Le commerce équitable au Mexique : labels et stratégies

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Le commerce quitable au Mexique Labels et stratgies

Pierre William Johnson

Rapport remis la Dlgation Interministrielle l'Innovation Sociale et lEconomie Sociale 2004

Pierre Johnson Yamana

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Sommaire

Avant-Propos Introduction I. Contexte historique et exprience du commerce quitable au Mexique 1. 2. 3. 4. Le Mexique, d'un Etat paternaliste au libralisme d'Etat La situation du monde agraire : exclusion et ractions Le commerce quitable international - impacts et limites La ncessit de dvelopper un commerce quitable intrieur

II. La mise en place du "systme mexicain de commerce quitable" 1. Gense du label mexicain de commerce quitable 1.1. 1.2. 1.3. 1.4. 2. 2.1. 2.2. 2.3. 2.4. 2.5. 3. 3.1. 3.2. 3.3. 4. 5. La stratgie d'un groupe de producteurs La mise en place d'un systme national de certification biologique La dfinition des objectifs et le lancement du label mexicain Un systme trois temps Les normes du commerce quitable mexicain Comparaison avec les cadres normatifs de FLO et de Yamana Rglements de produits en dveloppement ou envisags Norme pour l'entreprise mexicaine de commerce quitable Norme pour les points de vente qualifis du commerce quitable Certimex : de l'agriculture biologique au commerce quitable Critiques des producteurs au systme FLO Les avantages d'une certification nationale

L'laboration d'un cadre normatif par Comercio Justo Mexico

L'inspection - Certimex

La certification : du "label mexicain de commerce quitable" Certimex Le dveloppement commercial

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III. Avances et limites 1. Une certification nationale 1.1. 1.2. 1.3. 2. 2.1. 2.2. 2.3. 2.4. 3. 4. Associer l'quitable au biologique Dvelopper des normes adaptes au pays Aspects financiers Le lancement du Caf Fertil Les premiers achats publics de commerce quitable Les dveloppements dans un futur proche Les limites de la commercialisation dans le " systme mexicain de commerce quitable "

La commercialisation

La promotion - ralit et interrogations L'intgration de Comercio Justo Mxico la labellisation internationale du commerce quitable 4.1. 4.2. 4.3. Les relations Comercio Justo Mxico - FLO Questions souleves par l'intgration FLO Les limites de la certification de produit en commerce quitable

IV. Les autres aspects du commerce quitable au Mexique 1. Dveloppement local durable intgr 1.1. 1.2. 2. 2.1. 2.2. 2. 3. L'impact du commerce quitable international La diversification de la production La perte de la souverainet alimentaire Les produits de base : une nouvelle frontire pour le commerce quitable

Commerce quitable et souverainet alimentaire

La possibilit de travailler des produits de base Conclusions

V. Produire et consommer autrement 1. Rapprocher producteurs et consommateurs 1.1. 1.2. 1.3. 2. 2.1. 2.2. 3. Rseaux d'conomie solidaire et commerce quitable Points de vente de produits quitables et solidaires Structures de commercialisation de troisime niveau Les fonctions rgulatrices des marques collectives Marques collectives et commerce quitable

Organisations de filire

Les stratgies de commercialisation quitable et l'Etat mexicain

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VI. Conclusions et recommandations Conclusions 1. 2. 3. 4. Un label pour les producteurs de caf ? D'autres stratgies nationales ou rgionales de commerce quitable La pertinence de l'exprience mexicaine pour d'autres pays du Sud Le potentiel pour l'change d'expriences

Recommandations 1. 2. 3. 4. Pour les agences de certification du commerce quitable Pour les rseaux commerciaux travaillant avec les petits producteurs Pour les producteurs et les institutions d'appui Pour les partenaires europens

Annexes 1. Chronologie de la recherche-action 2. Liste des entretiens raliss 3. Ouvrages et articles consults 4. Liste de prsentations Powerpoint consultables 5. Liste des sigles utiliss

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Avant-ProposCe texte est une version grand public dune tude faite pour la Dlgation Interministrielle l'Innovation Sociale et l'Economie Sociale (DIES), dont le projet a t reconnu comme initiative de type II par le Comit Franais pour le Sommet Mondial du Dveloppement Durable (Sommet de Johannesburg). Ltude tait motive par la conscience des limites du commerce quitable dexportation (principalement de produits agricoles), et par le dsir de comprendre le fonctionnement et les objectifs du premier label de commerce quitable destin au march intrieur dun pays producteur. Au moment de llaboration des termes de rfrence de ltude, lorganisation franaise Yamana cherchait dvelopper un label de commerce quitable bas sur la notion de filire. Il lui est apparut intressant dchanger mthodes et questionnements avec les artisans du label mexicain. Pour sa part, lauteur de cette tude a travaill avec des coopratives de producteurs de caf du SudEst du Mexique en 1997 et 1998, puis lanimation dun rseau facilitant le dialogue, lchange dexpriences et llaboration de propositions entre acteurs du commerce quitable. Le label mexicain de commerce quitable semble alors apporter des rponses certaines des interrogations des producteurs. Un premier contact est tabli avec Comercio Justo Mexico, lassociation au centre du label mexicain, loccasion de la prparation du sommet de Johannesburg en France, qui permet de financer la venue dun reprsentant de lassociation mexicaine en France en juillet 2002, puis quelques jours plus tard loccasion dun sminaire So Paulo (Brsil) organis par le Forum dArticulation du Commerce Ethique et Solidaire du Brsil. La conjoncture politico-institutionnelle en France retarde le financement de ltude, qui commence rellement en avril, et se prolonge jusquen dcembre 2003. Trois mois denqute de terrain auprs dune centaine dinterlocuteurs permettent lauteur de proposer une prsentation dtaille du systme mis en place par les organisations mexicaines dans le cadre du label Comercio Justo Mxico , mais aussi dautres stratgies dveloppes par des groupes de producteurs, des boutiques de commerce quitable et de produits biologiques, et des organisations de la socit civile. La mise en place du label mexicain de commerce quitable apparat de faon gnrale comme prudente et progressive, trop peut-tre pour certains groupes de producteurs et organismes dappui. Jusquen 2002, les efforts taient centrs sur la consultation des groupes de producteurs et llaboration des normes. Le premier produit labellis Comercio Justo Mxico a t lanc en novembre 2002. La rencontre dautres groupes a permis de comparer les stratgies visant rapprocher les petits producteurs et les consommateurs au Mexique. Le label mexicain de commerce quitable offre finalement une base dexprimentation et dchange permettant de confronter un modle aujourdhui gr en grande partie dans les pays du Nord avec les ralits dun pays du Sud pionnier du mouvement du commerce quitable.

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IntroductionMalgr un contexte idologique et politique peu favorable, les campagnes mexicaines, comme celles de toute la Mso-Amrique, prservent de riches traditions agricoles et artisanales. Berceau de la culture du mas, du haricot rouge, de la tomate et du cacao, le Mexique produit galement la premire crale amene dans lespace, lamarante, du caf, la fibre de henequen, encore recherche par les artisans du nord, un miel particulier aux qualits exceptionnelles, et une varit impressionnante de fruits, de lgumes, dherbes mdicinales et de champignons. Tout aussi riche, lartisanat mexicain est mieux connu ltranger, grce aux efforts de promotion et de dveloppement. Les produits de meilleure qualit gustative, cologique et esthtique, sont souvent issus de villages parlant une des 56 langues indignes recenses, qui prservent des traditions agricoles et artisanales, tout en ayant appris sadapter au changement et aux marchs intrieurs et dexportation. Le premier chapitre de cet ouvrage retrace le contexte historique des campagnes mexicaines, mettant en vidence le glissement dune politique agraire sociale et protectionniste au dbut du XXe sicle vers une politique industrielle favorisant les cultures dexportation, puis douverture commerciale totale, trouvant son apoge dans lAccord de Libre-Echange Nord Amricain (ALENA), qui peut fter cette anne ses dix ans dapplication. Triste anniversaire en vrit, puisque toutes les valuations montrent son effet catastrophique sur lemploi tant au Mexique quaux Etats-Unis. Sur sa frontire Sud, il a donn le coup de grce la souverainet alimentaire des populations rurales, et la perspective de pouvoir vivre dcemment du travail agricole. Dans ce contexte, lorganisation des petits producteurs de caf pour lexportation est remarquable. Leur contribution la cration du premier label international de commerce quitable, le label Max Havelaar Hollande au milieu des annes 1980, avec lappui de lorganisation Solidaridad, a reprsent une bulle doxygne au moment o la rupture des accords internationaux du caf produisait une crise des prix qui ne sest momentanment apaise que pour donner place lALENA. Les petits producteurs mexicains ont donc t parmi les premiers initiateurs et bnficiaires des labels de commerce quitable qui, aprs la Hollande, se sont multiplis dans 17 pays dEurope, dAmrique du Nord et au Japon. Ces labels ont permis des milliers de petits paysans et douvriers agricoles dAmrique latine, dAfrique et dAsie, confronts des situations similaires celle des paysans mexicains, de vendre leurs produits des conditions plus respectueuses de leur travail. Autrefois confin dans des petites boutiques militantes vendant des produits du monde , artisanaux et agricoles (principalement du caf), le commerce quitable tend saffirmer aujourdhui non seulement comme une niche commerciale, mais galement comme un modle alternatif de commerce, qui intgre les cots sociaux et environnementaux des producteurs. Le dbat actuel sur lagriculture biologique et la rforme de la politique agricole commune en Europe illustre la pertinence de ce modle, non seulement pour les relations entre les rgions les plus pauvres et les plus riches du monde, mais lintrieur mme de chacune dentre elles.

