité technique, on saisit que les mots ne renvoient pas à la même représentation : c’est donc que leur sens profond ne se déploie pas dans le même registre de la culture. Or, les définitions auxquelles je me réfère constituent un matériau de réflexion tout aussi « scientifique » que les chiffres : ce sont en effet des définitions légales, qui renvoient à un discours de l’institution.

On peut donc émettre l’hypothèse selon laquelle la morphogenèse (genèse de la forme) de chacun de ces objets est singulière. La discontinuité ville-village procède ainsi d’un parcours politique (administratif, électoral,

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budgétaire, législatif, etc.). La discontinuité urbain-rural procède d’une morphogenèse d’occupation du sol, opposant l’espace édifié à des espaces libres d’édification. La discontinuité métropolitain-non métropolitain procède d’une morphogenèse réticulaire liée à la mobilité non résidentielle. A l’intérieur d’une aire métropolisée, les réseaux et les moyens de communication sont diversifiés. A l’extérieur, ils se raréfient. Leur couverture devient lacunaire, voire inexistante, comme en témoigne par exemple celle des réseaux de téléphones portables.

Au cours de l’histoire, ces trois morphologies sont plus ou moins actualisées (MORICONI-EBRARD, 2000). Sous l’Ancien Régime, les habitants des villes ont arraché leurs libertés aux pouvoirs terriens par une charte. Plus tard, la Révolution industrielle fut plutôt propice à la concentration en agglomération : dans les régions d’industrie lourde, on vit au 19 e siècle des agglomérations grossir et atteindre plusieurs dizaines de milliers d’habitants sans avoir accédé au statut administratif de « vil-le ». Les tissus agglomérés fusionnèrent entre eux, formant des « conurbations », tandis que certaines villes industrielles s’entourèrent de couronnes de banlieues denses, puis de lo-tissements pavillonnaires. Parfois encore, le mitage anarchique des zones rurales s’est in-tensifié localement au point de se transformer en un espace quasi entièrement urbanisé. La morphodynamique d’une aire métropolitaine suit de même des règles singulières. Pour cer-ner de plus près le sens de la morphogenèse métropolitaine, il est utile de revenir à l’origine même de la notion de « métropole ».

Pour les historiens de l’Antiquité, l’existence d’une métropole dépend d’une condition

politique précise : la présence d’un empire. En effet, dans l’Antiquité, le titre de « métropole » ne pouvait être attribué à une ville que par un empereur. C’était un privilège impérial.

Par la suite, lorsque les grands empires s’effondrèrent en Occident, seule l’Église romaine fut en position de maintenir l’unité culturelle des sociétés européennes : au Moyen Âge, on était chrétien avant d’être Français, Portugais ou Allemand. L’Église s’empara ainsi du titre : « métropole » désigna alors une ville où résidait un évêque métropolitain. Ce privilège était accordé par le Pape, c’est-à-dire, suivant les schémas précédents, depuis le sommet de la pyramide d’une institution organisée sur le mode hiérarchique.

Sous la période coloniale, le mot « métropole » s’élargit à une nouvelle acception courante, en désignant le territoire entier du pays colonisateur. Ainsi « la Métropole » de l’empire colonial français n’était plus seulement Paris, mais la France entière.

Loin d’être aboli par l’usage, ce vieux mot a curieusement repris du service à la fin du XX e siècle, entendant désigner ce qui apparaissait à cette époque de plus nouveau dans les formes génériques du fait urbain. La première aporie de ce choix est que l’expression « métropole mondiale » apparaît au moment où la civilisation mondialisée en finissait définitivement avec les empires coloniaux.

Simultanément, le mot « empire », auquel la not ion « métropol i ta ine » sembla i t inexorablement liée depuis plus de 2000 ans a, lui aussi, été actualisé. Son occurrence la plus fréquente sert désormais à désigner des entreprises géantes, souvent transnationales,

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multif i l iales : les empires industriels et financiers. Cette expression fait encore référence à une « puissance » organisée, dont la structure hiérarchique évoque l’empire romain, l’Église catholique ou l’État moderne. Cependant, la cohérence de l’empire ne repose pas sur une relation interpersonnelle (institutions de l’Ancien Régime), le scrupule d’une croyance (religion) ou la cohésion d’un territoire (État), mais sur un lien financier. En effet, la raison d’être d’une entreprise privée est de réaliser des bénéfices, sous peine de disparaître, si bien que la puissance métropolitaine de l’empire financier ne se mesure plus en kilomètres carrés ou en nombre de fidèles, mais en dollars, en livres sterling ou en euros.

Simultanément, d’un point de vue purement topologique, force est de constater que l’empire financier contrôlé par une firme multinationale n’est plus une « étendue de territoire », mais bien un « ensemble de points » mis en relations sur un mode hiérarchique, autrement dit : un réseau de filiales polarisé, dirigé depuis l’un de ces hauts lieux appelés « métropole mondiale ». Ces développements permettent de dégager trois propositions : a) la représentation de la chose métropolitaine est une affaire de réseaux et de mobilité ; b) la condition de son développement est la rentabilité financière. c) la notion de métropole est désormais devenue mondiale D’où l’on déduit logiquement : (a) + (b) la mobilité ne cesse de croître parce qu’elle doit des profits financiers ; (a) + (c) la rentabilité financière se conçoit à l’échelle mondiale ;(b) + (c) la condition du développement des aires métropolisées est la mondialisation. Vérifions ces propositions.

Dynamique des institutions

La mobilité « doit » devenir rentable

Dans la société actuelle, affirmer que la mobilité ne cesse de s’accroître est une évidence. Cependant, cette affirmation purement descriptive est partielle, car elle laisse dans l’ombre l’autre face de la médaille : celle de la dynamique des institutions.

Les définitions légales de l’aire métropolisée présentent une grande diversité de critères et de seuils quantitatifs d’un État à l’autre. Toutefois, et même si la démarche institutionnelle de l’État consiste à identifier des territoires, une constante apparaît dans les définitions : elles s’adressent à une morphologie de réseau. On peut donc formuler que la forme métropolitaine est actualisée dans les institutions lorsque la mobilité devient le facteur qui prime sur tous les autres. Ironie de la langue : le « métropolitain » ne désigne-t-il pas à la fois l’habitant de la métropole et le moyen de transport qui caractérise le milieu où il vit ?.

Avec les travaux de Bernard MARCHAND (1993), rappelons que, dès le XIX e siècle, les investissements des grandes banques privées qui financèrent la construction des réseaux furent étroitement associés à la morphogenèse de l’espace appelé alors « métropolitain » : métro, chemin de fer, gares monumentales, percement d’avenues, etc. Ainsi, la perspective de rentabilité des réseaux est étroitement associée à l’émergence des toutes premières métropoles mondiales telles Londres, New York et Paris, de sorte que, par extension, elle apparaît comme une condition décisive du processus de métropolisation. Aujourd’hui, on peut dire que ce processus est lié à une dynamique globale

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opérationnelle et objectivement identifiable aux deux niveaux de la structure des institutions : au niveau séculier, il procède de la privatisation de tous les secteurs liés à la mobilité au sens large ; au niveau moral, à une injonction des instances financières internationales.

a) La privatisation de la mobilité se manifeste dans tous les secteurs qui lui sont liés :

les réseaux matériels appartenaient autrefois -au secteur public : eau, électricité, téléphone, chemins de fer, autoroutes. Aujourd’hui, et à des rythmes différents selon les États, ces services ont été transformés en entreprises qui, à ce titre sont sommées de dégager des profits financiers ; le même processus est repérable dans les -réseaux immatériels tels que la télévision, la radio et parfois la presse. Dans ce secteur, on notera même que des pans entiers des nouvelles TIC se sont développés exclusivement sous la houlette du secteur privé, tels le téléphone portable (qui transforme de ce fait le téléphone en réseau immatériel) et internet. De ce fait, certains pays pauvres d’Afrique ne disposent plus de compagnie de téléphone public, après leur mise en faillite : les seuls réseaux disponibles localement sont ceux du téléphone portable et appartiennent à des compagnies privées ; la construction de matériel roulant (trains, -automobiles, etc.), à l’origine souvent contrôlée directement ou indirectement, entièrement ou partiellement, par la puissance publique pour des raisons stratégiques au cours de la phase militaro-industrielle, est restructurée et privatisée ; animant cette mobilité, le secteur de l’énergie, -et notamment du pétrole, du gaz et de l’électricité, a suivi le même sort.

À chaque fois que la mobilité augmente, l’activité monétaire qu’elle génère est amplifiée par la prolifération des « services » qui lui sont liés : réparation, contrôle technique, sécurité, publicité et, surtout, assurances. La filière « mobilité » représente ainsi une part croissante du PIB des pays les plus métropolisés.

b) La dimension mondiale du processus : l e processus de privatisation se conforme aux -directives des institutions supra-étatiques (Union Européenne) ou internationales (FMI, Banque Mondiale) qui surplombent les États, lesquels représentent en théorie l’instance ultime de l’autorité de la puissance publique (Charte de l’ONU, 1948).

Une injonction des institutions financières internationales suffit à elle seule à vérifier cette affirmation : la stigmatisation systématiquement des « retards » dans les programmes de privatisations.

Cette notion de « retard » indique en effet quel est l’horizon normatif de la légalité. Elle signifie qu’à terme toute entreprise « doit » être privée, ce « doit » étant la vérité que profèrent les institutions financières internationales. Ces dernières occupent ainsi dans la structure une position analogue à celle qu’occupait l’Inquisition dans l’Église romaine au XIVe siècle. En surplombant les États, elles représentent en effet l’instance de référence, ce « au nom de quoi » l’autorité se justifie, ce qui garantit la morale de l’action séculière de chaque souverain. Suivant cette injonction, une entreprise publique n’est pas « normale ». Or, nulle entreprise privée ne pouvant survivre sans profits financiers, cette formulation révèle la finalité des références normatives de la légalité : ce qui garantit moralement l’ordre

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et la prospérité du Monde, c’est la rentabilité financière.

Si l’instance de référence a migré, passant de Dieu à l’Argent, la structure, pour sa part n’a donc pas désarmé : elle s’inscrit dans la même trajectoire de l’empire. Dans De Babylone à Tokyo (ibid.), j’ai montré que villes, agglomérations et aires métropolisées se déploient dans un cycle au cours duquel s’enchaînent trois phases de développement : la phase territoriale, la phase militaroindustrielle et la phase financière. La métropolisation se déploie au cours de la phase financière. La prospérité de l’empire étant au cours de cette phase une affaire d’accroissement des profits monétaires, cela signifie que l’ensemble des acteurs sont sommés d’optimiser en priorité un facteur : celui de la rentabilité financière.

Le processus qui tend à transformer les services publics en entreprises publiques, puis semi-publiques, puis finalement privées, contribue à brouiller la frontière entre « public » et « privé ». La conception même de « service public » tend à glisser vers une notion enterpreneuriale qui se réfère à la rentabilité financière. Ce brouillage n’est pas activé en vain et favorise la réémergence de familles d’acteurs qui occupent eux-mêmes la double fonction de responsable politique et de magnat de la finance, du pétrole ou de la presse. Ainsi apparaissent les notions de « gouvernance », de « compétitivité des territoires », de « gestion » de l’espace, et autre vocabulaire qui, sur le mode de l’entreprise, réduisent la question territoriale à une affaire de rentabilité financière.

Ce glissement, que j’ai déjà décrit dans le cadre de la théorie des 4 « a » peut se résumer ainsi : dans la phase territoriale, le contrat social

était institué par les liens interpersonnels, ce qui actualisait de facto le rôle des instances religieuses au sein de l’édifice institutionnel (religio : « scrupule », ce qui retient). Dans la phase militaro-industrielle, le contrat social est institué par l’entremise du territoire, par, pour, et au nom de l’État (status : ce qui tient debout) qui a peu à peu détrôné les instances religieuses (LEGENDRE, 1988). Dans la phase financière, il repose sur l’argent qui étant par nature fait pour circuler et entreprendre, de sorte que l’entreprise, mieux armée pour assumer cette fonction, détrône à son tour l’État (MORICONI-EBRARD, 2000).

La mobilité « doit » être source de richesse

Chaque année, les plus grandes entreprises qui arrivent en tête du classement mondial sont : les groupes pétroliers, les constructeurs automobiles et les géants de la distribution. Chacun d’entre eux prospère directement sur l’accroissement de la mobilité.

Au XIXe siècle, le « bon » patron prévoyait de loger ses ouvriers près de l’usine. Au milieu du XXe siècle, cette pratique avait été abandonnée, mais l’entreprise proposait à ses employés un service de ramassage quotidien en transports en commun. Au XXIe siècle, ce service est, au mieux, externalisé au profit d’un transporteur indépendant qui n’a d’autre issue que de rentabiliser son activité. Au pire, il est abandonné et profite à l’automobile individuelle : la mobilité domicile-travail devient ainsi une source de profits.

Simultanément, on assiste au regroupement scolaire dans les campagnes, à la fermeture de petits hôpitaux et maternités au profit de grosses

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unités situées dans les grandes villes, et à la réduction du nombre de sites d’innombrables services et d’entreprises. Ces restructurations sont entreprises au nom de la rentabilité. Or, elles entraînent toutes les mêmes conséquences : un accroissement de la mobilité.

L’apologie des réseaux, ce discours qui tend à présenter les bienfaits de leur prolifération sur le mode de la métaphore hydraulique, ne saurait faire oublier le sens que véhicule encore l’étymologie du mot : rets. En latin, rets désigne le filet du pêcheur. Les réseaux ne servent pas seulement à « irriguer » : leur fonction première est de capturer et de trier les ressources qui se répartissent dans l’espace géographique. Les mailles du réseau permettent de faire remonter les prises jusqu’au pêcheur. Elles servent également à trier les gros et les petits poissons pour satisfaire l’appétit financier de la métropole. Ainsi, les grands équipements (aéroports, TGV…) maillent grossièrement l’espace, mais génèrent de gros profits à chaque prise. Les petits réseaux, plus fins, permettent pour leur part de capter de minuscules bénéfices, mais qui sont multipliés par la quantité massive de prises : ainsi se comprend la rentabilité des nuées de microbus d’Alexandrie ou d’Istanbul, assurant la prospérité des constructeurs automobiles, des groupes pétroliers et des transporteurs privés.

Optimiser la mobilité : contrairement à ce qui se passe dans un processus d’urbanisation, les forces institutionnelles qui génèrent la métropolisation ne cherchent pas à maximiser la densité, mais la circulation. Contrairement au processus d’urbanisation, la métropolisation ne valorise pas la densité et la coprésence des corps (agglomération) mais au contraire la mise

à distance (circulation) et l’isolement physique. A la limite, l’agglomération trop dense constitue un obstacle à la fluidité de la circulation, ce qui pourrait expliquer pourquoi les agglomérations denses perdent actuellement des habitants. Dans le registre sociologique, on peut donc avancer que le processus de métropolisation apparaît contraire à celui de l’urbanisation.

Ainsi, en théorie, en optimisant la densité, l’agglomération valorisait la coprésence, la marche à pied, la rencontre directe. Une part considérable du lien social ne produisait ainsi aucun échange monétaire. La métropolisation transforme au contraire en richesse la mise à distance des corps, la solitude et le repli individualiste : la consommation d’objets et de services comble le déficit du lien social, pour la bonne cause institutionnelle. Ainsi, les NTIC, qui offrent au sujet métropolisé la possibilité inédite de communiquer à tout instant avec le Monde entier, ont un prix comptable : celui de l’impulsion téléphonique ou de l’abonnement à internet. Grâce à l’automobile, le désir de rencontre se transforme en consommation de carburant, assurances, péages d’autoroutes et parkings privatisés. Dans la logique de la dynamique de métropolisation, une part croissante du lien social génère des profits financiers. A moins que l’on considère que le lien social métropolitain se réduise au fait que les dépenses des uns font les bénéfices des autres.

Le tourisme, secteur lié par excellence au déplacement, est devenu une activité prépondérante, au point qu’un nombre croissant de spécialistes le considèrent comme une activité typiquement métropolitaine4. Pour les institutions, « prendre » des vacances est devenu

4 Voir notamment les travaux de R. Knafou, M. Stock, Ph. Violier.

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synonyme de « partir », et non plus de cesser son activité, d’être libre de choisir ses activités (vaquer) ou simplement… se reposer sur place. Témoignant de cette confusion, les rapports de l’INSEE sur les vacances des Français ne se préoccupent que d’un seul aspect des vacances : celui du taux de départ et de la longueur des séjours. Dans les commentaires de ces rapports, on se félicite de la hausse du taux de départ de telle ou telle catégorie de population, et on plaint celles qui ne partent pas. « Partir » est la norme de référence, et celui qui fait exception est un anti-sujet de la métropolisation. Bouger, téléphoner, rouler pour le plaisir répond à une injonction institutionnelle. Citoyen dans la ville, urbain dans l’agglomération, le sujet métropolisé est devenu consommateur de mobilité.

La mobilité « doit » alimenter la croissance

A masse monétaire égale, l’accroissement de la mobilité implique qu’elle occupe structurellement une part croissante dans le mécanisme de création de richesse.

Dans une précédente étude, j’ai montré que le début de la phase de métropolisation commence en Europe au cours de la décennie 1970-1980 (DINARD & MORICONI-EBRARD, 2001) : depuis lors les taux d’urbanisation stagnent, tandis que le peuplement s’étale dans l’espace. Dans de Babylone à Tokyo, j’ai également montré que la bifurcation s’opère dans la trajectoire vers 1974. La crise pétrolière et la démétallisation du dollar signent l’entrée de la civilisation capitaliste mondiale dans la phase financière. La croissance économique des États qui étaient à ce moment les plus industrialisés baisse fortement. Sur une période de trente ans, elle s’établit en moyenne autour de 2-3% selon les pays.

Au cours de la même période, la croissance économique a été extrêmement forte en Corée, à Taïwan, puis dans les années 1980, en Chine, en Thaïlande ou en Malaisie, puis plus tard en Inde. atteignant des scores de 5 % à 10 % annuels. Or, dans ces pays, l’on a constaté au contraire une forte croissance urbaine. Le processus de métropolisation y est nul, encore balbutiant, ou n’y a démarré que très récemment.

Cette double symétrie permet tout d’abord de rappeler que le processus d’urbanisation implique une dynamique de rendements d’échelle et de rendements d’agglomération croissants. Pour augmenter les profits, on produit en plus grande quantité, ce qui permet d’abaisser les coûts de production, tandis que la concentration spatiale des marchés permet de réduire les coûts de distribution.

Au contraire, la métropolisation prospère dans une dynamique de rendement s d’échelles décroissants et de déséconomies d’agglomération. Pour comprendre ce processus, on doit se souvenir que, contrairement à ce que l’on observe dans la phase militaro-industrielle précédente, l’objectif institué dans la phase financière est de générer du profit financier, et non pas d’augmenter la production. Dans un système keynesien, la solution de ce problème est que l’offre augmente moins vite que la demande. Mais dans cette logique de court terme, comment faire monter les prix tout en masquant l’inflation ? Justement, en ajoutant le coût des services dans le prix final des productions, autrement dit en dématérialisant la notion de production.

En économie, la notion d’inflation apparente permet de prendre en compte les améliorations

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techniques apportées aux produits. Par exemple, l’adjonction d’airbags ou de pots catalytique entraîne l’augmentation du prix d’une automobile et le justifie, puisque le nouveau produit, qui améliore considérablement la sécurité passive des passagers et abaisse les émissions de particules polluantes, n’est pas exactement comparable à l’ancien. Ce type d’adjonction inclut en amont le financement d’activités de recherches, mais qui entrent toutefois dans l’activité « industrie » et non dans la catégorie « services ».

L’adjonction de services consiste pour sa part à obliger le consommateur à acheter des services liés à l’utilisation des objets. Les objets de la mobilité se prêtent bien à ce processus. Par exemple, sitôt qu’il a acheté une automobile, le consommateur va devoir acheter sans cesse d’innombrables services : carte grise, stations service, garages, assurances, péages, parkings, amendes, contrôles techniques, etc. Divers dispositifs sont ainsi mis en place pour accroître la masse monétaire sans accroître le volume de la production. Agriculture, alimentation, industrie, automobile, logement : dans tous les domaines de la vie quotidienne, des normes légales sont imposées au nom de la nécessité de préserver l’environnement, la santé, la sécurité. La mise en place de ces normes implique, d’une part celle de dispositifs de contrôle, d’expertise, de surveillance, de conseil, de communication et de répression qui entraînent la prolifération de services. D’autre part, elle implique la privatisation de ces services.

En effet, suivant les injonctions des institutions, ces services ne doivent plus seulement être rémunérés : ils doivent dégager eux-mêmes des bénéfices. Cette rente contribue ainsi à la croissance de la masse monétaire même si la

production diminue. A la limite, les normes visent directement la baisse de la production : c’est la tendance que l’on observe dans l’agriculture (remise en cause des méthodes industrielles), l’alimentation (manger moins mais mieux), la santé (consommer moins de médicaments), l’eau potable, l’énergie, etc. Les prétextes au nom desquels ces normes prolifèrent, dérivés du courant malthusien ou du mouvement hygiéniste du XIXe siècle, sont tous moralement justifiés. On pourrait justement s’étonner du fait que leur nécessité n’apparaisse soudainement qu’à l’ère de la métropolisation, si l’on ne réalisait en même temps leur utilité dans un cadre institutionnel dont la référence morale est le profit financier. Le but des institutions n’est pas de créer de nouvelles normes parce qu’il est nécessaire d’améliorer la santé, la sécurité ou l’environnement de la population, mais pour créer des activités rentables.

Alvin TOFFLER (1990) a montré comment, à l’intérieur même de la sphère privée, les hiérarchies se sont inversées entre producteurs et distributeurs. Ses enquêtes indiquent la même époque : les années 1980, parfois 1970 dans certains secteurs comme celui des grandes surfaces de distribution. Dans ce secteur, par exemple, il montre qu’avant cette époque, les producteurs imposaient aux détaillants leurs prix, les quantités à livrer l’emplacement de leurs produits dans le magasin, la période de promotion des produits, etc. Aujourd’hui, la situation s’est inversée : ce sont les distributeurs qui imposent leurs normes aux producteurs, ce qui correspond bien à l’évolution structurelle de la dynamique que nous venons de décrire.

Ainsi, il se pourrait que le financement de la mobilité au sens large soutienne une croissance illusoire, masquant une décroissance

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réelle des économies métropolisées sur le long terme. L’impératif (même racine qu’impérialisme) de croissance de l’économie impose l’institutionnalisation des déséquilibres spatiaux. L’agitation brownienne, le mode de vie instable des sujets, la prolifération des réseaux, la mise à distance des individus entre eux, le regroupement des services seraient pour ainsi dire le prix à payer à cette forme de croissance. La dynamique morphologique de métropolisation que révèlent les cartes en serait l’expression spatiale.

La concurrence et ses conséquences

Concurrence et secret statistique

Contrairement aux limites d’une « ville », juridiques donc indiscutables, celles des « agglomérations » et des « aires métropolisées » doivent être argumentées dans le champ méthodologique. Pour identifier objectivement les limites d’une agglomération urbaine dans l’espace géographique, des documents cartographiques et autres mesures argumentées sont indispensables. Ces données sont relativement accessibles car elles relèvent du secteur public. La délimitation des aires métropolisées, de son côté, pose des problèmes spécifiques.

En effet, la structure d’une aire métropolisée relève d’une morphologie de réseaux et non de territoires. Or les informations relatives à ces réseaux ne relèvent pas du secteur public mais du secteur privé. En effet, si l’on repart ici de la référence normative des institutions, on constate que pour être moralement justifié, le principe de la privatisation implique la mise en concurrence des entreprises privées entre

elles. Or, la concurrence explique évidemment qu’elles tiennent secrètes les informations essentielles relatives à leur fonctionnement, leurs stratégies et leurs projets. L’étude spatiale de la métropolisation ne peut donc pas être basée sur ces données privées, qui seraient en réalité les plus adaptées et peut-être les seules à prendre en considération, mais sur des données publiques. Réduits à ces données, l’on ne peut donc proposer qu’une approche cartographique indirecte de la métropolisation. Les données publiques ne permettent pas de pénétrer au cœur de l’étude des processus, mais seulement de révéler leurs effets sur le territoire. Mais le paradoxe ne s’arrête pas là. En effet, la plupart des grandes entreprises actuelles disposent de puissants services d’analyse statistique et de cartographie, et d’abondantes informations sur leurs clients. Certaines d’entre elles vont même jusqu’à les commercialiser où à les échanger avec des entreprises travaillant sur un secteur d’activité différent. Ainsi, les hypermarchés étudient leur zone de chalandise, les groupes pétroliers déterminent leurs lieux de distribution, et les compagnies de téléphone savent cartographier la géographie des communications de leurs clients.

Si du moins la statistique publique et la cartographie ne sont pas des informations « neutres » sous prétexte qu’elles sont élaborées objectivement par des fonctionnaires, le problème scientifique de l’étude de la métropolisation est donc désormais tout autre : c’est celui de l’absence d’accès à ces informations-clés qui seraient indispensables pour accéder à une étude des faits et des processus. Il est à noter que, partout dans le monde, les crédits publics de la recherche ayant diminué, les institutions publiques elles-mêmes encouragent les chercheurs à se tourner vers

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des bailleurs de fonds extérieurs, c’est-à-dire privés. Cependant, on voit mal comment les chercheurs du secteur public, placés dans la nécessité matérielle de séduire des partenaires privés dont les intérêts sont étroitement liés au déploiement du processus de métropolisation lui-même, pourraient travailler sur ce sujet en toute « neutralité » et en toute indépendance. De ce fait, et semble-t-il pour longtemps, les chercheurs ne pourront étudier les aspects géographiques de la métropolisation qu’indirectement, à partir d’indicateurs qui sont imparfaitement corrélés avec l’objet de l’étude.

Concurrence et convergences stratégiques

Les entreprises multinationales tiennent leurs informations stratégiques secrètes, mais elles ont en revanche accès, tout comme chaque citoyen, à la statistique publique. Lorsqu’elles se lancent à l’assaut d’un marché vierge en mettant en jeu la rentabilité de milliards de dollars d’investissements, elles ne partent évidemment pas à l’aveuglette mais élaborent des stratégies rationnelles combinant les informations publiques à leurs propres informations.

On pourrait imaginer que la mise en concurrence devrait produire de la diversité. Or, il n’en est rien. Au contraire, pour rassurer les milieux financiers et garantir la rentabilité de leurs projets à leurs actionnaires, la plupart des entreprises du même secteur, loin de diversifier leurs stratégies, sont conduites à adopter la même stratégie que leurs concurrentes. La somme de ces stratégies converge vers la fabrication d’un espace métropolisé, qui est en réalité dédié à la rentabilité financière.

Dans le cadre de ce chapitre, on se contentera ici de citer un exemple. Dans une publication récente portant sur la région du Caire, Eric DENIS (2004) note qu’à l’échelle de l’Egypte, 86% des investissements étrangers se concentrent dans un rayon de 50 kilomètres autour de la capitale.

Or, à la même époque, interrogeant successivement quelques responsables du développement à l’étranger de grandes multinationales françaises, j’obtins en substance toujours les mêmes réponses : « lorsque nous nous implantons sur un marché étranger, nous classons les grandes agglomérations par ordre décroissant et nous investissons d’abord dans les plus grandes ». En général, le choix tombe donc sur la capitale (cas des réseaux urbains extrêmement primatiaux comme l’Egypte) ; parfois, dans les 3 ou 4 premières agglomérations (cas de la Chine, de l’Inde ou du Brésil) ; parfois encore, l’entreprise tient compte de configurations spatiales particulières, et s’implante non pas dans une très grande agglomération mais au cœur d’une région animée par un réseau de grandes villes proches et bien reliées les unes aux autres, c’est-à-dire une aire métropolisée.

Si l’entreprise donne une réponse qui éclaire le constat du chercheur, on réalise en retour que sa stratégie est identique à celle de ses rivales, avec lesquelles elle est placée en concurrence directe sur les mêmes secteurs de marketing, les mêmes emplacements publicitaires. Comme ses rivales, elle devra réduire les coûts sur les mêmes postes de dépenses, utiliser les mêmes externalités, emprunter les mêmes réseaux, etc.

Ainsi, chaque entreprise, tout en se présentant comme une entité singulière, contribue à

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sa manière à la hiérarchie métropolitaine. Le problème est que, à la différence des pouvoirs publics, l’entreprise ne dispose pas des compétences qui lui seraient nécessaires pour contrôler une dynamique territoriale : par définition, sa stratégie s’applique à un secteur précis qu’elle organise suivant une dynamique de réseau.

Concurrence et spécialisation

Suivant la logique de la trajectoire décrite dans la Théorie des 4 « a », les empires de la phase financière apparaissent à la fois acteur et victime d’un engrenage qu’ils ont eux-mêmes mis en place et dont ils sont en même temps prisonniers. Les termes d’« empire » et d’« impérialisme » utilisés doivent être dépouillés de toute connotation idéologique, et la thèse du « complot impérialiste » mondial, sans pour autant pouvoir être définitivement écartée, apparaît cependant peu probable.

Rappelons en effet que toute grande entreprise est aussi une « société ». Or, le mode de fonctionnement des sociétés multinationales actuelles n’est structurellement pas moins démocratique que celui de certains États de la Planète. Les décisions, prises au sein de conseils d’administration parfois représentatifs de dizaines de milliers d’actionnaires, visent les intérêts de ces derniers et seulement de ces derniers… au même titre que les stratégies élaborées au sein du conseil des ministres d’un État ne visent que l’intérêt des citoyens de cet État, et non ceux des États voisins !

Institutions privées et institutions publiques se différencient cependant sur deux points. Le premier point réside dans leur morphologie spatiale, réticulaire et transnationale pour

la puissance privée, territoriale et nationale pour la puissance publique. Le deuxième point réside dans la référence morale de la société, qui est de faire fructifier l’argent dans le cas de la société privée. C’est cette référence ultime qui constitue le moteur de la métropolisation. Or, il est absurde de reprocher à une banque de chercher à maximiser ses profits, dans la mesure où c’est précisément sa raison d’être.

L’impératif de rentabilité entraîne l’accélération des échanges, qui est maximisée par la dématérialisation de la notion de production. L’intégration des activités et des services liés à la mobilité dans cette logique de marché engendre l’ensemble des conséquences économiques, sociologiques et géographiques que nous avons décrites : emballement de la mobilité, mise à distance généralisée de lieux de plus en plus spécialisés et d’individus de plus en plus isolés, délocalisation, désindustrialisation, regroupements…

Cette double mutation repérée au niveau abstrait de la structure produit des morphologies sensibles, donc expérimentalement perceptibles à la surface de la Terre : étalement réticulaire du peuplement, spécialisation extrême entre les lieux et entre les activités. Ce processus de spécialisation, qui résulte des stratégies de restructuration par regroupements successifs liées à un impératif de rentabilité, permet à chaque lieu comme à chaque activité d’atteindre l’excellence dans son domaine. Dans une logique de mise en concurrence généralisée, cette dynamique oblige toutes les sociétés à s’engager dans le même processus, sous peine de périr ou de se voir dominées, autant dire : rachetées par celles qui adoptent la « bonne conduite », c’est-à-dire conforme à l’enveloppe dogmatique des institutions

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La métropolisation : un processus lié à la privatisation de la mobilité50

dominantes. Peu importe les moyens pourvu qu’ils aient les mêmes fins.

L’excellence métropolitaine est repérable dans tous les registres de la culture. Productivité, technologie, tourisme, enseignement et recherche, transport, rayonnement culturel, autonomie financière, nombre de sièges de décision : les métropoles arrivent en tête de tous les classements mondiaux. Or, plus une aire métropolitaine est grande, plus elle interconnecte entre eux ces multiples domaines de spécialisation, de sorte que les grandes « métropoles mondiales » finissent par disposer d’une base économique particulière à la fois diversifiée et fondée sur une somme d’excellences.

Mise en réseau locale et mise en réseau mondiale

Métropolisation ou contre-urbanisation ?

Dans les années 1960, les travaux de l’École de Chicago ont avancé la thèse de la counterurbanization, néologisme qui évoquait à la fois la contre-urbanisation (ou « désurbanisation ») et la rurbanisation (ou « urbanisation des campagnes » : en anglais countryside). Depuis lors, ces idées ont alimenté de longs débats entre : la métropolisation s’inscrit-elle dans le trend multimillénaire de l’urbanisation de la Planète ou au contraire indique-t-elle une crise profonde de l’urbain, annonçant un déclin durable des agglomérations ?

J’ai expliqué plus haut la nécessité sémantique et technique de séparer formellement la définition de l’agglomération (morphologie d’édification) de celle de l’aire métropolisée (morphologie

de réseau). La distinction entre ces deux définitions est la condition pour concevoir que chacune des morphologies qu’elles désignent possède une dynamique singulière. Ainsi, une aire métropolisée peut se développer même si sa partie agglomérée décline, la différence s’expliquant par la prospérité des zones interstitielles et périphériques non agglomérées qui se densifient et s’étalent. Dans ce cas, la dynamique de l’aire métropolisée est prise dans une logique cartésienne de mouvements centre-périphéries. Or, à l’instar de tout processus de concentration, nulle agglomération ne peut se former dans une logique de flux centrifuges. On en déduit alors que la métropolisation est le contraire de l’urbanisation, d’où la thèse de la contre-urbanisation.

Toutefois, si l’on considère l’ensemble de la trajectoire de l’urbanisation sur la très longue durée de l’Histoire, on peut soutenir la thèse inverse : formation des villes, urbanisation et métropolisation participeraient d’une même tendance à l’accumulation toujours plus grande de richesses et de pouvoirs sur de petites portions de la surface de la Planète. De la sorte, même si une aire métropolisée est plus étendue qu’une agglomération, l’ensemble des aires métropolisées de la Planète ne représente somme toute qu’une superficie très modeste en regard de l’immensité de l’ensemble de la surface terrestre. Tout comme les privilèges acquis par les bourgeois des « villes », tout comme l’accumulation des capitaux, des activités et des hommes dans les « agglomérations urbaines », les aires métropolisées contribueraient ainsi à perpétuer les déséquilibres de la répartition des ressources et des populations, tout en remaniant leurs dynamiques au profit d’une morphologie réticulaire. Vu sous cet angle, la métropolisation ne serait donc qu’un changement de forme d’un même processus.

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La métropolisation : un processus lié à la privatisation de la mobilité 51

Cette thèse, proposée dans « De Babylone à Tokyo », n’annule aucunement la précédente – celle de la désurbanisation – car elle n’est pas rapportée au même registre de description. Le changement de forme que l’on observe au profit de la métropolisation apparaît ainsi comme une bifurcation au sens de la Théorie des Catastrophes de René THOM. Cette bifurcation signale une mutation profonde qui s’opère périodiquement au niveau institutionnel de la structure de la trajectoire qui, même si elle est « invisible » avec les outils classiques du géographe, n’en est pas moins réelle et expérimentable, comme l’ont montré les développements ci-dessus.

La métropolisation, processus sélectif de concentration : les cartes montrent effectivement que tout le territoire n’est pas attractif. Ceci signifie donc qu’il existe encore des territoires délaissés. SI l’exode rural subsiste dans de nombreux pays en développement, il a été remplacé dans les pays développés par un exode pro-métropolitain qui peut affecter aussi bien des zones rurales que des zones urbaines. Ainsi, en France certaines campagnes continuent à se dépeupler (Creuse, Haute-Marne…), prolongeant ainsi localement un mouvement d’exode rural enclenché il y a un siècle et demi. Mais à la différence de l’exode rural, l’exode pro-métropolitain peut aussi contribuer au déclin relatif ou absolu de certaines agglomérations urbaines. Tel est par exemple le cas des vieilles régions désindustrialisées (Maubeuge, vallées des Vosges,…) et d’un grand nombre de chefs-lieux et centres administratifs isolés dont la base économique et fonctionnelle n’est plus soutenue par la puissance publique (Bourges, Roanne, Moulins…).

Bien que les processus de métropolisation et d’urbanisation ne procèdent pas des mêmes dynamiques anthropologiques, ils ne s’excluent

pas nécessairement mais au contraire se superposent souvent dans l’espace géographique, notamment au cours de la phase de transition métropolitaine. Les cartes révèlent ainsi que toutes les métropoles méditerranéennes n’en sont pas au même point dans le processus de desserrement. Celui-ci est beaucoup plus avancé dans les pays développés (agglomérations de la rive nord de la Méditerranée), où, en 2000, la métropolisation avait déjà engendré la formation de vastes couloirs connectant plusieurs pôles urbains. Autour des métropoles du Sud (Oran, Alger, Beyrouth), ce processus dessinait une auréole qui élargit la forme de l’agglomération principale, évoquant la situation qui prévalait en Europe dans les années 1960-1970 (DINARD & MORICONI-EBRARD, 2001). Ceci explique également la densité beaucoup plus élevée des aires métropolisées du sud.

Contre-urbanisation ou métropolisation : ces deux points de vue ne se contredisent pas, mais se complètent. Le premier permet de comprendre (a) les mécanismes de l’étalement du peuplement qui produit les aires métropolisées ; le second, (b) la mise en réseau nécessaire de ces aires métropolisées au niveau mondial. La prise en compte de ces deux dynamiques (a) + (b) va nous permettre de saisir en quoi la métropolisation est la manifestation spatiale de la mondialisation.

Rente foncière et rémunération du capital

Tout processus de concentration spatiale est par définition l’expression d’un déséquilibre. Ce déséquilibre se manifeste dans toutes les villes du Monde par un « gradient de centralité » (loi de CLARK - 1951) qui peut être vérifié par de multiples indicateurs statistiques : densités démographiques, prix du sol, nombre d’emplois, présence de certaines activités…

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Dans une économie capitaliste, la loi de CLARK implique que les revenus de celui qui occupe une terre soient supérieurs au coût de la rente foncière, qu’elle soit payée sous forme locative ou d’acquisition de la propriété. Dans le cas contraire, il devrait l’abandonner (location), ou ne pourrait pas l’acheter (propriété).

L’augmentation du coût de la rente explique une bonne partie du processus de « desserrement » urbain, qui, suivant les théories de la contre-urbanisation, est l’un des moteurs principaux du mouvement centrifuge de redéploiement métropolitain.

Si le coût de la rente diminue lorsqu’on s’éloigne du centre, celui de la distance, en revanche augmente. Ainsi le gradient de la rente foncière urbaine ne se déploie pas indéfiniment dans l’espace, mais seulement jusqu’au point où les deux courbes se croisent.

Coût de la terre et coût de la mobilité

Chacun de ces facteurs possède des limites théoriques : a) le coût de la rente foncière est limité par la masse monétaire disponible sur le marché : dans ce cas, évidemment absurde, toute la monnaie disponible sur le marché serait exclusivement consacrée à payer la rente foncière, b) de même, au delà d’une certaine distance, la rémunération du capital ne suffit plus à payer la mobilité. Au point limite, l’employé engloutirait la totalité de son salaire dans ses

déplacements, les revenus d’une production seraient exclusivement occupés à payer les transports qui assurent leur écoulement sur le marché, etc.

Ce mouvement centrifuge de desserrement procède d’abord de contraintes physiques, qui se manifestent à la fois au départ et à l’arrivée du processus.

a) Au départ la contrainte physique est la rareté des terres disponibles. Le « manque de place » oblige par exemple les ménages à s’éloigner du centre lorsque le marché du logement est saturé, les entreprises à se déplacer lorsque plus aucune terre n’est disponible, etc. Selon la loi de l’offre et de la demande, cette rareté intrinsèque provoque l’élévation de la valeur des terres au centre, ce qui se traduit sur le marché réel par l’augmentation du coût de la rente foncière. Ce mécanisme explique classiquement la substitution de fonctions par d’autres. Par exemple, l’émergence des premières métropoles mondiales s’est traduite par une décroissance spectaculaire de la population des hyper-centres de Londres, de Paris, de New York ou de Tokyo, où les fonctions résidentielles furent remplacées par les seules occupants capables d’assurer le paiement de la rente foncière (MORICONI-ÉBRARD, 2000 : ). Lorsque le produit du capital est mieux rémunéré que celui du travail, les activités de productions sont chassées des centres par les fonctions financières (bureaux, banques, assurances, commerces…).

b) À l’arrivée, la contrainte physique est liée à la notion de distance. Plus le centre est proche, plus cette contrainte est faible. Plus on s’en éloigne, plus elle augmente. La distance a un coût que l’on peut calculer de différentes façons : prix du

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La métropolisation : un processus lié à la privatisation de la mobilité 53

transport, temps passé à se déplacer, fatigue, risques, etc...

« Naturelles » à l’origine, les contraintes physiques de la rareté des terres et de la distance au centre, souvent présentées comme des mécanismes inéluctables, sont toutefois largement perturbées par l’action anthropique. Par exemple, une plus grande fluidité des transports permet de réduire les temps de déplacement, ce qui revient à réduire la distance effective. De son côté, la création de logements sociaux au centre a pour effet, en pratique, de baisser les coûts d’accès au foncier. De même, le déplacement d’activités, de logements ou d’équipements peut recréer en périphérie des relais de centralités, etc... La contrainte devient dès lors une problématique sociale qui met en jeu le politique, l’économique, le niveau de développement technologique…

Les contraintes naturelles, enfin, ne suffisent pas elles-mêmes à expliquer les différentes formes que prennent les aires métropolisées dans l’espace géographique. L’un des apports fondamentaux du structuralisme dynamique est d’avoir montré que l’impossibilité de s’établir dans l’espace géographique ne se résume pas aux surfaces de terres « naturellement » indisponibles, tels les espaces maritimes, les escarpements ou les zones inondables (RITCHOT, 1991). Bien souvent la « nature » n’est qu’un prétexte utilisé par les institutions pour formuler un interdit d’établissement : tels est le cas des massifs naturels protégés, des monuments, des lieux sacrés, des réserves, forêts et parcs publics qui ne sont « naturels » que parce que la législation l’a décidé…

Naturels ou non, la présence de ces massifs a pour effet d’augmenter la rareté des terres disponibles sur leur pourtour, donc leur valeur. A

distance égale du centre, la présence d’un massif interdit d’établissement a pour effet d’augmenter sur ses pourtours la rareté des terres, et donc leur prix. L’augmentation des prix entraîne à son tour un mécanisme de sélection au profit des seuls utilisateurs qui sont en mesure de payer la rente. Ainsi voit-on émerger en périphérie des centres secondaires ainsi que des quartiers dans lesquels se rassemblent les ménages les plus riches, en particulier aux abords des massifs protégés (forêts, parcs, etc.) (REBOUR, 2000 ; RITCHOT, 1991).

Qui paie la rente foncière métropolitaine ?

Aucune métropole du littoral méditerranéen ne peut se prévaloir d’être une métropole mondiale de « premier niveau ». Selon les critères admis, ce club très fermé compte ses membres sur le doigt d’une main : New York, Londres, Tokyo en font partie, et même la place de Paris et de Los Angeles y est discutée (SASSEN, 1996).

Si même la place de Paris est discutée au « premier niveau », c’est que les métropoles méditerranéennes sont sans conteste, et au mieux, des « métropoles de deuxième rang », soit à cause de la taille réduite de leur population (Montpellier, Oran, Nice, Gênes…), soit à cause de leur faible niveau de développement économique (Alexandrie, Alger, Oran, Tunis…). Le tableau ci-après donne la mesure de l’écart des richesses générées par les agglomérations du littoral méditerranéen, comparées à celles des six métropoles les plus riches de la planète. La somme des Produits Urbains Bruts (PUB) générés par les 15 métropoles méditerranéennes n’atteint même pas le PUB de Los Angeles, et la moitié de clui de New York ou de Tokyo !

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La métropolisation : un processus lié à la privatisation de la mobilité54

Population et PUB des « métropoles méditerranéennes » comparés aux « métropoles mondiales »

Agglomération urbaine

Population 2005 milliers d’habitants

PUB 2005 millions x

US$

PIB/HAB 2005

milliers x US$

Tokyo 31 112 1 349 43.4

New York 27 860 1 211 52.2

Los Angeles 14 446 695 48.1

Osaka 15 067 556 36.9

Paris 9 951 532 53.4

Londres 9 538 478 50.1

(…)

Barcelone 3 525 125 35.6

Rome 2 599 86 33.0

Istanbul 11 620 82 7.0

Athènes 3 290 73 22.0

Naples 2 888 63 21.8

Marseille 1 374 50 36.5

Tel Aviv 2 162 42 19.4

Valence 1 242 40 32.4

Gênes 754 31 40.9

Nice 912 29 32.0

Beyrouth 2 153 14 6.5

Montpellier 343 12 35.7

Alger 3 361 10 3.1

Tunis 1 927 7 3.4

Alexandrie 3 340 5 1.6

Oran 754 2 3.1

Source : FME- GEOPOLIS 2006. Le PUB/habitant est égal au PIB/habitant du pays (source : Banque Mondiale, 2006) multiplié par le ratio de surproductivité (RSP) de l’agglomération (voir méthodologie in : Moriconi-Ebrard, 2000, op.cit.)

La prise en compte des aires métropolisées, et non plus seulement de l’agglomération, pourrait changer significativement leurs poids démographique économique absolu. Ainsi, les trois agglomérations méditerranéennes françaises semblent faire partie d’une vaste

aire métropolisée reliant tout le grand sud-est français, Gênes et l’ouest de la Suisse, soit un ensemble de 15 millions d’habitants (DINARD & MORICONI-EBRARD, 2001). Cependant, il serait nécessaire de comparer ces grands ensembles à des objets homologues tels que les megalopolis nord-est américaine, californienne et japonaise, ou encore le nord-ouest de l’Europe, ce qui ramènerait les métropoles méditerranéennes loin derrière ces dernières. Une fois de plus, force est de revenir au problème de délimitation spatiale des aires métropolisées. En effet, comme nous l’avons vu dans l’introduction, la plupart des économistes et des socilologues évacuent cette question. Ainsi Manuel Castells isole-t-il New York de Washington, de Philadelphie et de Boston (CASTELLS, 1998), tandis que d’autres considèrent que la côte est des États-Unis constitue une seule mégalopole incluant ces quatre villes (GOTTMAN, 1961).

Mais pour dépasser ce débat, il faut surtout remarquer que les indicateurs les plus significatifs qui servent à évaluer la portée mondiale des métropoles ne sont même pas applicables à plusieurs métropoles méditerranéennes. Les cas de l’activité boursière et du nombre de sièges d’entreprises multinationales sont parmi les plus significatifs. Ainsi Montpellier et Oran sont dépourvues de bourse, tandis que le nombre de sièges d’entreprises multinationales d’Oran et d’Alexandrie est quasi nul.

L’augmentation du coût de la rente impliquant un accroissement de la masse monétaire, le déploiement des « métropoles de second rang » sur les littoraux ne peut s’expliquer que par l’apport de capitaux extérieurs. Dès lors, le processus de métropolisation ne peut localement se comprendre que par la mise en réseau mondiale des métropoles.

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La métropolisation : un processus lié à la privatisation de la mobilité 55

Si l’expression « métropoles en réseau » apparaît a priori comme un pléonasme, il faut entendre par cette expression que le déploiement d’aires métropolisées en Méditerranée procède essentiellement de transferts de capitaux depuis d’autres centres de l’économie mondiale, qui ne sont autres que ces « métropoles mondiales de premier rang » des classements économiques.

Ces transferts contribuent à une hausse des prix du foncier, ce qui localement contribue puissamment à trier les activités et les hommes dans l’espace et à accentuer les contrastes existants. Ces contrastes entraînent notamment une survalorisation des espaces « rares », tels que les littoraux touristiques, où le foncier est souvent devenu inaccessible aux populations locales. Ainsi, voit-on les prix des appartements de la Croisette à Cannes, de Capri (Naples) ou de la Corniche de Beyrouth flirter avec les records absolus de la Planète, comparables à ceux des centres des « métropoles de premier rang ».

Tout comme le financement de la mobilité, celui de la rente foncière métropolitaine implique donc une croissance des échanges monétaires sans croissance locale de la production matérielle Ici encore, la logique de l’accroissement du profit financier semble accompagner le processus de métropolisation. Privatisation de la mobilité, augmentation des prix du foncier, transferts mondiaux de capitaux : si l’on peut vérifier empiriquement quelques uns de ces faits, ces observations restent toutefois ponctuelles et il est impossible de mesurer l’ampleur ou l’intensité réelle de ces phénomènes de manière systématique, faute de données accessibles au public. Aussi, doit-on rappeler en conclusion que l’ensemble de ces remarques risque de rester encore longtemps à l’état de simples hypothèses, tout en remarquant que le secret statistique, dans le cas précis, n’est peut-être pas protégé en vain.

Bibliographie ALVIN T., 1990 (1991, trad. fr.), Les nouveaux pouvoirs. Savoir, richesse et violence à la veille du XXIe siècle, Paris, Fayard. CASTELLS, M., 1998, L’ère de l’information, la société en réseau, Paris, Fayard. CLARK C., 1951, “Urban Population Densities”, Journal of the Royal Statistical Society, 114. DENIS E. & VIGNAL L., 2004, « Dimensions nouvelles de la métropolisation dans le Monde arabe : le cas du Caire. Mondialisation, instabilités et recomposition de la forme urbaine. » Cahiers de la Méditerranée n°64, Aix-en-Provence.D INARD F. & MORICON I - EBR ARD F., 2001, L’émergence de la métropole euro-méditerranéenne, Cahiers de la métropolisation, Forum villes et territoires en Méditerranée, n°2-2001 (2 vol.), 88. GOTTMAN J., 1961, Megalopolis : The Urbanized Northeastern Seboard of the United States, New York. LEGENDRE P., 1988, Le désir politique de Dieu, Études sur les montages de l’État et du Droit (Leçons VII). Paris, Fayard. MARCHAND B., 1993, Paris, Histoire d’une ville, XIXe-,XXe siècles, Paris, Seuil. MORICONI-EBRARD F., 2000, De Babylone à Tokyo, Gap, Ophrys, Collection Géophrys. PETITOT J., 1989, V° « Forme » pp. 712-728, in Encyclopaedia Universalis, Volume IX. Paris, Edition Encyclopaedia Universalis. REBOUR T., 2000, La Théorie du Rachat , Paris, Publications de la Sorbonne. RITCHOT G., 1991, Etudes de géographie structurale, Centre de recherches et en aménagement et en développement (CRAD), Université de Laval, Cahier Spécial n°15. SASSEN Saskia, 1996, La ville globale. New York, Londres, Tokyo. Paris, Descartes (1991 pour l’édition américaine, Princeton University Press).

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Dynamiques spatiales

du peuplement : comparaisons

Alexandrie ; Alger ; Athènes ; Barcelone ; Beyrouth ; Gênes ; Istanbul ;

Marseille ; Montpellier ; Naples ; Nice ; Oran ; Rome ; Tel-Aviv-Jaffa ;

Tunis ; Valence

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 59

Optimiser les comparaisons : cartes et tableaux

Par François Moriconi-Ebrard

Les cartes

Chacune des 15 cartes a été construite à la même échelle et présente une aire strictement équivalente en termes de surface au sol (75 x 75 km). L’agglomération mère (métro-pole) est disposée au centre du cartouche. Les cercles tiennent lieu d’échelle et correspondent à une distance de 30 kilomètres par rapport au centre (30, 60, 90).

Les dates des sources pouvant être très différentes d’un pays à l’autre, les données statistiques ont été harmonisées par interpolation géométrique de manière à renvoyer aux mêmes dates. La population des unités locales correspond au 1/7/2000 et la variation de la population à la période 1/7/1990-1/7/2000. Font exception Alger (1987-1998) et Le Caire (1986-1996).

Afin d’optimiser les comparaisons, les cartes présentent trois types d’information en utilisant la même légende. A) Le nombre d’habitants des unités locales (communes, municipalités ou équivalent) donne une idée de la répartition des masses de populations dans l’espace. En effet, un même taux de variation appliqué à une communauté de quelques dizaines ou de plusieurs milliers d’habitants n’a pas le même sens. Ces unités locales correspondent à la définition « politique » de la ville. Dans tous les cas ce sont des unités administratives fonctionnelles représentant le niveau d’encadrement du territoire fonctionnel le plus fin. Dans le cas où

les grandes villes divisées en arrondissements (Alger, Beyrouth, Tunis, Alexandrie, Istanbul), ces derniers ont donc été regroupés et leur population additionnée.

B) L’extension spatiale des agglomérations urbaines a été définie conformément aux critères adoptés dans la base de données mondiale Geopolis (MORICONI-EBRARD, 1994) : ce sont des espaces bâtis sans solution de continuité et dont l’ensemble compte au moins 10 000 habitants. Elles sont représentées par une tache gris sombre. A cause de l’échelle, elle est parfois masquée par les cercles représentant la taille de la population.

C) La variation de la population des unités locales est répartie en trois classes : - supérieure à la moyenne nationale ; - positive mais inférieure à la moyenne

nationale ; - négative.

En effet, la croissance naturelle de la population est extrêmement hétérogène selon les États - elle s’étend de zéro (Italie) à plus de 3% (Palestine) – et la majeure partie de la variance de ses composantes (taux de natalité et de mortalité) est corrélée aux comportements nationaux.

Les unités locales qui sont dans le cas n°1 présentent un taux d’accroissement démographique supérieur à la moyenne, ce qui signifie qu’elles sont investies par de jeunes actifs et/ou un solde migratoire positif, et témoignant donc du fait qu’elles sont attractives.

Celles qui sont dans le cas n°2 sont dans une phase de déclin relatif, même si leur taux de croissance démographique est positif : soit à

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 60

cause des départs, soit à cause d’un déficit de jeunes ménages en âge de procréer.

Dans le cas n° 3, la population des unités locales sont en déclin absolu : c’est le cas de nombreux centres et de leurs banlieues proches, ainsi

que des villages qui continuent à être victimes de l’exode rural ou de ses conséquences - le vieillissement de la population – et que le redéploiement métropolitain n’avait pas atteint en 2000.

Légende commune aux 16 cartes

Les tableaux

Les tableaux visent à donner quelques informations statistiques de base sur les quinze sites étudiés. Ces statistiques renvoient aux trois niveaux de définitions : ville, agglomération urbaine et aire « métropolisée ».

La délimitation des aires métropolisées est l’aspect le plus problématique de la méthodologie. En effet, on doit se souvenir que, faute de mieux, on ne peut que proposer une approche indirecte d’un phénomène sur lequel

les informations les plus significatives, détenues par le secteur privé, sont secrètes. A défaut, l’approche que je propose permet de décrire les conséquences de la métropolisation sur le plan des dynamiques du peuplement.

On a pris ici pour hypothèse que les unités locales du cas n°1 (croissance supérieure à la moyenne, en noir sur les cartes) dessinent les espaces attractifs au plan national. Faute de données ad hoc sur les véritables indicateurs de la métropolisation (détenues par le secteur privé), on peut considérer que l’aire que ces

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 61

unités locales couvrent correspond en gros à une aire métropolisée qui se forme autour des agglomérations étudiées. La forte croissance des villes et des villages situés en dehors de l’agglomération centrale est en effet fortement corrélée avec leur mise en réseau avec les centres urbains.

A ces unités locales, on a ajouté en totalité la population des agglomérations centrales. Dans ces agglomérations, on trouve en effet de nombreuses unités locales qui sont dans le cas n°2, voire dans le cas n°1 (variation négative),

puisque la majorité des villes éponymes ont perdu des habitants au cours de la période. Cependant, ces unités locales présentent par définition la particularité d’être agglomérées au noyau central, qui alimente le moteur de la redistribution spatiale du peuplement dans l’aire métropolisée. Il est à noter que l’extension spatiale de plusieurs aires métropolisées dépasse le cadre des cartes.

Dans les tableaux, les chiffres restituent cependant des données pour l’ensemble des aires métropolisées, en incluant les zones hors carte.

Répartition structurelle des masses de population

Effectifs absolus En %

Villecentre

Ses banlieues

Hors agglomération

centrale

Ville centre

Ses banlieues

Hors agglomération

centrale

Barcelone 1 525 376 2 000 136 1 864 712 28% 37% 35%

Valence 743 295 498 794 369 629 46% 31% 23%

Grand Sud-Est de la France *6 600 000

Montpellier 227 808 93 839

Marseille 798 136 556 435

Nice 342 780 550 586

Gênes 618 472 184 036 434 430 50% 15% 35%

Rome-Naples 3 581 624 2 222 976 3 493 968 39% 24% 38%

Rome 2 569 473 268 960

Naples 1 012 151 1 954 017

Athènes 748 128 2 586 892 486 458 20% 68% 13%

Istanbul 8 741 266 1 284 131

Beyrouth 541 534 1 299 262 288 220 25% 61% 14%

Tel Aviv 357 720 1 718 838 44 232 17% 81% 2%

Alexandrie 3 069 419 38 286 2 146 181 58% 1% 41%

Tunis 728 453 1 162 077 1 927 013 19% 30% 50%

Alger 1 569 897 1 314 660 1 090 619 39% 33% 27%

Oran 634 112 71 223 888 079 40% 4% 56%

* hors agglomérations de Lyon, Toulon, Grenoble, Saint-Etienne, Dijon, Avignon et les trois agglomérations du tableau.

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 62

Comparaison des aires métropolisées

Aires métropolisées Nombre d’u.l.

Population Superficiekm2

Densité2000 Remarque

1990 2000

Barcelone 340 5 197 501 5 390 224 7 227 746

Valence 85 1 559 870 1 611 718 2 375 679

Grand Sud-Est de la France 5 969 9 526 474 11 064 579 104 732 106 (1)

Gênes 128 1 324 645 1 236 938 2 168 571 (2)

Rome-Naples 458 9 183 433 9 298 568 14 720 632 (3)

Athènes 153 3 571 878 3 821 478 3 113 1 228

Beyrouth 261 1 583 978 2 129 016 734 2 901

Tel Aviv 64 1 861 497 2 120 790 463 4 581 (4)

Alexandrie 139 4 393 984 5 253 886 4 238 1 240

Istanbul

Tunis 73 3 074 728 3 817 543 7 309 522

Alger 71 3 209 573 3 975 176 2 374 1 674

Oran 39 1 235 352 1 593 414 2 382 669

(1) relie Marseille, Nice et Montpellier en France, mais s’étend également jusqu’à Lyon et hors des frontières françaises. Les totaux ne présentent ici que la partie française. Ils n’incluent ni Gênes en Italie ni la partie Suisse. (2) jointive avec l’AM du grand sud-est de la France (3) relie les deux agglomérations de Rome et Naples (4) Partie israélienne seulement : non compris les colonies juives en Palestine et les villages palestiniens

Les 15 agglomérations littorales étudiées se réduisent à 12 aires métropolisées (AM) car, d’une part, les trois agglomérations françaises et Gênes font partie d’une même AM dont l’extension spatiale, qui va jusqu’à Dijon au nord, dépasse largement le cadre de l’étude (cf. DINARD et MORICONI-ÉBRARD, op.cit.) et d’autre part, Rome et Naples forment de même une seule AM.

