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CLOTTES J. (dir.) 2012. — L’art pléistocène dans le monde / Pleistocene art of the world / Arte pleistoceno en el mundo Actes du Congrès IFRAO, Tarascon-sur-Ariège, septembre 2010 – Symposium « Art pléistocène dans les Amériques » Le plus ancien art rupestre du Brésil central : état de la question André PROUS * Résumé Les recherches de l’Université Fédérale et de la Mission Française de l’État de Minas Gerais ainsi que celles, toutes récentes, de l’Université de São Paulo ont permis de retrouver plusieurs ensembles peints ou gravés enterrés dans des niveaux de l’Holocène du centre et du nord de l’État de Minas Gerais. La plupart ont été datés de l’Holocène moyen ; seules quelques gravures ont été exécutées un peu avant 8000 BP (abris do Santo, du Boquete et du Dragão). En revanche, de nombreux restes de pigments préparés ont été retrouvés dans des niveaux datés entre 8000 et 12 000 BP dans divers abris peints (Santana do Riacho, Boquete, Malhador, Gentio, Santa Elina). Dans l’État de Bahia, des chercheurs ont interprété certaines figures comme des représentations de faune Pléistocène (qui a en partie survécu jusque vers 9000 BP), mais il s’agit d’erreurs évidentes de lecture dans certains cas, et d’interprétations hasardeuses dans les autres. Abstract – The earliest rock art in Central Brazil : the state of the problem Research carried out by the Federal University and the French Mission of Minas Gerais state – more recently, by São Paulo university - have uncovered several painted and carved complexes in Holocene levels in both northern and central Minas Gerais. Most were dated to the Mid-Holocene and only a few petroglyphs were made a bit prior to 8000 BP (Santo, Boquete and Dragao shelters). On the other hand, in several painted shelters (Santana do Riacho, Boquete, Malhador, Gentio, Santa Elina), abundant remains of prepared pigments have been found in layers dated between 8000- 12,000 BP. In Bahia state, some researchers have interpreted certain figures as representations of Pleistocene fauna (which disappeared around 9000 BP), but these are obvious errors of observation and interpretation. Resumen – El arte rupestre más temprano en Brasil central : estado del problema Las investigaciones de la Universidad Federal y de la Misión Francesa del estado de Minas Gerais (y mas recienets, de la Universidade de São Paulo) permitieron hallar varios conjuntos de pinturas o grabados dentro de niveles del Holoceno, tanto en el centro como en el norte del estado de Minas Gerais. La mayor parte fueron datadas en el Holoceno medio y sólo algunos grabados fueron ejecutados un poco antes de los 8000 BP (abrigos del Santo, del Boquete y del Dragão). Por lo contrario, numerosos restos de pigmentos preparados han sido hallados en niveles datados entre los 8000 y 12.000 BP en diversos abrigos pintados (Santana do Riacho, Boquete, Malhador, Gentio y Santa Elina). En el estado de Bahía, algunos investigadores han interpretado ciertas figuras como representaciones de fauna del Pleistoceno (que finalizó alrededor de los 9000 BP), pero se trata de errores evidentes de observación e interpretación. * Universidade Federal de Minas Gerais, Mission archéologique française de Minas Gerais ; chercheur du CNPq brésilien.

Le plus ancien art rupestre du Brésil central : état de la ... · PROUS A., Le plus ancien art rupestre du Brésil central : état de la question CD-721 Fig. 1. Carte des lieux

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CLOTTES J. (dir.) 2012. — L’art pléistocène dans le monde / Pleistocene art of the world / Arte pleistoceno en el mundo Actes du Congrès IFRAO, Tarascon-sur-Ariège, septembre 2010 – Symposium « Art pléistocène dans les Amériques »