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A partir des annes 1980, les petits producteurs mexicains ont progress dans ladaptation de leurs mthodes de production aux critres rigoureux de lagriculture biologique. Leur objectif tait non seulement de toucher un march en plein dveloppement, celui des produits certifis biologiques, mais galement dadopter des techniques garantissant la prennit de leur capital de travail, les sols et leau, et en accord avec leurs traditions culturelles, qui insistent sur le respect d la Terre. Au milieu des annes 1990, ils contribuaient nouveau la cration dune agence de certification, en agriculture biologique cette fois, base au Mexique mme, et mieux adapte aux caractristiques du secteur social de lagriculture. La mise au point dun label de commerce quitable destination du march intrieur au tournant du sicle la fin des annes 1990 dbut du XXIe sicle rpond quant lui aux limitations ressenties par certains groupes de petits producteurs concernant les labels destins aux marchs dexportation. Un label national devait permettre aux consommateurs mexicains de privilgier concrtement les produits nationaux des petits producteurs, souvent dexcellents produits. Cette exprience novatrice est en cours de dveloppement, cherchant stendre une plus grande diversit de produits. Cet ouvrage prsente donc aussi dautres stratgies visant rapprocher producteurs et consommateurs au Mexique, et appuyer les petits producteurs dans leurs efforts. Lauteur est heureux doffrir, par cet ouvrage, une premire explication des situations auxquelles sont confronts les petits producteurs du Mexique, lorigine dun riche ventail de produits agricoles et forestiers, ainsi que des stratgies quils mettent au point pour pouvoir vivre dignement de leur travail. Il espre quil parviendra galement intresser un public assez large aux enjeux du commerce quitable, et aux efforts pour lui donner un sens plus large.

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I. Contexte historique et exprience du commerce quitable au Mexique Lassociation Comercio Justo Mxico est ne en 1999 sur linitiative dorganisations de petits producteurs agricoles - principalement de caf - et de la socit civile. Sa mission est de promouvoir une distribution massive de produits des petits producteurs mexicains, travers des relations et des systmes de commercialisation qui rcompensent le travail et reconnaissent la dignit de ces producteurs, de leurs communauts et de leurs organisations, dans une relation solidaire avec les consommateurs . Elle fait suite un ensemble dinitiatives historiques menes par ou pour les organisations de petits producteurs au Mexique. Les petits producteurs mexicains de caf ont t une des principales parties prenantes dans llaboration du premier label de commerce quitable, Max Havelaar Hollande. Le label mexicain de commerce quitable surgit dans un contexte que lon peut caractriser par au moins trois dimensions : 1. La politique conomique actuelle du Mexique, qui correspond simplement au moment actuel dune politique de libralisation conomique, commune de nombreux pays en voie de dveloppement. 2. La situation des campagnes mexicaines, dans le contexte particulier de sa gographie, de son conomie et de lintgration de lconomie mexicaine lespace nord-amricain par lALENA (Accord de Libre Echange Nord Amricain). 3. La situation conjoncturelle du mouvement international du commerce quitable, en plein dveloppement, mais confront aussi un certain nombre de questionnements sur la pertinence de sa stratgie et sur son avenir. Une prise en compte minimale de ce contexte est indispensable pour situer la mise en place du label mexicain de commerce quitable et comprendre les questions et problmes auxquels il tente de rpondre1. Nous avons dvelopp plus en dtail lhistoire du secteur de la production de caf, qui occupe une place particulire dans le paysage agraire contemporain du Mexique, par son importance sociale, et dans la gense des labels de commerce quitable2.

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Nous nous sommes appuys pour les deux premiers aspects sur des lments connus, et sur la collaboration de

Gabriela Torres Mazuera, qui a mis notre disposition son mmoire Dveloppement rural et nouvelle ruralit au Mexique: Une question encore incertaine, mmoire prsent pour le DEA en Sociologie du Dveloppement, IEDES, Universit de Paris I par Gabriela Torres-Mazuera. Directeur: Maxime Haubert.2

Sur la base de nos recherches antrieures. Voir notamment Les producteurs de caf dans la tourmente de la libralisation , Demain Le Monde, CNCD, Bruxelles, 1996.

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1. Le Mexique, dun Etat paternaliste au libralisme dEtat Situer le moment actuel de la politique conomique du Mexique, cest sans aucun doute se placer aprs un tournant majeur dans lhistoire du pays, qui a vu sa trajectoire passer en moins dun sicle dune politique de protection des secteurs industriels et agricoles une ouverture presque totale de son conomie au reste du monde, et en particulier ses voisins les plus dvelopps. On peut situer le dbut de lhistoire moderne du Mexique la rvolution commenant dans la deuxime dcennie du XXe sicle. A partir de 1910, lEtat assume la direction de lensemble de la socit par une politique publique interventionniste et patrimoniale. Sous la prsidence de Lzaro Cardenas (1934 1940), lEtat promeut une rforme agraire dampleur, avec comme objectif une croissance rapide du march interne, remplaant le modle dexportation de produits primaires, en vigueur depuis le XIXe sicle. Lagriculture devenait un des secteurs prioritaires, devant fournir des aliments des prix raisonnables pour la croissante demande urbaine, tout en tant source de devises ncessaires limportation de biens dquipement pour lindustrie nationale. LEtat coopte galement les mouvements ouvriers et paysans. Cette alliance entre le parti officiel et les paysans dbouche sur la cration de la Confdration Nationale Paysanne (CNC) en 1938. Durant des dcennies, les membres affilis cette organisation ont profit de nombreuses prestations sociales. Malgr la croissance de la production agricole jusquen 1965, lconomie agricole entre en crise, et ds les annes 50 des protestations paysannes ont lieu, sous la forme de caravanes de faim et de gurillas rurales. En effet, aprs 1945, les politiques de dveloppement font de lindustrialisation la premire priorit, et les distributions de terres diminuent fortement. Les investissements publics (infrastructures, irrigation, crdit pour lachat de semences, de fertilisants et de pesticides) privilgient le secteur agroexportateur du Nord-Ouest du pays aux dpens du secteur paysan (agriculture et levage familial), situ davantage dans le Centre et le Sud. Dj, lagriculture est perue principalement comme une source de devises pour limportation des biens intermdiaires et dquipement destins au dveloppement industriel. La politique des prix agricoles mise en uvre favorise les centres urbains : elle ne cherche plus garantir au paysan producteur daliments de base un revenu suffisant, mais stabiliser les prix des denres alimentaires pour la population urbaine. Des institutions comme le Comit Regulador del Mercado cre sous Cardenas et plus tard en 1961 la Compana Nacional de Subsistencia Populares (CONASUPO) ont pour fonction la rgulation des prix des aliments de base en milieu urbain. La crise de reprsentativit de la CNC devient vidente dans les annes 1960 lorsque des mouvements de gurilla mergent dans le Sud du pays, fortement rprims plusieurs reprises. De la critique du mouvement paysan officiel naissent des rseaux dorganisations paysannes rgionales, politiquement autonomes et dcentralises, dont vont natre, quelques annes plus tard, la CNPA3 et lUNORCA4.

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Coordinadora Nacional Plan de Ayala 1979 Unin de Organizaciones Regionales Campesinas Autnomas. Organisation de quatrime niveau ne en 1985.

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Le sexennat du prsident Luis Echeverria Alvarez (1970-1976) connat un bref retour une politique visant lautosuffisance alimentaire, favorise par le boom des revenus ptroliers. Son gouvernement met alors en place des institutions intermdiaires assurant des prix garantis, des investissements dinfrastructure et une politique de crdit agricole pour certains secteurs, comme le tabac (Tabamex) et le caf (INMECAFE). Les prix garantis touchent douze produits agricoles jugs comme les plus importants, parmi lesquels le bl, le mas, le haricot, le sorgho et le soja. Les prix du caf sont garantis par le systme des quotas dexportation mis en place par lOrganisation Internationale du Caf, qui durera jusquen 1989. Les annes 80 marquent le dbut dune nouvelle politique conomique visant louverture commerciale du secteur agricole et son intgration au march international, sous la pression notamment des institutions financires internationales. La crise de la dette extrieure (1982) conduit une srie de programmes dajustement structurel obligeant lEtat amorcer une libralisation profonde du secteur agricole et rduire les barrires douanires. La participation du Mexique aux accords du GATT partir de 1986 amorce lacclration de louverture commerciale. En 1989, les prix garantis de dix des douze principaux produits agricoles sont supprims, ne laissant que le mas et le haricot sous le systme de prix garanti. Le crdit rural est profondment rform suivant les prceptes no-libraux, retirant son service aux producteurs ne pouvant donner suffisamment de garanties. LAccord de Libre-change Nord-Amricain (ALENA) sign entre les Etats-Unis, le Canada et le Mexique accentue considrablement ce processus, puisquil prvoit lintgration totale des conomies des trois pays. La circulation de lensemble des biens est libre le jour de son entre en vigueur, le 1er janvier 1994, sauf pour trois produits agricoles importants pour le Mexique, qui bnficient seulement dun dlai avec la libralisation totale de leur march. Or le poids conomique des trois pays est profondment diffrent. Les grands producteurs agricoles des Etats-Unis continuent recevoir des aides directes, mais lALENA oblige le Mexique faire supprimer les subventions agricoles et mettre fin la politique de prix garantis. En mme temps, la rforme de larticle 27 de la Constitution ouvre la porte la privatisation des terres communales. Limpact de cette nouvelle politique agricole peut tre mesur par la contraction gnrale de la production agricole lexception du mas. De 1994 2002, le PIB agricole dcrot de 3% tandis alors que le PIB national crot de 0,94%. De positive en 1989 (+ un milliard de dollars), la balance commerciale agricole devient ngative aprs louverture commerciale (-3,1 milliards de dollars en 2001). Le nombre demploi perdus entre 1993 et 2000 dans le secteur rural est de 1,7 millions, dont 600 000 lis la production de grains de base. De productrice de cultures vivrires, lagriculture mexicaine devient exportatrice de cultures de rente. Sa composition est significative : aujourdhui, le caf, les fruits, les lgumes frais constituent la majeure partie des exportations, tandis que la plus grande partie des importations est forme de produits de base et de crales pour la consommation animale. Louverture commerciale na pas davantage favoris les consommateurs. Depuis lentre en vigueur de lALENA (1994-2003), les prix des aliments de base ont augment de 257 %. De plus, la qualit

