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H H O O R R S S S S É É R R I I E E U U N N E E N N O O U U V V E E L L L L E E O O R R G G A A N N I I S S A A T T I I O O N N A A U U Q Q U U É É B B E E C C L L U U N N I I O O N N C C O O M M M M U U N N I I S S T T E E L L I I B B E E R R T T A A I I R R E E ! ! P P R R I I N N T T E E M M P P S S 2 2 0 0 0 0 9 9 3$

L’UNION COMMUNISTE LIBERTAIRE!...de Dada à faim et du Collectif des bas-quartiers. 5- Red and Anarchist Skinheads 6- Nous reviendrons à trois autres reprises au CEGEP Garneau pour

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  • HHHHOOOO RRRR SSSS SSSSÉÉÉÉ RRRR IIII EEEE

    UUUUNNNNEEEE NNNNOOOOUUUUVVVVEEEELLLLLLLLEEEE OOOORRRRGGGGAAAANNNNIIIISSSSAAAATTTTIIIIOOOONNNN AAAAUUUU QQQQUUUUÉÉÉÉBBBBEEEECCCC

    LLLL’’’’UUUUNNNNIIIIOOOONNNN CCCCOOOOMMMMMMMMUUUUNNNNIIIISSSSTTTTEEEE LLLLIIIIBBBBEEEERRRRTTTTAAAAIIIIRRRREEEE!!!!

    PPPPRRRRIIIINNNNTTTTEEEEMMMMPPPPSSSS 2222000000009999

    Les Éditions Ruptures, c’est aussi une tonne debrochures qui touchent plusieurs aspects de l’anarchisme actuel; de l’histoire à la théorie,

    des classiques aux débats contemporains sans oublier ce que le NEFAC et l’UCL

    ont produit de mieux!

    Elles sont disponibles à un prix ridiculementbas à l’Insoumise (voir en page 15), à la Page

    Noire (page 24), mais aussi auprès de votre Collectif local de l’UCL.

    Bientôt disponible en ligne sur le site web de l’UCLwww.causecommune.net

    Réflexions sur l'anarchismeLe capital en dérouteLes contre-pouvoirsL'anarchie de A à ZL'impasse afghane

    La pratique du socialismeDaniel Guérin

    De l'anarchisme à la gauche libertaireLe Capitalisme et ses contradictionsMichel Bakounine

    Anarchisme et marxismeAnarchisme et lutte de classe

    Actualité de Bakounine ABC de l'UCL

    Quand il faut s'organiser Les masculinistes Ou règne la license en toute impunité

    Le Socialisme anti-autoritaire La Cause Ouvrière

    L'organisation E.MalatestaLe sabotage E.PougetLa Chanson anarchiste

    Les barricades renversées La tyrannie de

    la non-structure Abandonnez l'activisme

    Le mouvement étudiant a travers la presse anar

    L'Afrique Civilisation, primitivisme

    et anarchisme La conscription au Québec

    Les femmes, l'État et la Famille

    Increvable Anarchistesvol.1 à vol.10

    Le Conseillisme Organisation et spontanéité

    La plate-forme des communistes libertaires

    John Zerzan et la confusion primitive

    Critique du programme du PCR Débat sur les débats

    Anarchie et Communisme Ricardo Flores Magon

    et la révolution mexicaineLe programme anarchiste

    E.Malatesta

    LES ÉDITIONS RUPTURES

    33$$

  • L’UNION COMMUNISTE LIBERTAIRE

    L'Union communiste libertaire (UCL) a été fondéeen novembre 2008. La nouvelle organisation révolu-tionnaire prend la relève de l'Union régionale de laNEFAC au Québec.

    L'UCL est une organisation de militants et de mili-tantes provenant de divers mouvements de résis-tance, qui s'identifient à la tradition communiste dansl'anarchisme et qui ont comme objectif commun unerupture révolutionnaire avec l'ordre établi. Notreactivité est organisée autour du développementthéorique, de la diffusion des idées anarchiste et del'intervention dans les luttes de notre classe, que cesoit de façon autonome ou par le biais d'une implica-tion directe dans les mouvements sociaux.

    Au plan théorique, l'UCL s'identifie aux principescommunistes libertaires et s'appuie sur les basesthéoriques de cette tradition particulière. Au plan tac-tique, nous préconisons l'implication dans les luttessociales dans une perspective de radicalisation desmouvements sociaux et de construction de contre-pouvoir.

    Cause Commune, le journal de l'UCL, est unporte-voix libertaire dans les luttes sociales et lesquartiers. À cheval entre le tract et l'organe de presseplus élaboré, c'est un outil souple, peu coûteux,adapté aux besoins d'aujourd'hui. Il permet à des col-lectifs bien implantés, comme à des militants et mili-tantes isolé-es, de faire un travail d'information et desensibilisation à grande échelle. Le journal sort 6 foispar année et est diffusé gratuitement à 4 000 exem-plaires.

    L'UCL organise des tournées de conférences etd'autres événements publics, développe des cam-pagnes socio-politiques, produit du matériel d'infor-mation-sensibilisation comme des livres ou desbrochures et s'implique dans les luttes sociales.

    les Collectifs locauxCollectif local de Montreal

    courriel: [email protected]: nefacmtl.blogspot.com

    Le collectif local de Montréal assure la perma-nence tous les vendredi de 16h à 20h à laLibrairie l'Insoumise, 2033 St-Laurent.

    Collectif anarchiste La Nuit (Québec)

    courriel: [email protected]: voixdefaits.blogspot.com

    Le collectif local de Québec anime une émis-sion de radio tous les mercredi à 20h, sur lesondes de CKIA au 88,3 FM.

    Collectif du 19 juillet (Sherbrooke)

    courriel: [email protected]: ucl-sherbrooke.blogspot.com

    Le collectif local de Sherbrooke anime uneémission de radio tous les mardis à 16h surles ondes de CFLX 95,5 FM.

    Collectif la Barricade (Drummondville)

    courriel:[email protected]: ucldrummond.blogspot.com

    Collectif l’Étoile Noire (St-Jérome)

    courriel: [email protected]: uclstjerome.blogspot.com

    Collectif Emma Goldman (Saguenay)

    courriel: [email protected]: ucl-saguenay.blogspot.com

    Coordonnées de l’[email protected]

    341

    duction d'une émission de radio hebdomadaire et l'an-imation de sites web, la diffusion de plusieurs dizainesde milliers de tracts, journaux, affiches, livres etbrochures, de même que la tenue de dizaines de con-férences et d'ateliers ont certainement contribué àfaire connaître l'anarchisme et les principes libertairesde façon importante dans divers milieux. Plusieurscampagnes ont fait mouche, comme celle sur la ques-tion du vol dans les quartiers populaires ou encorecelles sur les élections (qui furent particulièrementnombreuses!).

    Mais il faut se rendre à l'évidence : une telle activitén'est pas suffisante pour entraîner l'adhésion d'ungrand nombre de personnes à une organisation poli-tique comme la nôtre. Le " turn-over " reste important,même à notre (petite) échelle. Divers facteurs peuventexpliquer ce phénomène. Ce qui est demandé auxmembres est plutôt exigeant, nous plongent ainsi dansun cercle vicieux : moins nous sommes nombreux etnombreuses, plus chacun et chacune doit compenserindividuellement pour atteindre les objectifs que nousnous sommes fixés. Par ailleurs, nos structuresactuelles ne facilitent pas l'engagement d'un grandnombre de personnes. Le caractère quasi-clandestinet affinitaire d'une partie de nos activités qui a carac-térisé notre fonctionnement pendant plusieurs annéesen est l'exemple. Quant au reste, la lecture des textesde Phébus et de Julie amèneront d'autres éléments deréponse tout à fait pertinents.

    Et la suite

    Le moins qu'on puisse dire, c'est que le processus derefondation de la NEFAC au Québec suscite beau-coup d'intérêt et de curiosité. Nous ne pouvons paséchouer! Il faut donc prendre le temps de bien faire leschoses, d'autant plus que le " dysfonctionnement " dela NEFAC s'est répercuté sur le fonctionnement de l'u-nion régionale au Québec. Après une dizaine d'annéesd'agitation, de propagande et d'organisation, notrecourant a pris une place importante dans le paysagede la gauche anti-capitaliste. Mais ces acquis sontfragiles. Le potentiel est là : à nous de saisir leschances lorsqu'elles se présentent!

    Notes:

    1- Le processus qui a mené à la création de laNEFAC remonte à 1999. Le groupe Émile-Henry

    (Québec), fondé l'année précédente, en est partieprenante. La NEFAC a été fondée officiellement lorsd'un congrès qui s'est tenu à Boston en 2000, oùdeux délégations du Québec (l'une de Québec, l'autrede Montréal) étaient présentes.

    2- L'idée d'un infokiosque n'est toutefois pas née "spontanément ". La création d'un espace commecelui-là avait germé dans la tête de certains membresde la NEFAC plusieurs mois auparavant. Il ne man-quait qu'un espace -gratuit- et une bonne dose d'or-ganisation pour le concrétiser.

    3- Comme par exemple à la manifestation contre l'in-tervention américaine en Irak le 17 novembre 2002,où nous nous démarquons par une position interna-tionaliste qui refuse le " pacifisme " officiel du comitéorganisateur. Notre tract, intitulé " Quelle connerie lapaix sociale ", est orné d'une magnifique colombe ser-rant dans ses pattes un cocktail molotov...

    4- Nous relayons à Québec le mot d'ordre de grèvegénérale contre la ZLEA le 31 octobre 2002 aux côtésde Dada à faim et du Collectif des bas-quartiers.

    5- Red and Anarchist Skinheads

    6- Nous reviendrons à trois autres reprises auCEGEP Garneau pour donner des conférences surl'éducation libertaire, le masculinisme et l'insurrection zapatiste.

    7- Nous sommes ainsi approchés par des gens duCentre Jacques-Cartier pour organiser un atelier surle racisme et l'extrême droite avec des stagiaires. LeRASH publie également un fanzine (" Classe contreclasse ") et organise de nombreux concerts oùmusique et politique font bon ménage.

    8- Consejo Indigena Popular de Oaxaca "Ricardo-Flores-Magon"

    9- Réseau anarchiste en milieu étudiant

    10- Avant " Voix de faits ", des membres de La Nuitont animé plusieurs émissions de radio à CKIA etCKRL (Au ras des paquerettes, Quartier Libre...). Maisc'est la première fois qu'une émission est " officielle-ment " animée et produite par le collectif.

  • 33 2

    tre, les liens avec le RAME(9) demeurent inexistants,avant, pendant et après la campagne. Contrairement àce qui s'est passé à Montréal, le RAME demeurera àl'état embryonnaire dans la région de Québec. Sa dis-solution n'aura aucun effet sur notre collectif. Au moisde mai, nous organisons deux activités publiques quiobtiennent un certain succès. Un camarade avec quinous sommes en contact depuis le mois de septembre2006 nous invite à présenter une conférence sur l'an-archisme à Trois-Rivières dans les locaux de l'UQTR.