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 63

La superficie d’une aire métropolisée est grosso modo proportionnelle à la taille de l’agglomération. Elle est généralement 10 à 12 fois plus étendue que celle de son noyau aggloméré. Ces vastes dimensions confèrent à l’aire métropolisée une bonne partie de son originalité et cette caractéristique est liée à l’accroissement récent de la mobilité non résidentielle.

Extension territoriale et administrative

Superficie en km2 Nombre d’unités locales

Ville Agglo. AM Ville Agglo. AM

Barcelone 99 580 7 227 1 53 340

Valence 135 194 2 375 1 26 85

Grand Sud-Est de la France 104 732 5 969

Montpellier 57 119 1 15

Marseille 241 518 1 38

Nice 72 383 1 50

Gênes 239 169 2 168 1 23 128

Rome-Naples 14 720 458

Rome 1 285 481 1 13

Naples 117 376 1 75

Athènes 39 329 3 113 1 71 153

Istanbul 1 639 1 288 1 28

Beyrouth 20 448 734 1 195 261

Tel Aviv 52 179 463 1 29 64

Alexandrie 204 144 4 238 1 4 139

Tunis 154 590 7 309 1 26 73

Alger 724 500 2 374 1 39 71

Oran 52 52 2 382 1 2 39

Nota : les superficies de la ville (administrative) et de l’agglomération (espace urbanisé) ne sont pas comparables, car le territoire de certaines villes comprend des espaces non agglomérés.

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 64

Densité résidentielle

Densité en 2000 (habitants/km2)

Ville Agglo. AM

Barcelone 15 450 6 077 746

Valence 5 526 6 406 679

Grand Sud-Est de la France 106

Montpellier 4 005 2 705

Marseille 3 317 2 616

Nice 4 766 2 334

Gênes 2 589 4 760 571

Rome-Naples 632

Rome 1 999 5 904

Naples 8 631 7 893

Athènes 19 202 10 149 1 228

Istanbul 5 333 7 786

Beyrouth 26 809 4 110 2 901

Tel Aviv 6 879 11 594 4 581

Alexandrie 15 040 21 581 1 240

Tunis 4 725 3 205 522

Alger 2 169 6 089 1 674

Oran 12 194 13 544 669

Si les densités de la ville et de l’agglomération sont souvent du même ordre de grandeur, l’on observe en revanche une rupture importante lorsqu’on compare leur valeur à la densité de l’aire métropolisée (AM). Celle-ci est en moyenne de 8 à 12 fois inférieure en Europe, mais la différence est moindre dans la plupart des AM du sud (Beyrouth, Tel Aviv, Alger, Tunis). La densité absolue de l’AM est également très élevée à Alexandrie. Ceci s’explique par le fait que dans les pays du sud, les AM englobent de nombreuses agglomérations secondaires qui sont très denses, mais distinctes morphologiquement du noyau principal.

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 65

Variation de la population

Variation de la population 1990-2000

Ville Agglo. AM

Barcelone 9.6% -2.8% 3.7%

Valence -4.1% 0.4% 3.3%

Grand Sud-Est de la France 16.1%

Montpellier 9.3% 14.7%

Marseille -0.3% 2.9%

Nice 0.1% 4.3%

Gênes -10.2% -8.3% -6.6%

Rome-Naples 1.3%

Rome -6.3% -3.7%

Naples -6.7% -0.1%

Athènes -4.4% 4.6% 7.0%

Istanbul 33.1% 41.3%

Beyrouth 14.4% 35.8% 34.4%

Tel Aviv 4.2% 13.6% 13.9%

Alexandrie 9.0% 9.4% 19.6%

Tunis 8.1% 19.0% 24.2%

Alger 6.2% 22.3% 23.9%

Oran 3.9% 12.1% 29.0%

La croissance de la population de l’aire métropolisée est systématiquement supérieure à celle de l’agglomération (sauf à Beyrouth, qui se relève de la guerre au cours de la période étudiée), laquelle est-elle même supérieure à celle de la ville-centre. Ce phénomène est toutefois moins net au sud, où les agglomérations centrales ont encore des taux de croissance élevés : ceci indique que le processus de métropolisation y est relativement moins avancé, tandis que celui d’urbanisation reste encore actuel. Il faut cependant rappeler que la croissance urbaine a aujourd’hui fortement ralenti, après avoir atteint son apogée au cours de la période 1950-1980.

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 66

Vue d’ensemble

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 67

Un site singulier : multiplication des polarités

Seconde masse démographique en Égypte, avec 4,1 millions d’habitants au milieu des années 2000 et un taux de croissance annuel qui tend à se stabiliser en dessous de la moyenne nationale (1,6% contre 2,1% entre 1986 et 19965), Alexandrie est aussi la deuxième aire urbaine du pays. L’agglomération occupe aujourd’hui quelques 120 km2. En raison de la topographie qui contrarie la croissance urbaine vers l’arrière pays (lac Maryut et zones agricoles protégées) et qui lui confèrent une forme unique, Alexandrie poursuit une urbanisation

linéaire le long de la côte méditerranéenne. Elle s’étend sur une bande de terre de plus de 40 Km de long et sur 5 Km de large à son maximum. La ville a doublé sa superficie depuis les années 1970, passant de 63 km2 en 1972 à 83 km2 en 1978, à 101 km2 en 1991 et à 120 km2 au cours de la décennie 2000. Mais, avec un taux annuel moyen de croissance des surfaces bâties d’environ 2% durant la période 1990-2000, l’extension urbaine a ralenti par rapport à la période 1972-1978, durant laquelle le taux de croissance atteignait 4,7% et 2,5% de 1978 à 1991.

L’extension linéaire est-ouest de la ville et « l’anisotropie du système urbain alexandrin »

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1996 et 2006. Unités locales : qarya (village) et madîna (ville). La population d’Alexandrie correspond à la somme des arrondissements centraux (qisms 1 à 12 + 16 : port d’Alexandrie). Découpage administratif : muhafadha

ALEXANDRIE par Marion Séjourné

5 Recensement de la population de 2006, CAPMAS.

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 68

(E. DENIS, 1997) multiplient les polarités. L’extension de la ville a engendré la création de nombreux pô les secondaires . Des centres-villes satellites sont apparus, soit aux alentours du vieux centre (du quartier de al-Atarin et d’al-Manshiyya), soit autour des noyaux urbains anciens, à présent agglomérés, sur les marges occidentales et surtout orientales de l’agglomération. Le développement urbain à l’est de la ville est en effet contraint par les emprises portuaires (civiles et militaires), par la présence de grands sites industriels et par l’étroitesse du ruban littoral. Plus à l’est, sur plus d’une centaine de kilomètres de la banlieue d’al-Agamy à la ville de Marsa Matruh, se juxtaposent de façon extrêmement dense les villages de vacances, avec des réalisations le plus souvent de standing. L’activité de promotion touristique s’étend encore, mais de façon plus étiolée, jusqu’à la frontière libyenne.

L’extension du bâti résidentiel s’effectue donc majoritairement à l’ouest, soit sous la forme de quartiers légaux composés d’immeubles de plus de 5 étages (voire de plus de 15 le long de la Corniche), soit sous la forme d’un habitat populaire illégal, non planifié et sous équipé en infrastructures et services de base. La promotion foncière et immobilière populaire illégale est majoritaire sur les terres agricoles au sud-ouest de l’agglomération (SEJOURNE 1997 ; 1998 ; SOLIMAN, 1996). On retrouve également ce type de quartiers dans les périphéries des zones industrielles d’al-Almeriyya et de al-Dikhîla.

Le centre ville a donc perdu l’exclusivité des activités commerciales et du regroupement des sièges sociaux des grandes entreprises au profit de quartiers à l’ouest tels que Sidi Gabîr

ou al-Ramleh où la promotion immobilière a pu implanter des immeubles plus adaptés aux besoins du secteur tertiaire. Le centre ancien reste toutefois l’espace privilégié des établissements financiers qui s’inscrivent dans la continuité symbolique de l’ancienne bourse du coton (Place Al Tahrir), même si celle-ci a été remplacée par un parking public. En outre, jusqu’à la première moitié du XXe siècle, Alexandrie était le centre financier du pays, bien davantage que la capitale, Le Caire. Reste que depuis la révolution de 1952, « son appareil bancaire s’est fondu dans le système financier national incorporé au Caire » (DENIS & VIGNAL, 2002).

Mais, la centralité d’Alexandrie n’a jamais été flagrante en raison de la particularité de sa forme et, à une autre échelle, de sa position de dépendance par rapport au Caire mais aussi de l’extrême polarité exercée par la capitale, dont elle semble n’être que le prolongement fonctionnel vers la Méditerranée.

Déclin des activités économiques au profit de la région du grand Caire

Avec la l ibéral isat ion économique des années 1990, qui a accentué la polarisation des activités industrielles et économiques au Caire (à al-Tîbin, Hîlwan et Shubra al-Khayma) et, désormais plus encore, dans les villes nouvelles de sa périphérie (Six Octobre, Dix de Ramadan) et qui a conduit au déclin de ses grands groupes industriels publics, notamment textiles,l’économie industrielle d’Alexandrie s’essouffle, même si elle reste toujours le deuxième pôle économique du pays : elle produisait encore, au milieu de la décennie 1990, 24% de la valeur ajoutée

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 69

industrielle nationale, contre 56% pour la région du Grand Caire (DENIS, 1997).

L’activité portuaire d’Alexandrie, après avoir doublé son trafic de marchandises6 de 1975 à 1993, recule légèrement au profit des nouveaux ports à l’est du pays, de Damiette et Port Saïd. Le port d’Alexandrie ne concentrait plus, à la fin des années 1990, que 30% du tonnage total contre plus de 45% quelques dix ans plus tôt (DENIS & VIGNAL, 2002). La place d’Alexandrie dans le classement des principaux ports à conteneurs mondiaux, établi par le Containerisation International Yearbook, connaît un recul depuis l’année 2000. A cette date, elle arrive en 74e position mondiale (en terme de tonnage), avec 601 987 EVP, alors qu’elle occupait la 69ème position deux ans auparavant. Reste qu’elle est toujours le deuxième port africain, après Durban, mais est talonnée par les ports de Damiette et de Port Saïd qui occupent respectivement le 3e et 4e rang africain avec 583 060 et 527 896 EVP en 2000 (CNUCED, 2001). La concurrence devrait se renforcer avec la politique de méga-projets dont bénéficie la région du canal de Suez depuis la fin des années 1990. A partir de 2003, le port de Port Saïd Est articulé à un hub régional et fonctionnant comme une plate-forme de transbordement et de redistribution régionale pour des gros navires-mères engagés sur les routes maritimes mondiales empruntant le canal de Suez, il a pris des parts de marché à Alexandrie. L’aménagement de la grande zone industrielle et portuaire au nord du Golfe de Suez devrait accentuer davantage la concurrence (BRUYAS, 2002). L’intégration du

littoral méditerranéen soutenu par l’opportunité offerte par la captation des flux du canal de Suez joue désormais en défaveur d’Alexandrie aussi bien dans le secteur portuaire, industriel que touristique.

Alexandrie accuse un fort taux de chômage qui s’est accentué depuis les années 1990. Ce dernier était en moyenne, selon les chiffres officiels, de 12% en 1997 pour l’ensemble de l’agglomération (MINISTÈRE DE L’HABITAT, 1997), contre 11,6% en 1986. Ceci la place au 6e rang des gouvernorats les plus touchés par le chômage. Ce taux moyen masque de profondes disparités spatiales. En 1996, les districts les plus touchés par le chômage sont majoritairement des quartiers centraux et péri-centraux, où les taux y sont en effet, supérieurs à la moyenne de l’agglomération : entre 13 et 15% pour le centre-ville et entre 15 et 20% pour certains quartiers péri-centraux ; c’est-à-dire l’ancien cœur industriel et portuaire de la ville avec Gumruk, Muharam Bay et Bab al-Sharky. Avec la réorientation de l’activité industrielle vers les périphéries et en particulier vers l’ouest de la ville, notamment depuis la mise en service du nouveau port d’Al-Dikhîla et, au sud du lac Maryut, les taux de chômage y sont relativement faibles par rapport à la moyenne de l’agglomération, inférieurs à 10%.

De plus, les nombreuses privatisations des années 1990, suite à la signature d’un plan d’ajustement structurel en 1991 entre le gouvernement égyptien, le FMI et la Banque Mondiale s’accompagnent de politiques de restructuration et entraînent

6 « Toutefois, ceci n’est pas tant le produit d’un flux plus important d’exportations (3milliards de dollars en 1994 contre 2,6 en 1990), mais davantage une conséquence de la dépendance alimentaire de l’Égypte et de sa plus large ouverture aux importations de biens intermédiaires et de consommation dans les années 1980-90. En 1994, les exportations couvraient à peine 4 mois et demi d’importations » (E. Denis, 1997).

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 70

des licenciements massifs qui, associés à la constante augmentation des jeunes entrants sur le marché du travail (42% de la population alexandrine étaient âgés de moins de 15 ans au début de la décennie 2000), devraient accroître encore le chômage. 40 000 créations de nouveaux emplois seraient nécessaires pour recevoir ces jeunes actifs (WORLD BANK, 2005).

Malgré sa situation démographique pluri- millionnaire, les fonctions de commandement sont pratiquement toutes localisées dans la capi ta le, de même que la p lupar t des représentations diplomatiques, des organisations internationales7 ou encore des sièges sociaux des multinationales. La ville méditerranéenne ne regroupait, en 1996, que 12% des grandes compagnies, aussi bien nationales qu’internationales, ce qui en fait la deuxième ville en matière de concentration des grandes entreprises, mais cette proportion reste très faible en comparaison du Caire qui en concentre près de 79%8. Inscrite dans le sillage de la capitale, Alexandrie ne parvient pas à retrouver une « autonomie d’initiative et à attirer l’investissement productif » (DENIS & VIGNAL, 2002).

Alexandrie n’est même plus le lieu principal de villégiature de la bourgeoisie alexandrine et cairote, même si elle accueillait encore dans les années 1990 quelque 1,5 millions d’estivants. Désormais, avec le développement des cités balnéaires et « resorts » de luxe (nationaux et internationaux) sur la côte nord et le long de la mer rouge, les classes sociales moyennes et supérieures ont abandonné la corniche

intra-urbaine d’Alexandrie aux couches populaires.

Dédensification du centre-ville et accentuation des inégalités sociales

Alors que, dans son ensemble, l’agglomération alexandrine n’était pas marquée par une ségrégation socio-spatiale manifeste jusque dans les années 1980, l’examen de la topographie sociale à l’échelle intra-métropolitaine durant la décennie 1990 révèle des disparités et des contrastes de contenus socioprofessionnels de plus en plus prononcés. Ainsi, à l’exception de la catégorie des « pêcheurs-agriculteurs » qui connaît une dispersion géographique, on constate une tendance à la concentration de la plupart des différentes catégories socioprofessionnelles (dirigeants, employés, commerçants, ouvriers).

La classe dirigeante est bien plus concentrée que les autres catégories socioprofessionnelles, affirmant ainsi une logique de distinction. Cette catégorie renforce son emprise spatiale sur certaines unités territoriales, surtout le long de la façade maritime nord-est, vers le district de al-Ramleh, Bab al-Sharky et Sidi Gabîr. Les classes moyennes (ingénieurs, employés) restent assez uniformément réparties dans l’espace urbain, même si elles tendent à s’orienter vers les quartiers résidentiels de standing précédemment cités et à participer au processus de peuplement des périphéries, qui se densifient, parfois considérablement, depuis la fin des années 1980. Comme dans la capitale égyptienne, la dynamique centrifuge s’associe au tassement

7 Depuis l’année 2000, l’Organisation Mondiale de la Santé, seule institution internationale établie à Alexandrie, l’a quitté pour s’installer au Caire.

8 BRICOURT. G.C et WHITESIDE. G.G., (1996), « Major companies of The Arab World 1995-1996 ».

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 71

et à la dédensification des centres-villes qui se propagent désormais aux quartiers péricentraux. Les quartiers centraux d’Alexandrie ont perdu plus de 120 000 habitants entre 1976 et 1996, mais n’en demeurent pas moins les plus denses avec des densités moyennes comprises entre 600 et plus de 3 000 habitants par hectare, alors que les densités enregistrées dans les périphéries s’inscrivent dans une fourchette de 100 à 400 habitants par hectare. Le déclin du centre est le produit cumulé du vieillissement de la population, sans renouvellement, et du mouvement de décohabitation des jeunes ménages.

Les commerçants et les actifs du secteur des « services » ont également, de façon bien moindre par rapport aux groupes sociaux précédents, une tendance au regroupement. La concentration des commerçants s’explique par l’émergence de nouveaux « centres-satellites » en périphérie. Tout en étant encore très présents dans le centre-ville, principal centre commercial de la ville où leur représentation a même eu tendance à s’accentuer, ils habitent désormais à proximité de ces « nouveaux pôles secondaires » (le long de la côte nord-est, vers le quartier de Rushdy et le long de l’avenue Gamel Abdel Nasser dans le quartier d’Al Ramleh).

Les ouvriers, enfin, réduisent leur concentration dans les quartiers industriels (Muharam Bay ou Mina Al Bassal, ou encore du côté d’Al-Dikhîla) au profit d’une sensible réappropriation des quartiers centraux délaissés par les classes supérieures. Mais, de façon générale, ils sont répartis de façon homogène dans toute l’agglomération.

Mais l’observation des CSP ne permet pas de saisir toutes les disparités sociales, tant la

déclaration d’un métier ou d’un statut masque le déclin radical des salaires dans la fonction publique et la précarité extrême dans le secteur privé. D’autres indicateurs permettent d’affiner l’analyse. Ainsi constate-t-on à Alexandrie un fort taux d’analphabétisme de la population de plus de 10 ans : il était de 22% en 1996, contre 24% pour la moyenne nationale et 29,5% pour Le Caire. Dans certains quartiers péri-centraux (al-Laban, Karmûz) et faubourgs industriels (al- Amriyya), ils dépassaient les 35% en 1996. Alexandrie compte aussi parmi les zones urbaines égyptiennes les plus pauvres : 63% des habitants y dépensent plus de 50% de leur revenus pour la nourriture (ce qui correspond au seuil de pauvreté), et 10% plus de 70%. En moyenne, dans les autres grandes agglomérations égyptiennes ces deux catégories représentent respectivement 46% et 6% de la population totale.

De même, signe des inégalités sociales, voire de la paupérisation étendue qui pèse sur le devenir de l’agglomération méditerranéenne, les zones illégales ne cessent de s’étendre. Elles hébergeaient plus de 1,3 million d’habitants au début de la décennie 2000 (soit près de 40% de la population totale) exclus des filières formelles (publiques et privées) d’accès au sol et au logement.

Trois périodes scandent le peuplement contemporain d’Alexandrie. Pendant la première moitié du XXe siècle, la population est composée d’un tiers de migrants étrangers et de non natifs de la ville. A partir des années 1930, l’apport migratoire devient essentiellement égyptien : la part de ces immigrés dans la population totale d’Alexandrie est de 24,6% en 1927 et celle des étrangers ne représentent plus que 13,5%. A partir des années 1950, le

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 72

flux migratoire des étrangers s’effondre alors que la part des migrants égyptiens augmente considérablement. L’apport migratoire devient alors essentiellement égyptien. Enfin, à partir des années 1980-1990 la croissance alexandrine est portée essentiellement par son solde naturel. Les flux migratoires, en forte baisse, comme ailleurs en Égypte, y sont désormais inter-urbains (E. DENIS, 1997 ; F. IRETON, 1997).

Une gouvernance urbaine « de façade » et persistance du vérouillage politique

L’indépendance administrative, politique et financière des villes égyptiennes est fortement réduite. La participation citoyenne l’est tout autant au profit du verrouillage politique. Malgré la présence de conseils populaires élus dont le rôle est consultatif, la centralisation du pouvoir est considérable et le processus décisionnel reste aux mains des gouverneurs nommés par la président de la République et qui ont rang de ministre. À Alexandrie, le gouverneur joui d’une forte popularité. Cette dernière tient aux grands projets qu’il a soutenus et/ou mis en œuvre depuis son accession à la direction du gouvernorat à la fin des années 1990. Ces chantiers représentent davantage un « rafraîchissement de façade » et un travail d’image qu’un véritable projet urbain participatif et négocié. Le programme le plus significatif est bien entendu la construction de la Biblioteca Alexandrina sur la corniche, marqueur monumental d’une grandeur culturelle et historique universelle d’Alexandrie que les dirigeants voudraient redonner à la métropole méditerranéenne. L’entreprise a bénéficié de nombreux soutiens internationaux et bilatéraux et notamment de l’UNESCO, replaçant la ville sur la scène des congrès. Vient,

ensuite la rénovation de la corniche qui visait l’amélioration de la circulation, la modernisation des infrastructures, et l’embellissement des accès aux plages. L’entreprise visait aussi à redonner aux sites balnéaires intra-urbains un standing perdu. L’embellissement des places historiques du centre comme Manshiyya et de ses rues s’inscrivent aussi dans cette logique. L’inscription de la ville dans le projet international City Developing Strategic financé en grande partie par le programme Cities Alliance, et supporté par les Nations Unies, la Banque Mondiale et d’autres agences bi et multilatérales d’aide au développement, témoigne de l’affirmation d’une vision stratégique qui dépasse la juxtaposition de grands projets. De même, le projet Alexandria Growth Pole qui devrait débuté fin 2006 avec un partenariat entre le gouvernorat et la Banque Mondiale, marie des objectifs tant de réhabilitation et de régularisation foncière de quartiers illégaux, que de développement économique avec le renforcement des infrastructures visant l’attraction d’investisseurs privés ou encore la réhabilitation environnementale avec l’assainissement du lac Maryut pollué par des années de rejets industriels et urbains.

Mais, si l’État, gouverneurs et ministres, consentent à libéraliser le jeu des opérations de production de l’espace et de l’aménagement urbain à de nouveaux acteurs, aux secteurs privés, aux agences internationales, voire à des groupements d’usagers dans le cadre de projets en partenariat, l’ouverture demeure « sous contrôle étroit », en particulier vis-à-vis des habitants. La participation des populations, telles qu’elle est promue par les institutions internationales, est encore loin d’être une réalité patente à Alexandrie comme en Égypte

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 73

en général. Auprès de la forte personnalité du gouverneur, seul émerge de façon très claire l’association des hommes d’affaires d’Alexandrie (ABA) ; un lobby influant à la fois sur l’orientation des plans urbains et des opérations foncières et immobilières, mais aussi sur l’intégration urbaine et sociale avec des interventions notables en faveur des quartiers illégaux et de l’accès au travail de leurs habitants.

Dans l’immédiat, les efforts réels et les lourds investissements visant la réhabilitation de l’image positive d’Alexandrie - Alexandrie capitale de Méditerranée gréco-romaine et cosmopolite -, comme la valorisation des fouilles archéologiques, ne suffisent pas à contrecarrer un déclin et une paupérisation certaine, accentuée par les effets de la libéralisation et de l’ajustement structurel, comme des choix nationaux en matière de développement portuaire.

Bibliographie BRUYAS F., 2002, De la re-construction régionale à la formation d’un territoire du canal de Suez : acteurs et enjeux, Thèse de Doctorat sous la direction de P. Signoles, Université de Tours. CNUCED, 2001, Bulletin des Transports N° 21, novembre, Genève. MINISTÈRE DE L’HABITAT, General Organization for Physical Planning (GOPP), 1997, Schéma Directeur de la ville d’Alexandrie : 1997-2017 (en arabe). DENIS. E., 1997, « Alexandrie : seconde ville d’Égypte ou métropole méditerranéenne ? » Revue de Géographie de l’Est (RGE). n°2-3, pp. 163-188. DENIS E. et VIGNAL L., 2002, « Dimensions nouvelles de la métropolisation dans le Monde

Arabe : le cas du Caire, mondialisation, instabilité et recomposition de la forme urbaine », in Cahiers de la Méditerranée, Les enjeux de la métropolisation en Méditerranée, vol 64. IRETON F., 1997, « Cinq grandes villes d’Égypte : migrations et croissance démographique au XXe siècle (1907-1986) », in Égypte-Monde Arabe n°29, CEDEJ. SÉJOURNÉ M., 1998, Autogestion du quotidien et planification urbaine : réponses aux dysfonctionnements d’une métropole ? Le cas d’Alexandrie, Mémoire de DEA, sous la direction de H. Ayeb, Université Paris 8, Saint-Denis, Formation doctorale en géopolitique, 184 p.SE JOURNE. M., 1997, L a c ro i s sance récente d’Alexandrie, en Égypte. Mutations démographiques, socio-économiques et centralité des années 1970 aux années 1990, Mémoire de Maîtrise, sous la direction de H. Ayeb, Université Paris 8, Saint-Denis, 225 p.SOLIMAN. M., 1996, “Legitimizing informal housing : accomoding Low-income groups in Alexandria”, in Environment and Urbanization. Vol 8, n°1.

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ALGERpar Sabrina Genieis

Économie : début des années 2000, renaissance d’une capitale méditerranéenne

La ville se développe autour de son port

C’est sa situation géographique et son port, qui a pris de l’importance au début du XVIe siècle, qui donne à Alger sa fonction de lieu d’échanges et de commerce à l’échelle de la Méditerranée. Au cours des XIXe et XXe siècles, le port s’est développé avec la ville, par la création d’équipements comme les bassins de l’Agha, de Mustapha, la gare maritime au môle El Djazaïr, le môle de Skikda ou encore ces dernières années le terminal de conteneurs. Depuis 1996, l’entreprise du

port d’Alger (E.P.A.L.) affiche une nouvelle dynamique de fonct ionnement de ses multiples activités. Dans le cadre du plan de développement et de modernisation, elle annonce de grands projets d’investissement, comme l’extension du port d’Alger sur la côte Est, l’aménagement du deuxième terminal à containers et la construction de la deuxième gare maritime. La domination du port d’Alger sur les autres ports algériens est nette. En 2003, il occupe la première place des ports nationaux avec une part de trafic des marchandises réceptionnées au port de 34%, une part de 25% du mouvement des navires commerciaux et une part de marché de 47% du trafic des passagers. Avec ces performances, le port d’Alger est au niveau,

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1987 et 1998. Unité locale : commune. Découpage administratif : wilaya

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en termes de volume d’activités, des ports méditerranéens voisins.

Fin du terrorisme, reprise de la croissance économique

D’un point de vue plus général, la reprise de la croissance économique a lieu en 2001 grâce à une nouvelle stabilité politique succédant aux années noires du terrorisme. La bonne tenue des exportations d’hydrocarbures et une plu-viométrie favorable favorisent une accélération de la croissance en 2002 et 2003. Les échanges extérieurs conséquents depuis 2000 contribuent à la croissance économique. En 2003, la hausse du produit intérieur brut est de 6,8 % en volume correspondant à sa plus forte augmentation du-rant les deux dernières décennies. Tous les sec-teurs d’activités connaissent un accroissement de leur production (environ 4%). En terme de production hors hydrocarbures, le secteur des services est au premier rang, suivi des secteurs agricole et industriel.

Des négociations pour des échanges internationaux

Cette nouvelle situation économique et politique du pays redonne une place importante aux échanges internationaux. Des discussions et des négociations avec l’Union Européenne sont lancées autour du processus de Barcelone qui prévoit une approche globale, politique, économique et de sécurité pour l’ensemble méditerranéen. Après l’événement dramatique du 11 septembre 2001, un rapprochement a lieu entre les États-Unis et l’Algérie. Dans ces nouveaux partenariats, les enjeux sont l’accord d’association avec l’Union Européenne et l’adhésion d’Alger à l’Organisation Mondiale du Commerce (O.M.C.) qui vont induire des

réformes économiques et des structures de l’État et la mise en place des instruments modernes de gestion de l’économie de marché.

Alger, une métropole

Une démographie galopante

En 1945, date correspondant à la fin de la seconde guerre mondiale et aux prémices des revendications de liberté et d’autonomie de la part des algériens dits «indigènes», Alger connaît un bouleversement à tous les niveaux, entre autres, politique, social, économique et démographique. La croissance démographique de la ville majoritairement musulmane et d’origine rurale accompagnée de l’accroissement et du déploiement des bidonvilles est un des aspects essentiels de la période 1945-54 (HAUMONT, 2004). La population de la ville d’Alger s’élève de 308.321 à 66 355.040 habitants entre 1948 et 1954 et celle du Grand Alger compte 860.000 habitants en 1960, soit 300.000 de plus qu’en 1954. Avec son développement, une structure territoriale de type métropolitain s’est mise en place. La capitale de l’Algérie est considérée aujourd’hui comme une métropole régionale et nationale. Il est intéressant pour comprendre l’évolution de la ville de revoir point par point ses caractéristiques qui lui donne le statut de métropole.

Description des caractéristiques de la métropole algéroise

Si nous nous référons à l’ouvrage intitulé «Métropoles en mouvement» (DUREAU, DUPONT, LELIEVRE, LEVY & TULLE, 2000), certains processus concomitants aux métropoles qu’ils proposent sont communs avec ceux qui

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sont observés à Alger, comme l’étalement spatial, la spécialisation fonctionnelle, l e c reusement des inéga l i té s soc io -territoriales et l’intensification des mobilités géographiques intra-urbaines. Entre 1966 et 1998, la population de l’aire métropolitaine a pratiquement triplé et compte aujourd’hui 4 500 153 habitants. Cette forte croissance démographique s’est accompagnée d’une urbanisation massive et anarchique vers l’Est et le Sud de la ville en consommant pendant cette même période environ 20.000 ha de la Mitidja et du Sahel. Sous la pression du développement urbain, les villages coloniaux deviennent des espaces centraux et s’attribuent des fonctions propres. À cause d’un système de classification de coûts des terrains en fonction de leur situation géographique, les cadres supérieurs vivent dans le centre et les personnes les plus modestes s’en éloignent. Cet essor est associé à une mise en réseaux des différents centres secondaires avec l’espace central principal qui crée des mobilités et un encombrement du centre ville. Ces différents processus énoncés participent à la reconnaissance d’Alger comme une métropole ou une «ville-mère» (de meter, mère et polis, ville).

De la stratégie foncière à un projet de ville planifiée

Un héritage bâti en décalage avec les besoins de la population locale

En 1962, l’indépendance du pays et le départ des Européens ont pour conséquence, en général, un mouvement des populations rurales vers les villes. Les bâtiments laissés libres du centre d’Alger sont rapidement investis par des algériens arabes arrivant souvent d’autres régions.

D è s c e t t e é p o q u e s e d é v e l o p p e n t simultanément le centre colonial et de multiples centres secondaires. Cela se traduit spatialement par une juxtaposition de pôles de fonctions diverses qui ne sont pas pensés essentiellement par rapport à des besoins, mais qui s’implantent plutôt suivant les disponibilités d’un bâti existant en bon état. L’installation de cette structure urbaine de croissance va être confrontée à une grave problématique qui est le décalage entre les besoins en espace des nouvelles populations et le cadre bâti de l’héritage colonial. Dès l’indépendance, Alger se compose d’un centre ville correspondant aux quartiers construits à l’époque coloniale appelé Alger Centre et caractérisé par une for te concentration humaine (355 000 habitants) sur un petit territoire accueillant essentiellement des emplois tertiaires (services et commerces supérieurs). Tout proche d’Alger Centre, des centres secondaires qui sont des anciens quartiers et villages (Bab El Oued, la Casbah, El Biar, Belcourt, Hussein Dey, El Harrach) manifestent une certaine autonomie. S’inscrivant dans un même périmètre des centres potentiels s’annoncent comme Hamma ou Hydra. La particularité de ce système est que le centre colonial est rapidement dépassé par le développement des pôles satellites qu’il génère et n’est pas suffisamment équipé pour répondre aux besoins de la population de l’ensemble de l’agglomération algéroise. Le cadre réglementaire en terme d’urbanisme appuie ce type d’extension urbaine avec l’approbation du Plan d’Orientation Générale en 1975 en prenant l’option de développement de l’agglomération algéroise à l’Est qui a favorisé le détournement de l’espace rural au profit de l’urbanisation.

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L’étalement urbain : problématique d’actualité à Alger

La Loi d’Orientation Foncière (L.O.F.) de 1990 bouleverse le mode d’extension urbaine ; elle succède à un freinage du foncier qui a favorisé un mitage systématique dans la Mitidja et a pour conséquence une ouverture et une libération de la consommation des terres. En dix ans, l’agglomération a consommé deux fois plus d’espace qu’en un siècle de développement urbain plus ou moins maîtrisé dans un contexte de faible croissance démographique et de tarissement des flux migratoires provenant de l’intérieur du pays (Madani SAFAR-ZITOUN, 2001). Durant la décennie 1990-2000, le centre d’Alger est hypertrophié et saturé, le nombre de constructions par an ne dépasse pas les 1%, alors que dans la périphérie lointaine, il peut atteindre les 26%. Le terrorisme a accentué la consommation des zones rurales pour construire. Le détournement et le lotissement des terres agricoles deviennent une pratique courante durant les années 1990. Ce phénomène est dû à une indisponibilité du foncier et de l’immobilier dans les communes centrales d’Alger, à un rejet de la ville ancienne à cause de la pollution et des problèmes de circulation, et au choix des algérois d’habiter des maisons individuelles qui représentent 70 à 90 % du parc de logements selon les communes.

Sidi Abdellah : exemple d’une ville nouvelle autour d’Alger

Parallèlement à l’accroissement de ces agglomérations, en 1997, Chérif Rahmani, ministre de l’Equipement et de l’Aménagement du Territoire, crée la direction de villes nouvelles, que dirigera Liess Hamidi. Le projet de plusieurs villes nouvelles avec chacune des fonctions

spécifiques est lancé autour d’Alger : Mahelma, située à environ 25 kilomètres -au Sud-Ouest d’Alger, devait regrouper des fonctions universitaires et de recherche liées à la médecine, à la pharmacie et aux activités de laboratoire ; Bouinan, en dessous de Chréa devait recevoir -la fonction principale de sports et loisirs ; El Affroun, à l’Ouest de Blida, serait un pôle agricole lié aux instituts de recherche de Blida, en relation avec la Mitidja ; Naciria à l’Est, en Kabyle, avait vocation de -zone industrielle régionale.

En 1997, Liess Hamidi est nommé directeur de la ville de Sidi Abdellah qui doit occuper les territoires de Mahelma et Rahmania.

Jean-Jacques DELUZ en est le concepteur. La surface foncière disponible est de 1000 ha dont 500 ha urbanisables. Le programme général du projet vise 30.000 logements et 20.000 emplois. La particularité du projet de cette ville nouvelle est d’être planifié et géré par un établissement public d’aménagement.

Jean-Jacques DELUZ nous explique bien dans son ouv rage A lger, E l D jaza ï r, chronique urbaine, son premier contact avec le site (DELUZ, 2001). Il va mettre au service de ce projet toute son intelligence, sa riche expérience professionnelle et sa fine sensibilité. Son intérêt pour la culture méditerranéenne et sa connaissance du mode de vie algérien lui donne les moyens d’élaborer une charte pour Sidi Abdellah. Dans un premier temps, ce document fait état de la croissance non-maî tr isée de la ville d’Alger qui s’est traduit, comme nous l’avons vu précédemment, par une prolifération de petites agglomérations, un fort développement des petites villes allant

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jusqu’à multiplier leur taille par dix et la programmation au coup par coup. À travers l’aménagement de l’agglomération de Sidi Abdellah, la nouvelle politique urbaine est de s’adapter à la complexité et à la dimension de l’aire métropolitaine d’Alger. Dans un second temps, la stratégie d’aménagement nous indique que Sidi Abdellah est conçue comme une entité urbaine complémentaire d’Alger. Depuis 2003, ce projet d’ensemble urbain et architectural est coordonné par l’ensemble des cadres de l’établissement qui persévère dans le sillon de Liess Hamidi disparu.

De la colonisation à nos jours : les documents d’urbanisme, outils essentiels dans le phénomène de métropolisation

Les grandes orientations de la ville d’Alger durant les soixante-dix dernières années, en termes de politiques urbaines, ont participé à la création et à l’évolution de l’aire métropolitaine algéroise.

Un premier document de planif ication urbaine va marquer l’histoire de la ville : le Plan d’Aménagement, d’Embellissement et d’Extensions (P.A.E.E.) réalisé par M. Danger, qui est approuvé et rendu public en 1931. Pendant les trois années de son élaboration, il a suscité des critiques de la part de l’association des Amis d’Alger qui privilégiaient un plan régional plutôt qu’un document qui se bornait aux limites du territoire municipal.

Parallèlement au plan Danger, le maire Brunel lance l’étude du Projet d’Aménagement de la Région (P.A.R.) de 1931 à 1938 sur lequel travailleront Henri Prost et Maurice Rotival.

En 1942 et 1948, deux autres P.A.R. inspirés du premier suivront. Les grandes lignes de ces projets sont : l’organisation des circulations pour freiner l’extension côtière ; planification des constructions sur le territoire de l’agglomération ; création de cités de travailleurs algériens ; le réaménagement du port et de ses abords. En 1954, par la création de l’Âgence du Plan dirigée par P. Dalloz et G. Hanning qui considèrent la réglementation comme un élément guide et non imposable, le maire Jacques Chevallier se dote d’un outil moderne. L’année 1958 est marquée par le départ de Jacques Chevallier qui est remplacé par des administratifs et, donc, par la perte de pouvoir de l’Âgence du Plan. Les architectes et bureaux d’études français ont profité de la situation pour exporter le modèle des grands ensembles en Algérie. La même année, le Plan de Constantine prévoit, entre autres, le développement de la zone industrielle de Rouiba-Réghaia en sacrifiant les zones maraîchères de la Mitidja et l’implantation de grandes administrations. La décentralisation annoncée se traduit concrètement par l’investissement de 80 % des projets dans la région d’Alger. De son côté, Hanning propose l’idée d’implanter des villes nouvelles à l’extérieur d’Alger pour absorber les flux migratoires en amont, sur les routes de Kabylie, de l’Atlas, de Médéa, de l’Oranais, sur tous les débouchés des routes avant la Mitidja, en y insérant les infrastructures urbaines, zones d’activités (DELUZ, 2003). En 1975, le Plan d’Orientation Générale est élaboré sous l’égide du Comité Permanent d’Etudes d’Aménagement, de Développement et d’Organisation de l’Agglomération du Grand Alger (créé en 1968). Ce document pose la problématique de la métropolisation de la capitale. Il organisait le développement prioritairement vers l’Est en cohérence avec certains des précédents plans

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et les décisions prises en 1972 d’implanter 3 grands projets à l’Est de la ville. Les politiques urbaines tendent à concrétiser le processus de métropolisation avec l’élaboration du Plan d’Urbanisme Directeur, entre 1981 et 1983, proposant :

la construction de sept noyaux urbains satellites -de 30.000 habitants chacun, la restructuration du centre d’Alger avec une spécialisation des noyaux centraux ; la programmation de neuf Z.H.U.N. se -traduisant par une généralisation des procédés préfabriqués et une grande consommation des terres agricoles ; la création de quatre lignes de métro et de -téléphérique. De 1983, date de l’élaboration du P.U.D., à nos jours, rien de concret n’est à noter dans les politiques urbaines à Alger. L’instabilité politique du pays depuis la fin des années 1980 et la décennie de terrorisme entre 1990 et 2000 sont certainement une raison à cette stagnation. L’approbation du Plan Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme en 1995 et la création du Gouvernorat d’Alger, une année plus tard, donnent des outils de développement à la métropole d’Alger. Le document, le Grand projet urbain, exprime une nouvelle politique d’aménagement qui se définit par : la circonscription des extensions au Sud-Ouest -par l’édification de la ville nouvelle de Sidi Abdellah ; le réaménagement des villes touristiques sur -les côtes Est et Ouest pour un rééquilibrage fonctionnel et une meilleure répartition des flux touristiques ; une restructuration des tissus à l’Est en -vue de la création d’une technopole ; la création d’un réseau de parkings relais et de dissuasion, une modernisation des transports en commun.

La particularité qui donne du pouvoir et une large marge de manœuvre au Gouvernorat est de constituer un ministère territorial. Après sa dissolution pour anticonstitutionnalité, le Gouvernorat est devenu une wilaya (préfecture) avec la perte de maîtrise de la situation que cela implique, puisque le poste de ministre-gouverneur à sa direction est troqué pour celui de wali (préfet). Compte tenu de cet important changement dans la gestion de la planification urbaine, nous pouvons nous interroger sur l’efficacité des interventions de cette structure dans le cadre du processus de métropolisation de la capitale algérienne. Ce contexte institutionnel trahit un manque d’outils et de moyens pour favoriser le développement de la métropole d’Alger dans son ensemble. La politique de l’État est sectorielle, caractérisée entre autres par la création de zones d’habitat urbaine nouvelle (Z.H.U.N.) pour lutter contre la crise du logement et la réalisation d’équipements (complexe culturel et commercial de Ryadh El Feth à El Madania ; palais de la culture des Annassers, des hôtels cinq étoiles : Sofitel, Mercure, Shératon ; bibliothèque nationale du Hamma) afin de combler un retard dans le niveau des équipements par rapport à la fonction métropolitaine. Ces projets métropolitains restent dissociés les uns des autres. Une démarche globale, intégrant toute la complexité de cette agglomération, est nécessaire pour qu’Alger devienne une métropole méditerranéenne à part entière.

Bibliographie DELUZ J.-J., 2001 Alger, El Djezaïr, chronique urbaine, Ed. Bouchène. DELUZ J.-J., 2003, La contribution de l’Âgence du Plan in J.L. Cohen, N. Oulesbir, Y. Kanoun

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(dir), Alger, Paysage urbain et architectures, 1800-2000 Ed. de l’Imprimeur.DUREAU F., DUPONT V., LELIEVRE E., LEVY J.P. & TULLE T. (dir), 2000, Métropoles en mouvement, Ed. Economica. GHERAB H., Alger, ville hypertrophiée et métastasée, in La Tribune, jeudi 3 février 2005 HAUMONT B., 2004, Miroirs, reflets et glaces sans tain. La modernité comme polysémie, in Colloque international, Alger, lumières sur la ville, Alger. Ministère de l’Aménagement du Territoire et de l’Environnement, Programme d’Aménagement Côtier « zone cotière algéroise ». Maîtrise de l’urbanisation et l’artificialisation des sols, Juin 2004 MALEY S., MOUNIR R., ATTYAH K., 2002, Algérie, le tournant européen, in Afrique Asie, n°148 SAFAR-ZITOUN M., 2001, Alger ou la recomposition d’une métropole, in La pensée de midi, n°4.

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De toutes les métropoles méditerranéennes, Athènes est peut-être la seule qui puisse prétendre au statut de capitale mondiale et de « ville globale ». C’est une situation paradoxale.

Avec ses 3,8 millions d’habitants au dernier recensement de la population grecque (2001), le « département » d’Attique, qui représente un bon tiers de la population nationale (35%), est très loin des agglomérations tentaculaires de la Méditerranée orientale (Le Caire-Alexandrie ou Istanbul). Si l’on se souvient que contrairement à la plupart des grandes cités du bassin méditerranéen, et aux images qui s’attachent à leurs noms, l’Athènes contemporaine est une ville neuve, refondée en 1834 dans le souci

de doter la Grèce renaissante d’une capitale symbolique, on ajoute au paradoxe de la démographie l’inconséquence de l’histoire. Mais la métropolisation aujourd’hui ne se nourrit pas seulement de faits objectifs, mais d’identités et de mythes.

A cette aune, Athènes a incontestablement des titres à faire valoir. Capitale d’un petit pays, elle est à la tête d’une nation aux intérêts universels : la marine marchande, sous pavillon officiel ou de complaisance, l’a conduite sur tous les fronts du monde, la diaspora hellénique élargit son influence aux cinq continents et ses monuments antiques joints aux atours de la mer et du soleil attirent des millions de touristes de tout l’univers. Ce sont des atouts géostratégiques dont la Grèce

ATHÈNES par Guy Burgel

Carte : François Moriconi-Ebrard, d’après les recensements de 1991 et 2001. Unités locales : dème (ville) et koinotites (village). Découpage administratif : nome.

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et Athènes savent tirer parti en profitant de la remarquable stabilité politique depuis le retour à la démocratie après l’aventure des colonels (1974) et l’accrochage à l’Europe (1981). Dans une large mesure, le succès des jeux Olympiques de 2004 a révélé au monde et même à une opinion nationale toujours sceptique, la capacité d’organisation et de maîtrise d’une manifestation festive universelle, sans laquelle il n’y a pas de véritable métropole. Plus d’un siècle après la renaissance des Jeux modernes qui y furent célébrés en 1896, l’avant-dernière olympiade a consacré l’entrée d’Athènes dans la cour des grandes villes mondiales.

Une région urbaine continentale

I l s ’en faut pour tant que la posit ion géographique de la capitale grecque dans le pays soit favorable. C’est largement un site sans situation. Au centre de l’État-nation constitué aux lendemains de la guerre d’indépendance sur l’empire ottoman, quand c’était encore la « Vieille Grèce », la macrocéphalie athénienne actuelle n’est plus qu’une concentration économique isolée au milieu de contrées insulaires et montagneuses désertifiées de longue date par l’exode rural, à l’écart des régions riches d’agriculture et d’industrie de la Grèce du Nord, où Thessalonique avec un million d’habitants affirme sa prééminence.

Pourtant cette localisation marginale se développe dans un site urbain remarquable qui a conditionné son existence et son extension : le bassin d’Attique, triangle de plaine ceinturé de montagnes qui s’étire sur 25 km du Sud au Nord, avec une façade maritime d’une quinzaine de km. Accidentée par une échine de reliefs bas, dont la « colline inspirée » de l’Acropole, la « cuvette » a longtemps contenu toute l’agglomération :

3 millions d’habitants s’y pressent encore dans une grande densité d’immeubles résidentiels, d’infrastructures et d’activités.

Mais Athènes a depuis quatre décennies déjà débordé son cadre montagneux, s’échappant par les échancrures et les ensellements de son écrin originel. C’est maintenant une vaste région urbaine qui étend ses ramifications au delà de Corinthe, à 80 km à l’Ouest, englobe Thèbes et Khalkis au Nord à une centaine de km, et se déploie à l’Est dans le Mésogée, surtout depuis qu’il accueille le nouvel aéroport international. Athènes desserre son habitat, ses équipements industriels et tertiaires, son développement touristique et son agriculture périurbaine dans un immense espace fonctionnel, où la mobilité quotidienne ne faiblit pas de jour comme de nuit. C’est près de 1,5 million d’individus, qui vivent et travaillent ainsi en dehors de l’agglomération stricto sensu.

En fait, ces extensions périphériques dessinées par la route et l’autoroute ont confirmé le destin historique singulier d’une capitale littorale d’un empire maritime, qui tourne le dos à la mer. Depuis l’antiquité, le port du Pirée constitue une seconde centralité, forte de ses spécificités sociales, de ses traditions industrielles et de ses ambiances navales. Mais la capitale grecque n’a jamais été une véritable ville portuaire, comme Marseille ou Gênes, considérant la mer comme source de richesse et de loisir, mais pas comme élément urbain structurant. Contrairement à Barcelone de 1992, les équipements olympiques ont jusqu’ici échoué à retourner ces pesanteurs : reconstruite par des architectes bavarois, Athènes demeure une ville continentale.

Inversement, la vieille centralité athénienne établie de façon séculaire sur les pentes nord de

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l’Acropole s’étire le long de l’axe Nord-Sud, qui charpente l’agglomération. L’appareil politique (ministères, ambassades) est resté très concentré. Mais, bureaux, sièges sociaux, agences bancaires et centres commerciaux se sont moins desserrés qu’égrenés sur une voie rapide d’une vingtaine de kilomètres, qui évoque l’avenue Santa Monica à Los Angeles. Mais on ne peut pas parler à Athènes d’une véritable polycentralité de commandement et du pouvoir. Seule avec le desserrement de la population, notamment aisée, la centralité commerciale a essaimé dans les hauts lieux de la nouvelle bourgeoisie, Vieux Phalère et Glyphada en bord de mer, et surtout Kiphissia du côté de la montagne.

Enfin, ce vaste espace métropolitain, à la fois très concentré et largement étalé, ne peut se comprendre sans les améliorations considérables des mobilités urbaines au cours de la dernière décennie. Vouée presque exclusivement à la circulation automobile, Athènes pouvait rivaliser avec les capitales les plus polluées de la planète : Le Caire, Téhéran ou Mexico. Les financements européens, le coup d’accélérateur des jeux Olympiques, ont soudain débloqué la situation. En 2000, l’ouverture d’un vrai réseau de métro encore limité a été un signal symbolique marqué d’un engouement populaire qui ne s’est pas démenti. La ligne de tramway vers le Sud est un succès plus discutable. Mais la véritable transformation est l’institution d’un réseau intégré de voies rapides intra-urbaines : tangentiale (Attiki odos), ceinturant l’agglomération par le Nord, pénétrantes des routes nationales Nord et Ouest. Et à toutes échelles, la vitesse a changé la géographie athénienne : autoroutes de desserte, bateaux rapides, aviation intérieure, ont rattaché toute une partie de la Grèce du Sud (Péloponnèse, Cyclades) en arrière-pays fonctionnel de la métropole. De territoriale, la région urbaine est

devenue un réseau de proximités temporelles et humaines.

De la consommation à l’internationalisation

En même temps les significations économiques d’Athènes ont changé. Née de la volonté politique, Athènes fut toujours un pôle de gestion et de consommation, avant d’être une ville de production et d’échange. Mais les hasards de l’histoire des techniques et des relations internationales lui ajoutèrent une fonction industrielle importante : proto-industrialisation du Pirée au XIXe siècle, forte poussée de la fabrication avec l’arrivée massive des réfugiés d’Asie mineure après l’échange de population avec la Turquie (1922), chantier du développement grec pendant le « miracle » économique après la Deuxième Guerre mondiale. Ainsi s’édifièrent les deux bases de la richesse athénienne : la bureaucratie publique, pourvoyeuse d’emplois subalternes pour la petite bourgeoisie provinciale, le prolétariat industriel sans lequel il n’y avait pas de réussite économique.

L’incroyable poussée urbaine, engendrée à partir des années cinquante par l’exode rural et la croissance exacerbée gonflée par l’aide américaine dans ce bastion avancé de l’anticommunisme, fit le reste.

En trente ans, Athènes passa d’un million à trois millions d’habitants. La construction devint le secteur d’activité le plus florissant, et la ville se nourrit de son propre développement. Ce n’étaient pas seulement les emplois liés au bâtiment qui flambaient, mais toutes les couches sociales qui profitaient de ce mouvement spéculatif. Emballement collectif,

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déséquilibrant pour les tenants de l’orthodoxie économique, mais qui enrichit collectivement , et conduit un peu plus dans les chemins de la consommation et des services. En changeant les données du jeu et en élargissant ses échelles géographiques, les évolutions récentes, encouragées par l’aide massive des subventions européennes, n’ont fait que confirmer ces penchants génétiques originaux. Comme toutes les métropoles de cette importance, Athènes a connu désindustrialisation et desserrement industriel, notamment le long de l’autoroute de Thessalonique. Mais les logiques sont complexes et multiples, et beaucoup d’observateurs notent la bonne résistance de l’industrie athénienne par rapport à des pôles provinciaux plus isolés, pourtant soutenus par des aides à la décentralisation. L’industrie du bâtiment s’est trouvée relancée par l’urbanisation périphérique, les chantiers des jeux Olympiques et de façon plus durable encore par le développement touristique, notamment dans les Cyclades, qui se fait en grande partie sous contrôle technique et financier de la capitale.

Pourtant, c’est dans les activités tertiaires et internationales que les bouleversements sont les plus sensibles. Athènes profite ici de sa position géographique et géostratégique en Europe orientale et méditerranéenne. Elle permet aux grandes entreprises athéniennes de conquérir des marchés dans les « nouveaux » pays de la région anciennement communistes, et aux sociétés multinationales de s’implanter dans un pays riche, qui est un excellent relais vers le Moyen Orient, les pays du Golfe et même l’Afrique nord-orientale.

La page économique du Vima (La Tribune) du dimanche 23 juillet 2006 en dit plus long que

toutes les statistiques officielles. La Banque Nationale de Grèce, vénérable institution née au milieu du XIXe siècle, lance une offre publique d’achat sur la Caisse d’épargne roumaine (7 500 employés, 1 400 guichets). L’opinion bruisse du rachat de la Banque commerciale, sa grande rivale, par le Crédit agricole français. L’industrie d’équipement et de l’énergie est dopée par ces ouvertures internat ionales. La f irme sidérurgique Anguelopoulos, originaire d’Éleusis, s’est implantée aux États-Unis et en Chine. Le cimentier Titan assure aux États-Unis 50% de son chiffre d’affaire. Le groupe pétrolier Vardinoyannis, qui dispose d’une raffinerie près de Corinthe, est lié au saoudien Aramco et au russe Lukoil. L’industrie agro-alimentaire et la grande distribution ne sont pas en reste. Marinopoulos, dont le nom était déjà naguère assimilé à Prisunic, est le cheval de Troie de Carrefour et de sa filiale Champion pour des implantations ou des rachats à Athènes et en province.

Pourtant, c’est dans le domaine des services, des télécommunications et du tourisme que l’offensive de la nouvelle économie est la plus nette. Ainsi, les 300 familles d’armateurs, qui totalisent une fortune de 250 milliards d’euros, ne savent plus où donner de l’intérêt entre l’armement de grands bateaux de tourisme rapides, le rachat de complexes hôteliers dans les îles et la constitution de domaines immobiliers et fonciers littoraux. Finalement, le capitalisme athénien pourrait être à l’image de ce jeune et fringant armateur, d’origine libanaise : il a vécu au Koweit, en Angleterre et en France, a choisi Athènes pour « sa technologie, son expérience et son port », a installé ses bureaux à Vouliagméni, sur le littoral Sud-Est chic, d’où il gère ses 40

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navires et ses 6 000 tonnes de fret annuel. On comprend mieux ainsi ces buildings de verre et d’acier qui jalonnent les grandes avenues de la capitale : façades-miroirs brillant le jour, illuminées la nuit, ce sont les vitrines cachant jalousement les secrets de la finance internationale et de la nouvelle puissance athénienne.

Une matrice sociale bouleversée par l’immigration

Jusque dans les années quatre vingt, la géographie sociale de l ’agglomération athénienne était simple, articulée par une grande dissymétrie qui traversait la ville du Nord au Sud : à l’Est, de la montagne à la mer, les couches aisées et les fonctions économiques relevées, à l’Ouest, l’industrie et les couches populaires et ouvrières. L’origine remonte à la matrice même de la nouvelle Athènes, qui opposait dès le milieu du XIXe siècle dans une bourgade de quelques dizaines de milliers d’habitants le palais du roi sur les contreforts du Lycabette et l’usine à gaz sur la route du Pirée. La pérennité de ces gènes originaux en dit assez long sur les forces implicites d’agglutination et de contagion qui animent la constitution des espaces sociaux.

Une autre dynamique explique une société jusque là très homogène dans ses origines e thn iques e t re l ig i euses : l a g rande perméabilité interclassique entre individus et groupes. Riches et pauvres existent évidemment en Grèce, et les écarts de revenus y sont même plus accentués qu’en Europe occidentale, eu égard à la faiblesse des processus de redistribution. Mais les exemples de promotion personnelle spectaculaire ne

sont pas rares, et les liens de familiarité personnelle entre interlocuteurs de niveaux différents étonnent toujours.

Ce sont ces permanences qui sont aujourd’hui bousculées par d ’autres modèles . Le renversement depuis deux décennies des mouvements migratoires est ici le phénomène majeur. De pays traditionnellement exportateur de main-d’œuvre, la Grèce est devenue un pays d’accueil pour des centaines de milliers d’immigrants, clandestins, régular isés, finalement tolérés. Venus d’Albanie, d’Europe de l’Est ou d’Asie, Ils sont séduits par le niveau de vie et les possibilités de travail. À Athènes, les chantiers des équipements olympiques, et plus généralement l’embellissement et la rénovation des visages de la ville, ont attiré, puis fixé, des masses nombreuses, peu soucieuses de rythmes de travail et de législation sociale.

Ce bouleversement ne manque pas de transformer les mentalités, les espaces et les pratiques. La société grecque impute aux étrangers la montée de l’insécurité et de la marginalité. Elle est partagée entre ses sentiments de rejet et d’intérêt économique pour des groupes, qui consentent au surplus à habiter les immeubles denses des quartiers centraux, déser tés par les populations autochtones pour des raisons d’environnement et d’entretien. C’est une modification radicale de la division sociale de l’espace urbain, qui rapproche un peu plus Athènes d’une ville nord-américaine. La renaissance du culte musulman est en outre mal vécue en vieille terre de tutelle ottomane : 22 mosquées clandestines fonctionneraient dans la capitale et la première autorisation vient d’être donnée pour la construction d’un édifice officiel. Dans

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le même temps, les couches aisées autrefois attachées au centre, se dispersent dans les quartiers aérés du Nord-Est. Motorisation des ménages, accélération des mobilités, déplacement des activités et des centralités commerciales et ludiques, constituent un système complexe et interactif de cette nouvelle géographie sociale.

Société civile et gouvernance d’État

Pour gérer ses contradictions, Athènes souffre, comme toutes les métropoles mondiales, d’un dysfonctionnement chronique entre extension fonctionnelle des territoires urbanisés et morcellement politique et administratif des pouvoirs, entre velléités d’autonomie locale et de participation et nécessité d’une autorité centralisée. La « région-capitale » est théoriquement et institutionnellement administrée par quelque 130 maires élus, et un préfet régional représentant le gouvernement central. Mais il faut aussi compter avec quatre présidents de « préfectures » et même un superprésident qui regroupe sous son autorité les « préfectures » d’Athènes et du Pirée.

Pendant longtemps, ce gouvernement impossible de la métropole s’est conclu par le triomphe exclusif de la société civile. Dans les décennies de la haute croissance, seuls le consensus social implicite et le consentement du pouvoir politique ont permis sans plan d’ensemble, ni investissements publics considérables, de faire face à une urbanisation galopante, sans bidonvillisation, et avec même un enrichissement remarquable. Dans les quartiers centraux, l’élévation continue des coefficients d’occupation du sol permettait une rénovation spontanée et une densification

importante du tissu urbain. Dans les zones périphériques, se développaient des quartiers spontanés, juridiquement illégaux, mais de construction solide, que la régularisation périodique faisait entrer dans l’ordre urbain. Urbanisme sans urbanistes, à l’efficacité économique redoutable, mais aux rançons lourdes en termes d’espaces publics et d’équipements : environnement menacé (pollutions, incendies périurbains), déficit des transports et des services culturels.

