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HAL Id tel-01753863httpspastelarchives-ouvertesfrtel-01753863
Submitted on 29 Mar 2018
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Lrsquoarchive ouverte pluridisciplinaire HAL estdestineacutee au deacutepocirct et agrave la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche publieacutes ou noneacutemanant des eacutetablissements drsquoenseignement et derecherche franccedilais ou eacutetrangers des laboratoirespublics ou priveacutes
Le retour du commun au cœur de lrsquoaction collective lecas de la Responsabiliteacute Eacutelargie du Producteur comme
processus de responsabilisation et de co-reacutegulationHelen Micheaux
To cite this versionHelen Micheaux Le retour du commun au cœur de lrsquoaction collective le cas de la ResponsabiliteacuteEacutelargie du Producteur comme processus de responsabilisation et de co-reacutegulation Economies etfinances Universiteacute Paris sciences et lettres 2017 Franccedilais NNT 2017PSLEM030 tel-01753863
THEgraveSE DE DOCTORAT
de lrsquoUniversiteacute de recherche Paris Sciences et LettresPSL Research University
Preacutepareacutee agrave MINES ParisTech
Le retour du commun au coeur de lrsquoaction collective le cas dela Responsabiliteacute Eacutelargie du Producteur comme processus deresponsabilisation et de co-reacutegulation
Eacutecole doctorale no396
EacuteCONOMIE ORGANISATIONS amp SOCIEacuteTEacute
Speacutecialiteacute SCIENCES DE GESTION
Soutenue par Helen MICHEAUXle 24 novembre 2017
Dirigeacutee par Franck AGGERI
COMPOSITION DU JURY
M Aureacutelien ACQUIERESCP Europe Rapporteur
Mme Veacuteronique CHANUTUniversiteacute Pantheacuteon-Assas Rapporteur
M Herveacute DEFALVARDUniversiteacute Paris-Est-Marne-la-ValleacuteeExaminateur
M Alain GELDRONADEME Examinateur
M Thomas LINDHQVISTLund University Examinateur
Mme Marie-Laure SALLES-DJELICSciences Po Preacutesident
MINES ParisTech et PSL nrsquoentendent donner aucune approbation ni improbation auxopinions eacutemises dans cette thegravese Ces opinions doivent ecirctre consideacutereacutees comme propres agrave
lrsquoauteur
i
Agrave mes parentsAgrave papi et mamie
To nanny and grandad
ii
Remerciements
Bien que cette page se trouve ecirctre en deacutebut de lecture elle correspond agrave une eacutetapefinale forte drsquoeacutemotion marquant lrsquoaboutissement drsquoun long travail de recherche
Ces trois anneacutees ont eacuteteacute un moment privileacutegieacute et unique dans lesquels jrsquoai pu pleine-ment assouvir ma curiositeacute La thegravese offre le luxe de pouvoir laisser sa penseacutee se dispersertout en beacuteneacuteficiant du temps neacutecessaire pour prendre distance clarifier et nommer leschoses
Aussi cette eacutetape intellectuelle marque-t-elle une peacuteriode charniegravere de ma formationagrave travers laquelle mon esprit a (je pense quoi qursquoil en soit je lrsquoespegravere) mucircri
Il va sans dire que lrsquoaboutissement de ce travail est ducirc agrave ma chance drsquoavoir pu beacuteneacute-ficier drsquoun environnement extrecircmement favorable Ce qui me conduit agrave mes remercie-ments sincegraveres En effet je garderai toujours une pleine gratitude envers les personnesqui mrsquoont soutenue et accompagneacutee tout au long de ces anneacutees
Je voudrais commencer par remercier mon directeur de thegravese Franck Aggeri qui a sutrouver le parfait positionnement pour mrsquoaccompagner dans lrsquoautonomie de la rechercheSa preacutesence justement proportionneacutee mrsquoa permis de profiter pleinement de mon indeacute-pendance de doctorant-chercheur tout en sachant sa disponibiliteacute pour reacutepondre agrave mesquestionnements et mes doutes Il a eacuteteacute un repegravere central et un guide essentiel
De maniegravere geacuteneacuterale je remercie chaleureusement lrsquoensemble des membres du CGSpour lrsquoencadrement preacutecieux qursquoils accordent aux doctorants notamment agrave travers lesseacuteminaires doctoraux qui sont des soutiens majeurs
Je souhaite remercier lrsquoorganisme Eco-systegravemes qui agrave travers la Chaire Mines Ur-baines a rendu cette thegravese possible Plus preacuteciseacutement mes remerciements portent surles personnes qui mrsquoont accompagneacutee dans ce travail de recherche en eacutetant particuliegravere-ment agrave lrsquoeacutecoute et investies Christian Brabant pour son temps preacutecieux et ses reacuteponsescleacutes Richard Toffolet pour sa disponibiliteacute et son attention agrave la relecture de la thegravese So-line Van Wymeersch et Pierre-Marie Assimon pour leur disponibiliteacute et leur aide et SergeAmiard pour sa relecture attentive et ses encouragements
Je tiens agrave remercier eacutegalement les membres du jury qui ont accepteacute drsquoexaminer etdrsquoeacutevaluer ce travail Crsquoest un grand honneur pour moi que de preacutesenter cette thegravese devanteux
Je dois eacutegalement cet aboutissement agrave mes parents qui bien au-delagrave de leur sou-tien pendant la thegravese ont eacuteteacute la cleacute de lrsquoensemble de mon parcours Ils mrsquoont apporteacute
iii
REMERCIEMENTS
le confort mateacuteriel et mental qui mrsquoa permis de me consacrer entiegraverement agrave mes eacutetudeset derniegraverement agrave ma thegravese Ils mrsquoont toujours soutenue et je sais que je pourrai toujourscompter sur eux Enfin je les remercie sincegraverement pour leur relecture approfondie etleurs notes constructives bien qursquoen vacances estivales puis dans la rueacutee de la rentreacutee
Enfin si ces anneacutees de thegravese ont eacuteteacute aussi enrichissantes cela est eacutegalement ducirc agrave unlieu unique la Citeacute Internationale Universitaire de Paris En effet jrsquoai eu la chance de pou-voir reacutesider dans ce lieu multiculturel qui mecircle agrave lrsquoanneacutee 12000 eacutetudiants et chercheurs de140 nationaliteacutes diffeacuterentes Je souhaite remercier tout particuliegraverement la directrice de laMaison des Eacutetudiants de lrsquoAsie du Sud Est (ma maison de reacutesidence) Mme Pham MmePham est une femme incroyable extrecircmement humaine tregraves proche de ses reacutesidents etdont la porte est toujours ouverte Son soutien est une source drsquoeacutenergie ineacutepuisable etson aide est toujours tregraves pertinente et efficace Elle mrsquoa permis de faire lrsquoheureuse ren-contre de lrsquounique Pierre Naves que je remercie de tout coeur eacutegalement mrsquoayant aideacutee agraveme projeter dans lrsquoapregraves-thegravese Je remercie aussi chaleureusement tout le personnel de laCiteacute oeuvrant pour un environnement propice au travail Edouardo et Marie-Franccediloisepour leur bienveillance et leur sympathie Geneviegraveve pour ses entraicircnements de natationquotidiens qui ont eacuteteacute agrave la fois des moments de libeacuteration de deacutetente et drsquoinspiration
[English below]
Pour finir je souhaite de tout coeur remercier lrsquoensemble de mes amis qui me sont tregraveschers Toujours agrave lrsquoeacutecoute et de bon conseil ils mrsquoont eacuteteacute essentiels Que de souvenirs meacute-morables de soireacutees infinies agrave danser au bout de la nuit agrave refaire le monde et deacutebattre sansfin Merci agrave mes chers voisins Toto et Georg pour votre eacutecoute agrave tout instant merci agrave mesamis doctorants Morgane Leacuteo et Reacutemi pour votre humour et bonne humeur merci agravemes amis drsquoeacutecole pour les incroyables souvenirs qui me resteront marqueacutes agrave vieJe nepeux citer tout le monde Vous vous reconnaicirctrez les amis nous partageons les mecircmessouvenirs
To all of my friends I want to thank you all from the bottom of my heart You werealways there to listen to my doughts and to comfort me You have been essential in theproceeding of my thesis What marvelous memories I have of memorable nights of partyingand discussing for hours about everything and anything Thanks to all of my friends thatI have met at the CIUP my neighbours my friends from the MEASE from the Jardin DuMonde from the Veacutelo Volant from the Fecircte de la Citeacute I cannot cite you all Each of youwill recognize itself as we share the same memories
iv
Table des matiegraveres
Remerciements iiiListe des figures xiiiListe des tableaux xv
Preacuteambule 11 Introduction geacuteneacuterale La responsabiliteacute collective face agrave la trageacutedie eacutelectro-
nique 311 La naissance de la trageacutedie eacutelectronique 312 De politiques publiques baseacutees sur la contrainte agrave une orientation nou-
velle baseacutee sur la responsabilisation 413 Lrsquoeacutemergence du concept de Responsabiliteacute Eacutelargie du Producteur 5
131 Une mise en œuvre collective mettant en difficulteacute la responsabi-liteacute individuelle 5
132 Le cas original de la France 614 Synopsis de la thegravese 7
141 Partie 1 8
142 Partie 2 8
143 Partie 3 9
144 Partie 4 10
145 Partie 5 11
146 Conclusion geacuteneacuterale 122 Meacutethodologie 13
21 Synthegravese de la meacutethodologie 13
22 Choix de la deacutemarche meacutethodologique 14221 Origine de la thegravese 14222 Une meacutethode compreacutehensive 15223 Une approche exploratoire 16
23 Collecte et analyse des donneacutees 17231 La collecte des donneacutees primaires et secondaires 17232 Meacutethode drsquoanalyse des donneacutees 24
24 La validiteacute de la recherche 26241 La validiteacute interne 26242 La validiteacute externe 26
25 Le cheminement de la reacuteflexion 27251 Anneacutee 1 la question des meacutetaux strateacutegiques et des plastiques 27252 Anneacutee 2 les questions de la responsabiliteacute de la reacutegulation et du
commun 27253 Anneacutee 3 les BMC et comparaison au niveau europeacuteen 28
v
TABLE DES MATIEgraveRES
I Cadrage theacuteorique 31I1 Limites des theacuteories classiques de la reacutegulation 33
I11 Limites des mesures reacutegaliennes face agrave lrsquoincertitude 34I12 Limites des meacutecanismes de marcheacute face au besoin drsquoengagements de
long terme 37I13 Heacutegeacutemonie de la penseacutee individualiste au deacutetriment de lrsquoaction collective 41
I2 Les theacuteories institutionnelles et la nouvelle gouvernance 45I21 Une litteacuterature riche 45I22 Les diffeacuterentes formes de co-reacutegulation 46
I221 Forme de privatisation 46I222 Forme de deacuteleacutegation 47I223 Forme de co-reacutegulation responsabilisante 48
I3 La responsabiliteacute 49I31 Eacutevolution de la notion de responsabiliteacute de lrsquoimputation individuelle agrave
une forme de socialisation 49I32 La responsabiliteacute dans le domaine de lrsquoenvironnement 50I33 La responsabiliteacute environnementale institutionnaliseacutee par un proces-
sus de responsabilisation 51I34 Le processus de responsabilisation au-delagrave drsquoun simple mouvement
drsquoindividualisation 51I35 Lien entre responsabiliteacutes individuelle et collective 52I36 Relations concurrentes entre responsabiliteacutes individuelle et collective
en situation complexe importance du common purpose 53I37 La responsabiliteacute collective en pratique 53I38 Quelques points cleacutes afin drsquoaborder la pratique de la responsabiliteacute col-
lective 54I39 Les risques potentiels et difficulteacutes de la co-reacutegulation en pratique 55
I4 Theacuteories des communs 59I41 Petite histoire des ressources communes 60I42 Les diffeacuterentes terminologies relatives aux communs 61I43 Les diffeacuterentes approches des communs 62I44 Les travaux drsquoElinor Ostrom 64I45 Limites de lrsquoanalyse institutionnelle des communs 66I46 Particulariteacutes des laquo maux communs raquo 66I47 La renaissance des communs 67
I471 Les communs informationnels 68I472 Nouveaux sens du commun comme pratique politique 69I473 Le commun dans la loi 72I474 Des communs au commun singulier 74
I48 La question de lrsquoidentification des communs 75I49 Les biens tuteacutelaires et la responsabilisation 76I410 Caracteacuteristiques des communs 77
I5 La creacuteation du commun et le processus de responsabilisation 81I51 Lrsquoactiviteacute de conception du commun une litteacuterature agrave compleacuteter 81I52 Un processus de responsabilisation au service du commun 83
I521 Les temps de la creacuteation et du processus 83I522 Les enjeux de soutenabiliteacute des communs orphelins 84I523 La confiance un facteur cleacute 84I524 Le rocircle des intermeacutediaires dans la coheacutesion 84
vi
TABLE DES MATIEgraveRES
I525 Les laquo meacuteta-organisations raquo des formes drsquointermeacutediaires dans ledomaine de lrsquoenvironnement 85
Conclusion de la partie 1 87
II Eacutemergence drsquoun problegraveme commun 89II1 Histoire du deacutechet 91
II11 De lrsquoantiquiteacute agrave lrsquourbanisation 91II12 1790-1870 Un cycle de la matiegravere villeindustrieagriculture 92II13 1880-1970 La seacuteparation 93II14 Mise en politique de la probleacutematique deacutechet (1950 - 1990) 94
II141 Un contexte drsquourgence environnementale 94II142 Un deacutebut de mise en politique agrave travers un reacutegime confineacute 95
II2 Nouvelle orientation responsabilisation et innovation 97II21 Naissance du concept de Responsabiliteacute Eacutelargie du Producteur 97
II211 Une doctrine eacutemergente agrave partir de premiegraveres expeacuteriences 97II212 Les premiegraveres applications du principe de REP en Europe 99
II22 Un deacutebut de doctrine 99II23 Le cas de la politique des REP en France 102
II231 Un principe visant une varieacuteteacute de flux de deacutechets et qui srsquoest lar-gement diffuseacute 102
II232 Une approche collective du principe de REP 102II233 Les choix techniques de mise en œuvre 103
II3 Reacutegimes de gouvernementaliteacute des deacutechets 105II31 Lrsquoeacutevolution de la valeur des deacutechets 105II32 Eacutemergence drsquoune politique de filiegravere et de valorisation des deacutechets 106
II4 Justification drsquoune approche par les communs 109II41 La question du deacutechet en tant que commun 109II42 Litteacuterature sur le principe de REP deux approches 111
II421 Une approche instrumentale 111II4211 La question du partage des responsabiliteacutes 113II4212 Le deacutebat entre systegraveme individuel ou collectif 113II4213 Lrsquoenjeu du meacutecanisme de financement 116
II422 Une approche institutionnelle 117II43 Rapprochement entre les deux litteacuteratures les communs et la REP 119II44 La litteacuterature sur les organismes de producteurs 120
II441 Lrsquoapproche instrumentale et eacuteconomique 120II442 La contribution des organismes de producteurs un sujet contro-
verseacute 122Transition Lrsquointeacuterecirct de lrsquoeacutetude de la filiegravere DEEE 125Conclusion de la partie 2 127Encadreacute Les enjeux de la valorisation des Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et
Eacutelectroniques 129
III Le processus de responsabilisation en pratique 137III1 Histoire de la creacuteation de la filiegravere DEEE 139
III11 Preacutemices reacuteglementaires de la filiegravere DEEE 139III12 Expeacuterimentation sur la communauteacute urbaine de Nantes 140III13 Phase de regroupement (2003-2005) 141
vii
TABLE DES MATIEgraveRES
III14 Phase de structuration chez Eco-systegravemes (sept 2005-nov 2006) 142III2 Le modegravele retenu pour la filiegravere DEEE 143
III21 Meacutecanismes des flux matiegraveres et financiers 143III22 Le statut juridique original des eacuteco-organismes 146III23 Le cahier des charges des eacuteco-organismes le fondement du dispositif
opeacuterationnel 147III231 Lrsquoagreacutement 147III232 Lrsquoeacuteco-organisme un contractant au coeur des relations entre les
parties prenantes 147III233 La concertation au fondement de lrsquoeacutelaboration du cahier des char-
ges 149III24 La reacutegulation par lrsquoEacutetat 150
III3 Monteacutee en puissance de la filiegravere DEEE 151III31 Premiegravere peacuteriode drsquoagreacutement (2005-2009) 151
III311 La structuration drsquoun reacuteseau auparavant inexistant 152III312 Premiegraveres critiques et renforts reacuteglementaires 153
III32 Deuxiegraveme peacuteriode drsquoagreacutement (2010-2014) 154III321 Reacutevisions du cahier des charges suite aux leccedilons tireacutees de la pre-
miegravere peacuteriode drsquoagreacutement 154III322 Renforcement du principe de preacutevention 155III323 De nouveaux objectifs plus ambitieux 156
III3231 Lrsquoenjeu de la collecte 156III3232 La lutte contre les filiegraveres parallegraveles 157
III324 Durcir la reacuteglementation pour seacutecuriser la collecte 158III3241 Des mesures nationales 158III3242 mais eacutegalement europeacuteennes agrave travers le WEEE Forum 158
III325 Deacuteveloppement drsquoautres canaux de collecte 159III3251 Un nouveau reacuteseau de collecte via les opeacuterateurs de broyage
et les ferrailleurs 160III3252 Les collectes de proximiteacute 161
III326 Lrsquoincitation agrave lrsquoeacuteco-conception renforceacutee par le dispositif drsquoeacuteco-modulation 162
III3261 Les critegraveres de modulation 162III3262 La premiegravere phase drsquoun dispositif ameneacute agrave eacutevoluer 163III3263 Des reacutesultats encore insuffisants 165
III32631 La prioriteacute des producteurs dans lrsquoeacuteco-conceptiondiffegravere de celle environnementale 165
III32632 Un dispositif difficilement approprieacute par les pro-ducteurs 165
III32633 Un dispositif qui encourage un soutien sup-pleacutementaire des eacuteco-organismes 166
III33 Troisiegraveme peacuteriode drsquoagreacutement (2014-2020) 167III331 Validation des expeacuterimentations de la peacuteriode preacuteceacutedente 168III332 Lancement de la deuxiegraveme phase du dispositif drsquoeacuteco-modulation 169
III3321 Une deuxiegraveme phase du dispositif drsquoeacuteco-modulation porteacuteepar la loi ESS 169
III3322 Une filiegravere preacutecurseur avec de nouveaux critegraveres eacutetendus 169III333 Renouvellement de lrsquoaccompagnement des producteurs dans lrsquoeacuteco-
conception 170
viii
TABLE DES MATIEgraveRES
III334 Un nouveau cahier des charges pour encourager la creacuteation de va-leur et lrsquoinnovation 172
III335 Les eacuteco-organismes engageacutes dans la Recherche et Deacuteveloppement 173III3351 Lrsquoeacuteco-organisme un soutien aux solutions innovantes 174III3352 Lrsquoeacuteco-organisme acteur de la politique strateacutegique de creacutea-
tion de valeur aux niveaux national et europeacuteen 174III336 La REP un instrument de gestion de la transition vers lrsquoeacuteconomie
circulaire 175III337 Les eacuteco-organismes comment encadrer leur puissance drsquoagir 176III338 Un dispositif de gouvernance en reacutevision pour renforcer le poids
de lrsquoadministration 177III4 Discussion des reacutesultats Le systegraveme de REP en pratique 179
III41 Les eacuteco-organismes au cœur de la conduite drsquoexpeacuterimentations conti-nues 181
III42 Production continue de regravegles 182III43 Identification du dispositif de co-reacutegulation au service du processus
drsquoapprentissage collectif 183III44 Modeacutelisation du processus de responsabilisation dans la filiegravere DEEE 185III45 Caracteacuterisation de lrsquoeacutevolution des degreacutes de solidariteacute 187III46 Articulation des responsabiliteacutes individuelle et collective 187
III5 Discussion de la co-reacutegulation comme pratique instituante du commun deacute-chet 189
III51 Les principes de la gouvernance des ressources naturelles appliqueacutesaux DEEE un modegravele agrave compleacuteter 190
III52 Contribution majeure (1) les nouveaux principes de creacuteation et de re-nouvellement des communs par la co-reacutegulation 193
III521 Les nouveaux principes de la co-reacutegulation 193III522 Discussion des nouveaux principes de la co-reacutegulation creacuteation
drsquoune laquo figure drsquoacteur raquo 194Conclusion de la partie 3 199
IV La creacuteation de valeur dans la filiegravere DEEE 201IV1 Lrsquoeacuteconomie circulaire 203
IV11 Eacutemergence de diffeacuterents concepts face agrave la limite de lrsquoeacuteconomie classique 205IV12 Eacuteconomie Circulaire recyclage de notions avec une double promesse
eacuteconomique et environnementale 206IV13 Double promesse mais difficulteacutes de mise en oeuvre en pratique 209
IV2 Le Business Model 213IV21 Origine du concept de Business Model 213IV22 Inteacuterecircts de lrsquooutil Business Model 213IV23 Deux eacutecoles de penseacutee et usages du Business Model 214IV24 Drsquoautres litteacuteratures deacuteriveacutees du Business Model 217
IV3 Le Business Model Circulaire 219IV31 Le Business Model Circulaire au service de lrsquoeacuteconomie circulaire 219IV32 Les Business Models Circulaires dominants dans la filiegravere DEEE des
Business Models qui manquent de circulariteacute 220IV33 Le Business Model Circulaire source drsquointerdeacutependances fortes 222IV34 Logiques de creacuteation de valeur dans la filiegravere DEEE 224
ix
TABLE DES MATIEgraveRES
IV35 Lrsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires comme support au Business Model Circulaire 226IV36 Repreacutesentation graphique du Business Model Circulaire un deacutefi drsquointeacute-
gration de lrsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires 227IV4 Meacutethodes pour geacuteneacuterer des BMC 233
IV41 Un manque dans la litteacuterature 233IV42 Le Circular Business Model Innovation Framework 234IV43 Lrsquoexpeacuterimentation une eacutetape cleacute pourtant peu traiteacutee 235IV44 Lrsquoexpeacuterimentation quelques repegraveres de la litteacuterature 235
IV5 Le cas de lrsquoentreprise SEB dans la filiegravere DEEE 241IV51 Preacutesentation de SEB 241IV52 Les strateacutegies de SEB pour un Business Model plus circulaire 242IV53 Boucle fermeacutee du plastique 244
IV531 Concept et origine du projet 244IV532 Cadrage du projet et incertitudes 245
IV5321 Preacutesence de fortes incertitudes 245IV5322 Un partenariat pour palier un manque de ressources et de
compeacutetences 246IV5323 Cadrage organisationnel et technique du projet 247
IV533 Retours et enseignements 250IV5331 Les difficulteacutes rencontreacutees et surmonteacutees au cours de lrsquoexpeacute-
rimentation 250IV5332 Les enjeux pour une monteacutee en reacutegime 255IV5333 Retombeacutees de lrsquoexpeacuterimentation 257
IV54 Eurecirccook un projet de lrsquoeacuteconomie de la fonctionnaliteacute 258IV541 Concept et origine du projet 258IV542 Cadrage du projet et incertitudes 259
IV5421 Cadrage organisationnel geacuteographique et temporel de lrsquoex-peacuterimentation 259
IV5422 Seacutelection des parties prenantes pour palier un manque deressources et compeacutetences 260
IV543 Retours et enseignements 265IV5431 Retours et enseignements de la satisfaction client 265IV5432 Les enjeux techniques qui ont eacutemergeacute de lrsquoexpeacuterimentation 267IV5433 Des retours inattendus preacutecisant le BMC 267IV5434 Les enjeux pour une monteacutee en reacutegime 269IV5435 Retombeacutees de lrsquoexpeacuterimentation 271
IV6 Discussion 273IV61 Business Model Circulaire retour drsquoexpeacuterience et enjeux cleacutes 273IV62 Obstacles agrave la monteacutee en reacutegime des projets de BMC 277
IV621 Les obstacles au niveau de lrsquoentreprise 277IV622 Les obstacles au niveau du collectif 278
IV63 Quelques propositions 280IV631 Les leviers au niveau de lrsquoentreprise 280IV632 Les leviers au niveau du collectif 282
IV64 Contribution majeure (2) Le rocircle des eacuteco-organismes dans la structu-ration drsquoeacutecosystegravemes drsquoaffaires 285
Conclusion de la partie 4 289
x
TABLE DES MATIEgraveRES
V Quels modegraveles de REP ailleurs en Europe 293V1 La REP DEEE en Europe 295
V11 Une mecircme directive pour des pratiques varieacutees 295V12 Un manque de reacutefeacuterentiel rendant les comparaisons difficiles 296V13 Deacutemarche de lrsquoanalyse comparative 297
V2 En Allemagne un modegravele de REP contraint agrave la responsabiliteacute individuelle 299V21 Opeacuterations de collecte et de traitement 303V22 Registre des producteurs et accreacuteditation des organismes collectifs 303V23 Collecte et reacutepartition des eacuteco-participations 303V24 Coordination des acteurs et des opeacuterations 303V25 Surveillance et controcircle 304V26 Collecte des donneacutees et des informations sur la filiegravere 304V27 Consultation des parties prenantes 305V28 Reacuteemploi et ESS 305V29 Lrsquoeacuteco-conception 305V210 Conduite de la recherche 306V211 Observations et discussion 306
V2111 Une logique de responsabiliteacute individuelle 306V2112 Un taux de passagers clandestins eacuteleveacutes 306V2113 Une qualiteacute de traitements faible 307V2114 Un rapport de force en faveur des recycleurs 307V2115 Une filiegravere moins coucircteuse 307V2116 Une filiegravere en perte de valeur 308V2117 Un manque de traccedilabiliteacute et de donneacutees limitant les investissements 309
V3 Au Royaume-Uni un modegravele de REP baseacute sur le principe de deacuteleacutegation 311V31 Opeacuterations de collecte et de traitement 313V32 Registre des producteurs et accreacuteditation des PCS 314V33 Collecte et reacutepartition des eacuteco-participations 314V34 Coordination des acteurs et des opeacuterations 315V35 Surveillance et controcircle 316V36 Collecte donneacutees et informations filiegravere 316V37 Consultation des parties prenantes 316V38 Reacuteemploi et ESS 317V39 Lrsquoeacuteco-conception 317V310 Conduite de la recherche 317V311 Observations et discussions 318
V3111 Un systegraveme centraliseacute et cloisonneacute 318V3112 conduisant agrave un deacutesinteacuterecirct des producteurs 319V3113 ainsi qursquoun deacutesinteacuterecirct des recycleurs 319V3114 Un manque drsquoaction collective pour soutenir la recherche 320V3115 Un manque de donneacutees et drsquoinformations 321V3116 La perte de la valeur par lrsquoexportation 321V3117 Les passagers clandestins 322V3118 Des liens relationnels limiteacutes freinant la capaciteacute drsquoaction collective 322
V4 Discussion Un principe de REP europeacuteen qui cache des ideacuteologies diffeacuterentes 325V41 Responsabiliteacute et capaciteacute drsquoaction des acteurs 325V42 Effets de la (non) lucrativiteacute et de la mise (ou non) en concurrence 327V43 Effets de la deacutefinition des objectifs et des meacutethodes de calcul et drsquoeacuteva-
luation 329
xi
TABLE DES MATIEgraveRES
V431 Deacutefinition et attribution des objectifs 329V432 Meacutethode de calcul des objectifs de valorisation 329V433 Critegraveres drsquoeacutevaluation et de certification 330
V44 Des conceptions diffeacuterentes du principe de REP entre simple confor-miteacute et ambition collective 330
V45 La solidariteacute et la coheacutesion des enjeux cleacutes pour des REP europeacuteennesambitieuses 332
Conclusion de la partie 5 335
Conclusion Geacuteneacuterale 341Synthegravese 341Contributions theacuteoriques et empiriques 341
Contributions theacuteoriques 343Contributions empiriques 343
Implications pour lrsquoaction publique 343Implications pour les eacuteco-organismes 344Implications pour les entreprises 344
Limites de la recherche 345Limites meacutethodologiques 345Limites de la theacuteorisation et prolongements 345
Perspectives de recherche 346Bibliographie 348
A Figures et Tableaux IA1 Figures annexes IA2 Tableaux annexes III
B Exemple de compte-rendu XIIndex des reacuteglementations XVII
xii
Liste des figures
21 Structure de la bibliographie 25
I51 Repreacutesentation scheacutematique des diffeacuterents courants de la litteacuterature surles biens communs selon si les biens communs et les comportementssont consideacutereacutes comme donneacutes ou non (BERTHET 2013 p127) 82
II21 Panorama des filiegraveres REP en France (ADEME 2017) 102
II41 Dirty White Trash (with Gulls) 1998 110
III21 Meacutecanisme des eacutecoparticipations 144III22 Les points de collecte de la filiegravere DEEE 145III23 La filiegravere de collecte et de traitement des DEEE 146III24 Le cycle de vie drsquoune filiegravere REP (Source REP Panorama 2013 p12
ADEME) 148III25 Les contrats structurant la filiegravere REP DEEE 149
III31 Reacuteponses au sondage sur lrsquoeacuteco-modulation aupregraves drsquoadheacuterents 2013 164
III41 Le processus drsquoapprentissage traduit par un enrichissement du cahierdes charges 180
III42 Un dispositif dynamique reacutevisable 184III43 Les acircges successifs de la responsabiliteacute dans la construction de la filiegravere
DEEE en France 186
IV11 Scheacutema de lrsquoeacuteconomie circulaire proposeacute par la FEM [FEM 2012a fig6] 209
IV21 Le Business Model Canvas (OSTERWALDER et PIGNEUR 2010) 215IV22 Le modegravele RCOV (DEMIL et LECOCQ 2010) 216
IV31 Matrice SWOT des BMC traduit et simplifieacute des travaux de Mentink(2014) 220
IV32 Le Business Cycle Canvas (MENTINK 2014) 228IV33 Variante du Business Cycle Canvas (MENTINK 2014) 229IV34 Le Circular Business Model (TALUKDER 2017 fig 12 p45) 230
IV51 Les strateacutegies drsquoeacuteconomie circulaire de SEB 242IV52 Le Business Cycle Canvas du projet de reacuteutilisation de plastique recycleacute
entre SEB et Veolia 248IV53 Le scheacutema RCOV du projet de reacuteutilisation de plastique recycleacute entre
SEB et Veolia 249
xiii
LISTE DES FIGURES
IV54 Le scheacutema RCOV reacuteviseacute du projet de reacuteutilisation de plastique recycleacuteentre SEB et Veolia 254
IV55 Le Business Cycle Canvas du projet Eurecirccook 263IV56 Le scheacutema RCOV du projet Eurecirccook 264IV57 Le scheacutema RCOV reacuteviseacute du projet Eurecirccook 269
IV61 Les Business Models circulaires chez Orange 274IV62 Les Business Models circulaires chez Philips 275
V21 Lrsquoorganisation de la filiegravere REP en Allemagne 301V22 Lrsquoorganisation de la filiegravere REP en France 302V23 Comparaison entre les tonnes de DEEE remises au systegraveme de REP et
celles gardeacutees par les collectiviteacutes (EAR 2014) 309
V31 Lrsquoorganisation de la filiegravere REP au Royaume-Uni 313
V41 Comparaison du calcul du taux de valorisation entre lrsquoAllemagne et laFrance 330
A1 Cartographie des entretiens II
xiv
Liste des tableaux
21 Liste des entretiens meneacutes pendant la thegravese 18
22 Liste des visites de terrain 23
23 Calendrier des COE et Copil 26
24 Plan de la thegravese dans le cheminement de la reacuteflexion 30
I41 Classification des biens 61I42 Reacutecapitulatif des hypothegraveses identifieacutees dans les travaux drsquoOstrom sur
les common pool resources (BERTHET 2013 p123) 79
II41 Composition moyenne des cinq flux de collecte (Eco-systegravemes nc) 131
III31 Critegraveres et amplitudes de modulation retenus (cahier des charges 2009p119) 163
III51 Les principes de gestion des ressources communes drsquoOstrom appliqueacutesagrave la filiegravere DEEE 191
III52 Les nouveaux principes de la co-reacutegulation 194
IV61 Enjeux de lrsquoexpeacuterimentation drsquoun Business Model Circulaire 277IV62 Les obstacles limitant la monteacutee en reacutegime des Business Models Circu-
laires 280IV63 Propositions pour favoriser le deacuteveloppement et la diffusion de Busi-
ness Models Circulaires 284IV64 Rocircles des eacuteco-organismes pour favoriser le deacuteveloppement et la diffu-
sion de Business Models Circulaires 287
V11 Liste des personnes interrogeacutees sur les systegravemes en Allemagne et auRoyaume-Uni 297
V31 Points principaux de comparaison entre les modegraveles de REP de la Francedu Royaume-Uni et de lrsquoAllemagne 323
V41 Mise en perspective du sens de la responsabiliteacute collective et de sonarticulation avec la responsabiliteacute individuelle 337
V42 Principales contributions theacuteoriques et empiriques 342
A1 Calendrier des communications IIIA2 Sources de donneacutees V
xv
partie
Preacuteambule
1
Chapitre 1
Introduction geacuteneacuterale La responsabiliteacutecollective face agrave la trageacutedie eacutelectronique
laquo Le deacutechet est un peu techniquebeaucoup eacuteconomique etpassionneacutement socio-culturel raquo
Christian Mettelet directeur delrsquoANRED (agence inteacutegreacutee agrave
lrsquoADEME en 1992)
11 La naissance de la trageacutedie eacutelectronique
La socieacuteteacute de consommation occidentale a atteint un niveau drsquoopulence tel que sesbesoins menacent aujourdrsquohui dangereusement la preacuteservation de nos ressources natu-relles et conduisent agrave une situation critique drsquoaccumulation exponentielle de nos deacutechetsLes ressources naturelles sont largement surexploiteacutees 1 agrave lrsquoinverse les deacutechets sont sous-exploiteacutes (en Europe 65 des DEEE eacutechappe agrave la filiegravere de traitement [HUISMAN et collab2015]) quand bien mecircme ce sont des ressources secondaires agrave haut potentiel 2
En particulier la socieacuteteacute moderne est confronteacutee agrave la trageacutedie eacutelectronique (DANNO-RITZER 2014) Les Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques (DEEE) ne cessentde croicirctre et leur gestion est devenue un veacuteritable enjeu agrave la fois environnemental eacuteco-nomique et sanitaire En effet les DEEE contiennent des substances polluantes et dan-gereuses (plastiques contenant des retardateurs de flamme et meacutetaux lourds) Dans lemecircme temps ces eacutequipements de hautes technologies utilisent des meacutetaux strateacutegiques(indium dans les eacutecrans plats lithium dans les batteries terres rares dans les diversestechnologies du renouvelable etc) et preacutecieux (or argent palladium etc dans les carteseacutelectroniques) donnant aux deacutechets une certaine valeur eacuteconomique et geacuteostrateacutegique(la Chine produit plus de 80 de la production mondiale de terres rares) Cette richesseeacuteconomique contenue dans les DEEE alimente des filiegraveres illeacutegales par lesquelles les deacute-chets sont exporteacutes des pays riches vers lrsquoAfrique ou lrsquoAsie Dans certains villages drsquoAsie
1 Le jour du deacutepassement des capaciteacutes de notre planegravete arrive de plus en plus tocirct en 2017 il a eacuteteacuteatteint le 2 aoucirct en 2010 le 28 aoucirct et en 1970 le 23 deacutecembre
2 Il y a en moyenne 200g drsquoor dans une tonne de teacuteleacutephones portables contre 5gt dans une bonne minedrsquoor
3
CHAPITRE 1 INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE LA RESPONSABILITEacuteCOLLECTIVE FACE Agrave LA TRAGEacuteDIE EacuteLECTRONIQUE
deacutedieacutes au recyclage des DEEE les meacutetaux preacutecieux et strateacutegiques sont extraits par desmeacutethodes artisanales neacutefastes pour la santeacute et lrsquoenvironnement (bains drsquoacide deacuteverseacutesdans les riviegraveres fumeacutees toxiques eacutemanant des composants brucircleacutes) Une autre partie desDEEE se retrouve dans des deacutecharges agrave ciel ouvert en Afrique dans lesquelles des enfantsdeacutesossent les appareils eacutelectroniques au milieu de fumeacutees toxiques afin drsquoen retirer lescomposants pouvant ecirctre revendus Certains deacutechets qursquoils manipulent contiennent dessubstances canceacuterigegravenes comme les tubes cathodiques les eacutecrans liquides et les inter-rupteurs au mercure
Cette trageacutedie de la socieacuteteacute de consommation est le revers drsquoun systegraveme capitalistemondialiseacute dont le deacuteveloppement srsquoest acceacuteleacutereacute depuis la fin du siegravecle dernier Dans cenouveau monde moderne la libre concurrence est devenue une regravegle drsquoor soutenant uneeacuteternelle course au prix bas les marges se reacuteduisent accentuant la surproduction la deacutes-industrialisation et le chocircmage deviennent choses communes dans les pays deacuteveloppeacutesougrave la production est moins compeacutetitive et le dumping social et environnemental vers lespays pauvres srsquoacceacutelegravere
Toutefois la maicirctrise dans les technologies nrsquoa jamais eacuteteacute aussi importante La reacutevo-lution numeacuterique a bouleverseacute de nombreux secteurs introduisant de nouvelles formesde communication et de partage des connaissances la deacutecentralisation et la rapiditeacute delrsquoinformation lrsquointelligence artificielle la robotique et lrsquointernet des objets etc Mais tantque cette reacutevolution ne fera que soutenir la surconsommation nos deacutechets ne feront quecroicirctre laquo Face au problegraveme des ressources et de leurs limites [ ] force est ainsi de constaterque les technologies ne deacutetiennent pas agrave elles seules la solution soit elles intensifient lesdifficulteacutes soit les solutions qursquoelles apportent ne sont que partielles raquo Pour le philosopheD Bourg laquo seules des politiques publiques peuvent assurer in fine lrsquoefficaciteacute environne-mentale de certains choix technologiques raquo (BOURG 2009)
Ainsi alors que lrsquoexploitation miniegravere soulegraveve des preacuteoccupations environnementaleset sanitaires les laquo mines urbaines raquo composeacutees de lrsquoensemble des DEEE sont une reacuteellealternative strateacutegique agrave la matiegravere premiegravere car riches en meacutetaux de valeur Orienter leschoix technologiques vers lrsquoexploitation des mines urbaines srsquoinscrit dans la double pro-messe de lrsquoeacuteconomie circulaire creacuteation de valeur eacuteconomique et reacuteduction des impactsenvironnementaux Srsquoajoute agrave cela la promesse de creacuteation drsquoemplois locaux non deacuteloca-lisables
Cet espoir eacutetant poseacute il srsquoagit de revenir en arriegravere sur les raisons historiques qui ex-pliquent les difficulteacutes agrave valoriser davantage les deacutechets Pour cela revenons briegravevementsur quelques marqueurs des politiques publiques en matiegravere de gestion des deacutechets
12 De politiques publiques baseacutees sur la contrainte agrave uneorientation nouvelle baseacutee sur la responsabilisation
Les politiques environnementales modernes se sont deacuteveloppeacutees dans les pays deacuteve-loppeacutes agrave partir des anneacutees 70 Tregraves tocirct face agrave lrsquoengorgement des deacutecharges et agrave la multi-plication des deacutecharges sauvages des lois et des reacuteglementations en matiegravere de gestiondes deacutechets ont eacuteteacute promulgueacutees En 1975 une loi-cadre sur les deacutechets est introduite enFrance (loi ndeg 75-633 du 15 juillet 1975) qui vise agrave deacutegager des principes fondateurs la hieacute-rarchie de traitements des deacutechets (privileacutegiant le reacuteemploi au recyclage et le recours en
4
CHAPITRE 1 INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE LA RESPONSABILITEacuteCOLLECTIVE FACE Agrave LA TRAGEacuteDIE EacuteLECTRONIQUE
dernier lieu agrave lrsquoeacutelimination) et le principe laquo pollueur-payeur raquo (consistant agrave faire internali-ser par chaque acteur eacuteconomique les externaliteacutes neacutegatives de leur activiteacute) Cependantil srsquoest aveacutereacute que cette loi nrsquoa pas eu les effets attendus Le fait est que les dispositions repo-saient davantage sur une logique de contrainte et ciblaient plutocirct les acteurs deacutetenteursdes deacutechets que ceux en amont de la chaicircne En veacuteriteacute la gestion des deacutechets est un deces enjeux environnementaux agrave long terme qui neacutecessite une action solidaire organiseacuteeafin drsquoencourager des deacutemarches innovantes et collectives qui vont au-delagrave de simplestraitements en bout de chaicircne
Agrave cocircteacute des politiques publiques classiques qui sont fondeacutees sur des instruments eacuteco-nomiques ou sur une action reacutegalienne une autre approche a eacutemergeacute dans les anneacutees 90fondeacutee sur un principe de responsabilisation des acteurs industriels face aux impacts deleur activiteacute Cette voie alternative permettait de deacutepasser les limites des modes de reacutegu-lation classiques (manque de connaissance de lrsquoEacutetat non alignement des lois du marcheacuteagrave lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral) Mais alors que la responsabiliteacute renvoie de maniegravere courante agrave la no-tion juridique de lrsquoimputation individuelle drsquoune faute agrave un coupable (NEUBERG et col-lab 1997) qursquoest-ce qursquoune responsabiliteacute collective dans le cas ougrave une deacutepersonnali-sation des faits srsquoobserve Plus encore pour faire de la responsabilisation une techniquepolitique de gouvernement quels processus savoirs et instruments srsquoagit-il de mobili-ser pour rendre alors des acteurs agrave lrsquoorigine indiffeacuterents collectivement responsables etsolidaires La difficulteacute est que dans un marcheacute mondialiseacute les chaicircnes de valeurs sontlargement laquo eacuteclateacutees raquo crsquoest-agrave-dire composeacutees de diffeacuterentes entreprises juridiquementindeacutependantes ce qui rend leur responsabilisation complexe (ACQUIER et collab 2011)
13 Lrsquoeacutemergence du concept de Responsabiliteacute Eacutelargie duProducteur
Le principe de Responsabiliteacute Eacutelargie du Producteur (REP) (theacuteoriseacute par Lindhqvist[2000]) a eacutemergeacute de cette nouvelle doctrine au niveau europeacuteen dans le but de soulagerfinanciegraverement les collectiviteacutes de la gestion des deacutechets en engageant un transfert descoucircts du secteur public au priveacute par la responsabilisation cibleacutee drsquoacteurs de la chaicircnede valeur que sont les producteurs Lrsquoideacutee eacutetait de remonter agrave la source de la pollutionen internalisant le coucirct de gestion des deacutechets dans le prix des produits afin que les pro-ducteurs ameacuteliorent degraves la conception la recyclabiliteacute des produits qursquoils mettent sur lemarcheacute
Alors que dans sa conception initiale le principe de REP se fondait sur une logiquede responsabiliteacute individuelle il srsquoest aveacutereacute que dans la plupart des pays les producteursse sont regroupeacutes de maniegravere agrave reacutepondre collectivement agrave leurs nouveaux objectifs decollecte et de traitement
131 Une mise en œuvre collective mettant en difficulteacute la responsabi-liteacute individuelle
Apregraves plus de dix anneacutees de mise en œuvre le principe de REP a prouveacute son effica-citeacute quant agrave la structuration drsquoun systegraveme de gestion des deacutechets conforme aux normesenvironnementales Toutefois lrsquoefficaciteacute de lrsquoorganisation collective se heurte agrave lrsquoobjectif
5
CHAPITRE 1 INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE LA RESPONSABILITEacuteCOLLECTIVE FACE Agrave LA TRAGEacuteDIE EacuteLECTRONIQUE
drsquoeacuteco-conception (ie concevoir les produits de maniegravere agrave limiter les impacts environne-mentaux) En effet la collecte des deacutechets en meacutelange a pour revers une deacutesincitation desproducteurs agrave agir sur la conception de leurs propres produits ne pouvant beacuteneacuteficier di-rectement de cet effort (MAYERS et collab 2013)
La difficulteacute de la responsabilisation collective se reacutevegravele ainsi au grand jour la respon-sabiliteacute collective entraicircne-t-elle ineacutevitablement une deacuteresponsabilisation individuelleComment articuler responsabiliteacute individuelle et collective La responsabilisation collec-tive est-elle limiteacutee agrave une organisation de mutualisation
132 Le cas original de la France
Dans la pratique le modegravele de REP tel qursquoappliqueacute en France expose un processusde responsabilisation singulier reacuteveacutelant une nouvelle forme de co-reacutegulation crsquoest-agrave-direune forme drsquoaction collective et de confiance reacuteciproque entre acteurs publics et priveacutesougrave lrsquoEacutetat co-construit un agenda commun avec les producteurs
Cette forme drsquoorganisation ougrave les regravegles sont collectivement neacutegocieacutees rappelle lesprincipes de gouvernances traiteacutees dans la litteacuterature sur les ressources communes (no-tamment les travaux du prix Nobel en eacuteconomie Elinor Ostrom [1990]) et plus reacutecemmentsur les communs (Dardot et Laval 2015 Coriat 2015) agrave travers lesquels des acteurs reven-diquent le droit drsquooccuper un espace public ou une ressource commune et drsquoy instaurerleurs propres regravegles issues drsquoun processus de deacutemocratie participative Ces actions enga-geacutees ont conduit agrave la construction de dispositifs de gestion de communs par des commu-nauteacutes (gestion de lrsquoeau agrave Naples du parc eacuteolien de Beacuteganne ou solaire de Casalecchio diReno en Italie etc)
La ressemblance de ces formes collectives avec le modegravele de REP reste toutefois par-tielle Contrairement agrave ces communauteacutes qui srsquoengagent spontaneacutement pour deacutefendreleur cause dans la probleacutematique des deacutechets il srsquoagit ici de responsabiliser des acteursqui ne se reconnaissent pas naturellement comme appartenant agrave un mecircme commun Enreacutealiteacute rendre un collectif responsable implique de susciter une volonteacute drsquoengagementdans un agenda commun permettant de guider la responsabiliteacute individuelle Degraves lorsil srsquoagit de rendre compte comment le mode drsquoengagement collectif par le commun peutecirctre susciteacute par lrsquoaction publique
En ce sens cette thegravese cherche agrave theacuteoriser le principe de la responsabiliteacute collective entant que technique politique de gouvernement ramenant le commun au cœur de lrsquoactionpublique agrave travers la logique de la responsabilisation
Pour cela nous avons eacutetudieacute en deacutetail un cas particulier celui de la filiegravere des Deacute-chets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques en France et le modegravele de gouvernanceassocieacute Cette filiegravere est particuliegraverement pertinente du fait de la complexiteacute des enjeuxlieacutes aux DEEE (forte cause de pollution difficulteacutes techniques de traitement eacutevolutiontechnologique rapide des EEE preacutesence de matiegraveres strateacutegiques agrave haute valeur ajouteacuteeattisant les comportements opportunistes etc)
La meacutethodologie de la thegravese repose sur une approche exploratoire qualitative et lon-
6
CHAPITRE 1 INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE LA RESPONSABILITEacuteCOLLECTIVE FACE Agrave LA TRAGEacuteDIE EacuteLECTRONIQUE
gitudinale qui sera exposeacutee preacuteciseacutement dans la partie suivante Plus drsquoune soixantainedrsquoentretiens semi-directifs ont eacuteteacute conduits afin drsquoidentifier les processus de responsabi-lisation et de mise en œuvre de la REP renforceacutes par une analyse longitudinale de nom-breux rapports guides textes reacuteglementaires etc Lrsquoanalyse a suivi un niveau directeurcelui de la filiegravere DEEE comme enjeu drsquoaction collective et drsquoorganisation en articulationavec deux autres niveaux celui des strateacutegies drsquoentreprise en matiegravere drsquoeacuteconomie circu-laire et celui des politiques publiques Il a notamment eacuteteacute eacutetudieacute la question de la creacuteationde valeur agrave travers le concept de business model circulaire en lien avec le nouvel agendanational et europeacuteen de lrsquoeacuteconomie circulaire Cette analyse multi-niveaux des proces-sus organisationnels a permis de mettre en lumiegravere les conditions drsquoune responsabiliteacutecollective solidaire articuleacutee agrave la responsabiliteacute individuelle associeacutee Enfin une analysecomparative avec drsquoautres systegravemes de REP en Europe a permis de mettre en perspectiveles principes theacuteoriques extraits du modegravele franccedilais
14 Synopsis de la thegravese
Le plan de la thegravese est le suivant
INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE La responsabiliteacute collective face agrave la trageacutedieeacutelectronique
MEacuteTHODOLOGIE
PARTIE 1 Cadrage theacuteorique
mdash Preacutesentation et croisement des litteacuteratures sur les modes de reacutegulations laresponsabiliteacute et le commun
PARTIE 2 Eacutemergence drsquoun problegraveme commun
mdash Histoire de la probleacutematisation des deacutechets et de la logique de responsabili-sation avec lrsquoeacutemergence du concept de Responsabiliteacute Eacutelargie du Producteur(REP)
mdash Justification drsquoune approche du principe de REP par le commun
mdash Analyse du deacutechet comme commun
ENCADREacute Les enjeux de la valorisation des Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriqueset Eacutelectroniques (DEEE)
PARTIE 3 Le processus de responsabilisation en pratique
mdash Histoire de la creacuteation de la filiegravere DEEE en France
mdash Analyse du dispositif de REP comme processus drsquoapprentissage continu
mdash Modeacutelisation du processus de responsabilisation dans la filiegravere DEEE
7
CHAPITRE 1 INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE LA RESPONSABILITEacuteCOLLECTIVE FACE Agrave LA TRAGEacuteDIE EacuteLECTRONIQUE
mdash Discussion de lrsquoarticulation des responsabiliteacutes individuelle et collective
mdash Discussion de la co-reacutegulation comme pratique instituante du commun deacutechet
mdash Identification des principes de la co-reacutegulation et discussion
PARTIE 4 La creacuteation de valeur dans la filiegravere DEEE
mdash Origine des concepts drsquoeacuteconomie circulaire et de business model
mdash Preacutesentation du business model circulaire (BMC) comme outil pratique de lrsquoeacuteco-nomie circulaire au niveau de lrsquoentreprise
mdash Eacutetude de deux cas de BMC et enseignements
mdash Discussion des conditions agrave la monteacutee en reacutegime de projets de BMC et propo-sitions
PARTIE 5 Quels modegraveles de REP ailleurs en Europe
mdash Preacutesentation des modegraveles de REP en Allemagne et au Royaume-Uni
mdash Discussion des conceptions de la responsabiliteacute collective et de lrsquoarticulation agravela responsabiliteacute individuelle
CONCLUSION GEacuteNEacuteRALE
141 Partie 1
La premiegravere partie preacutesente le cadre theacuteorique Il srsquoagit drsquointroduire et drsquoarticuler lesconcepts de co-reacutegulation de responsabiliteacute et du commun qui permettent de traduireune forme originale drsquointervention des pouvoirs publics agrave travers la responsabilisationdes acteurs eacuteconomiques Nous analysons chacune de ces trois litteacuteratures pour en deacutega-ger de nouvelles lunettes analytiques En effet nous allons voir que la pratique tradition-nelle de la responsabiliteacute environnementale est davantage individuelle que collective Deplus dans lrsquoapproche traditionnelle des communs le commun naicirct de maniegravere spontaneacuteeet revendiqueacutee et en dehors des sphegraveres politique et eacuteconomique Susciter le commun agravelrsquointerstice de ces sphegraveres par la responsabilisation ouvre la voie agrave un modegravele de reacutegu-lation alternatif mdash que nous appellerons co-reacutegulation mdash dont il convient drsquoeacutetudier lespratiques pour en identifier les principes et les modaliteacutes drsquoexercice
142 Partie 2
La deuxiegraveme partie cherche agrave mettre en eacutevidence une nouvelle logique de responsa-bilisation fondeacutee sur une analyse du commun Pour cela nous partons drsquoun historiquede la probleacutematique des deacutechets qui met en eacutevidence les changements successifs de laperception du deacutechet et de son potentiel de valeur Nous analysons ensuite la naissancede formes collectives drsquoorganisation au tournant des anneacutees 90 en lien avec le deacuteveloppe-ment de politiques REP Ces formes ont eacuteteacute encourageacutees par lrsquoeacutemergence drsquoune nouvellelogique de reacutegulation porteacutee par la monteacutee drsquoune doctrine neacuteolibeacuterale associeacutee agrave la lo-
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CHAPITRE 1 INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE LA RESPONSABILITEacuteCOLLECTIVE FACE Agrave LA TRAGEacuteDIE EacuteLECTRONIQUE
gique de responsabilisation des acteurs eacuteconomiques
La thegravese aborde ainsi le principe de REP de maniegravere originale Contrairement agrave la litteacute-rature eacuteconomique politiste ou manageacuteriale dominante qui eacutetudie ex ante lrsquoefficaciteacute desREP ou bien les conditions de leur mise en œuvre (le laquo comment raquo) nous prenons le partidrsquoeacutetudier les filiegraveres REP comme un dispositif collectif visant agrave susciter une dynamiquedrsquoaction collective dans lrsquoinconnu qui se construit chemin faisant agrave partir drsquoexpeacuterimen-tations collectives
Cette perspective a plusieurs implications
mdash Ne pas rester focaliseacute sur la conformiteacute des reacutesultats aux objectifs (telles les eacuteva-luations classiques des politiques publiques) mais srsquointeacuteresser agrave la maniegravere dontlrsquoagenda des filiegraveres REP se structure chemin faisant en fonction des expeacuterimen-tations et apprentissages geacuteneacutereacutes (ou dit autrement agrave laquo la conception de lrsquoeacutevaluationcomme une activiteacute creacuteatrice raquo (CHANUT 2010)
mdash Eacutetudier les processus drsquoexpeacuterimentation (qui permettent de mettre agrave jour les condi-tions et meacutecanismes geacuteneacuterateurs) en montrant la dynamique entre des enjeux drsquoin-novation individuels et la constitution drsquoun commun
mdash Agrave partir de ces cas montrer ce qui fait commun et comment ce commun eacutemerge delrsquoaction collective
mdash Mettre en eacutevidence les meacutecanismes de pilotage et de gouvernance de ces filiegraveresREP dans une approche proche de celle introduite par Ostrom en identifiant lesprincipes drsquoune co-reacutegulation
143 Partie 3
Ces implications sont prises en compte dans la troisiegraveme partie qui est le cœur empi-rique de la thegravese Cette partie 3 cherche agrave comprendre la responsabilisation en pratiqueainsi que le fonctionnement de la co-reacutegulation en analysant le cas de la filiegravere des Deacute-chets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques agrave travers le cadre theacuteorique introduitpreacuteceacutedemment (lrsquointeacuterecirct et les enjeux de la filiegravere des DEEE sont preacutesenteacutes dans lrsquoencadreacutede transition)
Sont preacutesenteacutes lrsquohistorique de la construction de la filiegravere lrsquoeacutemergence de la gouver-nance avec la creacuteation drsquoorganismes collectifs de producteurs que sont les eacuteco-organismeslrsquoorganisation geacuteneacuterale de la filiegravere et les eacutevolutions ainsi que la dynamique du dispositifassurant une continuiteacute dans le temps
Les questions traiteacutees agrave la partie 3 sont les suivantes
mdash Quels principes de reacutegulation et de gouvernance sont neacutecessaires pour creacuteer et main-tenir lrsquoadheacutesion des producteurs agrave un projet collectif eacutevolutif
mdash Comment trouver un eacutequilibre entre responsabilisation individuelle (neacutecessaire pourpromouvoir la preacutevention et lrsquoeacuteco-conception) et responsabilisation collective (neacute-cessaire pour mutualiser les efforts)
Cette troisiegraveme partie permet de mieux comprendre les pratiques observeacutees et detheacuteoriser le potentiel du dispositif de REP en termes de capaciteacutes drsquoapprentissage et de
9
CHAPITRE 1 INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE LA RESPONSABILITEacuteCOLLECTIVE FACE Agrave LA TRAGEacuteDIE EacuteLECTRONIQUE
processus de responsabilisation Les enjeux de pilotage et de gouvernance sont souligneacutesDe mecircme les questions de creacuteation et de captation de valeur de modegraveles drsquoinnovation etdrsquoarticulation entre responsabiliteacutes individuelle et collective sont exploreacutees
Toutefois nous verrons qursquoagrave ce stade les promesses initiales du principe de REP nesont pas inteacutegralement remplies En effet alors que la gestion collective permet des eacuteco-nomies drsquoeacutechelle significatives dans la gestion des deacutechets et la recherche de nouveauxdeacuteboucheacutes elle conduit en contrepartie agrave une deacuteresponsabilisation des acteurs dans leursengagements individuels Ainsi alors que la gestion collective agrave lrsquoeacutechelon national a dusens pour lrsquoactiviteacute de recyclage la preacutevention telle que lrsquoeacuteco-conception relegraveve davan-tage de lrsquoinitiative des producteurs
En cela une analyse de la solidariteacute collective permet de souligner que la logiquede creacuteation de valeur et drsquoinnovation ne peut pas reposer exclusivement sur lrsquoengage-ment des eacuteco-organismes mais implique neacutecessairement une participation plus activedes adheacuterents-producteurs et donc de mieux comprendre les probleacutematiques concregravetesauxquelles ils font face
144 Partie 4
Bien que lrsquoon invoque des raisons macro-eacuteconomiques ou geacuteneacuteriques pour expliquerla difficulteacute de la transition vers une eacuteconomie circulaire (crise des matiegraveres premiegraveresabsence de marcheacutes deacutefaut de reacuteglementations adapteacutees preacutedominance de la socieacuteteacute deconsommation etc) il existe eacutegalement de nombreuses raisons plus contingentes et lo-cales largement meacuteconnues qui neacutecessitent drsquoeacutetudier les micro-dynamiques de la creacutea-tion de valeur au niveau des entreprises Ce agrave quoi va srsquoattacher la quatriegraveme partie de lathegravese
Cette quatriegraveme partie deacutebute tout drsquoabord par exposer lrsquoorigine des concepts drsquoeacuteco-nomie circulaire et de Business Model (BM) Elle preacutesente par la suite le Business ModelCirculaire (BMC) comme outil pratique visant agrave transposer la logique de creacuteation de va-leur circulaire au niveau de lrsquoentreprise Ces concepts poseacutes il sera plus facile drsquoeacutetudierdes cas de mise en œuvre de projet drsquoeacuteconomie circulaire et de les analyser
En eacutetudiant des expeacuterimentations concregravetes de BMC cette quatriegraveme partie va cher-cher agrave reacutepondre aux questions ci-dessous
mdash Quelles sont les implications reacuteelles de la transition vers un Business Model Circu-laire au niveau de lrsquoentreprise
mdash Quelles sont les logiques de creacuteation de valeur Quels en sont les obstacles
Ces analyses preacuteliminaires vont permettre ensuite de mettre en eacutevidence les condi-tions drsquoeacutemergence et de soutien de nouveaux BMC
mdash Quelles formes drsquoingeacutenierie sont neacutecessaires pour soutenir le deacuteveloppement drsquoin-novations et de nouveaux BMC
mdash Quel rocircle peuvent alors prendre les eacuteco-organismes dans la transition des modegraveleseacuteconomiques au niveau des entreprises
10
CHAPITRE 1 INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE LA RESPONSABILITEacuteCOLLECTIVE FACE Agrave LA TRAGEacuteDIE EacuteLECTRONIQUE
Nous verrons que lrsquoeacuteco-organisme apparaicirct comme un acteur central dans la structu-ration drsquoeacutecosystegravemes drsquoaffaires favorables au deacuteveloppement de modegraveles innovants drsquoeacuteco-nomies circulaires En effet alors que les entreprises jouent un rocircle drsquoimpulsion essen-tielle dans la conception de nouveaux BMC cette quatriegraveme partie montre que leur dif-fusion repose sur la construction de tout un eacutecosystegraveme drsquoaffaires mettant au cœur desenjeux lrsquoactiviteacute drsquoingeacutenierie de filiegravere agrave laquelle lrsquoeacuteco-organisme peut leacutegitimement preacute-tendre en tant qursquoacteur collectif central Lrsquoeacuteco-organisme se reacutevegravele ainsi ecirctre un acteurcleacute au cœur de lrsquoarticulation entre responsabiliteacutes individuelle et collective
145 Partie 5
Cette approche collective de la REP tourneacutee vers la coopeacuteration et la solidariteacute nrsquoestpas universelle dans les pratiques associeacutees aux REP En effet dans certains pays euro-peacuteens il nrsquoexiste pas drsquoeacuteco-organismes tels que deacutefinis par la leacutegislation franccedilaise privi-leacutegiant plutocirct un modegravele baseacute sur la concurrence libre et non fausseacutee LrsquoAllemagne et leRoyaume-Uni en sont deux exemples Bien que soumis agrave la mecircme directive europeacuteennesur les DEEE les pays membres ont en reacutealiteacute une assez grande liberteacute quant agrave sa trans-position
Ainsi alors que les parties preacuteceacutedentes ont conclu sur le rocircle cleacute des eacuteco-organismesdans la mise en œuvre du principe de REP et de leur contribution dans la transition versune eacuteconomie circulaire nous nous demandons dans la cinquiegraveme partie si drsquoautres mo-degraveles existent quelles sont leurs pratiques et quels sont leurs effets
Notre choix drsquoeacutetude srsquoest porteacute sur lrsquoAllemagne et le Royaume-Uni qui ont eu une ap-proche individuelle de la REP conception radicalement diffeacuterente de celle de la Francetout en affichant un taux de collecte supeacuterieure agrave celui de la France (drsquoapregraves Eurostat don-neacutees de 2014)
Dans cette cinquiegraveme et derniegravere partie nous eacutetudions les pratiques de ces pays enmatiegravere de construction et de deacuteveloppement des filiegraveres REP Quelle approche du prin-cipe de REP ont-ils deacuteveloppeacutee Comment ce principe srsquointegravegre-t-il dans la politique detransition vers une eacuteconomie circulaire de ces pays Comment les acteurs srsquoorganisent-ils Quels modes de relations entretiennent-ils les uns aux autres
Apregraves avoir exposeacute les modegraveles de REP en Allemagne et au Royaume-Uni nous discu-tons en particulier de lrsquointerpreacutetation de la responsabiliteacute collective dans ces pays Nousverrons que celle-ci nrsquoest pas comprise au sens coopeacuteratif comme dans le modegravele franccedilaismais selon une logique concurrentielle ayant pour effet de limiter lrsquoambition collective etla construction drsquoune vision commune dans le long terme
Alors qursquoen France la responsabiliteacute collective repose sur un common purpose (la no-tion sera plus amplement expliqueacutee dans la thegravese) impulseacute par la volonteacute de lrsquoEacutetat de sus-citer la construction drsquoun commun entre les principaux acteurs eacuteconomiques des filiegraverescelle observable au Royaume-Uni et en Allemagne est reacuteduite aux acquecircts sans profon-deur dans la vision de la filiegravere ni dans les relations entre acteurs Outre qursquoune analyseattentive des modegraveles britannique et allemand met en eacutevidence que les reacutesultats annon-ceacutes sont sujets agrave caution en lrsquoabsence de reacutegulation ils conduisent agrave une exacerbation dela deacuteresponsabilisation individuelle des producteurs dans le moyen et long terme Cette
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CHAPITRE 1 INTRODUCTION GEacuteNEacuteRALE LA RESPONSABILITEacuteCOLLECTIVE FACE Agrave LA TRAGEacuteDIE EacuteLECTRONIQUE
mise en perspective permet ainsi drsquoeacuteclairer les concepts preacuteceacutedemment introduits et derevenir sur la discussion de lrsquoarticulation entre responsabiliteacutes collective et individuelle
146 Conclusion geacuteneacuterale
Enfin apregraves une courte synthegravese la conclusion geacuteneacuterale expose les contributions theacuteo-riques et empiriques les limites de la recherche ainsi que les perspectives de rechercheouvertes par ce travail de thegravese
12
Chapitre 2
Meacutethodologie
laquo On doit eacutechapper agrave lrsquoalternativedu dehors et du dedans il faut ecirctreaux frontiegraveres La critique crsquoestlrsquoanalyse des limites et la reacuteflexionsur elles raquo
Michel Foucault
21 Synthegravese de la meacutethodologie
Objectif
Comment eacutetudier la mise en pratique de la responsabiliteacute collective et son articu-lation agrave la responsabiliteacute individuelle
Meacutethodologie
mdash Utilisation drsquoun niveau drsquoanalyse directeur comme point drsquoentreacutee (la filiegravere REPDEEE) articuleacute agrave diffeacuterents niveaux drsquoanalyse traiteacutes dans les diffeacuterentes par-ties (politique publique europeacuteenne ou nationale eacuteco-organisme entreprisesen France entreprises agrave lrsquoeacutetranger)
mdash Inteacuterecirct de la filiegravere DEEE comme terrain le flux de DEEE regroupe agrave lui seul demultiples enjeux techniques (quantiteacute croissante dispersion dangerositeacute com-position complexe) drsquoorganisation (nombre important de parties prenantes)drsquoincitation agrave lrsquoeacuteco-conception (forts soupccedilons drsquoobsolescence programmeacuteeenjeu des matiegraveres critiques) de valorisation de la matiegravere et de creacuteation devaleur (meacutetaux strateacutegiques et plastiques secondaires) de construction drsquoeacuteco-systegraveme drsquoaffaires de gestion de lrsquoinnovation etc lrsquoenjeu drsquoarticulation entreles responsabiliteacutes collective et individuelle y est particuliegraverement pressant laconstruction de la filiegravere DEEE a eacuteteacute tregraves riche en enseignements
mdash Meacutethode qualitative et longitudinale dans le but de rendre compte des condi-tions drsquoeacutemergence du principe de REP et du processus de responsabilisation desacteurs de la filiegravere DEEE en France
13
CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
mdash Deacutemarche exploratoire qui srsquoinscrit dans le paradigme eacutepisteacutemologiqueconstructiviste pragmatique agrave travers laquelle les questions se sont construiteschemin-faisant
Collecte de donneacutees et triangulation
Collecte de donneacutees primaires
mdash Entretiens semi-directifs (77)
mdash Visites de sites de traitement (13)
mdash Salons et confeacuterences (15+)
mdash Recherche intervention (9 projets)
Collecte de donneacutees secondaires
mdash Bibliographie
mdash Rapports eacutetudes guides deacutebats
