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LE MUSÉE DU CAIRE Author(s): F. de Saulcy Source: Revue Archéologique, Nouvelle Série, Vol. 9 (Janvier à Juin 1864), pp. 313-322 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/41734391 . Accessed: 19/05/2014 23:38 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to Revue Archéologique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.78.109.99 on Mon, 19 May 2014 23:38:12 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

LE MUSÉE DU CAIRE

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LE MUSÉE DU CAIREAuthor(s): F. de SaulcySource: Revue Archéologique, Nouvelle Série, Vol. 9 (Janvier à Juin 1864), pp. 313-322Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/41734391 .

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LE

MUSÉE DU CAIRE (,)

A six heures et demie, Mariette Bey était à l'hôtel et nous montions en voiture pour nous rendre à Boulaq, où il a établi son musée. Ce sont les bâtiments délabrés du transit qui lui ont été livrés par le vice- roi feu Saïd -Pacha, pour y réunir les merveilles inappréciables qu'il a eu Je bonheur de recueillir. Toutes proviennent des fouilles entre- prises par lui pour le compte de l'État égyptien. Mariette, en effet, avait facilement fait comprendre au souverain qu'il était déplorable que tous les musées de l'Europe se fussent enrichis aux dépens de l'Égypte; qu'il était temps de doter son pays d'une fondation digne d'un prince véritablement éclairé; que semblable création ne man- querait pas, d'ailleurs, de jeter une gloire incontestable sur son règne, en attirant au Caire les égyptologues dont le nombre allait toujours croissant en Europe, et pour lesquels l'étude d'un pareil trésor ne pourrait manquer de devenir un motif impérieux de visiter par eux- mêmes la terre des Pharaons. Cette idée toute simple et toute natu- relle frappa l'esprit du souverain ; la formation d'un musée égyptien au Caire fut immédiatement décrétée, et tous les moyens les plus efficaces pour atteindre le but désiré furent mis à la disposition de Mariette. On lui confia l'inspection et la garde de tous les monuments encore existants, avec mission de les déblayer et d'entreprendre, où bon lui semblerait, les fouilles qui devaient fournir les éléments du futur musée. Le commerce interlope des antiquités fut absolument interdit du même coup, et la destruction pour ainsi dire systématique des monuments fut arrêtée. Espérons qu'elle ne reprendra plus sa désastreuse allure. Il n'y a pas sous le soleil de climat plus conserva-

il) Extrait des notes de voyage de M. de Saulcy. IX. - Mai. 21

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314 REVUE ARCHÉOLOGIQUE. teur que celui de l'Égypte. Il suffira donc de vouloir, pour que désor- mais plus rien ne disparaisse de l'inventaire des monuments illustres que quarante siècles de l'histoire humaine ont répandus sur cette terre privilégiée.

Disons-le sans réticence, la création de ce musée ne fut pas vue d'un trés-bonœil par tout le monde dans l'entourage du souverain éclairé qui la décrétait. Bien des gens déploraient la détermination qu'il venait de prendre, de faire des dépenses dans un intérêt purement scientifique et sans qu'il fût permis de prélever, comme de coutume, de fortes dîmes sur ces dépenses insolites. Aussi n'a-t-on pas manqué d'insinuer que Mariette avait dépensé des centaines de mille francs pour aménager le musée de Boulaq, et c'est là une abominable calomnie. Soixante mille francs environ ont suffi à la mise en ordre, dans un local charmant, d'un musée auprès duquel pâlissent déjà tous les musées les plus renommés de la vieille Europe. Leyde, Ber- lin, Londres, Turin, Paris même ont sans doute de magnifiques collections de monuments égyptiens, mais, disons-le franchement, elles sont primées, et de beaucoup, par la collection de Boulaq, réunie en moins de cinq années.

Un bateau à vapeur du vice-roi avait été mis à la disposition de Mariette, pour qu'il lui fût possible de se transporter rapidement où l'exigeraient les besoins du service qui lui était confié. Ce bateau lui a été repris l'an dernier, sous je ne sais quel prétexte; espérons que cette mesure n'aura qu'un effet passager. On conçoit facilement toute l'amertume qu'a dû jeter dans le cœur de Mariette l'exécution de celte décision si imprévue. Il eut cependant le courage de se raidir contre les obstacles qu'on se plaisait à faire naître sous ses pas, et rien ne put l'empêcher de poursuivre la tâche glorieuse qui lui avait été don- née à remplir. Ses jours et ses nuits furent employés à préparer l'inauguration du musée de Boulaq, et le jour même de mon arrivée au Caire la besogne venait d'être terminée.

