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L'aventure moderne de l'art sacré

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L'AVENTURE MODERNE DE L'ART SACRÉ

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OUVRAGES DU MÊME AUTEUR :

Culture Française, Editions Plaza, Oran, 1941.

Valeurs, Editions Fouque, Oran, 1942.

La Belle si vous vouliez, Editions Fouque, Oran, 1945.

Dimanches et Fête, Editions Ucal, Paris, 1945.

L'Art Sacré Moderne, Editions Arthaud, Paris, 1953.

Images de l'invisible, Editions Casterman, Paris, 1958.

Les Nouvelles églises à travers le monde, Editions des Deux Mondes, Paris, 1960 (a été traduit en anglais et en allemand).

La Peinture romane, Editions Rencontre, Lausanne, 1965 (a été traduit en 7 langues).

EN PRÉPARATION :

Le Sacré en notre temps.

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Joseph PICHARD

L'AVENTURE MODERNE DE L'ART SACRÉ

SPES

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© by Spes, Paris, 1966.

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CHAPITRE 1

LES PEINTRES REDÉCOUVRENT L'ART SACRÉ 1890-1914

Grandeur antique et désarroi au XIX siècle de l'Art Sacré.

Au long de la Grande Histoire, l'illustrant, l'enrichissant de ses merveilleux apports, s'est toujours inscrite l'histoire de l'art, et l'art, dans les siècles anciens, est presque toujours sacré. Pré- cédant même l'histoire, il arrive qu'en plus d'un lieu, un temple, ou ce qu'il en subsiste, demeure seul témoin d'un passé tombé dans la nuit. Et si les faits chrétiens primitifs et essentiels nous sont demeurés présents, c'est sans doute grâce à des textes, grâce surtout à l'extraordinaire empreinte qu'une existence vécue voilà deux mille ans a su creuser dans la conscience humaine, mais c'est aussi parce qu'au cours de deux millénaires de vie chrétienne, les œuvres d'art ont toujours su faire revivre ceux-ci et les exalter.

Cette histoire chrétienne, les siècles et les peuples l'ont vécue et exprimée, chacun dans ses formes personnelles et selon son langage propre. Poésie, musique, architecture, peinture et sculpture, tous les arts l'ont servie. Quelle que fût la façon d'oeuvrer, si changeantes qu'aient été d'une époque à l'autre les techniques et l'esthétique, il se créait toujours des œuvres d'art chrétien. Toujours il y avait un visage du Christ à la ressemblance des hommes de telle race, de tel siècle, toujours près de lui celui de la

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mère ravie ou douloureuse, modèle des autres femmes. Et qui peut dire lesquelles, des nouvelles ou des anciennes, de celles qui venaient d'Orient ou de celles qui naissaient en Occident, furent les plus hautes, les plus fidèles à une forme de pensée, les plus chargées de vie?

Les églises étaient le centre de cette création continue, passant d'une conception architecturale à une autre et s'incorporant des œuvres d'art, elles-mêmes toujours nouvelles. Ainsi en sommes- nous venus à parler de styles basilical, byzantin, roman, gothique, classique, baroque, chacun d'eux se situant en tel lieu, en tel temps, et se prêtant, selon l'infinie diversité de ces lieux et de ces temps, à tous les particularismes.

Pourquoi ce mouvement créateur s'est-il un jour arrêté? Pourquoi ce grand courant de vie a-t-il paru tarir? Au début du XIX siècle s'est fait soudain sentir l'appauvrissement d'une inspiration jusqu'alors demeurée forte et fertile. Après une telle richesse le présent est apparu si pauvre qu'on en a pris inquiétude et honte. Et l'on a cherché refuge dans le passé, on a cru pouvoir faire revivre les styles anciens. Les architectures ont été byzantines, romanes ou gothiques. Les images se sont soumises à des canons académiques, laborieusement empruntés à l'Antiquité ou à la Renaissance. Une grande timidité présida d'ailleurs à tous ces choix, timidité qui de ces diverses traditions, si vivantes en leur origine, ne retint plus que d'indigentes copies. On commença alors de s'interroger sur la vitalité des idées et des sentiments qui les inspiraient.

