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HAL Id: tel-00483569https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00483569
Submitted on 14 May 2010
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Le contrle de gestion dans les muses. mergence etdveloppement du contrle de gestion dans des
organisations non lucratives soumises des faisceaux decontraintes environnementales et organisationnelles.
Stphanie Chatelain-Ponroy
To cite this version:Stphanie Chatelain-Ponroy. Le contrle de gestion dans les muses. mergence et dveloppementdu contrle de gestion dans des organisations non lucratives soumises des faisceaux de contraintesenvironnementales et organisationnelles.. Gestion et management. Universit Paris XII Val de Marne,1996. Franais.
https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00483569https://hal.archives-ouvertes.fr
UNIVERSITE PARIS VAL DE MARNE FACULTE DE SCIENCES ECONOMIQUES ET DE GESTION
LE CONTROLE DE GESTION DANS LES MUSEES
Emergence et dveloppement du contrle de gestion dans des organisations non lucratives soumises des
faisceaux de contraintes environnementales et organisationnelles
Thse prsente et soutenue publiquement le 19 janvier 1996 par
Stphanie CHATELAIN pour l'obtention du
Doctorat s Sciences de Gestion conforme au nouveau rgime dfini par l'arrt du 30 mars 1992
JURY
Monsieur Alain BURLAUD Rapporteur
Professeur au Conservatoire National des Arts et Mtiers
Madame Genevive CAUSSE Professeur lUniversit Paris 12 Val de Marne
Monsieur Claude COSSU Directeur de recherche
Professeur lUniversit Paris 12 Val de Marne
Monsieur Fabien DOCAIGNE Secrtaire gnral du Muse Picasso
Monsieur Patrick GIBERT Rapporteur
Professeur lUniversit Paris 10 Nanterre
Monsieur Yannick LEMARCHAND Professeur lUniversit de Brest
Monsieur Jean-Louis MALO Professeur lInstitut dAdministration des Entreprises de Poitiers
LUniversit de Sciences et de Gestion de Paris Val de Marne nentend donner aucune approbation ni improbation aux opinions mises dans les thses ; ces opinions devront tre considres comme propres leurs auteurs.
REMERCIEMENTS
Au terme de cette recherche, je tiens exprimer ma profonde reconnaissance :
Monsieur Claude COSSU, pour la direction rigoureuse et toujours enrichissante de mes travaux, pour son soutien, sa disponibilit et la confiance dont il a
fait preuve mon gard. Sa grand comptence ma permis de prciser ma pense et de
sans cesse faire progresser ma dmarche ;
Monsieur Alain BURLAUD, qui a fait natre ma vocation de chercheur lors de mon DEA et qui ma sensibilise aux enjeux de la gestion publique ;
Madame Genevive CAUSSE, Monsieur Patrick GIBERT, Monsieur Yannick LEMARCHAND et Monsieur Jean-Louis MALO, pour avoir accept de participer au
jury de cette thse ;
Monsieur Fabien DOCAIGNE, Secrtaire gnral du muse Picasso, qui fut linterlocuteur privilgi de ce travail. Son coute, ses remarques et ses conseils ont
accompagn la gestation de cette recherche ;
tous les gestionnaires de muses qui ont accept de rpondre mon enqute et qui ont particip la phase qualitative de mon travail, pour les nombreuses
heures dentrevue quils mont consacres ;
tous ceux, enfin, qui mont aimablement, un moment ou un autre, offert une partie de leur temps et permis ainsi de faire progresser mon travail.
SOMMAIRE
INTRODUCTION TITRE 1 ANALYSE DE LA LITTERATURE : EMERGENCE DU BESOIN DE SYSTEMES DE CONTROLE DE GESTION DANS LES MUSEES Introduction du titre 1
PARTIE 1 LES MUSEES : ENVIRONNEMENT ET STRATEGIE
Introduction de la premire partie
Chapitre 1 La politique culturelle de la France Section 1 : Les objectifs de la politique culturelle franaise Section 2 : Les moyens mis en uvre Section 3 : La dcentralisation des activits et des responsabilits Chapitre 2 Lorganisation administrative et juridique des muses Section 1 : Le contexte actuel Section 2 : Lorganisation actuelle est obsolte et doit tre repense Chapitre 3 Lapproche globale stratgique et la politique des organisations Section 1 : Choix des objectifs gnraux et de la stratgie Section 2 : Mise en uvre de la stratgie : structure et dcision Section 3 : Lidentit
Conclusion de la premire partie
PARTIE 2 LA GESTION DES MUSEES
Introduction de la deuxime partie
Chapitre 4 Le plan daction commercial Section 1 : La connaissance des publics actuels Section 2 : Laugmentation de la frquentation ne s'accompagne pas d'un largissement proportionnel du public Section 3 : Marketing et musologie Chapitre 5 Le plan daction financier Section 1 : Qui finance les muses ? Le secteur public Section 2 : Accroissement des crdits budgtaires Section 3 : Le dveloppement de nouvelles sources de financement Chapitre 6 Le contrle de gestion des muses Section 1 : Dfinition et rle du contrle de gestion Section 2 : Freins au contrle de gestion Section 3 : Les outils du contrle de gestion
Conclusion du titre 1
1
20
21
22
23
24 25 31 37 51 52 72 92 93
116 130
140
145
146
147 148
165 177 217 218 233 247 269 270 291 311
326
TITRE 2 LES ETUDES SUR LE TERRAIN : BESOINS, MOYENS ET PRATIQUES DU CONTROLE DE GESTION Introduction du titre 2
Chapitre 7 Mthodologie de la recherche Section 1 : La thorie et les stratgies de recherche Section 2 : La collecte des donnes quantitatives : lenqute par questionnaires Section 3 : La collecte des donnes qualitatives : les tudes de cas
PARTIE 3 LENQUETE PAR QUESTIONNAIRES
Introduction de la troisime partie
Chapitre 8 Prsentation des tablissements et de leurs gestionnaires Section 1 : Les tablissements Section 2 : Les gestionnaires Chapitre 9 Outils et procdures de gestion Section 1 : Pratiques et organisation Section 2 : Autonomie Section 3 : Les budgets Chapitre 10 Proposition de typologies Section 1 : Description de lchantillon Section 2 : Liens avec les pratiques et outils de contrle de gestion
Conclusion de la troisime partie
PARTIE 4 LES ETUDES QUALITATIVES
Introduction de la quatrime partie
Chapitre 11 Des rseaux de contraintes fortes freinent l'mergence de systmes de contrle de gestion Section 1 : Des moyens de dveloppement insuffisants Section 2 : Une absence de besoin ressenti de systmes de contrle de gestion Section 3 : Dveloppement d'une fonction de gestionnaire au muse Picasso Chapitre12 Dveloppement d'une fonction de gestionnaire au muse Picasso Section 1 : Le Muse National de l'Automobile Section 2 : Le Muse du Louvre Section 3 : La Cit des Sciences et de l'Industrie Chapitre 13 Un systme de contrle de gestion adapt aux contraintes musales Section 1 : Les missions du contrleur de gestion Section 2 : Rle et place des outils de gestion Section 3 : Difficults d'laboration et de mise en uvre d'un systme de contrle de gestion musal
Conclusion de la quatrime partie Conclusion du titre 2 CONCLUSION GENERALE ANNEXES
334
335
336 337 343 356
371
372
375 375 396 420 420 438 450 462 462 467
474
480
481
483 484 498 516 532 533 544 561 582 582 586 597
604
609
616
626
- 1 -
Introduction
INTRODUCTION
Les muses sont ns avec la fin du 18me sicle, sicle des Lumires, des grandes
dcouvertes archologiques et des premiers rassemblements d'uvres d'art dont le but
tait d'viter leur dispersion. "Les lgislateurs rvolutionnaires sont les premiers avoir manifest le souci d'organiser la prservation du patrimoine culturel de la nation. Un dcret du 27 Juin
1793 fonde, au Louvre, le "muse de la Rpublique". En province, les muses se
constituent alors partir des biens saisis au dtriment des contre-rvolutionnaires.
Leur existence est consacre par un texte du 14 fructidor an VII qui ordonne l'envoi
dans quinze villes de province des premiers dpts de l'Etat."1.
Au 19me sicle, les uvres s'accumulent dans les muses qui se transforment en : "[] cimetires sombres et encombrs, qui ne valorisent qu'un art mort [et rejettent] l'art vivant condamn se dvelopper hors de [leurs] enceinte[s]"2.
Pierre Cabanne nous rappelle ainsi que, jusque vers 1937 - 1940, la politique officielle
hsitait admettre les crations des novateurs - de l'impressionnisme l'abstraction - et
que les muses restaient encore des lieux clos, l'architecture pompeuse ou dsute,
ignorant superbement les conqutes, les ruptures et les dveloppements des formes
d'art, des mouvements, des coles. C'est l'poque o Duranty, critique d'art ami de
Manet et de Degas, proposait de mettre le feu "cette catacombe" [le Louvre], rejoint
sur ce point par Appolinaire. Certains pensent mme que ce dsintrt pour les muses
existait jusqu' trs rcemment : "In the 70's, the word museum was an insult"3.
Comment alors ne pas tre surpris par l'tonnante transformation observe en quelques
dcennies ? Les descriptions misreuses et poussireuses des anciens muses nous
semblent provenir d'un autre sicle tant les changements ont t radicaux et rapides. Le
1 Jos Freches. Les Muses de France. La Documentation Franaise. 1980. Page 15. 2 Pierre Cabanne. Le guide des muses de France. Bordas. 1990. Page IV. 3 Neil Cossons, Science museum - Londres in "Le nouveau visage des muses". Institut la Botie. 1990. Page 1. On corrigera ce que pourraient avoir d'excessif ces jugements en rappelant que, si Paris, l'anne 1937 a marqu une spectaculaire ouverture au grand public des collections officielles d'art contemporain, avec la double inauguration du muse national d'art moderne et du muse d'art moderne de la Ville de Paris, c'est bien que des conservateurs clairs avaient dj accueilli dans leurs "catacombes" les Dufy, Bonnard, Derain, Gleizes ou autres Matisse que dcouvraient les visiteurs de l'Exposition Universelle. Le plus modeste muse de Grenoble avait d'ailleurs montr la voie grce un conservateur audacieux, pris d'art moderne.
