316
LE DÉVELOPPEMENT DU POTENTIEL DES MANAGERS

Le développement du potentiel des managers

Embed Size (px)

Citation preview

  • LE DVELOPPEMENTDU POTENTIEL DES MANAGERS

  • Collection Dynamiques d'Entreprisesdirige par Dominique De::,"jeux

    ALTERSOHN Claude, De la sous-traitance au partenariat indus-triel, 1992.LOQUET Patrick, Sauver l'emploi et dvelopper les comptences, ledouble enjeu de la gestion prvisionnelle des hommes et des emplois,1992.SUMIKO HIRATA Hlna (ed.), Autour du modle japonais.Automatisation, nouvelles formes d'organisation et de relations autravail, 1992.GILBERT Patrick, GILLOT Claudine, Le management des apparen-ces. Incantations, pratiques magiques et management, 1993.REGNAULT Grard, Motiver le personnel dans les P.M.E., Appro-che pratique, 1993.BREILLOT Jean-Marie, REINBOLD Marie-France, Grer la com-ptence dans l'entreprise, 1993.BEC Jacques, GRANIER Franois, SINGERY Jacky, Le consultantet le changement dans la fonction publique, 1993.GUIENNE-BOSSA VIT Vronique, Etre consultant d'orientationpsycho-sociologique. Ethique et mthodes, 1994.SPIELMANN Michel, Ces hommes qu'on rachte, aspects humainsdes concentrations d'entreprises, 1994.BOlITILLIER Sophie, UZUNIDIS Dimitri, Entrepreneurs et inno-vation en Grce. L'entrepreneur rvolutionnaire, 1994.PIGANIOL-JACQUET Claude (ed.), Gestion des ressources humai-nes : analyse et contreverses, 1994.REGNAULT Grard, Animer une quipe dans les PME aujourd'hui,1994.LOUCHART Jean-Claude, Nouvelles approches des gestions d'en-treprise, 1995.MARCON Michel, SIMONY Nadia, Les transformations du comitd'entreprise, 1995.DOLY Jean-Pierre, MONCONDUIT Franois, L'entreprise entrecontrainte et libert, 1995.MESSIKA Liliane, Les dircoms, un mtier en voie de professionna-lisation, 1995.CASTEL Franois (du), La rvolution communicationnelle, les en-jeux du multimdia, 1995.COV A Bernard, Au-del du march: quand le lien importe plus quele bien, 1995.LES CAHIERS DU CARGSE, Sciences sociales et entreprises.Histoires de partenariat, 1995.

  • Pascal Leleu

    ,

    LE DEVELOPPEMENTDU POTENTIEL DES MANAGERS

    La dynamique du coaching

    Editions L'Harmattan5-7 rue de l'Ecole-Polytechnique

    75005 Paris

  • @ L'Harmattan, 1995ISBN: 2-7384-3733-8

  • SOMMAIRE

    Introduction. Il

    Premire partie. Cadre de rfrence de l'tude. 19

    1. Le contexte actuel. .. .. . . . .. . . . . . . . . . .. .. . .. .. .. .. . . . . . . . .. ... 212. Les concepts abords. 41

    Deuxime partie. Approches contemporaines. 51

    1. Les grandes thories du domaine. 531.1. L'approche psychanalytique.. . .. . .. . . . . . .. . .. . . . ... 611.2. L'approche du stress 751.3 . L'approche de l'idalisation. . . . .. . . . . . . . . . . . . . .. . .. 851.4. L'approche de la psychopathologie du travail. .93Comparaisons et complments. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1112. 1. Remarques comparatives 1132.2. Managementet virilit. 129

    2.

    Troisime partie. Evolution de mtiers. 147

    1. Les volutions du management 1492. Les volutions du conseil 1953. Les volutions de la psychologie du travail 209

    Quatrime partie. Coaching de managers. 219

    1. Dfinitions du coaching .......... .... .... .....2212. Les aspects de la relation dans le coaching 2393. Quel profil pour les coachs ? 2534. Le contenu d'un coaching ... ... ... .....273

    Conclusion. 301

    Bibliographie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 305

    7

  • LISTE DES FIGURES

    L'entreprise, entit fdratrice? 37

    Modle standard du stress., 81

    L'accroissement de l'investissement professionnel ... ... 92

    Le lien individu/entreprise, l'image de l'attraction 119

    Constitution du systme professionnel. 123

    L'investissement de l'individu: une distance dcouvrir. . 176

    Fonctionnement et dveloppement de l'organisation. 191

    Responsabilisation et diffusion du pouvoir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 194

    Les styles d'aide. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 199

    Les acteurs de l'accompagnement 229

    Le triangle de la dynamique de l'identit 244

    Positionnement ,du coach 255

    Dynamique de la peur et du dsir 293

    Changement, dsir et peur. .. .. . . .. . . .. .. . .. .. . . . . .. . .. . .. .. . .. . .. 296

    Savoir et Etre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 297

    9

  • INTRODUCTION

    "Se cacher est un plaisir, ne pas tre dcouvertest une catastrophe l ".

    Depuis plusieurs annes je me suis proccup des dimensionspsychologiques du management. D'abord pour avoir subi, avec plusou moins de bonheur, des chefs, des directeurs, des managers fortsdiffrents; ensuite pour en avoir conseill d'autres, tout en restantmoi-mme dal1Sune dynamique d'volution personnelle.

    Si le thme du management a souvent t abord, celui de sadimension psychologique l'a t plus rarement mais connatactuellement une vogue remarquable2. Notre poque de crise et dechangements bouscule l'entreprise, et il n'est pas une semaine sansque la presse n'aborde le sujet du stress et de ses cots. Les modesdu management se succdent et une rflexion de fond sur ce thmesemble ncessaire: elle sera srement accomplie par de nombreuxauteurs qui, chacun, apporteront des briques cette construction.

    1 WINNICOTD.W. "La consultationthrapeutiqueet Itenfant", Gallimard, Paris,19712 CHANLA T J.F. "L tindividu dans Itorganisation - Les dimensions oublies",Editions ESKA, Qubec, 1990

    Il

  • Depuis quelques annes, des vnements ont attir l'attention sur le"cot psychologique" du management, appels "burn-out",dcompensation, "karoshi", "management idalisant", "crise duhros", etc. : ces syndromes illustrent des pisodes troublants de lavie de managers.

    Les entreprises sont, prsent, confrontes des soucis depersonnel non seulement la base de la pyramide (problmes del'adaptabilit des bas niveaux de qualification) mais galement ausommet (crise psychique des managers). L'urgence de la crise amnede nombreux dcisionnaires .

  • Les cots de ce que l'on nomme communment "le stress"reprsentent des sommes importantes:

    pour l'entreprise par les erreurs commises sous l'effet d'unstress intense: les managers de haut niveau peuvent treamens commettre des erreurs aux consquences graves,pour la socit par le cot des prestations mdicalesinduites par le stress, les maladies psychosomatiques, etc.pour l'individu par l'effet sur son identit, sur sonquilibre, sur ses autres centres de vie (famille, etc.).

    Le sujet de l'tude est centr sur l'exercice du management, sesdifficults, sa problmatique et son volution relativement auxdynamiques de changement de l'entreprise et de son environnement.

    Les diffrentes tapes de notre progression consisteront en :

    l'examen des approches explicatives proposes par lesdiffrents auteurs, avec une brve prsentation de leursconcepts et limites,

    l'expression de remarques comparatives sur ces diffrentesapproches et l'apport d'un rapprochement conceptuel entremanagement et virilit,

    l'analyse des volutions des mtiers de manager, deconsultant et de psychologue du travail,le coaching, ses dfinitions, ses diffrentes formes et lesrponses qu'il apporte aux questions lies la dimensionpsychologique du management.

    Nous dbuterons par une analyse des volutions du contexte social,source d'volution de valeurs, de besoins, tant des salaris que desmanagers. Ces volutions se caractrisent par le changement et sadynamique selon les aspects technique, conomique, culturel etpsychologique. Les attitudes face ces changements sont multipleset elles y participent soit d'une manire motrice, soit comme frein.

    13

  • Les interrelations entre l'entreprise et la socit changent galementet les incidences sur les travailleurs, leur investissementprofessionnel, et leurs attentes vis--vis de l'entreprise en sont dessignes remarquables.L'ensemble de ces c~angements affecte la relation des managers l'entreprise, leur rle volue et fait appel de nouvellescomptences loignes des aspects de coordination ou decommandement dcrits par H. FayolS (Prvoyance, Organisation,Commandement, Coordination, Contrle).L'apport de nombreux auteurs permettra d'illustrer que lemanagement fait progressivement appel des comptences d'ordrepsychologique croissantes, que ce soit dans les modes demanagement, dans les contraintes que doit grer le manager, ou dansles outils de gestion des hommes (motivation communication, cultured'entreprise, etc.). L'appel ces comptences induit, pour lemanager, des difficults potentielles qui peuvent s'activer sousl'influence d'une charge qui s'accumule, ou sous l'effet d'unvnement brutal (traumatisme). L'ensemble de ces chargespsychologiques est souvent dsign sous le terme" stress" : nousexplorerons l'ensemble des courants explicatifs actuels et lesdnominations multiples attribues ces phnomnes.La prsentation de l'ensemble de ces approches sera complted'lments comparatifs qui permettront de proposer une analysesupplmentaire relative au rapport entre management et virilit.

    Les volutions de la socit et des entreprises se rpercutent dans lesvolutions des mtiers. Par exemple le manager qui doit animer unequipe' de tltravailleurs a peu de comptences communes avec lechef d'quipe dcrit par Taylor. Les dimensions psychologiques dumanagement prennent une importance croissante qui suscite chez denombreux managers des malaises dus leur manque de prparation ces aspects de leur fonction. La dfinition du management commeensemble d'outils, de techniques ne suffit plus apporter unerponse l'ensemble des rles que le manager doit tenir: enversl'entreprise, envers ses subordonns, envers la socit, etc. Le

    5 SCHEID Jean-Claude "Les grands auteurs en organisation" Dunod, Paris, 1990,pp. 80-81

    14

  • dveloppement du besoin de nouvelles capacits managriales met enlumire des lacunes, des dfauts actuels du management et desaspects de la culture managriale qui seront abords au regard del'volution de ce mtier.

    Nous constatons que l'image moderne du manager s'enrichit dedimensions philosophiques, oblatives mme. Les dimensionspersonnelles de l'individu prennent une importance croissante et jesuis persuad qu'il convient que le manager moderne soigne sesrelations, commencer par celle qu'il entretient avec lui-mme.L'volution du rle du manager et des rapports qu'il entretient avecl'entreprise pose de nouveaux problmes et les solutions proposesjusqu' prsent restent souvent de l'ordre de la recette, oud'ambitions gnrales sans apports mthodologiques suffisants. Lesdimensions personnelles du manager y sont prsentes dans le cadrede l'exercice de sa profession, mais le cot de ces nouvellesdimensions ou de leur influence sur la vie hors travail y est rarementexprime. Pourtant, le malaise croissant des managers ne doit pastre la source d'un cot excessif pour les individus et la dcouverted'un quilibre professionnel ne peut se payer par des dsquilibrespersonnels et familiaux prjudiciables long terme l'individu et l'entreprise.