Le plus ancien art rupestre du Brésil central : état de la question

André PROUS*

Résumé Les recherches de l’Université Fédérale et de la Mission Française de l’État de Minas Gerais ainsi que celles, toutes récentes, de l’Université de São Paulo ont permis de retrouver plusieurs ensembles peints ou gravés enterrés dans des niveaux de l’Holocène du centre et du nord de l’État de Minas Gerais. La plupart ont été datés de l’Holocène moyen ; seules quelques gravures ont été exécutées un peu avant 8000 BP (abris do Santo, du Boquete et du Dragão). En revanche, de nombreux restes de pigments préparés ont été retrouvés dans des niveaux datés entre 8000 et 12 000 BP dans divers abris peints (Santana do Riacho, Boquete, Malhador, Gentio, Santa Elina). Dans l’État de Bahia, des chercheurs ont interprété certaines figures comme des représentations de faune Pléistocène (qui a en partie survécu jusque vers 9000 BP), mais il s’agit d’erreurs évidentes de lecture dans certains cas, et d’interprétations hasardeuses dans les autres.

Abstract – The earliest rock art in Central Brazil : the state of the problem Research carried out by the Federal University and the French Mission of Minas Gerais state – more recently, by São Paulo university - have uncovered several painted and carved complexes in Holocene levels in both northern and central Minas Gerais. Most were dated to the Mid-Holocene and only a few petroglyphs were made a bit prior to 8000 BP (Santo, Boquete and Dragao shelters). On the other hand, in several painted shelters (Santana do Riacho, Boquete, Malhador, Gentio, Santa Elina), abundant remains of prepared pigments have been found in layers dated between 8000-12,000 BP. In Bahia state, some researchers have interpreted certain figures as representations of Pleistocene fauna (which disappeared around 9000 BP), but these are obvious errors of observation and interpretation.

Resumen – El arte rupestre más temprano en Brasil central : estado del problema Las investigaciones de la Universidad Federal y de la Misión Francesa del estado de Minas Gerais (y mas recienets, de la Universidade de São Paulo) permitieron hallar varios conjuntos de pinturas o grabados dentro de niveles del Holoceno, tanto en el centro como en el norte del estado de Minas Gerais. La mayor parte fueron datadas en el Holoceno medio y sólo algunos grabados fueron ejecutados un poco antes de los 8000 BP (abrigos del Santo, del Boquete y del Dragão). Por lo contrario, numerosos restos de pigmentos preparados han sido hallados en niveles datados entre los 8000 y 12.000 BP en diversos abrigos pintados (Santana do Riacho, Boquete, Malhador, Gentio y Santa Elina). En el estado de Bahía, algunos investigadores han interpretado ciertas figuras como representaciones de fauna del Pleistoceno (que finalizó alrededor de los 9000 BP), pero se trata de errores evidentes de observación e interpretación.

* Universidade Federal de Minas Gerais, Mission archéologique française de Minas Gerais ; chercheur du CNPq

brésilien.

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Nous considérerons ici comme faisant partie du « Brésil central » les États situés dans la zone tropicale localisée à mi-chemin entre l’Amazonie, au nord, et les États méridionaux de la région sub-tropicale. Cette région est occupée par les États de Mato Grosso, Goiás et Tocantins à l’ouest ; Minas Gerais et Bahia à l’ouest.

Le Brésil central recèle des milliers de sites d’art rupestre ; la plupart, sous abri, ont livré surtout des peintures, mais l’on connaît également des dalles gravées exposées à l’air libre sur la berge des grands fleuves de la région nord-occidentale. Il n’existe pas d’art rupestre en zone aphotique au Brésil, ni d’art mobilier dans les sites rupestres ou dans leurs environs. Les datations directes de pigments sont très rares et ont été faites sur des peintures d’âge holocène relativement récent. Il est très difficile de dater avec précision l’art rupestre préhistorique, si ce n’est quand des figures exécutées sur les parois ou sur des blocs ont été ensevelies sous des sédiments datés qui permettent de leur attribuer un âge qui peut être minimum ou maximum. Plus rarement, l’on a pu obtenir une date minimale et une autre maximale pour un même bloc tombé, décoré après sa chute et reposant sur un sol daté puis recouvert par des foyers. Faute de mieux, beaucoup d’archéologues associent les œuvres rupestres aux niveaux archéologiques contenant des pigments, que l’on suppose avoir servi à la préparation des figures peintes sur les parois. Il s’agit évidemment d’une tentative discutable, car les pigments peuvent être associés à des activités non picturales (par exemple à des rituels funéraires) et être présents dans des niveaux stratigraphiques d’âge très distincts. D’autre part, beaucoup de sites présentent une grande variété de thèmes et de styles d’exécution, et nous avons pu reconnaître des « Traditions » consécutives (définies par des ensembles thématiques spécifiques), des faciès régionaux et des styles successifs.

