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29 ANTHEMIS - LARCIER 1395 29 Le corporate governance au Grand-Duché de Luxembourg : état des lieux et perspectives Alex Schmitt Avocat aux barreaux de Luxembourg et Bruxelles Étude Bonn & Schmitt, Luxembourg LLM Harvard Law School Maître de conférences à la Faculté de Droit de l’Université Libre de Bruxelles Armel Waisse Avocat aux barreaux de Luxembourg et Strasbourg Étude Bonn & Schmitt, Luxembourg Maître en Droit privé (Université Robert Schuman, Strasbourg) DEA de Droit privé (Université Robert Schuman, Strasbourg) Table des matières Introduction 1397 Chapitre 1 – Sources du corporate governance luxembourgeois : ses figures libres et ses figures imposées 1408 Section 1 – Les sources supranationales 1408 Sous-section 1 – Des principes supragouvernementaux : les « Principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE » 1409 Sous-section 2 – Les initiatives européennes 1410 § 1 – Règles non contraignantes émanant des autorités européennes 1410 § 2 – Textes contraignants de droit européen 1412 Section 2 – Les sources nationales 1415 Sous-section 1 – Dispositions législatives et réglementaires nationales 1416 § 1 – L’émergence d’un droit des sociétés spécial, propre aux sociétés cotées 1416

Le corporate governance au Grand-Duché de …bonnschmitt.net/fileadmin/.../Our_Articles/...AWA.pdf · péen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments

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Le corporate governance au Grand-Duché de Luxembourg :

état des lieux et perspectives

Alex SchmittAvocat aux barreaux de Luxembourg et Bruxelles

Étude Bonn & Schmitt, Luxembourg LLM Harvard Law School

Maître de conférences à la Faculté de Droit de l’Université Libre de Bruxelles

Armel WaisseAvocat aux barreaux de Luxembourg et Strasbourg

Étude Bonn & Schmitt, Luxembourg Maître en Droit privé (Université Robert Schuman, Strasbourg) DEA de Droit privé (Université Robert Schuman, Strasbourg)

Table des matières

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1397

Chapitre 1 – Sources du corporate governance luxembourgeois : ses figures libres et ses figures imposées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1408

Section 1 – Les sources supranationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1408Sous-section 1 – Des principes supragouvernementaux : les « Principes

de gouvernement d’entreprise de l’OCDE » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1409

Sous-section 2 – Les initiatives européennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1410§ 1 – Règles non contraignantes émanant des autorités européennes . 1410§ 2 – Textes contraignants de droit européen . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1412

Section 2 – Les sources nationales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1415

Sous-section 1 – Dispositions législatives et réglementaires nationales . 1416§ 1 – L’émergence d’un droit des sociétés spécial, propre aux sociétés

cotées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1416

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§ 2 – Le droit commun des sociétés, socle du corporate governance . . 1419

Sous-section 2 – Le code national de corporate governance . . . . . . . . . . 1420

Chapitre 2 – Les instruments de bonne gouvernance . . . . . . . . . . . . . . . 1423

Section 1 – Le conseil d’administration et le corporate governance . . . . . 1424

Sous-section 1 – Missions du conseil d’administration . . . . . . . . . . . . . 1424§ 1 – Universalité des compétences du conseil . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1424§ 2 – Sanctions contre les administrateurs non diligents . . . . . . . . . . 1425

Sous-section 2 – Composition du conseil d’administration . . . . . . . . . . 1426§ 1 – Des administrateurs compétents, engagés, aux horizons divers . . 1426§ 2 – Un nombre suffisant d’administrateurs indépendants . . . . . . . . 1427

Sous-section 3 – Fonctionnement du conseil d’administration . . . . . . . 1428§ 1 – Un organe collégial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1428§ 2 – L’assistance du conseil d’administration par les conseils et

comités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1429§ 3 – La réglementation des conflits d’intérêts . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1430

Section 2 – La direction et le corporate governance . . . . . . . . . . . . . . . . . 1431Sous-section 1 – La dissociation des dirigeants executive et des

dirigeants non executive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1432

Sous-section 2 – La difficile question des rémunérations managériales . 1432

Section 3 – L’assemblée d’actionnaires et le corporate governance . . . . . 1434

Sous-section 1 – Les pouvoirs attribués à l’assemblée des actionnaires . 1434

Sous-section 2 – Le renforcement des droits politiques des actionnaires 1435Sous-section 3 – Le préalable nécessaire à l’exercice des pouvoirs des

actionnaires : la transparence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1437

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1438

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« Il y a peu de règles générales et de mesures certaines pour bien gouverner : l’on suit le temps et les conjonctures, et cela roule sur la prudence

et sur les vues de ceux qui règnent […]. »

La Bruyère, Les caractères ou les mœurs de ce siècle, in Chapitre X : Du souverain ou de la République, 1688

Introduction

1. Le corporate governance nourrit d’abondantes réflexions depuis les années 70 du siècle dernier, et continue d’alimenter les débats contempo-rains du droit des sociétés. Le thème est le plus souvent abordé par l’intermé-diaire de son expression anglaise, et cet anglicisme a non seulement intégré le langage du droit, mais est également communément utilisé dans les domaines économique, comptable et social. Le langage courant connaît lui aussi l’ex-pression que l’on retrouve fréquemment mise en exergue dans les médias 1 et prônée dans les discours politiques. Originaire des États-Unis, elle a rejoint notre continent en atteignant le Royaume-Uni 2. Malgré ce lien premier avec les États de common law, son importation dans les pays de la famille romano-germanique a remporté un succès qui ne s’est jamais démenti 3. Hier vecteur du renforcement du pouvoir des actionnaires, aujourd’hui présenté comme le garde-fou à de nouveaux scandales financiers, le corporate governance est avant tout un instrument dirigé vers des valeurs idéales que l’on se propose d’atteindre et de respecter.

1 Voy.  par ex. « La corporate governance de plus en plus nécessaire en France », Les Échos, 22 mars 1995 ; C. C. Icahn, « The Economy needs Corporate Governance Reform », Wall Street Journal, 23 janvier 2009.2 Voy.  A.  Tunc, « Le gouvernement des sociétés anonymes, le mouvement de réforme aux États-Unis et au Royaume-Uni », Revue internationale de droit comparé, 1994, p.  59 ; id., « La révolution américaine : présentation et application des principles of corporate governance », Les Petites affiches, 1995, no 116, p. 5 et « Le gouvernement des sociétés anonymes au Royaume-Uni (le rapport du Comité Hampel) », Revue internationale de droit comparé, 1998, p. 912.3 Voy. not. D. Nechelis, « Le gouvernement d’entreprise », Droit des sociétés, 2000, chr. no 23, pour qui « cette notion se mondialise rapidement et devient incontournable à l’heure de l’interna-tionalisation de l’actionnariat, de l’institutionnalisation de l’épargne (développement de la gestion collective) et de l’avènement de la zone euro ». Voy.  également G.  Keutgen et Ch.  Darville-Finet, « Le “corporate governance” – Une perspective nouvelle pour les sociétés ? », Journal des tribunaux, 1998, p. 625, nos 2 et 3.

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2. Intégrité, loyauté 4, responsabilité 5, telles sont les valeurs que le corpo-rate governance véhicule. La traduction française de gouvernement d’entre-prise ou de gouvernance d’entreprise 6 n’est pas toujours considérée comme suffisamment explicite pour propager les valeurs ci-avant énoncées, et il est fréquent de lui voir adjoindre un adjectif qualificatif de nature à mettre en évidence la connotation que l’expression anglaise comporte : on parlera ainsi de bonne gouvernance d’entreprise ou de saine gouvernance d’entreprise.

3. Du latin gubernare signifiant « diriger un navire », puis par extension « diriger, gouverner » 7, la gouvernance ou governance concerne l’exercice du pouvoir, la prise de décision, le management. Associé à l’adjectif corporate, le corporate governance 8 a vocation à se préoccuper de la façon dont les déci-sions sont prises au sein de l’entreprise et de la manière dont les intérêts en présence sont harmonisés 9. Sir Adrian Cadbury, un de ses pères fondateurs au Royaume-Uni 10, l’a défini comme le « système par lequel les sociétés sont

4 À rapprocher de B. Daille-Duclos, « L’application extensive du principe du contradictoire en droit des affaires : le développement du devoir d’information, du devoir de loyauté et du respect des droits de la défense », JCP E, 2000, p. 1990.5 Voy.  M.  Capron et F.  Quairel-Lanoizelée, Mythes et réalités de l’entreprise responsable, coll. Entreprise & société, Paris, La Découverte, 2004.6 Sur les distinctions entre les notions de gouvernement et de gouvernance d’entreprise, voy. J.-Ph. Dom, « Le gouvernement d’entreprise, technique d’anticipation des risques », Droit des sociétés, août-septembre 2012, p.  8 et JCP E, 2012, p.  1387. Voy.  également Ph.  Bissara, « Les véritables enjeux du débat sur “le gouvernement de l’entreprise” », Revue des sociétés, 1998, p. 5, pour qui « on sait que l’expression “gouvernement de l’entreprise” est une traduction approxima-tive de l’expression américaine “corporate governance” dont la signification n’est elle-même pas très claire ».7 Voy. Dictionnaire historique de la langue française, sous la direction de A. Rey, Paris, Éd. Le Robert, v° « Gouvernance » in « Gouverner ».8 Nous notons qu’un consensus n’existe pas quant au genre masculin ou féminin de l’angli-cisme.9 Voy.  not. la définition de l’Association H.  Capitant, sous la direction de G.  Cornu, Voca-bulaire juridique, Paris, PUF, 2011, v° « Gouvernance » : « […] Terme de prestige aujourd’hui en faveur (not. dans le discours politique et l’économie d’entreprise) véhiculant un concept anglo-saxon, mais qui, interférant avec les notions de pouvoir dans l’État et au sein de l’entreprise, nourrit une réflexion en vogue sur une certaine façon de prendre les décisions et d’harmoniser les intérêts, moyennant un renforcement de la concertation et de la négociation entre partenaires sociaux et, pour le bien commun, de la transparence et du contrôle […]. » Comp. la définition du gouvernement d’entreprise donnée en économie : « l’ensemble des relations établies entre les diri-geants d’une entreprise et ses propriétaires, en conformité avec le cadre juridique, institutionnel et fiscal d’un pays » (M. Lakehal, Dictionnaire d’économie contemporaine, Paris, Vuibert, 2000) v° « Gouvernement d’entreprise ».10 Sir Adrian Cadbury a présidé la commission en charge d’étudier le sujet au début des années 1990, dont les travaux ont conduit à un rapport et à un Code of best practices, ou Code Cadbury (Bulletin Joly Bourse, mai-juin 1993, p. 325). Le Code Cadbury fut suivi par le rapport Greenbury sur la rémunération des dirigeants (voy.  A.  Tunc, « La rémunération des dirigeants de société,

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dirigées et contrôlées » 11. Le UK Corporate Governance Code (septembre 2012) 12 reprend encore la définition du gouvernement d’entreprise issue du Code Cadbury : « Corporate governance is the system by which companies are directed and controlled. Boards of directors are responsible for the governance of their companies. The shareholders’ role in governance is to appoint the direc-tors and the auditors and to satisfy themselves that an appropriate gover-nance structure is in place. The responsibilities of the board include setting the company’s strategic aims, providing the leadership to put them into effect, supervising the management of the business and reporting to shareholders on their stewardship. The board’s actions are subject to laws, regulations and the shareholders in general meeting ».

4. Le corporate governance vise plus particulièrement la société anonyme et, plus précisément encore, la société anonyme dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé 13, ou société cotée 14, cadre dans lequel

le rapport Greenbury et la réponse de la Bourse », Revue internationale de droit comparé, 1996, p. 113). D’autres rapports sont venus compléter ceux-ci, aujourd’hui consolidés sous l’intitulé UK Corporate Governance Code.11 Intervention du 25  octobre 1994 lors du séminaire « La corporate governance, actionnaires, administrateurs, dirigeants : objectifs, pouvoirs et responsabilités », Les Échos conférences, p.  5 ; voy.  également A.  Couret, « Le gouvernement d’entreprise, la corporate governance », Recueil Dalloz, no 22, 1995, p. 163.12 Financial Reporting Council, The UK Corporate Governance Code, septembre 2012, no 2, p. 1 (et voy. note 10, supra).13 Au sens de l’article 4, paragraphe 1, point 14), de la directive 2004/39/CE du Parlement euro-péen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les marchés d’instruments financiers (et de l’ar-ticle  1er, 11) de la loi du 13  juillet 2007 relative aux marchés d’instruments financiers telle que modifiée, ci-après la « loi MiFID »). Voy. également Ph. Bissara qui écrit que « l’ensemble de la littérature américaine sous-entend qu’il ne s’agit essentiellement que des “public corporations”, sociétés anonymes dont les titres sont offerts au public » (Ph. Bissara, « Le gouvernement d’en-treprise en France : faut-il légiférer encore et de quelle manière ? », Revue des sociétés, 2003, p. 51).14 Notons que les établissements financiers font désormais l’objet d’une approche spécifique, notamment par l’Union européenne (voy. par ex. le Livre vert de la Commission européenne « Le gouvernement d’entreprise dans les établissements financiers et les politiques de rémunération », COM (2010) 284 final ; la recommandation de la Commission européenne du 30 avril 2009 sur les politiques de rémunération dans le secteur des services financiers, no 2009/384/CE, Journal Officiel de l’Union européenne, no L 120 du 15 mai 2009, p. 22, et Th. Bonneau, Revue de droit bancaire et financier, 2009, com. 146 ; le règlement (UE) no 575/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant les exigences prudentielles applicables aux établissements de crédit et aux entreprises d’investissement et modifiant le règlement (UE) no 648/2012, et la directive 2013/36/UE du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 concernant l’accès à l’activité des établisse-ments de crédit et la surveillance prudentielle des établissements de crédit et des entreprises d’inves-tissement, modifiant la directive 2002/87/CE et abrogeant les directives 2006/48/CE et 2006/49/CE, Journal Officiel de l’Union européenne, no L 176 du 27 juin 2013). Voy. encore en droit luxembour-geois, M.-P. Gillen-Snyers, « Les banques luxembourgeoises et le corporate governance », in Droit bancaire et financier au Luxembourg, vol. 3, Bruxelles, Larcier, 2004, p. 1115. Il convient de relever

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1400 larcier - anthemis

nous limiterons notre étude 15.

5. Il tend à instaurer l’équilibre entre les différents organes de la société (dirigeants, administrateurs 16, actionnaires) 17, et part du présupposé qu’il est inacceptable que la balance penche du côté des dirigeants aux commandes (au gouvernail) de la société. Le contrôle des dirigeants est donc impliqué par le corporate governance, et la transparence lui est consubstantielle : sans partage des informations, le contrôle s’avérera vain.