    De plus, on assiste depuis plusieurs annes un recours croissantaux consultants de proximit, gourous, ou autres "accompagnants".Ce recours sera analys comme une forme possible de solution enrecherchant les lments substantiels qui permettent de comprendrel'impact qu'apportent ces acteurs particuliers dans l'entreprise. Leconseil y sera discut selon ses dimensions et ses rles varis entre"advising" et "counselling".Les consultants utilisent frquemment des outils destins "modeler" les comportements des managers, ils s'appuientfrquemment sur des notions de psychologie.L'volution de la psychologie du travail, sa prsence dans lesentreprises des fonctions varies sera galement discute. Laquestion de la prsence des psychologues du travail sur le territoiredu conseil sera aborde.

    15

  • La question de la formation au management est importante: ellevolue de plus en plus vers une formation du manager. Nousl'aborderons par une discussion sur le dveloppement des managers,relativement cette dimension personnelle et psychologique de leurrle, et notamment sur les lments pragmatiques des apports del'exprience et d'une ncessit ventuelle d'accompagner cetteexprience afin de l'exploiter au mieux. L'exprience en tantqu'accumulation de situations vcues ne se suffisant pas elle-mme, il apparat ncessaire qu'elle soit passe au crible d'un travailde rflexion et de verbalisation pour pouvoir s'ancrer dansl'enrichissement d'une pratique personnelle. De la mme faon "lestyle" doit possder une souplesse, une capacit d'adaptation dessituations multiples et varies, qu'il convient d'entraner, detravailler et d'enrichir afin de trouver une efficacit et un quilibresatisfaisant pour l'entreprise et le manager.L'ensemble de ces actions d'une "progression au long cours"pourrait trouver place dans un "coaching" de manager. Cephnomne de coaching sera donc dvelopp sous ses facettesmultiples afin d'apprhender sa pertinence vis--vis des problmesdcrits.

    L'objectif est de comprendre les causes du malaise actuel dumanagement:

    dans le contexte changeant,

    la lumire des thories sur le stress et des dynamiquespsychologiques du travail et du management,

    et de proposer des lments de rsolution autour des activits desoutien psychologique, d'accompagnement de managers, decoaching, d'approfondissement de formation en situation -"progression par le management", et d'amlioration des capacitsmanagriales. . .

    L'objectif de ces accompagnements pourrait tre de faire en sorteque chaque acte accompli au travail soit autant que possiblel'expression de la volont et du dsir de celui qui l'effectue, celaimplique conscience et connaissance claire et complte de ce qu'onfait et de ce pour quoi on le fait. Dans ce cas on peut parler de

    16

  • "rsonance symbolique" entre thtre de la situation de travail actuelet thtre interne hrit du pass6.Il arrive qu'on entende des rflexions comme "perdre sa vie lagagner" ou encore parler de l'entreprise comme de l'antre-prise, oumme que la vie au travail ne soit plus le sige de l'en-vie. Cesquelques rflexions sont le signe que l'organisation ne fournit pasles moyens aux individus de donner le meilleur d'eux-mmes, ce quireprsente une carence du management. Car le manager est lemdiateur entre l'individu et l'entreprise, quel que soit son niveau,la relation qu'il noue avec son environnement illustre la complexitdes motivations: l'quipe travaille-t-elle pour elle? Pour sonmanager? Pour l'entreprise?

    Tenter de transformer une pense, des intuitions, des principesd'intervention rarement exposs, en mots, pour les dire et plusforte raison les crire est un exercice difficile. D'abord, cela imposeune structuration de l'crit qui est rarement prsente dans la pense,laquelle est plutt non linaire, vnementielle, parfois chaotique,telle un maelstrom d'o mergent des produits varis apprhender.Ensuite, cela impose une argumentation dont on fait souventl'conomie pour soi-mme, tant on peut se convaincre facilement deses propres ides dont la "vrit" parat vidente. Ce travail de miseen mots renvoie une dialectique o dire ce que l'on pense renvoie la question de savoir si on pense vraiment ce que l'on dit.

    Dans le texte qui va suivre j'ai pris le parti d'utiliser les mots"homme", "manager", "dirigeant" dans leur acception non sexuelleau lieu de leur substituer quelque locution lourde ou maladroite.J'invite le lecteur (et la lectrice!) garder en mmoire l'usage nonsexuellement diffrenci que je fais de ces termes.

    Bien que certains aspects de ce travail soient parfois conceptuels,j'ai tent de l'tayer, chaque fois que c'tait possible, par desexemples tantt rels, tirs de mon exprience de consultant

    6 DEJOURS Christophe & ABDOUCHELI Elisabeth "Itinraire thorique enpsychopathologie du travail" in Travail et sant mentale, ANACT, Paris, 1991,p. 31,

    17

  • principalement ou entendus de collgues, tantt fictifs ou, devrais-jedire plus justement, reconstruits sur la base d'vnements ou decomportements rels, c'est--dire "nettoys" et plus illustratifs.

    Ce travail m'a conduit lire de nombreux auteurs, m'imposer unediscipline de production faire des efforts de structuration, tout cecidans le but de produire un document souvent dense. L'objectif estbien dans la dynamique du sujet: suggrer, provoquer, produirechez le lecteur des rflexions propices la construction de sonpropre sens. Le plaisir est, pour moi, la cl de cette production, j'ensouhaite aussi aux lecteurs.

    18

  • Premire Partie

    CADRE DE REFERENCE

  • 1LE CONTEXTE ACTUEL

    "L'environnement n'est pas seulement pluscomplexe que nous le pensons; il est pluscomplexe que nous ne saurions le penser"7

    Le contexte actuel de l'environnement de l'tre humain secaractrise par le changement: comme dynamique actuelle et commethme d'actualit, on peut mme dire que "le changement est unmythe qui reste immobile8" . Cette thmatique est abordefrquemment depuis plusieurs annes autour des notions de crises, etmme parfois de changement paradigmatique.

    Les changements concernent tous les environnements de l'trehumain, que ce soit l'organisation de l'entreprise, l'environnementsocial et politique, l'volution des valeurs, l'environnement familial,le cadre culturel, l'conomie, etc., toutes ces dimensionsenvironnant l'tre sont en mouvance.

    7 ELGOVY G. "Le bluff du futur", Calmann-Levy, Paris, 1974, p. 158 JACQ Francis & MULLER Jean-Louis, "L'homme retrouv", ESF, Paris, 1994,p.21

    21

  • Les diffrentes facettes de ce changement seront exposes,particulirement sous l'angle de l'individu et des influences de cesmodifications contextuelles sur ses comportements.

    Ce changement, qui s'accentue, s'acclre, est lui-mme changeant,au point que certains auteurs insistent sur le fait que "le changementchange", ce qui constitue une modification fondamentale de noshabitudes et de nos modes de pense: si le changement tait unaccroissement d'un tat existant, il suffirait de penser mieux, ou plusvite; mais si le changement change lui-mme, de quoi demain serafait, et surtout comment nous y prparer? Dans cette dynamiquesociale, les valeurs d'habitude, d'exprience sont en dprciation aubnfice des valeurs de mobilit9, d'adaptabilit, etc.

    La question fondamentale reste de savoir comment se prparer demain, comment anticiper le changement? Cette question seraaborde par un regard sur l'attitude face au changement et surl'volution des valeurs personnelles.

    L'incidence de ces changements modifie les relations de l'entrepriseet de la socit, on assiste un retour en force des entreprises et desvaleurs managriales dans les valeurs socialement rpandues. Celafera l'objet de la troisime partie de ce chapitre en se centrant sur laplace du cadre dans l'entreprise et dans la socit.

    1.1 - UN CONTEXTE DE CHANGEMENT

    L'approche la plus simple pour apprhender les changements denotre sicle est de tenter de lister les plus reprsentatifs en proposantune catgorisation. Le classement ci-dessous comporte quatreentres, l'ordre technique, l'ordre culturel, l'ordre conomique,l'ordre psychologique.

    . It ordre technique: il se caractrise par l'introduction desnouvelles technologies et ses consquences.

    9JACOUD Romain & METS CH Manuel "Diriger autrement", Les ditionsd'organisation, 1991

    22

  • L'informatique, la robotique, la bureautique, latlmatiquelO, ... l'accroissement de ces technologies est l'image du changement: une course en avant acclre. Lapremire consquence est l'inflation des moyens decommunication et d'information, cela rduit virtuellementles distances et apporte, prtendument, une plus grandeimplication du citoyen dans son environnement: ainsi,l'accroissement du volume d'informations est flagrant si oncompare ce qu'on connat de la "rvolution" roumaine de1989, avec, par exemple, le coup d'Etat du 2 Dcembre1851 en France. Une autre consquence de cetteindustrialisation est la division du travail, qui provoque laperte de l'aspect symbolique au travers d'une spcialisationdes tches.La consquence principale de l'accroissementtechnologique est l'apparition et la diffusion d'une culturede la distanciation, du conceptuel dans laquelle la relationau monde est mdiatise, remplie d'intermdiairescomplexes, abstraits et symboliques.

    . l'ordre conomique: il est une des productions de notresocit de consommation dans laquelle le modleconomique puise sa force. L'industrialisation, sourced'une lvation importante des revenus, des niveaux devie, et des capacits de consommation des populations denos pays dits" industrialiss", nous impose le mode de vieconomique et le mode de pense conomique, chacun estpris dans le mouvement conomique de sa vie:consommer, payer des impts, payer ses traites, payer sonloyer, ... et le moteur, ou les freins, de l'action sont,gnralement, conomiques.

    Le modle conomique, s'appuyant sur la notion decroissance trouve aujourd' hui ses limites. En l'absence denouveaux marchs, l'nergie de croissance se trouvedtourne vers des oprations de concentration et de

    lOLASFARGUE Yves "Techno-jolies, techno-folies", Les ditions d'organisation,1990

    23

  • fusion, dans lesquelles, souvent, l'entreprise n'est plusqu'un produit parmi d'autres sur le march financier, audtriment de son capital humain. Bien que les remdesutiliss soient de l'ordre de l'conomique et que lesanalyses s'appuient encore sur le primat de l'conomique,des points de vue plus globaux apparaissent qui prennenten compte la globalit des processus, par exemple la notiondes cots cachs de la production (la pollution, ou lesmaladies de stress). La russite de l'ordre conomique, parl'lvation des niveaux de vie, amne les gens,paradoxalement, s'loigner de l'conomique et tre pluspensant et voulant...

    l'ordre culturel: il est le reflet des transformations desautres domaines, elles provoquent des modifications devaleurs qu'il est difficile d'assimiler. Quelques exemplesillustrent ce propos: l'apport des techno-sciences et lesnotions de travail, de mtier, d'emploi.Les techno-sciences sont le fondement de notre socitindustrielle, certains auteurs parlent d'une "religion de lascience", la rationalit instrumentale (souvent confondueavec la raison) et la logique gouvernent (apparemment) lesdcisions. Or ce modle" rationnel" choue, cause del'inhibition du potentiel humain dans la division du travail,des limites des ressources plantaires, des limites d'unecroissance dont on a voulu croire qu'elle se poursuivraitsans limites, de la pollution, du gaspillage... Ainsi cet"absolutisme de la raison" est rejet. Le scientisme "nouspromet qu' l'aide de ces mmes techniques qui ont faitleurs preuves dans les sciences physiques, nous pourronsarriver crer une science exacte de l 'homme11".