- 2 -
Introduction
muse contemporain n'est plus seulement un conservatoire du patrimoine historique et
artistique national, il est devenu aussi un lieu public, vou l'exposition des collections,
investi d'une mission de prsentation publique et d'initiation ouverte toutes les
couches de la population. Il cherche donner ses visiteurs : "[]le plaisir de voir des objets, le got de les connatre, le dsir de les mieux comprendre. En ce sens, il sert la diffusion culturelle dans toutes ses expressions : de
l'initiation pdagogique la pure dlectation personnelle, de la recherche de
rfrences esthtiques l'incitation un travail de crateur"4.
Institutions au service de la socit, les muses acquirent, conservent, enrichissent,
communiquent, exposent le patrimoine du pass et la cration du prsent. Aucun
domaine ne leur est tranger. Paradoxalement le muse contemporain rejoint son
tymologie antique qui en faisait le Temple des Muses. Toutes ou presque sont au
rendez-vous. Les arts plastiques, l'histoire naturelle, les arts et traditions populaires, les
arts dcoratifs, les sciences et les techniques, l'archologie mais aussi les objets
insolites5, les "arts" plus rcents6, le patrimoine ethnographique et industriel7 ont tous
leur(s) muse(s). En France, cette explosion du monde musal a t pour partie le fruit
du travail men par le ministre de la Culture depuis l'aprs-guerre. Cependant, au
dbut des annes quatre-vingts, le ministre, s'interrogeant sur les grands projets
d'investissement qu'il tait alors possible de lancer dans le monde des muses, tait
frapp, ainsi que le note Jacques Sallois8, "par le manque plutt que par le trop plein"9.
C'est cette situation de carence de projets qui a amen l'Etat prendre : "[] ses responsabilits et dvelopper de son propre chef de grands projets qui ont eu des vertus essentielles. La poursuite d'Orsay, venant aprs Beaubourg, le dmarrage
du Grand Louvre, ont contribu rnover, moderniser, transformer l'image que nos
compatriotes se faisaient de leurs muses et engendrer ensuite sur l'ensemble du
territoire des effets d'imitation dont je me rjouis aujourd'hui"10.
Certains auteurs n'hsitent plus qualifier l'explosion des muses de "grand vnement
culturel de cette fin de sicle"11. Emmanuel de Roux se dfie mme de la
"musomania" qui fait rage en France12. Partout l'on voit natre de nouveaux btiments,
4 Rmi Caron. L'Etat et la Culture. Economica. 1990. 5 Papier-peint, pierre fusil, ustensiles mnagers, 6 Bande-dessine, cinma, tlvision, 7 comuses et parcs naturels. 8 Directeur du cabinet de Jack Lang entre 1981 et 1984, avant d'tre Directeur des Muses de France de 1990 1994. 9 Connaissance des arts. Mars 1991. Page 96. 10 Ibid. 11 Pierre Cabanne. Guide des muses de France. 1990. Op. cit. Page III. 12 Emmanuel de Roux. Le Monde. 01 mars 1994.
- 3 -
Introduction
s'ouvrir de nouveaux chantiers13 et, finalement, c'est d'un bout l'autre de l'hexagone
que les muses se dveloppent, se multiplient et s'tendent. Aucun autre tablissement
culturel n'a connu ce rythme de dveloppement. "Probably more than 95% of the
present day museums of the world have been established since the Second World
War"14. Les muses sont de plus en plus nombreux, exigent de plus en plus d'espace et
se veulent de plus en plus spcialiss. Les fonctions qu'ils remplissent se sont, quant
elles, considrablement diversifies. Il semblerait que ce soit le concept mme de muse
qui ait chang dans sa signification et dans son contenu. Ainsi, Kenneth Hudson15
dclarait, au groupe de travail de l'Institut La Botie, que la suprmatie des muses des
Beaux-Arts et leur identification dans l'esprit d'une large partie du public la notion
mme de muse se trouvaient remises en cause. Dans les socits dveloppes les
muses deviennent des lieux d'authentique pratique culturelle. C'est aussi ce que relve
Bernard Gnis : "Ce n'est pas seulement la peinture qui provoque la curiosit du public. L'histoire locale, les traditions, l'industrie, l'cologie suscitent aujourd'hui un engouement rel.
Dornavant, on ne va plus au muse pour y admirer des chefs d'oeuvre. On y va aussi
pour apprendre, explorer, s'interroger. Quelle moisson ! Des terroirs les plus reculs
aux rivages des les de l'Atlantique, la France cultive ainsi sa mmoire. Curieusement
parfois. Quitte clbrer le saumon, le cochon ou des plumes d'coliers"16.
Michel Laclotte, directeur du Grand Louvre, confirme cette volont des muses de
changer leur image : "Je pense que le comportement des visiteurs va changer : ils vont tre trs attirs par les nouveaux espaces, ils vont voir la sculpture franaise qui a fait un grand effet dans
les cours et je pense que a va en effet obliger les gens penser qu'il n'y a pas que la
Joconde au Louvre et pas que la Vnus de Milo Ils verront autre chose".17
Cette volution est visible tout d'abord dans le nombre des muses eux-mmes. On
dnombrerait18 actuellement en France prs de 2 200 muses sous des statuts divers.
Viennent tout d'abord les 34 muses nationaux qui sont grs par la Direction des
Muses de France, assiste de la Runion des Muses Nationaux, et dont certains sont
des tablissements publics dots d'une personnalit juridique autonome et d'une
13 Plus de 400 chantiers de construction, d'extension et de rnovation ont t ouverts en une dcennie. Le Monde. 30 Septembre 1992. Page 17. 14 Patrick Boylan, Museums Association - Leicestershire Museums - Leicester in "Le nouveau visage des muses". Institut la Botie. 1990. Op. cit. Page 1. 15 Musologue - Bath. 16 Le tour de France de l'insolite. Le Nouvel Observateur. Du 21 au 27 octobre 1993. Page 136. 17 Le club de l'enjeu. TF1. Mardi 30 novembre 1993. 18 Le conditionnel est ici employ car il n'existe pas de recensement prcis quant au nombre des muses et les chiffres varient beaucoup d'une publication une autre. Ce chiffre est tir de l'ouvrage de Pierre Cabanne (Guide des muses de France. Bordas. Op. cit.), considr comme une rfrence la Direction des Muses de France.
- 4 -
Introduction
autonomie financire19. A leur ct, figure environ un millier de muses classs et
contrls qui appartiennent soit, c'est le plus grand nombre, des collectivits publiques
autres que l'Etat, soit toute autre personne morale soumise au contrle scientifique et
technique de l'Etat. Ces muses, que l'on regroupe le plus souvent sous le terme de
muses de province, ont connu rcemment des bouleversements inimaginables il y a
seulement quelques dcennies20. Ils sont essentiellement ds la conjonction de deux
facteurs majeurs, sans parler de l'arrive d'une nouvelle gnration de conservateurs
particulirement motivs. D'une part la dcentralisation qui, en donnant des
responsabilits plus tendues aux collectivits locales et, en premier lieu, aux
municipalits, les a engages, avec une ambition et des moyens nouveaux, dans le
champ culturel et, d'autre part, la cration, en 1982, par le ministre de la Culture, des
Fonds Rgionaux d'Acquisitions pour les Muses (F.R.A.M.) qui ont permis ceux-ci
de se runir pour engager une importante politique d'enrichissement des collections.
S'ajoutent ces tablissements les douze muses de la ville de Paris, ceux de l'Institut
de France, de l'Education Nationale, des Monuments Historiques mais aussi les muses
d'association, les muses de fondation, les muses communaux, les muses privs, etc.
Pierre Cabanne, dans son "Guide des muses de France" reconnat que, si "cette
disparit peut paratre complexe, elle ne fait que reflter la diversit d'origine ou
d'identit des muses et la varit de leurs richesses"21.
Cette diversification des muses a bien videmment des consquences sur leur
organisation technique. Jos Freches nous rappelle qu'exposer un objet revient : " assurer les conditions de sa conservation l'endroit o il est prsent. Animer une galerie d'exposition, c'est aussi veiller la scurit des oeuvres qu'on y expose. De
mme la restauration des oeuvres est soumise des critres et des contraintes
multiples qui varient selon le type d'objet et la technique de restauration qui lui est
applique. Une telle diversit des moyens appelle une coordination et une rflexion
d'ensemble. Il s'agit de faire converger les actions vers un mme but, en dgageant des
objectifs prcis. La poursuite d'un projet global, ou d'un programme de synthse,
apparat d'autant plus ncessaire aujourd'hui que les ralisations musologiques
gagnent en complexit, que ce soit par la taille (Beaubourg) ou par les contraintes
existantes (installation d'un muse moderne dans un btiment ancien, intgration d'une
collection dans un ensemble dj existant, ). Ainsi, voit-on surgir une nouvelle
branche de musologie, la "programmation-musologique", synthse de toutes les
autres qui veut pallier le cloisonnement des spcialisations et des techniques pour faire
converger les apports des divers secteurs de la musologie."22
19 Centre Georges Pompidou, Muse Rodin, Cit des Sciences et de l'Industrie de la Villette, etc. 20 Ds 1976 Marie-Franoise Poiret considrait qu' "un effort de rnovation srieux a t entrepris depuis une quinzaine d'annes ; il est poursuivi trs systmatiquement dans les muses de province avec
l'aide de l'Etat". In "Muses classs et contrls et collectivits locales". 1976. Page 4. 21 Op. cit. Page VI. 22 Les Muses de France. 1980. Op. cit. Page 8.