Cet équilibre instable n’était plus à la mesure des problèmes de l’agglomération, ni des défis que lui lançait la préparation des Jeux de 2004. Il a fallu une véritable révolution des pratiques. L’essentiel de la stratégie urbaine appartient à l’Organisme du Plan Directeur d’Athènes, sous l’autorité du ministère de l’Environnement, de l’Aménagement du territoire et des Travaux publics. Malgré la composition équilibrée de l’Organisme directeur entre pouvoirs locaux et gouvernement, le projet urbain reste très centralisé. C’est un gage d’efficacité en période critique. Mais c’est aussi un risque permanent d’encombrements des circuits de décision, de dérives technocratiques qui trouvent leur répondant dans la multiplicité des recours devant le tribunal administratif. L’électrochoc des jeux Olympiques a incontestablement entraîné pour Athènes une reformulation de sa matérialité et une réaffirmation de sa vocation mondiale. Suffira-t- il à refonder une cité constitutionnelle ?

Au total, Athènes apparaî t comme une capitale politique spécifique en Europe, par la brièveté de son existence, l’originalité de ses modes de fonctionnement social, et l’anonymat de ses paysages urbains, qui la rapprochent plus du nouveau monde

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que d’une Méditerranée pétrie d’histoire et de mémoire. En même temps, c’est une métropole exemplaire. Elle illustre de façon accélérée les trois âges de la métropolisation : cosmopolitisme attardé en plein XIXe siècle de l’Europe des Lumières, consolidation de l’économie industrielle et mise sous tutelle d’un réseau urbain hiérarchisé sous l’État-nation, mondialisation, qui bouleverse ces équilibres, par la discontinuité des espaces et la suprématie du lointain sur le proche. Le second témoignage universel est la coexistence de l’accumulation et de l’exclusion, de la montée des problèmes économiques, sociaux et écologiques, et de l’impuissance politique à les aborder et à les résoudre. En cela, malgré sa jeunesse, la leçon athénienne garde sa vertu initiatique à l’urbanisation contemporaine : le mythe et le gigantisme, le patrimoine et la modernité, le local et le global.

Bibliographie BURGEL G. & DEMATHAS Z. (dir.), 2001, La Grèce face au troisième millénaire, quatre décennies d’évolution de la société et de l’espace grecs, Athènes, Ministère de l’Economie nationale. BURGEL G., 2002, Le miracle athénien au XXe siècle, CNRS Editions. BURGEL G., 2003, Histoire de l’Europe urbaine (sous la direction de Jean-Luc Pinol). Livre 6. La ville. contemporaine de la Seconde Guerre mondiale à nos jours, Le Seuil. BURGEL G., 2004, Athènes, une forme olympique, Urbanisme, n° 337, pp. 24-30. BURGEL G., 2004, Athènes, capitale olympique, Historiens et Géographes, n°388, pp. 343-362. BURGEL G., 2004, Athènes, de la balkanisation

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À Barcelone, l ’évolut ion économique, démographique et urbanistique correspond en grande partie aux tendances du processus de métropolisation. Toutefois, elle est façonnée par les rapports de pouvoir et les enjeux politiques propres à la capitale catalane. L’agglomération barcelonaise constitue l’un des pôles les plus importants de l’arc méditerranéen et le centre économique et politique de la Catalogne, une Communauté autonome avec une langue et une histoire distinctes qui concentre 15,5% de la population espagnole et 19% du PIB (ÀREA METROPOLITANA DE BARCELONA, 2003).

Ce texte synthétise les quatre éléments les plus importants de la spécificité barcelonaise : le développement par projets ; la reconversion

industrielle ; la transformation des centralités urbaines et la demande d’une institutionnalisation de la coopération métropolitaine.

Une ville au rythme des projets

La croissance urbaine de Barcelone a été rythmée par une succession de plans qui tentaient de maîtriser le processus métropolitain et aussi par une série d’événements internationaux. D’une part, une série de plans transforme graduellement l’agglomération: CERDÀ (1860), JAUSSELY (1917), MACIÀ (1934), plans comarcal (1953), provincial (1959), Charte Municipale (1960), Plan général de Régulation urbaine (1974), Plan Général métropolitain (1976), réformes (inabouties) de la Charte Municipale

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1991 et 2001. Unités locales : municipios Découpage administratif : région.

BARCELONE par Mariona Tomàs

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dans les années 1980 et réforme achevée en 2006, Plans Stratégiques (1990, 1994, 1999, 2003).

L’exécution de ces plans est déterminante dans le développement de la ville. Toutefois, ils sont en décalage avec les dynamiques physiques et sociales à l’œuvre. En effet, les plans font face à une réalité qui est systématiquement dépassée (soit par la délimitation du territoire, soit par l’attribution des usages du sol). Ces épisodes servent certes à tirer les leçons des incapacités antérieures, sans pour autant conduire à une réelle maîtrise de la métropolisation (NÉGRIER, TOMÀS, 2003). D’autre part, il est fort intéressant de constater que le développement de la ville se réalise à partir de projets concrets : les expositions universelles de 1888 et de 1992 ; les Jeux olympiques de 1992 ; le Forum des Cultures de 2004. Ces événements autorisent des négociations et compromis impossibles dans le quotidien de l’action publique. Ils créent une dynamique favorable à la coopération entre les secteurs public et privé, ainsi qu’entre les divers paliers politiques et administratifs. Grâce aux investissements et à la planification, les projets collectifs sont l’occasion d’une restructuration profonde du tissu urbain (TOMÀS, 2005). Il s’agit aussi d’une contribution au développement économique de Barcelone et de la région métropolitaine, une métropole qui a assuré avec succès le passage du fordisme au post-fordisme, tel qu’analysé dans le point suivant.

De ville industrielle à la commercialisation de la ville

L’évolution des fonctions urbaines

Corsetée dans ses murailles médiévales jusqu’au Plan CERDÀ de 1860, la ville explose

avec la révolution industrielle. Le système de communication (tradition portuaire, chemin de fer en 1848) et l’industrie de la vapeur facilitent une intensification des activités économiques ainsi que la constitut ion d’une bourgeoisie industrielle qui tire de l’extension de Barcelone les moyens de son développement. Le nombre d’habitants passe de 250 000 à 500 000 entre 1850 et 1900 grâce à l’exode rural catalan et à une population jeune. Les années 1920-1930 sont celles d’une immigration encore plus forte, provenant surtout des régions voisines et méridionales. La population barcelonaise double à nouveau (1 000 000 en 1930). La dernière phase de croissance proprement barcelonaise s’achève à la fin des années 1970, au cours de laquelle l’immigration méridionale lui fait atteindre 1 745 000 habitants. Dans cet te époque, la cr ise industrielle touche le quartier du Poblenou, autrefois connu comme le « Manchester catalan ». Les vieilles industries disparaissent les unes après les autres, tandis que celles qui survivent émigrent vers l’ouest de la ville, à proximité du port industriel et de l’aéroport, et dans la périphérie de l’agglomération. On assiste à une tertiarisation croissante de l’économie : en 2002, 70% de la population ac t ive de la région métropol i ta ine de Barcelone est employée dans le secteur des services. Ce pourcentage atteint 80% dans la ville de Barcelone, où l’industrie du tourisme se consolide depuis les Jeux olympiques de 1992 (ÀREA METROPOLITANA DE BARCELONA, 2003).

La capitale catalane n’échappe pas aux pressions de la mondialisation et de la compétitivité des régions métropolitaines. Dans ce cas, la métropole cherche à se

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tailler une place dans l’échiquier européen et mondial à travers l’attraction de foires internationales, le secteur des nouvelles technologies de l’information (par exemple, le projet 22@ qui vise la reconversion du Poblenou dans une pépinière d’entreprises basées sur l’économie du savoir) et l’industrie « créative » (notamment la mode et le design). Le tertiaire a besoin de nouvelles images, d’où le nouvel urbanisme à grand spectacle qui se traduit par l’implantation de tours et d’hôtels de luxe conçus par de grands architectes. Selon un courant critique, Barcelone est devenue une marque de commerce qui cache pourtant des déficiences en termes de compétitivité, notamment par rapport à Madrid (MUXÍ, 2004). En effet, tous les acteurs sont d’accord sur le besoin de renforcer l’économie barcelonaise notamment à travers la mise en place d’infrastructures incontournables te l les que le TGV et l’élargissement du port et de l’aéroport (qui continue malgré tout à offrir très peu de vols trans-océaniques). L’effort pour consolider l’activité portuaire s’est traduit par le projet de la zone du Delta du L lobregat, qui implique la déviation du fleuve et le gain des terrains sur la mer (ÀREA METROPOLITANA DE BARCELONA, 1995).

La ville duale

Pendant la transition vers le post-fordisme, la ville de Barcelone a perdu régulièrement des habitants au profit d’une périphérie de plus en plus étendue jusqu’à se stabiliser aux environs de 1,5 million d’habitants depuis 1996. Autour de Barcelone et en continuité

urbaine, 36 municipalités et trois millions d’habitants forment le cœur de la région métropolitaine, désormais composée de 165 communes et 4,5 millions de personnes. La diminution du nombre d’habitants dans le centre de l’agglomération s’opère malgré la nouvelle vague d’immigration, cette fois d’origine internationale. Entre 1996 et 2006, le nombre d’immigrants étrangers en Catalogne a été multiplié par six, la moitié se concentrent dans la ville de Barcelone, dont la population étrangère est passée de 2% à 16%9. En 2006, la moyenne d’âge des immigrants se situe autour de 30 ans, 42% proviennent de l’Amérique du Sud et 17% de l’Union européenne (25 pays membres)10. La ville duale (MOLLENKOPF, CASTELLS, 1991) est spécialement visible au cœur historique barcelonais. Des touristes et des résidents d’origine européenne profitent des innombrables cafés et magasins à la mode tandis que plusieurs immigrants non européens s’entassent dans des espaces dépossédés de conditions hygiéniques et sécuritaires acceptables. Il s’agit sans doute de l’un des défis majeurs de la ville en ce moment. En outre, la pression immobilière est d’autant plus forte qu’elle expulse la population jeune à l’extérieur de la ville et de la première couronne métropolitaine, en créant une occupation du sol très étalée. La section suivante traite de cette question.

9 Site Internet de la ville de Barcelone, consulté le 18 juillet 2006: http://www.bcn.es/estadistica/catala/dades/inf/pobest/pobest06/part1/t11.htm.

10 Site Internet de la ville de Barcelone, consulté le 18 juillet 2006: http://www.bcn.es/estadistica/catala/dades/inf/pobest/pobest06/part1/t21.htm.

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Quand la banlieue devient la ville centre

L’interdépendance métropolitaine

La ville de Barcelone est coincée entre deux fleuves, la mer et la montagne. Le manque d’espace disponible rend le sol barcelonais très cher : la décentralisation des activités économiques et de la population vers les municipalités périphériques est une constante depuis la f in des années 1970. Nous distinguons une première phase où la ville de Barcelone se vide au profit des municipalités voisines. À la différence de la fin du XIXe siècle et du début du XXe, période où plusieurs municipalités contiguës sont absorbées par la ville, la croissance de la périphérie se réalise sans impliquer des changements institutionnels. Comme nous le verrons plus loin, la formule choisie est la coopération inter municipale. À partir des années 1980, les ménages barcelonais se déplacent de plus en plus vers la deuxième couronne, formée d’un arc de sept villes moyennes. En outre, les municipalités de grande taille de la région perdent de la population en faveur des plus petites. L’offre de logements existante s’avère l’explication la plus plausible de cette dynamique puisque la relation qualité-prix est largement avantageuse loin des grands centres urbains (ÀREA METROPOLITANA DE BARCELONA, 1995).

Les nouvelles centralités

Ce mouvement entraîne plusieurs consé-quences. D’abord, la superficie urbanisée dans la région métropolitaine a doublé dans les derniers 25 ans. Ensuite, le nouveau type de construction favorise les maisons uni fa-

miliale ou les logements de basse densité, en accroissant l’étalement urbain. Un autre effet est le vieillissement de la population de la ville de Barcelone, malgré l’arrivée de nouveaux jeunes immigrants. Enfin, la mo-bilité intra et inter métropolitaine augmente chaque année et se fait de plus en plus par le transport privé. En 2001, dans l’ensemble de la région métropolitaine, 38% des dé-placements se font à pied, 36,5% par trans-port privé et 25,4% par transport public. Ces pourcentages changent selon la position de la municipalité d’origine; plus l’on s’éloigne du centre de la région, plus le déplacement se fait en transport privé (ÀREA METROPO-LITANA DE BARCELONA, 2003).

Cette dynamique a produit un changement des centralités. Les municipalités adjacentes à Barcelone ont été longtemps considérées comme des vil les-dortoirs et comme le dépotoir de la ville centre. En effet, plusieurs infrastructures ( incinérateurs, plantes de traitement de l’eau et de recyclage) ont été renvoyées vers la ceinture barcelonaise. Cependant, avec l’élargissement de la région métropolitaine, ces municipalités deviennent de plus en plus centrales. Parallèlement, dans les dernières années, elles ont bénéficié d’améliorations significatives en ce qui concerne les équipements publics et la qualité de l’aménagement urbain. Elles sont devenues de plus en plus peuplées (certaines dépassent désormais les 100 000 habitants) et perdent elles aussi des habitants en faveur de leurs périphéries. Nous observons qu’elles assument progressivement le discours de la ville centre. En effet, même si la ville de Barcelone continue à être le centre économique et politique de l’agglomération, nous constatons que la ville centre de la

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région métropolitaine s’étale dorénavant sur 36 municipalités en continuité urbaine, c’est-à-dire, Barcelone et la première couronne. Le jeu politico-institutionnel s’est complexifié, avec l’émergence d’autres pôles de légitimité politique territoriale, comme nous le traitons dans le point suivant.

La quête d’un gouvernement métropolitain

La politique métropolitaine : luttes et tensions

La métropolisation inst itutionnelle est structurellement confrontée à des rapports de forces politiques entre niveaux d’intervention. En 1979, lors des premières élec t ions municipales démocratiques après la dictature, la Corporació Metropolitana de Barcelona (CMB), institution existante depuis 1974, est renforcée. Couvrant 27 municipalités et dotée d’un Conseil Métropolitain, elle dispose d’importantes ressources économiques provenant des transferts des municipalités, et de compétences en matière d’urbanisme, de transports publics, de distribution et de traitement des eaux, de gestion des ordures ménagères. Dans les années 1980, la CMB augmente son budget grâce à des fonds autonomiques (en provenance de la Généralité catalane, en rapport avec le plan d’assainissement) et étatiques (par le Fonds National de Coopération Municipale). Les villes manquaient d’infrastructures et de services basiques fruit de l’absence de planification du régime dictatorial. Ainsi, la CMB exécute plusieurs plans d’aménagement urbain, par une délégation explicite de conseils municipaux encore marqués par la faiblesse de leurs capacités d’intervention publique (ARTAL, 2002).

L’existence, puis le renforcement de la CMB font émerger deux types distincts de problèmes politiques. En premier lieu, des tensions apparaissent entre les municipalités membres de la corporation à propos de la politique du maire de Barcelone, Pasqual MARAGALL, taxée d’hégémonique. Il s’agit en réalité d’un conflit entre les municipalités gouvernées par des majorités issues des partis communistes et celles, dont Barcelone, gouvernées par les socialistes. Mais l’épicentre des conflits politiques se situe très vite entre la ville de Barcelone (et plus généralement les intérêts politiques regroupés au sein de l’aire métropolitaine) et la nouvelle Généralité de Catalogne, inscrite sur une base “régionale”, qui hérite d’une capacité légale à faire et à défaire les nouveaux territoires. Celle-ci, gouvernée par une majorité nationaliste modérée de centre-droit (Convergence et Union), avec à sa tête Jordi PUJOL, voit, à travers un ensemble de municipalités de gauche, se constituer un pouvoir représentant plus de la moitié de la population catalane, et donc un important bloc susceptible de contrecarrer ses propres projets politiques. Selon une logique assez comparable à celle du Greater London Council, la Généralité a ainsi tiré de sa compétence sur l’organisation territoriale catalane le moyen de contrer cette tendance par le recours à une Loi d’Organisation Territoriale, en 1987 (NÉGRIER, TOMÀS, 2003). L’abolition de la CMB donne lieu à une fragmentation institutionnelle qui demeure encore en 2008.

Vers une simplification des structures ?

Telle qu’elle se présente aujourd’hui, la gestion métropolitaine de Barcelone est le fruit résiduel des institutions abrogées. L’Entité Métropolitaine des Transports et l’Entité Métropolitaine de l’Environnement (qui gère également

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les eaux et le traitement des déchets) sont les deux principales héritières de l’ancienne CMB. La première inclut 18 municipalités, la seconde 33. La plupart des compétences en matière d’urbanisme ont été transférées à la Généralité et, pour partie, aux municipalités. Parallèlement, les membres de la défunte CMB se sont regroupés, en grande partie, au sein d’une association volontaire (Mancomunitat de Municipis de l’Àrea Metropolitana de Barcelona), afin de maintenir des services communs et élaborer des projets conjoints de développement. Après une période d’adaptation, les trois institutions travaillent ensemble afin d’offrir une image commune de la trentaine des municipalités de la première couronne. Les trois organismes partagent le logo, le siège institutionnel et la gérance. Leurs assemblées se déroulent le même jour, l’une après l’autre, avec l’objectif de faciliter la connaissance et d’augmenter l’intérêt pour les enjeux métropolitains de la part des élus locaux. En même temps, les élus veulent maintenir la force de bloc de municipalités encore gouvernées majoritairement par les partis de gauche.

Progressivement, nous observons l’émergence d’un projet métropolitain qui est à la fois soutenu par ces municipalités et par la ville de Barcelone. Deux faits en témoignent. D’abord, l’élaboration d’un Plan stratégique qui dépasse les frontières municipales barcelonaises pour couvrir les 36 municipalités périphériques. Cet exercice permettant aux élus locaux et aux représentants des milieux d’affaires et de la société civile d’établir des consensus autour des objectifs du développement de la métropole qui inclut dorénavant une ville centre et une région métropolitaine élargie. Cela a suscité la réaction des villes de la deuxième couronne

métropolitaine, qui veulent être consultées pour la rédaction du Plan. Leurs élus réclament une association de la région métropolitaine qui correspond aux 165 municipalités et 4,5 millions d’habitants partageant un système de transport intégré, coordonné depuis 1997 par une autre agence : l’Autorité Métropolitaine de Transport (COLOMÉ, TOMÀS, 2002).

Ensuite, les élus des 36 municipalités, y compris le maire socialiste de Barcelone, Jordi HEREU, demandent depuis l’arrivée au pouvoir des socialistes à la Généralité en 2003 la simplification des structures moyennant la création d’un gouvernement métropolitain. Cette institution, toujours formée d’élus locaux, couvrirait les 36 municipalités et récupérerait les compétences en urbanisme perdues lors de la disparition de la CMB (ÀREA METROPOLITANA DE BARCELONA, 2006). Sous la présidence de l’ancien maire de Barcelone, a différé l’approbation de cette loi métropolitaine au profit de la réforme de la loi d’autonomie catalane. La priorité a été donc accordée à la question nationale, au dépit des élus locaux barcelonais.

Conclusion

Deux leçons peuvent être tirées de cette brève analyse de la question métropolitaine à Barcelone. D’une part, l’importance des projets tels que les expositions universelles ou les jeux olympiques pour surmonter les difficultés liées à la dynamique d’un jeu politico-institutionnel à plusieurs niveaux. Nous avons vu que la concordance des couleurs polit iques ne garantit pas le déblocage des décisions. Dans ce cas, la politique métropolitaine est subordonnée à la politique nationale. D’autre part, le décalage structurel entre le politique et la réalité. En

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effet, chaque effort d’institutionnalisation de la coopération métropolitaine se fait à Barcelone sur une base plus limitée que celle qui correspondrait, selon des statistiques liées au marché de l’emploi et à la mobilité, au territoire métropolitain. Ce qui nous amène à conclure que, loin des formulations théoriques et des modèles idéaux, les règles du jeu métropolitain dépendent largement de la volonté politique.

Bibliographie ÀREA METROPOLITANA DE BARCELONA, 1995, Dinàmiques metropolitanes a l’àrea i la regió de Barcelona, Barcelona : Mancomunitat de Municipis de l’Àrea Metropolitana de Barcelona. ÀREA METROPOLITANA DE BARCELONA, 2003, El territori metropolità de Barcelona. Dades bàsiques, evolució recent i perspectives, Barcelona : Mancomunitat de Municipis de l’Àrea Metropolitana de Barcelona. ÀREA METROPOLITANA DE BARCELONA, 2006, « Els alcaldes metropolitans signen un manifest reclamant el govern metropolità », Revista de l’Àrea Metropolitana de Barcelona, vol. 2, no. Avril 2006, p. 4- 5. ARTAL, F., 2002, « Articulació i desarticulació de la metrópoli, 1953-1988 », L’Avenç, vol. 272, no. p. 50-56. COLOMÉ, G. et M. TOMÀS, 2002, « La gobernabilidad metropolitana: el caso de Barcelona », Gestión y Análisis de Políticas Públicas, vol. 24, no. p. 141-146. MOLLENKOPF, J. et M. CASTELLS, 1991, Dual City: Restructuring New York, New York: Russel Sage Foundation. MUXÍ, Z., 2004, « Urbanisme, entre la submissió global i la rebel.lió local », Àmbits de Política i Societat, vol. 29, no. été 2004, p. 14-26.

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Une métropole inclassable

Beyrouth est une métropole atypique, « ville d’orient marquée par l’occident » (RUPPERT, 1999), son caractère hybride, à la fois ville sous-développée et hyper-moderne, arabe et européenne, la rend inclassable et empêche son cantonnement dans une catégorie bien déterminée. La guerre reste le prisme prédominant à partir duquel on a évalué - et on continue de le faire - le développement urbain dans la capitale libanaise durant les trois dernières décennies. Selon G. FAOUR « on ne saurait analyser l’urbanisation du Liban sans tenir compte de très forts mouvements de population pendant la guerre (1975-1990) et après » (FAOUR, HADDAD, 2005).

Ainsi le phénomène de métropolisation peut difficilement échapper à cette grille de lecture. Au moment où les autres métropoles méditerranéennes, tant de la rive nord que sud, s’inscrivaient chacune à sa manière dans le mouvement de mondialisation (paupérisation des centres-villes, suburbanisation, sortie des activités hors des limites municipales et éclatement des centralités), la capitale Beyrouthine connaissait une évolution sensiblement différente mais qui a fini par s’aligner, au lendemain de la guerre, sur le schéma de développement plus classique des autres métropoles.

BEYROUTH par Walid Bakhos

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1964 et 1996 (cartographie de la Syrie manquante). Unité locale : village. Découpage administratif : qadha

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De la ville bipolaire à la ville éclatée (1975-1990)

A Beyrouth, la guerre civile modifie de manière radicale les tendances de la croissance urbaine en accélérant certains phénomènes (étalement urbain, polycentrisme, exode rural) et en ralentissant sinon en freinant d’autres (ouverture de la ville vers l’extérieur, relation centre périphérie). Sa première victime est le centre historique qui fut transformé en un no man’s land, après sa destruction et son pillage par les différentes factions armées. Ce centre dévasté devient également le point de départ d’une ligne de démarcation coupant la ville et ses banlieues en deux : une partie Est et une partie Ouest. Pendant près de quinze ans les anciens quartiers centraux deviennent les limites ultimes des deux villes (TABET, 1991). Les activités, fuyant les zones de combats, se redéploient dans les banlieues reconstituées en micro-territoires communautaires. À l’intérieur de ces territoires de nouvelles centralités autonomes sont créées, déconnectées les unes des autres. La guerre affecte également le rapport de la ville à la mer. Les équipements touristiques le long des plages sud de Beyrouth ainsi que sur la Corniche, le boulevard maritime ceinturant la façade ouest de la ville, sont squattés par les populations chiites déplacées du Liban-Sud et des quartiers est de la ville, tombés sous le contrôle des milices chrétiennes. A l’est du port de Beyrouth, les industries, profitant d’un zonage favorable et d’une sécurité relative, s’installent massivement en érigeant un mur quasi hermétique entre les quartiers résidentiels riverains et la mer. Plus au nord, des centres balnéaires, de véritables forteresses en béton pour classes fortunées, empiètent sur le domaine public maritime et renforcent la coupure avec la mer.

La reconstruction (1990-1998) : une métropolisation négociée

A la fin de la guerre, Beyrouth est réunifiée et les déplacements est-ouest reprennent timidement. La reconstruction des infrastructures et la réhabilitation des entrées de la ville, profitent à la ville-centre qui voit à nouveau converger vers elle, activités et population. Un retour à une logique centre-périphérie se fait au détriment des centralités nées pendant la guerre. Celles-ci ne disparaissent pas pour autant mais intègrent le « réseau en archipels » en constitution. Le redéploiement du commerce de détail et de la grande distribution est un premier indicateur de cette nouvelle configuration spatiale. Des grandes surfaces et des shoppings malls s’implantent en relation avec les nouveaux déplacements intra et inter-urbains et reflètent à la fois le regain de vitalité des zones centrales ainsi que la consolidation du système polycentrique (BAKHOS, 1999). La reconstruction a aussi pour effet de dynamiser encore plus le mouvement de suburbanisation. L’urbanisation annuelle passe, entre 1994 et 1998, à 9.4% dans l’ensemble de l’agglomération, voire à 22% dans certaines régions périphériques au nord, jusqu’alors épargnées par la pression urbaine (FAOUR, HADDAD et al., 2005).

La « fonciérisation » de l’économie beyrouthine

Le secteur tertiaire a longtemps dominé les autres secteurs productifs de l’économie libanaise, et ceci pour des raisons tant historiques que géopolitiques en rapport avec la position stratégique de Beyrouth et de son port au Proche-Orient et sur le bassin est de la méditerranée. L’économie libérale libanaise a profité de l’afflux massif, dès les années

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1950, des capitaux arabes fuyant les vagues de nationalisations dans les pays voisins, comme l’Égypte, la Syrie ou l’Irak, après leur basculement dans le bloc socialiste. Cette économie a également profité des capitaux de la bourgeoisie palestinienne qui s’est réfugiée au Liban dès 1948. A cela, il faut ajouter l’afflux de capitaux de la diaspora libanaise qui se présente essentiellement sous forme de remises et de rentes foncières vers le Liban.

La guerre civile a renforcé encore plus l’économie de rente foncière et sa dépendance vis à vis des capitaux extérieurs. Elle a également fragilisé les secteurs productifs, comme l’agriculture et l’industrie ainsi que les secteurs tertiaires autres que le BTP. Les choix de reconstruction ont poursuivi la tendance amorcée pendant la guerre. Une reconstruction, qui pour C. NAHAS, fut « marquée par une caractéristique majeure qui, à défaut de lui donner une logique d’ensemble en constitue un fil directeur, la fonciérisation. » (NAHAS, 2000).

Face à la frilosité des investisseurs étrangers réticents à s’aventurer dans un pays encore instable, les premiers gouvernements de l’après-guerre ont dû se focaliser sur les capitaux internes, placés dans les banques libanaises, et, à une moindre mesure sur des prêts bonifiés et des dons en provenance des Pays du Golfe. En conséquence, c’est essentiellement les dépôts libanais qui vont renflouer les caisses de l’État et ravitailler directement la reconstruction du pays et de sa capitale Beyrouth.

La logique inflationniste de la politique des gouvernements qui se sont succédés, basée sur le recours aux emprunts internes (émission d’obligations), et alourdie par le financement de la reconstruction, a connu un premier, et

dur, revers avec l’arrêt du processus de paix et le regain de tensions au Proche-Orient. Malgré d’incontestables réussites, cette politique se solde par une dette publique de l’ordre de 40 milliards de dollars U.S.

En termes spatiaux, la relance économique et la reconstruction physique provoquent une inflation immobilière à l’intérieur et autour de Beyrouth. L’offre en logements inonde le marché Beyrouthin. Dans les montagnes surplombant Beyrouth, les complexes résidentiels « de luxe » côtoient les centres touristiques et autres country clubs qui ne trouvent pas toujours d’acquéreurs ou d’adhérents. Dans ces conditions la bulle spéculative finit par exploser, et le Liban connaît dès 1996 sa première véritable crise immobilière. Le secteur du BTP doit sa survie dans cette période aux investissements du secteur public en matière d’infrastructures routières et de grands projets, Il faut attendre les effets du surplus pétrolier sur les pays du Golfe à partir 2003 pour revoir, à travers les investissements immobiliers et fonciers des capitaux arabes, un regain de dynamisme dans les marchés foncier et immobilier de la métropole.

Un positionnement régional entre concurrence et complémentarité

La stabilité politique et économique de Beyrouth, est intimement liée à celle du Proche-Orient. Une fois de plus, la guerre de juillet entre Israël et le Hezbollah sur le sol libanais est venue rappeler cette réalité incontournable. Pourtant jusqu’à tout récemment, Beyrouth avait réussi à tirer, de justesse, son épingle du jeu : depuis les événements de septembre 2001, les touristes des pays du golfe étaient en augmentation constante et avaient constitué une part importante des 3,2 millions de passagers annuels enregistrés en

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2004 à l’aéroport international de Beyrouth. Cet engouement renouvelé de la part des arabes du Golfe ne s’était pas uniquement limité aux seuls avantages touristiques du pays (douceur du climat, paysages, vie nocturne et « permissivité ») mais se manifestait également par des investissements importants dans des équipements hôteliers (dans et autour du centre-ville) et ainsi qu’à travers l’acquisition de biens fonciers et immobiliers dans les collines du Mont-Liban surplombant la capitale. (LE COMMERCE DU LEVANT, 2006).

Toujours est- il que Beyrouth, faute de reconquérir sa place des années 1950-60, semblait avoir trouvé un positionnement intermédiaire par rapport à d’autres métropoles régionales, notamment Dubaï, avec laquelle une complémentarité se profile : Beyrouth la ville culturelle et nocturne et Dubaï la ville technologique et diurne (HUYBRECHTS, 2002). On retrouve également cette complémentarité au niveau des chaînes de télévisions satellites arabes, ainsi que des agences de production audio-visuelle et de publicité. En matière de télévision, Beyrouth, à travers la LBC, et la Future-tv, se spécialise dans les émissions de variétés et les adaptations des émissions de télé-réalité (Star Academy, Survivor et autres ersatz d’American Idol) et Dubaï, avec Al-Arabia, et avec Al-Jazira, se spécialise dans l’info de masse. Dans le domaine publicitaire, Beyrouth, qui constitue encore un vivier important de « créatifs » pour l’ensemble de la région, a pris en charge le marché levantin (Liban, Syrie, Jordanie) ainsi qu’une grande partie des aspects liés à la production et post-production audio-visuelles (tournage, montage, mixage) au niveau de l’ensemble des pays arabes. De son côté, Dubaï, où siégent les agences régionales, couvre le marché des pays du Golfe (VIGNAL, 2003).

Logiques et dynamiques sociales

De manière générale, les habitants de l’aire urbaine de Beyrouth bénéficient d’une situation économique supérieure à ceux du reste du Liban. Cette situation se traduit par un meilleur accès aux services urbains, un plus haut taux d’alphabétisation et une meilleure qualité de vie.

Cependant, des inégalités se creusent au sein même de la métropole, entre le centre-ville et les zones péri-centrales d’une part, et entre banlieues elles-mêmes, d’autre part. Encore une fois, l’impact de la guerre civile, en terme de déplacements de population et de paupérisation de certains quartiers, est essentiel pour comprendre la composition actuelle de la société métropolitaine (DEBIÉ, DANUTA, 2003).

La reconstruction a également eu un effet considérable, puisqu’en réhabilitant certains quartiers, notamment les quartiers centraux abandonnés pendant la guerre, elle a permis leur réappropriation par une population plus aisée. À l’ombre de ces quartiers, la fameuse « ceinture de misère » dénoncée à la veille de la guerre civile semble se constituer à nouveau. À l’heure actuelle, ces quartiers informels accueillent à nouveau une main-d’œuvre, syrienne, kurde, éthiopienne et est-asiatique, sous-exploitée dans les secteurs de la construction et des services à domicile.

En définitive la situation est tellement contrastée qu’elle peut paraître caricaturale : une très grande polarisation se creuse entre une population nantie, de taille de plus en plus réduite, se déplaçant librement entre les centres commerciaux, les clubs de loisirs, les plages aménagées et les immeubles de luxe et une population exclue de

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la modernité et peu mobile, à la fois socialement et géographiquement, qui se réfugie dans les seules espaces qui lui sont encore alloués : plages « populaires », friches urbaines, infrastructures en construction et souks du dimanche. Par moment, la mondialisation à Beyrouth paraît sous son visage le plus inhumain rappelant en plusieurs point le Los Angeles de M. DAVIS.

Le nouveau centre-ville au cœur du dispositif métropolitain

La métropolisation de Beyrouth, amorcée pendant la guerre par l’éclatement de la centralité historique a été renforcée par la Reconstruction, à travers une série de projets ayant pour rôle de reconquérir la place économique de Beyrouth aux échelles proche-orientale et mondiale.

Le centre-ville de Beyrouth devient le plus vaste chantier de la Méditerranée (4,69 millions de mètres carrés de surface de planchers), s’apprêtant à accueillir le nouveau centre d’affaires à vocation mondiale. Un montage particulier donne naissance en 1992 à SOLIDERE, une société foncière privée, détenue en moitié par les anciens ayants droits du centre-ville et le reste par des actionnaires privés. Ce montage juridique, économique et urbanistique est loin de faire l’unanimité, certains l’accusant d’opérer une mainmise illégale sur le centre historique, qui, pour les besoins de l’opération a dû être détruit à 80%. D’autres projets urbains sont également en préparation mais buttent sur des obstacles politiques, comme le projet Elissar dans la banlieue-sud sur une superficie de 560 ha, ou financiers, comme le projet Linord dans la banlieue-nord (340 ha).

La reconstruction du centre-ville est placée au cœur du dispositif métropolitain de Beyrouth qui

comprenait une série de grands travaux ayant pour but la reconquête du rôle prépondérant d’avant-guerre. Parmi ces travaux on peut citer :

la modernisation du port de Beyrouth ; - la rénovation et l’agrandissement de l’aéroport -de Beyrouth, pour accueillir 6 millions de passagers annuels ; l’amélioration des entrées principales de la -capitale et de son centre.

Le centre-ville de Beyrouth traverse la deuxième moitié des années 1990 avec beaucoup de difficultés, et voit les actions de SOLIDERE chuter de 60% pour atteindre les 4 $. Mais depuis le début 2005, la tendance est inversée, les actions enregistrant une hausse vertigineuse de 117, 89 %. Début 2006, ces actions atteignent les 26$. Parallèlement, les ventes de terrains, principalement à des investisseurs arabes des pays du Golfe, ont enregistré entre 2004 et 2005 une augmentation de 49,3% pour totaliser 253 millions de dollars US, soit un record de vente annuelle depuis la création de la société privée. Juste avant les événements de juillet, l’année 2006, s’annonçait comme une année encore plus exceptionnelle avec un bilan de ventes de 1,1 milliards de dollars, enregistré à la fin du premier trimestre, soit cinq fois plus que le total des ventes de 2005 (SOLIDERE, 2006).

La montée en flèche des actions SOLIDERE est surtout un indicateur de l’intérêt renouvelé des investisseurs arabes pour Beyrouth en général et pour le centre-ville en particulier. Si l’engouement des ressortissants arabes pour le Liban n’est pas nouveau, il revêt actuellement une envergure plus importante avec l’entrée en jeu de groupes immobiliers puissants, comme DAMAC properties, firme basée à Dubai, et ADIH (Abu Dabi Investment House). De son

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côté, le modèle SOLIDERE s’exporte tout aussi bien dans les autres pays de la région : Saudi-Oger, une des filiales du groupe Oger, propriété de feu Rafic HARRIRI, vient d’acquérir 50% des parts du projet Al- Abdili à Amman, avec pour objectif de recréer une opération similaire à SOLIDERE avec la même équipe d’urbanistes (SUMMER, 2006).

En terme de fonctions, le centre-ville se spécialise volontairement dans le résidentiel de luxe en s’adaptant à la demande de la bourgeoisie des pays du golfe. Les fonctions hôtelières et touristiques viennent en accompagnement, mais les bureaux et les fonctions de services manquent visiblement pour l’instant, signe de l’intérêt limité que représente Beyrouth pour les multinationales en tant que centre d’affaires. A l’arrivée cette situation paradoxale ne peut que montrer les limites du projet métropolitain qui se met en place.

En matière de gouvernance, le paysage métropolitain de Beyrouth est très éclaté. Depuis l’identification, en 1986, d’un échelon métropolitain par le schéma directeur de la région métropolitaine de Beyrouth, peu a été fait pour le doter d’une instance propre. Dans un contexte libanais de centralisation forte, les municipalités qui constituent le territoire métropolitain ont une emprise réduite sur leurs territoires propres et éprouvent des difficultés à élaborer un projet commun du fait des réflexes de replis confessionnels hérités des années de guerre.

Dans ce contexte, l’État central est l’acteur métropolitain le plus présent, à travers son Conseil pour le Développement et la Reconstruction, sorte de super-ministère répondant directement du Premier ministre.

C’est à travers le CDR que sont dirigés la plupart des investissements en matière d’infrastructures et d’équipements dans, et autour de la capitale, dont ceux signalés plus haut. En matière de transports, et malgré des études ambitieuses comme le Plan de Transport de 1994, le CDR a opté pour le renforcement du réseau autoroutier au détriment des transports collectifs, lourds ou légers. A l’heure actuelle, où le réseau routier semble, arriver à nouveau à saturation quelques années seulement après sa modernisation et son élargissement, les scénarios non retenus de transports collectifs ressemblent de plus en plus à des occasions manquées. (BELLIOT, AWADA, HUYBRECHTS, 2006).

Conclusion

Les événements douloureux de juillet 2006 appellent à une réévaluation de certains des constats relevés plus haut. A la sortie d’une guerre fulgurante mais dévastatrice et dans un contexte de paix incertaine et précaire, il est trop prématuré de faire un bilan « à froid » de la situation ou de proposer des pistes vraisemblables de réflexion. Toutefois, la réalité semble encore une fois nous rappeler que Beyrouth est condamnée à s’enfermer dans une logique propre de guerre/reconstruction qui l’empêche de rejoindre pleinement les autres métropoles méditerranéennes.

Bibliographie BAKHOS W., 1999, « Les nouvelles centralités commerciales de l’agglomération Beyrouthine », HUYBRECHTS E. (dir.), IUA, Université de Balamand : 162 p. Mémoire de DESS en Urbanisme.

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Logiques et dynamiques spatiales

Comprendre une ville dans sa complexité est toujours difficile, surtout si la ville est très ancienne, secrète et repliée sur son patrimoine.

Pour y arriver, il faut tenir compte des différentes approches et disciplines qui l’ont observée et analysée. Mais cela exige de faire preuve de souplesse, être prêt aux surprises et aux détours, accepter la possibilité de se perdre dans la géographie des lieux comme dans celle des rêves, des mémoires et des passions. A celui qui arrive par l’ouest, Gênes peut paraître un monstre en fer rouillé, un amas de ferraille, une épave de la mourante époque industrielle. Mais si on arrive

par l’est, Gênes est gaie comme un village de vacances à l’allure distinguée. Si on pénètre dans le cœur obscur de la partie moyenâgeuse, le lustre des éclats des monuments, des édicules votifs, des architraves en marbre ou en ardoise, en se mélangeant aux couleurs de la foule des robes et des visages étrangers et étranges, on touche alors au charme parfois sulfureux de la Méditerranée. Au nord du centre historique, les quartiers du 19e siècle révèlent la puissance et la dignité bourgeoise.

Quant aux banlieues génoises, elles seraient pareilles à toutes les banlieues des villes d’Europe, s’il n’y avait pas la mer qui rayonne, même si on la regarde à travers les fenêtres d’un bâtiment hideux.

GÊNES par Antida Gazzola

Carte : François Moriconi-Ebrard, d’après les recensements de 1991 et 2001. Unités locales : commune. Découpage administratif : région

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La ville, comme la poésie, est une réalité à travers laquelle on peut faire un trajet personnel et universel, un voyage chaque fois différent et nouveau. Cela dit, Gênes a des particularités morphologiques évidentes.

La zone urbanisée se développe en forme de P grec renversé, dans les deux vallées de Polcevera et Bisagno tout au long des trente-trois kilomètres de côte. Pour des raisons liées à la morphologie de la région et aux choix urbanistiques de la fin du 19e siècle, les industries (surtout les industries «lourdes» de l’acier et les raffineries de pétrole) et les quartiers ouvriers se sont implantés à l’ouest de la ville, à la fois, sur la côte et dans la vallée du torrent Polcevera ; dans la vallée du torrent Bisagno, ont pris place tous les services «gênants» (cimetière, incinérateur d’ordures, abattoir). À l’est, la côte accueillait les quartiers résidentiels et, dans le centre ville se trouvaient les sièges du pouvoir et du secteur tertiaire.

Le centre historique – devenu, pour une grande partie depuis 1990, le pivot de la régénération urbaine – fut abandonné par l’aristocratie et la bourgeoisie et glissa vers une dégradation physique et sociale.

En 1926 – à la suite d’une loi du gouvernement fasciste qui avait complété un processus d’élargissement urbain commencé en 1876 – la ville fût transformée en métropole (Grande Gênes) avec l’annexion de quelques communes à l’est et, surtout, à l’ouest de Gênes. Les habitants n’ont jamais accepté complètement cette situation. En particulier, à l’ouest, ils ont continué à se présenter en se référant aux vieux villages (Voltri, Prà, Pegli, Sestri, Ponente, Rivarolo, Bolzaneto, Cornigliano, Sampierdarena…). Ils disent, par exemple, “sono di Voltri” (j’habite

Voltri) plutôt que “sono di Genova” (j’habite Gênes) et “vado a Genova” (je vais à Gênes) au lieu de “vado in centro” (je vais dans le centre-ville). Les nombreux immigrés du sud de l’Italie qui, dans les années soixante et soixante-dix se sont installés dans ces quartiers, ont repris ces expressions et continuent eux aussi, aujourd’hui encore, à les utiliser couramment sans même en connaître l’origine. (GAZZOLA, 2001).

Gênes est, donc, une ville multiple. La particularité du site - une ville située entre mer et montagnes tout en étant disséminée sur un territoire collinaire à l’instar de Naples ou San Francisco - impose une vision partielle, une mobilité aventureuse et une utilisation persévérante. Ce caractère multiple est confirmé par le polycentrisme historique et par l’actuelle décentralisation administrative qui font de Gênes une fédération de centres avec différents degrés d’autonomie, d’images et de fonctions. La ville, qui connaît un afflux continu, même s’il s’est ralenti, de populations, n’explose pas, ne se diffuse pas, mais plutôt implose en construisant des oxymorons urbains dans lesquels chaque phénomène est rendu intelligible seulement par le rapport qu’il entretient avec sa propre contradiction (GAZZOLA, 2003).

C’est le cas des « centralités périphériques », des « centres décentralisés » dans les anciens villages forcés d’entrer dans la « Grande Gênes », de la « décentralisation centralisée » (faite à partir du centre administratif et politique), mais aussi des « absences présentes » (comme c’est le cas du Château Raggio, détruit en 1950 et encore présent dans l’imaginaire populaire), du « passé nouveau » (les zones urbaines et les bâtiments anciens, qui, restaurés et affectés à des usages contemporains, paraissent surprenants),

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jusqu’à l’aspiration à une « solide légèreté » qui n’est pas seulement la légèreté de projets architecturaux et urbanistiques souhaités par Renzo PIANO. Cette légèreté, c’est aussi la diversification et la flexibilité économique, l’utilisation et la production de nouvelles technologies durables ainsi que le pragmatisme des stratégies.

Avec son port, la ville de Gênes a toujours eu des rapports complexes. Mais elle a toujours fait du port une force économique, sociale et symbolique. Toutefois, pendant au moins trois décennies – des années 1970 aux années 1990 – le port a vu son rôle diminuer en tant que structure spécialisée dans les trafics maritimes, en tant que lieu de travail et en tant que milieu socio-économique protégé. Les raisons de ce déclin résultent, entre autres, de la baisse du trafic maritime liée à la conjoncture nationale et internationale, de l’affaiblissement, au cours du 20e siècle, des capitaux et de la gestion publique, de la présence des structures institutionnelles, de l’obsolescence de l’organisation et de la gestion du travail, de l’incapacité d’un noyau d’opérateurs à prendre des risques et innover, de la carence chronique des investissements concernant les infrastructures portuaires et extra-portuaires. (CARMINATI, GAZZOLA, 1992). A partir de la moitié des années 1980, un double processus a eu lieu : la construction d’un nouveau port à Voltri (implanté dans la partie ouest de la ville) et le ré-aménagement du vieux port et du front de mer du centre ville.

Le projet de réaménagement du port historique (PIANO quadro) fut confié à l’architecte Renzo PIANO et la partie du port ayant bénéficié des premiers changements devint, pour tout le monde, un lieu-dit : «l’Expo ».

C’est à partir de 1992, avec l’Exposition « Colombo », que le port historique a repris du service, tout d’abord pour y accueillir les manifestations pour la célébration du 500ème anniversaire de la découverte de l’Amérique) et, ensuite, pour créer un «parc portuaire» doté de services urbains (bibliothèque, complexes multisalles, activités commerciales..) et touristiques (aquarium, cité des enfants, musées...).

Un des effets du réaménagement a été un changement des activités et de l’image du port ainsi qu’un changement symbolique important d’un espace conquis par la ville.

Malgré tout, Gênes reste une ville difficile à parcourir, puisqu’elle est composée de différentes parties qui ne communiquent pas entre elles en raison de la morphologie du site et du développement urbain. C’est ce qui explique que l’utilisation de la voiture et, encore plus, des scooters, est assez courante, particulièrement le soir. En effet, les transports publics font l’objet de nombreuses critiques de la part des habitants : prix plutôt élevé des billets, longueur des parcours, horaires inadaptés aux besoins, durée excessive du temps d’attente, dessertes mal étudiées qui obligent à de fréquents changements, encombrements, etc. Initialement les trains échappaient à ces critiques. Ils étaient beaucoup utilisés, en particulier ceux de la ligne côtière. Mais, récemment, la situation de chemins de fer italiens et régionaux est devenue très problématique à cause de la dégradation des matériels, des retards et du manque de propreté. Les personnes qui vivent et travaillent dans le même quartier préfèrent, très souvent, se déplacer à pied. En général, la durée moyenne des déplacements résidence/travail est plutôt limitée : 20 minutes environ pour chaque

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parcours (donc plus ou moins 40 minutes par jour) (GAZZOLA, 2001), avec un minimum de temps pour les personnes qui résident et travaillent au centre ville et un maximum pour celles qui habitent en banlieue, surtout dans les parties situées à l’ouest ou au nord-ouest de la ville. Il faut constater que la durée du trajet entre la limite ouest de la ville (Voltri) et la limite est (Nervi) peut varier d’une demi-heure à une heure et demie selon le moment de la journée, la densité de la circulation et le moyen de transport choisi.

Logiques et dynamiques économiques

La transition d’une ville « industrielle » à une ville « post-industrielle » est toujours un phénomène complexe. Dans le cas de Gênes, qui a connu une industrialisation précoce, cette transition a précédé celle des autres villes industrielles italiennes. Elle a engendré des situations économiques nouvelles. Parmi celles-ci peuvent être relevées la fragmentation de l’occupation industrielle avec le succès de la petite entreprise (microimpresa) et une reconquête de l’occupation dans la partie centrale dont la rénovation a fait du port marchand le moteur économique de la ville.

Les données du recensement le plus récent des industries et des services montrent que le processus de fragmentation des industries est plus intense à Gênes que dans les autres villes italiennes. Le secteur tertiaire prend une place croissante et l’industrie « lourde » est remplacée de plus en plus par une industrie de haute technologie. Le nombre de création d’entreprises l’emporte sur celui des fermetures. Entre les années 1980 et les années 2000, le taux de chômage s’est abaissé de 12,7% à presque 6%.

Le déplacement du port à Voltri et Prà a libéré des zones côtières centrales. Cela a permis la construction d’un port de transport passagers et de plaisance aux fonctions, usages et emplois complètement nouveaux.

Dans l e même temps , un des l i eux emblématiques de l’industrialisation, la Vallée Polcevera, a fait l’objet d’une réorganisation profonde : des industries propres (non ou moins polluantes) et des sociétés commerciales remplacent la sidérurgie et les raffineries. À Campi un terrain de 20 hectares, occupé dans le passé par « Italsider », est devenu le siège de plusieurs commerces et activités. À San Biagio, à la moitié de la vallée du Polcevera, un quartier résidentiel a été bâti autour d’un centre commercial (L’aquilone – Coop-Liguria). À Bolzaneto, a été implanté le nouveau marché général de fruits et légumes.

La ligne côtière commence, elle aussi, à être « libérée » des installations industrielles : à l’ouest dans le grand complexe de « La fiumara » (17 hectares, occupés, au cours du 19e siècle, par les industries Ansaldo) quatre tours de logements (25 000 m2), des immeubles de bureaux (36 000m2), un multiplex (14 salles de cinéma), un parc de 2,5 hectares, un parking de 300 places et différents établissements pour les activités sportives et les spectacles (Mazdapalace) ont trouvé place.

Le front de mer du centre ville est devenu entièrement piétonnier après le déplacement des parkings, la modification de la circulation des véhicules de la place Cavour au marché aux poissons (où l’agrandissement de la rue est prévu) et la suppression des barrières physiques (les grilles) qui représentaient un

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obstacle pour accéder directement à la mer à partir des places Cavour et Caricamento. La place Caricamento, nœud central pour la liaison entre le front de mer et le centre historique, a aussi été débarrassée des parkings. Elle retrouve ainsi aujourd’hui son rôle de place pour être, comme l’architecte Renzo PIANO l’avait prévu, un lieu d’accueil des marchés et des manifestations locales.

Dans le cadre des financements des « grands événements » (dont le dernier a été le G8 en juillet 2002) que peut accueillir le centre historique, le réaménagement de la rue San Lorenzo revêt une grande importance. D’une part, elle a été rendue entièrement piétonnière ce qui en fait le nouvel axe de liaison entre le port et la ville et, d’autre part, le ravalement des façades des immeubles ayant vue sur la rue a fait l’objet, pour la première fois, d’une politique de concertation avec les propriétaires particuliers. Pour encourager le ravalement des façades, la Région a affecté, à fonds perdus, une somme de 2 milliards de lires représentant 45% du coût total de l’intervention. De nombreux autres espaces sont devenus piétonniers en même temps que se développaient les centres commerciaux intégrés à la rue (C.I.V.).

Logiques et dynamiques sociales

Après la seconde guerre mondiale, l’époque de la reconstruction a permis d’intensifier l’édification des “case popolari” (maisons du parc immobilier de l’administration à loyer très modéré). La plus grande partie de ces maisons fut bâtie dans la partie ouest de la ville. Au début des années 1960, c’est dans cette partie de la ville que furent choisies les zones à urbaniser en application de la loi 167/62.

Cette urbanisation a eu des conséquences assez différentes selon la situation préexistante. Dans la vallée du torrent Polcevera, où il y avait une tradition de présence ouvrière, s’étaient développées les sociétés d’assistance mutuelle (la plus curieuse s’appellait “Amboisessi” – “Les deux sexes” – en hommage aux ouvrières). Il en est résulté un contrôle social, à la fois, spontané et efficace qui a facilité la construction de nouvelles habitations et l’intégration de nouvelles populations et a rendu, dans un premier temps, cette urbanisation relativement peu problématique.

À l’inverse, dans d’autres quartiers, comme Pra, plus fragile du point de vue social et géomorphologique, l’édification de nouveaux grands ensembles provoqua de nombreux bouleversements.

Dans les années 1970 et 1980, le besoin croissant d’habitations lié à l’augmentation de la population (Gênes atteignit son maximum d’expansion démographique au début des années 1980, avec quelques 800 000 habitants) et l’augmentation des expulsions dues à une loi nationale qui libéralisait – en grande partie – les contrats de location, a conduit l’administration communale à construire de nombreux logements en utilisant les possibilités offertes par la loi 167/62 (concernant l’expropriation de terrains à bâtir) et les financements provenant de l’État et de la Région.

En très peu de temps, neuf grands ensembles (Voltri, Cà Nuova, Pegli 3, Pian di Forno- Sestri Ponente, Borzoli, Begato, Granarolo, S. Eusebio, et, plus tard, Quarto Alto) PdZ (Piani di Zona, ce qui correspond plus ou moins aux ZUP françaises) sont édifiés. Les six premiers sont situés dans la zone ouest de la ville. Rapidement

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des problèmes sociaux et fonctionnels aigus apparaissent.

Après la révolution industr ie l le et ses bouleversements économiques, sociaux et urbanistiques puis, surtout, après la période de la re-industrialisation de l’après-guerre avec ses grandes vagues migratoires du sud vers le nord, Gênes devint une «ville divisée». Ce constat est le titre d’une analyse sociologique très connue, rédigée par Luciano CAVALLI en 1965, parce que les quartiers étaient alors occupés par des habitants appartenant à une classe socio-économique homogène. Cette homogénéité était visible dans les types architecturaux, le niveau d’entretien des bâtiments, le type des voitures garées dans les rues, la présence ou l’absence de linge étalé sur les façades. L’adresse définissait le statut social.

En 1988, un autre sociologue, Paolo ARVATI, soulignait la fin de la «ville divisée», au plan social et prévoyait une évolution rapide de la ville vers une «modernisation» de l’industrie, de la gestion administrative et de l’utilisation des ressources économiques et environnementales. Il envisageait des contradictions fondamentales sur deux points : le choix, nécessaire et difficile, entre dynamisme et conservation et l’émergence de groupes marginaux ou «faibles» toujours plus importants. Aujourd’hui, à la fin du 20e siècle, Gênes a évolué en matière d’enjeux économiques, de gestion des ressources et, peut-être aussi, de perspectives même si les anciennes divisions dans l’habitat et dans l’utilisation des espaces subsistent en partie et que d’autres se sont ajoutées avec l’arrivée des immigrés extra-communautaires. La présence des immigrés reste, toutefois,

modeste (estimée par les services communaux à 5 % de la population actuelle, soit 30 000 personnes sur 605 000 habitants).

Logiques et dynamiques politiques

Comme l’a dit Bernardo SECCHI (2004) « Il est certainement plus facile d’être optimiste à Gênes qu’ailleurs. Ici, depuis quelques années, une ville se donne un projet politique aux effets, à la fois, économiques, sociaux et urbains… ». Au cours des quinze dernières années, les efforts et les ressources publiques ont cherché à donner à la ville de nouveaux atouts, une nouvelle image en termes de marketing urbain en s’appuyant sur son patrimoine et ses héritages historiques pour relancer le présent. Les trois axes principaux du changement ont été le déplacement et la relance du port à Voltri ainsi que la transformation du front de mer ; la transformation industrielle et le développement du secteur tertiaire qui a aussi trouvé de nouveaux espaces avec la reconversion de friches industrielles et, le « dévoilement » - selon l’expression de l’adjoint du maire à l’urbanisme, Bruno GABRIELLi – des valeurs architecturales, historiques et paysagères de la ville, point de départ pour le développement d’un tourisme de qualité et aussi d’un renforcement de l’identité urbaine.

Au plan administratif, un des problèmes à résoudre, dans une ville polycentrique comme Gênes, est l’équilibre à trouver entre centre et banlieues, entre centre de la « Grande Gênes » et les centres décentralisés, entre distribution et optimisation (centralisée) des services.

Gênes est encore à la recherche d’une dimension métropolitaine satisfaisante où

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peuvent se conjuguer les envies et le besoin d’autonomie locale et une gestion unitaire des ressources. Gênes est considérée, en Italie comme ailleurs, comme un cas emblématique d’une ville traversée par des modifications profondes. Il est indéniable que la ville serait méconnaissable pour quelqu’un qui l’a connue il y a vingt ans. Mais il faut quand même souligner que si la ville physique et économique est en train de trouver son équilibre dans la compétition internationale et la mondialisation, la ville des gens cherche à défendre le temps de la vie quotidienne, les lieux avec lesquels ils s’identifient et la dimension locale dans le futur de leur métropole.

Bibliographie GAZZOLA A., 2001a, La banlieue ouest de Gênes : dénominations officielles et officieuses, in H. Rivière d’Arc (sous la direction de), Nommer les nouveaux territoires urbains, Editions UNESCO, Paris. GAZZOLA A. (sous la direction de), 2001b, La città e i suoi tempi, Franco Angeli Editore, Milano. GAZZOLA A., 2003, Trasformazioni urbane. Società e spazi di Genova, Liguori Editore, Napoli. CARMINATI M., Gazzola A., 1992, Gênes et son port : des rapports ambigus, J.L. Bonillo, A. Donzel, M. Fabre (sous la direction de), Métropoles portuaires en Europe, Editions Parenthès, Marseille. GRECO A., Valutazione di Impatto Socio-Economico : Il caso della riconversione del Porto Storico di Genova, Thèse de fin d’études soutenue auprès de la Faculté d’Architecture de Gênes sous la direction de Antida Gazzola, Octobre 2001. ECCHI B., 2004, La leçon de Gênes, Masboungi

A. (sous la direction de), Penser la ville par les grands événements, Editions de la Villette, Paris.

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Dans un pays qui compte au début 2008 plus de 70 millions d’habitants officiellement enregistrés, la part représentée par l’aire urbaine d’Istanbul (au moins 12,5 millions d’habitants11) a considérablement augmenté depuis le début des années 1980, période à laquelle celle-ci concentrait moins de 4 millions d’habitants. S’il n’y a pas une seule “ville-centre” à Istanbul, l’agglomération étant dès l’origine éclatée, on peut dire que les centres anciens ne représentent désormais même pas 8% de la superficie de l’aire urbaine (qui dépasse les 5 000 km2), ni plus de 10% de la population totale.

Par ailleurs, malgré l’aggravation des clivages sociaux et l’acuité de la pauvreté urbaine, le département d’Istanbul compte parmi les plus riches du pays en terme de revenu par habitant. L’aire urbaine, frappée par un fort chômage que le poids des activités non déclarées, omniprésentes, ne fait que confirmer, vit une transformation de sa base économique, les activités de production étant de plus en plus externalisées, alors que l’économie des services sous toutes ses formes avec le tourisme, tout spécialement, tend à prendre une place croissante.