mdash Documents confidentiels
mdash Cahiers des charges et dossiers drsquoagreacutement
mdash Textes leacutegislatifs et reacuteglementaires
mdash Lettres drsquoinformation blog et sites Internet
Traitement du mateacuteriau
mdash Analyse de contenu et de discours
mdash Eacutetude longitudinale des deacutechets du principe de REP de la reacuteglementation surles deacutechets
mdash Eacutetude exploratoire par confrontation documents et entretiens
mdash Classements du mateacuteriau
mdash Base de donneacutees des projets innovants
Limites
mdash Manque de donneacutees quantitatives
mdash Manque de donneacutees drsquoautres acteurs des filiegraveres REP en France (pouvoirs pu-blics autres eacuteco-organismes producteurs) et de filiegraveres agrave lrsquoeacutetranger
22 Choix de la deacutemarche meacutethodologique
221 Origine de la thegravese
La thegravese entre dans le cadre de la Chaire de recherche laquo Mines Urbaines raquo financeacuteepar lrsquoeacuteco-organisme Eco-Systegravemes (site web) Le sujet de la thegravese a eacuteteacute dans un premiertemps deacutefini entre les acteurs eacuteconomiques et les acteurs acadeacutemiques affilieacutes au centrede gestion scientifique de lrsquoeacutecole des Mines Paristech (le CGS)
14
CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
La probleacutematique de la limitation des ressources naturelles est un enjeu environne-mental certain mais devient de plus en plus un enjeu eacuteconomique aux yeux des pro-ducteurs qui ont besoin de seacutecuriser leurs approvisionnements Cet enjeu a conduit Eco-systegravemes (organisme de producteurs de gestion des Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriqueset Eacutelectroniques) au nom de ses membres producteurs agrave deacutevelopper un programme derecherche afin drsquoeacutetudier les possibiliteacutes de deacuteveloppement de nouvelles filiegraveres de la ma-tiegravere secondaire et de nouveaux modegraveles de creacuteation de valeur Notamment un enjeureleveacute par Eco-systegravemes eacutetait lrsquoeacuteco-conception encore trop peu deacuteveloppeacute
Suite agrave plusieurs eacutechanges trois programmes de thegravese ont eacuteteacute proposeacutes deux drsquoordretechnique (physique des meacutetaux et chimie de la matiegravere plastique) et un troisiegraveme porteacutepar le CGS drsquoordre organisationnel Le sujet ciblait dans un premier temps laquo les dispositifset modegraveles drsquoorganisation de lrsquoeacuteco-conception raquo Suite agrave la premiegravere anneacutee drsquoexplorationle sujet srsquoest largement eacutetendu conduisant agrave une reacuteflexion plus large sur le concept mecircmede responsabiliteacute collective et de son articulation agrave la responsabiliteacute individuelle Nousreviendrons plus loin sur le cheminement de la reacuteflexion
Explicitons agrave preacutesent la deacutemarche meacutethodologique de la thegravese
222 Une meacutethode compreacutehensive
En sciences sociales il existe diffeacuterentes meacutethodes de recherche reposant sur des ap-proches plus ou moins qualitativesquantitatives et theacuteoriquesempiriques Pour le sujeteacutetudieacute ici la meacutethode nrsquoa pas eacuteteacute trancheacutee agrave priori mais a deacutecouleacute naturellement du ca-drage du programme de recherche En effet plusieurs points ont naturellement conduit agraveune approche de type compreacutehensive qui mecircle donneacutees qualitatives et quantitatives pourexplorer un terrain organisationnel fertile au questionnement scientifique gestionnaire
Pour rappel laquo le projet de connaissance de ce type de deacutemarche [compreacutehensive] secentre sur les acteurs agissant et interagissant crsquoest-agrave-dire pensant parlant deacutecidant demaniegravere routiniegravere ou novatrice Le chercheur se place au plus pregraves des situations danslesquelles se deacuteroulent ces actions et interactions soit qursquoil les reconstitue (historien) lesobserve (observation observation participante) ou qursquoil agisse de concert avec les acteurseacutetudieacutes (recherche-action) raquo (DUMEZ 2016)
Dans notre cas la recherche compreacutehensive srsquoest imposeacutee dans un premier temps dufait qursquoil est question de reacutepondre agrave une demande drsquoune entreprise (telle une rechercheclinique) De plus le projet de recherche entre dans le cadre drsquoune Chaire multipartite surun temps long multipliant les actions et interactions Le sujet traite drsquoun objet directeurunique la filiegravere des deacutechets drsquoeacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques ce qui permetdrsquoisoler des parties prenantes pertinentes agrave lrsquoeacutetude
Dans ce cadre la deacutemarche a eacuteteacute historienne dans la recomposition de lrsquoeacutemergencede concepts et dispositifs de maniegravere agrave pouvoir recontextualiser les eacuteveacutenements preacutesentsLrsquoobservation a eacutegalement eacuteteacute largement utiliseacutee dans le but de deacutecrire les systegravemes enplace le rocircle des acteurs et leurs interactions Enfin on peut qualifier la deacutemarche em-ployeacutee de recherche-intervention (DAVID 2012 HATCHUEL 1994) ou de recherche col-laborative (SHANI et collab 2007) dans la mesure ougrave le contact avec lrsquoentreprise a eacuteteacute
15
CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
continu et tregraves actif Il y a eu de nombreux eacutechanges agrave travers les comiteacutes de la Chaire etdes entretiens multiples discutant les questions de recherche et les mettant agrave lrsquoeacutepreuveDe plus des repreacutesentants directs ont eacuteteacute deacutesigneacutes pour assurer les contacts tregraves reacutegu-liers par mail ou teacuteleacutephone Enfin lrsquoun des repreacutesentants de lrsquoentreprise a participeacute agrave larelecture approfondie de la thegravese et est membre du jury Ces interactions ont deacuteboucheacutesur des propositions feacutecondes qui ont stimuleacute la reacuteflexion des acteurs eacuteconomiques Nousverrons dans la conclusion geacuteneacuterale de la thegravese et dans la section sur les perspectives queles prochains projets preacutevus agrave la demande drsquoEco-systegravemes deacutecoulent directement des reacute-flexions ouvertes par la thegravese
En particulier la deacutemarche de recherche-intervention srsquoest concreacutetiseacutee agrave travers desprojets meneacutes en collaboration traitant de probleacutematiques complexes auxquelles fontface les entreprises membres drsquoEco-systegravemes (voir tableau A2 section recherche-intervention)reacuteveacutelant une veacuteritable recherche collaborative au sens de Shani et al (2007) En outre lrsquoen-treprise Eco-systegravemes eacutetant un acteur central de la filiegravere DEEE cette collaboration nousa permis drsquoecirctre mis en contact avec de nombreux acteurs pertinents agrave lrsquoeacutetude De plus denombreuses visites en France et en Europe ont permis de nous familiariser rapidementavec le domaine du deacutechet et drsquoidentifier les enjeux du terrain Enfin certains contactsont permis de deacutevelopper des eacutetudes de cas de projets innovants drsquoeacuteconomie circulairefaisant lrsquoobjet de la partie 4
223 Une approche exploratoire
Notre approche a eacuteteacute exploratoire Cela se constate aiseacutement deacutejagrave par lrsquoeacutevolution ma-jeure de la question de recherche Effectivement le sujet de deacutepart deacutefinit par lrsquoentrepriseet le futur directeur de thegravese nrsquoest finalement pas exactement celui de la thegravese aboutie Ilsrsquoagissait davantage drsquoouvrir un programme de reacuteflexion sur un principe nouveau que dereacutepondre agrave une question preacutecise Le fait est que les acteurs eux-mecircmes nrsquoeacutetaient pas encapaciteacute de relever les pheacutenomegravenes nouveaux et drsquoen deacutegager des probleacutematiques theacuteo-riques Les acteurs eacuteconomiques voient principalement les impasses auxquelles ils fontface moins les processus de long terme qui transforment leur penseacutee et conditionnentleurs actions Ils sont pris par le temps et par leurs agendas respectifs Prendre du reculpour des acteurs de terrain nrsquoest pas aiseacute en particulier dans les secteurs ougrave les objets eacutevo-luent tregraves vite ce qui est particuliegraverement critique dans le secteur des DEEE La rechercheexploratoire meneacutee par un acteur exteacuterieur permet cette prise de recul neacutecessaire dans letemps et dans lrsquoespace
Lrsquoapproche exploratoire srsquoest traduite par une deacutemarche longitudinale (PETTIGREW1990) et qualitative et srsquoinscrit dans le paradigme eacutepisteacutemologique constructiviste prag-matique (AVENIER 2011) Le fait est que les systegravemes de REP ont eacuteteacute tregraves peu eacutetudieacutes demaniegravere qualitative en questionnant le concept mecircme de la responsabiliteacute collective Laplupart des travaux sur les filiegraveres de deacutechets ont chercheacute agrave eacutevaluer la performance dessystegravemes en place au regard de lrsquoatteinte ou non drsquoobjectifs quantitatifs preacutedeacutefinis Ordans cette thegravese il srsquoagit drsquoeacutetudier les processus de mise en œuvre du principe de REP etde responsabilisation des acteurs au cours du temps et drsquoen extraire des principes theacuteo-riques Les acteurs ne sachant eux-mecircmes pas ougrave cette aventure va les mener une eacuteva-luation baseacutee sur des objectifs nrsquoa pas de sens Il srsquoagit de consideacuterer laquo lrsquoeacutevaluation danslrsquoaction raquo comme un laquo agir eacutevaluatif raquo (CHANUT 2010) et donc de srsquointeacuteresser autant auxcontextes et aux contenus qursquoaux processus et agrave leurs interactions au cours du temps
16
CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
Lrsquoeacutevaluation de la filiegravere doit reposer davantage sur la capaciteacute drsquoapprentissage des ac-teurs Par lrsquoeacutetude des processus la recherche doit ecirctre utile agrave la fois agrave la theacuteorie comme agravela pratique Enfin il srsquoagit de faire part aux acteurs des theacuteorisations faites et de leurs ac-tions afin drsquoobjectiver le chemin parcouru et drsquoaffronter lrsquoavenir sur des bases de connais-sances solides
laquo Les chercheurs sont alors confronteacutes agrave un double deacutefi il srsquoagit agrave la fois drsquoattraperle reacuteel au vol et drsquoeacutetudier des processus agrave long terme dans leur contexte naturel ce quiconduit agrave consideacuterer de multiples niveaux drsquoanalyse interconnecteacutes raquo (PETTIGREW et col-lab 2001 [MUSCA 2006])
Ici lrsquoeacutetude a suivi un niveau drsquoanalyse directeur la filiegravere des deacutechets drsquoeacutequipementseacutelectriques et eacutelectroniques tout en explorant drsquoautres uniteacutes plus ou moins larges lespolitiques publiques de deacutechets en France comme agrave lrsquoeacutetranger au niveau macro-eacutecono-mique les organismes de producteurs au niveau meacuteso-eacuteconomique et enfin au niveaumicro-eacuteconomique les entreprises et lrsquoobjet mecircme qursquoest le deacutechet Nous verrons plusloin quelles ont eacuteteacute les questions qui nous ont ameneacutes agrave nous inteacuteresser agrave ces diffeacuterentsniveaux au cours de la thegravese (cf 25)
La deacutemarche srsquoinscrit dans un paradigme eacutepisteacutemologique constructiviste degraves lorsque les questions nrsquoont cesseacute drsquoeacutemerger chemin-faisant au travers des rencontres deschangements contextuels (eacuteconomique politique) des deacutecouvertes etc telle une en-quecircte Lrsquoenquecircte exploratoire a progresseacute au fil des nombreux entretiens avec les acteursde lrsquoensemble de la chaicircne de valeur des DEEE (voir les tableaux 21 et 22 et la figureA1) Ces eacutechanges ont permis drsquoune part de se familiariser avec la filiegravere (enjeux organi-sations relations etc) et drsquoautre part de faire eacutemerger des ideacutees suppleacutementaires voiredes deacutecouvertes et de soulever de nouvelles hypothegraveses et questions En termes de larecherche-intervention on peut parler de co-construction des probleacutematiques et des hy-pothegraveses entre les chercheurs et lrsquoentreprise commanditaire Les sources secondaires sontvenues alors en renfort confirmer ou infirmer des savoirs et en apporter de nouveaux Lacompreacutehension des enjeux srsquoest faite ainsi de plus en plus claire et les hypothegraveses de plusen plus preacutecises Des premiers modegraveles theacuteoriques ont eacuteteacute proposeacutes et sont venus alimen-ter de nouveaux entretiens et recherches bibliographiques afin drsquoecirctre eacuteprouveacutes De ce faitune particulariteacute du manuscrit est qursquoil nrsquoexiste pas de chapitre deacutedieacute agrave lrsquoensemble de larevue de litteacuterature puisque celle-ci a eacuteteacute mobiliseacutee dans diffeacuterentes parties Ces allerset retours entre lrsquoempirie et la theacuteorie ainsi que la production continue de connaissancepouvant venir reacuteajuster le cadre theacuteorique rappellent la deacutemarche abductive fondamen-talement creacuteatrice (PEIRCE 1978)
23 Collecte et analyse des donneacutees
231 La collecte des donneacutees primaires et secondaires
La collecte des donneacutees srsquoest faite de deux maniegraveres Pour une partie elle srsquoest faitede maniegravere deacutetermineacutee (par exemple agrave travers les entretiens des acteurs de lrsquoentrepriseEco-systegravemes) Mais selon le mode opeacuteratoire exploratoire la collecte des donneacutees srsquoestfaite en grande partie de maniegravere non planifieacutee crsquoest-agrave-dire agrave posteacuteriori Cette collectenon planifieacutee srsquoest faite lors des visites de terrain ougrave ont pu ecirctre conduit des entretiensinformels ou encore agrave la maniegravere de lrsquoenquecircte progressant drsquoun contact agrave un autre jus-
17
CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
qursquoagrave un entretien deacuteterminant
Les sources et donneacutees ont eacuteteacute volontairement varieacutees de maniegravere agrave assurer le facteurde triangulation (DUMEZ 2016) La triangulation des donneacutees est en effet un facteur im-portant dans le cadre de la recherche qualitative (EISENHARDT 1989 LINCOLN et GUBA1985 YIN 2011 [BERKOWITZ 2016]) Il srsquoagit drsquoutiliser des donneacutees de sources diffeacuterentesmais qui srsquoattachent au mecircme objet drsquoinformation Cela permet de confronter les pointsde vue et drsquoobtenir une information la plus objective possible
La triangulation nous eacutetait particuliegraverement cruciale du fait justement de notre proxi-miteacute eacutetroite avec lrsquoentreprise ce qui pouvait conduire agrave un risque de biaisement du re-gard du chercheur Trouver des sources par drsquoautres voies eacutetait impeacuteratif pour la validiteacutedu travail de recherche Crsquoest pourquoi outre les contacts et documents fournis par lrsquoen-treprise Eco-systegravemes nous nous sommes attacheacutes agrave exploiter drsquoautres sources de do-cuments (via Internet bibliothegraveques confeacuterences et salons drsquoautres contacts etc) et agravedeacutevelopper drsquoautres reacuteseaux personnels de maniegravere agrave pouvoir confronter les points devue Nous comptons ainsi 77 entretiens qui ont eacuteteacute meneacutes aupregraves de lrsquoensemble des par-ties prenantes de la chaicircne de valeur ainsi que 13 visites de terrain (voir les tableaux 21et 22 et la figure A1)
TABLEAU 21 ndash Liste des entretiens meneacutes pendant la thegravese
Liste des entretiens par ordre chronologiqueNom preacutenom Date Socieacuteteacute PARTIESSoline Van Wy-meersch
011114 Ingeacutenieur en gestion des DEEE Eco-Systegravemes
3 4 et 5
Denis Guibart 041114 Directeur du deacuteveloppement du-rable produits et services chezOrange (2009-2014)
4
Pierre-Marie Assi-mon (1) et ThomasVan Nieuwenhuyse
191114 Respectivement Responsable eacutetudeet deacuteveloppement et Expert eacuteco-conception Eco-Systegravemes
3 et 4
Richard Toffolet 261114 Directeur technique agrave Eco-Systegravemes 3 et 4
Steacutephane Peys 021214 Fondateur et PDG de Bigarren Bizi 3 et 4
Serge Kimbel 031214 Directeur manager agrave Morphosis 3 et 4
Geacuterard Cote 131214 Enseignant-chercheur et directeur dethegravese agrave Chimie Paristech
4
Christian Thomas 171214 Preacutesident de la socieacuteteacute Terra Nova 3 et 4
Anne-Sophie Meacuterot 290115 Thegravese soutenue le 25112014 Gre-noble
2 et 3
Heacutelegravene Teulon 020215 Consultante eacuteco-innovation agrave Gingko21
4
Pierrick Verstraete(1)
170215 Responsable projet Eurecirccook chezSEB
4
18
CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
Suite de la liste des entretiensNom preacutenom Date Socieacuteteacute PARTIES
Filomena Cabar 260215 Coordinatrice des opeacuterations DEEEPROfessionnels chez Eco-Systegravemes
3
Jean-Lionel Lac-courreye
040315 Preacutesident du SIRRMIET 3 et 4
Mme Verberckmoeset Katrien Verfaillie
130315 Respectivement Manager opeacuterationsManager communication et marke-ting Recupel
5
Alice Deprouw 140315 Manager en environnement Bio ByDeloitte
3 et 4
Sophie Barbeau 210315 Manager technique en DD Nexans 4
Marion Laurent(1) 230315 Juriste drsquoentreprise Eco-systegravemes 2 et 3
Emmanuelle Parola 240315 Doctorante en Droit des deacutechets agravelrsquoADEME
2 et 3
Eric Lacouvert(1) 240315 Co-fondateur du projet Ecovalueme-tal
4
Ingrid Tams(1) 300315 Responsable environnement SEB 4
Erwan Fangeat(1) 010415 Direction consommation durable etdeacutechets ADEME
2 3 et 4
Barbara Toorens 160415 Direction relations exteacuterieures et par-tenaires Close the Gap Worldloop
3 et 4
Renaud Attal 210415 Condashfondateur et preacutesident R-Cube 4
Hubert Fodop 270415 Manager projet responsable pro-gramme laquoClic Vertraquo Les Ateliers duBocage
3 et 4
Astrid Frisdal 280515 Direction Collecte et relations insti-tutionelles Eco-systegravemes
3
Rita Vespier 290515 Responsable Reacutegional de collecteEco-systegravemes
3
Reneacute-Louis Perrier 290515 Preacutesident Ecologic 3
Alain Geldron 010715 Expert national Matiegraveres PremiegraveresADEME
3 et 4
Marion Laurent(2) 280715 Juriste drsquoentreprise Eco-Systegravemes 3
Dominique Bureau 040815 Deacuteleacutegueacute geacuteneacuteral du Conseil eacutecono-mique pour le Deacuteveloppement du-rable
2 et 3
Matthieu Glachant 070815 Directeur du CERNA Eacutecole desMines de Paris
2 et 3
Damien Dussaux 01092015 Doctorant en 3egraveme anneacutee au CERNA 3
19
CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
Suite de la liste des entretiensNom preacutenom Date Socieacuteteacute PARTIES
Olivier Guichardaz 250915 Reacutedacteur en chef Deacutechets Infos 3
Christian Brabant(1)
270915 Directeur geacuteneacuteral drsquoEco-Systegravemes 2 3 et 4
Hortense Brunier 300915 Responsable DD au GIFAM 3
Guillaume Duparay 121015 Directeur de la collecte et des rela-tions institutionnelles Eco-systegravemes
3
Bertrand Reygner(1)
161015 Directeur technique Ecologic 3
Tess Pozzi 191015 Chargeacutee de mission Feacutedeacuteration desEntreprises du Recyclage (FEDEREC)
3
Eric Louvert (2) 221015 Co-fondateur Ecovaluemetal 4
Erwan Fangeat(2) 301015 Direction consommation et durableet deacutechets ADEME
2 et 3
Bertrand Reygner(2)
191115 Directeur technique Ecologic 3
Christian Brabant(2)
151215 Directeur geacuteneacuteral drsquoEco-Systegravemes 2 3 et 4
Adrien Petit 130116 Responsable filiegravere deacutechet agrave la collec-tiviteacute de Nanterre
3
Roland Marion 190116 Chef de service adjoint - Service Pro-duits et Efficaciteacute Matiegravere ADEME
3
Yasmine (nc) 010216 Responsable du projet MakerSpace agraveAgbogbloshie
4
Ingrid Tams(2) 030216 Responsable environnement SEB 4
Patrick Geoffray 240216 Directeur geacuteneacuteral de la Direction dela Propreteacute et de lrsquoEau de la Ville deParis
3
Christian Brabant(2)
010316 Preacutesident Eco-systegravemes 2 3 et 4
Patricia Krawczak 010616 Chef du deacutepartement Technologiedes Polymegraveres et Composites amp Ingeacute-nierie Meacutecanique Mines de Douai
3 et 4
Christophe Hessel-mann
170616 Directeur de la socieacuteteacute HesselmannKommunikation GmbH Allemagne
5
Christophe Schnei-der
200616 Responsable coopeacuteration et ventesinternationales Take-e-way Alle-magne
5
20
CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
Suite de la liste des entretiensNom preacutenom Date Socieacuteteacute PARTIES
Christa Geissinger 180716 Responsable environnement dela Chambre Franco-Allemande duCommerce et de lrsquoIndustrie
5
Luca Campadello 140916 Manager projets recherche et explo-ration de donneacutees ECODOM Italie
5
Sarah Downes etVikki Law
200916 Respectivement Manager affaires en-vironnementales et Manager confor-miteacute et qualiteacute REPIC UK
5
Woldemar drsquoAm-briegravere
031016 Manager strateacutegie Innovation etMarcheacutes Veolia
4
Pierre-MarieAssimon(2)
071016 Responsable eacutetude et deacutevelop-pement outil Reeecycrsquolab Eco-systegravemes
3
Patricia Krowczak 121016 Chef du Deacutepartement Technologiedes Polymegraveres et Composites amp Ingeacute-nierie Meacutecanique Mines de Douai
4
Pascal Leroy 191016 President WEEEForum 3
Geacuterard Miquel 261016 Seacutenateur PS et Maire de St Cyr Lapo-pie
2 et 3
Christoph Becker 041116 Auditeur GEM F Allemagne 5
Christian Dworak(1)
181116 Specialiste protection environne-mentale lieacutee produit BSH Allemagne
5
Phil Morton 211116 CEO Repic 5
Anaiumls Huet 231116 Chef de secteur agrave Leroy Merlin 4
Mathieu Collos 231116 Co-fondateur Clip-it 4
Eelco Smit 241116 Director Sustainability agrave Philips 4
Christian Dworak(2)
251116 Specialiste protection environne-mentale lieacutee produit BSH Allemagne
5
Herman Van Roost 011216 Business development manager recy-cling agrave Total
4
Forbes McDougall 091216 Head of circular economy UK andIreland Veolia
4 et 5
Pierrick Verstraete(2)
060117 Ancien chef de projet Eurecirccook 4
Franccediloise Weber(1) 150317 Directrice REP recyclage amp valorisa-tion des deacutechets Veolia
4
Thomas Lindhqvist 250317 Professeur chercheur en Suegravedeconcepteur du principe de REP
2 et 3
21
CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
Suite de la liste des entretiensNom preacutenom Date Socieacuteteacute PARTIES
Claire Harrer 16042017 Chef de projet Eurecirccook chez SEB demai agrave deacutec 2016
4
Eleacuteonore David 20042017 Co-fondatrice ma petite cuisine 4
Franccediloise Weber(2) 19052017 Directrice REP recyclage amp valorisa-tion des deacutechets Veolia
4
Joeumll Tronchon 29052017 Directeur du deacuteveloppement durablechez SEB
4
Marianne Fleury 30052017 Direction technique agrave Eco-systegravemes 4
Romain Allais et Ju-lie Gobert
31052017 Chercheurs agrave lrsquoUniversiteacute de Techno-logie de Troyes
4
Le risque de biais est lieacute au risque de passer agrave cocircteacute de certaines informations qui se-raient omises volontairement par lrsquoentreprise Mais lrsquoentreprise peut eacutegalement omettredes informations de maniegravere involontaire en particulier dans le cas drsquoanalyse de proces-sus organisationnels En effet ceux-ci peuvent eacutechapper agrave lrsquoentreprise elle-mecircme nrsquoayantdonc pas forceacutement connaissance des informations agrave fournir Il srsquoagit alors drsquoaller soi-mecircme faire eacutemerger lrsquoinformation
Reste que dans une deacutemarche exploratoire on ne sait pas forceacutement laquo quoi raquo allerchercher Crsquoest pourquoi les entretiens meneacutes eacutetaient tregraves ouverts semi-directifs lais-sant libre-court agrave la conversation De plus pour accroicirctre les chances de productiviteacute desentretiens il a eacuteteacute choisi de ne pas soumettre les acteurs interrogeacutes agrave la pression de lrsquoen-registrement En effet les sujets abordeacutes eacutetaient pour la plupart tregraves sensibles pour lesacteurs eacutevoluant dans un secteur tregraves concurrentiel (par ex les enjeux de reacutecupeacuterationdes meacutetaux strateacutegiques) Par ailleurs lrsquoabsence drsquoenregistrement donne lrsquoimpression agravelrsquointerviewer drsquoune reacuteveacutelation eacutepheacutemegravere qui va disparaicirctre sans trace Crsquoest une mise enconfiance essentielle qui nous a permis drsquoavoir des retours critiques sans gecircnes concer-nant le rocircle de lrsquoorganisme Eco-systegravemes dans la coordination de la filiegravere DEEE
Ainsi il a eacuteteacute privileacutegieacute une prise de notes en direct au cours des entretiens Celle-cisrsquoest faite agrave main leveacutee devant lrsquoacteur interrogeacute de maniegravere agrave eacuteviter lrsquoeffet de seacutepara-tion de lrsquoeacutecran drsquoordinateur limitant la transparence de lrsquoeacutechange Quelques heures apregraveschaque entretien (au maximum 24h afin de mobiliser la meacutemoire vive) les notes ont eacuteteacutereprises et reacuteorganiseacutees en un compte rendu preacutecis envoyeacute pour lecture au directeur dethegravese (ex de compte rendu voir B) Les retours du directeur de thegravese eacutetaient tout aussipreacutecieux permettant un regard exteacuterieur et une prise de recul par rapport aux informa-tions recueillies ouvrant de nouvelles voies drsquoexploration
Les sources ont eacuteteacute classeacutees entre les sources primaires issues des entretiens les sourcesprimaires issues de la recherche-intervention et les sources secondaires qui sont numeacute-riques ou sur papier Le tableau Sources de donneacutees (cf tableau A2) rassemble lrsquoensembledes sources qui ont guideacute notre reacuteflexion Certaines ont eacuteteacute simplement consulteacutees drsquoautresexploiteacutees en profondeur dans lrsquoeacutecriture du manuscrit Il est vrai que certaines sources ontsucircrement eu plus de poids que drsquoautres dans le deacuteveloppement de notre reacuteflexion Malgreacutetout il a eacuteteacute choisi drsquoecirctre le plus exhaustif possible pensant que drsquoune maniegravere ou drsquoune
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CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
Contact Date Socieacuteteacute ActiviteacuteFlorence Riquier 060215 Triade eacutelectronique
Gonesse Veolia Pro-preteacute
Centre de recyclage DEEE
Philippe Beau-vier
110215 Aureus proche Lyon Valorisation de meacutetaux preacutecieux
Marc Ferreol 250315 Sita DEEE Feyzin Centre de recyclage DEEESandrineHumbert-Droz
020415 Envie 2E IdF et CorepaDerichebourg Genne-villiers
Entreprise drsquoinsertion et centre derecyclage DEEE
Soline Van Wy-meersch
190515 Ecotri Ateliers Foues-nantais
Entreprise drsquoinsertion et centre deregroupement et de deacutemantegravele-ment
Christine An-toine
210515 Atelier du bocage Em-mauumls
Entreprise drsquoinsertion et adapteacuteecentre de reacuteparation mobiles et in-formatiques
Christian Tho-mas
270515 Terra Nova Centre de traitement des carteseacutelectroniques
Responsablecommunication
150915 Umicore AntwerpBelgique
Fonderie de Cuivre traitement descartes eacutelectroniques
Responsable site 201015 Corepa Persan Beau-mont IdF
Site traitement GEM F et HFbroyage et post-broyage
Responsable site 041115 Envie Nord Lille Site de traitement GEM F et reacute-emploi et reacuteparation GEM HF eteacutecrans
Patricia Krawc-zak
121016 Laboratoire plasturgieMines de Douai
Centre technique de recherche enplasturgie
Responsable site 161116 Triade eacutelectroniqueVeolia Angers
Centre de recyclage GEM FampHFeacutecrans et PAM
Virginie Decotti-gnies
281116 Ingeacutenieur de re-cherche responsabledu PlastrsquoLab CIRSEESUEZ
Laboratoire de traitement plas-tique de SUEZ (inaugureacute en 2014)
TABLEAU 22 ndash Liste des visites de terrain
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CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
autre toutes ont eu une certaine influence agrave un moment donneacute de lrsquoenquecircte
232 Meacutethode drsquoanalyse des donneacutees
Lrsquoanalyse a reposeacute sur un mode opeacuteratoire qualitatif En effet les entretiens nrsquoayantpas eacuteteacute enregistreacutes les donneacutees nrsquoauraient pu ecirctre rigoureusement traiteacutees agrave travers unlogiciel de traitement de donneacutees sophistiqueacute Le travail de traitement srsquoest fait manuel-lement utilisant des techniques varieacutees suivant le type de sources et lrsquoobjectif rechercheacute
Le corpus a eacuteteacute minutieusement classeacute selon le type de source et les theacutematiques abor-deacutees (voir tableau 21) Il a eacuteteacute largement annoteacute et enrichi par des fiches de lecture desparagraphes agrave ideacutees des scheacutemas etc alimentant la reacuteflexion personnelle
Les parties de la thegravese se sont chacune appuyeacutees sur un groupement particulier desources traiteacutees de maniegravere plus ou moins diffeacuterente La derniegravere colonne du tableauSources de donneacutees (cf tableau A2) speacutecifie le traitement des diffeacuterentes sources ainsi queleur utilisation dans le manuscrit de thegravese De mecircme la quatriegraveme colonne du tableauListe des entretiens (cf tableau 21) speacutecifie pour quelle(s) partie(s) chaque entretien a eacuteteacuteutile
Dans la partie 1 consacreacutee en majoriteacute agrave la litteacuterature et au cadrage theacuteorique il srsquoagis-sait de croiser diffeacuterentes litteacuteratures preacutealablement classeacutees Afin de comprendre lrsquoeacutemer-gence des concepts la deacutemarche a eacuteteacute longitudinale De la mecircme maniegravere la partie 3 ana-lyse le processus de responsabilisation des acteurs impliquant neacutecessairement un traite-ment longitudinal des donneacutees (notamment des textes reacuteglementaires qui encadrent leprincipe de REP des rapports drsquoEco-systegravemes et drsquoautres acteurs reacuteveacutelant les transforma-tions etc) Les parties 4 et 5 se sont davantage appuyeacutees sur un traitement des entretiensmeneacutes respectivement aupregraves de producteurs en France et drsquoacteurs impliqueacutes dans lesfiliegraveres DEEE en Allemagne et au Royaume-Uni Les discours ont eacuteteacute analyseacutes la prise denotes nrsquoempecircchant pas la collecte de verbatim La tonaliteacute geacuteneacuterale du discours est eacutega-lement un fait analytique inteacuteressant pour saisir la perception des acteurs et leur opinioncritique Dans lrsquoensemble des parties les sources ont eacuteteacute classiquement traiteacutees par uneanalyse de contenu et ont eacuteteacute confronteacutees les unes aux autres de maniegravere agrave faire ressor-tir les ruptures les incoheacuterences les ideacutees nouvelles etc Enfin une partie du travail aconsisteacute agrave identifier des projets innovants dans la filiegravere DEEE Diffeacuterentes bases de don-neacutees non exhaustives ont eacuteteacute reacutealiseacutees (sur les techniques de recyclage des meacutetaux stra-teacutegiques sur les acteurs Internet de la filiegravere informelle reacutecupeacuterant les mobiles sur lesprojets innovants de lrsquoeacuteconomie circulaire etc) Ces bases de donneacutees ont permis drsquoameacute-liorer la compreacutehension du secteur et de constituer une base de connaissances utile agrave ladeacutemarche exploratoire
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CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
Bibliographie(articles ou livre)
Sous-thegravemes Nbre reacutefcollecteacutees
REPmdash Responsabiliteacutes collective et indivi-
duelle
mdash Comparaison de modegraveles
mdash Eacutetudes de cas
mdash Organisations collectives de produc-teurs (PRO)
55+
BMBMCmdash Strateacutegie
mdash Eacuteconomie circulaire
mdash Eacutecosystegraveme drsquoaffaires
mdash RSE
mdash Innovation
mdash Systegravemes produit-service (PSS)
mdash Secteur du reacuteemploi et de la reacuteutilisa-tion
70+
Reacutegulationmdash Instrumentation
mdash Responsabilisation
mdash Reacutegulation transnationale
55+
Communsmdash Gouvernance des ressources com-
munes
mdash Nouvelles formes de communs
40+
Deacutechetsmdash Historique reacuteglementation deacutechet
mdash Recyclage meacutetaux et plastique
mdash Recyclage des cartes eacutelectroniques
mdash Techniques de traitements
mdash Enjeux recyclage terre rare
mdash Filiegravere informelle
55+
Organisationcollective mdash Action collective et apprentissage
mdash Responsabiliteacute
45+
FIGURE 21 ndash Structure de la bibliographie
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CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
24 La validiteacute de la recherche
La limite essentielle drsquoune deacutemarche qualitative exploratoire est la question de la va-liditeacute Celle-ci peut ecirctre ameacutelioreacutee agrave travers une triangulation rigoureuse des donneacutees(DUMEZ 2016) Mais garantir une triangulation strictement eacutequilibreacutee engendre lrsquohy-pothegravese que toute source est accessible Or dans notre cas certains documents nrsquoont puecirctre fourni car trop ancien ou pour des raisons de confidentialiteacute et des entretiens nrsquoontpu ecirctre conduit par manque de temps des acteurs concerneacutes par soucis de distance etde langue ou par absence de contact En particulier les pouvoirs publics ont eacuteteacute difficile-ment accessibles en raison de leur agenda politique dense Ce travail pourrait eacutegalementgagner en preacutecision par lrsquoobservation drsquoun plus grand nombre de filiegraveres REP en Franceet agrave lrsquoeacutetranger Par ailleurs les pays nrsquoont pas les mecircmes exigences en matiegravere de collectedes donneacutees ne permettant pas des comparaisons quantitatives fiables entre les filiegraveres
241 La validiteacute interne
La validiteacute interne du travail (ie agrave lrsquointeacuterieur de la Chaire de recherche) a reposeacute surles diffeacuterentes rencontres du Comiteacute de pilotage de la Chaire au cours desquels les avan-ceacutes de la thegravese eacutetaient exposeacutees (voir tableau 23) Dans la plupart des cas seuls les di-recteurs de thegravese eacutetaient preacutesents faisant un rapide tour des avanceacutees des thegraveses de laChaire Certaines reacuteunions ont permis des preacutesentations plus longues faites par les doc-torants inviteacutes agrave preacutesenter leurs travaux
Les eacutechanges nombreux avec Eco-systegravemes ont eacutegalement contribueacute fortement agrave main-tenir la theacuteorisation des modegraveles observeacutes en phase avec les enjeux strateacutegiques de lrsquoac-teur eacuteconomique
242 La validiteacute externe
La validiteacute externe a eacuteteacute assureacutee par la participation agrave des appels agrave communicationconfeacuterences (voir tableau A1) journeacutees doctorales preacutesentations informelles et en parti-culier lors du moment phare du lancement de la premiegravere semaine ATHENS en novembre2016 Ce moment a eacuteteacute un instant singulier permettant de confronter nos travaux sous
Comiteacute drsquoOrientation et drsquoEacuteva-luation (COE)
Comiteacute de pilotage (Copil)
21 mars 2014 4 novembre 201420 novembre 2014 11 feacutevrier 201521 mai 2015 6 mai 20159 deacutecembre 2015 11 septembre 201527 juin 2016 19 novembre 20156 deacutecembre 2016 (zoom sur nostravaux de recherche)
1er juin 2016 (preacutesentations desavanceacutees des diffeacuterentes thegraveses dela Chaire)
14 juin 2017 27 septembre 201619 mai 2017
TABLEAU 23 ndash Calendrier des COE et Copil
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CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
forme drsquoenseignement face agrave des eacutetudiants venus de diffeacuterentes eacutecoles en Europe Unsondage agrave la fin de la semaine et une restitution des connaissances ont permis drsquoeacutevaluerlrsquoimpact de notre preacutesentation sur ces eacutetudiants De maniegravere geacuteneacuterale le sujet a large-ment inteacuteresseacute
Drsquoautre part la partie 5 contribue agrave la validiteacute externe en ce qursquoelle permet de mettreen perspective les principes theacuteoriques extraits du modegravele de REP en France par rapportagrave drsquoautres modegraveles europeacuteens Interroger des acteurs exteacuterieurs agrave la France offre un toutautre angle de vu permettant de compleacuteter la reacutealiteacute capteacutee par les sources speacutecifique-ment franccedilaises
25 Le cheminement de la reacuteflexion
Comme toute recherche exploratoire la question de deacutepart a nettement eacutevolueacute aucours de la thegravese ainsi que les niveaux drsquoanalyse des questions et hypothegraveses nouvellesvenant srsquoajouter au processus de reacuteflexion chemin faisant De la question de lrsquoeacuteco-con-ception agrave la probleacutematique de la responsabiliteacute collective et de son articulation agrave la res-ponsabiliteacute individuelle tout un cheminement est agrave raconter et agrave articuler au plan dethegravese
251 Anneacutee 1 la question des meacutetaux strateacutegiques et des plastiques
La premiegravere anneacutee a eacuteteacute une eacutetape drsquoeacutetat des lieux En partant des probleacutematiquesavanceacutees par Eco-systegravemes concernant le manque drsquoeacuteco-conception et le recyclage desmeacutetaux strateacutegiques et des plastiques nous avons exploreacute le terrain de maniegravere agrave sai-sir les enjeux cleacute limitant le deacuteveloppement de la filiegravere Ainsi dans un premier tempslrsquoanalyse srsquoest porteacutee agrave lrsquoeacutechelle meacuteso-eacuteconomique de la filiegravere avec les eacuteco-organismescomme acteur central Ce niveau a eacuteteacute le niveau directeur tout au long de la thegravese Eneffet lrsquoeacutechelle meacuteso-eacuteconomique encadre les probleacutematiques drsquoorigine porteacutees par le fi-nanceur de la Chaire Agrave partir drsquoun diagnostic (Les enjeux de la valorisation des DEEE p129) il est apparu que la responsabiliteacute collective limiteacutee agrave une logique de volume et dereacuteduction des coucircts ne permettait pas lrsquoimpulsion drsquoune incitation individuelle neacuteces-saire pour une reacuteelle transition vers un modegravele plus circulaire
La question de la pratique de la responsabiliteacute collective et de son articulation agrave laresponsabiliteacute individuelle est apparue de plus en plus centrale
252 Anneacutee 2 les questions de la responsabiliteacute de la reacutegulation et ducommun
A deacutebuteacute ainsi un vaste programme de recherche bibliographique sur le concept deresponsabiliteacute qui a divergeacute dans diffeacuterentes directions au cours de la reacuteflexion Il a eacuteteacutequestion de lrsquointerpreacutetation au fil du temps de la responsabiliteacute (NEUBERG et collab 1997RICOEUR 1994) et de son eacutevolution vers une forme plus collective (NADEAU 2008) Plusgeacuteneacuteralement pour comprendre lrsquoeacutemergence du principe de REP et de la logique de res-ponsabilisation des acteurs eacuteconomiques il srsquoagissait de srsquoattarder sur lrsquoeacutevolution de lrsquoins-trumentation drsquoaction publique en matiegravere de deacutechets (PERRET 2007) et des formes degouvernementaliteacute associeacutees (LASCOUMES et SIMARD 2011) notamment la gouvernance
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CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
hybride (DJELIC et SAHLIN-ANDERSSON 2006 LEVI-FAUR 2011) la gouvernance par laresponsabiliteacute (CAPOCCI 2015 SALLES 2009) et la gouvernance des ressources communes(OSTROM 1990)
Ainsi dans cette seconde anneacutee suite agrave ces nouvelles questions lrsquoanalyse srsquoest eacutecarteacuteede lrsquoeacutechelle meacuteso-eacuteconomique pour une approche davantage macro-eacuteconomique srsquointeacute-ressant aux logiques de politiques publiques
Les similariteacutes alors observeacutees entre lrsquoaction collective issue de la gestion des res-sources communes eacutetudieacutee par Ostrom et lrsquoaction collective pratiqueacutee dans la filiegravere DEEEnous a conduit naturellement agrave creuser davantage la litteacuterature sur les communs Le butrechercheacute eacutetait de mieux saisir cette logique de responsabilisation en pratique et drsquoen deacute-gager un cadre theacuteorique
Notre cadre theacuteorique a eacuteteacute deacuteveloppeacute dans lrsquoarticle The emergence of hybrid co-regulation Empirical evidence and rationale in the field of e-waste management preacutesenteacute en juillet2016 agrave la confeacuterence EGOS agrave Naples Ce cadre srsquoarticule autour de trois objets que sont lalogique de responsabilisation la reacutegulation hybride et la production et la conception decommuns La justification du cadre theacuteorique fait lrsquoobjet de la partie 1
Notre cadrage theacuteorique a ensuite servi de base pour la conduite des entretiens et lacollecte des sources secondaires (reacuteglementations rapports etc) permettant de reacuteveacutelerlrsquoeacutemergence drsquoune nouvelle orientation de politique publique incarneacutee par le principede REP (deacutecrit dans la partie 2) et du processus de responsabilisation (theacuteoriseacute agrave la par-tie 3) En prenant un certain recul par rapport aux enjeux drsquoeacuteco-conception des meacutetauxstrateacutegiques et des plastiques cette seconde anneacutee a permis drsquoapprofondir nettement leconcept de responsabiliteacute collective et de distinguer des eacutetapes dominantes du processusde responsabilisation Aussi le rocircle des eacuteco-organismes est-il apparu comme crucial dansla mise en œuvre de la responsabiliteacute collective
253 Anneacutee 3 les BMC et comparaison au niveau europeacuteen
Lrsquohypothegravese a eacutemergeacute que la responsabiliteacute collective agrave travers un processus de res-ponsabilisation particulier pouvait conduire agrave un dispositif drsquoaccompagnement des res-ponsabiliteacutes individuelles ougrave le rocircle de soutien des eacuteco-organismes serait essentiel Dansla troisiegraveme anneacutee il srsquoagissait alors drsquoeacuteprouver cette ideacutee en identifiant concregravetementles obstacles au niveau micro-eacuteconomique des entreprises agrave la mise en œuvre de pro-jets drsquoeacuteconomie circulaire Une eacutetude bibliographique a eacuteteacute reacutealiseacutee afin drsquoapprofondirles concepts drsquoeacuteconomie circulaire de business model de business model circulaire etdrsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires afin drsquoidentifier un cadre drsquoanalyse Suivant ce cadre drsquoanalysedeux eacutetudes de cas ont eacuteteacute meneacutees Ces eacutetudes ont permis de reacuteveacuteler des leviers tant auniveau individuel qursquoau niveau du collectif pouvant agrave lrsquoavenir ecirctre souleveacutes par les eacuteco-organismes (ce qui a fait lrsquoobjet de la partie 4) Ces eacutetudes de cas focaliseacutees ont ainsi per-mis de compleacuteter les theacuteories de lrsquoanneacutee preacuteceacutedente sur le rocircle des eacuteco-organismes Cesderniers apparaissent degraves lors comme des acteurs centraux dans lrsquoarticulation des res-ponsabiliteacutes collectives et individuelles
Enfin la troisiegraveme anneacutee srsquoest eacutegalement attacheacutee agrave mettre en perspective les connais-sances accumuleacutees sur le modegravele de REP en France en srsquointeacuteressant agrave drsquoautres modegraveles
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CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
en Europe radicalement diffeacuterents (ce qui a fait lrsquoobjet de la partie 5) Dans cette optiquevu que les eacuteco-organismes semblaient avoir un rocircle essentiel dans le modegravele en Franceil srsquoagissait de srsquointeacuteresser agrave des systegravemes en Europe fonctionnant sans eacuteco-organismesau sens de la reacuteglementation franccedilaise Les choix se sont porteacutes sur lrsquoAllemagne et leRoyaume-Uni A travers la conduite drsquoentretiens aupregraves de diffeacuterents acteurs de ces payset lrsquoanalyse de documents varieacutes il a eacuteteacute possible de deacutefinir encore plus clairement la lo-gique de la responsabiliteacute collective en France ainsi que les conditions drsquoun processus deresponsabilisation conduisant agrave articuler responsabiliteacute collective et individuelle
Le tableau Plan de la thegravese dans le cheminement de la reacuteflexion (cf tableau 24) reacuteca-pitule lrsquoordre des diffeacuterentes parties de la thegravese en preacutecisant pour chacune lrsquoobjet traiteacuteles sources principales exploiteacutees ainsi que les objectifs et les reacutesultats La deuxiegraveme co-lonne indique pour chaque partie lrsquoanneacutee drsquoexploration de lrsquoobjet dans le cheminementde la reacuteflexion deacuterouleacute preacuteceacutedemment On observe qursquoil nrsquoexiste pas de partie deacutedieacutee agrave larevue de litteacuterature mais que celle-ci est mobiliseacutee en temps voulu
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CHAPITRE 2 MEacuteTHODOLOGIE
PARTIES Anneacutee derecherche
Objet sources principales et objectifreacutesultat
PARTIE 1 Anneacutee 2 Croisement de litteacuteratures responsabiliteacute com-muns reacutegulationSources bibliographiquesObjectif proposition drsquoun cadre theacuteorique
PARTIE 2 Anneacutee 2 Eacutetude longitudinale de la perception du deacutechet et delrsquoeacutemergence du principe de REPCroisement de litteacuterature le principe de REP et lescommunsSources principales bibliographies reacuteglementa-tionsObjectif justification du cadrage theacuteorique
Encadreacute Anneacutee 1 Eacutetude qualitative et quantitative des enjeux de valo-risation des DEEESources entretiens salons rapports eacutetudes etcObjectif compreacutehension des enjeux cleacutes
PARTIE 3 Anneacutee 2 Eacutetude longitudinale de la filiegravere DEEE pour analyserle processus de responsabilisation des acteursSources entretiens cahiers des charge dossiersdrsquoagreacutement textes reacuteglementaires rapports etcReacutesultat principes de la co-reacutegulation et theacuteo-risation du processus de responsabilisation pro-positions pour une mission eacutetendue des eacuteco-organismes
PARTIE 4 Anneacutee 3 Eacutetude bibliographique sur les concepts drsquoeacuteconomiecirculaire de business model de business modelcirculaires (BMC) drsquoeacutecosystegravemes drsquoaffairesEacutetudes de cas de deux projets drsquoeacuteconomie circulaireSources bibliographiques entretiens rapports etcReacutesultat identification aux niveaux de lrsquoentrepriseet du collectif des difficulteacutes de mise en œuvre drsquounBMC et propositions (par ex rocircle de soutien deseacuteco-organismes)
PARTIE 5 Anneacutee 3 Mise en perspective par comparaison avec les mo-degraveles de REP au Royaume-Uni et en AllemagneSources entretiens textes reacuteglementaires eacutetran-gers etcReacutesultat speacutecificiteacutes de la logique de responsabiliteacutecollective du modegravele franccedilais
TABLEAU 24 ndash Plan de la thegravese dans le cheminement de la reacuteflexion
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Premiegravere partie
Cadrage theacuteorique
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Chapitre I1
Limites des theacuteories classiques de lareacutegulation entre action reacutegalienne etmeacutecanismes de marcheacute
Selon les eacuteconomistes libeacuteraux et la theacuteorie neacuteo-classique la preacutesence drsquoexternaliteacutesneacutegatives 3 reacutevegravele une deacutefaillance du marcheacute qui ne permet plus drsquoassurer un laquo juste raquo prixrefleacutetant lrsquoensemble des coucirctsbeacuteneacutefices engendreacutes Et cela tout particuliegraverement dansle domaine de lrsquoenvironnement ougrave il srsquoagit drsquoinciter ou de contraindre des agents eacutecono-miques agrave internaliser dans leurs choix les externaliteacutes de leurs actions On peut citer parexemple le principe de laquo pollueur-payeur raquo issu de la version neacuteo-classique de lrsquoeacutecono-mie de lrsquoenvironnement avec les travaux preacutecurseurs de lrsquoeacuteconomiste Arthur Cecil PigouDans cet objectif drsquointernalisation la theacuteorie des droits de proprieacuteteacute avanceacutee par lrsquoeacuteco-nomiste britannique Ronald Coase preacuteconise la modification de lrsquoallocation des droits deproprieacuteteacute dans le but de favoriser lrsquoallocation optimale des ressources (dans the problemof social cost [COASE 2013])
Pour cela en tant que garant de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral lrsquoEacutetat repreacutesente lrsquoacteur leacutegitimedevant mettre en œuvre une politique de reacutegulation efficace et laquo juste raquo dans le but de reacute-concilier utiliteacute individuelle et utiliteacute collective Dans les theacuteories classiques de reacutegulationpublique il existe ainsi deux modes principaux drsquointervention publique Ces instrumentsrelegravevent soit du type laquo command and control raquo agrave travers une instrumentation reacuteglemen-taire (telle que la norme) soit de meacutecanismes de marcheacute agrave travers des instruments eacuteco-nomiques (tels que les taxes incitatives ou les marcheacutes de permis drsquoeacutemission)
Ces instruments traditionnels reposent sur un modegravele drsquoincitation individuelle srsquoap-puyant sur le comportement deacutecentraliseacute des agents concerneacutes dans le but drsquoatteindreun optimum social En effet ces meacutecanismes font lrsquohypothegravese drsquoagents neacuteo-classiquesjouissant drsquoune rationaliteacute parfaite sensibles aux signaux eacuteconomiques et reacuteglementaires(LAFFONT et TIROLE 1993)
Or lrsquoeacutevolution des problegravemes environnementaux a fortement changeacute lrsquoampleur desarbitrages de politique publique (BUREAU et MOUGEOT 2004) En effet dans les probleacute-matiques environnementales contemporaines les externaliteacutes sont tregraves diffuses lrsquoinfor-mation est fortement asymeacutetrique voire absente les responsables souvent non isolables
3 ie lorsque la production drsquoun bien ou drsquoun service nuit agrave une tierce partie par la creacuteation drsquoun eacutecartentre lrsquoutiliteacute individuelle et lrsquoutiliteacute collective
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CHAPITRE I1 LIMITES DES THEacuteORIES CLASSIQUES DE LA REacuteGULATION
voire non identifiables les coucircts difficilement individualisables les inteacuterecircts nombreux etdivergents
En reacutealiteacute dans les situations de grande complexiteacute les coucircts de transaction pour dis-suader sanctionner ou compenser le dommage sont trop importants pour ecirctre reacutesoluspar des meacutecanismes classiques Drsquoautant plus qursquoune laquo juste raquo modification de lrsquoallocationdes droits de proprieacuteteacute comme eacutevoqueacute par Coase suppose que les objets agrave reacuteguler ainsique les externaliteacutes soient relativement bien identifieacutes compris dans leur complexiteacute etque les comportements des acteurs soient preacutevisibles dans le temps et dans lrsquoespace
En cela la politique environnementale est relativement complexe devant concilierune vision de long terme et de durabiliteacute avec un systegraveme eacuteconomique alieacuteneacute par la doc-trine de la concurrence de marcheacute Les chercheurs ont ainsi eacuteteacute nombreux agrave eacutetudier les li-mites de ces meacutecanismes traditionnels dans la mise en œuvre de politiques publiques mdash agravetravers notamment la recrudescence du champ de lrsquoanalyse des politiques publiques danslrsquoespace francophone telle que lrsquoeacutetude des instruments drsquoaction publique (LASCOUMES
et SIMARD 2011) En veacuteriteacute les instruments traditionnels sont limiteacutes agrave des situationssimples ougrave les arbitrages sont relativement eacutevidents mais ne peuvent reacutepondre avec jus-tesse agrave des cas complexes De fait le gouvernement repreacutesentatif se reacutevegravele impuissantface agrave lrsquoampleur des deacutefis environnementaux (BOURG et WHITESIDE 2010) Les princi-pales critiques sont le manque de connaissance et de moyen de lrsquoEacutetat et lrsquoincompatibiliteacutedes meacutecanismes de marcheacute avec lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral (BLEISCHWITZ et collab 2004)
I11 Limites des mesures reacutegaliennes face agrave lrsquoincertitude
La reacutegulation par lrsquoaction laquo command and control raquo est un type de gouvernance hieacute-rarchique Crsquoest une forme de reacutegulation ougrave des ensembles de regravegles et de lois sont eacutetablispar les autoriteacutes pour prescrire ou prohiber (GLASBERGEN 1998) En tant que garant delrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral lrsquoEacutetat est lrsquoacteur leacutegitime pour mettre en place des regravegles contraignantles activiteacutes polluantes afin drsquoassurer la protection de lrsquoenvironnement et des personnes
En matiegravere de politique environnementale la reacutegulation de type laquo command and con-trol raquo consiste agrave interdire des substances produits ou actions polluants ou agrave risque drsquoim-poser des standards de qualiteacute et des objectifs tout en menaccedilant le non consentement pardes sanctions Crsquoest une politique qui se veut efficace lorsqursquoun danger est aveacutereacute dont lasource est identifieacutee et lorsqursquoune solution alternative est connue Par exemple lrsquointer-diction drsquousage de lrsquoamiante (Deacutecret ndeg 96-1133 du 24 deacutecembre 1996) ou le protocolede Montreacuteal pour lrsquointerdiction des CFC (Deacutecret ndeg 89-112 du 21 feacutevrier 1989 portant pu-blication du Protocole de Montreacuteal relatif agrave des substances qui appauvrissent la couchedrsquoozone) Srsquoapplique alors le principe de preacutevention qui consiste agrave preacutevenir agrave la sourceles causes de pollutions en obligeant la prise en compte de lrsquoenvironnement Ce principerepose sur une eacutetude drsquoimpact menant agrave une eacutevaluation du bilan coucircts-avantages La me-sure de preacutevention sera donc exigeacutee si cela reste laquoagrave un coucirct eacuteconomiquement acceptableraquo(Loi Barnier 95-101 art L 110-1-II)
Cependant dans la pratique le bilan coucircts-avantages nrsquoest pas toujours aiseacutement deacute-terminable En particulier lorsque le risque nrsquoest pas nettement identifieacute dans toute sonampleur et sa complexiteacute Un exemple est la difficulteacute de reacuteglementer lrsquoincitation agrave lrsquoal-longement de la dureacutee de vie des appareils eacutelectriques et eacutelectroniques par la reacuteparation
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CHAPITRE I1 LIMITES DES THEacuteORIES CLASSIQUES DE LA REacuteGULATION
Il srsquoagit de comparer les coucircts engendreacutes par une telle mesure aux avantages perccedilus Agravepriori la reacuteparation paraicirct plus inteacuteressante du point de vue environnemental qursquoun re-cours systeacutematique au recyclage Cependant reacuteparer un appareil tregraves ancien et tregraves eacutener-givore nrsquoest pas forceacutement plus vertueux que de consideacuterer son recyclage et lrsquoachat drsquounappareil neuf plus eacuteconome en eacutenergie Ainsi de multiples paramegravetres sont agrave prendre encompte rendant complexe lrsquoeacutevaluation du bilan coucircts-avantages
De la mecircme maniegravere afin de pouvoir fixer des standards et des objectifs laquojustesraquo en-core faut-il pouvoir eacutevaluer les risques et les conseacutequences Or souvent lrsquoEacutetat nrsquoa pas lesconnaissances suffisantes pour une eacutevaluation juste et preacutecise La politique environne-mentale europeacuteenne repose ainsi eacutegalement sur le principe de preacutecaution (Article 191du Titre 20 du traiteacute de Lisbonne en vigueur depuis le 1er deacutecembre 2009) qui consisteagrave interdire toutes substances ou activiteacutes en cas drsquoincertitude scientifique sur les risquespotentiels qui peuvent se reacuteveacuteler irreacuteversibles et drsquoune graviteacute importante Ce principeexige une intensification des processus de recherche et drsquoacquisition de connaissances(BOURG et PAPAUX 2008) afin drsquoidentifier la source de la pollution drsquoen eacutevaluer les risqueset drsquoeacutemettre des mesures de preacutevention Le principe de preacutecaution œuvre agrave la recon-naissance des problegravemes plus qursquoagrave leur donner des solutions (NEUBERG et collab 1997p101) Cependant cela peut aussi avoir pour contre-effet de restreindre lrsquoinnovation Unexemple est le statut juridique du deacutechet qui entraicircne des dispositions strictes concernantsa manipulation limitant ainsi sa reacuteutilisation et donc sa valorisation et transformationen ressource Lrsquoordonnance ndeg2010-1579 du 17 deacutecembre 2010 au sein du Code de lrsquoen-vironnement deacutefinit la notion de sous-produit et introduit la possibiliteacute pour un deacutechetde sortir du statut de deacutechet et de redevenir un produit srsquoil reacutepond agrave un certain nombresde critegraveres fixeacutes De fait le principe de preacutecaution doit garder un caractegravere provisoire ren-dant les mesures prises reacutevisables (BOURG et PAPAUX 2008)
Ainsi alors que la preacutevention renvoie au risque preacutevisible calculable par la loi desgrands nombres la preacutecaution avance une preacutesomption de risque traduisant laquola recon-naissance de lrsquoincapaciteacute freacutequente de la connaissance scientifiqueraquo (NEUBERG et collab1997 p110) De ce fait dans les situations ougrave une eacutevaluation coucircts-avantages est pos-sible des mesures preacuteventives seront appliqueacutees mettant en place des normes objectifset standards En cas drsquoincertitude scientifique drsquoun risque potentiellement dangereux leprincipe de preacutecaution sera preacutefeacutereacute procircnant des mesures reacuteglementaires strictes et arbi-traires Le plus souvent il srsquoagira drsquointerdictions
Cependant on lrsquoa vu le calcul coucircts-avantages nrsquoest pas toujours aiseacute en particulierdans le cas de pollutions diffuses ougrave lrsquoEacutetat se trouve dans lrsquoincapaciteacute de faire une eacuteva-luation juste due agrave un manque de connaissance Drsquoautant plus que les coucircts deacutependentfortement des technologies qui peuvent eacutevoluer rapidement ou qui nrsquoexistent pas encoreQuant aux avantages cela suppose que lrsquoEacutetat ait deacutejagrave une ideacutee des alternatives existanteset agrave promouvoir pour remeacutedier agrave la source de la pollution Or dans de nombreux cas lasolution nrsquoest pas eacutevidente elle peut ecirctre erroneacutee ou difficile agrave concevoir Ainsi une me-sure peut conduire agrave des effets rebonds ou des effets autres non anticipeacutes Crsquoest ce quia eacuteteacute observeacute dans les anneacutees 80 quand les coucircts drsquoeacutelimination ont augmenteacute et que lesindustriels nrsquoavaient pas encore drsquoalternatives matures Ces situations ont conduit agrave uneaugmentation des exportations illeacutegales de deacutechets dangereux vers le tiers monde (exlrsquoaffaire du Cargo laquoZanoobiaraquo en 1988) agrave des deacuteversements clandestins en pleine mer ouencore agrave des deacutepocircts sauvages
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CHAPITRE I1 LIMITES DES THEacuteORIES CLASSIQUES DE LA REacuteGULATION
En reacutealiteacute le droit agrave lrsquoenvironnement est en constante construction Une politique ex-ante nrsquoest pas adapteacutee agrave des probleacutematiques de long terme (JAumlNICKE et JACOB 2005) Crsquoestpourquoi de nombreux textes de loi reposent sur des faits de jurisprudence En effet lrsquoEacutetatne pouvant pas tout anticiper de nombreux scandales environnementaux ont conduit agravelrsquointroduction de mesures de preacutevention ex post Nous pouvons citer lrsquoexemple de lrsquoaffaireSeveso (1983) conduisant agrave lrsquointroduction juridique des sites ICPE (Loi ndeg76-663 du 19juillet 1976 relative aux installations classeacutees pour la protection de lrsquoenvironnement) Ouencore lrsquoexemple du naufrage du navire Erika en deacutecembre 1999 faisant apparaicirctre pourla premiegravere fois lrsquoideacutee drsquoun preacutejudice objectif eacutecologique qui srsquooppose aux preacutejudices sub-jectifs patrimoniaux et extra-patrimoniaux Cette notion a eacuteteacute reconnue par la cour drsquoap-pel de Paris au terme du procegraves du naufrage Erika le mardi 30 mars 2010 La conseacutecrationjurisprudentielle du concept de reacuteparation du preacutejudice eacutecologique offre ainsi un statutjuridique agrave la nature lui permettant drsquoecirctre deacutefendue (notion fixeacutee par lrsquoarticle 4 de la loisur la biodiversiteacute du 8 aoucirct 2016)
Autre que la difficulteacute de faire les bons arbitrages il srsquoagit eacutegalement de srsquoassurer queles acteurs soient en capaciteacute de se tourner vers des alternatives existantes ou conce-vables Faute de quoi la mesure envisageacutee risque de deacutetruire des activiteacutes Le marcheacutenrsquoeacutetant pas homogegravene certains acteurs eacuteconomiques seront mieux preacutepareacutes que drsquoautrespour adopter les mesures de deacutepollution La mesure reacuteglementaire stricte peut alors in-duire une mauvaise reacutepartition des efforts de protection (BUREAU et MOUGEOT 2004) Lesplus faibles seront eacutelimineacutes du marcheacute
Enfin une reacutegulation de type laquo command and control raquo srsquoappuie sur la dissuasion agravetravers la menace de sanction Or afin drsquoecirctre reacuteellement dissuasive la sanction doit ecirctresupeacuterieure agrave lrsquoavantage eacuteconomique individuelle drsquoune non conformiteacute agrave la regravegle Celaimplique de nouveau la neacutecessiteacute de pouvoir eacutevaluer preacuteciseacutement le risque et le coucirct delrsquoalternative Si le coucirct du passage agrave lrsquoalternative est supeacuterieur agrave la sanction la dissuasionnrsquoaura pas drsquoeffet Un exemple drsquoactualiteacute est la mesure imposant en cas de pic de pol-lution la circulation alterneacutee dans certaines agglomeacuterations concentreacutees Les quelquesexemples de mise en œuvre agrave Paris en 2016 ont montreacute que lrsquoamende de 22euro (eacutequivalentau prix de quelques heures de parking agrave Paris) ne semblait pas dissuader les chauffeursqui nrsquoavaient pas trouveacute drsquoautres solutions selon les chiffres drsquoAirparif lors du pic de pol-lution en deacutecembre 2016 la mesure nrsquoa permis qursquoune baisse entre -5 agrave -10 des eacutemis-sions dues au trafic routier
Enfin une fois des sanctions gradueacutees eacutetablies encore faut-il qursquoelles soient reacuteelle-ment appliqueacutees Or en situation de pollution diffuse 4 impliquant un grand nombredrsquoacteurs un controcircle eacutetendu est tregraves coucircteux LrsquoEacutetat nrsquoa ni le temps ni les moyens demettre systeacutematiquement les menaces de sanction agrave exeacutecution ce qui deacutecreacutedibilise lamesure reacutepressive
Par ailleurs la reacutegulation hieacuterarchique a ce risque drsquoecirctre conccedilue par lrsquointerventiondrsquoune technocratie drsquoexperts sans la prise en compte reacuteelle des inteacuterecircts et connaissancesdes acteurs locaux alors mecircme qursquoils sont les sujets effectivement impliqueacutes dans les
4 Du point de vue de la reacuteglementation on entend par pollution diffuse [] toute pollution dont lrsquoori-gine ne peut ecirctre localiseacutee en un point preacutecis mais procegravede drsquoune multitude de points non deacutenombrableset reacutepartis sur une surface importante (Dictionnaire Environnement nc)
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CHAPITRE I1 LIMITES DES THEacuteORIES CLASSIQUES DE LA REacuteGULATION
changements preacuteconiseacutes Ce risque de manque drsquointeacutegration des divers inteacuterecircts peut en-traicircner celui drsquoinsatisfaction de conflits et de comportements opportunistes baseacutes surdes inteacuterecircts individuels (BUREAU et MOUGEOT 2004) En fait lrsquoincertitude de la probleacute-matique appelle agrave un meacutecanisme deacutecisionnel qui diffegravere des principes de deacutecisions tradi-tionnelles aux laquo choix tranchants raquo qui sont pris agrave laquo un moment unique raquo par laquo un deacutecideurindividuel raquo et laquo clocirctureacutee par lrsquoautoriteacute scientifique ou politique raquo Agrave lrsquoinverse les deacutecisionsen incertitude reposent sur un principe drsquo laquo enchaicircnements de rendez-vous raquo constituantune laquo activiteacute iteacuterative raquo laquo engageant un reacuteseau drsquoacteurs diversifieacutes selon les responsa-biliteacutes raquo et laquo reacuteversible raquo crsquoest-agrave-dire laquo restant ouverte agrave de nouvelles informations ou agravede nouvelles formulations de lrsquoenjeu raquo (CALLON et collab 2001) Dans cette optique ilsrsquoagit de mettre en place une reacutegulation srsquoinspirant de la theacuteorie des entreprises de laconnaissance (laquoknowledge-based firmraquo) qui stimule lrsquoinnovation - laquoinnovative-inducingregulationraquo - en soutenant les processus drsquoapprentissage collectif (BLEISCHWITZ et col-lab 2004)
I12 Limites des meacutecanismes de marcheacute face au besoin drsquoen-gagements de long terme
Alors que les mesures reacutegaliennes induisent des difficulteacutes de mise en œuvre et desurveillance les eacuteconomistes neacuteolibeacuteraux favorisent les dynamiques de marcheacute qui per-mettent davantage de flexibiliteacute notamment dans lrsquoajustement des regravegles en fonctiondes reacutesultats obtenus et quant aux moyens utiliseacutes par les acteurs eacuteconomiques pour reacute-pondre agrave leurs objectifs (WEITZMAN 1974) Drsquoautant plus que les acteurs eacuteconomiquesdirectement mis en cause dans la production drsquoexternaliteacutes sont plus agrave mecircme drsquoidentifierles alternatives eacuteconomiques les plus efficientes et durables