    Le concept de travail volue aussi grandement avec uneforte diffrenciation travail versus emploi et ladcroissance d'une dialectique entre travail et loisirs. Dansla socit contemporaine, l'image de l 'homme est lie autravail: l 'homme est actif: ouvrier, cadre, commerant,

    Il WHYTE William H. Jr "L'homme de l'organisation" Plon, 1959, p. 3324

  • agriculteur, . . . l'tre humain est un travailleur. Lareconnaissance sociale, le statut d'un homme du XXmesicle est li son mtier, son activit professionnelle. Ilest remarquable de constater quel point l'image dumtier, la considration qu'on lui attribue sont des facteursimportants de l'identit du travailleur (il suffit pour s'enconvaincre de porter un regard sur les manifestationsrcentes d'infirmires ou d'autres corporations). Le travailoccupe une part trs importante de la vie, que ce soit pourl'enfant, qui subit l'influence du travail parental, pourl'adolescent qui se prpare au travail (parfois avecl'angoisse de l'exclusion, du chmage, dont l'expressionengendre les manifestations tudiantes), pour l'adulte prispar les turbulences du travail y passant la plus grande partde sa vie, ou, enfin, pour le vieillard condamn l'inactivit, conservant ses habitudes de travailleur,regardant les autres travailler... Ce travail, important,consommateur du temps, d'nergie et objet deproccupations est un lien troit de l'individu la socitet, donc, il est un constituant de l'identit.

    La notion de travail, fortement lie celle de mtier,drive actuellement vers celle d'emploi, cela est d lacrise actuelle de l'emploi et provoque une rgression desaspirations des salaris. La dialectique bien connue surl'quilibre des ralisations de soi au travail ou dans lesloisirs dcrot: on laisse l'individu grer et trouver sonquilibre personnel, cette libert lui est accorde mme siles contraintes amnent beaucoup d'individus adopter unfonctionnement en "tout ou rien", c'est--dire en uneimplication trs vive dans le travail pour se raliser, audtriment" du reste" , ou un abandon des vellitsprofessionnelles au profit d'investissements dans d'autresespaces.

    Certains auteurs parlent de "chutes des valeurs" 12, de pertede collectivisme, de regain d'autonomie, de retour des

    12 BAREL Yves "La socit du vide" Seuil, Paris, 198425

  • .valeurs guerrires, . . . pour aborder l'volution desmentalits (dclin de la notion de devoir ou de lamotivation de scurit conomique, mais dveloppement dela recherche du plaisir et de la motivation d'expressionpersonnelle. eo) ; sur de nombreux plans on remarque lanotion grandissante de "responsabilit sociale" del'individu ou de l'organisation par rapport la collectivitenvironnante, ainsi que la recherche de liberts parl'individu. Cette valorisation de la libert, notion leurrantes'il en est, est porteuse de confusions entre autonomie etisolement: les individus, en recherchant leur autonomie,s'isolent, s'enferment, se replient sur eux-mmes.

    l'ordre psychologique: il nous semble primordial, car ilest le reflet de la place que prend l'individu dans cetenvironnement en mouvance, et des dsirs qu'il Y place.Les individus sont mieux forms et leurs dsirs sont plusnombreux, cela provoque une volution de leurs niveauxd'aspiration: l'expression majeure de leurs dsirs estoriente vers la consommation cadre dans un mode defonctionnement possessif. La ralisation de ses dsirs sert renforcer ce que l'individu considre comme son premierbien: son ego.Le dsir de qualit de la vie par exemple, issu notammentde l'accroissement des comptences, des niveauxd'instruction et des niveaux de vie, rend chacun plusexigeant pour les salaires et plus critique sur la possibilitde trouver quelque intrt aux tches qui lui sont confies.Le dsir de consommation permet de compenser desproblmes d'identit par l'appropriation d'objets"d'poque" moderne, cependant, cet investissement dansles objets n'est-il pas une fuite: qui n'a pas chez lui unappareil qu'il ne sait pas faire fonctionner compltement,qu'il ne connat pas vraiment? La possession semble unbon remde pour fuir l'Etre.

    L'individu cherche obtenir de lui-mme ce qu'il attendait,jusque-l, du social et du collectif, le modle dominant

    26

  • tant de ne rien devoir des autres, ce qui claire encoreplus la problmatique des chmeurs ou des RMIstesdpendants socialement.

    L'individualisme se dveloppe comme une raction contrel'galit, une volont de se diffrencier, et surtout unerecherche de l'unicit de soi. Le dsintrt envers lesdimensions religieuses, politiques, syndicales est compenspar un investissement de l'ego et un narcissisme visibledans une "psychologisation" des rapports dans la socitl3.En effet l'essentiel est de s'exprimer plutt que decommuniquer, et de se donner voir plutt que derflchir au sens des choses et de la vie (voyons la T. V.,missions spectacles, apparences, zapping.. .).A notre poque, l'identit doit se construire tout au long dela vie. L'individu ne la construit jamais seul: elle dpendautant des jugements d tautrui que de ses propresorientations et dfinitions de soi. L'identit est un produitde socialisations successivesl4. Parmi les multiplesdimensions de l'identit des individus, la dimensionprofessionnelle a acquis une importance particulire. Parcequ'il est devenu une denre rare, l'emploi conditionne laconstruction des identits sociales; parce qu'il connat deschangements impressionnants, le travail oblige destransformations identitaires dlicates; parce qu'elleaccompagne de plus en plus toutes les modifications dutravail et de l'emploi, la formation intervient dans lesdynamiques identitaires bien au-del de la priode scolaire.

    Notre socit nous amne considrer notre identit, notreMoi comme une possession, un peu comme une voiture(dans quel sens se produit vraiment le transfert ?). Le"Marketing du Moi" nous amne une' recherchecroissante de l'panouissement personnel, la volont des'exprimer or, souvent, la connaissance de sois'apprhende comme avoir de la connaissance sur le Soi,

    13 SEN NET Richard "Les tyrannies de l'intimit" Seuil, Paris, 197914 DUBAR Claude, "La socialisation" Armand Colin, Paris, 1991

    27

  • acqurir des connaissances sur la psychologie, passer destests, etc., et non pas comme un exercice de ses capacits Etre plus qu' Avoirl5. Cela dmontre bien une croyancede notre socit o Avoir. est l'essence d'Etre et o celuiqui n'a rien n'est rien, la science dans ce cadre se rduisant la possession de la connaissance.

    L'ensemble de ces changements et de ces volutions incite plusieurs rflexions.

    Tout d'abord on constate une prise de conscience qui provoque unegrande dsillusion. Les signes en sont l'effondrement de secteursindustriels entiers (textile, etc.) et de retards considrables de qualitet de productivit face l'essor et au dynamisme du Sud-Estasiatique, l'accentuation des conflits sociaux par corporations (perted t influencede l'interlocuteur syndical en entreprise), les dsillusionsintellectuelles et thoriques face la pauvret par exemple, lecontraste entre la prodigie~se acclration des technologiesinformatises et le mal-tre gnral des individus plongs dans lesincertitudes d'un prsent et d'un devenir mal dfini, le paradoxeentre une constante croissance des qualits de vie, l'allgement destches physiques, une progressive rduction du temps de travail, etla droute conomique de nos socits qui s'accommodent mal avecla monte des sans-emploi, des mcontents de leur travail, d'un"quart monde'.' d'indiffrents et de laisss pour compte, ...La "splendeur de la grande promesseI6", les prodigieusesralisations matrielles et intellectuelles de l're industrielle, nedoivent pas tre perdues de vue si on veut comprendre letraumatisme que la constatation de leur chec provoque aujourd 'huLLes progrs promis par l're industrielle nous ont conduit devenirdes rouages de la machine bureaucratique, craignant ou dniant lesdangers cologiques et les menaces de guerre nuclaire, ou plus prsde nous, le chmage, la pauvret, ou "l'erreur d'ordinateur".

    15 FROMM Erich "Avoir ou Etre", Robert Laffont, Paris, 197816 FROMM Erich, op. cit. p. 18

    28

  • On peut se questionner sur l'utilit de ce dveloppement rapide, surl'accroissement de l'cart entre nations riches et nation pauvres,mais surtout sur" l'explication conomique", qui fait de "la crise" laresponsable de tous les dfauts constats, un peu comme si nousavions trouv l un bouc missaire si pratique.

    Du point de vue de l'individu, les modifications de l'environnementprovoquent une modification de ses motivations (dans le sens dumodle relationnel de la motivation17). L'poque actuelle, "de dsir"a t fabrique: le systme de consommation a cr des dsirs chezles" consommateurs" puis a duqu ces consommateurs afin de leurfaire "consommer" des produits de plus en plus onreux (systmeFordien), mais maintenant les besoins ne sont plus uniquement lis la consommation d'objets, les besoins ont volu ce qui provoquel'apparition de collectifs lors de grve par exemple. La rponse cesnouveaux besoins est dfinie de manire technocratique, avec lesoutils mis en place par la techno-science, or ces rponses sontconstruites sur un modle qui ne correspond plus, elles s'appuientsur des instances de ngociation et de reprsentation qui ne sont plusreconnues. La machine s'est emballe et a pris son autonomie; ons'interroge maintenant sur la manire de la conduire, sur lesrponses apporter, sans vouloir remettre en cause tout le systme,mais en pensant rnover le systme qui tombe en ruines (malgrl'actualit qui nous montre l'emballement de peuples qui ne selaissent plus conduire.. .).

    L'incertitude de l'environnement, ses changements rapides qui nousimposent de ne plus feindre sa stabilit, provoque la perte descurit. Cette valeur refuge perdue, la peur surgit. Cette peurprovoque l'apparition de comportements d'agressivit ou de fuite quisemblent tre les deux solutions18 : l'agressivit, peut s'exprimerdans plusieurs directions (vers soi, vers l'extrieur), et la fuite, dansle dni ou au travers d'autres mcanismes, principalement laprcipitation, la "fuite en avant". Ces solutions apparentes restent

    17 NUTTIN Joseph "Thorie de la motivation humainett, PUF, Paris, 198518 LABORIT Henri "Eloge de la fuite", Robert Laffont, Paris, 1976

    29

  • coteuses et insatisfaisantes, il convient donc de grer la peur afind'tre lucide, principalement pour les responsables.

    En conclusion, l'individu doit faire face un espace relationnel(objets, informations, personnes, inconnus, ...) qui aconsidrablement grandi. La gestion de cet espace pose desproblmes de matrise, de capacits tout prendre en compte,d'identit dans ce contexte. Pour certains l'accroissement de cetespace s'accompagne d'un accroissement de pouvoir lorsqu'ils sontfonds prendre des dcisions. Grer cet espace, tre prt s'yinscrire, y trouver sa place, sont des capacits qu'il convient dedvelopper et de construire tout au long de sa vie.