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de ces aliments a pu se dtriorer, parce quils proviennent de plus en plus des excdents du systme agroalimentaire nord-amricain. Les ractions du milieu rural Labandon Dans cette situation de crise profonde, de nombreux paysans diversifient leurs activits. Lagriculture ne reprsente plus que 22,2% des revenus des familles rurales possdant jusqu deux hectares de terre, et 34,8% des revenus de celles qui possdent de 2 5 hectares. Pour ces familles, les activits non agricoles reprsentent respectivement 57,8% et 49,6% de leurs revenus. Mais la tendance la plus importante dans lvolution du monde agraire est sans conteste lmigration vers les villes ou vers les Etats-Unis, qui reprsente 20% des revenus des familles avec moins de 2 ha et 15,7% des revenus de celles qui ont de 2 5 ha5. 600 paysans abandonnent chaque jour leurs terres pour migrer vers les villes ou les Etats-Unis. Lhmorragie des ejidos6 est patente : 80% des mnages y reconnaissent avoir un membre de leur famille hors du village, et 45% aux Etats-Unis. Les revenus de lmigration sont aujourdhui une des principales sources de devises du pays (9.8 milliards de dollars en 2002) . Limmigration aux Etats-Unis provoque aussi une migration interne au Mexique ce qui a pour effet de rduire la main duvre dans les rgions o la migration vers le Nord est la plus forte. La signification de ces deux tendances est la mme : labandon forc par les paysans du monde rural mexicain, pour pouvoir survivre. De nouveaux mouvements contestataires Le jour de lentre en vigueur de lALENA, un mouvement social dune nature nouvelle et insouponne faisait son irruption dans la partie la plus recule du Mexique, ouvrant une priode de crise, puis douverture politiques. Le 1er janvier 1994, des centaines dindignes organiss dans lArme Zapatiste de Libration Nationale (EZLN) prenaient sept villes du Chiapas, lanant leurs revendications depuis la fort lacandone, et appelant un sursaut de la conscience nationale et internationale pour mettre fin aux situations dexclusions les plus criantes. Au mme moment, le mouvement El Barzn regroupait des petits et moyens entrepreneurs et des pargnants de classe moyenne urbaine et rurale endetts, autour dune dnonciation des effets des politiques de libralisation. Ces mouvements se diffrencient des mouvements antrieurs ou plus traditionnels par une profonde remise en question du systme politique, de la politique conomique et un rejet profond du projet no-libral. Ils ne sattachent pas telle demande particulire, interviennent simultanment plusieurs chelles (locale, rgionale, nationale et internationale) et regroupent des groupes sociaux et des interlocuteurs multiples. Certains voient dailleurs dans le soulvement zapatiste de 1994 les prmisses du mouvement altermondialisation.

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Source: A.D. Jainvry. Et. A. , University of California, Berkeley, 1997. Forme de proprit collective de la terre.

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2. La situation du monde agraire : exclusion et ractions Les consquences de lALENA Lentre en vigueur de lALENA, a jou un rle indniable dans lvolution du commerce extrieur mexicain. Dabord pour le choix des partenaires commerciaux, puisque la part des tats-Unis dans le commerce extrieur mexicain sest accrue tout au cours des annes 90, surtout au chapitre des importations mexicaines, dominant les changes commerciaux avec le Mexique. Dans le secteur des biens, les Etats-Unis ont fourni 75 % des importations et ont achet 85 % des exportations du Mexique en 2000. Les autres partenaires importants du Mexique sont le Canada (2e destinataire des exportations mexicaines), le Japon et lAllemagne. Aprs cette dernire, les principaux partenaires europens du Mexique sont lEspagne, la France, lItalie et le Royaume Uni. Aucun pays, lexception des tats-Unis, na une part du march mexicain suprieure 4 %. La politique douverture des marchs mise en avant par les autorits mexicaines depuis de nombreuses annes ainsi que le dveloppement acclr des maquiladoras, les zones franches mexicaines, sont les deux raisons majeures de la croissance phnomnale des changes commerciaux internationaux du Mexique au cours des annes 90. Selon les donnes de lOMC, le commerce extrieur mexicain de biens et services slve 364 milliards de dollars amricains pour lanne 2001, soit 171 milliards de dollars pour les exportations et 193 milliards pour les importations. Cest principalement un commerce de biens (qui reprsentent 92% des changes du pays la moyenne mondiale tant de 81%). Quels sont les bnficiaires et les perdants de cet accord de libre change ? Les principaux gagnants du point de vue de la production agricole font tous partie du secteur agroindustriel au Mexique et aux Etats-Unis. Au Mexique, ce sont les entreprises ayant bnfici des importations bas prix de bl ou de mas des Etats-Unis : le Groupe Bimbo (entreprise mexicaine de pain), avec des ventes de $3,47 milliards en 2001 ; le Groupe Gruma (Maseca), le plus grand producteur de tortillas et farine de mas au monde7 ; et les gros importateurs de grain pour la production de lait et de viande : Grupo Bachoco, lentreprise de lait Lala (ventes annuelles : $40 millions). Ce sont aussi Alfonso Romo Garza (groupes Pulse et Savia), actif dans le dveloppement, la production et la commercialisation de semences pour fruits et autres produits, le Groupe Viz, principal producteur et distributeur de buf, et les exportateurs de lgumes, soit 20 000 des 100 000 producteurs de lgumes dans le pays. La famille Ochoa Labastida qui exporte 550 tonnes de lgumes aux Etats-Unis joue un rle important dans ce secteur. Parmi les compagnies amricaines, ce sont les entreprises du secteur des fruits exotiques, Cargill (premire entreprise mondiale dans le commerce des crales), Dupont de Nemours. Les bnfices nets de lensemble de ces entreprises sont valus environ $25 milliards depuis lentre en vigueur de lALENA.7

en

particulier les compagnies transnationales Chiquita et Del Monte, et les multinationales Pilgrims Pride,

Ses ventes ont atteint $1.25 milliards de dollars en 2001, soit une augmentation nette de bnfices de lordre de 50%.

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Pour la majorit de la population, limpact de lALENA sur lagriculture et le secteur alimentaire a t ngatif : Laccord a entran une augmentation des importations agricoles. En 1995, le Mexique importait $3,254 milliards de produits agricoles nord-amricains, et exportait $3,8 milliards dollars de produits agricoles aux Etats-Unis. En 2001 les importations des Etats-Unis ont dpass $7,415 milliards et les exportations aux Etats-Unis taient de $5,267 milliards. Le surplus commercial agricole de $581 millions avec les Etats-Unis en 1995 est devenu un dficit de $2,148 milliards. Depuis l'entre en vigueur de lALENA, le Mexique a dpens $78 milliards pour ses achats alimentaires, plus que toute la dette publique. Limportation de produits de base (mas, haricot, bl, sorgho, riz, etc.) est pass de 8,7 millions de tonnes en 1990 18,5 millions de tonnes en lan 2000. Les chiffres pour le mas sont vertigineux : dune importation annuelle de 2,5 millions de tonnes on est pass en 2001 6,148 millions de tonnes annuelles en 2001. LALENA a fait perdre toute souverainet alimentaire8 au Mexique. Ce pays importe 95% du soja consomm; 58,5% de son riz; 49% du bl; 25% de son mas et 40% de sa viande. A cause de la concurrence dloyale des importations, la valeur relle des produits agricoles sest effondre : entre 1985 et 1999 le mas perdu 64% de sa valeur et le haricot 46%. Malgr cela le prix rel du "panier de base" au consommateur a augment de 257% entre 1994 et 2002. Tous ces facteurs ont naturellement aggrav la pauvret rurale et lmigration. 1,78 millions demplois ont t perdus en milieu rural depuis le dbut de l'ALENA (1994). D'aprs le Ministre du Dveloppement Social (SEDESOL), la moiti des 8,2 millions de ruraux que compte le pays vivent dans la pauvret extrme9 (contre 35-36% en 1992) et les deux tiers sont indigents. Cette situation est rendue possible par lnorme disproportion entre les subventions agricoles aux Etats-Unis et au Mexique : celles que le gouvernement amricain donne ses producteurs se montent une moyenne de $21 000 par producteur; au Mexique, la subvention moyenne par producteur est de $700. Le Farm Bill doit encore augmenter les subventions aux producteurs amricains de 80% dans les dix prochaines annes. LALENA est donc loin davoir inaugur une re de libre concurrence en Amrique du Nord. Au 1er janvier 2003, toutes les taxes douanires sur les importations alimentaires, sauf le mas, les haricots et le lait en poudre en provenance des pays de lALENA ont t leves. Les taxes sur les produits exemptes seront leves compltement en 2008.

Les organisations paysannes ont adopt au cours des dernires annes la notion de souverainet alimentaire, plutt que celle de scurit alimentaire, donne par les Etats et les organismes internationaux. Cette notion est dveloppe plus loin. 9 52,4% de la population rurale serait dans un tat de " pobreza alimentaria," cest--dire, gagnant moins que le montant minimum pour se nourrir, et 50% dans un tat de "pobreza de capacidades", ne pouvant couvrir leurs besoins en alimentation de base, sant et ducation.

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Cette situation a motiv les organisations paysannes et les ONGs former fin 2002-dbut 2003 le mouvement El Campo no Aguanta Ms ( les campagnes ne peuvent pas supporter plus ), pour demander un moratoire sur le chapitre agricole de lALENA. Evolution du secteur social de lagriculture Limportance de la petite production agricole au Mexique peut tre illustre par quelques chiffres : La production de mas pour le march continue, malgr les conditions conomiques dfavorables, faire vivre 2,5 millions de familles mexicaines. 280.000 familles de petits producteurs de caf possdent en moyenne moins de deux hectares, mais produisent environ 3 millions de sacs de caf par an. 40.000 50.000 petits producteurs de miel (apiculteurs), produisent une grande partie des 50.000 tonnes de miel que le pays produit. La moiti de cette production est exporte. La production et la vente dartisanat fait aussi vivre plus dun million de mexicain(e)s, souvent de milieu rural. Lagriculture paysanne mexicaine comme cratrice demploi et garantie de souverainet alimentaire est fortement menace par les politiques conomiques et les conditions actuelles de lintgration du pays dans lespace conomique nord-amricain. Le Mexique et lAmrique centrale sont une des rgions dont on est originaire le mas et possdent des dizaines de varits traditionnelles, adaptes aux conditions particulires des diffrentes rgions. Malgr cela, le pays importe du mas de qualit infrieure des EtatsUnis des prix de dumping. Plus grave, du mas transgnique dorigine amricaine a t dcouvert en 1999 et 2000 dans les rgions les plus traditionnelles de ltat dOaxaca, alors que la paysannerie et la population ignorent tout des risques lis cette technologie. Les diffrents rseaux de commerce quitable sefforcent de soutenir ces sources demploi rural : Des dizaines de groupes dartisans exportent leurs produits vers les magasins de commerce quitable en Europe et en Amrique du Nord. Une cinquantaine de groupes de petits producteurs mexicains de caf, miel et jus dorange bnficient actuellement du systme du commerce quitable international, travers les labels du systme FLO10. Le Mexique est le premier exportateur de caf et de miel certifis du commerce quitable et de lagriculture biologique dans le monde. Ces rseaux sappuient sur lorganisation des producteurs dans ces secteurs, en mme temps quelle cherche la renforcer.