En veacuteriteacute agrave lrsquoorigine les eacuteconomistes classiques procircnaient une libeacuteration totale dumarcheacute sans intervention de lrsquoEacutetat qui eacutetait selon eux la cause drsquoune sous-optimaliteacute dela reacutepartition sociale Cependant les crises reacutepeacuteteacutees ont montreacute autrement et les eacutecono-mistes neacuteo-classiques ont inteacutegreacute lrsquoeacutechec drsquoune reacutegulation pure de libre-marcheacute en cequi concerne trois domaines traditionnellement citeacutes (Monde diplomatique HS 2016p94) Un premier domaine concerne les biens collectifs dont lrsquoarcheacutetype est lrsquoexempledu phare tout bateau en beacuteneacuteficie mecircme srsquoil nrsquoa pas payeacute pour le service Un seconddomaine regroupe les monopoles naturels dont lrsquoexemple parfait est le transport ferro-viaire En effet ce secteur neacutecessite des infrastructures importantes (rails barriegraveres au-tomatiques cateacutenaires gares etc) dont les coucircts fixes eacuteleveacutes ne peuvent ecirctre financeacutesde maniegravere isoleacutee par diffeacuterentes petites entreprises Enfin un dernier domaine concerneles externaliteacutes crsquoest-agrave-dire les reacutepercussions de lrsquoactiviteacute drsquoun agent eacuteconomique sur lesautres sans que celles-ci donnent lieu agrave une contrepartie moneacutetaire (ex la pollution in-dustrielle) Ces trois domaines sont reacuteveacutelateurs de la limite de lrsquoeacuteconomie de marcheacute Laraison en est que les variations rapides du marcheacute et les grandes impreacutevisibiliteacutes ont pourcause le conditionnement des acteurs eacuteconomiques agrave une vision de tregraves court terme cequi est contradictoire avec lrsquointeacuterecirct public et lrsquoobjectif de protection durable de lrsquoenviron-nement et de la population dans le temps long
Les instruments eacuteconomiques en matiegravere de politique environnementale reposentalors sur le principe du laquo pollueur-payeur raquo et regroupent les domaines de la fiscaliteacuteincitative (taxe pigouvienne subvention) et des marcheacutes drsquoeacutemissions ou de quotas eacutechan-
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geables Ces instruments reposent sur lrsquohypothegravese drsquoagents neacuteo-classiques jouissant drsquounerationaliteacute parfaite qui dans un marcheacute concurrentiel et efficace seront ameneacutes agrave maxi-miser leur profit tout en internalisant naturellement lrsquoensemble des externaliteacutes Lrsquointer-nalisation se fera alors de la maniegravere la plus efficiente possible de part lrsquoobjectif de maxi-misation du profit qui srsquoy juxtapose et lrsquooptimum social sera ainsi maintenu malgreacute lapreacutesence drsquoexternaliteacutes Les prix devant ainsi reacuteveacuteler laquo la veacuteriteacute raquo concernant les coucircts desdommages environnementaux (GLASBERGEN et BLOWERS 1995 p10) Or cela suppose-rait de ce fait drsquoavoir une connaissance parfaite des risques des coucirct-avantages et descomportements face aux incitations afin de pouvoir fixer le juste prix Ainsi de la mecircmemaniegravere que pour la mise en place drsquoune reacuteglementation juste cela ne coule pas de sourceen raison de la complexiteacute des situations en pratique
De nombreuses activiteacutes parallegraveles eacutechappent ainsi agrave la reacutegulation par le marcheacute cequi deacutestabilise les acteurs eacuteconomiques qui acceptent de laquo jouer dans les regravegles raquo Cescomportements sont qualifieacutes de laquo passagers clandestins raquo en tant qursquoils cherchent agrave sur-exploiter les ressources ou agrave minimiser voire agrave srsquoaffranchir des regravegles de preacutevention afinde diminuer les coucircts environnementaux et maximiser les profits Le trafic de DeacutechetsdrsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques (DEEE) est en cela conseacutequent Un reacutecentprojet europeacuteen a eacutevalueacute agrave 35 le taux de traitement laquo officiel raquo des DEEE Les 65 res-tants passent par des filiegraveres grises voire illeacutegales (HUISMAN et collab 2015) Les inteacute-resseacutes recherchent les DEEE riches qui sont composeacutes de piegraveces agrave forte valeur contenantdes meacutetaux preacutecieux notamment les cartes eacutelectroniques Ainsi reacuteguliegraverement les deacute-chetteries sont la cible de pilleurs venant reacutecupeacuterer la valeur des deacutechets tout en laissantla partie plastique coucircteuse agrave traiter (telle que la valeur des bobines de cuivre des anciensteacuteleacuteviseurs [ADEME 2013a])
Cette deacutestabilisation eacuteconomique des marcheacutes est un corollaire de la mondialisationdes eacutechanges qui conduit dans certains cas agrave un dumping eacutecologique En effet la fiscaliteacuteenvironnementale nrsquoeacutetant pas homogegravene entre les pays (mecircme au sein de lrsquoUE) les coucirctsde traitement peuvent varier fortement drsquoun pays agrave lrsquoautre De ce fait une quantiteacute im-portante de nos deacutechets sont traiteacutes et valoriseacutes agrave lrsquoeacutetranger sans que lrsquoon puisse veacuterifierde la conformiteacute reacuteelle des traitements utiliseacutes et sans pouvoir capturer la valeur de la res-source secondaire reacutecupeacutereacutee Le marcheacute encourage la recherche du traitement au coucirct leplus bas au deacutetriment parfois de la qualiteacute et des exigences environnementales
Le montant de la taxe de type pigouvienne relative au principe du laquo pollueur-payeurraquo est donc une question centrale agrave laquelle lrsquoEacutetat doit reacutepondre La difficulteacute est de fixerun montant suffisamment dissuasif afin drsquoencourager la deacutepollution sans deacutetruire pourautant lrsquoactiviteacute eacuteconomique Drsquoougrave les critiques de Ronald Coase agrave lrsquoencontre de lrsquoeacuteco-nomiste britannique Arthur Cecil Pigou (connu pour avoir introduit le meacutecanisme du laquopollueur-payeur raquo) Coase estime que lrsquoEacutetat est rarement en possession de lrsquoensemble desinformations neacutecessaires lui permettant de juger et de fixer le niveau adeacutequat des taxes etdes subventions (COASE et collab 1992 p178)
Dans le cas des marcheacutes drsquoeacutechange (permis ou quotas) mis en place dans le cadre duprotocole de Kyoto (adopteacute en 1997) ce nrsquoest plus lrsquoEacutetat qui fixe un montant drsquoimpocirct maisune limite de pollution agrave ne pas deacutepasser Libre aux acteurs alors de srsquoeacutechanger sur unmarcheacute des laquo droits agrave polluer raquo tels des actifs financiers Agrave cet effet a eacuteteacute creacuteeacute en 2005 enEurope le systegraveme communautaire drsquoeacutechange de quotas drsquoeacutemission fondant le marcheacute
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carbone et lrsquoeacutechange des creacutedits carbone La diffeacuterence principale par rapport aux taxespigouviennes est de rendre ainsi la transition moins brutale Les entreprises precirctes auchangement et ayant les moyens preacutefeacutereront investir dans la deacutepollution et vendre leurscreacutedits Agrave lrsquoinverse des entreprises pourront choisir de maintenir leur activiteacute et de payerleur laquo droit agrave polluer raquo Ainsi un tel systegraveme permet une meilleure reacutepartition des effortsde deacutepollution
Toutefois lrsquoefficaciteacute de la mesure deacutependra fortement de la justesse des meacutecanismesadopteacutes et du systegraveme de reacutegulation mis en place Ainsi suite agrave la creacuteation de la bourseBluenext en France pleinement opeacuterationnelle en 2008 un gigantesque scandale finan-cier de fraude au CO2 a eacuteteacute deacutecouvert (et est toujours en cours drsquoinstruction) reconnucomme le laquo casse du siegravecle raquo organiseacute par la laquo mafia du CO2 raquo (Mediapart 2017) Cettefraude a repreacutesenteacute un deacutetournement de 17 milliards drsquoeuros en huit mois (selon la courdes comptes) de lrsquoautomne 2008 au printemps 2009 Lrsquoerreur a eacuteteacute drsquoappliquer agrave Bluenextun reacutegime de TVA qui a permis aux deacutetracteurs drsquouser de vielles techniques de fraude agravela TVA agrave travers un laquo carroussel raquo de TVA Un rapport de la cour des comptes de 2012 aaccuseacute le manque de vigilance au moment de la creacuteation du systegraveme (Cour des comptes2012) Ce rapport identifie lrsquoabsence de preacutevision de laquo seacutecurisation raquo anti-fraude un accegravesau marcheacute laquo sans controcircle raquo et lrsquoabsence de laquo reacutegulation externe raquo Le 9 juin 2009 il a eacuteteacutedeacutecideacute de ne plus appliquer la TVA agrave la bourse carbone
Outre le risque de fraude en cas de deacutefaillances importantes du systegraveme financier lrsquoef-ficaciteacute drsquoun tel marcheacute environnemental repose eacutegalement sur la justesse du meacutecanismechoisi telle que la quantiteacute de permis eacutemis par le reacutegulateur Une offre trop importante depermis peut conduire au choix par lrsquoentreprise drsquoun maintien de la pollution tout en pro-fitant de la vente de permis exceacutedentaires accordeacutes Les prix des permis seront alors baset le pouvoir de dissuasion presque nul Agrave lrsquoinverse un marcheacute fermeacute peut conduire desacteurs deacutetracteurs agrave reacutecupeacuterer un maximum de droits de maniegravere agrave creacuteer une rareteacute surle marcheacute et agrave profiter drsquoune sur-valorisation de la vente Ce systegraveme peut ainsi creacuteer deseffets drsquoaubaine ougrave le prix de lrsquouniteacute est soit sous-eacutevalueacute soit sur-eacutevalueacute ce qui beacuteneacuteficiele plus souvent agrave des acteurs en rapport de force (forte part de marcheacute puissant lobbyingetc) La creacuteation drsquoune bourse qursquoelle soit environnementale ou non srsquoaccompagne detout un arsenal financier de types traders brokers socieacuteteacutes intermeacutediaires qursquoil srsquoagit desurveiller et de controcircler Reprenons lrsquoexemple du marcheacute carbone Jusqursquoen 2013 lrsquoattri-bution primaire des quotas drsquoeacutemission se faisait gratuitement agrave destination des princi-paux eacutemetteurs industriels en fonction de leurs eacutemissions de CO2 passeacutees Cependantces modaliteacutes drsquoallocation ont conduit agrave des distorsions de concurrence limitant lrsquoaccegravesau marcheacute des nouveaux entrants ainsi que des perturbations du marcheacute secondaire dequotas avec lrsquointervention drsquointermeacutediaires et un systegraveme de neacutegociations de greacute agrave greacutepeu transparent De ce fait la directive 200929CE du 23 avril 2009 (adopteacutee dans le cadredu paquet laquo eacutenergie-climat raquo et qui modifie la directive drsquoorigine de 2003) a introduit unsystegraveme de mise aux enchegraveres des quotas opeacuterationnel jusqursquoen 2020 Ce nouveau dis-positif a pour but drsquoassurer une meilleure eacutevaluation des prix des quotas par rapport auxcoucircts reacuteels drsquoeacutemission ainsi qursquoun meilleur accegraves au marcheacute ouvert agrave tout acteur
Un exemple similaire est le meacutecanisme des evidence notes au Royaume-Uni concer-nant les objectifs de collecte et de traitement des DEEE (avant sa reacutevision en 2013) AuRoyaume-Uni les producteurs drsquoEEE ont un objectif de collecte et de traitement des DEEEen fonction de leur part de marcheacute selon le principe de Responsabiliteacute Eacutelargie du Produc-
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CHAPITRE I1 LIMITES DES THEacuteORIES CLASSIQUES DE LA REacuteGULATION
teur (REP) sur lequel nous reviendrons plus tard Cet objectif se traduit en evidence notesagrave reacutecupeacuterer aupregraves des recycleurs et opeacuterateurs agreacuteeacutes par lrsquoEacutetat lorsque les producteurs yenvoient les deacutechets collecteacutes pour ecirctre traiteacutes En cas de non atteinte des objectifs ou desurplus drsquoevidence notes les producteurs avaient la possibiliteacute de srsquoeacutechanger les evidencenotes sur un marcheacute Le systegraveme de marcheacute eacutetait fermeacute puisque lrsquooffre drsquoevidence notessur le marcheacute repreacutesentait exactement le besoin des producteurs Ainsi les producteursexceacutedentaires drsquoevidence notes eacutetaient assureacutes de pouvoir les vendre agrave un prix fort agrave desproducteurs dans lrsquoobligation reacuteglementaire de compleacuteter leur manque de collecte Cemeacutecanisme a ainsi conduit agrave des effets drsquoaubaine par la sur-collecte deacutelibeacutereacutee de certainsproducteurs dans le but de vendre leurs evidence notes exceacutedentaires agrave prix fort Il srsquoestensuivi une surenchegravere et une hausse du coucirct de traitement qui ne refleacutetait pas la reacutealiteacuteDans ce systegraveme il eacutetait en effet plus avantageux drsquoecirctre un petit organisme de producteursavec un faible objectif permettant drsquoecirctre aiseacutement en situation drsquoexceacutedent de maniegravere agraveimposer les prix sur le marcheacute Les grands organismes se trouvaient ainsi agrave la merci desplus petits en rapport de force obligeacutes de srsquoaligner sur leurs prix (cf V33) Depuis 2013apregraves contestation drsquoun des plus grands organismes au Royaume-Uni (REPIC) le systegravemea eacuteteacute modifieacute afin de limiter ces effets drsquoaubaine Aujourdrsquohui les producteurs en manquedrsquoevidence notes doivent payer un compliance fee qui est verseacute dans un laquo pot commun raquo
Ces exemples reacutevegravelent que les lois du marcheacute incitent les agents agrave se focaliser sur larecherche de la combinaison optimale permettant de tirer un maximum de profit du sys-tegraveme au deacutetriment de la recherche collective drsquoalternatives plus durables et respectueusesde lrsquoenvironnement
Au-delagrave du problegraveme de controcircle des deacuterives du marcheacute la difficulteacute de lrsquoactiviteacute dereacutegulation se retrouve eacutegalement dans les choix de strateacutegies nationales de long terme Ilsrsquoagit drsquoinciter les acteurs eacuteconomiques vers une alternative qui va dans laquo le bon sens raquo etqui produira des effets positifs Or il peut srsquoaveacuterer qursquoen pratique des politiques environ-nementales conduisent agrave des situations inattendues menant agrave une impasse Un exempleest la politique du tout diesel qui se reflegravete dans le parc automobile franccedilais En 2015572 des voitures roulaient au gazole contre moins de 10 en 1980 (CCFA 2016) Au-jourdrsquohui reconnus comme eacutemetteurs de particules fines canceacuterogegravenes pour lrsquohommeles moteurs diesel sont fortement remis en cause (OMS 2012) Ce qui conduit le gou-vernement agrave revoir sa politique en deacutecidant par exemple de supprimer graduellementlrsquoavantage fiscal dont beacuteneacuteficie le gazole par rapport agrave lrsquoessence (Loi ndeg 2016-1918 de fi-nances rectificative pour 2016)
Une autre critique majeure des taxes de financement est qursquoen reacutealiteacute certaines ontmoins pour effet de deacutecourager les acteurs que de deacutegager des financements Dans ce casla question de la redistribution est engageacutee En ce sens la theacuteorie du laquo double dividenderaquo (PEARCE 1991) a eacuteteacute discuteacutee au deacutebut des anneacutees 2000 (BUREAU et MOUGEOT 2004)Cette theacuteorie traduit lrsquoideacutee drsquoun double beacuteneacutefice agrave la fois ayant un impact sur les compor-tements pollueurs tout en permettant un deacutegagement de recettes budgeacutetaires Lrsquoutilisa-tion des recettes eacutetant prioritairement reacuteaffecteacutee laquo hors-domaine raquo de leur revenu notam-ment en faveur de lrsquoemploi (LIPIETZ 1999) la critique soulevait la menace de transformerles taxes environnementales en instruments de pure compensation fiscale au risque deconduire agrave lrsquoinstauration de taxes nrsquoayant rien drsquoeacutecologiques En outre la question de laredistribution est primordiale car elle conditionne lrsquoacceptabiliteacute et la coheacuterence mecircmede la taxe environnementale (BUREAU et MOUGEOT 2004)
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Ainsi finalement la probleacutematique est ici tregraves proche de celle souligneacutee dans le casdes mesures reacuteglementaires la prise en compte efficace des externaliteacutes neacutecessite unemesure parfaite de lrsquoobjet agrave reacuteguler une eacutevaluation rigoureuse des beacuteneacutefices et des coucirctsdes mesures proposeacutees la connaissance drsquoeacuteventuelles alternatives ou voies prometteusesagrave explorer et lrsquoorientation des acteurs en conseacutequence Or il est incontestable que lrsquoenvi-ronnement est un domaine dans lequel les situations sont tregraves difficiles agrave eacutevaluer et ougrave lesparties prenantes sont nombreuses
Lrsquoeacutechec commun aux mesures traditionnelles qursquoelles reposent sur une action reacutega-lienne ou sur des meacutecanismes de type marcheacute est le manque drsquoincitation agrave lrsquoaction col-lective qui est essentielle en cas de situations incertaines et complexes En effet cet eacutechecrelegraveve en partie drsquoun manque drsquoapprentissage collectif inteacutegrant les inteacuterecircts de lrsquoensembledes parties prenantes (BLEISCHWITZ et collab 2004) Cette action collective ne peut sefaire qursquoen accordant une certaine confiance aux acteurs reacuteguleacutes Or dans le contexte decrise actuel du politique et du marcheacute ougrave regravegnent les conflits drsquointeacuterecircts srsquoest installeacutee unelaquo socieacuteteacute de deacutefiance raquo geacuteneacuteraliseacutee (ALGAN et collab 2007 HAROCHE 2010 MEKKI 2013)Cette meacutefiance globale des uns et des autres conduit agrave un renforcement drsquoune socieacuteteacuteindividualiseacutee entravant les capaciteacutes de coopeacuteration (ALGAN et collab 2007) En effet agravece propos Alain Peyreffite eacutecrivait laquo la socieacuteteacute de deacutefiance est une socieacuteteacute frileuse une so-cieacuteteacute ougrave la vie commune est un jeu agrave somme nulle (si tu gagnes je perds) socieacuteteacute propiceagrave la lutte des classes au mal-vivre national et international agrave lrsquoenfermement agrave lrsquoagressi-viteacute de la surveillance mutuelle La socieacuteteacute de confiance au contraire est une socieacuteteacute enexpansion gagnant-gagnant (si tu gagnes je gagne) une socieacuteteacute de solidariteacute de projetcommun drsquoouverture et drsquoeacutechange raquo (1995)
I13 Heacutegeacutemonie de la penseacutee individualiste au deacutetrimentde lrsquoaction collective
Que ce soit dans les theacuteories eacuteconomiques standards ou du droit la recherche de laresponsabiliteacute individuelle a souvent preacutevalu mettant en avant des meacutecanismes (droitsde proprieacuteteacute sanctions reacutegulation) ayant pour but drsquoaccroicirctre les responsabiliteacutes leacutegalesdes individus et lrsquoimpeacuteratif des entreprises agrave rendre compte ou agrave rendre des comptes agrave lasocieacuteteacute (ACKERMAN et STEWART 1985 SACHS 2006)
Cette individualisation du problegraveme et de la recherche de sa solution a un sens dansles situations relativement simples ougrave lrsquoincitation agrave lrsquoinnovation individuelle conduira ef-fectivement agrave lrsquoeacutemergence drsquoalternatives durables En revanche la complexiteacute des pro-blegravemes environnementaux contemporains rend caduc une telle simpliciteacute drsquoapprocheLa question nrsquoest plus tant de deacutefinir une reacuteglementation adapteacutee agrave un problegraveme claire-ment identifieacute et de sanctionner ensuite les contrevenants que drsquoamener des pollueurs agraveinventer collectivement de nouvelles solutions agrave un problegraveme mal cerneacute pour lequel lesvoies drsquoexploration possibles sont multiples (AGGERI 2000)
Or le tropisme de lrsquoincitation individuelle preacuteconiseacute par la reacuteglementation classiqueet les meacutecanismes eacuteconomiques nrsquoencouragent pas la recherche collective de lrsquoinnova-tion En effet la vision eacuteconomiste classique de lrsquoinnovation se forme autour du geacuteniedrsquoun individu cleacute et isoleacute qursquoest lrsquoentrepreneur introduit par lrsquoeacuteconomiste Joseph Schum-
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CHAPITRE I1 LIMITES DES THEacuteORIES CLASSIQUES DE LA REacuteGULATION
peter (1934) Cette approche laquo traditionnelle raquo a eacuteteacute poursuivie par les travaux drsquoArrow(1962) dans lesquels le processus drsquoinnovation eacutevoque lrsquoimage laquo drsquoune course opportu-niste au brevet par quelques investisseurs isoleacutes raquo (COHENDET et collab 2010) Dans cesapproches lrsquoinnovation est caracteacuteriseacutee principalement en termes de produits et de pro-cessus et concerne en particulier lrsquoinnovation technologique isoleacutee agrave une firme
De plus les meacutecanismes classiques reacuteglementaire et de marcheacute encouragent eacutegale-ment une vision de court terme en contradiction avec les enjeux environnementaux eacutetu-dieacutes agrave une eacutechelle de temps long En effet dans les premiegraveres deacutemarches reacuteglementairesclassiques la politique environnementale eacutetait agrave dominante laquo hygieacuteniste raquo (AGGERI 2000)ougrave la deacutegradation de lrsquoenvironnement eacutetait une menace pressante agrave reacutegler dans lrsquourgenceAgrave lrsquoinverse les probleacutematiques environnementales plus reacutecentes sont caracteacuteriseacutees pardes degreacutes drsquoincertitude drsquoinconnu et de complexiteacute extrecircmes neacutecessitant drsquoimportantscoucircts drsquoinvestissement et de concevoir la rentabiliteacute sur le temps long Crsquoest pourquoiles risques encourus peuvent difficilement ecirctre assumeacutes par un seul acteur Une actioncollective est ainsi neacutecessaire afin de partager les coucircts de mutualiser les efforts de per-mettre des synergies en matiegravere de technologies de ressources et de compeacutetences et celainscrit dans un temps long Ainsi depuis les anneacutees 2000 avec lrsquoeacutemergence de la prise encompte des geacuteneacuterations futures dans la politique environnementale par le biais du deacuteve-loppement durable lrsquoinscription du temps long dans le processus drsquoinnovation devientun objectif principal (AGGERI 2000)
Par la suite des travaux plus reacutecents en sciences sociales font relativement consen-sus sur un attrait pour la dimension collective de lrsquoinnovation dans les situations com-plexes (NTSONDEacute 2016) Certains auteurs se penchent alors sur les conditions favorablesau deacuteveloppement drsquoinnovation collective Selon Cohendet (2010) laquo le processus drsquoinno-vation collective est deacutependant du contexte raquo et impose de ce fait la mise en place drsquounenvironnement favorable (DUBOIS et collab 2014) Lrsquoenvironnement peut consister enlieux divers permettant le deacuteveloppement de lrsquoapprentissage collectif telles les commu-nauteacutes de connaissance de Michel Callon (2001) et par lrsquointeacutegration des parties prenantes(BLEISCHWITZ et collab 2004) Or le conditionnement individualiste des acteurs eacutecono-miques encourageacutes par un libre-marcheacute nrsquoest pas adapteacute agrave lrsquoeacutemergence de lieux de creacutea-tion collective notamment du fait de la preacuteeacuteminence de la politique de concurrence quiengendre et renforce une forme de rivaliteacute permanente et exacerbeacutee (HAROCHE 2010)
La politique geacuteneacuterale de concurrence de lrsquoUnion europeacuteenne est deacutefinie dans les ar-ticles 101 agrave 109 du traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion europeacuteenne (versions conso-lideacutees du traiteacute sur lrsquoUnion europeacuteenne et du traiteacute sur le fonctionnement de lrsquoUnion eu-ropeacuteenne 2012C 32601) en collaboration avec les autoriteacutes nationales Elle a pour butdrsquoassurer la protection des consommateurs et lrsquoefficaciteacute eacuteconomique en luttant contreles effets de concentrations et la concurrence fausseacutee et deacuteloyale La mise en concurrencea un sens reacuteel dans un marcheacute eacutetabli ougrave les acteurs et les produits ou services sont bienidentifieacutes Le respect de ce principe assure alors une offre optimale et une eacutequiteacute drsquoen-treacutee sur le marcheacute entre acteurs eacuteconomiques En revanche cette politique srsquoaccorde maldans le cas ougrave un marcheacute strateacutegique est agrave concevoir ougrave les besoins drsquoinvestissementsse neacutegocient sur le long terme ainsi que les capaciteacutes de recherche Cette politique nie lapossibiliteacute de mettre en place des politiques industrielles environnementales ambitieusesdans lesquelles la coopeacuteration vaut souvent mieux que lrsquohyperconcurrence (DARDOT etLAVAL 2010) En clair le paradigme de lrsquohyperconcurrence est difficilement compatible
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CHAPITRE I1 LIMITES DES THEacuteORIES CLASSIQUES DE LA REacuteGULATION
avec lrsquoeacutemergence drsquoinnovations collectives
Un exemple concret est la proceacutedure des appels drsquooffres preacuteconiseacutee par la Commis-sion europeacuteenne Elle doit ecirctre ouverte agrave tous et le contrat limiteacute dans le temps Ces condi-tions fragilisent les accords entre clients et fournisseurs En effet un fournisseur ne selancera dans de lourds investissements qursquoeacutetant assureacute de la dureacutee du contrat avec sonclient Lrsquoinvestissement est un risque et la confiance de chacun dans leurs engagementsen est un levier
Ainsi outre le besoin drsquoespaces de creacuteation collective lrsquoinnovation collective passeneacutecessairement par une coopeacuteration accrue entre acteurs une vision commune dans ladureacutee et lrsquoeacutetablissement de relation de confiance (CLAUSS 2012) Or la theacuteorie classiquede la strateacutegie dans un marcheacute concurrentiel repose selon Porter sur lrsquoacquisition drsquounavantage concurrentiel en se diffeacuterenciant de ses concurrents par lrsquoinnovation technolo-gique (1985) Cette approche de la strateacutegie conduit au sacre du secret industriel et agrave lagrande meacutefiance entre acteurs eacuteconomiques qui font obstacles agrave la recherche collectivede solutions nouvelles Michel Callon en proposant lrsquoideacutee de communauteacutes de connais-sance cherche agrave concevoir un modegravele de production collective de la connaissance danslequel un groupe drsquoindividus acceptent drsquoeacutechanger volontairement et reacuteguliegraverement surdes sujets ou des objectifs drsquointeacuterecirct commun dans un domaine de connaissance speacutecia-liseacute donneacute (BOLAND JR et TENKASI 1995) Certains parlent drsquoeacutecosystegravemes de lrsquoinnova-tion empruntant la meacutetaphore au domaine biologique qui traduit la ldquodynamique desconnaissancesrdquo qui srsquoappuie sur ldquoune synergie entre les ecirctres humains et les machinesintelligentesrdquo (MERCIER-LAURENT 2011) La logique drsquoinnovation traditionnelle est ainsideacutepasseacutee par la preacutefeacuterence pour une innovation ouverte et la volonteacute drsquoabattre des cloi-sons (NTSONDEacute 2016)
Dans ces communauteacutes ce qui prime est la confiance mutuelle Celle-ci peut ecirctre vic-time des pulsions du marcheacute ougrave la course agrave la concurrence pousse agrave se tourner toujoursvers le plus offrant et agrave rompre des engagements mais eacutegalement drsquoune laquo injustice raquo reacute-glementaire trop rigide En effet les mesures reacuteglementaires classiques ex ante peuventdeacutetruire des dynamiques collectives et ainsi devenir une menace pour les acteurs qui dece fait se deacutetourneront du projet La reacuteglementation doit pouvoir soutenir lrsquoapprentis-sage collectif et de ce fait lrsquoinnovation (JAumlNICKE et JACOB 2005) Ainsi cela exige une co-eacutevolution entre politiques publiques et initiatives priveacutees qui ne peut se concevoir qursquoencontinu (BLEISCHWITZ et collab 2004) Un exemple deacutejagrave eacutevoqueacute est celui du statut du deacute-chet qui si deacutefini de maniegravere trop rigide et figeacutee peut devenir un obstacle agrave lrsquoinnovationsur la valorisation des deacutechets
Enfin les reacutegulations classiques de type laquo hieacuterarchique raquo ou de marcheacute laissent eacutemer-ger des laquo passagers clandestins raquo et des conflits drsquointeacuterecircts eacuteconomiques ou de pouvoir quisont eacutegalement des obstacles agrave toute construction collective
En somme les modes de reacutegulations classiques de type laquo command and controlraquo et de marcheacute contiennent des deacutefaillances intrinsegraveques agrave leur nature particuliegravere-ment visibles dans les situations drsquoincertitude et de grande complexiteacute dans lesquelleslrsquoaction interventionniste ne peut ecirctre deacutetermineacutee agrave lrsquoavance Les externaliteacutes lieacutees agrave
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CHAPITRE I1 LIMITES DES THEacuteORIES CLASSIQUES DE LA REacuteGULATION
la probleacutematique des deacutechets sont nombreuses impreacutevisibles et eacutevolutives dans letemps En effet la politique de gestion des deacutechets peut deacutependre de nombreux fac-teurs tels que les deacuteveloppements technologiques les transformations des marcheacutesdes chocs externes etc De ce fait lrsquoEacutetat est limiteacute par un manque de connaissanceset de moyens pouvant conduire agrave des mesures injustes ou mal calibreacutees En effetlaquo compte tenu du niveau drsquoincertitude de la complexiteacute des problegravemes drsquoenviron-nement et de la distribution des savoirs entre de nombreux acteurs les pouvoirspublics nrsquoont plus les moyens ni les connaissances suffisantes pour construireunilateacuteralement le cadre reacuteglementaire raquo (AGGERI 2000) Quant agrave la reacutegulation parles meacutecanismes de marcheacute celle-ci reacutepond difficilement agrave la preacuteservation des bienspublics et profite principalement aux acteurs opportunistes sachant tirer avantagedes meacutecanismes de marchandisation par lrsquooffre et la demande Agrave ces deacutefaillancessrsquoajoute un tropisme de lrsquoincitation agrave lrsquoaction individuelle drsquoune vision de courtterme reacutesultant drsquoun manque de coopeacuteration durable entre les acteurs situation nonadapteacutee au besoin drsquoinnovation dans lrsquoinconnu
Pour reacutepondre agrave ces deacutefaillances de la reacutegulation classique de nouvelles formesde gouvernance ont eacutemergeacute ougrave laquo il ne srsquoagit pas seulement de contraindre et deneacutegocier mais drsquoinciter de guider de coordonner de convaincre drsquoeacuteduquer etc raquo(AGGERI 2005) Cette nouvelle raison gouvernementale repose sur des formes de co-reacutegulation ou encore de reacutegulation hybride qui sont des formes drsquoactions collectiveset de confiance reacuteciproque entre acteurs publics et priveacutes de maniegravere agrave joindre leursatouts respectifs et accroicirctre leur leacutegitimiteacute drsquoaction Dans cette approche il srsquoagit agravelrsquoEacutetat de partager la conduite politique (DUBUISSON-QUELLIER 2016) soit en laissantune place majoritaire agrave la reacutegulation volontaire et priveacutee (les critiques drsquoun tel modesont un manque de leacutegitimiteacute de transparence et drsquoefforts reacuteels) soit en deacuteleacuteguant demaniegravere stricte des compeacutetences de reacutegulation (cependant il y a un risque drsquoaccroicirctrele sentiment drsquoobscurantisme et de gouvernance technocratique) ou soit en privileacute-giant une forme hybride entre speacutecification reacuteglementaire et liberteacute de manœuvre (telun processus de responsabilisation)
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Chapitre I2
Les theacuteories institutionnelles et lanouvelle gouvernance transformationdes relations reacutegulateursreacuteguleacutes
I21 Une litteacuterature riche
En reacuteponse aux deacutefaillances de la reacutegulation classique les theacuteories institutionnelleset de la nouvelle gouvernance se sont pencheacutees sur lrsquoidentification des transformationsdes systegravemes et des logiques de la reacutegulation dans le monde contemporain au-delagrave duseul domaine de lrsquoenvironnement De nombreux travaux ont analyseacute ces transformationscomme conseacutequence agrave lrsquoapparition de grandes multinationales qui ont conduit agrave unereacute-organisation profonde des modegraveles de gouvernance (DJELIC et SAHLIN-ANDERSSON2006 EWERT et MAGGETTI 2016)
La monteacutee de logiques de privatisation de deacutereacutegulation et de libeacuteralisation de lrsquoeacutecono-mie a conduit agrave une explosion drsquoacteurs en capaciteacute de construire des regravegles drsquoinfluenceet opeacuterationnelles dans les organisations et la socieacuteteacute Non seulement de nouvelles or-ganisations ont eacutemergeacute afin de concevoir de nouvelles normes mais elles participent demaniegravere continue agrave leur eacutelaboration et agrave leur mise en oeuvre ce qui engendre des inter-actions complexes drsquoune toute autre nature entre acteurs priveacutes et publics
Ce mouvement libeacuteral srsquoest toutefois accompagneacute drsquoun deacuteclin de confiance ducirc agrave desactions opportunistes qui ont conduit agrave lrsquoexpansion drsquoactiviteacutes de controcircle et drsquoaudit par-tageacutes entre acteurs priveacutes et publics afin drsquoassurer plus de transparence (MORAN 2002)En fait cet essor de la co-construction de politique ne signifie pas un retrait de lrsquoEacutetat bienau contraire Dans cette collaboration les acteurs priveacutes et de la socieacuteteacute civile apportentune connaissance factuelle de lrsquoenjeu un engagement agrave participer agrave la solution collec-tive et une leacutegitimiteacute de lrsquointervention Lrsquoacteur public quant agrave lui apporte des fonctionsessentielles de pilotage (GUNNINGHAM 2009) Crsquoest une forme de ldquoreacutegulation conjointerdquoterme introduit par le sociologue Jean-Daniel Reynaud (2003) Elle cherche agrave combiner lareacutegulation prescrite et la reacutegulation autonome
Il existe ainsi une litteacuterature riche reacuteveacutelant cette reacute-organisation de la socieacuteteacute agrave traversla gouvernance transnationale (DJELIC et SAHLIN-ANDERSSON 2006) Cette litteacuteraturemet en avant lrsquoideacutee drsquoune co-reacutegulation faisant co-exister des formes de reacutegulations pri-veacutees et publiques (DJELIC et SAHLIN-ANDERSSON 2006 LEVI-FAUR 2011) Les travaux se
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CHAPITRE I2 LES THEacuteORIES INSTITUTIONNELLES ET LA NOUVELLEGOUVERNANCE
focalisent sur lrsquoarriveacutee croissante et la diffusion drsquoacteurs non gouvernementaux dans lesactiviteacutes de reacutegulation publique (DJELIC et SAHLIN-ANDERSSON 2006 LEVI-FAUR 2005)sur les relations complexes entre acteurs priveacutes et publics eacutemergeant de cette co-activiteacuteet sur lrsquoapparition de tiers parties (LEVI-FAUR et STAROBIN 2014) de mecircme que sur le de-greacute drsquohybriditeacute entre ces acteurs (EWERT et MAGGETTI 2016) Drsquoautres auteurs proposentdes cateacutegorisations de formes drsquohybridation entre les acteurs reposant sur la nature desparticipants (LEVI-FAUR 2011) ou sur leur rocircle respectif dans la co-activiteacute (CAFAGGI etRENDA 2012) Cependant il existe peu drsquoauteurs approchant la co-reacutegulation comme uneforme de conduite de lrsquoeacutelaboration des politiques (CAFAGGI et RENDA 2012) de ldquogou-vernement des conduitesrdquo drsquo ldquoexpression du pouvoir de lrsquoEacutetatrdquo (DUBUISSON-QUELLIER2016) ou de ldquotechnique de gouvernementrdquo entre ldquojeux de pouvoirrdquo et ldquoeacutetats de domina-tionrdquo (FOUCAULT 1984b)
Dans cette perspective il existe diffeacuterentes pratiques possibles de lrsquoEacutetat pour impli-quer les acteurs priveacutes dans le partage de lrsquoeacutelaboration des politiques et ainsi diffeacuterentesformes de co-reacutegulation (HEacuteRITIER 2002)
I22 Les diffeacuterentes formes de co-reacutegulation
I221 Forme de privatisation
Il peut srsquoagir drsquoune forme de privatisation pure de la conduite politique ougrave ce sontdes agences priveacutees qui prescrivent agrave la socieacuteteacute leurs normes et pratiques (telles que lesnormes ISO) Ce modegravele a conduit au remplacement des modes de controcircle public pardes systegravemes drsquoaudits indeacutependants priveacutes drsquoexpertise technique et scientifique (POWER1997) Ces formes permettent agrave lrsquoEacutetat drsquoimportantes eacuteconomies en matiegravere de surveillanceet de controcircle Toutefois lrsquoindeacutependance des agences priveacutees et leur transparence drsquoac-tion peuvent ecirctre contesteacutees ce qursquoa deacutemontreacute lrsquoaffaire Enron deacuteveloppeacutee plus loin
Drsquoautre part dans un systegraveme privatiseacute lrsquoactionnaire obtient une place de premierplan au deacutetriment de la qualiteacute du service fourni agrave la population Tel est notamment le caslorsqursquoil srsquoagit de privatiser des entreprises intervenant dans une industrie dite de servicepublic souvent caracteacuteriseacutee par lrsquoexistence drsquoun monopole naturel Peuvent alors eacutemer-ger des effets drsquoaubaine encourageacutes par lrsquoobjectif ultime de profitabiliteacute dans un marcheacutegeacuteneacuteraliseacute
Lrsquoexemple le plus formateur est le scandale Enron (ancienne entreprise texane de pro-duction et de transport de gaz) qui a largement profiteacute de la deacutereacuteglementation du marcheacutede lrsquoeacutenergie avec le deacuteveloppement de son activiteacute de courtage agrave caractegravere speacuteculatif Riendrsquoilleacutegal avant que cette course aux profits ne pousse lrsquoentreprise agrave ldquogonflerrdquo artificielle-ment sa valeur boursiegravere via des techniques comptables frauduleuses par la creacuteation desocieacuteteacutes offshores et des montages financiers complexes Srsquoajoute agrave cela la compliciteacute ducabinet drsquoaudit Andersen accuseacute drsquoavoir deacutetruit des documents compromettants avantune enquecircte de la Security Exchange Commission (le gendarme de la bourse ameacutericaine)Cette affaire a conduit fin 2001 agrave la faillite de la socieacuteteacute et dans son sillage au deacutemantegrave-lement du cabinet drsquoaudit
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CHAPITRE I2 LES THEacuteORIES INSTITUTIONNELLES ET LA NOUVELLEGOUVERNANCE
I222 Forme de deacuteleacutegation
Une autre forme est la Deacuteleacutegation de Service Public (DSP) Il srsquoagit drsquoun contrat ad-ministratif ldquopar lequel une personne morale de droit public confie la gestion drsquoun servicepublic dont elle a la responsabiliteacute agrave un deacuteleacutegataire public ou priveacute dont la reacutemuneacuterationest substantiellement lieacutee au reacutesultat de lrsquoexploitation du service (loi ndeg 2001-1168 du 11deacutecembre 2001 dite loi MURCEF article L1411-1 du Code geacuteneacuteral des collectiviteacutes terri-toriales) 5
Agrave la diffeacuterence des marcheacutes publics dans lesquels le paiement est inteacutegral immeacutediatet effectueacute par lrsquoacheteur public le point fondamental dans la DSP est que le deacuteleacutegatairese reacutemunegravere sur lrsquoexploitation du service En matiegravere de traitement des deacutechets meacutenagerset assimileacutes 16 des installations sont en DSP en France et 38 reacutesultent de marcheacutes pu-blics 6 Toutefois la proceacutedure de lancement de la DSP reste similaire agrave celle drsquoun marcheacutepublic qui est fondeacutee sur les principes de liberteacute drsquoaccegraves agrave la demande publique drsquoeacutegaliteacutede traitement des candidats et de transparence des proceacutedures Ces principes visent agrave eacutevi-ter tout favoritisme et agrave permettre agrave toute entiteacute de reacutepondre agrave une DSP sous conditionsdrsquoen montrer les capaciteacutes
Aussi la DSP est-elle un contrat administratif entre deux entiteacutes dans lequel le critegraverede deacuteleacutegation principal est la capaciteacute du deacuteleacutegataire agrave assurer dans de bonnes conditionsle service public que lrsquoon souhaite deacuteleacuteguer Des avantages sont lrsquoappui sur le savoir-faireindustriel et le controcircle exerceacute par la collectiviteacute En revanche la reacutedaction de ce typede contrat en matiegravere de traitement des deacutechets peut poser de grandes difficulteacutes auxcollectiviteacutes ce qui a drsquoailleurs conduit lrsquoagence de lrsquoenvironnement agrave publier un guidedrsquoaccompagnement (ADEME 2015a) En effet les collectiviteacutes ont en particulier des dif-ficulteacutes agrave fixer agrave lrsquoavance les objectifs adeacutequats ainsi qursquoagrave anticiper lrsquoensemble des probleacute-matiques pouvant apparaicirctre tout au long de la dureacutee du contrat
Drsquoautre part dans ce scheacutema la nature du deacuteleacutegataire et son rapport avec le service agravereacutealiser ne sont pas pris en compte De ce fait la DSP est une proceacutedure adapteacutee lorsquele besoin de service public nrsquoest pas la reacutesultante drsquoexternaliteacutes dues agrave une activiteacute eacutecono-mique Effectivement lorsque le service public est un besoin fondamental indispensableagrave la vie en socieacuteteacute et que le seul objectif drsquoune mise en place drsquoune DSP est preacuteciseacutementla reacutealisation efficace du service (par exemple la garantie drsquoaccegraves agrave un transport public)alors la proceacutedure de la DSP permet de seacutelectionner un deacuteleacutegataire leacutegitime qui reacutepondrade maniegravere optimale agrave cet objectif En revanche si le besoin de service public existe dufait de la preacutesence drsquoexternaliteacutes qursquoil est neacutecessaire de geacuterer alors cette forme de DSPne permettra pas drsquoinciter les acteurs eacuteconomiques responsables des externaliteacutes agrave mo-difier leur comportement En reacutealiteacute dans une telle situation la co-reacutegulation doit avoirune double fonction assurer le service public tout en incitant les acteurs agrave la source desexternaliteacutes agrave modifier leurs pratiques
On voit ainsi que la difficulteacute opeacuterationnelle de la co-reacutegulation est la mise en placedrsquoun systegraveme hybride conciliant les inteacuterecircts eacuteconomiques et environnementaux Nousverrons que pour cela il est inteacuteressant de consideacuterer lrsquoimplication et la responsabilisa-
5 Il existe drsquoautres montages juridiques pouvant srsquoapparenter agrave une forme de deacuteleacutegation tels que lesmarcheacutes publics
6 Source guide de contrats de DSP (ADEME 2015a)
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CHAPITRE I2 LES THEacuteORIES INSTITUTIONNELLES ET LA NOUVELLEGOUVERNANCE
tion des acteurs eacuteconomiques directement concerneacutes par la reacuteglementation environne-mentale
I223 Forme de co-reacutegulation responsabilisante
En effet notre eacutetude empirique a reacuteveacuteleacute un autre modegravele dans lequel lrsquoEacutetat peut vou-loir creacuteer de maniegravere cibleacutee et controcircleacutee une forme de co-reacutegulation Il srsquoagit de susciterune action collective creacuteatrice fondeacutee davantage sur la coopeacuteration que sur la concur-rence Or la coopeacuteration eacutetant ldquoune forme morale dont les principes fondamentaux sontlrsquoengagement et la responsabiliteacuterdquo (BOIDIN et collab 2009 chap5) il srsquoagit plus speacutecifi-quement de rendre responsable les acteurs reacuteguleacutes par un Eacutetat deacutetermineacute et agissant eninstrumentant les formes preacuteceacutedentes de reacutegime de gouvernement (EWERT et MAGGETTI2016) Levi-Faur (2011) identifie ainsi des modes drsquoauto-reacutegulation forceacuteerdquo (enforcedself-regulation) ou de ldquomeacuteta-reacutegulationrdquo (meta-regulation) dans lesquels le gouvernantoblige le gouverneacute agrave participer aux activiteacutes de reacutegulation dans un cadre reacuteglementairefixeacute agrave lrsquoavance qursquoil soit neacutegocieacute ou non Dans ce scheacutema il ne srsquoagit pas de contrat danslequel lrsquoEacutetat deacutelegravegue le service public agrave un acteur seacutelectionneacute par appel drsquooffres (telle laDSP) mais lrsquoEacutetat creacuteeacute une obligation de gestion du service public agrave lrsquoeacutegard des acteurs eacuteco-nomiques directement concerneacutes Ces acteurs ont ensuite la liberteacute de srsquoorganiser afin dereacutepondre agrave leurs nouvelles obligations le plus efficacement possible
En somme dans cette forme hybride lrsquoEacutetat cherche agrave rendre responsable les acteurspriveacutes agrave travers un cadre institutionnel afin que les agents eacuteconomiques proposent dessolutions nouvelles tout en respectant le cadre reacuteglementaire fixeacute au preacutealable qui peutecirctre neacutegocieacute et eacutevoluer par la suite Ces notions de responsabiliteacute et drsquoengagement sontdes concepts cleacutes dans la compreacutehension de cette forme de co-reacutegulation
La responsabiliteacute eacutetant un terme vaste et complexe (NEUBERG et collab 1997) et quia beaucoup eacutevolueacute au cours du temps (RICOEUR 1994) en concomitance avec le mou-vement drsquoindividualisation de la socieacuteteacute qui fonde le reacutefeacuterentiel deacutemocratique contem-porain (SALLES 2009) il est important de srsquoy inteacuteresser de plus pregraves (ce qui est lrsquoobjetdu chapitre suivant) Nous reviendrons eacutegalement plusieurs fois sur la probleacutematique delrsquoengagement
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Chapitre I3
La responsabiliteacute
I31 Eacutevolution de la notion de responsabiliteacute de lrsquoimputa-tion individuelle agrave une forme de socialisation
Eacutetymologiquement le mot laquoresponsableraquo apparaicirct dans la langue franccedilaise en 1284 laquole responsable est le sponsor celui qui se porte cautionraquo crsquoest laquose porter garantraquo (NEU-BERG et collab 1997 p64) Ainsi laquoecirctre responsable crsquoest prendre sur soi la dette drsquounautre dans une relation qui engage un tiersraquo Quant agrave elle la notion de laquoresponsabiliteacuteraquo aeacutemergeacute au XVIIIegraveme siegravecle en France ainsi qursquoaux Eacutetats-Unis et en Grande-Bretagne Dansle langage anglo-saxon il srsquoagissait de demander au gouvernement en place de laquorendredes comptesraquo au sens drsquo laquoaccountabilityraquo une notion tregraves difficile agrave traduire en franccedilais(LEVILLAIN 2013) La responsabiliteacute est en reacutealiteacute une notion tregraves complexe qui est inves-tie drsquoune pluraliteacute de sens Son usage explose au XXegraveme siegravecle ainsi que son champ drsquoeacutetudedans des domaines varieacutes (juridique politique moral philosophique)
En franccedilais de maniegravere courante le terme de responsabiliteacute renvoie davantage agrave la no-tion historique et juridique de lrsquoimputation ougrave il srsquoagit de deacutesigner le coupable afin qursquoilreacuteponde de sa faute (RICOEUR 1994) Cette approche suppose un lien direct entre le cou-pable de la faute et les dommages causeacutes permettant agrave la justice drsquoappliquer la sanctionadapteacutee et rendant le coupable responsable de son action Dans le Droit de la responsa-biliteacute civile traditionnel le fait geacuteneacuterateur est fondeacute sur la faute (disposition de lrsquoarticle1382) et le preacutejudice reacuteparable doit ecirctre certain (deacutejagrave subi et prouveacute) direct et deacutetermineacute(doit pouvoir ecirctre eacutevalueacute)
Avec la reacutevolution industrielle et la multiplication des accidents du travail ce lien entrele coupable et le dommage srsquoest dissout rendant les cateacutegories juridiques du Code civil de1804 inadapteacutees (EWALD 1986 [ROSANVALLON 2015 p22]) Lrsquoindustrialisation conduit agraveune deacutepersonnalisation des victimes et des coupables (CABIN 1997) Lrsquoorigine de la res-ponsabiliteacute repose alors moins sur la faute que sur le risque Crsquoest ainsi que des meacuteca-nismes assurantiels de solidariteacute se sont deacuteveloppeacutes par lrsquoanalyse statistique (GODARD1997) instaurant un reacutegime assurantiel en France et conduisant agrave une forme de sociali-sation du systegraveme de responsabiliteacute (RICOEUR 1994) Lrsquoassurance et le deacutedommagementvont alors progressivement remplacer la recherche et la punition des coupables (NEU-BERG et collab 1997 p11) On est passeacute laquodrsquoune gestion individuelle de la faute agrave unegestion socialiseacutee du risqueraquo (ENGEL 1993 p16)
Cette eacutevolution srsquoest accompagneacutee drsquoune progression du Droit avec la loi du 9 avril
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CHAPITRE I3 LA RESPONSABILITEacute
1898 creacuteant un reacutegime speacutecial drsquoindemnisation des victimes drsquoaccidents du travail (JORFdu 10 avril 1898 page 2209) Cette loi a creacuteeacute un lourd reacutegime de responsabiliteacute civile enposant la responsabiliteacute sans faute (ou encore responsabiliteacute objective) (EWALD 1986) Cerecul de la responsabiliteacute de la faute dans le cadre juridique srsquoest eacutegalement accompagneacutedrsquoune monteacutee en puissance de la dimension morale de la responsabiliteacute avec les sens delrsquolaquoagir responsableraquo et de la responsabiliteacute face agrave autrui (NEUBERG et collab 1997 p26)
Dans la premiegravere conception juridique du terme il est question drsquoune responsabiliteacutereacutetributive ougrave il srsquoagit drsquoidentifier un coupable et de le punir En revanche la seconde ap-proche se focalise davantage sur la victime et sur la reacuteparation du dommage causeacute Onparle de responsabiliteacute reacuteparatrice (BRAITHWAITE 2002 [NADEAU 2008]) Dans cette ap-proche lrsquoaccent nrsquoest plus sur la punition mais sur une reacuteparation du lien social entre lesaccuseacutes et la communauteacute En effet laquola justice reacuteparatrice a des objectifs qui vont au-delagravede la sanctionraquo (NADEAU 2008) Ewald reacutesume cette eacutevolution historique en distinguanttrois acircges du droit de la responsabiliteacute laquo celui de la responsabiliteacute proprement dite quirepose sur la faute et appelle agrave la prudence et agrave la preacutevoyance celui de la solidariteacute quisrsquoappuie sur la notion de risque et appelle agrave la preacutevention et agrave lrsquoassurance celui actuel dela seacutecuriteacute qui tend agrave la fois agrave sanctionner et agrave indemniser et qui appelle agrave la preacutecaution raquo(NEUBERG et collab 1997 p14)
I32 La responsabiliteacute dans le domaine de lrsquoenvironnement
Dans cette ligneacutee crsquoest en 1979 avec lrsquoouvrage laquo Le principe responsabiliteacute une eacutethiquepour la civilisation technologique raquo (1979) que le philosophe allemand Hans Jonas ancredeacutefinitivement la responsabiliteacute dans le domaine du deacuteveloppement durable et de lrsquoen-vironnement Ce principe souligne la responsabiliteacute de lrsquohomme face agrave lrsquohumaniteacute Laresponsabiliteacute jonassienne se deacutetache de la responsabiliteacute-imputabiliteacute pour revendiquerune ideacutee morale et meacutetaphysique dans laquelle lrsquohomme est responsable pour autrui etdevant lrsquoavenir (HANSEN-LOslashVE 2017) Les diffeacuterentes notions de la responsabiliteacute se re-trouvent dans les principes geacuteneacuteraux du Droit de lrsquoenvironnement (Loi ndeg 95-101 du 2 feacute-vrier 1995 relative au renforcement de la protection de lrsquoenvironnement dite Loi Barnier) principes de preacutevention de preacutecaution drsquoinformation et de participation des citoyens etde laquo pollueur-payeur raquo Alors que les trois premiegraveres notions font davantage reacutefeacuterence agravedes actions anticipatrices le principe du laquo pollueur-payeur raquo repose sur des mesures agraveposteriori (la reacuteparation)
Aujourdrsquohui lrsquoapproche par la responsabiliteacute se confirme dans le domaine de lrsquoenvi-ronnement car elle reacutepond agrave un eacutechec des politiques environnementales classiques et agraveune difficulteacute agrave gouverner les problegravemes drsquoenvironnement (SALLES 2009) Dans des cascomplexes lrsquoapplication de la responsabiliteacute reacutetributive est en effet relativement limiteacuteepuisque la pollution est diffuse et les coupables difficilement identifiables En geacuteneacuteral laresponsabiliteacute est collective et la solution est une combinaison drsquoeacuteleacutements agrave instaurer surle temps long Les principes de lutte agrave la source sont alors davantage privileacutegieacutes (KROE-PELIEN 2000) Par exemple dans cette optique il srsquoagit moins de reacuteduire les rejets et leseacutemissions polluantes des sites drsquoeacutelimination et drsquoincineacuteration que drsquoinciter agrave la fabrica-tion de produits mieux reacuteparables et recyclables pour limiter la production de deacutechetsultimes Ainsi drsquoune politique de gestion des pollutions on passe agrave une politique de preacute-vention (HACHE 2007)
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CHAPITRE I3 LA RESPONSABILITEacute
I33 La responsabiliteacute environnementale institutionnali-seacutee par un processus de responsabilisation
La lutte agrave la source passe par un long processus de responsabilisation des acteursdans le but de preacutevenir les dommages Lrsquoapproche neacuteolibeacuterale de ce processus met enavant le mouvement drsquoindividualisation et de libeacuteration de la socieacuteteacute depuis les anneacutees70 ougrave il srsquoagit de rendre responsable tout un chacun pour un monde meilleur de le rendreresponsable en lui donnant les laquo capaciteacutes de raquo telle une laquo responsabilisation libeacutera-trice raquo (du terme anglo-saxon empowerment) (CAPOCCI 2015) Lrsquoapproche par les ca-pabiliteacutes (capabilities) au deacutebut des anneacutees 2000 reacutepond agrave ce processus de responsa-bilisation en proposant un concept au-delagrave de la laquo capaciteacute ou compeacutetence raquo puisqursquoilretrace laquo non seulement ce qursquoun acteur peut effectivement faire (crsquoest-agrave-dire sa capaciteacuteactuelle) mais aussi ce qursquoil pourrait reacutealiser srsquoil le souhaite [ ] (autrement dit sa capa-citeacute potentielle) raquo (RANDRIANASOLO-RAKOTOBE et collab 2014) Le recours agrave la respon-sabiliteacute apparaicirct comme une forme de leacutegitimation et drsquoinstrumentation des politiquesdrsquoenvironnement (SALLES 2009) ougrave le pouvoir drsquoagir est partageacute avec les reacuteguleacutes en leurdonnant les capaciteacutes juridiques et eacuteconomiques pour proposer des solutions respon-sables Est alors responsable laquo celui qui est capable de faire (et de tenir) des promesses raquo(NEUBERG et collab 1997)
I34 Le processus de responsabilisation au-delagrave drsquoun simplemouvement drsquoindividualisation
Cependant certains auteurs critiquent la reacuteduction du processus de responsabilisa-tion agrave un mouvement drsquoindividualisation neacutegligeant les interdeacutependances entre les in-dividus (CAPOCCI 2015) conduisant agrave une responsabiliteacute ineacutegalitariste (HACHE 2007)En effet selon Franccedilois Ewald laquo la responsabiliteacute nrsquoest pas individualiste mais altruiste raquo(NEUBERG et collab 1997 p64) En reacutealiteacute crsquoest bien la conception moderne qui deacutefinitla responsabiliteacute comme laquo une protection de la sphegravere priveacutee individuelle raquo Ces auteursrefusent ainsi lrsquoemprise neacuteolibeacuterale qui procircne lrsquooptimum social par la somme drsquoactionsindividuelles et qui fait oublier la neacutecessiteacute du mouvement collectif Or laquo un changementcollectif visant plus de justice et drsquoeacutegaliteacute ne peut ecirctre atteint par la somme des change-ments individuels raquo (CAPOCCI 2015) La lutte pour un changement global des compor-tements des individus et pour le deacuteveloppement drsquoalternatives responsables drsquoinitiativespriveacutees ou citoyennes ne peut se faire sans une approche de la responsabiliteacute inteacutegrant lecollectif dans son ensemble La responsabiliteacute se manifeste ainsi par lrsquo laquo institutionnali-sation des dispositifs de participation des parties prenantes au deacutecision concernant leurenvironnement raquo (SALLES 2009) soulignant un renouveau de deacutemocratie et de solidariteacuteau-delagrave drsquoune individualisation eacutegoiumlste
Finalement agrave travers la notion de responsabiliteacute co-existent deux aspects laquo toujoursproches lrsquoun de lrsquoautre et souvent mal distingueacutes raquo que sont laquo une responsabiliteacute in-dividualiste au sens de ne pas nuire agrave autrui et [drsquo] une responsabiliteacute essentiellementaltruiste qui consiste agrave se porter garant drsquoun autre raquo (NEUBERG et collab 1997) Il existealors diffeacuterents sens au processus de responsabilisation (SALLES 2009) Il peut srsquoagir drsquounetechnique de gouvernement et drsquoun instrument drsquoune domination neacuteolibeacuterale srsquoappuyantsur les travaux de Foucault (2004) sur la conduite des politiques et sur un Eacutetat prescrip-teur Un deuxiegraveme sens existe faisant du processus de responsabilisation une reacuteponse
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CHAPITRE I3 LA RESPONSABILITEacute
collective aux difficulteacutes de gouvernabiliteacute des situations marqueacutees par lrsquoincertitude et lesrisques Cette approche souligne la volonteacute de rechercher une leacutegitimiteacute de lrsquoaction pu-blique un renouveau de deacutemocratie et une reacutegulation par les parties prenantes Enfin leprocessus de responsabilisation peut ecirctre assimileacute agrave un processus de construction identi-taire (SALLES 2009)
I35 Lien entre responsabiliteacutes individuelle et collective
Se pose alors la question du lien entre les responsabiliteacutes individuelle et collective Cequestionnement ne doit pas conduire agrave des affirmations exclusives En effet selon Chris-tian Nadeau lrsquoideacutee de responsabiliteacute collective nrsquoempecircche en aucun cas de penser la res-ponsabiliteacute individuelle (2008) De ce fait les diffeacuterentes interpreacutetations du processus deresponsabilisation doivent ecirctre comprises comme un ensemble non dissociable (SALLES2009) afin de pouvoir saisir lrsquointeacutegriteacute du concept de responsabiliteacute dans le domaine delrsquoenvironnement
Or alors que la responsabilisation comme processus drsquoindividualisation a eacuteteacute le fon-dement du mouvement neacuteolibeacuteral la deacutemarche collective de la responsabiliteacute commeforme drsquointervention publique a susciteacute peu drsquoattention Notamment dans le champ delrsquoinnovation responsable qui a porteacute peu drsquoimportance aux deacutemarches collectives (NT-SONDEacute 2016) Cela ne signifie pas toutefois que la responsabiliteacute collective soit un conceptnouveau En effet des exemples de responsabiliteacute collective ont existeacute depuis lrsquoeacutepoqueromaine (MICELI et collab 2013) Cependant ceux-ci conccediloivent une responsabiliteacute col-lective restreinte au sens punitif puisqursquoelle repose sur des outils juridiques permettantde condamner des groupes indirectement coupables drsquoun dommage causeacute En revanchela responsabiliteacute collective au sens solidaire du terme ougrave lrsquoideacutee est drsquoencourager une prisede conscience collective et de mettre en capaciteacute des acteurs par un processus de respon-sabilisation est relativement reacutecente
Tracy Isaacs a quant agrave elle traiteacute les questions de la responsabiliteacute individuelle et col-lective par une approche philosophique Elle distingue la responsabiliteacute collective reacutetros-pective ougrave sont reacutetribueacutes les acteurs en fonction des impacts (positifs ou neacutegatifs) passeacutesoccasionneacutes agrave la socieacuteteacute de la responsabiliteacute collective prospective qui projette les res-ponsabiliteacutes dans lrsquoavenir par la mise en place drsquoobligations futures (2014) Cette distinc-tion renvoie aux distinctions classiques entre laquo lrsquoagir responsable raquo et avoir des respon-sabiliteacutes (des obligations) pour atteindre un objectif (DEMEESTERE 2001) Isaacs suggegravereque dans les situations de grande incertitude ougrave la somme drsquoactions individuelles isoleacuteesne peut reacutepondre agrave la probleacutematique urgente il est preacutefeacuterable de penser en termes drsquoobli-gations futures du collectif pour faire eacutemerger une solution collective Elle distingue alorsles situations claires ougrave la solution collective est connue et le collectif devant y reacutepondrenaturellement deacutesigneacute Dans ces cas simples la coordination collective pour reacutepondreaux obligations du groupe sera relativement eacutevidente et permettra de guider lrsquoaction in-dividuelle dans lrsquoatteinte de lrsquoobjectif collectif Le lien entre action individuelle et actioncollective est alors relativement simple mecircme si elles se situent agrave des niveaux drsquoactionsdiffeacuterents En revanche ces situations de grande clarteacute nrsquoexistent pas toujours
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CHAPITRE I3 LA RESPONSABILITEacute
I36 Relations concurrentes entre responsabiliteacutes individuelleet collective en situation complexe importance ducommon purpose
Dans les probleacutematiques globales contemporaines la solution ne peut ecirctre que col-lective mais la complexiteacute des situations rend lrsquoengrenage eacutequilibrant action collective etaction individuelle moins automatique (DEMEESTERE 2001) Isaacs insiste alors sur deuxfacteurs (2014) En premier elle souligne lrsquoimportance du common purpose 7 qui lieles acteurs drsquoun groupe si une organisation collective ne se distingue pas au preacutealablenaturellement (sous forme drsquoune association drsquoune entreprise ou autre) Elle parle degoal-oriented collectives qui sont alors moins structureacutees que des organisations institu-tionnaliseacutees mais partagent une mecircme compreacutehension un objectif commun et des in-tentions collectives qui peuvent diffeacuterer des inteacuterecircts pris individuellement En ce sens ilfaut comprendre la notion de responsabiliteacute comme laquo une de ces vertus morales capablesde fonder une eacutethique commune [ie le common purpose] et de servir de guide agrave lrsquoactionindividuelle raquo (NEUBERG et collab 1997 p10) Deuxiegravemement lrsquoauteure souligne lrsquoim-portance de la relation entre les approches reacutetrospective et prospective de la responsa-biliteacute Elle cautionne ainsi la neacutecessiteacute de srsquoappuyer sur lrsquoeacutevaluation des rocircles historiquesdes acteurs dans la probleacutematique afin de former et de deacutesigner un collectif consideacutereacuteplus responsable que drsquoautres De ce fait ce collectif sera plus leacutegitime agrave se voir imposerdes obligations futures
I37 La responsabiliteacute collective en pratique
Se pose malgreacute tout la question de la mobilisation du collectif ainsi formeacute De ce faitau-delagrave du manque de travaux sur le lien entre responsabiliteacute collective et responsabiliteacuteindividuelle la mise en œuvre de la responsabiliteacute collective neacutecessite eacutegalement davan-tage drsquoattention En effet la gestion drsquoun collectif geacutenegravere des problegravemes intrinsegraveques lieacutesagrave lrsquoaction collective (la trageacutedie de lrsquoaction collective la probleacutematique du passager clan-destin) srsquoajoutant aux questions de responsabiliteacutes Demeestegravere souligne la difficulteacute dumanagement de la responsabiliteacute au sein drsquoune organisation structureacutee (DEMEESTERE2001) Qursquoen est-il alors pour une responsabiliteacute collective reposant sur un groupe arbi-trairement deacutesigneacute La deacutesignation drsquoun laquo common purpose raquo devient alors un eacuteleacutementcleacute ainsi que le degreacute de ferveur agrave lrsquoengagement des acteurs agrave lrsquoaction solidaire
Ainsi dans une premiegravere approche neacuteo-classique le processus de responsabilisa-tion tend agrave rendre chacun maicirctre de son destin et en capaciteacute drsquoatteindre ses objec-tifs personnels Dans une conception plus collective et solidaire il srsquoagit de donnerla capaciteacute agrave un collectif drsquoatteindre un destin commun Cette approche est drsquoautantplus pertinente dans les probleacutematiques complexes contemporaines que la solutionne peut ecirctre que collective La responsabiliteacute collective repose ainsi moins sur le fait dechercher des coupables que drsquoencourager lrsquoaction individuelle au service de lrsquoactioncollective Les pouvoirs publics ont ainsi un dispositif inteacuteressant agrave saisir Il srsquoagit degraves
