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Mr François Delaporte Le miroir de l'âme In: Communications, 75, 2004. pp. 17-31. Abstract The classical era tends to favor a conception of the gaze where seeing results from the exteriorization of the interior, rendering the eye both the mirror to the soul and the instrument of its language. In the 19th century, with the analysis of the mechanism of human physiognomy, Duchenne de Boulogne dispels this illusion. Henceforth, the gaze is seen as a form of mimicry which serves the function of expression. Résumé L'époque classique tend à privilégier un regard où la vue s'obtient par l'extériorisation de l'intérieur, faisant ainsi de l'œil, à la fois, le miroir de l'âme et l'instrument de son langage. Au XIXe siècle, avec l'analyse du mécanisme de la physionomie humaine, Duchenne de Boulogne dissipe cette illusion. Le regard s'inscrit désormais dans la mimique, qui ressortit à une fonction d'expression. Citer ce document / Cite this document : Delaporte François. Le miroir de l'âme. In: Communications, 75, 2004. pp. 17-31. doi : 10.3406/comm.2004.2140 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2004_num_75_1_2140

Le Miroir de L'âme

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Artigo do historiador e filósofo francês François Delaporte

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  • Mr Franois Delaporte

    Le miroir de l'meIn: Communications, 75, 2004. pp. 17-31.

    AbstractThe classical era tends to favor a conception of the gaze where seeing results from the exteriorization of the interior, renderingthe eye both the mirror to the soul and the instrument of its language. In the 19th century, with the analysis of the mechanism ofhuman physiognomy, Duchenne de Boulogne dispels this illusion. Henceforth, the gaze is seen as a form of mimicry whichserves the function of expression.

    RsumL'poque classique tend privilgier un regard o la vue s'obtient par l'extriorisation de l'intrieur, faisant ainsi de l'il, la fois,le miroir de l'me et l'instrument de son langage. Au XIXe sicle, avec l'analyse du mcanisme de la physionomie humaine,Duchenne de Boulogne dissipe cette illusion. Le regard s'inscrit dsormais dans la mimique, qui ressortit une fonctiond'expression.

    Citer ce document / Cite this document :

    Delaporte Franois. Le miroir de l'me. In: Communications, 75, 2004. pp. 17-31.

    doi : 10.3406/comm.2004.2140

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/comm_0588-8018_2004_num_75_1_2140

  • Franois Delaporte

    Le miroir de l'me

    Dans le langage des passions l'il n'a qu'un dfaut, c'est de tout exprimer.

    A. Lemoine, 1865

    Pour Descartes, les modifications corporelles qui accompagnent les passions se prsentent l'observateur sous forme de signes. Ces derniers sont constitus par les actions des yeux et du visage, les changements de couleur, les tremblements, les rires, les larmes, les gmissements et les soupirs. Mais ces signes se distinguent autant par leur cause que par leur signification. Les uns, qui s'apparentent des symptmes, ont leur origine dans le cur: leurs manifestations sont involontaires. Les autres, qui s'apparentent des indices, sont dtermins par l'me : leurs manifestations sont volontaires. Assurment, les symptmes occupent une place centrale. De tout ce qui est visible, les changements de couleur sont les plus proches de l'essentiel et l'un des effets principaux des mouvements du cur. La joie fait rougir, parce que le sang, alors plus chaud et plus subtil, coule plus vite. Le visage parat enfl, riant et gai. Inversement, la tristesse rtrcit les orifices du cur, parce que le sang, alors plus froid et plus pais, coule plus lentement. Le visage parat ple et dcharn. Au demeurant, on ne peut s'empcher de rougir ou de plir lorsqu'une passion y dispose. Ces changements viennent immdiatement du cur : la source des passions puisqu'il prpare le sang et les esprits les produire. Les autres signes sont les actions des yeux et du visage qui dpendent des nerfs et des muscles. premire vue, ils se prsentent comme des indices permettant une reconnaissance. C'est que les actions du visage qui accompagnent les passions dsignent des mines. Les unes sont remarquables, comme le front pliss dans la colre ou certains mouvements du nez et des lvres dans la moquerie. Mais on aurait tort de s'y fier : elles peuvent servir l'homme aussi bien pour dclarer une passion que pour dissi-

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    muler sa passion derrire le masque d'une autre qu'il n'prouve que dans la feinte. Quoi qu'il en soit, la mimique n'est pas expression d'une passion, mais signe d'un langage dont le sens, quoique sous-entendu, apparat clairement.

    Il n'y a aucune passion que quelque particulire action des yeux ne dclare : et cela est si manifeste en quelques-unes, que mme les valets les plus stupides peuvent remarquer l'il de leur matre, s'il est fch contre eux ou s'il ne l'est pas l.

    Descartes fait ici allusion cette espce de colre prompte et manifeste, mais qui peut tre facilement apaise c'est que le matre se comporte comme lorsqu'on ne veut se venger autrement que par des mines..