    Plus de 40 personnes y participent. Un collectif prendforme dans cette ville. Le 29 mai, nous organisons unlancement pour le 7e numéro de Ruptures à l'AgitéE.Nous en profitons pour présenter un panel avec deuxmembres de No Pasaran sur la montée de la droite auQuébec et en France. L'objectif est de présenterpubliquement les conclusions auxquelles noussommes arrivé-e-s concernant la conjoncture politiqueet amener des libertaires à débattre sur ces questions.Environ 25 personnes prennent part aux discussions.Le 22 juin, nous participons au contingent de laNEFAC dans la manifestation anti-militariste de lacoalition Guerre à la Guerre. La visibilité obtenue parle contingent est excellente. Nous profitons de la man-ifestation pour distribuer des centaines de copies deCause commune aux passants et aux passantes toutle long du trajet. Quelques mois plus tard, La Nuit ten-tera d'organiser une autre manifestation anti-militaristeconjointement avec Guerre à la guerre. Des diver-gences profondes avec certains militants de cettecoalition nous conduisent à un cul de sac. Nous déci-dons d'organiser la manifestation sur nos propresbases le 28 mars 2008, en invitant divers groupes "progressistes " à appuyer notre démarche. Environ300 personnes répondent à l'appel et manifestent au

    centre-ville pour souligner le 90e anniversaire desémeutes contre la conscription et leur opposition à l'in-tervention militaire canadienne en Afghanistan. Nousen tirons un bilan très positif.

    Depuis le début de l'automne 2007, notre collectif a deplus en plus confiance en ses moyens. Plusieurs pro-jets connaissent un certain succès et se traduisent parl'arrivée de nouveaux et de nouvelles membres. Aumois de septembre, nous lançons officiellement unblog et une émission de radio intitulés " Voix de faits"(10). Au début du mois d'octobre 2007, nous prenonsl'initiative d'organiser une manifestation pour le droit àl'avortement conjointement avec le collectif de l'émis-sion féministe libertaire " Ainsi squattent-elles ". Nousarrivons à mobiliser cinq fois plus de monde que les "pro-vies ". Nous répéterons l'expérience au mois d'oc-tobre 2008 avec de meilleurs résultats. Ces initiativess'inscrivent dans le cadre de notre campagne " perma-nente " contre la droite populiste à Québec.

    Un bilan

    S'il est encore trop tôt pour tirer un bilan complet de laNEFAC (à Québec, et au Québec), on peut néanmoinsamener ces quelques éléments pour alimenter laréflexion.

    Dans un premier temps, la présence d'un collectifanarchiste actif pendant près d'une dizaine d'annéen'est peut-être pas spectaculaire, mais c'est en soi unacquis important, du moins dans notre contexte poli-tique. Le courant libertaire n'en est pas à ses pre-mières armes au Québec, mais il a souffert d'unmanque flagrant de continuité à travers le temps. Àtravers ses différentes mutations, la NEFAC a su sedévelopper et se renouveler avant, pendant et aprèsplusieurs moments importants des luttes sociales aux-quels nous avons pris part, du Sommet du Québec etde la Jeunesse en passant par le Sommet desAmériques jusqu'aux luttes étudiantes, syndicales etpopulaires des dernières années. Cette continuité apermis au collectif et à ses membres de se dévelop-per, de gagner en expérience et en maturité politique.

    L'engagement de plusieurs libertaires, y compris desmembres de la NEFAC, dans les mouvements sociauxa fait en sorte de démystifier l'anarchisme pour ungrand nombre de militant-e-s, notamment au sein desgroupes populaires de la région de Québec. La pro-

    Affichage de solidarité avec des camarades de la CNT française

    TABLE DES MATIÈRES

    Réflexion sur le plateformismepage. 3

    Du club politique à l’organisation de masse

    Quelques reflexions sur les rapports sociauxdans les organisations politiques

    page. 9

    Pour un courant libertaire de masseQuatre réflexions en marge d’une refondation

    page. 13

    Féminisme et lutte de classesenjeux des théories de l’identité

    page. 16

    Bilan d’une implicationLa NEFAC à Québec (2001-2008)

    page. 23

    Comme vous le savez sans doute, les collec-tifs membres de la NEFAC au Québec ontamorcé un processus de refondation, visant àcréer une nouvelle organisation communistelibertaire. Cette démarche, amorcée il y a unan, a porté fruit : au mois de novembre 2008,plus de 50 personnes provenant de sept villesdifférentes ont participé au congrès de fonda-tion de l'Union communiste libertaire (UCL).

    Les personnes présentes ont adopté une nouvelleconstitution et des buts et principes. Ces docu-ments réitèrent notre filiation au courant commu-niste dans l'anarchisme et aux principes organisa-tionnels plateformistes. La constitution de l'UCLaffirme également manière prépondérante que leprivé est politique et l'importance d'une éthiquelibertaire dans nos activités quotidiennes.

    Toutefois, au-delà de l'adoption formelle de docu-ments de base, le congrès a été précédé d'unintense travail de réflexion qui s'est notammentmatérialisé dans un cahier de textes relativementélaboré. Les thèmes abordés vont d'un retour cri-tique sur notre histoire commune à certainesquestions plus pointues concernant la praxis

    d'une organisation révolutionnaire.

    Lors du premier conseilfédéral de l'UCL, les

    délégué-e-s ont décidéde publier certains deces documents de

    réflexion. Nousespérons que ces con-tributions permettront

    de mieux comprendrenotre démarche. Après

    deux années de mise enveilleuse, Ruptures renaît donc de ses cendrespour vous les présenter. L'avenir nous dira si cen'était que temporaire ou si la revue continuerad'être publiée sur une base régulière. En atten-dant, bonne lecture!

    EEEEnn gguuiisseeee dddd''''iinnttttrroooodddduuccttttiioooonn!!!!

  • 3 32

    Historique de la Plate-forme d'Arshinov

    Mise en contexte

    En 1926, un groupe d'anarchistes russes en exil enFrance, le groupe Dielo Trouda (Cause Ouvrière),publia dans son numéro de juin la première partie dela Plate-forme organisationnelle pour une UnionGénérale des Anarchistes. La publication de la Plate-forme se poursuit à travers les pages desnuméros subséquents. Ce texte, contraire-ment à beaucoup de textes cruciaux dumouvement révolutionnaire, émergeait nonpas d'une étude académique mais bien deleur expérience révolutionnaire en Russie etpour beaucoup de la guérilla qu'ils et ellesavaient menée en Ukraine, dans un pre-mier temps contre les blancs puis finale-ment contre les bolcheviques.

    L'histoire a souvent omis le rôle crucialque le mouvement anarchiste a joué dansla révolution russe. À l'époque il y avait env-

    iron 10 000 mili-tants et militantesanarchistes enRussie, en plusdu mouvementen Ukraine dontla figure la plus

    emblématique fut Nestor Makhno. D'ailleurs, il est ànoter que le Comité militaire révolutionnaire, dominépar les bolcheviques, qui organisa la prise du pouvoiren octobre 1917 à Moscou, comptait en son sein aumoins quatre anarchistes. De plus, les anarchistesétaient impliqués dans les soviets, qui s'étaient multi-pliés après la révolution de février. Les anarchistesétaient particulièrement influents dans les mines, surles docks, dans les postes, dans les boulangeries et

    ont joué un rôle important lors du Congrès pan-russe des conseils ouvriers qui s'est réunit à la

    veille de la révolution. C'étaient ces comitésque les anarchistes voyaient comme

    base de la nouvelle autogestion quiserait mise en place après la révolu-tion.

    Dès 1918, les bolcheviques trahirent larévolution et les intérêts de classe destravailleuses et travailleurs, en élimi-nant toutes les tendances qui pou-vaient s'opposer à eux. En avril, plusde 600 anarchistes furent emprison-

    La Plate-forme d'organisation des communistes libertaires ou la Plate-forme d'Arshinov, écrite en 1926, eut beaucoup d'écho au sein du

    mouvement libertaire. Ce texte se présentait non pas comme une bible, ouun programme dogmatique, mais plutôt comme un guide suggérant aux

    anarchistes une voie d'organisation et d'efficacité.

    Mais quelles étaient les raisons qui ont motivé à l'époque un groupe d'exilés russes et ukrainiens, ayant participé à l'un des épisodes les plus riches en enseignements révolutionnaires, pour ouvrir le débat

    sur l'organisation anarchiste?

    rrrrééééfffflllleeeexxxxiiiioooonnnn ssssuuuurrrr

    llllaaaa ppppllllaaaatttteeee--ffffoooorrrrmmmmeeee

    Plusieurs centaines sont posées au centre-ville deQuébec. La campagne est relayée ailleurs au Québecpar les autres collectifs de la fédération. Sans grande

    surprise, Stephen Harper etle Parti conservateur pren-nent le pouvoir à la tête d'ungouvernement minoritaire.La région de Québec élitune majorité de député-e-sconservateurs et conserva-trices. Quelques mois plustôt, Andrée Boucher avaitréussi à gagner les élec-tions municipales, sansmême faire campagne. Lemoins qu'on puisse dire,c'est que la droite populistea le vent dans les voiles.Une réflexion s'amorce àl'intérieur de notre collectifsur la conjoncture sociale et

    politique et la remontée de la droite dans la région deQuébec. De nouvelles personnes se sont joignent aucollectif et tranquillement, nous construisons une unitétactique et théorique sur le sujet.

    Au mois de mai 2006, le 6e numéro de Rupturesparaît. On y retrouve un dossier sur l'implication deslibertaires dans le mouvement populaire, de mêmeque des articles sur l'état du mouvementétudiant un an après la grève et un bilandu RSTT (Réseau de solidarité des tra-vailleurs et des travailleurses). Le 16 mai2006, nous accueillons l'ex-membre desbrigades internationales et anarchisteGeorges Sossenko. La conférence a lieudans les locaux de la CSN. Une quaran-taine de personnes sont présentes dansune atmosphère étrange, où l'admirationcôtoie un certain malaise (lorsqueGeorges répond complètement à côté dela plaque à certaines questions). Au print-emps, nous décidons de nous impliquerdans l'organisation de la 4e édition de laJournée autogérée qui a lieu le 4 juin2006 au Parc de la jeunesse dans lequartier Saint-Roch. La Journée auto-gérée, comme son nom l'indique, est unévénement annuel consacré à l'explo-ration du concept et des pratiques auto-

    gestionnaires. Chaque année, des membres de LaNuit animent des ateliers et tiennent une table depresse. Mais devant la disparition annoncée de laJournée autogérée (à cause de l'épuisement desmembres du comité organisateur), nous choisissonsde nous investir davantage dans la planification et l'or-ganisation de l'événement. Au final, l'expérience n'estpas vraiment concluante. Les ateliers et les débatsattirent relativement peu de monde. Une certaineimpression de " déjà-vu " s'est installée. Il n'y aura pasde suite en 2007.