- 5 -
Introduction
Mais l'volution des muses a galement boulevers les comportements et cr des
rapports nouveaux entre le public, les artistes et les conservateurs. En s'ouvrant sur la
socit, l'institution prend conscience plus clairement de sa fonction sociale. Le
caractre patrimonial du muse se double dsormais d'une activit pdagogique et
d'animation essentielle son enracinement dans la socit. Les muses sont devenus
plus pleinement des lieux culturels. Services publics au service du public, ils ne se sont
pas seulement clairs et ars mais ils ont fait une place plus large la cration
contemporaine et l'art vivant, soutenus dans cette dmarche par la mise en place des
Fonds Rgionaux d'Art Contemporain (F.R.A.C.) qui viennent complter les
acquisitions du Fonds National d'Art Contemporain (F.N.A.C.). Ainsi le muse, temple
de conservation, est devenu un lieu de circulation et de promotion, en accord la fois
avec le patrimoine et la cration, lieu o se nouent des liens fructueux avec les
diffrentes composantes de la socit. De nouveaux moyens d'action s'y dveloppent
donnant une importance grandissante aux quipes d'animation et aux quipes
pdagogiques : muses pour enfants, services ducatifs, ateliers pour les jeunes, visites
guides, moyens audiovisuels mais aussi musobus23 ou prts d'oeuvres24, pour ne citer
que ces exemples. Ainsi, en 1988, dans une interview la revue "L'Ami de Muse",
Roland Schaer, chef du service culturel au Muse d'Orsay, citait, au sein de sa
"politique du public", des : "[] actions o l'on sacrifie la quantit la qualit. Par exemple, [le muse d'Orsay] a mis en place pour les lycens une documentation "lycens", avec un accueil
individualis des lycens qui tlphonent parce qu'ils ont un expos faire. Cela parat
disproportionn [], cela parat un peu fou par rapport la charge de la demande,
mais il y a toute une srie d'actions trs slectives, s'adressant apparemment peu de
gens, qui peuvent avoir ensuite des retombes, tre dmultiplies par ceux qui l'on
s'adresse"25.
Stephen Locke (Hampshire County Museums Service - Winchester), interrog par
l'Institut La Botie, parle de la double image des muses dans l'esprit du public. Tantt,
c'est la vieille image, le mot voque un lieu ferm et rbarbatif, tantt le mot voque un
lieu ouvert et attrayant. La nouvelle image est un heureux acquis de notre poque26. La
raction du public ne s'est pas faite attendre, et si, en 1967, on comptait encore 82% de
Franais n'tre jamais entrs dans un muse, ils taient 20 millions en 1979 et plus du
double en 1987 - 198827 avoir franchi la porte de l'un de ces "nouveaux temples de la
consommation culturelle", comme les qualifient Michel Guerrin et Emmanuel de
23 qui circulent dans les marchs, les grands ensembles et les tablissements scolaires. 24 des coles, des hpitaux ou des prisons. 25 L'Ami de Muses. N1. Janvier 1988. Pages 12 et 13. 26 Le nouveau visage des muses. 1990. Op. cit. Page 23. 27 30%.
- 6 -
Introduction
Roux28. Le nouveau muse de Grenoble a accueilli en deux mois [fvrier et mars 1994]
soixante mille personnes, soit l'quivalent de la frquentation annuelle de l'ancien
btiment de la place de Verdun29. Le Louvre, exemple extrme, a accueilli 5 millions
de visiteurs en 1992, soit une augmentation de prs de 80% en 4 ans30. Pour Laurent
Setton, chef du dpartement des publics, de l'action ducative et de la diffusion
culturelle de la Direction des Muses de France : "[] cette croissance qui rjouit les visiteurs, provient avant tout de la rflexion des lus et des conservateurs, de leur dsir commun de satisfaire la demande du public,
c'est--dire, par exemple, d'adapter un btiment, des collections, un programme
culturel tous les visiteurs"31.
Cherchant rpondre cette attente du public, les muses ont dvelopp des espaces
d'accueil et d'animation : points d'information, salles pdagogiques, librairies mais
galement caftrias et boutiques font le plus souvent partie des projets de rnovation
ou de construction. Point d'orgue de cette volution : le Louvre qui se dote d'un espace
commercial immense (40 000 m2) destin des magasins de luxe et qui propose
galement, dans son grand hall sous la pyramide, restaurants, caftrias, librairies, etc.
En mme temps qu'ils connaissaient ces considrables changements, les muses se
trouvaient confronts un environnement lui-mme en pleine volution. C'est ainsi que,
comme toutes les autres activits de loisirs et de culture, les muses sont dsormais
soumis la concurrence : comptition entre les muses eux-mmes32 qui cherchent
multiplier et diversifier leur offre mais comptition galement avec les autres formes
d'activits ludiques et culturelles, chacun cherchant s'octroyer le temps disponible et le
pouvoir d'achat des "consommateurs". Cette comptition sur la frquentation se double
naturellement d'une : "[] comptition pour se procurer les ressources ncessaires auprs des mmes bienfaiteurs publics ou privs sollicits pour une masse de fonds sans doute plus
abondante mais toujours insuffisante. Il faut tre toujours plus convaincant et persuasif
pour se faire attribuer la meilleure part"33.
Ceci est d'autant plus vrai que les charges ont tendance crotre de faon importante : la
concurrence et la modernisation gnrent des cots. Les muses sont devenus attentifs
28 Le Monde. 2 fvrier 1993. Page 1. 29 Claude Francillon. Le Monde. 6 et 7 mars 1994. 30 Ce qui ne va pas, bien entendu, sans poser de gros problmes de gestion de l'affluence. Le Monde. 23 avril 1993. Page 14. 31 Muses et conomie. D.M.F. Dpartement des publics, de l'action ducative et de la diffusion culturelle. 1992. Op. cit. Page 8. 32 Concurrence entre les muses franais mais galement avec les muses trangers du fait de la mobilit accrue du public. 33 Le nouveau visage des muses. 1990. Op. cit. Page 2.
- 7 -
Introduction
aux attentes multiples de leurs publics : l'accent est mis sur la prsentation des uvres,
le renouvellement des animations et le confort du visiteur. La diversit est galement
prise en compte : services spciaux pour les jeunes, les personnes du troisime ge, les
groupes, les handicaps, etc. L'Institut La Botie34 note que cette irrsistible croissance
des charges s'accompagne, par ailleurs, d'une grande incertitude quant aux ressources et
que, de ce fait, la rigueur s'impose d'elle-mme. La course aux ressources signifie,
terme, des gagnants et des perdants. Or, l'argent tend aller au succs : les grands
muses disposent de ressources de plus en plus importantes, organisent ainsi des
expositions trs luxueuses accompagnes de catalogues dignes des encyclopdies, ont
recours aux grands media pour se faire connatre et engendrent ainsi d'impressionnantes
files d'attente. Pendant ce temps, les plus petits muses, sans relles ressources, ne
peuvent esprer une amlioration rapide de leur situation. Les mcnes ne sont pas
moins sensibles au succs que les lus : un muse, une opration ou un lieu susciteront
d'autant plus la gnrosit des pouvoirs publics, des donateurs et des mcnes qu'ils
auront connu un plus grand succs auprs du public.
La France n'est videmment pas le seul pays touch par cette explosion. Il en est de
mme dans toute l'Europe et en Amrique du Nord35, o, selon Pierre Cabanne, la
floraison des muses apparat comme l'accompagnement naturel de l'clatement du
march de l'art et de l'inflation des prix36. Cette dernire pse doublement sur la gestion
des muses franais car, si leurs budgets ne leur permettent pas, malgr des
augmentations importantes, d'affronter la comptition dbride qui svit pour
l'acquisition d'uvres nouvelles, ni de se positionner sur le march de l'art37, ils n'en
subissent pas moins les consquences de ces drglements et, notamment,
l'augmentation corrlative des primes d'assurances38 ce qui est particulirement
34 Le nouveau visage des muses. 1990. Op. cit. Page 3. 35 Aux Etats-Unis la communaut des muses a connu un essor impressionnant au cours des dernires dcennies. "Des travaux de cration, d'amnagement ou d'expansion ont ainsi eu lieu dans les villes suivantes: Dallas, Atlanta, Miami, San Antonio, Anchorage, Boston, Portland, Louisville, Raleigh, Des
Moines, Baltimore, Akron, Minneapolis, Santa Fe, Fort Lauderdale, Rochmond, Hanover, Los Angeles,
Chicago, Seattle, Malibu, Washington, New-York, etc." (Jean-Michel Tobelem. Muses et culture. Le financement l'amricaine. MNES. 1990. Pages 20 et 21.) 36 "De 1965 1970, 300 muses ont t crs au Canada. Les Etats-Unis ou la R.F.A. connaissent, depuis plusieurs annes, des volutions semblables particulirement sensibles dans le domaine de l'art
contemporain. Le Japon ouvre des muses d'art occidental. Aux Pays-Bas, le nombre de muses est pass
de 600 en 1986 plus de 800 aujourd'hui. L'Espagne vient de doter sa capitale d'un important centre
d'art contemporain, le Centre Reina Sofia". In "Grands muses et dcentralisation culturelle". E.N.A. Dcembre 1990. 37 Ceci ne signifie pas que toute acquisition s'avre impossible raliser. C'est ainsi qu'en 1992, la R.M.N. a ralis une acquisition prestigieuse: "Le Christ la colonne" d'Antonello de Messine. 38 Ainsi, en 1987, "Les Iris" de Van Gogh ont atteint 325 millions de francs et en 1990, "Le portrait du docteur Gachet" a t vendu 458 millions de francs tandis que "Le moulin de la Galette" de Renoir
- 8 -
Introduction
sensible lors des expositions temporaires pour lesquelles le muse organisateur a la
charge d'assurer les uvres qu'il emprunte de divers cts39.
Il est par ailleurs vrai que les muses, grce leur effort de modernisation, n'offrent pas
seulement aux donateurs un cadre digne de leur gnrosit mais peuvent galement
stimuler une politique active de mcnat artistique. C'est ainsi que des acquisitions
spectaculaires effectues par quelques grands muses40 ont t accompagnes de
donations et de legs prestigieux41 mais aussi de dations42, paiements en uvres d'art
des droits de succession ou de l'impt sur les grandes fortunes, permettant
l'enrichissement et la diversification des collections de ces mmes muses ou de celles
d'autres tablissements.
