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Avec le concours de L’Art de la gestion des risques Illustration : Jean-Pierre Djivanidès 3 12 parutions. En collaboration avec le Financial Times. En association avec Les Echos, SA au capital de 4.964.000 F - 46, rue La Boétie - 75381 Paris Cedex 08 - Directeur de la publication : David Guiraud - Publicité : ECHOFI REGIE- Tél. : 01 49 53 65 65 - N o Commission paritaire : 55.933 - Impression : Imprimerie de la Plaine, 198, av. Président-Wilson - La Plaine-Saint-Denis Supplément gratuit au n o 18.255 du mercredi 11 octobre 2000. Ne peut être vendu séparément

L’Art de la gestion des risques 3

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Page 1: L’Art de la gestion des risques 3

Avec le concours de

L’Art de la gestiondes risques

Illustration : Jean-Pierre Djivanidès

312 parutions. En collaboration avec le Financial Times.

En association avec Les Echos, SA au capital de 4.964.000 F - 46, rue La Boétie - 75381 Paris Cedex 08 - Directeur de la publication : David Guiraud - Publicité : ECHOFI REGIE- Tél. : 01 49 53 65 65 - No Commission paritaire : 55.933 - Impression : Imprimerie de la Plaine, 198, av. Président-Wilson - La Plaine-Saint-Denis

Supplément gratuit au no 18.255 du mercredi 11 octobre 2000. Ne peut être vendu séparément

Page 2: L’Art de la gestion des risques 3

Directeur général, directeur des publications : David GUIRAUDDirecteur délégué : Eric NOBLET

Directeur de la rédaction, rédacteur en chef : Nicolas BEYTOUT

L’Art de laGestion des Risques

Rédacteur en chef adjoint : Patrick LAMMCoordination et secrétariat de rédaction : Pascale BARON

Valérie MAILLARD

Les dirigeants ont toujours essayé de mesurer et decontrôler les risques dans leur société. Or, la crois-sance et le développement prodigieux des technolo-gies électroniques et financières ont enrichi la palettedes techniques de gestion des risques (risk manage-ment).

La gestion « intégrée » des risques est un premierexemple qui offre une nouvelle opportunité de créerde la valeur pour les actionnaires. Par gestion« intégrée », on entend l’identification et l’évaluationdes risques collectifs susceptibles d’affecter la valeurde l’entreprise, mais aussi la mise en œuvre d’unestratégie à l’échelle de celle-ci pour les gérer. L’idée,derrière ce concept, est que le profil de risque d’unesociété est malléable. Les managers peuvent choisirde conserver certains risques et de se protéger contred’autres. Il n’y a pas d’abri sûr : faute de concevoirune stratégie active de gestion des risques, on prendipso facto la décision de conserver tous les risquessusceptibles de se produire à travers les activités.

La gestion des risques a le potentiel de créer de lavaleur de plusieurs façons : elle diminue la probabi-lité de rencontrer des difficultés financières ; elleréduit les risques pour les dirigeants qui ont investiune bonne quantité de leurs actifs dans des parts del’entreprise ; et elle peut faire baisser la charge fiscalepesant sur cette dernière. Les structures d’impositionprogressive encouragent les entreprises à lisser leursgains afin de réduire le montant de leurs impôts, ceque permet justement de faire le risk management.Cette approche offre aussi la possibilité à l’entreprised’augmenter sa capacité d’endettement afin de béné-ficier de la protection fiscale supplémentaire qui vade pair. Enfin, elle aide les investisseurs à évaluer laperformance de la société en maintenant un niveaude risque spécifique.

Longtemps perçue comme une théorie, la gestionintégrée des risques est devenue depuis peu uneapproche pratique grâce au développement desmarchés liquides pour tout un éventail d’instrumentsfinanciers. Autre facteur tout aussi important danscette évolution du marché des capitaux : l’expérienceréussie de l’application de la théorie moderne desfinances à la pratique de la gestion des risques.Auparavant, la gestion des risques était rarementappliquée de façon systématique et intégrée à l’en-semble de la société. Aujourd’hui, les dirigeantspeuvent analyser et contrôler différents risques dansle cadre d’une politique unifiée ou intégrée.

Les méthodes d’intégrationLes entreprises ont trois moyens à leur dispositionpour mettre en œuvre leurs objectifs de gestion desrisques : modifier les opérations de la société, ajusterla structure de son capital et utiliser des instrumentsfinanciers ciblés. C’est l’interaction entre tous cesmécanismes qui forme la stratégie de gestion desrisques de la société. Bien évidemment, les managersdevront peser les avantages et les inconvénientsd’une stratégie donnée pour identifier la meilleurecombinaison possible (voir figure 1 ci-contre). Unecompagnie aérienne, par exemple, peut gérer sonexposition à la volatilité du prix des carburants àtravers un plan opérationnel. Quand les prix sontélevés, elle peut demander à ses pilotes de voler pluslentement ou encore investir dans des avions moinsgourmands en carburant. Bien sûr, ces deux mesuresopérationnelles ne sont pas sans conséquences finan-cières. Si les temps de trajets aériens s’allongent, lespassagers risquent de changer de compagnie. Demême, le remplacement de la flotte par des appareilsconsommant moins peut s’avérer finalement plusonéreux que de subir la volatilité du prix descarburants.

Il est évident que les techniques de gestion desrisques opérationnels diffèrent en fonction des entre-prises. L’une des méthodes opérationnelles em-ployées par Microsoft pour gérer ses risques, parexemple, est le recours à la main-d’œuvre tempo-

raire. En réduisant son levier opérationnel (enl’occurrence les coûts fixes liés à un effectif perma-nent supérieur), Microsoft dispose de plus de sou-plesse pour répondre aux aléas susceptibles d’affec-ter la demande, la technologie ou la réglementation,ce qui améliore ses chances de survie et atténuel’éventualité de risques secondaires encore plusgraves.

Dans le domaine de la gestion des risques opéra-tionnels encore, on peut aussi prendre l’exemple deWalt Disney et des conditions météorologiques. Lemauvais temps réduit considérablement le nombredes visiteurs de parcs à thème et expose donc cegéant du secteur des loisirs à un risque non négli-geable. Un facteur qui touche aussi ses clients. Unedestination touristique assortie du risque d’une mé-téo défavorable expose potentiellement le visiteur aufacteur mauvais temps. La décision prise par WaltDisney en 1965 de construire DisneyWorld dans unclimat chaud et ensoleillé (Orlando en Floride) aréduit sa propre exposition − et celle de ses clients −aux risques d’une météo peu clémente.

Cependant, cette décision a aussi modifié sonprofil de risque à d’autres égards. Quand WaltDisney a acheté 14.000 hectares à Orlando, le lieun’était pas situé à proximité des grandes aggloméra-tions et le coût du trajet en avion pour s’y rendre étaitimportant. L’enjeu pour Walt Disney, à ce moment-là, était donc de faire face aux longues distances quedevaient parcourir la plupart de ses clients pourvisiter le parc, ce qui augmentait l’exposition au prixdes carburants et à celui des voyages aériens ainsiqu’aux fluctuations d’ordre économique.

L’autre modèle opérationnel possible pour WaltDisney est d’implanter plusieurs parcs à thème situésprès de différentes grandes agglomérations pourpermettre à ses clients de prendre connaissance desprévisions météorologiques avant de se déplacer. Encas de météo défavorable, le nombre de visiteursréduit, mais l’exposition des clients au mauvais tempsdiminue d’autant. Cette stratégie fonctionne bien àDisneyland Paris : les visiteurs des agglomérationsalentour peuvent se rendre au parc en une heure oudeux, ce qui leur permet de passer outre le facteurmauvais temps en leur donnant la possibilité dereporter leur visite.

Certains risques ne peuvent être gérés opération-nellement, soit parce qu’il n’existe pas d’approcheopérationnelle, soit parce que celle-ci est trop oné-reuse ou contraire aux objectifs stratégiques de lasociété. Les instruments financiers ciblés comme lesproduits dérivés (contrats à terme, produits à termeou options) ou les contrats d’assurance peuventconstituer une alternative aux méthodes opération-nelles de réduction des risques. Ces instruments,disponibles pour de multiples marchandises, mon-naies, indices boursiers et taux d’intérêt, s’élargissentaujourd’hui pour intégrer des risques comme letemps. Les techniques de risk management ont undouble objectif : réduire la probabilité qu’un risquese produise ou diminuer son impact en cas d’appari-tion.

Les instruments financiers ciblés, eux, intervien-nent au niveau des conséquences, car ils atténuent ouréduisent l’impact des risques sur la valeur de lasociété quand ils se produisent. Une compagnieaérienne qui utilise des contrats sur le carburant, parexemple, peut déterminer le prix qu’elle paiera pourcelui-ci pendant la durée de son contrat, ce qui réduitson exposition à la volatilité du prix des carburants.De la même manière, elle peut signer des contrats dechange pour se couvrir contre ce type de risque.

L’avantage de la gestion des risques avec cesinstruments financiers, c’est qu’elle permet aux en-treprises de se focaliser sur un risque spécifique et dese couvrir à faible coût. Ironie de la chose, cettecapacité à cibler les risques est aussi à l’origine de sonprincipal inconvénient : elle n’est possible que s’ilexiste des instruments financiers spécifiques pour lerisque visé. On peut donc comprendre que Microsoftse fie à d’autres approches de gestion des risques enestimant que la plupart de ses risques principaux ne

Gérer le risqueglobal

La gestion intégrée permet de rassembler et rationaliser tousles risques auxquels une entreprise se trouve confrontée.Lisa Meulbroek est

professeur adjointà la Harvard BusinessSchool. Ses recherchesportent sur la gestiondes risques d’entreprise,la rémunération descadres, l’efficacitédu marché et la gestionfinancièredes entreprises.

LisaMeulbroek

3Gérer le risque globalPar Lisa Meulbroek, Harvard Business School

Pages 2 et 3

Les risques de la stratégie d’externalisationPar Fouad Arfaoui, Guy Bohbot et Bernard N’Gazo,PricewaterhouseCoopersLa stratégie d’externalisation est porteuse de risquesqu’il importe de maîtriser. Les évolutions actuellesplaident pour l’adoption d’une démarche fondée surla création de valeur comme critère de choix entrel’intégration et l’externalisation.

Pages 4 et 5

L’analyse des risques d’un business planPar Michel Santi, professeur de stratégie et politiqued’entreprise au Groupe HECPour réussir une analyse pertinente des risques ausein d’un business plan, on peut recommander desuivre un plan qui se décompose en sept étapes dontla première, l’identification, est capitale. Méthodes etmoyens pour y parvenir.

Pages 6, 7 et 8

Avantages réels de la diversificationPar Deborah J. Pretty et Rory F. Knight, TempletonCollege, OxfordAu nom de la création de valeur, des empiresindustriels bâtis dans les années 80 sur le principe dela diversification des activités ont été démembrés unedécennie plus tard. La diversification géographique,elle, plaît toujours aux actionnaires.

Pages 8 et 9

Risque et alliances : s’assurer une place surle podiumPar Benjamin Gomes-Casseres, Graduate Schoolof International Economics and FinanceAujourd’hui, les stratégies d’alliance permettent auxentreprises de réduire leur exposition au risque parrapport aux standards technologiques concurrents.Elles aident aussi à définir des options financièrespour des développements futurs.

Pages 10 et 11

Pour recevoir les cahiersde l’Art de la Gestion des Risques,

reportez-vous à la page 11.

2 Les Echos - mercredi 11 octobre 2000L’Art de la Gestion des Risques

LISA MEULBROEK

Page 3: L’Art de la gestion des risques 3

sont pas corrélés par les instruments financiers exis-tants. De plus, ces instruments protègent uniquementcontre les risques dont on peut prévoir la nature etl’ampleur. Toutefois, la panoplie des instrumentsfinanciers disponibles continue à augmenter.

Quand les chefs d’entreprise ne peuvent prévoiravec exactitude la source ou l’ampleur d’un risquespécifique, ils peuvent utiliser la structure de capital dela société comme tampon contre toutes les sortes derisques. En diminuant l’endettement de l’entreprise eten augmentant ses fonds propres, les dirigeants peu-vent réduire l’exposition globale des actionnaires aurisque. Si l’endettement de la société est faible, celasignifie qu’elle a moins de dépenses fixes, ce qui setraduit par une grande flexibilité pour faire face à lavolatilité susceptible d’affecter sa valeur, quelle qu’ensoit la source.

Microsoft utilise beaucoup ses fonds proprescomme coussin financier face aux risques, en complé-ment de sa politique opérationnelle. Le groupe n’a pasde dettes en souffrance et possède à l’heure actuelleune trésorerie de 18 milliards de dollars environ. Cetteabsence de levier (ou levier négatif) lui donne uneflexibilité très intéressante lorsque les coûts liés auxsituations financières tendues sont élevés. Cette poli-tique peut aussi refléter sa volonté de réduire lesrisques supportés par quelques-uns de ses hautsdirigeants possédant une fraction substantielle de sesactions en circulation.