Si toutefois fidèles aux lois de l'histoire nous replaçons ces faits dans leur contexte, si nous comparons ces églises, ces images à ce qu'on produisait alors dans des domaines parallèles, on s'apercevra que ce n'est pas seulement la vie religieuse de ce temps qu'il faut incriminer; l'art profane, et notamment l'architecture civile, ne manifestait pas plus de vitalité créatrice que l'art sacré. Le XIX siècle n'a su affirmer aucun style archi- tectural. Si les églises sont gothiques, les hôtels de ville et les châ-

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teaux sont d'esprit Renaissance, quand ils ne cherchent pas à jouer les forteresses. A mesure que nous approchons de la fin du siècle nous voyons les villas de banlieue et de bord de mer affecter tous les exotismes et les provincialismes de convention. Les villes se bâtissent sans plan préétabli, les belles places du XVIII siècle cèdent à des carrefours où chacun fait sa maison et sa boutique sans s'occuper du voisin, où les banlieues se déve- loppent dans la plus complète anarchie, chaque propriétaire aménageant son bout de terrain à sa seule fantaisie.

Il y eut bien de temps à autre un essai de réaction contre le laisser-aller qui était devenu la règle en matière de construc- tion et contre cet esprit de copie que — sans pour autant les excuser — on ne peut imputer aux seuls chrétiens.

Nous ne cherchons pas des excuses à l'abaissement de l'Art sacré au cours du XIX siècle, nous constatons seulement qu'il y eut alors d'autres abaissements. La vie chrétienne ne dispose plus que de pauvres signes, mais où trouver encore des étendards ? La laideur est dans les maisons, dans les villes, comme elle est dans l'église. L'une n'excuse pas l'autre encore une fois, elle aide à l'expliquer. Encore eût-il mieux valu qu'à cette laideur l'Eglise ne se prêtât pas !

Voilà donc une tradition millénaire bien rompue. La vulga- rité nous a envahis et l'Eglise n'y a pas fait obstacle. Elle a encore ses saints, dira-t-on? Oui, et la société a ses héros. L'âme ne se nourrit pas que de beauté. Celle-ci est quand même un des termes de la grande triade : vrai, bon et beau, triple visage de l'Etre essentiel. Et comment ne pas s'alarmer quand nous voyons l'un d'eux se voiler à nos yeux?

Comment renouer une tradition rompue ? Est-il même possible de le faire ? C'est la tâche de chaque génération de recou- dre ce qui a été déchiré, de passer par-dessus la mort pour prendre de nouveaux départs. L'art sacré, expression nécessaire du sacré, pas plus que celui-ci même, ne manquera à l'homme. De quel

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côté toutefois devons-nous le chercher? Les églises pendant de longs siècles ont répondu à cette attente. Il était normal que de leur côté fût tentée une aventure nouvelle.

Gauguin, Maurice Denis et les nabis.

Dans cette aventure ce furent quelques peintres, quelques poètes qui les premiers s'engagèrent. Ce XIX siècle dont nous venons de dire qu'il ne fut pas en art un temps de grandes œuvres collectives vit cependant naître et s'affirmer d'importantes et nombreuses individualités. Le peu d'accueil qu'ils recevaient des divers milieux sociaux qui les entouraient ne fit d'ailleurs qu'accuser cet individualisme qui, à mesure que le siècle avançait, devint plus agressif, plus pur aussi de toute compromission.

Dans cette cohorte des indépendants et des révoltés, y avait-il place pour des écrivains et des artistes chrétiens? Ceux-ci ne se présentaient-ils pas au nom d'une religion apparemment liée à ces structures sociales et à ce conformisme intellectuel et artis- tique, auquel il s'agissait précisément de s'opposer ? Les dernières années du siècle virent se modifier assez inopinément à cet égard une conjoncture longtemps défavorable. Le matérialisme triom- phait si bien dans la vie, dans les lettres, chez les artistes officiels qu'une réaction spiritualiste prit figure d'originalité et d'oppo- sition.

C'était encore en peinture le temps de la bataille impres- sionniste et l'on sait quel barrage toute cette société avait opposé à la nouvelle école. Mais ces peintres qui avaient brisé si bru- talement avec les préjugés et les routines de l'art officiel n'avaient combattu qu'au nom de la peinture. Et à lire leur vie l'on peut se rendre compte que ce combat suffisait à leur peine. Donnant l'exemple d'un antimatérialisme admirable dans leur vie, puisqu'ils sacrifiaient à leur art tout confort, toute sécurité, de certains on peut dire leur existence même, ils ne se réclamaient cependant d'aucune discipline spirituelle, et il ne venait pas à l'esprit qu'on

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puisse les comparer aux saints des religions, dont ils étaient pour- tant plus proches que beaucoup des adeptes de celles-ci. Quelques- uns cependant — et non des moins grands — un Cézanne, un Van Gogh, demeuraient tout pénétrés de spiritualité chrétienne. Et Gauguin n'eut pas un long chemin à parcourir pour se trouver promu précurseur et initiateur d'un nouvel art sacré.

