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LE CONTROLE FISCAL A L’I.P.P. ET A L’I.Soc. EN PRATIQUE Syllabus dans le cadre du cycle des conférences de l’ Union Hennuyère des Professionnels de la Comptabilité (U.H.P.C.) Président : Mr Patrick JAILLOT, Expert-comptable et Conseil fiscal Par Me Gaëtan ZEYEN, Avocat au Barreau de Bruxelles Avenue Coghen 198/2, B - 1180 Bruxelles T : 0479/489 710 E : [email protected]

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LE CONTROLE FISCAL A L’I.P.P. ET A L’I.Soc. EN PRATIQUE

Syllabus dans le cadre du cycle des conférences de l’ Union Hennuyère des Professionnels de la Comptabilité (U.H.P.C.)

Président : Mr Patrick JAILLOT,

Expert-comptable et Conseil fiscal

Par Me Gaëtan ZEYEN, Avocat au Barreau de Bruxelles Avenue Coghen 198/2, B - 1180 Bruxelles T : 0479/489 710 E : [email protected]

Introduction Lorsqu’une personne physique (par exemple, un commerçant) ou une entreprise apprend qu’elle aura à faire face à un contrôle fiscal, cette perspective suscite en général deux réactions : dans un premier temps, un sentiment plus ou moins fort d’appréhension, voire d’inquiétude, ensuite la volonté de s’y préparer et d’y faire, autant que faire ce peut, bonne figure. S’il est vrai qu’un contrôle fiscal est annoncé (en règle, il est « préparé » par une ou plusieurs demande(s) de renseignements préalable(s)) et peut même être « planifié » quant à ses modalités pratiques (fixation, en commun accord, avec l’agent contrôleur des éventuelles dates de visite), ce n’est déjà plus à ce moment là qu’il convient de se préparer. Lorsque le contrôle est annoncé, il est en réalité trop tard pour s’y préparer efficacement! Tout au plus, arrivera-t-on à sauver les meubles… En réalité, la meilleure façon d’y faire face, c’est encore de s’y préparer - tout au long de l’année- par un travail méticuleux, précis et respectueux des législations comptable et fiscale. En effet, lorsqu’un agent contrôleur de l’administration fiscale se rend chez un particulier ou une entreprise, en vue d’un contrôle, il se basera en premier lieu sur des sources d’information qui lui ont été communiquées et sont préparées par le contribuable lui-même (ou son comptable, expert-comptable, conseil fiscal). Il va donc sans dire que dès le départ, un contribuable prépare (parfois sans s’en rendre compte) activement un éventuel contrôle fiscal ultérieur. Ces sources d’information sont, d’une part, la déclaration fiscale du contribuable et, d’autre part, sa comptabilité. La déclaration fiscale du contribuable constitue, de toute évidence, le point de départ du calcul de l’impôt. Selon le commentaire administratif lui-même, une déclaration régulièrement établie et déposée fait foi jusqu’à preuve du contraire (on parle généralement d’une « présomption d’exactitude » de la déclaration fiscale). En tout état de cause, il incombe à l’administration fiscale d’établir (i) l’existence et (ii) le montant des revenus imposables (article 340 du CIR/92). Par ailleurs, la comptabilité du contribuable constitue un document qui revêt une importance capitale, notamment dans le cadre d’un contrôle fiscal. En effet, une comptabilité « régulière » et « probante » (sur ces deux notions : cf. CHAPITRE I, ci-dessous) pourra faire preuve dans le cadre du contrôle en question et ainsi servir de premier rempart ou moyen de défense au contribuable. Outre ces sources d’information (déclaration fiscale et comptabilité) émanant du contribuable, l’administration fiscale dispose également d’importants pouvoirs d’investigation (cf. CHAPITRE II, ci-dessous), lesquels peuvent être exercés tant à l’égard du contribuable lui-même, qu’à l’égard de tiers ou de pouvoirs publics.

CHAPITRE I : les notions de comptabilité « probante » et « régulière » §1. Cadre légal

Si le Code des Sociétés comporte un certain nombre de dispositions relatives aux comptes annuels et comptes consolidés (articles 92 et suivants), c’est principalement la Loi du 17 juillet 1975 (Mon.b., 04 septembre 1975), relative à la comptabilité et aux comptes annuels des entreprises, qui détermine les grands principes que doit respecter toute comptabilité digne de ce nom. La loi précitée s’applique, comme son nom l’indique, aux « entreprises ». Au sens de la loi du 17 juillet 1975, la notion d’ « entreprise » vise :

(i) les personnes physiques ayant la qualité de commerçant ; (ii) les sociétés commerciales ou à forme commerciale, les groupements

européens d’intérêt économique et les groupements d’intérêt économique ;

(iii) les organismes publics qui exercent une mission statutaire à caractère commercial, financier ou industriel; et

(iv) les autres organismes dotés ou non d’une personnalité juridique propre qui

exercent, avec ou sans but de lucre, une activité à caractère commercial, financier ou industriel, et auxquels les dispositions de la loi du 17 juillet 1975 sont rendues applicables.

§2. La notion de comptabilité « régulière » Comme indiqué ci-dessus, la loi du 17 juillet 1975 détermine les grands principes qui doivent régir la tenue d’une comptabilité d’une entreprise. Ces principes sont les suivants :

(i) toute « entreprise », au sens défini ci-dessus, doit tenir une comptabilité appropriée à la nature et à l’étendue de ses activités (article 2 de la Loi), en se conformant aux dispositions légales particulières qui la concerne ;

(ii) cette comptabilité doit être complète (article 3 de la Loi), c’est-à-dire couvrir

l’ensemble des opérations, avoirs et droits de toute nature, dettes, obligations et engagements de toute nature de l’entreprise ;

(iii) toute écriture doit s’appuyer sur une pièce justificative datée et doit porter

un indice de référence à celle-ci (article 6 de la Loi). Les pièces justificatives doivent être conservées, en original ou en copie, durant sept (7) ans et être classées méthodiquement ;

(iv) toute comptabilité doit être tenue selon un système de livres et de comptes

et conformément aux règles usuelles de la comptabilité en partie double (article 4 de la Loi) ;

(v) toutes les opérations sont inscrites, sans retard, de manière fidèle, complète et par ordre de date, soit dans un livre journal unique, soit dans un journal auxiliaire, unique ou subdivisé en journaux spécialisés.

Elles sont méthodiquement inscrites ou transportées dans les comptes qu’elles concernent. Les mouvements totaux enregistrés au cours de la période soit dans le journal auxiliaire unique soit dans les journaux spécialisés font mensuellement au moins l’objet d’une écriture récapitulative dans un livre central ;

(vi) l’entreprise doit établir un inventaire annuel ; (vii) les journaux et livres comptables sont cotés et ils forment une série

continue. Ils sont tenus de manière à garantir leur continuité matérielle, ainsi que la régularité et l’irréversibilité des écritures.

Lorsque ces différents principes sont effectivement respectés, la comptabilité de l’entreprise pourra être qualifiée de « régulière ». En d’autres termes, une comptabilité « régulière » est tenue conformément à la législation comptable. §3. La notion de comptabilité « probante » Le caractère « régulier » d’une comptabilité doit cependant être distingué de son caractère « probant ». Ainsi, la comptabilité d’une entreprise pourrait être « régulière » (au sens de la législation comptable), sans être nécessairement « probante » sur le plan fiscal ; de même, elle pourrait, le cas échéant, être irrégulière, tout en étant « probante ». (1) Définition et caractéristiques L’expression « comptabilité probante » peut, en pratique, poser quelque peu difficulté, dans la mesure où elle n’a pas reçu une définition légale. Cependant, une comptabilité probante peut être définie comme : « un ensemble d'éléments cohérents et précis dont la vérification puisse faire apparaître la sincérité et par voie de conséquence l'exactitude des revenus déclarés et des charges alléguées » (définition empruntée à B. de Clippel). Pour être probante, une comptabilité doit donc comporter un ensemble de pièces sincères et exactes, reflétant la réalité de l’activité de l’entreprise et de ses résultats, de telle sorte que l’ensemble de ces documents permette effectivement le contrôle de l’exactitude des revenus déclarés et des charges alléguées (cf. civ. Liège, 14 février 2008, RG n° 03/4042/A_07/1917/A, in www.fiscalnet.be; Mons, 21 septembre 2001, RG n°1998/FI/114, in www.fiscalnet.be; Anvers, 4 novembre 1997, in FJF, 98/130). En résumé, une comptabilité « probante » est au premier chef une comptabilité contrôlable, même si elle ne respecte pas (le cas échéant) scrupuleusement toutes les dispositions des législations comptables, TVA ou autres. (2) Position de l’administration fiscale Selon l’administration fiscale (Com. I.R. 340/7), toute comptabilité, tout système de compte doit être admis pour autant que : (i) les livres et documents produits constituent un ensemble cohérent permettant

de déterminer avec précision les revenus imposables :

Voir à ce sujet : - Civ. Bruxelles, 26 octobre 2006 (rôle n°2000/13429/A) (« faisceau d’éléments

précis et cohérents, appuyés de pièces justificatives, permettant la vérification de la sincérité et de l’exactitude des revenus déclarés ») ;

- Civ. Liège, 13 mars 2008 (rôle n°99/2701/A) (« faisceau d’éléments précis ») ; - Cour d’Appel de Bruxelles, 13 décembre 2000 (rôle n°1991/FR/324) (« ensemble

de pièces concordantes et probantes ») ; >< (dans le sens contraire) Selon Cour d’Appel de Mons, 30 juin 2000 (rôle

n°1998/FR/52) (« une comptabilité doit être probante et régulière, mais non contrôlable et vérifiable »)

Selon l’administration fiscale, une comptabilité doit être tenue au jour le jour (l’administration fiscale admet cependant que le contribuable dispose d’un certain délai pour mettre sa comptabilité au point) ;

(ii) les écritures soient appuyées de pièces justificatives ; (iii) l’entreprise tienne un inventaire annuel ; (iv) les chiffres comptabilisés correspondent à la réalité (=caractère vérifiable des

comptes): un contrôle de l’exactitude des revenus doit être possible. (v) les écritures soient portées de manière irréversible (cf. Civ. Liège, 21 décembre 1988 : « il n’appartient pas à un contribuable de

recomposer, après coup, les éléments de sa comptabilité ») Il convient cependant de signaler que l’analyse et l’appréciation (par l’administration fiscale) du caractère probant d’une comptabilité doit s’effectuer en tenant compte du critère de proportionnalité. En application de ce principe, on ne peut rejeter l’ensemble d’une comptabilité en raison de quelques erreurs minimes, si un contrôle fiable et sincère de ladite comptabilité est possible en dépit de ces erreurs (cf. notamment civ. Hasselt, 13 mai 2009, RG n°07-2722-A, www.fiscalnet.be; dans le même sens, Civ. Liège, 03 septembre 2007, selon lequel « la constatation, le cas échéant, du caractère non probant d’une comptabilité ne doit pas nécessairement mener au rejet intégral de tous les comptes, mais peut donner lieu à des rectifications du résultat imposable. ») §4. Distinction entre manquements « graves » et « mineurs » Tout manquement entachant la comptabilité d’un contribuable n’entraîne pas nécessairement la même conséquence. Ainsi, il convient de distinguer, en pratique, selon que le manquement ou l’irrégularité affectant la comptabilité du contribuable est qualifié(e) de « grave » ou « mineur(e) ». Un manquement ou une irrégularité « grave » entraîne le rejet de la comptabilité, comme non probante ; à l’inverse, une ou (éventuellement) plusieurs irrégularité(s) peu significative(s) n’a/ont, en principe, pas pour conséquence le rejet de la comptabilité du contribuable. En d’autres termes, en dépit de ces manquements ou irrégularités « mineurs », cette comptabilité peut être valablement opposée à l’administration fiscale et « faire preuve ».