Ce jour-là, le vice-roi n'avait pas encore exprimé le désir de visiter ce beau joyau de sa couronne. Tant de gens autour de lui parlaient avec mépris de ce ramassis de vieilleries sans intérêt, que peut-être il avait fini par croire que son musée ne valait pas la peine qu'il se dérangeât pour aller le visiter. Disons de suite que j'ai peut-être eu le bonheur de le faire changer d'opinion à ce sujet; car le lendemain même de ma dernière visite au palais, Mariette Bey fut mandé par Son Altesse, afin de prendre jour pour l'inauguration. Si je ne me suis pas trompé, et si j'ai pu amener ce changement dans l'esprit du vice-roi, je déclare que j'en serai fier toute ma vie.

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Venons maintenant à la description sommaire de cette inappréciable collection, et du beau local qui la contient.

Le musée, ainsi que je Tai dit, occupe aujourd'hui les anciens bâtiments du Transit, de la Compania, comme on l'appelle au Caire. Deux cours successives longent le Nil et sont séparées 1 une de l'autre par une grille. La première, plantée de quelques beaux arbres, ne contient que les bâtiments d'habitation réservés aux gens de service età Mariette Bey lui-même. Une délicieuse gazelle, nommée Finette, s'y promène en liberté, recherchant avec ardeur les bouts de cigares dont elle se fait un singulier régal. Quelques jolis petits singes y gambadent aussi en sa compagnie.

La seconde cour fait déjà partie intégrante du musée, car elle con- tient deux grands sphinx venus de Karnac, et trois superbes sarco- phages de basalte avec couvercles soutenus par des taquets, comme pour les analogues que nous admirons au Louvre. Cette disposition est commandée par la nécessité de voir les dessins gravés en creux dans l'intérieur de la tombe. L'extérieur tout entier est pareillement couvert de figures et de textes hiéroglyphiques gravés en creux. Ces trois sarcophages proviennent de Sakkarah, et ont renfermé de grands personnages qui ont vécu sous la xxvin® dynastie, c'est-à-dire sous les rois Saïtes du nom d'Amyrtée. L'un de ces sarcophages appar- tient à un certain Tachos, premier général des soldats de Sa Majesté. On serait bien tenté d'identifier ce général en chef avec le Téos dont parlent Manethon et Diodore, et qui fut revêtu de la même dignité vers l'époque où régnait Amyrtée. Quoi qu'il en soit, cette tombe était inviolée lorsqu'elle a été découverte, et elle contenait de fort belles amulettes sacrées. Le gaîne qui a renfermé la momie de Tachos est en basalte vert de la plus grande beauté.

Deux vestibules successifs donnent accès au musée proprementdit. Le premier contient une belle statue romaine d'une dame, qui a élé trouvée à Teli-Mokdam, l'antique Cynopolis. Cette statue est d'un ton style, quoique un peu vulgaire. Auprès d'elle se voit une tête colos- sale du Nil, assez semblable à celle du Jupiter olympien ; mais la chevelure de cette tête, dont les mèches semblent mouillées, ne permet pas de conserver trop de doutes sur la Déité qu'elle représente. Des inscriptions grecques et romaines complètent l'ameublement de cette salle, qui conduit à un second vestibule, où commencent à se montrer des monuments hors ligne.

Les deux morceaux qui frappent d'abord la vue sont deux belles statues de calcaire peint, provenant de Sakkarah, échantillons vrai- ment merveilleux de l'art de la i'e dynastie (Chéops, Chephren,

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Mycerinus, auteurs des trois grandes pyramides de Ghizeh). Ces sta- tues, qui ont bien près de six itìille ans d'existence, sont superbes de modelé. Les têtes, les bras et les genoux surtout sont de véritables chefs-ďoeuvre de glyptique. Ces figures sont vivantes, et l'on serait facilement tenté de croire que ce sont deux fellahs de l'époque actuelle qui posent devant vous, tant les types sont identiques. Évi- demment c'est la même race.