    Il oppose les mouvements naturels aux mouvements intentionnels, comme cardiopathie mimologie. Par cette distinction, il tablit le rapport des mimiques au champ des passions. Mais cette relation est minemment problmatique : dans le mme temps que Descartes intgre les mines comme signes extrieurs des passions, il montre qu'une question reste en suspens : les valets les plus stupides, ou les plus intelligents, ne sauront jamais si le matre dclare sa colre ou feint la colre. Volontaires et non pas naturelles, les mimiques signifient les passions. Signes loquents, sans aucun doute, mais qui sont d'autant moins fiables que la volont peut ici donner le change. En tout cas, le regard noir et le front pliss constituent non des indices, mais des signes. C'est l une premire rfutation de la physiognomonie : les mimiques, comme les paroles, peuvent comporter la vrit ou un mensonge. Mais toutes les mimiques ne sont pas volontaires ; par exemple, le rire qui semble provenir de la joie, ou le pleurer. Suffirait- il que les mines soient naturelles pour qu'elles deviennent d'authentiques indices?, Quand les mines sont naturelles, Descartes les identifie des symptmes. Or, parmi ces derniers, il n'y en a pas un seul que l'on puisse rattacher en toute certitude une passion. Les signes sont parfois indchiffrables : il y a des hommes qui font presque la mme mine lorsqu'ils pleurent que d'autres lorsqu'ils rient. Les signes manquent de spcificit, parce qu'ils peuvent tre causs par des passions diffrentes. La langueur est occasionne par l'amour et par le dsir, mais elle peut l'tre aussi par la haine, la tristesse et la joie lorsqu'elles sont violentes. Les signes sont alatoires : celui qui a coutume d'apparatre dans une passion peut faire place un signe d'une passion oppose. Sans doute, la joie fait rougir et la tristesse fait plir, mais on peut rougir tant triste : c'est qu' la tristesse se joignent d'autres passions, telles que l'amour ou le dsir, la haine ou la honte, lesquels font rougir. Les signes sont inconstants : le rire n'accompagne pas toujours la joie ni le pleurer, la tristesse. Les signes sont incertains, dpendant des causes et des mcanismes qui les produisent. Ainsi, les

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    tremblements peuvent tre provoqus tantt par la tristesse, la peur ou la froidure de l'air, tantt par le dsir, la colre ou l'ivresse : ici trop d'esprits affluent au cerveau et l, trop peu. De mme, le rire peut venir de la joie, de l'admiration, de la haine, de l'aversion, voire de la faim. Dans la joie et l'admiration, le rire est l'effet d'un afflux de sang conscutif la dilatation des orifices du cur ; dans l'aversion, la rate envoie un fluide subtil qui augmente la rarfaction du sang ; dans la faim, la dilatation des poumons est provoque par le premier suc qui passe de l'estomac vers le cur. De cet examen, il rsulte que les symptmes ne sont pas des signes patho- gnomoniques. D'o la deuxime rfutation de la physiognomonie : les signes des passions tirs des symptmes sont marqus par une profonde ambigut.

    Mais il y a plus : les symptmes, c'est--dire les mouvements naturels qui accompagnent les passions, sont des signes qui ressortissent l'tendue. Il ne faut donc pas les prendre pour un systme de signes semblable aux paroles ou aux gestes des muets lorsqu'ils s'expriment. Dans la mesure o les signes qui tmoignent des passions procdent de la seule disposition de la machine corporelle, ils sont de mme nature que les mouvements qu'on observe chez les btes. Troisime rfutation de la physiognomonie : le dterminisme physiologique sufft dissiper l'illusion d'une structure langagire des signes extrieurs.

    On ne doit pas confondre les paroles avec les mouvements naturels qui tmoignent des passions, et peuvent tre imits par des machines aussi bien que par des animaux2.

    Impossible, donc, d'apprhender la nature de l'me par le biais des signes extrieurs qui accompagnent les passions. Nos penses sont des actions qui viennent de l'me et s'achvent en elle. En revanche, nos passions viennent du corps et sont reues en l'me. Le langage appartient la pense : il n'y a pas de rapport d'expression entre l'me et le corps. Quand il arrive l'homme de se faire entendre par ses mimiques, c'est par un langage silencieux qui peut tre sincre ou mensonger. En tout cas, le visage n'est pas le miroir de l'me et il ne parle pas comme un oracle. Cureau de La Chambre, qui Descartes avait rserv un exemplaire de son Trait, crivait encore en 1659 :

    La nature n'a pas seulement donn l'homme la voix et la langue, pour tre les interprtes de ses penses ; mais dans la dfiance qu'elle a eue qu'il en pouvait abuser, elle a fait encore parler son front et ses yeux pour les dmentir quand elles ne seraient pas fidles. En un mot, elle a rpandu toute son me au dehors 3.

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    En s'appuyant sur une doctrine dont les fondements ont t ruins par Descartes, le mdecin de Sguier fait figure d'attard. En effet, il se rfre l'apptit sensitif, lui-mme subdivis en apptit concupiscible et apptit irascible. Il attribue chacun deux couples : au premier, l'amour et la haine, le plaisir et la douleur ; au second, la hardiesse et la crainte, la constance et la consternation. Quant aux passions mixtes, elles sont composes des simples : ainsi, la colre dpend de la douleur et de la hardiesse. Il identifie l'apptit au sige des passions et dfinit ces dernires comme des mouvements de l'me. Des mouvements rels, immanents, par lesquels l'me ne change pas de lieu, bien que ses parties prennent diverses situations, comme l'eau enferme dans une bouteille peut tre agite sans changer de lieu. Quand l'me s'meut, elle communique son mouvement au corps, qui s'altre et change. C'est pourquoi les actions de l'me paraissent sur le visage et y impriment leur marque.