L’avantage premier de gérer les risques en utilisantune plus grande partie des fonds propres est queceux-ci constituent un coussin ou un dispositif deprotection polyvalent contre les risques divers. Il y acertains risques que la société peut mesurer précisé-ment. Ceux-ci sont généralement bien cernés par lagestion ciblée des risques. Les fonds propres, eux,assurent une protection polyvalente contre les risquesque l’on ne peut identifier à l’avance ou pour lesquelsil n’existe pas d’instruments financiers spécifiques.Plus la somme de risques que l’on ne peut évaluer ouprotéger est grande, plus le coussin de la société devraêtre important. Le prix à payer pour cette utilisationdes fonds propres en tant qu’outil de gestion desrisques est la perte de certains avantages fiscaux sur lesintérêts du fait de la réduction de l’endettement. Cequi n’est pas le cas pour les dirigeants qui modifientopérationnellement le profil de risque de leur sociétéou utilisent des instruments financiers ciblés, puisqu’ilsaugmentent leur capacité d’emprunt.

Les outils de risk management peuvent se substituerles uns aux autres ou se compléter. Et, comme ils ontdes effets similaires sur les risques courus par lasociété, ils permettent de relier entre elles des déci-sions managériales apparemment sans rapport. Eneffet, comme la structure du capital n’est que l’un descomposants d’une stratégie de gestion des risques, ilest impossible de prendre une décision efficace à sonégard sans tenir compte des autres décisions en lamatière. Ainsi, la décision prise par les dirigeants sur leratio endettement/fonds propres optimal de la sociétéest inextricablement liée à celle de construire ou nonune usine dans un pays étranger, qui est elle-même liéeà celle d’élargir ou non la ligne de produits.

Couvrir les risques agrégésLe terme « intégration » désigne à la fois l’applicationcombinée des trois outils nécessaires à la mise enœuvre d’une stratégie de gestion des risques etl’agrégation de tous les risques auxquels la société doitfaire face. Le risk management exige que l’on gère lerisque total de la société, car c’est son expositionglobale qui lui permettra ou non d’éviter les situationsfinancières tendues. Quand on agrège les risques, onfavorise la compensation, totale ou partielle, entrecertains risques distincts au sein de la société. Parconséquent, dès que l’on élabore des couvertures oudes assurances pour gérer les risques d’une société, ilsuffit d’envisager les expositions nettes sans considérerchaque risque séparément. Ce calcul des besoins netsréduit sensiblement les coûts et améliore l’efficacité dela gestion des risques.

L’intégration de la gestion des risques peut ajouterde la valeur à la société, car elle lui permet d’acheterdes contrats d’assurance plus efficaces. Il s’agit d’unemanière moins onéreuse de gérer le risque global ou« risque d’entreprise ». En 1997, le groupe de produitstechnologiques Honeywell, par exemple, a signé uncontrat de ce type. Cet accord, le premier du genre,combinait une protection contre les risques tradition-nellement assurables (assurance IARD) et le risque dechange, un risque lié au marché financier plus généra-lement géré par des produits dérivés. Sa plus grandeinnovation était de couvrir les pertes agrégées deHoneywell. En d’autres termes, cette police contenaitune franchise agrégée et non une franchise séparéepour chaque risque. En agrégeant ainsi les risquesindividuels et en assurant son risque global, Honeywellavait diminué de 15 % le prix de sa police.

En fait, quand il avait une somme importante defranchises, Honeywell était contraint d’acheter unecouverture d’assurance plus large que celle dont il

avait besoin. Pour étayer ce propos, supposons queHoneywell soit confronté à trois risques de pertes :responsabilité civile pour ses produits, incendie et tauxde change. Imaginons aussi que ce groupe désire « êtreson propre assureur » jusqu’à un plafond de pertes de30 millions de dollars. Avec l’ancien système, il auraitdû demander une franchise de 10 millions de dollarspour chacun des trois risques précités alors que,désormais, il peut réclamer une seule franchise agré-gée de 30 millions de dollars.

Imaginons maintenant qu’il fasse l’objet d’un juge-ment en responsabilité civile pour ses produits d’unmontant de 25 millions de dollars et qu’il ne subisseaucune perte pour cause d’incendie ou de change.Dans ce cas, il recevra 15 millions de dollars (les25 millions de dollars de pertes nettes, moins lafranchise de 10 millions de dollars) avec les policesséparées, même s’il est capable d’absorber la pertetotale de 25 millions de dollars (puisque celle-ci estcomprise dans son plafond prédéterminé de 30 mil-lions de dollars). En revanche, avec sa police agrégéeaccompagnée d’une franchise de 30 millions de dol-lars, Honeywell ne recevra rien pour sa perte de25 millions de dollars puisque celle-ci est inférieure aumontant de sa franchise. Bien évidemment, le groupeaurait été content de bénéficier de la couverture laplus élevée. Mais, au moment où il définit sa stratégiede gestion des risques, il doit payer des primesd’assurance plus élevées pour cette couverture supplé-mentaire non désirée. Si, au contraire, il achète unepolice exhaustive couvrant les trois types de risques, ilpaiera moins pour sa franchise de 30 millions dedollars et recevra la couverture qu’il souhaite.

Le principe général illustré par la politique deHoneywell est que la protection des risques agrégéscoûte moins cher que celle des risques individuels,même quand les primes pour chaque risque sontéquitables sur le plan actuariel. De plus, la couvertureagrégée est mieux adaptée aux besoins de la société entermes de gestion des risques. Après tout, l’expositionde la valeur de la société ne dépend pas de la source derisque en elle-même, mais du risque total. Une sociétépeut donc préférer une assurance qui lui offre desindemnités quand les conséquences de ses risquesagrégés excèdent un montant prédéterminé.

Des relations inextricablesPour élaborer une stratégie de gestion des risquesefficace, un manager doit examiner les effets transver-saux dans toute la société. En se focalisant sur unrisque spécifique, il peut créer ou exacerber d’autrestypes de risques. Ces interactions entre les risques nesont pas toujours manifestes, spécialement quand ellesse produisent entre des entités qui n’ont pas de liensentre elles.

Nous en avons eu un exemple à la fin des années 80.En 1988, la banque spécialiste des marchés financiersSalomon Brothers, avait voulu évoluer vers le métier debanque d’affaires sur une large échelle en prenant ladirection d’un groupe d’investissement qui avait vaine-ment tenté d’acquérir le groupe de tabac et produitsalimentaires RJR Nabisco par une opération de rachatavec effet de levier. Malgré son échec, cette tentativeavait montré aux agences de notation et autres partiesprenantes que la banque Salomon était prête à accroîtreson risque total. Ce changement dans son profil derisque s’était répercuté sur son activité existante deproduits dérivés basée sur les clients − une source deprofits importante pour elle.

L’activité prospective de banque d’affaires avaitpourtant peu de liens avec celle de produits dérivés :les employés, la technologie et les clients étaientdifférents. Mais, comme Salomon exerçait les deuxmétiers, son évolution vers une activité plus risquée

avait affecté son risque global et son crédit. Sonactivité de produits dérivés était particulièrementsensible au risque de crédit, car sa solide réputation desolvabilité était capitale pour ses clients. En s’orientantvers le métier de banque d’affaires, Salomon Brothersavait montré qu’elle était prête à augmenter sonexposition globale aux risques.

Cet exemple montre que, lorsque plusieurs activitéssont regroupées sous une même ombrelle institution-nelle, le risque couru par chaque activité est partagépar toutes les autres. Cet exemple montre aussi que lesconsidérations sur le risque s’insinuent dans toutes lesgrandes décisions de la société. Quand une entreprisechange de stratégie sur ses activités, elle modifiegénéralement son profil de risque, créant ou suppri-mant ainsi de la valeur. Les décisions sur la gestion desrisques doivent être prises à l’échelle de la sociétéparce que les conséquences du contrôle d’un risqueparticulier affectent la valeur de la société tout entière.

De tout temps, les dirigeants ont pratiqué unecertaine forme de gestion des risques, implicite ouexplicite. Cependant, dans la structure classique, lesrisques sont cloisonnés : le service financier s’occupede l’exposition au taux de change et parfois au risquede crédit ; les traders sur marchandises concentrentleurs efforts sur le risque lié au prix des marchandises ;les directeurs opérationnels et de production envisa-gent ceux qui découlent du processus de fabrication ;le responsable risque-assurance ne voit que les risquesIARD. Par conséquent, les directeurs des diversesentités institutionnelles devront coordonner leurs acti-vités de gestion des risques s’ils veulent mettre enplace une stratégie intégrée.

La première étapeLa coordination étant la première étape, la gestionintégrée des risques exige une approche plus « straté-gique » que « tactique ». La gestion tactique, pluscourante aujourd’hui, a des objectifs plutôt limités.Elle englobe généralement la couverture de contratsou d’autres engagements à terme explicites, commel’exposition au taux d’intérêt lié à l’endettement.Imaginons une entreprise utilisant comme monnaie ledollar américain qui achète une machine à une sociétéallemande avec une livraison prévue dans six mois.L’action tactique consiste pour la société à se couvrircontre les fluctuations des taux de change dollar-marksusceptibles d’affecter le contrat avant la livraison. Enrevanche, la couverture stratégique porte plus large-ment sur la façon dont ces fluctuations des taux dechange risquent de se répercuter sur la valeur de lasociété dans son intégralité. Elle analyse comment cesmouvements affectent l’environnement concurrentielde la société, y compris le prix de ses produits, lesquantités vendues, le coût de ses facteurs de produc-tion et la réaction des autres sociétés dans le mêmesecteur d’activité. Par conséquent, une société peuttrès bien être totalement couverte tactiquement, touten ayant une exposition stratégique importante.

A partir du moment où une approche intégrée de lagestion des risques exige une parfaite compréhensiondes opérations de la société, y compris de sa politiquefinancière, celle-ci relève de la responsabilité desdirigeants. Ils ne peuvent la déléguer à des gestion-naires de produits dérivés, de la même manière que lagestion des risques individuels ne peut être déléguéeaux différentes unités.

La palette croissante d’outils disponibles pour lamesure et la gestion des risques offre aux managers devéritables opportunités de création de valeur. Lesdirigeants ont donc intérêt à comprendre le fonction-nement de ces outils et à choisir activement ceux qu’ily a lieu d’appliquer. A l’avenir, la gestion des risquesjouera un rôle capital dans la stratégie d’entreprise. l

Les sociétés ont l’habitude degérer leurs différents types derisques de façon cloisonnée : ledirecteur financier s’occupe desrisques de crédit et de change, ledirecteur des ressources hu-maines des risques liés à l’emploi,et ainsi de suite. Aujourd’hui,explique Lisa Meulbroek, la ges-tion intégrée des risques offre lapossibilité de rassembler et ratio-naliser tous les risques auxquelsune entreprise doit faire face. Il ya globalement trois façons d’yarriver : modifier les opérationsde la société, ajuster la structurede son capital et employer desinstruments financiers pour ré-duire les risques. L’usage sélectifet coordonné de ces techniquespermet aux dirigeants non seule-ment de gérer les risques sur unebase tactique et ciblée, mais ausside concevoir et de mettre enœuvre une stratégie à long termeà l’échelle de l’entreprise.

Résumé

Les Echos - mercredi 11 octobre 2000 3L’Art de la Gestion des Risques

Risques du marché de consommation• Perte de clients• Obsolescence des produits• Augmentation de la concurrence• Diminution de la demandede produits

Risques financiers• Modification du coût du capital• Variation des taux de change• Inflation• Violation d'une dispositioncontractuelle• Cessation de paiements

Risques légaux• Responsabilité pour les produits• Restriction des échanges commerciaux• Poursuites contre les actionnaires• Actions prud'hommales

Risques réglementaires• Modification de la législation

environnementale• Renforcement de la loi antitrust

• Fin de l'encadrement des prix• Fin de la protection des importations

Risques opérationnels• Panne de machines• Augmentation des défauts dans les produits• Destruction d'une usine par les intempéries• Stocks obsolètes

Risques liés à la production• Augmentation du prix

des achats• Grèves

• Démission des meilleurscollaboratuers

• Faillite d'un fournisseur

Risques fiscaux• Augmentation de l'impôt sur le revenu

• Fin des revenus obligataires industriels• Augmentation des taxes sur les ventes

Figure 1

Risqueglobalde la

société

Intégration des méthodes de gestion des risques

Page 4: L’Art de la gestion des risques 3

es entreprises sont actuellementconfrontées à un environnement éco-nomique qui se caractérise par laconjonction de plusieurs facteurs : descontraintes liées au processus de glo-balisation avec son corollaire qui est laLmontée de l’intensité concurrentielle ;

la volatilité de la demande conjuguée à la nécessitéd’une offre segmentée ; la prise en compte desattentes des actionnaires dans une logique devaleur actionnariale.

Ces facteurs les conduisent à mettre en œuvredes voies de développement favorisant l’exploita-tion de leurs avantages compétitifs.

Les évolutions récentes montrent que beaucoupde managers poursuivent des stratégies de recen-trage sur leurs métiers de base. Ainsi, lorsque lesentreprises disposent de ressources financières im-portantes, leurs managers n’ont plus recours systé-matiquement à la diversification mais redistribuentles liquidités aux actionnaires leur permettant ainsid’effectuer eux-mêmes la diversification de leurportefeuille.

Dès lors, la nécessité d’optimiser l’allocation desressources en les recentrant sur les véritablesmétiers de l’entreprise a conduit plusieurs d’entreelles à confier un certain nombre de leurs activitésjugées non décisives à des fournisseurs extérieurs.Dans cette perspective, on peut citer le cas desgrands magasins Le Printemps qui ont externaliséleur activité informatique auprès d’un prestataire,

réduisant ainsi leur budget informatique de 35 %.Autre exemple, la société ADP (Aéroports deParis) collabore avec une multitude de prestatairesspécialisés de telle sorte que, parmi les 45.000 per-sonnes travaillant à Roissy, seules 3.000 sont direc-tement employées par la société ADP. Le phéno-mène est aussi marqué dans la sphère nonmarchande de l’économie. Ainsi, la majorité desvilles sous-traite la restauration collective (pour lesécoles, les crèches…). Tous ces exemples illustrentla stratégie d’externalisation.