    À l'automne 2006, La Nuit prend en charge la produc-tion de Cause commune. Une nouvelle maquette et denouvelles chroniques changent l'aspect et le contenudu journal. Nous organisons également quelquesactivités publiques. Le 23 septembre, deux membresdu collectif se rendent au Forum social régional 02 (àMétabetchouan, au Lac-St-Jean) pour présenter desateliers sur l'autogestion et les idées anarchistes à l'in-vitation d'un camarade qui vient de retourner vivredans la région. Nous pensons pouvoir l'aider à formerun nouveau collectif, sans toutefois réussir. Le 4novembre, La Nuit présente une conférence avecdeux membres du CIPO-RFM(8) à l'AgitéE dans lecadre d'une tournée à travers le Québec coordonnéepar des camarades de Montréal. Cette activitépublique servira d'impulsion à une coalition qui organ-ise quelques semaines plus tard une manif à Québec

    en solidarité avec lesinsurgé-e-s deOaxaca. Faute detemps, nous ne par-ticipons pas à sesactivités, pas plus qu'àcelles des autrescoalitions qui se met-tront sur pied par lasuite (Guerre à laGuerre, l'Autre 400e).

    À l'hiver 2007, La Nuitparticipe à la cam-pagne " Nous on votepas ". Malgréquelques ratés, nousparvenons à collerdes centaines d'affich-es et de stickers aucentre-ville. Par con-

    Le courant

    libertaire n'en est

    pas à ses

    premières armes

    au Québec, mais

    il a souffert d'un

    manque flagrant

    de continuité à

    travers le temps

  • 31 4

    nés et beaucoup furent assassinés par la Tchéka. Àpartir de ce moment, une partie des anarchistesjoignirent les bolcheviques sur la base de l'efficacitéet de l'unité contre la réaction, et une autre partie con-tinua la lutte pour défendre la révolution. Le mouve-ment makhnoviste en Ukraine et l'insurrection deKronstadt furent leur dernières grandes batailles, ettoutes les deux se terminèrent dans un bain de sangface aux bolcheviques. Beaucoup d'anarchistes à cemoment quittèrent la Russie et s'exilèrent un peupartout en Europe, notamment en France. En 1925,plusieurs d'entre eux dont Nestor Makhno, PiotrArshinov et Ida Mett fondèrent la revue Dielo Trouda.

    L'échec russe et la nécessité organisationnelle

    Les exilés russes décidèrent d'entamer un intense tra-vail de réflexion afin de trouver des solutions pourqu'un tel désastre n'arrive plus. Un travail qui perme-ttrait de tirer les conclusions de la défaite des anar-chistes, du mouvement ouvrier et paysan révolution-naire afin de comprendre comment il n'avait pu réus-sir à être majoritaire et efficace dans la révolution.Pour ces anarchistes, le confusionnisme théoriquedes anarchistes russes fut l'élément principal qui lesempêcha d'avoir une structure organisationnelle effi-cace dans l'action. Les auteurs y soulignent d'ailleursqu'il est temps pour l'anarchisme de " sortir du maraisde la désorganisation, de mettre fin aux vacillationsinterminables dans les questions théoriques et tac-tiques les plus importantes, de prendre résolument lechemin du but clairement conçu, et de mener une pra-tique collective organisée ".Leurs conclusions consti-tuèrent la Plate-forme organi-sationnelle pour une UnionGénérale des Anarchistes

    De manière générale, laPlate-forme arrive à des con-clusions somme toutes évi-dentes. Elle conclut sur l'ab-surdité d'avoir une organisa-tion contenant en son seindes tendances antagonisteset contradictoires du mouve-ment libertaire. Elle soulignede plus le besoin de struc-tures formelles efficaces etreposant sur la démocratie

    directe. La Plate-forme est avant tout un tentativepour résoudre une tâche pratique déterminée, c'est-à-dire la mise en place d'une société communiste liber-taire.

    Cette Plate-forme se divise en trois grandes parties:la partie générale, qui réaffirme les principes fonda-mentaux du communisme libertaire : la lutte desclasses qui fut, à travers l'histoire, le principal facteurqui détermina la forme et les structures de cessociétés, la nécessité d'une révolution sociale vio-lente, la négation de l'État et l'autorité, le rôle desanarchistes et des masses dans la révolution, la péri-ode transitoire et le syndicalisme. Puis la partie con-structive traite des problèmes de production et deconsommation et de la défense de la révolution.Enfin, la partie organisationnelle traite des principesd'organisation anarchiste qui doivent reposer sur l'u-nité idéologique, la méthode collective d'action, laresponsabilité collective, le fédéralisme et la démoc-ratie directe.

    Une première rencontre de discussion autour de cetteébauche de Plate-forme permit d'amener une propo-sition sur les concepts essentiels de celle-ci dont laprimauté de la lutte des classes. Ils se résument en 5points:- Reconnaître la lutte de classe comme la facette laplus importante de l'idée anarchiste; - Reconnaître l'anarcho-communisme comme la basedu mouvement; - Reconnaître le syndicalisme révolutionnaire comme

    la méthode principale delutte; - Reconnaître la nécessitéd'une "Union Générale desAnarchistes" basée sur l'u-nité théorique, l'unité tac-tique et la responsabilitécollective; - Reconnaître la nécessitéd'un programme positif pourréaliser la révolutionsociale.

    La Plate-forme et les propo-sitions qui en découlèrent,même si elles ne correspon-dent plus tout à fait à notreréalité actuelle, demeurent

    piqueteurs et piqueteuses qui bravent la températureet la mauvaise humeur des consommateurs et con-sommatrices.

    Au moment où prend fin la grève à la SAQ, nousamorçons une grande tournée de conférences avecAshanti Alston, un ex-membre du Black Panther Partyet de la Black Liberation Armydevenu anarchiste. Du 9 au 15février 2005, nous nous ren-dons à Montréal, Sherbrooke,Québec, Saint-Georges-de-Beauce, Joliette, Chicoutimi...Cette tournée, élaborée lorsd'une retraite de la NEFAC àl'été 2004 dans la région desCantons de l'Est, fut un succèssur toute la ligne.

    Une semaine plus tard, le 21février 2005, la plus longuegrève de l'histoire du mouve-ment étudiant s'amorce.Quelques camarades du collec-tif étudient à l'Université Lavalet s'impliquent à fond dans leurassociation. D'autres membres,non-étudiants, participent auxactions directes à leur côté. LaNEFAC publie plusieurs textespendant le conflit et produira un bilan de l'implicationde ses membres dans Cause commune (numéro 6,mai-juin 2005). Alors que s'achève la grève des étudi-ants et des étudiantes, Le Nuit co-organise avecquelques libertaires de Québec une journée contre lemasculinisme et le patriarcat le 10 avril 2005 auCentre Lucien-Borne. Plusieurs dizaines de personnesparticipent à l'événement, qui s'inscrit dans la mobili-sation contre le congrès " Parole d'homme ", une ren-contre masculiniste internationale qui se déroule àMontréal du 21 au 24 avril.

    Le 6 mai 2005, c'est le lancement du cinquièmenuméro de Ruptures. On y retrouve un dossier sur lescontre-pouvoir et les mouvements sociaux qui s'inscritdans le prolongement de la tournée d'Ashanti Alston,mais aussi des conflits dans lesquels nous noussommes impliqué-e-s dans la dernière année. À la findu mois de mai, nous profitons du passage au Québecde deux militants de l'organisation libertaire française

    No Pasaran pour organiser une conférence sur l'an-tifascisme à la Page Noire. Une vingtaine de person-nes sont au rendez-vous.

    Le 1er juillet 2005, nous passons de la parole auxactes en organisant une petite contremanif à l'actionque le MLNQ organise chaque année devant l'Hôtel de

    Ville de Québec. À la stupé-faction de la cinquantained'ultra-nationalistes présentset présentes sur les lieux,nous diffusons à chacun etchacune un tract intitulé "Fachos, hors de nos rues ! "qui dénonce les positions deleur chef, RaymondVilleneuve. Cette présencenous vaut un reportage (non-sollicité) à RDI et les cri-tiques d'une partie de lagauche révolutionnaire mon-tréalaise (qui ne comprendtoujours pas la menacecausée par les mouvementsd'extrême droite...). Sans setromper, on peut dire que lacampagne menée par laNEFAC contre le MLNQ(amorcée par nos cama-rades montréalaisEs en

    2002) a très largement contribué à la marginalisationcomplète de cette organisation et de ses partisans etpartisanes, jusqu'à sa mort clinique en 2007.

    Nous terminons nos activités estivales en accueillantdeux anarchistes originaire de Mexico le 23 août 2005dans le cadre de la tournée " Diffuser l'utopie, con-férences sur la radio libre et le mouvement anarchisteau Mexique " qui vise à lever des fonds pour diversprojets comme la Biblioteca Social Reconstruir, laradio libertaire de l'Université Autonome de Mexico(UNAM) et la Caravane Carlo Giuliani.

    La lutte contre la droite

    Au mois de décembre 2005, notre collectif produitdeux affiches de propagande antiélectorale ("Politichiens : n'attendons rien d'eux seule la lutte paie.Notre pouvoir est dans la rue, pas dans les urnes ") enprévision du scrutin fédéral du 23 janvier 2006.

  • 5 30

    toutefois en avance sur le mou-vement anarchiste quant aux

    outils et aux formes d'or-ganisation à préconiserafin de parvenir à unenouvelle société liber-taire.

    La critique

    Évidemment, ils s'at-tirèrent de nombreuses cri-

    tiques des anarchistes. Mais la plu-part se résumeront à une critique superficielle etabstraite se limitant souvent au vocabulaire utilisé,sans rien apporter de plus au débat sur la nécessitéorganisationnelle. L'une des principales critiques futcelle des synthésistes, courant principalementreprésenté par Sébastien Faure.

    Leur argument reposait sur le fait que le mouvementanarchiste est divisé en plusieurs tendances aux-quelles il faut trouver un lien organisationnel (une syn-thèse théorique) plus ou moins vague " afin de fairevivre ensemble " les trois tendances (le communismelibertaire, l'anarcho-syndicalisme et la tendance indi-vidualiste). La notion de synthèse implique de lier deséléments différents en trouvant une base commune,un concept pour lequel Faure s'in-spira de la chimie. Il est donc sim-ple de réfuter l'argument qu'unesynthèse entre le communisme lib-ertaire et l'anarcho-syndicalismeest un non-sens, puisque ces deuxmouvements ne s'opposent pasnécessairement. Il est absurde deparler de synthèse, puisque celasignifierait que le communisme et lesyndicalisme, du moins dans saforme révolutionnaire, s'opposentdans une certaine mesure. La plu-part des communistes libertairesconsidèrent le syndicalisme révolu-tionnaire ou l'anarcho-syndicalismecomme complémentaire à l'organi-sation politique. On peut penser à l'Espagne de 1936,pour ne citer que cet exemple. Par contre, tenter unesynthèse avec la tendance individualiste, un courantphilosophique niant la lutte des classes, en oppositionavec les deux autres tendances implantées au sein

    d'un mouvement social large, est une aberration.Selon les anarchistes organisationnels, la lutte desclasses est un des principes de base de l'anarchismeet le nier revient à " rejoindre le libéralisme radical etle confusionnisme de l'humanisme petit-bourgeois quin'ont pas compris l'esprit révolutionnaire du Travail. "Pour citer Marx dans l'Idéologie allemande: " Lesphilosophes n'ont fait qu'interpréter diversement lemonde, ce qui importe c'est de le transformer. "

    Malgré cet effort de critique de la désorganisation dumouvement anarchiste et de son manque de perspec-tives claires, le débat s'embourbera dans une discus-sion sans fin et la Plate-forme sombrera partiellementdans l'oubli. Le mouvement libertaire poursuivra tran-quillement son glissement vers une multitude de ten-dances philosophico-littéraires, à quelques excep-tions près, sans tenter de résoudre l'impasse organi-sationnelle.