    1.2 - L'ATTITUDE FACE AU CHANGEMENT

    Face ces changements, ces contrastes, ces dsarrois, les attitudes etles manires d'tre sont varies, mais avons-nous t prpars grer les consquences de ce changement polymorphe?

    Notre attitude face aux volutions culturelles reste gnralement dumode de la rsistance. En effet, il reste difficile et prilleuxd'abandonner des modes de fonctionnement culturels, des modlesd'achat, d'appropriation, de refuges et de scurit dans la possession. . . Ces modes de fonctionnement sont ancrs en nous et,gnralement, des modifications si profondes s'talent sur plusieursgnrations.Souvent le dni des changements est visible, telle personnecontinuera fonctionner comme si rien n'avait chang, telle autrecritiquera une nouveaut afin de justifier son conservatisme: dans lecontexte de crise l'annonce d'un changement avive les crainteslatentes, et les rponses individuelles se polarisent autour de rflexesconservateurs et corporatistes qui ne facilitent pas l'adaptation auxsituations nouvelles.

    L'exemple d'une situation en entreprise illustrera cesattitudes. Lorsqu'une grande socit commerciale dcidad'informatiser ses fichiers de rclamations, le matriel fut misen place sans difficults. Trois mois aprs on pouvait

    30

  • constater que certains employs n'utilisaient pas le matrielinformatique et continuaient constituer des fiches manuelles(tout en faisant semblant d'utiliser l'informatique), qued'autres dnigraient l'outil qui leur avait t fourni (toujoursen panne, pas fonctionnel, mal conu, ...) et qu'un nombrerduit d'employs avaient adopt le nouvel outil pour desraisons diverses.

    La formation, reflet de cette culture, nous renvoie la mme image,d'un systme ancr sur l'appropriation de savoirs, prcdant unehypothtique volution de l'tre. Les formations encouragent austockage de connaissances, elles s'appuient sur le modlescientifique de la dtention de la connaissance. Ainsi, les mentalitssont conditionnes respecter le "stock" et en constituer pourpossder du pouvoir. Le fonctionnement mental rsultant s'appuiesur l'appropriation, l'accumulation des connaissances et desinformations. Mais aujourd'hui les connaissances acquises hier, auprix d'efforts, sont devenues caduques du fait de l'inflationtechnologique. L'cart entre les formateurs, les connaissances qu'ilsdispensent et les entreprises et leur situation s'accrot, et il n'est pasrare d'entendre, au retour de formation: "on a l'impression derevenir d'une autre plante magique, parfaite et de redescendre surterre et, ce moment-l, on refait comme avant". Ainsi,l'entreprise, par sa situation mme, nie les connaissances, lesmodles, car elle est d'une complexit au-del des modles, unecomplexit que doivent grer les managers, en faisant appelaujourd'hui leur intuition, leur personnalit, leur sensibilitplus encore qu'aux modles appris.

    Le changement a de multiples formes mais changement dansl'entreprise devient toujours changement de l'entreprise. Ainsi, lesentreprises, plus en prise avec les changements, voient dans leurvolution la condition de leur survie, c'est pourquoi les managerssont presss d'voluer et sont confronts au choc entre des valeursen chute et des valeurs en hausse. Dans ce contexte, les cadresdoivent faire front, porter un regard sur leur propre comportement:tre battant, gagnant, tout en recherchant le compromis, le

    31

  • consensus. Mais que devient la notion de compromis dans uneculture duque pour exiger la ralisation totale de ses espoirs?

    Actuellement encore, beaucoup de cadres, notamment dirigeants, enFrance sont anims par une comprhension exclusivement techniqueou financire de l'environnement. Pour eux, les problmesd'organisation de l'entreprise se ramnent des questions d'ordretechnique. Cette "rationalit" provoque des difficults car elle ignorela dimension humaine de l'entreprise et les rticences o lesoppositions qu'elle suscite sont mises au compte de l'incomptence,du manque d'informations, de la mauvaise volont ou de la mauvaisefoi. Ce modle rassurant se rvle finalement trs dcevant quanddes grves se produisent ou quand des dmissions ont lieu.

    La mouvance du contexte provoque une remise en cause permanenteet un rythme qui s'acclre, cela gnre du stress et ds lors, lacapacit vivre des agressions rptes, surmonter lesdcouragements, stabiliser ses motions devient dterminante chezles responsablesl9.

    Le thme du changement a, bien entendu, suscit de nombreusesmthodes relatives sa "conduite", sa "gestion" l'entreprise, laplupart d'entre elles visent impliquer les salaris en leur faisantmiroiter leur intrt personnel au changement, ou en leur montrantles menaces d'un non-changement: .dans ces mthodes, "la manirede changer (brutalit, douceur) est aussi importante que ce que l'onchange", et "le discours le plus habile ne "passera': pas mieux siceux (qui veulent passer d'objet sujet du changement) qui lereoivent ne se sentent pas impliqus ou n'ont pas d'intrt larussite du projet2o". Ces mthodes sont particulirementmanipulatrices, et demander aux cadres de raliser une manipulationde cet ordre, n'est-ce pas aggraver leur stress?L'identit du manager se construit-elle sur la base de ses capacitsmanipulatrices?

    19 SUARD Pierre in Prface de NIZARD Georges "Les mtamorphoses del'entreprise", Economica, Paris, 199120 RAIMBAULT M. & SAUSSOIS J.M. "Organiser le changement", Les ditionsd'organisation, Paris, 1983, pp. 42-44

    32

  • D'une manire gnrale, on constate une attitude de repli del'individu, une mergence de l'individualisme... L 'homme est soiten recherche d'quilibres avec des autres toujours plus nombreux,soit en recherche d'isolement. Un des traits fondamentaux de notrepoque est la rsurgence de l'angoisse: celle de ne pas "pouvoirsuivre", ou de voir disparatre tout ce qu'on possde par unedchance personnelle ou par une chute des valeurs. Cette angoissede dpossession et de manque de confiance en un avenir incertain,ou mme probablement fort diffrent est profonde.L'individualisme, valeur refuge, sombre dans l'isolement et devientla "proprit de soi", le droit et le devoir d'investir son nergie danssa propre russite. A ce point, le contenu du Moi n'a plus grandeimportance face au Moi ressenti comme un objet que chacunpossde, "objet" constituant la base de notre sentiment d'identit.

    Dans cette_socit du spectacle o l'individu doit vendre une image,certains semblent avoir tendance se prendre de plus en plus pourelle. Au lieu d'tre une personne qui essaie de se poser en sujet,c'est--dire en un Je qui se dfinit avant tout par ses actions, notreNarcisse moderne se replie et s'enferme sur lui-mme et son imagepublique21.

    En rsum, on peut s'interroger sur l'ego-proprit en se penchantsur une phrase d'Erich Fromm: "Si je suis ce que j'ai, et si ce quej'ai est perdu, alors qui suis-je 1"22

    1.3 - LE RECOURS A L'ENTREPRISE

    Face ces changements, il apparat que l'entreprise est plusdynamique, est plus apte changer, est plus capable d'assurer sasurvie (mme au prix d'allgements de personnel), elle devient lavaleur refuge, "avoir un emploi" est une chance, de prfrence dansune grande entreprise (apparemment plus stable). Or, survivre est-il

    21 CHANLAT J.F., op. cit., p. 77122 FROMM Erich, op. cit., p. 132

    33

  • suffisant? Et quel prix? Dans ce contexte, l'entreprise devient unmodle d'adaptation, un refuge dispensateur de nouvelles valeurs.De nombreux conflits sociaux peuvent tre vus non pas comme uneremise en cause de l'entreprise mais comme une demande croissantede prise en charge de l'individu par l' entreprise (demande de plus dereconnaissance, de plus de scurit d'emploi, de plus d'argent, etc.).

    L'entreprise sduit nombre de citoyens dans leurs choix politiquesgalement et il n'est pas rare qu'un homme soit port par sa russited'entrepreneur lors d'chances lectorales.

    Selon plusieurs auteurs, l'entreprise devient lieu d'laboration desvaleurs donc, rel et seul levier de changement social, on parle"d'entreprise citoyenne "23, qui semble tre en mesure de fournir lemodle prdominant. La sacralisation du modle conomique fondecette analyse, l'amalgame entre individu et producteur-consommateur la renforce, la diffusion des valeurs d'efficacit, deperformance, de combat et du "tout s'achte, tout se vend"l'idalisent.L'entreprise est sacralise; ses dirigeants passent du rled'exploiteurs celui de hros, "l'esprit d'entreprise constitue lavaleur suprme, laquelle doivent tre subordonnes toutes lesautres. Relay par les services de relations publiques, amplifi etsimplifi par les mdias, le discours sur le management setransforme ainsi en un discours idologique; ce qui est donc mis encause ce sont les effets de mode et les dcalages qui s'ensuivententre le discours sur l'entreprise, ncessairement motivant,mobilisateur, voire enthousiasmant, et les ralits de l'entreprise,telles qu'elles sont vritablement vcues par les salaris. "24"L'ide selon laquelle l'entreprise constitue dsormais un plethique central qui doit refaonner la socit tou~e entire est un desthmes centraux de l'idologie managriale. A l'image d'une socitfranaise en dcadence, ayant perdu ses points de repretraditionnels, s'oppose celle de l'entreprise moralement saine et

    23 SAINTSAULIEU Renaud "L'entreprise, une affaire de socit", Presses de lafondation nationale des sciences politiques, Paris, 199024 LANDIER Hubert "Vers l'entreprise intelligente", Calmann-Levy, Paris, 1991,p.269

    34

  • dynamique, ple central de la rgnration des rapports sociaux25".Et pourtant, l'entreprise est-elle vraiment la hauteur de cetterfrence que certains voudraient qu'elle soit? Et n'est-elle pas, enmme temps, un lieu de mfiance, de luttes, ou comme le dit LucBoltanski "ayant tout explor, ou presque, de la petite entreprisetraditionnelle au grand groupe multinational, et n'ayant rencontrpartout que la fourberie et l' chec26".

    En cent ans, les entreprises qui s'inspiraient des modles demanagement et des mthodes mises au point par l'arme et l'Etat,deviennent aujourd'hui les modles de leurs inspiraturs du pass.Or, actuellement, un grand nombre d'entreprises franaises, encorehritires d'une bureaucratie poussireuse, sont caractrises par unestratification excessive, une pression hirarchique mesquine et uneforte solidarit ngative des employs.

    Les entreprises sont devenues, aujourd'hui, le support des nouvellesaspirations des salaris: en particulier celles des plus jeunes quisont porteurs de nouvelles exigences et d'une recherche desatisfactions personnelles immdiates. L'entreprise devient lieud'volution, de formation, de satisfaction. Des travailleurs mieuxduqus et mieux forms que leurs prdcesseurs revendiquent ledroit la parole.La conduite de nombreux projets de changements dans desentreprises, permet de dfinir deux types d'attitudes:

    . les" inertes" : ceux qui ont abandonn toute vellitd'amlioration de leur situation dans l'entreprise; ilsvivent sur l'inertie, leur motivation est teinte, leur dsir etleur nergie "participer" sont "uss". Ce sont les duspar l'entreprise, souvent victimes d'un managementterroriste, ils se contentent de leur emploi et font tout pourle prserver avec une volont conservatrice ou leur nergietrouve s'exprimer.