Dans le même temps, d’autres entreprises quiavaient procédé à l’externalisation de leurs activitésont été amenées à réintégrer celles-ci en leur sein.C’est par exemple le cas de certaines chaîneshôtelières (Novotel) qui ont embauché du person-nel pour réaliser elles-mêmes le nettoyage deschambres, activité qu’elles sous-traitaient depuisplusieurs années. De même, le journal « LeMonde » a installé sa propre imprimerie après avoirlongtemps sous-traité l’impression, et ce malgré lesproblèmes de coûts de structure liés à ces capacitésde production. Enfin, les centres d’appels qui sedéveloppent aujourd’hui dans une logique d’exter-nalisation font déjà l’objet d’une réintégration danscertaines banques.

Comment expliquer un tel retournement ? Quelssont les risques inhérents à la stratégie d’externali-sation et comment les maîtriser afin d’optimiser laperformance de l’entreprise ?

Appréhendons d’abord les différentes caractéris-tiques de la stratégie d’externalisation, avant d’ana-lyser les risques qui en résultent et de proposer lesmoyens de les maîtriser.

Attributs de l’externalisationL’externalisation consiste à « faire faire », c’est-à-dire à sortir du périmètre de l’entreprise desactivités non stratégiques. Elle concernait au départdes activités périphériques (gardiennage, restaura-tion collective, entretien des locaux…) et ensuitedes fonctions plus centrales dans la dynamique del’entreprise (comptabilité, informatique, logistique,conseil juridique…). Une manière d’appréhenderl’étendue de ces fonctions est de recourir à l’ap-proche organisationnelle développée par HenryMintzberg. Selon ce dernier, toute organisationpossède cinq parties : le sommet stratégique, laligne hiérarchique, le centre opérationnel, la tech-nostructure et les fonctions de support logistique.Ce sont ces dernières fonctions qui peuvent fairel’objet d’une externalisation.

Aujourd’hui, l’externalisation revêt quelques foisla forme d’une « gestion déléguée » qui conduitdans certains cas au transfert de l’activité et dupersonnel chez le prestataire.

Au terme de ce processus se dessine un modèle

Les risques de la stratégied’externalisation

La stratégie d’externalisation est porteuse de risques qu’il importe de maîtriser.Les évolutions actuelles plaident pour l’adoption d’une démarche fondée sur la création

de valeur comme critère de choix entre l’intégration et l’externalisation.

Fouad Arfaoui, estassocié chezPricewaterhouseCoopersen charge dudépartement knowledgemanagement et transfertde compétences.Il est par ailleurs expertprès la cour d’appelde Paris.

FouadArfaoui

4 Les Echos - mercredi 11 octobre 2000L’Art de la Gestion des Risques

FOUAD ARFAOUI, GUY BOHBOTET BERNARD N’GAZO

Beaucoup d’entreprises qui avaientconfié tout leur système dedéveloppement à des prestatairesinformatiques (facilitiesmanagement) sont devenuesdépendantes de ceux-ci.

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Page 5: L’Art de la gestion des risques 3

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La stratégie d’externalisation, processus consistant àtransférer chez des sous-traitants des activités préala-blement exercées par l’entreprise, trouve sa légiti-mité dans la réduction des coûts qui l’accompagne etdans la nécessité de recentrer ses efforts sur lesvéritables métiers de celle-ci. Cependant, elle de-

meure porteuse de risques (risque stratégique, risqued’exploitation et risque juridique) qu’il importe demaîtriser. Les évolutions actuelles plaident pourl’adoption d’une démarche fondée sur la création devaleur comme critère de choix entre l’intégration etl’externalisation.

Résumé

d’entreprise « virtuelle » dont l’activité consisteraiten un rôle d’interface entre différents métiers envue d’un projet commun. Citons l’exemple desconstructeurs automobiles qui sont de plus en plusdes assembleurs, au point qu’on peut imaginerqu’ils peuvent devenir à terme uniquement desbureaux d’études, ou encore celui de la sociétéCisco dans le domaine de la nouvelle économie.

Cette stratégie d’externalisation présente plu-sieurs avantages qui expliquent à la fois son intérêtet sa montée en puissance :

l une réduction très significative des coûts (del’ordre de 15 % à 30 %, selon certaines études) ;c’est le cas d’un constructeur informatique qui aexternalisé sa logistique européenne et transféré750 salariés chez Geodis et qui attend de cettedémarche une réduction des coûts de l’ordre de30 % ;

l un accroissement de la flexibilité de l’entre-prise favorisant une meilleure réactivité et flexibi-lité face à la volatilité de la demande ;

l une réallocation des ressources concentrantl’investissement sur les activités centrales et straté-giques ;

l une opportunité de bénéficier du savoir-faireet des compétences des spécialistes tout en ayantun niveau d’exigence élevé à l’égard des sous-trai-tants.

Cependant, cette stratégie génère une multitudede risques qu’il convient d’évaluer et de prendre encompte.

Quels sont les risques ?Ces risques sont de différentes natures :

l Risques liés à l’approche stratégique desactivités : les fonctions exercées par l’entreprise etqui sont considérées comme non stratégiques à unmoment donné peuvent le devenir au regard del’évolution de l’activité et du marché. Ainsi, lalogistique est devenue une fonction stratégique etnon plus une affaire de techniciens. Par ailleurs,l’externalisation peut s’accompagner de transfertsde technologies parfois irrévocables et de perte desavoir-faire.

l Risques liés au contrôle de l’exploitation :l’externalisation peut modifier les rapports deforces entre l’entreprise et son prestataire enprovoquant un accroissement de la dépendance decelle-ci. Ainsi, beaucoup d’entreprises qui avaientconfié tout leur système de développement à desprestataires informatiques (facilities management)sont devenues dépendantes de ceux-ci. En outre,les activités externalisées ne sont pas toujoursexercées avec le niveau de qualité requis surtout sielles concernent des tâches peu qualifiées ; c’estpour précisément cette raison que Novotel aréintégré l’activité de nettoyage, transformant dès

lors « un poste de coûts en facteur de valeurajoutée ».

l Risques liés à la maîtrise de la rentabilité : bienque l’externalisation génère une réduction trèssignificative des coûts « visibles », elle provoque parailleurs un accroissement des coûts induits, « coûtscachés », qui sont souvent sous-estimés par lesentreprises. Ces coûts sont consécutifs à la nécessitéde mettre en place un dispositif de surveillance et decontrôle des activités sous-traitées (coordinationdes équipes, actualisation périodique des contrats,définition du cahier de charge, suivi des activités duprestataire). Par ailleurs, il n’est pas toujours facilepour le donneur d’ordre de maîtriser les élémentsde la facturation, ce qui a pour conséquence delimiter à terme les gains escomptés.

l Risques juridiques liés à la gestion du person-nel : bien que la loi autorise le transfert dupersonnel dans le cas d’une externalisation desactivités conformément à l’article L122-12 du codede travail qui impose au nouveau prestataire lareprise des contrats de travail, l’entreprise ne doitl’entreprendre qu’avec prudence. Ainsi, le transfertde services ou d’activités avec leurs salariés n’estadmis juridiquement que si ces activités sont desentités économiques autonomes, c’est-à-dire « unensemble organisé de personnes et d’éléments corpo-rels ou incorporels permettant l’exercice d’une acti-vité économique poursuivant un objectif propre ».Une société agroalimentaire qui souhaitait confierà un prestataire la fabrication de palettes de bois,accompagné d’un transfert de 52 salariés, vientainsi d’être déboutée par la cour de cassation suiteà un recours de la CGT. Le motif avancé est que lafabrication des palettes n’est pas une entité auto-nome. Le reclassement des 52 salariés au sein de lasociété a été exigé par la justice. Cette décision dela Cour de cassation limite ainsi l’usage de l’exter-nalisation comme outil de la flexibilité numérique,c’est-à-dire comme un moyen de manager seseffectifs.

Ce sont tous ces risques qu’il importe de gérerefficacement.

La maîtrise des risquesLa stratégie d’externalisation comme toute straté-gie est donc porteuse de risques. Ceux-ci nepeuvent être supprimés. Il convient néanmoins detrouver des mécanismes permettant de mieux lescerner et les maîtriser.

Une première approche dans la maîtrise de cesrisques consiste à repositionner toute préoccupa-tion à court terme dans une démarche prospective.Cette prise en compte du long terme nécessitel’adoption d’une stratégie qui place le client aucœur des réflexions. Dans ce contexte, la réductionrapide des coûts ne doit pas occulter les effets à

long terme sur la maîtrise des activités de l’entre-prise. Car la volonté affichée de réduire les coûtsrisque d’amener l’entreprise à transférer des activi-tés jugées périphériques mais qui contribuent indi-rectement à la satisfaction des clients. De même,une fonction conçue comme non décisive aujour-d’hui peut le devenir à terme compte tenu del’évolution de l’environnement des entreprises etde la demande. C’est ainsi que certaines entreprisesqui sous-traitaient la distribution de leurs produitsont repris en main cette fonction eu égard àl’importance de celle-ci dans la satisfaction duclient (connaissance du client, qualité de l’accueil,délais de traitement des demandes, etc.).

Quant aux aspects liés aux coûts et à la rentabi-lité induits par l’externalisation, il est nécessaired’adopter une approche comparative entre lescoûts externes (coûts de la recherche des parte-naires, de rédaction et de renégociation descontrats, coûts d’administration, de surveillance etde contrôle, coûts d’opportunités liés à l’immobili-sation de certains actifs…) et les coûts internes(coûts de coordination générés par la gestion desactivités qui sont aussi des coûts d’agence). Cettedémarche qui permet la prise en compte des coûtscachés facilite l’arbitrage entre intégration et exter-nalisation et se réfère à la théorie des coûts detransaction telle que développée par Coase etWilliamson.

Les stratégies d’externalisation mises en œuvrepar certains groupes comme Nike ou Benettonprocèdent de cette logique de maîtrise des coûts.

Enfin, au lieu de transférer directement uneactivité de l’entreprise chez un sous-traitant avec lerisque juridique énoncé précédemment, il peut êtreplus judicieux de procéder à une filialisation decelle-ci. Cette approche offre à l’entreprise plus desouplesse dans la gestion de son périmètre. Ellefacilite ainsi la cession de l’activité et le transfert dupersonnel en cas de besoin.

En conclusion, la montée de la complexité et del’incertitude qui caractérisent l’environnement desentreprises les amènent à mettre en œuvre desstratégies qui consolident leurs cœurs de métier,tout en sous-traitant les autres activités. Ces orien-tations visent principalement à réduire les coûts.Mais cet objectif immédiat ne doit pas faire oublierles risques inhérents à une telle stratégie, risquesqui expliquent en partie les politiques actuelles deréintégration des fonctions.

Ce mouvement présage-t-il d’une nouvelle ten-dance lourde ? Il est trop tôt pour le dire. Ce qui sedessine c’est une approche plus orientée vers lacréation de la valeur ajoutée : on ne cherche plussystématiquement à réaliser des économies enexternalisant ; on tente de privilégier le maintiendans l’entreprise des activités favorisant l’accroisse-ment des revenus grâce à leur contribution à lacréation de valeur.

Dans cette perspective, on peut soutenir qu’à uneapproche fondée sur la réduction des coûts doit sesubstituer une logique fondée sur la création de lavaleur. L’entreprise qui désire externaliser uneactivité doit avant tout mesurer et évaluer l’en-semble des risques d’une telle option et en particu-lier l’impact dans le temps d’une telle décision surla chaîne de création de valeur. l

Guy Bohbot est maîtrede conférences associéà l’universitéParis-XIII etmanager chezPricewaterhouseCoopersen charge de l’offre deformation en sciencesde gestion dans lecadre du e-learning.Il est par ailleursdirecteur de collectionau sein des éditionsGualino.

GuyBohbot

Bernard N’Gazo esttitulaire d’un DESSde gestion, d’un MBAet d’un doctoraten finance. Il estprofesseur àl’université de Paris-I(IAE de Paris)et consultanten organisationet en management.

BernardN’Gazo

Les Echos - mercredi 11 octobre 2000 5L’Art de la Gestion des Risques

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ous les acteurs de l’investissement re-connaissent qu’il s’agit là de l’indispen-sable et ultime épreuve de vérité dansl’exercice que constitue l’élaborationd’un business plan ; et plus particulière-ment pour ceux qui s’inscrivent dans ceTqu’il est reconnu d’appeler désormais la

nouvelle économie. Indispensable car c’est cettepartie qui assurera, ou non, la crédibilité du businessplan. Ultime, et capitale aussi, car c’est elle quiinfluera considérablement sur les « economics » duplan et sa validité financière.