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Fair Trade Labelling Organisation International, qui regroupe 17 initiatives nationales de commerce quitable dans un systme dinspection, certification et labellisation.

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Producteurs de caf : la conqute de lautonomie Il nous semble utile de tracer les grandes lignes de l'organisation des petits producteurs de caf mexicain, dans la mesure o leurs coopratives ont t en grande partie l'origine du lancement du label mexicain de commerce quitable. De plus, l'histoire de cette filire illustre les hsitations de la politique agricole mexicaine sous la pression de la crise conomique et de l'ALENA, les rapports de l'Etat avec la paysannerie, et la capacit que dmontrent les petits producteurs s'organiser malgr leur dispersion. A la fin du XIXe sicle, le prsident Porfirio Diaz cde des surfaces considrables de terre des investisseurs allemands et amricains pour qu'ils plantent du caf. Depuis lors, l'Etat mexicain n'a cess d'intervenir dans cette filire agricole lucrative, dans des directions successives contradictoires, mais sans modifier fondamentalement les structures agraires. La rvolution mexicaine du dbut du sicle et la rforme agraire qui la suit dans les annes 1930 marque le dbut fragile de l'existence d'une petite paysannerie du caf. La commercialisation et la transformation du caf taient alors domines par des intermdiaires ou de grands producteurs disposant de capital. L'essentiel des revenus du caf tait accapar par les exportateurs et leurs intermdiaires (les coyotes), qui laissaient aux petits producteurs la portion congrue. Pendant les annes 1970 le gouvernement du prsident Luis Echeverria met en place dans ce secteur, grce aux prix levs du ptrole et du caf une politique tatiste dont le bilan, pour les petits producteurs, est nuanc. L'Institut Mexicain du Caf (INMECAFE, cr en 1958) prend peu peu le contrle d'une part majoritaire de la commercialisation du caf. Il fournit aux producteurs assistance technique et crdit sous forme d'avances sur rcolte, pntrant dans des zones peu productives o l'arbuste est cultiv selon des mthodes traditionnelles. Pour arriver directement aux paysans il les organise en Units de Production et de Commercialisation (UEPCs). Sous son impulsion, le total des surfaces plantes en caf augmente considrablement. Mais le modle technique prn par l'institut est celui du "paquet technique" avec beaucoup d'intrants. Il favorise la monoculture du caf aux dpens de la diversification agricole, ce dont souffriront les petits producteurs lors de la chute des cours. La crise conomique frappe durement le Mexique au dbut des annes 1980. Malgr la dnonciation de la dette mexicaine en 1982, l'Etat opre un virage 180 et s'oriente progressivement vers une politique de libralisation de l'conomie. Il accuse de mauvaise gestion l'INMECAFE dficitaire. Celui-ci cesse d'abord de fournir crdits et assistance technique aux producteurs, puis se dsengage de la commercialisation. A ce contexte difficile s'ajoute la fin de l'Accord International sur le Caf en juillet 1989, qui provoque une chute brutale des cours et l'abandon du systme des quotas d'exportation, annonant un cycle de libralisation, dans lequel la capacit financire et les projections des entreprises dominant le march sont dterminantes pour ltablissement du niveau des prix. La drgulation de la filire caf est alors totale. La crise l'est aussi. L'Etat annonce qu'il dsire laisser la place des oprateurs privs, mais ceux-ci sont peu motivs par des investissements dans ce secteur dstructur. Rares sont les banques qui prtent aux petits producteurs. L'Etat doit donc continuer accorder des prts, mais le fait au comptegouttes et travers de multiples institutions. Les intermdiaires font une nouvelle avance dans la filire.

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Les prix chutent brutalement en 1989-1994, et restent spculatifs. Pourtant, les institutions financires internationales encouragent la mise en culture de cafiers dans des pays qui ne sont pas traditionnellement producteurs, aggravant ainsi la situation. En 2002-2003, les prix internationaux reprsentent la moiti du cot de la production, et sont leur niveau le plus bas depuis 40 ans. Au cours des dernires annes, les producteurs de caf ont perdu 70% de leur revenu. Le caf occupe cependant toujours un espace discontinu d'une longueur considrable au Sud du pays, dans des rgions de langue indigne et de climats diffrents. La production mexicaine est aujourd'hui la quatrime du monde et fournit 2 3% des recettes d'exportation. Mais les deux tiers des producteurs ont moins de 2 hectares et n'en retirent au mieux que l'quivalent d'un salaire minimum, insuffisant pour vivre. Le caf joue cependant une fonction sociale importante, procurant un revenu montaire prs de 300 000 producteurs, la plupart indignes. Avec leurs familles et celle des journaliers, ce sont plus de 3 millions de personnes qui en dpendent. C'est pourquoi, malgr une politique globale de libralisation de l'conomie, l'Etat ne peut se dsintresser de cette filire.

Zones de production de caf. Source : FONAES

Indices de pauvret par Etat. Source : INEGI

La comparaison des cartes de source gouvernementale indiquant les zones de production de caf et les indices de pauvret (du vert au marron fonc, les indices de pauvret vont croissants) montre clairement que le caf est produit dans les rgions les plus pauvres du pays, concentres dans son arc Sud. La production et la commercialisation du caf sont une des rares options des populations rurales de ces rgions pour avoir un revenu montaire. Cependant, les contextes dans lesquels vivent les paysans produisant du caf sont relativement divers dun point de vue culturel (indignes de groupes diffrents, mtis, etc.) et gographique (rgime des pluies diffrent selon que ce soit la faade ocanique atlantique ou pacifique), do une organisation diffrente de la filire (transformation et commercialisation). Les luttes restent trs localises pendant les annes 70. La dfense du prix du caf fournit un thme et un interlocuteur/adversaire commun (INMECAFE) permettant aux organisations de se structurer durant la dcennie suivante au niveau rgional, voire national. Elles se rendent cependant compte aprs quelques cycles de production que les rsultats obtenus autour de cet objectif seront ncessairement limits, aussi se proposent-elles d'autres buts : le contrle de la commercialisation, puis de la transformation de la baie. Une dynamique de cration de rseaux au niveau

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des principaux Etats producteurs (Veracruz, Chiapas, Oaxaca et Guerrero) se met en place, aboutissant fin 1988 la cration de la CNOC (Coordination Nationale d'Organisations Cafires). Cette coordination regroupe actuellement 126 organisations rgionales et locales des tats de Chiapas, Guerrero, Hidalgo, Oaxaca, Puebla, San Luis Potos et Veracruz et 75 000 petits producteurs de caf, 80% indignes, dune douzaine de groupes linguistiques. Ceux de Veracruz crent leur propre structure de commercialisation, bientt suivis par d'autres coordinations. La CEPCO (Coordination d'Oaxaca) connat partir de 1989 un mouvement de consolidation et de structuration trs rapide, provoqu par les prtentions du pouvoir mettre en place un Comit d'Etat du Caf sans les petits producteurs. Cest actuellement un regroupement compos dune quarantaine dorganisations totalisant selon les priodes de 13 000 23 000 membres de ltat de Oaxaca. Le retrait de l'Etat de la filire oblige les organisations de producteurs se substituer aux fonctions autrefois remplies par INMECAFE. Aprs tre intervenues dans la commercialisation, elles doivent chercher elles-mmes des crdits pour financer les "frais de campagne" des producteurs. Les taux du march tant alors trs levs, beaucoup s'endettent. Mais leur activit permet aux producteurs d'chapper aux prix imposs par l'Etat ou par les "coyotes". Pendant la campagne 1991-92, la CEPCO obtient un prix la vente nettement suprieur celui propos par l'INMECAFE (3.200 pesos contre 2.764). Les coordinations explorent les marchs nord-amricain et europen. Elles tablissent des contacts avec le commerce quitable, principalement Max Havelaar, et se lancent sur le march du caf biologique, qui permet d'obtenir de meilleurs prix. La CNOC cre sa propre marque aux Etats Unis, Aztec Harvests. La CNOC impulse galement un mouvement de liaison des petits producteurs de caf latinoamricains avec la rencontre de juillet 1989 au Costa Rica et celle de septembre 1989 au Honduras pour l'Amrique centrale, le Mexique et les Carabes, qui examinent limpact sur les producteurs de la fin des accords conomiques de lOrganisation Internationale du Caf en 1989, lchange ingal Nord-Sud, et limportance sociale plus quconomique de plantations mixtes de caf avec des cultures vivrires pour la consommation familiale. Deux ans plus tard, en avril 1991, cette rencontre dbouche sur la cration du Frente Solidario (Front Solidaire) au Costa Rica, avec lappui de la Fondations Max Havelaar Hollande, et de la Consultora Agro Econmica (Bureau de Consultant Agro-Economique), projet de la Fondation allemande Friedrich Ebert. Note sur le taux de change peso mexicain dollar Si on compare la situation du peso mexicain avec celui du real brsilien, par exemple, on constate que la monnaie mexicaine a connu des priodes de grande stabilit par rapport au dollar amricain. Sur la priode qui nous occupe, le premier changement majeur du taux de change sest fait au moment de llection prsidentielle de 1995, qui a connu une forte instabilit pour le peso, avec un dollar entre 5,6 et 7,7 pesos. En 1997 1998 la valeur du peso sest lentement rod, avec un dollar de 7,83 (janvier 1997) 10,13 (janvier 1999). En lan 2000, elle se stabilise nouveau autour de 9,5 pesos pour un dollar, avant de perdre nouveau de la valeur entre mai 2002 et la priode actuelle. En 2003, la valeur du dollar oscillait entre 10,7 et 11,2 pesos.