    25 LE GOFF Pierre "Le mythe de l'entreprise", Editions la Dcouverte, Paris,1992, p. 15126 BOLT ANSKI Luc, "Les cadres, la formation d'un groupe social', Les ditionsde n1inuit, Paris, 1982, p. 492

    35

  • les" rveurs" : on y trouve les" rveurs actifs" et les"porteurs d'espoir". Les "rveurs actifs" s'efforcent devivre leur rve, ils sont souvent porteurs du discours del'idalisation ils se calquent sur un modle du managerhyperactif, ils veulent s'exprimer, ils" se dfoncent" etdclarent y trouver plaisir et . .. fatigue. Les "porteursd'espoirs" attendent les changements qui leur permettront,avec les autres salaris, de crer, de s'exprimer et des'amuser dans leur travail, leur espoir est collectif. Parfois,ils russissent raliser ce rve dans leur structure: dansce cas, ils peuvent rver de l'tendre ou se sentir isol ouinsuffisamment fort pour l'tendre et devenir" inertes" surla base de ce qui a dj t fait.

    Ceci illustre bien, dans l'entreprise, ce que l'on nomme souvent unesocit deux vitesses.

    .

    Ces attitudes sont souvent provoques par les entreprises et lemanagement. Il arrive trs frquemment que des rveurs deviennentinertes par dception, manque d'entretien de leur motivation et quela volont de progresser et de participer s'teigne ainsi. Lesstructures managriales n'ont pas atteint le degr de maturitsuffisant et des problmes de satisfaction, de motivation, deproductivit surgissent, malgr l'arsenal de "recettes" et d'outils, l'usage des managers, acc~muls en la matire depuis plus decinquante ans.Mais, dans le contexte de crise, l'entreprise est aussi le lieuprivilgi de repli stratgique pour la dfense de son emploi et lemaintien de son niveau de vie. C'est cette dualit qu'il lui faut grer, la fois mre nourricire et pre mancipateur.

    Cette gestion multiples facettes doit tre prise en charge par lescadres, dans la dimension complexe de leur rle. Il convient des'adapter des contextes et des individus diffrents, c'est la rellecomptence du moment. Car sinon, comment un grand groupe,compos de varits importantes (nombreuses filiales), peut-il porterdes valeurs o chacun puisse se projeter sans prsenter des valeursniveles, "bateau", qui montreront des incohrences entre les valeursindividuelles et celles vhicules par l'entreprise.

    36

  • L'entreprise, entit fdratrice?

    Socit

    artic.patiosoc ale

    .Sociostyle Etatpr vidence

    Entr rIse

    Collectifs Coordina tions Individu

    L'entreprise prend une importancecentrale croissante: toutes les attentes

    y sont concentres

    37

  • Les entreprises sont gnralement dsempares face ces nouvellesdemandes, elles y rpondent soit d'une manire "scientifique", pardes procdures de gestion de ressources humaines, la mise en oeuvrede plans de carrires (ce concept a t-il encore un sens ?), par ladtection de "hauts potentiels", etc. ou en cdant l'appel dessirnes, en croyant dans la nouvelle mthode miracle, dans lanouvelle mode...

    Dans ce contexte le rle du manager devient central. Il est le relais,le dmultiplicateur, le lien entre la ralit, les travailleurs, et lesdcisions de l'entreprise, son avenir, sa vision. Son rle est dedonner du sens: l'entreprise, son existence, au rle de chacun.Dans certaines entreprises, une grande partie du temps des cadres estdsormais consacre faire voluer les membres de leur quipe. Lesrsultats qu'ils obtiendront sont lis aux progrs des salaris qu'ilsmanagent. Leur rle les amne tre formateurs, mais surtoutencadrants dans un sens humain c'est--dire dans le sens dudveloppement des potentiels humains dont ils ont la charge.Pour raliser cela ils doivent, actuellement, se placer dans lescontradictions de l'entreprise, dans leurs contradictions personnellesafin d'tre disponible pour faire leur mtier. Pour cela la divisionrationnelle entre vie professionnelle, domaine de la rationalit et vieprive, domaine de l'affectivit, de la qute de sens, d'expression devaleurs personnelles doit elle-mme tre gre afin de permettre deschanges fructueux propices une pratique quilibre.Il semble que vis--vis de ce rle des cadres, l'apparition d'unphnomne de chmage des cadres constitue un frein important enraison des craintes sclrosantes qu'il veillera chez eux, les rendantmoins disponibles car plus soucieux d'eux-mmes. Ceci constitue unphnomne culturel d'importance.

    Si l'entreprise constitue un modle social, il semble que la questionde la gestion des ressources humaines constitue un point nodal decette approche. Or les modes de gestion actuels semblent dpasss:soit par les concepts anciens, soit par l'application de nouveauxconcepts sur des modes de ngociation anciens.Le double discours de l'entreprise sur l'individu est source dedifficults de comprhension et de malaise chez les managers:

    38

  • l'individu y reprsente la valeur de l'entreprise, elle se fonde sur lesindividus qui la composent, elle promeut une culture d'entreprisetourne vers l'individu (discours), et en mme temps on poursuitl'interchangeabilit des individus, on licencie en masse, on rduit lepersonnel, on dvalorise l'individu, on mprise les revendications(pratique). Dans ce cadre quel est l'avenir de la gestion desressources humaines? Sur quelle chelle des temps travaille-t-elle ?Quelle cohrence trouve-t-on entre la gestion prvisionnelle del'emploi et des comptences et un plan social?"La socit occidentale industrielle, prisonnire de l'autoritarisme etdu culte de la rationalit conomique qui ont prsid ses origineset accompagn son dveloppement, n'a pas su encore accoucherd'une gestion digne des autres valeurs qui l'animent notre poque,dont l'mergence et l'accomplissement du sujet constituent un destraits marquants de son volution. "27

    L'accentuation des carts entre pauvret et richesse, entre lemanager combatif et gagnant, et les laisss pour compte de cettemodernisation livrs au chmage et l'incertitude des lendemains,constitue un spectacle saisissant, mais le problme fondamental restela facilit et la rapidit avec laquelle le basculement se ralise. Alorsqu'on croyait les frontires dfinies, le manager peut demains'crouler et basculer" de l'autre ct" sans intermdiaire, c'est encela qu'on reconnat un gaspillage social.

    27 CHANLAT A. & BEDARD R. "La gestion, une affaire de parole" inCHANLAT J.F., op. cit., pp. 98-99

    39

  • 2LES CONCEPTS ABORDES

    "L'exprience, ce n'est pas ce qui arrive l'individu. C'est ce que l'individu fait de ce quilui arrive n28

    Une dfinition des principaux concepts abords est ncessaire pourclairer notre approche dans un domaine o le flou des termesl'emporte souvent sur la rigueur et la clart, ce qui permet chacunde se projeter dans un vocable suffisamment mallable.

    MANAGEMENT

    Tout d'abord le management est souvent abord, ce mot recouvredans de nombreuses entreprises des tches trs varies et cela mrited'tre examin.Le management, au sens de la conduite des hommes et del'organisation des moyens dans un souci d'efficacit, est une activitfort ancienne qui trouve ses racines dans les corps religieux et

    28HUXLEY Aldous "The doors of perception It

    41

  • militaires. Les mtaphores appliques l' entreprise29 constituent lesmodles sous-jacents de la pense managriale classique: l'arme etla machine.Cela implique gnralement l'adhsion des valeurs permettant uneapproche trs technique et scientifique: la prvisibilit, ledterminisme, la discipline, l'ordre, la division du travail, laspcialisation des fonctions, la logique, la conduite rationnelle,l'obissance, ...La dfinition suivante parat complte: "activit ou plus prcismentsrie d'activits intgres et interdpendantes destines faire ensorte qu'une certaine combinaison de moyens (financiers, humains,matriels, etc.) puisse gnrer une production de biens ou deservices conomiquement et socialement utiles et, si possible, pourl'entreprise but lucratif, rentables. (...) Depuis Fayol, en 1916, onn'a peu prs rien trouv de mieux que le noyau intgrateurrsumant les grands axes du travail du dirigeant Planifier,Organiser, Diriger, Contrler, le fameux PODC. "30Pour prciser notre pense, le manager est, comme le dirigeant,responsable de moyens varis et de leur combinaison, gnralementdes quipes, des individus, et des moyens financiers: un budget, desressources, etc.Le dirigeant est celui qui donne la direction de l' entreprise (dirigervient du latin rex), la direction est dfinie de manire unique pourtous, parfois dans l'absolutisme; manager, terme anglo-saxon(francis officiellement par l'Acadmie franaise en 1973),correspond la conduite, la prise en main (du latin manus), lemanagement est l'acte de prendre des dcisions, d'avoir uneinfluence sur le fonctionnement du systme.31

    D'autres dfinitions ont t proposes videmment, certainesillustrent la difficult du rle du manager: "Management:nologisme d rorigine anglo-saxonne qui dispense donc d'aller troploin dans la prcision. Selon certains ce serait "faire le mnage",

    29 MORGAN Gareth "Images de l'organisation", ESKA diteur, Qubec, 198930 AKTOUF Olnar "Le management entre tradition et renouvellement", GatanMORIN diteur, Qubec, 198931 GOGUELIN Pierre "Le managenlent psychologique des organisations", EditionsESF, Paris, 1989, p. 22

    42

  • lourder les incomptents, se charger de tous les travaux, y comprisles plus drisoires etc., et pour les autres "s'occuper de sonmnage", tmoigner des gards, assurer des ressources, etc.32".

    Dans ces dfinitions, l'employ est un des moyens, une desressources (plus ou moins rfractaire) optimiser, il estinstrumentalis.On peut remarquer que l'ensemble des dfinitions dcrit une activit,principalement de coordination et de conduite, destine amliorerle fonctionnement de l'entreprise sans se prononcer sur la validit decette activit, sur sa valeur. Le management ne prtend pas au vraiou au juste, l'efficacit, objectif principal de l'activit, n'est pas ensoi porteuse de vrit, et certainement pas de justice. Ainsi lemanagement, intrinsquement, ne dfinit pas le cadre de sonexercice, c'est au manager lui-mme de trouver et de dfinir lesrepres de sa pratique managriale, autrement dit une thique, unstyle, etc.