Trois écueils, correspondant à trois situations quel’on retrouve traditionnellement, jalonnent cet exer-cice. « L’analyse croupion », qui est caractérisée parl’inexistence ou l’extrême faiblesse d’une identifica-tion de la nature et des effets des risques del’investissement. « L’exercice de style », une défor-mation astucieuse et performante du cas précédentcar elle répond aux canons d’un bon business plan. Ils’agit d’une analyse montrant que tous les risquesrecensés sont extrêmement faibles ou parfaitementmaîtrisés par l’équipe de management ; comme sicela était possible… Et enfin « le poème à laPrévert », qui propose une liste quasi exhaustive, etsouvent dramatique, des risques encourus par lesinvestisseurs, sans que pour cela il soit possible d’enmesurer les effets réels et l’importance relative. C’estce que l’on retrouve souvent dans les prospectusd’introduction au nouveau marché. Ainsi, dans celuide la société Netgem, un des leaders des solutionstechnologiques d’accès à l’Internet par la télévision,les introducteurs avaient recensés 19 natures derisques différentes ; seul manquait à l’appel le ratonlaveur…

C’est entre ces trois écueils qu’il conviendra denaviguer habilement dans cet exercice d’analyse desrisques ; en identifiant clairement ceux qui apparais-sent comme plausibles, en en analysant intelligem-ment les effets et en se concentrant sur ce que l’onconviendra d’appeler les « risques critiques », ceuxayant un impact majeur sur le projet.

Pourquoi l’analyse des risquesLa caractéristique d’un business plan est d’être laprojection d’une série d’actions dans le futur au seind’une activité donnée. Ce qui suppose une connais-sance éclairée et saine du futur. Or, ainsi quel’explique Frank H. Knight (« Risk, Uncertainty andProfit », 1921), « alors que nous percevons le mondeavant que nous y réagissions, nous ne réagissons pas àce que nous en percevons, mais à ce que nous eninférons ». Et nous inférons de deux manières diffé-rentes : sur ce que la situation future de l’activitéserait sans notre interférence et sur les changementsqui y seront apportés en raison de nos actions. Hélas,aucun de ces deux processus n’est infaillible, ni mêmeexact et complet. En inférant, nous sommes doncenclins à introduire deux sources d’erreurs. Lapremière concerne le futur projeté : nous déduisons

généralement le futur du présent, alors que, parailleurs, nous ne percevons pas toujours le présent telqu’il est réellement ; nous inférons aussi le futur àpartir de notre expérience du passé, nous appuyant laplupart du temps sur un raisonnement par analogie,certes utile mais assez primitif ; et, enfin, ne pouvant,pour des raisons de rationalité limitée, considérertous les futurs possibles, nous avons une naturelletendance à retenir celui qui répond le mieux à nosobjectifs et à notre expérience. La seconde sourced’erreurs est liée aux actions que nous envisageons :nous ne pouvons pas connaître exactement lesconséquences de nos propres actions ; nous ignoronsgénéralement ou faisons l’impasse sur les réactionsdes autres acteurs de l’activité face à nos actions ; et,surtout, la réalisation de nos actions est souvent loind’être celle que nous projetions. Ce sont tous cesrisques qu’il convient d’identifier et de mesurer etc’est en raison même du fonctionnement de la naturehumaine qu’une analyse des risques est impérativedans un business plan.

Mais le terme de risques est-il même adéquat etautorisé dans le cas d’un business plan ? Dès lors quel’on parle d’analyse des risques, on imagine aisémentque le concept de probabilité sera, à un moment ou àun autre, utilisé en tant qu’outil. Or il existe troisgrandes catégories de situations de probabilité :

l La probabilité « a priori », purement mathé-matique, liée à l’existence de cas ou situationsabsolument homogènes, identiques et parfaitementprévisibles ; c’est l’exemple des dés ou des cartes àjouer.

l La probabilité statistique qui repose sur unetypologie empirique de cas et l’évaluation de lafréquence d’association entre deux prédicats. Lerisque de feu dans une usine chimique par exemple,ou celui de mort par cancer de la gorge, sont liés à destables statistiques construites de manière adéquatesur la base de nombreuses informations du passéaccumulées et sans cesse actualisées.

Il s’agit là de deux types de probabilité objectivequi concernent des « incertitudes mesurables » quenous pouvons qualifier de risques puisqu’ils sontparfaitement ou approximativement calculables ; cequi est loin d’être le cas pour la troisième catégorie.

l L’estimation, qui intervient dès lors qu’iln’existe aucune base scientifique permettant declasser les différents cas possibles ou quand lasituation en question est unique. Il s’agit de « juge-ment » de probabilité et l’on procède alors à « uneestimation d’estimation » dans la mesure où il fautsuccessivement inventer une estimation et estimer savaleur.

Or la plupart des situations de business plancorrespondent à cette troisième catégorie de proba-bilité, totalement subjective et qui, correspondant àdes « incertitudes non mesurables », ne mérite pasl’appellation de probabilité. Pas plus qu’il neconvient dans ce cas de parler de risques mais, pourêtre honnête et logique, seulement d’« incertitudes ».Loin de moi cependant le plaisir de transformer cetarticle en cours de sémantique ou de logique. Jecontinuerai comme je l’ai fait auparavant, par simpli-fication et mimétisme avec la doctrine dominante, àutiliser le vocable « analyse de risques ». Il n’en restepas moins que cette réflexion prouve à l’envi quetous les efforts de calcul de probabilité et d’effets desrisques restent subjectifs et donc très questionnables.S’ils donnent un caractère professionnel et rassurantà un business plan, il convient cependant de forte-ment les relativiser. Ils ne sont pas la vérité, mais unevision possible de la réalité. Et c’est bien parce quedans un business plan on traite d’incertitude et quec’est le manque de perception et l’inférence quicontribuent plus que toute autre chose à des échecssystémiques que l’on doit, dans cet exercice, donnerplus d’importance au processus d’identification des

possibles qu’à celui de l’estimation de leur probabi-lité de survenance et de leurs effets.

L’identification, phase clefLe plan que l’on peut recommander pour une analysepertinente des risques au sein d’un business plan sedécompose en sept étapes :

l Identifier tout d’abord tous les risques plau-sibles, et tout particulièrement ceux directement liésaux hypothèses clefs fondant les états financiers quivont suivre.

l Définir les étapes critiques du plan opérationnelafin de pouvoir le découper en autant de phases definancement et limiter ainsi le risque de chaqueétape.

l Mesurer, par le biais d’une analyse de sensibi-lité, les effets de chacun des risques envisagés sur les« economics » du plan.

l Estimer la probabilité de survenance de chacunde ces risques.

l Classifier les risques selon leur probabilitéd’occurrence et leur degré d’impact sur le businessplan.

l Donner le plus de robustesse possible au scéna-rio nominal, en l’adaptant aux situations de risque lesplus probables.

l Concevoir des scénarios alternatifs adaptés àdes situations de risque à forts impact et occurrence,et des plans de contingence pour les cas exception-nels.

Comme il l’a été déjà indiqué, la première de cesphases est capitale. Il est essentiel d’accepter l’incer-titude, de chercher à la comprendre et de l’intégrerdans notre raisonnement. Cela paraît évident, etpourtant regarder l’incertitude droit dans les yeuxn’est pas le réflexe premier des managers. Parfaiblesse, optimisme ou ignorance volontaire, ils ontune naturelle tendance à gommer les risques inhé-rents à leurs projets. Or tout projet repose sur unnombre important d’hypothèses de base, sourcesd’erreurs et de risques qui ne peuvent être analysés sices hypothèses ne sont pas d’abord clairementexprimées. C’est pourquoi cette phase d’identifica-tion est clef. Il n’existe hélas pas de recette miraclepermettant de recenser à coup sûr toutes les hypo-thèses et tous les risques inhérents à un projet. Onpeut cependant s’appuyer sur une méthode et uneliste type.

La méthode est directement liée au processusd’inférence, source naturelle d’erreurs, précédem-ment décrit, et peut se représenter comme l’indiquela figure 1.

Concernant par exemple les hypothèses générale-ment optimistes sur la croissance de l’activité, va-riable clef s’il en est dans la nouvelle économie, forceest de constater que la plupart des business planstombent dans l’un des quatre défauts classiques de laprévision :

l Estimer le futur en regardant dans le rétrovi-seur, ce qui suppose un marché parfaitement stabiliséet ignore les cycles de vie.

l S’appuyer sur des comparaisons internationales,en privilégiant le marché le plus avancé, générale-ment celui des Etats-Unis, et démontrer ainsi despotentiels de croissance importants du seul fait durattrapage, mais sous réserve que les conditions demarché soient bien similaires (sinon le potentiel demarché de la publicité en Sierra Leone est phénomé-nal).

l Accorder trop de confiance au dire des expertsen prévision et oublier que ceux-ci ne font souvent,dans leurs études chèrement facturées, que refléter lavision dominante et partagée des acteurs du métier.

l Et enfin présenter des chiffres optimistes sansjustification. Certes, tous s’accordent à reconnaîtreque des prévisions restent incertaines. C’est pourquoile meilleur remède à cette inquiétude est de présen-ter des hypothèses justifiées, reposant sur un croise-ment de différentes sources d’information et privilé-giant, par sécurité, les moins optimistes.

L’analyse des risquesd’un business plan

Pour réussir une analyse pertinente des risques au sein d’un business plan, on peutrecommander de suivre un plan qui se décompose en sept étapes dont la première,

l’identification, est capitale. Méthodes et moyens pour y parvenir.Michel Santi estprofesseur permanentde stratégie et politiqued’entreprise au GroupeHEC et coauteur de« Strategor » et« Fortune faite ».Conseil, membre del’Advisory Board,administrateur denombreuses entreprisesfrançaises eteuropéennes et ancienprésident d’un club decréateurs d’entreprises,il œuvre depuis plus devingt ans dans ledomaine del’entrepreneuriat etenseigne un électif surle business plan à l’ISA,MBA du Groupe HEC.

MichelSanti

6 Les Echos - mercredi 11 octobre 2000L’Art de la Gestion des Risques

MICHEL SANTI

Les différents types d'hypothèses et de risques Figure 1

Hypothèses surl'état futur de l'activité

considérée en elle-même(croissance, réglementation,

prix, compétition...)

Hypothèses surl'état futur de l'activité en intégrant

les effets des actions engagées(croissance, prix, compétition...)

Hypothèses liées au businessmodel : sa validité, ses données et

chiffres clefs, ses effets

Hypothèses concernantla validité, les coûts et les effetsdes principaux moyens prévus

dans le plan opérationnel

Risques

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Quant à la liste des risques critiques possibles, ellepeut se présenter ainsi :

l Risques liés à l’activité : mauvaise estimation dela dynamique du marché, erreurs sur les forces etdrivers de la compétition, sous-estimation de lacompétition sur les prix (réactions des compétiteurset arrivée de nouveaux entrants).

l Risques stratégiques et commerciaux liés aubusiness model : business model inapproprié oustérile, incapacité à délivrer un produit global etreproductible, réseau insuffisant, ciblage inexistantou erroné, cycle de vente sous-estimé.

l Risques liés à l’équipe et aux hommes : incapa-cité à constituer une équipe de management adaptéeet complémentaire, à recruter les qualifications clefs,à adapter les individus et l’organisation aux change-ments nécessaires.

l Risques technologiques et techniques : erreurou surestimation dans les choix technologiques,incapacité à délivrer dans les temps (« time todevelop », « time to market »), surestimation del’effet d’apprentissage.

l Risques organisationnels : sous-estimation del’importance et des coûts de l’organisation logistique− flagrante dans la plupart des projets de e-businessde produits en B2C et B2B −, inaptitude à gérer unimportant réseau de fournisseurs et partenaires,incapacité à mettre en œuvre des business processopérants.

l Risques financiers : sous-estimation du besoinen fonds de roulement, sous-capitalisation, exposi-tion au risque de change, point mort trop élevé etéloigné.

l Autres risques : écologiques, réglementaires…Que retenir de cette liste, sinon son incomplétude

et cependant sa longueur qui ressortent d’autant plusqu’étant générale elle est à adapter à chaque businessplan. L’exercice est donc fastidieux, mais il estessentiel pour la suite de l’analyse.

Le « milestone planning »La méthode du « milestone planning » permet de« dérisquer » un business plan. Elle consiste àdécouper un projet en différentes étapes critiquespar lesquelles il devra passer successivement pouratteindre sa vitesse de croisière. C’est une méthodetrès utilisée dans la plupart des entreprises decroissance et d’innovation renouvelée et elle a faitses preuves. 3M en est le chantre s’il n’en est lecréateur.

C’est une méthode parfaitement adaptée au cas dela plupart des start-up innovantes car elles traversentun nombre limité d’étapes critiques dans leur lance-ment, chacune ayant la possibilité d’affecter l’en-semble du projet de manière binaire et dramatique(succès ou échec). Par exemple, dans le secteur del’instrumentation scientifique, la propension desacheteurs à la substitution en faveur des innovationsétant naturellement très forte, la première réactiondu marché à un instrument nouveau est critique carelle conditionne son échec rapide ou son succès àmoyen terme.

Le jeu consiste donc à recenser les différentesétapes critiques et leurs points sensibles ; commedans l’exemple générique d’une start-up de progicielsprésenté en figure 2.