Même si les pigments étaient réellement associés à des peintures pariétales, à quel style ou niveau se rapporteraient-ils ? L’analyse physico-chimique des peintures n’apporte guère d’éclaircissements, car les « recettes » de préparation des peintures étaient simples, les pigments minéraux étant généralement simplement dispersés dans de l’eau.

L’ancienneté du peuplement brésilien est sujette à controverse. En tous cas, plusieurs sites présentent des sols d’habitat indéniables datés entre 11 000 et 12 000 BP. D’autres sites ont fourni des datations beaucoup plus anciennes, mais dont les vestiges (charbons et industries) sont d’origine anthropique discutée (Prous 2006 ; Guidon et al. 1996). La mégafaune pléistocène a survécu jusqu’au début de l’Holocène, et diverses datations entre 10 000 et 9300 BP ont été obtenues dans la région de Lagoa Santa pour des paresseux géants et pour un tigre à dent de sabre (Laming-Emperaire et al. 1975 ; Neves et al. 2012). Un humérus de paresseux géant, trouvé dans une grotte de l’État de Bahia, porte des marques indéniables de boucherie (Prous 1986). Il ne serait donc pas improbable que l’on trouve des représentations de la faune éteinte. Il n’existe pourtant aucun graphisme préhistorique attribuable avec certitude au Pléistocène dans le Brésil central ; mais il y en a quelques-uns effectivement datés de l’Holocène ancien. Nous présenterons ici ces rares graphismes, les plus anciens de la région, et discuterons les éléments qui suggèrent l’existence d’autres manifestations rupestres antérieures à 8000 BP (fig. 1).

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Fig. 1. Carte des lieux mentionnés.

1. Des représentations de la faune pléistocène ? Diverses figures peintes des abris de Central (dans l’État de Bahia) furent

identifiées par quelques chercheurs comme des représentations de mégafaune pléistocène. D’abord, un quadrupède d’allure massive fut reconnu comme un toxodonte – animal du Pléistocène sud-américain qui ressemblait à un hippopotame (Bigarella et al. 1984). Puis d’autres zoomorphes furent interprétés comme des représentations de faune éteinte : un mastodonte, deux équidés, un ours (Beltrão s.d.) et, finalement, un tigre à dents-de-sabre (Beltrão 2006). L’on doit cependant reconnaître que les figures ne sont pas convaincantes (fig. 2).

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Fig. 2. Figures zoomorphes de l’État de Bahia, présentées par M. Beltrão comme étant des représentations de faune éteinte.

Pour ce qui est du prétendu toxodonte du site de Riacho Largo, la forme massive du corps est le seul élément qui paraisse adéquat. L’animal peint présente deux doigts seulement, alors que les toxodontes en avaient trois. Le cou allongé lui donne une allure très différente de celle qui était caractéristique des toxodontes, au cou très court et à la tête rabaissée devant une échine haute, comme celle des rhinocéros. Si les peintres voulaient représenter l’animal de manière naturaliste, la figure n’est certainement pas un toxodonte ; s’ils étaient peu préoccupés par la ressemblance, il peut s’agir d’un autre type de quadrupède. Aucun élément de chronologie, même relative, n’étant proposé par les archéologues, il ne peut même pas être exclu qu’il s’agisse d’une peinture d’âge historique représentant une vache sans cornes – interprétation d’ailleurs proposée par les paysans de la région.

