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PAUL ALMOND Traduction de Danielle E. Cyr

Le défricheur (Saga Alford ; t. 2) · 2018-04-13 · T homas Manning arpentait les bois à quelques milles de la baie. Comme chaque jour, il était la proie d’un désespoir aussi

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Du même auteur

La Vengeance des Dieux, Art Global Publishers, 1999.

Titres parus en langue anglaise :

Alford SAgA

The Deserter, Book One, McArthur and Company, 2010.

The Survivor, Book Two, McArthur and Company, 2011.

The Pioneer, Book Three, McArthur and Company, 2011.

The Pilgrim, Book Four, McArthur and Company, 2012.

The Chaplain, Book Five, Createspace, 2013.

High Hopes : Coming of Age at Mid-Century (co-authored by Michael Ballantyne), ECW Press, 1999.

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Saga Alford – Tome 2

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Projet dirigé par Myriam Caron Belzile, éditrice

Traduction : Danielle E. Cyr Révision linguistique : Diane-Monique Daviau et Chantale Landry Mise en pages : Andréa Joseph [[email protected]] Conception graphique : Sara Tétreault Illustration en couverture : Anouk Noël

Québec Amérique 329, rue de la Commune Ouest, 3e étageMontréal (Québec) Canada H2Y 2E1 Téléphone : 514 499-3000, télécopieur : 514 499-3010

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour nos activités d’édition.

Nous remercions le Conseil des arts du Canada de son soutien.  L’an dernier, le Conseil a investi 157 millions de dollars pour mettre de l’art dans la vie des Canadiennes et des Canadiens de tout le pays.

Nous tenons également à remercier la SODEC pour son appui financier. Gouvernement du Québec – Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres – Gestion SODEC.

Nous reconnaissons l’aide financière du gouvernement du Canada par l’entremise du Programme national de traduction pour l’édition du livre pour nos activités de traduction.

        

Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada

Almond, Paul [Survivor. français] le défricheur (Saga Alford ; t. 2) (Tous continents) Traduction de : The survivor. ISBN 978-2-7644-2349-3 (Version imprimée) ISBN 978-2-7644-2467-4 (PDF) ISBN 978-2-7644-2469-8 (ePub)I. Cyr, danielle E. II. Titre. III. Titre : Survivor. français. IV. Collection : Almond, Paul. Saga Alford ; t. 2. V. Collection : Tous continents. PS8601.l56S9714 2013 C813’.6 C2013-941520-3 PS9601.l56S9714 2013

Dépôt légal : 4e trimestre 2013Bibliothèque nationale du Québec Bibliothèque nationale du Canada

Titre original : The Survivor © Paul Almond, 2011.

Tous droits de traduction, de reproduction et d’adaptation réservés

© Éditions Québec Amérique inc., 2013.quebec-amerique.com

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Saga Alford – Tome 2

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À Joan, comme toujours

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Chapitre 11813

Thomas Manning arpentait les bois à quelques milles de la baie. Comme chaque jour, il était la proie d’un désespoir

aussi envahissant que des nuées de mouches noires. Il avait dû laisser son fils nouveau-né avec le clan, qui en prendrait bien soin, il en était convaincu. Sa jeune épouse, Petit Bouleau, était morte en couches, et jamais, au grand jamais, rien ni per-sonne ne pourrait la remplacer. depuis qu’il avait quitté le campement des Mi’gmaqs dans le haut de la rivière Port-daniel, au début du printemps, il avait essayé de combattre sa mélancolie. En vain. Il ne pouvait penser à autre chose qu’à son grand malheur.

Mais, ce matin-là, quelque chose de bien réel sollicita ses sens et son esprit : une forte odeur de fumée.

Un feu de forêt ? Non, impossible ! l’odeur venait plus pro-bablement d’un feu de camp fait par un fermier en déplace-ment. Mais qui donc s’aventurerait aussi loin d’un village, à l’intérieur des terres ? Il devait plutôt s’agir d’Indiens en route vers un site de pêche, qui s’étaient arrêtés pour manger. ras-suré par cette explication, il cessa de se préoccuper de l’odeur ambiante. Et aussitôt, les images qui le hantaient depuis un mois refirent surface : la première fois où lui et sa femme Magwès s’étaient révélé leurs sentiments amoureux. Il passait

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alors l’hiver à l’intérieur des terres avec sa famille à elle. Elle l’avait invité hors du wigwam et l’avait emmené en raquettes au sommet d’une colline avoisinante, puis elle lui avait dit :

— Thomas, regarde le ciel.