Il existe une jurisprudence très abondante et diversifiée sur le caractère « probant » ou non d’une comptabilité. Nous en avons dégagé les principales lignes directrices ci-dessous, à la lumière de quelques exemples.

(1) Les manquements « graves » (exemples tirés de la jurisprudence) - Cour d’appel de Liège, 06 juin 2001 (rôle n°1998/FR/186):

Livre de caisse tenu dans un cahier à feuilles volantes ; anomalies graves au niveau de la caisse (solde négatif) ; inventaire non coté et non paraphé ; - Cour d’appel de Gand, 23 octobre 2001 (rôle n°1994/FR/11): Aperçus rédigés de manière désordonnée ; écriture manuscrite souvent illisible ; calculs fautifs ; pièces justificatives manquantes ; - Cour d’appel de Liège, 11 mai 2007 (rôle n°2006/RG/749): Absence de justificatifs des ventes au comptant ; absence de correspondance entre les bons de livraison et les montants de facturation ;

- Civ. Liège, 15 novembre 2007 (rôle n°01/2730/A): Absence d’étiquette des articles vendus ; absence de traçabilité des achats et des données d’inventaire ; absence de preuve des ventes et impossibilité d’identifier les produits vendus par rapport à ceux restés dans le stock ; - Cour d’appel de Gand, 20 novembre 2001 (rôle n°1995/FR/157) : Absence d’un livre d’inventaire ; l’enregistrement des recettes journalières constituent des montants généraux incontrôlables, non appuyés par des documents de caisse ; absence de correspondance entre les agendas fournis et les recettes générales enregistrées ; - Cour d’appel de Bruxelles, 07 novembre 2008 (rôle n°1998/FR/400) : Absence d’indication détaillée des articles vendus ; achats de fournitures sans pièces justificatives ; absence d’un inventaire détaillé; incohérences entre les quantités de matières premières achetées et fabriquées ; impossibilité de contrôler l’exactitude des revenus déclarés. - Absence d’inventaire ou inventaire tenu de manière irrégulière : cf. Cour d’appel d’Anvers, 04 octobre 2005, rôle n°1990/FR/18119 ; Cour d’appel d’Anvers, 04 décembre 2000, rôle n°1998/FR/89 ; Cour d’appel de Liège, 17 mars 2004, rôle n°2003/RG/490 ; Cour d’appel de Bruxelles, 29 avril 2009, rôle n°2007/AR/917 Tempérament: Cour d’appel de Bruxelles, 13 décembre 2000, rôle n°1991/FR/324, selon laquelle : L’absence d’un livre d’inventaire peut être sans incidence sur le caractère probant d’une comptabilité, si la possibilité de déterminer le montant exact des revenus imposables, au moyen de pièces concordantes et probantes, existe.

(2) Les manquements « mineurs » (exemples tirés de la jurisprudence)

- Civ. Liège, 21 avril 2005 (rôle n°02-852-A, 02-853-A, 03-3931A, 04-604A) :

Irrégularités minimes: les stocks étaient repris de manière globale dans les livres et le détail était tenu sur un support informatique ; - Civ. Liège, 22 septembre 2005 (rôle n°04-1732-A) :

Absence de livre de solde spécifique : exigence non prévue par la loi.

Conclusion : la tenue d’une comptabilité « régulière » et « probante », c’est-à-dire non seulement conformément à la législation comptable (cf. ci-dessus), mais aussi de manière à la rendre vérifiable et contrôlable, constitue le moyen de défense le plus efficace en cas de contrôle fiscal. Par ailleurs, ce moyen est entièrement « entre les mains » du contribuable et de son comptable/expert-comptable. CHAPITRE II : les pouvoirs d’investigation de l’administration fiscale Outre les sources d’information préparées par le contribuable et émanant de ce dernier (déclaration fiscale et comptabilité), l’administration fiscale dispose de moyens d’investigation très élargis, sans être « absolus » pour autant. En effet, dans l’exercice de ses prérogatives étatiques, l’administration fiscale voit ses pouvoirs circonscrits par certaines limites/balises, comme par exemple les principes de bonne administration (exemples : les principes de fair-play et d’égalité) et de sécurité juridique (interdiction de remettre en question un accord valablement conclu, à fortiori avec effet rétroactif). Ces pouvoirs ou moyens d’investigation peuvent être exercés tant à l’égard du contribuable lui-même (§1), qu’à l’égard de tiers (§2) ou de pouvoirs publics (§3). §1. Les pouvoirs d’investigation à l’égard du contribuable lui-même

(1) Les articles 315 et 315bis du CIR/92 L’article 315 du CIR/92 impose à tout contribuable passible de l’I.P.P., de l’I.Soc., de l’I.Pm. ou de l’I.N.R. de communiquer à l’administration fiscale, sans déplacement, tous les livres et documents nécessaires à la détermination du montant de ses revenus imposables. Les livres et documents, dont la communication est demandée par l’administration fiscale, doivent donc présenter un lien avec les revenus imposables du contribuable concerné. L’article 315bis du CIR/92 est, quant à lui, en quelque sorte une « transposition » de l’article 315 du CIR/92 aux données et matériel informatiques : en effet, si une personne physique ou morale recourt à un système informatisé, l’article 315bis du CIR/92 l’oblige à communiquer à l’administration fiscale, sans déplacement et à la demande de cette dernière, les « dossiers d’analyse, de programmation et d’exploitation du système utilisé, ainsi que les supports d’information et toutes les données qu’ils contiennent. » L’article 315bis du CIR/92 précise que les données enregistrées sur des supports informatiques doivent être communiquées sous une forme lisible et intelligible.

(2) L’article 316 du CIR/92 (demandes de renseignements)

(i) Champ d’application

L'article 316 du CIR/92 impose à tout contribuable assujetti à l’un des quatre impôts sur les revenus (I.P.P. ; I.Soc. ; I.Pm. ; I.N.R.) de fournir, par écrit, à la demande des agents de l'administration fiscale, tous les renseignements qui leur sont demandés, « en vue de contrôler leur situation fiscale. » ; ces renseignements ne doivent donc pas - contrairement à l’article 315 du CIR/92 - avoir un rapport direct avec la détermination des revenus imposables du contribuable et peuvent donc porter sur toutes les catégories de revenus qui contribuent à la formation de la base imposable du contribuable. Les demandes de renseignements peuvent ainsi porter sur des investissements non productifs de revenus, comme l’or, les bijoux et les œuvres d’art ou sur le financement de l’achat d’un terrain même pour un prix modique. Cette obligation légale concerne tous les contribuables, même ceux qui n'exercent pas d'activité professionnelle ou qui ne doivent pas tenir de comptabilité détaillée. Les directives administratives prescrivent cependant que les fonctionnaires des contributions doivent faire usage de la compétence qui leur est accordée avec discernement et modération. Les renseignements doivent en principe être demandés par écrit, "sans préjudice du droit de l’administration de demander des renseignements verbaux". Il appartient donc à l'administration fiscale de choisir si un renseignement déterminé doit être fourni par le contribuable verbalement ou par écrit. Dans le cadre de ce choix, l'administration fiscale doit agir raisonnablement. La loi ne précise pas que les explications verbales doivent être recueillies au domicile du contribuable. Par voie de conséquence, l’agent taxateur peut inviter le contribuable à fournir des renseignements en son bureau. Il utilise généralement à cette fin une carte de convocation sur laquelle il mentionne succinctement le but de la convocation, ainsi que, le cas échéant, les documents dont le contribuable est invité à se munir. L’agent taxateur ne peut cependant exiger, par le biais de cette demande de convocation, que les livres et documents du contribuable soient communiqués à son bureau ou, à fortiori, qu'ils y soient simplement déposés en vue d'une discussion ultérieure. Le recours à la demande de renseignements verbaux doit toutefois être réservé aux renseignements « mineurs ». En vertu de l'article 316 du CIR/92, le contribuable dispose d'un délai d’un mois (à compter de la date d’envoi) pour adresser sa réponse. Ce délai peut être prolongé, le cas échéant, pour de justes motifs (en cas de refus de prolongation du délai de réponse, la décision doit se référer obligatoirement à l'article 316 du CIR/92 et être motivée, c’est-à-dire indiquer la raison pour laquelle les motifs invoqués ne peuvent être retenus. Cette décision peut être contestée par le redevable devant le tribunal de première instance de Bruxelles). Le délai d'un mois est calculé à compter du lendemain du jour de l'envoi de la demande de renseignements et il se compte de quantième à veille de quantième, conformément au Code judiciaire. La réponse doit parvenir à l’administration fiscale le dernier jour utile du délai ; si ce dernier jour est samedi, un dimanche ou un jour férié légal, le délai est prolongé jusqu’au premier jour ouvrable. La réponse formulée par le contribuable doit être écrite et précise.

(ii) Limites L’administration fiscale doit recourir à cette prérogative avec « discernement » et « modération ». Il résulte des travaux préparatoires de la loi que : 1°) la pratique des demandes de renseignements excessifs est prohibée

(prohibition de l’envoi de questionnaires généraux ; pas de « phishing ») ;

2°) il n'est pas admissible que l'administration fiscale exige d’un contribuable des travaux et des recherches d'une ampleur telle qu'il en résulterait pour celui-ci des pertes de temps et d'argent exorbitantes par rapport au but poursuivi ;

3°) un contribuable peut garder le silence (droit au silence) et refuser de fournir

des informations au fisc, lorsque ces informations, sollicitées dans le cadre d’une demande de renseignements, peuvent être utilisés par l’administration fiscale pour infliger des amendes qui ont, conformément à l’interprétation autonome de la Convention Européenne des Droits de l’Homme, le caractère de sanctions pénales. Le contribuable ne peut être sanctionné pour un tel refus.