Le fut-il plus que Cézanne, plus que Van Gogh ? plus que les peu cléricaux Manet, Renoir ou Monet? Il serait bien hasar- deux de l'affirmer. Le temps était venu d'une réaction à laquelle il se trouva plus ouvertement associé.

L'école symboliste naissait en poésie. Héritier de Baudelaire et de Rimbaud, Paul Verlaine qui l'incarnait écrivait des poèmes chrétiens qui trouvaient écho auprès des jeunes peintres, avides d'établir de nouveaux rapports entre l'art et la vie de l'esprit. A ceux-là aussi on a donné le nom de symbolistes. Ils aimaient se rencontrer dans cette mystique Bretagne où ils avaient trouvé accueil.

Sans renier leurs aînés immédiats, les impressionnistes de la première heure qui étaient loin d'avoir achevé leur dur com- bat, plus proches toutefois de Cézanne qui, réceptif lui aussi à la sensation, cherchait à la soumettre à une volonté construc- trice, ils avaient aussi connu les préraphaélites et se recomman- daient d'Odilon Redon, visionnaire aux rêves étrangement colorés. Ils accueillirent Gauguin, homme de l'aventure, transfuge de l'impressionnisme qui avait quitté Van Gogh, qui devait les quitter eux-mêmes assez vite, non toutefois sans leur avoir livré quelques secrets essentiels et après avoir lui-même rencontré, dans les chapelles de rogations des environs de Pont-Aven, ces saints de granit et ce Christ en bois jauni qui lui inspirèrent ses premiers tableaux religieux.

Emile Bernard, Filiger, Schuffenecker, Sérusier le témoin fidèle, Verkade qui se fit moine retrouvaient à Paris Maurice Denis, qui écrivait alors ses Théories et illustrait Sagesse. Le groupe des nabis se formait où s'inscrivaient alors Bonnard,

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Maillol, Vuillard. Ces années 1890-1900 se placent au cœur du demi-siècle (1860-1914) qui a tant compté dans l'histoire de la peinture, dans celle de la peinture française en particulier. Entre l'impressionnisme et ce qu'on a appelé le fauvisme, brutal et bref déchaînement de sensualité picturale, elles constituent un temps de retraite intérieure, de recherches subtiles. Toute époque étant contradictoire, on ne peut la résumer en quelques formules. Il y eut des affinités entre Gauguin et les nabis, mais aussi de vio- lentes oppositions. Comment Gauguin eût-il converti à la couleur pure ceux que leur sensibilité inclinait vers toutes les subtilités de la nuance ?

Verlaine écrivait dans son Art poétique: « pas la couleur, rien que la nuance

qui fiance « le rêve au rêve et la flûte au cor ».

Qu'y a-t-il à changer à ce texte pour en faire un « art pic- tural » ? Les nabis, et jusqu'aux plus coloristes d'entre eux, un Vuillard, un Bonnard, y sont demeurés fidèles.

Maurice Denis, dès sa quinzième année, avait vu se dessiner devant lui son destin. Il allait être le rénovateur de l'art sacré. Et comment le serait-il sinon en devenant d'abord un peintre parfaitement représentatif de la peinture de son temps, en situant son œuvre dans l'un des courants les plus vifs de l'art de ce temps ?

Il commence par un hommage à Cézanne, tableau de groupe où il accorde aussi une place d'honneur à Odilon Redon. Puis il se rapproche de Gauguin, dont il adopte le parti divisionniste. Il compose dès lors de couleurs délicatement contrastées des tableaux qui ne doivent plus rien au ton local, qui cherchent beaucoup moins la fidélité à la nature que la création, à travers un état d'âme, d'un fait pictural. Sa pente naturelle le porte d'ailleurs vers les demi-silences, les harmonies douces, un peu tristes, les climats crépusculaires, où le visible s'efface devant l'invisible.

Dès lors la peinture religieuse n'est plus pour lui un problème, tout est pur aux purs. Ainsi a-t-il réalisé son dessein. Comme les

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maîtres anciens il peint d'un même pinceau les scènes de la vie profane et celles de l'Evangile. Il ne cherche cependant pas les archaïsmes. A cette période de sa vie il a tourné le dos à l'aca- démisme, l'art religieux ne lui dicte pas un langage convention- nel. C'est bien en quoi il ouvre une voie nouvelle ou plutôt retrouve une tradition trop longtemps méconnue: il fait naturellement de l'art sacré, et par là nous laisse soupçonner que ses maîtres immédiats, Cézanne et les autres, en faisaient peut-être aussi.