ISTANBUL par Jean-François Pérouse

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après le recensement de 2000. Unités locales : sehir (ville) et köy (village). Découpage administratif : il.

11 Ce chiffre ne concerne que le département d’Istanbul, l’aire urbaine le débordant maintenant largement à l’est comme à l’ouest.

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Cependant, en dépit du mouvement de déconcentration des fonctions de production, la région d’Istanbul au sens large continue d’accaparer une part notable des richesses créées en Turquie et des investissements nationaux ou internationaux. Mais les ports, de plus en plus éclatés à la fois structurellement et géographiquement, n’ont pour l’instant qu’un effet d’entraînement réduit sur l’économie métropolitaine sauf si l’on intègre le port d’Izmit, premier port de Turquie par son trafic annuel, essentiellement à cause des hydrocarbures. Les tonnages demeurent modestes pour un ensemble urbain de cette taille et jouissant d’une telle situation, et ces ports ne parviennent à capter qu’une faible partie du trafic international qui emprunte annuellement le Bosphore (plus de 150 millions de tonnes).

Un étalement de plus en plus problématique ?

La récente et violente sortie des murailles et les risques de l’étalement

L’analyse d’une carte des années 1950-1960 montrerait qu’à cette époque une grande partie de la population d’Istanbul, sur la rive européenne en tout cas, était contenue dans les limites de la ville byzantine. Dans la longue histoire de la ville, le franchissement des murailles est donc récent.

Depuis le milieu des années 1980, les arrondissements qui connaissent les plus fortes croissances sont situés aux périphéries de l’agglomération. D’ailleurs, au début des années 1990 le maillage administratif a été refondu pour tenir compte de l’apparition, le plus fréquemment sur un mode informel,

de nouveaux «morceaux de v i l le» qui participent au bouleversement des équilibres démographiques (et politiques).

L’étalement, favorisé par les immenses emprises militaires et les vastes carrières à ciel ouvert qui ont servi à alimenter l’économie de la construction, met en cause la durabilité de l’organisme urbain, tant il menace à la fois les ressources en eau et celles en forêts. Le processus a aussi été accéléré par le «risque sismique», celui-ci justifiant l’investissement et l’urbanisation forcenée de zones au sous-sol réputé plus solide. Si l’on considère la mobilité résidentielle depuis la fin de 1999 (le grand séisme ayant eu lieu en août 1999), on constate en effet que les ménages qui ont les moyens de cette mobilité se sont installés en nombre dans des secteurs nouvellement ouverts à l’urbanisation (de facto au moins), notamment au nord de l’agglomération, côté européen ou asiatique. En d’autres termes, on peut dire qu’il y a eu une certaine instrumentalisation du risque sismique par les constructeurs pour promouvoir de nouvelles zones urbanisées présentées comme plus sûres.

Les pouvoirs locaux participent aussi à cette dynamique centrifuge, par le biais d’une société municipale privée (Kipta ! : www.kiptas.com.tr/ ) qui multiplie les opérations depuis le début des années 1990. Fondée pour développer une politique sociale du logement, cette société a perdu au fil du temps sa mission originale, si ce n’est à la marge, pour produire des logements destinés aux classes moyennes et moyennes supérieures (plus préoccupées d’acheter pour revendre ou louer que d’habiter). Elle a donné naissance à une véritable ville nouvelle,

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Ba ak ehir, à l’ouest de l’agglomération, qui compte désormais plus de 25 000 logements et semble encore appelée à s’agrandir. Les grandes orientations du Master Plan de juin 2006 confirment cet te «tentation centrifuge», puisque que l’aménagement d’une gigantesque ville nouvelle (2,5 millions d’habitants à terme) y est prescrite, au nord-ouest de l’agglomération, entre Ikitelli et Çatalca. L’option de la déconcentration d’Istanbul, voire de la refondation périphérique sur des bases supposées plus saines (encore l’argument sismique) paraît donc prévaloir, dans la continuité du souci de créer des centres fonctionnels périphériques, à la fois centres d’affaires et zones d’activités.

La grande extension d’Istanbul depuis le milieu des années 1980 a ainsi produit un paysage urbain des plus ingrats, composé d’immeubles souvent auto-construits et mal construits, inachevés, de complexes résidentiels intégrés, ainsi que de zones industrielles, de zones commerciales et d’établissements commerciaux, d’entrepôts s’étirant le long des axes routiers forts (les deux périphériques aménagés dans l’axe des deux ponts sur le Bosphore, ouverts respectivement en 1973 et 1988). Dans ce contexte de dilution morphologique de l’aire urbaine, la question des déplacements se pose avec la plus grande acuité, l’insuffisance des transports en site propre et le manque d’intégration des différents modes se faisant de plus en plus sentir. Les déplacements par véhicules motorisés individuels continuent à être largement prépondérants, alors que les potentialités offertes par la mer restent sous-utilisées.

La difficile promotion d’un nouveau rapport à la mer

Ville née de la mer et ayant vécu en symbiose avec la mer pendant des siècles, Istanbul a commencé à rompre son lien avec celle-ci à partir des années 1950. C’est durant ces années en effet qu’ont été ouvertes les voies littorales tout autour de la Péninsule historique, et qu’ont été effectués de nombreux remblaiements. Le rapport à la mer est devenu socialement discriminant. De plus en plus, n’ont accès quotidiennement à la mer que ceux qui y ont mis le prix. La distance à la mer est donc devenue fonction des revenus, les ménages les plus modestes, à l’exception de certains quartiers historiques dégradés (mais pour combien de temps ?), étant localisés de plus en plus loin de celle-ci, au nord du premier périphérique autoroutier qui constitue une frontière sociale.

Ce faisant, dans les projets urbains actuels, la mer semble redevenir une valeur (marchande ?) qui intéresse les promoteurs. En effet, la reconversion de nombreux espaces littoraux centraux est à l’étude. Au centre, les rives tendent à perdre leurs fonctions productives et «manufacturières» pour être peu à peu affectées aux fonctions commerciales, de congrès et de loisirs, formules internationales dont l’application systématique est désormais envisagée à Istanbul. Le projet de suppression du port de Harem, lié au méga-projet de tunnel ferroviaire sous le Bosphore (dénommé Marmaray12), s’inscrit dans cette logique. Le redéploiement des infrastructures portuaires, le transport de passagers mis à part, est d’ailleurs

12 Qui permettra de connecter le réseau ferré européen au réseau asiatique… à l’horizon 2010. Grâce à un financement japonais.

13 Où le nouveau port Ro-Ro a été ouvert en mai 2005.

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initié depuis quelques années avec l’apparition de ports périphériques, souvent privés (Zeyport, Ambarlı, Pendik13...), à l’instar du redéploiement des arsenaux (qui s’est opéré dès les années 1980 vers des arrondissements excentrés de la rive asiatique).

La loi pressante de l’offre et le destin des centres

Istanbul est saisi par une fureur spéculative insatiable, le développement du parc de logements (comme du parc d’immeubles de bureaux ou de locaux commerciaux/industriels) obéissant principalement à la loi de l’offre. Si ce que prétend la Chambre des planificateurs urbains d’Istanbul est juste, à savoir que le parc de logements déjà en place permettrait de loger 25 millions de personnes, le taux de vacance est donc déjà critique. Or le discours sur le déficit de logements continue à sévir, pour justifier des programmes de construction de nouveaux logements auxquels tiennent les milieux du bâtiment d’ailleurs très influents dans la sphère politique. A cet égard, au sein de la Municipalité du Grand Istanbul, deux discours opposés sont tenus, l’un qui met l’accent sur le déficit de logements et l’autre qui laisse entendre que la priorité réside dans la valorisation et la mise aux normes du parc existant.

Dès lors, les centres tendent à se dégrader et à concentrer des populations défavorisées ou modestes, à l’instar de Tarlaba ı ou de Küçükpazar au bord de la Corne d’Or. Cependant, on note ponctuellement des réinvestissements dans des quartiers centraux – comme dans le cas de Fener-Balat ; voir : www.fenerbalat.org –, que certains observateurs n’hésitent pas à qualifier de «gentrification». La valeur des centres est donc en train de se redéfinir positivement, après

une longue période de déréliction, mais autour de fonctions restreintes et sélectives, le tourisme, les loisirs, la restauration, le divertissement et la consommation culturelle.

Le nouveau contexte économique, avec la chute spectaculaire de l’inflation depuis 2003, a créé des opportunités contradictoires, puisque d’un côté la pierre et le sol urbains cessent d’être les seules valeurs d’investissement sûres, mais de l’autre, l’infléchissement à la baisse des taux des crédits logements entraîne une ruée sur ceux-ci, et, par contrecoup, une accélération des programmes de construction.

Ambitions économiques, fractures sociales et difficile émergence des pouvoirs locaux

Les ambitions internationales et le rêve touristique

Depuis la fin des années 1990, les édiles locaux associés aux milieux économiques sont unanimes pour assurer la promotion d’Istanbul sur le marché international des grandes villes mondiales. En vue de «vendre Istanbul» – nous reprenons une formule maintenant banalisée dans le discours politique local –, de nombreux efforts et investissements ont donc été consentis. A cette fin, de grands chantiers ont été lancés pour doter la ville des équipements jugés indispensables à l’exercice de ces nouvelles et ambitieuses fonctions : stade olympique, circuit de Formule 1, centres de congrès, hôtels 5 étoiles (voire 7 !), aéroport international (un deuxième a été ouvert sur la rive asiatique en 2001, qui tarde à prendre son essor), métro, centres commerciaux à l’américaine, centres d’affaires (avec une offre croissante en immobilier de bureaux).

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Le tourisme est ainsi au cœur du rêve international qui hante les esprits des décideurs. Mais il s’agit d’une forme de tourisme bien particulière, à savoir un tourisme d’affaires, d’étrangers riches et consommateurs. Les tentatives pour organiser des «semaines commerciales» (festshopping) inspirées de Doubaï sont à cet égard révélatrices. Pour l’instant Istanbul ne parvient à capter qu’une faible part des 20 millions de touristes étrangers, qui fréquentent annuellement le pays (il s’agit des chiffres pour l’année 2005). L’objectif affiché est donc de porter à terme le nombre annuel de touristes étrangers de 2 millions environ actuellement à 10 ou plus... Le pari fait sur le tourisme, présenté comme la principale source de revenus à venir et comme le pilier de l’économie urbaine, n’est pas sans risques, et se traduit par une subordination de toutes les opérations urbanistiques et culturelles à ce seul horizon. Mais ces prétentions insistantes entrent en contradiction avec la réalité de l’activité économique, qui repose en grande partie sur l’économie informelle15, qu’il s’agisse du secteur du bâtiment – le premier secteur d’embauche des nouveaux arrivants non qualifiés –, du commerce, ou du secteur textile (pour plus de la moitié de la force de travail impliquée selon les syndicats).

Le grand redéploiement du dispositif productif

Par ailleurs, à l’exception notable des activités relevant de l’économie grise, Istanbul n’échappe pas au processus de redistribution de son processus productif, qui se traduit par une implantation de plus en plus périphérique des unités de production, le cœur de l’aire urbaine étant progressivement dévolu aux fonctions de conception, de gestion, de vitrine et d’import/

export. Globalement, la transition vers une économie tertiaire est en cours, qui se traduit dans le paysage urbain par la réaffectation d’anciennes emprises manufacturières ou industrielles en hôtels, lofts, centres commerciaux ou palais des congrès.

Une ségrégation urbaine de plus en plus visible

Si on considère la ségrégation socio-spatiale comme un des indices du processus de métropolisation, alors le cas d’Istanbul est stupéfiant. En effet, l’étalement urbain s’est accompagné d’une fragmentation sociale nette. Même si la territorialisation des différences socioéconomiques n’est pas un phénomène nouveau, el le s’est accentuée avec la « libéralisation » de l’économie turque survenue à partir de 1980 et avec l’apparition de nouvelles classes supérieures, au train de vie ostentatoire, liées aux secteurs de l’import /export, des médias privés et de la finance. C’est donc par le haut que la ségrégation s’est accusée, avec la multiplication des complexes résidentiels fermés, formule importée clé en main du continent américain, mais aussi l’exacerbation de formes résidentielles préexistantes comme les villages vacances littoraux, les coopératives de logements ou les résidences réservées aux hauts dignitaires de l’armée. Depuis la fin des années 1980, le nombre de ces complexes sécurisés s’est considérablement accru, pour dépasser aujourd’hui les 680, représentant un parc de logements de plus de 100 000 unités. En d’autres termes, la géographie sociale d’Istanbul a pris des formes tranchées, les sites les plus recherchés (à proximité du Bosphore, des mers Noire et de Marmara ou des forêts)

15 Ce qui doit nous inciter à la plus extrême prudence vis-à-vis des chiffres officiels. Pour le chômage par exemple, le taux départemental de 11,5% au début 2008, souvent avancé, n’a pas grande signification compte tenu de la définition très contestable de la population active sur laquelle repose le calcul de ce taux.

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tendant à être de plus en plus exclusivement appropriés par des ensembles résidentiels fermés de standing.

Une aire urbaine exposée à toutes les migrations

En outre, ce qui nous semble instituer Istanbul en métropole incontestée de la Turquie et d’une région dépassant largement les frontières nationales, ce sont les mobilités qui affectent l’aire urbaine. Ces mobilités sont de nature, de fréquence et de rayon très variables. Si les migrations internes, intenses entre 1950 et la fin des années 1980, semblent (provisoirement15 ?) plafonner et de plus en plus remplacées par des mouvements qui inscrivent Istanbul au cœur de stratégies circulatoires sans installation « définitive », un des changements majeurs a trait à la densification des mobilités internationales. Cel les- c i sont à la fo is des mobi l i tés commerciales – illustrées par le fameux « commerce à la valise » auquel s’adonnent chaque année des millions de « touristes » étrangers –, des mobilités d’agrément, d’affaires, d’études et des mobilités de transit. Depuis l’effondrement de l’URSS et des régimes politiques alliés à celle-ci en Europe centrale, Istanbul, compte tenu de sa situation d’interface et des opportunités qu’elle offre (en termes de marché du travail au noir, de possibilités de transport et d’acheminement vers l’extérieur et d’anonymat pour les filières mafieuses), est devenue un pôle de première importance dans le système mondial des migrations entre le monde pauvre et l’Union européenne. Maghrébins, Africains noirs,

Chinois, Pakistanais, Afghans, Irakiens et Iraniens y transitent donc, parfois longuement, dans l’espoir de pouvoir un jour gagner la Grèce.

Des projets en grand nombre mais pas de projet intégrateur clair

Si les projets pour l’aire urbaine ne manquent pas, ceux-ci semblent disparates, guidés par des opportunités foncières ou politiques, et ne s’inscrivent pas dans un projet d’ensemble, véritablement intégrateur. Comme on a pu le constater au salon du MIPIM en 2005, Istanbul semble « à vendre ». Cette multiplication des projets, doublée d’un appel aux investisseurs, aux architectes et urbanistes étrangers procède à la fois de l’obsession d’internationaliser l’aire urbaine en la projetant sur la scène internationale du marketing urbain et en la dotant de tous les attributs prétendument distinctifs d’une grande métropole mondiale (en termes d’équipements). Elle renvoie à une volonté de multiplier les ressources en vendant ou en louant du sol urbain. Mais qu’il s’agisse de Galataport (projet de terminal pour bateaux de croisière et de complexe commercial et hôtelier en lieu et place du port marchand et passager actuel de Karaköy) ou de Haydarpa a (prétentieux projet hôtelier et d’immobilier de bureaux et résidentiel, en lieu et place de la gare ferroviaire, du port marchand et de la gare routière), les projets annoncés sont en contradiction avec les documents d’urbanisme existants et ne sont pas articulés les uns aux autres. Les ambitions affichées, formulées à travers des « visions et stratégies», très stéréotypées au demeurant,

15 Tout dépend du destin de l’agriculture turque qui emploie encore une part importante de la population turque (autour d’un tiers). Une crise grave de cette agriculture, hypothèse non exclue en raison de la faible compétitivité de celle-ci eu égard aux critères internationaux, pourrait entraîner une réactivation de ces migrations internes, sorte de deuxième âge de l’exode rural.

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relèvent plus de la communication politique et de la promotion que du projet urbain durable, cohérent et adapté aux réalités territoriales et socio-économiques d’Istanbul. Tant qu’un véritable projet, déployé à une échelle pertinente et mobilisant tous les acteurs concernés ne sera pas mis au point, au-delà des calculs ponctuels et à très court terme, l’avenir de cette extraordinaire métropole, à l’articulation entre mondes méditerranéen, pontique, balkanique et anatolien nous semble hypothéqué.

La difficile mise en place d’un système local de gouvernance

En dépit des prétentions réitérées des milieux économiques locaux dénonçant la bureaucratie d’Ankara et des trains de loi destinés à amorcer la décentralisation administrative, Istanbul reste sous le contrôle étroit du pouvoir central d‘Ankara, tant au plan financier qu’au plan juridique et décisionnel. Les grands projets évoqués plus haut sont ainsi directement pilotés d’Ankara et des zones entières, jugées d’importance nationale au niveau économique et stratégique, échappent aux pouvoirs locaux. Outre les incursions du pouvoir central, le système local de gouvernance se heurte dans sa mise en place effective à de nombreux obstacles, au rang desquels figurent le faible niveau moyen d’éducation des cadres locaux, le caractère encore trop informel des relations entre pouvoirs politiques et sphère économique, l’absence de transparence, de contrôle démocratique et de consultation sur les grands projets et la faible implication de la société civile, pourtant vivace. De ce fait, le modèle de gouvernance qui prédomine

demeure encore très opaque et fragmenté et vicié par l’absence de continuité dans les politiques publiques et la difficulté à sortir des logiques à court terme de gestion de la ville. L’évolution des structures institutionnelles est à cet égard contradictoire. Si l’on constate une tendance récente à la mise en place d’organismes de concertation et de formes de gestion territorialisée16 et intégrée de projets (à l’image du projet « Istanbul Ville Musée » pour la péninsule historique), on note parallèlement une tendance à la parcellisation et à la privatisation de secteurs entiers de l’action publique locale et régionale.

Bibliographie BROWN R. (dir), 1997-98, «Istanbul, un monde pluriel», Méditerranéennes 10, Paris, MSH. GÜRSOY D., HÜKÜM U., 2006, Istanbul en mouvement. Mondes nouveaux, Autrement, Collection Villes en mouvement. Free title, Availability : Available Publicationdate : 11 Mar 2008 Language: English Pages : 276 ISBN : 9789264043831 OECD Code: 042008051E1.PERALDI M., 2001, «L’esprit du bazar. Mobilités transnationales maghrébines et sociétés métropolitaines». Les routes d’Istanbul, in : PERALDI M. (sous la dir.), Cabas et containers. Activités marchandes informelles et réseaux migrants transfrontaliers, pp. 329-361. PEROUSE J.-F., 2002, «Istanbul est-elle une métropole méditerranéenne ? Critique d’un lieu commun tenace», in : Escallier Robert (éd.), Cahiers de la Méditerranée, Actes du Colloque « Les enjeux de la nouvelle métropolisation dans le monde arabe et méditerranéen, Grasse 22-24

16 Se réclamant du site management des Anglo-saxons.

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novembre 2000 », printemps 2002. TEKELI ., 1996, «Istanbul : the lost paradigm for understanding turkish society», New Perspectives on Turkey, Fall 1996, 15, pp.119-126. YERASIMOS S., 1997, «Istanbul : la naissance d’une mégapole», Revue de Géographie de l’Est, Nancy, n°2-3, t.37, pp.189-215. OECD Territorial Reviews Istanbul, Turkey. OECD Publishing Version: E-book (PDF Format).

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Fondée il y a plus de 26 siècles par les Grecs, Marseille est la plus méditerranéenne des métropoles françaises. Historiquement, l’importance de son port lui a permis d’inscrire ses activités dans des échelles territoriales très diverses. À la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle, l’affirmation de cette fonction de transit autour du port liée à l’expansion coloniale a entraîné le développement de nouvelles activités de production. Ce « système marseillais » a été la clé du du rayonnement de la ville sur l’espace méditerranéen ; néanmoins le mouvement de décolonisation couplé au processus de globalisation de l’économie a ébranlé cette position. Aujourd’hui, si Marseille cherche encore sa place au sein de cette nouvelle réalité économique mondiale, elle se trouve

néanmoins au cœur d’une véritable mégalopole qui englobe les principales agglomérations de la façade méditerranéenne française avec Montpellier, Nîmes, Avignon, Toulon, voire Nice, qui illustre déjà parfaitement bien cette nouvelle forme urbaine métropolitaine marquée par la polarisation d’espaces bâtis de plus en plus étalée et polycentrique.

Une reconversion inachevée

Le déclin marseillais

Jusqu’au milieu des années 1960, le déclin de Marseille paraissait tout à fait improbable tant elle symbolisait le dynamisme et la croissance des «trente glorieuses». Marseille est alors

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1990 et 1999. Unités locales : commune. Découpage administratif : région

MARSEILLE par Nicolas Douay

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le principal foyer économique de la façade méditerranéenne française. Elle est le siège d’un grand port qui a nourri des fonctions industrielles et commerciales anciennes et diversifiées. De 1954 à 1975 Marseille crée 70 000 emplois et connaît une croissance démographique sans précédent dans son histoire gagnant 250 000 habitants en passant de 660 000 à 908 000 habitants, avec une explosion entre 1954 et 1968 (889 000 habitants) avec l’arrivée massive des français d’Algérie.

Cet essor est alors fortement stimulé par les politiques nationales d’aménagement du territoire qui visent à faire de Marseille une des «métropoles françaises d’équilibre». Le centre de gravité de la métropole se déplace alors vers l’ouest, avec le déménagement des activités portuaires et l’implantation d’un nouveau complexe industrialo-portuaire à Fos-sur-Mer ainsi que l’établissement d’une «ville nouvelle» sur les rives de l’Étang de Berre.

Malheureusement, le premier choc pétrolier et la crise économique qui s’en suit marquent l’échec du modèle métropolitain édicté pendant les trente glorieuses. Ainsi, la commune de Marseille perd 60 000 emplois entre 1975 et 1990. C’est là le résultat de la poursuite du processus de désindustrialisation qui caractérise la ville depuis les années 60, en liaison avec la ruine des industries héritées de la colonisation et la restructuration d’industries plus récentes touchées par la mondialisation. La conséquence de ce déclin a été une importante paupérisation. Le centre ville et les quartiers Nord connaissent une évolution plus défavorable encore, renforçant ainsi le dualisme nord-sud que connaît la ville.

Ce déclin économique est aussi démographique, entre 1975 et 1990, la population marseillaise est

passée de 908 000 à 800 000 habitants, soit une perte de 108 000 résidents. Cette évolution est d’autant plus remarquable, qu’elle est nettement supérieure à celles observées dans les autres grandes villes françaises. Traditionnellement ville d’immigration, Marseille est devenue une ville d’émigration massive avec un déficit migratoire de plusieurs milliers d’habitants qui viennent nourrir le développement de sa périphérie qui gagne près de 400 000 habitants durant cette même période.

Le développement de la périphérie et la différenciation des territoires

Si Marseille subit un certain déclin, ce n’est pas le cas de sa périphérie qui connaît un développement florissant. À l’image de la ville nord-américaine, des noyaux de densification se développent, ces centres qui parfois surpassent le centre-ville, ce sont ce que certains nomment les edge cities (GARREAU, 1991). Dans cette dynamique de développement de la périphérie marseillaise, il convient de noter le rôle de l’État central qui favorise cette tendance avec, outre la création d’une ville nouvelle sur les rives de l’Étang de Berre en 1972 et la zone industrialo-portuaire de Fos, l’installation du centre de recherche du Commissariat à l’Énergie Atomique (CEA) à Cadarache en 1959, de Thomson à Rousset ou encore du Centre d’études techniques de l’Équipement (CETE) dans la zone des Milles d’Aix-en-Provence en 1969. Ces grands équipements servent de support au développement de la périphérie. Le cas de la zone des Milles est exemplaire, elle symbolise tout le dynamisme du Pays d’Aix qui crée chaque année un peu plus d’un millier d’emplois et attire ainsi de nouveaux habitants. À défaut d’avoir créé une véritable métropole d’équilibre, l’État a favorisé le développement d’un espace

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multipolaire, marqué par des logiques de ségrégations importantes.

De ce fait, le département des Bouches-du-Rhône présente, une situation inédite ; sa ville-centre connait un déclin relatif et certains de ces quartiers constituent encore aujourd’hui des zones d’exclusion, tandis que l’aire urbaine qui l’entoure a vu s’affirmer de nouveaux pôles de centralités. De ce fait certains comme B. MOREL (1999) ont pu affirmer que cet espace était l’illustration d’une «métropolisation sans métropole». L’échec du modèle métropolitain édicté dans les années 1960 a fait place à une multipolarisation métropolitaine où la ville-centre marquée par les difficultés de sa reconversion industrialo-portuaire n’a pas encore trouvé une nouvelle stratégie métropolitaine de développement.

De nouveaux projets mais pas encore de stratégie globale

La fin du « système marseillais » a entraîné la région dans une mutation économique des plus importantes. Depuis 1968, 800 000 personnes sont venues habiter dans la région urbaine et 650 000 en sont parties. Aujourd’hui, à l’image de sa ville-centre l’aire métropolitaine marseillaise a engagé sa reconversion. Nous pouvons évoquer le port qui a entamé un positionnement vers la logistique, dans une perspective méditerranéenne, et qui demeure à la première place des ports français notamment grâce aux hydrocarbures mais qui est en retrait quant aux containers. L’opération Euroméditerranée peut elle aussi illustrer ce renouveau marseillais. Ce grand projet économique et urbain prend place sur un périmètre de 313 hectares situé au centre-ville entre la gare Saint Charles, les bassins de la Joliette, la gare d’Arenc et la rue

de la République. L’objectif de l’opération est de redonner à Marseille sa centralité économique en y attirant des fonctions métropolitaines supérieures telles les services aux entreprises et des activités liées au commerce international. Ainsi, le projet est présenté comme un «accélérateur de métropole», agissant à différentes échelles. Tout d’abord, à l’échelle de la ville de Marseille, l’un des objectifs est d’étendre le centre vers le nord avec un programme immobilier très ambitieux (1 200 000 m2 de constructions nouvelles sur 25 ans, dont 30% de bureaux). Ensuite, à l’échelle de l’aire métropolitaine, en rendant à Marseille son statut de ville-centre

Cette politique d’internationalisation se poursuit aujourd’hui avec le projet ITER1 à Cadarache, périphérie aixoise, qui va repousser encore plus au nord et à l’est les limites de la métropole. Ce projet de 4,7 milliards d’euros réuni l’Union européenne, les USA, la Chine, la Russie, le Japon et la Corée du Sud avec l’ambition de contrôler la fusion nucléaire et de révolutionner ainsi la production d’énergie. Les retombées économiques pour la région sont estimées à 2 milliards d’euros, ainsi par exemple les 10 ans de chantier qui s’annonce doivent générer 8 000 emplois. Ce projet d’envergure internationale aura des retombées sur l’ensemble du fonctionnement de la métropole.

La persistance de fortes inégalités

Le redéploiement urbain et économique de ces dernières décennies ne s’est pas effectué sans conséquences. Répondant aux logiques de la métropolisation et de globalisation, c’est-à-dire aux logiques du marché, ce territoire a vu se renforcer les mécanismes de ségrégation sociospatiale. Alors que le tissu

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économique, en expansion, s’est diversifié, modernisé et ouvert sur des activités de pointe : informatique, high-tech, ingénierie, etc... Cela bénéficient à certains territoires, à l’image du Pays d’Aix, qui apparaissent comme une sorte de «miracle économique» dans une région qui peine à assurer sa reconversion industrielle. Dans ce contexte, la dynamique de l’emploi n’a pas eu les effets escomptés sur le niveau du chômage. Les paradoxes de la performance économique se cristallisent sur un taux de chômage anormalement élevé au regard de la vitalité économique. Ce qui apparaît comme un eldorado pour certains demeure un mythe pour ceux (et ils sont nombreux) qui restent durablement en marge du marché de l’emploi.

En 2009, dans la région urbaine d’Aix-Marseille, les chômeurs au sens du recensement, c’est-à dire se déclarant comme tels, était au nombre de 20%. Ces chômeurs déclarés ne se répartissent pas de manière homogène dans l’aire métropolitaine. Ainsi les zones d’emploi de Marseille-Aubagne et de l’étang de Berre sont particulièrement touchées. Ce niveau de chômage se situe au-dessus du niveau de l’ensemble de la région PACA ou des autres aires urbaines de taille comparable, en particulier de celle de Lyon.

Cet ensemble de mutations entraine et révèle de fortes disparités. Celles-ci se manifestent par des différences de revenus importantes, avec un ménage sur cinq en dessous du seuil de pauvreté, l’hétérogénéité du niveau de formation avec une forte proportion de la population ayant un faible niveau de qualification, un marché de l’habitat contraignant pour les ménages à faible revenu en particulier pour les plus jeunes.

Un espace polycentrique

Une métropole étalée

L’aire métropolitaine marseillaise est marquée par son site naturel, ainsi les collines qui entourent Marseille ont longtemps isolée la ville de son arrière pays et du réseau de villes qui le structure. Or l’urbanisation de ces trente dernières années s’est développée au gré des opportunités foncières autour de ces centres urbains périphériques existants, le relief renforçant le caractère polycentrique de la métropole. Se diffusant jusqu’à se rejoindre le long des couloirs topographiques dans lesquels s’inscrivent les grandes voies routières et autoroutières, l’urbanisation a dessiné un paysage urbain inséré dans de vastes espaces naturels. D’Avignon au nord-ouest à Toulon à l’est, ce phénomène de périurbanisation a dessiné un espace urbain éclaté, sous l’effet conjugué du desserrement de la ville-centre, de l’accessibilité de communes plus éloignées et d’une offre foncière disponible.

Des difficultés de transport

Avec la périurbanisation, l’habitat se disperse, ce qui suppose et implique à la fois de nombreux échanges, surtout avec les centres urbains mais aussi entre les communes de la périphérie. Chaque jour, les habitants de l’aire métropolitaine marseillaise consacrent de ce fait plus d’une heure et quart aux déplacements. L’enquête déplacements réalisée par l’INSEE en 1996-1997, nous apprend que se sont ainsi près de 5 580 000 déplacements quotidiens qui sont effectués par un million et demi de personnes âgées de cinq ans ou plus, soit une moyenne de 3,6 par jour. S’ils se déplacent souvent à pied, leur mode de transport de prédilection

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reste la voiture particulièrement pour les actifs. Ce phénomène de périurbanisation et d’étalement urbain a donc amplement favorisé l’usage de la voiture ; la densité du réseau routier et autoroutier, élargissant parallèlement l’espace des déplacements quotidiens. Parmi les différents modes de déplacement utilisés, la voiture prédomine avec 58% des déplacements. Les trois quarts des ménages ont une voiture, et près de 28% en possèdent même deux ou plus (contre 23% en 1990).

La dynamique de croissance de ces pôles périphériques, associée au phénomène de périurbanisation témoigne d’une évolution urbaine reposant sur le «tout automobile», qui produit et organise une autre ville sur un territoire de plus en plus vaste. La croissance générale du trafic routier, en l’absence d’offre alternative de transports, n’est que la traduction de cette recomposition. La limitation de la hausse de ce trafic suppose un nécessaire rééquilibrage entre les modes de déplacements qui renvoie à un renforcement significatif de la part des transports en commun. La poursuite de la dispersion de l’habitat dans l’aire métropolitaine et la concentration d’activités sur certains sites augmentent les distances de déplacements et continuent d’accroitre le trafic routier et les nuisances qui lui sont liées. Or le niveau de trafic reflète un type d’organisation de l’espace, bien plus qu’il ne traduit un niveau de satisfaction de besoins individuels.

Faute de volonté politique et d’investissements suffisants, un véritable réseau express métropolitain desservant les principales villes de la métropole fait toujours défaut, car dans l’état actuel les transports en commun ne proposent toujours pas d’alternative véritable à la circulation automobile. Ces conditions de

déplacements constituent un handicap pour la métropole, de ce fait, les améliorer est bien un enjeu essentiel pour elle, aussi bien en termes d’image, qu’en termes économique, social et environnemental.

Une gouvernance métropolitaine en émergence

Les débuts difficiles de l’intercommunalité

Sous l’influence de l’État, des premières expériences de coordination des politiques d’aménagement sont mises en place, notamment à travers l’élaboration du schéma d’aménagement de l’aire métropolitaine marseillaise en 1967. Mais un contexte local marqué par une forte tradition d’autonomie et une opposition historique à l’intercommunalité donne très peu d’ampleur à ces premières expériences. Le schéma d’aménagement ne sera jamais adopté.

Après plusieurs années de « laisser-faire » ou d’occasions manquées, s’ouvre une période de renouveau et d’avancées pour les politiques métropolitaines d’aménagement de l’espace. Tout d’abord, la loi ATR, loi d’Administration Territoriale de la République de 1992 sert d’élément déclencheur au renouveau de l’intercommunalité, mais son application reste assez décevante. Sept ans plus tard, la Loi dite Chevènement permet de franchir une étape importante en imposant une recomposition du paysage intercommunal.

Toutefois, son appropriation par un système d’acteurs très complexe n’a pas permis de dépasser toutes les oppositions et les rivalités qui traversent cette métropole : ainsi les

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logiques politiques ont pris le pas sur les logiques d’aménagement. Les périmètres et les compétences des intercommunalités d’Aix-en-Provence, de Marseille et d’Aubagne ont été recomposés et étendus. La Communauté urbaine de Marseille Provence Métropole regroupe à ce jour 18 communes et un peu plus d’un million habitants. La Communauté d’agglomération du Pays d’Aix réunit 34 communes et 342 000 habitants. La communauté d’agglomération du Garlaban-Huveaune-Sainte-Baume réunissait pour sa part 5 communes et près de 70 000 habitants ; elle s’est élargie en 2008 devenant la communauté d’agglomération du Pays d’Aubagne et de l’Étoile regroupant désormais 12 communes et 101 000 habitants. Au-delà de ce noyau central, nous pouvons noter la création de communautés d’agglomération autour des villes-centres de Martigues, de Salon et d’Istres. Au final, à l’image de la structure spatiale de l’aire métropolitaine marseillaise, le paysage intercommunal se caractérise toujours par sa fragmentation.

L’émergence d’une coopération métropolitaine

Lorsqu’il s’agit d’évoquer les politiques d’aménagement de l’espace dans cette métropole, la question est simple : comment ces différents pôles vont-ils pouvoir collaborer pour coordonner leurs politiques et élaborer un projet métropolitain ? Face à cette question de la « gouvernabilité », les acteurs locaux développent depuis peu des stratégies de coopération pour dépasser les formes traditionnelles du gouvernement local. En effet, le processus d’élaboration des schémas de cohérence territoriale a conduit les présidents des trois principales structures intercommunales

à annoncer leurs intentions de signer une charte de coopération métropolitaine pour coordonner leurs démarches stratégiques en matière d’aménagement et de développement du territoire. Ils ont déjà rédigé une introduction commune aux projets d’agglomération des trois principales intercommunalités de l’aire urbaine et aujourd’hui les huit principales intercommunalités du département ont répondu à l’appel à coopération de la DATAR en vue d’élaborer un projet métropolitain (DOUAY, 2007). Et enfin, de façon plus opérationnelle des coopérations se développent dans le domaine des transports publics.

Dans cette approche de type « bottom-up », le contenu de cette coopération métropolitaine semble encore assez mince car encore en construction, soumis à nombreux aléas politiques locaux. Cependant plus que ces premières réalisations, le processus qui s’est engagé apparaît comparativement bien plus important de par les perspectives qu’il ouvre. Le développement de cette coopération métropolitaine est un défi d’envergure : il faut répondre aux défis que posent la métropolisation à ce territoire méditerranéen pour concevoir un système de gouvernement et de gouvernance capable d’assurer l’attractivité économique tout en étant plus soucieux des équilibres territoriaux et sociaux. Pour l’ancienne capitale de l’empire colonial français, il s’agit d’affirmer son leadership sur la mégalopole en émergence sur la façade méditerranéenne française afin de tirer profit de cette globalisation de l’économie en retrouvant une place prépondérante au sein des villes européennes et méditerranéennes.

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Bibliographie DONZEL A. (dir.), 2001, Métropolisation, gouvernance et citoyenneté dans la région urbaine marseillaise, Paris, Maisonneuve et Larose.DONZEL A., 1998, Marseille : L’expérience de la cité, Paris, Economica.DA SILVA J., DOUAY N., MOTTE A., 2007, « La genèse d’un projet métropolitain improbable : Marseille-Aix », in MOTTE A. (dir.) , Les agglomérations françaises face aux défis métropolitains, Paris, Economica, pp. 80-95.DOUAY N., 2003, Dynamiques métropolitaines et politiques intercommunales d’aménagement de l’espace : le cas d’Aix-en-Provence, Aubagne et Marseille, Mémoire de DEA, Aix-en-Provence, IAR Université d’Aix-Marseille 3.DOUAY N., 2007, La planification urbaine à l’épreuve de la métropolisation : enjeux, acteurs et stratégies à Marseille et à Montréal, thèse de doctorat, Montréal, Université de Montréal et Université Paul Cézanne.GARREAU J., 1991, Edge city. Life on the new frontier, New-York, DoubledayINSEE PACA, 2002, Atlas des métropolitains de la région urbaine de Marseille-Aix-en-Provence, tome 1, 2 et 3.LANGEVIN P., CHOURAQUI E. (dir.), 2000, Aire métropolitaine marseillaise encore un effort… , collection aube Sud, La Tour d’Aigues, Editions de l’Aube.MOREL B., 1999, Marseille, naissance d’une métropole, Paris, L’Harmattan.MOTTE A., 2003, “The Marseille-Aix case” in Metropolitan Governance and Spatial Planning in Europe, T. Kreukels, A. Thornley, W. Salet (ed.), London, Spon.RONCAYOLO Marcel, 1996, Les grammaires d’une ville. Essai sur la genèse des structures urbaines à Marseille, Paris, Editions de l’EHESS

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N’a-t-il pas fallu, au seuil des années 1980, que Montpellier s’affiche « surdouée » et se fasse ainsi connaître au monde pour qu’elle trouve place dans le concert des métropoles méditerranéennes contemporaines ? Sous la conduite de son maire Georges FRÊCHE, historien du droit, et de l’adjoint à l’urbanisme Raymond DUGRAND géographe, la ville a connu une somme de transformations qui l’inscrivent dans les logiques métropolitaines et en font un modèle, quasi unique en France, de ville moyenne certes capitale de région, ayant accédé au statut de métropole régionale. Montpellier est la plus petite et la plus jeune, par son accession au statut comme par son histoire, des métropoles méditerranéennes. Prenant place entre Barcelone, Toulouse, Marseille et Lyon,

elle organise l’espace de connexion entre ces métropoles reconnues. L’aire de métropolisation qui lui est rattachée, de Sète à la vallée du Rhône, regroupe un Languedocien sur deux soit plus d’un million d’habitants sur moins de 5 000 km2. Montpellier (250 000 habitants) est le point clé de cet espace inter métropolitain à croissance démographique forte, soutenue et régulière depuis plus de 40 ans. Le rêve métropolitain de Montpellier a progressivement pris corps et ouvert des horizons nouveaux que les structures politiques de gestion des territoires traduisent encore imparfaitement.

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1990 et 1999. Unité locale : commune. Découpage administratif : région

MONTPELLIER par Jean-Paul Volle

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Des hommes en plus :la conquête d’un espace

Au milieu du XXe siècle, Montpellier, enrichie mais assoupie par la rente viticole n’est que la 25e ville de France. De ses origines médiévales qui en avaient fait, à l’égal des cités-états italiennes, une métropole méditerranéenne, la ville n’a conservé que sa tradition médicale et universitaire. Son destin français au XVIIIe siècle lui avait accordé les administrations du pouvoir et le titre de capitale provinciale. Plus tard, le vignoble a contribué à la richesse de sa bourgeoisie propriétaire de terres, mais a largement déterminé les orientations d’une économie rentière peu ouverte à l’innovation. Montpellier n’a pas connu le destin des cités industrielles.

Au cœur des années 1950-1960, c’est l’État qui anime le Languedoc, réalisant le canal d’irrigation Philippe LAMOUR, aménageant le littoral pour en faire un des premiers espaces touristiques européens, consacrant enfin Montpellier comme capitale régionale. Les frémissements démographiques qui accompagnent ces décisions seront amplifiés par l’installation massive des rapatriés d’Afrique du Nord. Entre 1962 et 1968, Montpellier gagne près de 50 000 habitants et l’université, symbole des activités tertiaires en devenir, passe de quelque 5 000 étudiants à plus de 25 000. La ville se classera bientôt au huitième rang national par sa population. En 1962, Montpellier compte moins de 120 000 habitants, vingt ans plus tard près de 200 000. L’aire urbaine constituée au départ d’une quarantaine de communes, passe bientôt à 74 unités et double de population en vingt ans (322 000 habitants en 1982). La dynamique démographique, continue sur le demi-siècle,

renforce les capacités économiques du cœur de l’aire de métropolisation. Celle-ci forte de plus de cent communes est sous influence directe des emplois urbains surtout localisés dans la ville-centre et sa première couronne. Au recensement de 1999, la ville a atteint 250 000 habitants et tout autant résident dans les 92 communes périphériques de l’aire urbaine (environ 2 000 km2). En moins de 40 ans, la population de Montpellier a doublé, celle de sa périphérie a été multipliée par 6. En position centrale, les 31 communes de la communauté d’agglomération représentaient 9,6% de la population régionale en 1962, Montpellier comptant pour l’essentiel. Elles représentent 16,2% en 2005, soit près d’un habitant sur six.

L’arrivée continue de flux de migrants venant essentiellement des grandes aires urbaines françaises, de l’Europe du Nord et des confins méridionaux de la Méditerranée explique l’ampleur et la régularité de la croissance de Montpellier Métropole qui dessine un nouvel espace régional, innerve et vivifie l’économie du Languedoc-Roussillon. C’est maintenant à l’échelle de l’aire de métropolisation qu’il faut appréhender le développement économique, les migrations de travail et les flux de déplacements, les tensions liées aux sollicitations résidentielles d’une population en quête d’espaces naturels, d’emplois et de services de proximité. La centralité montpelliéraine prédomine largement, mais Sète d’une part, les petites villes gagnées par la dynamique démographique (Frontignan, Lunel, Lodève, Clermont-l’Hérault) d’autre part renforcent progressivement leur rôle d’animation locale. Un modèle polycentrique original s’affirme peu à peu reposant sur des centralités différentielles, complétant celles que développe la métropole. Au-delà, son influence s’élargit

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aux aires d’urbanisation de Nîmes, d’Alès, de Bagnols-sur-Cèze, jusqu’à celle d’Avignon. Les enjeux du développement territorial métropolitain se jouent donc à plusieurs niveaux d’échelle, brouillant les pistes du modèle urbain traditionnel centré sur des aires d’attraction et de domination concurrentielles. Au centre, le projet métropolitain doit conforter les sentiments d’appartenance et les capacités de développement.

Le projet urbain de Montpellier : construire la métropole

C’est au centre que se construisent, avec le projet de ville, la réalité métropolitaine et la cohérence de l’espace qui s’urbanise. Sur une trentaine d’années, le projet de Montpellier Métropole joue sur la continuité et la permanence de principes directeurs autour d’un urbanisme ambitieux, pour renforcer son attractivité économique, sociale et culturelle, pour renforcer sa renommée médiatique et sa modernité. Le projet de ville de Montpellier a donc été construit comme moment de l’urbanisme associant passé et futur en un présent fondateur des identités qui donnent sens à la métropole.

La réussite économique

L’économie métropolitaine associe capacité d’innovation au niveau des entreprises et des process, et qualité des « ambiances » locales. Il a fallu que Montpellier s’affranchisse des pesanteurs d’une histoire qui la rattache à la rente foncière, au commerce, au pouvoir établi et au savoir universitaire bourgeois pour se déclarer Technopole en choisissant au début des années 1980 cinq domaines d’excellence, la Médecine (Euromédecine), l’Agronomie (Agropolis),

l’Informatique (robotique et intelligence artificielle), la Communicatique (Antenna) et le Tourisme (Héliopolis). Cette volonté est aussi exigence pour que se construisent des réseaux entre les entreprises, les universités, la recherche et le pouvoir métropolitain afin de s’affirmer au niveau national et international. IBM qui crée dès 1964 quelque 3 000 emplois avait ouvert la voie vers une ville rajeunie et innovante, sensible à l’internationalisation de l’économie. À terme, Montpellier se classera parmi les cinq premières villes françaises orientées vers les industries du savoir et de l’innovation, socle de sa croissance, et prendra place au premier rang des bassins d’emploi de la région tant en emplois qu’en valeur de la production. Les entreprises technopolitaines se concentrent dans des « parcs » et « pépinières d’entreprises » dont les noms — et ceux des entreprises qui s’y installent — symbolisent la nouveauté et la mondialisation, ou de simples effets de mode (parc Euréka, du Millénaire, Euromédecine…, pépinières Cap Alpha, Gamma, Oméga…). L’université et les grandes écoles riches de plus de 60 000 étudiants et d’une dizaine de milliers d’enseignants et de chercheurs représentent un réservoir important de matière grise et de recherche. Elles deviennent expressives de l’image de marque de la métropole.

Avec une vingtaine de milliers d’emplois métropolitains supérieurs, l’aire urbaine de Montpellier se situe au 11ème rang national, tout près de celles de Strasbourg, Nantes, Nice et Grenoble pourtant mieux fournies en emplois. Mais en valeur relative, avec 12% d’emplois métropolitains supérieurs, la métropole montpelliéraine vient au quatrième rang national après Paris, Grenoble et Toulouse. Les start-up y sont nombreuses, les taux de création

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et de renouvellement élevés ce qui situe bien le dynamisme de ces milieux innovants. Mais les entreprises créées sont souvent fragiles, mal armées en capital-risque, régulièrement absorbées par des concurrents nationaux ou internationaux. Le socle universitaire par tradition solide en médecine et pharmacie manque de consistance dans le domaine de l’ingénierie et les réseaux d’entreprises sont encore faibles au niveau régional. Malgré de belles réussites, le rayonnement international de la métropole reste encore limité. On comprend mieux les stratégies des responsables politiques cherchant à fonder la croissance économique sur l’innovation et les agréments du cadre de vie afin de renforcer l’attractivité de l’espace géographique métropolitain.

Les aménités du cadre de vie

Aux côtés de l’économie, le cadre de vie est une composante essentielle du projet de ville et de la fabrique de la métropole. Dans le projet, l’histoire reprend ses droits pour afficher la qualité urbaine, celle du patrimoine et celle d’un milieu méditerranéen fragile. Ce processus est d’autant plus déterminant que la croissance démographique et l’extension spatiale tendent à éradiquer toute trace passée et toute marque du milieu. Dès 1993/94, la qualité de l’environnement est mise en avant comme facteur d’équilibre et d’attractivité contribuant à rendre la ville accueillante, à accroître son rayonnement. Ainsi, prolongeant Antigone, le projet urbain de Port Marianne prend appui sur le Lez dont le cours est régulé et le lit aménagé en espace vert. Les Zones d’Aménagement Concerté ménagent de vastes espaces de nature sous forme de parcs, de jardins, de bassins paysagés de rétention des eaux de pluie. C’est une façon novatrice de penser la métropole à

partir d’une politique de réserves foncières et d’esthétique paysagère.

L’urbanisme, comme maîtrise publique de la croissance urbaine et mise en ordre de l’extension de la ville, est un des moteurs pour se penser métropole et certainement pour accéder au statut métropolitain. Le projet montpelliérain est d’abord urbanistique, Antigone incarne dès 1978 l’ambition métropolitaine de Montpellier. Signée par Ricardo BOFILL, en rupture avec la rigueur et la banalité de Polygone, Antigone initie un urbanisme ouvert de composition rigoureuse. Sur près d’un kilomètre de longueur jusqu’à l’Hôtel de Région signe, à l’époque, d’un pouvoir nouveau, Antigone par son unité, sa règle et son dessin, par ses équipements de haut niveau, donne sens au rêve métropolitain. Au centre, le Corum, opéra/palais des congrès dessiné par Claude VASCONI renforce cette ambition dès 1988. Il contribue au rayonnement international de Montpellier rivalisant avec Nice et Lyon malgré une offre hôtelière encore insuffisante. Dix ans plus tard, l’ouverture d’un cinéma multiplexe en limite de ville, vers la mer, tout près d’un échangeur autoroutier et de l’aéroport, puis d’une patinoire et d’un planétarium, confirme cette ambition. Le complexe Odysseum ainsi pensé dès le milieu des années 1990 se veut modèle d’achèvement du rêve métropolitain sous l’angle des loisirs, de la culture, de la consommation de masse. Entre Antigone et Odysseum, Richter, Jacques cœur, Port Marianne, Parc Marianne, Millénaire et les Jardins de la Lironde dessinent, sur plus de 400 ha, les ambiances d’une modernité urbaine à l’échelle d’une métropole établie et reconnue. Le projet global qui intègre le nouvel hôtel de ville se structure à partir de trois éléments urbanistiques, le Lez, longue trouée de verdure et d’eau, l’avenue du

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Mondial parcourue par le tramway jusqu’à Odysseum, l’avenue de la Mer futur axe fort qui concrétisera les orientations métropolitaines et méditerranéennes de Montpellier. Malbosc, Grisettes, Ovalie répondent en d’autres lieux à la croissance démographique (300 000 habitants prévus en 2015) et achèvent l’urbanisation du périmètre communal. Il reste alors à Montpellier à mettre son centre aux normes de ses nouvelles dimensions métropolitaines.

Grand cœur

Le passage de l’Écusson (10 000 habitants) à Grand cœur multiplie la surface d’un centre « décidé » et voulu. Le premier, étriqué, médiéval d’origine, signifie le centre dans les représentations de la ville constituée. L’autre, étendu, témoigne du cheminement d’une pensée ayant intégré la dimension métropolitaine. Grand cœur, l’un des sept quartiers de la cité, regroupe sur plus de 600 ha (1/7e de la superficie construite) quelque 70 000 habitants. Il correspond à la ville héritée des années 1950 à laquelle on a ajouté Antigone. Décidée en 2002, l’opération Grand cœur doit s’achever en 2010 après travaux sur les logements, les commerces, les façades, l’espace public, selon les procédures habituelles de l’urbanisme opérationnel, sous la conduite de la Société d’Economie Mixte, (SERM). Cette extension du centre va de pair avec la piétonisation et la « modernisation » de l’Écusson. L’opération immobilière sur l’ancien hôpital Saint-Charles et le projet Saint-Roch accompagnant l’extension de la gare TGV en sont les symboles les plus signifiants. Se définit ainsi une nouvelle centralité métropolitaine.

Les opérations de modernisation doivent favoriser une « mixité souhaitée » alors que la construction de la métropole débouche

sur une ségrégation de type « gentrification » avec localisation en périphérie des catégories sociales les moins favorisées, les moins intégrées aux logiques métropolitaines. Image actuelle d’une société à deux vitesses alors que la ville traditionnelle reposait sur le pouvoir d’une bourgeoisie urbaine de commerçants, de professions libérales et de cadres de la fonction publique face au monde proche des artisans et des employés, les ouvriers étant peu représentés à Montpellier. Ces opérations s’accompagnent d’une politique en faveur des quartiers sensibles, grands ensembles construits au début des années 1960 (Petit Bard/Cévennes, ZUP de la Paillade/Mosson, Cité Saint-Martin, du Lemasson, Cité Gély…), afin d’y freiner la dégradation du bâti, d’y réhabiliter les logements, d’y rénover les services publics.

De grands équipements

La métropole se construit aussi sur le plan culturel et médiatique par une politique raisonnée d’équipements sur le long terme, d’investissements et de choix déterminants. Hissant Montpellier au rang des grandes villes d’accueil des spectacles et des congrès, le Corum, ancré en bout de l’Esplanade, avait ouvert la voie. Le Zénith, le Centre chorégraphique national Dominique Bagouet (couvent des Ursulines), la Maison des Choeurs (chapelle Saint-Charles), la piscine olympique, la bibliothèque centrale de Paul Chemetov et les médiathèques qui lui sont associées, en réseau sur le périmètre de l’agglomération, illustrent une stratégie globale de recherche de l’excellence. Les festivals, lancés dès 1980 (danse, musique, cinéma, théâtre, Comédie du livre…), confirment, vingt cinq ans plus tard, le dynamisme d’une métropole qui affiche ses réussites sur le plan culturel et sait les valoriser par une politique médiatique originale

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associant culture, économie, environnement et art de vivre. La capitale régionale « surdouée » a laissé place à une métropole régionale « entreprenante ». L’ambition métropolitaine d’une ville qui a forgé son avenir en moins d’un demi-siècle se décline aujourd’hui sur un territoire plus vaste, aux tensions plus vives, aux différences plus accusées. Ce territoire d’agglomération résonne d’incomplétude, mais ouvre des perspectives de développement sur la base d’un projet de territoire témoignant du passage d’une stratégie de ville à une véritable stratégie de métropole.

Le système métropolitain : pour un projet de territoire

Le rêve de la ville-métropole, rarement énoncé, a servi de fil conducteur permanent aux stratégies municipales, au moins à partir de 1977. Polygone avait amorcé le mouvement, mais sans grande conviction et de manière conjoncturelle. Antigone qui organise la conquête programmée des « terres de l’Est » donne le ton. Port Marianne prolonge les effets dans la durée. Au début des années 2000, la construction de la communauté d’agglomération, malgré les vicissitudes politiques qui en rétrécissent le territoire à une trentaine de communes et réduisent d’autant la pertinence d’une gestion métropolitaine, traduit une prise de conscience de l’espace de métropolisation et la recherche d’une solution de gouvernance. Le projet initial, proche de la communauté urbaine, regroupait trente-huit communes pour une population de 481 000 habitants.

En 2006, le refus par l’État de la fusion avec la communauté d’agglomération de Sète et la communauté de communes du Nord du bassin de Thau ne fait que reporter

les échéances d’une communauté urbaine qui paraît de plus en plus indispensable au développement économique. C’est aussi le témoignage d’un retard dans la prise en compte de la réalité géographique et sociale d’un espace fonctionnel qui renvoie aux structures métropolitaines polycentriques.

Forger la solidarité

La communauté d’agglomération définit ses objectifs politiques dans Harmonie, son journal mensuel. Le titre reflète le souci d’affirmer la solidarité d’un territoire fractionné qui n’avait jamais connu de gestion partagée. Le District, première carte imparfaite de l’agglomération ne regroupait que 15 communes. Aucun Schéma Directeur d’Aménagement et d’Urbanisme n’avait été élaboré. Le projet de territoire se décline donc d’abord sur le plan idéologique, ne serait-ce que pour renforcer des équilibres fragiles entre les petites communes et à la ville centre et affirmer le besoin de cohésion sociale, économique et territoriale. Les compétences communautaires d’aménagement reposent sur des outils de planification spatiale mobilisés dans un temps très court et de manière concomitante. Le Plan des Déplacements Urbains (PDU), le Programme Local de l’Habitat (PLH) et le Schéma de Cohérence Territoriale (SCoT), le Schéma Directeur d’Assainissement (SDA), tous élaborés et approuvés entre 2000 et 2005, ont posé les cadres théoriques et matériels des actions communautaires contre 500 000 pour accéder au rang de communauté urbaine.

Quatre échelles situent les enjeux de la métropolisation. Celle de la ville centre donne les impulsions et construit les ferments unitaires. Celle de la communauté d’agglomération n’est qu’un temps provisoire de transition

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vers une communauté urbaine. Celle de la région Languedoc-Roussillon situe l’aire de métropolisation comme facteur d’entraînement, d’attractivité et de rayonnement. Enfin celle de l’Europe et de la Méditerranée renoue avec l’histoire des grandes routes d’échanges, de migrations et de savoirs qui rapprochent Montpe l l i e r des grandes métropo les contemporaines.

Un modèle de développement spatial

La communauté d’agglomération doit ménager son capital écologique et paysager face à la croissance démographique, éviter la dispersion de l’habitat et des activités, lutter contre les processus d’exclusion et de ségrégation, pour augurer d’un développement spatial plus équilibré, plus économe d’espace, plus attentif aux données environnementales. Mais c’est par le rayonnement de l’université et des grandes créations culturelles, par des équipements de haut niveau et une intense polit ique économique novatrice que la métropole s’affirmera à l’extérieur et enrichira les pratiques sociales de proximité. Le SCoT réalisé par Bernard REICHEN énumère les valeurs fondatrices d’une métropole en projet, énonçant les grands principes de son modèle de développement sur la base d’un territoire qui, à l’horizon 2020 comptera plus de 100 000 nouveaux habitants. Le modèle proposé de « développement durable » induit une moindre consommation d’espaces périphériques grâce à une reconquête « de la ville sur la ville ». Il repose aussi sur une offre performante de transports collectifs publics (tramway) pour diminuer la dépendance automobile, sur une optimisation de la localisation des activités économiques, de l’habitat et des équipements publics, sur l’affirmation de la mixité et du droit

pour tous à la mobilité. Le projet qui ancre le territoire communautaire dans la dynamique métropolitaine valorise à la fois « la ville des proximités » comme cadre de vie et celle de la modernité comme ouverture aux cultures du monde et capacité d’innovation. « Aux communes la proximité, à l’agglomération les grands projets… Le savoir au cœur de notre mode de développement, la culture et la qualité de vie comme les leviers de notre attractivité fondent les recettes de notre succès. Les conditions du « miracle montpelliérain » sont fragiles. » (FRECHE, 2005).

Conclusion

Montpellier valorise de plus en plus d’éléments de dimension métropolitaine. Sa centralité symbolique forte s’explique par la jeunesse et la dimension conflictuelle du processus de mise en place de la communauté d’agglomération, par le peu de culture politique métropolitaine. La construction politique de l’espace métropolitain interroge donc la centralité et les échelles du territoire, ces dernières en termes de pertinence. Le modèle fonctionnel local souffre encore d’imperfections. Mais la recherche de cohérence dans la maîtrise de l’urbanisation et dans la conduite des projets traduit bien la montée en puissance de l’aire métropolitaine, ses capacités d’image et d’entraînement sur un espace régional animé par la croissance périphérique, dont les aires urbaines de Sète et Lunel forment le premier cercle.

Au-delà doivent s’ébaucher les indispensables coopérations avec Nîmes, Alès et même Bagnols-sur-Cèze dans le couloir rhodanien pour donner cohérence à la gouvernance des territoires de la métropolisation en Languedoc-Roussillon.