    La Plate-forme inspire d'autres groupes

    La Plate-forme continuera par la suite à susciter l'in-térêt de différents groupes, qui rechercheront à leurtour une alternative à l'impasse organisationnelle, aumarasme et aux lacunes du mouvement libertaire.

    Elle sera tout d'abord adoptée enFrance par l'Union anarchiste com-muniste révolutionnaire (1927) puisen 1934 par la Fédération commu-niste libertaire. Les Italiens aussiadoptèrent la Plate-forme via la 1resection de la Fédération interna-tionale anarcho-communiste(1927).Puis la Fédération des anarcho-com-munistes bulgares (1945) l'adopta àson tour. Par la suite les commu-nistes libertaires des Fédérationsanarchistes française et italiennel'adopteront en 1949 et 1950, lesGroupes anarchistes d'action révolu-tionnaire (GAAR) en 1957 etl'Organisation révolutionnaire anar-

    chiste (ORA) en 1965-67. Ceux et celles de l'ORA bri-tannique l'adopteront en 1973. L'ORA françaisedeviendra par la suite l'Union des travailleurs commu-nistes libertaires (UTCL), qui gardera ses affiliationsplateformistes. De nombreuses autres organisations

    Montréal) et de l'assemblée des libertaires de Québec,un contingent anarchiste réunissant quelques cen-taines de personnes se forme à la queue de la mani-festation. Sans attendre le début de la marche syndi-cale (qui a près de quatre heures de retard!), nousprenons la rue, précédé du contingent du PCR, pournous rendre au parc Jarry. Sur place, l'escouade anti-émeute charge les anarchistes et les maoïstes, maisdoit battre en retraite sous la pression des manifes-tants et des manifestantes.

    Parallèlement, nous continuons àdévelopper nos contacts en "région " en participant à des con-férences sur l'anarchisme àJoliette et en envoyant sur unebase régulière le journal Causecommune à un contact dans larégion du Bas-Saint-Laurent quiles diffuse à Rivière-du-Loup etCabano. Le 28 juin 2004, le 4enuméro de Ruptures (dossierspécial sur le nationalisme etl'extrême droite) est lancé à laTaverne Dorchester le soir desélections fédérales. L'articlesur l'extrême droite au Québecsuscite de très nombreusesréactions. Le PCR réagit vive-ment au fait qu'un de sesmembres soit associé, dansl'article, à un groupe national-bolchevique et au MLNQ, cequi est pourtant le cas.Quelques mois après la sor-tie de ce numéro de Ruptures,c'est au tour de Pierre Falardeau de nous attaquerdans les pages du Québécois et du Couac. Falardeauprétend que la NEFAC est à la solde de la RCMP,notamment parce que nous sommes associé-e-s àdes collectifs aux États-Unis et en Ontario et que noussommes contre le nationalisme. Cette charge est telle-ment grossière que plusieurs personnes se chargentde lui clouer le bec sans que nous soyons obligé-e-sde le faire!

    De grève en grève

    À l'automne 2004, le mouvement pour le droit au loge-ment se mobilise à Québec. Le FRAPRU et le

    RCLALQ décident d'organiser une action conjointe degrande ampleur : pendant deux jours, des dizaines demilitants et de militantes vont " camper " au centre-villede Québec pour réclamer un grand chantier de loge-ment sociaux et le contrôle obligatoire des loyers.Depuis quelques années, des membres de la NEFACsont impliqué-e-s dans la lutte pour le droit au loge-ment dans divers groupes populaires. Nous proposonsà l'Union régionale de la NEFAC (qui regroupe les col-lectifs au Québec) de mobiliser pour le " Camp desmal-logé-e-s ". À Montréal, la NEFAC parvient àobtenir l'appui de la CLAC. Quelques membres de

    Québec, Montréal et St-Georgesvont participer au campement.Lors de la manifestation de clô-ture (qui rassemble près de1000 personnes le 30 octobre),un contingent " rouge et noir " seforme, distribue un tract sur laquestion du logement et colle desaffiches sur le parcours de lamarche.

    Le 19 novembre 2004, le syndicatdes employé-e-s de la SAQdéclanche une grève générale à lagrandeur de la province. Lemoment choisi (un mois avantNoël) n'est pas anodin : l'objectif estde créer un rapport de force dans lapériode de l'année où la SAQ réaliseses meilleures ventes.Malheureusement, le conflit est plusdur que prévu. La solidarité desclients et des clientes n'est pas tou-jours au rendez-vous et c'est par mil-liers que les consommateurs et les

    consommatrices se rendent dans les succursales quidemeurent ouvertes. Les divers groupes de la NEFACvont organiser plusieurs actions de soutien auxgrévistes. À Québec, nous nous rendons à l'une dessuccursales opérées par des scabs pour tenir uneaction de " ralentissement " aux caisses (i.e. on remplitplusieurs paniers d'épicerie pleins de bouteilles et onrefuse de payer la facture en solidarité avec lesgrévistes). La Nuit produit également une affiche quiest massivement collée sur les magasins (ouverts etfermés). Un après-midi, nous nous rendons à l'entre-pôt sur le boulevard Charest pour distribuer un tractaux clients et aux clientes et rendre visite aux rares

    “ Il est absurde de parler

    de synthèse, puisque cela

    signifierait que le

    communisme et le

    syndicalisme, du moins

    dans sa forme

    révolutionnaire,

    s'opposent dans une

    certaine mesure ”

  • 29 6

    se revendiquant de la Plate-forme apparaîtront à cetteépoque. Puis les années 80 verront l'apparition del'Anarchist Communist Federation (ACF) enAngleterre, qui reprendra des positions plate-formistes assez rigides et du Workers SolidarityGroup (WSM) en Irelande. En parallèle unetendance similaire se développa demanière autonome en Amérique latine,l'Especifismo.

    En 2009, de nombreux groupesse réclamant ou s'inspirant dela Plate-forme existent toujoursun peu partout au niveau interna-tional, de l'Italie à l'Afrique du Sud enpassant par la Russie, le Liban, le Pérouet bien d'autres. Il est évident que l'anar-chisme lutte-de-classiste et plus particulière-ment notre mouvement, se revendiquant de laPlate-forme, est encore bien vivant et demeure tou-jours une approche nécessaire et actuelle.

    La Plate-forme en 2009: aspects théoriques

    La Plate-forme de Dielo Trouda est-elle toujours d'actualité?

    Si on lit l'introduction de la Plate-forme de 1926, on nepeut qu'être frappé par la ressemblance avecl'époque actuelle, la seule chose ayant changé con-cerne la question de la révolution russe. Il sembleraitqu'à cette époque comme aujourd'hui, le mouvementlibertaire se trouvait dans un état plutôt amorphe etvégétatif. La nécessité d'une organisation spécifiqueanarchiste se faisait sentir. Les constats théoriquesque faisait le groupe sont aussi encore validesprésentement.

    La partie générale de la Plate-forme reste encored'actualité. Les principes politiques énoncés ici for-ment encore un " programme politique " clair et précisdont l'anarchisme avait par le passé été privé.L'anarchisme lutte-de-classiste trouve alors tout sonsens. La Plate-forme prouve qu'il est possible à la foisd'être anarchiste et organisé sur des bases claires etrigoureuses.

    La société de classes n'ayant pratiquement paschangé dans les cent dernières années (bien que cer-tains prolétaires aient vu leur revenu augmenter, la

    situation d'employés soumis et exploités demeure lamême). Tant qu'il y aura de la misère et de l'exploita-tion, la révolution sera une nécessité. Et tant que la

    révolution sera une nécessité, l'organisation desanarchistes sera essentielle. L'un ne va pas

    sans l'autre.

    Par ailleurs, la faillite du socialisme éta-tique (soviétique, cubain ou chinois)

    expose clairement que la révolu-tion ne peut pas et ne doit passe faire dans un cadre autori-

    taire. Le non-aboutissement decertaines révolutions (Espagne 36,

    Mai 68, par exemple) démontre quel'organisation reste la seule voie possible

    afin d'atteindre les objectifs que nous noussommes fixés. Nous n'avons donc d'autre

    choix que d'opter pour une organisation quiallierait efficacité et respect de nos valeurs liber-

    taires.

    C'est cette fameuse efficacité qui manque par-dessustout au mouvement anarchiste actuel et qui fait qu'ilreste dans un état stagnant et embryonnaire, sansimpact réel sur le quotidien. La question de l'organisa-tion est par ailleurs essentielle pour cette gestion quo-tidienne d'une société. Nous devons y répondreadéquatement, non seulement dans le cadre d'uneactivité révolutionnaire, mais aussi dans le cadre plusglobal de répartition du travail et de la richesse.

    Comment la Plate-forme s'est-elle réactualisée?

    Ce qui apparaît le plus clair aujourd'hui, c'est que lacassure entre synthésistes et plateformistes s'estélargie. Aujourd'hui, si on excepte des organisationscomme la FA, les tendances synthésistes regroupenttout ce que nous, plateformistes, ne considéronsmême pas comme faisant partie du mouvement liber-taire. Le plateformisme d'aujourd'hui regroupe d'abord(mais pas uniquement sur ces bases) des gens enréaction à la tendance qu'a l'anarchisme à attirer toutce qui n'est pas autoritaire.

    Cette polarisation se fait maintenant, contrairement àl'époque de Makhno, tout autant sur la question del'organisation que des grands principes politiques. Denombreux anarchistes aujourd'hui soutiennent desidées que Voline n'aurait pas voulu synthétiser dans

    promise après les fêtes parles directions syndicales nese matérialise pas, tuantdans l'œuf le mouvementqui allait en se radicalisant.Néanmoins, ce sursaut decombativité syndicaledémontre de façon éclatanteque la classe ouvrière a lepouvoir d'ébranler l'État et lesystème capitaliste.. si biensûr elle le désire et décided'agir contre l'avis de sesdirigeants et de sesdirigeantes.

    Toujours en décembre, c'estla sortie du 21e numéro dujournal anarchiste " LeTrouble ". Entièrement pro-duit à Québec, c'estl'aboutissement d'un longprocessus qui vise à fusion-ner ce journal avec laNEFAC. Depuis plusieurs mois, nous écrivons destextes et nous diffusons le journal à Québec (jusqu'à500 copies par numéro). Des membres de La Nuit par-ticipent également au comité de rédaction. Petiteanecdote : lors d'une manifestation du mouvementpopulaire, un prêtre " progressiste " avec lequel nousdiscutions à l'occasion sort de sa poche 50$ pour quenous donnions des exemplaires du Trouble aux mani-festants et des manifestantes...