Si le mcnat culturel s'est dvelopp en France dans ce contexte gnral de renouveau
musographique, il reste nanmoins quasi marginal : en 1988, il ne reprsentait encore
que 400 millions de francs (soit 3 % du budget de la rue de Valois) alors que le
sponsoring sportif tait de cinq dix fois plus important. Il est pourtant maintenant
tabli que les organismes culturels, et - parmi eux - les muses, ne peuvent se passer de
l'aide concomitante de plusieurs partenaires pour faire face la diversification de leurs
missions et aux exigences toujours plus fortes du public. L'Etat s'emploie d'ailleurs
mobiliser ses cts de nouveaux partenaires pour l'initiative culturelle : entreprises
(loi fiscale sur la dductibilit des actions de mcnat), associations et fondations,
citoyens (dfiscalisation) mais aussi collectivits locales, municipalits, dpartements,
rgions. On peut esprer que le mcnat retrouvera une nouvelle vitalit grce aux
dispositions inities par le ministre de la Culture et la volont de certaines entreprises
de dvelopper une image de marque lie au domaine culturel. Les expositions
temporaires se prtent particulirement bien ce type d'actions et les muses devront
dvelopper des stratgies de communication permettant de rechercher des fonds ayant
un caractre de libralits.
Prenant acte de cette volution, Pierre Cabanne fait observer qu'il : "[] serait dplac de nier le rle grandissant de l'argent []. Les acquisitions spectaculaires des grands muses et des fondations amricaines, les prix fabuleux
pays rcemment par des collectionneurs japonais, ont eu pour consquence d'arracher
atteignait la somme de 150 millions de francs. Cette inflation draisonnable parat heureusement avoir atteint ses limites et l'on assiste, depuis un an ou deux , une nette rgression de ces folles enchres. 39 Dans le cas de l'exposition Toulouse Lautrec organise en 1992 au Grand Palais, les primes d'assurances se sont leves 3 millions de francs. 40 Un La Tour au Louvre, un Poussin Rouen, un Tanguy Rennes, un Renoir au muse d'Orsay, etc. 41 Daniel Cordier au M.N.A.M., Pierre Lvy Troyes, Mme Jean Matisse et Pierre Matisse Nice et au Cateau, Pierre Harter au muse des Arts d'Afrique et d'Ocanie, Jacqueline Damien au Louvre, etc. 42 Picasso, Chagall, Pellerin-Czanne, etc.
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Introduction
les muses franais la pratique rassurante d'enrichissement, sans risque ni grandeur,
qui consistait surtout tenter de combler les lacunes des collections ou de complter
des sries. Ainsi, l'argent est-il devenu un stimulant ; l'explosion des muses n'est pas
trangre ce phnomne"43.
C'est ce que confirme l'apparition d'une nouvelle forme de tourisme : "le tourisme
culturel", enjeu conomique auquel doivent rpondre nos muses en sachant adapter
leur offre la demande du public et raliser des combinaisons sduisantes entre les
activits et le service offert au public, les expositions, les publications, les animations et
les ralisations pdagogiques. On s'interroge cependant : "[] surtout dans les plus grandes mtropoles, sur la finalit de ces immenses machines toujours plus nombreuses exposer des uvres qui sont de moins en moins
"d'Art", envahies par des foules de plus en plus denses de touristes et de curieux dont le
"dlassement intellectuel" a toutes les chances d'tre distrait et sommaire"44.
De plus en plus, la vie d'un muse est rythme par ses expositions. Les catalogues,
toujours plus riches par leurs analyses et plus sduisants par la qualit de leur dition,
s'imposent alors comme vecteurs de la diffusion culturelle auxquels viennent peu peu
s'ajouter de nombreux produits commerciaux connexes (reproductions, cartes postales,
bibelots, CD-Rom). La Direction des Muses de France a mesur l'importance de
cette volution et a port un intrt tout particulier l'organisation des expositions et
la publication des catalogues qui les accompagnent et en prolongent la porte. Tout se
passe comme si les muses - les plus grands d'entre eux, tout au moins - considraient
dsormais l'accrochage permanent comme relativement secondaire et faisaient de
l'organisation des expositions temporaires l'axe majeur de leur politique d'attraction du
public. On en mesure chaque anne les rsultats : les expositions des muses nationaux
ont, en effet, atteint un niveau de prestige et un succs populaire proprement
inimaginables il y a encore quelques annes.
Ainsi, se dessine progressivement le double visage de nos muses, conjuguant service
public (la diffusion culturelle et la prservation du patrimoine national) et
proccupations commerciales. Comme nous l'avons dj soulign, en effet, des activits
commerciales satellites se sont peu peu greffes sur les activits traditionnelles des
muses entranant un dveloppement des recettes annexes. Ces activits
"commerciales" ne se limitent pas la vente d'objets inspirs par les expositions, elles
ne reculent pas devant la "vente" des muses eux-mmes puisqu'il est prsent possible
de louer un muse (de mme que certains autres tablissements culturels) pour une
rception prive : organisation d'un cocktail, lancement d'un produit, clture d'un
43 1990. Op. cit. Page IV. 44 Marc Fumaroli. Commentaire. N 61. Page 121.
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Introduction
sminaire, etc.45. Les entreprises sont nombreuses saisir cette occasion de redorer leur
blason dans l'un de ces hauts lieux et payer au prix fort leur ticket d'entre dans les
temples de la culture. Les muses, quant eux, ne refusent jamais cette manne, aussi
abondante qu'inespre46 mme s'ils se dfendent pudiquement de parler de location.
On voque plutt des oprations de mcnat : les entreprises sont des partenaires pour
les expositions et, dans ce cadre, les salles sont gratuitement mises leur disposition.
Cependant, cette notion de partenariat dpend beaucoup de l'attitude du muse lui-
mme vis--vis des entreprises : le Petit Palais exige de ses invits qu'ils "prennent le
temps de visiter l'exposition avant la rception : on n'est pas un htel !"47. Le Centre
Pompidou, quant lui, ne se loue pas : "Cela ne fait pas partie de notre dontologie". Il
faut cependant reconnatre qu'il reste l'un des derniers opposants cette politique et que,
par exemple, le Louvre tire de cette opration de "location", environ la moiti de ses
recettes globales de mcnat. De mme, Sylvie Glaser-Chuard, secrtaire gnrale du
muse de la Mode et du Costume, souligne que "c'est une source de financement qui
donne de la souplesse la gestion administrative. Ces revenus nous permettent de
boucler les budgets des expositions, d'acheter des uvres d'art ou du matriel". La Cit
des Sciences et de l'Industrie de la Villette donne l'exemple extrme en matire d'offres
de partenariat aux entreprises puisqu'elle propose d'associer ces dernires bon nombre
d'vnements et les sollicite par l'intermdiaire d'quipes commerciales spcialises,
charges de prospecter les entreprises de faon intense48.
A lire les articles consacrs la culture dans nos journaux quotidiens49, on constate que
le langage technico-commercial, et avec lui celui de la gestion, y font peu peu leur
apparition : les conservateurs rappellent, l'appui de leurs revendications salariales,
qu'ils sont devenus des "chefs d'entreprise"; le directeur de l'administration gnrale au
ministre de la Culture prcisait, en 1988, qu'il n'tait plus possible de construire une
programmation "si l'on n'[avait] pas rflchi ses cibles"; on parle de plus en plus de
"grer la culture", de "grer l'ingrable" et certaines socits prives se spcialisent
dans le conseil et le management du patrimoine pour le compte des collectivits50. Lors
de l'mission "le club de l'enjeu" du 30 novembre 1993, Emmanuel de La Taille
45 Le Monde. 20 Avril 1993. Pages 1 et 32. 46 Mise disposition de l'espace sous la pyramide du Louvre : de 300 000 600 000 francs selon le nombre d'invits, auxquels s'ajoutent des frais logistiques et techniques pouvant atteindre 250 000 francs. Visite prive du Muse d'Orsay avec disposition du restaurant = 400 000 francs ; Muse Delacroix, accueil de 100 personnes = 30 000 francs ; Muse Grvin : entre 25 000 et 32 000 francs la soire Les tarifs varient selon la renomme de l'endroit et le niveau de prestation. 47 Thrse Burolet, directrice du muse in Le Monde. 20 Avril 1993. Page 32. 48 "La Villette offre aux entreprises un grand mdia d'initiation". Mdias. 27 Fvrier 1986. 49 Et en particulier dans le quotidien Le Monde. 50 Le management et la culture. Le Monde. 28 Avril 1993. Page 32.
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Introduction
observait que Jacques Sallois, directeur des Muses de France, tait "un grand financier
[devenu] un grand entrepreneur". A quoi l'intress rpondait que les muses taient
devenus de grandes entreprises culturelles et qu'ils "sauraient se dfendre" s'ils devaient
tre cts en bourse. Cette rplique, en forme de boutade, est rvlatrice du changement
de mentalits intervenu dans ces institutions. Il s'agit dsormais d'apprendre aux
responsables des muses "jouer sur toutes les cordes du management pour augmenter
la frquentation des monuments, donc leur rentabilit"51. Ces mmes responsables ont
compris l'importance de la communication pour aider convaincre tous ceux - visiteurs,
bienfaiteurs, sponsors - dont ils souhaitent la contribution. L'exemple nous vient
d'ailleurs des Etats-Unis o le magazine Business Week a rcemment class le directeur
de la National Gallery de Washington parmi les meilleurs "managers" du secteur but
non lucratif. Jean-Michel Tobelem [1990] y voit la preuve que l'efficacit de la gestion
est pleinement reconnue dans les muses amricains. Il constate que ces derniers : "[] ont transpos avec succs dans leurs tablissements les techniques de gestion les plus labores, en terme de marketing, de recherche de fonds, de communication, de
financement, de commercialisation, d'valuation des projets ou de planification
stratgique"52.
L'introduction d'un langage nouveau dans ces organismes n'est pas neutre : elle est la
preuve d'une volution des comportements. Alain Burlaud a bien vu que "le systme de
contrle de gestion suppose un langage assurant une certaine cohrence
l'organisation"53. C'est le langage qui permet en effet - au travers d'un vocabulaire
commun, d'une syntaxe particulire, de sigles identiques - de construire l'identit d'une
organisation et de coordonner les actions de ses diffrents membres en forgeant des
attitudes homognes54. Alain Burlaud pense donc qu'il s'agit : "[] travers la mise en place d'un systme de contrle de gestion, d'aider l'organisation forger le langage qui exprimera son "inconscient collectif" et le
modlera afin de la prparer faire face de faon homogne toutes les situations"55.