7 La notion de common purpose a eacuteteacute introduite par Chester Barnard un des fondateurs de la theacuteoriedes organisations agrave travers The Functions of the Executive (1938)
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CHAPITRE I3 LA RESPONSABILITEacute
lors de fonder une eacutethique commune institueacutee en pratique par une organisation col-lective permettant de servir de guide agrave lrsquoaction individuelle Le processus de respon-sabilisation en tant que dispositif public consiste alors agrave la fois agrave deacutesigner un collectifleacutegitime et agrave concevoir leur destin commun Il srsquoagit ensuite de comprendre quels sontles principes permettant une mobilisation du collectif deacutesigneacute un maintien de lrsquoen-gagement des acteurs dans le laquo common purpose raquo et un eacutequilibre entre responsabi-liteacutes individuelle et collective En reacutesumeacute il srsquoagit de comprendre la mise en pratiquede la responsabiliteacute collective Le cas de la REP est en cela un cas drsquoeacutetude particuliegravere-ment pertinent offrant agrave la fois lrsquoobservation drsquoune laquo technique politique raquo (NEUBERG
et collab 1997) de la responsabilisation et la possibiliteacute drsquoapprofondir la theacuteorisationde la responsabiliteacute collective et de son articulation avec la responsabiliteacute individuelle
I38 Quelques points cleacutes afin drsquoaborder la pratique de laresponsabiliteacute collective
Un premier point est la neacutecessiteacute drsquoeacutelargir le cercle jusque-lagrave restreint de discussiondes deacutecisions de reacutegulation agrave lrsquoensemble des parties prenantes Dans le cas de la poli-tique deacutechet le systegraveme historiquement centraliseacute a eacutevolueacute par un processus de respon-sabilisation en une politique deacutecentraliseacutee multipliant les espaces de dialogue et utilisantles meacutecanismes de concertation de deacutelibeacuteration et de neacutegociation (HALPERN 2014) Laconception de la reacutegulation nrsquoappartient alors plus agrave un comiteacute restreint entre experts etpouvoirs publics mais srsquoouvre agrave de nouveaux acteurs (acteurs priveacutes socieacuteteacute civile) en unreacutegime de la coopeacuteration exploratoire (AGGERI 2005) Dans laquo Agir dans un monde incer-tain raquo les auteurs explorent la laquo deacutemocratie dialogique raquo rendue possible par lrsquoeacutemergencede laquo forums hybrides raquo qui sont des laquo espaces ouverts raquo ougrave laquo des groupes peuvent se mo-biliser pour deacutebattre des choix techniques qui engagent le collectif raquo (CALLON et collab2001) Ces eacutechanges permettent la constitution drsquoun laquo apprentissage commun raquo contri-buant agrave lrsquoeacutelaboration du monde commun
Un second point peut ecirctre de puiser les conditions drsquoune mise en pratique de la res-ponsabiliteacute collective dans les theacuteories institutionnelles notamment agrave travers les travauxdu prix Nobel drsquoeacuteconomie Elinor Ostrom (2009) concernant ses recherches sur la gouver-nance des ressources naturelles (OSTROM 1990 traduit en franccedilais OSTROM et BAECHLER2010) Au cours de sa carriegravere elle a eacuteteacute ameneacutee agrave eacutetudier des auto-organisations de com-moners (les usagers drsquoune ressource naturelle commune) qui srsquoeacutetaient auto-responsabilliseacutescollectivement afin de mettre en place un dispositif soutenable de gestion de la ressourcenaturelle qursquoils partagent Nous discuterons plus loin des apports de ses travaux Une re-marque seulement est le fait que la constitution de ces organisations srsquoest faite sponta-neacutement en dehors de toute intervention de lrsquoEacutetat Lrsquoauteure souligne simplement la neacute-cessiteacute drsquoune reconnaissance par lrsquoEacutetat de ces systegravemes afin de leur assurer une certaineleacutegitimiteacute Dans le cas de la co-reacutegulation crsquoest bien lrsquoEacutetat qui initie la formation du col-lectif responsable et qui encadre le dispositif drsquoauto-gestion des acteurs reacuteguleacutes Dans laprobleacutematique contemporaine des laquo communs raquo qui connaicirct un renouveau important(CORIAT et collab 2015 DARDOT et LAVAL 2010) le dualisme Eacutetat-marcheacute a eacuteteacute le moinstraiteacute derriegravere les theacutematiques de deacutefinitions du concept des modes drsquoaction des collec-tifs et des fondements et statuts juridiques des laquo communs raquo (FOFACK et MOREgraveRE 2016)
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CHAPITRE I3 LA RESPONSABILITEacute
Aussi la pratique de la responsabiliteacute collective est-elle deacutejagrave observable dans certainsmilieux et plutocirct effective (EWERT et MAGGETTI 2016) La mobilisation de cette approchepar lrsquoEacutetat en tant que forme drsquointervention publique a ainsi un inteacuterecirct significatif dans lecas de situations complexes et incertaines ougrave il srsquoagit drsquoencourager lrsquoeacutemergence drsquoune so-lution collective
Un troisiegraveme point est alors agrave relever Contrairement agrave des mouvements procircnant desmodes de reacutegulation en dehors de lrsquoaction reacutegalienne ou de type marcheacute (tels les cou-rants de philosophie de lrsquoanarchie deacutefendant lrsquoideacutee de lrsquoabsence drsquoune structure de pou-voir 8) la co-reacutegulation repose sur les effets synergiques drsquoun processus de responsabi-lisation drsquoacteurs eacuteconomiques en interaction continue avec lrsquoEacutetat Or il existe peu detravaux traitant des dynamiques synergiques des systegravemes de co-reacutegulation En effet laplupart des eacutetudes concernant la co-reacutegulation se focalisent sur la nature des acteurs etneacutegligent les influences et interactions reacuteciproques les transformations et reacuteinventionsqui sont susceptibles de se produire au sein du dispositif ainsi que la force de lrsquoaccordldquogagnant-gagnantrdquo dans lrsquoaccroissement des gains de chaque partie (DJELIC et SAHLIN-ANDERSSON 2006) Dans cette approche le mode de co-reacutegulation sera abordeacute commeune partie de la solution et non comme une source de problegravemes reacutesultant drsquoune libeacutera-lisation non controcircleacutee (CAFAGGI et RENDA 2012)
Ces points permettent ainsi de souligner lrsquoimportance de mobiliser simultaneacutement etde maniegravere longitudinale les logiques de la conception collective proposeacutees par ArmandHatchuel (AGGERI 2005) que sont la construction de la valeur sociale (reconstructiondrsquoun inteacuterecirct geacuteneacuteral) le projet collectif public (mode de gouvernement) et la rechercheassocieacutee (exploration expeacuterimentation) (HATCHUEL 2001)
Toutefois il est important de garder agrave lrsquoesprit que rendre responsable des acteurs pri-veacutes srsquoaccompagne drsquoune mise en capaciteacute de pouvoir et ainsi drsquoun risque de creacuteer desconditions favorables agrave lrsquoapparition de comportements opportunistes ce qui srsquoest effec-tivement produit dans le cas de la crise financiegravere mondiale de 2008 (CAFAGGI et RENDA2012)
I39 Les risques potentiels et difficulteacutes de la co-reacutegulationen pratique
Les risques drsquoimpliquer des acteurs eacuteconomiques sont multiples et seacuterieux (EWERT etMAGGETTI 2016) conflits drsquointeacuterecirct mise en application et transparence insuffisantesmanque de surveillance de la conformiteacute (CAFAGGI et RENDA 2012) repreacutesentativiteacute in-eacutegalitaire et difficulteacute de coordination drsquoune multipliciteacute drsquoacteurs (EWERT et MAGGETTI2016) risque drsquoopportunisme et drsquoinfluence par le marcheacute des politiques publiques (AG-GERI 2005) non-exhaustiviteacute des acteurs impliqueacutes et risques drsquoobjectifs sous-eacutevalueacutes(HEacuteRITIER 2002)
Ces risques deacutecoulent drsquoune difficulteacute de piloter lrsquoimplication dans la conduite de gou-vernement drsquoacteurs eacuteconomiques assujettis aux lois du marcheacute Il existe un enjeu reacuteel
8 Courant de penseacutee revendiqueacute pour la premiegravere fois par lrsquointellectuel Pierre-Joseph Proudon en 1840dans son meacutemoire Qursquoest-ce que la proprieacuteteacute
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CHAPITRE I3 LA RESPONSABILITEacute
drsquoeacutequilibrage entre faire participer des acteurs priveacutes et limiter autant que faire se peutlrsquoeacutemergence des conflits drsquointeacuterecircts Cette difficulteacute repose principalement sur la ldquovarieacuteteacutedes formes drsquoobjectivation des gouverneacutesrdquo (AGGERI 2005) En effet Aggeri souligne lrsquoam-bivalence de la place des entreprises qui sont ldquotantocirct des partenaires avec qui il faut co-opeacuterer tantocirct des innovateurs qursquoil faut encourager tantocirct des pollueurs qursquoil faut com-battre tantocirct des passagers clandestins qursquoil faut remettre sur le droit chemin ou tantocirctdes agents qursquoil faut eacuteduquerrdquo (2005)
Un exemple reacutecent est lrsquoaffaire du dieselgate Pendant des deacutecennies lrsquoEacutetat franccedilaisa privileacutegieacute lrsquoutilisation du diesel afin de favoriser la compeacutetitiviteacute des constructeurs fran-ccedilais en mettant en place des mesures fiscales avantageant le gazole par rapport agrave lrsquoes-sence Les raisons sont historiques et strateacutegiques Drsquoune part la monteacutee en puissancedu nucleacuteaire franccedilais dans les anneacutees 70 dans la production drsquoeacutelectriciteacute remplace pro-gressivement le chauffage au fioul creacuteant alors un exceacutedent pouvant ecirctre valoriseacute en die-sel Drsquoautre part le premier choc peacutetrolier et lrsquoaugmentation du prix du peacutetrole alignentalors les divers inteacuterecircts entre les raffineurs les constructeurs et les consommateurs fran-ccedilais conduisant les autoriteacutes dans une politique strateacutegique du tout diesel Alors que lediesel est reconnu pour ecirctre un eacutemetteur faible en CO2 agrave partir des anneacutees 80 eacutemerge lapollution aux particules fines Des seuils drsquoeacutemission seront alors imposeacutes obligeant les in-dustriels agrave drsquoimportants investissements et menaccedilant le rencheacuterissement du prix des veacute-hicules Srsquoorganise alors un systegraveme de fraude geacuteneacuteraliseacute dans lequel la vigilance des reacute-gulateurs semble contestable reacuteveacutelant une forme de ldquologique drsquoaccommodation ougrave lrsquoap-plication des normes se neacutegocie en fonction drsquoenjeux industriels et eacuteconomiques reacuteputeacutessupeacuterieurs (AGGERI 2017) Cet exemple reacutevegravele ainsi le risque drsquoune place trop impor-tante des industriels dans les deacutecisions politiques environnementales pouvant conduireagrave des impasses politiques et eacuteconomiques forccedilant les reacutegulateurs agrave une forme de conci-liation aveugle et deacuteviante
Les probleacutematiques observeacutees sont eacutegalement agrave relier agrave la trageacutedie de lrsquoaction collec-tive et du passager clandestin (OLSON 1965) En effet Mancur Olson souligne eacutegalementle facteur drsquoinfluence de la taille du groupe sur la dynamique collective Plus le nombredrsquoacteurs est important plus la tendance sera agrave une minimisation des efforts individuelspour une maximisation des beacuteneacutefices soutireacutes de la collaboration Un reacutesultat peut alorsecirctre lrsquoinaction et lrsquoinertie collective
Les grands groupes peuvent conduire eacutegalement agrave un risque de deacuteresponsabilisa-tion Christian Nadeau soulegraveve une limite de la responsabiliteacute reacuteparative qui peut srsquoac-compagner drsquoune dilution de la responsabiliteacute individuelle (NADEAU 2008) Cela est ob-servable depuis longtemps dans les meacutecanismes assurantiels ougrave il existe une socialisa-tion du risque De nombreux exemples de crises environnementales (mareacutees noires troudrsquoozone) illustrent en effet bien le constat que ldquosi les capaciteacutes strateacutegiques des acteurssont plus distribueacutees cette distribution conduit le plus souvent agrave un enlisement et unedilution des responsabiliteacutesrdquo (AGGERI 2005) Plus reacutecemment la crise financiegravere des sub-primes de 2008 a mis en exergue la critique drsquoun dispositif financier permettant une indi-vidualisation des profits (par un systegraveme de financiarisation et de speacuteculation capitalis-tique) tout en assurant une socialisation du risque (par lrsquointervention forceacutee des banquescentrales en cas de crise du systegraveme)
Il faut ainsi ne pas tomber dans un laquo discours incantatoire raquo usant de lrsquoimpreacutecision
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CHAPITRE I3 LA RESPONSABILITEacute
de la notion de responsabiliteacute de telle maniegravere agrave en faire une sorte de laquo vertu incolore etpasse-partout raquo (NEUBERG et collab 1997 p26) Neuberg met ainsi le lecteur en gardelaquo ne nous leurrons pas ou bien le discours incantatoire de la responsabiliteacute peut se tra-duire en une exigence de renaissance des qualiteacutes preacuteciteacutees [comme le sens civique lepatriotisme la chariteacute la bienveillance] ou bien il ne peut se traduire en rien de cela etnrsquoest qursquoune coquille vide raquo Lrsquoenjeu se retrouve donc dans la mise en œuvre drsquoune co-reacutegulation reposant sur une responsabiliteacute laquo veacuteritable raquo fondeacutee et non drsquolaquo illusion raquo
Heacuteritier a ainsi souligneacute la complexiteacute de la mise en oeuvre drsquoune co-reacutegulation eta identifieacute quelques conditions neacutecessaires ldquoThe new modes of governance would haveto rely on an entire infrastructure aimed at establishing the following conditions the rightincentives for those bearing the costs of regulation the right participatory structure for sha-ping the instruments so that all those affected have a voice in shaping them the guaranteeof legal certainty and the possibility to hold actors accountable for the consequences ofparticular actions Hence as easy as the new modes of governance may seem at first glancewhen they are analyzed in detail it becomes clear that they are more demanding than ex-pectedrdquo (HEacuteRITIER 2002)
Lrsquoenjeu pour les pouvoirs publics est ainsi de devoir garder le controcircle du sys-tegraveme de semi-autogestion tout en renouvelant continuellement la motivation etlrsquoengagement des acteurs priveacutes dans la reacutealisation du laquo common purpose raquo Ainsimettre en place une telle politique nrsquoest pas chose facile Comme lrsquoa souligneacute MarcNeuberg laquo la responsabilisation des individus nrsquoest pas une opeacuteration morale crsquoestune technique politique raquo (NEUBERG et collab 1997 p29) Drsquoautant plus que cettepratique se situe en dehors des cadres des theacuteories classiques sur la reacutegulation Ilest ainsi important de srsquoappuyer sur des cas concrets pour comprendre la leacutegitimiteacuteet pour reacuteveacuteler le potentiel et la logique de ce mode de reacutegulation ainsi que ses limites
Dans cette optique il est inteacuteressant de faire une transition vers les formes drsquoauto-organisation les plus purs afin drsquoen relever des principes pouvant ecirctre utiles aux cashybrides Dans le prochain chapitre nous allons donc nous inteacuteresser agrave lrsquoexemple deacutejagraveeacutevoqueacute de la gouvernance des ressources naturelles comme modegravele drsquoaction collec-tive auto-geacutereacutee
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Chapitre I4
Theacuteories des communs
La responsabilisation individuelle est relativement simple agrave concevoir et les meacuteca-nismes incitatifs sont bien connus des eacuteconomistes La difficulteacute est la responsabilisa-tion drsquoun ensemble drsquoacteurs qui pose les questions de la mobilisation et de la moti-vation drsquoun groupe ainsi que de la convergence des inteacuterecircts divergents vers un objectifcommun Dans la theacuteorie institutionnelle diffeacuterents auteurs tels que le prix Nobel Eli-nor Ostrom ont souligneacute lrsquoimportance de la responsabiliteacute collective dans les probleacute-matiques qui mettent en jeu la gouvernance de communs crsquoest-agrave-dire caracteacuteriseacutees pardes interdeacutependances fortes et la preacuteservation de ressources communes (OSTROM 1990)Dans lrsquoapproche drsquoOstrom la responsabiliteacute collective ne neacutecessite pas toujours lrsquointer-vention de lrsquoEacutetat Elle analyse des situations dans lesquelles des formes collectives drsquoauto-gouvernance se mettent en place par des communauteacutes afin de geacuterer des ressources com-munes Lrsquohypothegravese alors faite est que ces communauteacutes preacuteexistent agrave lrsquoaction collectiveet que les communs sont clairement identifiables Dans cette approche les regravegles sontconccedilues mises en place et controcircleacutees en dehors du systegraveme eacutetatique Or pour certainsauteurs ou acteurs de la socieacuteteacute civile de telles pratiques encourent le risque drsquoune cap-tation de la reacutegulation et devraient ecirctre limiteacutees (LAFFONT et TIROLE 1993)
De ce fait le cadre drsquoOstrom ne permet pas de traiter toutes les situations possiblesde gouvernance des communs Comme nous lrsquoavons deacutejagrave eacutevoqueacute les pouvoirs publicspeuvent faire le choix politique de contraindre eux-mecircmes les acteurs priveacutes agrave srsquoengagerdans une cause drsquointeacuterecirct geacuteneacuterale et en ce sens les communs peuvent eacutegalement reacutesulterdrsquoune initiative publique cibleacutee
En Europe la mise en place drsquoune politique deacutechet est neacutegocieacutee avec les acteurs eacuteco-nomiques et les parties prenantes Pour certains flux de deacutechets les producteurs sont deacute-signeacutes responsables collectivement pour la gestion des deacutechets et leur valorisation Cettedeacutesignation par les pouvoirs publics constitue de fait la creacuteation drsquoun laquo common pur-pose raquo Ces communs peuvent ne pas ecirctre tregraves clairs au deacutepart en raison de fortes incerti-tudes dans le choix des actions agrave mener drsquoune valeur non directement perceptible et defortes interdeacutependances De plus les communauteacutes laquo naturelles raquo drsquousagers de ces com-muns et les eacutecosystegravemes les supportant peuvent ne pas preacuteexister agrave lrsquoaction collective etdevront justement en deacutecouler Dans ce contexte la co-reacutegulation semble avoir un poten-tiel de valeur inteacuteressant pouvant reacutepondre agrave ces problegravemes complexes et dynamiquesCependant la question persiste sur la mise en œuvre de la co-reacutegulation Un deacutebut dereacuteponse se trouve dans les travaux drsquoOstrom qui a proposeacute des principes de gouvernancedes ressources communes mais ceux-ci en dehors de lrsquoEacutetat Lrsquoenjeu consiste alors agrave adap-
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
ter ce cadre theacuteorique agrave lrsquoanalyse de la co-reacutegulation dans la gestion des deacutechets
I41 Petite histoire des ressources communes
Des exemples drsquoexploitation collective de ressources communes peuvent ecirctre retrou-veacutes degraves le Moyen Acircge ougrave lrsquoeacuteconomie reposait en grande partie sur lrsquoagriculture des reacute-gions rurales La condition de soutenabiliteacute des exploitations agricoles eacutetait un enjeu desurvie pour les habitants (BERGE et MCKEAN 2015) conduisant agrave des formes spontaneacuteesde solidariteacute Il existait alors des reacutegimes feacuteodaux de mise agrave disposition de biens commu-naux reacutegissant la gestion collective des ressources naturelles Ainsi par exemple suite agrave laGrande Charte (Magna Carta 9) de 1215 suivie par la Charte de la Forecirct (Carta Forestae 10)imposeacutees au roi anglais Jean sans Terre par le haut clergeacute et les barons souleveacutes contre luiles forecircts royales en Grande Bretagne furent ouvertes agrave lrsquoexploitation par les tenanciers les paysans qui exploitaient les terres seigneuriales contre le versement de redevancesCes accords drsquoaccegraves partageacutes permettaient lrsquoentretien des forecircts Il srsquoagissait de chasser lepetit gibier de glaner les branchages de ramasser la tourbe et cela selon des regravegles seacutecu-laires La Charte srsquoappliquait eacutegalement aux parcelles agraires qui offraient aux paysansdes herbages sauvages leur permettant de nourrir leurs becirctes
Au 18egraveme siegravecle avec la modernisation des socieacuteteacutes et lrsquoavegravenement de la penseacutee capi-taliste de riches fortunes ont eacutemergeacute cherchant agrave privatiser et agrave clocircturer les terres afindrsquoen rationaliser lrsquoexploitation et drsquoen optimiser et drsquointensifier les rendements Ce mou-vement laquo drsquoenclosure raquo (BECKETT et SANCONIE 1999) srsquoest intensifieacute avec la reacutevolutionindustrielle et le deacuteveloppement de nouveaux outils et techniques Ce bouleversement aconduit agrave un important exode rural des petits fermiers et habitants qui subsistaient delrsquoutilisation de ces espaces communs contraints agrave preacutesent drsquoeacutemigrer en ville pour vendreleur force de travail En effet selon Marx le pheacutenomegravene drsquolaquoenclosureraquo a permis lrsquoinstalla-tion durable drsquoun pouvoir deacutetenu par des capitalistes en tant que nouveaux maicirctres de laforce de travail ainsi libeacutereacutee (MARX 1867) Srsquoest ensuivi lrsquoavegravenement du modegravele capitalisteet individualiste moderne dont les conseacutequences sociales peuvent ecirctre tregraves neacutegatives Lesrisques encourus ont eacuteteacute deacutenonceacutes degraves le 16egraveme siegravecle par des auteurs britanniques telsque Thomas More (dans Utopia 1516) et Adam Smith (qui deacutefendait le systegraveme tout encritiquant seacutevegraverement les ineacutegaliteacutes [MOENE et GRIMALDA 2016]) ou encore par lrsquohisto-rien Edward P Thomson (notamment agrave travers son approche originale de lrsquohistoire laquovuedrsquoen basraquo [1988])
Au-delagrave des ressources communes naturelles (forecircts agriculture ressource halieu-tique) la socieacuteteacute nrsquoa cesseacute de produire de nouvelles formes de communs des biens collec-tifs tels que le phare ou lrsquoautoroute des biens communaux universels tels que la protec-tion du climat des communs de la connaissance investis par la reacutevolution numeacuterique telsque la deacutefense des logiciels libres etc Certains deacuterivent de causes naturelles et drsquoautresreacutesultent drsquoun travail de conception etou de production Crsquoest en particulier par la reacutevo-lution numeacuterique et les ouvertures deacutemocratiques multiples rendues ainsi possibles que
9 Ou encore Grande Charte des liberteacutes anglaises (Magna Carta libertatum)10 Un exemplaire du manuscrit original en latin est conserveacute dans les archives de la catheacutedrale de Du-
rham et un autre au chacircteau de Lincoln Le texte latin a eacuteteacute publieacute notamment par Beacutemont Chartes desliberteacutes anglaises Picard eacutediteur 1892 VIII p 64-70 Une traduction existe dans Histoire drsquoAngleterre de-puis les temps les plus reculeacutes juqursquoagrave nos jours de MM De Roujoux et Alfred Mainguet Charles Hingrayeacutediteur 1845 Tome 1 p263-265
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
la question des communs a pris aujourdrsquohui place dans la recherche contemporaine
I42 Les diffeacuterentes terminologies relatives aux communs
Agrave ce stade il srsquoagit de clarifier les notions de biens communs biens collectifs pri-veacutespublics ressources mateacuteriellesimmateacuterielles etc
La theacuteorie eacuteconomique permet une classification des biens en srsquoappuyant sur le droitde proprieacuteteacute et lrsquoeacutepuisement possible ou non du bien (SAMUELSON 1954) Une classifica-tion est ainsi possible en fonction des facteurs de rivaliteacute et drsquoexclusion (voir I41) La ri-valiteacute drsquoun bien deacutesigne la diminution possible de sa capaciteacute de production en cas drsquouneuniteacute preacuteleveacutee par un usager Le caractegravere drsquoexclusion renvoie agrave la possibiliteacute drsquoexclure despotentiels beacuteneacuteficiaires de lrsquoutilisation du bien
Bien exclusif Bien non exclusif(bien public)
Rivaliteacute Bien priveacute Bien public impur oubien commun
Non rivaliteacute(bien collectif)
Bien de club ou bien agravepeacuteage
Bien public pur oubien collectif pur
TABLEAU I41 ndash Classification des biens
Les biens priveacutes purs sont agrave la fois rivaux et exclusifs Ils sont eacutepuisables et il faut beacute-neacuteficier drsquoun droit de proprieacuteteacute afin drsquoen user Ce sont des candidats parfaitement com-patibles avec les lois de lrsquooffre et de la demande du marcheacute qui permettent de reacuteguler leprix du droit de proprieacuteteacute en fonction de la rareteacute Ce nrsquoest pas la cateacutegorie de biens quinous inteacuteresse ici
Les biens collectifs sont repreacutesenteacutes par la cateacutegorie de biens non rivaux crsquoest-agrave-direqui ne srsquoeacutepuisent pas par lrsquousage ou dit autrement dont le risque de destruction du bienpar lrsquoexploitation nrsquoest pas une menace imminente On conccediloit ainsi aiseacutement que lesprobleacutematiques lieacutees aux risques environnementaux ne rentrent pas dans cette cateacutegorieLa gestion des biens collectifs est moins primordiale du fait de leur exploitation poten-tiellement illimiteacutee En revanche un bien qui paraicirct agrave ses deacutebuts collectifs peut par unesurexploitation non anticipeacutee devenir un sujet agrave risque Cette classification nrsquoa drsquointeacuterecirctque sa clarification mais nrsquoest pas un reacutepertoire cateacutegorique dans lequel tous biens au-raient une place intrinsegraveque preacutealable et deacutefinitive
Une deuxiegraveme cateacutegorie qui nous inteacuteresse davantage sont les biens publics Cesbiens sont identifieacutes par un caractegravere de non exclusion crsquoest-agrave-dire que leur importanceest telle qursquoil est tregraves difficile (voire impossible) drsquoen exclure les potentiels beacuteneacuteficiairesPar exemple il est impossible de limiter la consommation drsquooxygegravene de lrsquoair qui est unbien public pur Dans les situations caracteacuteristiques des biens publics lrsquoaccegraves agrave la res-source est tregraves ouvert Dans le cas de biens publics purs (crsquoest-agrave-dire agrave la fois non-exclusifet non rivaux) cette ouverture agrave lrsquoaccegraves nrsquoest pas un facteur drsquourgence quant agrave la sou-tenabiliteacute de lrsquoexistence du bien En revanche cela peut devenir critique dans le cas debiens publics rivaux qui sont sujets agrave un risque de deacutegradation en cas drsquoexploitation non
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
controcircleacutee Crsquoest notamment le cas dans une majeure partie des probleacutematiques environ-nementales qui font face agrave la finitude des ressources terrestres 11 La gestion des bienscommuns environnementaux est ainsi devenu un enjeu politique majeur dans notre so-cieacuteteacute actuelle
Au-delagrave des biens mateacuteriels la reacutevolution numeacuterique et les questions de proprieacuteteacuteintellectuelle du monde moderne ont mis en lumiegravere des biens immateacuteriels que sont lescommuns de la connaissance Le risque encouru par ces biens communs est moins lrsquoeacutepui-sement de la ressource que la capture opportuniste imposant un usage priveacute et rendantainsi le bien exclusif Les deacutefenseurs des communs de la connaissance revendiquent ainsile libre accegraves agrave lrsquoinformation agrave lrsquoinstar des logiciels libres et de lrsquoopen data
Enfin nous verrons que certains auteurs vont plus loin dans lrsquoanalyse des biens com-muns srsquoaffranchissant de lrsquoobjet lui-mecircme qursquoil soit mateacuteriel ou immateacuteriel en parlantde communs voire mecircme du commun au singulier pour srsquointeacuteresser davantage agrave lrsquoactiviteacutedu commun comme pratique politique (DARDOT et LAVAL 2015)
En reacutealiteacute le terme de laquo bien commun raquo reacutesultant de la typologie de Samuelson faitlrsquohypothegravese de lrsquoexistence de caracteacuteristiques du commun intrinsegraveques aux choses im-posant une forme de reacutegulation speacutecifique connue Cette vision deacuteterministe reacuteductricene permet alors pas de traiter des communs non preacuteexistants et creacuteeacutes par lrsquoaction col-lective En effet ces derniers ne peuvent supposer lrsquoexistence drsquoune forme de reacutegulationspeacutecifique donneacutee puisque la construction de celle-ci fait justement partie inteacutegrantede lrsquoactiviteacute de creacuteation du commun De ce fait nous allons preacutefeacuterer parler agrave preacutesent delaquo communs raquo ou de laquo ressources communes raquo afin drsquoeacuteviter la confusion avec la deacutefinitonnaturaliste et utilitariste des eacuteconomistes parlant des laquo biens communs raquo donneacutes
I43 Les diffeacuterentes approches des communs
Les eacuteconomistes reconnaissent le risque de disparition encouru par les communs quiselon eux reacutesulte drsquoune impossibiliteacute de lrsquoindividu agrave concevoir lrsquointeacuterecirct collectif au-delagravede son propre inteacuterecirct personnel Mancur Olson dans ses travaux sur la logique de lrsquoactioncollective (1965) souligne notamment le facteur drsquoinfluence qursquoest la taille du groupe Plusle nombre de participants est grand plus un individu sera enclin agrave srsquoeffacer des efforts delrsquoaction collective tout en continuant drsquoen tirer les beacuteneacutefices Olson srsquoest principalementinspireacute du modegravele syndical dans lequel les salarieacutes peuvent beacuteneacuteficier des revendicationsdes syndicalistes engageacutes sans devoir srsquoaffilier ni cotiser Il a ainsi modeacuteliseacute ce pheacuteno-megravene du laquo passager clandestin raquo dans son fameux ouvrage la logique de lrsquoaction collective(1965) Le passager clandestin eacutetant entendu comme celui qui est laquo inciteacute agrave ne pas prendrepart agrave lrsquoeffort commun et agrave resquiller en profitant des efforts des autres raquo (OSTROM et BAE-CHLER 2010)
Ce pheacutenomegravene repose sur la croyance des eacuteconomistes en un agent purement ration-nel dont le comportement individualiste est preacutevisible La theacuteorie des jeux srsquoest ainsi im-poseacutee comme moyen de mettre en situation les individus et drsquoen preacutedire les enchaicircne-ments drsquoactions individuelles Cette theacuteorie traduit eacutegalement lrsquoincompatibiliteacute de lrsquoagent
11 Une impasse parmi drsquoautres deacutenonceacutees par Philippe Bihouix dans son ouvrage Lrsquoacircge des Low Tech2014
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
agrave la penseacutee collective notamment avec la situation du dilemme du prisonnier 12 qui conduitles participants agrave choisir la situation qui offre le reacutesultat finalement le moins favorable(TUCKER 1950)
Garett Hardin (1968) a deacutemontreacute de la mecircme maniegravere lrsquoimpossibiliteacute drsquoune raison col-lective permettant la gestion et la preacuteservation drsquoune ressource commune Agrave travers lafable des bergers se partageant un herbage commun il conclut agrave lrsquoineacutevitable trageacutedie descommuns Toutes ressources communes seraient voueacutees agrave une surexploitation par desagents eacutegoiumlstes voulant maximiser leur inteacuterecirct propre en compeacutetition permanente aveccelui de leur voisin et cela au deacutetriment de la preacuteservation collective et donc finalementdrsquoun usage individuel Selon Hardin la seule solution possible reacuteside dans un reacutegime deproprieacuteteacute individuelle ou eacutetatique (GUTWITH et STENGERS 2016) Cette approche reposesur la theacuteorie eacuteconomique des droits de proprieacuteteacute formuleacutee agrave partir des anneacutees soixantedans la ligneacutee des travaux de Ronald Coase (1960) Cette theacuteorie revendique la supeacuterio-riteacute des systegravemes de proprieacuteteacute priveacutee sur toutes les formes de proprieacuteteacute collective et ainsipropose une reacuteponse pour limiter lrsquoeacutepuisement des ressources (BERTHET et collab 2016)
Ainsi malgreacute lrsquoexistence anteacuterieure de droits communaux les reacuteponses des eacutecono-mistes aux probleacutematiques des communs environnementaux ont domineacute agrave partir de ladeuxiegraveme moitieacute du 20egraveme siegravecle La reacuteponse neacuteolibeacuterale srsquoest en effet appuyeacutee sur la ratio-naliteacute des agents et le comportement donneacute conduisant agrave lrsquoheacutegeacutemonie des concepts dedroits de proprieacuteteacute de privatisation de deacutereacuteglementation de libre concurrence et drsquoin-novation individuelle Or cette approche a eacuteteacute fortement contesteacutee par les theacuteories neacuteo-institutionnalistes critiquant la creacuteation drsquoun terreau favorable agrave la croissance des ineacutega-liteacutes
Le prix Nobel drsquoeacuteconomie Elinor Ostrom a notamment pleacutebisciteacute une autre voieagrave celle du marcheacute ou de la reacuteglementation qui repose sur lrsquoauto-organisation des ac-teurs (OSTROM 1990 2015) Elinor Ostrom critique en effet lrsquooubli par les approches clas-siques des institutions de connaissances et des communauteacutes drsquousagers Selon lrsquoauteureles solutions classiques sont non performantes car elles sont limiteacutees par la connaissanceet elles oublient de reconnaicirctre lrsquoimportance des connaissances des usagers sur les res-sources pour concevoir les institutions Ostrom rejette ainsi lrsquoideacutee que les comportementsdes acteurs sont donneacutes et srsquointeacuteresse aux conditions dans lesquelles ces comportementspeuvent changer Ostrom a deacuteveloppeacute ses theacuteories agrave partir de cas empiriques reacuteels qursquoellea eacutetudieacutes dans plusieurs pays Contrairement aux theacuteories eacuteconomiques classiques quiont oublieacute les exemples ancestraux des droits communaux Ostrom srsquoest efforceacutee de mon-trer que des communauteacutes auto-organiseacutees drsquousagers existent depuis toujours reacutesistantagrave lrsquoheacutegeacutemonie de la mondialisation et agrave lrsquoascendance de la puissance du libre-marcheacuteAinsi dans la ligneacutee drsquoOstrom des chercheurs se sont regroupeacutes pour former lrsquoeacutecole deBloomington revendiquant le fait que des communauteacutes drsquousagers parviennent souventpar eux-mecircmes agrave inventer des systegravemes de gestion robustes eacutevitant agrave la fois tant la priva-tisation que la gestion par la puissance publique
Ces auteurs ne contestent pas la fable drsquoHardin mais soulignent son erreur de juge-
12 Caracteacuteristique en theacuteorie des jeux drsquoune situation dans laquelle deux joueurs peuvent soit coopeacutereret obtenir un gain eacutegal soit trahir lrsquoautre afin drsquoespeacuterer un gain supeacuterieur mais ne peuvent communiquerleur deacutecision De ce fait alors mecircme qursquoune coopeacuteration des deux conduirait agrave un reacutesultat global meilleurchacun choisira la trahison craignant la deacutecision de lrsquoautre
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
ment La situation eacutetudieacutee par Hardin nrsquoest pas en reacutealiteacute un exemple de gouvernancede ressources communes au sens drsquoOstrom La regravegle du laquo laissez-faire raquo ne permet eneffet pas la formation drsquoune communauteacute auto-organiseacutee comme le revendique les neacuteo-institutionnalistes (BOLLIER 2016) En reacutealiteacute Hardin confond deux notions de communlaquo Le res communis qui nrsquoappartient agrave personne et nrsquoest pas appropriable de la res nul-lius qui nrsquoa pas de maicirctre mais peut ecirctre approprieacutee raquo (DARDOT et LAVAL 2015) Dans lapremiegravere conception la solution par les droits de proprieacuteteacutes nrsquoen est pas une Pour Ghor-bani et Bravo (2016) la laquo trageacutedie raquo peut ecirctre eacuteviteacutee gracircce agrave la mise en place drsquoinstitutionsdeacutefinissant clairement les droits drsquoexploitation de la ressource et creacuteant des incitationspour preacutevenir la sur-exploitation Selon eux la trageacutedie des communs est la trageacutedie dulibre-accegraves aux ressources mais pas neacutecessairement aux ressources communes dont lagouvernance est bien deacutefinie Les travaux drsquoElinor Ostrom ont permis drsquoeacutelaborer la theacuteo-rie des communs dont lrsquoidentification de huit principes de la gouvernance des ressourcescommunes (OSTROM 1990 p90)
I44 Les travaux drsquoElinor Ostrom
Selon Ostrom afin de limiter les pheacutenomegravenes de passager clandestin il srsquoagit de mettreen place des regravegles institutionnelles communes issues drsquoun compromis geacuteneacuteral refleacutetantla reacutealiteacute pratique et assurant lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Cependant deux difficulteacutes demeurentLrsquoune est drsquoencourager la prise de conscience que lrsquoinstitution offrira justement un beacute-neacutefice collectif plus inteacuteressant au long terme que le profit individuel accessible agrave courtterme Dans le cas ougrave une telle institution eacutemerge un second obstacle est le risque depassager clandestin de lrsquoinstitution elle-mecircme du fait que le nouvel ensemble de regraveglesincarneacute par la nouvelle institution devient en lui-mecircme une forme de biens communs(MEacuteROT 2014)
Crsquoest en eacutetudiant des cas reacuteels drsquoauto-organisation qui fonctionnent depuis un agrave dixsiegravecles qursquoOstrom a pu comprendre les facteurs de reacuteussite de tels systegravemes Lrsquoexpeacuteriencede terrain eacutetait selon elle la meilleure approche pour eacutevaluer les ideacutees et les theacuteoriesSa thegravese portait en particulier sur la gestion drsquoune nappe acquifegravere californienne (1965)Lrsquoapproche empirique reacuteveacutela de multiples systegravemes drsquoauto-gestion tous tregraves speacutecifiquesdeacutependant des regravegles mises en place par les usagers et des interactions avec lrsquoenviron-nement exteacuterieur Chaque situation eacutetant unique ces nombreux cas drsquoeacutetude ne lui ontpas permis de deacutefinir des regravegles universelles applicables agrave toute organisation collectivegeacuterant une ressource commune Crsquoest pourquoi plutocirct que des regravegles geacuteneacuterales Ostroma identifieacute huit principes caracteacuteristiques des communauteacutes qui ont su produire un sys-tegraveme efficace et peacuterenne de gestion des ressources communes
Ces principes sont les suivants
1 Les limites sur la ressource et sur les droits drsquoexploitation sont clairement deacutefiniesCe principe introduit aussi la notion drsquousagers de la ressource crsquoest-agrave-dire le groupedrsquoindividus qui a inteacuterecirct agrave geacuterer efficacement la ressource
2 Une adaptation des regravegles drsquoutilisation aux conditions et aux obligations locales
3 Des dispositifs de participation des usagers aux choix collectifs et agrave la deacutefinition desregravegles opeacuterationnelles
4 Un systegraveme de surveillance de la ressource dans lequel les surveillants rendent comp-te aux usagers ou sont les usagers eux-mecircmes
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
5 Des sanctions graduelles en fonction de la graviteacute et du contexte de lrsquoinfractionUne des cleacutes du succegraves est que ce sont les usagers eux-mecircmes qui deacutecident dessanctions et non pas des autoriteacutes exteacuterieures
6 Des meacutecanismes rapides et bon marcheacute de reacutesolution des conflits
7 Une reconnaissance minimale par les autoriteacutes externes du droit agrave srsquoauto-organiseret des regravegles qui sont issues de cette auto-organisation
8 Lrsquoexistence de plusieurs niveaux de regravegles et drsquoinstitutions imbriqueacutees
La theacuteorie des communs repose ainsi sur des regravegles conccedilues collectivement pour geacute-rer la preacuteservation de la ressource commune et lrsquoeacutequiteacute entre les membres (BERGE etMCKEAN 2015) Au coeur de lrsquoarrangement des communs se retrouvent les ideacutees drsquoauto-organisation drsquoauto-reacutegulation participative et bottom up ainsi que le pouvoir collectif defaire respecter les regravegles produites par lrsquoensemble des membres (GUTWITH et STENGERS2016) Cette theacuteorie repose sur lrsquoideacutee que les individus rationnels sont les mieux agrave mecircmede creacuteer les institutions qui leur permettent drsquointeragir en diminuant lrsquoincertitude (DAR-DOT et LAVAL 2015)
Les multiples cas eacutetudieacutes ont reacuteveacuteleacute eacutegalement un niveau de coopeacuteration eacuteleveacute favo-riseacute par la confiance et la reacuteciprociteacute En reacutealiteacute confiance reacuteciprociteacute et coopeacuterationforment un systegraveme qui srsquoauto-entretient et participe agrave la reacuteussite des communs (FON-TAINE 2016) Plus preacuteciseacutement ce cercle vertueux srsquoamorce agrave partir de la confiance quiest la condition de la deacutecision initiale de coopeacuterer (SABOURIN et ANTONA 2003 [FON-TAINE 2016]) Pour Ostrom il srsquoagit de la confiance dans la reacuteciprociteacute du partenaire elle-mecircme inciteacutee par la reacuteputation et dans lrsquoexistence drsquoun systegraveme de sanctions (SABOURIN
et ANTONA 2003) Ostrom souligne aussi comme point central agrave la gouvernance des res-sources communes lrsquoimportance de creacuteer des espaces ougrave les participants seront ameneacutesagrave communiquer en face-agrave-face et agrave geacuterer efficacement les conflits drsquointeacuterecircts On retrouveainsi des points eacutevoqueacutes dans le cadre de la responsabiliteacute collective (cf I38) notam-ment celui de multiplier les espaces de dialogue afin de promouvoir les meacutecanismes deconcertation de deacutelibeacuteration et de neacutegociation (HALPERN 2014)
Ces travaux ont par la suite eacuteteacute maintes fois repris et confirmeacutes par lrsquoeacutetude drsquoautres casdrsquoauto-gouvernance encore tregraves preacutesents dans de nombreux pays du Sud concernant lagestion de terres agricoles et de systegravemes drsquoirrigation (BRAVO et MARELLI 2008 SABOU-RIN 2008) mais pas seulement En effet les organisations de commun eacutetant toutes speacuteci-fiques les chercheurs srsquoefforcent de repeacuterer et drsquoanalyser diffeacuterents types de communs demaniegravere agrave construire une base de donneacutees drsquoeacutetudes deacutetailleacutees et la plus exhaustive pos-sible Pour encadrer ces travaux Ostrom srsquoest attacheacutee dans les anneacutees 80 agrave construireun langage du commun et des approches meacutethodologiques notamment avec lrsquoanalyse etle deacuteveloppement institutionnel (IAD) (OSTROM 2010) Cette meacutethode drsquoeacutetude des com-muns preacuteconise au chercheur de commencer par identifier en premier lieu les variablesphysiques et institutionnelles de la ressource ainsi que sa communauteacute drsquoutilisateurs etles regravegles en place (CORIAT et collab 2015) Cette meacutethode fait lrsquohypothegravese drsquoune identi-fication au preacutealable du commun et de sa communauteacute Or des travaux plus reacutecents (quiseront preacutesenteacutes par la suite) permettent de constater les limites de cette meacutethodologieet reacutevegravelent ainsi lrsquoopportuniteacute de compleacuteter les travaux drsquoOstrom
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
I45 Limites de lrsquoanalyse institutionnelle des communs
En effet Ostrom a eacuteteacute ameneacutee agrave eacutetudier des communs bien particuliers que sont lesressources communes naturelles Plus tardivement elle srsquoest toutefois inteacuteresseacutee eacutegale-ment aux communs informationnels sur quoi nous reviendrons plus loin Les ressourcesnaturelles sont des biens communs relativement stables qui preacuteexistent agrave lrsquoaction col-lective Ostrom maintient ainsi une approche naturaliste et utilitariste et reste de ce faitlaquo prisonniegravere du commun intrinsegraveque au bien raquo laquo Or le commun ne se deacutecregravete pas plus delrsquoexteacuterieur qursquoil nrsquoest le reacutesultat drsquoune agreacutegation de deacutecisions individuelles prises isoleacute-ment et qursquoil relegraveve en reacutealiteacute drsquoun processus social qui a sa logique propre raquo (DARDOT etLAVAL 2015) Comme nous le verrons plus loin le concept du commun au singulier theacuteo-riseacute par les auteurs Dardot et Laval est bien plus geacuteneacuterique Au-delagrave du bien commun ausens des eacuteconomistes le commun traduit une activiteacute collective drsquoinstitutionnalisationdrsquoune probleacutematique commune agrave un ensemble drsquoindividus
Par ailleurs les variables de la taille du groupe ou drsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute ne sont pas prisesen compte dans les principes drsquoOstrom En effet lrsquoauteure srsquoest davantage focaliseacutee surles petits groupes (GUTWITH et STENGERS 2016) Or selon Olson un groupe de grandetaille sera plus fortement sujet agrave des pheacutenomegravenes de laquo passager clandestin raquo comme nouslrsquoavons deacutejagrave expliqueacute au I43
Enfin lrsquoinfluence des facteurs externes tels que le reacutegime de gouvernance agrave lrsquointeacuterieurduquel les usagers eacutevoluent ou tels que les forces du marcheacute est peu eacutetudieacute Ostrommaintient ces principes de gouvernance en dehors de lrsquoEacutetat et du marcheacute ce qui cristallisecette division entre des reacutegimes hieacuterarchiques et de libre-marcheacute Lrsquoapproche drsquoOstromoffre des exemples tout agrave fait inteacuteressants drsquoactions collectives autogeacutereacutees dans lesquellesles acteurs se responsabilisent mutuellement et indeacutependamment des lois du marcheacute oude lrsquoEacutetat Cependant en eacutetudiant des cas de communs relativement simples Ostrom vientagrave sous-estimer le rocircle des logiques de pouvoir (CORIAT et collab 2015)
Se pose alors la question de la transposition de ces principes agrave des eacutechelles pluslarges et agrave des modegraveles de communs plus complexes faisant intervenir une gouver-nance hybride entre acteurs publics et priveacutes En effet dans la probleacutematique de ges-tion des deacutechets nous ne sommes pas en face drsquoune ressource classique dont la valeurest directement perceptible par des usagers naturels Dans notre contexte des DEEElrsquoobjet de ce qui fait commun est justement agrave concevoir de mecircme que le collectif quidevra srsquoen charger De maniegravere geacuteneacuterale le deacutechet nrsquoeacutetant pas une ressource de valeuragrave proprement parleacute (il convient de tenir compte des coucircts sanitaires et environne-mentaux) il nrsquoexiste pas de beacuteneacuteficiaires naturels qui auront un inteacuterecirct spontaneacute agrave sesaisir collectivement de la probleacutematique Le rocircle de lrsquoEacutetat a donc toute sa leacutegitimiteacutepour amorcer un reacutegime de gouvernance par le commun reacuteveacutelant ainsi une nouvelleforme drsquointervention publique
I46 Particulariteacutes des laquo maux communs raquo
Il existe une diffeacuterence importante entre des biens communs naturels et des pro-blegravemes communs que lrsquoon peut qualifier par analogie de maux communs (MEacuteROT2014) ou de bads par opposition aux goods Dans lrsquoapproche Ostromienne des ressources
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
communes naturelles la reacuteflexion nrsquoest que drsquoordre eacuteconomique Il srsquoagit de mettre enplace un arrangement institutionnel permettant de reacutepartir de maniegravere optimale et le pluseacutequitablement possible les ressources issues du commun naturel En revanche les mauxcommuns (ou bads) questionnent plus largement la propre conception du commun lui-mecircme lrsquointervention eacutetatique en tant que force initiatrice du commun et la soutenabiliteacutede lrsquoinstitution soumise agrave un environnement fortement incertain et dynamique
En effet contrairement aux ressources communes les problegravemes communs nrsquoont pasdrsquousagers naturels qui ont un inteacuterecirct direct agrave geacuterer ce commun et agrave initier une action col-lective Bien au contraire la probleacutematique principale des pollutions diffuses est qursquoil esten geacuteneacuteral tregraves difficile de deacuteterminer des responsables en lien direct avec la cause (cfI32)
De plus dans le cas des deacutechets la valeur exploitable nrsquoest pas directement percep-tible Elle est au deacutepart inconnue des acteurs Un effort de conception est neacutecessaireafin de reacuteveacuteler tout le potentiel de valeur des deacutechets Ainsi contrairement au bien com-mun naturel ougrave il srsquoagit de chercher une solution pour limiter un gaspillage de la valeurde la ressource dans le cas des deacutechets il srsquoagit drsquoencourager la recherche de valorisationde ce gisement et drsquoen partager la valeur
Cette valeur potentielle des deacutechets peut alors varier fortement avec les innovationset les progregraves technologiques de traitement De ce fait le deacutechet en tant que source de va-leur est instable Cette instabiliteacute de la valeur renforce la difficulteacute de ce type de communagrave faire eacutemerger spontaneacutement une auto-organisation collective au sens des observationsdrsquoOstrom Il y a un fort risque drsquoinaction ou drsquoopportunisme isoleacute Lrsquoinstitutionnalisationdu commun doit donc ecirctre susciteacutee Dans le cas de la probleacutematique des deacutechets bienqursquoelle soit commune agrave tous cela ne suffit pas pour deacuteclencher lrsquoaction collective souhai-teacutee En reacutealiteacute agrave la fois tant le collectif que le commun sont agrave concevoir Se pose ainsi laquestion des moyens pour susciter le commun Dans la prochaine section nous allons voirqursquoil existe des concepts de communs bien plus geacuteneacuteriques que le bien commun naturelet dans lesquels lrsquoactiviteacute de conception du commun prend tout son sens
I47 La renaissance des communs
Dans sa thegravese (2013) Elsa Berthet traite de la probleacutematique de la construction desagro-eacutecosystegravemes comme type de commun qui ne preacuteexiste pas agrave lrsquoaction collective Ilsrsquoagit alors de concevoir simultaneacutement les objets de la coopeacuteration les collectifs ainsique les objectifs Ces types de commun qui appellent agrave une activiteacute de conception preacutea-lable sont caracteacuteriseacutes par certains auteurs drsquolaquoinconnus communsraquo (LE MASSON et WEIL2013) Ce sont des inconnus imaginables dont la quecircte collective a pour avantage de cher-cher agrave faire converger des inteacuterecircts divergents en trouvant des points sur lesquels les ac-teurs peuvent se rejoindre pour explorer de nouvelles solutions (BERTHET 2013) Parlerdrsquo laquo inconnus communs raquo et de conception de communs permet drsquoouvrir de multiplespossibles Aujourdrsquohui degraves qursquoon observe une activiteacute de partage on eacutevoque les com-muns (WAGNER et collab 2012 [BERGE et MCKEAN 2015]) Certains auteurs nous mettentdrsquoailleurs en garde au risque de tomber dans un effet de mode (FOFACK et MOREgraveRE 2016)
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
I471 Les communs informationnels
Cet eacutelargissement conceptuel avait eacuteteacute initieacute par Ostrom lors de ses travaux plus reacute-cents sur les communs informationnels (HESS et OSTROM 2003) Coriat propose une deacute-finition des communs de la connaissance qui sont laquo des ensembles de ressources litteacuteraireet artistique ou scientifique et technique dont la production etou lrsquoaccegraves sont partageacutesentre individus et collectiviteacutes associeacutes agrave la construction et agrave la gouvernance de ces do-maines raquo (CORIAT et collab 2015) Dans le cas de communs informationnels la ressourcene preacuteexiste pas et est non rivale crsquoest-agrave-dire qursquoelle peut ecirctre preacuteleveacutee indeacutefiniment sansla diminuer De ce fait contrairement aux biens communs naturels rivaux lrsquoaction collec-tive ne cherche pas agrave limiter lrsquoexploitation pour preacuteserver la valeur de la ressource Maisau contraire elle cherche agrave son enrichissement agrave rendre lrsquoaccegraves universel et agrave le preacuteserverLe risque des communs informationnels nrsquoest donc pas la menace drsquoappauvrissement dunombre drsquouniteacutes agrave preacutelever mais un risque de deacutegradation de la qualiteacute de lrsquoenrichisse-ment de la ressource Deacutegradation qui pourrait ecirctre due soit agrave un accegraves non controcircleacute quipourrait conduire agrave une laquo pollution raquo de la base de donneacutees par des affirmations faussessoit agrave une limitation de la creacuteation collective par un systegraveme drsquoexclusion
La revendication des communs informationnels a pris une dimension tout agrave fait nou-velle avec lrsquoessor du numeacuterique qui est rapidement devenu un fervent vecteur des com-muns reacutenoveacutes En effet le Web a eacuteteacute conccedilu justement dans une volonteacute de mise en relationet de partage commun sans limite Totalement ouvert il a permis lrsquoeacutemergence drsquoune for-midable creacuteativiteacute donnant lieu agrave de nombreuses innovations radicales Crsquoest un espacelibre qui facilite la collaboration la circulation des savoirs et le partage des connaissancesCet espace de liberteacute reste toutefois fragiliseacute dans un monde rude et concurrentiel
De la mecircme maniegravere que les communauteacutes des ressources naturelles se sont orga-niseacutees afin de preacuteserver leurs biens des deacutefenseurs du commun numeacuterique ont eacutemergeacuteafin de provoquer la loi et lutter contre des acteurs commerciaux opportunistes Agrave par-tir des anneacutees 80 le mouvement des logiciels libres initieacute par Richard Stallman (projetGNULinux en 1983) srsquoest ainsi fait connaicirctre agrave travers une deacutemarche politique et socialeLeur but eacutetait et est toujours de proposer des logiciels sur lesquels les codes sources sontmis en libre circulation et peuvent ainsi ecirctre exploiteacutes par tous agrave condition de contribueragrave lrsquoenrichissement du commun Srsquoest ensuivi tout un monde avec la creacuteation de bases enligne ouvertes telles que les wiki (wikipeacutedia eacutetant le plus consulteacute) et le mouvement crea-tive commons qui srsquoeacutetend agrave la sphegravere artistique et litteacuteraire
Ainsi gracircce au numeacuterique la creacuteation collective et le partage des connaissances onteacuteteacute rendus plus faciles contribuant agrave lrsquoeacutemergence drsquoun mode drsquoinnovation original lesinnovation commons (ALLEN et POTTS 2016) relevant de lrsquoopen innovation En effet lescommuns de la connaissance offrent des formes institutionnelles novatrices permettantde deacutepasser les logiques drsquoinnovations industrielles classiques reposant sur des droits deproprieacuteteacutes intellectuels priveacutes et exclusifs Il srsquoagit de permettre agrave un ensemble drsquoacteursautrefois exclus de participer agrave lrsquoactiviteacute drsquoinnovation et drsquoen garantir ensuite le partageLrsquoactiviteacute peut faire appelle agrave la foule comme au travers des wikis ou entre acteurs eacutecono-miques comme par exemple agrave travers le rocircle de consortiums de RampD (COHENDET et col-lab 2010) Les communs de lrsquoinnovation sont en fait une sous-cateacutegorie des communs dela connaissance mais avec plusieurs nouvelles proprieacuteteacutes bien distinctes en particuliercelle drsquoecirctre fortement dynamique dans lrsquoespace et dans le temps (ALLEN et POTTS 2016)
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La diffusion des communs de la connaissance a ainsi petit agrave petit pris un caractegraverepolitique de revendication pour un renouvellement de la deacutemocratie (CORIAT et collab2015) En effet lrsquoaccegraves agrave la connaissance est devenu un enjeu de deacutemocratisation dansle but de rendre chacun acteur politique (ex les mouvements des altermondialistes) Au-delagrave de lrsquoinstrument novateur de la gestion des ressources communes (pour assurer lrsquoac-cegraves la soutenabiliteacute et lrsquoenrichissement) un autre sens du commun a donc eacutemergeacute plusreacutecemment celui drsquoun support puissant pour renforcer et renouveler la deacutemocratie (CO-RIAT et collab 2015) et du commun comme pratique politique (DARDOT et LAVAL 2015)Ces auteurs distinguent ainsi les biens communs du commun le premier reposant sur unobjet dont la menace peut affecter un grand nombre de gens et pris en charge par lrsquoactiviteacutecollective (tels le climat un pacircturage lrsquoinformation) le second est un principe qui laquo animecette activiteacute et qui preacuteside en mecircme temps agrave la construction de cette forme drsquoautogou-vernement raquo (DARDOT et LAVAL 2015) Un bien commun peut alors devenir principe po-litique et porteur drsquoune reacutevolution citoyenne degraves lrsquoinstant ougrave un systegraveme de gouvernancedu commun se met en place (CORIAT et collab 2015)
I472 Nouveaux sens du commun comme pratique politique
Lrsquoeacutemergence de cette pratique du commun politique doit essentiellement au deacutevelop-pement des reacuteseaux sociaux et de lrsquooutil numeacuterique en geacuteneacuteral En effet la communica-tion dans la socieacuteteacute en est faciliteacute plus rapide et plus diffuse ouvrant agrave une deacutemocratisa-tion et agrave une horizontaliteacute de la parole politique Les reacuteseaux permettent ainsi des mobili-sations spontaneacutees cherchant agrave revendiquer des droits fondamentaux par lrsquoaction localeet collective (sur les questions de santeacute drsquoemploi drsquoaccegraves agrave la culture etc) Dans les villesdu monde entier des espaces drsquoexpression se forment dans lesquels les acteurs partagentun objectif commun qui est drsquoouvrir les deacutebats agrave la socieacuteteacute et de rompre avec lrsquoideacutee quela politique nrsquoest drsquoaffaire que de speacutecialistes et de professionnels (exemple tregraves reacutecentdu mouvement nuit debout voulant reacuteinventer la deacutemocratie agrave travers des deacutebats ouvertsdans plusieurs villes en France notamment sur la place historique de la Reacutepublique agraveParis 13) Comme le disait Michel Foucault il faut arracher la politique au monopole desgouvernants 14 Le sens du mot politique se restreint trop souvent agrave lrsquoexercice du pouvoireacutetatique or cette monteacutee des luttes qui se fondent sur les communs met en avant lrsquoactiviteacutepolitique de deacutelibeacuteration dans laquelle lrsquoeacutegaliteacute dans le laquo prendre part raquo est fondamentale
Il existe de nombreux exemples de revendication de lutte pour le retour du communOn peut citer les luttes porteacutees par les indigegravenes pour la deacutefense de leurs coutumes (vecircte-ments alimentation travail etc) et des ressources de leur territoire qui srsquoapparententbien plus agrave une revendication drsquoeacutemancipation des puissances neacuteolibeacuterales baseacutees surlrsquoideacuteologie de la proprieacuteteacute priveacutee qursquoagrave une simple reacutevolte eacuteconomique Drsquoautres exemplesde renaissance du commun existent notamment dans les mouvements de protection descommuns urbains Les communs urbains sont le socle drsquoun eacutequilibre deacutemocratique etsocial assureacute par la diversiteacute et la densiteacute propre agrave la ville et observeacute dans la deacutemulti-plication des interactions lrsquoouverture des deacutebats la creacuteativiteacute de la production de valeurainsi que la richesse des expeacuteriences locales et collectives (FESTA 2016) On peut citer
13 Au-delagrave des deacutebats les places publiques sont devenues des lieux de partage de ressources (cantineurbaine infirmerie bibliothegraveque de rue) avec leurs regravegles propres Cependant le discours des communstransparaicirct peu dans les productions et revendications du mouvement (Intervention Lionel Maurel au col-loque Vers une Reacutepublique des Communs 2016)
14 Intervention agrave la confeacuterence de presse annonccedilant agrave Genegraveve la Creacuteation du Comiteacute internationalcontre la piraterie en juin 1981 (FOUCAULT 1984a)
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les exemples de la manifestation de 2013 en Turquie pour proteacuteger lrsquoun des rares espacesverts du centre drsquoIstanbul qui est le parc Taksim Gezi ou encore lrsquooccupation du theacuteacirctreValle agrave Rome en 2011 deacuteclareacute bien culturel et artistique commun alors en proie agrave uneprivatisation en restaurant-theacuteacirctre Par lrsquooccupation de places de la Citeacute les manifestantsrevendiquent un droit drsquousage des communs urbains pour srsquoopposer au caractegravere exclusifdes droits de proprieacuteteacute Les communs ont eacutegalement joueacute un rocircle significatif pendant ouapregraves certains mouvements sociaux anti-austeacuteriteacute de ces derniegraveres anneacutees dans lrsquoorgani-sation drsquoune convergence des luttes de revendications On peut citer le Printemps Erablesau Queacutebec en 2012 lrsquooccupation de la Place Syntagma en Gregravece ou encore le mouvementdes Indigneacutes neacute sur la Puerta del Sol Espagne et donnant naissance au mouvement 15-M(MAUREL 2016)
Les exemples citeacutes mettent en avant la complexiteacute du commun et le pheacutenomegravene rela-tionnel qui lui est intrinsegraveque Les communs urbains ne sont pas seulement une reacuteponseagrave la privatisation croissante mais ils sont riches ldquode moments productifs qui creacuteent denouveaux vocabulaires des rencontres ineacutedites entre des pratiques sociales et spatialesde nouvelles relations de nouveaux reacutepertoires de reacutesistancerdquo (FESTA 2016) Les mani-festations collectives des communs urbains introduisent ainsi le citoyen en politique parlrsquooccupation de lrsquoespace public et la reacutesistance aux meacutecanismes drsquoaccumulation lieacutes agrave laproprieacuteteacute
Tout comme la revendication de lrsquousage de lrsquoespace public lrsquoeacutemancipation du citoyendu systegraveme proprieacutetaire peut srsquoobserver dans des mouvements de reprise du pouvoir parles habitants des territoires En effet il existe des exemples de reacutealisation de projets com-munautaires comme formes de reacuteappropriation citoyenne des choix en termes de la pro-duction alimentaire de la distribution en eau ou encore de lrsquoapprovisionnement eacutener-geacutetique Il srsquoagit de communauteacutes ougrave est expeacuterimenteacutee une forme drsquoautonomie durablecomme condition essentielle pour la transition vers un nouveau modegravele de deacuteveloppe-ment capable de produire des relations solidaires et non hieacuterarchiques entre socieacuteteacutes lo-cales La remunicipalisation de lrsquoeau agrave Naples en est un exemple ainsi que la constructiondu parc eacuteolien citoyen de Beacuteganne en Bretagne et de la communauteacute solaire locale de Ca-salecchio di Reno en Italie
La revendication drsquoeacutemancipation citoyenne nrsquoest pas que drsquoordre politique mais eacutega-lement eacuteconomique La transformation numeacuterique accompagne eacutegalement une reprisede lrsquoeacuteconomie par les citoyens-consommateurs qui se mobilisent autour du travail et delrsquoemploi (agrave travers la creacuteation de SCOP par exemple ougrave les salarieacutes sont associeacutes majori-taires de lrsquoentreprise et participent ainsi agrave la gouvernance) et de la consommation commecommuns au sens de droits fondamentaux Lrsquoeacuteconomie collaborative en est un exempleflorissant ougrave les plateformes en ligne permettent aux consommateurs de trouver par eux-mecircmes un citoyen-vendeur ou de proposer leur propre service directement agrave une com-munauteacute citoyenne Dans le cadre de la probleacutematique des deacutechets il existe par exempledes plateformes permettant de partager avec son voisin sa machine agrave laver de maniegravereagrave en optimiser lrsquousage et limiter la production (telle que la plateforme La Machine duVoisin) La communauteacute est majoritairement composeacutee drsquointernautes convaincus desvaleurs collaboratives et voulant manifester leur confiance en lrsquoindividu plutocirct qursquoagrave la sur-productiviteacute des grandes entreprises
Cependant il est important de rappeler que lrsquoeacuteconomie collaborative recouvre de