§2. Les pouvoirs d’investigation à l’égard de tiers A cet égard, le CIR/92 distingue selon que les renseignements demandés par l’administration fiscale (en vue de vérifier la situation d’un contribuable déterminé) concernent soit un « contribuable déterminé » (article 322 du CIR/92), soit une ou plusieurs personne(s) « même non nominativement désignée(s)» (article 323 du CIR/92).

(1) Les pouvoirs d’investigation à l’égard d’un contribuable « déterminé » (article 322 du CIR/92)

(i) Champ d’application L'article 322 du CIR/92 prévoit deux modes d'investigation : 1°) l'obtention de renseignements auprès des tiers ; et 2°) l'audition de témoins. En ce qui concerne l’audition de témoins, d’une part, et le droit de procéder à des enquêtes, d’autre part, le CIR/92 précise que ces prérogatives ne peuvent être exercées que par « un agent ayant un grade supérieur à celui de contrôleur » (article 322, alinéa 2 du CIR/92). Les modalités d'exercice du droit d’audition sont régies par les articles 325 et 326 du CIR/92. Cette disposition est d'application générale, sous réserve des dispositions applicables en matière de secret professionnel et de secret bancaire. La procédure d’audition de témoin(s) est une procédure à caractère exceptionnel. Il s’agit d’un mode de preuve, qui est au service de l’administration fiscale, et non du contribuable (par voie de conséquence, ce dernier ne pourrait exiger de l’administration fiscale qu’elle y recourre). On y recourt, par exemple, lorsqu’un contribuable conteste la sincérité ou l'exactitude des renseignements fournis par le tiers ou, plus généralement, lorsqu'une confrontation présente un véritable intérêt. Lorsque l'administration fiscale décide de recourir à l'audition de témoins, le contribuable est en droit de faire la preuve contraire (article 325, al.4 du CIR/92). A notre avis, cela implique le droit d'exiger que des témoins désignés par le contribuable soient (également) appelés à témoigner.

Le contribuable est en droit de poser les questions qu'il souhaite au témoin. Le contribuable peut prouver que les déclarations du témoin sont inexactes. En pareille hypothèse, l'inspecteur est tenu de les vérifier par tous les moyens dont il dispose. (ii) Limites Dans l’exercice de cette prérogative également, l'administration fiscale doit respecter certaines limites/balises. Ainsi, il ne peut être question d'adresser des demandes de renseignements ou d'attestation à toutes les personnes physiques ou morales avec lesquelles le contribuable a pu être en relation. Par ailleurs, le Ministre des Finances considère que l'administration fiscale n'est habilitée à faire usage de cette disposition que: (1°) lorsque le contribuable ne répond pas à une demande de renseignements ; (2°) lorsque qu'elle doute de la réponse fournie par un contribuable ; (3°) lorsqu'elle ne dispose pas d'informations ; et

(4°) lorsqu'elle recherche certains mécanismes ou l'ampleur de certaines opérations, en cas de présomption sérieuse de fraude.

(2) Les pouvoirs d’investigation à l’égard de contribuables « non nommément désignés » (article 323 du CIR/92).

(i) Champ d’application

(1°) Les renseignements demandés doivent se rapporter à tout ou partie des « opérations » ou « activités » (à caractère lucratif) des tiers ;

(2°) Le contribuable doit être ou avoir été, directement ou indirectement, en relation avec le tiers, en raison de ses « opérations » ou « activités » (à caractère lucratif).

L'administration fiscale considère que par "opérations ou activités", il y a lieu d'entendre celles à caractère lucratif ou professionnel. Il en résulte que l'administration fiscale ne serait pas admise à se procurer des informations auprès d’un tiers, sur base de l’article 323 du CIR/92, lorsque ce tiers entretient des relations strictement privées avec le contribuable ou lorsqu’il prend connaissance de certains faits en dehors de l'exercice de son activité professionnelle.

En vertu de l'article 324 du CIR/92, l’administration fiscale peut « procéder à la vérification de l'exactitude des renseignements visés aux articles 322, 323 et 323 bis". La disposition précitée permet ainsi à l'administration fiscale de prendre connaissance des éventuels documents sur base desquels les renseignements ont été fournis. Il résulte de cette disposition que la communication des documents ne peut avoir d'autre objet que la vérification des renseignements préalablement fournis. Par voie de conséquence, l'administration fiscale ne pourrait utiliser les documents communiqués, en vue de se procurer des informations complémentaires, étrangères à la vérification des renseignements obtenus. Pour le surplus, il convient également de rappeler que les pouvoirs d’investigation de l’administration fiscale (tant à l’égard du contribuable lui-même qu’à l’égard de tiers) se heurtent à une autre balise : le secret professionnel sensu stricto (a) ou, dans certains cas, à tout le moins une obligation de discrétion (b).

(a) en ce qui concerne le secret professionnel proprement dit, il est régi par l’article 458 du Code pénal.

La jurisprudence a considéré qu'outre les catégories mentionnées dans l'article précité, étaient (également) "dépositaires, par état ou par profession, des secrets qu'on leur confie": les avocats, les notaires, les réviseurs d'entreprises, les prêtres, les experts comptables, etc.

Toute personne soumise au secret professionnel, en application de l'article 458 du Code pénal, s'expose à des poursuites pénales, si elle viole le secret professionnel en dehors des hypothèses prévues par cette disposition, et ceci même pour des raisons fiscales.

La solution apportée est différente selon qu'il y a ou non une autorité disciplinaire : → aa). Professions soumises à une autorité disciplinaire (art. 334 du CIR/92)

Si le contribuable ou le tiers invoque le secret professionnel pour refuser la communication de certains documents ou renseignements le concernant soit en tant que contribuable, soit concernant un tiers, l'administration fiscale sollicite l'intervention de l'autorité disciplinaire territorialement compétente « à l’effet d’apprécier si et éventuellement dans quelle mesure la demande de renseignements ou de production de livres et documents se concilie avec le respect du secret professionnel. »

L'autorité disciplinaire concernée ne peut délier le contribuable ou le tiers du secret professionnel, ni se substituer à celui-ci. Son rôle se limite à émettre un avis sur la compatibilité des exigences de l'administration fiscale avec le respect du secret professionnel. Si l'avis émis confirme le point de vue du contribuable ou du tiers, l'Administration doit s'incliner. Dans le cas contraire, le contribuable ou le tiers, s'il persiste dans son refus de communication, commet une infraction.

→ ab). Professions non soumises à une autorité disciplinaire

Dans ce cas, l'administration fiscale décide, sur base de la jurisprudence et de la doctrine existantes, si c'est à bon droit que le contribuable ou le tiers invoque le secret professionnel. En cas de désaccord persistant, le contribuable dispose des voies de recours du CIR/92, si la demande est faite en vertu des articles 315, 315bis et 316 du CIR/92 ; si la demande de renseignements est basée sur les articles 322 et 323 du CIR/92, l'administration fiscale peut appliquer une amende de € (EUR) 50 à 1.250 (article 445 du Code). b) en ce qui concerne l’obligation dite de discrétion, elle vise ce que l’on appelle plus communément le « secret bancaire » (article 318 du CIR/92)

La disposition précitée vise plus particulièrement ce que l’on désigne par l’expression les « établissements financiers », à savoir : les banques et caisses d'épargne belges, les établissements belges de crédit, de prêt, de crédit hypothécaire ou de capitalisation, la Caisse de Dépôts et Consignations, l'Office des Chèques Postaux, les sociétés de financement, de ventes à tempérament, les entreprises et les particuliers qui s'occupent des opérations de change, etc.

Le Ministre des Finances a confirmé que les « sociétés de cartes de crédit » (VISA, Mastercard) peuvent également être considérées comme des établissements de banque ou de crédit, au sens de l’article 318 du CIR/92. En ce qui concerne les sociétés de leasing (ou sociétés pratiquant des activités de crédit-bail financier), il semble désormais acquis, après quelques hésitations jurisprudentielles, qu’elles entrent également dans le champ d’application de l’article 318 du CIR/92 (cf. Cass., 16 mars 2007) et qu’elles sont dès lors couvertes par le « secret bancaire ». L’article 318 du CIR/92 a été institué dans le but de protéger les clients des établissements financiers visés. Est considéré comme client, au sens de l’article 318 du CIR/92 : "toute personne physique ou morale à laquelle la banque fournit à n'importe quel titre des biens ou des services en rapport avec l'objet social de la banque; doivent notamment être considérés comme clients, les déposants de fonds, les titulaires de comptes à vue ou à terme, les souscripteurs de fonds publics ou autres, des personnes à qui un prêt a été consenti, les locataires de coffres-forts, les détenteurs de pièces ou de lingots d'or" (W. DIERICK, "Le fisc et le secret bancaire", in R.G.F., 1983, p. 591) D'une manière générale, cette définition vise toute personne qui attribue des biens ou utilise des services de l'organisme financier, contre rémunération ou gratuitement. A l’inverse, cette disposition ne vise pas les contribuables qui fournissent des services ou des biens à la banque, tels les fournisseurs ou le personnel de la banque. L'article 318 du CIR/92 dispose qu'il s'applique "par dérogation aux dispositions de l'article 317 (…)". L'article 318 précité du CIR/92 ne déroge dès lors pas aux articles 322 et suivants du CIR/92 (demande de renseignements auprès de tiers). Dans son commentaire administratif, l'administration fiscale elle-même estime cependant qu'elle ne peut s'adresser aux organismes ou établissements financiers, afin d'obtenir des renseignements au sujet de leurs clients, sur base des articles 322 et 323 du CIR/92.

Le « secret bancaire » ne s’applique que dans les relations entre l’administration fiscale et l’organisme ou l’établissement financier. Il en résulte que ne sont pas visés les documents bancaires qui seraient détenus par un tiers (autre que l’organisme bancaire) et qui seraient communiqués par ce dernier à l’administration fiscale (par exemple, des documents bancaires se trouvant dans un dossier pénal communiqué par le parquet sur base des articles 327 et suivants du CIR/92 ou encore des documents communiqués par une autre administration fiscale sur base de l’entraide administrative). Cette position a été confirmée par la Cour d’appel d’Anvers (Anvers, 21 janvier 2003, F.J.F., 2003/109, p. 393), selon laquelle : « L’interdiction de l’article 224 du CIR (secret bancaire) concerne l’endroit où les pièces sont examinées, en l’espèce auprès de l’institution financière elle-même, et non la nature des pièces qui ont été puisées par l’administration dans un dossier pénal avec l’autorisation du procureur général ».

Le « secret bancaire » s’« efface » cependant dans deux hypothèses :

• dans le cadre de l’instruction d’une réclamation (article 374, alinéa 2 du CIR/92) ; et

• en cas d’enquête effectuée auprès de l’organisme ou de

l’établissement financier sur base des articles 315, 315bis et 316 du CIR/92, faisant apparaître des éléments concrets, permettant de présumer l’existence ou la préparation d’un mécanisme de fraude fiscale (article 318, alinéa 2 du CIR/92).

