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LE JUGE DE DSK

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Douglas McKeon du Bronx reçoit VSD en exclusivité

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Page 1: LE JUGE DE DSK

Époque Portrait

La plainte qui pourrait ruiner Dominique Strauss-Kahn dort dans un tiroir. Autour, des piles de dossiers. Des posters de com-bats de boxe dédicacés par « un ami promoteur ». Des encyclo-pédies de médecine. Et sur le bureau, une casquette des New York Yankees, l’équipe de cœur du juge Douglas McKeon.

Irlandais d’origine, chemise blanche et bre-telles noires, il est le patron de la cour suprême du Bronx, où sera examinée ce mois-ci la pro-cédure civile qui oppose Nafissatou Diallo à Dominique Strauss-Kahn. En deux heures d’entretien, il a réussi la prouesse de ne pas pro-noncer une fois le nom du socialiste déchu. Mais, en détaillant ses convictions et le système judiciaire du Bronx, dont il a gravi les échelons jusqu’au sommet, il lâche des petits cailloux. On ressort de là avec l’intuition que l’ancien patron du FMI ne s’en tirera pas avec les gants blancs de l’immunité diplomatique.

Par la vitre du sixième étage de la cour suprême, on a une vue plongeante sur le stade des Yankees. En allongeant le cou, on aperçoit l’immeuble en brique du 1040 Gerard Street : le domicile de Nafi s satou Diallo. De là, l’immigrée guinéenne partait chaque matin nettoyer les chambres du Sofi tel de Manhattan. Jusqu’à sa relation sexuelle avec DSK, le 14 mai dernier.

Un juge infl exible À 63 ans, ce magistrat de renom va présider

l’audience civile qui setiendra dans son tribunal le 15 mars.

C’est lui qui décidera si DSKpeut se prévaloir d’une immunité

diplomatique – en tant qu’ex-patron du Fonds monétaire

international – pour obtenirl’abandon des poursuites.

Quitte ou double Dominique Strauss-Kahn va batailler pour éviter de payer des millions de

dollars d’indemnités à la plaignante.

L’HOMME QUI VA

CE MAGISTRAT EST À LA TÊTEDE LA COUR SUPRÊME DU BRONX,

QUI EXAMINERA, À PARTIR DU 15 MARS, LA PROCÉDURE CIVILE

OPPOSANT NAFISSATOU DIALLO À DOMINIQUE STRAUSS-KAHN. RENCONTRE EN AVANT-PREMIÈRE.

Douglas McKeon

MAXPPP DSK

JUGER

P A R M A X I M E R O B I N , À N E W Y O R K . P H O T O S : S . C O L E S / A B A C A P O U R V S D

Page 2: LE JUGE DE DSK

Un juge expert dans les affaires

médicales

N ° 1 8 0 2 2 9

« C’est moi qui ai choisi de juger l’affaire, explique posément le juge. D’abord en tant qu’admini-strateur du tribunal. Ensuite parce qu’à l’époque la plainte civile a été déposée en parallèle de l’action pénale. J’ai l’expérience des dossiers paral lèles. » La première motion des avocats de Strauss-Kahn invoque l’immunité diplomatique. Ce coup de poker, qui signerait l’arrêt immédiat des poursuites, est entre les mains du juge depuis l’automne. Lors de l’au-dience du 15 mars prochain, « les avocats viendront détailler cette motion, je les questionnerai dans les moindres détails. Ma décision suivra peu après, dans les deux semaines. Nous avons aussi des motions rela-tives à l’enquête elle-même, qui devraient être examinées ensuite. »

Si le procès a lieu, des millions de dollars sont en jeu. Combien en ré-clamerait Nafissatou ? Dix, vingt, trente ? « Je n’irai pas sur ce terrain. Ses avocats doivent évaluer le préju-dice : physique, mental, coûts médi-caux futurs, blessures, arrêts de tra-vail… », explique Douglas McKeon.

Même pour les standards amé-ricains, l’affaire DSK pourrait atteindre des sommets en dollars. Un juré du Bronx a un risque sur trois de vivre sous le seuil de pau-vreté, et a donc tendance à être très généreux en indemnités. Les juristes new-yorkais appellent cela « l’effet Bronx ». « Le meilleur redistributeur de richesses depuis l’armée Rouge », selon un avocat. Qu’en pense McKeon, 63 ans, dont vingt-quatre à la cour du Bronx ? « Je pense que les plus pauvres comprennent la souffrance hu-maine. Les jurés amènent leur vécu au tribunal pour juger la sincérité d’un plaignant. Ils s’identi-fi ent. » Avant de tempérer : « Il fut une époque où les avocats ramenaient leur plainte dans le Bronx pour gagner beaucoup d’argent sans effort de plaidoirie. Mais nos jurés s’en sont rendu compte. Ils ne sont pas naïfs. Le niveau de vie a augmenté dans le quartier, les gens sont plus éduqués. »