Les deux figures du site de Fonte Grande qui sont interprétées comme étant des équidés sont un peu plus convaincantes, avec une évocation des sabots acceptable – bien qu’exagérée – et une tête allongée. Nous devons cependant noter la queue

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très courte ou absente de l’un d’entre eux, alors qu’il s’agit d’un des éléments les plus caractéristiques des chevaux. De toutes façons, nous devons, là encore, admettre la possibilité qu’il s’agisse d’une peinture historique. Quant au « mastodonte », il est évident qu’il s’agit d’une mauvaise lecture de plusieurs graphismes partiellement superposés, comme l’avait d’ailleurs bien vu D. Morales : il s’agit en fait d’un cervidé, dont la tête est peu visible en raison d’une coulée de calcite ; l’arrière-train de ce quadrupède a été surchargé par divers traits droits et épais, dont l’un se trouve ressembler à une trompe ; deux bâtonnets ont été interprétés comme des « oreilles », bien que leur forme n’ait rien à voir avec celles d’un éléphantidé. L’arrière-train du cervidé surchargé de traits devient donc la tête du pseudo « mastodonte », alors que l’avant du tronc a été interprété comme en étant la partie arrière (la tête étant à peine décelable sous des coulées de calcite). Notons que la superposition de figures anciennes par d’autres, plus récentes, de patine, de tradition et de style différents, est très fréquente dans les sites du Brésil central. Une autre peinture de Fonte Grande évoque immédiatement la forme d’un ours en peluche pour enfant, dressé sur les pattes arrières ; il a donc été proposé d’y voir un ours à face plane, animal dont les squelettes ont été trouvés dans les niveaux pléistocènes des grottes de Lagoa Santa ; il est cependant difficile d’affirmer qu’il ne s’agirait pas d’une figure humaine masquée. Nous avons vu des figures gravées de formes tout à fait semblable sur le site de Ferraz Egreja (Mato Grosso), où elles sont sans aucun doute très récentes, se superposant à plusieurs niveaux de peintures de tradition holocène.

Finalement, le calque du « tigre à dent de sabre » américain présenté au congrès de Lisbonne (Beltrão & Locks 2006) ne montre que les contours de la surface peinte, sans aucune analyse des tracés. Il est donc parfaitement possible que la figure de félin représentée ait simplement été surchargée par deux bâtonnets (à moins qu’elle ne s’y superpose), interprétés comme des canines protubérantes.

Nous ne pouvons donc considérer aucune des figures proposées comme représentation indiscutable d’une espèce disparue.

2. Figures enterrées ou directement datées

2.1. Lapa do Boquete

La Lapa (abri) du Boquete se trouve dans la vallée du Peruaçu, au nord-est de l’État de Minas Gerais. Les fouilles que nous y avons menées ont permis de découvrir un bloc gravé tombé juste au-dessus des niveaux d’occupation initiale (12 000/9500 BP). Il fut progressivement enterré par les sédiments postérieurs, qui le recouvrirent complètement un peu avant 7000 BP. Sa face verticale est couverte de gravures, depuis la base jusqu’au sommet. Ces graphismes ont donc au moins 7000 ans, et les plus anciens ont environ 9400 ans. Ce sont surtout des incisions linéaires profondes, verticales ou obliques, marquées par de petites cupules (fig. 3). Elles recoupent des cercles piquetés qui forment comme les anneaux d’une chaîne. Au sommet du rocher se trouve une petite figure biomorphe, elle aussi piquetée.

Ces figures ne sont malheureusement pas très typiques ; nous rencontrons des incisions similaires associées à des cupules dans d’autres abris de la région (abris das Laranjeiras et do Tikão), et même sur une paroi verticale (Itabaiana), mais il s’agit de manifestations récentes, qui recouvrent des peintures plus anciennes, ou qui occupent des blocs tombés sur des sols préhistoriques tardifs. Nous ne pouvons

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donc que constater qu’il s’agit de manifestations produites au long de nombreux millénaires, alors que les peintures rupestres et les ensembles gravés animaliers de la région se caractérisent tous dans une période limitée et bien précise de l’Holocène moyen ou supérieur.