Quelques exemples :

- le fait pour une banque de créer des sous-comptes afin de permettre, lors d'un contrôle fiscal, de ne donner que des extraits d'un sous-compte ; - le fait pour le client de transférer fictivement ses comptes à l’étranger via des sociétés « off shore » et des « trusts », afin d’éluder le précompte mobilier.

§3. Les pouvoirs d’investigation auprès des pouvoirs publics (articles 327 et

suivants du CIR/92) L’article 327 du CIR/92 permet à l’administration fiscale de demander aux services administratifs de l’Etat, en ce compris les parquets et les greffes des Cours et de toutes les juridictions, ainsi qu’aux administrations des Communautés, Régions, provinces, agglomérations, fédérations de communes, communes et établissements et organismes publics :

(i) des renseignements ; et (ii) la communication, sans déplacement, de tous « actes, pièces, registres et

documents quelconques », ou (iii) de lui laisser prendre tous les renseignements, copies ou extraits

nécessaires pour assurer l’établissement ou la perception des impôts établis par l’Etat. En ce qui concerne les actes, pièces, registres, documents ou renseignements relatifs à des procédures judiciaires, ils ne peuvent être communiqués sans l'autorisation expresse du procureur fédéral, du procureur général ou de l'auditeur général (article 327, § 1er, al.2). La Cour de cassation, dans un arrêt du 17 juin 1999, a néanmoins considéré qu’une cotisation n’est pas nulle, si l’autorisation en question a été donnée par un autre magistrat du parquet, en l’occurrence par le premier avocat général. L’autorisation d’avoir accès au dossier pénal emporte le droit d’en prendre copie sans autorisation supplémentaire. L'administration fiscale est en droit d'exiger des informations tant au sujet d'un contribuable déterminé que des informations générales. La loi ne prévoyant aucune limite à ce sujet. La condition à respecter est que les informations demandées soient jugées nécessaires pour l'établissement et la perception de l'impôt. Les informations ainsi obtenues pour un contribuable déterminé peuvent être utilisées pour la taxation de tiers, sans qu’une autorisation supplémentaire soit nécessaire (Cass., 8 octobre 1993, Pas., I, 804). En effet, ce faisant, l’administration fiscale n’exerce pas ses pouvoirs d’investigation, mais se contente d’utiliser des informations qui sont déjà en sa disposition.

A l’inverse, formuler une demande de consultation d’un dossier judiciaire constitue un acte d’investigation : les pouvoirs d’investigation sont, en effet, ceux qui permettent à l’administration fiscale de se procurer des informations auprès de tiers. En revanche, on peut admettre que la simple communication « spontanée » par le parquet d’un dossier n’est pas, en soi, constitutive d’un acte d’investigation, l’Administration fiscale demeurant en pareille hypothèse passive. Cette distinction risque toutefois d’être théorique : en effet, il peut être fort malaisé de faire la distinction entre les « vrais » cas de communication spontanées et ceux qui auraient, en réalité, été effectués à la demande officieuse de l’administration fiscale. La Cour de cassation (Cass., 02 septembre 1999, in Le Fiscologue, n° 724, p.10) a décidé à plusieurs reprises que la consultation d’un dossier pénal ne constitue pas un acte d’investigation, même si les consultations sont répétées, et ceci au motif que ladite consultation permettrait d’apprécier la nécessité éventuelle de nouvelles investigations. Par ailleurs, il convient de signaler que les officiers du ministère public près les juridictions de l'ordre judiciaire (y compris les juridictions militaires) sont tenus d’informer le Ministre des Finances, lorsqu’ils sont saisis d’une information, dont l’examen fait apparaître des indices de fraude en matière d’impôts directs ou indirects (article 2 de la loi du 28 avril 1999), soit chez le(s) personne(s) directement impliquée(s) dans l'affaire, soit chez le(s) personne(s) indirectement impliquée(s) (les victimes de vol et d'escroquerie, les témoins, etc.). Pour terminer, si un des organismes visés à l'article 327, § 1er du CIR/92 ne respecte pas l'obligation de communication mise à sa charge, l'article 330 du CIR/92 dispose que :

"A l'égard des services, administrations, sociétés, associations, établissements ou organismes visés aux articles 327 et 328 qui resteraient en défaut de satisfaire aux obligations qui leur incombent en vertu de ces articles, le Ministre des Finances peut, suivant le cas, requérir l'intervention de l'inspecteur des finances ou du délégué du Gouvernement, désigner un

commissaire pour recueillir les renseignements jugés nécessaires ou retirer l'agrégation pour l'octroi d'avantages consentis par l'Etat."

§4. Le devoir de collaboration générale entre les administrations fiscales

nationales (art. 335 et 336 du CIR/92). Afin de lutter plus efficacement contre la fraude fiscale, le CIR/92 organise un système de collaboration générale entre les diverses administrations fiscales, par lequel :

(1) « Toutes les administrations qui ressortissent du Service public fédéral Finances sont tenues de mettre à disposition de tous les agents dudit Service public régulièrement chargés de l’établissement ou du recouvrement des impôts tous les renseignements adéquats, pertinents et non excessifs en leur possession, qui contribuent à la poursuite de la mission de ces agents en vue de l’établissement ou du recouvrement de n’importe quel impôt établi par l’Etat. Tout agent du Service public fédéral Finances, régulièrement chargé d’effectuer un contrôle ou une enquête, est de plein droit habilité à prendre, rechercher ou recueillir les renseignements adéquats, pertinents et non excessifs, qui contribuent à assurer l’établissement ou le recouvrement de n’importe quel autre impôt établi par l’Etat.» (article 335 du CIR/92)

(2) « Tout renseignement, pièce, procès-verbal ou acte, découvert ou obtenu dans l’exercice de ses fonctions par un agent du Service public fédéral Finances (pour la région flamande : ou tout fonctionnaire autorisé à cet effet par le Gouvernement flamand), soit directement, soit par l’entremise d’un des services, administrations, sociétés,

associations, établissements ou organismes désignés aux articles 327 et 328 peut être invoqué par l’état pour la recherche de toute somme due en vertu des lois d’impôts" (art. 336 du CIR/92)

§5. Les échanges de renseignements entre administrations centrales Les règles relatives à l’échange d’informations et à la collaboration entre Etats en matière fiscale sont inscrites dans différents types d’instruments internationaux ou multilatéraux :

(1) les conventions bilatérales préventives de la double imposition ;

(2) la Directive du Conseil des Communautés européennes 77/799 du 19 décembre 1977, en matière d’assistance mutuelle entre les autorités compétentes des états membres ;

(3) la Convention multilatérale d’assistance administrative en matière fiscale du 25 janvier 1988 (dite la « convention multilatérale »), qui a vocation à s’appliquer entre les états membres du Conseil de l’Europe et de l’OCDE. La Belgique a signé la Convention multilatérale le 07 février 1992 ; elle est entrée en vigueur à l’égard de la Belgique depuis le 1er décembre 2000 ; (4) Directive 2010/24/UE du Conseil du 16 mars 2010 concernant l’assistance mutuelle en matière de recouvrement des créances relatives aux taxes, impôts, droits et autres mesures (in J.O.U.E. du 31 mars 2010, L.84/1) ;

(5) la Directive du Conseil 2003/48/CE du 23 juin 2003, en matière de fiscalité des revenus de l’épargne sous forme de paiements d’intérêts (directive dite « épargne »), qui repose précisément sur un mécanisme d’échange automatique d’informations entre Etats membres, à l’exception du Luxembourg et de l’Autriche.

Les mécanismes d’échange de renseignements prévus par ces différents instruments juridiques ne peuvent se réaliser qu’entre les différentes administrations centrales des pays concernés. Par voie de conséquence, les administrations « locales » ne peuvent pas demander ou envoyer directement des renseignements aux administrations fiscales locales étrangères. Elles sont obligées de passer par l’administration centrale du pays concerné. Les échanges de renseignements peuvent s’effectuer de cinq (5) manières différentes:

(1) l’échange sur demande (à cet égard, il convient de noter qu’un Etat ne doit pas

collaborer à une « phishing expedition » d’un autre Etat ; les demandes de renseignements doivent donc concerner des informations particulières ou déterminées) ;

(2) l’échange automatique ;

(3) l’échange spontané (l’administration fiscale « sélectionne » l’information pertinente

pour l’autre administration fiscale) ;

(4) les contrôles simultanés ;

(5) le détachement de fonctionnaires (article 338 C.I.R), en présence de fonctionnaires « locaux » (territorialité des compétences).

La pratique des échanges de renseignements entre administrations centrales des pays concernés se heurte cependant à certaines limites :

(1) on ne peut recourir et utiliser que les procédures communes aux deux Etats concernés (limitation au plus petit dénominateur commun) ; par voie de conséquence, on ne peut pas recourir à des moyens d’investigation plus larges/étendus que ceux admis dans le pays d’origine.

(2) une administration fiscale peut refuser la communication de certaines informations, lorsque ces informations (i) vont à l’encontre de certaines pratiques administratives (notamment en termes de coûts) ou (ii) révèlent des secrets commerciaux ou bancaires.

(3) l’utilisation des informations doit en principe être limitée aux impôts prévus dans l’instrument en vertu duquel les renseignements sont fournis.

CHAPITRE III : la nouvelle force probante des procès-verbaux dressés par les fonctionnaires des contributions directes Un procès-verbal est un acte dans lequel un fonctionnaire de l’administration fiscale consigne ses recherches, les renseignements obtenus, les constatations matérielles de certains faits ou encore certaines déclarations obtenues (de clients et/ou de fournisseurs du contribuable concerné, et plus généralement de tout tiers). Jusqu’à la récente loi-programme du 23 décembre 2009, les procès-verbaux dressés par les fonctionnaires des contributions directes n’avaient pas de force probante particulière. Ils ne valaient que comme simple renseignement. De plus, ils ne pouvaient être rédigés que dans le cadre des recherches des infractions (article 176, AR/CIR92). La loi-programme précitée (article 135) du 23 décembre 2009 renforce l’arsenal probatoire de l’administration fiscale, en complétant l’article 340 du CIR/92, qui prévoit désormais que les procès-verbaux ont force probante, jusqu’à preuve du contraire. Selon les travaux préparatoires (Doc. Parl. Ch., 52.2278/0001, p.73), cette force probante « s’étend à tous les actes que les verbalisants déclarent avoir accomplis et à tous les faits dont ils déclarent avoir été témoins ; le procès-verbal fait foi notamment, lorsque les verbalisants ont découvert dans les documents qui leur ont été produits des déclarations qu’ils ont faites ou recueillies et plus généralement, tout ce qu’ils ont vu, entendu ou autrement perçu, pourvu que les constatations restent dans le cadre de leur mission. » En d’autres termes, la force probante d’un procès-verbal est limitée aux seules constatations matérielles opérées par le verbalisant lui-même ; seul le(s) fait(s) constaté(s) peu(ven)t être considéré(s) comme un élément connu. De même, en principe, la constatation faite dans un procès-verbal d’une déclaration d’un tiers, client, fournisseur ou autre contribuable ne peut qu’attester de l’existence de cette déclaration, sans qu’elle puisse être considérée comme exacte, dans la mesure où la constatation n’a pas été faite par le verbalisant personnellement. En revanche, cette force probante ne s’étend pas aux déductions ou raisonnements (ceux-ci restent soumis au contrôle des Cours et Tribunaux) que les verbalisants tireraient de leurs constatations.