6. Né aux États-Unis 18 en réaction à plusieurs « affaires » révélées dans les années 1970 19, développé à la suite des scandales financiers Maxwell,

qu’une définition de la gouvernance d’entreprise est posée dans la circulaire CSSF 12/552 telle que modifiée par la circulaire CSSF 13/563, concernant l’administration centrale, la gouvernance interne et la gestion des risques. Il y est en effet précisé au point 9 que « la gouvernance interne est une composante limitée mais cruciale de la gouvernance d’entreprise, se concentrant sur la structure interne et l’organisation d’un établissement. La gouvernance d’entreprise est un concept plus vaste qui peut être décrit comme étant l’ensemble des relations entre un établissement, son conseil d’admi-nistration, sa direction autorisée, ses actionnaires et les autres parties prenantes. » Voy. également la loi du 29 mai 2009 portant transposition pour les établissements de crédit de la directive 2006/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 […], Mémorial A, no 133, 12 juin 2009, p. 1882.15 Le terme « société » sans aucune autre précision visera donc la société cotée. Sur le corpo-rate governance et les organismes de placement collectif, voy. J. Hauser et C. Migeot, « Corpo-rate governance. Vers un meilleur équilibre pour la réglementation des organismes de placement collectif au Grand-Duché de Luxembourg », in Droit bancaire et financier au Luxembourg, vol. 4, Bruxelles, Larcier, 2004, p.  1897. Voy.  également la circulaire CSSF 12/546 du 24  octobre 2012 concernant l’agrément et l’organisation des sociétés de gestion de droit luxembourgeois soumises au chapitre 15 de la loi du 17 décembre 2010 concernant les organismes de placement collectif ainsi que des sociétés d’investissement qui n’ont pas désigné une société de gestion au sens de l’ar-ticle 27 de la loi du 17 décembre 2010 concernant les organismes de placement collectif ; le règle-ment CSSF no 12-01 arrêtant les modalités d’application de l’article 42bis de la loi du 13  février 2007 relative aux fonds d’investissement spécialisés en ce qui concerne les exigences en matière de gestion des risques et de conflits d’intérêts, Mémorial A, no 192, 6 septembre 2012, p. 2756 ; le règlement CSSF no 10-04 portant transposition de la directive 2010/43/UE de la Commission du 1er juillet 2010 portant mesures d’exécution de la directive 2009/65/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les exigences organisationnelles, les conflits d’intérêts, la conduite des affaires, la gestion des risques et le contenu de l’accord entre le dépositaire et la société de gestion, Mémorial A, no 239, 24 décembre 2010, p. 3984.16 Nous nous référerons aux sociétés anonymes de structure moniste, ce qui représente au Luxembourg la forme sociale la plus fréquemment adoptée.17 Il est encore évoqué « un équilibre entre la contrainte pesant sur les organes de direction et la liberté d’entreprendre » (Collectif, « La gouvernance d’entreprise au Luxembourg », JurisNews – Regard sur le droit des sociétés, no 10/2009, p. 85).18 Pour une synthèse historique, voy.  Y.  Paclot, « Le gouvernement d’entreprise, pour quoi faire ? Quelques réflexions en relisant le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées », in V. Magnier (dir.), La gouvernance des sociétés cotées face à la crise : pour une meilleure protec-tion de l’intérêt social, préface de Ph. Marini, Paris, LGDJ, 2010, p. 279.19 Voy. not. Ph. Bissara, R. Foy et A. de Vauplane, Droit et pratique de la gouvernance des sociétés cotées, Conseils et comités, Paris, Éd. Joly, 2007, p. 2.

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Polly Peck et BCCI Bank qui ont retenti à Londres dans les années 1980, le corporate governance est à nouveau en vogue depuis la succession de crises que connaît le XXIe siècle, et notamment depuis le cataclysme déclenché par le scandale Enron 20 en 2001 et la crise bancaire et financière de septembre-octobre 2008 21. Tous les pays ont connu leur lot de fraudes en tous genres et de faillites de sociétés prestigieuses, stars des marchés financiers 22 qui se sont finalement révélées n’être que des géants aux pieds d’argile.

7. Le Grand-Duché de Luxembourg s’est lui aussi préoccupé du sujet. Les récentes affaires Bertelsmann 23 et ArcelorMittal 24 illustrent l’actualité de la

20 Lequel a révélé la passivité du conseil d’administration d’Enron et la défaillance généralisée des mécanismes de contrôle. Sur ce scandale, voy.  not. J.-L.  Navarro, « Le risque, 10 ans après l’affaire Enron. Regards croisés Canada – France – États-Unis (Lyon, 10 novembre 2011) », JCP E, 2012, p. 1382. Le scandale Enron a été à l’origine du Sarbanes-Oxley Act of 2002, nom emprunté aux rédacteurs du texte. Voy.  A.  Pietrancosta, « La réforme américaine et ses répercussions mondiales  – aperçu », Revue de droit bancaire et financier, 2002, com. 238. Notons que la loi Sarbanes-Oxley a imposé aux entreprises de mettre en place des procédures de « transmission confi-dentielle et anonyme par les salariés de leurs préoccupations relatives à des problèmes de compta-bilité ou d’audit douteux » ou whistleblowing (sur ce mécanisme en droit français, voy. V. Rebeyrol, « La réception du “whistleblowing” par le droit français », JCP E, 2012, p.  1386). L’ensemble des mesures initiées par cette réforme n’a pas empêché la survenue de la crise financière de 2007-2010, généralement attribuée à des prises de risque excessives par les institutions financières. De nouvelles procédures de contrôle des risques ont été ajoutées par la loi Dodd-Frank du 21 juillet 2010.21 Voy. I. Tchotourian, « Concilier long terme et gouvernance renouvelée : “the new American way for doing business” », Bulletin Joly sociétés, 2010, p. 845.22 Ainsi par ex., la France a dû réagir face à des « licenciements boursiers » (affaires Michelin, Marks & Spencer), à l’attribution controversée de stock-options au PDG d’Elf-Aquitaine en 1999, aux erreurs manifestes de gestion commises par les dirigeants du Crédit lyonnais. Le scandale comptable de Nortel en 2002-2003 a secoué le Canada. Des fraudes comptables et financières touchant la société Olympus ont été révélées en novembre 2011 au Japon. Voy. M. Storck, « Le risque, 10 ans après l’affaire Enron – Rapport de synthèse », JCP E, 2012, p. 1393, nos 2 et 16.23 CJCE, 15  octobre 2009, Audiolux c.  GBL et Bertelsmann, C-101/08, Recueil CJCE, 2009, I, p. 9823, conclusions V. Trstenjak, lequel, intervenu à la suite d’une question préjudicielle posée par la Cour de cassation de Luxembourg portant sur l’existence d’un principe général du droit communautaire de protection des actionnaires minoritaires, a répondu par la négative. Sur cette décision, voy.  not. F.  Fayot et C.  Martins Costa, « Droit des sociétés (2006-2012) », Annales du droit luxembourgeois, 2012, vol. 21, p. 286 ; Collectif, « L’arrêt CJCE Audiolux : nouveaux éclai-rages sur l’égalité de traitement des actionnaires », JurisNews – Regards sur le droit des sociétés, 2009, no  9, p.  81 ; I.  Corbisier, « Arrêt “Audiolux” : inexistence d’un principe général de droit communautaire protégeant les actionnaires minoritaires en cas de cession d’une participation de contrôle », Journal de droit européen, 2010, no 1, p. 9. Voy. également l’arrêt de la Cour de cassa-tion du 23 septembre 2010, no 54/10, Journal des tribunaux Luxembourg, 2010, p. 204 ; F. Fayot et C. Martins Costa, op. cit., p. 293.24 L’offre publique d’acquisition lancée par Mittal, une société de droit néerlandais, sur Arcelor, une société de droit luxembourgeois, a en effet démontré l’importance de la transparence des marchés financiers. Pour une présentation de « l’affaire Arcelor », voy. M. Rasque da Silva, « Les mesures de défense anti-OPA suite à la 13e directive : une étude à la lumière de l’affaire Arcelor », Annales du droit luxembourgeois, 2009, vol. 17-18, p. 441.

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matière au regard du droit luxembourgeois, que ce soit au niveau de la protec-tion des actionnaires minoritaires ou au niveau de la transparence et du bon fonctionnement des marchés financiers.

8. Un lien étroit unit donc le corporate governance aux crises économiques et financières. Face aux faiblesses révélées par les débâcles financières, le corporate governance apparaît comme le remède nécessaire qui seul permettra de regagner la confiance perdue dans le marché des titres 25 et pourra « essayer de contrôler le risque d’une nouvelle affaire Enron » 26. Moyen de prévention des crises, la gouvernance d’entreprise devient une « technique d’anticipa-tion des risques » 27. Il s’agit d’éviter les angles morts, de prévenir les abus : le corporate governance se révèle ainsi être « un instrument déclaré de politique économique » 28.

9. Nous avons défini le corporate governance en faisant référence aux inté-rêts en présence qu’il convient de sauvegarder et d’harmoniser au sein de la société 29. Il en résulte que la conception des intérêts à concilier aura une inci-dence immédiate sur la notion de corporate governance. Celle-ci a ainsi été quelque peu modifiée à la suite de l’évolution de la définition de l’intérêt social.

10. L’origine du concept reposait sur la théorie néolibérale de l’agence 30 : la société y était vue comme une interconnexion de contrats (un nexus of contracts). Les rapports entre actionnaires et dirigeants, marqués par la disso-ciation entre la propriété des actions et le pouvoir de contrôle des actifs 31, étaient qualifiés de contrat de mandat. La dilution de l’actionnariat était perçue comme un frein au contrôle des dirigeants, lesquels étaient considé-rés comme ayant tendance à privilégier la satisfaction de leur intérêt propre

25 Dans le même sens, A.  Pietrancosta, « La réforme américaine et ses répercussions mondiales – aperçu », op. cit.26 J.-L. Navarro, « Le risque, 10 ans après l’affaire Enron. Regards croisés Canada – France – États-Unis (Lyon, 10 novembre 2011) », op. cit.27 J.-Ph.  Dom, « Le gouvernement d’entreprise, technique d’anticipation des risques », op.  cit., no 1 ; voy. encore ibid., no 5 : « Entreprendre induit une prise de risques. De nos jours, les prévoir ne suffit plus, il faut encore les prévenir, dans l’intérêt de l’entreprise et de ses parties prenantes, en défendant des valeurs, c’est-à-dire en gouvernant. Cela vaut pour le meilleur et contre le pire. »28 J.-Ph. Dom, op. cit., no 2.29 Voy. supra, no 3.30 Voy. not. J. Hauser et C. Migeot, « Corporate governance. Vers un meilleur équilibre pour la réglementation des organismes de placement collectif au Grand-Duché de Luxembourg », op. cit., p.  1901. Les principaux auteurs de cette théorie sont C.  Jensen et W.  H.  Meckling, « Theory of the Firm : Management Behavior, Agency Costs and Capital Structure », Journal of Financial Economics, 1976, vol. 3.31 Sur la séparation de la propriété et du contrôle, voy. not. A. Berle et G. Means, The Modern Corporation and Private Property, New York, MacMillan, 1932.

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au mépris des intérêts des actionnaires. Le corporate governance avait alors exclusivement pour objectif de protéger les actionnaires contre les conflits d’intérêts des dirigeants d’entreprise et de garantir aux actionnaires la perfor-mance maximale de leur investissement (shareholder value ou valeur action-nariale). Selon ce modèle théorique, le pouvoir discrétionnaire des dirigeants devait être encadré et des mécanismes de contrôle disciplinaire devaient être mis en place pour limiter les intérêts égoïstes des dirigeants. Le gouvernement d’entreprise organisait ces mesures en privilégiant uniquement les intérêts des actionnaires et l’augmentation de la valeur de leurs actions.

11. Cette théorie était fondée sur des conceptions de l’actionnariat et de la direction qui sont apparues ne pas correspondre à la diversité des situations rencontrées au sein des sociétés.

12. D’une part, il est faux de croire que l’actionnaire se réduit à n’être toujours qu’un simple investisseur, détaché de tout affectio societatis à l’égard de la société 32. Si l’investisseur est motivé seulement par ses intérêts à court terme (short-termism), l’actionnaire est engagé sur le long terme et a intérêt à contrôler la société pour en retirer le maximum de profits sur la durée. De plus, l’actionnariat ne constitue pas une catégorie homogène : il est faux de croire qu’il existe un actionnaire type. Tout dépend de l’étendue, de la concen-tration ou de l’éparpillement de l’actionnariat. L’actionnaire de référence ne doit pas être ignoré. Et si l’abus de majorité est possible, l’inverse existe aussi, l’abus de minorité est une réalité.

13. D’autre part, l’approche comportementale (le courant Behavioral Laws and Economics) a démontré que « les décisions des dirigeants préjudiciables aux actionnaires […] ne relèvent cependant pas toutes d’un comportement volontaire. Certaines résultent d’erreurs de jugement, de biais cognitifs et comportementaux » 33. En dehors de tout conflit d’intérêts tel que décrit par la théorie de l’agence, « les dirigeants peuvent commettre des erreurs cognitives en estimant les probabilités de succès et d’échec des projets d’investissement

32 Sur la distinction entre investisseur et actionnaire, voy. not. P.-Y. Gomez, « Leçons de la crise et perspectives pour l’après-crise », in V. Magnier (dir.), La gouvernance des sociétés cotées face à la crise : pour une meilleure protection de l’intérêt social, op. cit., p. 289. Sur la notion d’affectio societatis dans la société cotée, voy. X. Dieux, « Shareholdership v. stakeholdership : what else ? », in Gouvernance d’entreprise : carcan ou clé du succès ?, coll.  Le droit des affaires en évolution, Bruxelles, Bruylant, 2010, p. 107, et not. note 3, p. 108.33 G.  Charreaux, « Droit et gouvernance : l’apport du courant comportemental », in V. Magnier (dir.), La gouvernance des sociétés cotées face à la crise : pour une meilleure protection de l’intérêt social, op. cit., p. 223.

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qu’ils choisissent et mettent en œuvre. Autrement dit, ils commettent des erreurs managériales en toute bonne foi » 34.

14. La recherche de l’intérêt exclusif des actionnaires 35 par le corporate governance a ainsi été critiquée. Il a été relevé qu’une des causes possibles de « la déflagration qui a placé le système financier et économique au bord du précipice, au début de l’automne 2008 [serait] la course à la performance des actions sur le marché » 36 : « dans un contexte extrême de crise et de mise en péril du système, l’intérêt patrimonial des actionnaires et leur association au processus interne de décision cessent de s’imposer comme une priorité » 37.

15. Les définitions les plus récentes du corporate governance ne se cantonnent donc plus à exiger le respect des intérêts des actionnaires, mais englobent toutes les « relations entre la direction d’une entreprise, son conseil d’administration, ses actionnaires et d’autres parties prenantes telles que les employés et leurs représentants » 38.

16. La conception traditionnelle dite shareholder value a ainsi évolué vers la notion de stakeholder value (intérêt des parties prenantes) 39. L’intérêt social

34 Ibid., no 26 p. 233. Le biais d’attribution est notamment développé par cet auteur : le « surop-timisme, la surconfiance et l’égocentrisme » (ibid., no 16, p. 230) peuvent conduire à des compor-tements managériaux non rationnels. Les erreurs commises par le groupe financier Fortis ayant conduit à la démission forcée de son président du conseil d’administration, Maurice Lippens, en septembre 2008, relèvent peut-être de ces comportements non rationnels. Le récent scandale affectant la banque Monte dei Paschi di Siena pourrait relever des mêmes comportements de la part des dirigeants.35 Sur ce sujet, voy. J.-J. Caussain, Le gouvernement d’entreprise, le pouvoir rendu aux action-naires, Paris, Creda-Litec, 2005.36 X. Dieux, « Shareholdership v. stakeholdership : what else ? », op. cit., p. 114.37 Ibid., p. 115 ; voy. également X. Dieux, « Droits, pouvoirs et responsabilités des actionnaires et des autres “parties prenantes” », Droit des sociétés, coll. UB3, Bruxelles, Bruylant, 2012, p. 8.38 Livre vert de la Commission européenne « Le cadre de la gouvernance d’entreprise dans l’Union européenne », 5 avril 2011, COM (2011) 164 final, p. 3. La notion de « parties prenantes » est prise dans un sens extensif, comme « y incluant non seulement l’intérêt des actionnaires (majoritaires et minoritaires), mais aussi l’intérêt des travailleurs, des fournisseurs, des clients, des bailleurs de fonds et autres créanciers de l’entreprise » (D. Szafran, « L’insertion en droit positif des codes de gouvernement d’entreprise », Revue pratique des sociétés, 2005, p. 133, et not. p. 134).39 Ainsi, Jean-Philippe Dom (« Le gouvernement d’entreprise, technique d’anticipation des risques », op.  cit., no 1) définit le gouvernement d’entreprise comme les « structures, procédures et pratiques qui précisent le fonctionnement des organes de direction de façon à ce que soient préservés les intérêts des parties prenantes ». Voy. également D. Szafran, op. cit., p. 133. Notons que le même mouvement d’intégration est à relever pour le gouvernement d’entreprise des établissements financiers. Voy.  le Livre vert de la Commission européenne « Le gouvernement d’entreprise dans les établissements financiers et les politiques de rémunération », COM  (2010) 284 final, dans lequel il est écrit que « la gouvernance d’entreprise dans les établissements finan-ciers, qui est au cœur du programme de réforme des marchés financiers et de la prévention des

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est désormais compris de manière extensive 40, comme la communauté d’in-térêts que représente l’entreprise. Notons encore qu’une « valeur montante » de la gouvernance d’entreprise est actuellement l’investissement socialement responsable ou ISR 41 : des questions environnementales, sociales et de gouver-nance (dites ESG) se mêlent aux débats. La responsabilité sociétale (ou sociale) des entreprises (RSE) 42 intègre aujourd’hui ces préoccupations dans leurs interactions avec l’ensemble des parties prenantes.