    Ce processus de fusion va néanmoins échouer pourdifférentes raisons. Il y a dans le collectif du " Trouble" plusieurs personnes qui sont en désaccord avec lafusion. L'arrivée d'un groupe d'ex-militants de laNEFAC dans ce collectif mettra définitivement unterme au processus. La NEFAC a besoin d'un journalpour remplir un rôle que n'arrive pas à jouer Ruptures: faire de l'agit-prop sur une base régulière. Au mois demars 2004, la NEFAC lance son propre journal, unepublication de 4 pages gratuite intitulée Cause com-mune. Le lancement du premier numéro à Québec sedéroule dans à la galerie " Le Lieu " sur la rue du Pont.Nous en profitons pour faire la projection d'un film surla participation des anarchistes à la résistance algéri-enne et aux luttes anticoloniales. Une quarantaine depersonnes sont présentes, dont un petit groupe de

    maoïstes venus de Montréalet quelques anars de Saint-Georges-de-Beauce où seforme, au cours de l'été2004, un nouveau collectifde la NEFAC. La fédérationest maintenant présentedans quatre villes auQuébec (Montréal,Sherbrooke, St-Georges etQuébec). Au sud de la fron-tière, la NEFAC sedéveloppe rapidement, toutcomme en Ontario. ÀQuébec, le collectif restestable : la question de lamixité demeure entièredepuis près de deux ans etnous ne parvenons pas àsortir de cette impasse.

    Mobilisations communes

    Au printemps 2004, La Nuitorganise plusieurs actions avec d'autres collectifs lib-ertaires de Québec. Après deux années pendantlesquelles les tensions ont parfois été vives avecd'autres anarchistes, notre collectif fait son " autocri-tique " et change d'attitude. Nous lançons l'idée detenir régulièrement des assemblées réunissant lesmembres des différents groupes pour élaborer desactions en commun. Une liste internet (" Intercollectif ")est mise sur pied pour les membres de " l'assembléedes libertaires de Québec ". Le14 avril, à l'occasion dupremier anniversaire de l'arrivée au pouvoir de JeanCharest, nous diffusons un appel à la mobilisation ("Généralisons la résistance ") en compagnie de LaRixe, Dada à faim et d'autres " libertaires de Québec ".Nous annonçons notre participation à l'action "Bloquons Charest " organisée par le REPAC au coindes boulevards Charest et Langelier. L'appel estégalement signé par une demi-douzaine de collectifsmontréalais.

    L'assemblée des libertaires de Québec mobiliseraégalement pour la grande manifestation du 1er mai2004 à Montréal, qui réunit des dizaines de milliers detravailleurs et de travailleuses (jusqu'à 100 000) contreles politiques anti-sociales du gouvernement Charest.À l'initiative de la CLAC (dont fait partie la NEFAC-

  • 7 28

    son groupe. Globalement, le plateformisme d'aujour-d'hui tend à regrouper la majorité des anarchistessociaux qui croient dans l'obligation de menerjusqu'au bout la lutte de classes. Ceci démontre parailleurs l'échec de la position de Voline et la perti-nence de la création d'un pôle organisé sur une unitétactique et théorique plutôt que sur un assemblaged'idées ayant en commun une appellation.

    La phrase issue de la Plate-forme qui résume lemieux cette situation nous semble par ailleurs encorevalide aujourd'hui, trois quart de siècles plus tard: "Une telle organisation (synthésiste) ayant incorporédes éléments théoriquement et pratiquementhétérogène ne serait qu'un assemblage mécaniqued'individus concevant d'une façon différente toutes lesquestions du mouvement anarchiste, assemblage quise désagrégerait infailliblement à la première épreuvede la vie. " Peut-on mieux résumer la situationactuelle?

    Il va de soi que ce qui nous distingue du reste dumouvement anarchiste, c'est que nous condidéronsque nous devons aller de l'avant, dans une démarcherévolutionnaire. Il ne suffit pas de l'appeler de nosvœux. Il faut aussi nous impliquer solidement dans lesluttes de notre classe, afin que cette vision devienneréalité. Ceci, aucune autre tendance ne le fait defaçon concertée avec un objectif clair: la révolutionsociale.

    Aspects organisationnels

    Pourquoi s'organiser sur des principes plate-formistes?

    Sans entrer dans les détails (la Plate-forme originalerépond quand même bien à cette question), il va desoi qu'une organisation doit se donner les moyensde ses fins. L'idée même de faire unerévolution sociale, politique et

    économique implique qu'une masse importante degens agissent dans ce sens. Face à un ennemi fort etpuissant, plein de ressources, notre principale forcetient dans notre unité et notre capacité de nous organ-iser pour répondre d'une seule voix aux attaques.

    Les tâchesmatérielles etmilitantes quidoivent menerà une révolu-tion ne peuventêtre prises à lalégère. Il estimpossible d'e-spérer avoirune efficacité sichaque person-ne rame dansune directionc o n t r a i r e ,surtout quandle courant dom-inant est presque indomptable. Il ne s'agit pas unique-ment d'une accumulation de forces; chaque effort misdans une direction se trouve multiplié par les autresmis dans le même sens. Seule une organisation sansfaille permet d'arriver à ce résultat.

    Nous avons une autre raison de vouloir tenter l'expéri-ence organisationnelle: en soi, nous avons besoin decette pratique quand arrivera le temps de transformerle vieux monde en un monde tout nouveau. Cette

    tâche colossale demanderaque nous

    soyons

    de la NEFAC. Le contenu et le ton de ce numéro deRuptures reflète l'état d'esprit de la NEFAC a cetteépoque : une certaine mentalité " d'assiégé-e-s " faceau reste du mouvement anarchiste et un fort penchantpour des formules incantatoires toutes faites. Demanière un peu maladroite, nous tentions de faire val-oir l'importance, pour les anarchistes, de sortir du "ghetto " militant et de populariser l'anarchisme au seinde la classe ouvrière. Mais nous étions souvent lesseul-e-s à penser de la sorte et les critiques face ànotre soi-disant " ouvriérisme " étaient nombreuses. Lesuccès relatif de notre campagne auprès des ouvrierset des ouvrières en conflit semblait confirmer lajustesse de nos positions. Au cours des deux annéessuivantes, nous tenterons à nouveau l'expérience endéveloppant d'autres campagnes desolidarité (épiceries, garderies, etc.)avec des résultats variables.

    Au mois de mai, notre collectif organisedeux événements pour lesquels nousproduisons une magnifique affiche "couleur ", une première pour la NEFAC.Le 1er mai, nous tenons une manifesta-tion " rouge et noire " à laquelle par-ticipe une quarantaine de personnessous une pluie battante. Une dizained'anarchistes de Saint-Georges, mem-bres de l'URAB (Union des résistancesautogestionnaires de la Beauce)marchent avec nous, de même que desmembres de la cellule locale du Particommuniste du Québec. Deux joursplus tard, nous organisons une con-férence dans les locaux de la CSN avec

    deux syndicalistes des États-Unis, membres de laNEFAC, dans le cadre de la tournée " L'anarchie autravail " coordonnée par nos camarades de Montréal.À peine une quinzaine de personnes participent à larencontre… qui est un échec. On est loin de nos suc-cès de foule de l'année précédente. Un constat s'im-pose : la nouvelle orientation prise par la NEFAC ne "prend " pas aussi facilement que les thèmes liés à lamondialisation ou les mobilisations contre les som-mets.

    L'élection de Jean Charest

    Le 14 avril 2003, Jean Charest remporte les électionsprovinciales. Le Parti libéral profite de ce momentum

    pour annoncer une série de mesures quivisent à " moderniser " l'État (la fameuse" réingénierie ") et rendre plus " compéti-tive " l'économie québécoise. Tout aulong de l'automne, nous serons aux pre-mières lignes dans les nombreuses man-ifestations contre le gouvernementlibéral. Le point culminant de cette mobil-isation sera la journée d'action du 11décembre 2003. Ce jour-là, des dizainesde milliers de personnes sortent dans larue et paralysent le Québec. Nous par-ticipons au blocage du Port de Québecen compagnie de syndiqué-e-s duSyndicat canadien de la fonctionpublique, où l'un de nos camaradesmilite. Quelque chose d'inattendu sedéroule sous nos yeux : et si le mouve-ment ouvrier sortait enfin de sa torpeur?Malheureusement, la grève générale

    Face à un ennemi fort et

    puissant, plein de

    ressources, notre

    principale force tient

    dans notre unité et notre

    capacité de nous

    organiser pour répondre

    d'une seule voix aux

    attaques.

    Défilé lors du “Camp des mal logé-es” en 2004

    Malheureusement, la

    grève générale

    promise après

    les fêtes par les

    directions syndicales

    ne se matérialise

    pas, tuant dans l'œuf

    le mouvement qui

    allait en se

    radicalisant

  • 27 8

    prêts. Les gestionnaires du passé, ceux qui profitentdu système, n'y seront pas pour nous donner un coupde main; il va falloir prendre nous-mêmes en chargetoute la logistique de la société à refaire. Notre organ-isation pourra y être pour quelque chose, car ellefournira expérience et conseils.

    Plus concrètement, cette idée d'auto-formation, departage des ressources et d'aide collective est néces-saire présentement. Des tâches qui paraissent insur-montables pour des individus isolés se retrouvent toutà coup faciles à réaliser. Les lacunes personnelles decertains sont comblées par les forces des autres. Cecin'est possible que dans une organisation où tout unchacun travaille dans une direction commune, avecdes buts communs et un discours commun.

    Pourquoi notre tendance est essentielle?

    Notre tendance est essentielle parce qu'elle est laseule qui prend en compte tous les aspects quidevront mener à une révolution. Nous ne rejetons paspar exemple le syndicalisme, comme le syndicalismepeut souvent rejeter l'organisation politique.

    Nous sommes par ailleurs les seuls qui opposent ausystème capitaliste un projet de révolution commu-niste libertaire, et qui veulent se donner des outils nonseulement au cœur de la bête(sur les lieux de travail) maisaussi dans tous les aspects denotre vie. Le travail politique etorganisationnel ne doit pas êtrenégligé; il mènera à la révolu-tion, si révolution il doit y avoir,plus que tout autre.

    Plus concrètement, le travailqui reste à accomplir estimmense. Le terrain est fertile,mais nous sommes peu nom-breux. Les récents résultatsaux élections montrent que les gens sont de plus enplus nombreux à déserter le terrain électoral; la criseéconomique affaiblit les bases du capitalisme (maisne les sape pas); le terrain politique est occupé pardes groupes ou des partis tous plus insignifiants lesuns que les autres, qui n'ont rien à proposer d'autreque les vieilles promesses issues du sempiterneldébat Keynésiens-Hayek, etc.

    Comment adapter la Plate-forme aujourd'hui?

    La principale critique que l'on fait à la Plate-forme estson dogmatisme. Évidemment, chaque contexte justi-fie les actions. En période révolutionnaire ou aprèsavoir vécu les répressions comme les anarchistesrusses, il y a peu de place pour l'erreur, et l'extrêmerigueur s'impose. Mais nous n'en sommes plus àexclure quelqu'un de notre groupe pour " pratiquereligieuse ". Si quatre-vingts ans d'action politiquenous ont appris quelque chose, c'est bien à être capa-bles d'une certaine flexibilité et d'une ouverture.

    Cela ne veut pas dire que nous acceptons tout etn'importe quoi. Nous demeurons un groupe plate-formiste, et nous nous entendons sur des principes debase. Les gens qui ne sont pas en accord avec cesprincipes ne doivent pas être membres de notreorganisation. C'est non seulement une question d'effi-cacité, mais aussi de cohérence. Nous ne voulonspas jouer au chat et à la souris pour autant; nouscroyons qu'il est autant dans l'intérêt des personnesqui voudraient devenir membres que dans celui del'organisation de bien exprimer leurs accords etdésaccords sur nos positions politiques. Ainsi, nouspouvons juger de concert si une association estsouhaitable.

