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Images en Dermatologie • Vol. VI • n o 6 • novembre-décembre 2013 136 Cas clinique L’année des méduses : le retour ! The year of the jellyfish is back S. Ly (Cabinet de dermatologie, Gradignan) U ne femme, âgée de 55 ans, consulte pour des lésions extrêmement pruri- gineuses du dos de la main et du poignet droit, apparues 1 semaine aupa- ravant (figure 1). Observation De retour de vacances depuis 3 semaines, la patiente se souvient d’avoir ressenti une sensation de brûlure violente au cours d’une baignade en Méditerranée. Une piqûre de méduse avait été suspectée. L’application d’un dermocorticoïde avait permis la dispa- rition des lésions initiales, mais leur réapparition motive la consultation. L’examen clinique montre des lésions érythématopapuleuses et vésiculeuses du poignet droit. Quel est votre diagnostic ? Il s’agit d’une réaction retardée à une piqûre de méduse. Les cnidaires sont des animaux pluricellulaires aquatiques primitifs, regroupant les méduses, l’anémone, le corail de feu et l’éponge. Il s’agit d’espèces vénéneuses, extériorisant leur venin de façon apparemment passive, par simple contact (1). En fait, l’envenimation est active, les cnidaires étant dotés de millions de cellules spécialisées, les cnidocytes (ou nématocystes). Ces dernières, au contact de la peau, se dévaginent et projettent le venin au moyen d’un dard microscopique. Les mani- festations, locales ou systémiques, dépendent du nombre de micropiqûres et de la quantité de venin injectée (1). La piqûre est responsable d’une douleur immédiate et vive, à type de décharge électrique ou de brûlure, dont l’intensité augmente pendant 30 à 40 minutes. Les lésions, initialement érythématopapuleuses et urticariennes, reproduisent la zone de contact avec la méduse (figure 2). Selon l’espèce en cause, la durée et l’intensité de l’envenimation, les lésions peuvent ensuite très rapidement devenir bulleuses, voire nécrotiques (2). Les membres supérieurs ou inférieurs, localisations les plus fréquentes, peuvent être le siège d’un œdème important (2). Les envenimations sévères peuvent s’accompagner de signes généraux, vagaux ou anaphylactiques, et de troubles du rythme cardiaque. En cas de contact oculaire, il existe un risque de cécité. Enfin, des manifestations neurologiques ont été rapportées, à type de syndrome de Guillain-Barré ou de mononeuropathie (3, 4). Le traitement initial a pour objectif de minimiser la quantité de venin libéré : il est primordial de ne pas frotter les lésions, ce qui entraînerait l’éclatement des cnido- cytes encore adhérents à la peau (1). Le rinçage des lésions doit être abondant et fait à l’eau de mer ou au vinaigre (1). Il ne faut pas utiliser d’eau douce, hypotonique, dont la différence de pression osmotique entraînerait la dévagination des cnidocytes (1). Dans les jours qui suivent, un dermocorticoïde de classe II sera appliqué ; il sera associé, selon les cas, à une antibiothérapie locale ou générale. Les lésions cica- trisent en 3 à 10 jours. Des réactions cutanées retardées, persistantes ou récidivantes, peuvent survenir malgré le traitement initial des lésions. Leur délai d’apparition est variable, habi- tuellement entre 1 semaine et 15 jours après l’envenimation, comme chez notre patiente (5, 6). Des récidives multiples, pendant plusieurs mois, peuvent parfois être observées. Ainsi, Rallis et al. rapportent l’observation d’une enfant de 4 ans ayant présenté une dizaine de récidives dans les 5 mois suivant la piqûre initiale (7). Légendes Figure 1. Lésions érythématopapuleuses et vésiculeuses excoriées (collection S. Ly). Figure 2. Lésions érythématopapuleuses aiguës reproduisant l’empreinte de la méduse (collection Henri Lassalle). Méduse • Réaction cutanée retardée Jellyfish • Delayed dermatitis

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Cas clinique

L’année des méduses : le retour !The year of the jellyfi sh is backS. Ly (Cabinet de dermatologie, Gradignan)

U ne femme, âgée de 55 ans, consulte pour des lésions extrêmement pruri-gineuses du dos de la main et du poignet droit, apparues 1 semaine aupa-

ravant (fi gure 1).

ObservationDe retour de vacances depuis 3 semaines, la patiente se souvient d’avoir ressenti une sensation de brûlure violente au cours d’une baignade en Méditerranée. Une piqûre de méduse avait été suspectée. L’application d’un dermocorticoïde avait permis la dispa-rition des lésions initiales, mais leur réapparition motive la consultation. L’examen clinique montre des lésions érythématopapuleuses et vésiculeuses du poignet droit.

Quel est votre diagnostic ?Il s’agit d’une réaction retardée à une piqûre de méduse.

Les cnidaires sont des animaux pluricellulaires aquatiques primitifs, regroupant les méduses, l’anémone, le corail de feu et l’éponge. Il s’agit d’espèces vénéneuses, extériorisant leur venin de façon apparemment passive, par simple contact  (1). En fait, l’envenimation est active, les cnidaires étant dotés de millions de cellules spécialisées, les cnidocytes (ou nématocystes). Ces dernières, au contact de la peau, se dévaginent et projettent le venin au moyen d’un dard microscopique. Les mani-festations, locales ou systémiques, dépendent du nombre de micropiqûres et de la quantité de venin injectée (1).