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nombreuses pratiques dont certaines (les plateformes Uber Airbnb etc) sont au cœurde virulents deacutebats concurrence deacuteloyale fraude agrave lrsquoimpocirct optimisation fiscale preacute-carisation de lrsquoemploi (DEMAILLY et collab 2016) Les proprieacutetaires de ces plateformesmondialiseacutees captent en reacutealiteacute une partie non neacutegligeable de la valeur co-produite Dece fait certains auteurs parlent drsquoune nouvelle forme de capitalisme dite laquo neacutetarchique raquo(par lrsquoassociation du net et drsquoun mode hieacuterarchique de subordination) conduisant agrave unepreacutecarisation de lrsquoemploi (BAUWENS 2016)
Agrave la marge eacutemergent quelques modegraveles post-capitalistes en dehors du marcheacute repo-sant davantage sur lrsquoeacutechange en nature entre citoyens-consommateurs Les magasins gra-tuits en sont un bel exemple (tel que La Boutique sans argent agrave Paris 12egraveme) Ou encore lescoopeacuteratives alimentaires (telles que La Louve agrave Paris 18egraveme) qui proposent un supermar-cheacute coopeacuteratif et participatif agrave but non lucratif et geacutereacute par ses membres Pour beacuteneacuteficier deproduits de qualiteacute agrave des prix raisonnables les consommateurs volontaires doivent deve-nir au preacutealable coopeacuterateur Dans le cas de La Louve cela consiste agrave participer au finance-ment (investir 100euro soit 10 parts de la coopeacuterative) et assurer 3h conseacutecutives toutes lesquatre semaines de maintenance du magasin (tacircches diverses meacutenage tenir la caisseetc) aux cocircteacutes de quelques salarieacutes permanents Un autre exemple plus speacutecifique auxdeacutechets est le repair cafeacute Les repair cafeacute sont des lieux ougrave lrsquoon peut venir avec un appareilcasseacute afin de beacuteneacuteficier drsquooutils mis en partage et de conseils de beacuteneacutevoles-reacuteparateursTout autant que la gestion des ressources communes la soutenabiliteacute de ces modegraveles reacute-sident dans le respect des regravegles co-produites et dans leur reacuteciprociteacute
Ces mouvements citoyens agrave dimension du commun cherchent agrave srsquoaffranchir du bi-partisme profondeacutement ancreacute dans la socieacuteteacute entre lrsquoEacutetat et le marcheacute afin de proposerune alternative au systegraveme de production Crsquoest parce que les modes de gestion publiquesont fragiliseacutes que pour sortir de la crise du capitalisme global laquo les classes dominantessrsquoefforcent de mettre la main sur tout ce qui leur avait encore eacutechappeacute systegravemes de pro-tection sociale ressources naturelles geacutenome des espegraveces vivantes connaissances etc raquo(CORIAT et collab 2015)
Dans ces exemples drsquoacte citoyen de reprise sur la sphegravere politico-eacuteconomique cequi est repreacutesentatif est le fait drsquoagir en commun pour revendiquer la constitutiondrsquoun droit agrave la creacuteation de systegravemes partageacutes auto-geacutereacutes par les usagers directs Ainsicontrairement aux communs naturels preacuteexistant agrave lrsquoaction et srsquoappuyant sur desmodegraveles fixes le commun devient ici partie inteacutegrante de lrsquoaction collective et seconstruit laquo chemin-faisant raquo Moins qursquoun nom la notion peut degraves lors ecirctre entenduecomme un verbe traduisant lrsquoactiviteacute de laquo commoning raquo (BOLLIER 2016) Le communest un process laquo actif raquo et laquo vivant raquo eacutemergeant de pratiques conciliant inteacuterecircts indi-viduels et collectifs Le retour des communs srsquoapparente ainsi agrave une nouvelle logiquede socieacuteteacute pour la construction active et collective drsquoun monde durable et meilleur(GUTWITH et STENGERS 2016)
Toutefois il ne srsquoagit pas de rejeter lrsquoaction eacutetatique comme lrsquoont revendiqueacute lesmouvements altermondialistes des anneacutees 60 qui ne proposaient pas de modegravele sou-tenable mais de srsquoappuyer sur ces multiples expeacuteriences de communs locaux dans lebut de remodeler profondeacutement et durablement les institutions eacuteconomiques et po-
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litiques (DARDOT et LAVAL 2015) Lrsquoinstitution eacutetatique et eacuteconomique ne peut ecirctreneacutegligeacutee afin de porter ces initiatives locales agrave une dimension supeacuterieure Il srsquoagit dene pas tomber dans lrsquoillusion qursquoun basculement du systegraveme neacuteolibeacuteral vers un nou-veau modegravele de socieacuteteacute ne se fasse qursquoagrave travers la seule multitude drsquoinitiatives isoleacuteesCette pratique politique du commun ne peut se restreindre agrave un acte de militantismecitoyen Le but de ces mouvements est tout autant une provocation du Droit en geacuteneacute-ral qursquoune revendication locale du droit agrave lrsquousage
I473 Le commun dans la loi
La provocation des communs a depuis quelques anneacutees une reacutesonance dans le sys-tegraveme juridique Tous partis politiques confondus il y a une reacuteelle effervescence du poli-tique agrave vouloir renouveler la deacutemocratie Certains proposent un recours plus importantau reacutefeacuterendum drsquoautres davantage de deacutebats citoyens ou encore un minimum obliga-toire de salarieacutes-associeacutes dans les entreprises un tirage au sort de deacuteputeacutes etc Concer-nant les deacutefis environnementaux des chercheurs procircnent une deacutemocratie eacutecologiqueavec lrsquoinstauration drsquoune bioconstitution qui consisterait agrave creacuteer une Chambre hauteentiegraverement deacutedieacutee aux enjeux de long terme et dont la deacutesignation des membres se fe-rait par tirage au sort (BOURG et WHITESIDE 2010) Lrsquoegravere du temps est agrave la philosophie delrsquoinclusion pour venir srsquoopposer agrave celle de lrsquoexclusion confortablement assise sur les droitsdrsquoappropriation priveacutee (CORIAT et collab 2015) Ces propositions qursquoelles soient popu-laires ou non cherchent agrave reacutepondre agrave une attente de certaines communauteacutes formeacuteesautour de la revendication du droit drsquousage et de gestion de certains communs Au-delagravedrsquoun simple principe drsquoorganisation cette revendication collective et geacuteneacuteraliseacutee du com-mun devient un principe politique agrave inscrire dans un nouveau Droit
Les plus innovants en matiegravere de juridiction du commun sont les italiens qui degraves 2007ont entameacute des deacutebats sur la place des biens communs dans le Droit Crsquoest sous la Com-mission Rodotagrave (pour la reacuteforme du Titre II du Livre III du Code Civil) dirigeacutee par StefanoRodotagrave que les biens communs furent distingueacutes des biens publics et biens priveacutes et re-ccedilurent leur premiegravere deacutefinition technico-leacutegislative comme laquo choses qui expriment uneutiliteacute fonctionnelle agrave lrsquoexercice des droits fondamentaux ainsi qursquoau libre deacuteveloppementde la personne raquo La commission reconnaicirct lrsquoimportance drsquoune intervention protectrice deces communs laquo Les biens communs doivent ecirctre proteacutegeacutes par le systegraveme y compris danslrsquointeacuterecirct des geacuteneacuterations futures raquo Il est agrave noter eacutegalement que le concept de commun nrsquoapas de lien avec le statut du titulaire qursquoil soit du secteur public ou priveacute laquo Les titulairesdes biens communs peuvent ecirctre des personnes juridiques publiques ou priveacutees raquo Cestravaux touchant du doigt une notion deacutelicate mais croissante dans les esprits aurontpermis drsquooffrir aux italiens laquo un horizon politique susceptible de canaliser une indigna-tion qui aussi importante soit-elle ne pouvait se suffire agrave elle-mecircme raquo (MATTEI 2014)
De nombreuses manifestations ont suivi confirmant la neacutecessiteacute drsquoun deacutebat ouvert etconstituant Ces actions locales jouent le rocircle de laboratoire des communs et offrent auxjuristes un reacuteel terrain fertile Un exemple est la remunicipalisation de la gestion de lrsquoeauagrave Naples qui a conduit agrave la creacuteation drsquoune entreprise speacuteciale de Droit public une insti-tution de gouvernement des biens communs des plus avanceacutee Lrsquooccupation du theacuteacirctreValle en 2013 agrave Rome a eu eacutegalement laquo un rocircle drsquoavant-garde absolue au niveau natio-nal dans la lutte pour les biens communs en devenant le foyer drsquoune expeacuterience artis-
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tique politique et mecircme juridique unique en son genre raquo conduisant agrave la creacuteation drsquounelaquo Constituante pour les biens communs raquo dans laquelle participent des juristes itineacuterantsdans le but drsquoeacutelaborer une sorte de laquo Code des biens communs raquo inspireacute par la vivaciteacute deces luttes (MATTEI 2014)
De son cocircteacute la France a eacutegalement voulu srsquoimpliquer dans la protection juridiquedes communs en particulier dans le domaine du commun informationnel agrave travers laLoi sur le Numeacuterique (traitant du libre accegraves drsquoInternet de la loyauteacute des plateformesde la neutraliteacute de lrsquoopen data et de lrsquoopen accegraves) (Loi ndeg 2016-1321 du 7 octobre 2016pour une Reacutepublique numeacuterique) Cependant lrsquoamendement pour une deacutefinition posi-tive des communs informationnels a eacuteteacute rejeteacute par les deacuteputeacutes agrave la suite de longs deacutebatspar manque de coheacuterence Toutefois ce projet de loi aura susciteacute un inteacuterecirct notable pourla consultation en ligne qui fait lrsquoobjet de nombreux deacutebats et travaux gouvernementauxAvec la loi ESS sur lrsquoEacuteconomie Sociale et Solidaire (Loi ndeg 2014-856 du 31 juillet 2014 rela-tive agrave lrsquoeacuteconomie sociale et solidaire) crsquoest au tour des communs sociaux de faire lrsquoobjetdrsquoamendements visant le deacuteveloppement local et durable de lrsquoeacuteconomie et sa deacutemocrati-sation (FONTAINE 2016) Cette loi permet de donner plus de poids aux actions des acteurssolidaires srsquoengageant dans la construction collective de communs sociaux notammentpar la reconnaissance de lrsquoinnovation sociale (Article 15 de la loi ESS)
Les pouvoirs publics peuvent ainsi participer au devenir des communs en assurantune protection juridique et en aidant agrave leur gouvernance et agrave leur eacutemergence Dans le casdes communs numeacuteriques par exemple les pouvoirs publics ont un vrai rocircle de gardiende neutraliteacute Seulement la difficulteacute de leacutegifeacuterer les communs au-delagrave du bien communest bien reacuteelle Il srsquoagit de gouverner un objet non deacutefini dans le temps en devenir et quinrsquoexiste pas encore sous toutes ses formes
Des tensions dynamiques existent alors entre les communs qui font appel agrave un Droitlocal et vernaculaire et un Droit historiquement statique et drsquoapplication geacuteneacuterale Lesauteurs Gutwirth et Stengers (2016) explorent ainsi la difficulteacute drsquoarticuler le Droit en vi-gueur avec ce qursquoexige la vie des communs Cette limite conceptuelle neacutecessite un effortdrsquoimagination des juristes qui considegraverent le Droit coutumier et vernaculaire comme se-condaire et restent plutocirct dans la continuiteacute du Droit romain moderne
Les juristes Capra et Mattei (2015) proposent une piste inteacuteressante issue de lrsquoap-proche italienne reposant sur une conception geacuteneacuterative du Droit en opposition au sys-tegraveme leacutegal classique laquo extractif raquo Il srsquoagit en ce sens de construire laquo un droit en devenirinductif topique plutocirct qursquoun droit poseacute et abstrait axiomatique et deacuteductif raquo Crsquoest-agrave-dire laquo un droit qui favoriserait jurisprudence et pratiques comme sources plus que la loiouet la doctrine raquo Selon ces auteurs il nrsquoest pas envisageable de geacuteneacuteraliser ce Droitgeacuteneacuteratif qui ne peut reacutepondre qursquoagrave des exigences speacutecifiques drsquoun cas pratique (GUT-WITH et STENGERS 2016) On ne peut extraire un Droit universel des communs Ideacutee quelrsquoon peut rapprocher du constat drsquoElinor Ostrom concernant lrsquoimpossibiliteacute drsquoextraire desregravegles universelles encadrant les systegravemes drsquoauto-gestion des ressources naturelles Orlrsquoinstabiliteacute des communs renaissants rend cette observation drsquoautant plus vraie Crsquoestpourquoi laquo aucun autre deacutefi nrsquoest aujourdrsquohui plus fascinant pour un juriste que celuide trouver un vecirctement juridique adapteacute aux diffeacuterents biens communs Un vecirctement ju-ridique qui loin drsquoecirctre universel doit neacutecessairement ecirctre contextuel parce que seuls lescontextes (crsquoest-agrave-dire les lieux ougrave se deacuteclinent les conflits et les relations) donnent sens agrave
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cette grande abstraction qursquoest le droit raquo (MATTEI 2014)
I474 Des communs au commun singulier
Les auteurs Dardot et Laval vont plus loin dans lrsquoinscription du commun au plus pro-fond de la socieacuteteacute en insistant sur lrsquousage du commun au singulier comme laquo le principepolitique drsquoune co-obligation pour tous ceux qui sont engageacutes dans une mecircme activiteacute raquo(2015 p23) et agrave laquelle deacutecoule une forme de gouvernance et de pratique politique Dansleur livre Commun (2015) ils introduisent alors lrsquoideacutee du commun comme forme de lrsquoagirmdash une praxis mdash et non comme laquo une forme de lrsquoecirctre ou de lrsquoavoir raquo (SAUVEcircTRE 2014) Ilsdeacutefinissent ainsi la laquo praxis instituante raquo pour lutter contre les laquo enclosures raquo les deacuterivesdu capitalisme la marchandisation et pour reacuteencastrer le capitalisme dans la socieacuteteacute
En reacutealiteacute le commun comme pratique politique est une conception plutocirct ancienneet a contribueacute aux origines du renouveau des communs dans la socieacuteteacute moderne Ce sontles auteurs Michael Hardt et Antonio Negri qui ont eacutemis la premiegravere theacuteorie du communcomme principe politique au singulier agrave travers la trilogie deacutebuteacutee en 2001 avec EmpireDans leur conception laquo commun est devenu le nom drsquoun reacutegime de pratiques de luttesdrsquoinstitutions et de recherches ouvrant sur un avenir non capitaliste raquo
Les auteurs Dardot et Laval ont contribueacute agrave cette nouvelle approche en imaginant unepolitique du commun afin de refonder en profondeur le modegravele de socieacuteteacute actuel Cettepolitique se doit drsquoecirctre deacutelibeacutereacutee et construite par une force transcendante car selon cesauteurs on ne peut se contenter drsquoen appeler agrave la spontaneacuteiteacute creacuteatrice de la socieacuteteacute Lecommun est ainsi une construction politique mieux laquo une institution de la politique agravelrsquoheure des dangers qui menacent lrsquohumaniteacute raquo Par leur politique du commun les au-teurs souhaitent instaurer un nouvel ordre dans lequel laquo le commun introduit partoutde la faccedilon la plus profonde et la plus systeacutematique la forme institutionnelle de lrsquoauto-gouvernement raquo Il srsquoagit donc drsquoeacutelaborer une laquo organisation politique drsquoensemble raquo ducommun qui visera agrave creacuteer laquo les institutions drsquoautogouvernement qui permettront le deacute-ploiement le plus libre possible de cet agir commun raquo laquo Il srsquoagit drsquoinstituer politiquementla socieacuteteacute en creacuteant dans tous les secteurs des institutions drsquoautogouvernement qui au-ront pour finaliteacute et pour rationaliteacute la production du commun raquo
On retrouve alors lrsquoideacutee de la responsabilisation des acteurs au cœur des probleacutema-tiques sociales et eacuteconomiques (cf I33) mais selon les auteurs elle ne peut ecirctre quelaquo radicalement non eacutetatique raquo Ils preacutecisent en effet le danger drsquoun laquo communisme drsquoEacutetat raquomenaccedilant une laquo capture bureaucratique du commun raquo Ces auteurs expliquent par lagravelrsquoeacutechec de la tentative utopique communiste en deacutenonccedilant lrsquoaccaparement du modegravelesocial par laquo un parti-Eacutetat qui en collectant toute la production et en en controcirclant laredistribution a deacutetruit le commun raquo Ou encore ils accusent lrsquoEacutetat neacuteolibeacuteral drsquoecirctre leprincipal agent de lrsquoinstauration de la concurrence et de faire de lrsquoentreprise le modegravele degouvernement des sujets De ce fait au mecircme titre qursquoOstrom les auteurs revendiquentque laquo seule la co-participation agrave la production des regravegles permet une co-obligation agrave laparticipation au bien collectif raquo
Cette politique vise en reacutealiteacute agrave faire eacutemerger laquo un Eacutetat-partenaire (opposeacute agrave lrsquoEacutetat-marchand) raquo en tant qursquo laquo institution collective deacutemocratique et participative qui favoriseune production sociale ainsi qursquoune socieacuteteacute civile autonome associeacutee au deacuteveloppement
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drsquoune eacuteconomie eacutethique raquo (CORIAT et collab 2015) De la mecircme faccedilon Bollier introduitle laquo commun sous garantie publique raquo de maniegravere agrave insister sur la place de lrsquoEacutetat en tantque laquo facilitateur des communs raquo devant laquo jouer un rocircle fiduciaire de curateur agissantau nom des commoneurs raquo (BOLLIER 2016 p146) Dans cette ligneacutee le principe poli-tique du commun de Dardot et Laval permet la creacuteation de formes juridiques et institu-tionnelles novatrices au service du renouvellement de la deacutemocratie citoyenne agrave traversla commune Mais au-delagrave de la constitutionnaliteacute de la deacutemocratie citoyenne commecommun crsquoest bien laquo la condition de possibiliteacute de lrsquoidentification des biens communs raquopar les citoyens eux-mecircmes qui permet reacuteellement de comprendre la deacutemocratie en sonsens le plus radical laquo comme co-participation de tous les citoyens aux affaires publiques raquo(DARDOT 2016) Les auteurs insistent sur ce sens radical de la deacutemocratie (au-delagrave de ladeacutemocratie repreacutesentative) qui est au cœur de leur conception du principe politique ducommun
I48 La question de lrsquoidentification des communs
Se pose ainsi la question de lrsquoidentification des communs Dans les cas vus preacuteceacutedem-ment les communs de quelque sorte qursquoils soient sont revendiqueacutes par un groupe decitoyens Ces derniers perccediloivent lrsquointeacuterecirct drsquoune action collective organiseacutee et locale afinde preacuteserver un milieu creacuteateur de valeurs eacuteconomiques sociales ou environnementalesLa naissance du commun est deacuteclencheacutee degraves lrsquoacte de prise de part agrave lrsquoactiviteacute de laquo com-moning raquo (BOLLIER 2016) Le commun naissant prend forme en mecircme temps que lrsquoac-tion collective se structure (BERTHET 2013) Contrairement aux ressources naturelles cestypes de communs ne preacuteexistent pas agrave lrsquoaction collective En revanche on observe dela mecircme maniegravere la formation spontaneacutee drsquoune communauteacute qui va elle-mecircme se saisirdrsquoune menace La diffeacuterence en est que cette prise de conscience collective permet agrave lafois drsquoidentifier une communauteacute et de deacuteclencher lrsquoacte de creacuteation du commun Il resteque dans drsquoautres cas plus complexes soumis agrave un environnement tregraves incertain et agrave denombreuses inconnues ni le commun ni la communauteacute ne preacuteexistent agrave lrsquoaction collec-tive Dans le cas des laquo inconnus communs raquo eacutetudieacutes dans la thegravese drsquoElsa Berthet (2013) ilsrsquoagit de concevoir simultaneacutement les objets de la coopeacuteration les collectifs et leurs ob-jectifs
Concernant les communs qui sont revendiqueacutes par des acteurs locaux une politiquedu commun institueacutee telle que proposeacutee par les auteurs Dardot et Laval offre des pers-pectives de reacuteussite prometteuses pour en soutenir les actions En revanche il existe desprobleacutematiques environnementales de dimension bien supeacuterieure agrave la collectiviteacute (tellesque la probleacutematique des deacutechets) et tregraves diffuses rendant lrsquoinstitution drsquoune activiteacute ducommun orpheline ou voueacutee agrave lrsquoeacutechec par manque de robustesse Crsquoest pourquoi selonCoriat le climat reste de lrsquoordre du bien commun et non du commun car il nrsquoexiste pasencore de gouvernance commune de la probleacutematique du reacutechauffement climatique enraison de son caractegravere global (CORIAT et collab 2015) Les revendications citoyennes etisoleacutees ne suffiront pas agrave faire eacutemerger une politique reacuteelle du commun
Ce constat se retrouve eacutegalement dans la probleacutematique qui nous concerne davan-tage celle des deacutechets En effet les initiatives locales et citoyennes de preacutevention des deacute-chets reposant sur de nouvelles pratiques collaboratives (reacuteemploi partage) ne sont pas agraveneacutegliger mais restent relativement limiteacutees face agrave un modegravele de production structurelle-ment lineacuteaire et source croissante de deacutechets La question de la gestion des deacutechets deacutejagrave
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
existants et non reacuteutilisables et celle de la conception des produits en vue drsquoen faciliter letraitement (activiteacute drsquoeacuteco-conception) ne peuvent pas ecirctre reacutesolues sans la participationdes acteurs eacuteconomiques ayant la capaciteacute de proposer des solutions opeacuterationnelles agraveune eacutechelle plus importante Cependant contrairement aux citoyens deacutefenseurs des com-muns animeacutes par une volonteacute profonde de renouveler une deacutemocratie effaceacutee par unsystegraveme neacuteolibeacuteral capitalistique et ineacutegalitaire les acteurs eacuteconomiques pollueurs nrsquoontpas drsquointeacuterecirct urgent agrave transformer un systegraveme qui entretient une meacutecanique rentiegravere agraveleur beacuteneacutefice
Ainsi dans certains cas speacutecifiques complexes ougrave lrsquointeacuterecirct du commun nrsquoest pas re-connu par le collectif en capaciteacute de le geacuterer il srsquoagit de susciter la mise en place drsquounepolitique du commun
I49 Les biens tuteacutelaires et la responsabilisation
En tant que garant de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral lrsquoEacutetat peut avoir ce rocircle drsquoidentification du com-mun et de son institution On peut alors eacutevoquer lrsquointeacuterecirct ici des biens tuteacutelaires 15 et duprocessus de responsabilisation
Le bien tuteacutelaire se distingue du bien public par trois caracteacuteristiques (VER EECKE2003) Premiegraverement crsquoest un bien qui interfegravere sur le choix des consommateurs contrai-rement au bien public qui reacutepond agrave un besoin exprimeacute En effet un bien tuteacutelaire est unbien sur la consommation duquel lrsquoEacutetat exerce une laquo tutelle raquo crsquoest-agrave-dire qursquoil peut inter-venir pour encourager ou deacutecourager le public de le consommer Lrsquoeacuteducation et la vacci-nation obligatoire sont des exemples de biens tuteacutelaires encourageacutes Agrave lrsquoinverse lrsquoalcoolet le tabac font lrsquoobjet de lois freinant leur consommation Cette caracteacuteristique reacutevegraveledeux autres points Le bien tuteacutelaire repose sur une justification morale et non sur un cal-cul des utiliteacutes En effet il est consideacutereacute neacutecessaire pour reacutepondre agrave des cas ougrave la myopieet la vision court terme des consommateurs ne leur permettent pas de juger dans leurpropre inteacuterecirct ougrave les externaliteacutes sont importantes et dans lesquels il y a un fort risquedrsquoune mauvaise estimation de lrsquoutiliteacute ou de deacutesutiliteacute Ce point conduit agrave la troisiegravemediffeacuterence par rapport aux biens publics qui est leur mode de financement
La cateacutegorie de biens tuteacutelaires offre agrave lrsquoEacutetat la possibiliteacute de susciter une politiquedu commun autour de probleacutematiques orphelines Par exemple la campagne historiquepour reacuteguler davantage les jeux de hasard et drsquoargent est une lutte morale ne pouvant neacute-gliger agrave la fois lrsquointervention forte des pouvoirs publics (TRESPEUCH 2016) et lrsquoimplicationdes acteurs eacuteconomiques aux manettes de ces types de divertissements Le citoyen est eneffet en tous points impuissant que ce soit face aux lobbyistes en tant que militant ouface agrave ses propres pulsions en tant que consommateur La probleacutematique lieacutee aux jeuxdrsquoargent nrsquoa donc pas de deacutefenseur spontaneacute en capaciteacute de proposer seul des solutionsplus justes permettant en particulier de proteacuteger les populations jugeacutees faibles par na-ture (les enfants et les personnes pauvres) Le commun agrave traiter est un enjeu de santeacutequi est celui de la question de lrsquoaddiction aux jeux drsquoargent et donnant lieu agrave un ca-drage ineacutedit du problegraveme des conduites anormales de jeux (TRESPEUCH 2016) En effetlrsquoEacutetat a choisi une politique de responsabilisation des firmes par lrsquoaccord drsquoun protocole
15 Bien tuteacutelaire est une traduction du concept de laquomerit goodraquo introduite par lrsquoeacuteconomiste Musgravepour reacutepondre agrave une impasse dans ses propres travaux sur la finance publique 1956
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
de jeu responsable neacutegocieacute avec les syndicats (introduisant par exemple le controcircle sys-teacutematique des cartes drsquoidentiteacute 2006) par lrsquoinstauration drsquoun comiteacute de reacutegulation de-mandant des comptes aux entreprises deacutemontrant leur engagement dans la deacutemarchedrsquoune pratique responsable du jeu (le COJER) par une fiscaliteacute dont lrsquooriginaliteacute reacutesidedans le choix de lrsquoassiette (celui de la mise) ou encore par lrsquoincitation agrave la mise en placede modeacuterateurs de jeu tels que les automates permettant drsquooffrir aux joueurs des pos-sibiliteacutes drsquoautocontrocircle (plafonds de mises hebdomadaires indications du temps de jeuetc) Ce processus de responsabilisation des opeacuterateurs a pour but de responsabiliser lesacteurs en capaciteacute drsquoassumer effectivement des laquo missions de preacutevention et de canalisa-tion raquo dont la difficulteacute de mise en œuvre reacuteside dans leur eacuteventuelle contradiction avecle laquo cœur raquo de leurs activiteacutes qui sont laquo la production et la commercialisation de jeux raquo(TRESPEUCH 2016)
Agrave travers cet exemple il srsquoagit de souligner le processus de responsabilisation qui ac-compagne la gestion politique drsquoun bien tuteacutelaire Dans cette situation lrsquoinstitution ducommun ne se deacuteclenche pas spontaneacutement par une communauteacute de deacutefenseurs maispar lrsquoEacutetat lui-mecircme Cette maniegravere de concevoir la politique du commun diffegravere ainsi duprincipe politique vu dans les exemples preacuteceacutedents davantage focaliseacutes sur la deacutemarchecitoyenne et moins sur lrsquoimplication des acteurs eacuteconomiques
Nous verrons que le travail de production du commun au service de lrsquoaction publiquesrsquoaccompagne de probleacutematiques speacutecifiques En effet dans ces cas drsquo laquo inconnus com-muns raquo les acteurs responsabiliseacutes ne reconnaissent pas naturellement la valeur drsquouneaction collective et sont agrave la fois disperseacutes et indeacutependants De ce fait il existe des en-jeux importants de coheacutesion drsquoengagement et de maintien des parties prenantes dans lecommun ainsi formeacute De plus le commun eacutetant laquo inconnu raquo ex ante un effort significatifde conception et drsquoinnovation est neacutecessaire et cela dans un environnement incertainDe ce fait un autre enjeu est lrsquoanimation du commun de maniegravere agrave soutenir la concep-tion innovante et agrave pouvoir surmonter les effets de fixations cognitives et les verrouillagestechnico-eacuteconomiques Enfin les regravegles de gouvernance ne concernent pas seulement letraitement drsquoun stock mais eacutegalement le renouvellement du commun neacutecessitant ainsiun suivi dynamique dans le temps long
Pour reacutesumer nous avons abordeacute des formes et des sens tregraves varieacutees de communsallant du commun en tant qursquoobjet mecircme drsquoune activiteacute au principe politique instau-rant le commun en passant par lrsquoactiviteacute mecircme de commoning Toutefois il ne fautpas tomber dans le piegravege du chercheur enthousiaste agrave lrsquoideacutee de srsquoinscrire laquo agrave tout prix raquodans un courant en effervescence (FOFACK et MOREgraveRE 2016) Tout ne relegraveve pas ducommun Avant de speacutecifier les traits caracteacuteristiques du cas des deacutechets permettantdrsquoen justifier une approche par les communs ce qui relegravevera de la partie 2 il srsquoagit derevenir aux fondamentaux les caracteacuteristiques des communs et des communauteacutesainsi que les conditions favorables agrave lrsquoeacutemergence de communs
I410 Caracteacuteristiques des communs
Il nrsquoexiste pas de bien destineacute au commun Toutefois tout commun repose sur uneressource qursquoelle soit publique ou priveacutee mateacuterielle ou immateacuterielle Le commun lie de
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
maniegravere laquo inextricable une subjectiviteacute collective raquo (faite de besoins de recircves et de deacute-sirs) et un lieuobjet physique (le bien commun justement) dans laquo une relation qualitativecomparable agrave celle qui lie un ecirctre vivant agrave son eacutecosystegraveme raquo (MATTEI 2014) Le communeacutemerge ainsi surtout dans laquo la mobilisation pour sa reconnaissance et sa deacutefense raquo
Les auteurs du courant des communs reconnaissent qursquoil existe tout de mecircme des res-sources plus candidates que drsquoautres (FONTAINE 2016) Les nombreuses eacutetudes de cas ontpermis drsquoidentifier quelques points cleacutes permanents caracteacuterisant le commun sous toutesces formes Deacutejagrave les communs partagent tous une structure originale de la proprieacuteteacute etun fort besoin de connaissance de la valeur du commun (BERGE et MCKEAN 2015) Dansla litteacuterature on retrouve trois eacuteleacutements principaux au cœur du concept de commun laquo les ressources communes entendues comme objets espaces mateacuteriels et immateacuterielsindeacutependamment de leur appartenance publique ou priveacutee raquo elles peuvent preacuteexisteragrave lrsquoaction collective ou en ecirctre issues laquo lrsquoactiviteacute de commoning (les pratiques de miseen commun) et les communauteacutes (appeleacutees commoners) impliqueacutees dans la creacuteation etla reproduction des biens communs dont lrsquoexistence srsquoinscrit dans un rapport de reacuteci-prociteacute directe raquo (FESTA 2016) Les communs sont ainsi pris en charge agrave lrsquointeacuterieur drsquounespace institutionnel par une certaine activiteacute de commoning qui produit des regravegles quisont les regravegles de lrsquousage de ce qui est inappropriable (DARDOT et LAVAL 2015)
Arrecirctons-nous sur ce troisiegraveme et dernier eacuteleacutement au coeur du concept de communqui est lrsquoimportance du groupe porteur que constitue la communauteacute de commoners (iedrsquousagers) dans le deacuteveloppement et la vie du commun Dans le cas simple des ressourcesnaturelles les usagers se mettent spontaneacutement en action reconnaissant la valeur ducommun agrave la fois en tant que ressource et en tant qursquoaction solidaire Drsquoautres cas existentougrave ne preacutefigure pas lrsquoobjet commun mais crsquoest par la reconnaissance collective drsquoun risqueidentifieacute impactant la valeur partageacutee que le commun se constituera dans lrsquoaction Enfinnous lrsquoavons eacutevoqueacute il existe des communs orphelins dont la valeur nrsquoest pas reconnuepar les acteurs en capaciteacute de poursuivre et de faire eacutevoluer les objectifs du commun Ilsrsquoagit alors de deacutesigner une communauteacute qui devra œuvrer agrave faire vivre un commun
Dans ces derniers cas plus complexes il existe un double enjeu Drsquoune part il srsquoagit demettre en place une configuration institutionnelle Celle-ci srsquoapparente agrave une gestion desressources communes de maniegravere agrave reacutepondre agrave la probleacutematique commune Drsquoautre partil srsquoagit de susciter la naissance mecircme du commun De ce qui est du premier enjeu les tra-vaux drsquoOstrom sur les conditions favorables agrave lrsquoeacutemergence de communs soutenables sontdrsquoune grande utiliteacute (FONTAINE 2016) mecircme si nous verrons qursquoils restent limiteacutes srsquoat-tachant agrave traiter des communs stables et relativement simples petite taille convergencedes inteacuterecircts relativement aiseacutee
Selon Ostrom les situations les plus pertinentes agrave la mise en place drsquoune gouvernancedu commun se caracteacuterisent par une forte vulneacuterabiliteacute de la ressource un accegraves limiteacuteagrave lrsquoinformation une forte deacutependance entre les participants et une gestion neacutecessaire-ment dans le temps long Lrsquoefficaciteacute de la gouvernance repose quant agrave elle sur unetaille reacuteduite du groupe facilitant les eacutechanges et la convergence des inteacuterecircts ainsi quesur son homogeacuteneacuteiteacute en termes drsquointeacuterecircts et drsquohorizons temporels Au niveau de la co-participation pour la mise en place de regravegles communes cet exercice sera drsquoautant faciliteacuteque les participants se sentiront autonomes par rapport agrave lrsquoenvironnement de la commu-nauteacute et leacutegitimes dans la co-eacutelaboration des regravegles De plus importent lrsquoapprentissage
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CHAPITRE I4 THEacuteORIES DES COMMUNS
collectif ainsi que la reacuteciprociteacute et le respect des regravegles par lrsquoensemble des participantsEnfin le facteur cleacute conditionnant le potentiel drsquoune politique du commun et se retrou-vant dans toutes les analyses est la qualiteacute et le degreacute de confiance entre les participants(FONTAINE 2016)
Ces facteurs drsquoidentification des communs et de conditions de leur soutenabiliteacute onteacuteteacute confirmeacutes agrave maintes reprises dans la litteacuterature sur les ressources communes Cepen-dant les travaux plus reacutecents sur les communs ont reacuteveacuteleacute une incompleacutetude des analysestraitant essentiellement les ressources naturelles En effet ces eacutetudes font lrsquohypothegravesedrsquoune maturiteacute deacutejagrave bien avanceacutee des connaissances relatives au commun et agrave la com-munauteacute Berthet a reacutesumeacute dans un tableau les hypothegraveses sous-jacentes agrave la theacuteorie desressources communes formuleacutee par Ostrom (tableau I42)
Les biens Ils preacuteexistent agrave lrsquoaction collective Ce sont des laquo stocks raquo agravepreacuteserver ils sont consideacutereacutes comme stablesLe systegraveme de ressources est facilement deacutelimiteacute uneseule ressource est cibleacutee
La communauteacute Elle est identifieacutee et relativement homogegravene consensussur la valeur du bien
Les connaissances Le manque de connaissance sur le systegraveme de ressourcesest un obstacle majeur agrave la mise en place des institutionsDes experts leacutegitimes existent
Les actions de gestion Elles consistent essentiellement agrave limiter lrsquoexploitationdes ressources et maintenir la capaciteacute de reacutegeacuteneacuteration dusystegraveme de faccedilon agrave preacuteserver le stockElles peuvent ecirctre deacutetermineacutees par essai-erreur
Lrsquoobjet de la concep-tion
La conception porte surtout sur les regravegles de gouver-nance
TABLEAU I42 ndash Reacutecapitulatif des hypothegraveses identifieacutees dans les travaux drsquoOstrom sur les commonpool resources (BERTHET 2013 p123)
Ostrom travaille sur des communs dont les ressources sont identifieacutees Il en deacutecouleque dans le cas des laquo inconnus communs raquo il existe par nature de nombreuses inconnuesne permettant pas une creacuteation et une gestion spontaneacutees du commun Ainsi une plusgrande importance doit ecirctre apporteacutee aux enjeux relatifs agrave lrsquoactiviteacute mecircme de conceptiondu commun et agrave sa gestion dynamique dans le temps Contrairement aux travaux drsquoOs-trom le rocircle des pouvoirs (publics et priveacutes) ne peut rester secondaire
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Chapitre I5
La creacuteation du commun et le processus deresponsabilisation
I51 Lrsquoactiviteacute de conception du commun une litteacuteratureagrave compleacuteter
La litteacuterature reacutevegravele une eacutenigme quant aux laquo inconnus communs raquo caracteacuteriseacutes par uneabsence de prise de conscience de la menace par un groupe drsquoacteurs en capaciteacute reacuteelledrsquoy reacutepondre (BERTHET 2013) Dans sa thegravese Elsa Berthet souligne les points aveuglesque sont la conception du commun lui-mecircme et les actions neacutecessaires agrave sa gestion Ellerelegraveve que ce processus de conception soulegraveve de nouvelles questions de gouvernanceougrave il srsquoagit drsquoidentifier lrsquolaquo inconnu commun raquo de conditionner le peacuterimegravetre des acteurs agraveimpliquer et de maintenir lrsquoadheacutesion des acteurs agrave cet inconnu de maniegravere agrave laquo ne pas re-tomber dans une situation drsquoimpasse raquo Elle souligne eacutegalement le caractegravere dynamiquedes laquo inconnus communs raquo En effet contrairement aux ressources naturelles relative-ment statiques le processus de conception du commun srsquoapparente agrave un processus drsquoap-prentissage collectif ougrave de nouveaux enjeux de gouvernance apparaissent tout au longdu cheminement et qui nrsquoavaient pas eacuteteacute identifieacutes au preacutealable (ex conflits drsquointeacuterecirctseffets de fixation cognitifs risque drsquoessoufflement de lrsquoaction collective etc)
Berthet rappelle que Julie Labatut a eacutegalement abordeacute ce sujet dans sa thegravese consideacute-rant les races animales comme des biens communs reacutesultant drsquoun processus de concep-tion et drsquoinnovation geacutenomique (2009) De mecircme Berthet souligne la thegravese drsquoHannachitraitant le territoire comme un bien commun reacutesultant drsquoun construit social (2011) Nousavons deacutejagrave eacutevoqueacute eacutegalement les travaux sur les communs numeacuteriques qui font lrsquoobjetdrsquoune conception et qui ne preacuteexistent pas agrave lrsquoaction (cf I471) Toutefois lrsquoensemblede ces travaux ne porte pas ou peu speacutecifiquement sur lrsquoactiviteacute mecircme de conception etsur le processus engageacute Un point agrave relever toutefois est lrsquoimportance souligneacutee par cesauteurs de lrsquointervention drsquoun acteur tiers pour faire eacutemerger au sein du collectif (qui nepreacuteexiste pas) une vision partageacutee du commun (BERTHET 2013)
Pour reacutecapituler les diffeacuterents courants drsquoapproche Berthet a repreacutesenteacute scheacutemati-quement la litteacuterature sur les biens communs (voir figure I51)
Il faut noter que Berthet conserve la notion de bien commun et non du commun entant que principe politique et praxis instituante Cependant la praxis instituante restant
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CHAPITRE I5 LA CREacuteATION DU COMMUN ET LE PROCESSUS DERESPONSABILISATION
FIGURE I51 ndash Repreacutesentation scheacutematique des diffeacuterents courants de la litteacuterature sur les bienscommuns selon si les biens communs et les comportements sont consideacutereacutes comme donneacutes ounon (BERTHET 2013 p127)
lieacutee agrave une forme de commun objet le scheacutema garde son inteacuterecirct La pratique du com-mun eacutemerge simultaneacutement avec lrsquoactiviteacute de conception du commun Ce scheacutema per-met ainsi drsquoidentifier le manque de litteacuterature concernant lrsquoactiviteacute de conception ducommun et de le situer par rapport aux diffeacuterentes approches
Aussi Berthet srsquoest-elle attacheacutee agrave proposer un cadre drsquoanalyse pour eacutetudier les laquo in-connus communs raquo Elle souligne lrsquoimportance de la creacuteation drsquoespaces collectifs et ou-verts permettant lrsquoexploration de solutions geacuteneacuterant un inteacuterecirct commun (2013) laquo Ainsicontrairement agrave Elinor Ostrom ougrave le manque de connaissance pouvait ecirctre un des prin-cipaux freins agrave la mise en place drsquoune action collective il srsquoagit ici drsquoutiliser la part drsquoin-connu pour redonner une certaine marge de manœuvre aux acteurs de creacuteer des espacesdrsquoopportuniteacute et drsquoaider agrave surmonter les situations conflictuelles raquo Pour cela elle srsquoap-puie sur des meacutethodes de conception innovante de reacutesolution des conflits de regravegles dedeacuteverrouillage et propose un modegravele theacuteorique de conception drsquoun agrosystegraveme posantlaquo les conditions initiales drsquoun processus collectif de conception efficace et peacuterenne im-pliquant les parties prenantes de lrsquoagro-eacutecosystegraveme raquo
Pour aller plus loin Berthet souligne le rocircle des pouvoirs publics dans le soutien deslogiques drsquoauto-organisation reacutesultant de processus de conception pouvant ainsi reacutepondreaux problegravemes de coucircts et de faible efficaciteacute de certains dispositifs publics lieacutes laquo agrave unmanque de durabiliteacute des actions mises en œuvre et agrave lrsquoinsuffisance des eacutechelles aux-quelles elles sont deacuteployeacutees raquo (KLEIJN et collab 2006 [BERTHET 2013]) Elle considegraverelrsquoidentification et lrsquoexploration drsquo laquo inconnus communs raquo comme laquo une meacutethode gracircce agravelaquelle des acteurs pourraient initier une deacutemarche de conception de biens communs raquo(BERTHET et collab 2016)
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CHAPITRE I5 LA CREacuteATION DU COMMUN ET LE PROCESSUS DERESPONSABILISATION
Ainsi se pose la question de savoir comment les pouvoirs publics pourraient sesaisir de cette meacutethode de conception du commun afin de susciter lrsquoeacutemergence desystegravemes auto-organiseacutes tout en maintenant un certain controcircle pour traiter des pro-bleacutematiques complexes speacutecifiques telles que la probleacutematique des deacutechets Une po-litique du commun eacutetant le reacutesultat drsquoun croisement unique entre un commun etdes acteurs dans un environnement dynamique il nrsquoest pas possible de concevoir undispositif public standardiseacute drsquoapplication geacuteneacuterale Il srsquoagit drsquoeacutetablir les conditionsideacuteales pour faire eacutemerger de maniegravere controcircleacutee une organisation collective drsquoac-teurs priveacutes dans un objectif drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral Pour cela il est neacutecessaire de focaliserla recherche sur les conditions drsquoeacutemergence de reacutevisabiliteacute et de controcircle du communet non sur des critegraveres de deacutecisions agrave standardiser Pour cela nous nous appuyons surlrsquoexemple de la probleacutematique des deacutechets dans lequel nous constatons la construc-tion collective drsquoun commun autour de la valorisation des deacutechets en tant que res-sources alternatives aux matiegraveres vierges Les travaux de Fontaine aspirent eacutegalementagrave cette approche (2016)
I52 Un processus de responsabilisation au service du com-mun
I521 Les temps de la creacuteation et du processus
Lrsquoideacutee sous-jacente agrave la co-reacutegulation de la gestion des DEEE est donc que lrsquoEacutetat creacuteeacuteun commun autour de la probleacutematique des deacutechets afin que les acteurs responsablessrsquoen chargent de maniegravere collective Cette creacuteation ne peut ecirctre qursquoinitiatrice drsquoun mou-vement plus large En effet chaque commun est unique et se construit dans lrsquoaction avecles parties prenantes La conception du commun srsquoapparente agrave une activiteacute de laquo crafting raquocrsquoest-agrave-dire agrave caractegravere laquo artisanal raquo Il nrsquoy a pas de laquo one best way raquo ni de choix fait unefois pour toute (DARDOT et LAVAL 2015) Crsquoest un investissement continu dans un envi-ronnement fluctuant et incertain
Ce processus nrsquoeacutetant pas spontaneacute lrsquoEacutetat doit prendre un rocircle actif (DARDOT et LA-VAL 2015) dans lrsquoamorce du mouvement et dans lrsquoanticipation drsquoun cadre facilitateuret de controcircle Ce cadre doit permettre une eacutevolution positive de lrsquoinstitutionnalisationdu commun Se pose alors la question des moyens drsquointerventions de lrsquoEacutetat Notre eacutetudeempirique reacutevegravele un dispositif original reposant sur lrsquoimplication des acteurs reacuteguleacutes agrave laconstruction du systegraveme de reacutegulation par la responsabiliteacute LrsquoEacutetat deacutesigne des respon-sables en capaciteacute de participer agrave la construction du commun De ce fait la responsabili-sation des individus est une reacuteelle laquo technique politique raquo (NEUBERG et collab 1997)
La constitution drsquoune institution eacutetant progressive il y a une temporaliteacute agrave respecter(GUIRAUD et ROUCHIER 2016) Cette construction suppose un long travail drsquoimaginationde neacutegociation drsquoexpeacuterimentation et de correction des regravegles (DARDOT et LAVAL 2015)Au-delagrave du principe de responsabiliteacute le cas empirique eacutetudieacute reacutevegravele lrsquointeacuterecirct drsquoun longprocessus de responsabilisation des acteurs par lrsquointervention publique Ce processus sedistingue des cas drsquoinstitutionnalisation classiques des communs par des usagers laquo natu-rels raquo se revendiquant par eux-mecircmes puisque ici ce sont les pouvoirs publics qui deacutesi-gnent les responsables
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CHAPITRE I5 LA CREacuteATION DU COMMUN ET LE PROCESSUS DERESPONSABILISATION
I522 Les enjeux de soutenabiliteacute des communs orphelins
Drsquoembleacutee dans la construction collective se preacutesentent deux enjeux dominants Au-delagrave de la conception mecircme du commun et du groupe drsquousagers on relegraveve la soutenabiliteacutede lrsquoinstitution ainsi formeacutee et le maintien de la motivation et de lrsquoengagement des res-ponsables dans le commun Cette probleacutematique est moins preacutesente lorsque les usagersreconnaissent instantaneacutement la valeur du commun et perccediloivent ainsi spontaneacutementleur inteacuterecirct agrave maintenir lrsquoorganisation collective Dans le cas de communs orphelins leprocessus de responsabilisation vise justement agrave deacutevelopper le niveau de conscience desindividus en capaciteacute de proposer des solutions agrave la gestion du commun Le processuspasse eacutegalement par la mise en coheacuterence de systegravemes de valeurs et par lrsquoalignement desinteacuterecircts des individus responsabiliseacutes dans un objectif communeacutement admis
I523 La confiance un facteur cleacute
Les travaux drsquoOstrom donnent une premiegravere cleacute de succegraves valable eacutegalement pourdes systegravemes de commun plus complexes qui est la confiance entre les acteurs Avec lareacuteciprociteacute la confiance est un des attributs neacutecessaires aux usagers drsquoune ressource com-mune pour permettre la coopeacuteration (cf I44) Effectivement une condition neacutecessairedans la gestion de dilemmes sociaux est la confiance entre les individus et dans les regraveglesinstitutionnelles (GUIRAUD et ROUCHIER 2016) De maniegravere geacuteneacuterale agrave un autre niveaula confiance est devenu un aspect incontournable des probleacutematiques interorganisation-nelles (BIDAULT et JARILLO 1995 [SIMON 2007])
Selon Simon la confiance repose sur la reacuteputation et sur la compeacutetence reconnuesuite agrave des expeacuteriences anteacuterieure (2007) Autrement dit la confiance se construit aucours drsquoun processus drsquoapprentissage qui permet drsquoaugmenter le degreacute de coopeacuteration(SABOURIN et ANTONA 2003) Cet apprentissage implique une communication freacutequenteet une certaine proximiteacute Le fait est que la communication est un eacuteleacutement cleacute pour par-faire les imperfections de lrsquoinformation qui peuvent susciter des situations drsquoincertitudeet de meacutefiances En cela il peut ecirctre utile de privileacutegier des espaces neutres permettant lerenforcement de la confiance entre acteurs tels que les laquo forums hybrides raquo proposeacutes parMichel Callon comme espaces ouverts de dialogue (2001)
I524 Le rocircle des intermeacutediaires dans la coheacutesion
Cependant dans des cas de fortes concurrences et de grande incertitude la confianceindispensable risque de ne pas survivre Lrsquoinnovation collective en est un bon exempleLe facteur de confiance entre acteurs industriels qui se seraient regroupeacutes pour conce-voir ensemble de nouvelles solutions est menaceacute par lrsquoopportunisme de certains enclinsagrave quitter le groupe pour se lancer dans une course au brevet et agrave lrsquoavantage concurren-tiel La confiance initiale doit alors srsquoaccompagner drsquoune force de coheacutesion encourageacuteeet surveilleacutee par un acteur tiers (COHENDET et collab 2010) La coheacutesion peut paraicirctrenaturelle en cas de reconnaissance spontaneacutee des acteurs agrave un mecircme mouvement maisen reacutealiteacute elle lrsquoest beaucoup moins lorsqursquoil srsquoagit de susciter la creacuteation identitaire drsquoungroupe
Pour faciliter une coheacutesion solide la litteacuterature souligne lrsquoimportance du rocircle des in-termeacutediaires dans la stabilisation de communauteacutes de connaissance (COHENDET et col-lab 2010) ou pour faire eacutemerger une vision partageacutee (HANNACHI 2011 LABATUT 2009
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CHAPITRE I5 LA CREacuteATION DU COMMUN ET LE PROCESSUS DERESPONSABILISATION
[BERTHET 2013]) Eacutegalement on retrouve le thegraveme du rocircle des intermeacutediaires dans lesprocessus drsquoinnovation collective en tant qursquoacteur architecte de lrsquoexploration collective(AGOGUEacute et collab 2013) ou en tant que chef drsquoorchestre facilitant la circulation desconnaissances et des ressources ou en tant qursquoanimateur en incitant et surveillant lrsquoim-plication des acteurs Au-delagrave drsquoun facteur de coheacutesion lrsquointervention de ces acteurs tiersagrave pour inteacuterecirct de reacuteduire lrsquoinertie organisationnelle ainsi que les incertitudes et drsquoeacuteviterles verrouillages dans une logique dominante sous-optimale (LEROUX et collab 2014)En revenant agrave la litteacuterature sur la gouvernance transnationale (cf I21) on peut drsquoautantplus leacutegitimer la place particuliegravere des intermeacutediaires dans le cas de commun co-construitentre Eacutetat et reacuteguleacutes En effet est apparu dans cette litteacuterature le rocircle laquo drsquointermeacutediairesde reacutegulation raquo (laquoregulatory intermediariesraquo) qui aux cocircteacutes de lrsquoEacutetat ont un pouvoir drsquoin-fluence sur le comportement des acteurs reacuteguleacutes (ABBOTT et collab 2015) En srsquoimiscantentre les gouvernants et les gouverneacutes ces intermeacutediaires de reacutegulation rendent la reacutegu-lation indirecte
I525 Les laquo meacuteta-organisations raquo des formes drsquointermeacutediaires dans ledomaine de lrsquoenvironnement
Pour rappel en Europe de tels intermeacutediaires ont eacuteteacute creacuteeacutes afin de traiter certainesprobleacutematiques environnementales complexes Ce sont des laquo meacuteta-organisations raquo (AHRNE
et BRUNSSON 2008) deacutesigneacutees par lrsquoEacutetat devant agir au nom de leurs actionnaires Ellessont constitueacutees de lrsquoensemble des entreprises deacutesigneacutees comme responsables face auxdommages environnementaux les eacuteco-organismes tels que Eco-emballage et Eco-systegravemesCe qui distingue principalement les laquo meacuteta-organisations raquo des organisations classiquesest le statut de leurs membres qui sont eux-mecircmes des organisations et non des indivi-dus Cette diffeacuterence conduit au paradoxe des meacuteta-organisations structurellementfaibles (DUMEZ 2008) eacutetant doteacutees de moins de ressources que leurs adheacuterents et de-vant fonctionner par consensus (ACQUIER 2016 p62) et en mecircme temps efficaces dansleur domaine en raison de la souplesse des regravegles internes (ACQUIER 2016 DUMEZ 2008)
Il existe une varieacuteteacute de types de laquo meacuteta-organisations raquo (BERKOWITZ et DUMEZ 2015)aux statuts diffeacuterents telles que les associations feacutedeacuterations etc Les laquo meacuteta-organisations raquotraditionnelles servent de laquo voix commune raquo en repreacutesentant leurs membres aupregraves desinstances de reacutegulation (BERKOWITZ et DUMEZ 2015) Les acteurs srsquoy regroupent volon-tairement afin drsquo laquo agir en commun raquo et de mieux maicirctriser leur environnement (DUMEZ2008) Contrairement agrave cela les laquo meacuteta-organisations raquo issues de la probleacutematique desdeacutechets sont fortement encadreacutees par les pouvoirs publics et les acteurs sont le plus sou-vent contraints drsquoy adheacuterer Aussi les rapports sont-ils relativement diffeacuterents entre lesmembres agrave lrsquointeacuterieur de lrsquoorganisme et entre la laquo meacuteta-organisation raquo et lrsquoEacutetat
Se pose alors la question de la creacuteation et du deacuteveloppement de cette nouvelle formede laquo meacuteta-organisation raquo Or la litteacuterature srsquoest principalement attacheacutee agrave eacutetudier lrsquoeacutevolu-tion statistique et les positionnements respectifs des laquo meacuteta-organisations raquo (BERKOWITZ
et collab 2016) En revanche le processus de deacuteveloppement drsquoune nouvelle laquo meacuteta-organisation raquo reste peu eacutetudieacute (ACQUIER 2016 p62) Notamment lorsque la laquo meacuteta-organisation raquo reacutesulte drsquoun processus de responsabilisation par lrsquoEacutetat et devient un in-termeacutediaire opeacuterant au sein drsquoune forme de co-reacutegulation
Nous verrons ainsi agrave travers le cas de la politique deacutechet un exemple de creacuteation
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CHAPITRE I5 LA CREacuteATION DU COMMUN ET LE PROCESSUS DERESPONSABILISATION
drsquoune telle forme de laquo meacuteta-organisation raquo et que en tant qursquointermeacutediaire celle-ci joueun rocircle cleacute dans la dynamique institutionnelle du commun
Ainsi plus largement les communs (de toutes sortes qursquoils soient classiquesou plus complexes) se caracteacuterisent par laquo une culture de liens de coopeacuteration deconfiance de reacuteciprociteacute raquo et drsquoengagement participatif de chacun agrave laquo la neacutegociationet au maintien de regravegles vernaculaires orienteacutees par le souci de durabiliteacute et leacutegitimesparce que pertinentes pour ce collectif raquo ((WESTON et BOLLIER 2013) [(GUTWITH etSTENGERS 2016)]) Srsquoy ajoute dans les situations ougrave le commun est inconnu et ougravele collectif ne preacuteexiste pas la preacutesence drsquointermeacutediaires dans lrsquoamorce du mouve-ment dans sa coordination et sa soutenabiliteacute ainsi que dans sa surveillance et soncontrocircle
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Conclusion de la partie 1
Pour reacutecapituler la litteacuterature sur les communs manque aujourdrsquohui agrave preacuteciser lrsquoacti-viteacute mecircme de conception du commun Cette approche permet en effet drsquoeacutetudier des cas drsquolaquo inconnus communs raquo Drsquoautre part la plupart des eacutetudes existantes restent appliqueacutees agravesoutenir des formes de communs citoyens et ignorent le rocircle des acteurs eacuteconomiques etleur capaciteacute potentielle dans la recherche de solutions alternatives pouvant contribuer agravelrsquoamorce drsquoun reacuteel changement des comportements Aussi dans cette thegravese srsquoagit-il drsquoeacutetu-dier lrsquoinstitution du commun comme forme originale drsquointervention des pouvoirs publicsagrave travers la responsabilisation des acteurs eacuteconomiques
Dans les cadres classiques la reacutegulation repose sur une action reacutegalienne ou sur desmeacutecanismes de type marcheacute La responsabilisation collective des reacuteguleacutes est une voie al-ternative inteacuteressante mais qui pose des questions dans sa mise en œuvre La litteacuteraturesur la gouvernance des ressources communes offre agrave voir des systegravemes en dehors de lrsquoEacutetatet du marcheacute qui ont une certaine efficaciteacute propre Des communauteacutes se responsabi-lisent pour fixer collectivement un ensemble de regravegles et revendiquer un droit drsquousageIl srsquoagit de puiser dans cette litteacuterature afin drsquoeacuteclairer la question de la mise en oeuvrede la responsabiliteacute collective entre acteurs du marcheacute Cependant dans lrsquoapproche tra-ditionnelle des communs le commun naicirct de maniegravere spontaneacutee et revendiqueacutee et endehors des sphegraveres politique et eacuteconomique Ainsi susciter le commun agrave lrsquointerstice deces sphegraveres ouvre la voie agrave un modegravele de reacutegulation alternatif dont il convient drsquoeacutetudierles pratiques pour en identifier les principes et les modaliteacutes drsquoexercice
Pour comprendre une telle pratique il srsquoagit alors de sortir de lrsquoensemble de ces cadresclassiques et drsquoemployer de nouvelles lunettes analytiques Cette thegravese propose ainsi lrsquoana-lyse drsquoune forme nouvelle de commun institutionnaliseacutee de maniegravere originale agrave traversun processus de responsabilisation engageant une co-reacutegulation entre acteurs reacuteguleacutes etreacutegulateurs Est ainsi identifieacute un nouveau cadre theacuteorique qui srsquoarticule autour des troisobjets que sont la logique de responsabilisation la co-reacutegulation et la production decommuns De ce fait agrave travers la logique de responsabilisation comme laquo technique poli-tique raquo de gouvernement il srsquoagit de ramener le commun au cœur de lrsquoaction publique
Ce commun srsquoest formeacute autour de la probleacutematique des deacutechets particuliegraverement in-teacuteressante eacutetant donneacute sa complexiteacute et sa dynamique instable et incertaine Avant dedonner des principes de la co-reacutegulation issus des analyses empiriques agrave lrsquoinstar des prin-cipes de gouvernance des ressouces communes drsquoOstrom la partie suivante va chercheragrave justifier lrsquoapproche du principe de responsabiliteacute des deacutechets par une analyse du com-mun Pour cela nous allons partir drsquoun historique de la probleacutematique des deacutechets quimettra en eacutevidence les changements successifs de la perception de valeur du deacutechet et deson potentiel de valeur qui ont donneacute naissance agrave ces formes drsquoauto-organisations
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Deuxiegraveme partie
Eacutemergence drsquoun problegraveme commun
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Chapitre II1
Histoire du deacutechet eacutevolution de laprobleacutematisation et de la mise enpolitique du deacutechet
Entreacutee en matiegravereLe fait de jeter un objet que lrsquoon ne considegravere plus utile et de produire en conseacute-
quence du deacutechet est un comportement de la socieacuteteacute moderne apparu agrave la moitieacute duvingtiegraveme siegravecle Avant lrsquoemploi courant du terme laquo deacutechet raquo il eacutetait drsquousage de par-ler de boues ou drsquoimmondices pour deacutesigner les rejets des individus Le terme drsquoeauxuseacutees eacutetait eacutegalement absent dans la ville du XVIIIegraveme siegravecle Mise agrave part le fait que lasocieacuteteacute drsquoantan eacutetait bien plus eacuteconome une autre raison du peu de deacutechets mateacute-riels eacutetait que la plupart des matiegraveres qui composent les produits drsquoaujourdrsquohui nesont apparues qursquoau 19egraveme-20egraveme siegravecle au moment de la reacutevolution industrielle et delrsquoexode rural Crsquoest bien lrsquoeacutevolution des modes de production et le deacuteveloppement desvilles conduisant au changement de comportement de la socieacuteteacute qui a creacuteeacute de nou-veaux types de deacutechets les deacutechets urbains
Ainsi les deacutechets sont des traceurs de lrsquohistoire en ce sens ougrave ils reflegravetent lrsquoeacutevo-lution des modes de vie des socieacuteteacutes Lrsquohomme est sa propre histoire (BELK 1988) Agravetravers un historique retraccedilant lrsquoeacutemergence du deacutechet dans la socieacuteteacute et lrsquoeacutevolution deses modes de gestion nous verrons comment progressivement la politique deacutechet estdevenu un enjeu strateacutegique relevant drsquoune activiteacute du commun
II11 De lrsquoantiquiteacute agrave lrsquourbanisation
Dans lrsquoantiquiteacute le concept de deacutechet nrsquoexistait pas et de ce fait lrsquoactiviteacute de gestiondes deacutechets non plus En France le terme a probablement eacuteteacute introduit au XVegraveme siegravecledeacuterivant du terme laquo deacutechoir raquo (DAGOGNET 1997) Agrave cette eacutepoque tout eacutetait reacuteutiliseacute oulaisseacute pour une deacutegradation naturelle Crsquoest vraisemblablement les villes dominantes delrsquoAntiquiteacute qui ont instaureacute un deacutebut de probleacutematique agrave lrsquoencontre des rejets de la viequotidienne (BEacuteGUIN 2013) Apparaissent effectivement agrave Rome et agrave Athegravenes les pre-miegraveres toilettes publiques ainsi qursquoun systegraveme de laquo tout-agrave-lrsquoeacutegout raquo le cloaca maxima(SILGUY 1996) Dans la mecircme ideacutee les romains ont creuseacute des fosses aux extreacutemiteacutes de laville afin drsquoy jeter les restes des repas Mais crsquoest tout particuliegraverement agrave partir du MoyenAcircge et du premier pheacutenomegravene drsquourbanisation que les rejets organiques ont commenceacute agrave
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CHAPITRE II1 HISTOIRE DU DEacuteCHET
gecircner les habitants qui eacutetaient de plus en plus nombreux Les rejets eacutetaient alors simple-ment jeteacutes agrave lrsquoexteacuterieur des habitations ou dans les riviegraveres
Au fur et agrave mesure que lrsquourbanisation prenait de lrsquoampleur le cycle naturel de la deacute-composition naturelle des rejets a eacuteteacute briseacute ce qui a conduit agrave la creacuteation des laquo deacutechetsurbains raquo (BARLES 2005) En effet la deacutemographie urbaine devenait telle que les rues sesont retrouveacutees de plus en plus pollueacutees par les ordures des habitants Cette situation ren-dait la vie en ville de plus en plus deacutesagreacuteable Agrave partir du moment ougrave les rues ont com-menceacute agrave deacutegager des odeurs fortement gecircnantes les premiegraveres mesures ont eacuteteacute prises EnFrance Philippe Auguste a deacutecideacute en 1185 de paver les rues et de creuser des fosses sep-tiques dans divers endroits de la ville de Paris (SILGUY 1996 p19 [BEacuteGUIN 2013]) On aalors sommeacute les habitants de suivre les consignes drsquohygiegravene et de jeter leurs deacutetritus dansles points deacutesigneacutes Cependant au deacutepart cela nrsquoa eu que peu drsquoimpacts De ce fait il srsquoestensuivi de graves eacutepideacutemies dont lrsquoune des plus deacutevastatrice a eacuteteacute la peste de 1347 Agrave cetteeacutepoque la croyance populaire voulait que lrsquoodeur des deacutetritus soit la cause responsabledes maladies Crsquoest seulement agrave partir du 17egraveme siegravecle que les mesures ont commenceacute agraveavoir un impact notamment avec la mise en place de taxes dissuasives
Les peacuteriodes qui ont suivi lrsquoeacutepoque meacutedieacutevale vont davantage structurer la gestion desdeacutechets et cela en fonction de la valeur qui en est perccedilue Sabine Barles a identifieacute deuxpeacuteriodes entre 1790 et 1970 (BARLES 2005) Selon lrsquoauteure la peacuteriode 1790 ndash 1870 illustreune circulation fermeacutee et spontaneacutee de la matiegravere entre la ville lrsquoindustrie et lrsquoagricul-ture Les ruptures technologiques socieacutetales et eacuteconomiques des anneacutees 1880 agrave 1970 vontconduire agrave une seacuteparation entre ces secteurs et agrave une ouverture du cycle de la matiegravere
II12 1790-1870 Un cycle de la matiegravere villeindustriea-griculture
Les deacutechets du deacutebut du XIXegraveme siegravecle eacutetaient composeacutes essentiellement drsquoos de chif-fons de peaux des vidanges et des boues Ces premiers excreacutetas urbains ne se perdaientpas Ils formaient des deacutechets transitoires telle de la matiegravere premiegravere urbaine Les chif-fonniers eacutetaient alors les principaux reacutecupeacuterateurs de deacutechets Ils reacutecupeacuteraient les chif-fons pour alimenter lrsquoindustrie du papier et les os pour la production de charbon animalet bien drsquoautres utilisations Cette peacuteriode a ainsi donneacute naissance agrave de nouvelles profes-sions autour de lrsquoactiviteacute du recyclage