Fig. 3. Bloc gravé enterré dans les niveaux inférieurs de La Lapa do Boquete.

2.2. Lapa do Dragão L’abri sous roche Lapa do Dragão se trouve dans la région de Montalvânia, à près

de 200 km de la Lapa do Boquete. Notre fouille préliminaire, réalisée en 1977, nous a permis d’atteindre la base de l’occupation, datée de 11 000 BP (Prous et al. 1997). Le dernier jour de travail, nous avons remarqué, dans le fond et dans un angle du sondage, qu’un bloc rocheux présentait une surface piquetée continuant dans la coupe. Ce pourrait être la partie visible d’une figure gravée, car la région est riche en gravures piquetées. Il n’a pas été possible de le vérifier, car nous n’avions plus le temps d’élargir la fouille ; une reprise des fouilles devrait permettre d’éclaircir ce point, et peut-être de dater les gravures du « complexe Montalvânia », qui forme l’ensemble rupestre le plus caractéristique de la région.

2.3. Lapa de Poseidon

Le sol calcaire ondulé de l’abri de Poseidon, proche de la Lapa do Dragão, a été recouvert par près de 5 000 gravures piquetées typiques du « complexe Montalvânia » (fig. 4). Elles représentent surtout des armes (propulseurs avec leur dard), des figures antropomorphes, des empreintes de pieds et des tortues (Prous 1977 ; Silva 1997).

Une croûte de calcite contenant également des grains de quartz recouvrant des gravures, a été soumise à des analyse d’EPR. Après élimination du quartz, S. Watanebe et M. Sastry obtinrent un âge de 55 000 ± 5000 BP pour la cristal-

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lisation de la calcite (Watanabe 2004). Cette datation, beaucoup plus ancienne que ce que l’on pouvait espérer, ne paraît pas acceptable. Il est fort douteux que l’Homme ait été présent dès cette époque en Amérique, et les occupations bien documentées dans le Brésil central ne remontent pas au-delà de 12 000 ans.

Fig. 4. Gravures du « complexe Montalvânia », abri de Poseidon.

2.4. Lapa Vermelha IV Plusieurs peintures enterrées ont été trouvées sur la paroi de l’abri Lapa

Vermelha IV, où l’on a retrouvé le squelette de « Luzia » (restes humains datés d’environ 11 000 BP, parmi les plus anciens – sinon les plus anciens – d’Amérique). L’âge minimum de la plupart d’entre elles ne dépasse pas l’Holocène récent. Il y a cependant un ensemble de bâtonnets très effacés qui avait échappé aux premières observations, placé à l’entrée d’une petite grotte totalement enterrée avant les fouilles dans le fond de l’abri. L’âge minimum ne dépasse guère 6000 ans, mas si ces bâtonnets ont été faits par une personne debout, ils pourraient dater d’environ 10 000 ans, âge du cailloutis de base de la cavité (fig. 5).

Fig. 5. Localisation des bâtonnets de Lapa Vermelha IV.

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2.5. Lapa do Santo Les fouilles récentes réalisées par l’Université de São Paulo dans la Lapa do

Santo ont permis de dégager une figure piquetée gravée d’anthropomorphe filiforme et Ithyphallique (fig. 6). Elle est recouverte par une couche sédimentaire qui a fourni des charbons datés d’environ 9 400 BP (dates non calibrées) et une datation OSL entre 10 000 et 11 000 ans. Le thème et le style de la gravure correspondent à une unité stylistique jusqu’à présent considérée comme typique de l’Holocène récent, ce qui soulève, bien entendu, diverses questions sur la chronologie régionale de l’art rupestre.

Fig. 6. Gravure d’anthropomorphe à Lapa do Santo.