    Par la suite, Le Brun pronona sa confrence sur P expression gnrale et particulire . En dfinissant la passion comme un mouvement de l'me qui rside dans la partie sensitive, il suivait Cureau de La Chambre et restait sur le terrain de la philosophie scolastique : par ses mouvements, l'me cause l'agitation des esprits qui, leur tour, dterminent les actions des parties du visage. Le signe est donc l'effet d'un dterminisme physiologique qui prend sa source en l'me et exprime un mouvement de l'me, lequel dfinit la passion. Pour comprendre pourquoi la doctrine de Cureau de La Chambre offrait la seule solution satisfaisante, il faut resituer le projet de Le Brun dans son lieu d'origine.

    Au dpart, les modles fournis par la grande peinture devaient permettre de clarifier le problme de la reprsentation des expressions. En empruntant la norme l'usage, la codification du vocabulaire des motions semblait s'engager dans la voie la plus sre. Depuis la Renaissance, les grands artistes peignaient des images qui imitaient les effets des passions. Il suffisait d'tudier leurs tableaux. Dans son commentaire du Saint Michel terrassant le dmon, Le Brun souligne que cet ange mprise trop l'ennemi qu'il a renvers pour s'appliquer vouloir le vaincre :

    Ce que Raphal a merveilleusement bien reprsent par un certain ddain qui parat dans ses yeux et dans sa bouche. Ses yeux qui sont mdiocrement ouverts, et dont les sourcils forment deux arcs trs parfaits, sont une marque de sa tranquillit, de mme que sa bouche, dont la lvre d'en bas surpasse un peu celle d'en haut, en est aussi une du mpris qu'il fait de son ennemi 4.

    Mais la technique du trac des expressions se trouve enveloppe dans l'image peinte. Inaccessible. Quant aux prceptes fonds sur l'imitation ou l'observation de la nature, ils relvent d'une pratique empirique. Tant que

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    le langage pictural restait au plus prs du langage naturel des passions, les signes reprsents ne devaient leur pouvoir reprsentatif qu' leur fidlit aux signes naturels. Parce que ces derniers sont prescrits, il faut les prendre tels qu'ils se donnent dans la perception : imparfaits, quivoques, voire indchiffrables. C'est que l'individu passionn ajoute une srie d'vnements organiques qui brouillent l'essence des passions. Pour connatre la vrit des passions, l'artiste doit abstraire le corps et ses dfauts. Pour l'essentiel, Le Brun donne au principe d'imitation un nouveau point d'application : non les signes naturels des passions, mais les passions dans la puret de leur manifestation essentielle. D'o l'laboration d'un vocabulaire pictural fond sur une ressemblance savante. Il importe de saisir non l'apparence des phnomnes expressifs, mais les phnomnes physiono- miques tels qu'ils rsultent des causes qui les produisent. L'art peut atteindre la beaut, dans la mesure o il rgle sa cration sur les lois de production des essences que lui rvle la science physiologique.

    La voie o devait s'engager Le Brun tait toute trace : l'expression des passions devait tre gouverne parles principes que Cureau de La Chambre avait fixs. Puisque les mouvements de l'me dfinissent les passions, c'est par la diversit de ces mouvements qu'elles doivent tre distingues. Mais c'est l'impression qu'on reoit des jeux de physionomie qui est l'origine de l'analyse des mouvements de l'me. Il suffit de considrer les agitations que le corps souffre dans les passions pour dcouvrir ces diffrents mouvements. Ils ne sont rien de plus que la transcription de ce qu'il y a de plus visible dans les manifestations des passions. La perception des actions corporelles est apprhension immdiate des qualits motrices. Par l'analyse des causes qui les produisent, ces mouvements manifestes sont d'abord transfrs de l'extrieur l'intrieur. Du domaine de la perception celui de l'explication, de l'effet visible au dplacement invisible des esprits. Ces derniers sont susceptibles de quatre mouvements trs simples, communs tous les corps naturels : monter, descendre, se rarfier et se condenser. Puisque c'est l'me qui communique aux esprits l'agitation dont elle souffre, ses actions prsentent tout naturellement les mmes mouvements. Le mcanisme de production des mimiques permettait de donner les rgles de leur prsentation. En quoi les dessins sont conformes, la fois, aux essences des passions et l'image des signes naturels. Les sourcils s'lvent, s'abaissent, s'avancent ou se froncent ; la narine tire en haut, en bas, se serre ou se dilate ; les coins de la bouche tirent en bas, en haut, se retirent en arrire ou s'lvent vers le haut. Transpose dans le langage pictural, l'expression apparat dans la puret de son essence. Assurment, Le Brun reste prisonnier des rgles de la biensance et de la rhtorique du Grand Sicle. Mais une codification des prototypes expressifs, qui prend appui sur la physiologie de Cureau de La Chambre, a une tout autre signification. Par cette

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    opration, qui reste domine par la culture intellectuelle et artistique de son temps, les concepts de vrit et de beaut se librent de l'histoire. Pour Le Brun, ils acquirent une valeur universelle. Parce que les formes pures des passions sont la transcription graphique d'un mcanisme passionnel, elles chappent au double cueil de l'empirisme et de la copie servile. Le projet de Le Brun suppose la conjonction d'une pratique picturale et d'une physiologie. Plus fondamentalement, il suppose la recherche des conditions qui assurent l'alliance du beau et du vrai. L'idal de Le Brun est celui de Boileau.