    SANTE

    Le concept de sant sera abord lors de discussions sur le malaisedes cadres, ou plus particulirement sur les atteintespsychosomatiques. Pour tayer ce concept, nous nous appuyons surla dfinition suivante: "La sant n'est pas seulement une" absencede maladie ou d'infirmit" mais aussi "un tat de bien-tre physique,mental et social". Le bien-tre est un tat d'esprit dynamiquecaractris par un degr raisonnable d'harmonie entre les capacits,les besoins et les aspirations du travailleur, d'une part, et, d'autrepart, les ouvertures et exigences de l'environnement. L'valuationsubjective individuelle est le seul moyen valable dont on disposepour mesurer le bien-tre, mme si elle ne concide pas toujoursavec les vues" objectives" des autres - un travailleur peut, parexemple, prouver un sentiment de bien-tre tant dansl'accomplissen1ent d'une tche monotone que dans une tche

    32 VAZ Philippe "Management, quand l'entreprise perd la tte", FIRT diteur,Paris, 1990, p. 184

    43

  • potentiellement dangereuse33". L'intrt d'une telle dfinition rsidedans la dimension dynamique de la sant compte tenu desdimensions relationnelles individu-environnement.

    TRAVAIL

    Il apparat ncessaire de proposer galement une dfinition dutravail. Il n'est pas vident qu'elle satisfasse tout le monde, toutefoiselle permettra notre propos de s'y rfrer sans ambigut.Le Larousse propose plusieurs dfinitions du travail, on y trouve"activit de l 'homme applique la production, la cration, l'entretien de quelque chose", puis" activit professionnelle rgulireet rmunre", et dans un sens plus philosophique, "activit detransformation de la nature, propre aux hommes qui les met enrelation et qui est productrice de valeur". Nous retiendrons lesdimensions sociale, relationnelle et financire (l'activit met enrelation, elle est reconnue car rmunre), et la dimensionsymbolique (le travail a un sens, il est appliqu quelque chose dansun objectif de production de cration ou d'entretien). Selon cetteapproche le travail a une vise de "production sociale", mais pasforcment de "travail productif" .

    La situation de travail a galement t explore par les ergonomes etles diffrences entre travail, tche, activit ont apport une prcisionsupplmentaire. Ainsi le poste de travail34 dsigne l'emplacement,avec les quipements, rserv une personne; la fonction dsignece que doit accomplir une personne dans un groupe; le mtierdsigne un genre de travail dtermin, reconnu ou tolr par lasocit, dont on peut tirer ses moyens d'existence; la professiondsigne une occupation (mtier, fonction, tat) dans le langagejuridique ou administratif.La tche fait rfrence "ce qui est faire", c'est--dire un objectif atteindre alors que l'activit rfre "ce qui se fait", c'est--direau comportement directement observable.

    33 LEVI Lennart "Dfinitions et aspects conceptuels de la sant en milieuprofessionnel" in "Travail et sant mentale", ANACT, Paris, 1991, p. 3834 GILLET B., "Le psychologue et l'ergonomie", EAP, 1987

    44

  • Le travail met en relation le travailleur et l'employeur (ou sonreprsentant). Ds lors, il devient une notion mouvante: "Est-ce unemise disposition par le salari tout la fois de son nergie, de sonexprience, de son intelligence, de sa motivation, de sondvouement, de son imagination? Ou bien, comme l 'histoirel'atteste, un constant conflit sur ce que chacun peut exiger del'autre, c'est--dire sur la nature de la libert respective du slari etde l'employeur. L'tendue de ce que l'un estime avoir vendu et dece que l'autre considre avoir achet ne diffre pas seulement enraison des intrts divergents du premier et du second, mais enraison d'une apprciation diffrente de ce qui est jug commevendable et achetable : le dvouement, la fidlit en font-ils partie?La motivation, l'imagination, l'intelligence jusqu' quel point? Ladfinition prcise du travail n'est pas seulement une tendance del'employeur sous la forme de la prescription, c'est aussi unedemande du salari qui sous une autre forme, veut tablir des lin1ites ce qu'on peut exiger de lui35".Dans ce cadre, la vision uniquement conomique se rvle restrictiveet le rapport salari se montre comme un fondement de notresocit: le rapport salari, et notamment le rapport capital-travail,ne se laisse pas l'analyse ranger aisment dans un domaine quiserait l'conomique, en opposition au politique ou au symbolique. Ilcontient en fait toutes les dimensions du social. Il semble qu'ilpuisse tre tudi utilement, non pas simplement comme un rapportsocial dans l'ordre conomique, ou comme un rapport conomiqueencastr dans le social, mais comme un rapport totalement socialpouvant ordonner, structurer l'ensemble ou une grande part dusocial, comme d'autres rapports sociaux ont pu le faire dans d'autressocits36" .

    La notion de travail doit tre taye de la notion de "vcu" : dansune analyse ayant trait au stress, par exemple, certains vnementsseront jugs stressants par des cadres et non stressants par d'autres,c'est cette valuation subjective qui reprsente le vcu du travail: le35 FREYSSENET Michel, "L'invention du travail", Futur Antrieur, n016, 1993/2,L'Harmattan, Paris, 1993, p. 2436 FREYSSENET Michel, op. cit., p. 25

    45

  • travail ne peut tre dfini que comme des" situations de travail",c'est--dire comme un vcu subjectif et comme un espaced'investissement (ou de non-possibilit d'investissement) del'intelligence et de la personnalit de l'oprateur.

    Nous abordons le travail sous l'angle de son cot, principalementpsychologique, pour les managers. La notion de charge de travails'impose alors: on peut dg~ger deux volets d'une approche dutravail :

    . l'approche par les contraintes (organisation,environnement, etc.),l'approche par les charges (physique, psychique etmentale) .

    .

    Les contraintes dans le travail sont tudies par la psychosociologiedes organisations (l'homme dans l'organisation, acteur, etc.) et parl'ergonomie (l'environnement et son influence sur le travail, ...). Lacharge physique du travail est gnralement tudie par desmdecins et des ergonomes.L'approche par les charges est cumulative: elle dcrit la charge dutravail comme la somme d'une charge physique et d'une chargementale (ou cognitive). Les travaux de C. Dejours37 ont mis envidence la charge psychique dsignant les astreintes susceptiblesd'affecter la sant mentale.

    MOTIVATION

    Le concept de motivation prsente aussi quelque intrt, du ct dela n10tivation des managers, mais galement par leur rle prtendude "crer" la motivation de leurs subordonnes.Le modle de base des thories de la motivation est la hirarchie desbesoins d'Abraham Maslow38 : il postule que les besoins sont

    37 DEJOURS C. "L'organisation du travail et ses effets pathognes", rapportRoyaumont/ministre du travail, Paris, 1978,38 MASLOW AbrahalTI "Motivation and personality", Harper and Bros, New-york,1954

    46

  • classs par ordre croissant et que l'apparition d'un besoin estconditionne par une satisfaction suffisante des besoins du niveauinfrieur, on trouve dans l'ordre croissant:

    1. les besoins physiologiques: faim, repos, abri, protectioncontre les lments.

    2. les besoins de garantie, de scurit: contre les dangers, lesmenaces, les privations.

    3. les besoins de liens sociaux: acceptation, donner etrecevoir amiti et amour.

    4. les besoins de l'ego, personnels: estime qu'on a de soi-mme, besoin de respect et confiance en soi, autonomie,russite, comptence, savoir, tre reconnu et apprci.

    5. les besoins d'accomplissement de soi, de crativit:raliser tout ce dont on est capable, continuer sedvelopper, tre crateur au plus large sens du terme.

    Cette hirarchie des besoins a t complte par des tudes de FredHerzberg39, puis de Charles Hugues40 qui approfondissent la notionde satisfaction" suffisante" des besoins et en distinguent les besoinsd'entretien des besoins de dveloppement.Joseph Nuttin analyse les liens des besoins avec la motivation dansun travail sur la motivation dans son aspect dynamique etdirectionnel41. La motivation s'inscrit dans une dimensionrelationnelle de l'individu en situation dans un environnement, l'actemotiv est conu comme partie intgrante d'une unit fonctionnelleIndividu-Environnement. Cette approche englobe la situation etdonne la motivation une dynamique relationnelle."L'environnement en question est la situation significative tellequ'elle est construite par le sujet. Le point d'arrive ducomportement doit lui aussi se dfinir et se mesurer en relation avec

    39 HERZBERG Fred & al. "Motivation at work", John Wiley and sons, New York,195940 HUGUES Charles L. "Ngocier les objectifs", Hommes et techniques, Paris,196941 NUTTIN Joseph, op. cil.

    47

  • le sujet, savoir avec le rsultat projet et attendu par le sujet. C'estce rsultat appropri et attendu qui dtermine l'acte du sujet. C'estsur la situation perue que le sujet exerce son action, c'est dans leursrapports mutuels qu'il faut considrer sujet, situation, action, etrsultat42"Ces travaux concernent le champ du modle relationnel de lamotivation, ce modle propose une comprhension dufonctionnement humain. Nous ne pouvons ici que nous y rfrer eten donner un bref aperu par quelques citations commentes.La motivation est vue comme une force provoque par l'impossibleisolement de l'individu: celui-ci est pouss par sa constitution interagir avec son environnement. On peroit alors l'importance duprocessus de constitution de l'individu dans les interrelations qu'ilentretiendra avec son environnement: "Le caractre de besoin quicaractrise les relations Individu-Environnement est conu commeprenant racine dans l'unit originelle du systme d'interaction d'oprogressivement l'individu s'est dvelopp comme entit biologiqueet psychosociale. La complmentarit du milie~ par rapport l'individu qui en rsulte fait de l'individu une entitfonctionnellement incomplte. D'o son besoin d'interaction aveccertaines catgories d' objets43".L'interaction avec l'environnement est un besoin fondamental, maiselle peut prendre des formes trs varies, ce qui conduit descomportements divers lis troitement des caractres trsspcifiques du sujet (expriences, formation lments constitutifs dela personnalit) : "L'orientation fondamentale des relations requises(besoins) est inne, ce qui n'empche pas qu'elle se dveloppe et seconcrtise en formes infiniment diffrencies, modeles par desfacteurs exprientiels (apprentissage et canalisation) et situationnels,ainsi que par des processus d'laboration cognitive44".L'intrt de cette dynamique relationnelle individu-environnementest qu'il est possible d'veiller la motivation de l'individu par desvnements correspondants au sujet: "Etant donn le caractrerelationnel du processus motivationnel, son activation prend origine

    42 NUTTIN Joseph, op. cit., pp. 74-7543 NUTTIN Joseph, op. cit., p. 12744 NUTTIN Joseph, op. cit., p. 128

    48

  • soit dans les conditions de l'individu, soit dans l'objet qui seprsente et veille chez le sujet, le besoin latent45".

    Ce modle intgre l'individu dans son rseau relationnel et dfinit lamotivation comme apparaissant dans cette rencontre de l' individu-sujet avec l'environnement (intgrant l'individu-objet). C'est de cetterencontre des possibilits instantanes de l'individu et de sonenvironnement que naissent les motivations.

    45 NUTTIN Joseph, op. cit., p. 12849

  • Deuxime Partie

    APPROCHES CONTEMPORAINES

  • 1LES GRANDES THEORIES DUDOMAINE

    "Sans le travail, toute la vie est gte, maisquand le travail est sans me, alors la vies'touffe et se meurt" 46.