    Cependant, force est de constater que la discus-sion, surtout sur des questions théoriques, restemajoritairement à faire. L'unité théorique a été lepoint faible de notre démarche dans les annéespassées, et il convient donc de solidifier nosbases idéologiques dans un avenir rapproché.Tout cela va éviter bien de la confusion.

    Pour conclure, il est évident que nous sommesparvenus à la croisée des chemins en tant qu'or-ganisation communiste libertaire. Nous arrivonsà une période charnière, où il est plus qu'improb-able que toute œuvre réformiste puisse encorefaire son chemin. Dans un avenir rapproché,

    notre tâche première sera d'abord de diffuser l'idée dela révolution libertaire et pour ce faire nous devronscontinuer à nous consolider sur des basesidéologiques solides et sur une unité d'action efficace.Bref, nous devons plus que jamais poursuivre la con-struction de notre mouvement sur la base d'une plate-forme organisationnelle.

    gauche libertaire(4), notre action va se dérouler princi-palement sur le terrain de la lutte antifasciste et de lasolidarité ouvrière.

    Vers la fin de l'été2002, une nouvellesection de RASH(5)va apparaître àQuébec, à laquellep a r t i c i p e r o n tplusieurs membresde La Nuit. Nousprenons con-science de la nazifi-cation d'une partiede la scène punk deQuébec et décidonsd'intervenir à notref a ç o n .Parallèlement, deplus en plus designes laissent

    croire que des groupes de boneheads s'activent dansla banlieue ouest. Notre collectif est contacté par ungroupe d'étudiants et d'étudiantes du cégep F.X.Garneau. Ces militants et ces militantes nous invitentprésenter une conférence le 2 décembre 2002 sur laquestion du racisme et de l'extrême droite dans lesmurs de l'institution(6) . Comme l'écrit Red Roadyquelques années plus tard dans les pages deRuptures : "Quelle n'est pasnotre surprisede voir arriveraux portes de laconférence unedizaine de néo-nazis venant detoute évidencenuire à la bonnetenue del ' é v é n e m e n t .A p r è sempoignade, lesjeunes racistes ont du retourner bredouille dans leurbanlieue bourgeoise ". C'est le début d'une longuesérie d'altercations qui se poursuivront pendant plusde 5 ans avec différents groupuscules d'extrême droite(Québec Radical, MLNQ, boneheads, NSBM, skinsnationalistes...). Un tel climat ne favorise pas non plus

    les nouvelles adhésions... Les débats sont parfois vifsavec la majeure partie de la gauche libertaire qui nevoit tout simplement pas la nécessité de la lutteantifasciste " de rue " et/ou désapprouve certains desmoyens utilisés. Ce que refusent de voir ces militantset ces militantes, c'est que nous faisons également del'éducation populaire dans des milieux où la gaucheest généralement absente(7). Mais rétrospectivement,je pense que nous sommes plusieurs fois tombésdans un certain machisme, notamment lors de débatssur les tactiques à employer pour lutter contre les fas-cistes.

    Le 24 janvier 2003, notre collectif commence l'une descampagnes les plus importantes de sa courte histoire.Depuis quelques semaines, près de 800 travailleurs ettravailleuses des concessionnaires automobiles de larégion de Québec sont en lock-out. Leurs employeursveulent casser le syndicat et imposer des reculsimportants au niveau des conditions de travail. Ce con-flit se déroule dans l'indifférence généralisée, en partieà cause de l'affiliation du syndicat à la Centrale dessyndicats démocratiques (CSD). Nous décidons d'allersur les lignes de piquetage, puis de rédiger un texteexpliquant les causes du conflit et appelant à la soli-darité avec les lock-outé-e-s. Un travailleur contactemême notre collectif pour obtenir des copies du texteafin de le distribuer aux clients et aux clientes desgarages (qui demeurent ouverts malgré le conflit). Le15 février 2003, nous organisons avec d'autres collec-

    tifs un contingent libertairedans une manif contre laguerre. Plutôt que de dis-tribuer un texte sur notreopposition à l'interventionimpérialiste, nous choisissonsde passer notre bulletin " LaNuit " avec le texte sur le lock-out. Tout au long du conflit,nous multiplierons les visitessur les lignes de piquetage.Nous contribuerons dans lamesure de nos moyens à faireconnaître les enjeux du conflit

    à la population de Québec. Le troisième numéro deRuptures sort en mars 2003. On retrouve notammentun dossier sur les classes sociales et un débat sur lastratégie révolutionnaire avec Maxim " Tony " Fortin,un libertaire de Québec qui a publié quelques moisplus tôt une brochure critiquant l'analyse et la stratégie

    Les récents résultats

    aux élections mon-

    trent que les gens

    sont de plus en plus

    nombreux à déserter

    le terrain électoral

    Squat du 920 de la Chevrotière

  • 9 26

    Pour élargir la réflexion, ce texte propose quelquesavenues de remises en question à partir du principeféministe le privé est politique. Souvent associé à tortà la publicisation (rendre public) des gestes individu-els, le privé est politique est plutôt une politisation dela sphère privée et surtout, une dénonciation de la divi-sion de la vie en deux sphères (publique et privée)comme si l'une et l'autre n'étaient pas interreliées.

    Nous sommes tous et toutes inévitablement situé-e-sdans les rapports sociaux, et s'il ne faut pas s'en fla-geller, il faut plutôt savoir les décoder et utiliser à bonescient notre pouvoir d'action pour réorganiser l'ordredes choses. À partir de constats individuels et collec-tifs, de remise en question et de remise à sa place, deréflexions sur des lectures à saveur théorique toutcomme d'expériences personnelles, voici un petitbréviaire pratico-pratique pour aider à faire vivre desorganisations égalitaires. À vous, bien sûr, de le com-pléter!

    Des trucs pour l'organisation interne

    Le problème: L'invisibilité / la non-intégration à l'organisation

    Il est difficile de s'intégrer dans un mouvement socialou une organisation politique.

    Cela peut s'illustrer en ne donnant pas tous les docu-ments nécessaires à une personne sous prétextequ'elle ne l'a pas demandée. Dans une analyse desrapports sociaux et des rapports de pouvoir, il fautreconnaître que tous et toutes n'ont pas la mêmecapacité d' " empowerment ". Ce que l'on traite commedes " traits de personnalités " (par exemple la person-ne est gênée… par quoi nous répondrons tout bon-nement que la personne doit faire des efforts pour sedégêner en public), c'est davantage le résultat d'unacte social. Prenons le cas d'une personne timidedans une organisation (avant, pendant et/ou après lesréunions et actions); elle ne l'est pas nécessairementdans tous les contextes de sa vie, ni dans tous les cer-cles qu'elle fréquente. Il y a nécessairement des gens

    DDuu cclluubb ppoolliittiiqquuee àà ll''oorrggaanniissaattiioonn ddee mmaassssee

    Quelques reflexions sur les

    rapports sociaux dans les

    organisations politiques

    Et si, pour comprendre les échecs et même les succès d'un mouvement social il fallaittout autant étudier les rapports sociaux internes à l'organisation que son rapport deforce face à l'État et au capital? C'est moins glamour que le recours aux théories des

    grands intellectuels de ce monde et beaucoup plus imprévisible. D'autant plus que celademande temps, énergie, et remises en question personnelles importantes. On est loin

    d'une science exacte! Mais peut-être est-il temps que le mouvement révolutionnaire,sans se déclarer vaincu, fasse une profonde remise en question de son organisation.Comment devenir une organisation de masse? C'est bien là notre leitmotiv; mais nosprincipes politiques, notre analyse lutte de classiste, une présence soutenue dans les

    mouvements de lutte et la volonté de les radicaliser suffisent-ils?

    stratégie d'implantation dans nos milieux de vie, detravail et d'étude et de soutenir les luttes sociales.L'action du collectif s'appuiera sur une analyse de laconjoncture et des objectifs à court, moyen et longterme. Nous souhaitons également alterner les ren-contres de formation théorique à celles de poutine plustechnique.

    L'été du squat

    Le 17 mai, environ 200 personnesmobilisées par le Comité populaireSaint-Jean-Baptiste et d'autresgroupes membres du FRAPRU man-ifestent dans les rues de Québecpour revendiquer du logement social.La manifestation aboutie devant le920, de la Chevrotière, un petittriplex abandonné depuis trois ansqui appartient à la Ville de Québec.Une quinzaine de militants et de mil-itantes (dont deux membres de la NEFAC) se barrica-dent à l'intérieur. Ainsi débute le squat de laChevrotière. L'occupation, qui devait durer 48 heures,se poursuit pendant près de quatre mois. Le " 920 "devient le point central des luttes à Québec pendanttout l'été. C'est là que va naître la Page Noire, lalibrairie sociale autogérée, dans laquelle plusieursmembres de la NEFAC vont s'investir dès le début(2) .Notre collectif va y organiser deux activités. Le 8 juin,pendant le Congrès duFRAPRU à Québec, nouslançons au squat unebrochure sur la question dulogement écrite par Phébus.Plusieurs délégué-e-s duFRAPRU participent auxéchanges. Le 10 août, nousorganisons une projection defilm avec deux membres de laFédération anarchiste(France) de passage àQuébec sur les expériencesautogérées au Sénégal.

    Du 13 au 15 septembre, laNEFAC se réunit en congrès àMontréal. C'est la première fois que je rencontre faceà face mes camarades des États-Unis et de l'Ontario.La rencontre est très houleuse, mais débouche sur

    l'adoption d'une stratégie commune. Désormais, lescollectifs membres de la NEFAC travailleront sur troisaxes d'interventions, soit l'anti-racisme/l'antifascisme,les luttes dans nos communautés et sur les lieux detravail.

    Moins d'unesemaine après cecongrès, les squat-ters du 920 de laChevrotière sontévincé-e-s par lap o l i c e .Rétrospectivement,on peut dire que lesquat a eu uneimportance capitaledans le parcours denombreux militantset de nombreusesmilitantes de

    Québec. Deux nouveaux collectifs vont se constituerdans son sillon : le Collectif des bas-quartiers et Dadaà faim. Tous deux sont composés en majorité d'ex-membres de la CASA, tout particulièrement desfemmes. Quant à La Nuit, le collectif sort affaibli decette aventure. Nous n'avons pas été en mesure dedévelopper une vision collective précise de ce quedevait être notre intervention à l'intérieur de l'occupa-tion. Nous nous sommes investi-e-s à fond, mais de

    manière désordonnée et individuelle.Plusieurs membres, sympathisants et sympa-thisantes quitteront notre collectif dans lesmois qui suivent pour rejoindre Dada à Faimou les Bas quartiers. La dernière année asiphonné beaucoup de temps et d'énergie. Sile nombre de membres a rapidement grimpé,le collectif se retrouve maintenant réduit à saplus simple expression. Nous ne sommesplus que quelques membres actifs, tous desgars. Autour de nous gravite un noyau desympathisants et de sympathisantes que nousavons beaucoup de difficulté à maintenir.