    Les historiens disent qu'il faut attendre la seconde moiti du XVIIIe sicle pour assister la renaissance des tudes pathognomoniques. Mais les travaux de Lavater ou de Camper ne sont pas dans la ligne de ceux de leurs prdcesseurs. Cureau de La Chambre et Le Brun s'efforaient d'inscrire l'expression des passions dans le cadre d'un dterminisme physiologique. Lavater et Camper logent plutt le rapport de l'invisible au visible dans le champ d'une smiologie : les expressions ne sont pas effets mais signes des passions. Le Brun dessinait pour saisir les rapports de la physionomie humaine avec celle des animaux. Lavater et Camper dessinent pour connatre : un portrait, une silhouette et la forme d'un crne sont les points de rpartition d'un ensemble de signes. La reprsentation graphique, ou la description du prototype, est dj criture physionomique. On aurait tort de voir dans l'mergence d'une craniomtrie , ou d'une frontomtrie , une instrumentalisation de l'observation. La mesure de l'angle facial et la courbe d'un front ne sont pas des signes. Elles le deviennent partir du moment o le caractre dpose ou, plutt, transpose ses qualits sur la figure. La forme est alors signe d'un contenu ; elle est, la fois, signifiante et signifie. Au XVIIIe sicle, la mutation du regard est lie non la mesure mais la formation de la mthode physiognomonique. Constitution, donc, d'un domaine de visibilit o le regard peroit d'emble des signes. L'expression d'un visage ne peut recevoir un sens que d'un acte de connaissance qui l'a par avance transforme en signe. La structure de la perception physiognomonique suppose dj connus deux lments et leur rapport : un trait physique est la reprsentation et le substitut d'une qualit intrieure.

    Des yeux pleins de feu, un regard aussi prompt que l'claii; et un esprit vif et pntrant se retrouveront cent fois ensemble ; et il n'y aurait point de rapport entre eux, et ce concours serait l'ouvrage du pur hasard. On aimera mieux l'attribuer au hasard qu' une influence naturelle, qu' un effet immdiat et rciproque [...]. Un il ouvert, serein qui nous accueille d'un regard prvenant et gracieux ; et un cur franc, honnte, facile s'pancher, et qui vole pour ainsi dire notre rencontre, se trouveraient runis chez des milliers de personnes uniquement par hasard, et sans qu'il y et entre elles le rapport de l'effet la cause5.

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    Moreau suit Lavater, mais il fonde ses analyses physionomiques sur le partage que Bichat vient d'tablir entre vie organique et vie de relation et, par ce biais, retrouve finalement la distinction cartsienne entre mouvements naturels et mouvements intentionnels. On sait que Bichat attribuait les passions la seule vie organique, tandis que la sensibilit, la motricit volontaire et les oprations intellectuelles relevaient de la vie de relation. En s'inspirant de Bichat, Moreau procde une nouvelle rpartition des muscles peauciers : les muscles de la face appartiennent la vie organique, et les muscles du visage , la vie de relation. Les mouvements de la face sont involontaires. Ils sont lis l'instinct et refltent les passions cruelles qui mettent enjeu les contractions incontrles des massters, des buccinateurs et des temporaux. En revanche, les mouvements du visage appartiennent la vie de relation. Ils prsentent les signes des passions lies au sentiment, l'intelligence, et rpondent aux dterminations claires de la volont. Moreau retrouve ainsi le thme cartsien d'un langage qui peut servir dclarer (ou simuler) les passions :

    L'tat des yeux, dans le langage physionomique, constitue essentiellement le regard, le geste volontaire, la direction active de l'organe de la vision, soit pour servir, soit pour rvler les diffrentes affections de l'me, qui viennent modifier tout coup nos besoins et les rapports de notre sensibilit avec les objets extrieurs. On sait d'ailleurs que le regarder, pris dans un sens gnral, n'est pas synonyme du mot voir6.

    Rsumons : d'un ct, les signes involontaires, qui dpendent de la vie organique (Descartes les assimilait des symptmes); mais, au lieu de tmoigner des passions, ils les trahissent : actions vhmentes, inutiles et incontrles. De l'autre, les signes volontaires, qui dfinissent un langage ressortissant la vie de relation (Descartes les assimilait aux signes d'un langage silencieux). Il y a ici un usage rflchi des signes afin de reprsenter un tat intrieur. La mimique est marque et substitut de la pense. Par ce rapport d'un langage sans parole la vie de relation, l'artifice de la mimique est fond en nature. Que dit Moreau de l'usage de ce petit appareil musculaire ?

    Son jeu, ses mouvements constituent seuls le geste dtaill et volontaire du visage. [...] Cet appareil est l'organe d'une locomotion particulire, plus dlicate, moins tendue, et par laquelle l'homme [...] demande tout ce qui l'entoure de servir sa volont, d'entendre sa pense, de rpondre ses affections 7.