17. Le corporate governance ne saurait donc avoir comme but ultime de rendre aux actionnaires le pouvoir confié aux dirigeants. Le corporate gover-nance poursuivra comme objectifs de garantir que la société « crée de la valeur » 43 sur le long terme (au profit de ses actionnaires tout en conciliant

crises, doit tenir compte non seulement de l’intérêt des actionnaires, mais également de l’in-térêt des déposants, des épargnants et des détenteurs de polices d’assurance. La création d’un devoir spécifique pour le conseil d’administration de tenir compte de l’intérêt des seconds pour-rait contribuer à inciter le conseil d’administration à mener des stratégies moins risquées et à améliorer la qualité de gestion des risques à long terme des établissements financiers. » Voy. égale-ment Th.  Bonneau, « Gouvernement d’entreprise », Revue de droit bancaire et financier, 2010, com. 200 ; M.-P.  Gillen-Snyers, « Les banques luxembourgeoises et le corporate governance », op. cit. La conception de la gouvernance d’entreprise par la CSSF englobe également l’ensemble des parties prenantes (voy. supra, note 14).40 Le professeur Dominique Schmidt s’interrogeait déjà sur la conception de l’intérêt social au regard du corporate governance dans son article « De l’intérêt social », JCP E, 1995, p. 488. Selon cet auteur, les deux acceptions de l’intérêt social, intérêt des actionnaires ou intérêt supérieur de la personne morale, conduisent chacune « à un autre mode de gouvernement ».41 Voy. not. C. Malecki, « L’investissement socialement responsable. Quelques remarques sur une valeur montante de la gouvernance d’entreprise “verte” », in V.  Magnier (dir.), La gouver-nance des sociétés cotées face à la crise : pour une meilleure protection de l’intérêt social, op. cit., p. 263. Voy. la promotion de l’investissement responsable par l’EIRIS, Ethical Investment Research Services (http://www.eiris.org/).42 Sur la responsabilité sociale ou sociétale de l’entreprise, voy.  not. la communication de la Commission européenne du 25 octobre 2011, « Responsabilité sociale des entreprises : une nouvelle stratégie de l’UE pour la période 2011-2014 », COM (2011) 681 final ; Livre vert de la Commission européenne « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », 2001, COM (2001) 366 final (y est posée une définition de la RSE : « être socialement responsable signifie non seulement satisfaire pleinement aux obligations juridiques applicables, mais aussi aller au-delà et investir “davantage” dans le capital humain, l’environnement et les relations avec les parties prenantes » [paragraphe 21 p. 7]) ; R. Family, « La responsabilité sociétale de l’entreprise : du concept à la norme », Recueil Dalloz, 2013, p. 1558 ; P. Deumier, « La responsabilité sociétale de l’entreprise et les droits fondamentaux », Recueil Dalloz, 2013, p. 1564 ; I. Tchotourian, « Éclairage – RSE et entreprise : des initiatives européennes en perspective », Bulletin Joly sociétés, 1er janvier 2012, no 1, p.  6 ; I.  Daugareilh, « Responsabilité sociale des entreprises transnationales : analyse critique et prospective juridique », Journal de droit européen, janvier 2011, no 175, p. 1.43 Voy.  Y.  Paclot, « Le gouvernement d’entreprise, pour quoi faire ? Quelques réflexions en relisant le Code de gouvernement d’entreprise des sociétés cotées », op. cit., not. no 21, p. 285 et no 29, p. 288 : « Ces sociétés [les sociétés cotées] fonctionnent comme des démocraties indirectes ;

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les intérêts de tous ses partenaires), et de s’assurer qu’elle défend les valeurs qu’elle représente 44. La « collégialité d’intérêts » au sein de l’entreprise doit permettre « d’assurer la promotion et la défense de valeurs communes, celles de l’entreprise » 45. La société est perçue comme une démocratie dans laquelle des contre-pouvoirs doivent mettre un frein à l’exercice du pouvoir par les dirigeants, et assurer le respect de la somme des intérêts en présence.

18. Le Grand-Duché de Luxembourg n’a pas échappé à cette irruption du corporate governance dans son ordre juridique. La moralisation de la conduite de la société, le contrôle du comportement des dirigeants, la recherche de la transparence dans la gestion, le dialogue entre les organes de la société sont autant de buts poursuivis par le corporate governance au Luxembourg comme ailleurs.

19. La notion, qui s’inscrit dans le cadre d’une économie mondialisée, a forcément subi lors de son implantation au Luxembourg l’influence d’autres systèmes juridiques 46.

20. Aux croisées du droit des sociétés, du droit social, du droit des marchés financiers et du droit bancaire, le corporate governance subit également le poids de facteurs externes : les marchés financiers (et les risques engendrés par la sous-performance), la concurrence, le marché de l’emploi (track record) auront forcément, au Luxembourg comme dans les autres pays, une incidence sur les instruments qu’il se proposera de mettre en œuvre.

21. Mais il est important de relever que le Grand-Duché de Luxembourg, en tant que seconde 47 place financière mondiale en termes de fonds d’inves-tissement, a dû savoir s’adapter très rapidement à l’évolution de la notion de corporate governance. Le Grand-Duché de Luxembourg a en effet connu directement l’émergence de ces nouveaux actionnaires que sont les investis-seurs institutionnels et le rôle que ceux-ci entendent remplir au sein des entre-prises. Ces investisseurs institutionnels, et notamment les fonds de pension, se sont progressivement substitués à l’actionnariat traditionnel de petits épar-

il faut en tirer la conséquence que le gouvernement d’entreprise doit avoir pour unique objet de conduire les dépositaires de l’intérêt social à remplir au mieux leur mission, consistant, il faut le répéter, à favoriser la création de valeur pour le profit de tous. »44 Sur la « défense des valeurs de l’entreprise », voy. J.-Ph. Dom, « Le gouvernement d’entreprise, technique d’anticipation des risques », op. cit., nos 17 et s.45 J.-Ph. Dom, op. cit., no 3, p. 9.46 Pour une étude de droit comparé, voy. not. H. Kopt, E. Wymeersch, H. Kanda et H. Baum, Corporate Governance in Context : Corporations, States and Markets in Europe, Japan and the US, Oxford, Oxford University Press, 2005.47 Après les Etats-Unis.

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gnants, et contrairement à ceux-ci, ils disposent des moyens de réagir à tout écart de conduite dont se rendraient « coupables » les dirigeants de la société. Ces actionnaires, investissant pour le long terme 48, vont veiller à ce que les dirigeants suivent la feuille de route devant les mener à créer de la richesse en respectant l’ensemble des valeurs de l’entreprise 49 ; sinon, ils sanctionne-ront toute déviation par rapport à cette trajectoire idéale. Les participations suffisamment importantes détenues par ces organismes collectifs (et donc le phénomène de la concentration de l’actionnariat) leur confèrent en effet la possibilité de faire pression sur les dirigeants en les menaçant de se défaire des titres de la société. Le corporate governance est ainsi devenu le credo sur lequel se fondent ces professionnels de l’investissement, et le Grand-Duché de Luxembourg a dû leur donner des garanties de son attachement à la notion et leur fournir des preuves tangibles de son application. Ce nouveau rapport de force a transformé le droit des sociétés cotées.

22. Préconisé aujourd’hui comme l’instrument de politique économique qui doit permettre d’éviter de nouvelles catastrophes économiques grâce à la moralisation de la vie  des affaires 50, le corporate governance doit relever ce nouveau défi. Aux grands maux, les grands remèdes : les dispositions relevant du corporate governance se multiplient et touchent des aspects de plus en plus nombreux du droit des sociétés. Un état des lieux du corporate governance au Grand-Duché de Luxembourg nous a semblé nécessaire pour démontrer que la multiplicité des sources de la matière conduit à une somme d’instru-ments, lesquels certes peuvent être encore améliorés, mais sont d’ores et déjà bien organisés. Mais pourront-ils mener à bien le grand dessein auquel ils aspirent : constitueront-ils effectivement un remède efficace aux prochaines crises économiques et financières ?

23. L’étude des sources du corporate governance au Grand-Duché de Luxem-bourg (chapitre  1) précédera donc l’analyse de ses instruments (chapitre  2), dans le but de montrer l’efficacité mais aussi les limites du système.

48 Voy. supra, no 12. Bien entendu, cette affirmation ne s’applique pas à tous les investisseurs insti-tutionnels. Nous pensons notamment aux hedge funds dont certains ont des stratégies d’investisse-ment très opportunistes et n’hésitent pas à abuser de la vente à découvert ou de l’effet de levier.49 Voy. supra, no 17.50 Voy. supra, no 8.

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chapitre 1

Sources du corporate governance luxembourgeois : ses figures libres et ses figures imposées

24. Longtemps considéré comme relevant de la bonne volonté des diri-geants de sociétés qui serait sanctionnée uniquement par les marchés finan-ciers (c’est-à-dire par la hausse ou par la baisse de la cotation des titres des sociétés), le gouvernement d’entreprise s’est vu progressivement « juridicisé » : le droit s’est emparé de la matière 51. Il serait d’ailleurs faux de croire que le droit ne réglemente la matière que depuis une époque récente : des exemples puisés dans la loi du 10  août 1915 sur les sociétés commerciales, telle que modifiée (ci-après la « loi sur les sociétés commerciales »), prouvent que le corporate governance, même s’il n’en portait pas encore le nom, a déjà inspiré nombre de ses dispositions. En effet, des barrières y ont déjà été dressées pour cantonner la toute-puissance des dirigeants.

25. Le corporate governance au Grand-Duché de Luxembourg, comme dans de nombreux autres États, relève à la fois du hard law (ou droit contraignant) et du soft law (ou droit non obligatoire). Des principes de corporate governance seront imposés à la société, mais en sus de cette réglementation obligatoire, la mise en œuvre de principes supplémentaires pourra être librement choisie par la société. Ces règles impératives et supplétives émaneront de sources supra-nationales (section 1), et de sources nationales (section 2).

section 1

Les sources supranationales

26. Nous avons choisi d’évoquer les sources supranationales les plus marquantes : la présentation des travaux de l’Organisation pour la coopéra-tion et le développement économique, ou « OCDE », (sous-section 1) précédera l’exposé des principales initiatives européennes en la matière (sous-section 2).

51 Nombreux sont d’ailleurs les auteurs qui se sont préoccupés du sujet et lui ont consacré des monographies. Voy. par ex., sans prétendre à l’exhaustivité : E. Pichet, Le gouvernement d’entre-prise dans les grandes sociétés cotées : de la convergence des pratiques à l’émergence de principes de bonne gouvernance, préface de D.  Lebegue, Chatou, Les Éditions du Siècle, 2009 ; le recueil Corporate governance, tranparency and investors’ protection in listed companies, Bruxelles, Bruy-lant, 2005. Plus particulièrement, voy.  A.  Sotiropoulou, Les obligations d’information des sociétés cotées en droit de l’Union européenne, préface d’A. Couret et A. Prüm, coll. de la Faculté de droit, d’économie et de finance de l’Université de Luxembourg, Bruxelles, Larcier, 2012.

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sous-section 1

Des principes supragouvernementaux : les « Principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE »

27. La première version des « Principes de gouvernement d’entreprise de l’OCDE » (ci-après les « Principes de l’OCDE »), datée de 1999, s’était rapide-ment imposée comme une référence à l’échelon international 52. Une version révisée de ces Principes 53 a été approuvée par les gouvernements des trente 54 pays membres de l’OCDE au printemps 2004. Il s’agit de recommandations 55 définissant de bonnes pratiques (good practices) observées dans différents pays, et invitant les entreprises à s’en inspirer. Il revient à chaque État membre 56 de les appliquer en fonction de son histoire et de ses caractéristiques propres. L’OCDE précise encore que ses « Principes ont par nature un caractère évolu-tif et sont appelés à être revus en fonction des changements significatifs du contexte général » 57.

28. Les Principes de l’OCDE s’articulent autour de six problématiques : la mise en place d’un régime efficace de corporate governance ; les droits des actionnaires et les principales fonctions des détenteurs des titres de capital ; le traitement équitable des actionnaires ; le rôle des différentes parties prenantes dans le gouvernement d’entreprise ; la transparence et la diffusion d’informa-tions pertinentes et vérifiées ; et les responsabilités du conseil d’administra-tion vis-à-vis de la société et de ses actionnaires. Ils sont complétés par des « notes explicatives » 58.

52 Nous précisons que la Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement a élaboré un Guide des bonnes pratiques en matière d’information sur la gouvernance d’entreprise, Publications des Nations Unies, 2006, UNCTAD/ITE/TEB/2006/3, « recommandations tech-niques destinées notamment aux organismes de réglementation et aux entreprises des pays en développement et des pays en transition » (p.  1). L’ICGN, International Corporate Governance Network, a également publié les ICGN Global Corporate Governance Principles, révisés en 2009 (disponibles sur le site internet : http://www.icgn.org).53 Disponible à l’adresse internet suivante : http://www.oecd.org/fr/daf/ae/principesdegouverne-mentdentreprise/31652074.PDF.54 Depuis lors, quatre autres pays ont adhéré à l’OCDE (le Chili, l’Estonie, Israël, et la Slovénie y ont adhéré en 2010). Le Luxembourg a adhéré à l’OCDE le 7 décembre 1961.55 « Les Principes sont un instrument en devenir définissant des normes de bonnes pratiques n’ayant pas de caractère contraignant, ainsi que des orientations pour la mise en œuvre de ces normes et pratiques qui peuvent être adaptées au gré des circonstances propres à chaque pays ou région. » (Principes de l’OCDE, p. 4 ; voy. également p. 14)56 Voire non membre, l’OCDE précisant que ces Principes « ont inspiré les initiatives législatives et réglementaires prises dans les pays membres et non membres de l’OCDE » (ibid., p. 3).57 Ibid., p. 14.58 Ibid., p. 27.

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29. Notons que l’objectif du rapport est d’insister sur le fait que le corporate governance n’intéresse pas seulement la société mais a vocation à intervenir dans les économies dans leur ensemble. Le gouvernement d’entreprise 59 y est en effet perçu comme « l’un des principaux facteurs d’amélioration de l’efficience et de la croissance économiques et de renforcement de la confiance des investis-seurs » 60, encore accru par l’internationalisation des investissements 61.

30. Cette même conception du corporate governance comme condition posée au retour de la confiance des investisseurs se retrouve dans les initia-tives européennes prises en la matière 62.

sous-section 2

Les initiatives européennes

31. Ce n’est qu’assez tardivement que les autorités européennes ont parti-cipé au débat ouvert sur le corporate governance et ont pris des mesures visant à l’implanter dans tous les États membres de l’Union européenne. Si les insti-tutions européennes ont d’abord choisi de préconiser une régulation souple, empruntant la voie de la recommandation visant à inciter les sociétés établies dans les États membres à adopter certains comportements (§  1), elles sont rapidement allées plus loin et ont décidé d’imposer des règles de corporate governance à effet contraignant dans le but d’harmoniser, voire d’unifier les droits des États membres (§ 2).