Le simple fait d’identifier, au travers de ce proces-sus de « milestone planning », les principales etsuccessives étapes critiques du projet permet de :

l Représenter la course d’obstacles − un110 mètres haies compte tenu de la vitesse qu’il fautdésormais atteindre pour prendre sa place au soleil etde l’importance clef du facteur temps dans la nou-velle économie − que le projet devra franchir avantd’être considéré comme un succès.

l Déterminer les hypothèses clefs qui sous-ten-dent chacune de ces étapes critiques.

l Pouvoir tester et valider, successivement et dansle bon ordre, ces hypothèses clefs à l’occasion dechacune des phases et pouvoir ainsi engager unprocessus progressif de stop, go ou réorientation duprojet, bénéfique à toutes les parties prenantescompte tenu de l’incertitude latente dans laquelleelles se trouvent.

l Limiter ainsi les risques pris puisque lesinvestisseurs et les managers n’investiront que lesseuls moyens nécessaires pour réaliser l’étapeconsidérée. Ce qui les conduit souvent, comptetenu des sommes limitées en jeu, à investir un peuplus que nécessaire et à faciliter, ce qui est essentieldans la nouvelle économie, le possible passagerapide de l’obstacle. Ils repoussent ainsi la pro-chaine phase de financement et la soumettent à lafois au franchissement de l’obstacle en cours et à laprésentation d’un nouveau plan adapté et naturel-lement plus pertinent pour la prochaine étape.Cette méthode s’assimile à celle de l’option finan-cière. Car le principe de l’option consiste à « payerpour voir », en investissant légèrement pour sedonner la possibilité ensuite de lever l’option dansle cas où les perspectives se révèlent intéressantes

et lorsque le projet atteint plus de visibilité etréduit son degré de risque.

Recenser les risques critiquesEvaluer l’impact des risques identifiés suppose l’exis-tence d’un modèle de simulation financier construitsur mesure de façon à pouvoir tester l’influence dechacune des hypothèses clefs fondant le business plan.Croire qu’il suffit de présenter dans un business plandes états financiers types construits de manièreclassique et simple, même s’ils sont cohérents avec lesdonnées de base du projet, constitue une doubleerreur. D’une part parce que cela ne permettra pasaux initiateurs du business plan de tester rationnelle-ment les risques de leur projet, d’autre part car c’estignorer que les investisseurs intéressés, lors desphases d’évaluation et de négociation, ne manquerontpas de demander aux porteurs du projet de revoir leurcopie et de simuler l’effet de telle ou telle modifica-tion d’une, et généralement plusieurs, des variablesclefs du projet. Alors, autant immédiatementconstruire un modèle de simulation adapté au projetet facilitant le test de ses hypothèses et variables clefs ;données qui proviennent, comme nous l’avons vu, desanalyses successives du « milestone planning », del’activité en elle-même, du business model et du planopérationnel et financier qui s’ensuit.

La plupart des rédacteurs actuels des business planssérieux ont intégré cette approche. Ils utilisent lesservices, ô combien précieux, des tableurs modernesqui permettent de lier les variables et hypothèses debase de leur modèle, recensées sur une des feuilles,avec des états financiers construits de manière per-sonnalisée et adaptée sur la base d’états types. Encorefaut-il que cette construction permette effectivementet correctement de tester toutes les hypothèsesvraisemblables. Et c’est souvent loin d’être le cas.D’une part parce que le travail de recensement n’apas été mené à terme − mais un recensement exhaus-tif est il possible ? D’autre part parce que, pour desraisons de simplification et de sous-estimation apriori, certaines des variables apparaissent aux por-teurs du projet moins nécessaires ou moins clefs.

Pour se situer sur le plan des hypothèses commer-ciales par exemple, on voit ainsi beaucoup debusiness plans où la part de marché ou le volume desventes et parfois, mais hélas plus rarement, l’évolu-tion des prix (toujours déclinante) et des marges ontété identifiés comme variables clefs du modèle etpourront donc être testés. On voit en revanchebeaucoup moins de business plans, et je reprendraicomme exemple illustratif celui de la start-up deprogiciel applicatif de la partie précédente, où leshypothèses sur le temps d’obtention du premierclient réel, la durée du cycle de vente, le volume deventes par ingénieur commercial… sont partie inté-grante de la construction du modèle financier. Parcequ’il s’agit là de variables qui, étant plus opération-nelles que stratégiques, sont moins visibles et parais-sent moins importantes ; bien que je sois certainqu’aucun des lecteurs ne doutera de leur importancedans le succès du projet. Cette simple illustration, quiaurait pu concerner un secteur d’activité différent ouune autre nature de risques (technologiques parexemple), prouve à l’évidence que la construction dumodèle de simulation financier doit intégrer toutesles hypothèses fondant le business plan.

Car c’est sur la base de ce modèle de simulationque l’on va pouvoir désormais mener des analyses desensibilité de chacune de ces variables pour mesurerleur impact sur les « economics » fondamentaux duprojet : résultat opérationnel, cash-flow, valeur ac-tualisée nette (VAN) et taux de rendement interne(TRI). On peut, bien entendu, faire varier pas à pasles valeurs de chaque variable et noter à chaque foisl’impact sur ces « economics » donné par le tableur. Ilexiste heureusement des outils de type statistique,fondés sur des méthodes dites d’analyse de risquesprobabilistique, qui économisent cette démarchefastidieuse et fournissent des résultats rapides etpertinents. Tout particulièrement des logiciels trèsconviviaux utilisant la méthode dite de Monte-Carloqui permettent de calculer scientifiquement la sensi-bilité des « economics » fondamentaux à la variationd’une, ou plusieurs conjuguées, des variables clefs.En jouant sur toutes les variables, cet outil permet decalculer un taux de rendement interne moyen duprojet, ou une valeur actualisée nette moyenne, et sadistribution au travers de son écart-type. Remar-quons que si la moyenne est l’indicateur générale-ment utilisé, c’est pour nous l’écart-type qui a le plusde valeur, car il est significatif de la volatilité durésultat et donc du degré de risque inhérent auprojet. Il est intéressant de procéder à cette analyseglobale car elle fixe bien le niveau de risque moyen,mais il est encore plus utile d’utiliser cette méthodepour analyser l’impact, au travers de la moyenne etsurtout de l’écart-type du TRI ou de la VAN, dechacune des variables et hypothèses clefs du projet.On peut ainsi se rendre compte, comme dans le casd’un projet de start-up d’équipement automobile en

Europe de l’Est, que la sensibilité du projet à unebaisse des prix était trois fois plus importante qu’àcelle d’une baisse des volumes. Une informationcapitale pour le projet et pour l’analyse de sesrisques, qui a conduit à la fois à la mise en placeimmédiate d’un système rapide d’intelligence écono-mique sur les prix de marché et à l’élaboration d’unepolitique marketing, en particulier au niveau de lagamme de produits développée, réduisant l’exposi-tion prix du projet.

En pratiquant ainsi, on aboutit en fin de compte àun classement, en termes d’impact sur le projet, desvariables liées aux hypothèses clefs qui éclaire lessituations de risques et permet de se concentrer dansla suite de l’analyse sur ce que l’on conviendrad’appeler les risques « critiques », ceux ayant unimpact majeur sur le plan financier.

Reste alors à estimer le degré de vraisemblance etd’occurrence de ces risques critiques. C’est, il fautbien le reconnaître, la partie de l’analyse la plussubjective, la plus hasardeuse et la plus difficile. Caron manque de référent pour la pratiquer, chaqueprojet étant un cas unique ou, pour être plus exact,un ensemble complexe de situations particulières. Onentre de plain-pied dans le domaine des pures« estimations ». Ce n’est pas pour cela qu’il convientcependant de court-circuiter ou de traiter à la va-vitecette phase. A l’inverse, c’est probablement celle quidemande le plus d’attention afin d’essayer d’« objec-tiver » le plus sérieusement possible une estimationd’occurrence des risques critiques. Pour chacun deces risques, une analyse détaillée doit être menée : deses conditions de survenance, des forces et drivers del’activité pour les risques de marché (barrières àl’entrée, coûts de transfert et habitude de rétorsiondes acteurs existants par exemple pour les hypo-thèses de part de marché et de niveau de prix), desrègles expérimentales et spécifiques qui ont étéélaborées dans le temps sur certains phénomènes(application d’un coefficient p à la première estima-tion du temps et du budget de développement prévupour un produit ou service innovant par exemple)…Il s’agit en fait de « justifier », par une analysepertinente, un processus de benchmark et des faitsrecoupés, l’estimation de l’occurrence de chaquerisque critique. Point n’est besoin cependant deprobabilités précises, ce qui constituerait un purexercice de style ; des ordres de grandeur suffisentlargement. Trois à cinq niveaux de risque (de trèsprobable à très peu probable) paraissent une bonneéchelle, même si, dans la suite de cet article et pourdes raisons pédagogiques, sera utilisée une classifica-tion binaire (fort-faible).

Un autre avantage induit de ces deux typesd’analyse est qu’il conduit tout naturellement às’interroger sur les actions qui permettraient deréduire l’occurrence ou les impacts des risquescritiques ; soit en modifiant les valeurs des hypo-thèses, soit en mettant en œuvre des moyens origi-naux limitant la survenance ou contrecarrant leseffets des risques. GenOway, une start-up françaiseleader dans la génétique fonctionnelle (réalisation demodèles de recherche transgéniques in vivo et invitro), a procédé ainsi dans son business plan vis-à-visde deux risques critiques qu’elle avait identifiés :celui de ne pas réussir à produire des modèlestotalement conformes aux exigences de ses clientslaboratoires pharmaceutiques et celui de ne pouvoirassumer son développement prévu en raison d’unepénurie probable d’un type de personnel scientifiqueextrêmement qualifié et rare. Dans le premier cas, ens’identifiant clairement pour ses clients à une entre-prise de recherche scientifique, elle a pu éviterl’obligation de résultats et ne signer, conformémentaux coutumes de la recherche, que des contrats àobligation de moyens. Quant au second risque, elle acherché et réussi à en limiter l’occurrence, d’une part,en passant un accord de collaboration étroit avecl’ENS Lyon, un des centres européens les plusavancés dans le domaine, et, d’autre part, en consti-tuant un « scientific board » regroupant les spécia-

Les Echos - mercredi 11 octobre 2000 7L’Art de la Gestion des Risques

Principaux « milestones » d'une start-up de progicielsFigure 2

Obtenir l'accordde 2 entreprisessignificativesacceptant dejouer le rôlede bêta sites

Aucun délai ouproblème dansle développementde la 1re « release »vendable

Des ventesréussies et unebonne pénétrationdans le segmentcible prioritaire

La capacité àdévelopperun réseau pertinentde complémenteurset de partenaires

Aucun problèmede développementd'une offre globaleet « scalable »pour tout lemarché

Obligatoireavant la

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Elaborer les scénariosLa méthode des scénarios est naturellement la plusadaptée aux start-up innovantes de la nouvelleéconomie, car, comme l’expliquent Russ et Honton(« Scenario planning : what style should you use ? »,Long Range Planning, 1987), « les scénarios consti-tuent les seuls outils autorisant la prévision dans desenvironnements et des activités complexes, à hautniveau d’incertitude et nécessitant une approche longterme »; trois caractéristiques majeures de tels pro-jets. Cette méthode, si elle est bien appliquée etbien qu’elle soit gourmande en énergie et en temps,est d’une grande utilité pour générer des alterna-tives et les plans qui y sont liés. Avec cependantdeux contraintes qui conditionnent sa validité : quechaque scénario soit structuré sur la base d’une ouplusieurs des hypothèses critiques et qu’il constitueen lui-même une représentation consistante et vrai-semblable d’un futur possible. C’est pourquoi lameilleure option, comme le propose J. Foster(« Scenario planning for small businesses », LongRange Planning, février 1993), est « de concevoirune stratégie optimale adaptée au futur le plusprobable, mais en prévoyant des voies d’échappe-ment alternatives et de contingence ». L’analyse desrisques critiques, menée dans la partie précédente,

conduit naturellement à une telle démarche. Il suffitde positionner les risques dans une matrice d’éva-luation à deux dimensions, leur probabilité d’occur-rence et le niveau d’impact sur le projet, telle quereprésentée dans la figure 3.

Le scénario nominal est naturellement celui quicorrespond au futur le plus vraisemblable et le plusespéré, selon les auteurs du business plan. On peuttrès simplement en accroître la robustesse − sacapacité à résister aux risques − en y intégrant deschoix et des mesures limitant très fortement lesrisques à faible impact et forte probabilité de surve-nance. Il suffit de retenir des valeurs plutôt pessi-mistes, que la plupart des investisseurs jugerontréalistes, sur les hypothèses concernées. Il est d’au-tant plus intéressant de procéder ainsi que l’on peutdémontrer que l’on réduit effectivement le niveauglobal de risque alors que l’on sait que cetteréduction a peu d’effet sur la valeur du projet. Maisl’on doit également, et ceci tout particulièrementpour les risques correspondant aux premières étapes« milestones », intégrer certains des risques à forteoccurrence et haut niveau d’impact. Ainsi, dans lebusiness plan de genOway dont nous avons déjàparlé, alors que l’obtention du premier grand contratavait initialement été prévue six mois après ledémarrage et que la durée de production d’unmodèle avait été établie en fonction des référencesdes meilleures de l’ENS Lyon, les valeurs retenuesdans le scénario nominal ont été fixées au doublepour la première variable et à 25 % de plus pour laseconde. Certes, ceci avait un effet sur la valeur duprojet, mais donnait, en prenant ces sécurités et cesprécautions, plus de consistance au scénario nominalqui devenait alors la base d’évaluation et de négocia-tion vraisemblable pour les investisseurs.