    Trois fronts de lutte

    Les nouvelles orientations prises par laNEFAC vont marquer l'activité du collectif dans sadeuxième année. Si nous continuons de participer auxmobilisations de la gauche politique(3) ou de la

    C'est le début d'une

    longue série

    d'altercations qui se

    poursuivront

    pendant plus de 5 ans

    avec différents

    groupuscules

    d'extrême droite

    Ashanti Alston ex-Black Panther

  • 25 10

    et des contextes avec qui elle se sent plus à l'aise.L'exemple contraire est aussi vrai. Plusieurs (souventhommes) sont très à l'aise à parler politique et êtredans le domaine public, mais avec leur conjointe ouleurs enfants, ils bloquent complètement à parler d'é-motion.

    Quoi faire? Le premier pas est très certainement dereconnaître cette situation.Ensuite, le groupe dominantdoit faire des efforts pour nepas " oublier " la présencedes dominé-e-s, par exempleen posant des questions àceux et celles qui n'amènentpas leur opinion. Il ne s'agitpas de faire des tours detable à chaque point.Souvent, la solution passemême davantage à l'ex-térieur des réunions : " hey,as-tu lu tel texte, qu'est-ceque tu en penses? ". Ainsi, une première formulationrhétorique peut permettre d'être plus à l'aise en plusgrand groupe, particulièrement si on s'est sentiécouté-e et soutenu-e la première fois.

    On peut aussi porter une attention particulière sur l'in-tégration de ces personnes à toutes les activités del'organisation, que ce soit concernant les technicalitésde la structure aux principes politiques : " sais-tu com-ment fonctionne le forum? " " As-tu besoin de plus d'in-formation sur les organisations avec qui nous avonsdes liens? " " Connais-tu l'ensemble des acronymesque nous utilisons? " En réunion, on a aussi souventtendance à oublier les gens qui ne parlent pas. Jeterun regard à ces personnes, particulièrement de la partdu praesidium, peut permettre de se sentir inclus-e-sdans la délibération. Dans tous les cas, il ne faut pasrester avec l'idée que ces personnes vont s'inclurentpar elles-mêmes avec le temps parce que l'invisibilitéest nécessairement le résultat d'une dynamiquesociale par laquelle tous et toutes sommes concerné-e-s.

    Il faut aussi considérer l'invisibilité dans les momentshors de la politique formelle.

    Un exemple : s'il faut connaître des chansons révolu-tionnaires pour s'intégrer dans le groupe mais que nul-

    le ne fait les efforts nécessaires pour nous les présen-ter. Ça peut aussi prendre la forme d'avoir des habi-tudes sans jamais se poser la question du pourquoi cesont les mêmes personnes qui y adhèrent : faire desréunions dans des endroits particuliers alors qu'unepartie des gens n'y assistent jamais ou encore allerprendre de la bière. A-t-on vérifié si ça convenait àtoutes les personnes qui voulaient prendre part à une

    activité sociale après la réu-nion ? Est-ce qu'il y a desgens qui ne veulent / ne peu-vent pas y aller ? Peut-onparfois varier, par exemple ense réunissant chez une per-sonne, en allant prendre uncafé ou en restant tout sim-plement sur le lieu de réunionet y apporter de la bière? Cequi doit être remis en ques-tion, ce n'est pas le fait d'allerprendre de la bière ou d'avoirdes sous-groupes d'ami-e-s,

    mais plutôt le fait de le prendre comme une donnée quiva de soi alors que nous pouvons facilement adopterune attitude critique autoréflexive.

    Finalement, il faut aussi voir l'invisibilité comme atti-tude de laisser-faire : faire comme si de rien n'étaitalors qu'on perçoit qu'il y a quelque chose qui clocheou qu'il y a un malaise. C'est en quelque sorte unedéresponsabilisation individuelle parce qu'on sait qu'ily a un problème mais on ne s'en mêle pas, sous pré-texte que ce n'est pas de nos affaires. Ainsi, on nebrise pas la solidarité du groupe dominant et on laissele fardeau au groupe dominé de prendre sur lui poursurmonter les étapes. On peut briser le cercle de l'in-visibilité autant en questionnant les comportementssur le moment présent qu'en revenant par la suitedans une réunion.

    Le problème: Les moqueries

    Ce sont toujours des comportements difficiles àanalyser parce que les gens n'y réagissent pas de lamême façon. Il ne s'agit pas par exemple d'arrêtertoutes les moqueries…ça peut effectivement être drôlepour vrai; et il faut bien continuer à vivre. Par contre, ilfaut être capable de cerner quand ça ne l'est pas. Lagrande difficulté, ici, c'est que les situations ne sontpas analysées de la même façon des différents points

    autres). C'est aussi le temps des scissions avec deuxcamarades qui iront bientôt grossir (pour un temps) lesrangs de " l'ultra-gauche " montréalaise, non sans pub-lier divers textes et pamphlets dénonçant leursanciens camarades.

    L'automne est marqué par plusieurs autres activitéspubliques, certaines organisées dans le cadre del'Université populaire du Comité populaire Saint-Jean-Baptiste, d'autres de façon autonomes. La fin desemaine du 23 novembre,nous présentons non pasune, mais deux conférencespubliques : le vendredi avecGaétan Héroux, de l'OCAP(Ontario Coalition AgainstPoverty), et le dimancheavec Juan NivardoRodriguez, des JuventudesLibertarias (Bolivie), auCentre Lucien-Borne.Malgré une mobilisation lim-itée, la salle est pleine! LeSommet des Amériques faitencore sentir ses effets...

    Le 1er et le 2 décembre2001, la NEFAC organiseune fin de semaine deréflexion sur le patriarcat àMontréal sur le campusLoyola, dans l'ouest de laville. C'est le premier événement public organisé con-jointement par les différents collectifs du Québecdepuis le Sommet des Amériques. Le programme,assez chargé, est élaboré par les groupes de Québecet de Montréal. Plusieurs ex-membres de la CASAsont présents et présentes, de même qu'un grandnombre de sympathisants et de sympathisantes de larégion de Montréal et des États-Unis. Malgré de nom-breux problèmes logistiques et un certain manque depréparation politique, la rencontre est un succès auniveau de la participation. Elle permettra de dresser latable pour le deuxième numéro de Ruptures qui sorti-ra au mois d'avril 2002.

    À l'hiver, la NEFAC débute une première tournée " enrégion ". L'invitation est lancée aux anarchistes vivantà l'extérieur de Montréal et Québec d'organiser desévénements avec nous dans leur coin de pays. Des

    membres de l'Union locale de Québec se rendent ainsià Sorel le 25 mars 2002 pour présenter une con-férence d'introduction à l'anarchisme au Café-BistroLe Cinoche. Le 24 avril, nous nous rendons à Saint-Georges-de-Beauce à l'invitation d'étudiants et d'étudi-antes du CEGEP pour animer un atelier sur la mondi-alisation. Près d'une quarantaine de personnes sontprésentes. Le 6 mai, je me rends à Sherbrooke pourprésenter une conférence sur l'éducation libertairedevant un petit groupe de cégépiens et de cégépi-

    ennes.

    Ces activités ne nous empêchentpas d'organiser d'autres événe-ments publics à Québec. Le 2avril, nous accueillons une cara-vane qui mobilise en vue de laréunion G8 à Kananaskis(Alberta). Une foule nombreusese presse pour écouter diversconférenciers et conférencières,dont Jaggi Singh. Trois semainesplus tard, le 20 et le 21 avril, laNEFAC tient une autre fin desemaine de réflexion à Québec,portant cette fois-ci sur les class-es sociales et la lutte des classes.Des gens d'un peu partout assis-tent à cette rencontre, dont ungroupe d'étudiants et d'étudiantesde Saint- Jérôme. Le 5 mai, nousrécidivons avec une conférence "

    internationaliste " à Québec. Chekov Feeney duWorkers Solidarity Movement (Irlande), LaurentScapin d'Alternative Libertaire (France) et Phébus(pour notre collectif) présentent différentes réalités dumouvement anarchiste et les horizons qui s'ouvrent auniveau de l'organisation. C'est pendant cette périodeque l'Union locale de Québec devient le Collectif anar-chiste La Nuit. Ce changement de nom traduit unevolonté de clarifier notre mode d'organisation et nosobjectifs pour sortir du cercle vicieux " activiste " danslequel nous sommes plongé-e-s. L'idée de former ungroupe affinitaire " fermé " (comme Émile-Henry) estmise de côté. Dès le moment où une personne partagenos positions politiques, un processus formel d'inté-gration se met en branle, débouchant sur l'adhésion(ou non) de la personne après trois réunions. Le col-lectif se donne pour objectif de participer à l'animationd'un pôle libertaire à Québec, de développer une

  • 2411

    de vue. Sur une blague homophobe, ce n'est pas auxhétérosexuel-le-s à décider quand c'est drôle ou non;il est bien évident que leur niveau de tolérance n'estpas le même puisqu'ils et elles ne vivent pas la vio-lence quotidienne associée à l'homophobie.

    Que faire? Une attitude positive est très certainementd'être à l'affût du comportement non-verbal des gens,que ce soit des réactions physiques de chicotement oude malaise, ou bien encore de carrémentdemander aux gens s'ils se sentent àl'aise avec nos blagues (ou les blaguesdes autres). De toute évidence, il fautétablir une relation de confiance et égali-taire avant d'user de telle stratégie rhé-torique. Souvent, par ailleurs, c'est le con-traire qui se passe, comme si les jokesracistes, homophobes, sexistes, handica-phobes et autres étaient un moyen desocialiser lorsqu'on ne connaît pas la per-sonne. Mais d'emblée, on établit un rap-port de pouvoir qui conduit souvent à l'in-visibilité, les gens qui ne se sentent pas à l'aisepréférant se taire ou fuir l'organisation.

    Le problème: les attitudes catégoriques

    Une attitude catégorique peut être de refuser de met-tre de l'eau dans son vin, de tout prendre personnel,de faire des attaques dénigrantes ou de revenir à lacharge jusqu'à ce qu'on fasse changer d'idée legroupe. Par exemple: " Quoi? Tout le monde sait que..." ou " Puff, c'est complètement faux ce que tu dis "alors que la réalité est très nuancée. Les attitudescatégoriques font souvent appel à l'autorité, que cesoit la sienne ou celled'auteur-e-s, per-s o n n a l i t é spubliques ouc a d r e sd'analyse: " Tufais appel àdes argu-ments p'titsbourgeois "; "Dans le fond,t'es pas vrai-ment de notretendance poli-

    tique "; " Tout le monde de notre tendance politique estd'accord avec ça ".

    Sur les attitudes catégoriques, il faut aussi se remettredans le contexte des relations de pouvoir. Être caté-gorique lorsqu'on fait partie du groupe dominant "prend du pouvoir " sur les dominé-e-s (pour les rendredavantage subalternes qu'ils et elles ne le sont déjà)tandis que du groupe dominé-e-s, c'est " reprendre "

    du pouvoir (pour se remettre en situa-tion égalitaire). Une même phrase, parexemple " tu n'as rien compris " n'apas la même signification dans un casde viol : pour le dominant, cela peutvouloir dire que la femme n'a pas com-pris qu'il ne voulait qu'avoir une situa-tion de plaisir (à tel moment ou danstelle position), mais pour la femme,cela veut plutôt dire que le partenairen'a pas réussi à comprendre son refusde la relation sexuelle (par son verbalou son non-verbal). C'est un exemple

    extrême, mais on peut aussi le reporter à toutes nosdiscussions dans l'organisation.