On remarque ensuite des tables à libations en grès statuaire, trou- vées en place à Karnac. Comme elles sont antérieures à l'arrivée des Pasteurs, ou Hyksos, ou bien ceux-ci les ont respectées, ou bien, ce qui paraît plus probable, ils n'ont pas pénétré jusqu'à Thèbes. L'une d'elles offre un cartouche très-singulier formé de la réunion de trois noms appartenant à des rois des xie et xne dynasties, antérieurs par conséquent à l'invasion des Pasteurs. Ces noms sont : Amon..., Entef et Amenhémé ; la gravure en est remarquablement fine.

J'avais conservé le souvenir d'une lecture faite par Mariette devant l'Académie des inscriptions et belles-lettres, à propos d'une stèle de Thoutmès III, sur laquelle se trouve un véritable poëme en versets cadencés, rédigé pour célébrer les victoires de ce monarque conqué- rant. Cette lecture, destinée uniquement à faire connaître l'existence et la traduction de ce véritable petit poëme, fit naturellement une très-grande sensation. Depuis lors, MM. de Rougé et Brughsch ont complété la traductiou de ce texte important, qui orne aujourd'hui le musée de Boulaq. A côté de ce monument est placée une autre stèle en calcaire de grande dimension, sur laquelle est gravé un hymne au soleil. A propos de cette stèle, Mariette a émis devant moi une hypo- thèse qui me paraît singulièrement digne d'être prise en considé- ration. Tous les égyptologues ont remarqué dans les textes hiéro- glyphiques la mention d'une région nommée Poun, et Pount avec le t explétif; ne serait-il pas possible que sous cette appellation fussent cachés les Pœni, Phéniciens? Vraiment, on serait tenté de le croire.

Tout le reste de ce riche vestibule est garni de stèles de la xiie dynastie, au nombre de cent environ. Inutile de faire ressortir l'importance historique de cette magnifique série de textes.

En ce point du musée cessent de paraître, à très-peu d'excep- tions près, les monuments importants par leur taille; on sent qu'il manque là une belle et vaste galerie, où seraient rassemblés les mor- ceaux de grande dimension disséminés en Egypte, et qu'il serait si facile de réunir en peu de temps. Citons, par exemple, les colosses et les sphinx de San (Tanis, Avaris des Pasteurs), ainsi que les groupes

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de marchands de poissons, provenant des mêmes fouilles. Tous ces monuments, produits étranges et inattendus de l'art des Pasteurs, n'ont d'analogues dans aucun musée du monde, et ils suffiraient à eux seuls pour donner au musée de Boulaq une importance capitale. Citons encore ce qui est disponible à Sakkarah, la nécropole de Mem- phis, ce qui peut être, sans difficulté aucune, pris et enlevé dés qu'on le voudra : ce sont trente-trois magnifiques sarcophages et une qua- rantaine de grandes stèles de l'ancien empire. Ce serait certainement une réunion inappréciable, d'autant plus que jamais l'exécution des textes égyptiens n'a atteint la perfection que présentent ceux dont il s'agit, au point de vue de l'art. Ajoutons enfin à cette énumération splendide une demi-douzaine de décrets royaux qui sont à Abydos ou à Memphis. Que l'on fasse construire une galerie qui soit capable de contenir tous ces trésors historiques, et ils seront prêts à venir dès qu'on voudra bien se donner la peine de les prendre. Je me plais à espérer que le vœu que je formule ici s'accomplira quelque jour, et que le souverain de l'Egypte ne déclinera pas l'honneur qui lui reviendrait de la détermination de réunir dans son musée des monu- ments d'une telle valeur.

Ce n'est qu'après avoir franchi les deux vestibules dont je viens de faire connaître grosso modo le contenu, qu'on entre, ainsi queje l'ai noté plus haut, dans le musée proprement dit. Celui-ci se compose de quatre salles, qui naguère étaient quatre magasins infects du transit. Les avoir transformés en salles élégantes et d'une convenance exquise, et cela avec la plus incroyable économie, c'est un tour de force dont le gouvernement égyptien devrait fortement remercier Mariette, ne fût-ce que pour la rareté du fait en ce pays. Des pein- tures très-sobres et de fort bon goût font de ces quatre salles un véri- table musée égyptien. Hâtons-nous de dire que ces peintures ne sont pas du tout semblables à celles du musée de Berlin.