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Bibliographie FERRAS R., VOLLE J.-P., 2002, Montpellier méditerranée, Economica. FRECHE G., 2005, La longue marche 1970-2020, éditions Empreinte. NEGRIER E., 2005, La question métropolitaine, PUG. Revue de l’Economie méridionale, 2002, Métropoles et métropolisation. Revue Urbanisme, numéro 26 hors série, 2005, Montpellier cœur d’agglomération. Revue Traits urbains, numéro 5, 2006, Montpellier entre ville et territoire.

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De l’ancienne capitale à l’aire métropolitaine

Naples est la troisième métropole d’Italie après Rome et Milan et compte presque un million d’habitants. Etalée sur une superficie d’à peine 117 km2 et tout en attestant au cours des 25 dernières années une décroissance démographique (Amato COPPOLA, 1997), elle présente la plus haute densité de peuplement des métropoles italiennes, avec une moyenne qui dépasse les 8 500 hab/km2. Ville pluriséculaire et une des plus anciennes d’Europe, Naples a été la capitale d’un grand royaume avant l’unité d’italienne (1861)18. Tout en perdant son rôle

de capitale politique, elle a su toutefois garder une puissante centralité dans le Mezzogiorno et une notoriété internationale remarquable.

Dès les années 1980, suite à un dédoublement démographique de la couronne de communes de moyenne et petite taille qui l’entourent, son aire métropolitaine s’est étalée sans solution de continuité pour dépasser 1 000 km2, avec une population qui atteint actuellement les 3 millions d’habitants, si l’on tient compte de l’ensemble des 92 communes de sa Provincia (Département) (RIVIÈRE, 2001). Déjà en 1983, l’Institut SVIMEZ19 émet l’hypothèse d’une

NAPLES par Fabio Amato et Raphaël Cattedra

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1991 et 2001. Unités locales : commune. Découpage administratif : région

18 Au milieu du XVIIe siècle elle était avec plus de 400 000 hab. la majeure agglomération européenne après Paris, et la deuxième de Méditerranée après Istanbul.

19 Association pour le développement industriel dans le Sviluppa Mezzogiorno.

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vaste « zone métropolitaine » comportant outre le pôle de Naples et de sa couronne métropolitaine, les aires urbaines des quatre autres chefs-lieux régionaux (Caserte, Salerne, Avellino et Bénévent). Cette perspective en aurait fait en 2000 une véritable région métropolitaine avec 4,5 millions d’habitants sur les 5,8 de la Campanie (AMATO, 2007).

En effet, dès les années 1950, le « boom économique » de l’après-guerre engendre une remarquable phase d’urbanisation et donne lieu à une première ébauche de métropolisation centrée sur la ville de Naples. Cette expansion urbaine se développe selon cinq directrices spatiales principales : - un certain nombre de communes appartenant

à la première couronne (dont Casoria) au Nord-Est ;

- les communes littorales aux pieds du Vésuve (de Portici à Castellammare) ;

- la zone des Champs Phlégréens, polarisée sur la ville de Pozzuoli, à l’Ouest ;

- une directrice d’urbanisation en direction de Caserte vers le Nord ;

- une aire urbaine polarisée autour de Salerne.

Deux facteurs parmi d’autres sont essentiels pour expliquer ce processus de métropolisation :

l’habitat clandestin ( - abusivismo edilizio), la spéculation foncière et immobilière : des phénomènes qui ont été efficacement décrits par Francesco ROSI dans le film « Mains basses sur la ville » (1963). Ils traduisent les difficultés chroniques de la maîtrise locale de l’aménagement du territoire, dont certains effets nuisibles sont encore présents aujourd’hui, bien que des progrès aient été réalisés ; le séisme qui a sévèrement secoué la région -en 1980, faisant 2 700 morts et 300 000 sans abris. Les conséquences de ce drame

correspondent à la phase la plus aigue de la crise urbaine de la fin du XXe siècle. La période de la reconstruction inonde la Campanie de l’équivalent de 2 milliards d’Euros d’aides de l’État. Cet argent sera utilisé pour édifier 20 000 logements publics, reconstruire ou réhabiliter des milliers de logements privés, réaliser un réseau de routes, d’infrastructures, et des équipements. Mais la gestion d’une importante partie de cet argent sera interceptée et détournée par les réseaux de la criminalité locale (la Camorra), laquelle se métamorphose dès lors en véritable pouvoir économique (SAVIANO, 2006).

C’est à partir des années 1990 que Naples, ville-centre de l’aire métropolitaine, est finalement sortie de la crise qui la secouait. Cette période récente a été définie emphatiquement comme la « Renaissance Napolitaine » (COPPOLA, SOMMELLA, VIGANONI, 1999). Pour résumer son évolution urbaine entre 1950 et 2000, nous pouvons dégager trois périodes principales (CATTEDRA, MEMOLI, 2003). La première allant de l’après-guerre jusqu’à 1972, date à laquelle est adopté un nouveau Schéma Directeur. Il s’agit des années de la grande expansion démographique et spatiale, marquée par la spéculation foncière : le territoire devient marchandise et valeur d’échange et les entrepreneurs du bâtiment s’approprient le pouvoir politique. L’urbaniste DE LUCIA (1998) écrit qu’« entre 1951 et 1961, 11 500 permis de bâtir sont octroyés, tandis que le nombre de logements augmente d’environ 300 000 unités ». C’est le début d’un processus de dépeuplement de Naples et du centre historique. L’expansion allait se poursuivre dans la décennie suivante : « en 1971 les habitants des périphéries de Naples représentent 60% de l’agglomération, alors

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qu’en 1951 ils n’en représentaient que 38%. La migration s’accomplit en bétonnant sans pitié les zones classées comme non-constructibles, effaçant les parcs et les jardins publics ».

La période suivante, 1972-1993, est caractérisée par le « consumérisme urbanistique » (GIANNÌ, 1999). C’est l’époque des procédures et des financements extraordinaires destinés à compenser la crise de l’industrie lourde, auxquels s’ajoutent les interventions en vue de la reconstruction d’après séisme. Dès 1985, la dérégulation s’affirme à l’échelle locale : « le mythe décisionniste pousse à considérer comme inutiles les règles urbanistiques » (c’est à cette époque que remonte la première amnistie du bâtiment illégal -condono edilizio). L’équation ne change pas et explicite la liaison entre les dégâts du territoire et le gain illicite.

La troisième phase, 1993-2000, est liée à l’élection au suffrage direct des maires dans les grandes villes italiennes, à la chute de l’ancienne classe politique (qui se réalise aussi à travers l’action judiciaire dite des « mains propres ») et, sur la scène locale, à l’élection du maire A. BASSOLINO, actuel Président de Région. C’est la phase dite de la « normalisation ». Après plusieurs décennies de laisser faire, l’administration publique met en place un nouvel instrument d’urbanisme : la Variante al PIANO Regolatore Generale. Cette gestion est fondée sur la revalorisation de l’image de Naples à destination de ses propres habitants et à l’ouverture touristique et commerciale tant au niveau national qu’international.

Rappelons que l’image de cette métropole a été longtemps liée à des métaphores dichotomiques opposant la beauté de son paysage et du patrimoine à la pauvreté, la criminalité et le

chaos : depuis l’image de GOETHE « d’un paradis habité par les diables » à celle de « monstre parasitaire » de BRAUDEL, à la « cité poreuse» de BENJAMIN et, pour revenir à l’échelle métropolitaine, à la métaphore de « l’archipel vésuvien » (CECI, LEPORE, 1997).

Fonctions économiques et nouvelles centralités entre économie informelle et post-modernité

Au cours des trois décennies qui suivent l’après-guerre, le système productif régional s’est concentré au cœur du « triangle » Naples-Salerne-Caserte, en assurant à la capitale régionale le monopole économique du dispositif. Le secteur industriel a été caractérisé par le dualisme entre d’un côté l’industrie lourde (sidérurgie, métallurgie-mécanique, électronique) à participation étatique (engendrée par la politique des « pôles », dans le cadre des investissements pour le Mezzogiorno) et l’industrie liée aux multinationales et d’autre part par un tissu de PME, très éclaté. Un autre élément déterminant a été la crise des secteurs traditionnels locaux (habillement, chaussures, cuir).

La décennie 1980 connaît une transformation importante de ce système productif avec la fermeture, la reconversion ou la délocalisation des grandes entreprises et une forte réduction des PME. A l’ouest de Naples, le site sidérurgique de Bagnoli (Ilva ex-Italsider) crée en 1904 est ainsi démantelé, alors qu’un grand nombre de friches industrielles apparaît à l’Est, où était localisé le secteur de la pétrochimie. L’ancien quartier industriel de Poggioreale est entièrement rénové par la réalisation du nouveau Centro Direzionale, conçu d’après le projet de

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l’architecte japonais Kenzo TANGE. La décision de localiser un CBD dans cette zone de la proche périphérie, d’après une logique architecturale rationaliste, avait pour objectif le déplacement d’un grand nombre de bureaux et de sièges d’administrations publiques depuis le centre-ville (le Palais de Justice, le Conseil Régional) et la création d’immeubles résidentiels. Cependant, ce complexe n’a pas atteint son plein régime car, bien que situé à proximité de la gare centrale, les équipements (parkings) sont insuffisants et le CBD demeure mal desservi par les transports.

Cette phase de ter tiarisation est aussi caractérisée par le transfert du marché de gros depuis le quartier Mercato vers la ville de Nola où est né le CIS (Centre de Gros et de Développement). Ce nouveau pôle de l’arrière-pays devient un pivot de centralité de la structure métropolitaine, grâce à la localisation de l’inter-port (pôle d’intermodalité et de stockage de containers) et à la liaison avec l’axe routier Nola-Marcianise-Caserte. Ce dernier déleste une partie des fonctions du chef-lieu. Ce procéssus de re-équlibrage à l’échelle métropolitaine et d’allégement de Naples est en cours d’achèvement. Le projet de localisation d’un nouvel aéroport international à Grazzanise (Caserte) et la réalisation du terminal de la TAV (TGV italien) à Afragola en constituent deux éléments importants. En dépit de la décentralisation de nombreuses fonctions et d’équipements à l’échelle métropolitaine, Naples continue de maintenir une centralité qui se manifeste à plusieurs niveaux. À la centralité traditionnelle des quartiers anciens, qui en fait un des centres historiques les plus vastes au monde (inscrit au patrimoine mondial de l’Unesco en 1995), s’ajoute la centralité des quartiers « en hauteur » de la bourgeoisie et des classes moyennes, bâtis au cour du XXe siècle

(Vomero), et celle de Fuorigrotta, bien pourvue de centres sportifs, de lieux d’expositions (Mostra d’Oltremare), d’équipements ludiques et de centres de recherche et de formation (NCR, Polytechnique).

Les contradictions actuelles du processus de métropolisation napolitain expriment la coexistence d’une modernisation qui assume à la fois les signes de la post-modernité et s’appuie sur une part étendue d’économie informelle. Si cette dernière a marqué le contexte local depuis des décennies et continue de se déployer dans divers secteurs traditionnels - artisanat, textile, bâtiment (FROMENT, 2006), elle devient également le pivot d’une « internationalisation pauvre » de la métropole. Naples continue d’être, grâce certes à son port, la plaque tournante de trafics de tout genre (SCHMOLL, 2004 ; AMATO, 1999), plus ou moins licites, au point de lui attribuer carrément l’image d’un « grand souk méditerranéen à ciel ouvert ». Par ailleurs, la post-modernité est visible dans la réalisation de nouveaux projets urbains : par la reconversion du site de Bagnoli et la régénération de la zone orientale, ainsi que les projets d’un nouveau waterfront et la réalisation de nombreuses « stations d’art » des nouvelles lignes du métro.

Les migrations internationales : un nouvel enjeu de la métropolisation ?

Un changement remarquable du tissu social et économique est dû à la transformation de l’aire métropolitaine de lieu de départ des migrants en lieu d’accueil. L’immigration internationale, da part la place de l’économie informelle, participe du processus d’internationalisation pauvre. La structure économique se caractérise

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par une faiblesse des systèmes productifs et une présence de l’État providence à l’échelle locale, qui interagissent avec un marché du travail reposant sur l’économie souterraine et sur des taux de chômage très élevés.

De par la permanence de la précarité, la configuration des marchés du travail et du logement font de l’hinterland napolitain une porte d’accès du parcours des nouveaux migrants vers une intégration locale. Si jusqu’au début des années 1990, ce territoire n’était considéré que comme un lieu de transit vers les régions riches du Nord, tout en gardant en partie ce caractère, il voit les immigrés s’enraciner : la Campanie compte 138 000 étrangers (2006)20. L’immigration internationale dans l’aire métropolitaine de Naples a les mêmes caractères polycentriques que les autres grandes aires urbaines d’Italie, avec ici la présence de 80 nationalités. Cette présence s’est de plus en plus complexifiée au cours des 30 dernières années : aux premières communautés de la Corne d’Afrique et maghrébines se sont superposés d’autres groupes, avec une augmentation récente d’étrangers originaires de Chine et d’Europe de l’Est. D’autres communautés (Pérou, Philippines, République Dominicaine et surtout Sri-Lanka), actives dans le travail à domicile et d’aide à la personne, constituent une part important du système migratoire local.

Néanmoins, on ne peut pas signaler encore de véritables phénomènes de concentration et de ségrégation dans les quartiers ou cités de l’aire métropolitaine. Les Chinois et les Indo-pakistanais montrent cependant une capacité de concentration majeure. Les premiers ont

choisi une trajectoire migratoire dans le secteur du commerce au détail, de la restauration et du vêtement et sont concentrés à Naples et dans les villes moyennes vésuviennes. Les autres se dédient surtout à l’activité d’élevage dans les zones rurales en marge de l’aire métropolitaine.

L’idée d’une internationalisation par le bas s’exprime ainsi à travers les transformations intervenues grâce à l’installation de ces communautés : elle montre une ouverture « cosmopolite » inédite (CATTEDRA, 2006). Ce changement apparaît dans nombre de transformations du paysage urbain. Piazza Garibaldi est devenue un véritable creuset, où plusieurs nationalités participent à connecter la métropole avec le reste du monde : on y trouve boutiques exotiques, restaurants chinois et africains, et chaque endroit devient un lieu d’échange, de possibilité de travail, de trafics et de communication avec les pays d’origine, ou bien d’autres villes d’Italie et d’Europe. D’autres lieux urbains deviennent le décor de situations cosmopolites, inconnues jusqu’aux années 1990 : places, jardins, églises, mosquées, rues, cafés…

Du gouvernement à la gouvernance : vers un nouveau projet métropolitain ?

Aux trois phases de l’évolution urbaine que l’on a identifiées plus haut, il serait utile d’en ajouter une toute dernière. Vers 2000, la gestion politique et territoriale de Naples semble s’inscrire dans une période de transition et d’incertitude. Au milieu des années 1990, alors que le premier « projet de ville » est lancé,

20 On évalue en 35 000 les sans-papiers.

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ce dernier est énoncé explicitement comme un projet politique pour la ville, dont le maire BASSOLINO en est le concepteur (AMATO, 1999 ; PRG, 1999). Ce projet ne prendra pas l’allure d’un plan stratégique, ni la forme d’un nouveau PIANO Regolatore Generale. L’idée, soutenue par l’urbaniste DE LUCIA, ancien adjoint, est de proposer trois variantes (constituant trois opérations complexes) au précédent PRG de 1972 : celles-ci concernent le centre historique, la zone orientale (quartiers industriels) et la requalification du site de Bagnoli, déjà évoqué (GIRARD, JOHANNON, 2001). BASSOLINO retient comme indispensable le « rapprochement entre centre et périphéries ». L’ensemble du projet est orienté vers la réhabilitation du patrimoine historique et de l’environnement du Centro Antico, la valorisation des zones vertes, la reconquête du rapport à la mer et des structures de service jamais terminées, ainsi que la requalification des parties urbaines objet de reconversion industrielle, misant en particulier sur la ré-articulation des transports.

Or, il nous semble que ces options traduisent - du moins initialement - une démarche plus proche de la planification traditionnelle, visant une normalisation et une simplification des règles du jeu, plutôt qu’une véritable démarche de projet. Bref, une volonté de gouvernement, plutôt que de gouvernance. En ce qui concerne la sauvegarde, le but est surtout d’éviter la « soudure » entre la périphérie de la ville et l’aire métropolitaine, en préservant de l’action des bâtisseurs la bande subtile de partage entre Naples et son hinterland (DE LUCIA, 1998). Au fond, le problème politique est dû à l’absence d’un cadre juridique et fonctionnel apte à gérer le territoire comprenant la commune centrale (soumise au PRG) et l’ensemble de l’aire métropolitaine (dont les compétences en

matière de planification relèvent de divers plans communaux locaux).

Cette situation à des conséquences au moins dans trois domaines :a) la question de l’habitat, car la réalisation de

nouveaux logements n’est pas vraiment prise en compte dans le cadre du PRG de Naples, à cause du manque d’espaces disponibles. L’habitat est donc laissé à la discrétion des communes de l’aire métropolitaine, sans concertation et vision d’ensemble ;

b) la tentative de façonner une « médiation en-vironnementale » avec l’espace métropolitain, qui est proposée via un schéma de valori-sation de parcs et de zones vertes situées à la limite du périmètre communal et de la première couronne métropolitaine ;

c) c’est seulement sur le plan des transports que les orientations générales du PRG de Naples, dérogeant en quelque sorte aux strictes compétences communales, propose une vision globale et articulée, qui se déploie à l’échelle métropolitaine, voire provinciale et régionale.

En tout état de cause, enfermée dans son périmètre municipal, Naples apparaît dans les logiques du PRG et dans l’imaginaire des urbanistes comme une île qui « flotte » dans un territoire confondu avec la mer (CATTEDRA, 2003). Cependant, il faut signaler que la référence à la « ville métropolitaine » commence à se retrouver dans plusieurs projets qui, à partir de la loi 142 de 1990, tentent de mettre en place des « aires métropolitaines » dans les 10 plus grandes villes d’Italie.

Au cours de la dernière décennie, le projet d’ensemble de Naples a bien évolué. Tout en essayant de « gouverner » une vision globale, il est actuellement agité par des contradictions, au

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centre (ville) comme aux marges (urbaines), et notamment dans la tension entre l’administration de l’actuel maire, Mme IERVOLINO, avec les autres acteurs forts de la ville. Les opérations des variantes du PRG ont tendance à devenir de plus en plus autonomes par rapport au gouvernement municipal, notamment à cause de l’entrée en jeu des acteurs privés. La conjoincture actuelle indique ainsi un dépassement de la phase précédente, celle de la normalisation.

Lors des dernières élections communales (mai 2006), la Municipalité (Commune) à procédé à une réforme de décentralisation : un nouveau découpage de Naples qui a vu la naissance de 10 nouvelles « municipalités » intraurbaines à la place des 21 « circonscriptions » administratives, en leur attribuant des nouvelles compétences de gestion et de maintenance urbaine, dont il faudra évaluer l’action effective.

Enfin, le tout récent projet national visant à reprendre la mise en place des aires métropolitaines comme quatrième niveau des collectivités locales : relancer a été institué par une loi de décembre 2006, qui a finalement crée l’aire métropolitaine dans dix villes-métropoles, dont Naples.

Bibliographie AMATO F., 2000, «La ciscolasità commesciale degli immigrati nel napoletano», Affiche e Orienti, n° 3-4, pp. 53-57.AMATO F., 1999, « Salpando verso l’Europa. Intervista al Sindaco Antonio Bassolino », in : P. Coppola (ed.), La Napoli del 2000, Quaderni del Circolo Rosselli, n° 14, pp. 13-16. AMATO F., 2007 « Dall’area metropolitana alla Campania plurale » in : L. Viganoni, (ed), Il Mezzogiorno delle città. Tra Europa e Mediterraneo, Angeli, Milan, pp.169-215.

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Avec 1 015 000 habitants en 1999, la conurbation azuréenne constitue la 6e aire urbaine française par sa population et se structure autour de Nice, Antibes, Cannes, Grasse, Monaco et Menton. Cette métropole atypique accueille 1% de la fréquentation touristique mondiale.

Localisée sur la bande côtière des Alpes-Maritimes, elle s’étend sur 80 km d’est en ouest et 20 km du nord au sud, soit une superficie de 1 100 km2 dont 60% sont inconstructibles (relief). Avec 930 habitants / km2, sa densité est comparable à celle de la région Ile-de-France.

Son aire d’influence proche déborde vers l’Ita-lie (de Vintimille à San Remo), vers l’est du département du Var (Fréjus, Saint-Raphaël,

Draguignan) et vers le Haut Pays des Alpes- Maritimes.

La conurbation azuréenne est un espace récent, façonné à partir de 1850 par le développement touristique puis à partir des années 1960 par l’installation d’entreprises de hautes technologies et le passage de la ville pédestre à la ville automobile (périurbanisation, étalement urbain, interpénétration des aires d’influences urbaines).

Cependant, la croissance azuréenne devient progressivement plus endogène avec l’émergence d’une dynamique de métropolisation (processus de concentration des fonctions économiques supérieures et internationales).

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1990 et 1999 (France et Monaco) et 1991 et 2001 (Italie). Unités locales : commune. Découpage administratif : région

NICE par Gabriel Jourdan

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Mais, le mode de développement azuréen reste fragile notamment parce qu’il se heurte aux limites physiques d’un espace largement urbanisé, et souffre d’un déficit de régulation en raison d’un système de gouvernance longtemps divisé.

Un espace tardivement unifié, façonné par la mondialisation touristique et le passage de la ville pédestre à la ville automobile

Jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle, l’espace azuréen reste cloisonné par les frontières naturelles et politiques. Le fleuve Var sépare la France des États Sardes jusqu’en 1860, et la Principauté de Monaco s’étend jusqu’à Menton.

L’ouest du fleuve Var se rattache à l’espace provençal et s’organise sur un axe Est-Ouest autour des villes de piémont (Vence, Grasse). Le littoral est peu valorisé, malgré l’essor militaire d’Antibes et l’influence des Moines de Lérins (île située au large de Cannes) qui fondèrent plusieurs bastides agricoles (Mouans-Sartoux, Valbonne, Vallauris).

L’Est du fleuve Var est historiquement plus tourné vers la mer. Nice était notamment le débouché maritime du royaume Sarde et communiquait avec Turin par la vallée des Paillons, Sospel et le Col de Tendes.

Au X I X e s i è c l e, l ’e s so r du tour i sme, l’aménagement de la route littorale, l’arrivée du chemin de fer et le rattachement du Comté de Nice à la France provoquent une unification de l’espace azuréen.

Le littoral devient l’espace de villégiature hivernale de l ’ar is tocrat ie européenne jusqu’à la première guerre mondiale. Il en résulte d’importantes mutations urbaines : aménagement des promenades littorales et d’un front de mer bâti (Nice, Cannes, Menton, Monaco, Menton, Vintimille), développement de grands hôtels et de lotissements sur les pentes et les caps. Le chemin de fer stimule cet essor touristique et favorise le développement de l’horticulture sur les collines littorales (exportations de fleurs coupées).

Par contre, l ’arr ière pays conserve ses caractéristiques agricoles et industrielles traditionnelles (parfumerie grassoise) et sert de réservoir de main d’œuvre au profit d’un littoral en plein essor.

A partir des années 1960, l’espace azuréen connaît une nouvelle mutation : explosion démographique (+ 394 000 habitants entre 1962 et 1999), diversification économique et développement des fonctions supérieures (installation d’entreprises de hautes technologies, naissance de l’université), mutation touristique (développement de la saison estivale).

Parallèlement, la généralisation de l’automobile et des aménagements routiers (ouverture de l’autoroute A8 en 1961 entre St Raphaël et Villeneuve Loubet) rendent possible l’étalement urbain et renforcent l’unification du territoire.

L’activité agricole disparaît presque totalement en une vingtaine d’années et l’urbanisation gagne très rapidement l’arrière pays dont les villes centres perdent progressivement leur autonomie au profit des agglomérations littorales.

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Parallèlement, de nouveaux pôles économiques et commerciaux se développent autour des noeuds routiers et viennent concurrencer les centres-villes les plus fragiles. On assiste également à la naissance de grandes marinas touristiques (Mandelieu, Villeneuve Loubet) et d’une « ville nouvelle » (Carros Le Neuf) pour loger les salariés de la zone industrielle départementale.

En définitive, la conurbation s’organise selon un schéma multipolaire, avec cinq pôles de niveau métropolitain qui accueillent plus de 20 000 emplois, un appareil commercial diversifié et de nombreux équipements supérieurs (centre-ville de Nice, Cannes et Monaco ; pôles nouveaux de la Basse Vallée du Var et de Sophia-Antipolis). D’autres pôles ont une attractivité plus locale (centres-villes d’Antibes, Grasse, Vence, Cagnes sur Mer, Menton ; pôles nouveaux de Mandelieu – Cannes-Bocca et de Villeneuve Loubet).

Les limites d’une croissance urbaine extensive

A partir des années 1960, l’arrière pays et les collines littorales deviennent convoités car accessibles avec la généralisation de l’automobile. Tout un système économique se développe autour de la valorisation de la rente foncière et parvient à prendre le contrôle des municipalités ou à se faire entendre lors de l’élaboration des plans d’urbanisme communaux.

Dans un contexte de forte croissance, cela se traduit par une explosion de la consommation d’espace. Entre 1970 et 2000, la surface urbanisée est multipliée par 2,4, passant de 166 à 400 km2. Parallèlement, la population est

multipliée par 1,4, passant de 700 000 à 982 000 habitants (hors Monaco). En conséquence, la densité des espaces urbanisés a baissé de 40% en 30 ans, passant de 4 220 habitants / km2 à 2 450 habitants / km2.

En 2000, l’urbanisation occupe 85% des 470 km2 potentiellement constructibles de la conurbation. Les marges d’extension urbaine sont donc restreintes, alors que les besoins sont importants, notamment en terme de logements.

De ce fait, l’urbanisation déborde de plus en plus vers l’Est Varois, facilement accessible par l’autoroute A8. Après les grands complexes touristiques, cet espace accueille de plus en plus d’actifs qui ne parviennent plus à se loger dans les Alpes-Maritimes mais aussi de nombreuses entreprises ar tisanales, industrielles ou de logistique chassées par les coûts élevés du foncier. Les zones d’emplois de Fréjus - Saint-Raphaël - Saint Tropez et de Draguignan accueillent 260 000 138 habitants et 84 000 emplois (en 1999) mais aussi presque 55% de la fréquentation touristique varoise (plus de 40 millions de nuitées par an).

Le haut pays des Alpes-Marit imes est également concerné par la périurbanisation, notamment en lien avec le développement de l’emploi dans la basse vallée du Var et l’amélioration de la route nationale 202.

A l’est, la communauté d’agglomération de Menton souhaite développer ses relations avec la Province d’Impéria et la commune de Vintimille, qui disposent encore d’espaces libres ou mutables dans la Vallée de la Roya. Un projet de zone d’activité transfrontalière y est envisagé.

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Les trois piliers de l’économie azuréenne : tourisme et accueil résidentiel, hautes technologies, activités financières

Longtemps dépendante du tourisme, l’économie azuréenne s’est diversifiée vers les activités de hautes technologiques, mais aussi la finance.

La conurbation accueille 29 000 emplois métropolitains supérieurs (hors Monaco), soit 7,7% de l’emploi total, ce qui est encore faible par rapport aux métropoles françaises de taille comparable.

Le tourisme et l’accueil résidentiel

La valorisation des rentes de l’accueil touristique et résidentiel explique l’importance des secteurs du commerce, de l’hôtellerie/restauration, des services à la personne et du bâtiment et travaux publics.

En 2001, la fréquentation touristique des Alpes-Maritimes est estimée à 9,3 millions de séjours et 69 millions de nuitées, soit presque 190 000 touris-tes par jour en moyenne annuelle. 57% des séjours sont de fait des touristes étrangers. Le tourisme d’affaires est fortement présent : la conurbation est le second pôle français (après Paris) pour l’accueil de congrès. En 1999, il y avait environ 125 000 résidences secondaires dans la conurbation, soit 20 % des logements disponibles. Après un fort développement entre 1960 et 1990, leur progres-sion tend à ralentir tout en restant significative (+ 10 800 unités entre 1990 et 1999).

L’ancienneté du tourisme induit un rapport particulier à la mer : cette dernière est mise en scène dans l’organisation même des villes (promenades littorales) et constitue un élément

incontournable de l’image de la Côte d’Azur. Par contre, contrairement à Marseille, Gênes ou Toulon, la fonction portuaire n’est pas un levier fondamental du développement sauf autour de quelques niches (ferries vers la Corse, croisières, yachting et plaisance).

Entre 1962 et 1999, la Côte-d’Azur a gagné environ 400 000 habitants. Initialement, cette croissance est un prolongement de l’économie touristique (retraité venant finir ses jours au soleil).

Mais de plus en plus, les nouveaux arrivants sont des actifs attirés par les entreprises de haute technologie. Si le solde migratoire tend à diminuer, la conurbation a cependant gagné 40 000 habitants entre 1990 et 1999 (Monaco inclus).

Les nouveaux arrivants proviennent principalement des autres régions françaises. On note également la présence d’importantes communautés étrangères, principalement originaires d’Europe du Nord, d’Italie, des États Unis et de Tunisie (la conurbation étant l’une des têtes de pont de l’immigration tunisienne en France).

L’accueil d’entreprises de hautes technologies

A partir de 1959 (implantation d’IBM), la Côte d’Azur est reconnue comme un espace attractif pour l’installation de centres de recherches dans un cadre agréable. Cette demande a été capitalisée par les pouvoirs publics avec la création de Sophia-Antipolis.

Le développement du technopôle a été longtemps basé sur l’implantation de firmes extérieures, avec le soutien d’un marketing

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territorial efficace. Mais, depuis le milieu des années 90, une logique plus endogène voit le jour, Sophia-Antipolis devenant par exemple « une place incontournable au niveau européen en matière d’expérimentation dans les secteurs liés aux sciences et technologies de l’information et de la communication » (QUÉRÉ, 2002).

Il faut également noter la présence d’une industrie de la chimie fine (en lien avec la parfumerie grassoise) et l’implantation d’Alcatel Space à Cannes (fabrication de satellites).

Le développement des activités financières à Monaco

Au-delà du tourisme, Monaco a misé sur le développement des activités bancaires (statut de « paradis fiscal ») et des entreprises de hautes technologies.

La Principauté est, avec Sophia-Antipolis, le pr incipal moteur économique de la conurbation. En 2001, elle offrait 39 000 emplois (pour 32 000 habitants) et attirait quotidiennement 26 500 actifs français et 3 300 actifs italiens.

Son développement s’appuie une politique publique de maîtrise de l’espace et d’expansion territoriale (polders, restructurations urbaines et densification).

Malgré une bonne santé économique, de fortes inégalités sociales aggravées par la crise du logement

En 1999, les chômeurs et salariés précaires représentaient 28% de la population active

azuréenne (contre 26% pour la moyenne des 100 premières aires urbaines françaises selon l’INSEE), ce qui est très inférieur par rapport aux autres métropoles méditerranéennes françaises (Aix-Marseille : 35%, Toulon et Montpellier : 33%).

Les chiffres récents soulignent l’amélioration de la situation de l’emploi. Avec 9,6% de chômeurs (au sens du Bureau International du Travail) en 2005, le département des Alpes- Maritimes rejoint la moyenne nationale et se situe nettement en dessous de la moyenne régionale (11,5% de chômeurs en PACA).

Cette situation ne doit pas masquer de fortes inégalités sociales alimentées par la dualité du marché de l’emploi, l’économie résidentielle employant une main d’œuvre locale peu qualifiée contrairement aux entreprises de hautes technologies qui tendent à recruter leurs cadres à l’extérieur.

Ces inégalités sont aggravées par la pénurie de logements abordables pour les classes moyennes et populaires, alimentée par le déficit de constructions neuves, le poids croissant de la demande étrangère (résidences secondaires) et le manque de logements sociaux (9% des résidences principales contre 19% en moyenne pour les 100 premières aires urbaines françaises).

De ce fait, le monde économique tire la sonnette d’alarme depuis bientôt 10 ans : la crise du logement menace la compétitivité de l’économie azuréenne qui ne parvient plus à loger ses salariés.

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La difficile émergence d’un système de gouvernance métropolitain

Longtemps, les divisions locales ont freiné toutes les tentatives de régulation de l’urbanisation car chaque commune souhaitait bénéficier individuellement des retombées de la croissance.

Dans les années 1970, le « schéma d’aména-gement de la bande côtière des Alpes- Mariti-mes » impulsé par l’État sera rejeté car il bou-leverse une stratégie de développement basée sur l’urbanisation diffuse et l’appropriation locale de la rente foncière. Son application partielle permettra cependant la naissance de Sophia-Antipolis et l’aménagement d’une partie de la Basse Vallée du Var.

A début des années 1990, la chute du système politico-mafieux dirigé par Jacques Médecin aboutit à une alliance stratégique entre l’État, la Chambre de Commerce et d’Industrie, le Conseil Général et la Ville de Nice.

Ces acteurs veulent promouvoir une relance du développement par une série de grands projets ar ticulés sur le doublement de l’autoroute A8. L’État décident d’élaborer une « directive territoriale d’aménagement » (DTA21). Parallèlement, en 1996, le Conseil Général initie une démarche de projet de territoire pour fédérer les acteurs locaux autour d’une « métropole Côte d’Azur » qui pourrait compter 1,5 millions d’habitants à l’horizon 2015.

Mais cette vision se heurte à l’opposition des communes du Moyen Pays qui souhaitent conserver la maîtrise de leur développement, refusent le projet de doublement de l’autoroute A8 et craignent d’être bétonnées et satellisées par un littoral saturé.

Cela provoque l’échec de la démarche Métropole Côte d’Azur et une réorientation des objectifs de la DTA en lien avec le changement de majorité gouvernementale en 1997. Le projet de doublement de l’autoroute A8 est abandonné (même si l’objectif d’une amélioration du contournement autoroutier de Nice reste affiché) et les hypothèses de croissance démographique sont revues à la baisse.

Tout d’abord décriées, ces nouvelles orientations sont progressivement appropriées par les collectivités locales. La DTA est désormais perçue comme un cadre stratégique pour les politiques d’aménagement, qui met fin à trois décennies de blocage.

Parallèlement, plusieurs évènements viennent recomposer le système de gouvernance azuréen : la naissance en 2001 des communautés d’agglomération (structures intercommunales de projet) autour de Nice (CANCA), de Menton (CARF), d’Antibes - Sophia-Antipolis (CASA) et de Grasse (CAPAP) ; l’élection d’un nouveau président du Conseil Général en 2003, et plus largement, la prise de conscience des limites du mode de développement (raréfaction du foncier disponible, retards accumulés notamment en matière de transports collectifs et d’offre de logement).

21 Document de planification élaboré de manière facultative à l’initiative de l’État, pour encadrer les politiques locales d’aménagement, mais aussi préciser les modalités d’application des lois sur la protection du littoral et de la montagne.

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Cette mutation est symbolisée par la réponse de la conurbation azuréenne à l’appel à projet « coopération métropolitaine » lancé par l’État en 2004, qui fédère sous l’égide de la Préfecture des Alpes-Maritimes (État) les quatre communautés d’agglomération, la Ville de Cannes, les communautés de communes de Carros et du Pays des Paillons, la Principauté de Monaco, le Conseil Général, l’État, les Chambres Consulaires, l’Université et le CHU22.

Conclusion

L’enjeu d’un nouveau mode de développement basé sur une gestion plus intensive de l’espace Le dynamisme économique et l’évolution du système de gouvernance azuréen ne doivent pas faire oublier que la conurbation doit dépasser les contradictions d’un mode de développement non-durable.

En effet, l’économie d’accueil basé sur l’extension urbaine se heurte aux limites physiques d’un territoire dont 85% de la superficie constructible est déjà bâtie. Le renouvellement urbain peine à prendre le relais, ce qui explique la crise actuelle du logement, par ailleurs aggravée par l’effet d’éviction de la demande haut de gamme.

Le risque est alors de voire émerger une gigantesque « Californie » azuréenne et provençale, autour du corridor de l’autoroute A8 qui autorise la diffusion vers le département du Var de la périurbanisation liée à la conurbation azuréenne, mais aussi à la métropole d’Aix- Marseille, au prix d’une « dépendance automobile » croissante et

d’une forte consommation d’espace. Si les acteurs locaux commencent à partager ce constat, la conurbation est toujours en attente d’une véritable stratégie volontariste d’aménagement du territoire qui permettrait de valoriser à grande échelle les opportunités de renouvellement urbain tout en privilégiant une localisation du développement articulée sur un système métropolitain de transports collectifs. Pourtant nécessaire à moyen terme, une telle stratégie se heurte pour l’instant à une certaine méfiance vis-à-vis de l’intervention publique, au manque de moyens financiers des collectivités locales, mais aussi au rejet des projets de densification ou de développement du logement social par les populations en place. Ce constat peut être généralisé à l’ensemble des métropoles méditerranéennes françaises à l’exception peut être de Montpellier.

Bibliographie BOYER M., 2002, L’invention de la Côte d’Azur, l’hiver dans le midi, Editions de l’Aube, La Tour d’Aigues. GU ICHARD J .- P., SEGURET C., 1981, « Urbanisation, structures foncières et mutations sociales dans le pays niçois », Les annales de la recherche urbaine, N°10/11. JOURDAN G., 2003, Transports, planification et gouvernance urbaine, étude comparée de l’aire toulousaine et de la conurbation Nice-Côte d’Azur, l’Harmattan, coll. « villes et entreprises »,. JOURDAN G., 2003, « Ville automobile et planification urbaine : le cas de la Côte d’Azur », Montagnes Méditerranéennes, N°18.

22 Centre Hospitalier Universitaire.

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QUERE M., 2002, « Territoire et gouvernance locale : le cas de Sophia-Antipolis », Géographie, économie, société, N°4. TRICOT A., 1996, « La mise à l’épreuve d’un projet par son milieu associé ; analyse des controverses du projet autoroutier A8 bis », Techniques, territoires, sociétés, N°31 « Projet d’infrastructure et débat public ». WADKERMANN G., 1983, « le périurbain dans la région de Nice », Cahiers de CREPIF, N°3.

Autres ressources documentaires Site Internet du GIR-MARALPIN (Groupe Interdisciplinaire de Réflexion sur l’Aménagement du territoire Maralpin et les traversées sud-alpines) : http://www.gir-maralpin.org Site Internet du gouvernement monégasque : http://www.gouv.mc Site Internet de la Direction Départementale de l’Equipement des Alpes-Maritimes http://www.alpesmaritimes. equipement.gouv.fr Site Internet de l’INSEE (Institut National de la Statistique et des Études économiques) http://www.insee.fr.

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Un site millennaire, plusieurs fois décentré et recentré suivant les enjeux du moment

Après une période préhistorique riche en événements, le site d’Oran n’a pas cessé d’être peuplé successivement, et/ou parallèlement, par les Berbères, les Romains, les Arabes, les Espagnols, les Ottomans et les Français, avant l’Indépendance Nationale en 1962.

Au cours de son histoire, son espace urbain a été plusieurs fois décentré et recentré par rapport aux enjeux du moment.

D’abord, port romain (Portus Magnus), situé probablement, dans la petite rade occupée

actuellement par le port de pêche, car protégée naturellement des turbulences et aléas climatiques, ensuite, sur son emplacement même, émergea Mers Es Seghir (Petit Port), lors de l’arrivée des Arabes de l’Andalousie, et un peu plus tard, à une vingtaine de kilomètres à l’ouest, à Mers El Kébir (Grand port) en 903 h / 1509 (EL WAZZANI, 1981 : 340-342).

Sur le mamelon surplombant la rive gauche de l’Oued Ras El Ma (source d’eau) une imposante Casbah (Citadelle) sera le noyau initial d’une urbanisation qui s’orientera vers la petite rade de Mers Es Seghir et développera les relations commerciales maritimes avec les grands ports méditerranéens de l’époque tels que Valence, Marseille, Gênes, Venise qui y

ORAN par Naïma Chabbi-Chemrouk et Houcine Rahoui

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1987 et 1998. Unité locale : commune. Découpage administratif : wilaya

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avaient leurs fondouks (agences d’hôtellerie), leurs représentants et leurs loges consulaires (LESPES, 1932).

Les deux occupations espagnoles (1509-1708) et (1732-1792) ont, d’abord, introduit une architecture militaire fortifiée sur des espaces escarpés difficiles d’accès sur le Mont du Murdjadjo (Santa Cruz, fort militaire), puis développé une trame en damier, dans un espace intra-muros qui atteignit 75 ha. Cette trame va irrémédiablement, malgré le séisme qui a frappé la ville en 1790, conditionner la structuration de l’espace urbain oranais même lors de la reprise d’Oran par les Ottomans qui vont composer avec le tracé des voies structurantes laissées par les Espagnols. Le développement des faubourgs d’Yfri, Kelaia, Karguentah, Ras El Ain, à partir de 1792, va constituer les points de suture, ou de connexion, pour ainsi dire, d’un étalement urbain conséquent lors de la venue des Français (LESPES, 1932) qui optèrent pour une colonisation de masse et une exploitation systématique des ressources, particulièrement agricoles.

Dynamique de desserrement et mitage de l’espace péri-urbain

Essaimage de fermes, puis nouveaux faubourgs, vont pousser en rupture spatiale entre 1866 et 1935, constituant une deuxième ceinture périphérique de l’espace urbain désormais extra muros, existant. Les fermes23 de la zone péri-urbaine seront les réserves foncières des futurs lotissements que l’entassement urbain et la poussée démographique, consécutifs notamment à la crise de 1930, ont rendus tacite.

Le premier boulevard périphérique entamé sous l’impulsion du Maire d’Oran vichyste Levêque opéra la jonction entre ces entités péri-urbaines.

La démolition des remparts de la ville a permis de réaliser sur leur tracé (1935) le premier périphérique qui « opéra aussitôt la soudure entre les quartiers intra-muros et les anciens faubourgs » (PDAU, 1993).

La période entre 1918 (première guerre mondiale) et 1930 (crise du capitalisme) a vu une prolifération sans précédent de bidonvilles dans les anciens quartiers pauvres de la ville basse (les Planteurs, Ras El Ain, etc.…).

La seconde guerre mondiale ralentit la croissance urbaine, la guerre de Libération Nationale (1954-1962) la contraria, la freina, mais n’empêcha pas l’éradication des principaux bidonvilles et la réalisation des HLM et coopératives immobilières, pour les européens d’abord, et la promotion de l’habitat musulman, dans un deuxième temps.

A partir de 1953, on assiste au lancement des grands travaux du deuxième boulevard périphérique, du majestueux boulevard du front de mer.

Ce développement urbain spectaculaire imposa l’inscription d’un plan d’urbanisme qui dépassa les limites traditionnelles du périmètre urbain de la ville d’Oran pour s’étendre aux espaces périphériques situés, certes, en rupture spatiale par rapport à ce dernier, mais qui influençaient et conditionnaient son développement.

23 Certains quartiers et cités gardent de nos jours les noms des propriétaires de fermes et lotisseurs tels que : Petit, Lamur, Magnan, Maraval, Herelle, Pouyet, etc.…

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Ainsi, le premier Plan d’Urbanisme Directeur du Groupement d’Oran (P.U.D.) couvrant les communes d’Oran, Mers El Kébir, Ain El Turck, la Sénia, Arcole, Sidi Chami, Valmy et Bousfer, sera adopté par arrêté préfectoral du 04 septembre 1953.

Le Plan de Constantine et le développement d’un cer tain nombre d’infrastruc tures industr ie l les , rout ières , por tuaires et aéroportuaires confirma Oran dans la position privilégiée de deuxième ville algérienne, après la capitale Alger. C’est dire qu’Oran s’installait déjà aux commandes d’un appréciable espace métropolitain en développement (SOUFI, 2004).

L’ère des grandes transformations et l’apparition de nouvelles polarités

Au lendemain de l’Indépendance, Oran va connaître un développement séquentiel que nous pouvons appréhender par décennie : d’abord une occupation des biens vacants et une aide à la construction individuelle, par la formule de l’auto construction (1962-1970), sans grandes conséquences sur l’espace urbain, ensuite, l’engagement dans un processus global de planification économique de type socialiste avec, en soubassement, les révolutions agraire, industrielle et culturelle qui ont bouleversé aussi bien le monde rural qu’urbain. Et, c’est à ce moment qu’Oran a vécu ses grandes transformations avec le dégagement irréversible de centralités et de polarisations, d’abord fonctionnelles, puis structurelles. (1971-1980). Une vue aérienne de l’espace oranais laisse apparaître trois entités principales :

Oran-Centre, avec ses centres résidentiels et -de services hautement performants (tertiaire supérieur), deux Universités, deux grands centres hospitaliers universitaires, un aéroport

international (niveau 2), deux aérogares de desserte régionale, des centres et laboratoires de recherche et une infrastructure portuaire poly fonctionnelle, majeure, conséquente. À l’est, le complexe pétrochimique d’Arzew- -Béthioua, avec son port et ses terminaux, en liaison avec les deux zones industrielles d’Es-Sénia et Hassi Ameur. À l’ouest, un chapelet d’agglomérations cô- -tières, presque accolées entre elles, destinées naturellement au tourisme balnéaire, avec notamment, le complexe touristique des An-dalouses et des stations balnéaires intégrées, pour la plupart, aux trames des anciens centres agglomérés coloniaux tels que Bousfer, Ain Turck, Mers El Kébir, érigés en agglomérations chef-lieux de Communes, et d’autres sites nou-veaux que la spéculation foncière et l’exode rural ont fait pousser en champignon.

Et, si la décennie 1981-1990 a vu un net ralen-tissement dans la consommation de l’espace urbain par l’étalement et la densification des Zones d’Habitat Urbaines Nouvelles (ZHUN) par le biais de lotissements sociaux et coopératifs, au morcellement modéré, la décennie 1991-2000 s’est caractérisée par la mise en conformité et/ou la promulgation de textes à caractère législatif, normatif et réglementaire en rapport avec les nouvelles données d’une orientation politique redéfinie par la Constitution de 1989 (multipar-tisme) et les mécanismes d’une économie de marché en construction.

Un site naturellement prédestiné aux activités portuaires

Oran fait partie des 11 ports algériens disséminés sur une façade maritime de 1200 km, dans une position stratégique les

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plaçant sur des axes donnant accès sur l’océan atlantique, par le Détroit de Gibraltar, et à l’océan indien, par le canal de Suez. Avec son site exceptionnel composé du mont Murdjadjo et d’un littoral abrupt soulignant une anse majestueuse, Oran semblait être prédestinée aux ac t iv ités por tuaires ( BEKKOUCHE, 1998).

Ainsi, Oran en tant que cité commerçante, a depuis toujours privilégié un lien indéfectible avec la mer et l’activité portuaire. Avec le développement du pôle pétrochimique d’Arzew et son autonomie (port et infrastructures), et la diversification des échanges qu’a permis l’ouverture du port à une économie de marché prometteuse, ce lien a, non seulement, été maintenu, mais renforcé tels que le prouvent les travaux d’extension, de rénovation et de mise à niveau de l’infrastructure portuaire oranaise.

Une mobilité urbaine émergente favorisée par une libéralisation encore timide de l’économie nationale

Le monopole du secteur public sur les moyens de transport de masse et l’exigence d’agréments spécifiques ont longtemps joué comme un véritable goulot d’étranglement entre les moyens limités de l’État et les besoins démultipliés de déplacements d’une population occupée ou en quête d’emplois, en plus d’autres motifs économiques, sociaux et culturels. Cependant, la libéralisation de l’économie, la libération des énergies et l’encouragement de l’initiative individuelle, entamées dès 1990, entre autres, ont permis une plus grande mobilité de la population, et par voie de conséquence, une élongation appréciable du rayon des mouvements pendulaires.

Les voies urbaines qui irriguent le centre même de l’agglomération oranaise, et qui portent les noms des destinations des petites et moyennes villes d’importance locale et/ou régionale, tels rue d’Arzew, rue de Mostaganem, rue de Mascara, rue de Tlemcen-Oujda, montrent l’impact de la métropole sur un vaste rayon qu’elle traite, d’une manière différenciée, comme arrière pays.

Malgré les actes de sabotage qu’elle a subi entre 1990 et 2000, et l’insécurité qui régnait sur son parcours, la ligne trans-maghrébine Est–Ouest demeure à ce jour fonctionnelle. Par contre, la ligne étroite qui relie la métropole Oranaise au Sud, par Mohammedia, semble dépassée par le temps, bien qu’elle continue d’acheminer à destination les produits de base non périssables. Le transport terrestre, bien que plus coûteux demeure la solution consacrée, car fonctionnelle, aussi bien pour le transport des personnes que des biens et marchandises.

Et si les liaisons terrestres ont pris de l’élan avec la participation active des opérateurs privés, le développement des liaisons aériennes et maritimes, encore sous protection car lourds, stratégiques et coûteux, connaissent une lente évolution.

Point d’appui des Umayyades de Cordoue au Maghreb, la ville a toujours su sauvegarder son statut de cité commerçante

Par son commerce, la ville a toujours participé à la vie économique de la Méditerranée. point d’appui des Umayyades de Cordoue au Maghreb, elle a même servi comme un des plus importants ports sous les Zianides (distribuant les richesses du Soudan).

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Aujourd’hui, le port d’Oran se situe à la 4ème position pour le trafic des hydrocarbures et 2ème pour le trafic global (hors hydrocarbures) ; il est également au 2e rang, après Alger, pour les containers, comme mode de conditionnement. Enfin, il assure 23% du transit des céréales à l’échelle nationale.

Pour ce qui est du volume global des marchandises, tant à l’importation qu’à l’exportation, il est passé de 2 800 000 tonnes, en 2000, à 3 151 145 tonnes, en 2001, soit une hausse de 59 304 tonnes (EPO, 2001).

« Les importations restent dominées par les produits agricoles qui constituent près de 46 % du trafic débarqué, suivis par les produits alimentaires 16,8 % » (MEKHLOUF et CHEROUF, 2001).

Les vracs solides demeurent prédominants avec 52,61 % du trafic global et où les céréales en représentent 78,69 % ; ce qui dénote d’une dépendance alimentaire aiguë. Les vracs liquides représentent 3,58 % et les marchandises 43,81 % (EPO, 2001).

Le trafic conteneurisé est passé en dix ans (1991-2001) de 65 841 tonnes à 343 950 tonnes ; c’est dire que le taux de conteneurisation est passé de 7,11 % à 24,92 %. C’est à partir de 1995 que le taux de 14,87 % indique, d’une manière irréversible, l’ascendance de ce mode de conditionnement qui suit l’évolution de l’effort de libéralisation du commerce extérieur, longtemps monopolisé par l’État (EPO, 2001).

Le trafic « passagers » pour l’année 2001 a enregistré un chiffre de 269 634 passagers, mais ce flux est dû au mouvement des vacanciers et émigrés en visite au pays. Les fortes affluences

proviennent principalement d’Alicante et de Marseille (EPO, 2001).

Oran est la ville support du port : le port développe et entraîne dans son aire d’influence une série d’activités annexes et connexes liées au transport, conditionnement, entreposage et maintenance, mais aussi des services bancaires, fiscaux, juridiques, et des agences de transport, de transit, d’hôtellerie et de tourisme. Et si le port est le pourvoyeur en marchandises de la ville d’Oran celle-ci en est son principal client et régulateur.

C’est donc un pôle, à la fois, générateur et distributeur d’emplois et de revenus, puisque l’exploitation de l’infrastructure portuaire, à elle seule, a permis de réaliser, pour l’année de référence 2001, un chiffre d ‘affaires de 350 500 000,00 Dinars Algériens (EPO, 2001). C’est dire enfin qu’il y a un lien dialectique, complémentaire et indéfectible entre l’appareil portuaire et l’appareil urbain.

Cependant, le port d’Oran, conçu initialement pour répondre aux besoins de la métropole coloniale, et tourné essentiellement vers l’acheminement des produits agricoles et matières premières en vrac, est aujourd’hui rattrapé par le temps et interpellé par les nouveaux modes et technologies de transports multiformes, et sommé de se mettre à leur diapason.

Le monopole du lotissement informel et l’affirmation d’une ségrégation urbaine déjà marquée

La ségrégation spatiale était un concept, à la limite, tabou pour une société qui se présentait

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à l’ère du socialisme, sur le plan institutionnel, démocratique et populaire. Cependant, l’accessibilité aux différentes zones de la ville qui se faisait, au départ, soit par le logement social, soit par le lotissement individuel, ou encore par le système coopératif, se voyait déterminée en dernier ressort par la spéculation foncière et immobilière qui revalorisait au marché noir (informel) biens et assiettes foncières, selon les fluctuations de l’offre et de la demande. Il fallut attendre l’installation des fameuses Âgences de Régulation Foncières (1990) qui allaient détenir le portefeuille foncier et, plus tard, immobilier pour réduire l’écart entre les transactions du notaire agréé et l’agent d’affaires et le courtier qui opéraient en marge de la réglementation.

Position, centralité, accessibilité et connectivité, entre autres concepts-clés, vont déterminer les prix du mètre carré et imposer de fait une exclusion des pauvres et couches moyennes de ces espaces.

Par ailleurs, l’immigration vers la ville, dans ce contexte, avec la crise statique du logement, la saturation des sites urbains et le chômage (apparent et déguisé) ont amené à la prolifération de l’habitat illicite aux alentours des périmètres urbanisés, aux échelles périurbaine et métropolitaine (Ain El Beida, Chetaïbo, Sidi El Bachir, etc..) posant des problèmes de résorption et d’insertion (BENDJELID, 1998 : 61-84).

Les Nouvelles Orientations Foncières : le passage d’une planification spatiale perçue à l’hectare à celui d’une gestion rationnelle valorisée au mètre carré et opposable au tiers

Le recentrage de la politique sociale et économique, dicté par la nouvelle constitution de 1989, a induit

la promulgation d’une série de textes législatifs visant à harmoniser la législation en cours avec les nouvelles directives et dispositions allant dans le sens et l’esprit de l’instauration d’une économie de marché libéral. Parmi ces textes, nous citons en substance :

les deux (02) Lois n° 90/08 et n° 90/09 du -07 Avril 1990, relatives respectivement à la Commune et à la Wilaya. La Loi n° 90/25 du 18 Novembre 1990, portant -Orientation Foncière La Loi n° 90/29 du 1 - er Décembre 1990, relative à l’Aménagement et l’Urbanisme, complétée en Août 2004. La Loi n° 90/30 du 1 - er Décembre 1990, portant Loi Domaniale.

Cet arsenal législatif constitué de dispositions réglementaires et règles à caractères technique et normatif a permis une réforme au plan foncier, avec l’instauration d’un marché foncier plus libre qui charge les représentants de l’État et des collectivités locales de sa régulation.

Les Âgences Locales de Gestion et de Régulation Foncière Urbaines (ALGRFU) et les dispositions fiscales ont induit une meilleure fluidité du marché foncier en décourageant le gel des assiettes foncières (par imposition).

Par ailleurs, le passage de l’économie planifiée à l’économie de marché a rendu impératif le passage d’une planification spatiale perçue à l’hectare à celui d’une gestion effective de ce dernier valorisée au mètre carré et opposable au tiers.

Un paysage urbain millénaire en quête de reconstitution

La limite maritime au nord, la barrière montagneuse à l’ouest, la contrainte agricole

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au sud, ont naturellement orienté l’extension de l’agglomération oranaise vers l’est sur le site urbanisé de Bir El Djir, ensuite à Sidi El Bachir, bloquant net les initiatives spontanées de constructions individuelles à ce niveau.

Les trois derniers Plans Directeurs d’Aménage-ment et d’Urbanisme ont tous opté pour une occupation rationalisée sur l’espace communal de Bir El Djir, situé en continuité urbaine du centre urbain d’Oran.

Par ailleurs, Oran-centre dispose, à ses proximités immédiates, à l’ouest et au sud-ouest, du Mont Murdjajo qui offre une merveilleuse vue panoramique sur l’ensemble de l’espace urbain et de ses zones périphériques et de la forêt de M’sila en continuité urbaine et qui peuvent constituer des espaces de loisirs et de détente urbains incomparables (Parcs Urbains, etc.…).

Aussi, la zone marécageuse, située au sud de la zone urbaine, appelée « Petit Lac », et qui reçoit toutes sortes de dépôts (déchets, eaux pluviales) constitue une plaie qu’il faut radicalement traiter par des techniques, certes coûteuses, mais extrêmement bénéfiques à moyen terme. Par ailleurs, le déverrouillage opéré dans les domaines politique, économique et social, l’ouverture du champ de la concertation, la participation citoyenne, par le biais du mouvement associatif, et l’investissement privé, ont permis la dynamisation d’une économie qui se recherche dans une nouvelle forme de gouvernance et dans un système d’acteurs qui repoussent chaque jour la cacophonie entre services étatiques, élus locaux et citoyens, et où l’État tend de plus en plus à jouer un rôle de régulateur des flux et d’arbitrage entre les parties en présence.

Bibliographie AL WAZZANI, H. / JEAN LEON L’AFRICAIN, 1981, « Description de l’Afrique », Trad. Epaulard, Paris, Librairie d’’Amériques et d’Orient, A. Maisonnneuve. BEKKOUCHE, A., 1998, « Aux origines d’Oran : le ravin de Ras el-Ain », in Insanyat, n°5, Villes algériennes, CRASC, Oran. BENDJELID, A., 1998, « La fragmentation de l’espace urbain d’Oran. Mécanismes, acteurs et aménagement urbain », in Insanyat, n°5, Villes algériennes, CRASC, Oran. EPO, 2001, Entreprise Portuaire d’Oran , Annuaire Statistique. KANDER, M., 2004, « Oran, la mémoire », Ed Bel Horizon, Alger. LESPES, R., 1938, « Oran, études de géographie et histoire urbaine », Paris, Alcan, Alger, Carbonnel. MEKHLOUF, L., et CHOURFi, N., 2002, « Oran, le port et la ville », Mémoire de fin d’études, Université d’Es Senia, Oran. SOUFI, F., 2004, « Entre Oran et Alger : une vieille et toujours actuelle histoire », in Alger lumières sur la ville, N.CHABBI-CHEMROUK et al, Editions Dalimen, Alger.

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Une capitale métropole

Une commune-centre prépondérante fondée au huitième siècle avant Jésus-Christ, capitale de l’Italie, siège de l’État du Vatican et capitale mondiale de la chrétienté et de plusieurs organisations internationales, Rome illustre bien la fonction de polarisation des métropoles.