Il n’avait jamais vu pareil phénomène. de spectaculaires rideaux de lumière ondoyaient dans le ciel nordique, des travées irisées de rouge et de pourpre, autant de voiles sur lesquelles soufflait sans doute quelque divinité mi’gmaque pour les éblouir tous les deux.

Ils étaient restés là ensemble, à admirer la lumière qui, aurait-on dit, dansait pour eux seuls.

dans cette nuit claire et froide, Thomas avait plongé son regard dans les yeux pétillants de plaisir de Magwès, et dans lesquels se reflétait la beauté des aurores boréales. lui le cœur battant, elle le souffle rapide comme si elle avait couru, ils s’étaient rapprochés d’un même mouvement l’un vers l’autre.

leurs lèvres s’étaient rencontrées.

le souvenir du choc amoureux lui gonflait encore aujour-d’hui le cœur. Il repoussa cette vague d’émotion en secouant la tête avec une sorte de colère. Ça ne sert à rien de te torturer de cette façon, se dit-il.

Il continua à marcher, cherchant la bleuetière qu’il avait repérée plus tôt dans un brûlis assez loin du ruisseau. Il espérait également trouver les airelles qui restaient de l’automne, et peut-être aussi des fruits de sumacs, de raisins d’ours et du thé des bois. Toutes ces plantes que les Mi’gmaqs lui avaient fait connaître. Mais plus que tout, il voulait se sortir Magwès de l’esprit. Concentre-toi sur ta recherche, se dit-il.

l’odeur de fumée le frappa de nouveau, et cette fois il s’ar-rêta pour humer l’air. C’est alors qu’il aperçut, sur sa droite et

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beaucoup trop près de lui, une épaisse colonne de fumée noire qui s’élevait vers le ciel !

rien dans sa vie antérieure dans le derbyshire ne l’avait préparé à ceci. durant l’avant-dernier été, alors qu’il travaillait à Pasbébiac comme calfateur de coque pour la compagnie robin, il avait entendu les engagés raconter, avec une verve mêlée d’effroi, les tragédies causées par les feux de forêt.

Avant même d’avoir pu songer à faire marche arrière, une explosion de gaz accumulé projeta la pointe d’un tronc carbo-nisé en spirale dans les airs pour le faire ensuite retomber, presque à ses pieds, dans un tourbillon de flammes qui propa-gèrent le brasier.

Un orage avait éclaté la nuit précédente ; les éclairs et les grondements du tonnerre avaient éveillé Thomas dans sa cabane, mais ce matin le sol était à peine humide. le prin-temps avait été particulièrement sec et les forêts avaient besoin de pluie. Thomas avait cheminé sur un lit de feuilles sèches et d’aiguilles de pin depuis l’aurore, priant le Seigneur d’envoyer de la pluie.

le jeune homme fit immédiatement demi-tour et se diri-gea à toute vitesse vers la côte. Son séjour chez les Mi’gmaqs lui avait appris comment s’orienter à travers les bois. Malgré son allure rapide, lorsqu’il jeta un bref coup d’œil vers l’arrière, il comprit que le feu allait le rattraper. Il serait bientôt sur ses talons. Je n’aurais jamais dû, se reprocha-t-il, me laisser aller à tant de mélancolie. la forêt exige qu’on soit constamment sur ses gardes.

levant les yeux, il vit les flammes sauter d’une cime à l’autre à la vitesse de l’éclair, leurs grondements amplifiés par l’immensité de la forêt. Il allait brûler vif.

dépêche-toi ! se hurlait-il mentalement. Mais dans quelle direction fuir ? Une image jaillit dans son esprit : le ruisseau.