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3. Relation entre pigments enterrés et peintures rupestres

3.1. Santa Elina

L’abri de Santa Elina, dans le Mato Grosso, a fait l’objet d’une fouille de grande surface qui a révélé de nombreuses occupations holocènes, et des vestiges lithiques, peut-être d’origine anthropique, datés du Pléistocène final. Il présente des parois peintes et de nombreuses plaquettes d’hématite d’origine locale ont été retrouvées en fouille ; beaucoup d’entre elles portent des traces de raclage. Quelques-unes de ces plaquettes utilisées seraient datées entre 8000 et 11 000 BP, mais la plupart d’entre elles se concentrent entre 5500 et 7000 BP (d’Errico & Dubreuil 2005). L’analyse des panneaux rupestres publiée par D. Vialou (2005) ne propose aucune chronologie, mais d’après d’Errico et Dubreuil, Vialou considère qu’il y aurait eu quatre « moments » de décoration, dont le plus ancien serait caractérisé par les figures de couleur violacée. Dans sa description des peintures de cette couleur, Vialou (ibid.) informe qu’il s’agit d’une cinquantaine de grandes figures anthropomorphes et zoomorphes, situées à bonne hauteur, dans la partie centrale de la paroi ; cet ensemble est illustré par une figure de tapir (fig. 7). Avec prudence, F. d’Errico et L. Dubreuil suggèrent que ces figures puissent remonter soit à la période 11 000/9000 BP, soit à la période 5500/7000 BP. Notons qu’aucun pigment ou mélange de pigments de couleur lilas n’est signalé dans les couches archéologiques.

Fig. 7. Tapir de couleur violacée, Santa Elina.

3.2. Dans le nord de l’État de Minas Gerais : abris du Gentio et du Boquete

Dans les niveaux archéologiques les plus anciens du nord de l’État de Minas Gerais, des pigments rouges et jaunes ont été observés, sous forme de gouttes, dans plusieurs abris qui présentent aussi des parois peintes. Ces vestiges sont particulièrement nombreux dans la Lapa do Boquete (Prous 1991a), où nous avons fouillé de très beaux sols d’occupation datés entre 11 000 et 12 050 BP (âges non calibrés). Une traînée rouge semble même marquer le lieu où quelqu’un aurait transporté un récipient trop plein de peinture, qui aurait débordé. Quelques figures ont été peintes sur le plafond de cette petite grotte, mais ne se trouvent pas

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exactement au-dessus des points colorés. Elles appartiennent d’ailleurs à une tradition d’âge holocène, et rien ne permet d’assurer que les gouttes seraient tombées au moment de l’exécution de figures – qui auraient aujourd’hui disparu.

Dans le même État, les chercheurs de l’Instituto Brasileiro de Arqueología ont également localisé des gouttes colorées sur un sol daté de 10 190 ± 120 BP dans la grotte du Gentio (Carvalho 1987 ; Seda 2007) (fig. 8).

Fig. 8. Gouttes de pigments sur un sol de 10 190 BP, Lapa do Gentio. (Cliché Archives de l’Instituto de Arqueologia Brasileira.)

3.3. Centre de Minas Gerais : Santana do Riacho

L’abri de Santana do Riacho, situé dans la Serra du Cipó, a été occupé depuis 11 960 BP, et a servi de cimetière aux membres de la population paléo-indienne dite « de Lagoa Santa » entre 8000 et 10 000 BP.

Les parois ont conservé plus de 2500 figures peintes ; la plupart sont des figures animales monochromes (cervidés et poissons essentiellement) attribuées à la « Tradition Planalto » (Prous 1994), dont certaines sur des blocs tombés ont été datées de l’Holocène moyen. La question est de savoir si certaines peintures remonteraient à l’Holocène ancien. Une grande quantité de pigments rouges ont été recueillis entre 8000 et 9700 BP (ainsi que quelques granules, dans un foyer daté de 11 960 BP). Ils proviennent cependant tous de sépultures, dont il colorent violemment les fosses, et leur production n’était donc pas nécessairement liée à l’art rupestre. Il a cependant été retrouvé dans les tombes des grattoirs en cristal de roche qui avaient servi à racler des pigments de couleur jaune – couleur qui ne semble pas avoir été utilisée dans les sépultures. Ceux ci auraient-il été destinés à la préparation de peintures rupestres ? L’étude des superpositions et des patines (Prous 1991b) n’a pas permis d’identifier de figures jaunes dans l’ensemble stylistique le plus ancien de la Tradition Planalto à Santana do Riacho. À quoi auraient servi, dans ce cas, les pigments jaunes ? Peut-être à d’autres usages (peinture corporelle, par exemple). Il n’est pas non plus impossible que les figures

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jaunes, souvent plus pâteuses que les rouges, aient été écaillées ; ou encore, que leur couleur se soit transformée (une peinture de filet contenant des poissons fournit un bel exemple de transformation de jaune en rouge, dans la partie centrale de ce site).