CHAPITRE IV : LIMITATION DANS LE TEMPS DES POUVOIRS D’INVESTIGATION Les pouvoirs d'investigation de l'administration fiscale sont également limités dans le temps par l’application des délais d’imposition.

Il y a :

- Le délai ordinaire d'imposition visé aux articles 353 et 359 du CIR/92 ; - Le délai extraordinaire de trois ans prévu par l'article 354, al. 1er du CIR/92 ; - Le délai extraordinaire de sept ans prévu par l'article 354, al. 2 du CIR/92 ; - le délai extraordinaire en cas de réclamation prévu par l'article 354, al. 4 du Code ; - Les délais spéciaux prévus pour les divers cas visés à l'article 358 du CIR/92 ; - Le délai spécial de l'article 355 du CIR/92 en cas d'annulation d'une cotisation pour

une cause autre que la violation d'une règle relative à la prescription.

§1. Généralités L’impôt n’est dû de manière définitive par le contribuable que s’il est légalement établi par l’administration fiscale dans le délai d’imposition prescrit par la loi. Il est donc essentiel pour l’administration fiscale d’enrôler l’impôt dans les délais légaux. A défaut de le faire, il y a forclusion du droit d’enrôler l’impôt et il en résulte que, pour l’année en cause, l’impôt globalement dû par le contribuable doit être égal à zéro (voy. Cass., 17 mai 1985, Pas., 1985, I, p. 1166 ; Cass., 20 décembre 1985, Pas., 1986, I, p. 521 ; Cass., 20 décembre 1985, Pas., 1986, I, p. 524.) Tous les délais d’imposition sont des délais de déchéance et relèvent de l’ordre public. Ils ne peuvent être ni interrompus, ni suspendus, même pas en cas de force majeure et ils ne peuvent être l’objet de renonciation ou de convention de la part de l’administration fiscale ou du contribuable. Les délais d’imposition ne sont pas prolongés, lorsque le dernier jour du délai est un samedi, un dimanche ou un jour férié légal.

§2. Le délai ordinaire (articles 353 et 359 du CIR/92) En ce qui concerne les déclarations valables et déposées dans le délai légal, il existe, sur base des articles 353 et 359 du CIR/92, deux délais d'imposition :

(1) jusqu'au 30 juin de l'année suivant celle dont le millésime désigne l'exercice d'imposition (article 359, alinéa 2 du CIR/92) ;

(2) un délai minimum de six mois est laissé à l'administration fiscale, à compter de la date à laquelle la déclaration est parvenue au service de taxation compétent, si la déclaration ne doit être déposée que l'année suivant l'exercice d'imposition (article 353 du CIR/92).

Le rôle, qui est un document authentique (c’est-à-dire dont les mentions valent jusqu'à inscription en faux), doit être rendu exécutoire par le directeur régional dans le délai précité.

A défaut, l'administration fiscale serait forclose du droit d'enrôler à charge du contribuable un quelconque impôt pour l'exercice d'imposition concerné. En outre, les revenus qui, en raison de la prescription, deviennent non imposables, ne peuvent pas être pris en compte pour fixer le taux d’imposition applicable à la partie des revenues qui peut encore être imposée. Les dommages subis par l’Etat du fait qu’un impôt n’a pas pu être enrôlé dans les délais d’ordre public prévus par le CIR/92 trouvent dans la forclusion une cause juridique propre, qui rompt tout lien de causalité entre ce dommage et le délit ou le quasi-délit commis soit par la personne qui remplit les conditions de débitions de l’impôt, soit par un tiers auquel l’Etat impute la responsabilité de l’absence d’enrôlement de l’impôt dans lesdits délais. L’administration fiscale n’est tenue de respecter le délai d’imposition précité qu’en ce qui concerne les déclarations complètes et régulières. Tous les vices de forme qui peuvent frapper la déclaration offrent à l’administration fiscale la possibilité de recourir au délai extraordinaire d’imposition prévu par l’article 354 du CIR/19922.

§3. Les délais extraordinaires

(1) Le délai ordinaire de trois ans (article 354, al.1 du CIR/92) En vertu de l’article 354, alinéa 1 du CIR/92, le délai extraordinaire d'imposition d'office de trois ans est applicable dans les hypothèses suivantes : (i) absence de déclaration ; (ii) déclaration tardive ;

(iii) lorsque l'impôt dû est supérieur à celui qui ressort d'une déclaration régulière, c’est-à-dire satisfaisant aux conditions légales de forme et de délai (par exemples, parce que le contribuable a omis de déclarer certains avantages de toute nature ou lorsque les déductions opérées à titre de charges professionnelles sont inexactes).

L'absence d'intention frauduleuse dans le chef du contribuable est sans influence sur l'application du délai extraordinaire d'imposition de trois ans prévu à l'article 354, alinéa 1, du C.I.R./1992; l'absence de déclaration implique soit le défaut total de souscription de la déclaration, soit la remise d'une déclaration où manquent les éléments de fond essentiels à cette dernière (par exemple, une déclaration à l'impôt des sociétés où les comptes annuels, rapport de l'assemblée générale et la déclaration de fonctions réelles et permanentes font défaut, alors qu'ils font partie intégrante de cette déclaration : voy. Cass., 18 mai 1990, R.W., 1990-1991, p. 702). L’absence de signature sur la déclaration ou une déclaration irrégulière équivalent à une absence de déclaration. Ainsi, la Cour d’appel de Liège a pu considérer qu’une cotisation a légalement été établie dans ce délai par la voie de la rectification, lorsque :

(i) l’affirmation du contribuable, selon laquelle la seconde partie de sa déclaration a été déposée, est contredite par le fait que le taxateur a mentionné dans son avis de rectification un revenu inférieur à celui que le requérant soutient avoir déclaré, ce qui ne pourrait s’expliquer si le taxateur avait disposé de cette seconde partie ;

(ii) la première partie de la déclaration n’avait pas été régulièrement souscrite (les éléments ont été mentionnés erronément dans les colonnes réservées au mari).

La Cour d’appel de Liège a également considéré qu’il importait peu à cet égard que les anomalies soient sans incidence sur le montant de l’impôt, dès lors qu’elles contrarient les possibilités de vérification des montants déclarés (Liège, 8 mars 1995, FJF, 1995, p. 529 ; voy. également Liège, 14 décembre 1994, FJF, 1995, p. 203 ; Gand, 19 mai 1994, RGF, 1994, p. 295 avec une note de E. Hazard ; FJF, 1994, p. 521). Il a également été jugé que la seule indication des revenus imposables dans une annexe ne peut suppléer à l’absence de mention des revenus sous les rubriques ad hoc de la formule de déclaration. Si l’administration accorde un prolongement du délai pour le dépôt de la déclaration, elle ne peut invoquer l’absence de dépôt dans le délai originaire pour justifier l’établissement d’une taxation d’office et l’application du délai spécial d’imposition de trois ans (Bruxelles, 14 janvier 1992, FJF, 1992, p. 145). L’administration fiscale peut recourir au délai extraordinaire d’imposition de trois ans, même lorsqu’elle a déjà établi un impôt dans le délai d’imposition ordinaire sur la base de la déclaration, et même lorsqu’elle a déjà rectifié certains éléments de celle-ci (Cass., 22 septembre 1983, FJF, 1984, p. 37 ; Pas., 1984, I, 70). A l’inverse, la question s’est posée de savoir si l’administration fiscale, lorsqu’elle a omis d’établir une cotisation sur les revenus déclarés pendant le délai ordinaire d’imposition peut (lorsqu’elle rectifie la déclaration au cours du délai d’imposition de trois ans) établir une cotisation non seulement sur le supplément d’impôt qui résulte de la rectification, mais également sur les revenus régulièrement déclarés. La Cour de cassation a répondu par l’affirmative à cette question : l’administration fiscale dispose dès lors du délai extraordinaire d’imposition de trois ans pour établir une cotisation sur l’ensemble des revenus imposables et des autres éléments, y compris ceux mentionnés dans une déclaration valablement souscrite. En d’autres termes, la Cour de cassation a considéré que le délai extraordinaire de trois ans n’est pas limité au supplément d’impôt relatif à la partie non déclarée. Cette position n’est généralement pas suivie par les Cours d’appel de Gand et d’Anvers. Il convient toutefois de remarquer que les principes de bonne administration s’opposent à ce que l’administration fiscale invoque des dispositions légales dans le but de « réparer » (en défaveur du contribuable) sa propre négligence ou ses propres erreurs (Anvers, 4 février 2002, Courrier Fiscal, 2002, avec une note de P. L’Heureux), par exemple, lorsque une première cotisation a été enrôlée tardivement, malgré le dépôt d’une déclaration régulière et dans le délai légal. De même, il convient de rappeler que l’article 354, alinéa 1er du CIR/92 doit être interprété de manière restrictive, puisqu’il constitue une exception à la règle générale d’enrôlement. En vertu de l’article 354, alinéa 4 du CIR/92, le délai d’imposition de trois ans peut être prolongé de six mois au maximum, en cas d’introduction d’une réclamation par le contribuable ou son conjoint, avant l’expiration dudit délai de trois ans.

(2) Le délai extraordinaire de sept ans (article 354, al.2 CIR/92) Le délai extraordinaire de trois ans est prolongé de quatre ans, en cas d'infraction aux dispositions du CIR/92 ou des arrêtés pris pour son exécution, commise dans une intention frauduleuse ou à dessein de nuire.

Selon l'administration fiscale, il y a « intention frauduleuse », lorsque l'infraction est commise dans le but de se procurer ou de procurer à un tiers un avantage illicite, le plus souvent au détriment d'une autre personne de la collectivité. Il y a « dessein de nuire », lorsqu'une infraction est commise avec la volonté de causer un dommage, même sans que l'intéressé retire un avantage quelconque de son comportement. La charge de la preuve incombe à l’administration fiscale, qui doit prouver soit l’« intention frauduleuse », soit le « dessein de nuire ». Dans la pratique, cela relève de l’appréciation souveraine du juge du fond. En voici un exemple :

(i) l’intention frauduleuse ne peut se déduire du seul fait qu’un montant considérable de revenus n’a pas été déclaré : ainsi, l’existence et la non déclaration de plus-values imposables n’établissent pas par elles-mêmes la volonté d’agir avec intention frauduleuse (Gand, 23 avril 1998, FJF, 1998, p. 502 ; en ce sens également : Gand, 25 juin 1998, Courrier Fiscal, 1998, p. 382 avec une note de J. Vanden Branden).