L'ensemble des changements dcrits implique une redfinition du rle de chacun des
acteurs : "Le muse, dans la plupart des pays, est aussi un organe de l'administration d'Etat ou des collectivits locales. C'est dire que ses gestionnaires doivent, sans tre rompus
aux techniques de l'administration publique, en connatre assez long sur ses
51 Le Monde. 28 Avril 1993. Page 32. 52 1990. Op. cit. Page 26. 53 Le contrle de gestion dans les services publics. Cahiers d'Etudes et de Recherches. N 78 - 2, Srie Recherches. E.S.C.P. Page 16. 54 Ainsi Guy Rocher crivait qu'une "langue porte dj en elle une vision du monde, qu'adoptent ncessairement ceux qui la parlent". In "Introduction la sociologie gnrale : l'action sociale". Editions HMH Points. 1970. Page 92. 55 Le contrle de gestion dans les services publics. 1978. Op. cit. Page 17.
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Introduction
mcanismes pour ne pas en faire les frais et viter de faire figure de parents pauvres de
l'administration. Des tches souvent ingrates attendent ceux qui veulent devenir
musologues parce qu'ils aiment les objets ou qu'ils se sentent une vocation
d'animateurs culturels. Nanmoins, le risque serait grand de voir chapper au
musologue la gestion administrative et financire de son muse. Les praticiens de la
culture ne peuvent se couper du rel."56
Le partage de ces responsabilits trs varies entre l'Etat, propritaire des muses
nationaux, et les collectivits locales qui grent les quelque 950 muses de province,
complique considrablement la tche des gestionnaires de ce secteur culturel. La
politique d'enrichissement des collections nationales n'est pas la mme que celle d'une
collection vocation plus rgionale ou plus locale. A quoi s'ajoute l'extrme diversit
des contextes financiers et budgtaires dans les municipalits et les dpartements
dtenteurs de collections publiques. La sensibilisation des collectivits propritaires est
loin d'tre complte et uniforme. Le conservateur, Matre Jacques d'un employeur
divers et parfois insaisissable, devra conjuguer le savoir scientifique, les talents de
l'animateur et la rigueur du gestionnaire.
Le monde des muses, quant lui, devra concilier les exigences du service public et les
principes de gestion d'une entreprise. Tandis que certains voient l une antinomie
infranchissable, d'autres pensent que "la prise en compte du service public n'exclut pas
d'avoir recours des techniques modernes de gestion"57. La notion de service public
est trs prsente dans les missions de conservation du patrimoine et de prsentation des
collections au public. Elle demeurera toujours centrale, essentielle et intangible. Ceci ne
signifie pas pour autant qu'elle ne puisse s'accommoder des principes de gestion du
secteur priv. La Runion des Muses Nationaux a bien compris l'intrt de satisfaire
ces deux exigences, d'une part, en organisant, conformment sa mission culturelle et
ducative, des expositions dont elle sait, a priori, qu'elles seront difficiles - voire
impossibles - quilibrer et, d'autre part, en profitant de l'attrait qu'exercent sur le
public certaines trs grandes manifestations pour dvelopper, en direction des visiteurs,
toute une gamme de produits drivs qu'elle commercialise. Elle utilise, par ailleurs, de
plus en plus largement les techniques du marketing, et particulirement celles de la
distribution et de la communication dans son activit d'dition et de reproduction.
Les participants aux troisimes Rencontres Nationales des Muses, prenant acte du rle
croissant que jouent ceux-ci dans la vie conomique du pays et dans le dveloppement
56 Jos Freches. Les Muses de France. 1980. Op. cit. Page 9. 57 Jacques Sallois. Connaissance des arts. Mars 1991. Page 97.
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Introduction
du territoire, affirmaient leur "double fonction culturelle et conomique"58 et la
ncessit, devant ce constat, de repenser la totalit de leurs fonctions.
Le document final des troisimes Rencontres proposait aux participants des
perspectives de travail que nous croyons bon de rappeler : " Travailler sur l'ensemble des muses, quel que soit leur statut, afin de traiter harmonieusement les problmes et offrir une cohrence au public ;
Raffirmer le rle de l'Etat comme instance de conseil et d'assistance technique mais
surtout comme recours lors des conflits entre techniciens et politiques, c'est--dire
dfinir une politique de l'Etat ;
Ne pas chercher imposer de solutions unifies arbitraires, mais respecter les
organisations locales (cosystme) ;
Mettre en place les outils d'analyse et de gestion (tableau de bord, tude de march
pralable, valuation) ncessaires une clarification ;
Travailler, partir de situations exprimentales, trouver les solutions diversifies ;
Dfinir avec les collectivits territoriales, les comptences relatives, installer les
instances de ngociation, de partenariat en travaillant sur projet et
contractualisation"59.
Nous aurons l'occasion, tout au long de ce travail, de revenir sur ces diffrents points en
scindant la question centrale de notre recherche [Est-il possible de concevoir un
systme de contrle de gestion qui puisse tenir compte des spcificits des
muses ?] en deux sous-questions :
Pourquoi les muses ont-ils besoin, prsent, de contrle de gestion ? [Titre 1 :
Emergence du besoin de systmes de contrle de gestion dans les muses]
Comment peuvent et doivent se dvelopper ces systmes de contrle de gestion ?
[Titre 2 : Besoins, moyens et pratiques du contrle de gestion]
Le titre 1 nous permettra donc, au travers d'un tat de l'art, de resituer l'ensemble de ces
interrogations dans une optique de gestion. Nous y tudierons, ainsi, la fois
l'environnement et la stratgie des muses [Partie 1] et leur gestion [Partie 2], c'est--
dire l'laboration de leur politique gnrale et sa dclinaison en un certain nombre de
plans d'action (principalement financier et commercial). Cette revue de littrature
pourrait paratre excessive : elle est justifie par la quasi-absence d'crits sur ce sujet.
La gestion des muses n'est pas rellement aborde par les publications. Celles-ci sont,
en effet, le plus souvent des comptes-rendus d'expriences menes par des muses
particuliers mais sans qu'une volont de gnralisation n'y prside ; au mieux traitent-
elles de la gestion administrative60. Il existe cependant un intrt croissant pour ce sujet
58 Muses et conomie. 1992. Op. cit. Page 252. 59 Ibid. Pages 253 et 254. 60 Jean Chatelain. Gestion et administration des muses. La documentation franaise. 1989.
- 14 -
Introduction
dont tmoigne, entre autres, la multiplication des colloques et sminaires sur ce
thme61. Cependant, si ces rencontres permettent de nombreux professionnels de
rendre compte de leurs expriences et rflexions personnelles, on s'y contente en
gnral, sur des questions plus larges, d'noncer des interrogations sans vritablement
apporter de rponses62. Or, poser la problmatique du contrle de gestion des
muses ncessite qu'aient t au pralable formaliss les concepts et notions sur
lesquels repose la gestion des muses. Faute de pouvoir nous rfrer des
publications sur ces points, nous avons t conduite laborer un corpus thorique
aussi complet que possible afin d'y runir l'ensemble des interrogations portant sur
la gestion des muses et de tenter d'y rpondre au moins partiellement, puisque
des clairages nouveaux seront apports par le travail ralis sur le terrain (et prsent
au titre 2).
Plusieurs axes de rflexion peuvent ainsi tre dvelopps dans cette recherche sur la
gestion des muses. Le titre 1 de ce travail est organis autour de ces interrogations :
Quelle est l'influence des politiques culturelles nationales sur les projets des muses et
quelles sont les voies permettant une dcentralisation efficace ? [Chapitre 1]
Quels modes d'organisation administrative et juridique peuvent permettre aux muses
d'assumer leurs missions dans le cadre de projets dfinis avec leurs autorits de tutelle ?
[Chapitre 2]
Comment est labore la politique gnrale des muses, compte tenu des contraintes
imposes par leur environnement (public, autorits de tutelle, etc.) et par eux-mmes
(structure, processus de dcision, identit culturelle, etc.) ? Il s'agira de chercher
savoir comment assurer la cohrence stratgique d'un tablissement qui est la fois
centre de dcision autonome et soumis au contrle public et, par consquent, contraint
de participer des politiques dfinies par ses autorits de tutelle. Il y aura galement
lieu de rflchir l'intgration de nouvelles activits sans que cet largissement de leur
Droit et administration des muses. La documentation franaise. 1993. 61 Par exemple les 27 et 28 janvier 1994 s'est tenu Grenoble le colloque international "Muses : grer autrement" parrain par l'ICOM et organis par l'Observatoire des Politiques Culturelles en partenariat avec le ministre de la Culture et de la Francophonie et la ville de Grenoble. 62 Quels modes d'organisation, de statut, de gestion peuvent permettre aux muses d'assumer leurs missions et de dvelopper de nouvelles activits devenues ncessaires avec l'accroissement des exigences du public ? Quelles relations les muses doivent-ils dvelopper avec les milieux de l'ducation, du tourisme, de l'conomie ? Comment mobiliser les financements croissants, et avec quels partenaires, pour assurer la mise en oeuvre des missions traditionnelles des muses et des nouvelles activits ? etc.
- 15 -
Introduction
rle ne fasse oublier aux muses leur vocation premire : la conservation63 du
patrimoine public64. [Chapitre 3]
La connaissance des publics incite-t-elle les muses passer d'une logique de produit
une logique de march ? Quels peuvent tre les apports du "marketing" l'activit des
muses ? Comment intgrer les activits commerciales satellites dans les systmes
d'information et de dcision ? [Chapitre 4]
Comment mobiliser des financements de plus en plus importants pour assurer la fois
la prennit des missions traditionnelles et rpondre aux demandes accrues d'un public
exigeant ? Cette question nous amnera naturellement rflchir la multiplication des
partenaires des muses et aux modalits d'organisation de ces relations de partenariat.
[Chapitre 5]
Comment faire face au dficit conceptuel qui existe dans ces tablissements, c'est--
dire au manque de concepts, de mthodes et de techniques de gestion, crs
spcifiquement pour les muses sans tre la transposition sommaire de mthodes
managriales issues du secteur priv ? [Chapitre 6].