§ 1. Règles non contraignantes émanant des autorités européennes

32. Ce n’est qu’au début des années 2000, et notamment après la révélation des scandales qui ont entouré la chute d’Enron, que les autorités européennes ont lancé des consultations et sollicité des rapports portant sur le corporate governance. La Commission européenne a ainsi chargé un groupe d’experts

59 Ibid., p.  11 : le gouvernement d’entreprise y est défini par référence également aux parties prenantes, puisque « le gouvernement d’entreprise fait référence aux relations entre la direction d’une entreprise, son conseil d’administration, ses actionnaires et d’autres parties prenantes. »60 Ibid., p. 11.61 Ibid., p. 13.62 Voy. par ex. la recommandation 2004/913/CE du 14 décembre 2004 encourageant la mise en œuvre d’un régime approprié de rémunération des administrateurs des sociétés cotées (Journal officiel de l’Union européenne, no L 385 du 29 décembre 2004, p. 55) qui indique dans un consi-dérant (3) que « la publication d’informations exactes et à jour par les émetteurs de valeurs mobi-lières renforce la confiance des investisseurs et constitue un excellent moyen de promouvoir une saine pratique de gouvernement d’entreprise dans toute la Communauté. »

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en droit des sociétés, présidé par Jaap Winter, de rédiger un rapport 63, en réponse auquel la Commission a présenté, dans une communication adoptée le 21 mai 2003, son plan d’action intitulé « Modernisation du droit des sociétés et renforcement du gouvernement d’entreprise dans l’Union européenne – Un plan pour avancer » 64. L’analyse de ces documents a conduit la Commission à préconiser une régulation souple, empruntant la voie de recommandations 65, considérées comme plus adaptées à la prescription de règles de comportement que ne le serait une réglementation stricte.

33. La première recommandation publiée par la Commission européenne en la matière 66 a eu pour but d’encourager la mise en œuvre d’un régime approprié de rémunération des administrateurs des sociétés cotées 67. Elle fut suivie par une deuxième recommandation le 15  février 2005 concernant le rôle des administrateurs non exécutifs et des membres du conseil de surveil-lance des sociétés cotées et les comités du conseil d’administration ou de surveillance 68 (ces deux recommandations ont été complétées par la recom-

63 Rapport final du Groupe de haut niveau d’expert en droit des sociétés, « Un cadre réglementaire moderne pour le droit européen des sociétés », 4 novembre 2002. Ce rapport peut être consulté à l’adresse internet suivante : http://ec.europa.eu/internal_market/company/docs/modern/report_fr.pdf.Il y est notamment indiqué que l’élaboration d’un code européen de gouvernance d’entreprise ne paraît pas opportune au regard de la diversité des législations nationales concernant le droit des sociétés (not. p. 85).64 COM (2003) 284 final. Voy. également le communiqué de presse IP/03/716.65 En droit communautaire, la recommandation est « un acte normatif qui a un caractère inci-tatif et ne lie pas ses destinataires. La recommandation permet donc à la Commission (ou au Conseil) de s’adresser de manière non contraignante aux États membres et, dans certains cas, également aux citoyens de l’Union. » Cette définition est issue du glossaire des termes utilisés par le Réseau judiciaire européen en matière civile et commerciale, qui peut être consulté à l’adresse internet suivante : http://ec.europa.eu/civiljustice/glossary/glossary_fr.htm#Recommandation.66 Nous aurions pu évoquer comme premières interventions en la matière entendue largement la recommandation de la Commission du 15  novembre 2000 relative aux exigences minimales en matière de contrôle de la qualité du contrôle légal des comptes dans l’Union européenne (no C(2000) 3304) et la recommandation de la Commission du 16 mai 2001 concernant l’indépen-dance du contrôleur légal des comptes dans l’Union européenne (C(2002) 1873).67 Recommandation de la Commission européenne du 14  décembre 2004 (2004/913/CE), Journal officiel de l’Union européenne, no L 385 du 29 décembre 2004, p. 55 (ci-après la « recom-mandation 2004/913/CE »).68 Recommandation de la Commission européenne du 15 février 2005 (2005/162/CE), Journal officiel de l’Union européenne, n ° L  52 du 25  février 2005, p.  51 (ci-après la « recommandation 2005/162/CE »). Elle invite les États membres à adapter leur législation afin de prévoir (ou d’ac-croître) au sein du conseil d’administration la présence d’administrateurs non exécutifs, c’est-à-dire non en charge de la gestion journalière de la société, dans le but que soient gérés au mieux les éventuels conflits d’intérêts qui peuvent surgir. Cette recommandation s’intéresse encore aux comités qui peuvent apporter un éclairage au conseil d’administration. Elle évoque les trois comités les plus courants : audit, nomination, rémunération.

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mandation du 30  avril 2009 en ce qui concerne le régime de rémunération des sociétés cotées 69). La recommandation du 15 février 2005 est le premier texte européen à faire référence au principe anglo-américain « se conformer ou s’expliquer » (ou comply or explain) 70. Cette règle sera formellement consa-crée par des textes à effet contraignant émanant des institutions européennes.

§ 2. Textes contraignants de droit européen

34. Une avalanche de textes européens à effet contraignant 71 s’est abat-tue sur la matière du corporate governance. Tous les domaines d’une bonne gouvernance ont été envahis. Sans prétendre à l’exhaustivité, nous pouvons ainsi constater que les autorités européennes se sont emparées des obligations comptables à charge des sociétés 72 ; elles leur ont également imposé des obli-gations d’information et de transparence, notamment par la voie de la direc-tive 2004/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 15 décembre 2004 sur l’harmonisation des obligations de transparence concernant l’information

69 Recommandation de la Commission européenne du 30  avril 2009 (2009/385/CE), ci-après la « recommandation 2009/385/CE », Journal officiel de l’Union européenne, no L 120 du 15 mai 2009, p. 28.70 Considérants (4) et (5) et articles 1.1 et 1.2.71 Nous classons dans cette catégorie les directives bien que leur « force obligatoire » ne soit que « partielle » (R.  Kovar, Répertoire communautaire Dalloz, v° « Actes juridiques unilatéraux de l’Union européenne », 2011, no 119). Nous rappelons que l’article 288, alinéa 3 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne dispose que « la directive lie tout État membre destina-taire quant au résultat à atteindre, tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux moyens. »72 Voy. le règlement (CE) no 1606/2002 du Parlement européen et du Conseil du 19 juillet 2002 sur l’application des normes comptables internationales, Journal officiel des Communautés euro-péennes, no L 243 du 11 septembre 2002, p. 1, lequel introduit l’obligation, pour les sociétés cotées, de présenter leurs comptes consolidés suivant les normes IAS/IFRS à partir de 2005 ; la directive 2006/43/CE du Parlement européen et du Conseil du 17 mai 2006 concernant les contrôles légaux des comptes annuels et des comptes consolidés modifiant les directives comptables, dite « direc-tive Audit », qui a introduit un certain nombre de règles visant à améliorer la qualité du contrôle des comptes et a en particulier rendu obligatoire, sauf exceptions, l’institution d’un comité d’audit dans les sociétés dont les titres sont admis à la négociation sur un marché réglementé. Voy. égale-ment la directive 2007/63/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 modi-fiant les directives 78/855/CEE et 82/891/CEE du Conseil pour ce qui est de l’exigence d’un rapport d’un expert indépendant à réaliser à l’occasion des fusions ou des scissions des sociétés anonymes, Journal officiel de l’Union européenne, no L 300, 17 novembre 2007, p. 47 ; la directive 2009/109/CE du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 modifiant les directives 77/91/CEE, 78/855/CEE et 82/891/CEE du Conseil ainsi que la directive 2005/56/CE en ce qui concerne les obligations en matière de rapports et de documentation en cas de fusions ou de scis-sions, Journal officiel de l’Union européenne, no L 259 du 2 octobre 2009, p. 14.

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sur les émetteurs dont les valeurs mobilières sont admises à la négociation sur un marché réglementé 73, dite « directive Transparence » 74, dont l’objectif est de contribuer à une meilleure intégration et à une meilleure efficacité des marchés de capitaux par la modernisation et l’accroissement des obligations d’information des sociétés cotées sur un marché réglementé. La directive Transparence constitue la suite de la directive dite « Prospectus » 75 et traite des informations périodiques et continues devant être publiées au cours de la cotation d’un titre 76. Des règles relatives aux offres publiques d’acquisition ont également été posées 77 par les institutions européennes.

35. La directive 2006/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2006 78, appelée communément « directive Gouvernement d’entreprise », mérite des développements particuliers. Ce texte a en effet consacré explicite-ment ce principe très novateur pour notre système juridique de tradition civi-liste qui est résumé par la formule « appliquer ou s’expliquer » (ou comply or explain). Ce principe, encore appelé règle de conformité, va en effet permettre au destinataire de la règle de droit de ne pas l’appliquer à condition d’expliquer les raisons de sa dérogation. Une norme de référence est certes posée, mais un choix est laissé dans son applicabilité, qui sera à justifier en fonction de l’organisation interne de la société. La directive Gouvernement d’entreprise a ainsi imposé aux sociétés cotées qui ont leur siège statutaire dans l’Union européenne de publier une déclaration annuelle sur le gouvernement d’entre-prise dans une section spécifique et clairement identifiable du rapport de gestion. Cette déclaration doit notamment contenir la désignation du code

73 Journal officiel des Communautés européennes, no L 390 du 31 décembre 2004, p. 38.74 Laquelle a remplacé la directive 2001/34/CE du 28  mai 2001 concernant l’admission de valeurs mobilières à la cote officielle et l’information à publier sur ces valeurs, Journal officiel des Communautés européennes, no L 184 du 6 juillet 2001, p. 1.75 Directive 2003/71/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant le prospectus à publier en cas d’offre au public de valeurs mobilières ou en vue de l’admission de valeurs mobilières à la négociation, Journal officiel des Communautés européennes, no L 345 du 31 décembre 2003, p. 64.76 La directive Transparence et la directive Prospectus ont été modifiées par la directive 2010/73/UE du 24  novembre 2010, Journal officiel des Communautés européennes, no  L  327 du 11 décembre 2010, p. 1.77 Directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21  avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition, Journal officiel de l’Union européenne, no L 142 du 30 avril 2004, p. 12.78 Directive 2006/46/CE du Parlement européen et du Conseil du 14  juin 2006 modifiant les directives du Conseil 78/660/CEE concernant les comptes annuels de certaines formes de sociétés, 83/349/CEE concernant les comptes consolidés, 86/635/CEE concernant les comptes annuels et les comptes consolidés des banques et autres établissements financiers, et 91/674/CEE concernant les comptes annuels et les comptes consolidés des entreprises d’assurance, déjà citée pour les établissements financiers (voy. supra, note 14).

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de gouvernement d’entreprise auquel la société est soumise, ou du code de gouvernement d’entreprise que la société a décidé d’appliquer volontairement, ou toutes les informations pertinentes relatives aux pratiques de gouverne-ment d’entreprise allant au-delà des exigences requises par le droit national. Et la directive de préciser 79 : « dans la mesure où une société, conformément à la législation nationale, déroge à un des codes de gouvernance d’entreprise [tels que visés ci-avant], la société indique les parties de ce code auxquelles elle déroge et les raisons de cette dérogation. Si la société a décidé de n’appli-quer aucune disposition d’un code de gouvernement d’entreprise [tel que visé ci-avant], elle en explique les raisons » 80. Cette directive a de la sorte consa-cré officiellement l’existence des codes de gouvernement d’entreprise, lesquels d’ailleurs reprennent souvent eux-mêmes la règle comply or explain.

36. Une autre initiative d’importance relève de la directive 2007/36/CE du 11  juillet 2007 sur l’exercice de certains droits des actionnaires 81 (ci-après la « directive Droits des actionnaires »), selon laquelle le contrôle effectif des actionnaires, préalable à un gouvernement d’entreprise sain, passe par l’exer-cice de leur droit de vote qui doit être garanti et facilité. L’objectif de ce texte est donc de rendre plus aisée la participation des actionnaires aux assemblées générales en renforçant la transparence et en facilitant l’exercice du droit de vote. Ce texte part du constat que « les détenteurs d’actions assorties de droit de vote devraient être en mesure de les exercer, car ces droits sont un élément du prix à payer pour acquérir les actions », et qu’« en outre, le contrôle effectif par les actionnaires est un préalable indispensable à un gouvernement d’entre-prise sain » 82. Ces droits doivent être garantis tant pour les actionnaires rési-dant dans l’État membre dans lequel la société a son siège social que pour les actionnaires qui n’y résident pas.

37. Le sujet continue de susciter l’attention des autorités européennes. Ainsi, le 5 avril 2011, la Commission européenne a lancé, sous la forme d’un Livre vert, une consultation publique sur les moyens d’améliorer la gouver-nance des entreprises européennes 83. Une synthèse des réponses a été publiée

79 Article 1er, 7), insérant un nouvel article 46bis dans la directive 78/660/CE.80 Nouvel article 46bis, 1. b) de la directive 78/660/CE.81 Journal officiel de l’Union européenne, no L 184 du 14 juillet 2007, p. 17.82 Considérant (3).83 Livre vert de la Commission européenne « Le cadre de la gouvernance d’entreprise dans l’Union européenne », 5 avril 2011, COM (2011) 164 final ; C. Malecki, « Éclairage – La synthèse des réponses du Livre Vert “Le cadre de la gouvernance d’entreprise dans l’UE” : la soft law et la self-regulation plébiscitées », Droit des sociétés, 2012, p. 94 ; I. Tchotourian, « Avis du CESE sur les Livres verts en matière de gouvernement d’entreprise : pour une consécration de la fonction sociale des entreprises », Bulletin Joly bourse, 2012, p.  58. Voy.  également le rapport du groupe

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le 15  novembre 2011 84. En réponse à cette consultation, la Commission a adopté le 12 décembre 2012 un nouveau plan d’action intitulé : « Droit euro-péen des sociétés et gouvernance d’entreprise – un cadre juridique moderne pour une plus grande implication des actionnaires et une meilleure viabilité des entreprises » (ci-après le « plan d’action du 12 décembre 2012 ») 85. Les seize nouvelles initiatives que la Commission compte prendre pour moderniser le cadre de la gouvernance d’entreprise et du droit des sociétés sont articulées selon trois lignes de force : accroître la transparence ; impliquer les action-naires ; soutenir la croissance des entreprises et leur compétitivité.

section 2

Les sources nationales

38. Le système idéal de corporate governance reposerait sur l’autorégulation ou l’autodiscipline : les sociétés se plieraient de l’intérieur à un certain nombre de préceptes de conduite destinés à instaurer un équilibre des pouvoirs au sein de l’entreprise. Il est vrai que les sociétés peuvent prévoir dans leurs statuts des dispositions visant à améliorer le corporate governance en leur sein. Des pactes d’actionnaires pourraient également être conclus en vue d’insérer des éléments accrus de bonne gouvernance. Des mécanismes contractuels, repo-sant sur le consentement des parties intéressées, peuvent donc être des véhi-cules de corporate governance.