La Cour de cassation (Cass., 14 octobre 1999, FJF, 1999, p. 761 ; Cass., 29 octobre 1999, FJF, 2000, p. 76 ; JLMB 2000, p. 1467) a décidé que pour prolonger le délai de deux ans, il n’était pas requis que l’infraction commise ait été constatée au cours du délai ordinaire prévu à l’article 354, alinéa 1 du CIR/92, l’administration fiscale n’étant pas tenue de rapporter cette preuve avant d’établir l’impôt ou le supplément d’impôt dans le délai ainsi prolongé. Pendant ce délai supplémentaire de deux ans, l'administration fiscale peut procéder à des investigations complémentaires (comme, par exemple, une demande de renseignements), dans les limites légales. Ainsi, il convient notamment de préciser que ces investigations complémentaires ne peuvent être exercées qu'à la condition que l'administration fiscale ait notifié préalablement au contribuable, par écrit et de manière précise, les indices de fraude existant à sa charge, pour la période considérée (article 333, alinéa 3 du CIR/92). Le texte légal précise que cette notification préalable est prescrite à peine de nullité de l’imposition. A cet égard, la Cour d’appel d’Anvers (Anvers, 19 janvier 1999, FJF, 1999, p. 441) a considéré que constitue une violation de l’article 333, alinéa 3 du CIR/92 le fait que les indices de fraude fiscale soient notifiés dans la demande même de renseignements adressée au contribuable, c’est-à-dire concomitamment à l’acte d’investigation posé. Il convient de noter que lorsqu’une cotisation a été établie sur base d’une enquête réalisée en violation de l’obligation d’adresser au contribuable la notification préalable des indices de fraude fiscale, toutes les impositions ultérieures mises à charge de ce redevable et qui se fondent sur les mêmes éléments sont nulles (Bruxelles, 2 avril 1999, TFR 2000, p. 404 avec une note de L. Ghysels).

(3) Les délais prévus à l'article 358 du CIR/92 Les délais de l'article 358 du CIR/92 sont des délais d'imposition, et non des délais d'investigation. L’article 358 du CIR/92 envisage quatre hypothèses :

(i) l’hypothèse où un contrôle ou une enquête fait apparaître qu’un contribuable a contrevenu aux dispositions du CIR/92 ou des arrêtés pris pour son exécution en

matière de précompte mobilier ou professionnel, au cours d’une des cinq années qui précèdent celle de la constatation de l’infraction (article 358, §1, 1° du CIR/92);

(ii) un contrôle ou une enquête effectués par les autorités compétentes d’un pays

avec lequel la Belgique a conclu une convention préventive de la double imposition et se rapportant à un impôt visé par cette convention, fait apparaître que des revenus imposables n’ont pas été déclarés en Belgique au cours d’une des cinq années qui précèdent celle pendant laquelle les résultats de ce contrôle ou de cette enquête sont venus à la connaissance de l’administration belge (article 358, §1, 2° du CIR/92) ;

(iii) une action judiciaire fait apparaître que des revenus imposables n’ont pas été

déclarés au cours d’une des cinq années qui précèdent celle de l’intentement de l’action (article 358, §1, 3° du CIR/92) ;

(iv) des éléments probants font apparaître que des revenus imposables n’ont pas été

déclarés au cours d’une des cinq années qui précèdent celle pendant laquelle ces éléments probants sont venus à la connaissance de l’administration fiscale (article 358, §1, 4° du CIR/92).

________________

(i) En ce qui concerne la première hypothèse (article 358, §1, 1° du CIR/92)

En vertu de l'article 358, § 2, 1°du CIR/92, l'impôt ou le supplément d'impôt doit être établi dans les douze mois à compter de la date à laquelle l'infraction a été constatée.

En matière de précomptes professionnel ou mobilier, l'exercice d'imposition porte le millésime de l'année des revenus (et non celui de l'année de la déclaration des revenus). Pour éviter que certains revenus professionnels ou mobiliers échappent à tout prélèvement fiscal, la disposition en question a été introduite par la la loi-programme du 5 janvier 1976. La charge de la preuve incombe à l’administration fiscale : celle-ci doit établir non seulement que la cotisation a bien été établie dans le délai légal, mais démontrer en outre quand l’infraction a été constatée (Bruxelles, 11 décembre 1998; Gand, 9 février 1999; Gand, 22 avil. 1999). Dans le but de rapporter cette double preuve, et de manière concrète, l'administration fiscale prescrit à ses fonctionnaires, d’une part, de mentionner la date à laquelle l'infraction en question a été constatée sur un document figurant au dossier et, d’autre part, de faire mention de la circonstance qui donne lieu à l'application dudit délai dans l'avis de rectification ou dans la notification d'imposition d'office (Com.IR.1992, n° 358/12).

Il convient de préciser que l'absence de cette communication n’entraîne pas entraîner la nullité de l'imposition, mais place l’administration fiscale dans une situation délicate et embarrassante en ce qui concerne l'administration de la preuve (puisque cette preuve lui incombe). Par ailleurs, il y a encore lieu d'observer que l’expression «le contrôle ou l'enquête se rapportant à l'application des impôts sur les revenus» ne peut émaner que de l'administration des contributions directes.

Il résulte de ce qui précède que le moment de la constatation de l’infraction (moment qui doit donc être prouvé par l’administration fiscale et qui doit pouvoir être contrôlé par les juridictions ordinaires) est déterminant pour apprécier si une cotisation a bien été enrôlée dans le délai légal. A cet égard, il convient de remarquer que l’écrit unilatéral d’un fonctionnaire, établi après les faits et qui atteste que l’infraction a été constatée à un moment déterminé, ne constitue pas

une preuve suffisante en soi, lorsque l’exactitude de la date de la constatation de l’infraction ne peut pas être contrôlée au moyen d’autres pièces. (ii) En ce qui concerne la deuxième hypothèse (article 358, §1, 2° du CIR/92) En vertu de l’article 358, §3 du CIR/92, l'impôt ou le supplément d'impôt doit être établi dans les vingt-quatre mois à compter de la date à laquelle les résultats du contrôle ou de l'enquête sont venus à la connaissance de l'administration fiscale belge (le délai de 24 mois ne commence donc pas à courir à compter de l’envoi des informations).

S’il est vrai que la Belgique a signé une convention préventive de la double imposition avec nombre de pays, force est de constater que les informations ne sont parfois transmises que (très) tardivement aux autorités fiscales belges. Or, lorsqu'un contrôle effectué fait apparaître des revenus pour lesquels le droit d'imposition est dévolu à la Belgique (en vertu de la convention préventive de la double imposition applicable au cas d’espèce), il serait anormal que les informations transmises ne puissent être utilisées au maximum. Ni le Trésor de l'autre pays, ni le contribuable en cause ne peuvent jouir d'un avantage injustifié. D'où l'idée d'un allongement (limité) des délais. L'article 358, § 1er, 2° du CIR/92 ne contient aucune indication ou précision quant à la question de savoir si les informations doivent être transmises spontanément ou sur demande.

Il ne suffit pas que l'administration fiscale dispose des résultats d'un contrôle ou d'une enquête effectué(e) par les autorités fiscales de l'autre Etat contractant, encore faut-il que ces résultats fassent apparaître des revenus imposables non déclarés en Belgique, au cours de la période concernée. L’expression « faire apparaître » ne peut être assimilée à « établir » ou à « prouver », mais implique que l'administration fiscale peut, sur base des données résultant du contrôle ou de l'enquête, faire application de tous les moyens de preuve mis à sa disposition, et notamment les présomptions dites de l'homme, en vue de fournir la preuve (i) de l'existence et (ii) du montant des revenus imposables non déclarés ou dissimulés. Le délai d'imposition de l'article 358, §1er, 2° n'est pas un délai d'investigation. Par voie de conséquence, après l'expiration des délais d'investigation de l'article 333 du CIR/92, l'administration fiscale n'a pas le droit de procéder à des mesures d'investigation, telles que l'envoi d'une demande de renseignements, sous peine de nullité de la cotisation (Gand, 31 octobre 1996, FJ.F., No. 97/41; Gand, 11 juin 1998). L’expression « au cours d'une des cinq années qui précèdent celle pendant laquelle les résultats de ce contrôle ou de cette enquête sont venus à la connaissance de l’administration belge » visée à l’article 358, §1, 2° du CIR/92 vise les exercices d'imposition, non les années de revenus. Il incombe à l'administration fiscale belge de prouver la date de début (commencement) du délai. (iii) En ce qui concerne la troisième hypothèse (article 358, §1, 3° du CIR/92) L'article 358, § 1er ,3°du CIR/92 concerne les affaires tant civiles que pénales et implique le droit pour l’administration fiscale de "remonter" jusqu'à cinq ans, qui précèdent celle de l'intentement de l'action.

Toutefois, selon la Cour de cassation (arrêt du 18 octobre 2007, R.G.n°F.06.0086.N, in www.fiscalnet.be), l’administration fiscale est également en droit de se baser sur l’article 358, §1er, 3° du CIR/92 pour imposer des revenus qui n’ont pas été déclarés après l’intentement de l’action judiciaire et dont l’existence a été révélée par cette action. De ce fait, la portée de cette disposition (considérée comme un « monstre juridique » par Monsieur Marc Baltus) est encore considérablement accrue. En vertu de l'article 358 du CIR/92, il est nécessaire, mais suffisant, que les revenus « révélés » par l'action judiciaire n'aient pas été déclarés. La loi ne requiert pas qu'il s'agisse de revenus que l'administration fiscale n'aurait pu découvrir, même en recourant à tous les moyens de contrôle dont elle dispose (Cass., 28 octobre 1988, R.W., 1988-1989, p. 1057). S’il est exact qu’aucune disposition légale n’impose à l’administration fiscale de mentionner, dans l’avis de rectification, la date de la décision judiciaire intervenue, la juridiction saisie du litige fiscal doit cependant être en mesure de vérifier si la cotisation contestée a bien été établie dans un délai de douze mois (à partir de la date à laquelle la décision n’est plus susceptible d’opposition ou de recours). Le cas échéant, cette date peut être prouvée, par exemple en produisant le dossier pénal (Anvers, 19 décembre 1989, FJF, 1990, p. 289 avec une note ; Courrier Fiscal, 1990, p. 274 avec une note de F. Marck). Sur base de cette disposition, il n’est pas légalement exigé que l’action judiciaire fasse elle-même la preuve de la non déclaration du/des revenu(s) imposable(s) ; en d’autres termes, l’expression « faire apparaître » ne se confond pas avec le verbe « prouver » (cf.ci-dessus). Il convient de préciser, à toute fin utile, que l’acquittement éventuel d’un prévenu (ou la circonstance que le juge pénal n’a pas tranché le fond de l’affaire) n’a pas pour conséquence de rendre inopérants les éléments de l’instruction, dans lesquels l’administration fiscale peut trouver, le cas échéant, des éléments qui font apparaître des revenus taxables, susceptibles de faire l’objet d’un enrôlement dans le délai spécial prévu à l’article 358, § 1er, 3° du CIR/1992. L’acquittement empêche seulement que l’administration fiscale fasse abstraction de la vérité judiciaire qui s’impose à tous. En effet, à titre d’exemple, lorsqu’un juge correctionnel a considéré, pour fonder un acquittement, que les sommes perçues par le contribuable étaient étrangères aux actifs de la société, l’administration fiscale ne peut pas, pour la taxation, considérer que ces sommes constituent des revenus professionnels perçus par le contribuable en qualité d’associé. Cette solution implique en effet que les sommes litigieuses soient nécessairement entrées dans l’actif de la société. En l’espèce, la Cour avait suivi la position du contribuable qui soutenait qu’il avait directement perçu ces sommes d’un tiers, à titre de revenus de la sous-location d’un immeuble, dont la société était locataire mais dont elle avait cédé le bail au contribuable (Bruxelles, 27 mars 1998, FJF, 1998, p. 698). Lorsque l’administration fiscale connaissait (déjà) l’existence de revenus non déclarés avant la procédure judiciaire, elle ne peut plus invoquer cette disposition pour obtenir un délai d’imposition supplémentaire (Bruxelles, 5 septembre 1996, JLMB, 1997, p. 837). (iv) En ce qui concerne la quatrième hypothèse (article 358, §1, 4° du CIR/92) Dans le cadre de la mise en œuvre de cette hypothèse spécifique, l’élément sur lequel se base l’administration fiscale doit être « probant » en soi. Qu’est-ce un « élément probant » ? Une approche jurisprudentielle s’impose.