Pour faire face la carence d'information constate, nous nous sommes situe
l'intersection de deux thmes qui nous ont permis de structurer notre recherche : 1.
muses et gestion ; 2. contrle de gestion, plus particulirement dans le cas des
organismes publics mme si tous les muses ne relvent pas du secteur public. Ceci
nous a permis d'aborder le contrle de gestion au travers d'une contrainte forte
(l'appartenance au secteur public) et d'en tirer des enseignements.
Nous avons alors t amene nous interroger sur la conception d'un systme de
contrle de gestion qui puisse rpondre aux spcificits des muses, c'est--dire qui
tienne compte la fois de leur appartenance au secteur public (problmes de gestion
d'une activit non lucrative) et de leur insertion dans le champ culturel. L'analyse et
la prise en compte de cette double contrainte nous ont t facilites par les travaux
entrepris par diffrents auteurs sur la gestion des services publics (Patrick Gibert, Alain
Burlaud, Claude Simon, etc.) mais galement par des sociologues, tels que Pierre
Bourdieu - qui a mis en vidence les oppositions idologiques existant entre le champ
culturel et les champs conomique et politique - ou Michel Crozier et Ehrard Friedberg,
63 On entend par "conservation" l'ensemble des tches visant tudier, prserver, restaurer et enrichir les collections. 64 "La tche des responsables des collections part de la notion de conservation et doit y revenir. Elle constitue la raison d'tre des muses". Jos Freches. Les Muses de France. 1980. Op. cit. Pages 11 et 12.
- 16 -
Introduction
pour leur dmonstration de l'importance des stratgies d'acteurs sur la dynamique des
systmes. Ces derniers travaux nous ont notamment convaincue que le paradigme de
l'identit ne pouvait tre cart d'un travail sur le contrle de gestion d'une organisation
culturelle, sous peine d'y perdre toute cohrence. Dans ce mme titre 1, nous serons
ainsi amene identifier au moins deux conceptions stratgiques diffrentes des
missions et projets de muses - l'une strictement culturelle et l'autre intgrant les
lments d'un certain quilibre financier -. De leur choix dcouleront la fois la
dclinaison des objectifs stratgiques dans les plans d'action oprationnels et la
construction du systme de contrle de gestion.
Il serait cependant prsomptueux de croire que des rponses ont t trouves
l'ensemble de ces interrogations. Nous nous situons plutt l'heure du constat : les
muses et leur environnement ont chang de manire radicale mais nous nous
interrogeons encore sur la (meilleure) faon d'accompagner cette volution sur le plan
de la gestion. Les professionnels apportent certains lments de rponse mais le travail
ralis pour notre mmoire de D.E.A. nous a appris que ces rponses n'taient pour
l'instant qu'embryonnaires, parcellaires et trs diffrentes selon les interlocuteurs. Il y
aurait donc l une voie d'exploration que nous nous proposons de suivre.
La typologie sommaire labore au titre 1 sera alors affine par le titre 2 de ce travail
qui a fait choix de deux processus de recherche : une enqute par questionnaires et un
travail de type "monographie".
L'enqute par questionnaires reprsente l'interface entre le travail thorique et le
travail pratique : il s'agit, en effet, de complter les connaissances acquises sur la
gestion des muses lors du travail thorique par des informations plus factuelles rendant
compte des structures et outils de contrle de gestion existant au sein du paysage
musal franais. Une analyse de ces questionnaires nous a permis de dvelopper deux
outils ncessaires nos travaux ultrieurs : d'une part, une typologie des muses
franais en ce qui concerne leurs comportements vis--vis du contrle de gestion ;
d'autre part une liste des principaux problmes que rencontre le contrle de gestion au
sein des muses franais afin d'laborer un corps d'hypothses. Celui-ci a t test dans
un second temps par le travail de monographies.
Les deux modes de recherche jusqu'ici voqus (revue de la littrature et enqute) nous
ont permis de poser la problmatique du contrle de gestion des muses et de dresser
une photographie du paysage musal franais. Ils nous ont nanmoins paru insuffisants
pour prtendre la qualification de "recherche". Notre objectif n'tait, en effet, pas
uniquement de dcrire une situation (l'utilisation du contrle de gestion dans les muses
- 17 -
Introduction
franais) mais galement de comprendre et d'explorer ce phnomne. Les recherches
thoriques (tat de l'art) et les outils quantitatifs (questionnaires) ne nous autorisaient
pas rellement progresser dans la rponse notre problmatique. Nous nous sommes
donc situe plutt dans le cadre d'une approche inductive : ce sont les observations que
nous avons effectues qui nous ont permis de dcrire les relations entre variables et
d'infrer des hypothses et des thories. Une troisime stratgie de recherche a d, par
consquent, tre mise en place. Elle a consist dvelopper des monographies en
profondeur (selon l'approche mise au point par des chercheurs comme M. Crozier et E.
Friedberg) de huit muses particulirement reprsentatifs des problmes soulevs, en
poursuivant notre stratgie d'enqute par des guides d'entretiens plus approfondis que
le premier questionnaire et des analyses de documents.
Le chapitre 7 nous permet de faire le lien entre les deux titres qui structurent cette
recherche. Il expose les choix mthodologiques et le cheminement retenu pour rpondre
notre question de recherche. L'laboration de la stratgie de recherche prcde les
phases de description [partie 3] et de comprhension [partie 4]. L'investigation
empirique des systmes de contrle de gestion musaux nous a donc amene
slectionner deux stratgies d'analyse complmentaires :
laboration, partir des modles thoriques pralablement tudis, d'un corps d'hypothses testes par un nombre suffisamment important de questionnaires pour
permettre une analyse statistique descriptive,
mise en place d'tudes (entretiens et tudes documentaires) sur un nombre de cas
restreint afin d'clairer, par une dmarche inductive et comprhensive, les rsultats
obtenus.
Deux mthodes de recherche65 sont donc associes : la mthode quantitative
dductive qui dfinit un modle thorique et le confronte aux donnes et la dmarche
qualitative inductive permettant de construire une thorie partir du vcu des acteurs.
La troisime partie de la thse regroupe les chapitres 8, 9 et 10 qui donnent la mesure
des informations obtenues par la voie du questionnaire. La prsentation des
tablissements et de leurs gestionnaires [chapitre 8] et la description des outils et
procdures de gestion musaux [chapitre 9] nous permettent de proposer une typologie
des muses franais par rapport leurs pratiques de gestion [chapitre 10].
65 M. Bergadaa et S. Nieck parlent de 'logiques de recherche". Induction et dduction dans la recherche en marketing. Recherche et Applications en Marketing. Volume 7, N 3, 1992, pages 23 44.
- 18 -
Introduction
Parmi les catgories mises en vidence cette occasion, huit tablissements ont t
slectionns pour faire l'objet d'une analyse plus approfondie, prsente en quatrime
partie (chapitres 11, 12 et 13).
Le chapitre 11 runit les cinq tablissements pour lesquels on ne peut vritablement
parler de systmes de contrle de gestion. Les explications la non-mergence de tels
systmes sont trs diffrentes selon les muses : contraintes environnementales et
organisationnelles fortes ou volont interne de ne pas dvelopper de systmes de
gestion.
Au chapitre 12, nous prsentons et analysons trois modles de mise en uvre et de
dveloppement de systmes de contrle de gestion musaux afin d'examiner leur apport
la question de recherche.
Les conclusions de la recherche sont prsentes au chapitre 13. Il nous permet de
faire la synthse de la rponse notre question de recherche en nous fondant sur
l'examen transversal des lments descriptifs et des lments explicatifs et de proposer
une rflexion partir des rsultats obtenus sur les systmes de contrle de gestion des
muses.
La conclusion de la thse souligne les apports de la recherche et ses limites. Elle
nous permet de suggrer quelques pistes de recherche pour l'avenir.
* * *
Au travers de ce thme, nous avons tent d'tudier dans quelle mesure un contrle de
gestion, cr avant tout pour des tablissements privs, et plus particulirement
industriels, doit tre repens pour tre pertinent au sein d'organisations profondment
diffrentes, tant par leur objet que par leur histoire, de celles pour lesquelles il a t
originellement conu. Il s'agit, en fait, d'tudier la manire dont s'adapte le contrle de
gestion pour rester cohrent alors que cohabitent des visions d'acteurs diffrentes :
perspective professionnelle forte et perspective gestionnaire ; c'est--dire, de
s'interroger sur la manire dont doivent tre intgres des proccupations culturelles
dominantes au sein du contrle de gestion, pour donner celui-ci la vritable dimension
transversale, indispensable sa russite.
- 19 -
Introduction
Chapitre 1 La politique culturelle
de la France
Chapitre 2 L'organisation
administrative et juridique
Chapitre 3 L'approche globale stratgique et la politique des organisations
Chapitre 4 Le plan d'action
commercial
Chapitre 5 Le plan d'action
financier
Chapitre 6 Le contrle de gestion
des muses
Partie 1
Partie 2
Partie 3
TITRE 1
TITRE 2Chapitre 7 : Mthodologie de la recherche
Chapitre 8 Les tablissements et
leurs gestionnaires
Chapitre 9 Outils et procdures de
gestion
Chapitre 10 Proposition de typologie
Partie 4
Chapitre 11 Des rseaux de contraintes fortes
freinent l'mergence de systmes de contrle de gestion
Chapitre 12 Vers le dveloppement d'un systme
de contrle de gestion intgr
Chapitre 13 Un systme de contrle de
gestion adapt aux contraintes musales
Schma I.1. : Articulation de la prsentation
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Titre 1 - Introduction
Titre 1
Analyse de la littrature :
Emergence du besoin de systmes de contrle de gestion dans les muses
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Titre 1 - Introduction
Les quelques exemples voqus en introduction nous laissaient supposer que les muses
taient en pleine mutation et que les systmes de gestion devraient y trouver leur place ;
il convient prsent de consolider et de structurer cette intuition. L'objet de ce premier
titre est de montrer en quoi la question centrale de notre recherche mrite prsent
d'tre pose, sans pour autant rpondre vritablement celle-ci (ce sera l'objet du titre
2).