Le bilan est finalement décevant : les indices d’activités picturales sont nombreux dans les niveaux archéologiques les plus anciens du Brésil central, mais nous ne savons pas quels en étaient les produits, ni quels en étaient les supports.

4. L’âge des styles les plus anciens

4.1. Dans le centre de Minas Gerais Dans la région de Lagoa Santa, l’on observe des peintures très patinées, prises

dans des surfaces encroûtées qui se seraient formées lors d’un épisode climatique plus sec que l’actuel. Ces peintures sont particulièrement visibles dans le site de Sucupira, à une quinzaine de kilomètres de Santana do Riacho (fig. 9).

Fig. 9. Sucupira : paroi montrant divers moments d’écaillures dans lesquelles

s’insèrent des peintures avec patines différenciées.

Elles représentent des cervidés et des poissons au corps contourné et rempli de traits, qui correspondent au style le plus ancien de la Tradition « Planalto » dans la Serra du Cipó. Dater l’épisode sec pendant lequel (ou avant lequel) elles ont été peintes serait un moyen d’évaluer leur ancienneté. Nous savons que la période finale du Pléistocène fut extrêmement sèche dans le Brésil central, jusque vers 12 000 BP, tandis que le passage à l’Holocène fut marqué par un climat humide. Une oscillation sèche est attestée par les spectres polliniques et la sédimentation dans l’abri de

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Lapa Vermelha IV, à partir de 7000 BP environ. Il y a donc deux possibilités, qui correspondent d’ailleurs à celles proposées pour l’abri de Santa Elina. Peut-on disposer d’autres éléments pour déterminer quel serait celui des deux épisodes qui serait enregistré sur les parois ? La région de Lagoa Santa est fameuse, d’une part en raison de ses cimetières datés entre 10 000 et 8000 BP, d’autre part en raison de son art rupestre, riche et varié. Les fouilles de divers abris ont montré que les vestiges de présence humaine étaient très rares dans les couches postérieures à 8000 BP. Cela signifierait-il que les abris furent fréquentés seulement tout au début de l’Holocène ? C’est l’opinion de certains chercheurs, qui parlent d’une interruption de la présence humaine lors de l’épisode climatique sec de l’Holocène moyen dans le Brésil central (Neves et al. 2012), ce qui impliquerait que les peintures de la tradition Planalto remontent à la transition entre le Pléistocène et l’Holocène. En fait, cette hypothèse est loin d’être confirmée par les faits. L’abri de Lapa Vermelha IV fut fréquenté tout au long de l’Holocène ; les restes d’occupations y sont effectivement discrets, mais constants, et près de 200 structures de combustion de l’Holocène moyen et récent y furent observées ; elles sont associées à quelques éclats de quartz et à des restes alimentaires. Ces ensembles correspondaient probablement à de simples haltes nocturnes, et non à une occupation véritable. Les abris continuaient d’être fréquentés, même si leur utilisation était beaucoup moins intense qu’auparavant.

La relation entre les peintures rupestres et les cimetières anciens de la période « de Lagoa Santa » est également fort douteuse : les principaux ensembles funéraires de la région de Lagoa Santa (Cerca Grande VI et VII ; Boleiras, Lapa Mortuaria, Eucalipto) ne présentent pas d’art rupestre. Nous pouvons donc penser que l’habitude de décorer les parois ait été postérieure à l’usage de ces abris comme cimetière. Dans la Serra do Cipó, où les cimetières ont des parois décorées, l’ensemble des peintures serait postérieur, comme le suggère la datation de plusieurs figures enterrées.