C'est dans son jardin familial que les Anges le visitent et le Christ comme à Béthanie vient s'asseoir devant la table servie. Poésie tendre, où le sacré se lie au profane, réconciliation de l'homme avec l'ange, accord de la chair et du cœur. Il y a, du Mystère catholique au Soir trinitaire qui réunit trois jeunes filles rêveuses dans un jardin, une unité d'esprit qui dut le satisfaire. Satisfera-t-elle la clientèle des églises?

C'est beaucoup plus tard que Maurice Denis eut à affronter les églises, démarche inscrite dans ce qu'il avait toujours considéré comme sa vocation même. Pourquoi fallut-il trente ans pour qu'elle se produisît ? (Je ne parle pas des fresques exécutées pour cette église du Vésinet qu'il avait trouvée juste au bas de son jardin.) On a dit non sans raison que les milieux chrétiens, que le clergé n'avaient pas su lui faire accueil. Mais peut-être lui-même n'était-il pas si pressé de les rejoindre, se doutant que cette ren- contre ne donnerait pas les résultats escomptés?

Voici donc que dès son départ nous voyons tourner court l'aventure de l'Art sacré. La rencontre entre un peintre profon- dément chrétien et l'Eglise ne se fait pas. Ou le peintre demeure fidèle à son art et on l'ignore. Ou l'on consent à l'inviter, mais à condition qu'il ne soit plus tout à fait lui-même, qu'il dise autre chose que ce qu'il avait à dire. Il n'y a pas de bons Denis dans les églises. D'abord il y force sa voix, les couleurs ne sont plus les siennes, le format non plus n'est pas le sien. Denis, comme d'autres de ses contemporains, se précipite joyeusement sur les murs et les murs le repoussent. Verlaine n'a pas écrit d'épopée.

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Le malentendu, que nous retrouverons plus d'une fois au cours de ce récit — et c'est pourquoi nous le dénonçons dès le début — est que le peintre religieux, même s'il a fait d'excel- lents tableaux, pense difficilement église et que les responsables actuels des églises, même s'il leur arrive de s'adresser à des artistes, ne pensent jamais peinture.

Vers 1920, en collaboration avec Desvallières, Maurice Denis fonda les Ateliers d'Art sacré. Nous aurons à dire ce que fut cette institution et quels résultats elle donna. Déjà nos réflexions sur l'œuvre personnelle de Denis et sa rencontre avec les églises donnent à prévoir quel pourra être notre propos.

Cette œuvre illustrait bien cependant un des aspects de la vie chrétienne, elle exaltait une des faces du sacré — car il ne faudrait pas réduire celui-ci au dolorisme, encore moins à la terreur. Elle eut d'ailleurs son efficacité. Une voix maintenant avait parlé. L'incompatibilité de l'art moderne et de l'art sacré ne pourra plus être un dogme. Des perspectives se dessinent qui peut-être ne conduiront pas à cet accord qu'on avait souhaité, mais qui mettent fin à des ruptures et au-delà desquelles bien des mouvements et des échanges seront permis.

La belle époque.

Le XX siècle s'ouvre dans une effervescence et un tintamarre où bien habiles eussent été ceux qui auraient alors su distinguer le vrai du factice, le durable du caduc, et séparé d'avance l'ivraie du grain. Encore aujourd'hui 1900 apparaît à beaucoup comme une sorte de fête continue avec lampions et danses effrénées, une sorte de « French cancan » auquel ne résistaient pas les murs mêmes des maisons, ce qu'on a nommé « la belle époque ». Et ce fut certainement une belle époque en effet, une des plus belles de notre Histoire, mais dans un sens assez différent de ce que veut la légende.

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A la vérité il semble que toutes les semences, jetées plus ou moins négligemment depuis un demi-siècle, germaient sou- dainement. Sciences, philosophie, arts, tout se précisait, tout allait se renouveler au cours du siècle nouveau. Sans doute il y eut fête, et l'exposition de Paris en fut un des points culminants. Mais derrière l'estrade foraine, on travaillait beaucoup. La paix y engageait et de grands buts apparaissaient proches : une humanité plus fraternelle, la victoire sur les antiques fléaux, maladie et guerre, de meilleures conditions de vie assurées par tant d'inven- tions, bref un idéalisme qui avait à renverser encore bien des structures périmées et à vaincre de fortes oppositions, mais dont on pouvait espérer qu'un élan généralisé de bonne volonté assu- rerait le triomphe. Pourquoi les événements ont-ils si mal répondu à cet espoir? Pourquoi la bascule, oscillante un moment, a-t-elle tout d'un coup penché vers le mauvais plateau ? La légende de 1900, parce qu'on avait cru l'entrevoir un moment, c'est un peu celle de l'âge d'or.