Nous nous efforcerons donc de montrer, dans ce premier titre, combien les nombreuses
mutations que connaissent, l'heure actuelle, les muses impliquent de changements
organisationnels et de modernisation de leur gestion. Ceci nous amnera conclure que
le dveloppement de systmes de contrle de gestion devient indispensable pour assurer
le pilotage de ces tablissements, afin de leur permettre de saisir les opportunits de leur
environnement et de s'adapter au mieux leurs contraintes. A la lumire de ce constat
nous pourrons fonder une analyse des changements observs et des transformations qui
restent accomplir [Titre 2].
Nous organiserons ce premier titre en deux parties, en nous appuyant sur une revue de
la littrature qui nous permet de faire le lien entre la gestion des organisations
culturelles, les spcificits des systmes de contrle de gestion des organisations
publiques et des prestations de service et les illustrations musales.
Nous tudierons tout d'abord (premire partie) les mutations de l'environnement
politique, administratif et juridique des muses mais surtout leurs rpercussions sur la
stratgie de ces tablissements et l'laboration de leur politique gnrale.
La seconde partie sera consacre aux consquences de ces mutations l'intrieur des
organisations. Nous montrerons ainsi comment les choix stratgiques vont tre dclins
en plans d'action et en quoi ils vont faire voluer les besoins de systmes d'information
et de contrle des diffrentes activits des muses.
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Titre 1 Partie 1- Introduction
Partie 1
Les muses : environnement et stratgie
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Titre 1 Partie 1- Introduction
Cette premire partie nous permet de dresser une photographie de l'environnement au
sein duquel voluent les muses. Nous en montrerons les contraintes politiques,
administratives et juridiques et leurs consquences sur la stratgie de ces tablissements
et l'laboration de leur politique gnrale. Nous chercherons donc rpondre aux
questions suivantes :
Comment sont labores les politiques culturelles nationales ? Qui sont les acteurs
influents au niveau national, rgional, municipal ? Quelle peut tre l'influence de ces
politiques et de ces acteurs sur les projets des muses ? [Chapitre 1]
Quelles sont les contraintes poses par le cadre administratif et juridique des muses ?
Pourquoi peut-on dire que celui-ci ne correspond plus aux problmes actuels de ces
institutions et qu'il constitue parfois mme un frein leur volution ? Comment les
tablissements peuvent-ils s'en dgager afin d'assumer leurs missions dans le cadre des
projets dfinis avec leurs autorits de tutelle ? [Chapitre 2]
Finalement, comment ces deux facteurs vont-ils s'insrer dans le processus
d'laboration de la politique gnrale des muses ? Quels vont tre les autres facteurs
participant ce processus ? Comment les volutions - externes mais galement internes
- vont-elles tre intgres dans la dmarche stratgique et faire l'objet de rponses
diffrentes selon les tablissements ? [Chapitre 3]
Chapitre 1 La politique culturelle
de la France
Chapitre 2 L'organisation
administrative et juridique
Chapitre 3 L'approche globale stratgique et la politique des organisations
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Titre 1 Partie 1- Chapitre 1
CHAPITRE 1
LA POLITIQUE CULTURELLE DE LA FRANCE
Poser la problmatique du contrle de gestion des muses franais suppose qu'aient t
au pralable formaliss les concepts sur lesquels repose la gestion de ces mmes
muses. C'est l'objet du premier titre de ce travail dans lequel nous nous attacherons,
d'une part, dcrire l'environnement des muses et l'laboration de leur stratgie
(premire partie) et, d'autre part, dfinir les concepts fondamentaux de leur gestion
(seconde partie).
L'aspect national de la politique culturelle fait l'objet de ce premier chapitre car la
composante politique et rglementaire fait partie des lments de l'environnement
gnral des muses et joue, ce titre, un rle trs important dans la dtermination de
leurs choix stratgiques. Son analyse conduit : "identifier les acteurs politiques influents et leur domaine d'influence, les dispositions lgislatives et rglementaires qui conditionnent l'exercice de l'activit. Elle se doit
galement d'anticiper l'volution des processus de rgulation. Plus que beaucoup
d'autres, le monde culturel est soumis la contrainte politique"1.
La composante politique tudie ici devra par consquent tre prise en compte lors de
l'analyse stratgique et de la formulation des objectifs gnraux des muses (cf. chapitre
3). Ce n'est pas l sa seule influence : les chapitres 2 (l'organisation administrative et
juridique), 4 (le plan d'action commercial) et 5 (le plan d'action financier) nous
fourniront galement de nombreux exemples de dispositifs rglementaires dont le rle
est trs important dans l'laboration des choix stratgiques des muses.
Ce premier chapitre s'ordonnera autour de trois sections : les deux premires traitent
trs succinctement (ce n'est pas l'objet de ce travail) des objectifs de la politique
culturelle franaise et des principaux moyens mis en uvre pour atteindre ces objectifs ;
la dcentralisation des activits et des responsabilits culturelles fait l'objet de la
troisime section. Elle est aborde plus longuement car elle concerne trs directement la
gestion des muses. Un grand nombre des lments figurant dans ce chapitre sont issus
du rapport du Conseil de l'Europe sur la politique culturelle de la France2.
1 Yves Evrard et alii. 1993. Op. cit. Pages 17 et 18. 2 Conseil de l'Europe. La politique culturelle de la France. 1988.
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Titre 1 Partie 1- Chapitre 1
Section 1 : LES OBJECTIFS DE LA POLITIQUE CULTURELLE FRANAISE
Si la Rvolution n'a pas invent le muse, puisque dj de grandes et belles collections
royales ou prives, mais ouvertes au public, existaient dans plusieurs villes, c'est bien
elle qui a donn son nouveau visage cette institution en systmatisant le regroupement
des objets d'art et des tableaux provenant des trsors de l'Eglise ou des aristocrates en
fuite et en organisant leur prsentation au public populaire dcrt vrai propritaire de
ces merveilles. La volont politique et nationale de prendre en compte l'hritage
artistique de la France fut affirme et dfinie par Roland, ministre de l'Intrieur de la
Convention. Aprs l'appropriation de ces "biens nationaux", les conqutes
napoloniennes y ont ajout le fabuleux pillage des collections trangres, italiennes
notamment. Celles-ci ont tellement enrichi les muses parisiens qu'il a fallu expdier le
surplus en province. Quinze muses (Lille, Bordeaux, Dijon, Marseille, etc.) se
partagrent ainsi, grce la loi Chaptal du 1er septembre 1801, 846 tableaux des coles
franaises, italiennes et du Nord.
Ds cette poque, et plus encore au 19me sicle, le muse fut avant tout conu et peru
comme un lieu d'enseignement, d'instruction et d'dification. Il s'agissait d'instruire les
populations, de leur rendre accessible le monde de la connaissance mais galement de : "moraliser la socit, en fixant les populations dans les petites villes, en leur donnant le got et le respect du travail, en leur offrant une distraction salutaire, en leur faisant
prendre conscience, enfin, de leur identit"1.
Cette prise de conscience du rle que devait jouer l'Etat dans le domaine culturel ne
concernait d'ailleurs pas les seuls muses : les archives, l'enseignement artistique, les
bibliothques, le soutien aux crivains et aux artistes, la conservation du patrimoine
(etc.) taient galement concerns et souvent pris en charge par l'Etat. Ce n'est pourtant
qu'en 1959 que les affaires culturelles ont t rassembles au sein d'un ministre
spcialis : Andr Malraux fut alors nomm ministre d'Etat et, prcisment, "charg des
affaires culturelles". Un dcret du 24 juillet 1959 dfinit sa mission : "Rendre accessibles les uvres capitales de l'humanit, et d'abord de la France, au plus grand nombre des Franais, assurer la plus vaste audience notre patrimoine
culturel, et favoriser la cration des uvres de l'art et de l'esprit qui l'enrichissent".
La volont de dmocratiser la culture ne s'accompagnait cependant pas de la dfinition
d'une stratgie, tant Andr Malraux tait persuad que la suppression des barrires
matrielles d'accs (prix, insuffisance des quipements, etc.) s'avrerait suffisante pour
1 "La jeunesse des muses". Le petit journal des grandes expositions. 7 fvrier - 8 mai 1994. Page 3.
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Titre 1 Partie 1- Chapitre 1
convertir les non - pratiquants et les entraner la reconnaissance de la valeur des
uvres d'art : "pour lui, tous les hommes aspirent confusment la culture ; ceux qui, en raison de handicaps sociaux ou gographiques, n'ont pu avoir de contact avec elle, ne pourront
manquer d'tre illumins par l'vidence de la beaut, ds que l'occasion leur sera
offerte de la rencontrer"1.
1. Elaboration des politiques culturelles : acteurs et procdures
Le modle dcisionnel franais de la politique de la Culture a souvent t qualifi de
"monarchie culturelle". Le ministre de la Culture recueille les informations qu'il dsire
et prend ses dcisions de manire quasi souveraine, selon les principes du "despotisme
clair". Cette situation est volontiers admise en France o l'existence de liens troits
entre la politique culturelle et la politique au sens large n'apparat pas choquante.
1.1. Les instances consultatives
On est en effet frapp, lorsque l'on tudie la politique culturelle franaise, de l'absence
d'instances consultatives permanentes qui permettraient aux responsables de dfinir les
finalits de leur politique culturelle et qui pourraient tre consultes sur certains
problmes gnraux. Ces responsables, il est vrai, peuvent, s'ils le dsirent, bnficier
des suggestions ou des avis d'organismes soit extrieurs au Ministre (comme le
Conseil Economique et Social), soit plus ou moins directement associs son action
(comme les commissions sectorielles ou le Dpartement des Etudes et de la
Prospective).
Le Conseil Economique et Social, cr en 1958, ne porte qu'une attention
exceptionnelle la culture. Il peut cependant avoir donner son avis sur des questions
culturelles, soit la demande du ministre, soit son initiative propre. C'est ainsi qu'il a
mis des avis sur le dveloppement des activits thtrales [1977] ou encore sur la
cration franaise dans les programmes audiovisuels [1985]. En 1987, il a trait le
thme "Culture et Economie"2.
Les commissions sectorielles, mises en place par Jack Lang, rassemblent des
reprsentants professionnels, des collectivits locales, des usagers, etc. Elles sont
charges de rdiger des rapports prsentant un examen critique de la situation dans des
1 Conseil de l'Europe. La politique culturelle de la France. 1988. Op. cit. Page 31. 2 Avis adopt par le Conseil Economique et Social au cours de sa sance du 13 mai 1987.