    Les travaux de Bell marquent un tournant. Avec lui, pour la premire fois, tous les mouvements physionomiques deviennent des symptmes. Ils

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    naissent spontanment et s'accomplissent sans le concours de la volont. Les synergies si complexes de la fonction respiratoire sont assures par le nerf moteur de la face, qui devient le nerf respiratoire de la face , c'est-- dire l'agent des mouvements de l'expression faciale. Bien que le cur ne soit pas le sige des passions, il est certainement influenc par les tats d'me. De l, cette influence s'tend tous les organes respiratoires et monte jusqu' la gorge, aux lvres et aux joues. Le cur, si sensible aux tats de l'esprit, ressent toutes les motions de l'me. Les passions, donc, produisent un trouble du cur. Et des altrations dans la fonction de cet organe s'ensuivent des modifications sympathiques de la respiration, qui commence et se termine aux lvres et aux narines. Si le cur subit l'influence d'une passion de l'me, il est physiologiquement ncessaire que la respiration en reoive le contrecoup et que cette passion se rvle plus ou moins visiblement par les organes o le souffle nat et expire. Mais la dmonstration de Bell repose sur l'tude des relations qui existent entre les mouvements de l'expression faciale et ceux de la respiration dans des situations limites : les performances, l'agonie et les tats pathologiques qui arrivent au comble de la gne respiratoire. Pour Bell, la fonction respiratoire est donc double : elle est au service des changes gazeux et, par le biais de l'expression, au service de l'me. Le nez et la bouche servent la respiration, la nutrition et l'expression des passions. Mais les yeux, qui servent la vision, ont-ils galement quelque chose voir avec l'expression?

    Plusieurs muscles cachs dans l'orbite meuvent en tous sens le globe oculaire. Or la physiologie leur a donn, outre leurs noms techniques, d'autres noms significatifs. Le droit suprieur, appel le superbe, lve l'il ; il exprime l'orgueil, mais aussi l'estime et la vnration. La contraction de ce muscle a lieu dans l'onction religieuse. Le droit infrieur, qui abaisse le globe oculaire, est le muscle de la modestie et de l'humilit. Pour Sarlandire, ce muscle se contracte dans le cas o l'on a commis une faute dont on convient tacitement ou par aveu, ainsi que dans la honte et dans toutes les situations o l'on se sent infrieur. Le droit externe, appel le ddaigneux, tire le globe oculaire en dehors et, lorsqu'il agit en synergie avec le prcdent, il traduit le mpris. Le droit interne est appel le buveur parce qu'il rapproche la prunelle du nez et fait regarder le verre. Enfin, le pathtique, qui meut fortement, tire son nom du nerf qui l'anime. Bell s'est efforc de prouver que ce nerf n'tait pas sous l'influence de la volont, qu'il diffrait totalement de la troisime paire (elle anime les droits interne, externe, suprieur et infrieur) regarde par lui, avec la sixime paire (elle anime le petit oblique), comme tant les nerfs volontaires de l'orbite. Le nerf de la quatrime paire (grand oblique suprieur) s'carte de la racine des nerfs respiratoires, et cette origine indique sa fonction.

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    L'expression de l'oeil dans la passion prouve que ce rapport est tabli par un nerf respiratoire, et consquemment par un nerf de l'expression. Dans la souffrance, dans les peines d'esprit, et dans toutes les passions du mme genre, les yeux sont levs et tirs, d'accord avec les changements qu'prouvent les autres traits8.

    Le muscle oblique suprieur n'agit que lors de convulsions, aux approches de la mort, pendant le sommeil et toutes les fois que l'il tait soustrait la puissance crbrale. Bell dit encore qu'aux approches de la mort, dans la syncope, et lorsqu'on soulve avec prcaution la paupire d'une personne plonge dans le sommeil, la pupille fuit sous la paupire suprieure. Mais ce n'est pas simplement la contraction involontaire du muscle oblique suprieur qu'il faut attribuer ce glissement. Pour Lemoine, l'explication est plus simple :

    Les muscles qui meuvent en tous sens le globe oculaire ou le tiennent fix dans une direction dtermine ne sont pas infatigables ; quand ils ont puis leurs forces ou quand ils sont relchs par une cause quelconque, la position naturelle des yeux. est une sorte de strabisme sursum qui retourne en dedans le globe oculaire et cache moiti la prunelle sous l'orbite. C'est l le regard du cadavre, [...1 c'est aussi le repos du sommeil que l'on surprend aisment chez l'enfant et le malade qui dorment les paupires demi ouvertes ; c'est la position que nous sentons nos propres yeux chercher quand nous luttons contre le sommeil et que, les paupires maintenues ouvertes par un suprme effort, les objets tournoient et notre vue s'obscurcit, [...] c'est la direction o tendent les yeux de l'homme ivre qui le vin enlve le gouvernement de ses mouvements9.