Pour des raisons statistiques, l’aire métropolitaine romaine est le plus souvent assimilée à la province. Selon cette définition, la métropole compte environ 3,6 millions d’habitants en 2002. Avec près de 3 millions de personnes, la commune centre représente à elle seule 70% de la population métropolitaine. Avec une superficie de 1 500 km2 qui en fait la plus grande

commune d’Italie, voire d’Europe, Rome occupe ainsi près de 30% du territoire provincial. Cette situation particulière est à la base de demandes pour un traitement spécial et une organisation spécifique de la gouvernance.

Les dynamiques économiques

Rome est la capitale politique de l’Italie, mais elle connaît cependant la concurrence de Milan qui est la véritable capitale économique du pays. L’économie de Rome se distingue par l’absence d’industrie lourde, tandis que le secteur tertiaire est particulièrement actif. Le rang de capitale de la ville de Rome détermine un enchevêtrement complexe de fonctions. Tout d’abord, dans le secteur

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1991 et 2001. Unités locales : commune. Découpage administratif : région

ROME par Luc Bonnard et Pietro Elisei

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public, Rome revêt un rôle unique sur le plan national par la présence des administrations centrales de l’État, qui s’ajoutent à celles des pouvoirs locaux. En deuxième lieu, dans les secteurs traditionnels, la capitale se prévaut de situations d’excellence nationale, telles que les services et le tertiaire avancé, le tourisme et la capacité de réception, le pharmaceutique, le technologique, le métallurgique et le mécanique, l’audiovisuel et les technologies de l’information et de la communication. Émergent ensuite d’autres excellences qui placent la métropole aux premières places pour ce qui concerne la production de richesse : dans des secteurs spécifiques tels que pharmaceutique, floro-pépiniériste, fruits et légumes, huile, thermal (Viterbe), technologique, métallurgique et mécanique (Frosinone-Latina), céramique, textile, nautisme.

La croissance économique en PIB est quatre fois supérieure à la moyenne nationale avec des pointes significatives dans le secteur de l’audiovisuel et du tourisme. Toutefois, le territoire de Rieti et celui de Viterbe maintiennent leurs positions dans le contexte régional, mais ne parviennent pas à surmonter le fossé existant avec les plus riches comme le territoire de Frosinone et le territoire de Latina. La région Latium contribue à hauteur de 10,1% au PIB national : ce chiffre la place à la deuxième place dans le classement des régions italiennes les plus productives. En même temps, dans le classement des régions les plus riches d’Europe, la région se classe à la neuvième position. Le succès de ces dernières années est lié au fait que l’armature de soutien de la production du Latium se différencie de celle qui est typique de la situation italienne, liée principalement aux secteurs de l’industrie textile et manufacturière.

L’économie du Latium, à hauteur d’environ 80%, est rattachée à des activités tertiaires, une valeur nettement plus élevée que celle du reste de la nation (69-70%) : c’est là qu’on mesure l’influence de Rome, ville qui vit principalement du tertiaire. Le spectre du tertiaire romain est principalement défini par le commerce (55%), viennent ensuite les transports et la logistique (10%), la réception touristique (9%), les services sociaux (9%), les services liés à l’ICT, au marché immobilier et à l’intermédiation.

Les autres secteurs productifs du Latium (agriculture, industrie, construction) exercent une influence moindre par rapport à ce qu’ils valent en pourcentage sur l’ensemble du territoire national.

Disparités et spécialisations métropolitaines

Les relations entre les territoires de la métropole sont assimilables au rôle institutionnel et productif que ceux-ci assurent. À cet égard le système classique radial ne satisfait plus aux exigences d’une interconnexion directe entre les différentes zones du territoire compte tenu des nouvelles réalités socio-économiques métropolitaines.

Le Latium est à la deuxième place des régions qui contribuent à la formation du PIB national, les indicateurs relatifs à la distribution par secteurs productifs présentent une répartition singulière : 76,7% des salariés est employé dans le secteur des services, alors que 19,9% est employé dans l’industrie et 3,3% seulement est employé dans l’agriculture. Toutefois, d’évidentes hétérogénéités territoriales se sont développées. Il y a d’un côté des zones qui présentent des paramètres sociaux et économiques assimilables

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à ceux des régions européennes les plus avancées et d’un autre côté des zones qu’il y a à peine dix ans étaient encore considérées à juste titre comme appartenant aux zones en grave retard de développement.

Finalement, d’importantes différenciations économiques apparaissent. Nous pouvons identifier trois macro-zones au sein de la région : le Latium septentrional, se caractérisant par des territoires qui possèdent une très bonne qualité environnementale, mais présentant des secteurs industriels peu productifs et probablement à spécificité élevée et avec une agriculture et une sylviculture qui jouent encore un rôle important ; le Latium central soit l’agglomération de Rome, soumis à une périurbanisation, connoté par une très forte production dans tous les secteurs mais qui disperse la majeure partie de la richesse produite ; le Latium méridional, se caractérisant lui aussi par des phénomènes d’étalement urbain, possède une agriculture importante et une industrie très développée et très différenciée. Finalement, la métropole romaine produit de la richesse, mais peine à la redistribuer et à créer plus d’équité.

Les dynamiques d’utilisation du sol

Face à une forte expansion économique et à une demande immobilière importante, l’espace rural a fait l’objet d’une urbanisation ininterrompue depuis la deuxième guerre mondiale. L’inadéquation du cadre normatif a été à l’origine de l’expansion centrifuge et non planifiée des centres urbains. Cette tendance s’est davantage manifestée là où s’est développée l’économie. De plus, l’envolée des valeurs immobilières romaines ainsi que le phénomène des constructions illégales ont pesé

sur les dynamiques de régulation de l’usage des sols.

La lente émergence d’une gouvernance métropolitaine

La construction d’une vision régionale sous l’influence européenne

Pour répondre à ces enjeux de régulation de l’usage des sols différents instruments existent. Le plan d’aménagement général des communes définit la superficie et les modalités des territoires à urbaniser. Chacun de ces plans d’aménagement est intégré dans un plan de coordination au niveau provincial. Et enfin, la région élabore à son tour un plan territorial régional. Cette vision territoriale de l’avenir régional agit comme un cadre de prévision, qui représente toutefois un instrument inadéquat face aux dynamiques rapides, variables et complexes du processus de métropolisation. Cette vision régionale se traduit par différents processus : initiatives à caractère public-privé, PRUSST, pactes territoriaux, plans de réhabilitation,… Toutefois, le poids des procédures peut ralentir le caractère opératoire de ces processus, de même qu’un contexte de compétence “léopardé”.

Néanmoins, la métropole a beaucoup évolué depuis la fin des années 90. Les résultats obtenus permettent d’envisager l’avenir plus radieusement. Une opportunité consiste à utiliser les fonds communautaires pour faciliter le développement de secteurs moteurs qui permettent de renforcer la capacité compétitive (investissements dans des énergies alternatives, des interventions au profit de la mobilité et de l’accessibilité, le renforcement des pôles universitaires, le développement des

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investissements dans l’innovation technologique, l’augmentation de la qualité des services et des produits liés au tourisme…) ou pour endiguer des phénomènes qui menacent la qualité de la vie (garantir des services sanitaires publics de qualité, contrôler la dérive du marché immobilier, endiguer la marginalisation de certaines parties du tissu urbain romain et régional…). La métropole cherche aussi à consolider certaines positions d’avantage acquises en évitant : a) de disperser l’effet subsidiaire des fonds communautaires, b) d’affaiblir les résultats d’une croissance qui a amené Rome à être à la septième place de la valeur ajoutée par habitant en Italie (26.350 euros contre les 20.761 de la moyenne nationale, Tagliacarne, 2005), c) à avoir un PIB régional à 3,8% contre 1,2% national (Istat), et qui a obligé beaucoup d’analystes à définir le Latium comme la locomotive d’Italie. Dans ce sens, les fonds structurels 2007-2013 peuvent être le guide pour accompagner cette renaissance et transformer cette croissance en développement en visant l’amélioration de la qualité de la vie et le renforcement de la compétitivité et de l’attractivité.

L’évolution et l’ouverture du système métropolitain d’acteurs

Pas moins de quatre niveaux institutionnels sont présents sur la métropole (commune, province, région et État). En dehors de l’État, les deux collectivités fortes de la métropole sont la région (qui bénéficie du processus de régionalisation et de transition vers un fédéralisme) et la commune de Rome. La région Latium dispose d’un budget de plus de 23 milliards d’Euros alors que la ville dispose d’un budget de fonctionnement de plus de 3,2 milliards d’Euros. Mais le manque de clarté dans la répartition des compétences entre les collectivités locales et notamment entre la région

et la commune génère de constants conflits. Ces conflits sont aujourd’hui virulents car la commune de Rome demande à l’État un statut spécial, prévu depuis 2003 par la constitution italienne, qui de fait devrait permettre le transfert de nombreuses compétences aujourd’hui régionales vers la ville-centre, ainsi que des ressources financières importantes. Ces conflits institutionnels sont exacerbés par des rivalités politiques et de personnes, mais pourraient finalement être porteur de perspectives inédites de développement.

L’évolution du système d’acteurs renvoie aussi à l’ouverture vers le secteur privé. En règle générale, celui-ci apporte son soutien là où il a la possibilité d’avoir un retour économique immédiat. Traditionnellement la législation italienne a eu recours à l’association du privé à travers les mécanismes des appels d’offre, des concessions et des participations nationales. Ce n’est que récemment qu’ont été développées des procédures innovantes, assimilables au concept plus général de partenariat public-privé (PPP) ou encore de project financing. Dans cette perspective, la Loi Objectif se propose de réaliser des ouvrages publics définis comme “stratégiques et d’intérêt national” à travers un programme mis à jour tous les ans par le gouvernement et les régions concernées. Le financement des projets est à charge, à hauteur de 50%, du budget public et pour les autres 50% aux mécanismes du project financing. Cette approche des politiques de développement peut ainsi constituer un encouragement à l’implication d’acteurs privés. Les instruments de la programmation négociée (Pactes, PRUSST…), et ce jusqu’au DocUP (fonds structurels) sont mis en œuvre en appliquant une philosophie PPP. La question du polycentrisme devient alors un canevas partagé sur lequel se fonde le dialogue

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entre public et privé à travers les instruments proposés par les institutions.

Et enfin dans cette évolution du système d’acteurs, il convient de noter les éléments socioculturels. Rome est le leader national dans la production audiovisuel et culturelle, de même les activités sportives permettent elles aussi de structurer et de matérialiser l’identité métropolitaine romaine. Cette mobilisation sociale autour des questions identitaires est donc un élément favorable à la construction de consensus tout en favorisant le développement économique.

La construction d’une métropole polycentrique

Les nouvelles stratégies polycentriques de la région

Depuis quelques années, les politiques de développement régional visent à proposer des investissements en mesure de valoriser les différentes zones de la région. Cette attitude dépasse la vision qui pendant des années a mis les politiques au service de la capitale. Les choix stratégiques actuels visent à saisir “les avantages réels qui se déterminent dans les différents bassins locaux” (DocUP). Cette vision d’un “Latium sans Rome” vise à développer une compétitivité territoriale qui amorce les potentialités des différentes zones, en adoptant un modèle de développement polycentrique.

Précédemment, il était attendu que la diffusion de la richesse produite par Rome rayonne vers les périphéries régionales, d’après un modèle à champ gravitationnel newtonien. À présent le paradigme d’interprétation est celui de la construction d’un réseau de différents pôles

productifs. Cette vision polycentrique influence les choix relatifs au système d’infrastructures. La stratégie liée à ce modèle a été synthétisée dans le QRT (Quadro de Riferimento Territoriale – Cadre de Référence Territorial). Les systèmes de développement polycentrique s’appuient sur la capacité de créer de la richesse et du développement économique de la part de réseau de villes, petites ou moyennes, lesquelles développent des compétences régionales hautement spécialisées. Ces systèmes fondés sur la mise en réseau sont en passe de remplacer les modèles traditionnels.

L’influence de l’Europe dans la mise en œuvre locale

Le Schéma de Développement Spatial Européen a aidé les partisans du modèle polycentrique. De même, les programmes européens encouragent le renforcement de la compétitivité territoriale, les initiatives interreg ont été également un vecteur indispensable à travers lequel les théories de l’ESDP ont essayé de se conjuguer au sein de pratiques locales spécifiques. Le DocUP se fige la perspective d’implémenter les stratégies communautaires et nationales. De telles politiques dans leurs différents aspects visent le développement de la compétitivité territoriale et de la qualité de la vie. Cette programmation à caractère économicofinancier s’accompagne d’initiatives à caractère plus proprement instrumental, comme les Plans de récupération, les PRUUST, les Pactes territoriaux, les contrats de quartier, les initiatives Urban, le projet Space, l’initiative Leader.

Le PTRG et le PRG de Rome se fondent eux aussi sur une vision polycentrique du développement de la ville, conjuguée avec une stratégie flexible et davantage orientée vers la gestion

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de politiques du territoire métropolitain : le planning by doing. Le PTRG fixe les objectifs des politiques territoriales régionales, des programmes de développement et des plans de secteur à valeur territoriale. Le contenu de ce plan général s’articule autour de trois systèmes principaux (environnement, habitat et réseaux de la mobilité).

Cette combinaison de différents instruments, aus s i b i en de p lan i f i c a t ion que de programmation, se place dans la perspective européenne et nationale, de l’intégration des ressources, de la négociation des stratégies et de la décentralisation des investissements.

Limites et perspectives à la stratégie polycentrique

Les perspectives futures de l’action publique

Les scénarios qui se dessinent sur la base des initiatives régionales, nationales et communautaires sont assez incertains, car le contexte communautaire agit comme une indication de priorités stratégiques, en en soutenant la réalisation, mais en laissant ensuite à l’action de chaque État l’initiative concrète. L’action régionale est la destinataire d’orientations auxquelles elle doit ou peut donner forme. L’absence d’un cadre de référence portant sur des choix partagés à réaliser à moyen terme représente un premier obstacle en vue de la constitution d’un scénario. De plus l’incapacité de l’État à respecter ses engagements financiers et à couvrir l’ensemble des dépenses à engager constitue un autre obstacle. L’action publique est aussi conditionnée par le poids excessif des procédures relatives aux mises en chantier.

La proposition de mise en place d’un statut spécial pour Rome ouvre des scénarios de développement métropolitain de grande envergure qui pourraient permettre de redéfinir les cadres de l’action publique. Plusieurs opportunités de développement se présentent pour la métropole avec notamment le train à grande vitesse, les investissements dans le territoire de Civitavecchia ou à l’aéroport de Fiumicino, la construction du nouveau pôle de foire de Rome ou encore le développement du métro (ligne C). Par ailleurs Rome peut espérer susciter d’autres projets structurants comme la consolidation du tourisme et du secteur tertiaire, le développement de certains secteurs industriels et agricoles, mais surtout peut miser sur la nouvelle économie de la connaissance.

Les évolutions à envisager

L’atteinte de cet avenir durable pour la métropole romaine passe par la révision de certains mécanismes de gouvernance afin de renforcer la compétitivité du territoire tout en traitant les différents déséquilibres qui constituent autant de limites au développement et à la cohésion métropolitaine.

La première limite concerne l’accessibilité et la mobilité. La difficulté à se déplacer à l ’intérieur du système métropolitain notamment là où sont en train de s’accroître les phénomènes de périurbanisation affecte profondément la qualité de la vie et engendre des coûts énergétiques et sanitaires, tout en réduisant l’attractivité du territoire pour les investissements extérieurs. La deuxième limite renvoie à la qualité et aux coûts des différents services publics. De même dans cette optique, l’explosion du marché immobilier romain est tout aussi problématique. La troisième

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limite concerne la faiblesse de la prise en compte de l’environnement à la fois dans une perspective de protection des ressources mais aussi en dégageant des possibilités de développement.

La quatrième limite correspond aux disparités économiques et socioculturelles. Les risques de marginalisation de certaines parties du territoire régional (urbain, périurbain et rural) nécessitent la mise en œuvre de pratiques suscitant le dialogue entre les différentes communautés.

La cinquième limite concerne le niveau de formation. Un territoire compétitif et innovant est fondé sur un capital humain et social bien structuré. Celui-ci doit être en mesure de soutenir l’unité de la métropole tout en permettant la différenciation de chaque territoire en les amenant à atteindre l’excellence dans différents secteurs (économiques, sociaux, culturels, environnementaux…).

Ces différentes limites interpellent la capacité de la métropole romaine à faire évoluer ses mécanismes de gouvernance afin de définir des stratégies intégrées. Cet enjeu est d’importance car lui seul permet d’envisager la formulation de réponses pertinentes au processus de métropolisation de la capitale italienne.

BibliographieCECCHINI D., 2001, Roma. Laboratorio di una nuova urbanistica, enUrbanistica 116, INU, Roma.MARCELLONI M., 2001, Ragionando del planning by doing, en Urbanistica 116,INU, Roma.OLIVA F., 2001, Il sistema ambientale, en Urbanistica 116, INU, Roma.VENUTI G., 2001, Il piano per Roma e le prospettive dell’urbanisticaitaliana, en Urbanistica 116, INU, Roma.VENUTI G., 2001, Il sistema della mobilità, en Urbanistica 116, INU, Roma.

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Tel-Aviv-Jaffa constitue le cœur d’une aire métropolitaine de plus de 2,5 millions d’habitants (sur une population israélienne d’un peu plus de 7 millions en 2007). Elle représente la seule véritable métropole d’Israël et regroupe la majeure partie des activités économiques et culturelles du pays. Ces caractéristiques conjuguées à son rôle traditionnel de « porte d’entrée » l’ont rapidement inscrite dans un temps mondial. Elle s’est donc partiellement détachée de la réalité israélienne sans pour autant lui échapper ni l’ignorer complètement. De cette rencontre entre les valeurs de la mondialisation et celles d’un sionisme « de gauche », particulièrement répandu dans la métropole, est née une forme d’identité israélienne nouvelle, de plus en plus affranchie du référent nationaliste.

Tel-Aviv-Jaffa, la naissance d’une métropole

Tel-Aviv, la banlieue juive d’une ville arabe

Fondé en 1909 en tant que faubourg juif de Jaffa, le quartier d’Ahuzat Bayit (renommé Tel- Aviv quelques années plus tard) est progressivement devenu une ville qui n’a cessé de prospérer pour s’affirmer comme une véritable métropole à l’heure actuelle. C’est avant tout au cours des années 20-30 puis des années 50-60 que la ville s’est développée. En effet, alors que la population de Tel-Aviv était de 38 000 personnes en 1926, elle est passée à 130 000, dix ans plus tard. Cette croissance

TEL-AVIV-JAFFA par Rémi Manesse

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1995 (Israël) et de 1997 (Autorité Palestinienne) et le fichier central de l’état-civil de 2005 (Israël et Autorité palestinienne) Unités locales : villes et villages. Découpage administratif : districts

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s’explique en grande partie par l’accession des nazis au pouvoir en Allemagne et plus largement par la montée de la xénophobie en Europe. Ces événements politiques ont poussé un certain nombre de Juifs européens à s’établir en Palestine23 mandataire. Or, c’est avant tout à Tel- Aviv que ces nouveaux immigrants se sont installés, séduits par la proximité de la mer, le dynamisme économique et l’atmosphère européenne de la ville. Cette vague d’immigration a été déterminante pour Tel-Aviv puisque, en plus de hisser cette dernière au statut de ville la plus peuplée de Palestine, elle en a profondément marqué le visage et l’identité : son visage, tout d’abord, grâce à l’édification de bâtiments avant-gardistes couplée au plan d’urbanisme de Patrick Geddes aboutissant à un mariage original entre Bauhaus et cité-jardin24 : son identité, ensuite, en développant des lieux de culture (théâtres, salles de concert) et de sociabilité (cafés) privilégiant une conception plus culturelle que religieuse de l’identité juive moderne et insufflant ainsi une atmosphère libérale et hédoniste à la ville.

Jaffa, le quartier arabe d’une ville juive

Si Tel-Aviv a connu une croissance exponentielle à cette époque, ce fut au détriment de Jaffa dont elle est issue. En effet, les nouveaux immigrants juifs (olim khadashim25) ont fait en sorte de renforcer le pouvoir économique de Tel-Aviv aux dépens de Jaffa en y redirigeant les capitaux et en y implantant les activités et

les hommes. Mus par l’idéologie sioniste, le but ultime des olim khadashim de cette époque était la création d’un État juif en Palestine. Ils ont donc tout mis en œuvre pour établir des structures pré-étatiques (le Yishuv) devant faciliter l’avènement de ce futur État. A Tel-Aviv, le point culminant de ce processus fut l’annexion de Jaffa suite à un conflit armé dans un premier temps (1948) puis à une fusion administrative dans un second temps (1950). Cette fusion est intervenue pour des raisons politiques évidentes : la majorité juive vivant à Tel-Aviv contrôlant, de fait, la minorité arabe présente à Jaffa. De cette annexion est née l’appellation actuelle de Tel-Aviv-Jaffa26 (TLVJ). Jaffa est donc devenue, de fait, un quartier de Tel-Aviv comme en témoigne d’ailleurs une relative continuité urbaine. A l’heure actuelle, la population arabe n’y est plus que de 14 000 personnes alors qu’elle en comptait presque 30 000 au début du XXème siècle soit 4% de la ville de TLVJ. La cohabitation entre Juifs et Arabes résultant de cette situation reste néanmoins très limitée puisque une ségrégation spatiale fondée sur l’appartenance ethnique reste tout à fait perceptible à Jaffa.

Tel-Aviv-Jaffa, une nouvelle métropole

La consolidation de TLVJ s’est poursuivie dans les années 50 avec l’arrivée d’un nombre important de Juifs ayant survécu à la Shoah ou ayant quitté les pays arabes d’Afrique du Nord et du Proche-Orient lors de leur accession à l’indépendance.

23 La Palestine mandataire fait référence au territoire dont la communauté internationale a confié la gestion à l’Empire Britannique entre 1917 et 1948 sous la forme juridique du « mandat ». Ce territoire regroupait l’Etat israélien actuel ainsi que les territoires palestiniens (Cisjordanie et Gaza).

24 Certains secteurs de Tel-Aviv-Jaffa sont d’ailleurs classés au patrimoine mondial de l’humanité (UNESCO) depuis juillet 2003

25 Les transcriptions des termes hébreux se feront selon les règles anglaises puisque les plus précises et les plus utilisées et dans le monde.

26 Les termes utilisés dans le présent article se fondent sur les dénominations officielles et internationalement reconnues. De ce fait, nous utilisons les termes Palestine et Palestine mandataire lorsque nous évoquons le territoire israélo-palestinien avant 1948 et, distinctement les termes Israël et territoires palestiniens après cette date.

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TLVJ s’est donc rapidement affirmée comme la ville la plus peuplée d’Israël. Pourtant, c’est surtout au cours des années 80 et 90 que l’on peut effectivement commencer à parler de métropole. La croissance économique sans précédent de cette époque et la configuration urbaine de la région ayant favorisé l’émergence d’un mode de vie véritablement métropolitain – migrations pendulaires, répartition des activités sur l’ensemble du territoire et d’un urbanisme de banlieue se caractérisant par la présence d’autoroutes, de pavillons individuels et de centres commerciaux.

Caractétisation du processus de métropolisation à Tel-Aviv-Jaffa

Un processus de métropolisation politique

L’immigration juive – et plus largement l’idéologie sioniste – ainsi que les conflits israélo-arabes ont eu un impact décisif sur le peuplement en Israël. En effet, l’occupation du territoire – à travers la création de villes, de kibbutzim et de moshavim - et sa mise en valeur visaient à légitimer la souveraineté juive sur une large partie de la Palestine mandataire. C’est ainsi que Tel-Aviv s’est inscrite dans le maillage des quelques implantations juives existant dans la région avant sa création et a également assisté à l’émergence de nouvelles villes juives dans sa proche périphérie. De fait, dans un premier temps, le processus d’urbanisation dans la région de Tel-Aviv s’est avéré atypique puisque le facteur politique y a supplanté le facteur économique. En effet, l’objectif de la population juive était de constituer des zones démographiquement homogènes afin de renforcer les bases d’un futur État et d’être en position avantageuse pour

en négocier les frontières (DIECKHOFF, 1989). Il ne s’agissait pas d’un regroupement fondé sur un plan global de peuplement mais plutôt d’une logique de solidarité spontanée. Ce paramètre a largement déterminé la configuration de la métropole actuelle puisque c’est à partir de ce réseau de villes et d’implantations que l’urbanisation de TLVJ s’est développée par la suite, à la faveur d’un contexte politique un peu moins tendu et d’une conjoncture économique beaucoup plus avantageuse.

Un processus de métropolisation économique

La Guerre des Six-Jours (1967) marque un tournant décisif au Proche-Orient. Pour Israël, cette guerre permet, entre autres, de repousser le conflit israélo-arabe aux confins du territoire. Israël, dans son ensemble, reste menacée mais la présence militaire aux frontières et hors des frontières du pays (Gaza, Cisjordanie, Golan) laisse le champ libre à TLVJ pour prospérer, contrairement à Jérusalem qui se trouve désormais au cœur du conflit. C’est le début d’une phase que l’on pourrait qualifier de « normalisation » pour TLVJ puisque l’effacement relatif du politique au profit de l’économique engage la région dans un processus d’urbanisation plus conventionnel. La réussite économique du pays au cours des années 80 et surtout 90 constitue probablement l’une des périodes les plus déterminantes à cet égard puisque la croissance de TLVJ profite à la région dans son ensemble et consolide, de fait, la structure métropolitaine. En d’autres termes, l’agrégat de villes qui avait émergé à la faveur de facteurs essentiellement idéologiques a gagné en cohérence grâce à une logique économique de plus en plus intégratrice. Cette cohérence se manifeste jusque dans le tissu de

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la métropole qui se caractérise par une véritable continuité urbaine sur une surface importante. Plus précisément, on peut considérer que l’aire métropolitaine de TLVJ se compose de trois zones concentriques (BAR-EL & PARR, 2003). La ville centre de TLVJ représente la première. La métropole de TLVJ soit la ville centre et la banlieue avec laquelle elle forme une conurbation est la seconde. Enfin, l’aire métropolitaine elle-même constitue la troisième et s’étend de Netanya au nord (à 29 km) à Ashdod au sud (à 40 km) et Modi’in à l’est (à 18km).

Globalement, l’aire métropolitaine de TLVJ bénéficie d’un poids économique national et international. Le marché de l’emploi y est résolument tourné vers le secteur privé. Les « business activities » y représentent 20,4% de la population active suivies par le commerce de gros et de détail (13,7%). L’industrie (10,4%) puis la banque/assurance/finance (9%) leur succèdent (source : municipalité de Tel-Aviv-Jaffa, 2007). Ces caractéristiques économiques ont des répercussions sur les flux de population. Du fait de sa richesse et des différentes opportunités qu’elle offre, TLVJ génère quotidiennement de nombreuses migrations pendulaires. 65% de ses emplois sont occupés par des gens habitant hors de la ville centre. De même, 30% des habitants de TLVJ travaillent dans la métropole ou dans l’aire métropolitaine (ALFASI & FENSTER, 2005). Par ailleurs, TLVJ regroupe des activités qui l’inscrivent indubitablement dans l’économie mondiale. Selon BEAVERSTOCK (BEAVERSTOCK & AL., 1999) et TAYLOR (2000), ce degré d’intégration est proportionnel à la présence de certains secteurs économiques que l’on pourrait qualifier de « tertiaire supérieur» comme la publicité, la banque/finance, les cabinets juridiques et les groupes de consultants.

L’ensemble de ces caractéristiques économiques (mondialisation) et politiques (éloignement relatif du conflit) explique l’attractivité de TLVJ depuis l’extérieur du pays au détriment des autres grandes villes israéliennes, au premier rang desquelles Jérusalem.

Les défis de la métropolisation : TLVJ à l’épreuve de la normalité

TLVJ a indubitablement sa place au sein des métropoles mondiales. Elle partage avec elles les bénéfices d’un tel statut mais doit également faire face aux défis que cela engendre. Parmi ces défis, la gestion à l’échelle métropolitaine et l’intégration des minorités sont probablement ceux qui revêtent le plus d’acuité. En effet, les métropoles mondiales présentent la caractéristique d’être ouvertes sur le monde mais aussi sur l’aire métropolitaine qui les entoure. Cette ouverture a contribué à leur développement. La pérennisation de leur développement passe donc par la pérennisation de cette dernière, autrement dit par la capacité à intégrer l’Autre. Ces défis sont d’autant plus difficiles à relever dans un pays en guerre, fondé sur « une idéologie nationaliste où les traditions de gouvernance locale sont fortes ».

La gouvernance métropolitaine

La gouvernance métropolitaine constitue un enjeu majeur dans un pays où il n’existe aucune échelle de gouvernement entre l’État et les municipalités. Aussi, en l’absence de structure politique inter-communale, l’aménagement de l’aire métropolitaine de TLVJ est entre les mains du gouvernement central. Or, malgré son importance, l’aire métropolitaine de TLVJ n’est pas située au cœur des préoccupations gouvernementales. Au contraire, l’État cherche

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plutôt à en freiner la croissance au profit des autres régions ou villes du territoire. En raison de sa position stratégique, Jérusalem constitue bien évidemment une priorité absolue, de même que le développement des villes du sud ou encore la neutralisation des villages arabes du nord27. Au-delà du fait que TLVJ ne représente plus une position stratégique majeure, cette politique du gouvernement est à mettre en relation avec sa volonté d’éviter l’émergence d’un pôle politicoadministratif capable de faire pression sur l’État. Une telle entité pourrait, de par son poids et ses valeurs, remettre en cause la politique d’un gouvernement obsédé par l’unité nationale. Ce dernier préfère donc consacrer l’atomisation politique de l’aire métropolitaine de TLVJ et en gérer lui-même tant la croissance que l’aménagement. TLVJ a donc réagi récemment en développant avec les villes de sa métropole (soit les villes avec lesquelles elle forme une conurbation) un District Plan dont l’objectif est justement une plus grande coopération et coordination entre toutes ces municipalités. Ce plan en est, semble-t-il, à sa phase finale de ratification (Source : municipalité de Tel-Aviv-Jaffa, 2005). Il recommande l’instauration d’instruments administratifs permettant de faciliter l’élaboration de politiques communes en matière de transport, d’environnement, d ’ inf ras t ruc tures ( parc s , ins t i tu t ions culturelles et éducatives) et d’aménagement (en zone limitrophe). A terme, ce plan vise également à constituer un groupe, sur une base volontaire, défendant les intérêts de la métropole auprès de la Knesset et des autres institutions publiques. En définitive, malgré une tradition d’indépendance forte au sein des municipalités et malgré le manque de volonté

du gouvernement central, il semble qu’une conscience métropolitaine émerge dans la région de TLVJ. Si ce processus se poursuit, il ne peut que contribuer à une consolidation durable de la métropole.

L’intégration des minorités

L’intégration des minorités représente un enjeu capital pour les métropoles mondiales à l’heure actuelle. A cet égard, Israël constitue un cas tout à fait atypique puisqu’il est à la fois un pays d’immigration juive, un pays en guerre et un pays connaissant une forte croissance économique. Ces trois aspects ont contribué à la composition d’un tissu social et culturel complexe au sein duquel il est possible de distinguer trois groupes : juif, arabe et ni juif ni arabe. Chacun de ces groupes subit un traitement particulier. En effet, le degré d’intégration des immigrés ou des minorités n’est pas le même suivant l’appartenance ethnique et/ou religieuse. Nous nous attarderons plus particulièrement sur le sort de la minorité arabe et sur celui des travailleurs immigrés puisque l’intégration des nouveaux immigrants juifs ne pose plus réellement de problème. La baisse de leur nombre, l’idéal qui les anime souvent et la politique d’accueil bien rôdée d’Israël à leur égard y contribuent largement.

La minorité arabe

La minorité arabe a officiellement la citoyenneté israélienne depuis 1948. Pourtant, le principe national juif et la persistance du conflit mettent cette minorité dans une situation ambiguë vis à vis d’un pouvoir central qui, pour ces raisons, la néglige. Pendant plusieurs décennies, TLVJ n’a

27 La population arabe israélienne est majoritaire en Galilée par rapport à la population juive.

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pas échappé à cette règle puisque le quartier de Jaffa est resté sous gouvernement militaire jusqu’en 1966. Les autorités municipales n’ont mis en place des politiques de concertation avec la minorité arabe qu’à la fin des années 80. Toutefois, ces initiatives ont échoué car elles nécessitaient de surmonter la méfiance quasi endémique existant entre les deux communautés. Le maire actuel de TLVJ (RON KHULDAI) tente de mener une politique un peu plus volontariste. Il a donc créé, en 2000, la Mishlama une antenne de la mairie expressément chargée de mener des actions à Jaffa. Cet organisme témoigne de la présence municipale dans le quartier et d’une ébauche de dialogue. Par ailleurs, le plan stratégique de TLVJ (équivalent à un plan d’urbanisme), adopté en décembre 2004, prône ouvertement la discrimination positive à l’égard de la population arabe de la ville en matière de logements sociaux et de services socio-culturels. Toutes ces actions ont permis d’aboutir à certaines améliorations puisque quelques quartiers de Jaffa ont été partiellement réhabilités. De même, la population arabe de Jaffa fréquente à nouveau les rues de Tel-Aviv (et inversement). Toutefois, les réalisations ne sont pas à la hauteur des attentes soulevées et la plupart des projets semblent plutôt se limiter à des effets d’annonce. TLVJ a beau constituer un îlot libéral en Israël, la ville n’en reste pas moins tributaire d’enjeux dépassant ses limites municipales. Les tensions inter-communautaires qu’elle a connues lors de la seconde Intifada (plus particulièrement entre 2000 et 2002) l’ont d’ailleurs illustré. Le rapprochement judéo-arabe est manifestement amorcé à TLVJ mais il reste encore très fragile.

Les travailleurs immigrés

L’arrivée de travailleurs immigrés ni juifs ni arabes en Israël est à mettre en relation avec le bouclage des territoires palestiniens ayant accompagné la première Intifada (1987-1993). La restriction des déplacements de la population palestinienne a privé nombre de Palestiniens d’un travail en Israël et a, de ce fait, privé Israël de main d’œuvre. Afin d’y remédier, le gouvernement israélien a permis à des immigrés28 de venir travailler. Leur séjour devait être temporaire en vertu des règles d’immigration régissant l’État hébreu. Pourtant, ces travailleurs se sont durablement installés en Israël, aboutissant à une forme d’immigration aussi inédite qu’illégale pour les autorités. Face à cette situation, TLVJ (qui regroupe environ 150 000 de ces 190 000 travailleurs) a décidé de prôner une politique d’ouverture et d’intégration en opposition à l’attitude plutôt répressive du gouvernement. Concrètement, cette politique se traduit par le droit des immigrés à bénéficier des services sociaux municipaux ainsi que par leur participation aux processus de planification urbaine (ALFASI & FENSTER, 2005). Par exemple, le plan stratégique de TLVJ fait expressément référence à cette partie de la population et tente de l’associer pleinement à la vie municipale. Dans le même registre, le quartier de la nouvelle gare centrale (où vit la grande majorité des travailleurs immigrés) a fait l’objet d’un plan de réhabilitation auquel ces travailleurs ont participé. Contrairement à la minorité arabe, les engagements d’intégration et d’ouverture envers les travailleurs immigrés sont suivis de mesures concrètes et surtout efficaces. Cette différence de traitement peut surprendre sans pour autant être inexplicable. L’absence de passif tel qu’il en existe entre Juifs et Arabes constitue un premier facteur d’explication. Le choix délibéré que ces

28 Les travailleurs immigrés établis en Israël sont originaires d’Asie du sud-est, d’Europe de l’est et d’Afrique subsaharienne.

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immigrés ont fait de travailler et surtout de vivre en Israël en constitue un deuxième. Bien que la politique municipale de TLVJ réponde à ce que l’on est en droit d’attendre de toute métropole mondiale démocratique, elle n’en reste pas moins audacieuse dans un pays fondé sur un principe national.

Conclusion

Tel-Aviv-Jaffa donne l’impression de s’être toujours plus ou moins située à la marge de son propre pays sans pour autant échapper complètement au destin de ce dernier. Les années 80 et surtout 90 renforcent cette relative autonomie en lui donnant une envergure métropolitaine et internationale. Le poids culturel et économique de la métropole n’a fait que croître. Il est désormais tel qu’on la qualifie parfois d’« État-nation métropolitain » (BERTHOMIÈRE, 2005). Si l’expression est un peu excessive pour un pays où le patriotisme reste relativement prégnant à cause de la guerre, elle permet néanmoins de bien rendre compte d’une certaine réalité.

Le succès de TLVJ s’explique par différents facteurs : croissance économique forte et de moins en moins sensible aux aléas politiques régionaux, existence d’un maillage urbain déjà relativement structuré, présence du seul aéroport international du pays, d’un bon réseau d’infrastructures routières, d’une main d’œuvre abondante et qualifiée mais aussi d’une culture ouverte et tolérante. L’éloignement relatif du conflit et la tradition d’ouverture de la ville sur le monde y ont favorisé l’internationalisation des échanges et la concentration des activités. TLVJ qui, géographiquement et historiquement, était la porte d’entrée d’Israël s’est donc facilement insérée dans le réseau des villes mondiales et s’est, en quelque sorte, désolidarisée du contexte national.

TLVJ affirme également son originalité vis-à-vis du reste du pays par l’intermédiaire d’une politique d’ouverture à l’égard des minorités. En se détachant de l’idéologie sioniste, elle consacre l’émergence d’une identité israélienne nouvelle caractérisée par une certaine normalisation des rapports inter-communautaires. Toutefois, l’épanouissement de cette identité nouvelle ne pourra se faire sans une réelle intégration de la minorité arabe et risque d’être contrarié par les conflits et le poids politique croissant de la frange traditionaliste du pays.

Bibliographie DIECKOFF A., 1989, Les espaces d’Israel : essai sur la stratégie territoriale israélienne, Fondation pour les études de défense nationale : Presse de la Fondation nationale des sciences-politiques. BERTHOMIÈRE W., 2005, Du cosmopolitisme en Méditerranée, Cahiers de la Méditerranée, Vol. 67, juillet. ALFASI N. & FENSTER T., 2005, Tale of 2 cities: Jerusalem & Tel-Aviv in an age of globalization, Cities Vol. 22 No. 5, pp. 351-363. KIPNIS, BARUCH A., 2004, Tel Aviv, Israel - a world city in evolution: urban development at a dead-end of the global economy. Dela [Ljubljana] No. 21, pp. 183-193. BAR-EL R. & PARR J. B., 2003, From metropolis to metropolis-based region: the case of Tel-Aviv, Urban Studies Vol. 40 No. 1, pp. 113-125. BEAVERSTOCK & al., 1999, A roster of world cities, Cities Vol. 16, No 6, pp. 445-458. Taylor P. J., 2000, World cities and territorial states under conditions of contemporary globalization, Political Geography, No 19, pp. 5-32.

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Depuis les années 1980, Tunis ne cesse de donner l’image d’un vaste chantier urbain où de grands projets ont été mis en place ; certains ont vu le jour (réhabilitation des quartiers périphériques, restructuration et rénovation du centre, mise en place du projet du lac et du pôle urbain nord, de la cité olympique, de la cité des sciences…), d’autres sont en gestation ou en démarrage comme celui du lac sud de Tunis et du projet de la petite Sicile. Avec l’insertion du pays dans le système de l’économie monde, les pouvoirs publics ont voulu faire de ces projets un vecteur de rentabilité spatiale et de compétitivité internationale. Toutefois et de paire avec ce modèle volontariste, la capitale était le théâtre

d’une urbanisation spontanée qui s’est accélérée depuis les années 1980 et qui a touché plus du 1/3 de la superficie de l’agglomération.

Une aire métropolitaine en formation

D’une ville nettement individualisée, Tunis a évolué depuis les années 1980 vers une agglomération multi communale. Partagée entre 33 communes, cette agglomération couvre les 169 gouvernorats29 de Tunis, de l’Ariana, de Ben Arous et de Mannouba) et représente le cœur d’une région métropolitaine en formation.

TUNIS par Ali Bennasr

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1994 et 2004. Unité locale : délégation (données ramenées au découpage de 1994). Découpage administratif : délégation

29 La wilaya (gouvernorat) constitue le sommet du découpage administratif en Tunisie. La wilaya est formée de plusieurs délégations (Motamdiat) qui sont elles-mêmes découpées en Imadat (secteur).

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Coincée à l’origine entre le lac de Tunis et la Sebkha Essijoumi, Tunis a développé une structure urbaine en éventail qui s’est élargie sans cesse avec le report de la croissance urbaine sur les petites communes satellites évoluant vers des banlieues de la capitale (Oued Ellil, Jedaida, Mhammdia…).

A la veille de l’indépendance (1956), la ville de Tunis était limitée à la Médina, aux faubourgs périphériques et au quartier européen et ses extensions. Après une période relativement stable (1956-1969) caractérisée par une faible pression sur le foncier et l’immobilier à cause de l’importance du parc logement laissé par les colons, Tunis va connaître l’amorce d’un mouvement d’étalement rapide. L’expansion spatiale était si rapide que la superficie de l’espace urbanisé est passée de 4 000 ha en 1956 à 22 000 ha en 2004. L’agglomération qui déborde de plus en plus de son site initial compte actuellement 2,3 millions d’habitants (22.7% de la charge démographique nationale) ; elle s’inscrit désormais dans une aire urbaine de la région nord-est qui comprend Bizerte-Menzel, Bourguiba, Zaghouan, et Hammamet-Nabeul. Ce vaste territoire métropolitain regroupe 3.626.773 habitants en 2004 soit 36.6% de la population du pays.

Avant même que le phénomène métropolitain ne soit appréhendé, la complexification des problèmes propres de la capitale, (problèmes de déplacement, d’exode, de localisation des ménages et des entreprises…), a poussé les pouvoirs publics à opter pour une politique de desserrement des activités vers la ceinture urbaine environnante et ce à travers l’aménagement de zones industrielles et la promulgation de lois d’incitation à la décentralisation. Ces mesures étaient accompagnées par un développement

notable des infrastructures (routes et autoroutes) et des modes de transport urbains (bus, train, métro léger…) qui ont facilité la circulation et ont contribué à la fluidité du trafic.

Depuis les années 1980, trois grands fronts d’urbanisation sont à l’œuvre autour de la capitale ; il s’agit au nord Ennasr-Ariana, au sud El-Mourouj et à l’ouest Ettadhamen-Mnihla. Alors que le premier foyer relève de l’urbanisme réglementaire et se réalise en continuité avec les quartiers aisés d’El Menzah, le deuxième s’est développé sur la base de programmes de logements économiques jouxtant les grandes zones industrielles et d’activités, le troisième est dominé par l’urbanisation non réglementaire avoisinant les anciens quartiers spontanées de Mellassine et Sijoumi.

Des risques de fragmentation

La population totale du Grand Tunis a évolué au taux de 2,1% par an entre 1994 et 2004, un taux nettement supérieur à la moyenne nationale (1,21%) à la même période. Toutefois, la répartition spatiale de l’accroissement montre une redistribution de la population au sein de l’aire métropolitaine. Si la population a faiblement augmenté (1%) dans le gouvernorat de Tunis, depuis les années 1980, elle a enregistré par contre des taux nettement supérieurs en périphérie immédiate et lointaine de la capitale (4,5 % entre 1984 et 1994 à l’Ariana et Mannouba) ; certaines communes éloignées ont même enregistré des taux de plus de 8% par an.

Hérités de la période coloniale, les déséquilibres spat iaux se sont renforcés depuis les années 1980, menaçant la capitale d’une fragmentation socio-spatiale poussée. Ainsi

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depuis 1975, l’extension urbaine vers le nord a renforcé le contenu aisé de cette banlieue où de nouvelles cités numérotées (El-Menzah 5 à 9B, El-Manar 1 et 2, Ennasr 1 et 2) sont mises en place regroupant 34 000 habitants en 2004. Les lotissements aménagés sur des collines à vue panoramique, équipés et constitués de villas isolés, d’habitat collectif et semi collectif sont destinés à une population de haut cadre du secteur public et privé, de commerçants et d’hommes d’affaires. De nouvelles centralités commerciales et de loisir (hypermarchés, commerces rares et de luxe) sont venues développer davantage l’image de ces quartiers. La montée vertigineuse des prix des terrains dans le centre urbain nord a contribué au creusement des disparités sociospatiales. Alors que les prix du mètre carré oscillent autour de 75 Dinars (50 Euros) à l’ouest de la ville (Ettadhamen), ils sont cinq fois plus élevés à Ennasr (250 à 300 D)30.

L’habitat des classes moyennes (salariés des secteurs publics et privés, ouvriers) reste péricentral (autour du quartier du Bardo, Ezzouhour, cité Ibn Khaldoun…) ou imbriqué dans le tissu industriel du sud de la capitale qui concentre plus de 900 ha de zones industrielles (Ben Arous, Jebel Jelloud…).

A l’opposé de ces modèles, l’ouest de la capitale reste l’espace privilégié de l’habitat populaire non réglementaire re levant de l’auto construction. Depuis la fin des années 1970, plusieurs noyaux spontanés grossissent rapidement sur des périmètres agricoles et atteignent 250 ha en 1985 ; leurs développements sont le plus souvent en tâche d’huile ou lacunaires et discontinus. Le noyau

Ettadhamen compte 118 000 habitants en 2004.

Les trois formes d’urbanisation ont accentué la partition socio-spatiale des territoires de la métropole. Alors que l’habitat réglementaire programmé s’étend sur la moitié de la superficie de la zone nord, il n’occupe que 37% au sud et seulement 29% de la zone ouest. Par contre, l’habitat spontané et non réglementaire qui domine à l’ouest avec 60% des superficies urbaines, ne représente que 24% de la zone nord et seulement 15% au sud de la capitale (ABDELKAFI, 1997).

Au total et dans l’ensemble du Grand Tunis, la filière informelle spontanée contribue à 44% de la production de l’habitat et occupe 32% des surfaces urbanisées. Ainsi, au clivage socio-spatial nord-sud relativement ancien, se superpose une opposition est-ouest qui menace la ville de fragmentation. Ces clivages ont contribué aussi à la spécialisation des territoires de la capitale. Alors que la fonction industrielle dominante au sud s’étend sur 39% des superficies urbaines, elle est presque absente au nord et à l’ouest où elle n’occupe que 7% de la superficie. Ce déséquilibre a généré d’intenses mouvements de déplacements entre les zones résidentielles localisées principalement à l’ouest et au nord et les espaces d’activités concentrées au sud. Le développement programmé de la fonction résidentielle dans la zone sud depuis les années 1980 (pôle El-Mourouj) entre dans la logique d’harmonisation de l’espace métropolitain et de lutte contre la congestion du trafic et les coûts élevés des déplacements. Si la présence des activités industrielles au sud de la capitale génère des inégalités environnementales

30 Le Salaire Mensuel Minimum Interprofessionnel Garanti en Tunisie (SMIG) équivaut à 250 D soit le prix d’un mètre carré à Ennasr.

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intraurbaines, la concentration spatiale des équipements dans les quartiers aisés (grandes surfaces commerciales, aires de loisirs, services publics et privés, universités…) engendre des problèmes d’accés aux équipements et infrastructures pour les résidents des quartiers sud et ouest.

Une économie qui se tertiarise

Depuis les années 1970, le centre de Tunis a connu des mutations urbaines et fonctionnelles importantes caractérisées par une tertiairisation de plus en plus poussée. Cette percée du secteur des services a commencé avec l’installation des professions libérales et des sièges sociaux des entreprises dans les anciens immeubles résidentiels du centre.

Alors que le poids du Grand Tunis dans l’ensemble de l’économie nationale se situe aux alentours de 37%, la part de la capitale est passée de 28 à 25% entre 1985 et 1994. Le phénomène principal reste celui de la tertiairisation de l’économie de la ville ; ce dernier représente plus des 3/4 des emplois de l’agglomération, dont 43% pour les services marchands et 26% pour l’administration. Une reconversion est amorcée vers les secteurs à haute valeur ajoutée et les services qui s’adaptent à une ville soumise à la compétition internationale. De ce fait, la capitale abrite des activités de commandement, avec une centralisation exclusive des sièges sociaux des compagnies d’assurances et de banques exerçant sur le territoire national ; elle concentre aussi 61% des sièges sociaux des entreprises de plus de 50 salariés. L’accroissement du tertiaire est de l’ordre de 4% par an entre 1989 et 1994 et certaines branches sont fortement stimulées. C’est le cas du secteur bancaire,

financier, la fonction de direction de l’industrie, les sociétés de conseil, d’experts comptables et de bureaux d’étude où la capitale abrite 66% des entreprises financières du pays. Au niveau touristique, le Grand Tunis renferme 25% de la capacité nationale d’hébergement avec une nette orientation vers le tourisme de congrès. Enfin, le secteur de la grande distribution et des loisirs est aussi florissant avec plusieurs hypermarchés relevant des grandes firmes multinationales que se sont implantés (Géant, Carrefour, Champion…).

Tandis que Tunis constitue le premier pôle industriel du pays, l’on assiste au desserrement industriel vers les gouvernorats limitrophes de l’Ariana et de Ben Arous ; en 1999, il y avait 1900 entreprises étrangères implantées à Tunis qui emploient plus de 170 000 personnes (MIOSSEC, 2002). Si au niveau social, les indicateurs socio-économiques, issus du recensement général de la population de 2004, comme la motorisation des ménages, la connexion au réseau internet, les revenus et les dépenses montrent que le Grand Tunis se caractérise par un niveau de vie nettement supérieur au reste du pays, le chômage continue de toucher 13,9% de la population active et concerne principalement les tranches jeunes (18-24 ans) où 1 sur 3 est au chômage. Plus significatif de la fragmentation socio-spatiale, le chômage atteint 15,9 % à l’ouest dominé par les quartiers spontanés (Mannouba) et tombe à 10,9% au nord dans les quartiers aisés de la capitale.

Une gouvernance en gestation

Espace de pouvoir et de reproduction du système, la ville était depuis longtemps la chasse gardée de l’État où l’intervention de l’acteur public dans la gestion de la ville requiert

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plusieurs formes. Elle est directe à travers les larges prérogatives du gouverneur et des services centraux et régionaux des ministères (équipement, aménagement du territoire, environnement) et indirecte par le biais des agences publiques dont les programmes sont fixés à un échelon central ; c’est le cas des agences d’aménagement (Agence Foncière de l’Habitat, Agence Foncière Industrielle, Agence Foncière Touristique…) et d’équipement (Office d’Assainissement, télécommunication, Société des Eaux, d’Électricité et de Gaz…). Cette présence de l’acteur public était à l’origine de la mise en place de plusieurs programmes urbains, tels la réhabilitation et la rénovation des quartiers péricentraux (Bab Souika, Hafsia), la restructuration de la zone centrale et l’intégration de plusieurs quartiers spontanés.

Cependant, à l’instar des autres pays, les années 1990 ont inauguré pour la Tunisie une nouvelle période de gestion et d’aménagement des villes. Le modèle de développement basé sur la centralité de l’État n’est plus fonctionnel à cause de la raréfaction des moyens financiers de l’acteur public et la complexification des problèmes urbains ; d’où l’émergence d’un nouveau discours qui prône une gestion participative de la cité. Toutefois, cette approche n’a nullement remis en cause la présence de l’acteur public qui reste prépondérante dans tous les échelons de la gestion urbaine. Les plans directeurs urbains et les schémas d’aménagement qui reflétaient la primauté de l’ordre étatique dans l’organisation et la gestion de la ville, vont intégrer dans leur approche la gestion participative. Imposée par les instances internationales et utilisée comme moyen de « démocratisation forcée » de la gestion des villes afin de mieux contrôler les crédits et

les aides, la gouvernance apparaît comme un mode étranger à une société rarement consultée et longtemps habituée aux pouvoirs exclusifs de l’État.

Dans cet te optique, plusieurs lo is qui incitent à l’intercommunalité, au transfert de certaines compétences aux collectivités locales et à l’ouverture de la ville aux acteurs privés ont été promulguées. Soutenue par la Banque Mondiale dans le cadre du programme d’ajustement structurel, la Tunisie a initié une politique de décentralisation qui renforce les pouvoirs des acteurs locaux et régionaux. La réforme juridique a permis aussi le développement des associations où plus de 4 000 ont vu le jour depuis les années 1980.

Ainsi, la municipalité de Tunis dont le Maire est membre du conseil des ministres, a commencé à jouer un rôle de plus en plus important dans l’aménagement de la capitale.

Les pouvoirs publics ont confié à la commune la maîtrise d’ouvrage de plusieurs projets urbains emblématiques (réhabilitation des quartiers anciens, rénovation des quartiers centraux, réaménagement du centre ville et du quartier dégradé péricentral de la petite Sicile). L’État a aussi ouvert la compétition aux acteurs privés nationaux et internationaux (promoteurs, bailleurs de fond) ; ces derniers ont joué un rôle central dans le financement des grands projets urbains comme celui du lac de Tunis. Enfin, en dépit des discours, la participation de la société civile reste faible et limitée. Les comités de quartier par exemple, privés de statut juridique ne sont pas soumis aux lois des associations et leurs membres sont choisis sur des bases politiques et

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d’appartenance au parti par les représentants du gouvernement. De ce fait, ils ne font que reprendre les choix et les orientations des pouvoirs publics.

Les années 1990 et l’émergence d’un projet métropolitain

L’ensemble des mutations urbaines et fonctionnelles que connaît Tunis (diversité fonctionnelle, développement des activités internationales, mise à niveau de l’aéroport et des ports), montrent que Tunis est en phase de métropolisation. Les transformations urbaines (rénovation, émergence de nouvelles centralités, mise en place de grands projets urbains, d’équipements métropolitains), ont été conçues dans une optique de métropolisation.

Maîtriser cette métropolisation et limiter ses effets sociaux et spatiaux par la lutte contre l’exclusion, la spécialisation des territoires de la ville et les inégalités environnementales constitue des défis que le Schéma d’Aménagement de Tunis (1997) et la Stratégie de Développement du Grand Tunis (2000) voulaient relever.

Entamées depuis le milieu des années 1970, les actions entreprises par l’ASM (Association de Sauvegarde de la Médina) ont réussi à sauvegarder et revaloriser un riche patrimoine ; ce qui a permis de redynamiser le centre historique et de garder ses repères historiques. De même, la rénovation et la réhabilitation de l’avenue Bourguiba a été conçu comme une reconquête du centre concurrencé par les différentes polarités périphériques. Enfin, le projet du Lac entamé depuis une décennie constitue l’opération du siècle avec 1 600 ha de superficie aménageable. Les activités projetées (tertiaire supérieur, sièges sociaux

de sociétés internationales, banques off-shore, ambassades…), montrent l’émergence d’un nouveau centre d’une métropole internationalisée.

De paire avec ces mutations fonctionnelles et urbaines volontaristes, les pouvoirs publics ont fixé plusieurs objectifs pour structurer un projet urbain intégré : il s’agit de renforcer les attributs de métropole internationale en développant et en mettant en place des équipements de haut niveau comme le technopole, la cité olympique, la cité des sciences, la bibliothèque nationale, en projetant le téléport, la zone de services off-shore, les pôles logistiques intermodaux et la nouvelle plateforme aérienne d’Enfidha. Les objectifs sont aussi spatiaux et fonciers avec une optimisation de l’usage du sol urbain : lutte contre l’étalement, densification, polyfonctionnalité, mixité sociale, amélioration des conditions environnementales et équité sociospatiale.

Bibliographie ABDELKAFI J., 1997, « Tunis et son lac. Une ville nouvelle en gestation au cœur de l’agglomération », Architecture méditerranéenne, pp. 150-157. BARTHEL P., 2006, Tunis en projet(s), la fabrique d’une métropole au bord de l’eau, Presses Universitaires de Rennes. CHABBI M., 2005, « Mutations de la centralité et enjeux urbains dans les villes tunisiennes. Le cas de Tunis, Sfax et Sousse », Cahiers de GREMAMO, n° 18, pp.149-164. ESCALL IER R ., 2002, « métropoles et globalisat ion dans le monde arabe et méditerranéen », in les Cahiers de la Méditerranée, les enjeux de la métropolisation en méditerranée, n° 64, pp.1-21.

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FEDER AT ION NAT IONALE DES V I LLES TUNISIENNES, PROGRAMME DE GESTION URBAINE, MUNICIPALITE DE TUNIS, 2003, Stratégie de développement de la ville de Tunis, diagnostic stratégique et problématiques de développement. HAMZAOUI OUESLATI N., 2004, Centres urbains secondaires dans le district de Tunis : organisation, fonctionnement et évolution, Thèse de Doctorat, Géographie, Tunis, Faculté des Sciences Humaines et Sociales de Tunis. MIN ISTERE DE L’ENVIRONNEMENT DE L’AMENAGEMENT DU TERRITOIRE, 2000, Schéma directeur d’aménagement du Grand Tunis, Rapports finaux, 3phases. Urbaconsult-Uram- Brammah. MIOSSEC JM., 2002, « Tunisie, métropolisation, mondialisation : efficience renforcée de l’axe oriental », les cahiers de la méditerranée, «les enjeux de la métropolisation en méditerranée» n° 64, pp 199-234. SIGNOLES P., 1985, L’espace tunisien : capitale et État-Région, Tours, Publications du Laboratoire URBAMA., 2 tomes. SIGNOLES P., BELHEDI A., MIOSSEC JM., DLALA H., 1980, Tunis, évolution et fonctionnement de l’espace urbain, Tours, Publications du Laboratoire URBAMA.

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La ville de Valence, comme beaucoup de villes de second rang au plan national en Méditerranée, a accédé tardivement au rang de métropole « intermédiaire » en Espagne, puis en Europe méditerranéenne. Elle a été longtemps le centre d’une région agricole ouverte sur l’extérieur, avant de devenir le centre de la troisième région industrielle de l’Espagne et enfin la capitale politique de la 3e région autonome (en poids économique), après la Catalogne et Madrid. Elle doit ces promotions récentes à des faits géographiques propres (sa situation sur la façade méditerranéenne, en position intermédiaire entre la Catalogne post-industrielle et l’Andalousie beaucoup moins avancée) et à deux faits historiques généraux :

la mutation économique de l’Espagne dans la seconde moitié du 20e siècle, et le passage du centralisme franquiste aux autonomies régionales démocratiques. Ces mutations ont eu lieu dans le cadre urbain particulier d’une « ville de huerta » dont le modèle spatial original a été déformé par la mise en place de la déviation géante du lit de son fleuve, le Turia, à la suite d’inondations catastrophiques en 1957. L’aire métropolitaine de Valence (dorénavant AMV) a été développée sur un ancien tissu rural de petites communes encadrant une vaste commune centrale qui englobe terres agricoles (la huerta) et zones naturelles (la lagune de la Albufera). Cette relation étroite entre la ville et sa campagne a configuré dès le début du 20e siècle une

VALENCE par Roland Courtot

Carte : François Moriconi-Ébrard, d’après les recensements de 1991 et 2001. Unités locales : municipios Découpage administratif : région.