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Titre 1 Partie 1- Chapitre 1
domaines particuliers du champ culturel (par exemple : "le livre et la lecture" ou "les
maisons de la culture"). Ces rapports, vrais rservoirs d'ides, "ont fourni matire des projets repris (ou non) par le ministre et son administration mais ils n'ont pas fait l'objet d'valuations priodiques ou finales, ni en indicateurs
financiers, ni en termes de rsultats"1.
Or la mise en uvre d'une politique culturelle supposerait que l'efficacit des projets
initis fasse l'objet d'une valuation rgulire permettant d'influer sur les dcisions de
politique culturelle. Ceci est plus particulirement vrai lorsqu'une stagnation budgtaire
oblige rviser la politique culturelle et, par consquent, choisir parmi les projets
ceux susceptibles de permettre la meilleure ralisation des objectifs prioritaires.
Le Dpartement des Etudes et de la Prospective (D.E.P.) du ministre de la Culture
labore des matriaux permettant une rflexion permanente : banques de donnes,
enqutes spcifiques, colloques et dbats, etc. Certains de ces travaux sont entrepris
spcifiquement pour rpondre des interrogations ministrielles.
1.2. Rle du plan : dfinition des objectifs permanents de la
politique culturelle
Depuis la fin de la guerre [1946] la France s'est soumise une planification
quinquennale labore partir d'une rflexion concerte des responsables politiques, de
leurs experts et de reprsentants des secteurs concerns. Le gouvernement dtermine ses
choix dans le cadre de sa politique gnrale et des moyens dont il dispose au titre de
l'annualit budgtaire. Ces choix sont soumis au Parlement dans une loi de planification
qui comporte des engagements pluriannuels. C'est partir du IVme plan [1962 - 1965]
que la culture fait l'objet d'un examen particulier dans une "commission de l'quipement
culturel et du patrimoine artistique". Les planificateurs ont depuis toujours affirm
l'importance de la culture au-del du divertissement, au point d'en faire - dans le plan
intrimaire de 1982 - la finalit mme du dveloppement conomique et social.
Les objectifs permanents de la politique culturelle apparaissent au travers des diffrents
plans : proccupations relatives au patrimoine, affirmation du rle primordial de l'cole,
exigence d'un soutien la cration, impratif de dmocratisation culturelle par la
rduction des ingalits. Chaque plan privilgie les modalits qui lui paraissent les plus
propres atteindre ses objectifs. C'est ainsi que dans un souci de dmocratisation de la
Culture, le IVme plan privilgiait les quipements modestes, mobiles, adapts une
1 Conseil de l'Europe. La politique culturelle de la France. 1988. Op. cit. Page 40.
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Titre 1 Partie 1- Chapitre 1
gestion communautaire alors que le VIme plan refltait une certaine dfiance vis--vis
des interventions directes de l'Etat, leur prfrant celles des mdiateurs, des animateurs,
des collectivits territoriales et des associations.
1.3. Rle du pouvoir politique : prminence du ministre de
la Culture
Les propositions prsentes dans les diffrents plans sont destines clairer et guider
la politique culturelle du gouvernement. C'est cependant le ministre de la Culture qui,
dans le cadre des moyens budgtaires dont il dispose, fait de manire souveraine les
choix entre les diffrents projets et traduit les objectifs gnraux en mesures concrtes.
Son exprience et sa personnalit sont alors dterminantes. Sans doute cette grande
libert d'action du ministre de la Culture ne va pas sans un risque d'arbitraire, mais elle
prsente l'avantage de permettre que des : "initiatives nouvelles [soient] dcides sans trop s'encombrer de discussions pralables et [soient] lances avec la force que leur donne l'appui du pouvoir politique"1.
D'ailleurs, en France, une opinion particulirement vigilante en tout ce qui touche au
patrimoine culturel ne manque pas de se faire entendre, souvent avec vhmence,
lorsqu'une initiative venant des sommets de l'Etat heurte par trop le sentiment gnral,
facilement conservateur en ces domaines (voir les polmiques sur Beaubourg, les
colonnes de Buren, le plafond de Chagall l'Opra ou la pyramide du Grand Louvre). Il
est vrai que la mme opinion, passes les premires motions, s'est finalement assez
largement rallie ces choix.
Les experts du Conseil de l'Europe notent que : "les premiers ministres ne semblent gnralement pas intervenir de manire active dans la dtermination de ces projets []. En revanche, pour faire aboutir certains projets
importants impliquant de nouvelles dpenses, il y a souvent une conjonction entre le
prsident de la Rpublique et le ministre charg des affaires culturelles"2.
Le prsident De Gaulle a ainsi soutenu Andr Malraux pour le lancement des maisons
de la culture, Jacques Duhamel a pris en charge le souhait du prsident Pompidou de
crer un centre d'art contemporain (le centre Georges Pompidou), Jack Lang et le
prsident Mitterrand ont labor des projets communs et, notamment, les "Grands
Travaux".
1 Conseil de l'Europe. La politique culturelle de la France. 1988. Op. cit. Page 52. 2 Ibid. Page 38.
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Titre 1 Partie 1- Chapitre 1
1.4. Rle secondaire du Parlement
Le Parlement ne joue pas un rle essentiel dans la dfinition de la politique culturelle de
la France. Le dbat parlementaire garde le plus souvent un caractre formaliste car
"aucun parti ne souhaite se montrer hostile une croissance des budgets de la
Culture"1. Il est cependant le lieu o sont noncs et dbattus les objectifs et les
ralisations de la politique culturelle, ce qui contribue indiscutablement la prise de
conscience nationale de cette politique d'autant plus que nombre de parlementaires
exerant galement des mandats municipaux ou dpartementaux font le lien entre la
politique culturelle dfinie au niveau national et sa traduction concrte dans la vie
locale.
Le Parlement joue en revanche un rle plus constructif dans l'laboration des lois en
amendant les propositions manant du ministre. Ce fut par exemple le cas avec les lois
sur la protection et la restauration du patrimoine historique en 1962 et 1967 ou avec la
loi sur les donations et les dations en paiement des droits de succession en 1968 ou
encore avec celle sur le prix unique du livre en 1981.
2. Les objectifs de la politique culturelle des annes 80
Les annes 80, marques par deux changements de majorit - en 1981 et en 1986 - nous
permettent de mettre en vidence les similitudes et les divergences observes au sein
des objectifs culturels affichs par deux gouvernements opposs politiquement : le
gouvernement socialiste [1981 - 1986] et le gouvernement libral [1986 - 1988].
2.1. Objectifs du gouvernement de la Gauche : 1981 - 1986
Le plan intrimaire de 1982 affichait une grande ambition, dclarant que : "le progrs conomique doit tre subordonn des fins culturelles et [que] la culture doit tre reconnue comme une source de dveloppement et de progrs. [] La vocation
de la culture est d'tre prsente et perceptible dans toutes les manifestations et
ralisations d'une socit."
Il renouvelait l'affirmation - dj contenue dans les VIme et VIIme plans - qu'il n'y a
pas qu'une seule culture lgitime et qu'il faut par consquent permettre l'panouissement
des cultures dans leur pluralit. Il intgrait, par ailleurs, le secteur marchand dans ses
proccupations en veillant :
1 Conseil de l'Europe. La politique culturelle de la France. 1988. Op. cit. Page 39.
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Titre 1 Partie 1- Chapitre 1
"subordonner son dveloppement aux objectifs nationaux de dveloppement culturel et lutter, lorsque c'est ncessaire, contre les consquences nocives des pratiques
mercantiles".
Le premier objectif de ce plan tait de "rduire les ingalits devant la culture". Les
efforts en ce sens ne devaient pas porter sur les seuls prix d'accs aux biens culturels
mais galement sur les conditions gnrales d'accs la culture et, en particulier, sur la
correction des ingalits gographiques par des mesures importantes de
dcentralisation. La garantie, par des aides directes de l'Etat, de la libre activit des
artistes constituait le second objectif du plan : la cration devait ainsi tre soutenue dans
toutes ses formes et en tous lieux mais l'Etat devait aussi intervenir dans le processus
des industries culturelles pour viter les excs du mercantilisme. L'affirmation de la
place culturelle de la France dans le monde tait la troisime priorit du plan.
L'Etat s'affirmait alors comme un "catalyseur". Son rle tait de favoriser la coopration
de tous les dpartements ministriels la ralisation des objectifs culturels et la mise en
commun des efforts de tous les acteurs culturels : collectivits locales, entreprises
publiques, entreprises prives, organisations syndicales, mouvements culturels, artistes,
hommes de culture, etc.
2.2. Options librales : 1986 - 1988
Les partis libraux n'avaient pas manqu de critiquer, pendant la priode 1981 - 1986, la
politique culturelle socialiste en lui reprochant son dirigisme interventionniste et son
incapacit raliser une dcentralisation effective.
Aussi le nouveau gouvernement affirma-t-il d'emble que "la culture ne saurait
procder de l'Etat" et que les pouvoirs publics devaient se borner soutenir la vie
culturelle et faire confiance l'initiative individuelle en la suscitant, principalement de
manire indirecte. C'est ainsi que l'Etat s'efforcerait d'encourager le dveloppement du
mcnat culturel, plac sous l'gide d'un "conseil suprieur" (loi de juillet 1987). La
promotion du mcnat culturel bnficia particulirement aux expositions d'art
contemporain et aux animations musographiques, aux festivals, aux actions en faveur
du patrimoine et la promotion du livre. De leurs cts les collectivits locales devaient
tre libres du choix des initiatives culturelles qu'elles entendaient soutenir. Les
mcanismes contractuels qui risquaient de brider leur libert de dcision furent donc
supprims, tandis que le budget prcdemment prvu pour de nouvelles conventions
avec des collectivits locales tait rduit d'un tiers en 1987. L'effort de dcentralisation
devait tre dvelopp pour permettre d'inverser le pourcentage des dpenses du
ministre (qui avantagent Paris) et d'augmenter les crdits destins la province. Le
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Titre 1 Partie 1- Chapitre 1
nouveau ministre mit galement en place d'importantes mesures lgislatives et fiscales
pour que des initiatives prives viennent aussi souvent que possible appuyer