    Duchenne n'avait qu' supprimer la mdiation de la fonction respiratoire pour tablir l'action involontaire des muscles peauciers placs sous la seule dpendance de la septime paire. L'histoire de la dcouverte du champ expressif rservait bien des surprises. Descartes avait rattach les signes qui tiennent aux symptmes une cardiopathie et plac les mimiques sous la dpendance de la volont. Il fallut attendre les tudes neurophysiologiques de Charles Bell pour que les mimiques deviennent des symptmes et trouvent leur point d'ancrage dans la fonction respiratoire. Par la suite, Duchenne dplaait le substrat de l'expression des organes de la respiration vers les muscles du visage. Par la substitution d'une myopathie une pneumopathie, il oprait un ultime dplacement. partir de l, on voit pourquoi Duchenne s'intressait aux seuls actes expressifs qui relvent du jeu des actions musculaires. On comprend aussi qu'il ait laiss dans l'ombre les autres fonctions des muscles faciaux. Duchenne ne pouvait qu'tre indiffrent au fait qu'il n'y ait pas d'organe spcifiquement destin l'expression. La question du dtournement des usages proprement

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    physiologiques des fins expressives n'est pas la sienne. Les muscles sont tout naturellement les instruments de l'expression. Sous cet angle, l'attitude de Duchenne est plutt celle d'un psychologue. De l, une symptoma- tologie des passions qui concerne l'homme agit par les motions dans les conditions normales de la vie. Ce qui n'empche pas que quelques-uns de ces mouvements puissent tre assums sur le plan volontaire : par l'imitation de soi-mme. Avec la perception des mouvements physionomiques comme actions involontaires, Duchenne contourne l'un des principaux obstacles qui rgnaient sur la physiologie des passions depuis Descartes. Tant qu'on pensait que les mimiques taient commandes par la volont, quelque chose comme une fonction d'expression tait impensable. Que l'homme puisse simuler les passions, Duchenne n'en doute pas un seul instant : il sait bien que le visage peut tre l'instrument d'un langage sans parole fond sur la volont et l'utilisation de signes convenus. Ce qu'il conteste, c'est qu'il ne soit que cela. Ce qu'il conteste encore, c'est que l'me se serve des actions du visage uniquement pour dclarer ou dissimuler ses passions. Par exemple, avec l'lucidation du mcanisme physiologique du rire, Duchenne peut voir dans cette expression le signe incontestable de la joie. Relativement quoi le rire artifcielpeut tre aisment identifi :

    II me sera facile de dmontrer qu'il n'est pas donn l'homme de simuler ou de peindre sur sa face certaines motions, et que l'observateur attentif peut toujours, par exemple, dcouvrir et confondre un sourire menteur 10.

    L'inertie de Porbiculaire palpbral infrieur, qui n'obit pas la volont, trahit un rire faux. Le rire de Dmocrite.

    partir du moment o l'lectrisation d'un seul muscle du visage provoque une expression harmonieuse, on ne peut plus la rabattre sur un mouvement synergique des muscles peauciers. Si un seul mouvement du sourcil produit toujours une expression qui semble mobiliser d'autres muscles, c'est que l'observateur est victime d'une illusion d'optique. Cette dcouverte conduit Duchenne identifier l'ensemble des muscles compltement expressifs. D'abord, dcrire un mouvement physionomique tel qu'on le peroit. Par electrisation du muscle frontal, le sourcil s'lve et dcrit une ligne courbe ; le front prsente des plis curvilignes, concentriques la courbe du sourcil. Toute la physionomie est modifie : la lumire qui claire l'il et l'orbite rayonne aussi sur toute la joue, dont le model parat chang. D'o la transformation de la physionomie, qui montre le rveil de l'esprit. Ensuite, donner le mcanisme qui rend compte de cette perception : la contraction du frontal provoque l'lvation de la paupire suprieure et du sourcil. Mais il ne faut pas croire que l'il brille de son propre clat et qu'il a subi une modification : son clat est sous la dpendance de ce mouvement spcial du sourcil. Le

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    frontal est le muscle de l'attention. Par l'excitation de l'orbiculaire palpbral suprieur, le sourcil s'est abaiss en masse en excutant un mouvement de corrugation et deux lignes verticales profondes se dessinent en dedans de la tte du sourcil. On lit dans le regard du sujet d'exprience une pense profonde qui transforme tous les traits de sa face, qui paraissent fins et spirituels. voir cet air si rflchi, on accorderait cet homme une grande intelligence. Tel est l'effet de ce mouvement imprim au sourcil par l'orbiculaire palpbral suprieur. Le mcanisme qui fonde cette apparence est le suivant : la contraction de l'orbiculaire palpbral suprieur redresse la courbure du sourcil et le rend rectiligne ; la peau du front est alors tendue et ses rides disparaissent. L'orbiculaire palpbral suprieur est le muscle de la rflexion. Par excitation du pyramidal, la racine du nez est sillonne de plusieurs plis transversaux et le regard a pris une expression de duret. Les lvres semblent se pincer sous l'influence d'une pense malveillante. Les deux pyramidaux du mme sujet, mis simultanment en contraction, dessinent une expression de mchancet, de haine, qui inspire la rpulsion. C'est que la contraction du pyramidal efface le sillon transversal qui marque sa terminaison suprieure. On voit que la peau du front a t abaisse et que la peau de la racine du nez, refoule en bas, s'est sillonne de plis transversaux. La tte du sourcil est galement attire vers le bas, et sa moiti interne a une direction oblique de dehors en dedans et de haut en bas. Le pyramidal est le muscle de l'agression.