Ainsi, selon la Cour d'appel d'Anvers (Anvers, 23 mars 1992, FJF, n° 92/143) : un élément est probant, lorsqu'il fait apparaître à lui seul, sans enquête complémentaire, l'existence de revenus non imposés. Une indication en ce sens est suffisante, sans qu'une preuve effective ne soit nécessaire. Il n'est pas requis que les éléments probants aient été obtenus sans le concours du contribuable (Anvers, 23 mars 1992, FJF, 1992, p. 271 ; voy. également Cass., 26 mars 1992, JLMB, 1992, p. 974 avec une note de T. Afschrift ; Cass., 21 novembre 1991, FJF, 1992, p. 107). Constitue également un élément probant au sens de l’article 358, §1er, 4° du CIR/1992, la majoration d’un chiffre d’affaires établi de commun accord avec le contribuable, à la suite d’un contrôle des services de l’administration de la TVA (Cass., 5 juin 1992, Bull. cont., 1993, p. 303). De même, la combinaison de données fournies par un compte bancaire et des mentions qui apparaissent dans le livre journal d’une société constitue des éléments suffisamment précis et concordants, qui justifient l’application du délai spécial d’imposition de l’ancien article 263, § 2, 4° du CIR (Liège, 9 novembre 1988, Bull. cont., 1989, p. 2432 ; voy. également Liège, 29 juin 1988, FJF, 1989, p. 156 ; JDF, 1989, p. 99 ; Bruxelles, 4 novembre 1986, RGF, 1987, p. 274). Selon la Cour d’appel de Mons, un élément est probant (au sens de l’article 358, §1er, 4° du CIR/92), lorsque celui-ci concerne un contrôle, une instruction, une décision arbitrale ou une conciliation auquel le contribuable a souscrit (Mons, 17 mai 2002, FJF, 2002, p. 774 ; voir également : Bruxelles, 12 avril 2002, FJF, 2002, p. 747 ; Anvers, 3 avril 2001, Actualités Fiscales, 2001, Livraison 24bis, p. 4 avec une note de P. Bellen). Un rapport d’expert (faisant partie intégrante d’un dossier pénal) peut également constituer un élément probant (Anvers, 2 novembre 1999, FJF, 2000, p. 237). En ce qui concerne le commentaire administratif (Com.IR., n°358/36), il cite comme principaux cas d'application concrets de cette disposition légale :

- les constatations faites par les services de recherche internes de l'administration fiscale ;

- les constatations faites par d'autres administrations, auxquelles le contribuable a

acquiescé ;

- un acte sous seing privé, dont l'existence est subitement découverte ;

- les résultats d'un contrôle effectué dans un pays avec lequel la Belgique n'a pas conclu de convention préventive de la double imposition.

A l’inverse, le commentaire administratif rejette comme « élément probant »:

- les simples renseignements ; - des données recueillies dans un dossier judiciaire faisant apparaître des indices de

fraude fiscale, mais n'étant pas elles-mêmes révélatrices de revenus non déclarés ;

- les renseignements repris sur une fiche 281 ;

- les communications faites à un collègue à propos d'une constatation opérée au cours de l'examen d'un dossier fiscal, mais sans transmission des « éléments probants » sur lesquels repose cette constatation ;

- un excédent dans un décompte indiciaire établi pour d'autres années, etc.

Selon la Cour d'appel d'Anvers, des indications unilatérales fournies par un tiers sur des fiches de rémunérations complémentaires ne constituent pas des éléments probants (Anvers, 9 juin 1992, FJF, n° 93/65) CHAPITRE V : LES FRAIS PROFESSIONNELS (article 49 du CIR/92) §1. Introduction La matière des frais (charges) professionnels est régie par l’article 49 du CIR/92. Comme le souligne le Professeur Afschrift, cette disposition « a donné lieu au plus de discussions et controverses de toutes les dispositions du Code. Il en est plus particulièrement ainsi de la condition d’application de l’article 49, selon laquelle la dépense doit être faite en vue d’acquérir ou de conserver les revenus imposables. » (Th. AFSCHRIFT, « L’impôt des personnes physiques », Bibliothèque fiscale de la Solvay Business School, Bruxelles, Larcier, 2005, p.455). Il n’est donc guère étonnant que la question des frais professionnels se retrouve au cœur d’un nombre considérable de litiges avec l’administration fiscale (au même titre que les questions relatives aux rentes alimentaires). C’est l’une des raisons qui explique l’examen de cette disposition dans le cadre du présent exposé. §2. Rappel des principes généraux Comme indiqué ci-dessus, la matière des frais professionnels est régie par l’article 49 du CIR/92, qui sert de fondement juridique à la déductibilité de ces frais/charges tant à l’impôt des personnes physiques qu’à l’impôt des sociétés. Pour bénéficier de la déductibilité, les frais professionnels doivent remplir certaines conditions :

(1) il doit s’agir effectivement de « frais ». Il doit s’agir d’une dépense « à fond perdu », c’est-à-dire une dépense qui n’engendre pas un accroissement d’actif équivalent, ni une diminution de dette équivalente. A cet égard, il convient de préciser que la notion de « frais » professionnels visée à l’article 49 précité du CIR/92 couvre à la fois les « dépenses » et les « charges ». La doctrine définit généralement les « dépenses » comme visant expressément les frais sensu stricto qui sont déduits des revenus bruts, tandis que les « charges », visant les amortissements, moins-values et réductions de valeur, sont définies comme « celles qui concourent à la formation de ces revenus bruts, lesquels résultent d’une part des opérations de la société au cours de l’exercice et d’autre part de l’application des règles d’évaluation. » (Th. AFSCHRIFT, op.cit., p.456). En pratique, la jurisprudence applique indistinctement les conditions contenues à l’article 49 du CIR/92 à l’une ou l’autre de ces deux notions.

(2) ces frais doivent avoir été « faits ou supportés pendant la période imposable en vue

d’acquérir ou de conserver des revenus imposables » (3) le contribuable supporte la charge de la preuve.

En effet, il doit prouver (i) la réalité et (ii) le montant des frais encourus, et ce au moyen de « documents probants » (c’est-à-dire, à titre d’exemples, des factures, contrats, etc.), d’où l’importance de tenir une comptabilité « probante » et « régulière » (cf.ci-dessus). En revanche, lorsqu’un contribuable ne dispose plus de documents probants, la preuve peut être apportée « par tous autres moyens de preuve admis par le droit commun », c’est-à-dire par témoins ou présomptions, mais à l’exclusion du serment. Par ailleurs, il convient de rappeler qu’en l’absence de tels documents probants, il incombe (il s’agit donc d’une obligation dans son chef) à l’administration fiscale d’évaluer ces frais « de manière raisonnable » (article 50, §1er du CIR/92). On signalera également qu’en l’absence de tels documents probants, une autre possibilité s’offre au contribuable négligent ou malchanceux, puisque des accords peuvent être conclus avec l’administration fiscale : ces accords peuvent être soit « individuels » (et concerner par exemple des dépenses peu importantes, comme du petit matériel de bureau, etc.), soit « collectifs » (cf. article 342, §1er, alinéa 2 du CIR/92 : bases forfaitaires de taxation). Pour terminer, en matière de déduction de certaines charges professionnelles, on soulignera l’importance de respecter certaines formalités. Ainsi, l’article 57 du CIR/92 subordonne la déduction de certaines charges professionnelles à la production de fiches individuelles et d’un relevé récapitulatif. Le non-respect de ces formalités peut entraîner des conséquences pécuniaires très lourdes dans le chef du/des contribuable(s) concerné(s) : application de la cotisation distincte visée à l’article 219 du CIR/92.