39. Mais le droit national ne s’est pas contenté de ces initiatives indivi-duelles témoignant d’une gouvernance choisie. L’État est intervenu pour poser des règles impératives (sous-section 1), et l’opérateur de marché 86 a élaboré un code de bonne gouvernance (sous-section 2).

de réflexion sur l’avenir du droit des sociétés, présenté à Bruxelles le 5 avril 2011 (qui peut être consulté à l’adresse Internet suivante : http://ec.europa.eu/internal_market/company/docs/modern/reflectiongroup_report_en.pdf).84 European Commission, Feedback statement, summary of responses to the Commission green paper on the EU corporate governance framework, 15  novembre 2011, D(2011). Voy.  not. B.  Lecourt, « Gouvernement d’entreprise dans les sociétés cotées : publication des réponses apportées dans le cadre de la consultation publique », Revue des sociétés, 2012, p. 127. Voy. égale-ment la consultation lancée le 20 février 2012 : « Droit européen des sociétés : quelles pistes pour l’avenir ? » (communiqué de presse IP/12/149).85 COM  (2012) 740 final (et communiqué de presse IP/12/340). Voy.  le dossier collectif qui lui est consacré sous la direction d’I. Urbain-Parleani et de B.  Lecourt, « Réflexions collec-tives sur le nouveau plan d’action en droit européen des sociétés », Revue des sociétés, juillet-août 2013, p. 391 ; B. Lecourt, « Un nouveau plan d’action en droit européen des sociétés », Revue des sociétés, 2013, p. 121.86 Au sens de l’article 1er, 13) de la loi MiFID.

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sous-section 1

Dispositions législatives et réglementaires nationales

40. L’essentiel des dispositions de la loi sur les sociétés commerciales parti-cipe déjà de la doctrine de la bonne gouvernance des sociétés (§  2). Mais il convient d’abord de relever l’émergence d’un droit spécial des sociétés cotées, irrigué par le corporate governance (§ 1).

§ 1. L’émergence d’un droit des sociétés spécial, propre aux sociétés cotées

41. Un corps de règles a été progressivement et spécialement édicté pour les sociétés cotées. Les initiatives européennes ne sont bien entendu pas étran-gères à l’insertion de ces règles dans notre droit positif. Le législateur national a choisi d’intégrer ces normes dans des lois spéciales, non incluses dans la loi sur les sociétés commerciales. Leurs dispositions sont souvent fortement marquées de corporate governance.

42. Nous pouvons ainsi citer la loi du 11  janvier 2008 dite « loi Transpa-rence » 87, laquelle impose notamment que des informations précises, dénom-mées « informations réglementées », soient communiquées par l’émetteur de valeurs mobilières admises à la négociation sur un marché réglementé (ci-après l’« émetteur »). L’émetteur est soumis à une triple obligation relativement à ces informations réglementées : les publier « de sorte qu’il soit possible d’y accéder rapidement et selon des modalités non discriminatoires » 88 ; les mettre à dispo-sition et les stocker auprès d’un mécanisme officiellement désigné pour le stoc-kage centralisé des informations réglementées (Officially Appointed Mechanism, ou OAM) 89 ; et les déposer auprès de l’autorité compétente de l’État membre d’origine, soit la CSSF 90. La CSSF est dotée de pouvoirs pour veiller à l’applica-tion de la loi Transparence 91 qui sont comparables aux pouvoirs de surveillance et d’enquête qu’elle détient dans le cadre de la loi « Prospectus » 92, tout en étant

87 Loi du 11  janvier 2008 relative aux obligations de transparence concernant l’information sur les émetteurs dont les valeurs sont admises à la négociation sur un marché réglementé, telle que modifiée, qui transpose (avec un an de retard) la directive Transparence, voy.  supra, no 34. Voy.  not. Collectif, « Présentation de la loi du 11  janvier 2008 relative aux obligations de trans-parence sur les émetteurs de valeurs mobilières », JurisNews  – Regard sur le droit des sociétés, no 4-2008, p. 13.88 Article 20 (1), de la loi Transparence.89 La Bourse de Luxembourg a été désignée OAM par le règlement grand-ducal du 3 juillet 2008 relatif à la désignation officielle de mécanismes pour le stockage centralisé des informations régle-mentées au sens de la loi du 11 janvier 2008, Mémorial A, no 95, 9 juillet 2008, p. 1273.90 Selon l’article 22 de la loi Transparence.91 Article 22 de la loi Transparence.92 Loi du 10 juillet 2005 relative aux prospectus pour valeurs mobilières, telle que modifiée.

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plus étendus sur certains points (elle détient notamment le pouvoir de procé-der à la surveillance de l’application des normes comptables 93 des informations financières communiquées par l’émetteur 94).

43. L’introduction des normes comptables internationales 95 a d’ailleurs été l’occasion pour le législateur de prévoir l’obligation pour l’émetteur d’in-clure une déclaration sur le gouvernement d’entreprise dans son rapport de gestion 96, et d’expliquer les raisons de toute dérogation au code de gouverne-ment d’entreprise, conformément au principe comply or explain 97.

44. Notons que les informations réglementées au sens de la loi Transparence comprennent 98 celles que l’émetteur doit communiquer en vertu de l’article 6 de la directive 2003/6/CE du 28 janvier 2003 sur les opérations d’initiés et les manipulations de marché 99, c’est-à-dire les « informations privilégiées ». La loi du 9 mai 2006 relative aux abus de marché, telle que modifiée (ci-après la « loi Abus de marché ») 100, définit l’information privilégiée comme « une informa-tion à caractère précis, qui n’a pas été rendue publique, qui concerne, directe-ment ou indirectement, un ou plusieurs émetteurs d’instruments financiers, ou un ou plusieurs instruments financiers, et qui, si elle était rendue publique, serait susceptible d’influencer de façon sensible le cours des instruments finan-ciers concernés ou le cours d’instruments financiers qui leur sont liés » 101. Elle

93 Voy. not. la loi du 10 décembre 2010 relative à l’introduction des normes comptables inter-nationales pour les entreprises, modifiant la loi modifiée du 19  décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entre-prises, Mémorial A, no 225, 17 décembre 2010, p. 3634.94 L’article 22 (2), h) de la loi Transparence permet en effet à la CSSF « d’examiner si les informa-tions visées dans la présente loi sont établies conformément au cadre de présentation des infor-mations pertinent et à prendre les mesures appropriées si elle constate des irrégularités ».95 Par la loi précitée du 10 décembre 2010, voy. supra, note 93.96 Nouvel article  68bis de la loi du 19  décembre 2002 concernant le registre de commerce et des sociétés ainsi que la comptabilité et les comptes annuels des entreprises, telle que modifiée, ci-après la « loi RCS », et voy. supra, no 35, cet apport de la directive Gouvernement d’entreprise. Ces informations peuvent figurer dans un rapport distinct publié avec le rapport de gestion, ou une référence peut figurer dans le rapport de gestion indiquant l’adresse du site Internet de la société où un tel document est mis à la disposition du public (art. 68bis, 2. de la loi précitée).97 Voy. supra, no 35.98 Définition issue de l’article 1er, 10) de la loi Transparence.99 Journal officiel de l’Union européenne, no L 96 du 12 avril 2003, p. 16.100 Voy. not. S.  Jacoby et O. Poelmans, « La loi du 9 mai 2006 relative aux abus de marché », ACE, juin 2006, p. 26 ; L. Schummer, « MAD ou la tentative de lutter contre les abus de marché par la loi du 9 mai 2006 », Bulletin Droit et Banque, 2007, no 40, p. 7.101 Article  1er, 1) de la loi Abus de marché. Voy.  les apports à la notion par la CJUE, not. les décisions récentes : CJUE, 28 juin 2012, Markus Geltl c. Daimler AG, C-19/11 (et Ph.-E. Partsch, « Chronique de jurisprudence de droit bancaire et financier », Bulletin Droit et Banque, no  50, 2012, p. 123), et CJUE, 7 juillet 2011, IMC Securities BV, C-445/09.

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prohibe l’utilisation ou la mise en œuvre d’une information privilégiée (appe-lées communément les opérations d’initiés) et les manipulations de marché, dans le but d’assurer l’intégrité des marchés 102.

45. La loi du 24 mai 2011 concernant l’exercice de certains droits des action-naires aux assemblées générales des sociétés cotées, transposant la directive Droits des actionnaires 103 (ci-après la « loi Droits des actionnaires ») 104, est une autre illustration de la prise en considération du corporate governance par notre législation. Les droits des actionnaires d’une société de droit luxembour-geois dont les actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé établi ou opérant dans un État membre de l’Union européenne 105 sont renfor-cés par la consécration du principe d’égalité de traitement des actionnaires 106, par les informations qui doivent être communiquées en amont d’une assem-blée générale 107, et par le droit qui leur est attribué d’inscrire des points à l’ordre du jour de l’assemblée générale et de déposer des projets de résolution, dès lors qu’ils disposent, seuls ou ensemble, d’au moins 5 % du capital social d’une société 108. Le vote par procuration et le vote à distance sont facilités 109.

46. Nous pouvons encore évoquer la loi concernant les offres publiques d’acquisition (ou « OPA ») de titres d’une société cotée relevant d’un État membre de l’Union européenne ou de l’Espace économique européen 110, qui

102 L’objectif de la directive 2003/6/CE est d’assurer « le bon fonctionnement des marchés des valeurs mobilières et la confiance du public en ces marchés  [qui] sont des préalables indispen-sables à la croissance économique et à la prospérité » (considérant (2)).103 Voy. supra, no 36.104 Mémorial A, no 109, 27 mai 2011, p. 1708. Sur cette loi, voy. not. Collectif, « Le renforcement des droits des actionnaires de sociétés cotées : loi du 24 mai 2011 », JurisNews – Regard sur le droit des sociétés, 2011, no 6, p. 151 ; S. Henrard, « La convocation et le fonctionnement des assem-blées générales dans les sociétés cotées en bourse », ACE, 2013, no 3, p. 4 (« 1re partie : La convo-cation et les formalités avant l’assemblée ») et ACE, 2013, no 5, p. 9 (« 2e partie : Le déroulement et les formalités pendant et après l’assemblée »).105 Voy. le champ d’application de la loi Droits des actionnaires en son article 1er (1).106 Article 2 de la loi Droits des actionnaires.107 Article 3 de la loi Droits des actionnaires.108 Article 4 de la loi Droits des actionnaires.109 Articles 9 et 10 de la loi Droits des actionnaires.110 Loi du 19 mai 2006 portant transposition de la directive 2004/25/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 avril 2004 concernant les offres publiques d’acquisition, ci-après la « loi OPA », Mémorial A, no  86, 22  mai 2006, p.  1510. Sur cette loi, voy.  not. L.  Schummer et R.  Falconi, « Implementation of the European Takeover Directive in Luxembourg », in P.  Van Hooghten (dir.), The European Takeover Directive and its Implementation, Oxford, Oxford University Press, 2009 ; A. Schmitt, « Les offres publiques d’acquisition au Grand-Duché de Luxembourg (loi du 19 mai 2006) », Journal des tribunaux, 1er juillet 2006, p. 445.

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pose des « principes généraux » empreints de corporate governance 111, protège les actionnaires minoritaires 112, prévoit des obligations d’informations sur l’offre, et impose à l’organe d’administration ou de direction de la société d’éta-blir et de rendre « public un document contenant son avis motivé sur l’offre, notamment son avis quant aux répercussions de la mise en œuvre de l’offre sur l’ensemble des intérêts de la société et spécialement l’emploi » 113. Cette loi orga-nise des mécanismes de retrait obligatoire (squeeze out) et de rachat obligatoire (sell out) 114, lequel surtout protège les actionnaires minoritaires 115.

47. Ce droit spécial nous semble devoir cependant être d’interprétation stricte, et se référer implicitement, pour tout ce qu’il ne gouverne pas, au droit commun des sociétés anonymes, lequel comporte également des références au corporate governance.

§ 2. Le droit commun des sociétés, socle du corporate governance

48. La loi sur les sociétés commerciales comprend de nombreuses dispo-sitions qui témoignent du souci du législateur de promouvoir l’équilibre et l’équité au sein de la société, alors même que la doctrine du corporate gover-nance n’était pas encore au cœur des réflexions et des débats.

49. Ainsi, à titre d’exemples, la loi sur les sociétés commerciales veille à garantir l’égalité entre les associés 116, réglemente les conflits d’intérêts entre l’administrateur et la société 117, organise la responsabilité qu’encourent les administrateurs 118, prévoit la communication à l’assemblée générale ordinaire

111 Article 3 de la loi OPA.112 Article 5 de la loi OPA.113 Article 10 (5), de la loi OPA.114 Articles 15 et 16 de la loi OPA.115 Précisons qu’à la suite de l’affaire Bertelsmann (voy. supra, no 7 et note 23), a été votée la loi du 21  juillet 2012 relative au retrait obligatoire et au rachat obligatoire de titres de sociétés admis ou ayant été admis à la négociation sur un marché réglementé ou ayant fait l’objet d’une offre au public, Mémorial A, no 152, 27 juillet 2012, p. 1860. Sur cette loi, voy. not. D. Boone, JurisNews – Regard sur le droit des sociétés, no 6/2012, p. 191 ; E. Faraldo Talmon, A. Mehrshahi et J.-M. Schmit, « Présentation générale et réflexions sur la nouvelle loi du 21  juillet 2012 relative aux retrait et rachat obligatoires en dehors d’une offre publique d’acquisition », ACE, 2012/10, p. 3 ; A. Elvinger, « “Squeeze-out” et “Reverse squeeze out” », Bulletin Droit et Banque, novembre 2012, p. 21.116 Voy.  déjà F.  Laurent, Principes de droit civil, t.  26, 1877, section 246, p.  260. L’égalité est garantie pour les associés se situant exactement dans la même situation (voy.  J.-P.  Winandy, Manuel de droit des sociétés, 2e éd., Luxembourg, Legitech, 2011, p. 174, et l’affaire Bertelsmann évoquée supra, no 7 et note 23).117 Article 57 de la loi sur les sociétés commerciales.118 Article 59 de la loi sur les sociétés commerciales et infra, no 68.

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de la rémunération attribuée au délégué à la gestion journalière des affaires de la société 119, attribue aux actionnaires représentant le dixième du capital social le droit de requérir la convocation d’une assemblée générale 120, confère aux actionnaires représentant 20 % du capital social le droit de requérir, « dans des circonstances exceptionnelles », la nomination d’un ou plusieurs commis-saires ayant pour mission de vérifier les livres et comptes de la société 121, et fait supporter à la société des obligations d’information 122.

50. Le droit étatique n’est pas la seule source de droit national à poser des dispositions marquées de corporate governance. L’opérateur de marché s’est lui aussi préoccupé de la question et a, en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, élaboré un code de bonne gouvernance.

sous-section 2Le code national de corporate governance

51. La plupart des pays 123 se sont dotés de codes de gouvernement d’en-treprise 124 sur le modèle de celui d’abord apparu au Royaume-Uni 125. L’ini-tiative est d’ailleurs encouragée en Europe par la directive Gouvernement

119 Article 60, alinéa 4 de la loi sur les sociétés commerciales.120 Article 70 de la loi sur les sociétés commerciales.121 Article 154 de la loi sur les sociétés commerciales. Le projet de loi no 5730 portant moderni-sation de la loi sur les sociétés commerciales, déposé le 3 juillet 2007 (le « projet de loi no 5730 »), propose d’assouplir la mise en œuvre de ce droit en l’étendant aux actionnaires représentant au moins 10 % du capital de la société et en instaurant un mécanisme à deux niveaux.122 Par ex., article 73 de la loi sur les sociétés commerciales.123 Voy. not. pour la France, le code AFEP-MEDEF (élaboré par les organisations représentatives des entreprises), dont une version révisée a été publiée en juin 2013 (disponible sur le site internet du MEDEF : http://www.medef.com/fileadmin/www.medef.fr/documents/AFEP-MEDEF/Code_de_gouvernement_entreprises_Afep_Medef_juin_2013.pdf).Notons que cette version remaniée fait notamment suite à la demande du ministre de l’Économie et des Finances d’une « auto-régulation exigeante » en matière d’encadrement de la rémunération des dirigeants, condition posée à l’absence d’une intervention législative en la matière. Deux prin-cipales innovations sont à noter : l’introduction de la règle say on pay, c’est-à-dire la soumission au vote des actionnaires des rémunérations perçues par les mandataires sociaux ; « la création d’un gendarme de la gouvernance, le Haut comité de gouvernement d’entreprise » (X. Delpech, « Gouvernement d’entreprise : publication de la version révisée du code AFEP-MEDEF », Recueil Dalloz, 2013, p. 1545).Voy. not. pour la Belgique, le Code belge de gouvernance d’entreprise 2009 (ou Code Daems) [dispo-nible sur : http://www.corporategovernancecommittee.be/library/documents/final%20code/Corpo-rateGovFRCode2009.pdf], qui fait suite au Code Lippens (2004).Pour le Grand-Duché de Luxembourg, voy. également le Code of conduct for Luxembourg invest-ment funds, publié par l’ALFI, Association luxembourgeoise des fonds d’investissement.124 Voy.  l’impressionnante liste recensée par l’European Corporate Governance Institute sur son site Internet : http://www.ecgi.org.125 Voy. supra, no 3 et note 10.