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3. Le commerce quitable international impact et limites Le contexte dcrit plus haut a influenc la forme qua pris le dveloppement du mouvement international du commerce quitable au cours des dernires dcennies. Lintgration troite de lconomie mexicaine lespace nord-amricain est spcifique ce pays, mais beaucoup de pays du Sud ont fait lexprience du cycle dette - plan dajustement structurel libralisation. Le dmantlement des offices de matires premires agricoles (caf, cacao, etc.) offrant un prix relativement stable aux producteurs a t gnral, suivant, et parfois anticipant, la disparition des accords internationaux mis en place dans les annes 60 et 70 pour la rgulation des exportations et des prix de ces produits. Les producteurs, qui avaient su sorganiser dans un contexte de march rgul pour produire et commercialiser de faon indpendante ces produits, avaient pu profiter dun march et de prix stables tout en affirmant une certaine autonomie par rapport aux tats, permettant ainsi leurs organisations dinvestir dans le dveloppement de la qualit et la transformation de la matire premire. Durant cette priode, le paysage du commerce quitable en Europe est caractris essentiellement par le mouvement des magasins du monde , points de vente spcialiss proposant des produits artisanaux ou alimentaires provenant de groupes de producteurs marginaliss ou de pays avec lesquels ce mouvement voulait exprimer une solidarit particulire (caf du Nicaragua par exemple). Dfendre un nouvel ordre conomique mondial plus quitable pour les producteurs du Sud, selon le mot dordre Trade not Aid 11 semble encore possible. Les accords sur les matires premires et sur le textile sont interprts comme des premiers pas dans cette direction. La conjoncture change radicalement au dbut des annes 1980, alors que se met en place un cadre idologique et politique en faveur de la libralisation de lensemble des conomies, surtout pour les pays en dveloppement. Dans certains secteurs, des organisations de petits producteurs anticipent le retrait de leur Etat, et cherchent tablir des relations directes avec des importateurs europens ou nordamricains sur une base, non plus politique, mais de partenariat conomique, respectant des principes dquit et de transparence. Les premires coopratives de petits producteurs exporter directement leurs produits sans passer par les organismes dtat sont les coopratives de producteurs de caf du Sud-Est du pays (tats du Chiapas et de Oaxaca) : Majomut, ISMAM et UCIRI. LUnion des Communauts Indignes de la Rgion de lIsthme (UCIRI) est sans conteste une exprience pionnire dans lorganisation des petits producteurs de caf, et pour sa relation avec le mouvement du commerce quitable en Europe. Cette organisation de 2 300 producteurs indignes de la rgion de lIsthme de Tehuantepec fut tablie en 1983 sur une base indpendante, bien que dinspiration chrtienne. Bnficiant dun appui de la partie progressiste de lEglise catholique - dont le courant de la thologie de la libration fut longtemps reprsent dans la rgion par lvque Lona - elle se consacre ds lorigine la production de caf biologique, et obtient son permis dexportation quelques annes plus tard. Elle reoit alors lappui de visiteurs hollandais et allemands du mouvement du commerce quitable dsireux dappuyer lorganisation. Ds 1986 elle examine avec Solidaridad, son partenaire associatif en Du Commerce (quitable), pas de lAide, mot dordre des pays du Sud la runion de la CNUCED en 1964, repris par le pape et les glises.11

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Hollande, la possibilit de mettre en place un systme permettant la distribution massive en Europe du produit des coopratives de caficulteurs tout en garantissant un prix rmunrateur minimum, indpendant du march, pour les producteurs. De cette confrontation entre les besoins dun secteur de petite production au Mexique, celui du caf, et de la prise en compte des ralits de la distribution en Europe nat en 1988 Max Havelaar Hollande, le premier "label" du commerce quitable. Max Havelaar se positionne comme "garantie de commerce quitable" permettant aux consommateurs didentifier sur les tals des supermarchs les marques respectant les conditions minimales de prix, de prfinancement et de contrat avec les producteurs. Elle travaille en partenariat avec des "preneurs de licence", qui sont des importateurs de matire premire ou des torrfacteurs acceptant ces conditions, au moins pour une de leurs marques ou lignes de produits. Max Havelaar assure galement linspection et la certification des groupes de producteurs, qui doivent pour tre inscrits son registre, rpondre des critres de dmocratie, douverture, de transparence, et de capacit conomique. Cest uniquement avec des groupes de producteurs de ce registre que les preneurs de licence, qui reprsentent le pilier conomique du systme - puisquils paient une redevance annuelle Max Havelaar - doivent tablir leurs contrats de commerce quitable. Selon Isaas Martinez, conseiller dUCIRI, grce son travail propre et aux relations tablies avec lEurope, UCIRI a acquis une crdibilit sur les marchs internationaux et sur le march national, qui lui permet de vendre pratiquement toute sa production au prix du commerce quitable, mme lorsque les contrats ne se ngocient pas dans le cadre du commerce quitable international. Cest le cas du contrat pass en 2002 avec Carrefour, qui prvoit la fourniture, au groupe de distribution, de caf au prix de 141 dollars les cents livres (15 dollars au-dessus du prix du commerce quitable). Victor Perez Grobas, conseiller de lUnin Majomut, autre cooprative de petits producteurs de caf, nous a dcrit limportance quont eues les relations de son organisation avec le mouvement du commerce quitable. Il faut remarquer que Majomut est la premire organisation du Chiapas obtenir son registre dexportation, grce ses efforts propres, en 1983, cest--dire avant UCIRI et ISMAM : Au cours de ces annes (1983-1989) la diffrence entre le prix local ou spot et le prix lexportation tait trs grande. La moiti du caf export par les membres se faisait sous le systme des quotas, un prix trs lev. Le reste tait vendu sur le march national ou sur le march spot, dont le prix tait beaucoup plus bas. Le prix de quota tait de 160 dollars et le prix spot de 70-80 dollars. LUnin de Ejidos Majomut accrot de faon significative son capital durant cette priode, ce qui lui permet dacqurir une grande partie de son infrastructure: camions, camionnettes, bureaux, construction dentrepts et dateliers. Avec la fin du march des quotas, et la chute trs brutale des cours mondiaux du caf, lUnion perd beaucoup de son capital, parce que deux de ses clients en 1988-89 se dclarent en faillite et ne paient pas le caf qui leur a t livr. Cet argent na jamais t rcupr. En 1992, lorganisation entre dans le registre de Max Havelaar, et exporte un container de caf sur le march quitable (soit 10% de ses exportations de caf), ce qui permet de payer une petite prime aux

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producteurs, qui obtiennent un meilleur prix que sur le march local. Des programmes de dveloppement sont initis : 1) Boutiques pour lapprovisionnement populaire 2) Auto-construction et amlioration de lhabitat 3) Amlioration de linfrastructure productive 4) Achat de mules pour transporter le caf ISMAM12 exporte pour la premire fois en 1988 vers la Hollande pour l'entreprise Simon Lewen. Selon son prsident actuel, le gouvernement mexicain se mfiait alors des organisations de producteurs commercialisant de faon indpendante leur caf, et les assimilait la gurilla. Cette mfiance faisait suite l'exportation en 1973 travers les filires de commerce quitable de plusieurs containers de caf par des organisations guatmaltques regroupes dans la Fedecocagua. Il se mfiait galement dISMAM, lie l'Eglise catholique. Mais grce aux contacts pris avec UCIRI, ISMAM peut son tour participer au mouvement du commerce quitable, et exporter vers GEPA, la centrale dachat allemande du commerce quitable. Lorganisation est bientt certifie par Max Havelaar Hollande. Elle exporte galement aux USA, mais dans une filire conventionnelle. Fair Trade Labelling Organizations International (FLO) Le premier caf labellis Max Havelaar est lanc en 1989. Dautres groupes en Europe suivent lexemple hollandais et mettent en place des labels nationaux de commerce quitable sur le caf, puis sur dautres produits : th, cacao, bananes, etc. La ncessit de coordonner les initiatives nationales de labellisation du commerce quitable en Europe se fait rapidement vidente, donnant naissance en 1997 FLO (Fair Trade Labelling Organizations International), lorganisation internationale de labellisation du commerce quitable. Les critres et les registres de producteurs sont alors harmoniss au niveau europen. FLO regroupe aujourdhui 17 agences nationales de certification (ou initiatives nationales ) de commerce quitable, en Europe, au Japon et en Amrique du Nord, travaillant ensemble la normalisation des processus de certification, llaboration de critres spcifiques pour chaque produit, linspection et la certification. Depuis 2002, elles ont adopt un logo commun, remplaant peu peu les logos nationaux. FLO veut tre plus quune agence dinspection certification du commerce quitable. Elle se propose dassumer les fonctions suivantes : 12

Llaboration de standards internationaux du commerce quitable La gestion de la certification La gestion des contrles (inspection)

Indigenas de la Sierra Madre de Motozintla San Isidro Labrador S.S.S. organisation ne en 1986 Motozintla, Chiapas. Actuellement, cest lune des plus importantes organisations de petits producteurs de caf en volume de production et nombre de producteurs. Voir plus loin ses relations actuelles avec FLO.

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Le soutien aux producteurs Depuis janvier 2002, la nouvelle structure de FLO spare formellement linspection de lappui aux

producteurs.

Flocert (FLO Certification Unit) est une socit commerciale supervisant les tches Linspection est faite par des consultants free lance bass dans les

dinspection et de certification.

continents o vivent les producteurs. FLO, association sans but lucratif, fonctionne en deux units : le dveloppement de produits (Product Management) et lappui aux producteurs (Producer Support Network). Il y a deux limites cette sparation formelle : lassociation FLO est le seul actionnaire de Flocert, et un flux constant dinformation et de personnes traverse les frontires entre FLO association et Flocert.

FLOS NEW STRUCTURE:Regional Producer Meetings

Meeting of Members

FLO

FLO BoardMarkets & marketing meetingsExecutive board

1/3 Appeal cie 1/3 Certif. cie

DirectorFin. & Adm.

FLO/NI staff stakeholders deciding consultative

Info system

Inspection regional/local

Certification Unit

Standards + policy working group

Prod. Support Facilitator.