Les scénarios alternatifs sont, eux, construits sur labase des risques hautement probables et à fort effetqui n’ont pas été intégrés dans le scénario nominal. Laplupart du temps, il est possible d’en concevoir deuxou trois correspondant à des situations types combi-nant de manière cohérente et liant des estimations− favorables ou défavorables − sur certaines desvariables critiques. Ainsi, actuellement, pour desstart-up de progiciels d’application, il est particulière-ment pertinent de concevoir des scénarios alternatifsfondés sur une estimation de la vitesse de réaction etd’acceptation des marchés à l’activité d’« applicationservice provider » (progiciels accessibles par lesclients sur des serveurs propres et facturés à l’utilisa-tion). En tout état de cause, il faut ranger au grenierl’approche classique, dépassée et si enfantine des troisscénarios − optimiste, vraisemblable et pessimiste −qui ne s’appuyait, la plupart du temps, que sur la

variation d’une seule hypothèse, la plus évidente etrarement la plus pertinente. Chaque scénario alterna-tif, correspondant à une situation typée, doit enrevanche être pleinement développé tant dans sondescriptif que dans le plan que l’équipe mettra enœuvre s’il se produit, afin qu’il puisse être pris encompte dans les négociations avec les investisseurs.

Quant aux plans de contingence, ils correspondentà des situations de risque à très fort impact, maisfaible probabilité de survenance. Ce sont en quelquesorte des plans de sécurité, comme dans les centralesnucléaires, au cas où le risque, très improbable,surviendrait. Ce n’est pas pour cela qu’il convientuniquement de les identifier. Il faut les analysersoigneusement et être ainsi capable de proposer desréponses préemptives claires pouvant être mises enœuvre très rapidement, au cas où, et limitant deseffets souvent dramatiques. La prévision étant parnature un exercice non scientifique, il ne faut jamaisoublier de considérer quoi faire dans le cas où nospires craintes se réaliseraient.

Certains ont cherché à « scientifiser » cette mé-thode en affectant à chacun des scénarios uneprobabilité de survenance (la somme étant égale à 1),en utilisant pour chaque scénario un taux d’actualisa-tion différent et cohérent avec sa propre situation derisque et en calculant, en final, une espérance devaleur actualisée nette du projet. C’est encore unefois un bel exercice de style. Il a cependant deuxavantages : il fait sérieux, ce qui est important dansles rapports avec les capital-risqueurs, et il est utilecar il donne une valorisation de référence pour lanégociation. Il n’est cependant pas nécessaire pourdéclencher l’intérêt et l’enthousiasme de ces der-niers ; élément essentiel du décollage de toute start-up qui se respecte. l

es sociétés diversifiées choisissent derépartir leur capacité de productionentre différents pays et secteurs, ce quileur permet de minimiser leur dépen-dance par rapport à un marché quel-conque. Mais, comme de plus en plusLde conglomérats cherchent à diviser

leurs activités et à concentrer leurs efforts sur leursprincipales opérations, ceci remet en question lavaleur de la diversification en tant qu’actif intan-gible.

En 1996, la société britannique Hanson emboîtaitle pas aux géants américains ATT et ITT etannonçait le démantèlement de son affaire d’unevaleur de 11 milliards de livres sterling. La stratégiede diversification appliquée jusque-là par Hansonavait pour but de minimiser son exposition auxcycles en opérant dans plusieurs secteurs. Sous ladirection de lord Hanson et lord White, ses deuxfondateurs, ce conglomérat avait poursuivi unepolitique d’acquisition active pendant trente ans.Toutefois, en 1995, les actions Hanson sous-perfor-maient de 50 % le FTSE 100, et la société subissait

de sévères pressions de la part de ses actionnaires.Depuis la scission, les actions de Hanson secomportent bien et ne cessent d’afficher des perfor-mances supérieures aux résultats attendus.

Au moment de la rédaction de cet article, leconglomérat britannique Tomkins, qui possède demultiples activités, était poussé par ses investisseursà suivre les traces de Hanson et à se démanteler.Depuis qu’il a racheté Ranks Hovis McDougall, sadivision alimentaire, sa performance est de 70 %inférieure au marché. Même Gerry Robinson deGranada, qui a toujours nié avec beaucoupd’aplomb son étiquette de « conglomérat », envi-sage de scinder son groupe en deux : hôtellerie etrestauration, d’une part, et médias, d’autre part.

Qu’est-ce qui est à l’origine de ces changementsde stratégie ? Pendant les années 80, les conglomé-rats ont proliféré pour être démantelés ensuitepièce par pièce dans les années 90. Même si cesstratégies étaient toutes deux pratiquées au nom de

la création de valeur, cet article montre que laseconde a été mise en œuvre surtout pour corrigerles erreurs de la première.

Que dit la théorie ?Les universitaires qui ont abordé le thème de ladiversification au cours de ces cinquante dernièresannées ont soutenu qu’elle possédait les avantagessuivants :

− réduction de la variance du portefeuille desinvestisseurs ;

− amélioration de la capacité d’endettement del’entreprise ;

− réduction du risque lié à l’emploi ;− meilleure efficacité opérationnelle.

l La théorie du portefeuilleL’économiste Harry Markowitz aux Etats-Unis aécrit un article en 1952 qui a changé le mode depensée sur la diversification. Il a déclaré que lesactionnaires pouvaient réduire la variance de leurretour sur investissement en détenant un porte-

Avantages réelsde la diversification

Au nom de la création de valeur, des empires industriels bâtis dans les années 80sur le principe de la diversification des activités ont été démembrés une décennie plus tard.

La diversification géographique, elle, plaît toujours aux actionnaires.

Ultime épreuve de vérité pour un businessplan et source naturelle de la valorisationd’un projet, la phase d’analyse des hypothèsesclés et des risques critiques est cependant trèssouvent peu et maltraitée. Il est vrai qu’il estdifficile et déplaisant, pour des porteurs deprojet, de regarder l’incertitude et les risquesdroit dans les yeux. C’est pourtant, après unepremière partie plutôt théorique expliquantles sources d’erreurs, les raisons et les fonde-ments des risques, ce que recommande impé-rativement l’auteur. Et il donne des méthodeset des moyens pour faciliter leur identificationet leur expression. Il explique ensuite com-ment il est possible de « dérisquer » un projet,en recensant ses étapes clés et liant desfinancements différents au franchissement

réussi de chaque étape. Tous les risques nepouvant, hélas, être éliminés ou contraints,l’auteur, par des méthodes simples, conseillede procéder à une analyse permettant depositionner les risques sur une matrice à deuxdimensions : leur probabilité d’occurrence etleur impact sur les « economics » du projet.Cette façon de procéder introduit une nou-velle approche de la méthode des scénarios,permettant d’identifier et de développer unscénario nominal robuste, 2 ou 3 scénariosconsistants et cohérents alternatifs et desplans de contingence. Munis de ces outils, lesporteurs de projet de start-up, et tout particu-lièrement ceux concernés par la nouvelleéconomie, peuvent aborder avec confiance lescapitaux risqueurs qui les attendent.

Résumé

8 Les Echos - mercredi 11 octobre 2000L’Art de la Gestion des Risques

DEBORAH J. PRETTY ET RORY KNIGHT

A intégrerdans le

scénarionominal

Scénariosalternatifs

Sansintérêt

Plans decontingence

Forte

FaibleFaible Fort

Impact sur les « economics »du projet

Figure 3

Probabilitéd'occurrence

Matrice d'évaluation des risques

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feuille diversifié. A partir du moment où le rende-ment des actions n’est pas parfaitement corrélé, lavariabilité du revenu d’une action peut compensercelle d’une autre. Dans ce cas, on limite ipso factola variance globale d’un portefeuille d’actions noncorrélées.

La théorie du portefeuille de Markowitz montreque la diversification par les investisseurs éliminepotentiellement le risque associé aux attributsparticuliers d’une société donnée, c’est-à-dire lesrisques uniques, spécifiques et non systématiques.On peut supprimer presque entièrement les risquesnon systématiques en investissant dans un porte-feuille de marchés puisqu’il s’agit d’un investisse-ment pondéré par toutes les actions. Même lespetits investisseurs peuvent se constituer un porte-feuille diversifié avec de faibles coûts de transactionen investissant dans un fonds commun de place-ment. Un bon substitut au portefeuille de marchés.Cependant, la stratégie de diversification ne permetpas d’éliminer les risques liés aux facteurs écono-miques exogènes qui affectent le marché dans sonensemble − risques du marché − puisque, par défi-nition, ceux-ci touchent toutes les actions de lamême manière (la seule parade, dans ce cas, est unediversification géographique).

Si la diversification opérée par les investisseursest un comportement économique rationnel, lathéorie du portefeuille montre que la diversifica-tion de l’entreprise fait double emploi puisque lesinvestisseurs peuvent diversifier leur propre porte-feuille de façon moins onéreuse et plus efficace surle marché boursier. En particulier, une société neréduit pas le coût de son capital par la diversifica-tion ou d’autres techniques de couverture.

l La structure du capitalUne société diversifiée engendre différents types

de gains qui, parce qu’ils ne sont pas parfaitementcorrélés, assurent une certaine stabilité aux résul-tats consolidés au niveau du groupe. Si une sociétédiversifiée limite davantage la variance des retourssur investissement qu’une société équivalente spé-cialisée, elle représente un risque plus faible pourceux qui lui prêtent du capital. Ces derniers ontdonc intérêt, sur le plan économique, à investirdans des diversifications. En réduisant la volatilitédu cash-flow, la diversification diminue la probabi-lité de non-remboursement des prêts et minimise lerisque de crédit.

l Le risque lié à l’emploiLes dirigeants hostiles au risque recherchent la

stabilité dans la rémunération et la sécurité del’emploi, deux facteurs liés à la performance de lasociété. Si les actionnaires peuvent toujours diversi-fier les revenus de leurs investissements, il n’en vapas de même pour les dirigeants avec l’emploi.Ceux-ci ont donc intérêt à diversifier les entreprisesqu’ils contrôlent pour réduire le risque. Et ils sontde préférence favorables à la diversification quandil y a peu de mobilité sur le marché de l’emploi.

A partir du moment où cette technique n’affectepas la rentabilité prévue de la société, on peutencore optimiser la valeur pour les actionnaires.Mais, si la diminution du revenu probable desactions est le prix à payer pour réduire les risquesliés à l’emploi, alors les actionnaires auront intérêtà inciter les managers à changer de politique. Etantdonné que la capacité des actionnaires à contrôlerle management n’est pas parfaite, il est probableque d’autres occasions de destruction de valeursubsisteront.

l L’efficacité opérationnelleA partir du moment où les actifs d’une société

− tangibles ou intangibles − servent à produire plusd’un type de biens ou de services ou sont employésdans plus d’un site, on peut réaliser des économiesd’échelle. Parmi les actifs tangibles, on peut inclureceux qui engendrent des biens pour lesquels lademande est saisonnière, variable ou confrontée àun déclin séculaire, ou encore les actifs immobilisésavec un excès de capacité de production ; les actifsintangibles, eux, englobent l’expertise managériale,le savoir technique, les systèmes de distributionexistants et la survaleur.

De plus, comme l’a suggéré René Stulz de l’OhioState University en 1990, l’accès à des cash-flowssans coût par les sociétés diversifiées peut lesconduire à effectuer des investissements dont lavaleur diminue, ou des placements dans des mar-chés où elles ont peu de chances d’obtenir unerentabilité satisfaisante. Les effets négatifs poten-tiels des financements croisés dans les entreprisesdiversifiées se manifestent notamment quand desdivisions défaillantes sont soutenues à l’intérieur duconglomérat. L’effet net de ces théories de diversi-fication sur la performance de la société resteconfus.

Diversification ou répartition ?Cette partie éclaire les théories ci-dessus à l’aided’études réalisées en Grande-Bretagne. Nous avonsanalysé la diversification (par segment et par régiongéographique) sous l’angle de la valeur pour lesactionnaires d’un portefeuille composé des 500 plusgrandes sociétés non financières du Royaume-Uni.Les résultats montrent que la plupart des avantagesprécités n’existent pas ou ne se matérialisent pas.En revanche, les sociétés semblent bénéficier enmoyenne d’une survaleur manifeste grâce à ladiversification géographique.

Le rendement annuel anormal des actions d’unesociété et son coefficient de capitalisation desrésultats incarnent sa valeur pour les actionnaires.Le premier reflète la mesure dans laquelle lasociété a « superformé » ou « sous-performé » pen-dant l’année. Ce rendement est ajusté par lesrisques et ne tient pas compte des influences dumarché dans son ensemble. La figure 1, ci-dessus,illustre le rendement moyen anormal des sociétéspour différents niveaux de diversification des activi-tés. Celui-ci est présenté par rapport au nombre desegments indiqués (NSEGREP) et illustré par lenombre de codes SIC (Standard Industrial Classifi-cation) assignés aux opérations de la société(NSIC4). On constate que la valeur pour lesactionnaires est nettement plus faible avec lessociétés diversifiées qu’avec celles spécialisées dansune seule activité. Effectivement, les sociétés diver-sifiées sont clairement sous-performantes, mêmesous l’angle du revenu moyen de l’ensemble duportefeuille.

Ces mesures, utiles du fait de leur simplicité, netiennent pas compte de la répartition des opéra-tions entre les activités et les régions, et éliminentdonc l’information liée à l’importance de chaqueopération pour la société. Par conséquent, lesauteurs ont également calculé les résultats de ladiversification des activités pondérés par les reve-nus provenant des différents types d’activité ourégions (ou les actifs dédiés à ces derniers). Cetteanalyse montre des résultats presque similaires àceux de la figure 1. Quand on les rapporte à la taillede l’entreprise (puisque les sociétés diversifiéestendent à être importantes), ils sont encore iden-tiques.