(4) le caractère professionnel des frais Cette condition est, à n’en pas douter, la plus « subtile », puisqu’elle crée une confusion certaine dans la jurisprudence. A titre de rappel, l’article 49 du CIR/92 subordonne la déductibilité des frais professionnels à l’existence d’un lien causal entre, d’une part, la dépense exposée et, d’autre part, l’acquisition ou la conservation de revenus imposables ; en revanche, la disposition précitée n’établit aucun lien formel entre, d’une part, la dépense exposée, et, d’autre part, l’activité professionnelle. En d’autres termes, la condition du caractère « professionnel » des frais n’est pas exprimée directement par l’article 49 du CIR/92, mais résulte de l’article 53, 1° du CIR/92. En effet, la disposition précitée (article 53, 1° du CIR/92) impose, avant qu’il y ait lieu d’examiner si les frais considérés répondent ou non aux conditions contenues dans l’article 49 du CIR/92, que les frais exposés le soient dans le cadre de son activité professionnelle, et non dans le cadre de sa vie privée. A l’impôt des sociétés, la doctrine enseignait traditionnellement que « le patrimoine des sociétés est tout entier affecté à des activités professionnelles ; tous les frais des sociétés sont donc professionnels et sont donc déductibles à la condition, s’il s’agit de dépenses volontaires, d’être engagés en vue d’acquérir ou de conserver des revenus. Il en est ainsi même si ces dépenses sont relatives à des opérations étrangères à l’objet social. » (J. KIRKPATRICK et D. GARABEDIAN, « Le régime fiscal des sociétés en Belgique », Bruxelles, Bruylant, 3ème édition, 2003, p.165)

Cet enseignement « traditionnel », conforme selon nous au prescrit légal de l’article 49 du CIR/92, a cependant « vécu », suite à un arrêt (dit « Derwa ») de la Cour de cassation du 18 janvier 2001 (in FJF, 2001, 220), qui a considéré que :

« de la circonstance qu’une société commerciale est un être moral, crée en vue d’une activité lucrative, il ne se déduit pas que toutes ses dépenses peuvent être déduites de son bénéfice brut, que les dépenses d’une société commerciale peuvent être considérées comme des frais

professionnels, lorsqu’elles sont inhérentes à l’exercice de la profession, c’est-à-dire qu’elles se rattachent nécessairement à l’activité sociale. »

On notera que dans son arrêt précité, la Cour de cassation se réfère à l’«activité sociale », et non à l’objet social de la société, tel que déterminé et délimité par ses statuts. On notera également que, dans son arrêt précité, la Cour de cassation fait référence à un lien ou critère dit de nécessité, qui ne coïncide pas avec le critère de finalité (« en vue de ») de l'article 49 du CIR/92. La référence à ce critère de nécessité est d’autant plus critiquable qu’il incite l’administration fiscale (se prévalant de l’arrêt de la Cour de cassation du 18 janvier 2001) à s’immiscer dans la gestion d’une société et à rejeter les frais qui ne seraient pas (strictement) nécessaires à l’activité de la société. Bien qu’ayant donné lieu à une critique quasi unanime en doctrine, la position de la Cour de cassation sera confirmée dans un (deuxième) arrêt du 19 juin 20033 (Voir ci-dessous), et ultérieurement (Cass., 12 décembre 2003 et Cass., 09 novembre 2007). En ce qui concerne le critère du rattachement nécessaire à l’activité sociale, il convient de signaler que celui-ci a fait l’objet d’une question préjudicielle auprès de la Cour constitutionnelle, posée par le Tribunal de première instance de Liège, dans son jugement du 05 mars 2009 (www.fiscalnet.be). L’espoir qu’avait suscité cette question préjudicielle a cependant été déçu, puisque par son arrêt du 26 novembre 2009, la Cour constitutionnelle a malheureusement conforté la jurisprudence de la Cour de cassation, en disposant que : « l’article 49 du CIR/92 subordonne la déductibilité en cause à la condition que les frais qu’il vise

soient faits ou supportés en vue d’acquérir ou de conserver des revenus imposables, ce qui exclut les frais faits ou supportés à d’autres fins telles que celle d’agir dans un but désintéressé ou de procurer sans contrepartie un avantage à un tiers ou celles, compte tenu du principe de la

spécialité des personnes morales, étrangères à l’activité ou à l’objet social de celles-ci ".

3 En l’espèce, une société d’avocats avait déduit les frais relatifs à l’acquisition d’options « put » et « call ». La Cour de cassation a considéré que ces frais ne se rattachaient pas de manière nécessaire à l’activité sociale de la société et n’en a pas admis la déduction au niveau fiscal. Selon la Cour, il s’agissait en fait d’une opération purement financière, qui n’avait d’autre but que de créer comptablement des pertes fiscales; or la société - qui avait utilisé ce montage - n’avait pas d’activités financières comme principal objet social.

CHAPITRE VI : LIMITES AUX POUVOIRS D’INVESTIGATION DE L’ADMINISTRATION FISCALE §1. Droit de se taire En principe, le droit de se taire, prévu à l’article 6.2 de la Convention européenne des droits de l’homme (C.E.D.H.), permet à une personne accusée d’une infraction dans une procédure pénale, de ne pas collaborer à la preuve de sa culpabilité. Ce principe peut être transposé en matière fiscale, sous réserve de certains aménagements. En principe, lorsqu’un contribuable fait l’objet d’un contrôle fiscal, il ne peut pas se retrancher d’office (automatiquement) derrière le droit de se taire pour refuser la communication des informations et documents qui lui sont demandés (même si tout redressement l’expose, en principe, à une amende qui a la nature d’une peine). L’exercice de ce droit ne peut, en effet, mettre à néant l’obligation de répondre à une demande de renseignements prévue par les codes fiscaux. Le droit de se taire n’est donc pas absolu et doit être concilié avec les intérêts économiques du pays, lesquels intérêts comportent la nécessité pour les Etats de percevoir les impôts. Par ailleurs, il convient de signaler qu’au stade de la demande de renseignements (article 316 du CIR/92), le but principal poursuivi par l’administration fiscale est la vérification de l’application correcte de la loi fiscale (et non la perception d’une amende éventuelle). S’il est vrai que le refus de collaborer (refus de répondre à une demande de renseignements par exemple) avec l’administration fiscale peut être sanctionné d’une amende non proportionnelle (voir article 445 du CIR/92), on considère toutefois qu’une telle amende est conciliable - selon la C.E.D.H. - avec les garanties prévues par l’article 6 de la Convention, dans la mesure où une telle amende est simplement destinée à contraindre précisément le contribuable à collaborer avec l’administration fiscale. En d’autres termes, cette amende est justifiée par la nécessité d’établir un système efficace d’imposition (importance des recettes fiscales pour un Etat) et elle reste dans des limites raisonnables, si les règles applicables prévoient des moyens de défense en faveur du contribuable (celui-ci doit pouvoir faire valoir les circonstances propres au cas d’espèce, sa bonne foi, etc. c’est-à-dire des éléments subjectifs). Toutefois, les pouvoirs d’investigation destinés à contrôler l’exacte perception de l’impôt doivent, pour être conformes à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, respecter le principe de proportionnalité, lequel s’apprécie - selon la jurisprudence de la Cour européenne - en fonction de la situation en cause, du degré de coercition exercée sur le redevable et des garanties dont il dispose. En résumé, la possibilité d’invoquer ce droit fondamental n’est pas la règle dans le cadre d’un simple contrôle fiscal. En revanche, il peut être invoqué utilement (et avec succès), lorsque l’administration fiscale a manifesté l’intention de se prévaloir de l’intention frauduleuse du contribuable. Dans une telle situation, le contribuable concerné se trouve en effet accusé d’une véritable infraction fiscale. A titre d’exemple, un redevable peut refuser de répondre à une demande de renseignements, lorsqu’ils sont de nature à prouver par eux-mêmes l’existence d’un impôt éludé, ce qui l’expose à une amende aggravée prévue en cas d’intention frauduleuse. En revanche, lorsque les informations demandées sont insuffisantes pour établir les éléments constitutifs de l’infraction à charge du contribuable, ce dernier ne peut invoquer le droit de se taire pour refuser la communication des informations demandées.

§2. Les principes de bonne administration et de sécurité juridique Le principe de bonne administration recouvre plusieurs notions dont notamment :

- le principe du fair play, qui impose à l’administration fiscale de s’abstenir de tout comportement critiquable, susceptible de rendre en pratique l’exercice des droits de l’administré (contribuable) plus difficile, voire impossible ;

- le principe d’égalité et de non discrimination ;

-le principe de la sécurité juridique, suivant lequel l’administration fiscale doit respecter son comportement lorsqu’il a crée dans le chef du contribuable une attente légitime. Une application particulière de ce principe résulte des accords avec l’administration. Cette dernière ne peut dénoncer un accord relatif au montant de frais professionnels que pour l’avenir, sauf comportement culpeux du contribuable et après avoir justifié sa position ;

- le principe de proportionnalité qui suppose que le citoyen est en droit de s’attendre à un comportement raisonnable de l’administration.

Dans un arrêt du 27 mars 1992, la Cour de cassation a expressément admis l’application du principe de bonne administration, fondé sur le principe de la sécurité juridique. Dans un arrêt du 11 mai 1998 (Cass., 11 mai 1998, JDF, 1998, p. 280), la Cour de cassation a admis qu’un accord antérieur lie en règle l’administration fiscale pour les exercices en cause. Le commentaire administratif lui-même admet qu’un accord (valablement) conclu entre l’administration fiscale et le contribuable - s’il n’est pas expressément limité à un ou plusieurs exercices - lie l’administration fiscale pour l’avenir. Elle ne peut le remettre en cause que pour l’avenir, à la condition que l’administration fiscale notifie clairement au contribuable la modification de sa position et les motifs de celle-ci. L’accord antérieur cesse alors de produire ses effets à partir de la période imposable suivant celle au cours de laquelle l’administration fiscale a clairement fait connaître au contribuable sa nouvelle position (Com. I.R., 1992, 50/6 et 50/7). Selon le commentaire administratif, un accord (valablement conclu) ne peut être remis en cause, avec effet rétroactif, que dans les deux hypothèses suivantes :

- d’une part, lorsque le contribuable a obtenu un accord au moyen de données fausses ou volontairement inexactes. En effet, dans cette hypothèse, l’administration fiscale n’a pas pu donner son accord en connaissance de cause, puisque les éléments de fait qui ont fondé son appréciation étaient faussés, de sorte que l’accord de l’administration est entaché d’un vice de consentement ;

- d’autre part, lorsque les données de fait qui ont donné lieu à un accord sont modifiées, notamment à la suite d’un changement des conditions dans lesquelles l’activité professionnelle est exercée. Dans ce cas, l’administration fiscale peut revenir sur l’accord à partir de la période imposable au cours de laquelle les modifications des conditions d’exploitation sont intervenues.

Il convient de souligner que tant le commentaire administratif que la jurisprudence admettent qu’un accord peut résulter non seulement d’un écrit, mais également d’un contrôle au cours duquel l’administration fiscale a pris connaissance d’une situation déterminée, sans la remettre en cause. Dans une telle hypothèse, il appartient cependant au contribuable qui entend se prévaloir d’un tel accord de démontrer que la situation est entrée dans le champ d’appréciation

de l’administration au cours du contrôle et qu’en en ayant pris connaissance, elle n’a pas émis de contestation (Com. I.R., 1992, 50/3 ; J. Van Steenwinckel, « Les avancées en matière de protection des droits des contribuables à la lumière de la jurisprudence récente » ; RGF, 2000, dossier spécial, p. 23 ; Bruxelles, 8 décembre 1995, JDF, 1997, p. 160 ; Mons, 19 janvier 1996, JDF, 1996, p. 295 ; Anvers, 29 juin 1999, Courrier fiscal, 1999, 99/602). Lorsqu’il existe un tel accord - exprès ou tacite - le principe de la sécurité juridique s’oppose à ce que cet accord soit remis en cause avec effet rétroactif. Le contribuable peut, en effet, légitimement se fonder sur cet accord pour considérer que la situation qu’il vise est acceptée par l’administration fiscale et conforme à la loi. Gaëtan ZEYEN Bruxelles, le 21 février 2011. (contact : [email protected])