    Cette situation d'attitudes catégoriques de la part desgroupes opprimés fait explicitement référence à cequ'on peut appeler " la colère des opprimé-e-s ". Onpeut comprendre pourquoi les plus démuni-e-s serévoltent parfois de façon spontanée devant la vio-lence institutionnelle et symbolique. Il doit en être ainsidans les rapports sociaux. Même s'il faut favoriser larationalisation des gestes plutôt que la colère spon-tanée, il faut aussi comprendre qu'être victime d'unsystème qui systématiquement opprime notre classeou notre communauté fait naître de fortes émotions. Ilfaut se donner la chance de rationaliser cette colère et

    de la mettre au service de la révolte. Nul besoin,dans ce contexte, d'un dénigrement de la part

    de nos camarades; au contraire, il faut com-prendre cette révolte et donner les moyens

    de passer au travers. Ce peut être pardes encouragements, des gestes sol-idaires, des portes ouvertes à la dis-cussion, etc.

    Dans le cas des groupes dominants,les attitudes catégoriques doiventêtre ramenées à l'ordre par lesautres membres du groupe. Il faut

    Cette perspective -ou cette absence de perspectives-ne m'enchantait guère. Je collaborais de plus en plusrégulièrement au journal " Rebelles ". Je pensais pou-voir poursuivre sur cette lancée à mon retour àQuébec. Malheureusement, le collectif qui édite "Rebelles " cesse lui aussi ses activ-ités au cours de l'été. Je me tournealors vers la seule organisation sus-ceptible d'amener une implication àlong terme, pour laquelle un projetcollectif commun - le communismelibertaire- n'est pas un " tabou ", maisquelque chose de pleinementassumé.

    Je deviens sympathisant de laNEFAC au mois de juillet 2001.Quelques jours plus tard, le 23 juillet,je prends la parole au nom du groupeanarchiste Émile-Henry dans unemanifestation pour dénoncer l'assas-sinat de Carlo Giuliani, devant le con-sulat italien à Limoilou, Je deviensmembre de la fédération peu de temps après. Malgréquelques bémols à propos de la plateforme de laNEFAC, il me semblait plus important de me joindre àun groupe souhaitant développer un courant anar-chiste organisé que d'aller de sommet en sommet,d'une campagne à l'autre, sans perspective révolution-naire.

    L'activisme tout azimut

    Ma première année comme membre dela NEFAC a été pour le moins chargée!Dès la fin de l'été, nous produisons unpremier numéro d'un nouveau bulletinde l'Union locale de la NEFAC intitulé "La Nuit " (en hommage au journal anar-chiste du même nom produit à Montréalde 1976 à 1986). Ce bulletin préfigurece que sera quelques années plus tard" Cause commune " : un bulletin parais-sant sur une base régulière qui est dif-fusé dans les manifs et dans divers lieuxpublics. " L'Union locale " remplace legroupe Émile-Henry comme collectif dela NEFAC à Québec, suite au départ deplusieurs personnes et l'arrivée dequelques autres. Le premier numéro de

    " La Nuit " aborde la question du patriarcat et del'esclavage salarié, deux thèmes qui reviendront péri-odiquement dans nos publications.

    Comme à peu près toute la gauche radicale, l'attaquedu World Trade Center et du Pentagonele 11 septembre 2001 nous prendquelque peu au dépourvu. L'Union localediffuse néanmoins un communiqué de laNEFAC, écrit par nos camarades desÉtats-Unis, lors d'une manifestation àQuébec à la fin du mois de septembre.Nous en profitons pour annoncer unesérie d'événements à venir, dont la sortieimminente d'une toute nouvelle publica-tion de la NEFAC... en français. Le 13octobre, le premier numéro de Rupturessort enfin. Publié à 1000 exemplaires, ilest entièrement produit à Québec, grâceà la collaboration de quelques sympa-thisants et sympathisantes. Le lance-ment a lieu dans le sous-sol de l'ÉgliseSaint-Jean-Baptiste, en présence d'une

    centaine de personnes. Ruptures ne passe pasinaperçu, tout particulièrement le texte " Nous sommesplateformistes ", lequel suscite de nombreuses réac-tions et railleries de la part du " milieu " anarchiste.Chez les " ex " de la CASA, plusieurs tournent le dosà la NEFAC et une certaine compétition malsaine sedéveloppe entre les militants et les militantes " organ-isé-e-s " (ça c'est nous) et les " inorganisé-e-s " (les

    265 Dorchester, Québec - 418-977-1955 Ouvert du mardi au dimanche

    de 12h à 17h et les jeudi et vendredi jusqu’à 21h

    Ce bulletin préfigure

    ce que sera quelques

    années plus tard

    " Cause commune "

    un bulletin paraissant

    sur une base régulière

    qui est diffusé dans

    les manifs et dans

    divers lieux publics.

    Il faut se donner la

    chance de

    rationaliser cette

    colère et de la mettre

    au service de la

    révolte

  • 1223

    J'ai appris l'existence de la NEFAC quelques moisavant le Sommet des Amériques, au cours de l'été2000 si mes souvenirs sont bons. J'avoue avoir étéplutôt sceptique quant à ses chances de réussir.Combien pouvait-il y avoir d'anarcho-communistes auQuébec? Une douzaine?Non, vraiment, ça ne pou-vait pas fonctionner. Il fautdire que l'expérience danslaquelle j'étais plongé -laCLAC- était pour le moinsprometteuse. Ce à quoinous rêvions, un mouve-ment de masse anti-capital-iste, était en train de prendreforme sous nos yeux, portépar la vague anti-mondiali-sation. Nous étions enmesure de mobiliser desmilliers de personnes, non plus sur de vagues motsd'ordre dénonçant les effets du néolibéralisme(comme c'était le cas depuis plusieurs années), maisbien sur un rejet clair des fondements du système cap-italiste. Mieux encore, les principes de démocratiedirecte, d'auto-organisation et d'éducation populaire

    étaient au coeur de cette démarche. Si les mois précé-dant le Sommet ont pu être grisants (et stressants),autant le Sommet lui-même a été à la hauteur de mesespérances. C'est à peine si j'ai eu connaissance de laparticipation de la NEFAC(1) à ces événements, telle-

    ment les rues de Québec foison-naient d'anarchistes et de révo-lutionnaires en tout genre.

    L'après Sommet m'a vite faitdéchanter. Dès le mois de juin,je rejoins celles et ceux qui, àQuébec, s'étaient regroupé-e-ssous l'acronyme CASA (Comitéd'accueil du Sommet desAmériques) pour une fin desemaine de réflexion près deValcartier. Une trentaine de per-sonnes, pour la plupart des étu-

    diants et des étudiantes à l'Université Laval, par-ticipent à cette assemblée d'orientation. Malgré desdébats intéressants, aucune perspective claire ne sedégage de la rencontre. Le Sommet est maintenantchose du passé, et avec lui, plusieurs des personnesprésentes vont peu à peu abandonner l'activisme.

    BBIILLAANN DD''UUNNEEIIMMPPLLIICCAATTIIOONNLA NEFAC À QUÉBEC (2001-2008)

    Je m'implique dans le mouvement anarchiste depuis maintenant une dizaine d'an-nées. Avant d'arriver à l'anarchisme, j'ai milité pendant 5 ou 6 ans dans ce qui

    tenait lieu de mouvance radicale au début des années 1990, un mélange de trot-skisme, d'antifascisme et de luttes étudiantes. Après quelques années d'implica-tion à l'UQAM avec le MDE (Mouvement pour le droit à l'éducation) puis avec leCAP (Comité d'action politique), je participe à la création du Groupe libertaireFrayhayt au mois de septembre 1999, puis de la CLAC au mois de mars 2000.

    plutôt chercher à nuancer ses propos ou se ramener ladiscussion à un niveau égalitaire en parlant de soi. Parexemple: " Ce que je cherche à montrer, c'est que jene suis pas d'accord avec ta vision parce que je trou-ve qu'il y a trop de, ou pas assez de... ". Il faut aussisavoir prendre du recul face à l'organisation: est-ceque ça vaut la peine de mettre tous ses oeufs dans lemême panier? La position qu'on défend et qui n'estpas majoritaire doit-elle inévitablement passer à toutprix, maintenant?

    Des trucs pour les membres vis-à-vis les autres

    Le problème: L'effet gang

    Se croire dans un environnement privé en étant enpublic est extrêmement commun dans les groupespolitiques. On ne fait pas attention aux regards desautres, préférant miser sur les rapports internes dugroupe et son appartenance. Dans le cadre d'uneactivité politique publique, c'est ce qui fait la force del'action collective dans une manifestation ou une occu-pation. Dans le cadre d'activités sociales de conscien-tisation, il n'en est rien. Cela a plutôt un effet rebutantpour ceux et celles qui ne connaissent pas notreorganisation ou qui n'en sont pas membres.

    Que ce soit pour un party ou même lors de la tenued'une table dans une organisation plus large, de typeforum, il faut toujours se rappeler au préalablepourquoi nous sommes présent-e-s : on n'est pas làpour démontrer une unité tactique, un bloc communfort et structuré; on est plutôt là pour conscientiser,pour prouver par la force de l'argumentation notrepoint de vue. On pourrait dire que dans les événe-ments publics auxquels on décide de participer, notreunité ne doit pas être tactique mais théorique. Dans detelles occasions, il faut tactiquement redevenir desindividus pour écarter le plus possible l'exclusion desnon-déjà-inclus-e-s dans le groupe monopolisateur.

    Le problème: L'objectivation des subalternes

    Il s'agit ici de tomber dans le pattern d'objectiver lesgroupes dominés en les ramenant à leur spécificité.Par exemple de ramener les femmes à leur rôle sex-uel, à la maternité ou encore à l'image qu'elles projet-

    tent : " ah, c'est bien d'avoir des femmes dans l'organ-isation, ça nous permet d'être mieux organisé-e-s;elles font plus ceci, elles font plus cela ". Et je passe icitous les commentaires directement sur l'image desfemmes, de leur tenue vestimentaire à leur beauté (ounon) corporelle.

    On peut aussi voir ce point comme l'un des effets per-vers de la parité à l'intérieur de nos groupes (sur lelong terme parce que sur le court terme, des mesuresparitaires sont nécessairement le résultat d'une lutteentre les groupes sociaux ou les dominé-e-s ont vouluconstruire un rapport de force afin d'atteindre l'égalité).Dans un tel cas, le groupe dominant est peu " écorché" au passage. Par exemple, on cherchera une paritéchez les porte-parole : on trouve un homme qui se pro-pose spontanément et ensuite, on cherche une femmeactivement (ou autre, tout dépendant de la cause àdéfendre), en oubliant ainsi que des rapports de forcejouent à l'interne des groupes dominés et oblitérantqu'on aurait aussi pu faire des efforts pour que ce nesoit pas toujours le(s) même(s) homme(s) qui soientporte-parole.

    Conclusion

    En guise de conclusion, je voudrais introduire unelongue citation traduite du site interne de WorkersSolidarity Movement sur la place des femmes