La piqûre est responsable d’une douleur immédiate et vive, à type de décharge électrique ou de brûlure, dont l’intensité augmente pendant 30 à 40 minutes. Les lésions, initialement érythématopapuleuses et urticariennes, reproduisent la zone de contact avec la méduse (fi gure 2). Selon l’espèce en cause, la durée et l’intensité de l’envenimation, les lésions peuvent ensuite très rapidement devenir bulleuses, voire nécrotiques (2). Les membres supérieurs ou inférieurs, localisations les plus fréquentes, peuvent être le siège d’un œdème important (2). Les envenimations sévères peuvent s’accompagner de signes généraux, vagaux ou anaphylactiques, et de troubles du rythme cardiaque. En cas de contact oculaire, il existe un risque de cécité. Enfi n, des manifestations neurologiques ont été rapportées, à type de syndrome de Guillain-Barré ou de mononeuropathie (3, 4).

Le traitement initial a pour objectif de minimiser la quantité de venin libéré : il est primordial de ne pas frotter les lésions, ce qui entraînerait l’éclatement des cnido-cytes encore adhérents à la peau (1). Le rinçage des lésions doit être abondant et fait à l’eau de mer ou au vinaigre (1). Il ne faut pas utiliser d’eau douce, hypotonique, dont la différence de pression osmotique entraînerait la dévagination des cnidocytes (1). Dans les jours qui suivent, un dermocorticoïde de classe II sera appliqué ; il sera associé, selon les cas, à une antibiothérapie locale ou générale. Les lésions cica-trisent en 3 à 10 jours.

Des réactions cutanées retardées, persistantes ou récidivantes, peuvent survenir malgré le traitement initial des lésions. Leur délai d’apparition est variable, habi-tuellement entre 1 semaine et 15  jours après l’envenimation, comme chez notre patiente (5, 6). Des récidives multiples, pendant plusieurs mois, peuvent parfois être observées. Ainsi, Rallis et al. rapportent l’observation d’une enfant de 4 ans ayant présenté une dizaine de récidives dans les 5 mois suivant la piqûre initiale (7).

Légendes

Figure 1. Lésions érythématopapuleuses et vésiculeuses excoriées (collection S. Ly).

Figure 2. Lésions érythématopapuleuses aiguës reproduisant l’empreinte de la méduse (collection Henri Lassalle).

Méduse • Réaction cutanée retardée

Jellyfi sh • Delayed dermatitis

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Paris, 10-14 décembre 2013

Directeur de la publication : Claudie Damour-Terrasson - Rédacteur en chef : Pr Vincent Descamps (Paris)Attention : les comptes-rendus de congrès ont pour objectif de fournir des informations sur l’état actuel de la recherche ; ainsi, les données présentées seront susceptibles de ne pas être validées par les autorités françaises et ne doivent donc pas être mises en pratique. Ces infor-mations sont sous la seule responsabilité des auteurs et du directeur de la publication qui sont garants de l’objectivité de cette publication.Ce Flash-Info est édité par Edimark SAS, 2, rue Sainte-Marie - 92418 Courbevoie Cedex - Tél. : 01 46 67 63 00 - Fax : 01 46 67 63 10

CoordonnateurPhilippe Modiano (Lille)

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Cas clinique

Les lésions prurigineuses, érythématopapuleuses ou violacées, parfois pseudo-vésiculeuses, reproduisent la même topographie que les piqûres initiales. L’examen histologique, lorsqu’une biopsie est effectuée, montre un aspect spongiotique ainsi qu’un infi ltrat périvasculaire lymphohistiocytaire (7). Une sensibilisation aux antigènes des cnidocytes ou un relargage de venin pourraient expliquer ces réactions tardives (7).

Leur traitement est symptomatique et consiste en l’application répétée de dermo-corticoïdes. Le tacrolimus topique (7) ou le pimécrolimus (8) peuvent être proposés dans les formes récidivantes. IIII

Remerciements. L’auteur remercie le Dr Henri Lassalle pour la fi gure 2.

Références bibliographiques1. Cordel N. Les dermatoses du littoral. Nouv Dermatol 2009;28:25-6.2. Avelino-Silva VL, Avelino-Silva T. Images in clinical medicine. Evolution of a jellyfi sh sting. N Engl J Med 2011;365(3):251.3. Devere R. Guillain-Barré syndrome after a jellyfi sh sting. J Clin Neuromuscul Dis 2011;12(4):227-30.4. Al-Ajmi AM, Jayappa S, Rousseff RT. Isolated severe median mononeuropathy caused by a jellyfi sh sting. J Clin Neuromuscul Dis 2013;14(4):188-93.5. Menahem S, Shvartzman P. Recurrent dermatitis from jellyfi sh envenomation. Can Fam Physician 1994;40:2116-8.6. Veraldi S, Carrera C. Delayed cutaneous reaction to jellyfi sh. Int J Dermatol 2000;39(1):28-9.7. Rallis E, Limas C. Recurrent dermatitis after solitary envenomation by jellyfi sh partially responded to tacrolimus ointment 0,1%. J Eur Acad Dermatol Venereaol 2007;21(9):1287-8.8. Di Costanzo L, Balato N, Zagaria O, Balato A. Successful management of a delayed and persistent cuta-neous reaction to jellyfi sh with pimecrolimus. J Dermatolog Treat 2009;20(3):179-80.

L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.