    Le courant de la psychologie des organisations s'est attach tudierdes points comme la satisfaction au travail, la motivation, l'attitudedes hommes au travail, le comportement des groupes, les modes dedirection, les modes de participation, etc.. Ainsi ont t produitesdes connaissances et dfinis des concepts utiliss dans lesentreprises, par exemple les expriences de R. Likert dmontrant lasupriorit des systmes de management participatif sur les autressystmes, autoritaire ou consultatif.Ce courant a t marqu par quelques figures bien connues par lespraticiens du management: E. Mayo avec la fondation de l'cole desrelations humaines, K. Lewin par ses expriences sur les systmesdmocratiques de direction, R. Likert par ses travaux sur lemanagement participatif, H.J. Leavitt en tudiant la communication

    46 CAMUS Albert53

  • dans les petits groupes, D. Mac Gregor par sa thorie X et Y descomportements, F.E. Emery & E.L. Trist en dfinissant le systmesocio-technique au "Tavistock Institute of Human Relations" Londres, E. Jaques par son regard psychanalytique sur l'tude desconflits socio-organisationnels, G. Friedmann en largissant laperspective de l'organisation du travail, C. Argyris par l'extensiondu concept d'efficacit de l'entreprise, F. Herzberg par ses apportssur les motivations humaines au travail, et d'autres auteurs dont lesnoms sont moins connus.

    Dans le cadre de la psychologie des organisations, le domaine du"cot" psychologique de l'exercice du management se rattache deux aspects:. les dimensions psychologiques du travail, appliques au

    management: elles concernent l'analyse des motivations etdes influences de la personnalit du travailleur sur laralisation des tches qu'il doit accomplir. Pour lesmanagers, on tudie les aspects communicationnels,relationnels, ...

    les travaux sur les" comptences" psychologiques desdirigeants et des managers: ils ont donn lieu un courantde "l'cole de la caractrologie" qui analyse les traits decaractre chez les dirigeants pour en tirer des consquencessur ses dcisions, son attitude devant le risque, sonaptitude la direction. Ces travaux ont permis la crationd'outils psychotechniques.

    .

    Les pistes concernant les traits de personnalit des" leaders" (tudesde Lewin, Lippit et White, BaIes, Blake et Mouton, Mac Gregor,Likert) bien qu'tant encore couramment utilises, n'ont rien donnde convaincant, et celles mettant l'accent sur les habilets ont,approximativement, abouti ce que le "bon" dirigeant devrait savoirtrouver l'quilibre idal entre ce qui conduit la ralisation la plusefficace de la tche et ce qui entretient le meilleur moral possibleparmi les subordonns et les employs.

    54

  • De plus, certains auteurs n'ont pas manqu de critiquer une "visiontroite" des problmatiques et de dnoncer des zones d'ombres:"l'intrt de la psychologie organisationnelle envers la motivation etson manque d'intrt pour la symbolique au travail caractrise bienson orientation technocratique. Les objets d'tude concernent desquestions troites et bien dfinies, les rponses ces questionsconstituent la base d'un fragment d'ingnierie sociale dont l'objectifest de contrer les tendances engendres par la division du travail etl'appauvrissement des tches. 47"D'autres dimensions, pour peu qu'elles soient tudies, sont souventdnies: "Comme l'individu a souvent peur d'affronter sa ralitpsychique, le dirigeant se mfie de son intriorit et de sasubjectivit. Les livres de gestion reprsentent d'ailleursfrquemment par une "bote noire" ce qui se passe l'intrieur dudcideur. Dans les organisations, l'analyse des relations avecl'extrieur (l'environnement) est moins menaante que l'analyse dufonctionnement interne. Une plus grande reconnaissance et une plusgrande acceptation de l'intriorit pourraient cependant apporter degrands bnfices, tant sur le plan individuel, sur le plan de lapratique de la direction, que sur celui de la conception desorganisations. 48"

    D'une manire gnrale, on peut remarquer une forte sparationentre vie professionnelle et vie prive, espace de travail et espace deloisirs. Cela se conforme aux deux formules d'amnagement de lavie active: la vision maslowienne du travail comme moyend'expression et de ralisation de soi, la vision sivadonienne del'amnagement complmentaire du temps libre (dans la convivialit)qui dpollue du mal-vivre et de l'isolement professionnel49.

    Toutefois, l'apparition des changements du monde du travail, desnouvelles formes de pathologie ou de mal-tre, provoquent descourants de recherche comblant ces espaces dlaisss, o de ces"dimensions oublies". Or, ce sont ces tats de "non-sant" qui sontbien plus gnrateurs de connaissance que les tats "normaux", la

    47 ALVESSON M., cit par CHANLAT J.F., op. cil., p. 548 CHANLAT J.F., op. cil., p. 27449 AMIEL Roger "Entreprise et sant", Maloine diteur, Paris, 1985, p. 395

    55

  • comprhension de l'ordre des choses merge du dsordr,l'automobiliste apprend connatre le moteur de sa voiture entombant en panne, le mdecin apprend la sant en soignant les corpsmalades. Par exemple, lors d'une O.P.A., les comportements descadres, l'analyse de leur vcu au travers de ce qu'ils en disent,dmontrent des enjeux du rle du manager et des contraintes qu'ildoit subir (effort demand au cadre, stress continu impos,possibilits d' humiliation, gestion de la culpabilit des individus,obligation de la soumission, emprisonnement dans des rgles, etc.).

    Les modes de management, en phase avec les nouvelles aspirationsdes individus, les sollicitent de plus en plus au niveau de leur idalindividuel, de leur volont de dveloppement et de dpassementpersonnel auxquels ils sont censs pouvoir accder au moyen del'entreprise en passant par elle et grce elle. Mais, lorsquel'individu s'identifie trop aux exigences et au modle idal propospar l'entreprise, il court des risques tels que s'il ne parvient plus suivre le rythme et satisfaire l'entreprise, la perte dereconnaissance par celle-ci peut avoir un effet dvastateurqu'tudient certains courants plus concentrs sur la dimensionpsychologique du travail.

    Les dynamiques de changement dj cites ont apport un ensemblede contraintes supplmentaires pour les managers, cela a provoqul'apparition de nouveaux comportements qui peuvent tre analyssselon quatre grands courants contemporains:

    . L'approche psychanalytique, principalement reprsente enFrance par Manfred Ket de Vries50 : ce courant seconcentre sur l'analyse des structures de personnalit desmanagers et apporte un modle explicatif construit autourdes notions d'instances psychiques et de mcanismes dedfense (modes de transfert, etc.).L'approche du stress: le terme de "stress" est assezrpandu dans le vocabulaire courant et on y fait souvent

    .

    50 KETS DE VRIES Manfred & MILLER Danny "L'entreprise nvrose",McGraw-Hill, Paris, 1985

    56

  • .rfrence, ce qui explique sa diffusion. De nombreuxchercheurs, principalement anglo-saxons, ont cr desmodles qui prsentent une structure communerelativement similaire.

    L'approche de l'idalisation: analysant les modes demanagement "modernes", elle dnonce un mode defonctionnement de l'organisation contraignant pourl'individu. Les auteurs les plus rputs sont H.].Freudenberger51, et en France N. Aubert et V. deGaulejac52.L'approche de la psychopathologie du travail: n enFrance, ce courant se dfinit de la manire suivante: "c'estl'analyse dynamique des processus psychiques mobilisspar la confrontation du sujet la ralit du travail. 53". . ."c'est dans le rapport au travail que prendra corpsl'laboration d'un compromis entre le fonctionnementpsychique du sujet et les conflits qui surgissent del'affrontement de sa personnalit et de son dsir l'organisation du travail. 54" "C'est qu'entre lescontraintes du travail et la maladie mentale, s'interpose unindividu non seulement capable de comprendre sa situation. .. mais capable aussi de ragir et de se dfendre. 55" Ontrouve l des aspects dynamiques faisant intervenir lasubjectivit du travailleur, et les mcanismes qu'il vamettre en oeuvre pour construire son quilibre dans uneorganisation contraignante.

    .

    51 FREUDENBERGER Herbert "L'puisement professionnel, la brulure interne",Gatan Morin diteur, Qubec, 198752 AUBERT Nicole & de GAULEJAC Vincent "Le cot de l'excellence", Seuil,Paris, 199153 DEJOURS Christophe & ABDOUCHELI Elisabeth, op. cit., p. 1954 CANINO Rmi "Orientation et psychopathologie du travail", Educationpermanente, n 108, p. 8755 DEJOURS Christophe & ABDOUCHELI Elisabeth, op. cit., p. 22

    57

  • Ces courants portent des regards diffrents sur une ralit communecaractrise par l'apparition de nouvelles formes de "maladiesprofessionnelles" .

    Ainsi, "la maladie des dirigeants (Kielholz, 1957) ou desresponsables (Raymond, 1960) constitue un aspect brutal etsaisissant des 'ractions morbides imputes au travail. Les dfensesmentales de certaines personnes forte capacit intellectuelle et haute responsabilit "dplacent" selon un cheminementpsychosomatique, leurs affects conflictuels sur et dans le corps.Mais il s'agit pendant longtemps d'une pathologie en demi-teinte,difficile saisir et dcrire, habituellement qualifie de"surmenage". Toutes les dolances de sant sont possibles, celles dela fatigue chronique surtout, avec une prdilection pour les malaisesurinaires, digestifs et cardio-vasculaires. Deux caractristiquesunissent cependant tous ces signes: l'existence d'une anxitmassive, plus ou moins bien refoule ou compense, qui inonde lefond de la personnalit du sujet, un haut risque d'une chancefatale: l'infarctus du myocarde. Mais les troubles de sant que nousvoquons ici sont plus graves. Bien que ressemblant trangement surle mode clinique au syndrome dcrit par Machefer, ils affectentdavantage un sujet de 40 60 ans, de sexe masculin, qui occupe unesituation professionnelle qui ncessite, outre un surmenage physiqueet de gros efforts psychologiques, un engagement de saresponsabilit qui le pousse s'identifier son entreprise. On parlealors aussi de "fatigue des cadres dirigeants" (Servier) et de"dpression d'puisement des responsables" (Bornstein), .la fatigue-dpression tant bien la consquence du surmenage-puisementcomme le signalent Laxenaire et Wildocher. 56"On voit donc ici les liens troits de la charge psychologique detravail des managers avec des affections psychosomatiques. Uneautre symptomatologie a t dfinie et concerne le syndrome defatigue chronique (SFC) particulirement virulent chez les cadres"dynamiques" .

    56 AMIEL Roger, op. cil., pp. 244-24558

  • D'autre part, une enqute sur la maladie57 nous apprend que lescadres sont la catgorie socioprofessionnelle la plus consommatricede sance de mdecin/individu/an (chefs de mnage actifs),particulirement en mdecine spcialise; et la plus consommatricd'automdication (achats effectus sans ordonnance sur le total desachats de pharmacie).