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oui, dans le bas du Vallon. dans quelle direction pouvait-il bien être ? À quelle distance ? retourne sur tes pas ! Vite ! Il faut que tu atteignes le fond de la vallée. C’est dangereux, cependant c’est ton seul espoir.

derrière lui, le feu s’engouffrait à travers les arbres, cata-pultant les flammes vers le ciel. la fumée s’épaississait en tour-billonnant et devenait de plus en plus étouffante. À sa droite une épinette s’enflamma, puis une autre, et une autre encore.

le sol montait en pente. Suis-je dans la mauvaise direc-tion ? retrouverai-je vraiment la descente vers le Vallon de l’autre côté de cette pente ? se demandait-il. Il regarda nerveu-sement à gauche et à droite – le brasier rougeoyait des deux côtés, les flammes couraient et sautaient d’un arbre à l’autre, encerclant les troncs, ravageant les cimes, rugissant en avalant les aiguilles et les cônes pour les recracher ensuite dans de nouvelles trombes de flammes qui allaient tomber plus loin pour allumer de nouveaux foyers. Soudain, un arbre prit feu juste devant lui. Il était désormais cerné.

Pense fort, pense vite, seul le ruisseau peut te sauver, se dit Thomas. Il voyait de plus en plus de touffes d’arbres se trans-former en torches écarlates. Pourrait-il se faufiler et ramper en dessous ? devrait-il prendre le risque ? derrière lui, le brasier se répandait en des gerbes de tisons qui s’élançaient vers le ciel comme de catastrophiques feux d’artifice. Sa distraction l’avait mené tout droit dans une fournaise.

Il se précipita à quatre pattes sous les arbres en feu dont des branches tombaient comme autant de torches crépitantes. l’une d’elles lui atterrit sur l’épaule ; il en balaya les tisons. Soudain, des volées de cendres se mirent à l’aveugler. Il conti-nua malgré tout à avancer, le dos courbé, à travers les bran-chages épineux, sautant par-dessus les troncs morts, pour

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dépasser la ligne du feu – et là, un peu plus loin, il vit enfin la pente redescendre.

Il s’y précipita comme un forcené. la pente était trop raide. Il trébucha et tomba, roulant vers le bas en faisant ton-neau sur tonneau, jusqu’à ce qu’il heurte un tronc d’arbre. Étourdi, il essaya de se remettre debout, le feu toujours à ses trousses, mais il retomba, la cheville tordue et l’épaule presque démise.

Il resta étendu quelques secondes. lève-toi ! s’exhorta-t-il. Il se remit avec peine sur ses pieds et reprit sa course vers le bas de la pente. Sa cheville tordue lâcha. Il en était réduit à se traîner par-dessus les troncs, l’épaule endolorie. finalement, il arriva au fond du Vallon criblé de troncs morts, de branches tombées, de mousse jaunie et de fougères desséchées. le ruis-seau coulait quelque part, il le savait. Mais à quelle distance ? le bruissement en était couvert par l’incendie qui faisait rage. les courants d’air attiraient la fumée vers le bas, le faisant tousser. Même ici, au bas de la pente, il pouvait sentir la chaleur s’intensifier. Il était à bout de souffle et ses pensées tourbillon-naient au rythme de l’incendie.

le feu s’étendait maintenant derrière lui tout au long de la crête de la colline. À tout moment, il pouvait bifurquer vers le bas et couper la route à Thomas. Il fallait à tout prix rejoindre le ruisseau et au plus vite.

d’épaisses broussailles lui bloquaient la voie. Comment arrivaient-elles à pousser si drues sous les cèdres dont le dense branchage partait en ce moment en fumée ? Thomas se força un chemin à travers les fourrés, au milieu d’une ruée de souris et de mulots – talonnés par un renard – fuyant eux aussi le brasier.

où donc se trouvait le ruisseau ? Thomas plongea dans un taillis, craignant de s’être laissé désorienter. Tournait-il en rond ? la fumée s’engouffrait dans le fond du Vallon, toujours

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plus épaisse, l’empêchant de respirer. Sa toux s’intensifia, drai-nant son énergie et ralentissant sa course.

de lourds nuages commençaient maintenant à s’accu-muler au-dessus des flammes. Pouvait-on vraiment espérer de la pluie ? Thomas pria à haute voix pour qu’une averse s’abatte au plus tôt. Sauve-moi, supplia-t-il tout en se frayant un chemin à travers les branches basses des épinettes.

les arbres gonflés de résine continuaient d’exploser autour de lui, leurs branches fendues par la violence des explosions comme autant de projectiles, ramenant Thomas sur le pont ravagé du Bellerophon, où les fusiliers ramassaient les blessés et les morts au milieu des rugissements des canons et du crépi-tement des mousquets. Il se vit exhorter ses hommes et résister à la panique qui étranglait les moins braves. garder son calme, la devise tacite de tous les marins de la Marine royale. Au plus fort d’un combat, rester en alerte et faire son devoir. Il se remémora subitement le signal de l’amiral Nelson, provenant du Victory : « l’Angleterre s’attend à ce que chaque homme fasse son devoir. » Comme ses compagnons d’armes avaient détesté cette consigne ! Avec la bataille de Trafalgar à l’horizon, avaient-ils d’autre choix ? Et qu’avaient-ils fait d’autre jusqu’à présent ? Nous ne sommes pas des animaux, murmuraient-ils entre leurs dents pendant qu’ils arrimaient les canons géants : que pouvons-nous faire sinon notre devoir ?