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d’entreprise 126 qui leur a conféré une existence officielle. Un code de référence est ainsi adopté par un pays, qui recense les comportements de bonne gouver-nance élaborés à partir de la pratique, applicables aux sociétés cotées sur son marché réglementé.

52. Le Grand-Duché de Luxembourg a été pourvu d’un tel code grâce à l’ini-tiative de la Bourse de Luxembourg 127, laquelle a défini en 2006 les « X Prin-cipes de gouvernance d’entreprise de la Bourse de Luxembourg » (ci-après les « X Principes »). Entrés en vigueur au 1er janvier 2007, remaniés une première fois en octobre 2009 128, les X Principes viennent de connaître une seconde révision en mars 2013 129, entrée en vigueur le 1er  mai 2013. Ils sont appli-cables « aux sociétés de droit luxembourgeois dont les actions sont cotées sur un marché réglementé opéré par la Bourse de Luxembourg, à l’exception des SICAV et OPC réglementés, qui sont soumis à une réglementation spécifique », mais « peuvent utilement servir de cadre de référence pour toutes les sociétés de droit luxembourgeois, ou de droit non luxembourgeois, y compris les socié-tés de droit luxembourgeois ayant demandé l’admission de leurs actions sur un marché réglementé étranger » 130.

53. Selon la Bourse de Luxembourg, « une bonne gouvernance fait partie intégrante de la culture de l’entreprise, reflète les valeurs d’intégrité et de responsabilité, et repose sur la transparence des processus de décision et le respect des intérêts des actionnaires et de toutes les autres parties prenantes (“stakeholders”), à savoir les régulateurs, les employés, les fournisseurs, les clients et la société civile plus généralement » 131.

54. Les X Principes sont à lire de manière complémentaire à la législation luxembourgeoise à laquelle ils ne peuvent déroger. Ils comprennent trois sortes de règles. Les « principes », premier corps de règles, sont dits « obli-

126 Voy. supra, no 35.127 Créée en 1928 sous forme d’une société anonyme, la Société de la Bourse de Luxembourg opère deux marchés : un marché réglementé au sens de la législation européenne, la Bourse de Luxembourg, et le marché alternatif lancé en 2005 dénommé « Euro MTF », système de négocia-tion multilatéral. En tant qu’opérateur de marché, la Bourse de Luxembourg doit effectuer tous actes afférents à l’organisation et à l’exploitation du marché réglementé (art. 3 (7) de la loi MiFID).128 Sur la 2e version, voy. Collectif, « La gouvernance d’entreprise au Luxembourg », JurisNews – Regard sur le droit des sociétés, 2009, no 10, p. 85.129 Bourse de Luxembourg, Gouvernance d’entreprise. Les X Principes de gouvernance d’entre-prise de la Bourse de Luxembourg, 3e édition – version révisée, mars 2013 (disponible sur le site Internet de la Bourse de Luxembourg : http://www.bourse.lu/gouvernance-entreprise).130 Ibid., p. 10.131 Ibid., p. 6.

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gatoires sans exception » 132 : « Toutes les sociétés luxembourgeoises dont les actions sont admises à la négociation sur un marché réglementé opéré par la Bourse de Luxembourg […] doivent donc les appliquer sans exception » 133. Ils sont mis en pratique, de façon non exhaustive, par des « recommanda-tions » pour lesquelles il est laissé aux entreprises une liberté d’appréciation : une société peut ne pas appliquer une recommandation, mais doit expliquer les raisons de sa dérogation, conformément au principe « comply or explain ». « Dans ce cas, les sociétés doivent déterminer les règles les plus adaptées à leur situation spécifique et fournir une explication à cet effet dans la déclaration sur la gouvernance d’entreprise de leur rapport annuel » 134. Enfin, le troisième corps de règles est constitué par des « lignes de conduite », indicatives mais non contraignantes.

55. La transparence est considérée par les X Principes comme essentielle. La publication des informations sur la gouvernance d’entreprise est prévue dans deux documents : la déclaration sur la gouvernance d’entreprise du rapport annuel peut être complétée par une charte de gouvernance d’entre-prise publiée sur le site Internet de la société 135.

56. Le conseil d’administration est au cœur de la bonne gouvernance au sens des X Principes. « Le conseil d’administration est en charge de la gestion de la société. Il agit comme organe collégial dans l’intérêt social et sert l’ensemble des actionnaires en veillant à assurer la réussite à long terme de la société » 136.

57. La règle « comply or explain », retenue pour la flexibilité du système, a cependant montré ses limites. Fondée sur une déclaration unilatérale de la société, la règle a pu n’être appliquée qu’en apparence par certaines sociétés. Si le principe demeure applicable aux recommandations et qu’il reste donc possible à la société de s’en écarter si elle justifie pouvoir satisfaire le principe sous-jacent par un autre moyen, les explications insuffisantes sont combat-

132 Les X Principes, Avant-propos d’A. Georges, p. 4. Voy.  la différence avec l’avant-propos de la 2e  version dans laquelle le même auteur affirmait que « ces règles doivent guider, sans trop contraindre ». Si la Bourse de Luxembourg ne peut prononcer aucune sanction au cas où les X Principes ne seraient pas respectés, elle pourra intervenir de manière indirecte sur le marché, notamment par la publication des rapports périodiques sur les pratiques de gouvernance. Elle peut également inviter une société à s’expliquer auprès de la Bourse sur toute omission ou excep-tion non justifiée. Bien entendu, dès que les X Principes reprennent des obligations imposées par la législation ou la réglementation en vigueur, les sanctions y prévues sont applicables, en ce compris les prérogatives de la CSSF.133 Les X Principes, Préambule, p. 7.134 Ibid., p. 7.135 Recommandations 1.4 à 1.7.136 Principe 2 – Mission du conseil d’administration.

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tues, et l’amélioration de la qualité des explications fournies est sollicitée dans la dernière version des X Principes 137.

58. Des rapports sont élaborés par la Bourse de Luxembourg en vue de véri-fier l’application pratique des X Principes 138. Chacun des X Principes est étudié à l’aune des informations publiées par un panel de sociétés. Les pratiques sont étudiées sur une base anonyme, ce qui limite l’effet réprobateur que peuvent entraîner certaines critiques adressées par la Bourse de Luxembourg.

59. Notons encore la création en avril 2005 de l’Institut Luxembourgeois des Administrateurs (ou ILA), association dont le but est d’aider et d’accompa-gner les administrateurs dans l’exercice de leur fonction 139, et la naissance, en mai 2009, du Luxembourg Institute for Global Financial Integrity, organisme privé et indépendant, en charge de s’occuper de toutes les questions touchant à l’intégrité du secteur financier mondial et à la responsabilité sociale de toutes les parties prenantes 140.

60. Ces sources diversifiées posent des instruments de bonne gouvernance qu’il appartiendra à la société de mettre en œuvre.

chapitre 2

Les instruments de bonne gouvernance

61. Tous les organes de la société sont concernés par le corporate governance. Du fait que l’objectif poursuivi est la création de valeur pour le profit de tous 141, il convient d’abord de renforcer la position et le rôle des administrateurs réunis en conseil d’administration, lesquels doivent disposer d’outils leur permettant d’assurer leur rôle de dépositaires de l’intérêt social (section 1). Le corporate governance postule ensuite la loyauté et la diligence des dirigeants (section 2). Enfin, les actionnaires, dont les intérêts doivent être protégés, doivent pouvoir exercer leurs droits en bénéficiant d’une transparence accrue par la trans-

137 Ibid., Avant-propos, p. 3. Le Luxembourg s’est engagé sur cette voie alors même que le plan d’action du 12 décembre 2012 (p. 7) annonce que « la Commission prendra en 2013 une initiative, sous forme éventuellement d’une recommandation, visant à améliorer la qualité de l’information sur la gouvernance d’entreprise et, en particulier, la qualité des explications à fournir par les entre-prises qui s’écartent des codes en la matière » ; I. Urbain-Parleani, « L’amélioration de l’informa-tion sur la gouvernance des entreprises », in « Réflexions collectives sur le nouveau plan d’action en droit européen des sociétés », op. cit., p. 393.138 Disponibles sur le site Internet de la Bourse de Luxembourg : http://www.bourse.lu/gouver-nance-entreprise.139 Pour plus d’informations, voy. le site Internet : http://www.ila.lu/.140 Pour plus d’informations, voy. le site Internet : http://www.ligfi.org.141 Voy. supra, no 17.

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mission des informations portant sur toutes les décisions importantes de la société, en particulier sur les rémunérations des dirigeants (section 3).

section 1Le conseil d’administration et le corporate governance

62. Nous débutons l’exposé des instruments de corporate governance par le conseil d’administration du fait de sa position centrale dans la société. Sa composition (sous-section 2) ainsi que son fonctionnement (sous-section 3) doivent en effet garantir qu’il soit en mesure d’exercer l’étendue des missions qui lui sont dévolues (sous-section 1).

sous-section 1Missions du conseil d’administration

63. L’universalité des compétences du conseil d’administration (§  1) n’est malheureusement pas en relation adéquate avec le régime de responsabilité des administrateurs (§  2), preuve que le corporate governance en la matière pourrait encore être amélioré.

§ 1. Universalité des compétences du conseil

64. Le conseil d’administration est au sens du droit des sociétés l’organe qui « a le pouvoir d’accomplir tous les actes nécessaires ou utiles à la réalisation de l’objet social, à l’exception de ceux que la loi ou les statuts réservent à l’assem-blée générale » 142. Le conseil d’administration dispose donc de la plénitude des pouvoirs et de la compétence résiduelle. Traduits en termes de corporate governance, ces pouvoirs emportent pour le conseil d’administration la charge de la gestion de la société, de la détermination des orientations stratégiques de l’activité sociale et du contrôle de leur mise en œuvre effective par les diri-geants 143 (qu’il a le pouvoir de nommer) 144. Le conseil d’administration est le garant de l’intérêt social entendu dans le sens de la création de valeur.

142 Article 53, alinéa 1er de la loi sur les sociétés commerciales. Voy. également le principe 2 issu des X Principes.143 En théorie, le conseil d’administration dispose des pouvoirs d’agir lui-même pour représenter la société à l’égard des tiers (art.  53, al. 3 de la loi sur les sociétés commerciales). En pratique, il délègue cette fonction de représentation, comme le permet l’article 53, alinéa 5. De même, la gestion journalière des affaires de la société, ainsi que la représentation de la société en ce qui concerne cette gestion, sont déléguées, conformément à l’article 60.144 Voy. le principe 7 issu des X Principes : « Le conseil d’administration met en place une struc-ture de direction efficace. Il définit de façon claire les attributions et les devoirs de la direction et lui délègue les pouvoirs nécessaires au bon accomplissement de ceux-ci. » Voy.  également l’ar-ticle 64 (2) de la loi sur les sociétés commerciales et le choix d’un président.

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65. Malgré la généralité de la formule légale, le conseil d’administration n’est pas omnipotent. Il connaît des limitations à ses pouvoirs, conformément aux principes de corporate governance. D’une part, en vertu du principe de la spécialisation des organes sociaux, il ne peut empiéter sur les pouvoirs expres-sément attribués aux assemblées 145. D’autre part, il ne saurait agir en dehors de l’objet social ou au-delà des limitations statutaires qui lui ont été assignées sans engager sa responsabilité (encore que pour protéger les tiers de bonne foi, les actes du conseil qui ne relèvent pas de l’objet social engagent la société, à moins qu’elle ne prouve que le tiers savait ou ne pouvait ignorer que le conseil d’administration n’avait pas compétence pour agir) 146.

66. Notons qu’en plus de ce pouvoir général de gestion, des attributions particulières, importantes au regard du corporate governance, sont dévolues par la loi au conseil d’administration, telles que l’établissement des comptes annuels 147 ou la convocation de l’assemblée générale annuelle 148.

§ 2. Sanctions contre les administrateurs non diligents

67. En tant que mandataires 149 de la société, les administrateurs doivent agir avec loyauté, diligence, bonne foi et compétence. Leur passivité pourra leur être reprochée, de même que leur défaut de surveillance de la direction. Le conseil d’administration doit aussi s’auto-évaluer, c’est-à-dire évaluer lui-même sa capacité à répondre aux attentes des actionnaires qui lui ont donné mandat, en passant en revue périodiquement sa composition, son organisation et son fonctionnement 150.

68. La loi permet de sanctionner l’administrateur non diligent ou non performant par le biais de sa révocabilité ad nutum 151, c’est-à-dire immédiate, sans préavis et sans avoir à alléguer de justes motifs. Elle organise également le régime de responsabilité qu’encourent les administrateurs, et notamment leur responsabilité contractuelle vis-à-vis de la société et des associés en ouvrant l’action sociale à la société 152, mais en continuant de la fermer à l’actionnaire

145 Voy. articles 67 et suivants de la loi sur les sociétés commerciales.146 Article 60bis de la loi sur les sociétés commerciales.147 Article 72, alinéa 2 de la loi sur les sociétés commerciales.148 Article 70, alinéa 2 de la loi sur les sociétés commerciales.149 Article 50 de la loi sur les sociétés commerciales.150 Voy. principe 6 issu des X Principes : « Le conseil d’administration évalue régulièrement son mode de fonctionnement et ses relations avec la direction ».151 Article 51, alinéa 4 de la loi sur les sociétés commerciales, considéré comme d’ordre public.152 Article 59 de la loi sur les sociétés commerciales qui dispose que « les administrateurs sont responsables envers la société […] ».

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agissant de manière individuelle 153. Certes, il appartiendra à l’assemblée géné-rale de décider d’exercer l’action sociale 154, mais du fait que les administra-teurs sont souvent issus de la majorité, voire détiennent la majorité du capi-tal social, l’exercice de l’action se révélera bien souvent illusoire. L’action ut singuli ouverte à l’actionnaire renforcerait donc le corporate governance, ce que prévoit d’introduire le projet de loi no 5730 155.

sous-section 2

Composition du conseil d’administration

69. La nomination d’administrateurs compétents, engagés, provenant d’horizons divers (§ 1), et fournissant pour au moins certains d’entre eux des garanties d’indépendance (§ 2), est encouragée par le corporate governance.