Maintenant, procédons par ordre. La première salle dans laquelle on pénètre est la salle du centre. A

gauche elle contient un véritable Panthéon composé des plus ravis- santes figurines de toute matière, offrant les formes diverses sous lesquelles furent représentées les divinités égyptiennes. Adroite sont les objets funéraires, c'est-à-dire la série des amulettes souvent si précieuses qui accompagnaient les morts dans leur dernière demeure. Tout cela est renfermé dans de belles vitrines bien éclairées, par conséquent suffisamment en vue pour être étudié avec fruit, mais aussi suffisamment à l'abri de la poussière, et bien mieux encore des mains des visiteurs. Je me suis laissé dire que lorsque S. M. le Sultan

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318 REVUE archéologique. est venu au Caire, il y a deux ans, quelques-uns des grands person- nages qui raccompagnaient se sont indignés de la précaution prise contre les indiscrets. Ceux-là devaient être des amateurs.

Entre les vitrines de droite est placée une statue en bois d'un homme marchant le bâton à la main. Cette statue, qui a un peu moins d'un mètre de hauteur, est connue sous le sobriquet de Scheikh-el-belad , qu'elle a reçu à cause de la ressemblance inouïe du personnage qu'elle représente, avec le Scheikh-el-Belad actuel de Sakkarah. C'est tout simplement un chef-d'œuvre qui date de six mille ans. Tout le monde a admiré le petit scribe accroupi du musée du Louvre, dû également aux fouilles de Mariette et apparte- nant à la même époque. C'est, sans contredit, le plus précieux bijou de notre écrin égyptien. Eh bien ! à mon avis la petite statue de bois du musée de Boulaq lui est supérieure au point de vue de l'art.

Dans cette même salle est placée la statue en albâtre oriental de la reine Ameniritis, femme du roi Piankhi , trouvée par Mariette à Karnac. Cette statue d'une princesse de quelques années antérieure à l'avènement de la dynastie des Psammetik (xxvi®, Saïte) est d'une conservation merveilleuse. Ce qui frappe en elle, c'est le talent hors ligne avec lequel l'artiste qui l'a exécutée a su lui donner une chas- teté irréprochable, tout en accusant les formes du corps féminin le plus charmant. Citons encore une très-jolie figure de calcaire, peinte en rouge, d'un brave homme qui a vécu sous la ive dynastie.

Dans cette même salle eniin sont quatre grandes cages de verre, contenant des milliers d'objets de prix, se rapportant aux quatre classes suivantes : religieuse, funéraire, civile et historique. C'est, sans contredit, l'ensemble, le plus merveilleux de ces monu- ments de petite dimension dont nos musées européens sont si fiers, quoiqu'ils soient bien pauvres en comparaison de ce que présentent les vitrines de Boulaq. J'ai remarqué avec le plus vif intérêt dans la cage historique la base d'une statue de Tahraka portant les noms de vingt-six peuples vaincus par le roi que les Grecs ont désigné sous le nom de second Sésostris. La suite des scarabées présente une série de cartouches royaux presque sans interruption depuis la 111e dy- nastie (Ouserkerès, de Manethon) jusqu'aux Ptolémées. Un cer- tain nombre de ces scarabées présentent de véritables généalogies royales.

La salle de l'Est ne contient que des monuments du premier em- pire, c'est-à-dire contemporains des dynasties les plus anciennes et jusqu'à l'arrivée des Pasteurs. Là brille au premier rang la statue de Chephren, le roi qui fut enseveli dans la seconde pyramide de

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Ghizeh. C'est un morceau splendidement beau et qui vaut à lui seul toutes les statues réunies des musées égyptiens de l'Europe, bien que son bras droit ail été mutilé. Comme art, cette statue, qui est grande comme nature, est supérieure aux plus belles statues au- jourd'hui si célèbres du musée de Turin ; et pourtant il s'agit là d'un monument qui a plus de six mille ans d'âge. La matière est magni- fique; c'est celle qui est connue des géologue^ sous le nom de Diorite. Elle a été extraite d'un puits creusé à l'intérieur d'une des chambres du temple d'Armakhis, de ce (empie que Mariette a retrouvé sous le sable à côté du grand Sphinx, qui n'est lui-même que l'image d'Armakhis.