    Cette nouvelle analyse des passions a suscit des critiques. L'lectrisa- tiond'un muscle produit une action musculaire qui dessine les signes d'une motion. En fondant sa thorie des passions sur l'exprimentation physiologique, Duchenne aurait oubli que le sujet de la psychologie est indivisible. Il ne dcrivait pas une ralit incorporelle et son corrlat, l'expression naturelle, mais il fabriquait des simulacres. Sur un versant, on soulignait l'chec de l'analyse lectro-physiologique, impuissante rendre les effets d'une motion vraie. Le jeu de la physionomie, quand il rpond un tat d'me, offre des nuances infiniment plus varies, plus dlicates et plus expressives que le jeu des mimiques provoques. Dechambre indiquait la limite la plus vidente de l'exprimentation physiologique, qui ne peut atteindre les muscles de l'il :

    Sur cette scne vivante et mobile de l'expression faciale, l'il, qui chappe l'preuve du rhophore, rpand des lumires ou des ombres qui transforment la signification des contractions musculaires, et font du regard, comme un pote l'a dit, le jour de la pense11.

    Sur l'autre versant, on dprciait les photographies puisqu'elles redoublaient ces dfauts. D'o la critique de Brissaud :

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  • Franois Delaporte

    Comment Duchenne ne s'est-il pas souvenu que presque toute la physionomie vraie est dans le regard, et qu'on dit couramment sans mtaphore : des yeux doux, des yeux tristes, des yeux colres, des yeux compatissants, des yeux jaloux ?[...] Le personnage de Duchenne, au contraire, a les yeux fixes, invariablement braqus sur le canon de l'objectif, et, en vrit, ils sont sans expression ; ils pourraient n'avoir pas de prunelles, comme ces yeux d'aveugles dont le globe est tout blanc, ou comme ceux de ces bustes antiques qui semblent ne rien regarder ni voir 12.

    Enfin, Serres croyait porter un coup dcisif en disant que les images de Duchenne ne rendaient pas la vrit des expressions naturelles :

    II y a encore sans doute quelque chose de raide et de froid dans ces expressions artificielles ; la vie en est absente, ce qui nous devons le dire donne quelquefois un air de caricature la physionomie humaine ainsi mise en action 13.

    Les adversaires de Duchenne passaient, sans problme, de la psychologie l'esthtique. Ils ne percevaient pas la diffrence, pourtant vidente, entre la prsentation d'une fonction d'expression et celle d'une expression plastique. Dans le cadre d'une perception esthtique, ses images apparaissaient comme des figures de mauvais got. Cette perception est d'une remarquable cohrence. Si la prsentation des passions relve d'un jugement de got, Duchenne est compris comme artiste et non comme physiologiste. Pour Gratiolet : un photographe qui travaille tel un statuaire faonnant l'argile. Pour Dechambre ou Brissaud : un mauvais peintre, puisqu'il transpose en image un procd classique de la statuaire antique. Pour Serres : un caricaturiste - ce qui, en l'occurrence, n'est pas un loge. Les opposants Duchenne ne voyaient pas qu'il visait une fonction biologique : le mcanisme normal des mimiques.

    Au demeurant, le mdecin de Boulogne avait barr une phnomnologie improvise et les privilges de la sensibilit. L'observateur est toujours confront des phnomnes dont la perception est reue comme conforme l'objet observ. On aurait tort de penser que l'il reoit, rflchit ou rpand une lumire intrieure : le jour de la pense ou la chaleur du sentiment. Le regard est miroir de l'me, parce que le visage reoit et rflchit la lumire du jour et ses ombres. Les modifications du regard dpendent du relief des entours : l'il prend la couleur de la passion sous l'effet des actions musculaires. Le regard devient interrogatif avec l'lvation des frontaux, menaant avec l'action des pyramidaux et souriant avec la contraction des grands zygomatiques et des orbiculaires palpbraux infrieurs. En outre, Duchenne n'avait pas omis d'indiquer la direction de l'axe du globe oculaire dans certaines passions. Par exemple, un regard oblique en

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    haut et latralement pour l'extase et le dlire sensuel ; un regard en bas pour l'humilit et la tristesse. Sur ce point, Duchenne reste fascin par la peinture d'histoire et suit encore Le Brun, Moreau et Bell. Pour ces derniers, les yeux levs vers le ciel expriment l'extase, la dvotion et la vnration. Cependant, les dtracteurs de Duchenne n'ont pas compris que ses photographies s'inscrivent dans le seul registre scientifique. Serres est un homme de got. Pour lui, la capture d'un mouvement expressif, qui prserve son essentielle mobilit, devrait tre l'indication qui suggre la passion plus qu'elle ne la marque. Serres juge les images de Duchenne partir des rgles de l'art. Dans ses photos, qui fixent l'acm de la passion, il voit des prototypes proches de la caricature. Il ne comprend pas que ces images chappent aussi bien au genre du portrait qu' celui du portrait-charge. Duchenne ne veut ni attnuer ni corriger les traits du visage, ni dformer ni accuser tel ou tel trait. Les rfrences plastiques de Serres le conduisent opposer la lisibilit sans excs du portrait l'excs de lisibilit du portrait- charge. Il ne comprenait pas que le but de Duchenne n'tait pas de plaire un amateur d'art, mais d'instruire son lecteur. Et Duchenne savait s'y prendre. En tout cas, ce n'est pas lui qui aurait modifi, dans l'expression de la tristesse, l'un de ses traits les plus droutants : la contraction du petit zygomatique, qui donne l'homme lorsqu'il pleure un air niais et ridicule.

    En 1851, dans la troisime dition du Trait d'anatomie descriptive, Cru- veilhier affirmait l'existence du muscle fronto-orbitaire. D'o son embarras lorsqu'il abordait la question des significations expressives :

    L'hsitation de l'me entre des sentiments divers se trahit ainsi sur cette petite rgion fronto-sourcilire, que les observateurs et les peintres ne sauraient trop tudier14.