Product Managers

Trade Auditing

Producer Liaison Officers

Daprs FLO international

LUnit de Certification a deux dpartements : la coordination dinspection et laudit commercial (Trade Audit), qui vrifie les mouvements de produits et la gestion de la prime aux producteurs. Le Trade Audit est nouveau dans le systme. Avant 2002, FLO avait une gestion et un fonctionnement par produit. Seuls les producteurs sont certifis par FLO. Ils doivent tre regroups en organisations Les exportateurs, importateurs et

dmocratiques et ouvertes et avoir une capacit dexporter. les marges et la destination de la prime aux producteurs.

transformateurs signent des contrats avec FLO, qui lui permet de contrler les modes de commercialisation, Les preneurs de licence sont le nud conomique du systme, puisque jusqu' fin 2003, ce sont eux qui paient pour lusage de la marque. Les donnes des exportateurs, des importateurs et des preneurs de licence parviennent FLO travers les

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initiatives nationales. Selon Ose Nelsen13, FLO aimerait que ce soit les groupes de producteurs qui puissent contrler lexportateur, mais ce nest pas toujours possible cause de leur faible niveau dducation. Un reproche souvent fait ce systme est quil repose sur la grande distribution, et que FLO ne contrle pas les marges du distributeur. Cest semble-t-il une question de droit, la loi autorisant les distributeurs fixer librement leurs marges. FLO ne peut donc pas contrler ces marges, mais est souvent mme de pouvoir les calculer, sans pouvoir les influencer. niche de march qui leur cote davantage, etc. Le Comit de Certification est la pierre angulaire du systme. Il se runit 5 fois par an pour traiter les demandes dadhsion et dcider du renouvellement de la certification des producteurs agrs. Il est constitu dun minimum de 6 personnes dont un reprsentant de producteurs, deux acteurs commerciaux et des experts externes ainsi que des reprsentants des initiatives nationales. Parmi les acteurs commerciaux, lun reprsente le secteur commercial conventionnel (qui constitue seulement une petite partie de son commerce en commerce quitable) et lautre les organisations de commerce alternatif (ATO) 100% quitables. Le systme de soutien de FLO aux producteurs comprend trois catgories de personnel: 1. Des interlocuteurs pour les marchs et le dveloppement par rgion (Producer Liaison Officers): FLO en prvoit une dizaine dans le monde. 2. Des responsables de produits bass Bonn (Product Managers), experts en tout ce qui concerne leur produit. Actuellement, 4 personnes couvrent respectivement : le caf ; le th et le riz ; le cacao, le sucre et le miel; les fruits tropicaux et les jus de fruits. 3. Un responsable du soutien aux producteurs (Producer Support Coordinator): il est responsable de coordonner les actions dONGs de dveloppement vis--vis des producteurs agrs par FLO. Son champ dactivit couvre pour linstant lAmrique centrale et les Carabes, mais devrait slargir pour couvrir lAsie et lAfrique en collaboration avec les nouveaux bureaux rgionaux de FLO dans ces rgions. Les organisations de producteurs ne sont pas membres de FLO, qui vite ainsi une situation de conflit d'intrts o elle aurait certifier ses propres membres. FLO-International certifie aujourdhui 375 associations de producteurs provenant de 48 pays dAmrique latine, dAsie et dAfrique, reprsentant peu prs 800 000 familles. Parmi ces groupes, une centaine bnficie dune certification provisoire et pourront ventuellement obtenir un statut permanent si elles dmontrent leur capacit respecter leurs engagements durant au moins deux cycles agricoles. Elle a un contrat avec 337 entreprises (exportateurs, importateurs, transformateurs) de 50 pays, et 509 preneurs de licence dans les pays du Nord, autoriss par les initiatives nationales utiliser leur label. Les supermarchs ont dailleurs leur argumentation pour fixer des marges plus grandes sur ces produits : leur rotation est moindre, il sagit dune

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Ancienne responsable de Flocert pour le Mexique, actuellement responsable pour lAfrique.

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Pour tre plus proche du terrain, FLO a cr avec lappui de APSO (Irlande) et de Hivos (Hollande) un bureau rgional pour lAmrique Centrale (Salvador, Honduras, Nicaragua, Costa Rica), dont la mission couvre des tches dinspection et dinformation aux producteurs. Si lon y ajoute le Mexique, lAmrique Centrale reprsente plus de la moiti des organisations de producteurs de caf certifies par FLO. Des bureaux rgionaux doivent tre ouverts en Afrique de lEst et en Asie. Le Bureau Rgional doit galement assurer un flux constant dinformations sur FLO International et le march international vers les producteurs , un lien direct entre organisations de producteurs et acheteurs, ainsi quun appui aux organisations pour amliorer les points faibles empchant leur accs au march, ceci en lien avec le Rseau dAppui de FLO International. Sa vision est laugmentation des volumes de vente des diffrents produits de la rgion (sucre, banane, cacao, caf, miel) aux conditions du commerce quitable, par une meilleure intgration des partenaires impliqus : producteurs, initiatives nationales, acheteurs, industrie et FLO International . Un Forum Mondial du Commerce Equitable intgrant les organisations de producteurs a galement t mis en place par lorganisation internationale. Il runit tous les deux ans lensemble des acteurs des filires quitables agrs par FLO (producteurs et entreprises). Il permet la rencontre entre producteurs et entreprises. Y sont galement traits des sujets dactualit pour la certification quitable. Sous lancien systme, ce Forum tait organis par produit et servait surtout lchange dinformation et au contact commercial. Actuellement organis par continent, il a dsormais une fonction politique, puisque travers lui les organisations de producteurs lisent leurs 4 reprsentants au Conseil dAdministration de FLO. Forts de leur poids numrique, les latino-amricains disposent de deux reprsentants, un pour lAfrique et un lAsie. Le dernier Forum Mondial du Commerce Equitable de FLO a eu lieu Londres en septembre 2003, et a runi 270 dlgus (150 en 2001). Il a donn lieu de vives discussions, sur linitiative des producteurs latino-amricains, que nous examineront plus loin. Impact du systme de labellisation FLO La multiplication des initiatives de type Max Havelaar en Europe est contemporaine de la consolidation dorganisations de petits producteurs au Mexique et dans dautres pays dAmrique latine. La possibilit dexporter un prix avantageux favorise naturellement cette consolidation. La cration des labels de commerce quitable aide la ralisation de cet objectif, particulirement dans les annes 1989-1994, qui reprsentent le creux de la vague , la priode o les prix internationaux du caf sont les plus bas. Le projet constitutif de FLO, et celui dun grand nombre dorganisations de producteurs qui y sont intgrs, sont alors en phase: il sagit pour les petits producteurs produisant des cultures de rente dexporter des volumes importants au prix le plus avantageux. Les produits sur lesquels travaillent FLO en Amrique Centrale (incluant le Mexique), sont ceux qui intressent les marchs europens, tout en souffrant de prix trs bas aux producteurs. Le caf, puis le cacao, la banane et le sucre sont parmi les principales matires premires changes dans le monde, sans que les prix internationaux conventionnels permettent rellement aux producteurs den vivre.

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Depuis leur introduction sur le march europen, la part des produits labelliss par FLO na cess de progresser sur les tals des supermarchs. Cette progression a cependant t lente et diffrentie selon les pays daccueil du label. Si 15% des bananes sont labelliss FLO en Suisse, cest l un rsultat exceptionnel. La proportion est plus gnralement de 1% 3% selon les pays et les produits. Une autre caractristique de la progression du march quitable dans les pays du Nord est le fait que les produits alimentaires du commerce quitable soient de plus en plus associs aux produits de lagriculture biologique. Les consommateurs du commerce quitable voient la production quitable et biologique comme complmentaires. Les petits producteurs mexicains ont montr un dynamisme remarquable dans ce domaine. Grce eux, le Mexique est le premier exportateur de caf et de miel certifis du commerce quitable et de lagriculture biologique dans le monde. Selon FLO, 2002 a t nouveau une excellente anne pour les petits producteurs qui participent au commerce quitable. Les ventes ralises cette anne reprsentent une augmentation de 21%. Au total, 58 812 tonnes de caf, th, bananes, miel, cacao, sucre, jus dorange, riz et fruits frais ont t vendus dans les supermarchs de 17 pays dans lesquels travaillent FLO. La croissance la plus importante a t obtenue par le jus dorange et le sucre, avec respectivement 44 et 48%. Ces produits avaient connu une moindre augmentation les annes antrieures. Les bananes restent le produit le plus important en termes de volume, avec 36 612 tonnes vendues. Le caf est le produit principal de FLO pour la valeur sur le march et le nombre de producteurs bnficiaires. Il a connu une augmentation de 9% par rapport 2001. Les ventes des autres produits se sont galement dveloppes : Cacao +14% (1.656 t), miel +3% (1.038 t) et th +17% (1.266 t). Deux nouveaux produits ont t introduits en 2002, le riz et les fruits frais, vendus en France (pour le riz) et en Suisse.14 Le modle de certification FLO a donc prouv une certaine efficacit pour lexportation de produits agricoles primaires (caf, cacao, riz,) de petits producteurs des conditions plus quitables. Aujourdhui, environ 1% du caf mondial est du caf de commerce quitable. Cest significatif ou peu, selon les points de vue. Limites du commerce quitable international Un lien incertain entre exportations et dveloppement local Le label de commerce quitable FLO a indniablement contribu la croissance des exportations de petits producteurs aux conditions du commerce quitable. Cependant, leffet de cette croissance sur le dveloppement local reste largement inconnu. Comme dautres organisations de commerce quitable, les organisations membres de FLO International semblent en effet avoir ax toute leur action en faveur du dveloppement des exportations des producteurs du Sud vers les pays du Nord, sans analyser le lien entre celui-ci et les dynamiques de dveloppement local dans les rgions productrices. FLO affirme que sa vision est le dveloppement des exportations des petits producteurs, tout en saccordant avec IFAT, NEWS et EFTA sur une dfinition du commerce quitable qui place le dveloppement durable comme objectif final de ce type de commerce. Mais jusqu' aujourdhui, aucun effort na t tent par les principaux

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Source : Latin Trade, 1er mars 2003.