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agglomération originale, dont l’accès au rang de métropole et le passage à l’aire métropolitaine à la fin du siècle ont largement complexifié les structures géographiques et les problèmes d’urbanisme de cette nouvelle « ville-territoire ».

Une morphologie originale déformée par le plan Sud

La ville centre représente toujours la moitié de la population de l’AMV (en 2000) car elle a cru de 503 000 habitants. en 1950 à 738 400 en 2001 (+ 47%) ; mais cette place régresse car les communes périphériques ont connu une croissance beaucoup plus forte, dont l’onde s’est déplacée du centre vers les périphéries : Cet étalement a été réalisé au détriment de la huerta, et surtout des terres de secano et de monte. C’est vers l’ouest que l’étalement a été le plus fort : le fait métropolitain dépasse la huerta et touche maintenant les communes hors de l’AMV à plus de 30 km du centre.

L’immigration est devenue le facteur principal de la croissance démographique de l’AMV, car le bilan naturel a fortement régressé depuis les années 1980. Cette aire a été, dans la 2e moitié du 20e siècle, le 4e pôle d’attraction des migrations nationales. Celles-ci se sont atténuées et l’immigration internationale est venue prendre en partie le relai (Europe, Afrique du Nord et Amérique latine). Le comportement démographique de la ville centre a suivi le schéma métropolitain : un premier maximum (1991) suivi par une diminution (report de l’immigration sur la périphérie et exurbanisation), puis par une reprise à partir de 1996 alors que son bilan naturel devient négatif en 2005. En même temps le reste de l’AMV conserve un bilan

naturel positif et croit par immigration de 0,5% par an (BURRIEL et al. 1998).

Le modèle de la « ville de huerta »

Jusqu’au milieu du 20e siècle, l’AMV présente une structure originale, un plan radioconcentrique qui intègre la huerta comme auréole entre la ville dense et la couronne des noyaux satellites (COURTOT, 1990). Ce schéma a été modifié par le plan Sud qui, en déviant le fleuve, a permis à la ville de réorganiser son plan de communications, de réorienter son extension et de bénéficier d’un couloir central à aménager. L’étalement urbain a donc été réalisé de plusieurs façons : en front d’urbanisation de la ville sur sa huerta, en alignements le long des axes radiaux (en particulier les liaisons ville-port et littoral), en auréole continue pour les agglomérations de la huerta, et en débordements périurbains sur les collines au milieu ou à la place des vergers d’agrumes.

La faible taille des communes satellites de la ville n’a pas permis l’apparition de pôles urbains secondaires forts : l’aire métropolitaine reste fortement mononucléaire car aucun des 178 satellites directes de Valencia n’atteint les 70 000 habitants, et les petites villes les plus proches, Sagonte et Alcira, sont de plus en plus intégrées dans l’aire d’influence de l’AMV.

Un développement fonctionnel multiforme : nouvelle économie, nouvelle société

Les mutations de la base économique de l’AMV

Cette base est issue de la combinaison de plusieurs fonctions successives, les unes

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anciennes, les autres récentes : Valencia est toujours le centre économique d’une région d’agriculture d’exportation (où dominent les agrumes) depuis la fin du 19e siècle. C’est aussi celui d’une région d’industries de biens de consommation sur lesquelles s’est appuyé un développement industriel très diversifié depuis les années 1960 : initiatives d’État (sidérurgie à Sagonte) ou de l’étranger (Ford à Almusafès), mais surtout tissu de petites et moyennes entreprises de biens de consommation, d’équipement et de nouvelles technologies, sous forme de systèmes productifs localisés. Dans le même temps elle est devenue la capitale d’une grande région touristique balnéaire, d’abord pour une clientèle d’Europe occidentale, puis pour une clientèle nationale et régionale, cette dernière ayant transféré ses investissements des agrumes vers les appartements de plage. Enfin et surtout Valence a retrouvé en 1979 la centralité politique de la Communauté autonome du Pays valencien, qui a entraîné dans la ville la constitution d’une classe politique et d’une administration régionale nouvelles, en même temps que la libération de revendications identitaires (linguistiques en particulier) fortes qui se sont traduites dans des politiques culturelles tournées vers la récupération et l’exaltation du patrimoine valencien. Le centre ancien, où les nouveaux pouvoirs se sont installés dans les édifices emblématiques du Royaume de Valence, a été l’objet d’un plan de réhabilitation urbaine (plan RIVA, 1992), rendu nécessaire par la dégradation de l’espace urbain et la revalorisation patrimoniale souhaitée de ces quartiers anciens.

Ces mutat ions économiques ont été accompagnées de mutations dans le système des communications de la métropole avec l’extérieur dans tous les registres : le réseau

ferroviaire de la RENFE a été complètement redessiné dans le cadre du plan Sud, et une nouvelle gare de marchandises créée dans la huerta sud-est. Mais dans ce type de transport la domination écrasante de la route a été renforcée par la construction rapide d’un réseau de voies express et d’autoroutes, dont Valence est un grand carrefour, entre l’axe du littoral méditerranéen (A7) et la direction de Madrid. Mais le trafic portuaire a lui aussi beaucoup progressé avec le développement industrie : 3e port d’Espagne pour le trafic général (non compris les hydrocarbures) et 2e pour le trafic des conteneurs (2,1 millions TEU en 2005), celui-ci a été aggrandi et a glissé vers le sud jusqu’à la nouvelle embouchure du Turia. Son emprise de 148 ha en 2006 devrait être portée dans l’avenir à 301 ha (un organisme commun a été formé avec les petits ports de Sagonte au nord et 179 de Gandia au sud). L’aéroport de Manises a connu une modernisation et l’installation d’une compagnie régionale très dynamique, mais n’a pas de relations internationales notables.

La nouvelle société métropolitaine

La tertiarisation de l’économie valencienne a comme ailleurs transformé la structure professionnelle et sociale de la population active par le développement du secteur péri-productif et de la part des emplois « métropolitains ». En outre, les « classes dirigeantes » de la société urbaine ont changé de contenu : à l’ancienne bourgeoisie liée à l’économie des agrumes, plus ou moins associée à la « nomenklatura » du centralisme franquiste, a succédé une nouvelle bourgeoisie née de la croissance économique, industrielle et financière, et de la promotion immobilière. Cela s’est traduit au plan politique par une cristallisation des positions de gauche, défendues par le Parti socialiste, et de celles de

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droite, dominées par le Parti populaire, et au plan social par une aggravation des différenciations et des ségrégations urbaines.

L’ancienne différenciation historique entre l’est bourgeois et l’ouest populaire, toujours présente dans l’espace urbain central, a été gommée par l’étalement métropolitain : dans la périphérie une mosaïque sociale a été mise en place par le marché de la promotion immobilière et l’habitat collectif n’est plus réservé aux ouvriers et aux employés, comme les « chalets » de l’urbanisation pavillonnaire ne sont plus réservés à la classe moyenne.

Les fluctuations du projet politique et de la planification

Évolution des structures institutionnelles

Malgré les relations étroites qu’une ville de huerta entretenait avec sa campagne, jusqu’à la transition démocratique, aucun échelon administratif intermédiaire fort n’était venu s’insérer entre la commune et la province : la « ley de bases » de 1946 avait bien créé en 1949 la Gran Valencia (27 communes), « mais ce ne fut guère qu’un montage bureaucratique » (ROSSELLO, 1988). Elle disparut en 1986 (lors de la révision du plan général) et fut remplacée par un Consell de l’Horta dont la juridiction s’étendait sur les 44 communes de ce qui allait être l’AMV. Mais cette institution a peiné à acquérir une place dans le débat sur l’urbanisme métropolitain, car elle a vu une opposition « géographique » entre les communes périphériques et la ville centre se doubler d’une opposition politique entre la gauche et la droite lorsque celle-ci a pris le pouvoir municipal à Valence (1991). Lorsqu’en 1995 la droite a accédé au gouvernement

régional, elle a dissout le Conseil. Au plan intercommunal, seuls des organismes administratifs subsistent pour les principaux services (transports, eaux…). La ville a créé un nouvel organisme, le Plan Stratégique de Valence, destiné à mettre au point un plan de développement et d’urbanisme, comme dans toutes les aires métropolitaines d’Espagne. Cette structure, modifiée en 2004 en un Centre de Stratégies et de Développement de Valence (CEYDV), regroupe une centaine d’organismes de la société civile mais n’a aucun pouvoir de décision : il est chargé de proposer un projet métropolitain et a surtout alimenté par ses travaux le marketing urbain de la municipalité en place.

Émergence difficile d’un projet métropolitain

Le passage d’un régime autoritaire centralisé à une constitution démocratique et régionaliste a eu de profondes répercussions sur les politiques communales, puisque les conseils municipaux ont été démocratiquement élus à partir de 1979, et que les règlements d’urbanisme ont été régis par des lois régionales à partir de 1992. Dans le cas de Valence, cela s’est traduit au plan politique par l’arrivée au pouvoir municipal (1979) et régional (1983) du Parti socialiste espagnol, et son maintien jusqu’en 1991, lorsque le Parti populaire (droite conservatrice) a gagné les élections tant au plan municipal (1991), qu’au plan régional (1995).

Dans ce cadre, les politiques publiques d’urbanisme n’ont que tardivement considéré un projet métropolitain. Le « Plan general de ordenación de Valencia y su cintura » de 1946, très ambitieux, avait bien tracé un

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projet « comarcal », mais il avait été suivi de peu d’effets par suite de la faible croissance démographique et économique de l’après-guerre espagnol. Le « plan Sud » avait obligé à rédiger un nouveau plan adapté à la « solution Sud» en 1966, qui porte les traces de cette période de « des arollismo » (idéologie de développement). Il eu, par son impact sur les communes de la proche périphérie est et sud, des conséquences beaucoup plus grandes sur le schéma de développement de l’aire métropolitaine : urbanisation rapide des communes périphériques de la huerta, des axes radiaux et du littoral balnéaire, développement non planifié des zones industrielles et tracé des voies rapides sur les terres agricoles de la huerta.

Le post franquisme

La municipalité socialiste a d’abord procédé à des « rattrapages ponctuels » :

récupération de l’ancien lit du Turia, menacé -de devenir un axe urbain majeur, par le plan « jardin del Turia », arrêt de l’urbanisation excessive de la plage du -Saler et de la Dehesa de la Albuferra (principale plage des habitants de la ville), lancée sous le régime précédent pour les classes moyennes et aisées, et ignorante de l’environnement fragile du cordon littoral et de la lagune.

Ensuite la rédaction d’un nouveau PGOU (1989) a lancé la mise en place d’un système de communications métropolitain (bus, métro, tram), la récupération du centre ancien, le rattrapage des services dans les quartiers périphériques et les hameaux ruraux, et essayé de contrôler la croissance urbaine par rapport à la valeur patrimoniale du « paysage culturel » de la huerta

Le « neo-desarollismo »

La seconde mutation politique amène au pouvoir la nouvelle droite, qui développe une politique d’extension urbaine, à la fois cause et conséquence d’une reprise de la croissance démographique à Valence. Elle urbanise les terrains prévus au plan de 1989 et privilégie les créations nouvelles au détriment des formes existantes : par exemple, la huerta du sud-est de la ville (La Punta) est sacrifiée au bénéfice des zones logistiques portuaires. Des projets initiés sous la municipalité précédente sont lancés ou terminés : le plan RIVA pour la réhabilitation du centre historique de la ville, la Cité des sciences et des arts pour la fin du jardin du Turia. Mais surtout, dans une ambiance de grandes opérations et de fièvre immobilière (d’ailleurs propre à tout le littoral de la Communauté valencienne) la municipalité réalise de grands projets avec le soutien de la Généralité et dans un environnement législatif facilité par les nouvelles lois régionales d’urbanisme (LRAU 1994 et LUV 2006). L’innovation architecturale et urbanisme y voisine avec les intérêts de l’économie immobilière, contre lesquels se développe une vive « protestation citoyenne », dont les sites internet se font l’écho (CUCO, 2006) :

« Parque central » : couverture des voies de la -gare au confluent de l’Ensanche, et réalisation d’un parc central sur cet emplacement, plus quartier résidentiel que lieu de centralité ; front portuaire : la vieille darse du port est -transformée, à l’occasion de la coupe de l’America 2007, en port pour les courses de plaisance, et des immeubles de grande hauteur, de bureaux et de résidence sont proposés en arrière du front de mer, lieu du tourisme et du loisir (on comprend ainsi la hâte de la municipalité à vouloir prolonger

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 192

l’avenue de Blasco Ibañez jusqu’à la mer, en coupant en deux le vieux quartier portuaire et populaire du Cabanyal, malgré une forte mobilisation des habitants et des associations citoyennes).

Tandis qu’un projet ponctuel, « Sociopolis », propose de réconcilier la résidence urbaine et l’agriculture de huerta dans un même quartier pour les « nouveaux urbains », la Généralité lance des idées de projets métropolitains dans le cadre des Plans d’action territoriale : aménagement du littoral nord, entre Sagonte et Valence (« Ruta azul »), pour en faire un ruban touristique et de loisir, en repoussant le couloir des axes de communication nord-sud vers l’intérieur.

Le futur de l’AMV ?

La stratégie municipale énoncée en 1995, dont l’objectif était de « faire de Valence une ville verte européenne, ouverte sur la mer, intégratrice au plan sociale et active culturellement, une capitale vertébrant la Communauté valencienne et articulant le système de villes européennes et péninsulaires avec la Méditerranée, dans une situation très compétitive de ses secteurs économiques sur le marché international » a été modifiée en 1998 puis en 2004 pour tenir compte de l’impact de la coupe de l’America et faire de Valence la ville durable modèle de la Méditerranée du 21e siècle (CEYDV, 2004). Il est difficile d’en dégager une vision d’ensemble spatialisée, sinon celle d’accompagner par les politiques urbaines une conjoncture économique favorable : plusieurs indicateurs sont au vert au plan de la croissance des activités et de l’emploi. Cependant les projets d’urbanisme « brutaux » risquent de renforcer, sur le schéma de l’AMV tel que nous l’avons décrit, l’effet des tendances dominantes

déjà à l’œuvre : remplissage des espaces non construits entre la ville centre et ses satellites, littoralisation maximale des activités métropolitaines et du tourisme, étalement de la résidence individuelle dans les secanos de l’arrière-pays. Tout ceci alors que subsistent des problèmes métropolitains insuffisamment pris en compte : dualisme social qui concentre à Valence un certain nombre des quartiers urbains défavorisés de la Communauté et qui chasse les catégories sociales populaires vers les périphéries ; mobilité métropolitaine trop confiée au transport individuel ; disparition à court terme de la huerta (jamais franchement reconnue par les autorités municipales) ; enfin faiblesse de la démocratie locale dans la gestion métropolitaine, alors que le CEYDV propose de faire de la ville une référence européenne en matière de gouvernance.

Conclusion

I l restait aux Valenciens à construire une nouvelle image de leur métropole, qui ne soit plus celle du Miguelete et de la huerta, mais celle d’une ville millionnaire dont les pouvoirs, les services et les infrastructures doivent être de rang métropolitain. La reconquête de la langue valencienne s’est accompagnée d’un effort culturel sans précédent, où les opérations de prestige et de mise en scène de la ville ne manquent pas : IVAM, Ciudad de las artes y las ciencias... Le choix de son port pour accueillir la coupe de l’America en 2007 a été salué par une partie de la classe politique valencienne comme l’opération médiatique de niveau international qui manquait à ce tableau. Tableau dont l’autre face est actuellement celle d’une croissance urbaine rapide et mal maîtrisée, où le primat

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Dynamiques spatiales du peuplement : comparaisons 193

de l’économie et des grandes opérations d ’urbanisme entra îne une dynamique morphologique et démographique difficile à concilier avec le fonctionnement du système urbain, la qualité de vie des habitants, et le respect de l’histoire urbaine.

Bibliographie AYUNTAMIENTO DE VALENCIA, 1985, La Ciudad que queremos , Avance del plan general de ordenación urbana, Oficina municipal del plan. BURRIEL E. SALOM J., DELIOS E., 1998, Continuidad y cambio en las pautas territoriales del crecimiento demográfico valenciano. Análisis del periodo 1991-1996., Cuadernos de Geografía, València, 103, p.103- 137. COURTOT R., 1990, Le modèle valencien d’organisation de l’espace urbanisé: de la huerta à l’aire métropolitaine, Mappemonde, GIP-RECLUS, Montpellier, n°1, p.40-43 CUCÓ I GINER J., Urbanización y revuelta. Aproximación al cao de la ciudad de València, col.lectiu Terra crítica, Documentos y materiales, <www.terracritica.org>. CENTRO DE ESTRATEGÍAS Y DESAROLLO DE VALENCIA, 2004, València en los primeros años del Siglo XX, València. ROSSELLO VERGER V., Y TEIXIDOR DE OTTO M.J., BOIRA I MAIQUES J., 1988, La Comarca de l’ Horta,Area Metropolitana de València, Generalitat Valenciana, Universitat de València.

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Métropolisation méditerranéenne :

des enjeux aux défis de la coopération

Nicolas Douay et Walid Bakhos

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Ce mouvement d’urbanisation s’inscrit de nos jours dans une logique plus globale, celle de la métropolisation des territoires et de la globalisation de l’économie. Les villes sont donc et seront encore à l’avenir les lieux de changements et de transformations majeures pour l’espace méditerranéen.

La métropolisation à l’épreuve de la théorie

Étymologiquement, « métropole » signifie ville-mère, ville fondatrice de colonies. Ensuite, le terme a été utilisé pour désigner la capitale

économique et politique d’un État, puis pour désigner une grande agglomération urbaine en fonction de différents seuils de population. La notion de métropolisation est plus récente et tend à s’imposer pour rendre compte de l’évolution contemporaine des territoires.

Nous pouvons en examiner p lus ieur s définitions. Dans l’interview introductive à cet ouvrage Marcel RONCAYOLO présente la métropolisation comme étant le résultat d’un double processus renvoyant à l’avènement d’une nouvelle forme d’organisation et de hiérarchie des territoires. Dans les faits

Les différentes civilisations de l’espace méditerranéen se sont toutes appuyées sur les villes tant leurs fonctions économiques, politiques, sociales et culturelles ont façonnés le développement de cet espace. La population urbaine des agglomérations de plus de 10 000 habitants de l’ensemble des pays riverains est passée de 94 millions en 1950 soit 44% de la population à 274 millions en 2000 soit 64% (PLAN BLEU, 2006). Toutefois cette croissance n’est pas uniforme, dans les pays du Nord alors que la population urbaine atteint 129 millions en 2000, la croissance est aujourd’hui assez

modérée alors que du XIXe aux années 1970 elle fut très importante. Par ailleurs les pays du Sud et de l’Est rassemblent déjà 145 millions de citadins alors qu’ils connaissent une véritable explosion urbaine depuis quelques décennies avec des vitesses 3 à 5 fois supérieures à celles qu’ont connue les pays du Nord. Finalement, les prévisions du Plan Bleu (2006) pour l’horizon 2025 évoquent une population urbaine de 378 millions pour l’ensemble du bassin méditerranéen (soit 243 millions pour la rive Sud et Est et 135 millions pour la rive Nord).

Les agglomérations de 10 000 habitants et plus

Source : Geopolis, publié par le plan bleu.

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Métropolisation méditerranéenne : des enjeux aux défis de la coopération198

cela se traduit par une logique d’extension mais aussi de concentration à l’échelle de ces métropoles.

La contribution de Michel BASSAND s’inscrit dans la tradition sociologique et permet de relever que ce nouveau processus d’organisation spatiale s’accompagne inéluctablement d’une nouvelle organisation sociale. Cet intérêt pour les acteurs permet de pointer l’émergence d’une société informationnelle qui peut aussi renforcer des aspects négatifs à l’image de la ségrégation sociale, de la dégradation de la qualité de vie avec notamment la forte utilisation de l’automobile ou encore l’absence d’institutions métropolitaines. Face à ce constat, Michel BASSAND appelle de ses voeux une altermétropolisation.

Le texte de François MORICON-EBRARD représente une avancée théorique inédite sur la façon d’aborder la question de la métropolisation. Dans la lignée des travaux de l’école du structuralisme dynamique, il propose une évolution épistémologique dans la façon d’aborder ce concept de métropolisation. Il démontre que les concepts de villes, d’agglomérations et d’aires métropolisées procèdent de morphogenèses singulières. La réflexion autour du concept de métropolisation l’amène à dégager plusieurs pistes de réflexion : a) la représentation de la chose métropolitaine

est une affaire de réseaux et de mobilité ; b) la condition de son développement est la

rentabilité financière ; c) la notion de métropole est désormais devenue

mondiale. D’où l’on déduit logiquement : a) + b) la mobilité ne cesse de croître parce

qu’el le doit générer des profit s financiers ;

b) + c) la rentabilité financière se conçoit à l’échelle mondiale ;

a) + b) + c) la condition du développement des aires métropolisées est la mondialisation.

Ces phénomènes se traduisent par une concurrence généralisée qui entraîne l’étalement du peuplement ainsi qu’une spécialisation extrême entre les lieux et les activités. Cette logique de concurrence entraîne alors les sociétés dans une course à l’excellence métropolitaine qui s’appuie sur cette double mutation tout en la renforçant.

Ces trois approches théoriques mettent l’accent sur des réalités différentes, elles ne sont pas forcément contradictoires mais plutôt complémentaires. Ainsi, il convient de replacer ce processus de métropolisation dans un contexte plus global, et traiter des métropoles contemporaines selon deux perspectives (Pierre VELTZ, 1996 ; Michael STORPER, 1997 ;Allen J. SCOTT, 2001 ; Michel BASSAND, 2004). La première renvoie plutôt au processus interne de structuration de l’urbanisation sous l’effet des stratégies de localisation des ménages et des entreprises, il s’opère alors un étalement de l’urbanisation qui entraîne ainsi l’apparition de nouvelles spécialisations et de nouvelles centralités. La deuxième perspective est plus globale et insiste plutôt sur le développement d’un système de métropoles dans un contexte économique de concurrence généralisée. Ce binôme globalisation-métropolisation constitue finalement la substance même des grandes transformations du monde contemporain.

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Métropolisation méditerranéenne : des enjeux aux défis de la coopération 199

Le processus de métropolisation, du global au local

Les enjeux pour les métropoles méditerranéennes

La différenciation des territoires et l’impact de la globalisation

Les logiques de globalisation de l’économie produisent une concentration en certains lieux des activités tertiaires supérieures. Dans cette perspective, les métropoles méditerranéennes ne peuvent pas être considérées comme des villes globales à part entière. Cependant à l’image d’Athènes par exemple, elles génèrent leurs réseaux et leurs flux qui peuvent alors prendre une dimension mondiale. Ces effets cumulatifs entraînent une hiérarchisation accrue qui se décline à toutes les échelles : du quartier d’affaires à la ville globale en passant par la métropole régionale, et ceci au détriment des périphéries dont la dépendance s’accroît : les régions rurales et les pays en voie de développement.

Ce binôme globalisation-métropolisation produit alors un accroissement des écarts sociaux par

l’intermédiaire d’une polarisation des flux de richesses. Dans les pays occidentaux, ce binôme peut expliquer le déclin des anciens pôles industriels fordistes comme à Marseille, à Barcelone, à Naples ou encore à Gênes et la montée en puissance d’autres pôles sous l’effet croissant de la tertiarisation de l’économie. Montpellier et sa logique technopolitaine illustre bien ce phénomène.

Ce phénomène de spécialisation et de différenciation des territoires s’exprime au sein même des aires métropolitaines. Certains espaces comme les nouveaux quartiers d’affaires peuvent prendre des allures de centre ville à l’américaine comme à Barcelone, à Beyrouth, à Tel- Aviv,… avec l’érection de tours de grande hauteur. Les palais des congrès ou encore certaines zones d’activités périphériques, par exemple autour des aéroports, deviennent alors les avant-postes de l’économie postfordiste alors même que d’autres espaces peuvent faire l’objet d’une forte relégation (anciens espaces industriels, notamment portuaires) avant d’être parfois eux-mêmes réinvestis pour accueillir ces nouvelles activités économiques métropolitaines, à l’image par exemple des nombreuses opérations d’urbanisme autour des water-front qui se développent dans la plupart des villes étudiées dans cet ouvrage. En somme, la métropole renvoie à une mosaïque de territoires qui fait cohabiter les fonctions, comme les usages. Ainsi, la fracture Nord-Sud qui peut caractériser en partie l’espace méditerranéen se trouve remise en cause par le processus de métropolisation qui réintroduit cette fracture nord-sud à l’intérieur même de chaque espace métropolitain qu’il soit du nord ou du sud en renforçant des logiques d’étalement et de spécialisation qui se trouvent aux cœurs de ces logiques de différenciation des territoires.

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Métropolisation méditerranéenne : des enjeux aux défis de la coopération200

Ces logiques s’inscrivent dans un mouvement de transformation du capitalisme avec notamment le passage à une économie postfordiste. Les travaux de Neil BRENNER et Nick THEODORE (2002) ont bien démontré qu’en raison de son dynamisme, le capitalisme rend continuellement obsolète la base géographique qu’il crée, à partir de laquelle il se reproduit et se développe. Tout particulièrement durant les crises systémiques, les cadres territoriaux hérités peuvent être déstabilisés dans la mesure où le capitalisme transcende les infrastructures sociospatiales et les systèmes de relations de classe qui ne fournissent plus une base sûre pour une accumulation durable. Ces transformations du capitalisme ont remis en question la centralité de l’État dans les processus de régulation. Les métropoles deviennent alors les nouveaux territoires du capitalisme où s’opèrent de nouvelles régulations.

De l’étalement urbain à la ville polycentrique

Cette différenciation économique des territoires a une traduction spatiale. En effet, le processus de métropolisation combine deux phénomènes

différents. Nous observons d’une part un étalement et un desserrement des espaces résidentiels et des activités vers la périphérie des métropoles, le développement de la voiture rend alors possible l’avènement d’une ville de l’automobile avec la multiplication des banlieues pavillonnaires, symbole d’un rêve californien que l’on souhaiterait adopter sur les rives méditerranéennes du nord comme du sud. Nous constatons d’autre part une spécialisation fonctionnelle et socio-économique des espaces intra-métropolitains. Ces deux phénomènes produisent alors une recomposition des usages et des centralités.

Toutefois, les cartes réalisées par François MORICONI-ÉBRARD nous révèlent que toutes les métropoles méditerranéennes ne sont pas au même point dans ce processus. Celui-ci est plus avancé sur la rive nord que sur la rive sud. Dans les premières, la métropolisation engendre la formation de vastes couloirs qui connectent entre eux plusieurs pôles urbains à l’image par exemple de la mégalopole de l’arc méditerranéen français qui commence en Espagne pour se terminer en Italie.

Source : DRE PACA

La mégalopole de l’arc méditerranéen français

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Métropolisation méditerranéenne : des enjeux aux défis de la coopération 201

Dans les métropoles du Sud nous pouvons constater l’élargissement de la forme de l’agglomération principale qui évoque finalement la situation qui prévalait en Europe dans les années 1960 et 1970 (voir le chapitre 2). Ce phénomène apporte une explication à la densité plus importante au Sud qu’au Nord. Toutefois, il convient de noter que les évolutions actuelles de la rive sud témoignent de profondes mutations. Une densification des tissus urbains anciens s’opère et s’accompagne d’un foisonnement périphérique avec la multiplication de formes d’habitat non réglementé. Face à l’ampleur des besoins, l’insuffisance des circuits classiques de production de logements conduit à une prolifération de l’habitat spontané.

Sur les rives nord et sud de la Méditerranée, l’accroissement de la mobilité se traduit par une mutation des facteurs de localisation. Il entraîne une transition vers un modèle réticulaire qui affecte les espaces résidentiels comme les activités et voit émerger une métropole « patchwork ». Les réseaux de communication expliquent une bonne partie de ces phénomènes. Cette redistribution des centralités affecte surtout les périphéries

qui voient apparaître des formes urbaines stéréotypées. Le journaliste Joël GARREAU (1991) à la suite d’une étude sur l’univers de la ville étalée américaine a mis en avant le concept d’Edge City. Ce symbole de la métropole moderne et polycentrique illustre l’importance prise par les développements de bureaux, de centres d’affaires et de centres commerciaux sur les franges des agglomérations à proximité notamment des échangeurs autoroutiers et qui forment finalement de nouveaux pôles qui peuvent finir par surplanter le centre-ville. Ces centres d’activités technopolitains remettent en cause la centralité traditionnelle d’un point de vue spatial, voire politique quand elle donne lieu à l’établissement de gated communities. Au-delà de ces nouvelles centralités périphériques, les métropoles se caractérisent surtout par le développement d’une urbanisation étalée où la voiture est reine (Gabriel DUPUY, 1995). Cette forme urbaine prend des noms différents mais caractérise bien l’évolution urbaine méditerranéenne : ville émergente en France (Geneviève DUBOIS-TAINE, Yves CHALAS, 1997) ou encore edgeless cities (Robert LANG, 2003) en Amérique du Nord afin de s’opposer au concept de Joël GARREAU.

Source : Agence d’urbanisme du Pays d’Aix, in n° spécial des cahiers de l’OTM 2004.

Une représentation spatiale de la métropolisation : entre étalement et spécialisation

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Finalement, selon que l’on se situe sur la rive nord ou sud, la structure métropolitaine caractérisée par l’étalement urbain et la spécialisation territoriale est plus ou moins prononcée et plus ou moins récente : « Les aires urbaines qui se façonnent sont plus ou moins peuplées, denses, polarisées. Mais elles présentent des caractéristiques identiques : les aires métropolitaines dilatent les agglomérations anciennes et s’étendent à plusieurs dizaines de kilomètres des grandes villes qui les ont suscitées ; les densités urbaines globales diminuent, mais les zones périurbaines se densifient ; le tissu urbain n’est plus continu mais fragmenté ; les zones bâties sont éparses, parfois entrecoupées de zones rurales ; les limites entre ville et campagne s’estompent ; des polarisations périphériques nouvelles se constituent, qui diminuent le poids du système radioconcentrique assez caractéristique des villes européennes anciennes » (François ASCHER, 2003).

Ces transformations peuvent être abordées par l’intermédiaire de la notion de polycentrisme. Celui-ci propose alors de dépasser le monocentrisme en proposant de doter les différentes périphéries31 de fonctions de centralités capables de les reconnecter au reste du territoire. Toutefois alors que cette notion de polycentrisme est devenu un des principaux mythes de l’action publique territoriale, il n’en reste pas moins un mirage à l’image notamment des différentes formes de différenciations spatiales qui peuvent conduire à des formes de fragmentation.

Ségrégation et fragmentation métropolitaines

Le processus de métropolisation s’accompagne généralement d’un renforcement des processus

de différenciation et de polarisation de l’espace. Cette thématique de la ségrégation est déjà ancienne, elle fut développée dès les années 1920 par l’école de Chicago. Aujourd’hui, dans un contexte métropolitain, ces logiques prennent plus d’ampleur. En ef fet, la discontinuité urbaine de la ville polarisée, se double d’une discontinuité sociale. Ces logiques de fragmentation s’expriment donc de deux manières différentes :

des f lux exo -régulés : les processus -de relégation des populations les plus défavorisées ; des flux endo-régulés : les processus de mise -à l’écart volontaire des populations les plus aisées pouvant conduire à l’avènement de gated communities.

Cette transformation des espaces urbains, avec le passage de la ville à l’urbain généralisé, et à la métropole éclatée voit se développer les logiques de regroupement affinitaire, comme les gated communities ou les logiques de relégation dans les banlieues défavorisées pour la rive nord ou dans les zones d’habitat spontané pour la rive sud. Quelques uns y voient l’avènement d’une ville à deux vitesses, voire trois vitesses (Jacques DONZELOT, 2004), mais ce qui est certain c’est que la métropolisation peut conduire à des formes de sécession qui remettent en cause la capacité de la ville à faire société.

Ce phénomène se manifeste dans toutes les métropoles. À Nice le manque de foncier associé à une économie encore largement tournée vers le tourisme et la villégiature accentue les inégalités sociales. À Istanbul ou à Beyrouth après un contexte de forte croissance économique, les fortes polarisations

31 Le concept a été beaucoup mis en avant par l’Union Européenne et se décline à toutes les échelles : européenne, nationale, régionale, métropolitaine,…

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qui se développent aujourd’hui rappellent le visage inhumain du Los Angeles de Mike DAVIS. Le cas d’Israël est particulièrement intéressant dans cet te perspective, en effet la proximité spatiale entre Tel-Aviv et Jérusalem se double d’une forte distance économique, sociale et politique comme si le processus de métropolisation avait opéré un partage des fonctions, des usages et des identités entre ces deux pôles d’un même espace métropolitain afin de mettre en scène l’existence de deux métropoles étrangères l’une envers l’autre, il s’agit d’une sorte de dédoublement métropolitain.

L’impasse environnementale ?

Le processus de métropolisation de l’espace méditerranéen se traduit par la concentration de population au sein de métropoles mais la nature de plus en plus dispersée de ces aires métropolitaines conduit à une augmentation de la littoralisation de l’urbanisation. Ce mouvement d’urbanisation généralisée se fait donc au détriment des espaces agricoles et naturels qui se retrouvent fragilisés par l’extension des différents usages urbains notamment dans un contexte littoral. Dans les faits ce processus a un impact considérable sur le « lac » méditerranéen ; plus concrètement, il convient de noter la privatisation et l’artificialisation du littoral, la pollution maritime, la mise en danger des différents écosystèmes ou encore la salinisation des nappes phréatiques littorales.

Sur la rive sud, les services urbains de base sont souvent largement insuffisants. Face à la croissance urbaine incontrôlée, les réseaux tels que l’eau potable, l’électricité le traitement des eaux usées ainsi que la gestion des déchets arrivent fréquemment avec un retard

considérable. Cette situation peut devenir problématique, lorsque ce déficit de services publics entraîne des problèmes de santé publique comme l’apparition de maladies à transmission hydrique tel le choléra.

De même bien souvent les quartiers d’habitat spontané ne sont desservis que fortuitement par les transports collectifs, dans la mesure où, par leur localisation, ils se trouvent à proximité d’une ligne existante. De plus, la construction non réglementée en zones exposées (à fortes pentes, inondables) peut créer les conditions d’une vulnérabilité accrue face aux risques naturels. Plus généralement, l’extension de la tâche urbaine se fait à un rythme qui excède couramment celui de la progression démographique. Elle s’accompagne d’un considérable transfert dans les modes d’occupation des sols avec perte de terres agricoles, d’autant plus inestimables qu’elles sont en quantités réduites.

Sur l’ensemble des différentes rives, la voiture se trouve au centre de ces différentes atteintes à l’environnement. En effet, si la ville émergente peut être considérée comme étant la « ville du choix », c’est parce qu’elle est surtout la ville de l’automobile (Gabriel DUPUY, 1995). Certains comme Marc WIEL (1999) vont même jusqu’à la rendre responsable de la « transition urbaine », avec « le passage de la ville pédestre à la ville motorisée ». Cette adaptation de la ville à l’automobile entraîne toute une série de demande en infrastructures, tant la voiture semble insatiable en autoroutes, ponts, parkings ou autres échangeurs.

Plus généralement, la réalisation des réseaux et des infrastructures pour accueillir ces développements constitue alors autant de nuisances pour les citoyens. Dans les faits,

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Métropolisation méditerranéenne : des enjeux aux défis de la coopération204

la question de ces différents équipements (aéroports, routes et autoroutes, voies de chemins de fer, centres de traitement des déchets et des eaux usées) peuvent générer la manifestation du syndrome NIMBY (Not in my back yard) auprès des habitants concernés à l’image par exemple de l’implantation d’un incinérateur en périphérie marseillaise. En somme, cette croissance de l’urbanisation peut alors entraîner de nombreuses atteintes à l’environnement : perte de biodiversité, fragmentation des écosystèmes, pollution de l’eau, de l’air, du sol ou encore des paysages.

Toutefois, alors que la métropole porte de nombreuses atteintes à l’environnement, il s’y exprime chez ses habitants une forte demande en matière environnementale, afin de bénéficier d’une bonne qualité de vie. Ce phénomène est très clair dans les métropoles de la rive nord et il émerge aussi très nettement sur la rive sud. Cette demande de nature se manifeste par l’engouement pour le jardinage urbain, la construction de bâtiment « vert » (dénommé aussi « haute qualité environnementale » - HQE), le développement des mouvements de défense pour le cadre de vie ou encore l’attachement aux animaux en ville.

Cette demande de nature est aussi à rattacher aux mêmes types d’attentes qui s’expriment envers la protection et la mise en valeur du patrimoine. Concrètement, ces phénomènes peuvent s’illustrer par l’émergence de cette élite métropolitaine (Mathiew W. ROFE, 2003), ces bobos (pour bourgeois-bohème) qui participent à la gentrification des espaces centraux de la métropole (Jacques DONZELOT, 2004) et bousculent les modes d’usage de la ville. Au terme de cette première partie, nous pouvons conclure sur l’importance des différents impacts de la métropolisation.

En effet ce processus modifie en profondeur les enjeux de domaines aussi variés que l’économie, le social, le culturel, l’environnement,… Pour répondre à ces enjeux, les métropoles méditerranéennes du nord comme du sud doivent relever le défi de la gouvernance et du projet.

Le défi de la gouvernance et du projet pour les métropoles méditerranéennes

Répondre à la fragmentation des pouvoirs et redéfinir les cadres de l’action collective

Sur le plan polit ique, le processus de mét ropo l i s a t i on s e t radu i t pa r une fragmentation et un enchevêtrement des pouvoirs. La métropolisation réintroduit donc la question de la gouvernabilité. De part la multiplication des lieux de pouvoirs et de représentation des intérêts, certains avancent même l’idée de métropoles ingouvernables (Douglas YATES, 1977 ; Bernard JOUVE, Christian LEFEVRE, 2002).

Toutefois, l’identification de ces enjeux tant spatiaux que politiques ouvre la possibilité d’expérimenter de nouvelles formes de régulations. Cette question a pris de l’importance car la fourniture de services publics de qualité se trouve au cœur des dynamiques économiques et sociales assurant la prospérité des métropoles.

Pour répondre à ces interrogations sur le système de gouvernance, la réponse traditionnelle des années 1960 et 1970 renvoie à la création d’un gouvernement métropolitain qui réunirait la ville-centre et les municipalités suburbaines. Sur les rives méditerranéennes, le gouvernement

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Métropolisation méditerranéenne : des enjeux aux défis de la coopération 205

métropolitain de Barcelone a fait figure de symbole, mais à partir des années 1980, il s’est opéré un certain rejet de ce type de solution. Dans la capitale catalane un conflit entre les socialistes du gouvernement métropolitain et la majorité de droite de la communauté autonome de Catalogne peut expliquer sa suppression en 1987. Aujourd’hui, les difficultés que rencontre Montpellier pour développer son intercommunalité s’inscrit dans une logique semblable.

Avec la montée en puissance des villes suite aux dynamiques de métropolisation et de globalisation de l’économie, une nouvelle école théorique est apparue. Cette école dite des « néo-régionalistes » dépasse l’opposition classique entre les adversaires et les partisans du gouvernement métropolitain traditionnel et propose une voie médiane qui dépasse la simple question institutionnelle. Dans la lignée des théories sur les coalitions de croissance ( Harvey MOLOTCH, 1976) ou encore sur les régimes politiques urbains (Clarence N. STONE, 1989), il est donc proposé de s’intéresser aux réseaux d’acteurs gouvernementaux et non-gouvernementaux.

Le néo-régionalisme apparaî t dans les années 1990 lorsque les thématiques de la métropolisation et de la mondialisation viennent s’immiscer au cœur des référentiels des agendas politiques locaux. Cette période correspond alors à une prise de conscience des problèmes et des opportunités liés à ces phénomènes. En effet, il devient évident que la métropolisation entraîne toute une série d’externalités négatives et de tensions de développement comme l’étalement urbain, la ségrégation sociale et la polarisation spatiale, l’iniquité fiscale, la pollution, la congestion des axes routiers, la difficulté à offrir

des transports en commun de qualité… Cette identification des risques associés à ce processus s’accompagne aussi d’une prise de conscience des potentialités de développement que la métropolisation et la mondialisation induisent. Les métropoles incarnent cette nouvelle étape du capitalisme moderne en créant les conditions de l’innovation économique et en accueillant l’essentiel des richesses créées par cette nouvelle dynamique économique. La compétitivité des villes et donc leur attractivité est ainsi liée à la viabilité économique, sociale, culturelle et environnementale. Ainsi, Neil BRENNER (2004) décrit comment ces changements d’échelles institutionnelles ont pour but d’adapter les métropoles au nouveau régime d’accumulation capitaliste par la recherche notamment de partenariat avec les acteurs économiques et la société civile.

Une des nouveautés de cette troisième phase de régionalisme réside dans une plus forte mobilisation des acteurs non gouvernementaux autour des enjeux métropolitains. Face à cette nouvelle dynamique, les néo-régionalistes insistent plus sur la notion de gouvernance que sur celle de gouvernement. La gouvernance est alors entendue comme un processus de coopération entre des acteurs publics, privés et de la société civile en faisant appel à des mécanismes de coordination et de partenariat tant horizontaux que verticaux pour élaborer et mettre en œuvre un projet (Patrick LE GALES, 1995 ; Bernard JOUVE, 2003).

Même si ce courant théorique est né aux USA, il est opératoire pour l’analyse des réformes métropolitaines qui tentent d’adapter les structures de pouvoir des métropoles méditerranéennes au nouvel ordre social, économique, spatial et mondial. Sur toutes les

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rives de la Méditerranée, nous constatons un mouvement d’effacement du rôle de l’État qui s’accompagne de l’émergence de nouveaux acteurs locaux publics comme privés cependant ce processus prend des formes differentes entre les rives nord et sud.

Sur la rive nord, nous pouvons noter le développement de l’intercommunalité en France ou plus récemment encore l’appel à coopération métropolitaine qui permet de voir s’affirmer ce néo-régionalisme lors de l’élaboration de projets métropolitains. Cependant, une étude du néo-régionalisme révèlerait bien plus aisément l’apprentissage de cette gouvernance par l’intermédiaire de démarches de projets urbains comme Euroméditerranée à Marseille (Jérôme DUBOIS, Maurice OLIVE, 2001) ou encore des différents projets qui ont structuré la croissance urbaine montpelliéraine depuis une trentaine d’années. L’organisation de grands événements à l’image des Jeux Olympiques d’Athènes et de Barcelone ou encore à Gênes de l’exposition « Colombo », puis des activités liées au titre de capitale européenne de la culture a pu donner lieu à l’émergence de nouvelles configurations d’acteurs.

Sur la rive sud, l’émergence de ce nouveau régionalisme n’est pas encore aussi évident car l’État demeure au cœur des mécanismes de contrôle. Toutefois, à l’image de la situation des métropoles algériennes nous pouvons évoquer l’amorce d’un « déverrouillage ».Cette ouverture est plus perceptible autour de logiques de grands travaux par exemple avec la construction de la grande bibliothèque à

Alexandrie. Ces grands travaux permettent en effet l’affirmation de nouveaux acteurs, privés quand il s’agit de financer et de réaliser certains projets, mais aussi publics avec les interventions de la Banque mondiale, des Nations Unies ou encore de toutes les démarches de coopération impulsées par l’Union Européenne. L’émergence de ces nouveaux partenariats est toutefois à nuancer, en effet la délimitation des sphères publique et privée semble plus difficile. Ainsi les acteurs publics peuvent avoir une double casquette et se retrouver du côté des acteurs privés. Dès lors ils n’ont pas de problèmes à se désengager pour répondre aux injonctions des bailleurs internationaux quitte à en tirer profit en leur qualité d’acteurs privés (de manière directe ou encore par l’intermédiaire de réseaux familiaux, de prête-nom, de société privée ou encore d’une ONG fictive), comme l’écrivent Pierre SIGNOLES et al. : « au sein même de l’appareil d’État, les groupes sociaux qui le dominent portent l’art de la reproduction de leur pouvoirs à un niveau de virtuosité tel que plus leur renoncement est apparent, plus il conforte leur position réelle »32.

Définir les voies d’une démocratie métropolitaine

Au-delà des contours que peuvent prendre les nouvelles institutions ou la reconfiguration des réseaux d’acteurs à l’échelle métropolitaine, ce défi de la gouvernance bute souvent sur un déficit démocratique. En effet « ce n’est pas tant la gestion politique « à la marge » des institutions qui pose problème, que la question de la participation des « habitants-citoyens » dans

32 Il s’agit alors d’une inversion de la théorie des urban regimes de C. Stone ( 1989) : ce ne sont pas les acteurs économiques qui contrôlent le processus politique public pour garantir la préservation de leurs privilèges économiques, mais les acteurs politiques qui « infiltrent » la sphère économique et sociale pour maintenir leurs pouvoirs politiques. Dans les deux cas les acteurs n’ont pas la volonté de se substituer aux autres, mais de garantir leurs intérêts dans leur domaine de prédilection.

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Métropolisation méditerranéenne : des enjeux aux défis de la coopération 207

ces nouvelles arènes de politiques publiques qui peuvent avoir le mérite de l’efficacité, mais qui doivent faire face à un déficit de légitimité démocratique ». (Bernard JOUVE, 2004).

Dès lors, le défi est important, car il s’agit de définir les voies d’une démocratie métropolitaine : comment exercer une démocratie participative ou délibérative à l’échelle métropolitaine alors qu’elle est déjà difficile à mettre en place à l’échelle du quartier ? Dans les faits, tout changement d’échelle territoriale au profit de la métropole semble se traduire par le développement de mécanismes de régulations centrés sur la démocratie représentative. À cet égard, Robert A. DAHL met en avant le paradoxe de la démocratie représentative qui correspond bien aux métropoles : « plus les unités démocratiques sont petites, plus le potentiel d’expression des citoyens est important et moins le besoin de déléguer la prise de décision est fort. Les capacités de traiter des problèmes importants pour les citoyens augmentent avec la taille des unités démocratiques, de même que le besoin de déléguer la prise de décision à des représentants » (Robert A. DAHL, 1998 cité par Bernard JOUVE 2004). Ainsi, la complexité des enjeux métropolitains semble affecter la capacité des citoyens à se les approprier afin de pouvoir se positionner : « la citoyenneté urbaine n’apparaît pas, du moins en principe, incompatible avec la citoyenneté métropolitaine. (…) Pour autant, l’attachement aux métropoles demeure souvent quelque chose de vague qui n’interdit pas les replis sur des espaces locaux qui sont infrarégionaux ou municipaux, lorsque ce n’est pas à l’échelle du quartier ou de l’unité de voisinage » (Pierre HAMEL, 2004).

Ce défi de la gouvernance qui vise à définir les logiques de coordination des acteurs est

d’importance mais il n’a de sens que dans sa capacité à définir un projet métropolitain capable de répondre d’une façon cohérente aux enjeux imposés par le processus de métropolisation.

Face à la compétition des territoires : valoriser l’attractivité… tout en renforçant la cohésion dans un projet métropolitain

Même si les métropoles sont le territoire de prédilection de la globalisation de l’économie, elles n’en sont pas moins concurrentes entre elles afin d’accueillir ou tout simplement de fixer les activités économiques qui deviennent par ailleurs de plus en plus volatiles. Pour faire face à cette évolution, les pouvoirs locaux ont multiplié les initiatives en matière de développement économique local, notamment en élaborant des projets stratégiques afin de faire partie des métropoles qui sortiront gagnantes de ce processus de reterritorialisation de l’économie. Ces processus concernent l’ensemble des rives méditerranéennes, mais il convient de noter que pour les métropoles du sud, cette logique de compétitivité peut renforcer les dynamiques de différenciation. Ainsi, alors que certains espaces s’arriment aux dynamiques de la globalisation, d’autres semblent s’en éloigner encore un peu plus. Les grands projets métropolitains deviennent de ce fait le bras armé de la globalisation en rappelant que la fracture Nord-Sud peut désormais se lire au sein même des aires métropolitaines du sud comme du nord.

Ces politiques territoriales visent donc la valorisation de l’attractivité et le développement de la cohésion sociale et territoriale. Du côté de l’attractivité, il s’agit de soutenir la compétitivité par l’aménagement d’espaces propices au développement économique avec des zones

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de bureaux ou d’activités de différentes natures (dans le centre-ville, dans la zone péricentrale, ou encore en périphérie au sein de ces fameuses Edges cities). Au-delà de ces aménagements, la responsabilité des pouvoirs publics renvoie aussi aux infrastructures de déplacements qui se trouvent au cœur des logiques de la métropolisation des territoires : aéroports, autoroutes, routes, transports urbains. Plus récemment, la nécessité pour les entreprises de bénéficier d’un bassin de main d’œuvre plus ou moins qualifiée et surtout d’un milieu propice à l’innovation a entraîné le développement de politiques de Clusters (Michael E. PORTER, 1998) qui visent à favoriser la synergie entre les différents acteurs économiques au sein de grappes métropolitaines à l’image des pôles de compétitivité développés dans les métropoles françaises. Par ailleurs du côté du développement de la cohésion sociale et territoriale, les pouvoirs publics doivent s’assurer que l ’ensemble du terr i to ire métropolitain tire profit de la croissance tout en préservant les grands équilibres écologiques du territoire. Dans les faits ces impératifs de compétitivité et de cohésion sont liés et même inter-dépendants : la compétitivité permet le développement économique qui pourra financer des mesures en faveur de la cohésion et réciproquement la compétitivité des territoires réside essentiellement dans leur cohésion à travers le capital humain et environnemental des métropoles qui constitue ainsi la clé de l’attractivité métropolitaine.

Les travaux de Richard FLORIDA (2005) sur le développement économique métropolitain permettent d’illustrer cette interaction, cet auteur soutient que pour attirer et surtout retenir les entrepreneurs et plus généralement ceux qu’il nomme comme appartenant à la

« classe créative », les métropoles doivent offrir une excellente qualité de vie qui passe alors par différents éléments qui constituent autant de défis à relever :

la qualité des services publics urbains : -transports, écoles, culture,… ; la présence d’un environnement préservé et -valorisé ; la sécurité et l’animation des espaces -publics ; la cohésion sociale qui implique notamment -la reconnaissance de la diversité sociale, culturelle, ethnique,…

Pour relever ces défis et mettre en cohérence spatialement ces différents objectifs, des démarches métropolitaines sont souvent mises en œuvre. Cela nécessite d’abord un consensus entre les acteurs autour d’une vision stratégique globale de la métropole qui implique souvent la réalisation de projets spécifiques à l’échelle locale. Au-delà de cette vision, le projet métropolitain renvoie à des espaces qui ont une forte résonance métropolitaine (Jean MARIEU, 1998) :

la centralité métropolitaine, avec bien sûr le -centre de la métropole qui peut donner lieu à la réalisation de projets d’envergure à l’image, des évolutions actuelles à Istanbul avec la réalisation d’un stade olympique, d’un circuit de Formule 1, de centres de congrès, d’hôtels 5 étoiles, d’un nouvel aéroport international, d’un métro,… ; mais la question de la centralité métropolitaine -se pose aussi dans un contexte pluriel avec les multiples polarités périphériques qui peuvent donner lieu à ces Edges cities, le projet métropolitain peut choisir de soutenir leur développement ou de le freiner, mais il doit nécessairement se positionner ; les franges métropolitaines qui sont en quelque -

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sorte le front pionnier de la ville émergente ou de l’edgeless cities où se manifestent l’étalement urbain et ses enjeux d’utilisation de l’espace ; l es espaces du renouvellement urbain, il s’agit -par exemple des anciens espaces industrialo- portuaires qui ont perdu leurs utilités originelles avec l’avènement de l’économie postfordiste qui caractérise les métropoles ; les axes de transport (les routes mais aussi les -transports publics), dans une perspective de développement durable, ces corridors font souvent l’objet de stratégies d’intégration transport-urbanisme, comme l’illustre la stratégie urbaine autour du tramway de Montpellier.

La réalisation de tels projets métropolitains peut prendre des formes multiples renvoyant ainsi aux différentes dimensions concrètes de telles démarches. Dans un contexte de concurrence entre les territoires, ces projets passent souvent par une stratégie de séduction et de marketing. Les tenants du marketing urbain insistent alors sur la nécessité de créer un signe urbain qui aidera à la construction d’une image forte permettant de différencier la métropole de ses consoeurs en valorisant le caractère touristique et culturel de ces territoires. La réalisation d’un musée à l’entrée du vieux-port de Marseille ou plus encore de la bibliothèque d’Alexandrie peut être perçue comme le symbole de ce type de créations qui visent à changer radicalement l’image d’un territoire. Nous pouvons aussi noter l’expérience des quartiers issus de l’accueil des JO à Barcelone ou encore le réaménagement du front de mer à Gênes. L’émission d’un signal fort peut aussi passer par l’organisation d’évènements de grande envergure semblables aux jeux olympiques comme à Barcelone en 1992, ou encore à

Athènes en 2004.

La concrétisation de ces projets métropolitains renvoie aussi fréquemment aux stratégies de renforcement de la grande accessibilité, il s’agit alors de valoriser la fonction « porte d’entrée », de devenir une gateway. Cela se manifeste concrètement par les projets d’aéroport qu’il convient alors de moderniser comme de relier au centre-ville d’une manière adéquate ou encore de relocaliser dans le cas d’Istanbul. De même, l’arrivée du TGV est souvent l’occasion de réfléchir au positionnement métropolitain, nous pouvons citer l’exemple de Marseille ou de Barcelone.

Plus généralement, les projets métropolitains visent à valoriser la qualité générale des aménagements urbains. Cette dimension n’est pas exclusivement métropolitaine car elle renvoie principalement vers l’échelle locale de l’urbanisme de par sa mise en œuvre, mais son inscription spatiale est nécessairement métropolitaine. La mise en œuvre de démarches de projet urbain Christian DEVILLERS, 1994 ; Patrick INGALLINA, 2001) vise alors à renforcer la qualité de vie des habitants. Il s’agit souvent de développer des transports publics performants qui aident à structurer l’espace métropolitain autour de ces « corridors de développement » par exemple en direction de l’aéroport.

Articuler stratégie spatiale et stratégie d’acteurs

Les démarches de projet métropolitain consistent à faire émerger des stratégies spatiales liant attractivité externe et cohésion interne mais celles-ci ne peuvent avoir de sens, si elles ne sont pas articulées aux stratégies des différents acteurs métropolitains. Pour que le projet ait

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une chance de se concrétiser, il est nécessaire que son élaboration donne lieu à l’obtention d’une large adhésion entre les acteurs : « les bons objectifs sont, par conséquent, ceux qui permettent de stabiliser un consensus ». (Daniel PINSON, 2002). Dans cette perspective, la construction des stratégies spatiales et des stratégies d’acteurs doivent être intimement liées, ainsi la formalisation du projet peut devenir un outil de construction du consensus entre les acteurs (Daniel PINSON, 2005).

En somme si les acteurs métropolitains veulent relever le défi de l’« altermétropolisation » (Michel BASSAND, 2004), ils doivent d’une part relever le défi de la gouvernance métropolitaine afin de coordonner les différents acteurs dans une même synergie mais ils doivent aussi relever le défi du projet métropolitain afin d’articuler à la stratégie d’acteurs, une stratégie spatiale.

Les métropoles face à la constitution d’un nouvel espace euroméditerranéen

En matière de gouvernance, la mondialisation met en œuvre un processus dual, à travers lequel les pouvoirs institutionnels et régulateurs nationaux sont transférés, simultanément, aux échelles infra-nationales et supranationales (Erik SWYNGEDOUW, 2004). Dans le chapitre précédent nous sommes surtout intéressés au processus de coopération intercommunale, à l’émergence de l’échelon métropolitain en Méditerranée, mais quid de la coopération transnationale entre villes et métropoles ? Comment cette coopération prend-elle forme à l’échelle euroméditerranéenne ?

La coopérat ion entre les métropoles euroméditerranéennes suit des dynamiques

différentes en fonction de leur localisation, au sud ou nord de la méditerranée. Encore une fois, ce clivage Nord-Sud constaté tout au long de l’ouvrage s’applique également pour ce type de relation décentralisée : entre villes méditerranéennes européennes, elle a essentiellement lieu dans le cadre de la politique régionale européenne et plus précisément dans le cadre des programmes INTERREG financés par les fonds structurels FEDER. Dans le cas des villes du Sud, la coopération Sud-Sud étant anecdotique, ce type de relation a surtout lieu selon une logique triangulaire (Sud-Nord-Sud) associant une ville du Nord, le plus souvent dans le cadre du Partenariat Euromed ou, dans une moindre mesure, dans le cadre des relations bilatérales entretenues entre une ville ou région du Nord de la méditerranée et un partenaire du Sud ou de l’Est.

Du jumelage à la coopération décentralisée

Alors qu’au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une forme basique de relations formalisées entre collectivités locales appartenant à des États différents s’est constituée sous la forme de jumelage ou de « town twinning », ce n’est que dans les années 1970 que cette relation s’est transformée en véritable coopération décentralisée, avec le mouvement généralisé, un peu partout en Europe, vers la décentralisation. En 2004, une nouvelle étape fut franchie avec la constitution de la CGLU, ou Cités et Gouvernements Locaux Unis, devenant la plus grande organisation mondiale regroupant des vi l les et des collectivités locales.

Ammara BEKKOUCHE, (2005) définit la coopération décentralisée comme l’« action

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Métropolisation méditerranéenne : des enjeux aux défis de la coopération 211

concertée de collectivités territoriales ou d’autorités locales d’au moins deux États ». Au niveau européen, cette relation s’est institutionnalisée à la fin des années 1980 avec la relance de la politique régionale européenne. En traversant, la méditerranée, la coopération décentralisée a le plus souvent pris la forme d’une aide au développement, vu l’écart très fort entre les villes des deux rives (CONSEIL RÉGIONAL D’AQUITAINE, 2005).