Crsquoest en particulier avec lrsquoindustrialisation de la papeterie gracircce agrave la creacuteation de lamachine agrave papier fin XVIIIegraveme en Angleterre puis en France en 1820 que le prix des chif-fons a atteint des sommets valorisant ainsi lrsquoactiviteacute du chiffonnage Une filiegravere eacutetait neacuteeLe chiffonnier reacutecupeacuterait les chiffons aupregraves des meacutenages et le vendait au maicirctre chiffon-nier qui agrave son tour le revendait agrave des neacutegociants Plusieurs intermeacutediaires se revendaientles chiffons pour massifier le flux avant drsquoatteindre les industriels de la papeterie
De la mecircme maniegravere les os de plus en plus nombreux dans les villes avaient leurpropre filiegravere Contrairement au chiffon lrsquoos avait de multiples deacuteboucheacutes charbon ani-mal pour deacutecolorer le sucre de la betterave les sels ammoniacaux le suif drsquoos la colleetc Les boues quant agrave elles eacutetaient utiliseacutees pour lrsquoagriculture Rien ne se perdait Agrave cetteeacutepoque le cycle de la matiegravere eacutetait maintenue la ville rendait agrave lrsquoagriculture et agrave lrsquoindustrie
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CHAPITRE II1 HISTOIRE DU DEacuteCHET
ce qursquoelle avait consommeacute sous forme de deacutechets
II13 1880-1970 La seacuteparation
Agrave partir de la fin du XIXegraveme siegravecle la seconde reacutevolution industrielle va bouleverser lesmodes de production Le chiffon perd de son inteacuterecirct et sera concurrenceacute par une matiegraverepremiegravere vierge plus compeacutetitive le bois De mecircme la filiegravere des os aura de moins enmoins de deacuteboucheacutes avec lrsquoarriveacutee de la peacutetrochimie et lrsquoexploitation de gisements natu-rels Quant au secteur agricole la fabrication drsquoengrais issus de la carbochimie va rempla-cer le recyclage des boues urbaines
Parallegravelement agrave ces pertes de deacuteboucheacutes les deacutecouvertes de Pasteur vont entraicircnerun mouvement hygieacuteniste En effet ce sont finalement les travaux de Louis Pasteur en1870 qui ont permis de lier les enjeux de lrsquohygiegravene agrave la santeacute Agrave partir de cette deacutecouverteles autoriteacutes ont pris conscience que la cause des crises sanitaires nrsquoeacutetait pas lrsquoodeur desdeacutechets mais bien la matiegravere elle-mecircme Le deacutechet a pris alors une tout autre connota-tion en tant que substance contaminante causant de graves eacutepideacutemies Il srsquoensuivit unmouvement de reacuteformes sanitaires visant agrave rendre les villes plus propres En particulierla poubelle agrave couvercle introduite pour la premiegravere fois en France par le preacutefet parisienEugegravene Poubelle va deacutefinitivement modifier la gestion quotidienne des deacutechets Lrsquoutili-sation de la poubelle sera obligatoire et elle sera ramasseacutee par un service de ramassage le tombereau
Ces transformations de socieacuteteacute vont bouleverser lrsquoactiviteacute des chiffonniers qui nrsquoau-ront plus lrsquoaccegraves prioritaire aux deacutechets Le chiffonnage sera effectivement officiellementinterdit en 1946 et la ville proposera aux chiffonniers de devenir employeacutes de Paris afin deproceacuteder au ramassage des ordures La moitieacute des emplois lieacutes au ramassage des orduresen ville sera ainsi exerceacutee par drsquoanciens chiffonniers
Agrave partir de 1920 les matiegraveres premiegraveres urbaines nrsquointeacuteresseront plus lrsquoagriculture nilrsquoindustrie malgreacute les efforts faits pour en ameacuteliorer la qualiteacute le conditionnement etla distribution Lrsquoincineacuteration et lrsquoenfouissement vont devenir les principales meacutethodesdrsquoeacutelimination au cours du XXegraveme siegravecle Crsquoest en 1896 que Paris a impleacutementeacute son pre-mier centre de traitement des deacutechets et en 1907 son premier incineacuterateur Ces centresreposaient sur des techniques de broyage et drsquoincineacuteration
Tout au long du XXegraveme siegravecle avec la reconversion et la formalisation du meacutetier dechiffonnier la mise en place de systegravemes de collecte et de transport des deacutechets et laconstruction de centres de traitement lrsquoactiviteacute de gestion des deacutechets srsquoest de plus enplus industrialiseacutee Crsquoest alors agrave la ville de se charger de la gestion des ordures urbainesCrsquoest elle qui agrave partir de la deuxiegraveme moitieacute du XXegraveme siegravecle mesurera reacuteellement lrsquoimpli-cation financiegravere qursquoincombe ce service agrave la collectiviteacute Selon Joulot degraves 1946 laquo le ser-vice public drsquoeacutelimination des immondices est une charge ineacuteluctable pour la collectiviteacuteraquo (BARLES 2005 p224)
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CHAPITRE II1 HISTOIRE DU DEacuteCHET
II14 Mise en politique de la probleacutematique deacutechet (1950 -1990)
II141 Un contexte drsquourgence environnementale
Agrave partir de lrsquoentre-deux-guerres la ferraille gagne de son importance et inteacuteresse deplus en plus notamment les nouvelles industries telles que la sideacuterurgie Le traitementde la ferraille conduit agrave une industrialisation du recyclage et agrave lrsquoeacutelaboration de nouveauxtraitements utilisant de nouvelles machines et techniques Les recycleurs vont alors se re-grouper et partager leur savoir-faire au sein drsquoun syndicat la FEDEREC (Feacutedeacuteration desEntreprises de Recyclage) afin de promouvoir le recyclage et ses meacutetiers La FEDEREC aeacuteteacute creacuteeacutee en 1945 pour regrouper les diffeacuterentes chambres syndicales de la profession lespremiegraveres ayant eacuteteacute constitueacutees en 1890
Cependant les filiegraveres de recyclage des ordures meacutenagegraveres peinent agrave srsquoimposer EnFrance la mise en deacutecharge repreacutesente encore 60 agrave 80 des ordures meacutenagegraveres au deacutebutdes anneacutees 1980 (source ANRED devenue ADEME) En pratique les choix de traitementdeacutependaient fortement du niveau de connaissance des eacutelus sur la question Et agrave lrsquooriginelrsquoincineacuteration eacutetait privileacutegieacutee de part sa capaciteacute agrave geacuteneacuterer de lrsquoeacutenergie et agrave contribuerainsi au chauffage urbain Cependant tregraves vite lrsquoincineacuteration srsquoest reacuteveacuteleacutee peu rentableet source de fortes pollutions Agrave travers le mouvement ldquoNot In My Back Yard (NIMBY)rdquoles riverains se sont mobiliseacutes pour lutter contre la construction de sites drsquoenfouissementou drsquoincineacuteration pregraves de chez eux Degraves lors les infrastructures de traitement des deacutechetsvont constituer un point de blocage majeur de la politique deacutechets (LE GALEgraveS et THAT-CHER 1995 RUMPALA 1999) en provoquant une peacutenurie de capaciteacutes de stockage (CAL-LON 1986 LALONDE 1990)
Parallegravelement agrave ces conflits la socieacuteteacute de consommation des trente glorieuses a com-menceacute agrave montrer ses faces cacheacutees Alors qursquoen 1962 le volume de deacutechets meacutenagersrepreacutesentait 35 Mtan il atteint deacutejagrave 51 Mtan cinq ans plus tard (BEYELER 1991) Outrelrsquoexplosion incontrocircleacutee de la quantiteacute de deacutechets des meacutenages un nouvel enjeu apparaicirctdu fait de la complexification matiegravere des nouveaux produits (tels que les petits et groseacutelectromeacutenagers) et plus reacutecemment des nouvelles technologies (teacuteleacutephones portablesordinateurs etc) Nous reviendrons en particulier sur la composition des nouvelles tech-nologies qui repreacutesentent lrsquoessentiel de la valeur des Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriqueset Eacutelectroniques et soulegravevent des enjeux geacuteopolitiques strateacutegiques (voir II442) Cettecomplexification des produits rend les traitements basiques drsquoeacutelimination inadapteacutes drsquoau-tant plus que ces produits contiennent des substances polluantes retardateurs de flammebromeacutes dans les plastiques meacutetaux lourds etc
De maniegravere geacuteneacuterale agrave partir des anneacutees 70 et suite agrave de multiples scandales envi-ronnementaux (pollutions de lrsquoair et des sols par lrsquoactiviteacute industrielle mareacutees noires ac-cidents industriels explosions etc) on a commenceacute agrave srsquointerroger sur la capaciteacute de lanature agrave se renouveler face agrave une exploitation toujours plus massive et destructrice reacute-sultant de progregraves eacuteconomiques et technologiques Le rapport du Club de Rome en 1972dit rapport de Meadows a fait date Il introduit alors le risque de peacutenurie des ressourceseacutenergeacutetiques et mineacuterales et le risque drsquoirreacuteversibiliteacute des dommages sur lrsquoenvironnementoccasionneacutes par le deacuteveloppement industriel Coupleacute agrave la forte hausse des prix des ma-tiegraveres premiegraveres (suite au premier choc peacutetrolier de 1973) ces faits convaincront les pays
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CHAPITRE II1 HISTOIRE DU DEacuteCHET
deacuteveloppeacutes agrave fonder de reacuteelles politiques environnementales
II142 Un deacutebut de mise en politique agrave travers un reacutegime confineacute
Concernant la probleacutematique des deacutechets crsquoest la loi-cadre de 1975 (loi ndeg 75-633 du15 juillet 1975) qui va fixer officiellement en France les termes leacutegaux deacutefinissant le deacute-chet et qui va deacutesigner les communes comme responsables de la mise en place de lrsquoeacuteli-mination des deacutechets des meacutenages Cette loi a eacutegalement esquisseacute en drsquoautres termes etformules lrsquoideacutee originale du principe de ldquopollueur-payeurrdquo ainsi que la valorisation desdeacutechets et la hieacuterarchie des traitements Cependant malgreacute la preacutesence degraves 1975 dans lareacuteglementation de principes originaux (sur lesquels reposent encore aujourdrsquohui les poli-tiques environnementales) ils nrsquoont pas pris effet instantaneacutement En effet adopteacutes pourdes raisons plus eacuteconomiques qursquoenvironnementales dans le contexte post-choc peacutetro-lier de 1973 qui laisse entrevoir le potentiel du deacutechet comme potentielle matiegravere recycleacuteeou sources drsquoeacutenergie ils ne vont pas faire lrsquoobjet drsquoinstrumentation speacutecifique Lrsquoensembledes acteurs faisant valoir que lrsquourgence eacutetait alors au traitement des laquo points noirs raquo querepreacutesentent le deacutechet non collecteacute ou la deacutecharge sauvage (AGGERI 2005)
En pratique les politiques publiques drsquoalors restent confineacutees agrave un objectif reacuteduit quiest la protection des populations contre cette pollution visible que constitue le deacutechetElle opegravere au travers drsquoun eacuteventail reacuteduit drsquoinstruments pour lrsquoessentiel de type reacutegle-mentaires et mis en place par un acteur unique qursquoest lrsquoEacutetat central et ses services deacutecon-centreacutes On observe un reacutegime de gouvernementaliteacute qui peut par lrsquoeffet de ces princi-pales caracteacuteristiques ecirctre qualifieacute de laquo reacutegulation confineacutee raquo (AGGERI 2005) Ce reacutegimede gouvernementaliteacute est caracteacuteriseacute par un eacuteventail reacuteduit drsquoinstruments essentielle-ment de type administratifs et reacuteglementaires tels que le reacutegime des Installations Classeacuteespour la Protection de lrsquoEnvironnement (ICPE) des anneacutees 1975-1976 ou les plans drsquoeacutelimi-nation Ils traduisent un mode de relation gouvernant-gouverneacute fondeacute sur la contrainte etsont centreacutes autour de la deacutefinition drsquoobjets nouveaux de politique publique et de pres-criptions organisationnelles et techniques Il est agrave noter que les gouverneacutes (cibles de lapolitique publique) sont alors confineacutes agrave un nombre reacuteduit drsquoacteurs (communes pres-tataires de service de collecte et de stockage) et que le mode drsquoaction par la responsabili-sation est principalement restreint agrave lrsquoacteur public la collectiviteacute
Cependant ces mesures se sont reacuteveacuteleacutees inefficaces ciblant davantage les processusde production que les produits En effet bien que cela ait permis drsquoencourager des tech-nologies plus propres la quantiteacute de deacutechets nrsquoa cesseacute de croicirctre srsquointensifiant mecircmeentraicircnant des coucircts aux collectiviteacutes de plus en plus importants et conduisant agrave la mul-tiplication drsquoactes illeacutegaux tels que les sites de stockage sauvages Crsquoest plus tard avec ladiffusion de lrsquoapproche de lrsquoanalyse du cycle de vie (ACV) que les politiques publiques ontsu mieux traiter les probleacutematiques agrave la source
En effet mecircme si la laquo coopeacuteration exploratoire raquo entre acteurs ne fait pas encore partiede la doctrine politique (elle eacutemergera dans les anneacutees 90 [AGGERI 2005]) des premierseacuteleacutements caracteacuteristiques font malgreacute tout leur apparition Cette dynamique reacutepond agrave lacomplexiteacute de lrsquoobjet laquo deacutechet raquo qui neacutecessite pour ecirctre gouverneacute le lancement drsquoexpeacute-rimentations inter-acteurs permettant la constitution drsquoapprentissages collectifs
Les deacutecennies 1970 et 1980 voient ainsi eacutemerger des instruments de type contractuel
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CHAPITRE II1 HISTOIRE DU DEacuteCHET
dans une optique incitative (ROCHER 2006) avec le deacuteveloppement drsquoaccords sectorielsou par types de deacutechets Agrave titre drsquoexemple en 1979 est signeacute le laquo contrat-emballage raquopar lrsquointerprofession des emballages de liquides qui se fixe ainsi des objectifs agrave atteindreen matiegravere de collecte drsquoeacuteconomie de mateacuteriaux de reacuteemploi et de recyclage Face agrave lacomplexiteacute de lrsquoobjet deacutechet une instrumentation de production de connaissances in-novantes commence alors agrave prendre forme Une institution lrsquoAgence Nationale pour laReacutecupeacuteration et lrsquoEacutelimination des Deacutechets (ANRED) ancecirctre de lrsquoADEME est creacuteeacutee en1976 suite agrave la loi de 1975 afin de faire naicirctre un savoir technique sur ces theacutematiquesDes premiers dispositifs financiers drsquoaide agrave lrsquoinnovation voient eacutegalement le jour pour ac-compagner ce mouvement Cependant cette instrumentation originale reste marginale
Face agrave lrsquoaugmentation constante de la production des deacutechets par les meacutenages 16 et agraveleur complexiteacute croissante les communes voient leurs coucircts de gestion exploser Le be-soin de nouvelles deacutecharges et drsquoincineacuterateurs se fait pressant mais est vivement contesteacutepar lrsquoopinion publique Lrsquourgence est agrave une orientation politique nouvelle
16 Jean-Marie Bockel (1991) met en eacutevidence que la production de deacutechets meacutenagers passe de 220kghab en 1960 agrave 360kghab en 1990
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Chapitre II2
Nouvelle orientation responsabilisationet innovation (de 1990 mdash agrave nos jours)
II21 Naissance du concept de Responsabiliteacute Eacutelargie duProducteur
En 1990 des discussions ont deacutebuteacute au niveau europeacuteen afin de trouver une alterna-tive au financement de la gestion des deacutechets et afin drsquoencourager la preacutevention et uneproduction industrielle plus respectueuse de lrsquoenvironnement Les anneacutees 90 ont vu ainsinaicirctre de nouveaux instruments reposant sur une approche produit par exemple les pre-miers labels environnementaux Ceci gracircce agrave des avanceacutees scientifiques permettant deseacutetudes de plus en plus fiables reposant sur des analyses de lrsquoensemble du cycle de vie duproduit agrave savoir lrsquoeacutevaluation de lrsquoimpact environnemental du produit agrave chaque eacutetape desa vie de sa conception agrave son eacutelimination
Au-delagrave drsquoune politique environnementale davantage revendiqueacutee crsquoest tout un cadrepolitique juridique eacuteconomique et social qui va faire eacutemerger une nouvelle orientationpolitique Par exemple cette peacuteriode est caracteacuteristique de la monteacutee en puissance duconcept de laquo nouveau management public raquo (de lrsquoanglais new public management) Lrsquoideacuteede base est de revoir profondeacutement les formes traditionnelles de la gestion publique enprenant exemple sur le secteur priveacute afin drsquoameacuteliorer le rapport coucirctefficaciteacute des ser-vices Ces ambitions sont soutenues par les rapports de lrsquoOCDE et de la Commission euro-peacuteenne qui poussent agrave des reacuteformes reacuteglementaires de simplification et de modernisationen coheacuterence avec un contexte de deacutereacutegulation mondialiseacute que ce soit pour des raisonseacuteconomiques ou dans une logique environnementale (COLLIER 1998) Le Droit est aussiteacutemoin drsquoun changement theacuteorique introduisant un Droit davantage laquo responsif raquo crsquoest agravedire srsquoappuyant sur une institution flexible capable drsquoapprentissage reacuteactive aux besoinssociaux et aux aspirations humaines (NONET et SELZNICK 1978 [TERREacute 2007])
II211 Une doctrine eacutemergente agrave partir de premiegraveres expeacuteriences
Crsquoest dans ce large contexte de transformations que srsquoest imposeacute le principe de Res-ponsabiliteacute Eacutelargie du Producteur (REP) Agrave la demande du Ministegravere de lrsquoenvironnementsueacutedois Thomas Lindhqvist a proposeacute dans un rapport officiel (1990) le concept de Res-ponsabiliteacute Eacutelargie du Producteur (REP) (LINDHQVIST 2000) Le concept eacutetait baseacute surlrsquoanalyse de diffeacuterents exemples de systegravemes de recyclage et de gestion des deacutechets en
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CHAPITRE II2 NOUVELLE ORIENTATION RESPONSABILISATION ETINNOVATION
Suegravede et dans drsquoautres pays ainsi que sur divers instruments de politique publique en-courageant la production verte Lrsquoideacutee initiale eacutetait de soulager financiegraverement les collec-tiviteacutes en engageant un transfert des coucircts du secteur public au priveacute par la responsabili-sation des acteurs eacuteconomiques
Pendant plus drsquoune deacutecennie agrave travers diffeacuterents colloques rapports et notes drsquoana-lyse lrsquoauteur a chercheacute agrave mieux deacutefinir le concept et agrave le deacutevelopper notamment agrave traversun rapport cherchant agrave concevoir un modegravele caracteacuterisant les diffeacuterents systegravemes [1992]ou encore une note de synthegravese [2000] eacutevaluant les expeacuteriences avec davantage de reculEn effet tout drsquoabord le nom a fait lrsquoobjet de plusieurs deacutebats du fait de lrsquoambiguiteacute de latraduction anglaise du terme de responsabiliteacute elle peut ecirctre traduit en liability accoun-tability responsibility Lindhqvist a deacutelibeacutereacutement choisi le terme de responsibility afindrsquoinsister sur lrsquoideacutee du laquo devoir raquo De plus les deacutecideurs ameacutericains ont pour la pluparteacuteteacute gecircneacutes par lrsquoideacutee de deacutesigner un acteur et de le rendre prioritairement responsable Ilsprocircnaient davantage une responsabiliteacute partageacutee avec les consommateurs par exempleet tout autre acteur impliqueacute dans le cycle de vie des produits Le terme de ResponsabiliteacuteEacutelargie du Produit (Extended Product Responsibility) eacutetait donc preacutefeacutereacute aux Eacutetats-Unis Parailleurs au deacutebut des premiegraveres expeacuteriences les donneacutees empiriques eacutetaient plutocirct rareset de qualiteacute meacutediocre Les divers rapports ont permis alors de capitaliser en connais-sances et drsquoeacutetendre peu agrave peu les modegraveles et les objectifs Crsquoest ainsi que la multipliciteacutedes expeacuteriences a conduit agrave la constitution drsquoun terrain drsquoeacutetude riche aux contextes geacuteo-graphiques politiques sociaux et eacuteconomiques varieacutes
Alors que la premiegravere deacutefinition du principe de REP renvoyait agrave une laquo strateacutegie raquo envi-ronnementale (dans le rapport de 1992) le concept a par la suite eacuteteacute explicitement deacutefinien tant que laquo principe raquo politique laquo Extended Producer Responsaibility (EPR) is a policyprinciple to promote total life cycle environmental improvements of product systems by ex-tending the responsabilities of the manufacturer of the product to various parts of the entirelife cycle of the product and especially to the take-back recycling and final disposal of theproduct raquo (LINDHQVIST 2000)
Selon Lindhqvist la REP eacutetait un moyen drsquoencourager lrsquoinnovation dans la concep-tion des produits et des systegravemes de gestion des deacutechets Cette incitation devait agrave termeconduire agrave une preacutefeacuterence pour une eacuteconomie de lrsquousage (ie vente drsquouniteacutes drsquoutilisation)remplaccedilant lrsquoeacuteconomie de la consommation (ie vente de produits neufs) Elle permet-tait ainsi de donner une place significative agrave lrsquoeacuteconomie de la reacuteutilisation et du recyclagedans le cycle de la matiegravere et des produits
De la mecircme maniegravere que la deacutemultiplication des faisceaux de Droit permet de revoirla notion de proprieacuteteacute (COMMONS 1893) Lindhqvist distingue diffeacuterents types de respon-sabiliteacute pouvant ecirctre attribueacutes agrave des acteurs diffeacuterents Il distingue ainsi la responsabiliteacutejuridique la responsabiliteacute financiegravere la proprieacuteteacute la responsabiliteacute physique et la res-ponsabiliteacute drsquoinformation (LINDHQVIST 2000) Cette clarification des caracteacuteristiques dela responsabiliteacute doit permettre lrsquoadoption drsquoune politique claire quant agrave la deacutesignationdes acteurs responsables et lrsquoattribution du type de responsabiliteacute
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CHAPITRE II2 NOUVELLE ORIENTATION RESPONSABILISATION ETINNOVATION
II212 Les premiegraveres applications du principe de REP en Europe
Les deacutechets nrsquoeacutetant pas de caracteacuteristiques eacutegales certains plus polluants que drsquoautresdes flux particuliers ont alors eacuteteacute deacuteclareacutes prioritaires par lrsquoUnion europeacuteenne (UE) (DE SA-DELEER 1995) Ils ont eacuteteacute cibleacutes soit en raison de leur quantiteacute croissante de leur dange-rositeacute ou de leur potentiel de valeur et sont devenus ainsi de nouveaux objets de poli-tique publique Citons par exemple les emballages les veacutehicules hors drsquousage les deacutechetsdrsquoeacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques les pneumatiques etc Le principe de REP aeacuteteacute ainsi officiellement introduit dans les directives de lrsquoUE dans un premier temps pourles deacutechets drsquoemballages (1993) (mecircme si quelques dispositions similaires existaient pourles huiles degraves 1979) puis par rapport aux piles et accumulateurs portables (2001) Lrsquoideacuteeeacutetait drsquointernaliser le coucirct de gestion des deacutechets dans le prix des produits afin que lesproducteurs ameacuteliorent la recyclabiliteacute des produits qursquoils mettent sur le marcheacute Et cecidans le but de reacuteduire la production de deacutechets et de faciliter la reacuteutilisation et le recy-clage Parallegravelement agrave lrsquointernalisation des coucircts ce principe a instaureacute pour la premiegraverefois au niveau europeacuteen des objectifs de recyclage
Des premiegraveres expeacuterimentations ont eacuteteacute conduites dans les anneacutees 90 On peut citerlrsquoun des premiers programmes qui a eacuteteacute celui du laquo point vert raquo allemand obligeant lesproducteurs et les distributeurs drsquoemballages agrave geacuterer la reprise des deacutechets lieacutes agrave la fin devie des produits qursquoils ont mis sur le marcheacute Ce programme contraignant a conduit agrave lacreacuteation de la socieacuteteacute DSD GmbH (Duales System Deutschland) en 1990 En 1992 crsquoest enFrance qursquoun autre programme reacuteglementaire est apparu avec la creacuteation des organismesde producteurs Eco-emballage et Adelphe pour la gestion des deacutechets drsquoemballages Plu-sieurs initiatives volontaires plutocirct individuelles ont eacutegalement vu le jour Elles preacutevoientla reprise drsquoun produit ancien au moment de lrsquoachat drsquoun produit neuf par le consomma-teur par exemple les programmes de reprise volontaires drsquoIBM en Autriche en Franceen Italie et au Royaume-Uni la socieacuteteacute Xerox avec son systegraveme de reprise internationalde cartouches drsquoencre pour photocopieurs Enfin certains pays ont deacutecideacute de recourir agravedes accords neacutegocieacutes mdash juridiquement contraignants ou non mdash entre les pouvoirs publicset les acteurs priveacutes afin de partager la gestion de certains types de deacutechets Par exempleen 1991 les Pays-Bas ont eacutetabli une convention neacutegocieacutee avec les industriels lieacutes aux em-ballages
II22 Un deacutebut de doctrine
En 2001 apregraves une deacutecennie de premiegraveres expeacuterimentations et de nombreux deacutebatset seacuteminaires au niveau europeacuteen 17 (sur les avantages et limites drsquoune politique de REPles questions qursquoelle soulegraveve les dispositions agrave prendre pour sa mise en œuvre efficace)lrsquoOCDE a publieacute un premier rapport structurant du principe de REP et posant les pre-miegraveres doctrines (OCDE 2001) Dans ce manuel de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des pouvoirspublics le principe de REP est officiellement reconnu comme un instrument de politiquede lrsquoenvironnement Lrsquoapproche y est clairement neacuteo-libeacuterale (incitations mesure res-ponsabiliteacute individuelle) srsquoinscrivant dans la tradition du principe de laquo pollueur-payeur raquocomme meacutecanisme eacuteconomique drsquointernalisation des externaliteacutes Bien que ce rapport
17 En particulier lrsquoOCDE avait lanceacute degraves 1994 un projet sur la REP en trois phases reposant sur un grandnombre drsquoentretiens reacutealiseacutes dans les pays de lrsquoOCDE des ateliers reacuteunissant les parties prenantes deseacutetudes approfondies de programme de REP conduisant agrave lrsquoeacutelaboration de rapports intermeacutediaires et desynthegravese tel le rapport de synthegravese de la phase 1 (OCDE 1996)
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CHAPITRE II2 NOUVELLE ORIENTATION RESPONSABILISATION ETINNOVATION
reconnaisse lrsquoexistence drsquoautres options telles que la creacuteation drsquoorganismes collectifs commecela a eacuteteacute vu avec les exemples des organismes DSD et Eco-emballages la responsabiliteacutecollective nrsquoest pas reacuteellement theacuteoriseacutee
Le manuel explicite les deux objectifs interdeacutependants drsquoune politique de REP quisont (1) de deacutecharger les collectiviteacutes de la responsabiliteacute de gestion (mateacuterielle etoueacuteconomique totale ou partielle) des deacutechets et (2) drsquoinciter les metteurs sur le marcheacuteagrave prendre en compte les aspects environnementaux dans le cadre de la conception desproduits (ie lrsquoeacuteco-conception) Dans les anneacutees 2000 avec lrsquoaccumulation des reacuteflexionsissues des confeacuterences environnementales drsquoautres objectifs srsquoy ajouteront dont celuidrsquoaugmenter le recyclage et drsquoaxer davantage la politique sur la preacutevention des deacutechetsCes objectifs sont preacutesents dans le manuel de lrsquoOCDE mais nrsquoy sont pas clairement expli-citeacutes
Le manuel de lrsquoOCDE agrave lrsquointention des pouvoirs public eacutetait baseacute sur les premiegraveresexpeacuterimentations et nrsquoavait pas pour but de donner des directives preacutecises sur la maniegraverede mettre en place un dispositif de REP Le manuel porte davantage une reacuteflexion agrave desti-nation des pouvoirs publics des pays membres visant agrave laquo examiner diverses questions quidoivent ecirctre prises en compte et les conditions cadres qui sous-tendent la conception desmesures et programmes de REP raquo (OCDE 2001 p11)
Le point majeur expresseacutement souligneacute agrave travers lrsquoouvrage est la question de la res-ponsabiliteacute des producteurs et du partage de la responsabiliteacute Il est en effet rappeleacute quele principe fondamental de la REP est que laquo le producteur assume une part significative dela responsabiliteacute mateacuterielle etou financiegravere agrave lrsquoeacutegard des produits en aval de la consom-mation raquo (OCDE 2001 p12) Drsquoautre part la deacutefinition mecircme de la responsabiliteacute ainsiincombeacutee est agrave clarifier entre les parties concerneacutees En effet il srsquoagit de reacutepartir la res-ponsabiliteacute mateacuterielle (ie la gestion opeacuterationnelle des deacutechets) et financiegravere le devoirdrsquoinformation la responsabiliteacute leacutegale ainsi que la proprieacuteteacute du deacutechet Ces responsabi-liteacutes peuvent ecirctre imputeacutees en totaliteacute ou en partie Les auteurs insistent de ce fait surlrsquoimportance de laquo deacutesigner un acteur qui centralise lrsquoorganisation et la mise en œuvredu programme de REP raquo Cependant alors que dans lrsquoacception originale du principe delaquo pollueur-payeur raquo lrsquointervention publique devait ecirctre aussi proche que possible de lasource des effets externes la REP insiste sur lrsquoadoption drsquoun sens plus large agrave la notion delaquo pollueur raquo (ideacutee preacutesente degraves la loi ndeg 75-633 du 15 juillet 1975) laquo en eacutelargissant agrave drsquoautresacteurs de la chaicircne de produit tels que les fabricants de produits agrave lrsquoorigine drsquoincidencessur lrsquoenvironnement raquo (OCDE 2001 p10) Il srsquoagit de cibler lrsquoacteur le plus influent dansla chaicircne de valeur Ce choix peut ecirctre fait eu eacutegard des mateacuteriaux et de la conception desproduits mais aussi des autres parties prenantes agrave savoir le fabricant le proprieacutetaire de lamarque lrsquoimportateur ou dans certains cas le conditionneur Telle la remarque de Isaacs(2014) il srsquoagit de srsquoappuyer sur le rocircle historique des acteurs dans la probleacutematique afinde former et de deacutesigner un collectif consideacutereacute plus responsable que drsquoautres (cf I36)
Dans la suite seront examineacutes les diffeacuterents moyens drsquoaction pouvant servir agrave appli-quer les principes de REP la mise en place drsquoobjectifs chiffreacutes de collecte de recyclageet de valorisation les obligations de reprise les instruments eacuteconomiques les normes etles reacutesultats Il sera fait eacutegalement distinction des diffeacuterentes approches pouvant ecirctre plusou moins obligatoires certains Eacutetats choisissent drsquoimposer la REP par la reacuteglementationalors que drsquoautres preacutefegraverent laisser faire lrsquoindustrie
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CHAPITRE II2 NOUVELLE ORIENTATION RESPONSABILISATION ETINNOVATION
Ces choix drsquoinstruments et drsquoapproches deacutependent de la speacutecificiteacute des produits oudes groupes de produits viseacutes Un des ateliers qui a conduit agrave lrsquoeacutelaboration du manuel delrsquoOCDE a notamment permis de deacuteterminer une seacuterie de matrices drsquoaide agrave la deacutecisionSont repreacutesenteacutees diffeacuterentes applications de la REP en fonction de la valeur de reacutecupeacutera-tion des deacutechets et de lrsquoimpact environnemental Ainsi les flux de deacutechets pour lesquelsun programme de REP est le plus justifieacute ont pour caracteacuteristiques une forte valeur dereacutecupeacuteration et un fort impact environnemental De maniegravere geacuteneacuterale les produits sus-ceptibles drsquoeffets indeacutesirables sont ceux pour lesquels la REP se justifie le plus Au-delagrave deces deux facteurs valeur-environnement il existe bien drsquoautres facteurs deacuteterminant lrsquoin-teacuterecirct drsquoune politique de REP Parmi ces facteurs la dureacutee de vie des produits la composi-tion les marcheacutes les modes de distribution les marcheacutes des matiegraveres de reacutecupeacuteration laquantiteacute le degreacute drsquohomogeacuteneacuteiteacute au sein drsquoune mecircme cateacutegorie de produits lrsquoenvergureet la porteacutee du reacuteseau de distribution Les Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectro-niques eacutetant agrave la fois dangereux pour lrsquoenvironnement par leur nombre croissant et lessubstances polluantes qursquoils contiennent et fortement valorisables car ils contiennentdes meacutetaux de valeur sont particuliegraverement eacuteligibles pour une politique de REP
Dans le contexte neacuteolibeacuteral les auteurs du manuel soulignent eacutegalement le souci po-tentiel de compatibiliteacute drsquoune politique de REP avec les regravegles du commerce internationalet de la concurrence Ceci est eacutegalement agrave prendre en consideacuteration sur le plan nationallaquo du fait des possibiliteacutes de collusion qui srsquooffrent aux organisations de producteurs res-ponsables et sur les marcheacutes de matiegraveres secondaires raquo (OCDE 2001 p13) Crsquoest pour-quoi ils recommandent de veiller agrave la neutraliteacute drsquoun programme de REP par rapport agrave laconcurrence Dans la mecircme ideacutee les auteurs encouragent la preacuteservation de la concur-rence dans le secteur de la gestion des deacutechets de maniegravere agrave maicirctriser les coucircts de traite-ment Les probleacutematiques de laquo passagers clandestins et des produits (preacute-)existants (ieles produits en fin de vie avant la mise en oeuvre drsquoun dispositif de REP) et orphelins(ie les produits en fin de vie dont le producteur est inexistant pour cause de faillite ouautre) sont eacutegalement eacutevoqueacutees Pour ces produits les meacutecanismes permettant de finan-cer leur prise en charge doivent ecirctre particuliegraverement soigneacutes Quant agrave la lutte contre leslaquo passagers clandestins raquo il srsquoagit de mettre en place un systegraveme de controcircle efficace Il estaussi question des aspects pratiques de lrsquoincitation agrave lrsquoeacuteco-conception
Enfin les expeacuteriences eacutetudieacutees permettent de souligner lrsquoimportance drsquoune mise enœuvre progressive drsquoun programme de REP (pouvant ecirctre modifieacute et adapteacute au fil dutemps) drsquoune certaine souplesse de chiffrer des objectifs clairs (accepteacutes par lrsquoensembledes parties concerneacutees) et de mettre en place un systegraveme de suivi et drsquoeacutevaluation du pro-gramme
Aussi le manuel de lrsquoOCDE permet-il drsquoenvisager tout un panel de programmes de REPpossibles selon le type de deacutechets consideacutereacutes et selon la politique du pays concerneacute deacutejagraveen place En effet laquo il nrsquoexiste pas en matiegravere de REP une seule bonne approche qui soit ap-plicable agrave tous les produits groupes de produits ou flux de deacutechets raquo (OCDE 2001 p115)Drsquoautant plus que les Directives europeacuteennes en matiegravere de gestion des deacutechets laissentune grande place agrave lrsquointerpreacutetation quant agrave la transposition Certaines Directives deacutechetsinvoquent le principe de REP comme mesure contraignante drsquoautres la suggegraverent maisnrsquoimposent rien 18 De ce fait les Eacutetats membres de lrsquoUnion europeacuteenne ont des politiques
18 Par exemple la reacuteglementation franccedilaise preacutevoit la mise en oeuvre drsquoune filiegravere REP pour les deacutechets
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CHAPITRE II2 NOUVELLE ORIENTATION RESPONSABILISATION ETINNOVATION
deacutechets et des systegravemes en place tregraves varieacutes plus ou moins contraignants et collectifs
II23 Le cas de la politique des REP en France
II231 Un principe visant une varieacuteteacute de flux de deacutechets et qui srsquoest lar-gement diffuseacute
En France le premier systegraveme de REP a eacuteteacute mis en place pour les deacutechets drsquoembal-lages Des organismes collectifs mdash des eacuteco-organismes mdash gouverneacutes par des produc-teurs ont eacuteteacute creacuteeacutes afin de reacutepondre agrave la responsabiliteacute nouvelle leur incombant (Eacuteco-emballages et Adelphe en 1993) Dans la plupart des systegravemes de REP europeacuteens les pro-ducteurs doivent choisir entre creacuteer une filiegravere de gestion individuelle ou adheacuterer agrave unorganisme collectif Le cas de lrsquoAllemagne est un peu diffeacuterent on le verra au V2 Pour desraisons drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle la majoriteacute des producteurs opte pour une gestion collec-tive
La filiegravere REP emballage eacutetant jugeacutee prometteuse en France le nombre de filiegraveres REPa consideacuterablement augmenteacute entre 2006 et 2014 Aujourdrsquohui il existe une vingtaine defiliegraveres REP en France (cf figure II21) chacune avec leurs propres caracteacuteristiques Cer-taines sont issues de Directives europeacuteennes imposant la mise en place drsquoun programmede REP les filiegraveres emballages piles et accumulateurs DEEE veacutehicules hors drsquousage etcDrsquoautres REP sont issues drsquoinitiatives nationales les filiegraveres pneumatiques papiers gra-phiques textile ameublement etc Enfin certaines REP naissent drsquoinitiatives volontaires les filiegraveres produits de lrsquoagrofourniture Mobil-homes etc
FIGURE II21 ndash Panorama des filiegraveres REP en France (ADEME 2017)
II232 Une approche collective du principe de REP
Agrave lrsquoorigine de la directive sur les DEEE le Parlement europeacuteen srsquoeacutetait prononceacute pourune mise en œuvre individuelle de la REP ougrave les producteurs devraient chacun reacutepondreagrave la gestion de leurs produits usagers suivant la logique du laquo pollueur-payeur raquo (CASTELL
textiles drsquoameublements des pneumatiques etc
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CHAPITRE II2 NOUVELLE ORIENTATION RESPONSABILISATION ETINNOVATION
et collab 2004 LINDHQVIST et LIFSET 2003) Cependant suite agrave un fort lobbying des in-dustriels privileacutegiant des solutions collectives afin de reacuteduire les coucircts la Commissioneuropeacuteenne a laisseacute le choix libre entre une mise en œuvre individuelle ou collective de laREP En France lrsquoapproche collective a largement eacuteteacute privileacutegieacutee et reproduite pour lrsquoen-semble des filiegraveres Les producteurs se sont ainsi regroupeacutes pour former des organismescollectifs mdash des eacuteco-organismes mdash devant assumer les responsabiliteacutes de leurs membresLa reacuteglementation franccedilaise encadre ces organismes qui sont agreacuteeacutes par lrsquoEacutetat pour sixanneacutees renouvelables ils doivent ecirctre agrave but non lucratif gouverneacutes par des producteursuniquement et respecter un cahier des charges eacutemis par le ministegravere Cette responsabiliteacutecollective est tregraves opeacuterationnelle et permet des eacuteconomies drsquoeacutechelle importantes Toute-fois lrsquoincitation agrave lrsquoeacuteco-conception est remise en cause du fait drsquoun partage des coucircts detraitement et drsquoune dilution des responsabiliteacutes individuelles
II233 Les choix techniques de mise en œuvre
Le financement de la filiegravere se fait agrave travers une participation agrave lrsquoachat par le consom-mateur Cette eacuteco-participation (ou encore eacutecotaxe ou eacuteco-contribution) est reverseacutee agravelrsquoidentique agrave lrsquoeacuteco-organisme auquel est affilieacute le producteur Dans la filiegravere des DEEElrsquoeacuteco-participation doit obligatoirement ecirctre visible crsquoest-agrave-dire afficheacutee distinctementdu prix drsquoachat permettant au consommateur de prendre connaissance du montant re-verseacute agrave la filiegravere de fin de vie du produit acheteacute Cette visibiliteacute stricte assure eacutegalementune complegravete transparence du prix reverseacute agrave lrsquoeacuteco-organisme et empecircche toutes neacutego-ciations entre les intermeacutediaires successifs dans la chaicircne de valeur qui seraient tenteacutesde compresser les diverses marges Cette regravegle de la visibiliteacute de lrsquoeacuteco-participation nrsquoestpas geacuteneacuterale cela deacutepend des choix pris
La responsabiliteacute qui incombe aux producteurs peut eacutegalement ecirctre diffeacuterente selonla filiegravere Par exemple la filiegravere emballage est une filiegravere laquo financiegravere raquo crsquoest-agrave-dire queles producteurs doivent contribuer au financement de la filiegravere en soutenant les collec-tiviteacutes agrave hauteur de 80 des coucircts de gestion En revanche la filiegravere DEEE est laquo opeacutera-tionnelle raquo dans le sens ougrave non seulement les producteurs doivent financer la filiegravere maisdoivent eacutegalement organiser les diverses opeacuterations agrave travers des appels drsquooffres et descontrats aupregraves drsquoopeacuterateurs Les producteurs agrave travers les eacuteco-organismes auxquels ilsont adheacutereacute reversent ainsi une compensation aux acteurs geacuterant les points de collecteet financent directement leurs prestataires logistiques ainsi que les sites de traitementLes producteurs de filiegraveres opeacuterationnelles ont la responsabiliteacute suppleacutementaire drsquoorien-ter les flux de deacutechets vers des sites assurant un traitement respectant la reacuteglementationenvironnementale
En France la majoriteacute des filiegraveres sont geacutereacutees par un eacuteco-organisme agrave lrsquoexception desfiliegraveres veacutehicules hors drsquousage lubrifiants gaz fluoreacutes cartouches drsquoimpression bureau-tique et Mobil-homes Dans certaines filiegraveres plusieurs eacuteco-organismes sont en concur-rence pour la gestion drsquoun mecircme flux de deacutechets ce qui est le cas pour la filiegravere DEEECette mise en concurrence est tregraves deacutebattue Certains la revendiquent afin drsquoassurer descoucircts compeacutetitifs alors que drsquoautres rappellent le manque de moyens de lrsquoEacutetat pour sur-veiller une multipliciteacute drsquoeacuteco-organismes Mais agrave lrsquoheure actuelle laquo le degreacute de concur-rence ne semble pas directement correacuteleacute agrave la performance de la filiegravere raquo (Cour des comptes2016) La filiegravere DEEE est en ce sens tregraves inteacuteressante eacutetant donneacute sa structure origi-nale En effet y cohabitent plusieurs eacuteco-organismes dont un est en situation de quasi-
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CHAPITRE II2 NOUVELLE ORIENTATION RESPONSABILISATION ETINNOVATION
monopole De ce fait afin drsquoassurer une concurrence juste un organisme coordonnateura eacuteteacute creacuteeacute lrsquoOCAD3E (Organisme Coordonnateur Agreacuteeacute pour les DEEE) Une transpo-sition de ce modegravele est aujourdrsquohui en discussion concernant la filiegravere emballages quipourrait eacutegalement devenir opeacuterationnelle transformation preacuteconiseacutee par la Cour descomptes (Cour des comptes 2016) Nous verrons en reacutealiteacute que la filiegravere DEEE a inspireacutefortement la construction des filiegraveres REP en France et cela jusqursquoagrave aujourdrsquohui Crsquoestpourquoi nous nous sommes inteacuteresseacutes tout particuliegraverement agrave lrsquoeacutetude de cette filiegraveretregraves structurante de la logique du principe de REP notamment agrave travers le modegravele degouvernance sur lequel nous reviendrons plus tard
Pour reacutecapituler les premiegraveres probleacutematisations autour du deacutechet eacutetaientconcentreacutees sur des enjeux hygieacuteniques et les premiegraveres mesures mises en placeavaient pour but drsquoorganiser un service public de maniegravere agrave isoler le polluant Lrsquoinven-tion de la poubelle a amorceacute la construction drsquoun service du secteur deacutechet Agrave suivi lacreacuteation de sites drsquoenfouissement et drsquoincineacuteration qui ont permis les premiers trai-tements industriels De multiples crises se sont succeacutedeacutees dues agrave une augmentationde la quantiteacute de deacutechets toujours plus imposante agrave une vague contestataire de lasocieacuteteacute civile srsquoopposant agrave la construction de sites de traitement polluants agrave des ac-cidents industriels critiques et agrave des coucircts de gestion croissants devenant ingeacuterablespour les collectiviteacutes Ces crises ont obligeacute les politiques agrave changer de cap suivant lecourant neacuteo-libeacuteral et du nouveau management public Ces eacutevolutions de reacutegime degouvernementaliteacute (drsquoun reacutegime confineacute agrave un reacutegime exploratoire) ont accompagneacuteles changements de perception des deacutechets au cours du temps En effet nous allonsvoir que le reacutegime de gestion des deacutechets est lieacute agrave la valeur perccedilue
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Chapitre II3
Reacutegimes de gouvernementaliteacute desdeacutechets
II31 Lrsquoeacutevolution de la valeur des deacutechets
Revenons agrave preacutesent agrave lrsquoanalyse historique engageacutee preacuteceacutedemment Celle-ci permet deretracer les changements de valeur du deacutechet au cours du temps et des reacutegimes associeacutesCes changements deacutependent du contexte national des besoins en mateacuteriaux et des in-frastructures de collecte et de traitement (LANE 2011 [MEacuteROT 2014]) Srsquoajoute agrave cela ladimension sociale incluant les pratiques et les normes de socieacuteteacute associeacutees agrave la consom-mation agrave lrsquousage et agrave lrsquoeacutelimination des biens (GILLE 2010 LANE 2011[MEacuteROT 2014]) Cequi est observable est qursquoau cours des peacuteriodes ougrave les deacutechets sont perccedilus comme desbads (ie des polluants) une gestion drsquoautoriteacute publique se met en place mesures drsquohy-giegravene reacuteglementations sur les traitements etc Agrave lrsquoinverse degraves lors que le deacutechet se reacutevegraveleecirctre une source de goods (telles les fibres naturelles des chiffons pour le papetier) les forcesdu marcheacute suffisent agrave sa gestion (comme il a eacuteteacute vu avec le commerce des chiffonniers)
Ceci reste vrai dans les peacuteriodes plus reacutecentes En effet dans les anneacutees 70 la politiqueeacutetait curative Elle avait pour but de traiter la pollution visible et eacutetait focaliseacutee sur les deacute-chets industriels dangereux et affirmeacutee agrave travers un reacutegime reacutegalien laquo confineacute raquo Agrave partirdes anneacutees 90 la politique eacutetait toujours de type curatif mais axeacutee sur les deacutechets meacutena-gers Par la suite une eacutevolution forte a conduit agrave une politique davantage preacuteventive dansle cadre drsquoun reacutegime laquo exploratoire raquo impliquant un ensemble plus vaste drsquoacteurs
Aujourdrsquohui le but des politiques deacutechets est double Il est agrave la fois de reacuteduire la valeurneacutegative des bads et drsquoaccroicirctre la valeur positive des goods en encourageant la creacuteationde valeur agrave partir des deacutechets et son partage dans la chaicircne de valeur Par exemple la lo-gique de la valorisation matiegravere consiste agrave reacuteduire lrsquoexploitation de la matiegravere vierge touten assurant un traitement respectueux de lrsquoenvironnement permettant drsquoeacuteviter une pol-lution suppleacutementaire ducirc agrave lrsquoenfouissement ou agrave lrsquoincineacuteration Aussi lrsquoideacutee est-elle deconsideacuterer le deacutechet en tant que goods ou en tant que ressource commune en reacutefeacuterenceaux travaux drsquoOstrom Cependant la diffeacuterence majeure par rapport agrave lrsquoapproche drsquoOs-trom concernant les communs naturels est que les deacutechets ont une composition et unevaleur qui deacutependent fortement des eacutevolutions technologiques qui sont tregraves fluctuantesAutrement dit les deacutechets en tant que source de goods sont instables et deacutependent delrsquoinnovation agrave la fois des produits et des technologies de traitement qui permettent drsquoex-traire la valeur des deacutechets Cela est particuliegraverement observeacute dans le cas de certains
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CHAPITRE II3 REacuteGIMES DE GOUVERNEMENTALITEacute DES DEacuteCHETS
eacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques dont la dureacutee de vie commerciale ne dure quequelques mois De plus les deacutechets ont une composition matiegravere heacuteteacuterogegravene Certainscomposants drsquoun produit en fin de vie ont une grande valeur et beacuteneacuteficient drsquoun marcheacutespontaneacute (telles les cartes eacutelectroniques) alors que drsquoautres contiennent des substancespolluantes les rendant coucircteux agrave traiter (par exemple les parties plastiques contenant desretardateurs de flamme) De ce fait lrsquointervention de lrsquoEacutetat est neacutecessaire afin drsquoassurerune gestion vertueuse du deacutechet dans son ensemble crsquoest-agrave-dire en valorisant les goodstout en ne deacutelaissant pas le traitement des bads
II32 Eacutemergence drsquoune politique de filiegravere et de valorisa-tion des deacutechets
Aujourdrsquohui le deacutechet se trouve au cœur drsquoune politique strateacutegique de la ressourceLes crises geacuteopolitiques de la matiegravere premiegravere au cours des derniegraveres deacutecennies ont mo-biliseacute les Eacutetats europeacuteens dans une strateacutegie offensive de seacutecurisation des approvision-nements Ainsi on est passeacute drsquoune politique laquo end of pipe raquo agrave un reacutegime de laquo creacuteation devaleur raquo en reacutefeacuterence aux reacutegimes de gouvernementaliteacute deacutecrits par Aggeri (2005)
Un traceur reacuteveacutelateur de ce virement strateacutegique est lrsquoeacutevolution du code de lrsquoenvi-ronnement depuis sa creacuteation en 2000 (ordonnance ndeg 2000-914 du 18 septembre 2000)concernant son titre IV speacutecifique aux deacutechets En effet le chapitre 1er du titre IV relatifaux deacutechets du code de lrsquoenvironnement sera modifieacute par lrsquoordonnance ndeg2010-1579 Ilne srsquointitulera plus laquo Eacutelimination des deacutechets et reacutecupeacuteration des mateacuteriaux raquo mais laquo Preacute-vention et gestion des deacutechets raquo Cette eacutevolution de la terminologie nrsquoest pas anodine elletraduit un changement dans la perception de la valeur des deacutechets devenus un gisementstrateacutegique Depuis longtemps le code de lrsquoenvironnement preacutevoit entre autres la miseen œuvre de plans territoriaux devant reacutepondre agrave la probleacutematique de gestion des deacute-chets Les plans qui se sont jusque-lagrave succeacutedeacutes reflegravetent de maniegravere fidegravele les diffeacuterentespolitiques adopteacutees au cours du temps Les premiers plans issus de la loi-cadre deacutechet de1975 eacutetaient des plans drsquoeacutelimination et de gestion des deacutechets Puis en 2004 est apparule premier ldquoplan national de preacutevention de la production de deacutechetsrdquo (MEDDE 2012)Ce plan a drsquoailleurs inspireacute la Commission europeacuteenne qui en 2008 a imposeacute agrave tous lesEacutetats membres lrsquoeacutelaboration drsquoun plan national de preacutevention (Directive-Cadre Deacutechetsndeg200898CE)
Parallegravelement le Grenelle de lrsquoenvironnement qui a consisteacute en un ensemble de ren-contres politiques en France en 2007 dont un atelier transversal sur les deacutechets a joueacute unrocircle majeur dans lrsquoinflexion radicale de la politique deacutechet Dans la laquo Loi Grenelle I raquo deprogrammation relative agrave la mise en œuvre du Grenelle de lrsquoenvironnement (Loi ndeg 2009-967 du 3 aoucirct 2009) il est eacutetabli un ensemble de mesures et en particulier des objectifsnationaux de reacuteduction de la production drsquoordures meacutenagegraveres drsquoaugmentation du tauxde recyclage matiegravere et de reacuteduction des quantiteacutes de deacutechets eacutelimineacutes Elle sera com-pleacuteteacutee par la laquo Loi Grenelle II raquo (Loi ndeg 2010-788 du 12 juillet 2010) qui va entre autreseacutetendre le principe de Responsabiliteacute Eacutelargie des Producteurs agrave drsquoautres flux de deacutechetsLe Grenelle de lrsquoenvironnement a produit un veacuteritable eacutelan conduisant lrsquoEacutetat agrave engagerune politique orienteacutee vers la preacutevention et le recyclage
Ainsi pour faire suite au plan national de preacutevention de 2004 les lois Grenelle et la
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CHAPITRE II3 REacuteGIMES DE GOUVERNEMENTALITEacute DES DEacuteCHETS
Directive-Cadre europeacuteenne de 2008 seront pour une partie transposeacutees en France agrave tra-vers laquo le Plan drsquoActions Deacutechets de 2009 agrave 2012 raquo (MEDDE 2009) puis laquo le ProgrammeNational de Preacutevention des Deacutechets de 2014 agrave 2020 raquo (MEDDE 2014b) bien loin des seulsplans drsquoeacutelimination des anneacutees 80
Crsquoest surtout lors de la seconde confeacuterence environnementale de septembre 2013 quelrsquoEacutetat franccedilais srsquoest veacuteritablement laquo saisi du sujet de lrsquoeacuteconomie circulaire et lrsquoa porteacute auplus haut niveau politique raquo (MEDDE 2014a) Il est alors question de lrsquoallongement de ladureacutee de vie des produits de leur reacuteparabiliteacute de leur eacuteco-conception ou de la mise enplace de systegravemes de consigne (MEDDE 2014b)
Un autre point fort de ce changement de reacutegime des deacutechets est lrsquoannonce en sep-tembre 2013 des trente-quatre plans industriels par le gouvernement donnant un signalfort du retour de lrsquo laquo Eacutetat strategravege et planificateur au service de la reacuteindustrialisation dupays raquo Lrsquoobjectif eacutetait laquo drsquounir les acteurs eacuteconomiques et industriels autour drsquoun objec-tif commun de mettre les outils de lrsquoEacutetat au service de cette ambition et de mobiliser leseacutecosystegravemes locaux autour de la construction drsquoune offre industrielle franccedilaise nouvelleet compeacutetitive raquo (Le Gouvernement 2014) Lrsquoun de ces plans industriels est le laquo recyclageet mateacuteriaux verts raquo afin de construire laquo la France industrielle eacuteco-responsable raquo Recy-cler devient une prioriteacute en terme drsquoenvironnement mais eacutegalement en matiegravere de com-peacutetitiviteacute et drsquoemplois Le but est de stabiliser certains secteurs cibles afin de permettreaux industriels drsquoavoir la visibiliteacute neacutecessaire pour engager des investissements amortis-sables sur plusieurs anneacutees et cela par un ensemble drsquoactions speacutecifiques soutien agrave laRampD ameacutelioration de lrsquoaccegraves au gisement deacuteveloppement de la demande de matiegraverespremiegraveres recycleacutees creacuteation drsquoinfrastructures industrielles etc
La politique deacutechet devient ainsi une politique de filiegravere Cette volonteacute de creacuteer une fi-liegravere pourrait paraicirctre eacutevidente Or la notion de filiegravere avait pour un temps disparu des po-litiques publiques lors des mouvements drsquoexternalisations des activiteacutes de libeacuteralisationet de deacutereacuteglementation des secteurs industriels dans les anneacutees 1980 agrave 2000 Ce deacutesenga-gement de lrsquoEacutetat dans la logique de planification accompagneacutee par une mondialisationen explosion a conduit agrave lrsquoeacutemergence de nouveaux concurrents qui ont su dominer pro-gressivement la totaliteacute de la chaicircne de valeur (par exemple les terres rares en Chine)Cette captation eacutetrangegravere et progressive du tissu industriel national a entraicircneacute une pertede savoir-faire Ce sont alors les Eacutetats Geacuteneacuteraux de lrsquoAutomobile (2008) suivis des EacutetatsGeacuteneacuteraux de lrsquoIndustrie (2009) qui ont remis laquo au goucirct du jour la politique de filiegraveres raquo(BIDET-MAYER et TOUBAL 2013) afin de relancer lrsquoeacuteconomie nationale La filiegravere devientalors un outil drsquointervention publique permettant laquo drsquoorienter la politique eacuteconomiqueagrave lrsquoeacutechelle reacutegionale et nationale en mettant en eacutevidence les potentialiteacutes et les blocagesdans la coordination des interactions entre les diffeacuterents acteurs pour produire transfor-mer ou commercialiser un produit raquo
Agrave partir du deacutebut du XXIegraveme siegravecle la prise de conscience de la deacutependance de lrsquoEuropeagrave lrsquoimportation drsquoun grand nombre de matiegraveres premiegraveres devenues indispensables agravelrsquoactiviteacute eacuteconomique a eacutegalement susciteacute un changement strateacutegique de politique Crsquoestnotamment en novembre 2008 que la Commission europeacuteenne a proposeacute une premiegravereapproche coheacuterente et globale pour reacutepondre au deacutefi des matiegraveres premiegraveres Cette po-litique est deacutecrite dans un document strateacutegique intituleacute laquo Initiative matiegraveres premiegraveres reacutepondre agrave nos besoins fondamentaux pour assurer la croissance et creacuteer des emplois
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CHAPITRE II3 REacuteGIMES DE GOUVERNEMENTALITEacute DES DEacuteCHETS
en Europe raquo (Commission europeacuteenne 2008) Puis en feacutevrier 2011 la Commission euro-peacuteenne a deacutecideacute de renforcer cette strateacutegie avec un second plan drsquoactions pour laquo Releverles deacutefis poseacutes par les marcheacutes des produits de base et les matiegraveres premiegraveres raquo (Commis-sion europeacuteenne 2011) Ce second plan a eacuteteacute fondeacute sur le triptyque accegraves eacutequitable etnon discriminatoire aux matiegraveres premiegraveres sur les marcheacutes globaux meilleure exploita-tion des ressources disponibles en Europe reacuteduction de la demande par un usage plusefficace des ressources et un effort de recyclage (CATINAT et ANCIAUX 2011)
Dans cette optique diffeacuterentes instances ont eacuteteacute creacuteeacutees dont laquo the European Insti-tute of Innovation and Technology raquo (EIT) en 2008 qui est une instance pan-europeacuteenneunique regroupant des universiteacutes des laboratoires de recherche et des entreprises dansle but de deacutevelopper des projets communs Pour soutenir ces projets europeacuteens le pro-gramme de financement de la recherche et de lrsquoinnovation laquo Horizon 2020 raquo a officielle-ment deacutemarreacute deacutebut 2014 doteacute de 79 Mds drsquoeuros
Lrsquoun des enjeux primordiaux des travaux meneacutes est la seacutecurisation des approvision-nements en meacutetaux dits laquo strateacutegiques raquo Il srsquoagit de meacutetaux devenus indispensables pourreacutepondre agrave la croissance des nouvelles technologies et qui soulegravevent des questions geacuteos-trateacutegiques dues agrave la croissance des eacuteconomies eacutemergentes Parmi ces meacutetaux le li-thium (pour les batteries) le platine (comme catalyseur pour les automobiles) les terresrares (dans les aimants permanents des moteurs eacutelectriques par exemple) les alliagestitane-rheacutenium (dans les avions) ou le gallium et lrsquoindium (dans certains types de cellulesphotovoltaiumlques) En fonction des eacutevolutions technologiques ces meacutetaux critiques se re-trouvent dans le flux de Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques qui devientainsi une veacuteritable laquo mine urbaine raquo agrave fort potentiel strateacutegique
Agrave travers cette nouvelle probleacutematisation la reacutegulation de type laquo command and control raquoest difficilement opeacuterationnalisable dans la mesure ougrave la liste des bads et des goods est enconstante eacutevolution suivant le rythme effreacuteneacute de lrsquoinnovation et des progregraves technolo-giques De ce fait pour une juste eacutevaluation des goods il est neacutecessaire drsquouser drsquoinstru-ments compleacutementaires aux mesures drsquointerdiction ou aux objectifs drsquoeacutemissions Pources raisons la politique de responsabilisation srsquoavegravere ecirctre un principe inteacuteressant per-mettant drsquoimpliquer les acteurs eacuteconomiques proches des reacutealiteacutes industrielles et sen-sibles aux fluctuations du marcheacute (COGLIANESE et collab 2004) La Directive-Cadre eu-ropeacuteenne sur les Deacutechets de 2008 a eacuteteacute en cela un acte fondateur reprenant et affirmantles orientations majeures de la politique de gestion des deacutechets en inscrivant au niveaueuropeacuteen le principe de laquo pollueur-payeur raquo de proximiteacute et de responsabiliteacute eacutelargie duproducteur Par ailleurs elle pose les bases drsquoun processus de sortie du statut de deacutechetsainsi qursquoelle eacutenonce la hieacuterarchie de traitement des deacutechets (ie prioriser la preacuteventionde la production de deacutechets avant le recyclage puis preacutefeacuterer ce dernier agrave la valorisationpour enfin se tourner en dernier lieu vers lrsquoeacutelimination)
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Chapitre II4
Justification drsquoune approche par lescommuns
II41 La question du deacutechet en tant que commun
Lrsquoanalyse historique preacuteceacutedente reacutevegravele qursquoau fur et agrave mesure des crises environnemen-tales une prise de conscience geacuteneacuteraliseacutee a permis de placer le deacutechet comme ressourcestrateacutegique Le deacutechet est ainsi entreacute dans le cadre des communs mais de maniegravere par-ticuliegravere au sens ougrave il traite drsquoune probleacutematique large (tel le climat) qui affecte tout lemonde Le but nrsquoest pas de laquo preacuteserver raquo la ressource (tel que pour les communs naturels)ni laquo drsquoenrichir raquo une base de donneacutees (tel que pour les communs de la connaissance)mais de laquo valoriser raquo les deacutechets pour leur donner une seconde vie et limiter lrsquoutilisationde ressources vierges Une reacuteponse collective est neacutecessaire pour reacutepondre agrave cette probleacute-matique commune qui menace lrsquoenvironnement et la santeacute humaine Le deacutechet est ainsidevenu un bien commun agrave valoriser Crsquoest agrave la fois un mal commun dans le sens ougrave ilpeut contenir des substances polluantes nocives agrave neutraliser tout en eacutetant une ressourcede valeur eacuteconomique
Lrsquoavegravenement du paradigme de lrsquoeacuteconomie circulaire permet drsquoaller plus loin en procirc-nant les valeurs sociales et environnementales du deacutechet En effet les activiteacutes autour dudeacutechet permettent de creacuteer de nouveaux emplois qui sont locaux et qui permettent desoutenir lrsquoinsertion par le travail Des lieux se creacuteent eacutegalement ougrave les gens se retrouventpour partager une activiteacute de valorisation du deacutechet (par exemple les repair cafeacutes lieuxouverts pour venir reacuteparer un objet avec lrsquoaide de la communauteacute) De plus le deacutechetouvre un imaginaire que certains exploitent agrave des fins artistiques dans le but souventde questionner la socieacuteteacute de consommation Crsquoest le cas par exemple du mouvementlaquo Mertz raquo creacuteeacute par le peintre-sculpteur allemand Kurt Schwitters (1887-1948) par lequelil cherche agrave srsquoapproprier les rebuts de la socieacuteteacute industrielle et urbaine agrave travers des pro-ceacutedeacutes de collage (Merzbild I le Psychiatre 1919 assemblage Malborough-Gerson GalleryNew York) Ou encore du sculpteur-peintre et plasticien franco-ameacutericain Arman (1928-2005) avec sa fameuse seacuterie Poubelles commenceacutee en 1959 ougrave il expose lrsquoaccumulationde la socieacuteteacute drsquoabondance ainsi que de son ami sculpteur franccedilais Ceacutesar (1921-1998) avecsa seacuterie de voitures compresseacutees (agrave partir des anneacutees 60) qui se veut ecirctre un deacutefi agrave la so-cieacuteteacute de consommation (Suite milanaise 1998) Il existe une profusion drsquoartistes exerccedilantde cette maniegravere Pour finir citons seulement les artistes britanniques Tim Noble et SueWebster qui jouent habilement avec notre perception faisant surgir drsquoun tas de deacutebris agravepriori sans valeur lrsquoombre de scegravenes reacutealistes (Dirty White Trash [with Gulls] 1998 cf fi-
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
gure II41)
FIGURE II41 ndash Dirty White Trash (with Gulls) 1998
Le deacutechet constitue ainsi une ressource au beacuteneacutefice drsquoune communauteacute locale quipermet de reacuteintroduire des relations sociales dans la sphegravere eacuteconomique (DEFALVARD etDENIARD 2016) La notion drsquoeacuteconomie circulaire met eacutegalement en avant la valeur en-vironnementale du deacutechet En effet par sa valorisation il est possible de preacuteserver desressources vierges qui resteront non exploiteacutees