§ 1. Des administrateurs compétents, engagés, aux horizons divers

70. La loi sur les sociétés commerciales est peu loquace sur le sujet. Elle prévoit seulement le caractère collégial de l’organe, déjà gage de corpo-rate governance, en prescrivant un nombre minimum d’administrateurs 156, membres du conseil d’administration, élus par l’assemblée générale des actionnaires 157. La durée de leur mandat est limitée 158. La loi ne réserve pas la fonction d’administrateur aux actionnaires, de sorte que des tiers peuvent accéder à la fonction. La composition du conseil d’administration constitue également un des X Principes de la Bourse de Luxembourg. Selon le Principe 3, « le conseil d’administration est composé de personnes compétentes, intègres et avisées. Le choix de celles-ci est fait en tenant compte des spécificités de la

153 L’action ut singuli ou action sociale exercée à titre individuel par un associé est irrecevable (Trib. arr. Luxembourg, 10 août 1891, Pasicrisie, t. 3, p. 537). Voy. J.-P. Winandy, Manuel de droit des sociétés, op. cit., p. 541. L’action individuelle de l’associé lui-même sera par contre admise s’il prouve avoir subi un « préjudice individuel réparable » entendu comme « celui qui affecte direc-tement le patrimoine de l’actionnaire sans impliquer en même temps une atteinte au patrimoine social ou un appauvrissement de ce dernier » (Trib. arr. Luxembourg, 4  mars 2010, nos  309/10 et 312/10).154 Article 63 de la loi sur les sociétés commerciales.155 Projet de loi no  5730, prévoyant d’inclure un nouvel article  63bis au sein de la loi sur les sociétés commerciales ouvrant l’« action minoritaire » à « un ou plusieurs actionnaires […] possédant, à l’assemblée générale qui s’est prononcée sur la décharge, des titres ayant le droit de voter à cette assemblée représentant au moins 1 % des voix attachées à l’ensemble des titres ». Voy. Collectif, « Les droits des actionnaires d’une société anonyme à la lumière du projet de loi 5730 », JurisNews – Regard sur le droit des sociétés, 2009, no 3, p. 57, not. p. 60.156 Trois, selon son article 51.157 Article 51, alinéa 3 de la loi sur les sociétés commerciales.158 Six ans maximum, selon l’article 51, alinéa 4, leur réélection étant possible selon l’article 52.

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société » 159. Chaque administrateur doit être suffisamment engagé et dispo-nible : un cumul limité de mandats est un facteur de bonne gouvernance 160. Les administrateurs doivent être des personnes qualifiées 161, aptes à exer-cer les pouvoirs qui leur sont confiés. Des critères de diversité « notamment liés à l’expérience professionnelle, l’origine géographique et la représentation appropriée des deux sexes » 162 devraient présider à leur nomination et à leur renouvellement. La mixité, voire la parité entre hommes et femmes au sein du conseil d’administration, est ainsi encouragée 163. Notons que la situation au regard de la mixité « ne progresse que très lentement » 164. Comme annoncé par le plan d’action du 12 décembre 2012, une proposition de directive a été adoptée le 16 avril 2013 dans le but de renforcer les obligations déclaratives concernant cette politique de diversification 165.

§ 2. Un nombre suffisant d’administrateurs indépendants

71. L’indépendance des administrateurs est au cœur de la doctrine du corporate governance, mais la difficulté réside dans la définition des critères de l’objectivité. Selon la Bourse de Luxembourg, « les administrateurs non exécu-tifs et ceux qui ont la qualité d’indépendant forment idéalement la majorité du conseil d’administration » 166. La recommandation 2005/162/CE encourage la présence de personnes indépendantes dans le conseil d’administration du fait qu’elles seraient « capables de contester les décisions de la direction » 167. La

159 La recommandation 3.3  conseille un nombre limité d’administrateurs (« Pour assurer une délibération et une prise de décision efficaces, le nombre des administrateurs doit rester limité. »), que la ligne de conduite fixe à 16 comme « maximum raisonnable ».160 Voy.  la recommandation 2005/162/CE, considérant (17) et article  12 ; voy.  également la recommandation 5.6 issue des X Principes.161 Recommandation 2005/162/CE, considérant (16) et article 11.162 Recommandation 4.1 issue des X Principes.163 Voy.  la proposition de directive du Parlement européen et du Conseil relative à un meilleur équilibre hommes-femmes parmi les administrateurs non exécutifs des sociétés cotées en bourse et à des mesures connexes du 14 novembre 2012, COM (2012) 614 final et J. Redenius-Hoever-mann, « Améliorer l’équilibre hommes-femmes parmi les administrateurs des sociétés cotées en bourse ? », Journal de droit européen, 2013, p. 94.164 I. Urbain-Parleani, « La publication de la politique de diversification des conseils d’admi-nistration et de surveillance et la gestion des risques non financiers », in « Réflexions collectives sur le nouveau plan d’action en droit européen des sociétés », op. cit., p. 395, not. p. 396.165 Plan d’action du 12  décembre 2012, p.  6, et proposition de directive du Parlement et du Conseil modifiant les directives 78/660/CEE et 83/349/CEE en ce qui concerne la publication d’informations non financières et d’informations relatives à la diversité par certaines grandes sociétés et grands groupes, COM (2013) 207 final.166 Les X Principes, Préambule, p. 9.167 Considérant (7).

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recommandation 3.5 issue des X Principes s’inspire de la définition de l’indé-pendance qui avait été posée par la recommandation 2005/162/CE 168 : « Pour être considéré comme indépendant, un administrateur doit être libre de toute relation d’affaires importante avec la société, de tout lien de proche parenté avec les membres de la direction, ou de toute autre relation avec la société, ses actionnaires de contrôle ou les membres de la direction, de nature à affecter l’indépendance de jugement de cet administrateur » 169.

72. L’administrateur référent ou senior independent director 170 fait son entrée dans la dernière version des X Principes : « Les administrateurs non exécutifs choisissent parmi les administrateurs indépendants un administra-teur indépendant senior. Il présidera les comités de nomination et de rému-nération. L’administrateur indépendant senior est chargé particulièrement de veiller au strict respect des règles de bonne gouvernance et de l’application rigoureuse des X Principes. Il sera l’interlocuteur privilégié du président du conseil d’administration pour ces domaines » 171.

sous-section 3

Fonctionnement du conseil d’administration

73. Organe collégial, le conseil d’administration doit être en mesure, grâce aux informations qui lui sont transmises, d’exercer les tâches qui lui incombent (§ 1). Il peut se faire assister, dans l’exercice de sa mission, par des conseils et comités (§ 2). Il doit veiller en tout état de cause à prévenir et gérer tout conflit d’intérêts (§ 3).

§ 1. Un organe collégial

74. Le droit luxembourgeois a choisi la voie de la gestion collégiale de la société anonyme. Les intérêts des actionnaires sont présumés être mieux garantis par une gestion collective par laquelle tous les administrateurs sont placés sur un pied d’égalité et doivent agir ensemble. Les administrateurs forment ainsi « des collèges qui délibèrent » 172 sur tous les points importants de la gestion sociale. La gestion collégiale participe du corporate governance,

168 Article 13 de la recommandation 2005/162/CE.169 Voy. également les critères d’indépendance fixés à l’annexe D des X Principes.170 Sur cette notion, voy.  F.  Basdevant, « L’administrateur référent : un nouvel acteur dans le gouvernement d’entreprise », Revue trimestrielle de droit financier, 2010, p. 85.171 Ligne de conduite sous la recommandation 1.3 ; voy. également la ligne de conduite 2 sous la recommandation 7.4.172 Article 64 (1) de la loi sur les sociétés commerciales.

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puisque contrairement à une gestion individuelle, elle permettra de mettre en place des contrôles mutuels des administrateurs, et d’éviter l’omnipotence d’une personne qui serait seule en charge de la direction. Le conseil d’admi-nistration doit se réunir périodiquement, et autant que de besoin. Les délibé-rations pourront être prises après que les administrateurs auront débattu et échangé leurs points de vue. Chaque administrateur se voit reconnaître un droit individuel à l’information 173. Une information pertinente communi-quée en temps utile aux administrateurs est primordiale pour leur permettre de prendre des décisions éclairées 174. Cette information est protégée par un devoir de confidentialité 175.

§ 2. L’assistance du conseil d’administration par les conseils et comités

75. Il est bienvenu que les séances plénières du conseil d’administration soient préparées par des « comités spécialisés ayant pour mission de procéder à l’examen des questions spécifiques qu’il détermine afin de le conseiller à ce sujet » 176. Par application du principe de collégialité, la prise de décision demeure sous la responsabilité exclusive du conseil d’administration 177, les comités ne se voyant confier que des attributions consultatives 178.

76. Inspirée de la pratique américaine, la mise en place de trois comités à constituer parmi les membres du conseil d’administration est généralement conseillée 179. Le comité d’audit 180 est chargé d’assister le conseil d’administra-tion « dans l’exercice de ses responsabilités en matière de reporting financier, de contrôle interne et de gestion des risques » 181, et notamment de l’aider « à contrôler la fiabilité et l’intégrité de l’information financière donnée par la société » 182. La mise en place d’une fonction d’audit interne est préconisée, qui

173 Article 64 (4) de la loi sur les sociétés commerciales.174 Voy. également la recommandation 3.8 issue des X Principes.175 Article 66 de la loi sur les sociétés commerciales. À rapprocher de l’information privilégiée, protégée par la loi Abus de marché (voy. supra, no 44).176 Principe 3, alinéa 2,  issu des X Principes : « Le conseil d’administration veille à instaurer les comités spécialisés nécessaires au bon accomplissement de sa mission. », et la recommanda-tion 3.9.177 Recommandation 3.9 précitée ; recommandation 2005/162/CE, considérant (10) et article 6.178 L’auto-évaluation régulière de ces comités est souvent préconisée.179 Voy. par ex. la recommandation 2005/162/CE, article 6.180 Selon la recommandation 9.3 issue des X Principes, il devrait être composé exclusivement d’administrateurs non exécutifs dont au moins la moitié serait des administrateurs indépendants.181 Recommandation 9.1 issue des X Principes.182 Recommandation 9.8 issue des X Principes.

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peut être confiée à un expert externe 183. Le comité de nomination 184 assiste le conseil d’administration dans la sélection des administrateurs 185. Il n’a qu’un rôle d’étude et de proposition des candidats, et ne détient aucun pouvoir de décision. Le comité de rémunération 186 assiste le conseil d’administration « dans la détermination de la politique de rémunération des administrateurs et des membres de la direction » 187. Nous verrons que la question des rémuné-rations est au cœur des débats actuels du corporate governance 188.

§ 3. La réglementation des conflits d’intérêts

77. La loi sur les sociétés commerciales comprend déjà des dispositions régissant les conflits d’intérêts pouvant survenir entre un administrateur et la société. D’une part, elle interdit à une société d’avancer des fonds, d’accor-der des prêts ou de donner des sûretés en vue de l’acquisition de ses actions par un administrateur 189. D’autre part, elle 190 soumet les opérations 191 dans lesquelles un administrateur a un intérêt opposé à celui de la société à des règles d’information et de procédure 192. Ces règles sont issues du principe général selon lequel les administrateurs doivent agir avec probité et loyauté 193.

78. Les lois spéciales ont elles aussi fait application de ces préceptes. La loi Transparence prescrit aux émetteurs d’actions ou de titres de créances dont le Luxembourg est l’État membre d’origine 194 de publier au sein de leur rapport

183 Recommandation 9.10 issue des X Principes.184 Selon la recommandation 4.3 issue des X Principes, il « est composé d’une majorité d’admi-nistrateurs non exécutifs » et « contient un nombre approprié d’administrateurs indépendants ».185 Recommandations 4.2 à 4.8 issues des X Principes.186 Composé exclusivement d’administrateurs non exécutifs et comprenant un nombre approprié d’administrateurs indépendants selon la recommandation 8.8 issue des X Principes. Voy.  égale-ment la recommandation 2005/162/CE, article 8.187 Recommandation 8.7 issue des X Principes ; voy.  également la ligne de conduite 1 sous la recommandation 7.4.188 Voy. infra, nos 83 et s.189 Et plus généralement par tout tiers : article 49-6 de la loi sur les sociétés commerciales.190 Article 57 de la loi sur les sociétés commerciales.191 En dehors des « opérations courantes et conclues dans des conditions normales » (art. 57, al. 4 de la loi sur les sociétés commerciales).192 Le projet de loi no 5730 prévoit de moderniser la procédure instaurée par l’article 60.193 Voy. également le principe 5 issu des X Principes (remanié dans la version de 2013), et not. la recommandation 5.7.194 Au sens de l’article 1er, 9) de la loi Transparence.

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de gestion intermédiaire les « principales transactions entre parties liées » 195. Encore faut-il qu’il s’agisse de transactions qui puissent être qualifiées de « principales », ce qui ouvre à l’émetteur une marge d’appréciation. Le règle-ment grand-ducal du 11 janvier 2008 relatif aux obligations de transparence sur les émetteurs de valeurs mobilières 196 précise que les principales transac-tions entre parties liées doivent au moins comprendre celles qui « ont eu lieu durant les six premiers mois de l’exercice en cours et ont influé significative-ment sur la situation financière ou les résultats de l’entreprise ». Le plan d’ac-tion du 12 décembre 2012 compte étendre le droit de regard des actionnaires sur ces transactions 197.

79. La loi Abus de marché impose encore à toutes les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes au sein d’un émetteur ayant son siège statu-taire au Luxembourg, et à toutes personnes ayant un lien étroit avec elles, de déclarer à la CSSF et à l’émetteur, dans les cinq jours ouvrables de la conclu-sion de l’opération, « toutes les opérations effectuées pour leur propre compte et portant sur des actions de l’émetteur admises à la négociation d’un marché réglementé, ou sur des instruments dérivés ou d’autres instruments financiers liés à ces actions » 198. Cette disposition nous amène à nous pencher sur les règles régissant la direction de la société pour prouver que bon nombre d’entre elles témoignent également de l’influence du corporate governance.

section 2

La direction et le corporate governance

80. Une bonne gouvernance d’entreprise impose que le dirigeant puisse justifier de son honorabilité et de sa qualification professionnelle 199. Elle encourage également la dissociation des fonctions de dirigeants executive et de dirigeants non executive, pour éviter la concentration des pouvoirs en une main unique (§ 1). Une question largement débattue aujourd’hui concerne les rémunérations managériales (§ 2).

195 Article  4 (4) de la loi Transparence. Définies par le règlement (UE) no  632/2010, de la Commission du 19 juillet 2010 (Journal Officiel de l’Union européenne, no L 186 du 20 juillet 2010, p. 1), les transactions entre parties liées comportent incontestablement un risque de conflit d’inté-rêts.196 Mémorial A, no 5, 15 janvier 2008, p. 58 (le « règlement Transparence »), article 5 (1).197 Plan d’action du 12 décembre 2012, p. 10.198 Article 17, 1. de la loi Abus de marché. Voy. également la recommandation 5.5 issue des X Principes.199 Loi du 2 septembre 2011 réglementant l’accès aux professions d’artisan, de commerçant, d’in-dustriel ainsi qu’à certaines professions libérales. Mémorial A, no 198, 22 septembre 2011, p. 3601.

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sous-section 1

La dissociation des dirigeants executive et des dirigeants non executive

81. La recommandation 1.3 issue des X Principes est particulièrement claire à ce sujet : « Le pouvoir exécutif de la gestion de la société est confié à une direction présidée par une personne distincte du président du conseil d’admi-nistration. Le conseil d’administration établit une claire distinction entre les devoirs et responsabilités de son président et du président de la direction et l’arrête par écrit » 200. Une gouvernance d’entreprise saine postule donc l’exis-tence d’un contre-pouvoir au sein du conseil d’administration 201.

82. Même si en théorie, le conseil d’administration est en charge de la gestion de la société, dans les faits, il procède à la délégation de la gestion journalière des affaires de la société, comme le lui permet la loi 202. Ce n’est pas le président qui en droit luxembourgeois 203 est chargé de la direction de la société 204, mais le délégué à la gestion journalière, ou le comité de direc-tion si plusieurs personnes sont mandatées à cet effet 205. Les vœux du corpo-rate governance sont donc respectés : la dualité des pouvoirs est assurée par le binôme conseil d’administration/délégué à la gestion journalière 206.

sous-section 2

La difficile question des rémunérations managériales

83. La loi sur les sociétés commerciales prévoit que lorsque la délégation de la gestion journalière est confiée à un administrateur, le conseil d’ad-ministration a « l’obligation de rendre annuellement compte à l’assemblée générale ordinaire des traitements, émoluments et avantages quelconques alloués au délégué » 207. Elle est sinon peu diserte sur le sujet des rémuné-

200 Voy. également la recommandation 3.4.201 Voy. également la recommandation 2005/162/CE, considérant (8), et ses articles 3.1 et 3.2.202 Article 60 de la loi sur les sociétés commerciales.203 Contrairement au droit français par exemple.204 Voy. son rôle limité prévu par l’article 64 de la loi sur les sociétés commerciales.205 L’article  60 de la loi sur les sociétés commerciales permet la délégation « à un ou plusieurs administrateurs, directeurs, gérants et autres agents, associés ou non, agissant seuls ou conjointe-ment ». Voy. également le projet de loi no 5730 qui, au sein d’un nouvel article 60-1 de la loi sur les sociétés commerciales, reconnaît officiellement l’existence de ces comités de direction.206 Il est vrai que la situation est moins claire lorsque c’est un administrateur qui est délégué à la gestion journalière : le cumul de mandats rend sa situation moins nette par rapport à l’interven-tion d’un tiers dans la gestion journalière de la société.207 Article 60, alinéa 4 de la loi sur les sociétés commerciales.