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acteurs du commerce quitable pour encourager des relations quitables aux niveaux locaux, rgionaux et nationaux ou pour articuler leur action avec ceux qui se proposent cet objectif. On sait pourtant que les dynamiques locales sont essentielles pour atteindre les objectifs du dveloppement durable. Les limitations du systme de labellisation dvelopp au sein de FLO se situent autour de sa perspective uniquement commerciale. Lappui de FLO aux producteurs est pens en fonction du seul dveloppement des exportations. Dans le cas du Mexique, ce sont prcisment les excs du commerce extrieur qui ont caus labandon quotidien des activits agricoles et rurales par les familles de petits producteurs. Dans de nombreux secteurs (crales, lait, viande, lgumes et fruits), la concurrence avec les grands producteurs parat simplement trop ingale pour que les petits producteurs puissent mme rester dans la course. Dans ces conditions, les stratgies actuelles de commerce quitable peuvent appuyer seulement une partie du monde rural, celle produisant des produits dexportation comme le caf, voire le cacao. Dans les autres secteurs, dautres types dactions sont ncessaires. Les tudes dimpact Limpact de la progression des produits labelliss du commerce quitable dans les marchs des pays du Nord est donc difficile valuer. En 1999, FLO a commissionn une srie dtudes dimpact du caf quitable sur les groupes de producteurs au Mexique, en Tanzanie, en Bolivie, au Prou et au Nicaragua. Celles-ci font ressortir leffet positif du commerce quitable sur lorganisation des producteurs. Par contre, limpact du commerce quitable sur le dveloppement local nest pas analys, aucun indicateur spcifique nayant t mis en place pour le mesurer. Pour sa part, Oxfam UK a fait en 1999-2000 une tude dimpact de son action sur 20 groupes de producteurs dans 8 pays, soit une des tudes dimpact du commerce quitable les plus ambitieuses. Celleci conclut un impact limit de son action, d aux faibles volumes quOxfam UK tait capable dimporter en commerce quitable. La Fdration Artisans du Monde en France est une des premires organisations franaises de commerce quitable avoir tent de mesurer limpact de ses activits sur le plan du dveloppement local. Ltude quelle a mene avec le Centre International dEtudes du Dveloppement Local (CIEDEL) de lUniversit Catholique de Lyon aboutit aux conclusions suivantes : Le commerce quitable permet des artisans daccder un revenu rgulier, rsultat plus apprci encore quun prix quitable. Il donne aux producteurs les plus pauvres lopportunit daccder un mtier et de recouvrer ainsi leur dignit, et aux producteurs professionnels la possibilit daccder un nouveau march, de nouveaux revenus, et dinvestir. Laction de la Fdration Artisans du Monde a galement contribu dvelopper des organisations exportatrices, interfaces entre les producteurs et leurs groupements, et les centrales dachat du Nord. Cependant, les changements significatifs que laction dArtisans du Monde produit dans la vie des producteurs ne semblent pas se traduire dans le dveloppement de dynamiques locales au niveau des villages et des quartiers des producteurs.

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Sauf quelques rares exceptions, on constate un manque de connexion entre la filire du commerce quitable et les dynamiques conomiques, sociales et politiques locales. Les producteurs semblent consacrer lessentiel de leur nergie la production et aux relations quils dveloppent au sein de la filire du commerce quitable. LUniversit du Colorado a command une srie dtudes de limpact de la participation des organisations de producteurs de caf au commerce quitable sur la lutte contre la pauvret . Ces tudes, crites en aot - septembre 200215, concluent leffet positif mais indirect du commerce quitable international sur lorganisation des producteurs et lobtention de prix rmunrateurs, principaux facteurs pouvant favoriser la lutte contre la pauvret dans les rgions de production de caf. Nous analyserons plus en dtail leurs conclusions dans la partie IV. 4. La ncessit de dvelopper un commerce quitable intrieur Principal secteur de la petite production ayant acquis une exprience significative des marchs dexportation, les producteurs de caf sont parmi les premiers en percevoir les limites. Depuis les annes 1990, leurs organisations sont conscientes du caractre spculatif du march international du caf. Elles cherchent dabord se diffrencier sur ce march, en mettant laccent sur la qualit : qualit intrinsque du produit (caf daltitude), qualit environnementale (caf sous couverture vgtale, caf biologique) et, par le commerce quitable, reconnaissance de la qualit sociale de la petite production. garantir un revenu minimum lensemble des producteurs organiss.Prix du caf l'exportation180,00

Cependant, les

diffrentiels de prix sur le march biologique et les contrats de commerce quitable ne suffisent pas

160,00

140,00

120,00 Dollars /100 livres

100,00

80,00

60,00

40,00

20,00 Annes 1983 1986 1989 1992 1995 1998 2001 2002

0,00

Le graphique ci-dessus reprsente les prix du caf lexportation au Mexique de 1983 2002 (source : Organisation Internationale du Caf, dcembre 2002), sur la base dune moyenne annuelle des moyennes mensuelles. On observe une grande instabilit des cours sur 20 ans. Le prix garanti minimum

Elles sont disponibles sur le site de cette universit, la page http://www.colostate.edu/Depts/Sociology/FairTradeResearchGroup/

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FLO est indiqu par une ligne horizontale (121 dollars les 100 livres). Lorsque les prix internationaux passent au-dessus de ce prix minimum, le prix FLO suit le cours international, auquel sajoute une prime de dveloppement de 5 dollars les 100 livres. En ce qui concerne le caf, la limite du systme FLO tient au nombre dimportateurs dsirant sengager dans lachat de caf quitable, plutt quau prix minimum, lequel assure au contraire un niveau globalement satisfaisant de rmunration des producteurs. FLO reconnat actuellement 185 groupes de producteurs de caf dans 24 pays. Le commerce quitable reprsente une bulle doxygne pour ces groupes de producteurs concerns, qui peuvent compter sur des relations de longue dure et de confiance, un prix garanti, alors que le contexte du march international reste trs dfavorable pour eux. Mais le march du caf quitable semble avoir atteint certaines limites en Europe (au mieux 3% du march national), Aprs avoir plac une partie de leurs produits sur les marchs dexportation, les principales organisations de producteurs de caf ont donc voulu dvelopper le march intrieur pour leur produit. Elles ont mis en place dans les annes 1980 et 1990 des entreprises de commercialisation et dexportation, grce auxquelles quelques-unes dentre elles sont parvenues dvelopper des marques pour le march intrieur, ou des rseaux de cafs. En 2003 par exemple, UCIRI a vendu 3 tonnes de caf soluble par mois sur le march national, Majomut a export 80% de sa production, et commercialis 20% sur le march intrieur. Les autres petits producteurs font face des situations tout aussi critiques : la majorit des petits producteurs de cacao (situs principalement dans les tats de Tabasco et Chiapas) sont les proies des intermdiaires, bien que le chocolat fournisse la base de nombreuses boissons traditionnelles dans le pays. Les producteurs de miel sont en concurrence avec les producteurs europens sur les marchs internationaux, et sont confronts des entreprises puissantes sur le march intrieur (Miel Carlota). Sachant mal diffrencier leurs produits, ils choisissent en majorit lexportation en gros. La situation des producteurs de produits vivriers est la plus critique : dexportateur, le pays est devenu importateur de mas et de haricot de mauvaise qualit mais bas prix des Etats-Unis. La production alimentaire au Mexique a une tradition trs riche, avec certaines plantes endognes fortes qualits nutritives, comme lamarante, une espce de crale voisine du quinoa. Cependant, ces cultures ne sont plus valorises cause de la distorsion des marchs dans le contexte de lALENA. La seule solution pour les producteurs de ces denres est de tenter de dvelopper des relations commerciales intrieures bases sur la qualit, la confiance et lquit. Certains signes indiquent que le dveloppement de ce march quitable intrieur est possible : Grand pays aux nombreuses ressources naturelles, le Mexique a une classe moyenne et suprieure urbaine avec un fort revenu, contrastant avec les conditions de pauvret extrme qui touche 10% de la population. Concentrant 1/5 de la population (plus de 20 millions dhabitants) Mexico, mais aussi Guadalajara, Monterrey, Puebla, et des villes comme Cuernavaca (o vivent de nombreux retraits et trangers de classe moyenne, une heure de Mexico) sont des marchs de consommation de masse.

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Le dveloppement du march intrieur de produits biologiques tmoigne dun changement dans les modes de consommation de la population urbaine. La clientle des restaurants de qualit, dits gourmets , cherche de plus en plus des produits sains, si possible issus de lagriculture biologique. Des rseaux de commerce communautaire sont mis en place depuis les annes 1990. Ils tmoignent dune recherche de relations plus directes et quitables au niveau local, rgional et parfois national. La Coalicin Rural tente de suivre le modle amricain de la Rural Coalition, laquelle elle adhre, et qui regroupe des organisations de petits producteurs et de journaliers agricoles. Forme au Mexique peu avant lALENA, elle regroupe une quinzaine dorganisations de producteurs, organise des foires, propose certaines activits de formation, et commence agir dans le domaine de la commercialisation. Des relations directes entre producteurs et consommateurs se mettent en place dans certaines grandes villes, rpondant une demande en produits de qualit biologique et aux besoins des petits producteurs de trouver un march local pour leurs produits. A Guadalajara, par exemple, le Cercle de Production et de Consommation Responsable organise depuis une dizaine dannes des relations solidaires entre consommateurs urbains et producteurs ruraux de produits alimentaires. Le succs des Cafs La Selva montre aussi quil est possible de commercialiser des produits nationaux de qualit des prix rmunrateurs. Fait nouveau, de nombreuses organisations de producteurs, mme celles qui ont dj lexprience de lexportation, commencent penser que le dveloppement dun march national quitable aurait des avantages que les marchs internationaux nont pas. Le point de vue de la cooprative Tosepan Titataniske, de ltat de Puebla, organisation de 5 800 membres (dont 2 400 producteurs de caf) avec 26 ans dexprience, en est une illustration. Cette cooprative avait demand en 2002 une inspection FLO, mais lorganisme international a rpondu que le march quitable international pour le caf tait satur. La cooprative Tosepan reste cependant trs intresse par le commerce quitable, cause des prix trs bas du caf sur le march conventionnel, tout en ayant conscience des limites de ce mouvement en termes de march. Elle se propose de contribuer la constitution dun march quitable national. Selon Tosepan, les avantages d'un march national de commerce quitable seraient : De permettre aux produits de qualit de rester dans le pays. Au lieu dexporter leurs produits de meilleure qualit, les producteurs pourraient trouver un march local, et les consommateurs profiter de cette qualit. Dinstaurer une culture de consommation consciente, laquelle est encore trs rduite. Un commerce quitable devrait aider la formation de cette culture. De ne plus affronter les problmes lis l'exportation, notamment les exigences de volume, les dlais de livraison et de paiement, et le travail administratif ncessaire.