4.2. Dans le nord de Minas Gerais

Les styles qui prédominent au cours de l’Holocène moyen sont bien définis : il s’agit de la Tradition São Francisco (caractérisée par des figures surtout géomé-triques, souvent bichromes) et du complexe Montalvânia (qui comporte des peintures de couleur rouge violacé et des gravures d’armes et de personnages biomorphes – fig. 10), dont la date d’apparition n’est pas connue, malgré les indices de grande ancienneté que nous avons déjà mentionnés. Chacune de ces Traditions prédomine dans une région particulière, mais elle fit des incursions dans la zone voisine.

Les graphismes de ces deux Traditions ont été précédés par quelques très rares grandes figures anthropomorphes reconnues dans deux sites du Caboclo (vallée du rio Peruaçu) et du Gigante (vallée du rio Cochá, près de Montalvânia), où elles précèdent stratigraphiquement les figures São Francisco, sans que l’on puisse affirmer qu’elles remontent au Pléistocène ou à l’Holocène ancien (fig. 11). Ce sont cependant les graphismes naturalistes peints qui auraient le plus de possibilités d’avoir été peints au cours de la transition Pléistocène/Holocène dans le Brésil central. Ces grands anthropomorphes, de couleur blanche, rouge ou noire, sont trop peu nombreux pour qu’on puisse les regrouper en un ensemble stylistique.

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Fig. 10. Chronologie des styles et traditions dans la région de Montalvânia

(cf. Planche de Ribeiro 1997, p. 334).

Fig. 11. Grandes figures anthropomorphes du niveau ancien

de peinture des abris du Caboclo et du Gigante.

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Conclusion Les vestiges de pigments sont nombreux dans les niveaux archéologiques datés

entre 12 000 et 8 000 BP dans le Brésil central, mais ils peuvent avoir été produits pour des activités diverses, et les figures rupestres qui leur sont associées avec certitude sont rares. Les mieux datées sont les gravures incisées et piquetées non figuratives de la Lapa do Boquete. Les grandes figures anthropomorphes peintes de la même région sont probablement de la même époque.

La très ancienne datation des gravures du complexe Montalvânia dans la Lapa de Poseidon doit être considérée pour le moins douteuse. Pour résoudre ce point, il serait très important de tenter de nouvelles datations des croûtes qui recouvrent les gravures de ce site, et de reprendre la fouille de la Lapa do Dragão. La situation des peintures de la Tradition Planalto dont la patine suggère qu’elles furent soumises à une phase aride est également incertaine : elles pourraient dater aussi bien du long épisode sec de la fin du Pléistocène que de l’oscillation qui marque la limite entre l’Holocène inférieur et l’Holocène moyen.

La rareté des premiers graphismes suggère que, à leur arrivée dans le Brésil central, les pionniers n’étaient guère préoccupés d’en marquer le paysage, encore peu familier et en voie d’exploration.

La multiplication des sites rupestres (ils se comptent par centaines sur de petits territoires dès le début de l’Holocène moyen) suggère que les territoires étaient déjà bien définis à cette époque, et que l’on avait besoin d’en affirmer la possession vis-à-vis des voisins. Peut-être cette nouvelle importance de l’expression graphique fut-elle liée à l’arrivée des groupes mongoloïdes qui semblent avoir alors remplacer la population pionnière aux caractéristiques archaïques, dite « de Lagoa Santa ».

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Citer cet article PROUS A. 2012. — Le plus ancien art rupestre du Brésil central : état de la question. In : CLOTTES J. (dir.), L’art

pléistocène dans le monde / Pleistocene art of the world / Arte pleistoceno en el mundo, Actes du Congrès IFRAO, Tarascon-sur-Ariège, septembre 2010, Symposium « Art pléistocène dans les Amériques ». N° spécial de Préhistoire, Art et Sociétés, Bulletin de la Société Préhistorique Ariège-Pyrénées, LXV-LXVI, 2010-2011, CD : p. 719-733.