Mais au-delagrave de lrsquoobjet commun de la ressource ce qui fait commun est eacutegalementlrsquoactiviteacute collective de creacuteation autour du deacutechet Cette activiteacute se traduit par la mise enœuvre du principe de REP qui suscite lrsquoorganisation des producteurs pour reacutepondre agrave uneprobleacutematique commune La politique de REP srsquoaccompagne de la co-construction deregravegles de proprieacuteteacute de partage de la valeur et de maniegravere geacuteneacuterale de principes de gou-vernance agrave lrsquoinstar des travaux drsquoOstrom (MEacuteROT 2014) Toutefois crsquoest eacutegalement unesource dynamique de creacuteation collective dont lrsquoenjeu est la valorisation et lrsquoinnovationIl srsquoagit ainsi de consideacuterer la REP au-delagrave drsquoun simple outil eacuteconomique mais commelaquo technique politique raquo (NEUBERG et collab 1997)
Rappelons-nous que les auteurs Dardot et Laval distinguent les biens communs ducommun (cf I474) le premier reposant sur un objet dont la menace peut affecter ungrand nombre de gens et pris en charge par lrsquoactiviteacute collective (tel que le climat un pacirctu-rage lrsquoinformation) le second est un principe qui laquo anime cette activiteacute et qui preacuteside enmecircme temps agrave la construction de cette forme drsquoautogouvernement raquo (DARDOT et LAVAL2015) Ainsi laquo une nouvelle socio-mateacuterialiteacute des deacutechets (une preacutesence sociale et ma-teacuterielle des deacutechets) baseacutee sur leur potentiel de ressource est donc en train drsquoeacutemerger raquo(HULTMAN et CORVELLEC 2011 [MEacuteROT 2014])
Ainsi le deacutechet est agrave la fois un laquomalraquo commun agrave geacuterer et une ressource commune agravevaloriser De plus au-delagrave du commun deacutechet comme objet le principe de REP est unelaquo technique politique raquo suscitant une activiteacute de commoning Plus qursquoun simple instru-ment eacuteconomique crsquoest un dispositif agrave force institutionnelle de conduite drsquoexplorationcollective Enfin les commoners (groupe drsquoindividus en charge du commun) qui sont lesproducteurs ne preacuteexistent pas agrave lrsquoaction collective (car ils ne reconnaissent pas sponta-
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
neacutement la valeur du deacutechet lorsque les bads preacutevalent sur les goods) mais sont deacutesigneacutespar lrsquoEacutetat agrave travers lrsquoeacutenonciation drsquoun common purpose 19
Ainsi la valeur contenue dans les deacutechets est agrave concevoir Pour la saisir un effort col-lectif de valorisation et drsquoinnovation est neacutecessaire au risque de laisser le deacutechet orphelintel un laquo inconnu commun raquo (agrave lrsquoimage de lrsquoœuvre Dirty White Trash ougrave un effort du regardest neacutecessaire pour deacutecouvrir la valeur artistique du tas de deacutechets) La valeur est de cefait eacutevolutive et se construit laquo chemin faisant raquo simultaneacutement agrave lrsquoaction collective
Par ailleurs cette intervention de lrsquoEacutetat sur les conduites agrave tenir face aux deacutechets lajustification autant morale qursquoeacuteconomique de la mise en œuvre de politiques de preacuteven-tion ainsi que le mode de financement particulier des filiegraveres deacutechets (qui se fait agrave traverslrsquoeacuteco-participation qui nrsquoest pas une taxe agrave proprement parler) permettent de valider leparallegravele entre les deacutechets et les biens tuteacutelaires (cf I49)
Pour conclure le deacutechet possegravede un reacuteel caractegravere laquo ostromien raquo justifiant une ap-proche de lrsquoeacutetude du principe de REP et de la responsabiliteacute collective par la litteacuteraturesur les communs Toutefois les producteurs nrsquoeacutetant pas des commoners naturels lrsquoincita-tion agrave la creacuteation de valeur au partage de la valeur et agrave lrsquoengagement de lrsquoindividu dans lecollectif deviennent des enjeux cleacutes non preacutedominants dans les principes de gouvernancedes ressources naturels eacutedicteacutes par Ostrom
Or la litteacuterature sur le principe de REP relegraveve majoritairement drsquoapproches instru-mentales et moins drsquoun reacutegime du commun Malgreacute tout nous verrons que plus reacutecem-ment il a pu ecirctre observeacute une litteacuterature conduisant une approche institutionnelle qursquoilsrsquoagit de compleacuteter
II42 Litteacuterature sur le principe de REP deux approches
II421 Une approche instrumentale
La majoriteacute des auteurs ont abordeacute lrsquoeacutetude des filiegraveres REP agrave travers une approcheinstrumentale classique dans la ligneacutee des travaux de lrsquoOCDE Ils ont chercheacute agrave eacutevaluerlrsquoefficaciteacute du principe en tant qursquoinstrument de politique publique participant agrave une stra-teacutegie de gestion environnementale Dans cette optique les travaux cherchent agrave analyserles choix de mise en œuvre des programmes de REP en eacutetudiant des cas particuliers ouagrave travers des analyses comparatives Le principe geacuteneacuteral est drsquoeacutevaluer les programmes deREP en place au regard de la reacutealisation des objectifs fondamentaux que sont (1) le sou-lagement des collectiviteacutes par un transfert du coucirct de gestion des deacutechets aux acteurspriveacutes devant conduire dans un second temps agrave (2) une incitation agrave preacutevenir la produc-tion de deacutechet et agrave faciliter les traitements (par exemple une meilleure recyclabiliteacute)
19 Notion introduite au paragraphe I36 par la citation drsquoIsaacs (2014) insistant sur lrsquoimportance de creacuteerdu lien entre les acteurs drsquoun groupe dont lrsquo laquo organisation collective ne se distingue pas au preacutealable natu-rellement raquo Le laquo common purpose raquo se manifeste par le partage drsquoune mecircme compreacutehension drsquoun objectifcommun et drsquointentions collectives qui peuvent diffeacuterer des inteacuterecircts pris individuellement Ou dit autre-ment le comprendre comme laquo une eacutethique commune raquo permettant de laquo servir de guide agrave lrsquoaction indi-viduelle raquo (NEUBERG et collab 1997 p10) Le terme cherche agrave deacutepasser celui drsquo laquo objectif commun raquo cedernier eacutetant geacuteneacuteralement reacuteduit agrave la seule dimension de performance de la filiegravere (tel que les objectifs decollecte de recyclage etc)
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
Le but de ces recherches est drsquoidentifier les facteurs cleacutes contribuant au succegraves drsquounefiliegravere REP La difficulteacute de lrsquoexercice est conseacutequente du fait de la multipliciteacute des choixpossibles conduisant agrave une infiniteacute de modegraveles de REP En effet il existe une diversiteacute im-portante de types drsquoinstruments permettant la mise en place drsquoune politique de REP quiont eacuteteacute discuteacutes par plusieurs auteurs (voir par exemple la revue de litteacuterature de Gupt etSahay 2015) Il existe des instruments administratifs et reacuteglementaires (obligation de re-prise objectifs de recyclage standards normes etc) eacuteconomiques (taxes subventionsparticipation financiegravere etc) et informatifs (rapports labels consultation etc)
Les Eacutetats peuvent aussi vouloir privileacutegier des approches plus ou moins contraignantesAlors qursquoen Europe le principe de REP repose sur lrsquoobligation reacuteglementaire de parti-cipation des acteurs priveacutes aux Eacutetats-Unis les approches volontaires ont eacuteteacute pour untemps privileacutegieacutees (NASH et BOSSO 2013) Dans ldquoExtended Producer Responsibility in theUnited States Full Speed Ahead les auteurs Nash et Bosso montrent que plus reacutecem-ment certains Eacutetats ameacutericains ont deacutecideacute de renforcer leur reacuteglementation constatantun manque drsquoefficaciteacute des programmes volontaires En reacutealiteacute le manque de volonta-risme des industriels pour geacuterer les deacutechets auxquels ils sont lieacutes amegravene agrave penser quepour qursquoun systegraveme de REP soit efficace celui-ci doit ecirctre accompagneacute drsquoun modegravele dereprise obligatoire (QUINN et SINCLAIR 2006)
Entre les choix drsquoinstruments et drsquoapproches la complexiteacute des systegravemes est eacutevidenteAtasu et Van Wassenhove (2012) soulignent ainsi la multipliciteacute des configurations pos-sibles Selon ces auteurs la mise en place drsquoun dispositif repose sur la consideacuteration dehuit dimensions les instruments de politique publique le plan de gestion la respon-sabiliteacute financiegravere et opeacuterationnelle la reacutepartition des coucircts les objectifs et dispositif deredevance les canaux de collecte les incitations agrave lrsquoeacuteco-conception auxquelles srsquoajoutentquatre autres selon les reacuteponses potentielles des producteurs la conception des produitset du reacuteseau le bouclage des flux les technologies et les business models Ces choix demise en œuvre et drsquoaction des producteurs auront alors un impact sur six types de partiesprenantes les producteurs les opeacuterateurs logistiques les collectiviteacutes les consomma-teurs les recycleurs et lrsquoenvironnement Cette analyse permet de souligner qursquoau-delagravedes choix multiples de mise en œuvre le nombre important de parties prenantes concer-neacutees par une politique de REP contribue eacutegalement agrave accroicirctre la complexiteacute des sys-tegravemes Certains auteurs ont ainsi chercheacute agrave eacutetudier lrsquoimpact drsquoun grand nombre de partiesprenantes aux tendances conflictuelles dans un contexte donneacute (eacuteconomique geacuteogra-phique etc) sur la mise en place drsquoune politique de REP (GUI et collab 2013)
Pour aborder cette eacutetude agrave multiple facteurs certains articles traitent drsquoun type de fluxen particulier tel que la filiegravere batterie dans laquelle lrsquoapplication de la REP paraicirct simpleen principe mais drsquoune grande complexiteacute en pratique (LEE 2008) ou encore la filiegravereemballages au Canada ougrave les auteurs se posent la question drsquoune application volontaireou obligatoire de la responsabiliteacute (QUINN et SINCLAIR 2006) ou encore drsquoun produiten particulier tel que lrsquoimprimante en montrant par une approche cycle de vie qursquounsystegraveme de recyclage baseacute sur des objectifs de volumes nrsquoest pas le plus incitatif agrave lrsquoeacuteco-conception (MAYERS et collab 2005)
Drsquoautres chercheurs afin drsquoeacutevaluer lrsquoefficaciteacute des systegravemes se precirctent agrave diverses com-paraisons entre systegravemes de pays diffeacuterents par exemple entre les Eacutetats-Unis et le Ca-nada (HICKLE 2013) ougrave Hickle compare le modegravele individuel ameacutericain au modegravele col-
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
lectif canadien entre pays europeacuteens (PALEARI 2015) reacuteveacutelant la grande heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacutedes transpositions de la Directive europeacuteenne sur les DEEE entre des pays europeacuteens et laChine (REAGAN 2015 SALHOFER et collab 2016) ce dernier faisant apparaicirctre un systegravemede collecte majoritairement informel par rapport agrave la logistique formaliseacutee europeacuteenneentre des pays deacuteveloppeacutes et des pays en voie de deacuteveloppement dont les systegravemes in-formels peuvent ecirctre neacutefastes pour le deacuteveloppement drsquoune filiegravere structureacutee (GUPT etSAHAY 2015)
Les modegraveles existants eacutetant multiples il existe ainsi un foisonnement drsquoarticles cher-chant agrave les analyser et les comparer Cependant la plupart de ces eacutetudes se limitent agravetraiter des questions isoleacutees (par exemple le deacutebat entre un systegraveme individuel ou collec-tif) ou donnent une analyse sans approche analytique claire (KALIMO et collab 2015)Pour remeacutedier agrave ce manque drsquoorganisation certains auteurs proposent des modegraveles afinde faciliter les discussions (KALIMO et collab 2015 2012)
II4211 La question du partage des responsabiliteacutes
Lrsquoune des questions les plus discuteacutees est lrsquoimportance du partage des responsabiliteacutesentre les producteurs deacutesigneacutes responsables (KALIMO et collab 2012) entre les acteurspriveacutes et les pouvoirs publics (HICKLE 2014) et au-delagrave entre lrsquoensemble des partiesprenantes (KALIMO et collab 2015) En effet la responsabiliteacute peut ecirctre financiegravere (lesproducteurs soutiennent financiegraverement la filiegravere) etou opeacuterationnelle (les producteursparticipent agrave la gestion opeacuterationnelle des flux de deacutechets) Cette responsabiliteacute peut ecirctrepartielle par exemple en France les producteurs drsquoemballages soutiennent financiegravere-ment les collectiviteacutes agrave hauteur de 80 des coucircts de gestion Ou elle peut ecirctre totale tou-jours en France les producteurs de DEEE financent agrave 100 la filiegravere Au-delagrave des respon-sabiliteacutes financiegraveres et opeacuterationnelles Lindhqvist liste les responsabiliteacutes civiles drsquoinfor-mation et de proprieacuteteacute On comprend vite que rien qursquoen discutant des rocircles des acteursdes responsabiliteacutes et de leurs reacutepartitions les configurations sont tregraves multiples La litteacute-rature souligne de ce fait lrsquoimportance de deacutefinir les diffeacuterents rocircles et de preacuteciser lrsquoalloca-tion des responsabiliteacutes de maniegravere claire au risque de geacuteneacuterer des conflits et un systegravemeinefficace (KALIMO et collab 2015 2012)
II4212 Le deacutebat entre systegraveme individuel ou collectif
Un autre point tregraves preacutesent dans la litteacuterature est le deacutebat entre privileacutegier un systegravemeindividuel ou un systegraveme collectif (ATASU et SUBRAMANIAN 2012 FAVOT 2014 MAYERS
et collab 2013 OumlZDEMIR-AKYILDIRIM 2015) Alors qursquoun systegraveme collectif permet deseacuteconomies drsquoeacutechelle et ainsi de reacuteduire les coucircts logistiques il peut eacutegalement conduireau risque drsquoune deacuteresponsabilisation des producteurs notamment dans leur effort agrave conce-voir pour lrsquoenvironnement Aussi afin de preacutevenir ce risque le systegraveme collectif engendrerait-il un surcoucirct au titre du controcircle et de la surveillance La responsabiliteacute individuelle consistequant agrave elle agrave obliger le producteur agrave assumer seul ses responsabiliteacutes lui assurant de beacute-neacuteficier directement des gains eacuteventuels reacutesultant de son effort de conception en faveurdrsquoune meilleure recyclabiliteacute Un systegraveme collectif est creacuteeacute lorsque les producteurs deacute-cident de se regrouper pour geacuterer ensemble leur responsabiliteacute permettant ainsi de mu-tualiser les coucircts de collecte et de traitement comme cela est le cas pour la majoriteacute desfiliegraveres en France Alors que le systegraveme collectif permet de reacutepondre au premier objectifde la REP qui est de deacutecharger les collectiviteacutes et drsquoaugmenter la collecte et le recyclage
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
gracircce agrave lrsquoeffet de volume il peine agrave inciter agrave lrsquoeacuteco-conception En effet les coucircts de traite-ment eacutetant partageacutes lrsquoeffort drsquoun producteur ne lui sera pas directement perceptible maisprofitera agrave lrsquoensemble De ce fait les systegravemes collectifs encouragent les pheacutenomegravenes delaquo passager clandestin raquo dans lrsquoeffort collectif drsquoeacuteco-conception Agrave lrsquoinverse les systegravemesindividuels assurent une forte incitation agrave lrsquoeacuteco-conception mais entraicircnent un surcoucirctde gestion important pour les producteurs et de surcroicirct une collecte moins efficace
Toutefois contrairement aux ideacutees reccedilues Esenduran (2015) montre qursquoun systegravemeindividuel peut permettre un meilleur taux de collecte si le beacuteneacutefice de valorisation esteacuteleveacute et si lrsquoentreprise est de petite taille Agrave lrsquoinverse un systegraveme collectif est inteacuteressantlorsque les membres sont de grandes entreprises et que le recyclage nrsquoa drsquointeacuterecirct eacutecono-mique qursquoapregraves massification Tel est le cas dans la filiegravere des DEEE du fait de la com-plexiteacute des traitements de valorisation neacutecessitant de lourds investissements
En reacutealiteacute il nrsquoexiste pas tant de contradiction entre mettre en place une organisationcollective et aspirer agrave une responsabiliteacute individuelle Il suffit de distinguer la responsa-biliteacute financiegravere de la responsabiliteacute opeacuterationnelle En effet la logistique drsquoun systegravemepeut ecirctre geacutereacutee de maniegravere collective tout en diffeacuterenciant les coucircts selon les marques desproduits (VAN ROSSEM et collab 2006) Lrsquoenjeu eacutetant alors de faire cette diffeacuterenciationde la maniegravere la plus efficiente possible (FAVOT 2014) Toutefois le surtri peut conduireagrave un surcoucirct tel que la filiegravere ne reacutesistera pas Tel a eacuteteacute le cas par exemple pour des pro-ducteurs aux Pays-Bas qui sont passeacutes en 2003 agrave un systegraveme collectif (ATASU et SUBRA-MANIAN 2012 SACHS 2006) Pour eacuteviter cet inconveacutenient il convient de comparer les reacute-ductions de coucircts de traitement ducirc agrave un effort drsquoeacuteco-conception reacutealiseacute dans le cas drsquounsystegraveme financiegraverement individualiseacute agrave un gain drsquoeacutechelle sous un modegravele totalement col-lectif (ATASU et SUBRAMANIAN 2012)
Il existe agrave ce jour tregraves peu drsquoexpeacuteriences de systegravemes dont le financement est indivi-dualiseacute Au Japon une loi (la loi SHARL) impose les producteurs de certains EEE (eg teacute-leacutevisions machines agrave laver air-conditionneacute reacutefrigeacuterateurs) drsquoassurer la collecte de leurspropres produits et de les traiter suivant des objectifs de valorisation (ATASU et WASSEN-HOVE 2012) Afin de pouvoir atteindre ces objectifs de faccedilon efficiente les fabricants do-minants se sont regroupeacutes de maniegravere agrave mutualiser lrsquoeacutetablissement de points de collectede reacuteseaux logistiques et de sites de traitement et de valorisation Contrairement agrave la lo-gique en France des appels drsquooffres au Japon les producteurs ont la proprieacuteteacute drsquoau moinsun site de traitement ce qui assure une remonteacutee drsquoinformation continue entre les re-cycleurs en aval de la chaicircne et les ingeacutenieurs-conception de la marque producteur Leproducteur ainsi directement impliqueacute dans lrsquoactiviteacute de recyclage percevra individuelle-ment les gains ou les pertes dus agrave la conception des produits Un autre exemple toujoursau Japon concerne le secteur informatique Les produits informatiques sont rameneacutes parle consommateur agrave la poste qui se charge de les renvoyer directement agrave lrsquoindustriel res-ponsable de leur fin de vie Le coucirct de traitement directement calculeacute par le fabricant estinclus au preacutealable dans le prix drsquoachat des produits marqueacutes par un sigle speacutecifique Cesystegraveme est tregraves efficace mais repose sur les reacutealiteacutes avantageuses de lrsquoindustrie de pointejaponaise En effet une grande partie des constructeurs informatiques produisent en Asiede lrsquoEst (contrairement agrave lrsquoEurope qui importe pour lrsquoessentiel) ce qui facilite la mise enœuvre de la responsabiliteacute individuelle
Ces systegravemes individuels au Japon sont ainsi rendus possibles gracircce agrave une preacutesence
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
effective des producteurs sur le territoire et agrave leur implication directe dans lrsquoactiviteacute derecyclage En Europe par absence des grands producteurs eacutelectroniques il est neacutecessairede penser des voies diffeacuterentes pour un systegraveme plus ou moins individualiseacute
Pour diffeacuterencier les deacutechets par marque apregraves une collecte en meacutelange il existe desmeacutethodes de tri sophistiqueacutees mais coucircteuses baseacutees sur la radio-identification RFID (delrsquoanglais radio frequency identification) Certains auteurs ont eacutevalueacute lrsquoefficaciteacute de cettetechnologie sur le tri automatique des deacutechets par produit ou par marque (OrsquoCONNELL
et collab 2013) Les reacutesultats ont montreacute que la meacutethode eacutetait efficace pour trier desflux relativement homogegravenes (tel que lrsquoeacutelectromeacutenager blanc) En revanche pour des fluxcomplexes tels que les petits appareils meacutenagers en meacutelange les taux drsquoidentificationeacutetaient plus faibles En outre ces reacutesultats restent limiteacutes car tireacutes drsquoexpeacuteriences de labo-ratoire sous conditions tregraves favorables
Certains reacutefleacutechissent agrave revoir la meacutethode de calcul des contributions de faccedilon agrave inteacute-grer degraves lrsquoamont une modulation selon lrsquoeffort de conception Cela neacutecessiterait drsquoalignerles contributions des producteurs aux coucircts reacuteels de traitement de leurs produits gracircce agraveun surtri des flux de deacutechets apregraves la collecte Cette approche ne signifie pas forceacutementque les coucircts de traitement agrave un instant donneacute soient le reflet exact des contributionsperccedilues En effet les contributions sont alors calculeacutees par rapport aux produits mis surle marcheacute et non par rapport aux deacutechets collecteacutes il faut comprendre qursquoil existe untemps drsquousage entre la vente du produit neuf et sa fin de vie La modulation est un reacuteelenjeu agrave ce qursquo laquo elle transforme une eacuteco-contribution calculeacutee a posteriori mdash sur la basedu calcul de coucirct de gestion des deacutechets mdash agrave un calcul anticipeacute a priori raquo (MEacuteROT 2014p104) De ce fait il est fort probable drsquoavoir un surplus ou une insuffisance de finance-ment de la filiegravere
Dans Implementing Individual Producer Responsibility for Waste Electrical and Elec-tronic Equipment through Improved Financing Mayers et al (2013) ont chercheacute agrave reacute-soudre ce problegraveme Ils ont proposeacute une meacutethode de calcul collective des contributionsen inteacutegrant une variable individuelle fonction du coucirct futur estimeacute de gestion par tonnede deacutechet collecteacute En cas de surplus une accumulation des fonds est possible permettantde subvenir aux peacuteriodes deacuteficitaires Leur modegravele a montreacute un reacuteel inteacuterecirct sur le cas deseacutecrans Cependant leur modegravele reste limiteacute aux filiegraveres ougrave un unique organisme collectifde producteurs existe
En reacutealiteacute diffeacuterencier les contributions des producteurs engageacutes dans un systegravemecollectif nrsquoest pas nouveau Cela est pratiqueacute dans certaines filiegraveres emballages par exemplenotamment en France (depuis le deacutecret ndeg 98-638 du 20 juillet 1998 concernant la concep-tion des emballages) et en Allemagne (dans le cadre du systegraveme laquo point vert raquo) La diffeacute-renciation des contributions repose alors sur le type de mateacuteriaux utiliseacutes et le volumeCes meacutecanismes de financement individualiseacute ont conduit les producteurs drsquoemballagesagrave optimiser le choix des mateacuteriaux agrave limiter le nombre de composants et agrave reacuteduire le poidsdes emballages Cependant trouver des critegraveres pertinents et des taux de modulationjustes dans le cas de flux de deacutechets plus complexes tels que les DEEE relegraveve drsquoun chal-lenge bien plus difficile (LINDHQVIST et LIFSET 2003 SACHS 2006) 20 En France le Gre-
20 En reacutealiteacute la probleacutematique de lrsquoincitation individuelle dans le cadre drsquoune politique de REP srsquoestposeacutee degraves les premiers travaux traitant de deacutechets autres que les emballages En effet crsquoest notamment ErikRydeacuten collegravegue de Thomas Lindhqvist qui dans sa thegravese a reacuteveacuteleacute les deacuteficiences du principe de REP dans
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
nelle de lrsquoenvironnement a donneacute un eacutelan particulier agrave lrsquoextension du meacutecanisme de mo-dulation Ainsi depuis 2010 il est speacutecifieacute dans le cahier des charges des eacuteco-organismesen France que les laquo contributions financiegraveres [ ] sont moduleacutees en fonction de critegraveresenvironnementaux raquo (Article L541-10 sectIX du code de lrsquoenvironnement) Nous verronsque la filiegravere DEEE est tregraves innovante en la matiegravere puisque les acteurs de la filiegravere ontlanceacute degraves 2008 une premiegravere phase drsquoun dispositif de modulation baseacute sur un principede laquo bonus-malus raquo qui a par la suite eacutevolueacute pour ecirctre eacutetendu et renforceacute
II4213 Lrsquoenjeu du meacutecanisme de financement
De maniegravere geacuteneacuterale la question du meacutecanisme de financement de la filiegravere est un en-jeu cleacute Lagrave encore les choix sont multiples pouvant conduire agrave une infiniteacute de modegraveles Onlrsquoa vu la responsabiliteacute financiegravere peut incomber agrave 100 aux producteurs ou ecirctre parta-geacutee avec les collectiviteacutes ou les consommateurs Elle peut ecirctre verseacutee agrave lrsquoachat du produitou agrave la reprise du produit en fin de vie La base du prix fixeacute est eacutegalement sujette agrave deacutebatIl peut ecirctre calculeacute ex ante par rapport au volume ou agrave la quantiteacute drsquouniteacutes mis sur le mar-cheacute ou ex post par rapport au volume ou agrave la quantiteacute collecteacutee
Dans les cas ougrave le prix est payeacute agrave lrsquoachat le gouvernement peut deacutecider de rendre cecoucirct visible pour le consommateur par lrsquoaffichage distinct sur le prix de vente Alors queles deacutefenseurs des consommateurs penchent pour un signal fort encourageant la ventede produits eacuteco-conccedilus certains auteurs deacutefendent lrsquoideacutee inverse Pour Quinn et Sinclair(2006) une contribution invisible inteacutegreacutee au prix de vente permet aux producteurs de geacute-rer lrsquoeacuteco-contribution comme un coucirct de production classique
La question du financement de la gestion des deacutechets historiques (avant la mise enplace drsquoun programme de REP) ou orphelins (dont les producteurs ont fait faillite) esteacutegalement un enjeu agrave reacutesoudre par le choix de meacutecanismes approprieacutes Certains preacuteco-nisent un financement collectif pour les deacutechets historiques Celui-ci serait baseacute sur lapart de marcheacute des producteurs coupleacute agrave un financement diffeacuterencieacute pour geacuterer la fin devie des produits mis sur le marcheacute apregraves la mise en place drsquoun systegraveme de REP (MAYERS
et collab 2013)
De lrsquoanalyse de tous ces modegraveles de REP il existe un consensus sur le fait qursquoilne peut exister de modegravele universel confirmant les analyses de lrsquoOCDE (cf II22)Il nrsquoexiste pas de modegravele optimal de laquo one-best way raquo reacutepondant agrave toutes situations(ie pour tous types de deacutechets faisant converger tous les inteacuterecircts adapteacute agrave toutes lesreacutegions du monde etc) Il srsquoagit de faire des compromis Un systegraveme se reacuteveacutelant opti-mal dans une configuration preacutecise a peu de chance de lrsquoecirctre dans drsquoautres reacutegions dumonde (ATASU et WASSENHOVE 2012) Ce constat engendre une difficulteacute reacuteelle pourles producteurs vendant sur le marcheacute europeacuteen En effet en raison drsquoun manquedrsquoharmonisation au sein mecircme de lrsquoEurope ces derniers doivent adheacuterer agrave diffeacuterentsdispositifs de REP (MAYERS 2007)
Lrsquoideacutee drsquoensemble de ces nombreux travaux sur les systegravemes de REP est donc derecenser un maximum drsquoexemples de dispositifs offrant ainsi un large panel repreacutesen-tatif des multiples combinaisons possibles Cette base empirique doit permettre par
le cas des veacutehicules hors drsquousage (RYDEacuteN 1995)
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
la suite une eacutevaluation fondeacutee dans le but drsquoidentifier les facteurs de reacuteussite drsquoundispositif de REP agrave lrsquoinstar de la meacutethodologie drsquoOstrom sur la gouvernance des res-sources communes
De maniegravere geacuteneacuterale la litteacuterature sur le principe de REP est davantage axeacutee surles questions techniques du laquo comment raquo mettre en œuvre (CORSINI et collab 2015)dans lrsquooptique de la conception drsquoun systegraveme efficace Lrsquohypothegravese sous-jacente agrave cestravaux de recherche est que ce sont les choix strateacutegiques pris strictement en amontde la mise en œuvre opeacuterationnelle de la politique de REP qui deacuteterminent lrsquoeffica-citeacute drsquoun systegraveme Cette approche porte lrsquoattention sur les intentions de la politiquepublique et sur les reacutesultats observeacutes tous deux seraient directement correacuteleacutes Ellefocalise moins sur les pratiques gouvernementales Elle neacuteglige notamment les tech-niques de gouvernement et les savoirs que ces techniques mobilisent agrave lrsquoinstar delrsquoapproche foucaldienne concernant lrsquoeacutetude des formes de gouvernementaliteacutes Enoutre les recherches sur la REP traitent peu de lrsquointendance agrave savoir les instrumentsde gestion mobiliseacutes qui sont pourtant structurants Agrave vrai dire la politique de REP nese reacutesume pas agrave de grandes strateacutegies prises ex ante mais reacutesulte plutocirct de tactiquescontingentes Des choix et des orientations sont pris laquo chemin faisant raquo en reacuteponse auxincertitudes aux moyens insuffisants agrave une temporaliteacute aux leacutegislations contradic-toires aux relations entre individus ou entre organismes etc Or ce qui nous importeest preacuteciseacutement la laquo maniegravere de faire raquo ainsi que la maniegravere dont les probleacutematiquesont eacuteteacute poseacutees agrave lrsquointeacuterieur mecircme drsquoune technologie de gouvernement
II422 Une approche institutionnelle
Nous proposons drsquoeacutetudier la politique de REP comme la conception de dispositifsdrsquoexpeacuterimentation collectifs tourneacutes vers lrsquoapprentissage (AGGERI 1998) En effet cettepolitique publique srsquoappuie sur des formes drsquoaction plus coopeacuteratives et plus incitativesque le traditionnel laquo command and control raquo Crsquoest un dispositif exploratoire et orienteacutevers la production drsquoapprentissages collectifs qui srsquoorganise de ce fait comme une poli-tique drsquoexpeacuterimentation continue Restreindre lrsquoeacutetude de dispositifs politiques aussi com-plexes aux choix strateacutegiques pris ex ante et agrave lrsquoeacutevaluation ex post du dispositif dans un eacutetatfigeacute et non pas dans sa dynamique creacuteative peut conduire au risque drsquoeacuteclipser toute unedimension institutionnelle non quantifiable De mecircme lrsquoapproche restrictive conduit agraveminimiser la capaciteacute drsquoaction et le potentiel de creacuteation Enfin dans un contexte drsquoeacutetudeex anteex post lrsquoeacutevaluation des politiques de REP restent prisonniegraveres drsquoune conceptionindividuelle de la responsabiliteacute stigmatisant les laquo passagers clandestins raquo et le caractegraverepeu incitatif des mesures mises en place
Or le principe de REP est un processus de responsabilisation collective qui a pour butde susciter le commun par la creacuteation drsquoune communauteacute de commoners reacuteunis autourdrsquoun destin commun le laquo common purpose raquo Dans ce processus les questions drsquoac-tion collective et de responsabiliteacute collective et celles des organismes qui incarnent cesformes de collectif sont cruciales Nous cherchons un ancrage theacuteorique du point de vuedes capaciteacutes drsquoapprentissage et agrave montrer les enjeux en termes de pilotage et de gouver-nance Notre probleacutematique est la responsabiliteacute collective dans le domaine de lrsquoenviron-nement quels principes quels objectifs quelles meacutethodes Nous tentons de deacutelimiterles domaines ougrave elle apparaicirct neacutecessaire drsquoindiquer les enjeux en terme de gouvernanceet de pilotage En effet lrsquoexpeacuterience montre que la responsabiliteacute partageacutee est difficile agrave
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
construire sans la creacuteation drsquoun nouvel acteur (tel que les eacuteco-organismes)
Cependant la litteacuterature actuelle offre peu drsquoapproches de lrsquoeacutetude de la politique deREP par la gouvernance En effet celle-ci est geacuteneacuteralement analyseacutee comme issue drsquounepolitique reacutegalienne classique du gouvernement (HICKLE 2014) Or Hickle souligne lecaractegravere hybride de cette politique reposant agrave la fois sur des mesures reacuteglementaires of-frant un cadre de vie agrave des instruments de marcheacute Cette construction hybride engendrespontaneacutement des interactions complexes entre une gouvernance priveacutee et publique ren-dant permeacuteable les frontiegraveres entre ces secteurs Hickle ouvre une autre approche en re-connaissant la multipliciteacute des modes de gouvernance possible distribueacutes entre les auto-riteacutes drsquoEacutetat et les acteurs priveacutes De ses observations de modegraveles de REP nord-ameacutericainsil propose quatre modes de gouvernance deacuteleacuteguant plus ou moins de responsabiliteacutes (fi-nanciegravere etou opeacuterationnelle) aux acteurs priveacutes Agrave savoir un reacutegime ougrave les producteursdoivent assumer la totaliteacute des deux types de responsabiliteacute un reacutegime ougrave lrsquoEacutetat gardela responsabiliteacute opeacuterationnelle un reacutegime ougrave la responsabiliteacute financiegravere est partageacuteeentre les deux secteurs et enfin un reacutegime ougrave les producteurs ont la responsabiliteacute finan-ciegravere tout en devant respecter les prescriptions de lrsquoEacutetat
La filiegravere de gestion des DEEE en France srsquoapparente agrave ce dernier mode Ce reacutegimemixte reacutevegravele lrsquoimportance de lrsquoeacutequilibre entre acteurs priveacutes et publics Contrairementaux eacutevaluations classiques de performance reposant sur une analyse des choix Hicklecherche agrave comprendre lrsquoinfluence de lrsquoeacutequilibre entre acteurs priveacutes et publics sur la reacuteus-site drsquoun programme de REP Il appelle agrave un affinement de sa typologie afin de mieux com-prendre le lien entre reacutegime de gouvernance et performance drsquoun systegraveme en particulierpour les reacutegimes mixtes (ie les trois derniegraveres cateacutegories dans lesquelles les acteurs ontdes rocircles eacutetendus) Les Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques eacutetant agrave lafois dangereux et source de valeur se precirctent particuliegraverement agrave un reacutegime hybride
Le travail de thegravese drsquoAnne-Sophie Meacuterot (2014) a eacutetudieacute speacutecifiquement la gouver-nance de la filiegravere DEEE Dans sa probleacutematique elle aborde la REP drsquoun point de vueinstitutionnel en tant qursquo laquo ensemble de principes et de regravegles qui parce qursquoelles ont eacuteteacutesocialement construites et accepteacutees constituent une institution au sens de Jepperson raquo(MEacuteROT 2014 p9) Elle puise de ce fait son cadre theacuteorique dans la litteacuterature sur lechangement institutionnel et notamment sur la mise en place de nouvelles institutionsdans le cadre de la gestion des ressources communes Lrsquoauteure ne cherche pas agrave eacutevaluerla REP en tant que politique publique Elle saisit toute la difficulteacute drsquoun tel exercice du faitagrave la fois de lrsquoexistence drsquoune gestion laquo effective raquo (ie une gestion de fait) et drsquoune gestionlaquo intentionnelle raquo laquo ayant pour ambition drsquoatteindre des objectifs de reacutefeacuterence raquo Lrsquoauteurepreacutefegravere ainsi une eacutevaluation de la politique de REP en tant que laquo strateacutegie de changement raquoet en tant que laquo strateacutegie collective raquo face agrave un environnement externe en constante eacutevo-lution pouvant deacutestabiliser les laquo regravegles du jeu raquo Elle ne srsquointeacuteresse pas agrave la laquo descriptiondes institutions en tant que telles mais au travail institutionnel qui examine lrsquoeffet desacteurs dans la creacuteation la transformation ou la destruction drsquoinstitution raquo (MEacuteROT 2014p73) La dynamique de lrsquoaction collective devient alors un point drsquoentreacutee primordial fai-sant apparaicirctre des processus de creacuteation laquo de nouvelles faccedilons de jouer le jeu social dela coopeacuteration et du conflit raquo (CROZIER et FRIEDBERG 1977 [MEacuteROT 2014 p10]) ainsi quedes laquo innovations collectives raquo (AGGERI 1999)
Drsquoautres auteurs ont eacutegalement saisi la politique de REP comme une reacutealiteacute institu-
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
tionnelle bouleversant les relations entre acteurs et creacuteant de nouvelles interactions agravemultiples niveaux (BAHERS et collab 2015 FAVOT 2014 KROEPELIEN 2000) Par exempleBahers cherche agrave comprendre les raisons des diffeacuterences entre les systegravemes de gestion desDEEE agrave Milan et agrave Toulouse (2015) Pour cela il mobilise le concept theacuteorique des reacutegimessociotechniques afin drsquoeacutetudier les configurations observeacutees en tant que reacutesultats drsquointer-relations entre les diverses parties prenantes Il conclut de lrsquoimportance des alignementsdrsquointeacuterecircts pour un systegraveme efficace puisque les solutions technologiques ne suffisent pasagrave elles seules
Dans la mecircme ideacutee Favot analyse le principe de REP comme un facteur de change-ment institutionnel (2014) Lrsquoauteure ancre sa reacuteflexion dans le champ de la nouvelle eacuteco-nomie institutionnelle srsquoappuyant sur le concept des droits de proprieacuteteacute et sur la theacuteoriede Coase sur les coucircts de transaction Selon lrsquoauteure la REP en deacuteplaccedilant de faccedilon ins-titutionnelle la responsabiliteacute de gestion des deacutechets des collectiviteacutes aux producteursa permis une reacuteduction des coucircts de transaction Cette meilleure allocation des coucircts apermis drsquoamorcer un processus drsquointernalisation des externaliteacutes qui nrsquoeacutetait pas possiblejusqursquoalors du fait de coucircts de transaction trop eacuteleveacutes Ce transfert de droits de proprieacuteteacuteest selon lrsquoauteure un acte crucial du principe de REP
II43 Rapprochement entre les deux litteacuteratures les com-muns et la REP
En faisant explicitement reacutefeacuterence aux travaux drsquoElinor Ostrom Anne-Sophie Meacuterot(2014) a ouvert un deacutebut drsquoanalyse rapprochant la gestion des deacutechets agrave la gouvernancedes ressources communes De la mecircme maniegravere qursquoOstrom Meacuterot questionne lrsquoeacutemer-gence de la gouvernance et la gouvernance en tant que dynamique collective Elle srsquoap-puie sur les principes theacuteoriques drsquoOstrom deacuteterminant lrsquoefficaciteacute drsquoune institution auto-organiseacutee Ses travaux lrsquoamegravenent agrave deacutemontrer que la gouvernance des deacutechets peut ecirctreabordeacutee drsquoune maniegravere similaire agrave celle des ressources communes permettant ainsi laquo drsquoen-visager une transition vers un reacutegime des ressources raquo Drsquoune part elle justifie agrave la ma-niegravere drsquoOstrom que les diffeacuterents droits de proprieacuteteacute dans la filiegravere de gestion des DEEEconfegraverent agrave la gestion des deacutechets dans les filiegraveres REP une activiteacute collective srsquoapparen-tant agrave celle des ressources communes Drsquoautre part elle fait valoir que les deacutechets consti-tuent eux-mecircmes un gisement de valeur en tant que mines urbaines
Meacuterot ouvre ainsi une perspective qursquoil srsquoagit drsquoapprofondir En effet lrsquoauteure partdu principe que les parties prenantes agrave la gouvernance collective sont bien identifieacutees etdoteacutees drsquointeacuterecircts connus Elle srsquoappuie sur le cadre classique drsquoanalyse eacutelaboreacute par Eli-nor Ostrom De ce fait lrsquoauteure se limite agrave une eacutevaluation de la litteacuterature restreinte agravelrsquoatteinte des objectifs agrave la preacuteservation de la concurrence et agrave la consideacuteration des par-ties prenantes Or contrairement au caractegravere relativement stable des communs sur les-quels sont fondeacutes les principes theacuteoriques drsquoOstrom nos travaux mettent en eacutevidenceune dynamique drsquoexploration collective ougrave les inteacuterecircts se construisent laquo chemin faisant raquoDans cette optique Aggeri va plus loin dans lrsquoanalyse Il souligne la force creacuteatrice des dis-positifs de REP dans la production continue de communs tels que laquo des infrastructuresde gestion et de valorisation des deacutechets ou de politiques sectorielles en matiegravere drsquoeacuteco-conception raquo permettant de laquo deacutemultiplier les capaciteacutes drsquoinnovation raquo des producteurs(AGGERI et collab 2017)
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
De ce point de vue non seulement lrsquoobjet deacutechet est un objet relatif au commun agravelrsquoorigine drsquoune gestion institutionnelle srsquoapparentant agrave une gouvernance des ressourcescommunes mais le dispositif de REP est eacutegalement source de production de communsCette activiteacute de production permet de reacuteconcilier responsabiliteacutes collective et indivi-duelle Ainsi le collectif produit des communs dans le but drsquoorienter lrsquoindividu dans sesresponsabiliteacutes individuelles Crsquoest pourquoi il est leacutegitime de srsquointeacuteresser au devenir desprincipes de gouvernance des ressources communes drsquoOstrom dans le cas drsquoun dispositiftel que la filiegravere REP DEEE destineacute agrave eacutevoluer continuellement et agrave conduire des expeacuteri-mentations collectives menant agrave la production de communs
Meacuterot (2014) marque une autre diffeacuterence avec la conception de gouvernance drsquoOs-trom Dans le cas de la filiegravere DEEE co-existent deux niveaux de gouvernance que sont leniveau strateacutegique (vision de la filiegravere agrave long terme eacutelargie agrave plusieurs parties prenantes etorchestreacute par lrsquoEacutetat) et le niveau opeacuterationnel (gestion quotidienne des deacutechets concen-treacutee autour des eacuteco-organismes) Cette dualiteacute constitue un apport par rapport agrave lrsquoanalysedrsquoOstrom qui considegravere lrsquoauto-organisation en dehors du pouvoir eacutetatique et du marcheacuteOr la politique de REP srsquoancre au croisement des sphegraveres du reacutegalien et du libre mar-cheacute Cette preacutesence essentielle du rocircle des pouvoirs dans le systegraveme de gouvernance dela REP amegravene le principe drsquoune co-reacutegulation Ainsi en srsquoinspirant des principes propo-seacutes par Ostrom et dans la ligneacutee des travaux drsquoAnne-Sophie Meacuterot il srsquoagit drsquoexplorer ceque seraient les principes et les regravegles drsquoune responsabiliteacute partageacutee dans le cadre drsquoundispositif exploratoire Et de comprendre dans ce cas comment concilier incitations in-dividuelles et projet collectif
Aussi proposons-nous de contribuer agrave enrichir la litteacuterature sur le dispositif de REPconsideacutereacute comme une reacutealiteacute institutionnelle qui srsquoapparente agrave une gestion des ressourcescommunes Cette approche conduit agrave porter lrsquointeacuterecirct sur le rocircle des acteurs leurs interac-tions ainsi que sur la dynamique exploratoire Dans cette optique un acteur est le collectifde producteurs deacutesigneacute responsable Il apparaicirct comme deacutecisif dans le processus de deacute-veloppement drsquoun systegraveme de gestion des deacutechets agrave lrsquoinstar des communauteacutes drsquousagersdes ressources communes eacutetudieacutees par Ostrom Ces collectifs les eacuteco-organismes sontdes organismes de producteurs deacutesigneacutes responsables de la gestion de la fin de vie desproduits qursquoils ont mis sur le marcheacute Entre 1998 et 2007 il a eacuteteacute estimeacute qursquoen Europe aumoins 260 organismes collectifs de gestion des deacutechets issus du principe de REP ont eacuteteacutecreacuteeacutes (MAYERS et BUTLER 2013) Nous verrons que ce sont des acteurs cleacutes dans la mise enœuvre drsquoun systegraveme de REP et dans la production de communs en tant que participantsactifs agrave la co-reacutegulation Or leur rocircle en tant qursquoacteur institutionnel actif a plutocirct eacuteteacutesous-estimeacute dans la litteacuterature (FAVOT 2015 HICKLE 2014 MASSARUTTO 2014 MEacuteROT2014)
II44 La litteacuterature sur les organismes de producteurs
II441 Lrsquoapproche instrumentale et eacuteconomique
La litteacuterature sur la politique de REP nous a reacuteveacuteleacute une approche essentiellement ins-trumentale qui ne permet pas de mettre en eacutevidence le rocircle drsquoinfluence institutionnel deseacuteco-organismes Massarutto (2014) souligne que lrsquoeacutevaluation des meacuterites drsquoune politiquede REP est un exercice ardu du fait de la difficulteacute de distinguer les effets dus agrave une impli-
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
cation des producteurs de ceux reacutesultant du simple choix drsquoun ensemble drsquoinstrumentsspeacutecifique Dans cette ligneacutee instrumentale il existe divers articles abordant la questiondes organismes de producteurs mais de maniegravere indirecte dans le cadre drsquoeacutetudes eacutevalua-tives et comparatives Dans ces travaux il srsquoagit drsquoidentifier la forme drsquoorganisation la plusefficace Les questions portent ainsi sur la nature de ces collectifs et leur nombre
Les organismes peuvent ecirctre gouverneacutes par des producteurs ou par drsquoautres acteurs agravequi les producteurs deacutelegraveguent leurs responsabiliteacutes Dans ce dernier cas la force de creacutea-tion collective est diminueacutee du fait du caractegravere purement fonctionnel de lrsquoorganismenrsquoimpliquant pas directement les producteurs (HICKLE 2014) Certains Eacutetats obligent queces organismes soient agrave but non lucratif ce qui est le cas en France Les organismespeuvent ecirctre creacuteeacutes de maniegravere volontaire ou imposeacutee par acte reacuteglementaire Par ailleursles responsabiliteacutes deacuteleacutegueacutees aux eacuteco-organismes sont plus ou moins eacutelargies en fonctiondes leacutegislations (entre responsabiliteacutes financiegravere opeacuterationnelle drsquoinformation etc)
La litteacuterature eacuteconomique srsquointeacuteresse aussi particuliegraverement agrave la question de la concur-rence entre eacuteco-organismes dans une logique drsquoefficaciteacute Certains auteurs sont tregraves cri-tiques des systegravemes de monopole dans lesquels les eacuteco-organismes ont un pouvoir quiparaicirct deacutemesureacute Selon Antonioli et Massarutto (2012) il est ineacutevitable dans une premiegraverephase de construction drsquoune filiegravere REP de reposer sur un acteur en situation de mono-pole avec toutes les deacuterives que cela peut entraicircner Mais une fois un systegraveme arriveacute agravematuriteacute les auteurs suggegraverent drsquointroduire une concurrence reacuteguleacutee de maniegravere agrave assu-rer des regravegles eacutequitables pour tous
Dans cette optique certains Eacutetats ont preacutefeacutereacute leacutegifeacuterer pour maintenir une concur-rence libre et non fausseacutee Ainsi dans plusieurs Eacutetats ameacutericains ougrave un systegraveme de REPa eacuteteacute mis en place des lois antitrust ont accompagneacute les dispositifs de maniegravere agrave limiterles abus de position dominante (HICKLE 2014) De la mecircme maniegravere la juridiction alle-mande interdit tout regroupement de producteurs pouvant donner naissance agrave un cartelInversement lrsquoItalie a promu une loi en 2014 encourageant la creacuteation drsquoorganismes col-lectifs drsquoun certains laquo poids raquo crsquoest-agrave-dire agrave la condition que le cumul des parts de marcheacutede ses membres soit supeacuterieur au minimum agrave 3 du marcheacute (FAVOT et collab 2016) Unetelle mesure a pour but de reconcentrer et de consolider le marcheacute En effet Favot et alreacutevegravelent que la concurrence des eacuteco-organismes encourage une compression des coucirctsde gestion de maniegravere agrave baisser le prix payeacute par les adheacuterents afin de les fideacuteliser et celaau deacutetriment des investissements pour ameacuteliorer la collecte De ce fait les auteurs ontconstateacute qursquoentre 2009 et 2014 alors que les eacuteco-participations ont diminueacute reacuteguliegravere-ment le taux de collecte a quant agrave lui stagneacute
Aussi peut-il exister des formes tregraves varieacutees drsquoeacuteco-organismes et il est tregraves difficiledrsquoeacutevaluer selon des critegraveres eacuteconomiques classiques laquelle serait optimale pour per-mettre drsquoatteindre les objectifs viseacutes par la politique de REP Une litteacuterature plus reacutecenteissue du courant institutionnel reconnaicirct davantage le rocircle de ces collectifs dans la conduitemecircme drsquoune politique de REP Ils sont alors assimileacutes agrave des acteurs tiers participant acti-vement agrave un mode de co-reacutegulation De ce point de vue en tant qursquoorganismes drsquoentre-prises les eacuteco-organismes peuvent ecirctre consideacutereacutes comme des meacuteta-organisations (cfI525)
En reacutealiteacute mecircme agrave travers ces deux courants il nrsquoexiste pas de consensus quant agrave lrsquoap-
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
port beacuteneacutefique ou non des eacuteco-organismes
II442 La contribution des organismes de producteurs un sujet contro-verseacute
Les eacuteco-organismes sont tout drsquoabord reconnus pour leur efficaciteacute opeacuterationnelle etpour leur rocircle dans la structuration de la filiegravere REP La raison principale de leur creacuteationest une quecircte drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle Le regroupement des producteurs se fait de ma-niegravere spontaneacutee en reacuteponse agrave leurs nouvelles responsabiliteacutes Ce regroupement permetdes mutualisations logistiques et financiegraveres beacuteneacutefiques En effet une gestion nationaledes deacutechets permet de mutualiser les coucircts entre les diffeacuterents membres et drsquooptimiserles reacuteseaux logistiques ainsi que lrsquoutilisation des infrastructures
Or peu drsquoeacutetudes ont analyseacute ce que font les eacuteco-organismes en pratique et de ce faitce qursquoils apportent agrave la filiegravere au-delagrave drsquoune structuration logistique En cela le cas eacutetudieacutedans la troisiegraveme partie montrera que le reacutepertoire des actions est en effet beaucoup plusvarieacute que ce qui est usuellement deacutecrit Nous verrons que lrsquoeacuteco-organisme a de multiplesfonctions essentielles au deacuteveloppement et au renouvellement de la filiegravere
Pour compleacuteter la litteacuterature pour une recherche ciblant speacutecifiquement les eacuteco-organismesFavot (2015) a eacutetudieacute le cas drsquoun eacuteco-organisme en Italie Lrsquoauteure a chercheacute agrave com-prendre lrsquointeacuterecirct de la creacuteation drsquoune organisation collective et sa forme potentielle Sontravail souligne lrsquoefficaciteacute structurelle drsquoun acteur central-pivot en tant qursquointerface destransactions financiegraveres des activiteacutes logistiques et de la communication de lrsquoensembledes parties prenantes De plus Favot met en avant la stabiliteacute qursquooffre un organisme col-lectif au sein de la chaicircne de valeur les contrats assurent une vision long terme le mar-cheacute est stabiliseacute les risques sont reacuteduits Cette stabiliteacute permet de favoriser les investisse-ments dans lrsquoindustrie du recyclage tout en contrecarrant les pouvoirs du marcheacute Ainsiselon lrsquoauteure un tel organisme collectif permet de reacuteduire consideacuterablement les coucirctsde transactions par rapport agrave un modegravele multipliant les systegravemes individuels
De mecircme Massarutto (2014) souligne la structuration de marcheacutes de la matiegravere se-condaire gracircce au soutien des eacuteco-organismes Selon lrsquoauteur se focaliser sur le manquedrsquoinitiatives individuelles des producteurs est une erreur Il constate que ces derniers ontcontribueacute agrave la structuration drsquoun marcheacute du recycleacute auparavant inexistant Cela nrsquoauraitpas eacuteteacute possible par lrsquoaction individuelle de producteurs mais reacutesulte bien de la creacuteationdrsquoentiteacutes influentes pouvant prendre en charge la probleacutematique de gestion des deacutechetsde maniegravere globale en agissant agrave la fois sur la preacutevention la gestion des deacutechets et lavalorisation matiegravere Pour lrsquoauteur un facteur majeur de ces entiteacutes pivots est leur neu-traliteacute qui doit ecirctre preacuteserveacutee Leur rocircle selon lui est drsquooffrir des lieux neutres supportsdrsquoinnovation dans lesquels les acteurs du marcheacute peuvent coopeacuterer en toute confianceCes espaces permettent drsquoeacutequilibrer les forces compeacutetitives du marcheacute et de coopeacuterationpour soutenir lrsquoinnovation collective et responsable Leur neutraliteacute permet de mettre enpartage des ressources des connaissances de valider des prototypes et de mutualiser lescoucircts drsquoinvestissement En drsquoautres termes lrsquoeacuteco-organisme contribue agrave la production decommuns au sein du dispositif de REP permettant de laquo deacutemultiplier les capaciteacutes drsquoinno-vation de leurs membres raquo (AGGERI et collab 2017) Massarutto considegravere ainsi les eacuteco-organismes comme catalyseurs de la creacuteation de reacuteseaux collaboratifs tout en laissant
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
par ailleurs les entreprises priveacutees libres pour se focaliser sur leurs avantages compeacutetitifsAinsi se joue lrsquoarticulation entre responsabiliteacutes collective et individuelle Certaines di-mensions seront mieux geacutereacutees au niveau du collectif alors que drsquoautres doivent rester dudomaine priveacute Les eacuteco-organismes ont alors la difficile tacircche de devoir trouver cet eacutequi-libre entre encourager leurs membres agrave srsquoinvestir dans le collectif sans empieacuteter sur leurstrateacutegie concurrentielle
Toutefois comme annonceacute preacuteceacutedemment les avantages de dispositifs collectifs fon-deacutes sur des organismes collectifs est un sujet controverseacute (FAVOT 2015 LIFSET et collab2013 MAYERS et BUTLER 2013) De nombreuses critiques soulignent les dysfonctionne-ments de dispositifs collectifs notamment les risques qui entourent la creacuteation de mo-nopoles pouvant conduire agrave un manque drsquoinitiatives agrave lrsquoeacuteco-conception un manque detransparence une concentration du marcheacute voire un abus de position dominante (BA-HERS 2016 HICKLE 2014 MASSARUTTO 2014) La difficulteacute est de quantifier la contribu-tion drsquoun acteur tiers Restreindre lrsquoanalyse au travers de calculs coucirct-avantages de courtterme ne permet pas de saisir toute la capaciteacute creacuteatrice de dispositifs complexes qui reacute-clament une continuiteacute de lrsquoaction qui srsquoeacutevaluent sur le temps long selon des dimensionsqui peuvent ecirctre eacutegalement qualitatives En effet les incitations agrave lrsquoeacuteco-conception et agrave lavalorisation-matiegravere ne relegravevent pas uniquement de meacutecanismes eacuteconomiques drsquointer-nalisation des coucircts Il srsquoagit eacutegalement de soutenir un eacutecosystegraveme favorisant lrsquoeacutemergencedrsquoun marcheacute durable plus respectueux de lrsquoenvironnement En conseacutequence le potentieldurable drsquoun systegraveme de REP est agrave saisir agrave travers la dynamique de lrsquoaction collective in-duite Aussi est-il pertinent drsquoeacutetudier la geacuteneacutealogie de la mise en œuvre drsquoun systegraveme deREP en se focalisant sur lrsquoactiviteacute collective des producteurs non seulement au niveau ducollectif mais eacutegalement au niveau individuel
Pour reacutesumer il est largement admis que les politiques de REP ont permis drsquoaug-menter les taux de collecte et de recyclage En revanche les incitations agrave la preacuteventionet agrave lrsquoeacuteco-conception restent encore trop faibles Au-delagrave de ce constat il srsquoagit desrsquointeacuteresser aux pratiques effectives des filiegraveres REP En effet crsquoest un dispositif dontlrsquoobjet est de geacuterer les deacutechets mais pas seulement il se veut eacutegalement force de creacutea-tion collective Cependant le deacutechet comme commun pose des difficulteacutes nouvellespar rapport agrave la gestion de communs naturels eacutetudieacutes par Ostrom (qui sont stables etidentifieacutes) On lrsquoa souligneacute la probleacutematique des communs non preacuteexistants et laquo in-connus raquo soulegraveve le risque drsquoessoufflement de lrsquoaction collective Drsquoougrave lrsquoimportance agravela fois du rocircle de lrsquoEacutetat en tant que garant des institutions dont les regravegles eacuteviteront lesrisques laquo drsquoenclosure raquo (DEFALVARD et DENIARD 2016) et des eacuteco-organismes en tantqursquoanimateur du collectif Ainsi sans contester le rocircle cleacute des eacuteco-organismes commeacteurs tiers dans le processus de co-reacutegulation (HICKLE 2014) il srsquoagit de maintenirun eacutequilibre entre favoriser la responsabilisation drsquoacteurs pivots sur le long terme etdynamiser le secteur par les meacutecanismes de type marcheacute et la concurrence
Pour comprendre la responsabilisation en pratique ainsi que le fonctionnementde la co-reacutegulation ce travail de recherche srsquoappuie sur le cas de la filiegravere des DeacutechetsdrsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques Dans la troisiegraveme partie seront preacutesenteacuteslrsquointeacuterecirct particulier de ces deacutechets lrsquohistorique de la construction de la filiegravere lrsquoeacutemer-gence de la gouvernance avec la creacuteation drsquoeacuteco-organismes lrsquoorganisation geacuteneacuteralede la filiegravere et les eacutevolutions ainsi que la dynamique du dispositif assurant une conti-
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CHAPITRE II4 JUSTIFICATION DrsquoUNE APPROCHE PAR LES COMMUNS
nuiteacute Avant ce passage agrave la partie trois et au regard des parties preacuteceacutedentes expliquantles enjeux du principe de REP et de la mise en œuvre drsquoune telle politique nous allonsjustifier le choix de la filiegravere DEEE comme cas drsquoeacutetude
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Transition Lrsquointeacuterecirct de lrsquoeacutetude de lafiliegravere DEEE
La filiegravere REP DEEE est opeacuterationnelle depuis 2006 Elle fait partie des premiegraveres fi-liegraveres REP europeacuteennes avec les filiegraveres emballages (1993) et piles et accumulateurs por-tables (2001) Elle est en France la seconde filiegravere agrave responsabiliteacute opeacuterationnelle 21 apregravesla filiegravere piles et accumulateurs Les DEEE sont des deacutechets complexes qui ont conduit agravela construction drsquoune filiegravere riche en enseignements Ce flux de deacutechet regroupe agrave lui seulde multiples enjeux que lrsquoon retrouve dans diverses autres filiegraveres Crsquoest une filiegravere struc-turante qui a servi drsquoexemple agrave lrsquoensemble des autres filiegraveres REP et ce encore jusqursquoagraveaujourdrsquohui En effet les DEEE sont des deacutechets dont la gestion en meacutelange pose des dif-ficulteacutes imputables agrave leur quantiteacute croissante (tel est le cas pour les emballages) agrave leurdispersion (notamment pour les petits appareils eacutelectriques de la mecircme maniegravere quepour les piles et accumulateurs) agrave leur dangerositeacute (comme crsquoest le cas pour les produitschimiques) et agrave leur composition complexe rendant leur valorisation coucircteuse
Cette concentration de difficulteacutes fait que la filiegravere REP DEEE a souleveacute de multiplesdeacutefis qui ont susciteacute des reacuteponses innovantes et qui ont contribueacute agrave faire eacutevoluer la doc-trine de la REP au sens large En effet crsquoest une filiegravere ougrave la collecte pose des difficulteacutesparticuliegraveres du fait de lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute du flux (petits vs tregraves gros eacutelectromeacutenagers faiblevs grande valeur reacutesiduelle) et drsquoune forte concurrence de filiegraveres parallegraveles dont certainessont illeacutegales La question de lrsquoincitation agrave lrsquoeacuteco-conception reacutesonne aussi particuliegravere-ment dans ce secteur en raison des soupccedilons drsquoobsolescence programmeacutee ainsi que delrsquoenjeu des matiegraveres critiques La valorisation matiegravere repreacutesente agrave elle seule un veacuteritabledeacutefi Elle neacutecessite la construction de tout un eacutecosystegraveme drsquoaffaires afin de rendre durableun nouveau marcheacute de la matiegravere secondaire Ceci contrairement agrave la filiegravere emballagesougrave la matiegravere recycleacutee est relativement homogegravene et en quantiteacute et qualiteacute suffisantes per-mettant lrsquoeacutemergence spontaneacutee drsquoun marcheacute Par ailleurs le nombre de parties prenantesest conseacutequent rendant les conflits drsquointeacuterecircts multiples Notamment cette filiegravere DEEEa des liens particuliers et historiques avec le secteur de lrsquoEacuteconomie Sociale et Solidaire agravetravers les activiteacutes de reacuteemploi et de reacuteparation Le pilotage est de ce fait tregraves complexe
En reacutealiteacute il a fallu diffeacuterentes expeacuteriences avant de trouver un pilotage adapteacute agrave lagestion des diffeacuterentes filiegraveres REP Pour seacutelectionner les eacuteco-organismes de la premiegraverefiliegravere europeacuteenne sur les emballages il avait eacuteteacute deacutecideacute de mettre en place une commis-sion drsquoagreacutement regroupant lrsquoensemble des parties prenantes Cette commission avaitpour fonction lrsquoeacutelaboration drsquoun cahier des charges auquel les eacuteco-organismes candidatsdevaient reacutepondre Cette proceacutedure srsquoeacutetant aveacutereacutee tregraves lourde la seconde filiegravere sur lespiles et accumulateurs a eacuteteacute mise en œuvre agrave travers de simples conventions avec les ac-
21 Si lrsquoon exclut la filiegravere de lrsquoagrofourniture qui est opeacuterationnelle mais volontaire elle ne deacutecoule pasdrsquoune directive europeacuteenne
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TRANSITION LrsquoINTEacuteREcircT DE LrsquoEacuteTUDE DE LA FILIEgraveRE DEEE
teurs priveacutes afin drsquoalleacuteger la tacircche des pouvoirs publics Cependant la multipliciteacute desdemandes a finalement conduit agrave davantage de travail de veacuterification Crsquoest pourquoi lepilotage par la commission drsquoagreacutement est devenue la regravegle agrave partir de la filiegravere DEEE etsrsquoest consolideacutee depuis (agrave lrsquoexception de la filiegravere pneu qui est resteacutee longtemps sans agreacute-ment)
Enfin pour toutes ces raisons dans la filiegravere DEEE lrsquoenjeu drsquoarticulation entre les res-ponsabiliteacutes collective et individuelle est particuliegraverement pressant contrairement agrave lafiliegravere emballages dans laquelle lrsquoincitation individuelle srsquoaligne plus volontiers agrave lrsquoactioncollective Par exemple reacuteduire lrsquoutilisation de matiegravere dans un emballage contribue agravela fois agrave preacuteserver les ressources naturelles et agrave diminuer les coucircts matiegravere du produc-teur Ainsi la filiegravere DEEE englobe de multiples probleacutematiques sociales eacuteconomiques etenvironnementales voire geacuteopolitiques dont la construction a eacuteteacute tregraves riche drsquoenseigne-ments
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Conclusion de la partie 2
Cette deuxiegraveme partie permet drsquoexpliquer et de justifier le choix drsquoapplication du cadretheacuteorique exposeacute agrave la partie 1 agrave lrsquoanalyse du principe de responsabiliteacute eacutelargie du pro-ducteur Contrairement agrave la litteacuterature eacuteconomique politiste ou manageacuteriale dominantequi eacutetudie ex ante lrsquoefficaciteacute des REP ou bien les conditions de leur mise en œuvre (lelaquo comment raquo) nous prenons le parti drsquoeacutetudier les filiegraveres REP comme un dispositif collec-tif visant agrave susciter une dynamique drsquoaction collective dans lrsquoinconnu et qui se construitchemin faisant agrave partir drsquoexpeacuterimentations collectives