Les arts s'orientèrent vers deux directions différentes : d'un côté une architecture mouvementée et une fougue déco- rative, ce baroquisme 1900, qui répondait à cette confiance bruyante et malheureusement mal fondée en un avenir glorieux; de l'autre des recherches en profondeur, toutes les valeurs repen- sées, une construction de la société à reprendre. Les quatorze premières années du siècle, alimentées par ce double courant, plus complémentaire que contradictoire, furent d'une fécondité prodigieuse.

Tous les courants d'idées en bénéficièrent. Le spiritualisme eut en France ses penseurs et écrivains : Bergson, Blondel, Barrès, Léon Bloy, J.-K. Huysmans, ses poètes: Claudel, Péguy, Jammes... ses peintres, à côté de Denis, Desvallières, puis Rouault, puis Gleizes... Il eût fallu remonter très loin dans le passé, au moins jusqu'au début du XVII siècle, pour retrouver une telle éclosion de talents, dont un certain nombre orientés vers les réalités spiri- tuelles et religieuses. Les milieux chrétiens ne semblèrent d'ailleurs pas s'en apercevoir. En ce qui concerne particulièrement les églises,

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rien ne fut changé aux déficiences du siècle précédent, sinon que le décor s'alourdit et se banalisa un peu plus, et que les statues de plâtre, emblèmes de dévotion plus ou moins superstitieuses, se multiplièrent, que l'imagerie s'affadit encore davantage. Les quelques tableaux religieux de Denis et ceux que commençait d'exécuter un peintre plus inconnu encore, Georges Rouault, n'exerçaient pas la moindre action sur le public des églises.

Au début du siècle cependant, l'espagnol Gaudi poursuivait à Barcelone une construction singulière qui s'apparentait par bien des côtés au style 1900, mais l'excédait par ses intentions. Nous la retrouverons quand nous aurons à parler d'architecture.

Les arts plastiques étaient en pleine fièvre créatrice. De 1900 à 1914 tous les grands peintres qui devaient illustrer l'époque: Matisse, Rouault, Vlaminck et Derain, Dufy, Bonnard, Picasso, Braque, Léger, Delaunay, Gleizes, Villon, Kandinsky, Klee, Marc, Kupka, Mondrian réalisaient l'essentiel de leur œuvre. Le public ne s'y intéressait pas, le public chrétien moins que tout autre. La cou- pure se creusait de plus en plus entre des milieux attachés à toutes les structures du passé et ces quelques esprits avides de construc- tions et d'expressions nouvelles.

Peut-on dire qu'elle se creusait entre l'art et la vie religieuse ? Oui certainement, mais cette réponse n'eût pas été admise des milieux d'église où l'on s'ingéniait à élever et décorer à grands frais de nombreux sanctuaires et basiliques qui dominaient les villes et divers lieux saints de leurs masses disgracieuses, en même temps qu'ils s'ouvraient à tout ce qu'un luxe purement matériel peut opposer aux valeurs d'expression profonde qui ont toujours été celles de l'art.

Deux élèves de l'atelier Moreau : Desvallières et Rouault.

Abandonnons donc les églises pour toute cette période encore aux routines et aux errements de leurs constructeurs,

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Ce fut et cela reste, en effet, une aventure, comme l'est toujours la rencontre d'une longue tradition avec des mouvements nouveaux. Joseph Pichard a été mêlé à toute cette aventure, il en est à la fois l'historien et l'un des principaux acteurs. Fondateur des revues « Art Sacré » et «Art Chrétien», et aussi du Salon d'Art Sacré, membre de diverses commissions spécialisées, vice-président du Syndicat des Critiques d'art, auteur d'ouvrages qui font autorité en la matière, il a bien voulu, sur notre demande, reprendre encore une fois un récit, qu'il mène jusqu'à l'année 1966. Les débats anciens y sont évoqués, mais ce sont surtout les années présentes qu'il étudie, y consacrant les deux tiers de l'ouvrage. De très graves problèmes se posent actuellement et il est souhaitable que beaucoup de nos contemporains, chrétiens ou non, en prennent conscience. A la lumière du Concile, et en parfaite connaissance des conditions de la vie religieuse dans notre monde présent, Joseph Pichard propose des solutions hardies. L'ouvrage se termine sur une idée qui, sans nul doute, suscitera une fois de plus des rallie- ments et des oppositions. Toute cette actualité vivante rend passionnante la lecture de cet ouvrage.

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