Pourtant, ces résultats ne se vérifient pas pour ladiversification géographique. La société sembleavoir un coefficient de capitalisation des résultatsnettement plus élevé avec une stratégie de diversifi-cation géographique qu’avec une activité purementnationale. Ces résultats sont présentés dans lafigure 2 ci-dessus, dans laquelle NGEOGREPillustre le nombre de régions géographiques indi-quées et GEORVE et GEOASSET les mesurespondérées par le revenu généré par région géogra-phique et par les actifs qui leur sont attribués. Pourle but de cet article, nous avons envisagé cinqrégions géographiques possibles où une sociétébritannique pouvait exercer ses activités :Royaume-Uni, Europe continentale et Irlande,Amériques, Asie-Pacifique et Asie australe, etreste du monde.

L’exemple ci-dessus montre qu’il existe une« décote » pour les sociétés diversifiées par typed’activité et une « surcote » pour les actions avecune répartition géographique des opérations. Lesplus performantes semblent donc être les sociétésinternationales spécialisées. L’issue des récentesbatailles que se sont livrées la Royal Bank ofScotland et la Bank of Scotland pour NatWest enGrande-Bretagne semble soutenir cette logique. Enfin de compte, les principaux actionnaires ont

préféré la vision d’une portée internationale pluslarge à celle d’une présence nationale plus forte.

Ces résultats étayent la théorie du portefeuille etont des répercussions importantes sur les efforts derestructuration des entreprises. Les investisseurspeuvent facilement acquérir des actions dans diffé-rents secteurs d’activité et donc diversifier leurportefeuille entre les différents types d’activité avecplus de facilité et moins de frais que les managers,qui supportent davantage de coûts de transaction.Dans ce contexte, l’investissement dans un conglo-mérat est comparable à celui dans un fonds com-mun de placement dans lequel les actionnairesrémunèrent les gestionnaires pour s’occuper desfonctions essentielles de l’entreprise : l’administra-tion et la coordination. Mais il y a peu de chancesque ce mécanisme représente une bonne utilisationde l’argent des actionnaires.

La « décote du conglomérat »En revanche, de nombreux pays doivent encoreétablir des marchés boursiers avec une massecritique et une liquidité suffisantes. Par conséquent,si l’on se place sur le plan de la répartitiongéographique des activités, il est intéressant pourles investisseurs de compter partiellement sur lesmanagers pour diversifier les risques spécifiques àla société. Ces derniers peuvent engendrer desretours pour les actionnaires que ceux-là ne pour-raient obtenir par eux-mêmes.

Les conglomérats posent un problème pratiqueanalytique aux investisseurs. Les analystes tendentà se spécialiser dans certains domaines d’activité et,quand la société se diversifie dans de multiplessecteurs, il devient plus difficile d’évaluer réelle-ment ce qu’elle vaut. De plus, ceux-ci tendent àestimer chaque secteur en fonction de critèresdifférents, comme, par exemple, celui de cash-flowpour les restaurants ou de recettes pour les biens deconsommation courante. La spécialisation leur per-met donc de mieux comprendre la dynamiqued’une entreprise. Celle-ci améliore le reporting et lavisibilité de la société et réduit l’incertitude.

Quand, par le passé, un conglomérat créait de lavaleur pour les actionnaires, c’est parce qu’ils’articulait autour d’une personnalité charisma-tique ou de grand talent, sur qui les salariés, commeles investisseurs, comptaient pour rassembler leséléments disparates de l’entreprise en un ensemblecohérent. Il suffit de prendre l’exemple du conglo-mérat américain General Electric et le talentmanagérial et charismatique que son directeurgénéral Jack Welch a mis à son service. Cependant,les exemples dans lesquels la construction de telsempires a été une source de création de valeur pourles actionnaires sont plutôt l’exception que la règle.

Bien évidemment, toute décision de diversifica-tion ou concentration dépend des termes ducontrat, de la prime payée, du coût de la scission etdes termes de l’échange d’actions. Mais, ce quenous avons voulu démontrer dans notre propos,c’est que les investisseurs privilégient la concentra-tion par rapport au conglomérat et la répartitioninternationale par rapport à la présence nationale. l

Dans les années 80, les capitaines de l’industriebâtissaient des empires au nom de la diversificationet de la création de valeur ; dans les années 90, cesempires furent démembrés au nom de la concen-tration et, bien entendu, de la création de valeur.Dans cet article, Rory F. Knight et DeborahJ. Pretty montrent que la seconde stratégie est néepour rectifier les erreurs de la première. On pensaitque la diversification ajoutait de la valeur enréduisant les risques des investisseurs et des mana-gers employés dans un seul secteur ou une seulerégion et qu’elle créait des opportunités de finance-ment et des économies d’échelle. Les études mon-trent que nombre de ces avantages semblent exagé-rés, car ils n’existent pas ou ne se concrétisent pas.En revanche, la diversification géographiquesemble offrir de la valeur. On dirait que lesactionnaires préfèrent une portée internationale àune présence purement nationale. La concentrationpermet aux analystes de mieux comprendre ladynamique d’entreprise et améliore son reportinget sa visibilité.

Résumé

Deborah Pretty estchargée de rechercheau Templeton Collegeà Oxford. Ses travauxportent sur la gestiondu risque d’entreprise,la gestion financièredes entrepriseset le gouvernementd’entreprise.

Deborah J.Pretty

Le docteur RoryKnight est doyen duTempleton College àOxford. Il est présidentde KnightVlandenResearch Associates,une société de conseilspécialisée dansle risque et lavalorisation. Il faitpartie du conseild’administration d’unincubateur Internetimplanté en Californie.

Rory F.Knight

Les Echos - mercredi 11 octobre 2000 9L’Art de la Gestion des Risques

NSEGREP NSIC4

1 2 3 4 ≥ 5

10

5

0

-5

-10

-15

Rendement anormal, en %

Valorisation pour les actionnaires en fonction du nombre d'activitésFigure 1

Diversification des activités

Sociétés nationales Multinationales

Figure 2

NGEOGREP GEOREV GEOASSET

25

20

15

10

5

0

Répartition géographique

Valorisation pour les actionnaires en fonction de la répartition géographique

CCR

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l y a trente ans, quand vous demandiez audirecteur financier d’une grande sociétépourquoi il choisissait de nouer un partena-riat, il vous répondait généralement « pourpartager les risques ». En fait, l’entrepriseconjointe telle qu’on la connaît aujourd’hui aIété inventée par les sociétés pétrolières dans

ce seul but. La recherche de réserves de pétrole étaitune entreprise hasardeuse et forer pour ne rienextraire pouvait coûter très cher. Par conséquent,mieux valait partager ces coûts avec un partenaire,même s’il fallait aussi partager le fruit de la décou-verte.

De nos jours, la réponse d’un directeur financierd’une entreprise de la nouvelle économie serait sansdoute plus complexe. Le partage des risques faitcertainement partie des motivations sous-jacentesd’une alliance, mais, dans l’ordre des préférences, ilarrive derrière l’accès aux ressources complémen-taires, l’influence sur les standards de l’industrie ouencore la victoire sur les concurrents dans la courseau marché. En somme, ce que les directeurs finan-ciers ne réalisent peut-être pas toujours, c’est quel’alliance est aussi un moyen de gérer les risques.

Aujourd’hui, les partenariats aident non seulementles sociétés à partager le coût des projets risqués,mais aussi à se couvrir contre les risques, atténuer lescoûts entraînés par la réponse aux événementsimprévisibles et, surtout, acquérir et définir desoptions financières pour exploiter de futures oppor-tunités. Pourtant, nos directeurs financiers de l’an-cienne et de la nouvelle économie se trouventconfrontés à un paradoxe ennuyeux. Pour gérer lesrisques courus par l’entreprise, ils choisissent unestratégie organisationnelle, également notoirementrisquée : beaucoup de partenariats ou d’alliances seterminent par un divorce ou une déception mutuelle.En un sens, l’alliance permet aux sociétés de secouvrir en assumant seulement quelques risques« relationnels » supplémentaires. Mais le drame pourla plupart des sociétés est qu’elles ne possèdent pasd’infrastructure exhaustive leur permettant d’évaluercette compensation. Les risques entraînés par lagestion des alliances sont bien connus, mais pas lerôle des alliances dans la gestion des risques. Cetarticle étudie essentiellement la seconde propositionet résume brièvement la première.

Incertitude et alliancesLes risques stratégiques auxquels les sociétés sontconfrontées proviennent de l’incertitude liée à leursenvironnements technologique, concurrentiel etcommercial. Ce qui fait qu’elles ne sont jamais sûresdu rendement d’une impulsion stratégique donnée,tel qu’un investissement dans une nouvelle usine oule développement d’un nouveau produit. Alors, quefaire ? La première approche consiste à minimiser lesconséquences des issues négatives et la deuxième àéviter de s’engager dans une stratégie définitiveavant que l’avenir ne soit plus clair. Il en existe unetroisième : essayer d’influencer l’incertitude elle-même. On peut parfois associer ces trois approches.

Dans ces trois situations, les alliances peuvent êtreutiles. Comment ? Pour le savoir, commençons pardéfinir le terme « alliance ». Une alliance est unestructure organisationnelle unique qui favorise lacoopération entre plusieurs sociétés. Celle-ci peutrevêtir plusieurs formes, depuis les simples rappro-chements d’entreprises jusqu’aux complexes consor-tiums, en passant par les accords de codéveloppe-ment. Indépendamment de sa forme, l’alliance créeune relation ouverte et permanente entre des socié-tés appartenant à différents propriétaires. Lescontrats isolés conclus dans les conditions normalesdu commerce avec des clauses nettes et précises nesont pas des alliances, ni les acquisitions et les fusionstotales. Tout l’art − et le défi − d’une alliance résidedans sa souplesse et dans l’engagement partiel de sesmembres.

En règle générale, les alliances permettent auxentreprises de prendre des engagements supplémen-

taires dans une stratégie en plein déploiement, ce quiest un avantage lorsque les incertitudes qui lesentourent les empêchent de prendre des décisionsplus définitives. A partir du moment où les sociétésn’ont qu’un engagement partiel, elles peuvent aussiinvestir dans d’autres accords, et donc répartir etdiversifier leurs risques. Parallèlement, le caractèreouvert de l’alliance peut diminuer, voire annuler,tout son intérêt, si celle-ci n’est pas gérée correcte-ment. De plus, lorsque cet engagement partiel nesuffit pas à inciter les dirigeants à coopérer, l’alliancerisque d’aboutir directement à une impasse. Nousétudierons dans cet article la médaille et le revers dela médaille.

Risques stratégiquesl Réduire votre exposition

La participation de nombreux partenaires dansune entreprise réduit le risque d’échec pour chacund’entre eux. Cette technique est aussi vieille que lecapitalisme lui-même, puisque l’East India Companyen Grande-Bretagne l’utilisait déjà pour financer lesvoyages risqués. Au XXe siècle, les sociétés d’exploi-tation pétrolière avaient souvent l’habitude de s’asso-cier. Dans l’économie high-tech contemporaine, lesexplorateurs ne voguent plus vers des continentslointains et ne creusent plus le sol, ils colonisent leciel et sondent les profondeurs de l’ADN ou desstructures atomiques.

Nous en avons un exemple avec Iridium, unconsortium réunissant des sociétés de l’électronique,de l’aéronautique et des télécoms, qui a lancé 66 sa-tellites dans l’espace et introduit le premier servicetéléphonique autour du globe fin 1998. Une entre-prise qui a coûté plus de 5 milliards de dollars et a étémise volontairement en liquidation judiciaire enl’espace d’un an.

Pourquoi ? Plusieurs réponses ont été proposées.La première est que le projet a été lui-même dépassépar des tendances technologiques et des conditionsde marché imprévues au moment de son lancement.En voulant être à la pointe de la technologie et servirun marché qui n’existait pas encore, Iridium a prisdes risques importants. Motorola, le fabricant améri-cain de systèmes de télécommunications mobiles, etson partenaire ont d’ailleurs bien fait de réduire leurexposition au risque d’échec. Et ils ne sont pas lesseuls. Tous les projets de communication par satelliterestant encore en cours sont dirigés par des consor-tiums dont les acteurs cherchent à partager lesrisques. Même Bill Gates à la tête de Microsoft s’estassocié au pionnier du téléphone mobile CraigMcCaw et à Motorola pour partager les risques duprojet Teledesic de la prochaine génération. Cetexemple montre que les alliances peuvent être

intéressantes pour réduire l’exposition au risque.L’incertitude mise à part − on peut dire que ce projetétait vaste et « massif » −, une société qui tente deréduire son exposition au risque ne décide pas delancer un satellite sans s’entourer de précautions.

l Couvrir vos parisOn retrouve des conditions similaires dans la

bio-ingénierie et la recherche de structures pluspetites sur les semi-conducteurs. Un domaine où lesalliances abondent. L’autre avantage des partenariatsdans la bio-ingénierie et les semi-conducteurs estqu’ils permettent aux entreprises de couvrir leursparis sur deux ou davantage de technologies concur-rentes. Cela explique que les alliances prolifèrentaussi rapidement dans l’univers « pointcom ». Aveccette stratégie, non seulement les sociétés réduisentle risque d’échec d’un projet, mais surtout ellesaugmentent leurs chances de réussir quelque part.