Un cadre institutionnel bien défini, mais un manque de visibilité de l’action intermétropolitaine sur la rive nord

A l’échelle européenne, cette coopération s’inscrit dans ce que le courant néo-institutionnaliste qualifie de gouvernance à échelles multiples, ou multi-level gouvernance. Pour les tenants de cette approche, l’intégration européenne est perçue comme un processus politique dans lequel l’autorité et l’élaboration des politiques sont partagées par les différents échelons gouvernementaux, infra-nationaux, nationaux et supra-nationaux (Gary MARKS, 1996). Par rapport à la notion de glocalisation, définie plus haut par Erk SWYNGEDOUW, la multi-gouvernance ne suppose pas le remplacement de l’échelon national par l’échelon infra, mais voit plutôt le renforcement de ce dernier comme une dynamique de « dispersion » du pouvoir dans l’Union Européenne. Une dynamique dans laquelle le pouvoir s’élargit de manière horizontale pour renforcer les institutions européennes tout en maintenant le contrôle des États sur leurs ressources (Enrico GUALINI, 2004). Entre les villes, métropoles et régions européennes cette coopération se décline dans le cadre de la politique régionale, et plus précisément dans le programme INTERREG, selon trois modalités (COMMISSION EUROPÉENNE, 2006) :

la coopération transfrontalière entre zones -contiguës vise à développer des centres économiques et sociaux transfrontaliers en mettant en œuvre des stratégies communes de développement (INTERREG III-A) ; la coopération transnationale entre autorités -nationales, régionales et locales vise à promouvoir une meilleure intégration territoriale dans l’Union grâce à la formation de grands groupes de régions européennes (INTERREG III-B) ; la coopération interrégionale vise à améliorer -l’efficacité des politiques et des outils de développement régional par un vaste échange d’informations et un partage d’expériences (mise en réseau) (INTERREG III-C).

De manière plus spécifique, INTERREG III-B est le programme qui couvre les aspects liés au développement du territoire transnational, à la coopération entre villes et à l’interface urbain/rural. Le programme découpe le territoire européen et son voisinage immédiat en dix aires de coopérations qui se chevauchent en partie. L’aire MEDOCC couvre les régions de la méditerranée occidentale, incluant également le sud de la Grèce. Ainsi, parmi les 9 métropoles européennes étudiées dans cet ouvrage, huit collaborent ensemble dans le cadre du programme MEDOCC.

Celui-ci est structuré selon quatre axes de financement :

le premier finance les projets ayant pour -thématique générale le bassin méditerranéen avec pour mesure « la valorisation et le renforcement des liens économiques, sociaux et culturels entre les deux rives », pour 15 M € pour la période 2000-2006 ; le deuxième couvre les projets en relation avec -le développement territorial transnational et les systèmes urbains avec un intérêt particulier

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pour la mise en cohérence des stratégies et le développement de la coopération décentralisée (20 M €) ; le troisième couvre les aspects en relation -avec le transport et l’économie de savoir (25 M €) ; le quatrième axe couvre les aspects qui -concernent la protection de l’environnement

et du patrimoine ainsi que la prévention des risques (18 M €).

Les trois derniers axes correspondent aux orientations politiques du SDEC (Schéma de Développement de l’Espace Communautaire), orientations communes à tous les programmes INTERREG III-B.

Projets retenus et en cours dans le cadre de la mesure 2-1 du programme MEDOCC (INTERREG III-B/MEDOCC, 2006)

Année de lancement Projet Thèmes Acteurs de la coopération Ouvertures aux

PSEMContribution FEDER/

budget total (€)

2002

AMAT Atelier Aménagement du territoire Régions oui 768 000/1 462 000

C2M Coopération Métropoles Méditerranéennes Communautés urbaines/Villes oui 1 150 000/2 068 000

CVT Évaluation territoriale Régions non 950 000/2 068 000

ENPLAN Évaluation Environnementale Régions non 1 144 000/2 240 000

ISOLATINO Marketing territorial des Iles méditerranéennes Régions non 994 000/1 913 000

METROPOLE NATURE Espaces naturelspériurbains Communautés urbaines/Parcs non 880 000/1 836 000

RURAL MED Développement rural Régions oui 782 000/1 836 000

2003

CAPITAL BLEU Écotourisme Régions non 1 000 000/1 793 000

MED-BIO- DISTRINET Développement de produits biologiques Associations oui 632 927/1 174 718

RURAL-MED II Développement rural Régions/centres de recherche oui 1 500 000/2 510 000

URBACOST Urbanisation côtière Régions/centres de recherche oui 1 077 500/1 770 000

2004

BASSINS VERSANTS MEDITERRANÉENS

Aménagement et gestion des bassins versants Régions oui 650 000/1 108 000

EXTRAMET Métropolisation et monde rural Régions/centres de recherche non 1 050 000/1 685 000

MEDISDEC-STRATMED

Convergence et cohérence dans l’espace méditerranéen Régions oui 1 068 000/1 776 000

PIC-RM Initiative commune des régions méditerranéennes Régions oui 844 000/1 429 000

2005

EMERGENCE 2010 Énergies renouvelables Régions/centres de recherche oui 722 500/incomplet

GREENLINK Espaces verts périurbains Régions/communautés urbaine/villes oui 800 000/incomplet

HORTUS Paysage urbain et restauration Régions/ villes oui 1 150 000/incomplet

I2C Innovation compétitivité etconnectivité des métropoles Régions/communautés urbaines/villes oui 640 000/incomplet

INFRACULTURE-MED Infrastructures culturelles, réaménagement urbain Régions/villes/associations oui 600 000/incomplet

MED-ECOQUARTIERS Développement urbain durable Villes/associations oui 510 000/incomplet

NURMEDIT Développement urbain polycentrique Régions/Associations non 370 000/incomplet

STEP Technologie soutenable Associations/centres de recherche oui 500 000/incomplet

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C’est dans le deuxième axe, mesure 1, qu’on retrouve les projets qui touchent la thématique de la métropolisation en général – c’est le cas de la plupart d’entre eux – ou qui appellent à la coopération inter-métropolitaine de manière plus précise (projets en gris au nombre de cinq). Mais l’essentiel de la coopération, et cela en relation avec les principes INTERREG, reste à un niveau régional : 19 des 24 projets en activité se faisant à cette échelle.

Parmi les projets de coopération inter-métropolitaine, on peut s’arrêter sur C2M Coopération Métropoles Méditerranéennes, (INSTITUT DE LA MÉDITERRANÉE, 2006), né au lendemain de la signature d’une Charte d’alliance entre les maires de Lyon, Barcelone, Gênes et Marseille.

Plus tard, les villes de Séville, Malaga et Naples seront associées au projet qui obtient un financement FEDER en 2002 sous le pilotage de Marseille. Un des résultats du projet fut la production d’un livre blanc présentant un état des lieux de la situation des métropoles en méditerranée occidentale ainsi que les défis futurs à relever. Les conclusions générales du rapport mettent l’accent sur les points suivants :

l’existence d’un système urbain méditerranéen -exceptionnel mais insuffisamment valorisé en raison d’une intégration économique limitée. D’où l’importance de l’élaboration d’une stratégie commune et structurée concernant les services de niveau supérieur et les fonctions métropolitaines ;

la nécessité de renforcer la coopération des -territoires métropolitains de l’Arc Latin dans le cadre de la politique de cohésion régionale européenne dépassant des flux nationaux prédominants pour prendre en compte les flux mondiaux (i.e. Asie du Sud-Est et Amérique du Sud) et transnationaux (européens et méditerranéens) ; d’où l’importance de mettre en place une -stratégie européenne et mondiale basée sur le principe des « villes créatives et innovantes » à travers la promotion d’un modèle d’économie du savoir ; l’identification d’un modèle de métropole -méditerranéenne qui se différencie des autres modèles européens par sa réconciliation avec son héritage culturel et historique, son affirmation d’un multiculturalisme solidaire, sa promotion d’un modèle de ville compact en opposition à la ville diffuse et finalement dans sa mise en avant d’un mode de vie méditerranéen agréable ; l’existence d’obstacles à la création d’une -zone d’intégration mondiale en Méditerranée à travers : 1) une compétitivité insuffisante, 2) une accessibilité incomplète, 3) une gouvernance inadapée. Trois déficits sur lesquels la coopération future entre métropoles devrait œuvrer à combler. (INSTITUT DE LA MÉDITERRANÉE, 2006).

Cette coopération se poursuit actuellement dans le cadre du projet I2C, Innovation Compétitivité et Connectivité, lancé en 2005 avec une contribution du fonds FEDER et cette fois sous la responsabilité de la municipalité de Barcelone

33 Dans le cadre de C2M, Séville avait coordonné l’action « marketing urbain international », Malaga celle de « la rénovation de l’interface ville-port », Barcelone « la technopolisation », Marseille « la grande accessibilité ferroviaire et routière», Lyon « l’accessibilité aérienne » et Gênes « les politiques culturelles ».

34 Des relations multilatérales, impliquant des organisations internationales telles que les Nations Unies, se développent également ; un exemple particulier à relever étant le projet ART-GOLD mis en place dans les villes du Maghreb et bénéficiant de la contribution de villes et régions européennes, notamment italiennes. Ce projet s’est transposé au Machrek en 2006 avec le lancement de ART-GOLD Liban.

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(INSTITUT DE LA MÉDITERRANÉE, 2006). Ce projet a essentiellement pour but de combler les déficits identifiés dans le cadre du projet C2M et de renforcer la compétitivité de l’espace méditerranéen. On peut y voir un glissement vers les objectifs fixés par la Stratégie de Lisbonne, adoptée par les États-membres européens en 2000, qui a mis le cap sur la compétitivité et l’innovation, aux dépens de la cohésion territoriale, prônée par la politique régionale, qui a toujours eu du mal à s’imposer comme objectif communautaire. Le projet I2C est divisé en quatre phases et s’étend sur une période de vingt mois au bout desquels il débouchera sur une série d’actions pilotes. Chacune de ses actions aura une thématique distincte et sera coordonnée par une des villes partenaires, à l’instar de celles mises en œuvre antérieurement dans le cadre du projet C2M33.

En définitive, la coopération intermétropolitaine entre métropoles méditerranéennes européennes bénéficie d’un cadre institutionnel bien établi. Toutefois, vu la difficulté qu’éprouvent ces différentes entités à s’affirmer comme des acteurs à part entière, leur insertion dans l’espace transnational qui prend forme, manque encore de visibilité, surtout en comparaison avec le rôle joué par les régions et, à une moindre mesure, par les autres collectivités locales.

Une coopération timide et incomplète au niveau des métropoles et villes du Sud et de l’Est

Au niveau des PSEM, ou Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, la coopération entre villes et métropoles passe nécessairement par un partenaire du Nord :

à une échelle macro-régionale, dans le cadre -de la coopération décentralisée mise en place par la Commission Européenne ; à une échelle bilatérale, en reliant une région, -ou une ville, d’un État-membre européen à une autre d’un pays du Sud ou de l’Est34.

Les relations exclusivement Sud-Sud, entre villes arabes méditerranéennes sont très rudimentaires, voire inexistantes : le peu de coopération formalisée qui existe a lieu à un niveau inter-gouvernemental. La coopération avec les régions et villes européennes n’a pu s’établir que dans la mesure où celles-ci avaient une aide ou assistance technique à offrir face à l’incapacité grandissante des gouvernements centraux du Sud à prendre en charge certains aspects de la gestion urbaine et du développement local.

La coopération décentralisée régionale s’est faite dans le cadre du partenariat Euromed. Dans les faits, cette coopération remonte à la Politique Méditerranéenne Rénovée (PMR) mise en place par l’Union Européenne en 1992, peu avant les accords de Barcelone.

C’est dans le contexte de la PMR que le programme MED’URBS a été élaboré pour mettre « en réseau » des collectivités locales des deux rives de la Méditerranée. Selon Ammara BEKKOUCHE, « le programme a eu pour objet de permettre aux collectivités territoriales du Sud d’utiliser au mieux les savoirs-faire des collectivités du Nord. Il ne s’agit nullement de transfert de modèles à l’échelon local, mais de formulation collective de méthodologies des modalités d’intervention de l’action publique locale » (Ammara BEKKOUCHE, 2000). Durant

35 Il s’agit des programmes MED-Campus pour les universités, MED-Média pour les médias, MED-Invest pour les entreprises et MED-Avicenne pour la coopération scientifique.

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les trois années de son fonctionnement, le programme Med-Urbs a enregistré un succès relatif qui aura surtout permis la création d’« une dynamique sans précédent de rapprochement de collectivités territoriales et des organisations de la société civile, des deux rives de la méditerranée » en s‘érigeant ainsi en exemple de coopération décentralisée. Exemple sur lequel l’Union Européenne calquera ses interventions futures en Méditerranée et dans le reste du monde (Amérique Latine, Afrique). Med-Urbs aura surtout été utile pour montrer à l’UE les limites de son approche de départ mise en place au lendemain de la convention de Lomé en 1989 qui consacra l’expression de « coopération décentralisée pour le développement ». Selon Ammara BEKKOUCHE « le fonctionnement en réseau international de collectivités territoriales pose le problème de la traduction des décisions en actions sur des territoires qui relèvent de souverainetés étatiques et de modèles d’organisations administratives différents » (op.cit). Toutefois, Med-Urbs et les quatre autres programmes MED35 ont été suspendus en 1995 en raison, entre autres, « d’irrégularités financières » (COMMISSION EUROPÉENNE, 1996). Ces programmes, malgré quelques tentatives infructueuses notamment en 1998, n’ont pas été remis en marche – du moins pas sous leur format originel. Depuis 1995, la coopération décentralisée en Méditerranée a eu lieu essentiellement au sein des programmes MEDA I-II et, de manière très marginale, à travers le programme communautaire INTERREG III-b/MEDOCC, mentionné plus haut.

Au niveau du programme MEDA qui est l’instrument financier des partenariats Euromed, Olivier TAMBOU (2003) note « une véritable incohérence entre le soutien sans cesse renouvelé à la coopération régionale et l’ampleur

des financements accordés à ce type de coopération. Lors de la dernière programmation MEDA, 86% des ressources ont été allouées à des projets dans le cadre de programme indicatifs nationaux conclus avec chacun des partenaires, alors que 12% seulement ont été consacrés à la coopération régionale ». Une autre faiblesse du programme MEDA, en ce qui concerne la coopération décentralisée, est celle de la prédominance des aides bilatérales (en provenance des États-membres) sur l’aide communautaire (en provenance de l’UE). Une dominance qui affaiblit encore plus l’impact du processus régional puisque « dans ce contexte, ce sont les logiques nationales qui s’expriment. La France oriente son aide principalement vers ses anciennes colonies et donc principalement le Maghreb. L’Allemagne est naturellement tournée vers la Turquie (…). L’histoire est toujours l’explication principale de l’aide. Le niveau de pauvreté, le niveau de démocratisation sont toujours des variables très peu explicatives » (Jean-Yves MOISSERON 2005).

La nécessité de relancer le processus dix ans après les accords de Barcelone

La volonté des collectivités territoriales de dynamiser la coopération décentralisée, affirmée à plusieurs reprises depuis le Forum Civil Euromed, tenu à Marseille en 2000 (RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR (PACA), 2000), semble contradictoirement avoir porté ses fruits au lendemain de la commémoration des dix ans des accords Euromed. Le constat d’échec qui s’en est suivi, et la reconnaissance unanime de la nécessité de relancer le processus, ont mené à une révision des priorités de la part de l’UE et des États-membres. Au niveau des villes et des collectivités territoriales, ceci s’est reflété par la mise en place du projet pilote MED’ACT,

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(EUROPEAN COMMISSION, 2004). MED’ACT a hérité de certains éléments du programme avec toutefois un souci affiché de tenir « compte des leçons du passé et ne pas reproduire les structures et les insuffisances de mise en œuvre qui se sont manifestées dans le programme de coopération décentralisée entre les villes MED’URBS. À cette fin, un nombre limité d’actions devraient être visées dans des domaines qui offrent une vraie valeur ajoutée au niveau des villes par rapport aux autres types de coopération. Le programme de coopération doit aboutir sur des projets concrets, avec un impact vérifiable et opérationnel. » (Ibid.)

Les projets « concerts » retenus par la CE sont ceux qui s’inscrivent dans les thématiques suivantes :

renforcement de la gouvernance locale ; - mobilité urbaine ; -gestion durable de l’environnement urbain ; - villes, culture et patrimoine ; - stratégie de développement des villes et des -régions ; les technologies de l ’information et -de la communication comme outil de développement local ; cohésion sociale des villes et des régions ; - urbanisme et logement. -

En 2006, le projet MED’ACT a été poursuivi par le projet MED-PACT, s’étendant sur 3 ans avec un budget de 5 M € et finançant une série de projets de coopération régionale très fortement liés aux thématiques de la ville (COMMISSION EUROPÉENNE, 2006). Le mode de fonctionnement est similaire à celui des programmes INTERREG : des villes ou collectivités territoriales du Nord et du Sud se mettent en association, en choisissant parmi elles un lead partner, et présentent un projet aux services européens en charge du programme.

Parmi les 9 projets retenus par MED-PACT, on peut mentionner le projet ARCHIMEDES (à ne pas confondre avec ARCHIMED) en partenariat avec les villes de Gènes, Bordeaux, Oran, Beyrouth et Tripoli du Liban, et avec la ville de Venise comme lead partner et Istanbul comme co-leader. Le projet vise à promouvoir les expériences européennes en matière de planification stratégique et participative, de régénération urbaine et de mise en valeur du patrimoine urbain.

Un autre projet SHAMS, soleil en arabe ou Sustainable Human Activities in Mediterranean Urban System, est le fruit d’un partenariat entre les villes de Bosra (Syrie), Lille-Métropole, Rome et Sousse en Tunisie, avec la Région Bruxelles-Capitale comme leader et la municipalité tunisienne de Mahdia comme co-leader. Le projet vise à promouvoir les stratégies urbaines de développement durable.

La nécessité d’associer plus étroitement les collectivités du Nord et du Sud a été également prise en charge par le programme MEDOCC. Alors que la troisième version du programme encourageait fortement l’association de pays tiers méditerranéens, celle-ci est restée lettre morte. Une évaluation d’étape du programme a montré la participation anecdotique des villes et régions du sud de la Méditerranée au processus : « l’expérience montre (…) que la participation de nombreux partenaires est plus difficile à gérer et que l’engagement dans les tâches du projet n’est que symbolique pour différents partenaires, en particulier ceux des pays MEDA » (ECOTECH RESEARCH & CONSULTING, 2004). L’année 2005 semble marquer un nouveau départ également puisque, rien que pour la mesure 2-1 (voir tableau 1), sur les neuf projets acceptés huit d’entre eux associent dès le départ des villes ou des régions du Sud. Reste à savoir, le rôle que

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celles-ci ont réellement pris dans l’élaboration des projets et leur pilotage.

Une autre lacune pointée par le rapport d’évaluation est celle du manque de coordination entre le programme MEDOCC, qui finance uniquement les régions appartenant à l’espace communautaire, et le programme MEDA, qui finance les régions dans les PSEM. Cette lacune, ainsi que les autres contradictions relevées plus haut, semblent avoir été prises en compte dans la nouvelle approche adoptée.

Un nouveau pas franchi dans le cadre de la Politique Européenne de Voisinage

Avec les programmes INTERREG III qui touchaient à leur fin en 2006, une refonte profonde de la coopération transnationale et transfrontalière a eu lieu entre régions européennes limitrophes et régions tierces voisines au lendemain de la mise en place de la Politique Européenne de Voisinage (PEV) et de l’élargissement de l’UE.

En premier lieu, le programme MEDA a fusionné avec les programmes PHARE et TACIS, ses équivalents pour les pays du voisinage est de l’UE, pour constituer l’IEVP, l’Instrument Européen de Voisinage et Partenariat. Du coup, le nouveau programme gère à lui seul l’ensemble du nouvel espace de voisinage européen avec un budget de 11,2 Milliards d’€, pour la période 2007-2013, en augmentation par rapport aux programmes précédents qui totalisaient 8 Milliards.

En deuxième lieu, et malgré les critiques qui ont pu être formulées au niveau de la dimension sécuritaire de la PEV (Julien JEANDESBOZ, 2007), l’IEVP se démarque de MEDA par l’introduction d’un nouveau type de coopération

inédite à l’extérieur de l’UE : la coopération transfrontalière. Cette dernière se décline en deux volets (COMMISSION EUROPÉENNE, 2006) : 1) un volet transfrontalier terrestre, le long de

la frontière est de l’Europe ainsi qu’au niveau de Gibraltar et de l’interface Tunisie-Italie (80% du budget alloué au programme, soit 800 millions d’Euros) ;

2) un volet transnational maritime constitué par les mers Baltique, Noire et Méditerranée (20% du budget total).

Il s’agit à plus d’un point d’une extension des programmes INTERREG vers le voisinage, et d’une tentative de dépasser les contradictions antérieures soulignées par les différents observateurs, notamment celles au niveau de la gestion de l’interface entre l’intérieur et l’extérieur européens. Cependant les moyens sont encore modestes et souffrent de la comparaison avec les budgets communautaires similaires ainsi qu’avec ceux offerts aux États en statut de pré-adhésion. En effet, l’ensemble du bassin méditerranéen ne bénéficie que de 173 M € pour l’ensemble de la période 2007-2013, et souffre déjà d’un retard dans la mise en place par rapport aux autres bassins maritimes qui n’en sont pas à leur première expérience de coopération, notamment la mer Baltique qui s’est érigée en exemple en la matière (JOINT TECHNICAL SECRETARIAT, 2007).

Malgré ces handicaps de départ, l’autorité de gestion de CT- IEVP-Med, ou le programme de Coopération Transfrontalière dans le cadre de l’Instrument Européen de Voisinage et de Partenariat – Méditerranée, qui gère une zone géographique plus large, est parvenu à faire adopter le programme opérationnel par l’ensemble des pays participants, à la suite d’une

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série de réunions qui se sont tenues en 2006-2007. A la base de ce nouveau programme, se trouve le principe de « common benefit » (BORG-RAHM, COMMISSION EUROPÉENNE, 2006), une avancée par rapport aux instruments précédents qui s’adressaient à l’une ou l’autre des deux rives de manière séparée. Ceci implique l’encouragement et le financement de projets d’intérêt commun aux deux rives avec une même comptabilité (la moitié du financement serait assurée par le fonds FEDER et l’autre par les fonds FEMIP et MEDA). Dans les documents stratégiques disponibles (RÉGION AUTONOME SARDAIGNE, 2007), l’emphase est mise sur les échelons locaux et régionaux, reste à savoir la capacité des métropoles à se tailler une place à l’intérieur de ce nouveau dispositif.

A l’ombre des instruments de l’UE, des trajectoires bilatérales de coopération décentralisée

Pour compléter le tableau de la coopération décentralisée entre villes, métropoles et régions dans l’espace méditerranéen, il faut également mentionner un type d’action décentralisée qui se fait en marge, mais pas totalement en déconnexion, des processus Euromed et PEV. C’est le cas de régions ou de villes du nord de la méditerranée qui montent leurs propres projets de coopération, en constituant leurs propres réseaux ou en ayant recours à ceux d’organisations mieux établies dans la région comme celui de Cités Unies France, une association qui fédère les collectivités territoriales françaises engagées dans la coopération décentralisée et qui, depuis 2004, est devenue membre – influente – de CGLU, l’organisation mondiale des villes. A titre d’exemple, les communautés urbaines du Grand Lyon, et de Lille-Métropole apportent

leur soutien à des villes libanaises (Beyrouth, Tripoli, Saida) essentiellement dans le secteur des services urbains et de l’eau (GRODIN, DÉSILLE et al., 2005). Dans certains cas, comme dans celui de l’eau entre Lyon et Beyrouth, le financement se fait en partie dans le cadre du programme MEDA (ASSOCIATION DES MAIRES DE GRANDES VILLES DE FRANCE, 2006).

Toujours du côté français, la Région PACA affiche volontairement la dimension méditerranéenne de sa coopération décentralisée qui la met en relation avec plusieurs régions et villes de la rive sud (Tunis, Haïfa, Alexandrie, Liban-sud…). A l’heure actuelle dans le cadre du contrat de Plan État-Région 2000-2006, un volet spécial intitulé « développer les coopérations et les échanges en Méditerranée » a été mis en place afin d’assurer un financement aux projets de coopération. Dans le cadre de ce volet, la contribution de la région PACA s’élève à 5,8 millions d’euros contre 2,3 M avancés par le ministère français des Affaires Étrangères (RÉGION PROVENCE-ALPES-CÔTE D’AZUR (PACA), 2006).

La volonté de PACA de s’imposer comme acteur euroméditerranéen majeur s’est également manifestée à travers sa candidature au pilotage du programme CFT-IEVP-Med, candidature non retenue au profit de la Région Autonome de Sardaigne (EUROPEAN COMMISSION, 2006).

Un entrelacement des réseaux de villes méditerranéennes

Ces différents programmes et projets entre villes, collectivités territoriales et régions, quoique modestes en terme de moyens financiers, contribuent à l’épaississement et à l’enracinement des réseaux interurbains et

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interrégionaux méditerranéens. En participant activement à plusieurs projets à la fois, des villes du Nord et du Sud gagnent en visibilité et acquièrent une expérience en matière d’échange de « best practices ». Ils gagnent en légitimité en tant qu’interlocuteurs fiables, capables de reconnaître des enjeux communs et de formuler des projets transnationaux. Ils gagnent aussi en autonomie par rapport à des pouvoirs centraux, surtout au Sud, plutôt réticents à l’idée d’ouvrir leurs territoires et leurs villes aux échanges interrégionaux.

Conclusion

Alors que l’espace méditerranéen a longtemps été lu à travers le clivage traditionnel entre les rives nord et sud, l’émergence d’un espace euro méditerranéen remet progressivement en cause cette vision et met en valeur de nouvelles dynamiques opposant par exemple l’Est à l’Ouest.

Toutefois dans un contexte d’urbanisation quasi généralisée que l’on le peut désigner par le concept de métropolisation des territoires, l’avenir de l’espace méditerranéen se joue en grande partie dans ses villes et ses métropoles. Ainsi les grandes lignes de fracture peuvent désormais se lire entre les aires métropolisées et les espaces résiduels de cette métropolisation, espaces qui demeurent encore largement ruraux, ainsi que les petites villes et agglomérations qui sont encore dans une économie fordiste. Ce clivage Nord-Sud se retrouve avec une acuité toute particulière à l’échelle interne des métropoles. Opposant alors les espaces raccrochés aux dynamiques de la globalisation aux espaces exclus de ces mêmes dynamiques qui offrent par conséquent

des paysages de pauvreté au Nord comme au Sud même si au Sud cette partie de l’aire métropolitaine est souvent bien plus importante qu’au Nord et si les situations les plus difficiles apparaissent plus dramatiques encore.

À la lumière des enjeux présents, les défis qui s’imposent sont d’importance : il s’agit de raccrocher le bassin méditerranéen aux grandes dynamiques de globalisation de l’économie afin de réduire les phénomènes de marginalisation qui peuvent se manifester violemment au sein de certaines parties des espaces métropolitains. À l’échelle plus locale, les défis métropolitains renvoient au Nord comme au Sud et à l’Est à la maîtrise du développement urbain afin d’améliorer la cohésion sociale et territoriale et de promouvoir des modes de vie moins gaspilleurs et moins pollueurs.

Cet avenir dépend des politiques et des projets qui seront élaborées et menées dans ces métropoles, à l’échelle méditerranéenne et euro-méditerranéenne cela implique le développement de coopérations entre les différents pays et entre les différentes métropoles. Dans cette perspective, la constitution d’un espace euro-méditerranéen constitue l’une des clés à l’avènement d’un espace méditerranéen plus intégré à l’économie mondiale mais aussi plus durable.

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Glossaire ARCHIMED est le programme INTERREG III, volet B de coopération transfrontalière destiné aux régions européennes à l’est de la Méditerranée. Le programme n’a pas connu le même succès que MEDOCC, son équivalent pour la partie occidentale, et a fusionné avec celui-ci en 2007 (voir MEDOCC, INTERREG)

ART-GOLD ou Appui aux Réseaux Territoriaux pour la Gouvernance et le Développement Local, est un programme multilatéral de coopération créé par les Nations-Unies en 2004 en continuité avec les Objectifs du Millénaire pour le Développement. Le programme privilégie la mise en réseau des collectivités locales du Nord et du Sud dans l’optique de bénéficier de la capacité grandissante des régions et des villes européennes en matière de coopération décentralisée et d’aide au développement. Cette initiative a été mise en place en 2005 au Maghreb et fut élargie, en 2006, aux pays du Machrek, plus précisément au Liban. Bilatéral/régional/multilatéral : Types de relations (partenariat, coopération) qui impliquent un ou plusieurs partenaires. Une relation bilatérale implique deux partenaires uniquement, pouvant être deux organisations, deux pays ou une organisation et un pays (par exemple : la Commission Européenne et le Maroc). Une relation régionale est une relation qui a lieu entre plusieurs pays partenaires appartenant à un même espace ou projet régional. Elle fait référence à la définition européenne de la coopération dans le cadre du partenariat Euromed. Une relation multilatérale implique plusieurs partenaires (États ou organisations) en association avec une organisation internationale comme la Banque

Mondiale, les Nations-Unies ou l’Organisation Mondiale du Commerce.

CE, ou Commission Européenne, institution qui incarne le pouvoir exécutif au niveau communautaire. La CE actuelle, entrée en fonction en 2004, comporte 30 commissaires assistés par des DG, ou Directions Générales, principalement basées à Bruxelles. Parmi celles-ci, la DG-Regio est en charge de la politique régionale européenne et la DG-Relex, des relations extérieures, et plus spécifiquement du Partenariat Euro-méditerranéen et de la Politique Européenne de Voisinage.

CUF ou Cités Unies France, est une association, membre de CGLU, et regroupant plus de 500 collectivités territoriales françaises. L’objectif de CUF est de promouvoir la coopération décentralisée française dans le monde. CUF est en charge d’un réseau de 2 000 gouvernements locaux dans le monde regroupés par groupes régionaux, dont le pôle Méditerranée (regroupant l’Algérie, Israël, le Liban, le Maroc, les Territoires Palestiniens et la Tunisie).

CGLU ou Cités et Gouvernements Locaux Unis, est la plus grand regroupement mondial de villes et d’associations nationales de collectivités locales. Il est né de la fusion, en 2004, de la FMCU (Fédération mondiale des Cités Unies) organisation francophone, de la IULA (International Union of Local Authorities) son équivalent anglophone, ainsi que de Métropolis le réseau des métropoles mondiales. L’organisation est consacrée à promouvoir les intérêts des collectivités territoriales dans le monde. En 2005, les membres de la CGLU réunis à Pékin lancent la Commission Méditerranée, le « réseau des réseaux » méditerranéen, avec le soutien conjoint de la Ville de Marseille et

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de la Région Provence-Alpes-Côtes d’Azur et la contribution de Cités Unies France (voir CUF).

CT- IEVP-Med ou programme de Coopération Transfrontalière dans le cadre de l’Instrument Européen de Voisinage et de Partenariat – Méditerranée. Il constitue la première tentative de coopération transnationale en Méditerranée avec une forte composante territoriale, dans l’esprit des programmes INTERREG, volet B (voir IEVP, INTERREG).

FEDER ou Fonds Européen de Développement Régional, est l’instrument principal de la politique régionale européenne. Géré par la DG-Regio (voir CE), le Fonds vise « à promouvoir la cohésion économique et sociale par la correction des principaux déséquilibres régionaux et la participation au développement et à la reconversion des régions ». Le fonds consiste dans le transfert de plus de 35% du budget de l’UE (soit 213 milliards d’€ pour la période 2000-2006) vers les régions les plus défavorisées, i.e. les zones géographiques dont le PIB est inférieur à 75% de la moyenne européenne.

FEMIP ou Facilité Euro-Méditérannéenne d’Investissement et de Partenariat, est une extension de la BEI, Banque Européenne d’Investissement, en Méditerranée. Créée en 2002, elle a pour rôle d’encourager le développement économique des pays tiers méditerranéens à travers l’aide au secteur privé et la création d’un environnement propice aux investissements.

IEVP ou Instrument Européen de Voisinage et de Partenariat, est l’instrument principal de mise en œuvre de la Politique Européenne de Voisinage. Sa première période de programmation s’étend sur 2007-2013. Il consiste en la fusion

des instruments précédents MEDA, pour la méditerranée, et TACIS et PHARE, pour le voisinage Est de l’Europe. Son budget prévu est de 11.2 milliards d’euro soit une augmentation de 32% par rappor t aux programmes précédents.

INTERREG acronyme de « inter-régional », est un programme créé en 1990 à la charge exclusive du FEDER qui contribue jusqu’à 75% de son financement dans les zones défavorisées. Il est actuellement à sa quatrième période de programmation (INTERREG IV) prévue pour 2007-2013 et a pour objectif de développer la coopération transfrontalière et aider les régions limitrophes européennes à sortir de leur isolement. Le programme INTERREG se décline en trois volets : un volet A de coopération transfrontalière entre territoires contigus, un volet B de coopération transnationale entre autorités nationales, régionales et locales et un volet C de coopération interrégionale entre régions européennes non-adjacentes (voir FEDER).

MEDA acronyme de « Mesures d’Ajustement », lancé en 1995 à la suite de la déclaration de Barcelone, il a été, jusque fin 2006, le principal instrument financier du partenariat Euroméditerranéen. Entre 1995 et 2006 deux périodes de programmation se sont succédées, MEDA I et II, pour céder la place début 2007 à l’IEVP (voir IEVP, partenariat Euromed).

MED’AC T ou Med i te r ranean - Europe Development Action of Cities and Towns, projet pilote financé par la CE sous MEDA et lancé en 2003 par les villes membres de la commission Euromed des Eurocités, réseau regroupant 108 métropoles européennes. Le projet MED’ACT reprend un grand nombre des objectifs du

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programme MED-Urbs, interrompu en 1995 (voir programmes MED). En 2006, cette initiative pilote est poursuivie par le programme MED-PACT, ou le programme de Partenariat entre Collectivités Territoriales en Méditerranée.

MEDOCC ou Méditerranée Occidentale, est un programme INTERREG, volet B de coopération transnationale, destiné aux régions européennes de l’ouest de la Méditerranée, ainsi que les territoires de la Suisse et de la Grèce. Les régions riveraines du sud et de l’est de la Méditerranée sont éligibles « dans la mesure du possible » avec une priorité cependant pour les régions du Maghreb. Par rapport aux autres programmes INTERREG B, le programme MEDOCC a pour objectifs spécifiques de promouvoir la compétitivité des régions européennes du sud et de contribuer à une plus grande intégration entre les régions des deux rives de la Méditerranée. Avec la nouvelle période de programmation 2007-13, le programme MEDOCC a fusionné avec ARCHIMED pour donner lieu au programme Med qui s’étend sur l’ensemble de la rive nord, de l’Espagne jusqu’en Grèce (voir INTERREG).

Partenariat Euromed, également appelé de Barcelone du nom de la ville qui a accueilli la première conférence euro-méditerranéenne en 1995. Il s’agit d’un partenariat entre l’UE, alors constituée de 15 États-membres, et l’ensemble des pays riverains de la Méditerranée, excepté la Libye. Le partenariat se démarque des autres accords régionaux, par son débordement d’un cadre strictement économique et sa prise en compte de volets politiques, sociaux et culturels. La conférence tenue à Barcelone en novembre 2005, en commémoration des dix années du partenariat, s’est soldée par un constat d’échec. C’est dans cette optique que le partenariat fut implicitement remplacé par la

Politique Européenne de Voisinage et l’espace méditerranéen dilué dans un plus vaste espace de voisinage au lendemain de l’élargissement de 2004 (voir PEV).

PEV ou Politique Européenne de Voisinage, destinée à l’origine aux nouveaux voisins de l’Est de l’UE à la veille de son passage à 25 États-membres en 2004, elle fut élargie à la demande de la France, aux pays tiers méditerranéens. Beaucoup d’observateurs voient dans la PEV un repli vers des préoccupations sécuritaires et migratoires en rupture avec la vision holistique et intégrative du partenariat Euromed.

PMR ou Politique Méditerranéenne Rénovée, lancée en 1992 par la Commission Européenne, elle aura surtout servi à annoncer le Partenariat Euroméditerranéen qui la remplaça en 1995 (voir Euromed).

Programmes MED, il s’agit des programmes mis en place lors de la PMR en 1992, au nombre de cinq : MED-Urbs, MED-Media, MED-Campus, MED-Invest et MED-Avicenne. Ces programmes ont été suspendus en 1995 à la suite d’un rapport accablant de la Cour des Comptes Européenne. Cependant, le programme MED-Urbs a constitué la première tentative de coopération décentralisée à l’échelle méditerranéenne, une expérience dont la nécessité fut rappelée à plusieurs reprises par les collectivités locales euro-méditerranéennes, notamment lors du Forum civil euro-méditerranéen qui s’est tenu à Marseille en 2000. Suite à cette demande expresse, la CE lança en 2003 une initiative similaire, MED’ACT, poursuivie en 2006 avec MED-PACT (voir MED’ACT).

PSEM ou Pays du Sud et de l’Est de la Méditerranée, est l’appellation donnée dans

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le cadre du Partenariat Euromed aux pays partenaires méditerranéens. Parmi ces pays, Malte et Chypre ont depuis intégré l’UE, et la Turquie bénéficie d’un statut spécifique de pays candidat à l’adhésion. En réalité, la désignation PSEM sert surtout à atténuer la dimension arabe des pays du Sud et de l’Est et à intégrer plus facilement Israël dans le partenariat régional et à garder pour la Turquie une voie alternative en cas de non-adhésion.

PTM ou Pays Tiers méditerranéens, désigne également les pays riverains de la Méditerranée non-membres de l’UE.

SDEC ou Schéma de Développement de l’Espace Communautaire, document de référence de la planification spatiale européenne produit en 1999 par le CDS ou Comité de Développement Spatial, aboli depuis, et piloté par la CEMAT, la Conférence Européenne des Ministres de l’Aménagement du Territoire. Le SDEC propose quatre orientations stratégiques : le renforcement d’un espace européen polycentrique, l’amélioration de la relation ville-campagne, une accessibilité paritaire aux réseaux de transport et de télécommunication, et un usage modéré des ressources naturelles et historiques. Dans la pratique, le SDEC a été quelque peu éclipsé par les orientations de la Stratégie de Lisbonne de 2000, qui a mis le cap sur la compétitivité et l’innovation. En mai 2007, à Leipzig, les ministres européens en charge de la cohésion territoriale ont adopté l’Agenda Territorial de l’Union Européenne, rectifiant ainsi le tir en tentant d’imposer la cohésion territoriale comme une priorité européenne au même titre que la compétitivité, l’innovation (Stratégie de Lisbonne) et le développement durable (Stratégie de Göteborg).

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Présentation des auteurs

Fabio AMATO, Professeur à l’Université l’Orientale de Naples

Walid BAKHOS Architecte, doctorant à l’Université de Montréal

Michel BASSAND Professeur honoraire de l’École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL)

Ali BENNASR Professeur à l’Université de Sfax

Luc BONNARD Chargé de mission Interreg au BIC Lazio (Business Innovation Center, Enterprise Europe Network), doctorant à l’Università degli Studi Roma Tre

Guy BURGEL Professeur à l’Université Paris X (Nanterre)

Raphaël CATTEDRA Professeur à l’Université Paul Valéry (Montpellier)

Naïma CHABBI-CHEMROUK Architecte Professeure à l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme (EPAU) d’Alger

Roland COURTOT Professeur émérite à l’Université de Provence (Aix-Marseille)

Nicolas DOUAY Chercheur postdoctoral du SEDET (Université Paris-Diderot/CNRS) hébergé à Hong Kong au Centre d’études français sur la Chine contemporaine (CEFC)

Pietro ELISEI Chercheur postdoctoral du Département d’Etudes Urbaines (Università degli Studi Roma Tre), secrétaire général de l’association Planum (*The European Journal of Planning on-line)

Antida GAZZOLA Professeure à l’Université de Gênes

Sabrina GENIEIS Architecte, doctorante à l’Université Paul Cézanne (Aix-Marseille)

Jean-Claude JAGER Chargé de mission recherche à la Direction régionale de l’Équipement PACA, secrétaire de l’Observatoire des territoires et de la métropolisation dans l’espace méditerranéen (OTM)

Gabriel JOURDAN Maître de conférences à l’Université Pierre Mendès France (Grenoble)

Rémi MANESSE Urbaniste à la Ville de Paris, doctorant à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), chercheur visiteur au Centre de recherche français de Jérusalem (CRFJ) en 2007

François MORICONI-EBRARD Chargé de recherche au CNRS, directeur du SEDET (Université Paris-Diderot/CNRS)

Jean-François PEROUSE Chercheur à l’Université de Galatasaray (Istanbul)

Houcine RAHOUI Doctorant à l’École polytechnique d’architecture et d’urbanisme (EPAU) d’Alger

Marcel RONCAYOLO Professeur émérite à l’Université Paris X (Nanterre)

Marion SEJOURNE Docteure en géographie, chercheuse associée au SEDET (Université Paris-Diderot/CNRS)

Mariona TOMAS Professeure adjointe à l’Université de Barcelone

Jean-Paul VOLLE Professeur à l’Université Paul Valéry (Montpellier)

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ANNEXE

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Charte du forum villes et terrritoires méditerranéenadoptée en novembre 1997

par les 150 participants1 aux premiers entretiens du Forum de Marseille

La globalisation de l’économie, en modifiant en profondeur les formes de production et d’échanges, entraîne la recomposition spatiale des activités et des établissements humains. En même temps qu’elle s’accompagne de concentrations de richesses matérielles et immatérielles dans un certain nombre de zones, elle est porteuse de risques d’appauvrissement, de déqualification de régions et d’ensembles humains toujours plus vastes. Mouvements incessants des capitaux et transformations rapides des modes de production et d’échaange prennent de vitesse les systèmes sociaux et leurs modes de régulation collective. Ils font évoluer les formes d’organisation spatiale et les rapports entre les territoires multipliant les points de déséquilibre et de fragilités.

La Méditerranée : espace complexe, enjeux communs, richesse collective

Dans ce contexte, la Méditerranée, berceau de la civilisation urbaine, creuset de plusieurs civilisations, carrefour d’échanges avec les autres parties du monde, concentre les questions cruciales relatives aux enjeux posés par l’aménagement, le développement et la gestion des villes et des territoires, à savoir :- la gestion des transformations et des extensions urbaines ;- la préservation des équilibres écologiques fragilisés par une urbanisation et une activité économique

touristique non contrôlées notamment des zones littorales ;- la correction des déséquilibres territoriaux et la lutte contre l’exclusion ;- la protection et la mise en valeur du patrimoine bâti et naturel d’une exceptionnelle qualité.

La diversité des niveaux et des types de développement, la spécialisation économique des territoires et le contraste des potentiels suivant les pays sont au coeur d’enjeux régionaux, nationaux et locaux, souvent concurrents.

Les écarts entre régions voisines et le marginalisation relative du Bassin méditerranéen, plus particulièrement de sa rive sud, par rapport aux grands courants de l’économie mondiale, exacerbent les déséquilibres urbains, sociaux, démographiques et financiers.

L’agrégation des problèmes, leurs interrelations, les complémentarités et les oppositions d’intérêts font aussi de la Méditerranée un espace de confrontations mais aussi d’enrichissement mutuel à renforcer.

1-Élus, décideurs, praticiens, responsables administratifs, chercheurs, opérateurs issus de 18 pays de Méditerranée : Albanie, Algérie, Chypre, France, Egypte, Espagne, Grèce, Italie, Liban, Jordanie, Malte, Maroc, Monténégro, Portugal, Slovénie, Territoires palestiniens, Tunisie, Turquie, Syrie et rejoint par des représentant de Croatie et de Libye.

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Le Plan d’action pour la Méditerranée (PAM), lancé en 1975 sous les auspices du Programme des Nations-Unies pour l’Environnement, les initiatives impulsées par les Régions, comme la Charte du Bassin Méditeranéen, la Déclaration de Barcelone et le processus euro-méditerranéen mis en oeuvre en 1995 témoignent, au delà des points de vue qu’ils peuvent susciter, d’une volonté de développer les coopérations pour le suivi desquelles une attitude de vigilance est souhaitable. Quant à lui, le Forum affirme sa détermination à construire une réelle coopération à partir de ses propres champs de compétence.

Mieux comprendre pour mieux agir

Comprendre les évolutions, tenter de maîtriser les différentes formes de développemnt nécessitent une multitude de compétences, de connaissances et de savoir-faire. On les trouve dans les collecticvités locales, dans les entreprises, dans les administrations, les institutions, les universités, les centres de recherche, les associations et parmi les habitants.

Ici et là des structures ont été créées pour observerver, imaginer et gérer les transformations de l’espace.

En théorie, décideurs, techniciens, spécialistes ont accès à de large corpus de données, de méthodes et d’outils.

En pratique, les savoirs techniques, scientifiques et institutionnels sont trop souvent spécialisés et cloisonnés, voir sur certains thèmes inexistants.

Un potentiel précieux de compétences et d’expériences se trouve ainsi dispersé, à l’heure où les villes et les territoires de la Méditerranée appellent à la mobilisation de tous les acteurs et un regain d’imagination.

Au delà des approches professionnelles, il convient de faire toute leur place aux habitants dans le développement et la gestions des villes en accordant au thème de l’égalité hommes-femmes une importance prépondérante.

L’ambition qui réunie les promoteurs du Forum Villes et Territoires Méditerranéens est, d’une part, de repérer et de mettre à disposition les ressources aujourd’hui dispersées, d’autre part, de contribuer à l’amélioration des connaissances et des pratiques d’intervention ainsi qu’à une meilleure intelligence de l’action, en mettant l’Homme au centre de leurs préoccupations.

Objectifs et modalités

Circulation et valorisation des savoirsL’objectif est de générer et de favoriser dans la durée les échanges entre les acteurs de l’aménagement

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et de la gestion des villes et des territoires de la Méditerranée pour contribuer à une meilleure connaissance des dynamiques à l’oeuvre pour aider à la résolution des problèmes rencontrés, pour améliorer les pratiques et pour accroitre les synergies, par delà les clivages entre les différents milieux professionnels et les nombreux champs de disciplines concernées.

Pour cela le Forum Villes et Territoires Méditerranéens s’engage à concourir au partage des expériences, à la circulation des informations, à la valorisation des savoirs entres ses membres et à mobiliser en tant que de besoins les compétences les plus avérées pour répondre aux problèmes posés.

La mutualisation des compétencesLes membres du Forum apportent autant qu’ils reçoivent selon une logique de mutualisation :- il n’y pas de fournisseurs privilégiés de savoirs, d’expériences ou de prestations ;- il n’y a que des contributeurs qui veulent débattre, échanger, partager et agir en commun ;- les échanges obéissent à un triple principe de réciprocité, de rigueur et de transparence ;- l’information appartient à tous les membres du réseau et la diffusion est accompagnée de la

mention des sources ;- toute contribution est placée sous la responsabilté de son auteur et signée par lui ;- chaque membre du réseau accepte d’être connu des autres membres.

Le Forum est une fédération de pôles associés

Les pôles sont des structures ou des dispositifs ouverts et pluralistes qui ont vocation à regrouper aux niveaux régional, national et international, sous des formes adaptées aux contextes locaux, tous les acteurs, praticiens, chercheurs, opérateurs et décideurs, formateurs et usagers, concernés par l’étude, l’aménagement, le développement et la gestion des villes et des territoires, et qui adhèrent aux fondements de la présente charte.

Chaque pôle est responsable :- du repérage des ressources et des compétences sur son territoire qu’il s’emploie à mettre à

disposition ou à mobiliser à la demande ;- d’un programme thématique ou d’une action dont il est porteur pour l’ensemble du réseau. Chaque

pôle a accès aux documents et aux informations des autres pôles grâce à un certain nombre de bases de données, existantes ou à créer, et à l’installation d’un site Internet ;

- il assure une fonction d’aiguillage des requêtes locales et méditerrnéennes en sollicitant le réseau ;

- il met en place une politique de capitalisation des ressources en mobilisant les différents supports (publications, CDROM ...) ;

- il se donne les moyens d’exercer une veille informationnelle.

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Un pôle animateur à MarseilleCe pôle géré par l’association Villes et Territoires Méditerranéens s’engage à :- faciliter les échanges entre les pôles associés ;- favoriser l’installation et le développement des syctèmes d’information ;- publier une lettre de liaison rendant compte des activités du forum et des ses membres.

Les entretiens du Forum

Le Forum oragnise tous les deux ans des entretiens qui se tiennnent alternativement au nord et au sudde la Méditerranée. Ils sont l’occasion de dresser le bilan des coopérations, d’examiner les réalisations et de définir les axes des actions à engager.

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Observatoire des Territoires et de la Métropolisation dans l’espace méditerranéen

Charte constitutive octobre 2008

Préambule

Alors que les systèmes urbains sont devenus le moteur essentiel du développement territorial, les phénomènes de métropolisation à l’œuvre sur les territoires bouleversent leur fonctionnement et interpellent à tous les niveaux la puissance publique soucieuse de les inscrire dans une dynamique de développement durable (économique, social et environnemental).

Le changement d’échelle des problématiques, l’accroissement de leur complexité et de leurs interactions, invitent à dépasser les limites urbaines traditionnelles et à les inscrire dans un cadre territorial élargi. Mouvements incessants des capitaux, mobilités accrues des entreprises et des hommes prennent de vitesse les systèmes sociaux et leurs modes de régulation collective. Ils font évoluer les formes d’organisation spatiale et les rapports entre les territoires. Le découplage s’approfondit entre la mobilité de nos sociétés et l’inertie des systèmes urbains.

Le développement des établissements publics de coopération intercommunale (EPCI), la mise en œuvre des schémas de cohérence territoriale (SCOT), les appels à projets de coopération métropolitaine, les pôles de compétitivité, la constitution de nouvelles autorités organisatrices de transports (AOT) :…. répondent de façon différenciée à ces exigences. Cependant chacun des nouveaux territoires institutionnels ou de projet ainsi défini reste confiné par nécessité dans le cadre de périmètres délimités, alors que les phénomènes de métropolisation et les enjeux du développement durable ne sont pas contraints par de telles limites.

Ces phénomènes touchent de façon spécifique les territoires de l’espace méditerranéen soumis à une double attractivité, résidentielle et touristique mais qui restent pour beaucoup d’entre eux à la marge des grands courants de développement qui structurent l’espace européen.

Repositionner cet espace et chacun des territoires qui le constituent, dans une dynamique globale de développement durable, est un des enjeux majeurs auxquels la puissance publique et les acteurs sociaux et économiques sont confrontés.

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Dans ce contexte, chacun des acteurs, qu’il s’agisse des services des collectivités locales, de l’État, des entreprises, les agences d’urbanisme et les bureaux d’études, les centres de recherches, se sont dotés de multiples compétences, connaissances, savoir-faire.

Des structures ont été créées pour observer, analyser, imaginer, concevoir et gérer les transformations de l’espace et le développement des territoires. Mais en pratique, les savoirs techniques, scientifiques et institutionnels, généralement référés à une culture, un territoire ou un type de questionnement, sont de ce fait trop cloisonnés.

De nombreuses compétences et expériences restent ainsi dispersées et isolées, rarement mises en commun, alors que les enjeux précédemment décrits appellent à une mobilisation et à une mutualisation des savoirs théoriques et pratiques. La recherche en sciences humaines et sociales apparaît insuffisamment sollicitée. La valorisation des connaissances scientifiques demande à être amélioré.

L’observatoire : une plate forme partenariale au service de l’action publique

Permettre de repositionner chaque territoire d’intervention dans le cadre élargi de l’espace méditerranéen, assurer une mise en commun des connaissances et des expériences, pour mieux répondre aux défis auxquels sont confrontés les acteurs impliqués dans l’aménagement, le développement et la gestion des villes et des territoires, tel est l’enjeu de l’observatoire des territoires et de la métropolisation dans l’espace méditerranéen mis en place à l’initiative des deux directions régionales de l’Équipement Provence-Alpes Côte d’Azur et Languedoc-Roussillon.

L’observatoire est conçu comme un dispositif ouvert au service de l’action, support à la construction d’échanges et de coopérations. Il s’appuie sur la mobilisation de tous les acteurs impliqués dans la connaissance, le développement, l’aménagement et la gestion des villes et des territoires.

Les champs et domaines d’intervention

Considérant que chaque territoire institutionnel ou de projet se dote des outils techniques et de dispositifs de gouvernance adaptés, le rôle de l’observatoire est, à ces échelles, de capitaliser les travaux et initiatives prises, de les synthétiser et de les rapprocher.

Parallèlement il concentre ses actions sur l’analyse des dynamiques à l’échelle des grands territoires interrégionaux de l’espace méditerranéen et impulse l’approfondissement des connaissances en réponse aux questions les plus cruciales auxquelles la puissance publique et les acteurs sociaux et économiques sont confrontés au regard du processus de métropolisation et des enjeux du développement durable.La phase de préfiguration a fait émerger de nombreux questionnements, parmi lesquels :la question des mobilités, de l’accessibilité et des échanges ;la mobilisation du foncier pour l’habitat et les activités ;

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la consolidation des fonctions internationales et des structures productives des métropoles la gestion de l’étalement urbain le tourisme et le devenir des espaces littoraux ;la prévention de l’exclusion économique, sociale et spatiale la requalification et le renouvellement des espaces urbains d’échelle métropolitaine la promotion de la gouvernance métropolitaine la prise en compte du développement durable ; ....

Les objectifs

Ils sont de deux ordres , stratégiques d’une part, scientifiques et techniques d’autre part.

Objectifs stratégiques :favoriser l’appropriation collective des grands constats et la définition des grands enjeux créer un espace de débat permettant d’élaborer des stratégies territoriales inscrites dans des visions prospectives ;favoriser la comparaison des dynamiques propres à chaque territoire de l’espace méditerranéen pour mieux en apprécier les spécificités et les complémentarités ;promouvoir les réflexions et les initiatives innovantes conçues pour répondre aux défis auxquels la puissance publique, les élus et les acteurs économiques sociaux sont confrontés ;aider les acteurs dans l’évaluation des résultats des politiques mises en œuvre.

Objectifs scientifiques et techniques :promouvoir des recherches à finalité territoriale en réponse aux attentes des acteurs de terrain confrontés à l’action -et qui réinvestissent théories, concepts, méthodes ;renouveler les questionnements de recherche et les relations avec les institutions de recherche ;consolider le potentiel technique et scientifique existant dans l’espace méditerranéen.

L’ éthique

L’observatoire est un dispositif ouvert et partenarial.L’information rassemblée est accessible à tous grâce aux outils mis en place.Les échanges répondent à un triple principe de réciprocité, de rigueur et de transparence.La diffusion des contributions est toujours accompagnée de la mention des sources.

Les types d’actions

Les actions impulsées dans le cadre de l’OTM se référent à 5 missions :1. capitalisation et traitement de l’information mobilisable produite ou non par les institutions et

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organismes adhérents à la présente convention avec création et administration d’une base de données documentaire et d’un site Internet ;

2. analyse et suivi des dynamiques territoriales à l’échelle des grands territoires de l’espace méditerranéen : Sud français (Régions PACA, LR, Corse), Arc latin, Bassin méditerranéen ;

3. approfondissements thématiques au travers entre autres, d’études spécifiques, de recherches à finalités territoriales en coproduction avec les acteurs concernés, de séminaires, d’expertises ;

4. mises en débat et échanges qui prendront différentes formes en fonction des thèmes et publics visés : journées, séminaires, colloque annuel de restitution ;

5. communication, diffusion, vulgarisation sous différentes formes : site internet, lettre, cahiers, rapports.

Modalités de fonctionnement

Définition et mise en œuvre des actions d’intérêt partagéParmi les actions d’intérêt partagé, les signataires, s’engagent à minima à mettre à disposition de l’OTM, sous réserve de clauses de confidentialité, les données, études ou recherches qu’ils produisent, dès lors qu’elles entrent dans le champ et les domaines couverts par la présente charte. Ils autorisent leur mise à disposition auprès des différents membres de l’OTM.

Les autres actions définies dans le cadre de l’OTM s’inscrivent dans un programme qui est déterminé en fonction des attentes et des propositions qui seront faites par chacune des parties et des moyens qu’elle se propose d’engager pour leur réalisation, qu’ils soient techniques et humains (lesquels seront valorisés au niveau de leur coût réel), financiers ou qu’ils se traduisent par la mise à disposition de données.

Le détail de ces engagements donnera lieu, pour chaque action ou groupe d’actions retenu, mobilisant plusieurs parties, à des conventions particulières entre ces parties. Elles feront référence à la présente charte. Leur mise en oeuvre est assurée par un groupe de pilotage regroupant les parties impliquées dans leur réalisation.

Les actions, observations ou études une fois réalisées et validées par les parties qui contribuent à leur réalisation, seront d’un libre accès à l’ensemble des signataires de la présente charte.

Le dispositif partenarial L’architecture retenue se veut souple et ouverte et autorise une évolution dans le temps. Elle repose sur la mise en place d’un comité technique et d’un secrétariat permanent. Un conseil scientifique pourra compléter le dispositif sur proposition du comité technique et validation des signataires de la présente charte.

Le comité techniqueConstitué des représentants des services des organismes signataires, le comité technique a en charge de proposer les actions d’intérêt partagé qu’il serait souhaitable d’engager.

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Le comité met en place en tant que de besoin tout atelier ou groupe de travail qu’il estime utile à la définition des axes de travail ainsi qu’au suivi des actions et pour lesquels il proposera des modalités d’animation.

Il se réunit au moins deux fois par an, alternativement en région Provence-Alpes-Côte d’Azur et en région Languedoc-Roussillon.

Le secrétariat permanentIdentifié en tant que tel au sein de la DRE PACA, il assure :- l‘animation des réseaux d’acteurs et la coordination des actions ;- l’administration et la gestion du site Internet et des bases de données ; - la publication, la diffusion et la valorisation des travaux auprès des différents publics concernés ; - il veille à la capitalisation et à la synthèse des travaux réalisés.

Pour mener à bien ces missions la DRE pourra prendre appui, dans le cadre de conventions particulières, sur des organismes membres du réseau ou des experts qualifiés.

Une fois par an les institutions et organismes signataires de la charte seront réunis :- pour prendre connaissance des résultats des travaux réalisés dans l’année écoulée ;- pour formuler les attentes et orientations pour le programme de travail pour l’année à venir ; - pour envisager, le cas échéant, des évolutions structurelles du dispositif.

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http://www.metropolisation-mediterranee.equipement.gouv.fr

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La Méditerranée à l’heure de la métropolisation

Coordonné par

Nicolas DouayChercheur postdoctoral du SEDET

(Université Paris-Diderot/CNRS)

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Institut d’Urbanisme et d’Aménagement Régional

Université Paul Cézannehttp://www.iar.univ-cezanne.fr/

avec le soutien du

Ministère de l’Écologie, de l’Énergie, du Développement

durable et de l’Aménagement du territoire

Direction régionale de l’Équipement

Provence-Alpes-Cote d’Azuret la

Direction Générale de l’Aménagement, du Logement

et de la NaturePlan Urbanisme Construction

Architecture

et la contribution deE.Géopolis

www.e-geopolis.eu/

Supervision

Jean-Claude JagerDRE PACA

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