Thomas s’efforça donc de rester calme, tout en continuant de foncer vers le ruisseau où il espérait trouver refuge. les explosions le ramenaient sans cesse aux trente-deux canons sur le pont du bâtiment de guerre. Un pin explosa tout près de lui : une poche d’oxygène avait pénétré un nuage de gaz accu-mulé – et boum ! une pluie de tisons s’abattit sur Thomas.

Courir vers le ruisseau, oui, mais dans quelle direction ? Il jeta un coup d’œil vers le ciel et vit que les flammes attaquaient

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de plus en plus férocement les cèdres. Soudain, il sentit le sol se dérober sous ses pieds. le ruisseau ! Enfin ! Il s’y précipita, découvrant à son grand désespoir que le torrent était peu profond à cet endroit. Saisi par l’eau glacée, étourdi après avoir heurté les pierres émergeant du ruisseau, il tenta de se mettre debout, retombant aussitôt dans les remous. reprenant ses esprits malgré la sensation d’asphyxie, il se mit avec peine à quatre pattes. Non ! Avant de reprendre sa course, il lui fallait d’abord se vautrer dans l’eau, de manière à imbiber complète-ment ses habits et sa longue chevelure.

Il se remit ensuite à courir à pleine vitesse dans le ruisseau. Il devait trouver une fosse au plus tôt. Il courut tant bien que mal, trébuchant parfois et glissant sur les galets moussus. Il se couvrit la tête avec sa chemise mouillée pour parer les tisons qui tombaient en rafales. le ruisseau suivait une courbe et devenait encore moins creux. Après une nouvelle chute, il sortit de l’eau et s’aventura plus avant. À travers les craque-ments des branches, si pareils au bruit des mousquets, il crut entendre la voix de ses compagnons de combat l’exhortant :

« Vas-y, Thomas, sauve ta peau, nous sommes avec toi ! » Son équipe, ses fusiliers…

Ce mirage lui fouetta le sang, et il reprit sa course, fonçant à travers les branches, sautant par-dessus les troncs morts avec le feu à ses trousses. Un peu plus loin, il aperçut enfin un tronc de bouleau en travers du ruisseau. oui, il reconnaissait l’en-droit ! Il avait pêché là – dans cette fosse.

Un rameau tomba juste devant lui. Il s’arrêta net. le rameau mit feu à un amas de broussailles. Il bifurqua vers le ruisseau. Tâche de rester debout, se dit-il, pendant qu’il glissait et dérapait sur le lit du ruisseau en direction de sa fosse.

Un rat musqué fit irruption, se dirigeant droit vers le feu. « Non ! cria Thomas. Mauvaise direction. » Il s’arrêta pour le

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sauver. Paniqué, l’animal fit demi-tour et, se précipita lui aussi dans l’eau. Thomas se redressa et continua sa course.

Son dos brûlait et sa cheville élançait douloureusement. Pourtant, encore une fois, il se plongea dans le courant glacial, trempant son corps amaigri par deux années de privations, immergeant du même coup ses longs cheveux et sa barbe qui avaient commencé à sécher rapidement. Voilà maintenant que les buissons s’enflammaient sur les bords du ruisseau. Que pouvait-il faire ? Il sentait sa peau chauffer dangereusement ; la fumée l’étouffait, âpre et âcre. Il se mit de nouveau à quatre pattes, le nez juste au-dessus de l’eau. Ses coudes et ses genoux s’éraflaient sur le fond rocheux, mais la mince couche d’air à fleur d’eau lui permettait au moins de respirer.