    Dans la quatrime dition (1862-1867), aprs et d'aprs Duchenne, les choses sont claires :

    Le frontal est le muscle de l'attention [...]. La contraction du pyramidal donne de la duret au regard et annonce l'agression, la mchancet, la haine. [...] Cette portion de l'orbiculaire est le muscle de la rflexion; quand elle est violente, elle indique une mdiation avec effort, un travail laborieux de la pense [. . .]. Le sourciller est le muscle de la douleur, de la souffrance 15.

    la mme poque, Verneuil donnait un compte rendu du Mcanisme de la physionomie humaine. Avec Claude Bernard, il est celui qui a le mieux compris la signification et la porte des travaux de Duchenne. l'intention des psychologues, en retard d'une rvolution, voici le jugement d'un mdecin instruit :

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  • Franois Delaporte

    La physiologie, la plus noble et sans contredit la plus difficile des sciences d'observation, subit en ce moment une mtamorphose complte. [...] Dans ce mouvement, qu'on ne peut assimiler qu' la rvolution des sciences physico-chimiques la fin du sicle dernier, il faut signaler surtout la tendance qui consiste rendre la physiologie ses droits entiers et ses limites naturelles [...]. Les magnifiques travaux de M. Duchenne (de Boulogne) appartiennent prcisment cette limite extrme o la physiologie se fusionne avec la psychologie et la plastique, ce qui fait comprendre pourquoi le sujet a t peu ou imparfaitement explor jusqu' ce jour par les savants purs. Ces recherches forment un paragraphe important du grand chapitre desfonctions d'expression16.

    Franois DELAPORTE [email protected]

    Universit de Picardie Jules-Verne

    NOTES

    1. R. Descartes, Trait des passions, in uvres et Lettres, Bridoux (d.), Paris, 1953, art. 112 et 113, p. 747.

    2. R. Descartes, Discours de la mthode, in ibid., 5e partie, p. 166. 3. M. Cureau de La Chambre, L'Art de connatre les hommes, Paris, 1659, p. 2. 4. Ch. Le Brun, Sur le Saint Michel terrassant le dmon de Raphal (7 mai 1667), in

    Les Confrences de l'Acadmie royale de peinture et de sculpture au XVIIe sicle, A. Mrot (d.), Paris, 1996, p. 63.

    5. G. Lavater, Introduction et considrations gnrales , in L'Art de connatre les hommes par la physionomie, Paris, L.-T. Cellot, 1. 1, p. 232.

    6. J.-L. Moreau, Analyse anatomique et physiologique du visage , in ibid., t. IV, p. 252. 7. Ibid., p. 205-207. 8. Ch. Bell, Exposition du systme naturel des nerfs du corps humain, suivie des Mmoires sur

    le mme sujet, lus devant la Socit Royale de Londres, trad, par J. Genest, Paris, L.-H. Hrhan, 1825, p. 239-240.

    9. A. Lemoine, La Physionomie et la Parole, Paris, Gemer Baillire, 1865, p. 59-60. 10. G. Duchenne, Mcanisme de la physionomie humaine, Considrations gnrales, Paris,

    Vve Renouard, 1862, p. 51. 11. A. Dechambre, Anatomie des beaux-arts , in Dictionnaire encyclopdique des sciences

    mdicales, Paris, 1866, t. IV, p. 255. 12. E. Brissaud, L'uvre scientifique de Duchenne de Boulogne , Revue internationale

    d 'lectrothrapie et de radiologie, n 3, 1899, p. 81. 13. Rapport de M. Serres sur l'ouvrage de M. Duchenne de Boulogne, intitul Mcanisme

    de la physionomie humaine , Archives nationales, sance du 26 mai 1864, 7/3101, f. 7. 14. J. Cruveilhier, Trait d'anatomie descriptive, 3e dition, Paris, Bchet et Lab, 1851, p. 209-211.' 15. J. Cruveilhier, Trait d'anatomie descriptive, 4e dition, dition revue et corrige par

    Marc Se et Cruveilhier fils, Paris, P. Asselin, 1862-1867, 1. 1, p. 608-615. 16. A. Verneuil, Mcanisme de la physionomie humaine, ou analyse lectro-physiologique

    de l'expression des passions applicable la pratique des arts plastiques , Gazette hebdomadaire de mdecine et de chirurgie, n 28, 1862, p. 445 a-b.

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  • Le miroir de l'me

    RSUM

    L'poque classique tend privilgier un regard o la vue s'obtient par l'extriorisation de l'intrieur, faisant ainsi de l'il, la fois, le miroir de l'me et l'instrument de son langage. Au XIXe sicle, avec l'analyse du mcanisme de la physionomie humaine, Duchenne de Boulogne dissipe cette illusion. Le regard s'inscrit dsormais dans la mimique, qui ressortit une fonction d'expression.

    SUMMARY

    The classical era tends to favor a conception of the gaze where seeing results from the exterio- rization of the interior, rendering the eye both the mirror to the soul and the instrument of its language. In the 19th century, with the analysis of the mechanism of human physiognomy, Duchenne de Boulogne dispels this illusion. Henceforth, the gaze is seen as a form of mimicry which serves the function of expression.

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