Toute cette salle de l'Est est, ainsi queje viens de le dire, remplie de stèles et de statues appartenant aux temps de l'ancien et du moyen empire. Parmi les stèles il en est une qui présente le cartouche de Khoufou vivant. Khoufou, c'est le roi enterré dans la plus grande des Pyramides. Comme les tableaux qui accompagnent les textes de cette stèle manifestent d'une manière évidente l'existence, à l'époque où elle fut rédigée, des cultes d'Apis et d'Armakhis, il serait permis de supposer qu'elle est postérieure au règne de Khoufou; rien pour- tant, il faut le dire, ne prouve que ces cultes aient été mis en pratique longtemps après cette époque. D'ailleurs l'épithète vivant, accolée au nom du roi, semble prouver qu'il n'avait pas quitté le monde lorsque la stèle en question fut ciselée. C'est là du reste une question difficile à décider et qui n'est pas le moins du monde de ma com- pétence.

La salle de l'Ouest est une salle purement civile : elle est ornée de grandes vitrines remplies de scarabées, de momies de choix, de vases, de statues, etc., etc. Une armoire [spéciale ne contient que des statues de personnages appartenant aux temps des premières dynasties. Une autre renferme des vases de toutes formes et des ou- tils, tels que niveau de maçon et maillet. Comme ils ont été trouvés dans l'épaisseur des murs du tombeau d'Ounnas, dernier roi de la v' dynastie (Elephantine, vers 3480 avant l'ère chrétienne), il est bien certain que ces outils sont contemporains du monarque en ques- tion. Quant à son tombeau, qui a été reconnu par Mariette, il fait partie du groupe des pyramides de Sakkarah, et il est situé entre ce village et celui de Daschour, sur la lisière du désert.

La quatrième et dernière salle est celle des bijoux. En première ligne on remarque naturellement ceux qui ont été trouvés avec la momie de la reine Ahotep, mère d'Amosis. Comme ils ont été admi- rés par tout Paris, lorsque Mariette les y apporta il y a quelques

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années, avec l'assentiment du vice-roi, il est inutile d'en parler plus longuement. Parmi les autres on admire ceux qui ont été rencontrés dans le tombeau d'un grand personnage de la cour de Ramsés VIII, découvert à Abydos. Ce sont de magnifiques pendants d'oreille qui étaient destinés à être accrochés à une perruque.

Cette même salle contient le cercueil entièrement doré de la reine Ahotep elle-même. Ce cercueil est comme ceux des Entef, aujour- d'hui déposés au Louvre, couvert de dessins des plus intéressants. On y voit Isis entourant le défunt de ses ailes pour protéger son corps.

Joignez à tout ce qui vient d'être si brièvement énuméré une dou- zaine de magasins fermés et qui sont encombrés d'une collection énorme de stèles, de statues, de sarcophages, de cercueils, de mo- mies, etc., etc., attendant qu'on puisse leur assigner une place convenable.

L'un de ces magasins néanmoins pourra être visité par le public, et c'est un grand bonheur, car il contient de vrais trésors histo- riques. Là, en effet, est placé le sarcophage qui avait été donné à la France, et que nous avons eu la sottise à jamais regrettable de ne pas faire enlever. Ce sarcophage est pour ainsi dire identique avec celui qui contenait le corps du roi Menchérès ou Mycerinus. Il est donc son contemporain. Or, chacun sait que le sarcophage de Mycerinus, rapporté en Angleterre, où il devait faire le plus bel ornement du British museum, a sombré sur les côtes de Portugal.