Un tronc carbonisé lui barrait la route. Thomas essaya de se glisser dessous. Un morceau d’écorce s’en détacha ; il le sai-sit et s’en couvrit la tête, puis il rampa au-delà du cercle de feu. Il franchit les dix derniers pieds à la course, prenant soin de soulever des gerbes d’eau pour s’isoler du brasier. Il arriva enfin à la fosse et s’y écroula.

Sur le dos, complètement submergé, il ne garda que les narines au-dessus du niveau de l’eau. l’air était cependant beaucoup trop chaud. Il plaça son morceau d’écorce mouillée sur son visage pour se protéger, exposant ses doigts à une cha-leur vive. le feu était-il en train de passer au-dessus de lui ? Soudainement, il n’arriva plus à respirer. Privé d’oxygène, il se sentait suffoquer.

Il essaya vainement d’aspirer un peu d’air. Calme-toi, se dit-il, calme les battements de ton cœur. Mais rien n’y fit, il avait l’impression de se noyer. Au prix d’un immense effort, il résista au besoin d’émerger de l’eau à la recherche d’un souffle d’air. Mieux valait suffoquer dans cette eau froide que de mou-rir brûlé vif. En proie au plus horrible des dilemmes, son esprit

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fut pénétré d’une vision : une femme indienne, Magwès, son Petit Bouleau, sa femme, morte et enterrée depuis deux mois. Elle tendit la main et l’effleura. Il se calma, se sentant dispa-raître. Et, pendant que s’estompait la vision de Magwès, le feu lui sembla s’éloigner lui aussi.

Une bouffée d’air lui emplit alors les poumons. la chaleur diminuait d’intensité. Il sortit le visage de l’eau, puis le corps. l’incendie grondait toujours, mais il l’avait dépassé dans sa course folle. Thomas entendit soudain un crépitement tout différent. Était-ce de nouveaux coups de tonnerre ? Non, se rassura-t-il, c’est plutôt la pluie. Enfin ! la pluie !

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Rapport sur l’épidémie de typhus durant l’année sans été de 1816 (traduction)

la température en Europe et dans les autres parties du monde fut anormalement froide en 1816. En Europe, le froid et l’humidité firent pourrir les céréales dans les champs, ame-nant ainsi des récoltes désastreuses, la famine, des émeutes, du recel de grains et des embargos gouvernementaux. Ces froids humides pourraient avoir contribué à l’éclosion de l’épidémie de typhus qui toucha l’Europe entre 1816 et 1819, causant la mort d’environ 200 000 personnes, ainsi que celle de l’épidé-mie de choléra qui se déclara au Bengale et se répandit sur le monde entier en 1816-1817.

Source : The Verner E. Suomi Virtual Museum.

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Traduction de Danielle E. Cyr PAUL ALMOND

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Thomas Manning, déserteur de la marine britannique, n’existe plus. Sous le nom de James Alford, il est devenu un homme libre.

Auprès de ses amis mi’gmaqs, le jeune colon a appris à survivre dans la nature sauvage de la côte gaspésienne, mais il n’est pas tiré d’affaire pour autant. Désormais seul dans sa cabane rudimentaire, sans le sou et gravement éprouvé par la perte de son premier amour, James est encore bien loin de voir s’accomplir les rêves qui l’ont poussé à gagner le Nouveau Monde.

Son seul espoir semble se trouver du côté de New Carlisle, parmi les Loyalistes : là-bas, il y a la famille Garrett, qui pourrait peut-être l’aider à se faire engager dans un moulin à scie. Ce serait aussi l’occasion de revoir leur fille, la belle et fougueuse Catherine… Se souviendra-t-elle de leur baiser volé, deux ans plus tôt ?

Le Défricheur est le deuxième tome de la Saga Alford, épopée se déroulant sur plus de deux siècles. S’inspirant de l’histoire de sa propre famille, l’auteur y retrace le parcours des différentes géné-rations d’Alford, de leur arrivée sur le continent américain jusqu’à aujourd’hui, brossant au passage un portrait vivant de notre société et des grands événements qui l’ont marquée.

Paul Almond s’est avant tout fait connaître pour ses productions cinématographiques et télévisuelles, qui ont contribué à l’émergence d’un cinéma d’auteur canadien et qui lui ont valu de nombreux prix et hon-neurs. Partageant son temps entre son village natal de Shigawake (anciennement Shegouac), en Gaspésie, et sa maison de Malibu, il se dédie depuis quelques années à l’écriture de la Saga Alford.

Saga Alford – Tome 2

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