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rations 208, alors qu’« aujourd’hui, les rémunérations managériales comptent parmi les sujets les plus passionnels du droit des sociétés. Les montants exorbitants alloués à certains managers ont indigné l’opinion publique, dans un contexte où la sobriété est devenue le leitmotiv d’une économie en plein questionnement » 209.

84. Une bonne gouvernance 210 cherche à ce que soit explicitée la politique de rémunération des dirigeants et que soit dévoilée la rémunération indivi-duelle de chaque administrateur. La rémunération des dirigeants devrait être soumise au vote des actionnaires 211, « promouvoir la viabilité à long terme de la société et garantir une rémunération basée sur les performances » 212. Les abus constatés ont placé dans le viseur la composante variable de la rému-nération 213 (surtout du fait des prises de risque qu’elle peut engendrer) et les indemnités de licenciement ou de rupture amiable du contrat ou « parachutes dorés » 214.

208 Voy. également son article 337, 12) sur le montant des rémunérations des administrateurs à indiquer dans des comptes consolidés. Voy. encore l’article 65, 12° de la loi RCS et l’obligation de mentionner dans l’annexe aux comptes annuels les sommes perçues par les membres des conseils d’administration à raison de leurs fonctions.209 A. Autenne et L. Culot, « La normalisation des pratiques de rémunération managériales : la réglementation récente et ses enjeux », in Y. de Cordt et A.-P.  Dumont (coord.), Droit des sociétés  – Millésime 2011, Bruxelles, Larcier, 2011, p.  119 ; voy.  également en droit belge, Th. L’Homme et L.  Culot, « L’encadrement de la rémunération des dirigeants de sociétés cotées », Revue pratique des sociétés, 2011, no 3, p. 285. Nous pouvons rapidement évoquer ici les dispo-sitions prenant en compte cette préoccupation pour les banques et les entreprises d’investisse-ment (voy. not. les articles 5 (1bis), 17 (1bis), 53-1 (2) de la loi du 5 avril 1993 relative au secteur financier, telle que modifiée, et les circulaires CSSF 06/273 telle que modifiée, 07/290 telle que modifiée, 11/505, et 12/552 telle que modifiée par la circulaire 13/563). Voy. également l’article 12 (et l’annexe II) de la loi du 12  juillet 2013 relative aux gestionnaires de fonds d’investissement alternatifs, Mémorial A, no 119, 15 juillet 2013, p. 1855.210 Voy. la pratique du comité de rémunération, supra, no 76.211 Pratique dite du say on pay. Voy.  la recommandation 2004/913/CE (considérant (8)  et article  4.2) et la recommandation 8.5 issue des X Principes. Voy.  également le plan d’action du 12 décembre 2012, p. 9.212 Recommandation 2009/385/CE, considérant (6). Voy. également le principe 8 issu des X Prin-cipes, et not. la recommandation 8.4.213 Elle devrait notamment être plafonnée suivant l’article 3.1 de la recommandation 2009/385/CE.214 Les « accords entre la société et les membres de son organe d’administration ou de direc-tion ou son personnel, qui prévoient des indemnités s’ils démissionnent ou sont licenciés sans raison valable ou si leur emploi prend fin en raison d’une offre publique d’acquisition » doivent être publiés selon l’article 11 (1), k) de la loi OPA. Voy. également la recommandation 2009/385/CE, not. article 3.4 ; ligne de conduite 3 sous la recommandation 8.4 issue des X Principes.

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85. Les rémunérations sont certainement devenues plus transparentes grâce à l’intervention des règles de corporate governance. Relevons toutefois que celles-ci ne se prononcent pas sur le niveau idéal des rémunérations 215. De plus, la tendance à la hausse de ces rémunérations ne s’est toujours pas démentie.

86. La rémunération des dirigeants donne un rôle à jouer aux actionnaires. Ceux-ci exerceront leurs pouvoirs au sein de l’assemblée des actionnaires à laquelle le corporate governance s’intéresse pour assurer l’exercice effectif de leurs droits.

section 3

L’assemblée d’actionnaires et le corporate governance

87. Au regard des pouvoirs qui sont attribués à l’assemblée des actionnaires (sous-section 1), le corporate governance a veillé à renforcer les droits poli-tiques des actionnaires (sous-section 2) et à rendre leur exercice effectif en accroissant la transparence à charge de la société (sous-section 3).

sous-section 1

Les pouvoirs attribués à l’assemblée des actionnaires

88. Les actionnaires réunis en assemblée générale forment l’organe de contrôle de la société. Ils désignent et révoquent les organes de la société 216, contrôlent la gestion de la société par le conseil d’administration ou son délé-gué et, à ce titre, approuvent les comptes annuels 217, nomment des commis-saires en charge de la surveillance de la société 218, et se prononcent par un vote spécial sur la décharge des administrateurs et des commissaires 219. Les actionnaires ont encore eux seuls le pouvoir de prendre les décisions cruciales pour la société, comme celle de modifier ses statuts 220. La séparation des pouvoirs ainsi organisée par la loi sur les sociétés commerciales est un gage de corporate governance. Le plan d’action du 12 décembre 2012 souhaite impli-quer encore davantage les actionnaires dans la gouvernance d’entreprise par

215 La rémunération doit être « suffisante », selon la recommandation 8.1 issue des X Principes.216 Article 51, alinéas 3 et 4 pour les administrateurs.217 Voy. not. les articles 70 et 163, 2° de la loi sur les sociétés commerciales, et l’article 79 de la loi RCS.218 Article 61 de la loi sur les sociétés commerciales.219 Voy. J.-P. Winandy, Manuel de droit des sociétés, op. cit., p. 578.220 Par la voie d’une assemblée générale extraordinaire, dans les conditions de l’article 67-1 de la loi sur les sociétés commerciales.

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un vote sur la politique de rémunération et les transactions avec des parties liées 221.

89. La participation des actionnaires à la vie sociale s’exerce donc par leur droit de vote au sein des assemblées générales, prérogative fondamentale de l’actionnaire, et un de ses droits politiques renforcés par les règles de corporate governance.

sous-section 2

Le renforcement des droits politiques des actionnaires

90. « La société respecte les droits de ses actionnaires et leur assure un trai-tement égal » 222. Nous l’avons dit, l’actionnariat ne constitue pas une catégorie homogène 223, mais les actionnaires se trouvant dans une situation identique doivent être traités de manière égalitaire 224.

91. Les actionnaires sont encouragés à participer de manière active aux assemblées générales. La convocation, qui doit parvenir à l’actionnaire 225 au moins trente jours avant l’assemblée 226, doit contenir un certain nombre d’in-formations utiles au vote éclairé des actionnaires 227. Les formalités et moyens d’accès aux assemblées sont simplifiés, notamment par la possible participa-tion à l’assemblée générale par voie électronique 228. Le vote n’est plus lié à la présence de l’actionnaire à l’assemblée : le vote in abstentia est encouragé

221 Plan d’action du 12 décembre 2012, p. 10.222 Principe 10 (alinéa 1) issu des X Principes.223 Voy. supra, no 12.224 Voy. l’affaire Bertelsmann, supra, no 7 et note 23. Voy. également l’article 16 (1) de la loi Trans-parence et l’article 2 de la loi Droits des actionnaires.225 L’article  3 (2) de la loi Droits des actionnaires maintient la possibilité qui existe dans l’ar-ticle 70 de la loi sur les sociétés commerciales de convoquer les actionnaires en nom par lettre recommandée seulement, mais elle autorise, par dérogation au droit commun de l’article  70, d’autres modes de communication si les actionnaires ont individuellement, expressément et par écrit, accepté de recevoir la convocation par tout autre moyen.226 Article 3 (1) de la loi Droits des actionnaires. Le délai est porté à dix-sept jours au cas où une nouvelle convocation serait nécessaire. Comp. avec l’article 70 de la loi sur les sociétés commer-ciales.227 Article  3 (3) de la loi Droits des actionnaires ; voy.  également l’article  3 (4) concernant les informations que la société doit mettre à disposition sur son site Internet, à compter du jour de la publication de la convocation et jusqu’au jour de l’assemblée générale. À rapprocher de l’article 73 de la loi sur les sociétés commerciales.228 Articles 6 de la loi Droits des actionnaires, si elle est prévue par les statuts.

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grâce au vote par procuration 229 et au vote à distance 230. Certains aimeraient encore que soit consacré « un véritable vote d’abstention » 231. Le plan d’action du 12 décembre 2012 annonce une prochaine réglementation de l’activité des conseillers en vote (proxy advisors), certainement dans le cadre de la révision de la directive Droits des actionnaires 232. Le résultat des votes est à publier par la société dans un délai de quinze jours 233.

92. Des droits spécifiques sont réservés aux actionnaires pour leur permettre d’intervenir activement : le droit de poser des questions 234 auxquelles la société doit répondre, même s’il lui est permis de « fournir une seule réponse globale à plusieurs questions ayant le même objet » 235 ; le droit d’inscrire des points à l’ordre du jour et de déposer des projets de résolution dès lors qu’ils détiennent, seul ou ensemble, au moins 5 % du capital de la société 236.

93. La société a l’obligation de publier la structure de son capital et toutes restrictions aux droits de vote 237, ce qui entre dans l’obligation de transpa-rence de la société, préalable à l’exercice effectif des droits des actionnaires 238.

229 Article 16 (2), b) de la loi Transparence ; article 3 (3), b), ii) et article 8 de la loi Droits des actionnaires.230 Article  10 de la loi Droits des actionnaires, s’il est prévu par les statuts. Voy.  également la recommandation 10.4 issue des X Principes.231 K. Grévain-Lemercier, « Les défis actuels de la gouvernance des sociétés cotées », Droit des sociétés, 2013, p. 17.232 Plan d’action du 12 décembre 2012, p. 11.233 Article 11 (1) de la loi Droits des actionnaires.234 Article 7 de la loi Droits des actionnaires ; voy. également la recommandation 10.7 issue des X Principes.235 Article 7 (1), alinéa 2 de la loi Droits des actionnaires.236 Article 5 de la loi Droits des actionnaires ; voy. également la recommandation 10.6 issue des X Principes. À comparer avec l’article 70 de la loi sur les sociétés commerciales.237 Article 11 (1) de la loi OPA ; voy. également la recommandation 10.1 issue des X Principes. Le plan d’action du 12 décembre 2012 annonce de nouvelles initiatives de la Commission pour « accroître la transparence », et notamment pour en faire une obligation réciproque, à charge certes de la société, mais également de ses investisseurs institutionnels (not. p. 8). Précisons que le Parlement européen a adopté le 12 juin 2013 la proposition de directive modifiant la directive Transparence (COM (2011) 0683), par laquelle les investisseurs devront procéder à la notification de tous les instruments financiers ayant un effet économique similaire à la détention d’actions (résolution législative du Parlement européen du 12 juin 2013).238 Voy.  également l’article  16 (1) de la loi Transparence ; la recommandation 10.2 issue des X Principes.

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sous-section 3

Le préalable nécessaire à l’exercice des pouvoirs des actionnaires : la transparence

94. La transparence a été encouragée depuis une quinzaine d’années par le corporate governance dans l’objectif d’informer, avec fiabilité et ponctua-lité, les actionnaires et les marchés. Les réviseurs et les autorités de surveil-lance, les agences de notation et les analystes financiers jouent un rôle capital dans le contrôle de l’information. Le droit spécial des sociétés cotées a donc progressivement étendu le périmètre de l’information que ces sociétés doivent fournir. La loi Transparence impose ainsi aux émetteurs de valeurs mobilières admises à la négociation sur un marché réglementé établi ou opérant dans un État membre, la divulgation 239, parmi les informations dites réglementées 240, d’informations périodiques 241 et continues 242. La loi Abus de marché impose à l’émetteur de rendre publiques, dès que possible, les informations privilé-giées 243 qui les concernent directement. Une déclaration sur le gouvernement d’entreprise incombe à la société de par la loi RCS 244. La loi OPA prévoit égale-ment la publication d’« informations détaillées » portant notamment sur « les règles applicables à la nomination et au remplacement des membres de l’organe d’administration ou de la direction ainsi qu’à la modification des statuts de la société » 245. Le plan d’action du 12 décembre 2012 annonce de prochaines initiatives de la Commission en vue d’accroître encore la transparence 246.

239 Les informations doivent être non seulement publiées, mais aussi déposées auprès de la CSSF qui peut décider de les publier sur son site Internet (art. 18 (1) de la loi Transparence).240 Voy. supra, no 42.241 Articles 3 à 7 de la loi Transparence, portant notamment sur les rapports financiers annuels à publier dans les quatre mois de la clôture de l’exercice social et non dans les sept mois comme prescrit par la loi RCS, et les rapports financiers trimestriels à publier dans les deux mois de la fin du semestre, qui doivent comprendre la description des principaux risques et les principales transactions entre parties liées (art. 4 (4) de la loi Transparence et supra, no 78).242 Articles  8 à  15 de la loi Transparence, portant notamment sur l’obligation de publier, dans les trois jours de cotation après les avoir réceptionnées, les notifications de l’acquisition ou de la cession des participations importantes (art. 11 (6)).243 Voy. supra, no 44.244 Voy. supra, no 43.245 Article  11 (1), h) de la loi OPA, ainsi que supra, no  93 et note 237. Voy.  également les articles 9.1 et 9.2 de la recommandation 2005/162/CE.246 Plan d’action du 12  décembre 2012, p.  4, notamment par la publication de la politique de diversification des conseils d’administration. Voy. supra, no 70.

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Conclusion

95. Ces multiples obligations d’information qui découlent de lois diverses témoignent du fait que le corporate governance n’est pas un ensemble organisé, et que les dispositions disparates qui le concernent peuvent nuire à son intel-ligibilité. Le plan d’action du 12 décembre 2012 prévoit encore l’adoption de nouvelles règles au niveau européen, qui seront suivies en droit interne par de nouvelles lois… au risque d’entraîner un amas de règles enchevêtrées et diffi-ciles à combiner. Et ce d’autant que les règles écrites ne sont pas les plus aptes à saisir la matière qui nécessite une certaine flexibilité. L’inflation législative ne permettra pas d’éviter de nouvelles crises bancaires, il est faux de croire que les règles de corporate governance constitueront un garde-fou à la surve-nue de prochaines crises économiques et financières qui est très certainement inéluctable 247.

96. Les règles du corporate governance relèvent en réalité d’un retour au bon sens, à l’éthique des affaires, à la déontologie. Comme l’écrit Philippe Bissara 248 : « ni la multiplication des règles, ni celle des sanctions qui frappent leur violation éventuelle ne sauraient empêcher ceux qui sont déterminés à les enfreindre, de le faire, comme le montre l’affaire Enron. Et, en dernière analyse, c’est la constance de chaque acteur, sa compétence, sa probité, sa bonne foi, son courage qui lui feront jouer son rôle de la meilleure manière possible. »

247 Voy. supra, no 22.248 Ph. Bissara, « Le gouvernement d’entreprise en France : faut-il légiférer encore et de quelle manière ? », Revue des sociétés, 2003, p. 51, et spéc. p. 59.