C’est la méthode adoptée par Bill Gates. Microsofta investi dans une kyrielle de sociétés offrant dessolutions concurrentes pour faire face à la conver-gence TV-PC. Personne ne sait exactement ce qu’iladviendra. Par conséquent, Microsoft a misé surATT pour accélérer la généralisation de l’accèsInternet à grande vitesse par les lignes téléphoniques,sur Nextel Communications pour développer l’accèssans fil à Internet et enfin sur Comcast pourpromouvoir l’accès aux systèmes câblés. Il est pro-bable que l’une ou plusieurs de ces options abouti-ront, mais pas toutes. Dans tous les cas, Microsoft estsûr de réussir au moins l’un de ses paris. Il en fera unatout supplémentaire dans la course à la concurrence.

Les alliances sont des plus utiles pour couvrir lesparis quand les issues possibles sont incertaines. Cetype d’incertitude est courant dans le monde « point-com », où il y a en général peu de gagnants, si ce n’estun seul. Dans ces marchés de type « winner-takes-all », il est intéressant pour les fournisseurs, les clientset ceux qui apportent des technologies complémen-taires de s’allier avec plusieurs autres parties pours’assurer une place sur le podium.

l Réduire vos coûts de transitionDans les stratégies de couverture et de partage des

risques, la société joue un rôle passif une foisl’alliance scellée. Au fur et à mesure du déroulementdes événements, elle est protégée contre les pertesexcessives grâce à son portefeuille d’alliances. Ce-pendant, celles-ci peuvent aussi être utilisées pourgérer plus activement les risques.

L’un des buts les plus courants des alliances est dechanger les capacités et la position stratégique d’uneentreprise. Ainsi, Xerox, le fabricant américain dephotocopieurs et imprimantes, et Corning, l’un desplus grands fabricants américains de verre et desystèmes, figurent au nombre des entreprisesconnues pour avoir scellé des partenariats afin depénétrer des marchés à l’étranger et accéder à denouvelles technologies. D’autres sociétés cherchent àatteindre le même objectif en utilisant les fusions etacquisitions, comme Daimler-Benz qui a rachetéChrysler, formant ainsi un groupe automobile ger-mano-américain. A quel moment une société subis-sant une pression pour changer ses capacités ou saposition sur le marché choisit-elle une alliance ouopte-t-elle pour une acquisition ? Les différences decoûts mises à part, ces deux stratégies gèrent lesrisques différemment.

Il y a deux risques inhérents à toute tentativeeffectuée pour transformer l’activité d’une entre-prise : le risque de partir dans une mauvaise directionet celui de trébucher, même quand on a choisi labonne voie. Lorsqu’on opte pour l’alliance, depréférence à une acquisition, on arrive à réduire les« coûts de transition ». Une alliance permet à uneentreprise de tester une nouvelle orientation, puis debattre en retraite élégamment si elle s’est trompée.Cela coûte généralement moins cher que d’acquérirune société, puis de la revendre. L’alliance permetégalement le transfert progressif des connaissances et

Risques et alliances : s’assurerune place sur le podium

Aujourd’hui, les stratégies d’alliance permettent aux entreprises de réduire leur expositionau risque par rapport aux standards technologiques concurrents. Elles aident aussi à définir

des options financières pour des développements futurs.BenjaminGomes-Casseresest professeurà la Graduate Schoolof InternationalEconomics andFinance, qui dépend dela Brandeis University.Il est l’auteurde « The AllianceRevolution »et consultant auprèsdes plus grandessociétés de hautetechnologie.

BenjaminGomes-Casseres

Auparavant, les grandes entreprises scellaient despartenariats pour partager les risques inhérents auxgrands projets. Aujourd’hui, leurs motifs sont plusvariés. Benjamin Gomes-Casseres montre que lesalliances aident les entreprises à se couvrir parrapport aux standards technologiques concurrentset réduisent le coût des grands changements straté-giques en apportant des compétences nouvelles auxpartenaires. Une alliance peut donc être considéréecomme une option sur des développements futurspuisqu’une société peut y adhérer ou la rejeter enfonction de l’évolution des paramètres. Certainspartenariats permettent aussi de gérer directementles risques d’entreprise. Toutefois, malgré leurattrait, les relations entre les sociétés dans unealliance présentent souvent un risque en elles-mêmes. L’auteur conclut avec quelques conseilspour éviter que des alliés ne finissent par devenirdes ennemis.

Résumé

10 Les Echos - mercredi 11 octobre 2000L’Art de la Gestion des Risques

BENJAMIN GOMES-CASSERES

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des compétences, sachant que le partenaire garde unintérêt dans l’activité.

En revanche, l’acquisition risque d’anéantir l’espritporteur du renouveau de la société acquéreuse. ATT,l’opérateur de télécoms américain, nous en fournitune illustration. Pendant plusieurs dizaines d’années,les sociétés informatiques et de télécommunicationspensaient qu’un jour leurs technologies fusionne-raient. Cependant, dans ce scénario évoquant celuide la convergence TV-PC cité précédemment, per-sonne ne savait exactement quand et comment celase produirait. Malgré cette énorme incertitude, ATTdécida de prendre les devants et de racheter lasociété informatique NCR pour la somme de 7,5 mil-liards de dollars en 1991. Comme on le vit plus tard, ily avait peu de synergie entre les deux, et ATT sesépara d’elle après qu’elle eut subi plus de 3 milliardsde pertes. Si elle avait opté pour une alliance audépart afin de tester son idée, elle aurait économiséde l’argent, du temps et des efforts. En procédant parétapes plus réduites, les dirigeants peuvent mieuxévaluer le terrain et éviter de se fatiguer prématuré-ment.

l Acheter des options sur des développementsfuturs

Une alliance au début d’une transformation estaussi un moyen d’« acheter » une option sur desdéveloppements à venir. La société commence parinvestir dans un partenariat, tout en ayant la possibi-lité d’en sortir ou de s’impliquer davantage aprèsavoir vu comment les choses évoluaient. Dans ce cas,le coût du démarrage des relations est relativementfaible, de même que le coût de sortie. En revanche, lavaleur de l’option fondée sur le développement desrelations peut être très élevée. Ecartons-nous légère-ment de notre sujet pour passer en revue les optionsfinancières.

Une option dans le monde financier est le droitd’acheter ou de vendre un titre pendant une périodedonnée à un prix prédéterminé. Il ne s’agit pas d’unengagement définitif à faire quelque chose. Si l’op-tion n’est pas exercée pendant cette période, elleexpire. Le principal intérêt de l’option provient de sasouplesse, car elle permet d’agir plus tard quand denouveaux événements se produisent. Par conséquent,plus l’incertitude sur l’avenir est grande, plus cetteflexibilité a de valeur.

Corning Glass a utilisé les alliances en tant qu’op-tions pour explorer et finalement prendre le leader-ship dans le domaine des fibres optiques. Quand legroupe a démarré ses recherches sur cette nouvelletechnologie dans les années 70, l’idée de transmettrel’information sous la forme d’impulsions lumineusesà travers la fibre de verre n’avait pas encore ététestée en dehors des laboratoires. Le groupe a doncscellé rapidement des alliances avec des sociétés detélécoms et des structures de recherche afin deréduire les incertitudes techniques et de développerdes solutions commerciales. Après avoir recueilli denouvelles informations, Corning se lança dans uneseconde vague d’alliances, cette fois avec les premiersutilisateurs et fabricants. Son plus grand allié sur leplan de la fabrication était Siemens, qui devint sonpartenaire à 50 % dans Siecor, une société de câblesoptiques qui devait très vite acquérir une positiondominante dans ce secteur. En 1999, l’intérêt deCorning pour les fibres optiques s’était tellementaccru qu’il préféra exercer son option afin de s’ap-proprier et gérer entièrement cette activité et rachetala part de Siemens.

l Gérer directement les risques d’entrepriseDans cette cinquième et dernière stratégie, nous

verrons que les alliances permettent réellement deréduire les risques de l’entreprise en améliorant leschances de succès d’un projet. Cette stratégie estsouvent complémentaire aux autres. Une sociétépeut très bien faire tout ce qu’elle peut pour réussirun projet, tout en protégeant ses paris s’ils devaientéchouer.

L’industrie pharmaceutique comporte de nom-breux exemples de ce type. Parfois, les grandsgroupes multiplient les investissements dans lesstart-up en biotechnologie et dans les laboratoiresuniversitaires, essentiellement pour partager leursrisques et couvrir leurs paris. Parfois aussi, ilss’impliquent profondément dans l’organisation d’unestart-up, sa commercialisation, les processus régle-mentaires ou d’autres questions susceptibles deconditionner le succès ou l’échec d’un nouveaumédicament. Souvent, cette gestion directe desrisques se reflète dans des séquences de décisionscomplexes et des paiements à chaque étape quiservent à guider la start-up, tout en offrant uneflexibilité proche de celle de l’option au partenaire leplus important.

Le contrat conclu entre Abbott Laboratories, lefabricant américain de médicaments et produitsmédicaux, et Takeda Chemical Industries au Japonen est un bon exemple. En 1977, ces deux groupes

créèrent TAP Pharmaceuticals, une coentrepriseimplantée aux Etats-Unis qui avait initialement accèsà la R&D de Takeda afin de l’exploiter sur le marchéaméricain. Un usage courant de cette approche desoptions, car il était difficile de savoir quels seraientles composés commercialement viables aux Etats-Unis. Abbott ne s’est pas contenté d’attendre que lesincertitudes se résolvent d’elles-mêmes. Aucontraire, il a aidé TAP à développer sa stratégiemarketing et sa force de vente et à gérer le processuslong et complexe nécessaire pour faire agréer sesmédicaments par la Federal Drug Administration.Grâce au composé de Takeda et aux contributionsd’Abbott sur le plan du management, TAP Pharma-ceuticals réussit à développer le Prevacidreg, unmédicament qui a remporté un vif succès et areprésenté environ 2 milliards de dollars sur le plandes ventes en 1999.

Là aussi, l’alliance a été utile pour traiter lesrisques inhérents au projet. L’autre façon importantedont les alliances réduisent directement le risqued’entreprise aujourd’hui, particulièrement dans lestechnologies Internet très disputées, est d’aider lesconcurrents à s’entendre sur des standards communs.Cependant, la protection offerte par ces alliancesn’est jamais gratuite. En dehors des faibles dépensesentraînées par la formation et la gestion de l’alliance,la stratégie organisationnelle elle-même implique laprise de risques additionnels.

Risques relationnelsL’histoire des alliances est remplie d’anecdotes surles relations embrouillées où les alliés finissent pardevenir ennemis. Point n’est besoin de soulignerqu’une mauvaise structure ou le choix erroné d’unpartenaire peuvent condamner l’alliance dès le dé-part, ni que sa gestion négligée après sa conclusionpeut condamner une relation qui apparaissait pro-metteuse. Il peut donc être utile d’indiquer les outilsde gestion du risque relationnel au niveau desalliances.

l Eviter la « co-opétition » : le risque de conflitest élevé dans les alliances entre rivaux.

l Définir soigneusement son ampleur : les bonnesfrontières font les bons amis, même parmi les sociétésnon directement concurrentes.

l Ne pas ignorer le gouvernement de l’alliance :une bonne définition de la structure de l’allianceavant sa conclusion et un ajustement continu aprèssont indispensables pour bâtir une relation construc-tive.

l Créer de multiples passerelles : c’est ce quipermet de tisser des relations entre les partenaires àplusieurs niveaux dans leur organisation respective.

l Ne pas faire confiance les yeux fermés : mêmes’il est bon et nécessaire que le courant passe bien,celui-ci ne remplace pas le contrôle des mécanismes

ni les encouragements à la collaboration ni l’aligne-ment organisationnel.

l Le succès commence chez soi : sans un méca-nisme de soutien dans votre propre entreprise, vosalliances externes sont vouées à l’échec.

l Ne pas se fixer sur les côtés négatifs, mais voirles côtés positifs : les alliances malheureuses neréalisent pas ce qu’elles avaient prévu de faire. Enrevanche, les alliances réussies vont au-delà de leursobjectifs initiaux.

Les stratégies d’allianceCes règles sur le succès des alliances ont un traitcommun : le partenariat est considéré comme uneentreprise en évolution intégrée à une stratégiedynamique. Dans cette optique, l’alliance est bienplus que le simple « accord » annoncé avec beaucoupde bruit dans la presse.

Un jeu de mots résume parfaitement ce point : lessociétés doivent bâtir des « stratégies d’alliance » etnon des « alliances stratégiques ». La différence n’estpas sémantique. Tous les managers savent qu’unefocalisation excessive sur le contrat lui-même peut lesamener à négliger la stratégie sous-jacente. Pourquoiscellons-nous une alliance ? Comment celle-ci s’insère-t-elle dans notre « constellation » d’alliés ? Comment lasoutenir sur le plan interne ? Ces questions essentiellesvont au-delà de la simple signature d’un accord. Pourbien exploiter les alliances dans la gestion des risques, ilfaut adhérer à ce type de perspective dynamique. l

Les Echos - mercredi 11 octobre 2000 11L’Art de la Gestion des Risques

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Les grands groupes de l’industrie pharmaceutique multiplient les investissements dans les start-up en biotechnologie et dans les laboratoires universitaires pourpartager leurs risques et couvrir leurs paris. (Photo d’un poste de contrôle visuel d’une chaîne de production de médicaments chez Bayer Pharma France).

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