Que deviendra l’affaire DSK après les motions ? « Il va y avoir une période, qu’on appelle la disco-very, et qui va durer quarante-cinq à cinquante jours. Imaginez : vous allez voir les Yankees jouer au stade. Vous vous cassez la jambe en tombant des tribunes. Vous leur collez un procès. Les Yankees enregistreront votre déposition sous serment, dans le bureau d’un avocat. Ils poseront un tas de questions : “Vous alliez où ? Comment c’est arrivé ? – Ma jambe me fait mal. – Ah oui ? Et elle était comment, cette jambe, avant l’accident ?” Ils vous cuisinent pour tirer votre plainte au clair. Le boss des Yankees appellera ses gars de la sécurité. Ont-ils une vidéo de l’inci dent ? Voilà comment ça va se passer. »

Le juge McKeon gère un véritable mammouth judiciaire. Huit mille affaires par an, un des plus gros débits des États-Unis. « Mais l’État de New York a coupé dans le budget justice », regrette-t-il. Le juge a trouvé un moyen pour boucler les fi ns de mois : « On fait venir des séries télé. La nuit, jusqu’à

deux heures, ou les jours fériés. Ça paie les heures sup de nos employés. On a eu Blue Bloods [avec Tom Selleck en commissaire de police, NDLR], Unforgettable…» Oui, aux États-Unis, les séries télé paient le fonctionnement de la justice. De quoi faire rire jaune DSK, dont les tribulations américaines ont inspiré un récent épisode de New York unité spéciale. « Le bouche-à-oreille est très bon, les

équipes de tournage savent qu’elles seront bien reçues chez nous. C’est une chance de donner à nos em-ployés un peu plus d’argent pour leur famille », ajoute le magistrat.

Né dans le Bronx, McKeon y a passé toute sa vie. Dans sa jeunesse, il travaillait à plein temps pour financer ses études et prenait ses cours de droit le soir. « À la maison à 23 heures, rebelote le lende-main. » Ces conditions ont-elles influencé sa manière de rendre la justice ? « Ça m’a donné une certaine éthique du travail. » Politiquement, McKeon penche vers les démocrates, il l’a déjà déclaré à la presse américaine, ne veut pas confi r-mer aujour d’hui. Son modèle ? « Kennedy, il m’a

beaucoup inspiré adolescent. » Et son père, gref-fier dans cette cour. « J’ai voulu devenir juge là où il a travaillé, confi e-t-il. J’ai réussi. Mais, le jour de mon élection, il s’est fracturé la hanche. Son état a empiré, il souffrait de Parkinson. Finalement, il n’a jamais pu me voir juger. » La plaque de son père est dans son bureau, en vitrine. À côté des volumes de médecine.

La multiplication des procès contre les hôpitaux publics dans le Bronx l’ont rendu expert en la matière. « Dans les procès entre hôpitaux et patients, les avocats sont béton sur les dossiers, nous aussi devons nous former. J’ai pris des cours d’anatomie à l’école de médecine. » Le juge milite pour qu’une cour spéciale soit consacrée aux procès médicaux, et l’administration Obama lui a accordé 3 millions de dollars pour développer un programme en ce sens. Autant dire que les rapports médicaux de Nafi ssatou Diallo seront décortiqués avec sérieux.

Un offi cier de police, Karen Casey, l’accompagne partout hors du bureau. « C’est mon garde du corps », dit-il. Elle a les clés de la salle d’audience du 15 mars. Une centaine de fauteuils en cuir rouge, rembourrés, remplacent avantageusement les habi-tuels bancs en bois du public. La salle, magnifi que, date des années vingt. « Ça va être quelque chose, cette audience, en terme de sécurité. L’affaire a dis-paru des tabloïds, mais c’est pour mieux revenir », prédit-elle. Le tribunal n’a pas encore mis au point son dispositif de protection. « C’est dans une semaine, tempère le juge. On peut voir venir. » �

Abandon des charges au pénal Le 22 août dernier, Dominique Strauss-Kahn,

entouré de son épouse et de l’un deses avocats, était satisfait de la décision de

la justice américaine à son égard.En ira-t-il de même au civil, face au juge

McKeon, le 15 mars ?

Indemnités Nafi ssatou Dialloet son avocat Kenneth Thompson

avaient déposé une plainteau civil, en août dernier, pressentant

que le procureur de New Yorkabandonnerait les charges au pénal

contre l’homme politique français.

Fan des Yankees Le juge McKeon a toujours vécu dans

le Bronx où, dit-il,« les plus pauvres comprennent

la souffrance humaine ».

LES JURÉS DU BRONX SONT ISSUS DE MILIEUX TRÈS MODESTES ET DONC PLUTÔT

GÉNÉREUX EN INDEMNITÉS

PH

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S : A

FP