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II. La mise en place du "systme mexicain de commerce quitable"1. Gense du label mexicain de commerce quitable La mise en place du label mexicain de commerce quitable apparat comme la convergence de deux courants concernant principalement la petite production agricole mexicaine : la stratgie dun groupe de producteurs en direction du march national, et la mise en place dun systme de certification national. 1.1. La stratgie dun groupe de producteurs Au cours des annes 1980 et 1990, de nombreuses organisations de petits producteurs de caf ont acquis une exprience importante de la commercialisation lexportation. Cest le groupe le plus significatif de producteurs participant au commerce quitable international. Malgr lappui que reprsente ce mouvement pour leurs exportations, ce dbouch nest plus suffisant pour couvrir les volumes de production des prix quitables, et les organisations tablissent galement des liens commerciaux sur le march national conventionnel. A la fin des annes 1990, un groupe dorganisations prend conscience que le dveloppement de leurs ventes sur le march national demande un effort conjoint. La notion de commerce quitable mexicain merge de lexemple international et de la ncessit dobtenir des prix comparables sur le march intrieur. Plusieurs indices montrent que le dveloppement dun march national quitable pour les produits des petits producteurs mexicains est possible. Les consommateurs urbains de classe moyenne commencent apprcier les produits biologiques. Des restaurants et magasins de produits frais biologiques font leur apparition. Fait nouveau dans un pays o la consommation de caf de qualit tait peu dveloppe, des cafs gourmets , lieux proposant des slections de caf de qualit dans une ambiance agrable, surgissent dans certaines villes. En ouvrant des cafs sous le nom La Selva ( la fort ) au Mexique, puis dans quelques villes des Etats-Unis et dEspagne, lorganisation Unin de Sociedades de La Selva16, qui regroupe 1368 familles de petits producteurs de caf du Chiapas, montre quune organisation du secteur social peut prendre pied sur ce march urbain en dveloppement. Le premier Caf La Selva a ouvert ses portes en 1994 San Cristobal de las Casas, et Mexico en mai 1995 Coyoacan, rendez-vous des classes moyennes cultives Mexico. La Selva Caf est aujourdhui un systme de franchise grant 21 cafs dont 14 dans le district fdral. Sa principale activit est de servir du caf 100% biologique venant directement des producteurs de lUnin de Ejidos de la Selva. Elle compte actuellement 400 salaris et ses ventes annuelles sont de $360 000. 1995Nb. de magasins Nb. de clients

1996 4

1997 5

Ventes et clients de la Selva 1998 1999 2000 7 9 12 1,4 M. 750.000 1 million

2001 14 1,6 M.

2002 18 2 M.

2003 21

1

100.000 400.000

550.000

16

Ex Unin de Ejidos de la Selva

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Selon Claudia Durn Miranda (La Selva Caf Mexico), ce modle permettrait doffrir des prix aux producteurs nettement plus levs que sur le march conventionnel (12 17 pesos le kilogramme, parfois 18, au lieu de 8 aux intermdiaires), et une publicit locale. Lexemple de La Selva est suivi quelques annes plus tard par CEPCO, qui ouvre son Caf Caf dans la ville de Oaxaca, o elle a ses bureaux. Les organisations de petits producteurs de caf se rapprochent aussi de chercheurs et du Muse des Arts Populaires de Mexico pour valoriser la culture de ce produit auprs du public mexicain, par lorganisation dune grande exposition. Mais le dveloppement de points de vente sous franchise ne suffit pas couler lensemble du caf des petits producteurs, qui cherchent galement de gros acheteurs. Un groupe dorganisations se propose de trouver ensemble des clients importants dans le pays. LUnin de la Selva ne fait pas partie de ce groupe, peut-tre parce quelle a t dcertifie en lan 2000 par FLO pour lopacit de sa gestion. La multiplication de projets parallles (prs de 25), dont certains non rentables, avait mis en pril les activits de collecte, empchant la cooprative de remplir un contrat avec un importateur qui avait prfinanc la rcolte hauteur de $250 000. Actuellement les Cafs La Selva et lUnion de la Selva sont deux entits spares dont seule la deuxime a t nouveau certifie par FLO en 2002, aprs quelle a rorganis sa gestion interne. Certaines organisations travaillent plus troitement ensemble pour le dveloppement de solutions permettant de mieux valoriser la production des petits producteurs de caf. Ce sont : La Coordination de Producteurs de Caf de lEtat de Oaxaca (CEPCO), lUnion des Communauts Indignes de la Rgion de lIsthme (UCIRI) et lUnion Majomut, une organisation du Chiapas. Elles cultivent des relations anciennes au sein de la Coordination Nationale des Organisations de Caficulteurs (CNOC). Leurs conseillers reprennent une argumentation de bon sens : Pourquoi exporter le caf de meilleure qualit, et consommer dans le pays du caf de mauvaise qualit . Ils reprennent aussi une corrlation tablie par les experts du secteur du caf, qui remarquent que la consommation de caf dans le monde a suivi globalement le niveau du Produit Intrieur Brut de ces pays, avant de marquer un lger dclin dans les pays les plus riches au cours des dernires annes, perdant des parts de march au profit des boissons gazeuses. La consommation de caf aux Etats-Unis et en Europe du Nord serait quivalente 4 kilogrammes par personne, et prs de 6 fois moindre au Mexique (700 grammes17). Le PIB du Mexique tant un des 15 premiers au monde (devant lEspagne en 2002 mais 50 fois moindre que celui de son voisin du Nord), il existe selon ces conseillers une marge importante pour le dveloppement de la consommation de caf de qualit, qui est produit sur place. Il reste dmontrer la validit de cette approche thorique. Les organisations de producteurs de caf constatent galement quau lieu de faire converger leurs efforts de commercialisation interne, elles subissent la fragmentation des marchs et la mise en concurrence par les acheteurs. Victor Perez Grobas, conseiller de lUnion Majomut, prsente ainsi lorigine de la cration du label mexicain de commerce quitable :

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Soit peu prs la production moyenne annuelle de deux cafiers

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La rflexion a surgi dune runion o nous avons discut le fait que tous nos efforts taient ports au Mexique sur des petits marchs. Certains de ces efforts importants taient les suivants : UCIRI vendait une bonne partie de son caf de deuxime qualit dans la ville de Monterrey, Majomut sur Tampico, et beaucoup dentre nous sur Mexico. Mais les acheteurs nous mettaient en concurrence pour baisser les prix. Nous avons donc vu la ncessit de travailler ensemble. Aprs avoir parl avec dautres personnes, nous voyons labsurdit de nous concurrencer, et la ncessit dclaircir ce quest le commerce quitable au Mexique, car le concept y tait inconnu. Nous avons uni nos efforts individuels, et plus tard les avons dirigs vers la cration dun label mexicain de commerce quitable. Les grands planteurs de caf du Soconusco parlaient, eux, dj, de caf direct du producteur et ont leurs cafs San Cristobal. Il fallait expliquer que ce que nous faisions tait diffrent, que notre caf venait dorganisations de producteurs. Dun autre ct, il y avait galement Mexico des coopratives de consommateurs, avec lesquelles nous voulions unir nos efforts. Nous avons donc lanc une initiative de commerce quitable regroupant non seulement les producteurs de caf, qui sont ceux qui ont le plus dexpriences, mais aussi dautres groupes de producteurs, avec des produits qui ne sont pas pris en compte par FLO, comme lartisanat, des produits naturels de soin corporel, etc. En novembre 1998 se constitue un comit de travail, se proposant de poser les bases dun systme mexicain de commerce quitable. Dautres groupes de producteurs sont associs cette rflexion. Parmi les plus importants de ces groupes, il faut signaler lAssociation Nationale dEntreprises de Commercialisation de Producteurs Agricoles (ANEC), cre par et pour des organisations de petits producteurs de crales (mas principalement) et de haricot totalisant 60 000 familles de producteurs, lAssociation Mexicaine pour lArt et la Culture Populaire (AMACUP), active dans la commercialisation de lartisanat mexicain, et l Union des Petits Apiculteurs dAmrique Latine (PAUAL), regroupant environ 2 100 familles dapiculteurs au Mexique. Le caf, lartisanat, le miel et le mas semblent alors tre les principaux produits vers lesquels vont se tourner les efforts de dveloppement dun march intrieur de commerce quitable au Mexique. 1.2. La mise en place dun systme national de certification biologique Face la situation difficile des principaux marchs agricoles depuis le dbut des annes 1990, beaucoup de petits producteurs au Mexique envisagent la production et la certification biologique comme une alternative pour obtenir de meilleurs revenus. La certification biologique permet lobtention dune prime ou diffrentiel, qui sajoute au prix courant pay au producteur. Le fait que de nombreux petits producteurs naient pas appliqu de pesticides leurs plants depuis le dmantlement des instituts dtat organisant les filires du caf, du tabac et dautres produits, durant les annes 1980, leur donne un avantage dans un march biologique en croissance soutenue dans les pays du Nord. La production de caf au Mexique se fait gnralement sous couvert vgtal, dans un systme agricole diversifi, la milpa, qui permet de prserver la couverture forestire secondaire tout en produisant du mas, du caf, des haricots, des fruits, et dautres espces. L agriculture naturelle de ces rgions est donc proche de lagriculture biologique, qui demande seulement une plus grande attention la prservation des

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sols et llaboration de compost. Le Mexique est le premier exportateur de caf biologique, mais les petits producteurs de cacao, de miel, de ssame, de fleurs dhibiscus ou de pommes sont galement incits produire selon les normes de lagriculture biologique. Les petits producteurs mexicains sont fortement intresss et engags dans la production biologique, qui peut leur offrir un diffrentiel de prix reprsentant une alternative des revenus ruraux extrmement bas. Mais la certification biologique, organise pour les marchs des pays dvelopps, leur tait difficilement accessible, sauf pour certains produits. Les producteurs de caf de UCIRI produisent selon les techniques de lagriculture biologique depuis la formation de leur organisation (en 1983), par respect de la TerreMre . Le problme principal que les producteurs mexicains rencontrent pour valoriser la qualit biologique de leur production durant les annes 1990 tait les cots levs d'inspection et de certification. Cette situation prsentait un paradoxe, car la plupart de ces agences utilisaient dj des inspecteurs locaux, tout en maintenant des prix levs parce que l'inspection devait tre valide par l'agence trangre. Les agences de certification nord-amricaines, telles qu'OCIA18, ont baiss leurs cots de certification aprs avoir commenc emplo