Là aussi est une tête de sphinx trouvée à San, et qui est certaine- ment une œuvre d'art du temps des Pasteurs. On se rappelle que la- Revue archéologique a eu l'heureuse chance de publier sur ce morceau remarquable un mémoire de Mariette, mémoire qui a été toute une révélation sur l'histoire des Pasteurs, naguère si embrouillée. Le type de la figure de ce sphinx est absolument semblable au type constant des habitants actuels de San, sur les bords du lacMenzaleh. Les Hyksos, ou pour mieux dire leurs descendants directs, sont donc toujours là. La saillie des pommettes, l'arc de la bouche et le nez épaté, sont les caractères distinctifs de cette race qui, n'a rien de commun avec celle des Fellahs ou Egyptiens de pur sang.

C'est là encore qu'on voit la fameuse table royale trouvée par Ma- riette à Memphis. Elle porte cinquante-six cartouches royaux de monarques, répartis dans les dynasties égyptiennes, depuis la pre- mière jusqu'à la xixe. Tous sont rangés par ordre chronologique, avec des omissions évidemment volontaires de la part du graveur. On comprend qu'un monument de cette nature soit bien autrement

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précieux que la table ďAbydos, qui est maintenant à Londres et qui fut jadis vendue au British museum par M. Mimaut, consul général de France eà Egypte.

En résumé, le musée de Boulaq contenait, à l'heure où je Tai vi- sité, vingt-deux mille monuments catalogués, tous trouvés par Mariette en quatre ans et demi de fouilles. C'est donc, je le répète, un musée qui déjà marche tout au moins de pair avec les plus riches de l'Europe.

Gloire donc à Saïd-Pacha, qui a eu l'heureuse idée d'ordonner la formation de cette merveilleuse collection! Gloire à son successeur, Ismaïl-PaCha, qui, nous n'en doutons pas, continuera dignement l'œuvre de son prédécesseur; il lui suffit de vouloir, et nous en avons le ferme espoir, il voudra.

Rappelons en finissant que deux obstacles sérieux ont été ren- contrés par Mariette dans l'exécution de son noble mandat. Le pre- mier tenait au dédain du pays entier pour les monuments de l'anti- quité. Pour les Indigènes, ces monuments étaient des carrières où ils trouvaient à bon marché de belles pierres toutes taillées ; avouons bien bas que pour le gouvernement lui-même cet abominable sys- tème de destruction avait été de mise. Aujourd'hui ce premier obstacle est à peu près levé. Les Indigènes n'osent plus toucher aux monuments antiques. Mais est-il bien sûr que les agents du gouver- nement fassent de même? Je n'oserais trop l'affirmer. Patience, cela viendra certainement.

Le deuxième obstacle à vaincre, et celui-là malheureusement est encore debout, c'est l'abominable manie des voyageurs qui se font une sorte de gloire, les malheureux! d'inscrire partout leurs noms obscurs ou ridicules, ou qui font pis encore, et mutilent les monuments qu'ils visitent. Quand les gardiens des monuments qu'on dégrade ainsi font mine d'empêcher la perpétration de ces actes stupides, il arrive souvent qu'on les bat, et toujours que le voyageur soi-disant insulté se plaint à son consul. Qu'en résulte-t-il? que le gardien dénoncé va aux galères pour avoir voulu exécuter strictement sa consigne. Ceci est tout simplement une infamie, j'en suis fâché pour les plaignants. Il est vraiment bien fâcheux que lorsque des actes de celte nature s'accomplissent, il ne se trouve pas là à point nommé quelque Européen de bon sens, muni d'une forte poigne et d'un solide gourdin, pour offrir aux mutilateurs la seule récompense que mérite la peine qu'ils se donnent.

Citons, par exemple, ce qui s'est passé au tombeau de Séti Ier, dé- couvert par Mariette : ce beau monument avait été fermé; des tou-

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ristes, ce ne sont heureusement pas des Français, ont enfoncé la porte et criblé les tableaux hiéroglyphiques de plates injures à l'adresse de Mariette. Citons encore un nom aristocratique qui se trouve écrit partout en Egypte, suivi d'un qualificatif que l'on ne rencontre guère, si ce n'est dans les comédies de Molière ou dans les romans de Paul de Kock, et qu'un autre touriste y a accolé avec autant d'obstination que le premier en avait mis à graver son nom sur tous les monuments. Voilà-t-il pas quelque chose de bien édifiant pour ceux qui viendront après eux dans la vallée du Nil?

Cet obstacle, trois fois hélas I ne pourra jamais être écarté.

F. de Saulcy.

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