    La littrature managriale est prolixe et, de nouveaux modles, denouvelles explications prolifrent. Toutefois il apparat que dans denombreux cas, la citation suivante est applicable:"Disons le franchement, aprs de nombreuses lectures fastidieuses,notre conviction est faite: la plupart des best-sellers dans le domainedu management sont l'quivalent des sries amricaines latlvision. Ces produits, le plus souvent made in US, rptent desvidences o chacun se retrouve et tire des conclusions gnralesd'exemples simplistes faciles comprendre sans effort particulier.Ils sont vendus dans les aroports comme des magazines. Craignonsque ces sandwiches intellectu~ls ne coupent la faim des nophytes.Pour le reste, ils ne sont pas dangereux puisqu'il n'y a rien, oupresque en retenir. 58"Si nous partageons cet avis sur une bonne part de cette littraturemanagriale, nous ne la regardons pas avec le mme optimisme:elle prsente un danger dans la mesure o elle masque les relsproblmes et empche d'aborder les problmes d'une manirepermettant de progresser vers leur rsolution.

    57"Etat des maladies", Sciences humaines, n 12,Dcembre 1991, pp. 24-25

    58 GODET Michel "L'avenir autrement", Armand Colin, Paris, 1991, p. 3259

  • 1.1L'APPROCHE PSYCHANALYTIQUE

    "Comme dans un miroir: vous n'tes pas lereflet mais le reflet est vous59"

    La psychanalyse des organisations fut dveloppe en Angleterre ausein du Tavistock Institute par Wilfred Bion et Elliot Jaques. Cedomaine d'tudes couvre ce qu'on appelle parfois" l'approcheclinique du management", il est reprsent par M. Kets de Vries,mais d'autres auteurs comme E. Jaques, H. Levinson, M. Maccoby,ou encore A. Zaleznik participent par leurs travaux sondynamisme.

    Ce courant s'intresse saisir le travail des forces psychiques(forces caches) qui perturbent le fonctionnement des organisationset des groupes, altrent les relations entre individus et activent lesrsistances personnelles.

    Les concepts utiliss s'appuient sur les travaux de la psychanalyse etles prolongent par leur application aux relations de travail et auxaspects de l'organisation. Dans le domaine du management ilsprsentent un apport fondamental en tudiant les consquences des

    59 Koan Zen61

  • comportements nvrotiques des dirigeants sur le fonctionnement del'organisation: on y trouve les styles paranoaque, compulsif,thtral, dpressif, schizode. La conclusion est que "laconfiguration d'une organisation reflte approximativement, semble-t-il, la structure psychodynamique des dirigeants 60". On voit l unecorrlation troite entre les rsultats des socits et le dveloppementpersonnel de leurs dirigeants. D'autres concepts comme les notionsde fantasmes collectifs, de transferts chez les subordonns ou lessuprieurs, de relations pathologiques, de mcanismes de dfensesont utiliss et donnent ce courant une grande cohrence.

    Les mcanismes de dfense du groupe qui ont t mis en _vidence, la lumire des analyses de Freud sont la fixation (adhsion rigide une attitude ou un comportement), la projection (attribution de sespropres pulsions et sentiments d'autres individus), larationalisation (qui consiste dvelopper des argumentationscompliques masquant les intentions et motifs sous-jacents),l'idalisation (qui est la mise en valeur d'une personne ou d'unmodle sans tenir compte de ses aspects ngatifs).

    Ce courant, pourtant, n'a que trs peu pntr dans les entreprises etaujourd'hui encore, Elliot Jaques trouve "le rendement actuel dessocits insuffisamment performant, d'une part, et source defrustrations et d'insatisfaction pour les salaris, d'autre part61".

    APERUS THEORIQUES

    Un bref expos de quelques points de ce mouvement, permettra de lesituer d'une manire suffisante.

    Les individus qui composent l'organisation sont tous dots d'unepersonnalit unique, ce qui cause des distorsions dans la prise dedcision et les interactions entre individus. Ces distorsions sontanalyses l'aide des outils de la psychanalyse et, pour cemouvement, ne peuvent tre expliques qu'en se penchant sur les

    60 KETS DE VRIES Manfred & MILLER Danny, op. cit., p. 661 DELWASSE Liliane "Un amricain Paris", Le monde, 30-06-93, p. 30

    62

  • phnomnes intrapsychiques, en tudiant le fonctionnement internede l'esprit.

    La rationalit de l'entreprise est en fait une apparence qui masqueune complexit qui trouve sa source dans l'analyse du rle del'inconscient dans la motivation et la prise de dcisions. Lesphnomnes organisationnels sont donc tous lis d'une maniresouterraine par des dynamiques inconscientes. Ainsi une analysepermettra de les comprendre et d'expliquer les dviations de larationalit.

    Nous voyons ici un lment important de cette approche: larationalit n'est qu'une apparence qui masque le rle important joupar l'inconscient: l'analyse de ces forces inconscientes permettra decomprendre le fonctionnement rel de l'organisation.

    Rduire cette approche la psychanalyse du dirigeant serait erron:elle combine un regard psychanalytique sur la personnalit duleader, sur les processus de groupe, et un regard systmique del'organisation; ces trois aspects interagissent dynamiquement, et lesorigines des dfauts ou des dcompensations des individus, desgroupes, ou de l'organisation en entier peuvent provenir den'importe laquelle des trois zones.

    Cependant, l'analyse de la personnalit du leader est primordiale.Toutefois, cette dimension est aborde sous des angles parfoisnovateurs, nous verrons plus loin l'analyse sur l'envie commefacteur de motivation, ou, dans le cadre d'une tude de Levinson62sur les comportements irrationnels des managers, le fait que lacolre et la culpabilit sont des facteurs significatifs de l'action quisont gnralement mconnus dans la planification, l'organisation etla prise de dcision.L'analyse de la nature du leadership, et plus concrtement desqualits du leader lui-mme est fondamentale: le consultant doit

    62 LEVINSON Harry "Management by guilf' in KETS DE VRIES Manfred "Theirrationnal executive", International universities press, Madison, 1986, p. 132

    63

  • tenter de diagnostiquer les qualits personnelles du manager quiinfluencent l'organisation. Quel type de management intermdiaire at mis en place par le leader? Quelle comprhension a-t-il desgens, de leurs buts, de leurs capacits, de leurs dsirs? Tolre-t-illacritique? Quelles relations a-t-il avec son staff? La pertinence et laclart de son jugement sur lui-mme sur ces points sont unindicateur crucial, non pas de ses capacits managriales mais de sapersonnalit.

    Une consquence de cette approche est une prconisation d'ordreprventif relative au recrutement et la promotion des managers:elle consiste en des entrevues avec les candidats afin de dterminerleurs tendances transfrentielles : ttd'o de meilleures dcisions pourleur recrutement, leur promotion, leur affectation63 tt.

    Un autre principe de base de ce mouvement est: "l'origine desdifficults peut tre trouve dans les problmes de dveloppementdans l' enfance64tt, par consquent, les dilemmes avec lesquels lesmanagers sont confronts sont ceux de leurs propres conflitsinternes. Cela donne une dimension particulire l'efficacit oul'inefficacit du leadership qui s'explique alors par les dispositionsnarcissiques du leader. L'tude s'attachera l'analyse des relationsentre le dveloppement intrapsychique du leader, sori orientationnarcissique subsquente et les manifestations concrtes de cetteorientation sur son comportement comme leader.

    L'analyse de l'individu est donc entreprise du point de vue de sonfonctionnement intrapsychique mais galement dans ses relationsavec son environnement, et principalement s'il dtient du pouvoir.Les organisations, dans ce cadre, sont donc des "structurespolitiques qui oprent en distribuant l'autorit et en fournissant une

    63 KETS DE VRIES Manfred & MILLER Danny "De la confusion dans lesrapports entre deux personnes" in CHANLA T J. F., op. cit., p. 29464 KETS DE VRIES Manfred "Organizational paradoxes", Tavistock Publications,London, 1980,p. 39

    64

  • plate-forme pour l'exercice du pouvoir65". On se penchera donc surla congruence entre l'individu et son environnement ou surl'adaptation de l'individu l'organisation.Compte tenu de leur personnal.it, de leur histoire diffrente, lesindividus auront tous une perception diffrente des conditions detravail, on peut dire que la congruence et l'adaptation existerontaussi longtemps que sera maintenu l'quilibre entre les forces de ladynamique du caractre et le travail. Un individu adapt unesituation de travail ne le sera pas ncessairement une autre, ou un rle diffrent. En fait si la situation volue, positivement oungativement, l'incongruence provoque peut faire apparatre dessymptmes, qui n'taient pas apparents avant...

    Ainsi, l'exercice du pouvoir peut permettre l'expression dedynamiques personnelles jusque-l caches ou refoules; parexemple, les besoins narcissiques peuvent neutraliser ou dtruire lepotentiel cratif des cadres qui intresse l'organisation. La capacitde travail perturbe est frquemment la consquence d'unsurinvestissement professionnel par un Moi grandiose. Tartakoff66note dans ses travaux thrapeutiques le besoin de s'agrandir, et ilintroduit la notion de "complexedu prix Nobel", en l'illustrant avecdes individus aux buts hautement ambitieux.

    Cela illustre l'influence potentiellement alinante de l' entr~prise, surles conditions de travail varies affectant la vie de l'individu, mais,d'un autre ct le rle de l'individu est clair: par un apport depersonnalit, parfois plus sensible aux inconvnientsorganisationnels locaux, ou par une contribution active lorsqu'il esten position de pouvoir sous l'emprise d'un dsquilibre personnel.Certaines structures ou organisations ont un potentiel investir,notamment au travers des niveaux de hirarchie, pour exprimer la

    65 ZALEZNIK Abraham "Power and politics in organizationnallife" in KETS DEVRIES Manfred "The irrationnal executive", International universities press,Madison, 1986, p. 31566 KETS DE VRIES Manfred "Defective adaptation to work" in KETS DE VRIESManfred "The irrationnal executive", International universities press, Madison,1986,p.72

    65

  • suspicion, pour permettre d'exercer un contrle sadique, et pour laprojection de la rage sur autrui.

    Cela illustre un autre principe: les individus utilisent lesorganisations pour exprimer leurs pulsions, parfois leurdsquilibre, surtout lorsqu'ils sont en position de pouvoir surd'autres individus.

    LES MODES DE TRANSFERTPOlIR LES DIRIGEANTS

    Les modes de transfert des dirigeants ont t particulirementtudis par M. Kets de Vries67, on trouve notamment: le transfertpar idalisation (union avec un personnage idalis), le transfert enmiroir (narcissisme, besoin d'tre admir), le transfert deperscution (clivage et paranoa).

    On recherche alors les effets du transfert, un concept emprunt lalittrature psychothrapique. Un transfert intervient lorsqu'unindividu, le plus souvent sans en avoir conscience, vit une relationprsente sur le mode d'une relation ancienne. En gnral, cettedernire est intervenue au temps de sa prime jeunesse; mettant enscne des figures familiales, parents, frres, soeurs, elle a tl'occasion de conflits rests alors sans solution. Une relationessentielle, par consquent, intime, intensment vcue, quel'individu" ractive", suppose-t -on pour rsoudre ses anciens conflitsde faon plus satisfaisante. Et il en rsulte presque invitablement,dans le prsent, une conduite exalte et dplace. Le transfert estune relation universelle qui parasite toutes les relations troites,tablie de longue date, surtout lorsque le pouvoir y joue un rlecap