Pour cela nous allons nous appuyer sur la litteacuterature sur les communs qui reacutevegravele desdispositifs de solidariteacute collective garantissant une action commune dans la dureacutee Avecla diffeacuterence que dans le cas des deacutechets lrsquoaction de lrsquoEacutetat est essentielle afin de susciterune pratique du commun par les acteurs reacuteguleacutes pratique autrement non revendiqueacutee
Cette perspective a plusieurs implications pour notre recherche
mdash Ne pas rester focaliseacute sur la conformiteacute des reacutesultats aux objectifs (telles les eacuteva-luations classiques des politiques publiques) mais srsquointeacuteresser agrave la maniegravere dontlrsquoagenda des filiegraveres REP se structure chemin faisant en fonction des expeacuterimen-tations et des apprentissages geacuteneacutereacutes ou autrement dit agrave laquo la conception de lrsquoeacuteva-luation comme drsquoune activiteacute creacuteatrice raquo (CHANUT 2010))
mdash Eacutetudier les processus drsquoexpeacuterimentation (qui permettent de mettre agrave jour les condi-tions et les meacutecanismes geacuteneacuterateurs) en montrant la dynamique entre des enjeuxdrsquoinnovation individuels et la constitution drsquoun commun
mdash Agrave partir de ces cas montrer ce qui fait commun et comment ce commun eacutemerge delrsquoaction collective
mdash Mettre en eacutevidence les meacutecanismes de pilotage et de gouvernance de ces filiegraveresREP dans une approche srsquoinspirant drsquoOstrom tout en identifiant les principes drsquouneco-reacutegulation
Pour comprendre la responsabilisation en pratique ainsi que le fonctionnement de laco-reacutegulation ce travail de recherche srsquoappuie sur le cas de la filiegravere des Deacutechets drsquoEacutequi-pements Eacutelectriques et Eacutelectroniques Dans lrsquoencadreacute qui suit est preacutesenteacute lrsquointeacuterecirct par-ticulier de ces deacutechets Puis dans la troisiegraveme partie seront preacutesenteacutes lrsquohistorique de laconstruction de la filiegravere lrsquoeacutemergence de la gouvernance avec la creacuteation drsquoeacuteco-organismeslrsquoorganisation geacuteneacuterale de la filiegravere DEEE et les eacutevolutions ainsi que la dynamique du dis-positif assurant une continuiteacute dans le temps
Les questions traiteacutees dans la partie 3 sont les suivantes
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CONCLUSION DE LA PARTIE 2
mdash Quels principes de reacutegulation et de gouvernance sont neacutecessaires pour creacuteer et main-tenir lrsquoadheacutesion des producteurs agrave un projet collectif eacutevolutif
mdash Comment trouver un eacutequilibre entre responsabilisation individuelle mdash neacutecessairepour promouvoir la preacutevention et lrsquoeacuteco-conception mdash et responsabiliteacute collectivemdash neacutecessaire pour mutualiser les efforts
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Encadreacute Les enjeux de la valorisationdes Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriqueset Eacutelectroniques
La valeur des deacutechets a fortement eacutevolueacute au cours du temps Des ordures reacutecu-peacutereacutees par les chiffonniers aux deacutechets polluants agrave eacuteliminer par incineacuteration ou en-fouissement est apparue la laquo mine urbaine raquo composeacutee des Deacutechets drsquoEacutequipementsEacutelectriques et Eacutelectroniques riches en meacutetaux Le vocabulaire caracteacuterisant les deacute-chets srsquoest ainsi deacutetacheacute du thegraveme de la mort et de la reacutepugnance pour un champ dela creacuteation et de la valorisation de la matiegravere Cette prise de conscience de la valeurde nos deacutechets reacutesulte drsquoenjeux eacuteconomiques (crise de la matiegravere premiegravere) geacuteopoli-tiques (seacutecurisation des approvisionnements et controcircle des gisements) environne-mentaux (pollution par les substances dangereuses) et socieacutetaux (risques sanitaires)Cet encadreacute a pour but drsquoexpliquer plus preacuteciseacutement les enjeux de la valorisation desDEEE
Que sont les Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelec-troniques
Tout drsquoabord il srsquoagit de preacuteciser ce que regroupent les Deacutechets drsquoEacutequipementsEacutelectriques et Eacutelectroniques (DEEE) Ce sont des produits arriveacutes en fin de vie quifonctionnaient gracircce agrave laquo un courant eacutelectrique ou agrave un champ eacutelectromagneacutetiqueou un eacutequipement de production de transfert ou de mesure de ces courants etchamps conccedilu pour ecirctre utiliseacute agrave une tension ne deacutepassant pas 1000 volts en courantalternatif et 1500 volts en courant continu raquo (ADEME 2013b) En 2015 710 millionsdrsquoeacutequipements neufs ont eacuteteacute mis sur le marcheacute (soit une hausse de 114 par rapportagrave 2014) ce qui repreacutesente un parc de milliers de tonnes drsquoeacutequipements (soit unehausse de 71) (ADEME 2016a)
Ce gisement repreacutesente un tregraves grand nombre drsquoappareils aux dimensions et auxpoids extrecircmement varieacutes puisqursquoon retrouve dans ce flux agrave la fois du gros eacutelectromeacute-nager (reacutefrigeacuterateur machine agrave laver) comme du petit appareil (grille pain perceuseteacuteleacutephone portable) Jusqursquoen 2018 22 les EEE sont diviseacutes en onze cateacutegories (1) grosappareils meacutenagers (2) petits appareils meacutenagers (3) eacutequipements informatiques etde teacuteleacutecommunications (4) mateacuteriel grand public (5) mateacuteriel drsquoeacuteclairage (6) outilseacutelectriques et eacutelectroniques (agrave lrsquoexception des gros outils industriels fixes) (7) jouets (8) eacutequipements de loisir et de sport (9) dispositifs meacutedicaux (agrave lrsquoexception de tous
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ENCADREacute LES ENJEUX DE LA VALORISATION DES DEacuteCHETSDrsquoEacuteQUIPEMENTS EacuteLECTRIQUES ET EacuteLECTRONIQUES
les produits implanteacutes et infecteacutes) (10) instruments de surveillance et de controcircle et(11) distributeurs automatiques et panneaux photovoltaiumlques
Les eacuteco-organismes de la filiegravere DEEE ont chacun des cateacutegories speacutecifiques agrave geacute-rer et qui peuvent se recouper Ainsi Eacuteco-systegravemes est agreacuteeacute pour collecter et traitertoutes les cateacutegories excepteacutees les cateacutegories cinq et onze De maniegravere geacuteneacuterale lacollecte des DEEE meacutenagers est organiseacutee selon cinq grands flux le Gros Eacutelectromeacute-nager Froid (GEM F) tel que les reacutefrigeacuterateurs (flux qui repreacutesente 17 du tonnage deDEEE traiteacutes en 2015 [ADEME 2016a]) le Gros Eacutelectromeacutenager Hors Froid (GEM HF)tel que les machines agrave laver (repreacutesentant 40 du tonnage de DEEE traiteacutes en 2015)les eacutecrans (ordinateurs teacuteleacuteviseurs) (repreacutesentant 16 du tonnage de DEEE traiteacutes en2015) les Petits Appareils en Meacutelange (PAM) tels que les grille-pains outillages teacuteleacute-phones (repreacutesentant 26 du tonnage de DEEE traiteacutes en 2015) ainsi que les lampes(ce dernier flux nrsquoest pas geacutereacute par Eacuteco-systegravemes)
Quelle valeur dans les DEEE
La valeur de ces diffeacuterents flux de deacutechets nrsquoest pas du tout eacutequivalente Elledeacutepend du coucirct de deacutepollution et de traitement ainsi que de la composition matiegravereIl existe des substances reacuteglementeacutees agrave extraire lors de la deacutepollution des DEEEtels que les gaz reacutefrigeacuterants les composants contenant du mercure des substancesradioactives les deacutechets drsquoamiante les lampes agrave deacutecharge les matiegraveres plastiquescontenant des retardateurs de flamme bromeacutes les piles et accumulateurs les tubescathodiques les condensateurs contenant du polychlorobipheacutenyle etc En 2015 lestubes cathodiques repreacutesentaient la plus grande part des substances reacuteglementeacuteestraiteacutees (soit 53) en raison de leur poids eacuteleveacute et du nombre important de teacuteleacuteviseursagrave tubes cathodiques arrivant en fin de vie Agrave ce titre Eacuteco-systegravemes a traiteacute pregraves de 40000 tonnes de tubes cathodiques en 2015 (Eco-systegravemes 2015)
La deacutepollution se fait dans des installations adapteacutees qui utilisent des techno-logies et des proceacutedeacutes industriels speacutecialiseacutes et coucircteux Il existe en France environ215 centres de traitement de DEEE (dont 90 sont en contrat avec Eco-systegravemes[Eco-systegravemes 2015]) qui effectuent une ou plusieurs des diffeacuterentes opeacuterations sui-vantes reacuteemploi reacuteutilisation deacutepollution deacutemantegravelement broyage tri recyclagetraitement physico-chimique
Apregraves deacutepollution les deacutechets deviennent des ressources valorisables qui peuventecirctre revendues sur le marcheacute Ainsi en moyenne 80 du poids des DEEE sont revalo-riseacutes en matiegravere premiegravere qui est revendue agrave lrsquoindustrie La part restante est soit brucircleacutee(souvent par valorisation eacutenergeacutetique) soit enfouie en tant que deacutechet ultime En pra-tique le coucirct de la deacutepollution des appareils de froid et des eacutecrans est partiellementcompenseacute par les recettes ferrailles issues de la vente de matiegravere des autres appareils(GEM HF et PAM) Le tableau II41 donne la composition matiegravere moyenne des cinqflux de collecte
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ENCADREacute LES ENJEUX DE LA VALORISATION DES DEacuteCHETSDrsquoEacuteQUIPEMENTS EacuteLECTRIQUES ET EacuteLECTRONIQUES
Ferraille Meacutetauxnon fer-reux 23
Plastiquerecycleacute
Mineacuteraux 24Tubescatho-diques
Deacutechets Autres 25
GEM F 59 6 30 2 0 3 0GEM HF 58 5 8 13 0 16 0Eacutecran 12 5 17 0 55 3 8PAM 45 15 25 0 0 10 5
TABLEAU II41 ndash Composition moyenne des cinq flux de collecte (Eco-systegravemes nc)
Aussi les DEEE ont-ils une composition tregraves heacuteteacuterogegravene Ils contiennent desmeacutetaux des plastiques et drsquoautres mateacuteriaux Certaines substances sont polluantesalors que drsquoautres sont agrave forte valeur voire certaines les deux agrave la fois Ainsi letraitement des DEEE a un coucirct opeacuterationnel (logistique deacutepollution traitement)mais permet eacutegalement de deacutegager une recette matiegravere En 2013 les recettes matiegraveresde lrsquoensemble des eacuteco-organismes srsquoeacutelevaient agrave 87 979 000euro par rapport agrave des coucirctsopeacuterationnels de 203 854 000euro (ADEME 2014)
La matiegravere reacutecupeacutereacutee peut avoir un inteacuterecirct eacuteconomique en raison de la quantiteacuteimportante recycleacutee et sa vente en masse ou de la qualiteacute de la matiegravere et sa hautevaleur ajouteacutee Il faut ainsi distinguer les matiegraveres usuelles tels que les plastiques etles meacutetaux ferreux ou non ferreux des matiegraveres speacutecifiques tels que certains meacutetauxde grande valeur
En effet les eacutequipements de haute technologie tels que les teacuteleacutephones portableset ordinateurs contiennent des composants cleacutes tels que les cartes eacutelectroniques lesprocesseurs les aimants permanents les batteries etc sur lesquels repose la perfor-mance de ces outils Ces composants sont fabriqueacutes agrave partir de meacutetaux preacutecieux (orargent palladium) ou de meacutetaux laquo mineurs raquo 26 dont la composition chimique esttregraves speacutecifique permettant un deacutecuplement des capaciteacutes technologiques Ces meacute-taux permettent la miniaturisation de nos appareils portables (par exemple le lithiumdans les batteries des teacuteleacutephones portables de plus en plus reacuteduites) ou encore le deacute-veloppement des eacutenergies renouvelables avec les technologies de lrsquoeacuteolien (gracircce auxterres rares dans les aimants permanents des moteurs eacutelectriques) ou du solaire (dontles panneaux photovoltaiumlques contiennent de lrsquoindium)
Des deacutechets contenant des meacutetaux agrave valeur strateacutegique
Le deacuteveloppement du numeacuterique ainsi que la transition eacutenergeacutetique reposentcrucialement sur lrsquoexploitation de ces meacutetaux tregraves speacutecifiques En ce sens ils revecirctentdrsquoun inteacuterecirct tregraves strateacutegique pour les pays deacuteveloppeacutes comme pour les pays en voiede deacuteveloppement
Les pays deacuteveloppeacutes ont pris conscience de lrsquointeacuterecirct strateacutegique de ces meacutetaux en2010 Le fait est que le premier producteur de terres rares (meacutetaux essentiels dans laplupart des technologies de pointes telles que les aimants surpuissants utiliseacutes pourles moteurs des veacutehicules eacutelectriques et des eacuteoliennes) est de loin la Chine avec plus
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ENCADREacute LES ENJEUX DE LA VALORISATION DES DEacuteCHETSDrsquoEacuteQUIPEMENTS EacuteLECTRIQUES ET EacuteLECTRONIQUES
de 80 de la production mondiale Or afin de valoriser son industrie aval inteacuterieurela Chine a reacuteduit ses quotas drsquoexportation de pregraves de 40 en 2010 Cette mesurestricte a conduit agrave une envoleacutee des prix des terres rares La hausse spectaculairedes prix qui srsquoest ensuivie a conduit les pays deacuteveloppeacutes agrave se doter des politiquesoffensives en matiegravere de seacutecurisation des approvisionnements en matiegraveres premiegraveresagrave caractegravere strateacutegique pour leur eacuteconomie
Dans ce contexte la Commission europeacuteenne a identifieacute en 2011 une liste dequatorze matiegraveres consideacutereacutees comme critiques pour lrsquoindustrie europeacuteenne (no-tamment lrsquoautomobile lrsquoaeacuteronautique et les eacutenergies renouvelables) qui sont lrsquoan-timoine lrsquoindium le beacuteryllium le magneacutesium le cobalt le niobium le fluor les pla-tinoiumldes le gallium le germanium le tantale le graphite le tungstegravene ainsi que lesterres rares qui regroupent le scandium lrsquoyttrium ainsi que les quinze lanthanides(Commission europeacuteenne 2011) Cette liste a eacuteteacute reacuteviseacutee en 2014 puis en 2017
Les enjeux lieacutes aux meacutetaux strateacutegiques
Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait penser la disponibiliteacute geacuteologique nrsquoest pasle critegravere prioritaire dans la deacutefinition de criticiteacute drsquoun meacutetal En effet certains de cesmeacutetaux strateacutegiques (en particulier les terres rares) sont assez reacutepandus sur la terrevoire mecircme drsquoune accessibiliteacute eacutequivalente aux meacutetaux usuels tels que le zinc oule cuivre En reacutealiteacute la rareteacute est davantage lieacutee agrave la concentration de la productionindustrielle La criticiteacute drsquoune matiegravere est en fait deacutefinie par rapport agrave deux para-megravetres lrsquoimportance eacuteconomique (deacutefinie par le degreacute drsquoutilisation de celle-ci dansles meacutega-secteurs industriels) et le risque de peacutenurie drsquoapprovisionnement (baseacute surla stabiliteacute politico-eacuteconomique des pays producteurs le niveau de concentration dela production les possibiliteacutes de substitution le taux de recyclage et bien entendu ladisponibiliteacute miniegravere)
Ainsi la criticiteacute est un facteur qui peut varier selon les situations geacuteopolitiquesles deacutecouvertes technologiques la volatiliteacute des prix etc Crsquoest pourquoi la Com-mission europeacuteenne srsquoest engageacutee agrave mettre agrave jour sa liste des matiegraveres critiques tousles trois ans De ce fait en 2014 une reacutevision a conduit la Commission europeacuteenne agraveretirer le tantale (jugeant une baisse du risque de peacutenurie drsquoapprovisionnement) et agraveajouter six nouvelles matiegraveres
Nous listons ci-dessous les principaux eacuteleacutements strateacutegiques et applicationsrelatifs au secteur de lrsquoEEE
mdash Batteries Lithium-ion (cobalt lithium)
mdash Aimants permanents (dysprosium neacuteodyme praseacuteodyme terbium)
mdash Cartes eacutelectroniques (argent palladium platine gallium)
mdash Micro condensateurs (tantale niobium antimoine)
mdash Eacutecrans LCD semi-conducteurs (indium)
mdash Lampes fluo compactes (terbium yttrium europium gadolinium lanthane ceacute-rium)
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mdash LED (gallium germanium)
mdash Panneaux photovoltaiumlques (argent gallium germanium indium)
Ces meacutetaux ont une grande importance eacuteconomique pour lrsquoEurope drsquoautant plusqursquoils sont souvent faiblement substituables et que leur production se concentreentre un nombre restreint de pays La Chine concentre plus de 80 de la produc-tion drsquoantimoine de bismuth de magneacutesium de terres rares et de tungstegravene laReacutepublique Deacutemocratique du Congo (RDC) plus de la moitieacute de celle de cobalt et detantale et le Breacutesil fournit plus de 90 de la production mondiale de niobium
Par ailleurs lrsquoexploitation des meacutetaux strateacutegiques est souvent sujette agrave de gravescrises environnementales et sanitaires En effet les techniques drsquoextraction de cesmeacutetaux peuvent se reacuteveacuteler tregraves coucircteuses et polluantes En reacutealiteacute pour de nombreuxmeacutetaux mineurs leur extraction nrsquoest pas assez rentable agrave elle seule et repose surlrsquoextraction drsquoun autre meacutetal dit laquo primaire raquo Ils sont en fait obtenus en tant quesous-produits au cours des eacutetapes de meacutetallurgie traitant le meacutetal principal Crsquoest lecas par exemple de lrsquoindium (preacutesent dans les eacutecrans tactiles) qui est un sous-produitdu zinc ou du cuivre De mecircme le gallium (utiliseacute dans les cellules photovoltaiumlques)est un sous-produit de lrsquoaluminium De plus les meacutetaux mineurs sont geacuteneacuteralementpreacutesents en tregraves faible quantiteacute dans le minerai Ainsi lrsquoimpact carbone calculeacute agravela tonne extraite de meacutetaux mineurs est conseacutequent De maniegravere geacuteneacuterale lrsquoap-pauvrissement des mines actuelles rend de plus en plus polluant lrsquoactiviteacute miniegravereAujourdrsquohui il est estimeacute qursquoil est neacutecessaire de deacuteplacer trois fois plus de mineraisqursquoil y a un siegravecle pour une mecircme quantiteacute extraite (UNEP 2013)
Aussi certaines exploitations sont au cœur de vastes conflits armeacutes conduisantagrave des drames humains Lrsquoexemple le plus repreacutesentatif est le trafic de la colombite-tantalite (le coltan) en RDC dont on extrait le niobium et le tantale Le coltan est eneffet au cœur drsquoune guerre meurtriegravere dans laquelle diffeacuterentes milices locales se dis-putent le controcircle des gisements miniers
Lrsquointeacuterecirct de lrsquoexploitation des mines urbaines
Face agrave ces tensions eacuteconomiques environnementales sociales et geacuteopolitiquesle recyclage des DEEE offre une alternative inteacuteressante dans le but de reacuteduire ladeacutependance de lrsquoEurope face aux principaux pays producteurs Non seulement lerecyclage de la mine urbaine permet drsquooffrir une ressource alternative en meacutetauxstrateacutegiques mais cela permet eacutegalement drsquoeacuteviter la pollution par lrsquoextraction duminerai En effet par rapport agrave lrsquoextraction des meacutetaux du milieu naturel le recyclagepermet une eacuteconomie drsquoeacutenergie de 60 agrave 75 pour lrsquoacier et le zinc et de plus de 90pour lrsquoaluminium et les meacutetaux du groupe du platine (UNEP 2013)
Cela est drsquoautant plus vraie que la mine urbaine est relativement riche En effetselon Alain Geldron de lrsquoAdeme laquo il y a 2 agrave 3 grammes drsquoor par tonne de mineraiextrait drsquoune mine contre 120 agrave 200 grammes par tonne voire plus dans les produitseacutelectroniques raquo (SCHAUBALORS 2014) Selon le professeur Komei Harada de lrsquoInstitutde la science des mateacuteriaux les centres de stockage de deacutechets au Japon contien-draient 6 800 tonnes drsquoor (soit pregraves de 16 de lrsquoensemble des reacuteserves exploitables
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dans le monde) 60 000 tonnes drsquoargent et 1 700 tonnes drsquoiridium (ADEME 2010)
Dans le gisement de DEEE collecteacute par les eacuteco-organismes les meacutetaux strateacute-giques sont concentreacutes en particulier dans les cartes eacutelectroniques Les cartes les plusriches en meacutetaux sont utiliseacutees dans les technologies agrave haute valeur ajouteacutee tels queles ordinateurs portables et les teacuteleacutephones portables Ces cartes sont composeacutees agrave33 de meacutetaux dont 15 de cuivre 10 de fer et de Nickel 2 agrave 7 drsquoaluminium etmoins de 1 de meacutetaux strateacutegiques Dans ce 1 il y a en moyenne 850 gt drsquoor 400gt drsquoargent 100 gt de palladium et 9 agrave 10 kgt de tantale En 2013 pregraves de dix milletonnes de cartes ont eacuteteacute traiteacutees par les eacuteco-organismes en France soit 22 du totaldes DEEE traiteacutes
Les obstacles au deacuteveloppement du recyclage des meacutetauxstrateacutegiques
Toutefois mecircme si le recyclage paraicirct ecirctre une solution seacuteduisante il ne peut agrave luiseul reacutepondre agrave la demande pour les meacutetaux critiques puisque celle-ci est croissanteEn effet les produits mis sur le marcheacute sont plus nombreux que le nombre de deacutechetscollecteacutes du fait drsquoun deacutecalage temporel relatif agrave la peacuteriode drsquoutilisation des produitsDe ce fait la demande en matiegravere utiliseacutee pour la production est supeacuterieure agrave lrsquooffredisponible par le recyclage
Aussi les ressources secondaires issues de la mine urbaine doivent-elles ecirctreconsideacutereacutees comme compleacutementaires aux ressources naturelles Drsquoautant plus qursquoilexiste de nombreux obstacles ne permettant pas une reacutecupeacuteration totale de la matiegravereissus des deacutechets En effet la grande majoriteacute de ces meacutetaux strateacutegiques ne sontrecycleacutes qursquoagrave moins de 1 du gisement geacuteneacutereacute (cela nrsquoest pas le cas pour les meacutetauxpreacutecieux qui sont recycleacutes agrave plus de 50 eacutetant donneacute leur valeur sucircre) (UNEP 2013)Les obstacles existants sont de nature technologique eacuteconomique et sociale
Les technologies actuelles ne permettent pas de reacutecupeacuterer toute la valeur desDEEE notamment celle contenue dans les cartes eacutelectroniques La difficulteacute est lacomplexiteacute des appareils agrave haute valeur ajouteacutee qui sont de plus en plus miniaturiseacutestout en contenant toujours plus drsquoeacuteleacutements mais en tregraves faible quantiteacute Alors qursquoen1980 la fabrication des hautes technologies reposait sur une dizaine drsquoeacuteleacutements dela table de Mendeleiumlv aujourdrsquohui on en utilise plus drsquoune soixantaine (BIRRAUX etKERT 2011) La seacuteparation des diffeacuterents eacuteleacutements est de ce fait devenue tregraves deacutelicate
De plus alors mecircme que la technologie de recyclage drsquoun meacutetal strateacutegiquedemande de lourds investissements celui-ci peut ne plus ecirctre deacutefini comme critiqueau sens de lrsquoeacuteconomie europeacuteenne du futur Cette incertitude constitue un obstaclemajeur aux investissements dans le recyclage des meacutetaux strateacutegiques Agrave cela srsquoajoutela grande variabiliteacute des prix de la matiegravere qui peut conduire agrave la fermeture drsquousinesde recyclage Crsquoest ce qui est arriveacute agrave lrsquoentreprise Rhodia-Solvay dont lrsquoactiviteacute derecyclage des terres rares nrsquoeacutetait plus compeacutetitive du fait drsquoune baisse de la demandeCette baisse reacutesulte drsquoun changement de technologie avec le passage des lampesfluorescentes aux lampes LED (ces derniegraveres sont plus eacuteconomes en eacutenergie et
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contiennent tregraves peu de terres rares) coupleacute agrave un retour au volume normal desexportations chinoises conduisant agrave une diminution des prix
Un autre facteur de risque pour les investisseurs est le manque de deacuteboucheacutes enEurope pour les meacutetaux strateacutegiques (ce qui est eacutegalement le cas pour les plastiquesissus des DEEE) En effet ces meacutetaux sont utiliseacutes dans la fabrication de technologiesagrave haute valeur ajouteacutee Or ce secteur est largement domineacute par la production asia-tique Lrsquoabsence de marcheacute est agrave correacuteler agrave lrsquoabsence de cours propres aux meacutetauxstrateacutegiques 27
Outre les difficulteacutes techniques et eacuteconomiques de lrsquoactiviteacute de recyclage des meacute-taux strateacutegiques un autre obstacle est le manque de gisement amont En effet surles 25 millions de teacuteleacutephones mis sur le marcheacute chaque anneacutee en France seuls 15sont collecteacutes (BLANDIN 2016) Il est estimeacute qursquoen moyenne deux agrave trois teacuteleacutephonesmobiles laquo dorment raquo dans les tiroirs de chaque foyer franccedilais Selon une enquecirctereacutealiseacutee en 2015 par le cabinet Deloitte 41 des personnes interrogeacutees disent avoirconserveacute leur ancien teacuteleacutephone laquo en cas de besoin raquo et seulement 14 lrsquoont rapporteacuteagrave un point de collecte (Deloitte 2015 [BLANDIN 2016])
Un autre facteur complexifiant la collecte par la filiegravere est le rachat des appareilsagrave haute valeur reacutesiduelle par des intermeacutediaires sur des plateformes internet ou desboutiques de rachat Le prix de reprise peut aller drsquoune dizaine drsquoeuros agrave plus de 300euroselon le produit et la plateforme Les appareils sont reacutepareacutes testeacutes puis revendussur le marcheacute drsquooccasion 90 de ces appareils reconditionneacutes sont exporteacutes dontune grande majoriteacute sont revendus en Afrique (ADEME 2013a) Le souci est que cesecteur est tregraves opaque et qursquoil permet lrsquoeacutemergence drsquoacteurs peu scrupuleux Cesderniers sous preacutetexte de reacuteemploi envoient de vrais deacutechets ce qui est illeacutegal ausens de la convention de Bacircle En reacutealiteacute la filiegravere officielle est fortement fragiliseacuteepar une vaste filiegravere illeacutegale qui capte une grande partie de la valeur du gisement deDEEE La filiegravere illeacutegale peut ecirctre alimenteacutee par un secteur gris peu scrupuleux maiseacutegalement par les vols en deacutechetteries Ces deacutechets une fois pilleacutes de leur valeur seretrouvent dans des deacutecharges agrave ciel ouvert en Afrique ou en Asie
Ainsi pour mettre en place une filiegravere circulaire des meacutetaux strateacutegiques en Eu-rope il srsquoagit de concevoir la chaicircne de valeur dans son ensemble de lrsquoamont (en deacute-veloppant la collecte) agrave lrsquoaval (en creacuteant des deacuteboucheacutes) tout en assurant des meacuteca-nismes de seacutecurisation des investissements
22 Agrave partir du 15 aoucirct 2018 les onze cateacutegories passeront agrave sept suivant la directive europeacuteenne de 2012(Directive 201219UE)
23 aluminium cuivre etc24 verre ciment etc25 substances reacuteglementeacutees cartes eacutelectroniques etc26 Terme qui deacutesigne les meacutetaux qui ne sont pas eacutechangeacutes sur les marcheacutes organiseacutes comme le London
Metal Exchange (LME) ou le New York Commodities Exchange (COMEX) (Commissariat Geacuteneacuteral 2013) Cesmeacutetaux srsquoeacutechangent de maniegravere relativement opaque agrave travers de nombreux intermeacutediaires et des transac-tions se faisant de greacute agrave greacute
27 Contrairement aux meacutetaux preacutecieux qui sont eacutechangeacutes sur le New York Commodities Exchange (CO-MEX)
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Troisiegraveme partie
Le processus de responsabilisation enpratique
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Chapitre III1
Histoire de la creacuteation de la filiegravere DEEE
III11 Preacutemices reacuteglementaires de la filiegravere DEEE
Crsquoest en 1992 que le gouvernement franccedilais demande agrave la Feacutedeacuteration des IndustriesEacutelectriques et Eacutelectroniques un rapport traitant du recyclage des Deacutechets drsquoEacutequipementsEacutelectriques et Eacutelectroniques la FIEE deviendra en 1997 la Feacutedeacuteration des Industries Eacutelec-triques Eacutelectroniques et de Communication Ce rapport dit rapport Desgeorges (1992)avait pour objectif drsquoanalyser le secteur afin de comprendre de quoi il est question (quelvolume concentration composition etc) Agrave lrsquoeacutepoque il nrsquoest pas question de DEEE maisde Produit En Fin de Vie (PEFV) Se posent des questions quantitatives conditionnant lalogistique mais eacutegalement des questions qualitatives relatives aux traitements mecircme siles eacutequipements nrsquoavaient rien agrave voir avec ce que lrsquoon traite aujourdrsquohui Lrsquourgence eacutetait enparticulier focaliseacutee sur la gestion des teacuteleacuteviseurs et des reacutefrigeacuterateurs qui contenaient dessubstances polluantes tels que les gaz reacutefrigeacuterants (CFC) et les substances luminophoresLes producteurs ont eacuteteacute sensibiliseacutes sur ces questions pour la premiegravere fois agrave travers leprotocole de Montreacuteal (relatif agrave des substances qui appauvrissent la couche drsquoozone) si-gneacute par la Communauteacute Eacuteconomique Europeacuteenne en 1987 et par la directive RoHs de2002 28 Mais ce sont en particulier les rapports de Jean-Pierre Desgeorges (1992 1994)alors preacutesident de GEC-Alsthom qui feront laquo reacutefeacuterence et autoriteacute pour lrsquoeacutelaboration desdirectives agrave venir raquo (FIEEC 2015) Ils auront permis de structurer les discussions et don-neront les laquo preacutemices de lrsquoarchitecture de la filiegravere drsquoeacutelimination raquo en insistant tout parti-culiegraverement sur laquo les accords neacutecessaires entre les diffeacuterents acteurs (producteurs drsquoeacutelec-tromeacutenagers pouvoirs publics communes entreprises du recyclage) raquo (BAHERS 2012)
Parallegravelement agrave ce rapport a eacuteteacute publieacute le deacutecret sur les emballages qui a conduit agrave lacreacuteation de deux organismes de producteurs Eco-emballage et Adelphe (Deacutecret ndeg 92-377 du 1er avril 1992) La filiegravere emballage a permis de donner quelques pistes de miseen œuvre drsquoune filiegravere REP mecircme si les emballages sont des deacutechets drsquoune autre naturemoins complexes que les DEEE
Agrave partir de 2001 les premiers avant-projets europeacuteens pour une directive DEEE appa-raissent et aboutiront en 2003 (Directive UE DEEE 200296CE) Lrsquoeacutelaboration de la direc-tive europeacuteenne srsquoest faite agrave travers une concertation ouverte toutes les parties prenantesont eacuteteacute consulteacutees agrave travers une consultation publique Les multiples rapports et eacutetudesreacutealiseacutes ont permis aux politiques de preacutesenter un texte final Dans ce processus consul-
28 Directive 200295CE du parlement europeacuteen et du conseil du 27 janvier 2003 relative agrave la limitationde lrsquoutilisation de certaines substances dangereuses dans les eacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques
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CHAPITRE III1 HISTOIRE DE LA CREacuteATION DE LA FILIEgraveRE DEEE
tatif agrave lrsquoeacutechelle de lrsquoEurope les producteurs franccedilais eacutetaient repreacutesenteacutes par le ConseilEuropeacuteen de la Construction drsquoAppareils Domestiques (CECED) et la feacutedeacuteration DigitalEurope dans les diffeacuterentes commissions de discussion
Contrairement agrave la directive emballage la directive DEEE rendait obligatoire la miseen œuvre du principe de REP pour la gestion des DEEE Ainsi de faccedilon agrave anticiper latransposition dans le droit franccedilais et agrave contrer une reacuteglementation trop stricte les grandsproducteurs et distributeurs drsquoeacutequipements meacutenagers (Whirlpool Brandt Darty) se sontregroupeacutes en groupe de travail au sein du Groupement Interprofessionnel des FabricantsdrsquoAppareils drsquoeacutequipement Meacutenager (GIFAM) Cette premiegravere organisation collective a conduitagrave une premiegravere expeacuterimentation dans le but de reacutefleacutechir agrave ce que pourrait ecirctre une filiegraverede gestion des DEEE
III12 Expeacuterimentation sur la communauteacute urbaine de Nantes
Les producteurs ont conduit une premiegravere expeacuterimentation de deux ans de juillet2002 agrave juin 2004 financeacutee par lrsquoADEME sur la communauteacute urbaine de Nantes Cetteexpeacuterience baptiseacutee Initiative recyclage avait pour objectif laquo de mettre en place en reacuteelet agrave une eacutechelle territoriale importante la collecte seacutelective des Deacutechets drsquoEacutequipementsEacutelectriques et Eacutelectroniques et de les expeacutedier vers les filiegraveres de traitement adapteacutees raquo(Screlec 2004) Durant lrsquoexpeacuterience trois rapports intermeacutediaires ont eacuteteacute reacutealiseacutes ainsiqursquoun rapport final publieacute en aoucirct 2004 (Screlec 2004) Le suivi de lrsquoexpeacuterience srsquoest faitdans diffeacuterents groupes comiteacute de pilotage groupe drsquoexperts regroupant des juristes tra-vaillant sur les statuts juridiques groupe logistique pour la configuration opeacuterationnelledu transport et du traitement groupe de communicants permettant de reacuteunir tous lesacteurs de la future filiegravere producteurs distributeurs collectiviteacutes locales professionnelsdu recyclage et de la logistique associations de consommateurs et pouvoirs publics Unrepreacutesentant drsquoEco-emballage avait eacutegalement eacuteteacute solliciteacute en tant que chef de projet afindrsquoapporter son expeacuterience de la filiegravere emballage creacuteeacutee quelques anneacutees auparavant Laforce de ces groupes eacutetait qursquoils eacutetaient constitueacutes drsquoexperts issus des diffeacuterentes entre-prises de la production et de la distribution prenant part agrave lrsquoexpeacuterience Ce recours agrave descompeacutetences internes a largement contribueacute au renforcement des liens entre les partiesprenantes et a permis la construction de bases solides
Au cours de ces deux anneacutees drsquoexpeacuterimentation laquo des mesures speacutecifiques ont eacuteteacute reacutea-liseacutees afin drsquoobtenir des informations techniques logistiques eacuteconomiques et environne-mentales quant agrave la mise en place de la filiegravere DEEE sur le territoire national raquo Le rapportfinal en fournit un bilan ainsi que des recommandations en fonction des enseignementstireacutes En ressort un point cleacute le rapport preacuteconise le choix drsquoune filiegravere opeacuterationnelle(ie dans laquelle les producteurs gegraverent directement les flux logistiques des deacutechets) etnon purement financiegravere comme est le cas drsquoEco-emballage En effet la complexiteacute desenjeux eacuteconomiques et environnementaux lieacutes aux DEEE justifient un soutien opeacuteration-nel pour organiser la conception et la mise en place de cette nouvelle filiegravere Dans cetteoptique sont identifieacutes et deacutefinis notamment des scheacutemas logistiques laquo eacuteconomiques etreacutealistes raquo diffeacuterentes cateacutegories de traitement (GEM froid GEM hors froid appareils enmeacutelange eacutecrans) les technologies existantes ou agrave deacutevelopper le pilotage de la filiegravere ainsique la structure des coucircts
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CHAPITRE III1 HISTOIRE DE LA CREacuteATION DE LA FILIEgraveRE DEEE
Cette expeacuterimentation a eacuteteacute conduite sous le patronage de plus de deux cents produc-teurs et syndicats devant mener agrave la creacuteation drsquoune organisation collective Cependantalors que certains liens se sont formeacutes et consolideacutes drsquoautres se sont distendus En effetle secteur des eacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques regroupe des produits tregraves heacuteteacute-rogegravenes et des marcheacutes diffeacuterents De ce fait les producteurs nrsquoavaient pas tous la mecircmevision des choses Des divergences eacutetaient donc ineacutevitables notamment entre les pro-ducteurs du gros eacutelectromeacutenager et ceux des petits appareils et des eacutecrans concernant laplace agrave donner aux distributeurs dans le scheacutema de gouvernance Le fait est que ces der-niers se sont tregraves majoritairement rallieacutes au secteur du laquo blanc raquo (le gros eacutelectromeacutenager)dans lequel les volumes sont plus importants Une solution plurielle va alors srsquoimposersoulevant la question de la coordination entre les diffeacuterents organismes collectifs et de lareacutepartition des points de collecte (sujet non abordeacute jusque-lagrave) Un organisme coordon-nateur sera alors creacuteeacute en septembre 2006 lrsquoOrganisme Coordonnateur de la filiegravere DEEE(OCAD3E) pour assurer des reacuteeacutequilibrages fins et structurels entre les eacuteco-organismeset de maniegravere agrave faciliter la communication avec les collectiviteacutes qui ne voulaient avoir agravefaire qursquoagrave une seule instance
III13 Phase de regroupement (2003-2005)
Ces divergences strateacutegiques au sein des industriels ont conduit agrave la formation dequatre eacuteco-organismes Ecologic Eco-systegravemes European Recycling Platform (ERP) etde Reacutecylum (pour les lampes) 29 Le secteur du gros eacutelectromeacutenager srsquoest regroupeacute autourdu GIFAM menant agrave la creacuteation drsquoEco-systegravemes En parallegravele quatre grands fabricantsont preacutefeacutereacute creacuteer un organisme collectif de couverture europeacuteenne ERP Enfin drsquoautresproducteurs plus petits qui ne se retrouvaient dans aucun de ces deux groupes ont creacuteeacutelrsquoeacuteco-organisme Ecologic regroupant notamment le secteur des technologies de lrsquoinfor-mation et de la communication
Une fois leur creacuteation annonceacutee la composition de ces trois groupes nrsquoa cesseacute drsquoeacutevo-luer jusqursquoagrave la signature officielle des agreacutements avec les pouvoirs publics en aoucirct 2006 30En effet dans cette phase de creacuteation les producteurs en tant que futurs adheacuterents chan-geaient tregraves souvent de groupe au greacute des discussions et des affiniteacutes qui se tissaient ou sedeacutefaisaient
La filiegravere DEEE srsquoest ainsi reacuteveacuteleacutee ecirctre une filiegravere test qui a permis de nombreux ap-prentissages Elle srsquoest deacuteveloppeacutee relativement rapidement en deux-trois ans seulementlagrave ougrave la filiegravere piles et accumulateurs a mis dix ans agrave se constituer Il est vrai que la filiegravereDEEE a pu beacuteneacuteficier drsquoun acquis le tri seacutelectif eacutetait deacutejagrave ancreacute En revanche lrsquoorgani-sation opeacuterationnelle eacutetait agrave construire entiegraverement Il a fallu un temps long drsquoapprentis-sage relationnel et opeacuterationnel entre les acteurs qui venant de secteurs diffeacuterents ne seconnaissaient pas avant le deacutebut des discussions
29 Fin mai 2017 Eco-systegravemes et Reacutecylum se sont regroupeacutes au sein drsquoune socieacuteteacute baptiseacutee ESR chargeacuteede la collecte et du traitement des Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques (DEEE) meacutenagerset professionnels des lampes et des petits appareils extincteurs
30 Arrecircteacutes du 9 aoucirct 2006 portant agreacutement drsquoun organisme ayant pour objet drsquoenlever et de traiter lesdeacutechets drsquoeacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques en application de lrsquoarticle 14 du deacutecret ndeg 2005-829 du20 juillet 2005 lrsquoagreacutement de lrsquoOCD3E sera signeacute le 22 septembre 2006
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CHAPITRE III1 HISTOIRE DE LA CREacuteATION DE LA FILIEgraveRE DEEE
III14 Phase de structuration chez Eco-systegravemes (sept 2005-nov 2006)
De Septembre 2005 agrave novembre 2006 un travail intense de structuration et de concer-tation a eacuteteacute meneacute chez Eco-systegravemes Lors de cette peacuteriode critique le Conseil drsquoAdminis-tration se reacuteunissait tous les quinze jours Les eacuteco-organismes de la filiegravere DEEE avaienttregraves peu de modegraveles sur lesquels se fonder pour construire leur doctrine Bien que lrsquoeacuteco-organisme Eco-emballage avait alors acquis plusieurs anneacutees drsquoexpeacuterience ce derniernrsquoest pas un eacuteco-organisme opeacuterateur mais financier ce qui rendait la transposition deson modegravele probleacutematique En effet Eco-emballage soutient les opeacuterations de collecte etde tri via les eacuteco-participations mais nrsquoorchestre pas les opeacuterations de la filiegravere des embal-lages Aussi les producteurs chez Eco-systegravemes ont-ils donc laquo navigueacute agrave vue raquo (DirecteurGeacuteneacuteral Eco-systegravemes) pour eacutetablir un modegravele de gouvernance et une strateacutegie
Dans ce contexte des groupes de travail se sont rapidement formeacutes afin de reacutefleacutechirsur le business plan de la nouvelle socieacuteteacute Ces groupes pouvaient compter jusqursquoagrave trentepersonnes et en fonction des sujets agrave traiter certains srsquooccupaient des aspects juridiquesdrsquoautres de la communication de la logistique du traitement ou encore du calcul deseacuteco-participations Durant cette peacuteriode ont eacuteteacute traiteacutes les questions concernant les eacuteco-contributions (preacutecision du modegravele de calcul question de la date de deacutebut de preacutelegraveve-ment visible ou non etc) lrsquoorganisation logistique les moyens de communication lechoix du systegraveme informatique les appels drsquooffres et les cahiers des charges (quelles exi-gences de qualiteacute) etc Afin de partager ses reacuteflexions Eco-systegravemes a eacutegalement inteacutegreacutelrsquoorganisation europeacuteenne regroupant diffeacuterents eacuteco-organismes en charge des DEEE mdashle WEEE Forum mdash initieacutee par la Suisse la Norvegravege la Belgique les Pays-Bas et lrsquoAutricheDe plus des premiegraveres eacutetudes sont lanceacutees concernant le traitement des eacutecrans plats etdes plastiques Le but eacutetant drsquoidentifier les sujets dans lesquels investir en prioriteacute
Outre la nouveauteacute de ce modegravele de filiegravere la difficulteacute de lrsquoexercice relevait eacutegale-ment de la gouvernance drsquoun tel organisme collectif qui eacutetait un laquo reacuteel casse-tecircte raquo (DGEco-systegravemes) En effet creacuteer une coheacutesion srsquoest reacuteveacuteleacute ecirctre un veacuteritable enjeu comptetenu de lrsquoheacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute des acteurs et de leurs inteacuterecircts Par exemple Eco-systegravemes est unlieu ougrave distributeurs et producteurs se retrouvent et travaillent ensemble Or en dehorsde lrsquoorganisme ces acteurs ont davantage lrsquohabitude drsquoentretenir des relations contrac-tuelles de client agrave fournisseur Cette reacuteflexion collective eacutetait agrave cet eacutegard relativementnouvelle (certains se cocirctoyaient deacutejagrave agrave travers lrsquoeacuteco-organisme Eco-emballage et la filiegraverepiles et accumulateurs)
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Chapitre III2
Le modegravele retenu pour la filiegravere DEEE
Lors de la mise en œuvre drsquoune filiegravere REP les producteurs disposent drsquoune certaineliberteacute drsquoorganisation pour assumer leur responsabiliteacute Ils peuvent choisir de mettre enplace un systegraveme individuel (le producteur doit organiser seul la collecte et le traitementdes deacutechets) ou un systegraveme collectif dans lequel les opeacuterations sont mutualiseacutees Suite agravelrsquoexpeacuterimentation de Nantes pour des raisons drsquoeacuteconomies drsquoeacutechelle en matiegravere de col-lecte de tri et de traitement les producteurs ont privileacutegieacute un systegraveme collectif avec lacreacuteation de trois eacuteco-organismes (Eco-systegravemes Ecologic et ERP) Cependant il faut dis-tinguer les deacutechets meacutenagers des deacutechets professionnels Pour ces derniers les systegravemesindividuels sont largement preacutefeacutereacutes du fait drsquoun retour presque systeacutematique du produiten fin de vie au fabricant ou de la possibiliteacute de mettre en place des systegravemes de reprisecontrairement aux deacutechets des meacutenages pour lesquels la collecte est bien plus diffuse etcoucircteuse
III21 Meacutecanismes des flux matiegraveres et financiers
Dans un systegraveme collectif ce qui est le cas pour le flux des DEEE meacutenagers les pro-ducteurs adhegraverent agrave un organisme collectif En tant qursquoadheacuterent ils doivent deacuteclarer deuxfois par an les produits mis sur le marcheacute En fonction de ce volume ils doivent payer unecontribution lrsquoeacuteco-participation qui sert agrave financer la filiegravere En pratique lrsquoeacutecopartici-pation est reacutepercuteacutee sur le consommateur Plus particuliegraverement dans le cas speacutecifiquede la filiegravere DEEE lrsquoeacuteco-participation est rendue visible Crsquoest-agrave-dire qursquoelle est diffeacuteren-cieacutee au niveau du prix drsquoachat de maniegravere agrave rendre transparent les coucircts de la filiegravere Lemeacutecanisme est le suivant (voir la figure III21) la somme payeacutee par le consommateur agravelrsquoachat drsquoun appareil est reverseacutee par le vendeur au producteur qui va lui-mecircme la rever-ser agrave lrsquoeacuteco-organisme auquel il appartient Une fois les eacuteco-participations collecteacutees parles eacuteco-organismes ces derniers doivent redistribuer ces sommes agrave leurs diffeacuterents par-tenaires et prestataires
Du cocircteacute du deacutetenteur de deacutechet celui-ci peut remettre agrave la filiegravere son appareil horsdrsquousage agrave travers diffeacuterents points de collecte (voir figure III22) Les points de collectedits laquo historiques raquo (ie en place depuis le deacutebut de la mise en œuvre de la filiegravere et issusde lrsquoexpeacuterimentation nantaise) sont situeacutes au niveau des deacutechetteries dans les collecti-viteacutes locales des magasins de la grande distribution et des entreprises drsquoinsertion (telsque les points Emmauumls) La remise drsquoun deacutechet agrave la filiegravere se fait gratuitement puisquepar principe crsquoest la somme des eacuteco-participations perccedilue au moment de la vente desproduits neufs qui finance le coucirct de gestion de la filiegravere Pour la filiegravere des DEEE la loi
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CHAPITRE III2 LE MODEgraveLE RETENU POUR LA FILIEgraveRE DEEE
FIGURE III21 ndash Meacutecanisme des eacutecoparticipations
preacutevoit que les eacuteco-organismes financent agrave 100 les coucircts des collectiviteacutes locales geacuteneacute-reacutes par la collecte seacutepareacutee Par comparaison les eacuteco-organismes de la filiegravere emballagesla financent agrave hauteur de 80 seulement
Dans lrsquoesprit du leacutegislateur la responsabilisation des producteurs dans la filiegravere desDEEE ne se limite pas au financement des opeacuterations de collecte et de traitement Ceux-ci sont eacutegalement proprieacutetaires des deacutechets et ils ont la responsabiliteacute de les traiter selonla reacuteglementation en vigueur Ainsi degraves qursquoun deacutechet entre dans la filiegravere il devient laproprieacuteteacute de lrsquoeacuteco-organisme en charge du point de collecte concerneacute Lrsquoeacuteco-organismea alors la charge drsquoorienter le deacutechet vers le traitement approprieacute drsquoougrave sa responsabiliteacutedite laquo opeacuterationnelle raquo Lrsquoeacuteco-organisme contractualise avec des prestataires logistiquesqui vont collecter les deacutechets aux points de collecte qui lui appartiennent Les deacutechetssont alors orienteacutes vers des centres de regroupement selon leur cateacutegorie (GEM HF GEMF eacutecrans et PAM) pour ecirctre massifieacutes Ensuite les diffeacuterents flux sont orienteacutes vers descentres de traitement qui vont deacutepolluer les deacutechets les broyer et les trier avant de re-vendre ce qui a de la valeur sur les marcheacutes de la matiegravere premiegravere (voir figure III23)Toutefois tout nrsquoest pas recycleacute ni revendu En effet en 2015 80 des DEEE meacutenagerstraiteacutes a eacuteteacute recycleacute 11 eacutelimineacute 8 valoriseacute eacutenergeacutetiquement et 1 preacutepareacute agrave la reacuteuti-lisation (ADEME 2016b) Pour les deacutechets non dangereux la responsabiliteacute juridique dudeacutechet incombant agrave lrsquoeacuteco-organisme srsquoarrecircte au premier traitement En revanche pour lescomposants contenant des substances polluantes la responsabiliteacute perdure jusqursquoagrave unedeacutepollution totale Apregraves traitement des deacutechets les prestataires de valorisation qui ontrevendu la matiegravere recycleacutee reversent une partie de la recette-matiegravere agrave lrsquoeacuteco-organismeavec qui ils ont contractualiseacute La meacutethode de calcul de cette recette deacutepend du contratsigneacute avec lrsquoeacuteco-organisme Dans le cas drsquoEco-systegravemes ce montant contient une partfixe ainsi qursquoune part variable en fonction des cours de la matiegravere premiegravere
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CHAPITRE III2 LE MODEgraveLE RETENU POUR LA FILIEgraveRE DEEE
FIGURE III22 ndash Les points de collecte de la filiegravere DEEE
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CHAPITRE III2 LE MODEgraveLE RETENU POUR LA FILIEgraveRE DEEE
FIGURE III23 ndash La filiegravere de collecte et de traitement des DEEE
III22 Le statut juridique original des eacuteco-organismes
Les eacuteco-organismes sont des personnes morales de droit priveacute pouvant prendre dif-feacuterentes formes juridiques socieacuteteacutes anonymes socieacuteteacutes agrave responsabiliteacute limiteacutee socieacuteteacutespar actions simplifieacutees associations ou groupement drsquointeacuterecirct eacuteconomique Lrsquoautoriteacute dela concurrence a notamment valideacute ce statut de socieacuteteacute priveacutee dans un avis du 13 juillet2012 (lrsquoavis ndeg12A17) global agrave toutes les filiegraveres Dans cet avis lrsquoautoriteacute conclut que laquo lerocircle des eacuteco-organismes est compatible avec le droit de la concurrence mais le pouvoirde structuration qui leur est confeacutereacute doit leur imposer certaines exigences de transpa-rence raquo Notamment les activiteacutes poursuivies eacutetant consideacutereacutees drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral doiventecirctre agrave but non lucratif Point sur lequel lrsquoautoriteacute insiste en consideacuterant que laquo les missionsstatutaires drsquoun eacuteco-organisme sont incompatibles avec lrsquoexercice au sein drsquoune mecircmestructure drsquoune activiteacute commerciale de collecte de tri ou de traitement des deacutechets raquoPar ailleurs la gouvernance des eacuteco-organismes doit obligatoirement ecirctre laquo le fait desproducteurs des produits actionnaires etou adheacuterents raquo (ADEME 2017) 31 Ainsi alorsmecircme que les eacuteco-organismes sont des personnes morales reacutegies par le droit priveacute cessocieacuteteacutes sont soumises agrave des regravegles proches du droit administratif
Selon le juriste en environnement Arnaud Gossement ce statut hybride entre socieacuteteacutepriveacutee et service public a conduit agrave une forme veacuteritablement originale Selon lui les eacuteco-organismes devraient plutocirct avoir un statut unique sous forme associative ce qui reacutepon-drait ldquodavantage agrave cette obligation de non lucrativiteacuterdquo Par ailleurs ldquolrsquoassociation permeteacutegalement de reacutepondre agrave la preacuteoccupation de lrsquoEacutetat drsquoun controcircle des dirigeants par lesadheacuterents mais aussi par lrsquoadministration elle-mecircmerdquo (Gossement avocats 2015) Crsquoesteacutegalement un point revendiqueacute par drsquoautres acteurs qui critiquent le manque de clarteacute
31 Cette regravegle de gouvernance des eacuteco-organismes a eacuteteacute introduite au code de lrsquoenvironnement par la loindeg 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour lrsquoenvironnement
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CHAPITRE III2 LE MODEgraveLE RETENU POUR LA FILIEgraveRE DEEE
dans la forme juridique des eacuteco-organismes (CNR 2015 TREacuteBULLE 2013)
Emmanuelle Parola doctorante en Droit qui travaille sur les filiegraveres REP souligne lesconseacutequences deacutefavorables des conflits drsquointeacuterecircts associeacutes agrave la gestion des deacutechets et pro-pose deux approches pour limiter ces effets le renforcement de lrsquoimplication des per-sonnes publiques dans les eacuteco-organismes et le retrait du droit de vote de la personne ensituation de conflit drsquointeacuterecircts en assembleacutee geacuteneacuterale (PAROLA 2015) Le renforcement dela preacutesence publique pourrait en outre se faire par la qualification des eacuteco-organismes entant qursquo laquo entreprises cruciales raquo lrsquointeacuterecirct est alors la laquo possibiliteacute pour lrsquoEacutetat de superviseret de reacuteguler le comportement raquo de lrsquoentreprise ou encore par lrsquoutilisation du meacutecanismede deacuteleacutegation de service public Or aujourdrsquohui les eacuteco-organismes effectuent une mis-sion de service public par investiture reacuteglementaire et non par deacuteleacutegation
III23 Le cahier des charges des eacuteco-organismes le fonde-ment du dispositif opeacuterationnel
III231 Lrsquoagreacutement
Les eacuteco-organismes sont agreacuteeacutes par les pouvoirs publics pour une peacuteriode de six ansrenouvelables Crsquoest lrsquoagreacutement qui donne lrsquohabilitation agrave prendre en charge la collecte etle traitement des deacutechets Lrsquoattribution de lrsquoagreacutement se deacuteroule comme suit (voir figureIII24) Apregraves concertation avec les parties prenantes les pouvoirs publics publient uncahier des charges deacutefini par lrsquoarticle R543-190 du code de lrsquoenvironnement preacutecisant lesfonctions du candidat ainsi que les missions qursquoil devra entreprendre Sur cette base lesproducteurs voulant se porter candidat doivent reacutediger un dossier drsquoagreacutement expliquantpreacuteciseacutement comment ils comptent reacutepondre aux exigences du cahier des charges Enfinapregraves consultation des parties prenantes agrave travers la commission drsquoagreacutement les dossierssont valideacutes ou non par les pouvoirs publics Ce meacutecanisme se renouvelle ainsi tous lessix ans Le cahier des charges est ainsi le fondement du dispositif opeacuterationnel Il a valeurdrsquoacte reacuteglementaire crsquoest-agrave-dire le rang le plus bas dans la hieacuterarchie des normes et leplus preacutecis
Il est important de souligner la diffeacuterence de ce modegravele avec la forme de co-reacutegulationqursquoest celle de la deacuteleacutegation de service public (cf I222) En effet il nrsquoy a pas ici de deacuteleacutega-tion directe entre lrsquoEacutetat et lrsquoorganisme de producteurs La deacuteleacutegation de responsabiliteacute sefait plus preacuteciseacutement entre lrsquoensemble des producteurs concerneacutes par la reacuteglementationsur la REP et les eacuteco-organismes aupregraves desquels ils adheacuterent Dans ce scheacutema ce sontbien les producteurs qui deacutelegraveguent leurs responsabiliteacutes aux eacuteco-organismes ces derniersdevant alors obtenir lrsquoagreacutement de lrsquoEacutetat afin de pouvoir en assurer la charge Le but eacutetantpour lrsquoEacutetat de garantir un service public tout en maintenant lrsquoincitation de lrsquoensemble desacteurs producteurs des deacutechets agrave la modification de leurs pratiques
III232 Lrsquoeacuteco-organisme un contractant au coeur des relations entreles parties prenantes
Non seulement le cahier des charges deacutefinit les obligations qui incombent aux eacuteco-organismes en matiegravere de moyens et de reacutesultats mais il deacutefinit eacutegalement les relationsque les eacuteco-organismes doivent deacutevelopper avec les autres parties prenantes de la filiegravere
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CHAPITRE III2 LE MODEgraveLE RETENU POUR LA FILIEgraveRE DEEE
FIGURE III24 ndash Le cycle de vie drsquoune filiegravere REP (Source REP Panorama 2013 p12 ADEME)
les adheacuterents les acteurs de lrsquoESS les opeacuterateurs de collecte et de traitement les collec-tiviteacutes lrsquoorganisme coordonnateur ainsi que les pouvoirs publics Ces relations reposentsur des contractualisations entre les diffeacuterentes parties au cœur desquelles se situe lrsquoeacuteco-organisme contrats drsquoadheacutesion des producteurs contrats de prestations avec des opeacute-rateurs de collecte et de traitement contrats de soutien financiers avec les collectiviteacutesterritoriales contrats de mise agrave disposition de deacutechets issus de la collecte avec les acteursde lrsquoEacuteconomie Sociale et Solidaire (ESS) (afin de privileacutegier le reacuteemploi quand cela estpossible) contrats drsquoenlegravevement aupregraves des deacutetenteurs etc (voir figure III25)
Cependant de la mecircme maniegravere que pour le statut des eacuteco-organismes la forme deces contrats est relativement originale du point de vue juridique En effet ces contratsrelegravevent drsquoun droit contractuel mixte agrave la frontiegravere du droit priveacute et du droit administra-tif Le fait est que ces contrats sont signeacutes entre personnes morales de droit priveacute tout eneacutetant baseacutes sur le modegravele laquo de contrats type dont le contenu est parfois tregraves preacuteciseacutementdeacutefini par voie reacuteglementaire raquo (Gossement avocats 2016) Crsquoest justement le cahier descharges qui preacutecisent quel doit en ecirctre leur contenu Par exemple les adheacuterents signentun contrat drsquoadheacutesion dans lequel figure les regravegles propres agrave lrsquoeacuteco-organisme telles quele seuil agrave partir duquel une collecte sera effectueacutee (si lrsquoadheacuterent est un distributeur) Yfigurent tout autant des regravegles imposeacutees par le cahier des charges obligeant notammentles eacuteco-organismes agrave proceacuteder agrave des controcircles de leurs adheacuterents Dans ce dispositif lesadheacuterents des eacuteco-organismes sont agrave la fois clients et controcircleacutes De plus les contributionsperccedilues par les eacuteco-organismes ne peuvent pas faire lrsquoobjet de neacutegociations entre les par-ties Les contributions doivent ecirctre calculeacutees de la mecircme maniegravere pour tous les membres
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CHAPITRE III2 LE MODEgraveLE RETENU POUR LA FILIEgraveRE DEEE
FIGURE III25 ndash Les contrats structurant la filiegravere REP DEEE
drsquoun mecircme eacuteco-organisme
III233 La concertation au fondement de lrsquoeacutelaboration du cahier descharges
Une autre originaliteacute du dispositif de la filiegravere DEEE est la proceacutedure drsquoeacutelaboration descahiers des charges fondeacutee sur la concertation entre parties prenantes
Crsquoest avant tout lrsquoarrecircteacute du 23 juillet 1992 sur la creacuteation dans la filiegravere emballage dela Commission Consultative drsquoAgreacutement (CCA) regroupant toutes les parties prenantes(metteurs sur le marcheacute distributeurs collectiviteacutes territoriales associations de consom-mateurs associations de protection de lrsquoenvironnement collecteurs et traiteurs de deacute-chets) qui a rendu possible le systegraveme hybride actuel (de co-reacutegulation) et qui assure sapeacuterenniteacute Cette commission permet de mettre autour de la table toutes les parties pre-nantes dans le but de discuter des regravegles agrave introduire dans le cahier des charges des eacuteco-organismes En se reacuteunissant trois fois par an elle assure eacutegalement un suivi de la filiegravereen veacuterifiant lrsquoatteinte des objectifs fixeacutes par la reacuteglementation en identifiant des dysfonc-tionnements et en proposant eacuteventuellement des ameacuteliorations Toutefois cette commis-sion est drsquoordre consultatif et nrsquoa aucun pouvoir deacutecisionnel
En parallegravele de la CCA il existe diffeacuterents groupes de travail au sein de lrsquoOCAD3E (Or-ganisme Coordonnateur Agreacuteeacute pour les DEEE) dont les rapports viennent eacuteclaircir de ma-niegravere ponctuelle les reacuteflexions porteacutees par les membres de la commission
Crsquoest ainsi qursquoau fur et agrave mesure des cycles drsquoagreacutement les cahiers des charges srsquoeacute-toffent de maniegravere agrave preacuteciser davantage des eacuteleacutements peu deacuteveloppeacutes ou sujets agrave conten-tieux
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CHAPITRE III2 LE MODEgraveLE RETENU POUR LA FILIEgraveRE DEEE
III24 La reacutegulation par lrsquoEacutetat
Outre la deacutefinition des cahiers des charges avec la fixation des regravegles de fonctionne-ment et des objectifs les pouvoirs publics ont un rocircle principal dans la reacutegulation de lafiliegravere notamment en tant que chef arbitre entre les diffeacuterents acteurs Toutefois lrsquoEacutetatdeacutelegravegue le plus souvent lrsquoobservation de la filiegravere agrave lrsquoADEME Lrsquoagence a ainsi pour mis-sion de geacuterer les donneacutees peacuteriodiques des producteurs de publier des rapports annuelsde lrsquoObservatoire des filiegraveres ainsi que de mener des eacutetudes et drsquoassurer une expertisetransversale aux diffeacuterentes filiegraveres (ADEME 2017)
Nous avons esquisseacute le scheacutema de la filiegravere Il srsquoagit deacutesormais de comprendre com-ment agit ce dispositif en termes de la pratique des acteurs et du deacuteveloppement de lafiliegravere Dans cette optique une approche longitudinale est choisie de maniegravere agrave rendrecompte de la construction progressive et continue de la filiegravere se deacuteveloppant laquo cheminfaisant raquo en interaction avec les diffeacuterentes parties prenantes
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Chapitre III3
Monteacutee en puissance de la filiegravere DEEEpar lrsquoexpeacuterimentation continue
La signature officialisant la creacuteation drsquoEco-systegravemes date du 4 juillet 2006 ce qui a per-mis le deacutemarrage opeacuterationnel de la filiegravere en novembre de la mecircme anneacutee Le lancementavait eacuteteacute anticipeacute par le preacutelegravevement des eacuteco-participations degraves le deacutebut de lrsquoanneacutee 2006aupregraves des premiers adheacuterents Cette signature ouvre une premiegravere peacuteriode drsquoagreacutementvolontairement infeacuterieure agrave six ans dans le but de pouvoir reacuteviser le modegravele si besoin est
III31 Premiegravere peacuteriode drsquoagreacutement (2005-2009)
Le premier agreacutement a pour but de reacutepondre agrave lrsquourgence de lrsquoexplosion des DEEE et agravelrsquoincapaciteacute des collectiviteacutes agrave pourvoir seules agrave leur gestion Les DEEE eacutetaient alors la plu-part du temps eacutelimineacutes par des voies reacutepondant aux regravegles du marcheacute des matiegraveres pre-miegraveres au deacutetriment du respect des eacutetapes de deacutepollution Lrsquoarticle du code de lrsquoenviron-nement reacutegissant la gestion des DEEE est lrsquoarticle L541-10-2 creacuteeacute par la Loi ndeg2005-1720du 30 deacutecembre 2005 32 Depuis sa creacuteation il nrsquoa cesseacute drsquoeacutevoluer en fonction de lrsquoeacutevolu-tion de la performance de la filiegravere des nouvelles technologies des enseignements tireacutesdes expeacuteriences etc Au deacutebut des anneacutees 2000 face agrave lrsquourgence de la situation lrsquoaccentest drsquoabord mis sur lrsquoobligation des producteurs de laquo pourvoir raquo ou laquo contribuer raquo agrave lalaquo collecte agrave lrsquoenlegravevement et au traitement raquo des deacutechets laquo indeacutependamment de leur datede mise sur le marcheacute raquo Il est eacutegalement fait mention de lrsquoaffichage obligatoire laquo en piedde factures de vente de tout nouvel eacutequipement eacutelectrique et eacutelectronique meacutenager lescoucircts unitaires supporteacutes pour lrsquoeacutelimination de ces deacutechets raquo (sect3 version 2005-2008)
Les dispositions geacuteneacuterales pour reacutepondre agrave ces reacuteglementations se trouvent dans lepremier cahier des charges eacutemis par arrecircteacute le 6 deacutecembre 2005 33 Ce premier cahier descharges est composeacute de sept articles expliquant la proceacutedure agrave suivre pour une demandedrsquoagreacutement pour un organisme collectif (ou drsquoapprobation pour un acteur individuel)voulant mettre en place son propre systegraveme
32 Cet article suit le deacutecret ndeg 2005-829 du 20 juillet 2005 relatif agrave la composition des eacutequipements eacutelec-triques et eacutelectroniques et agrave lrsquoeacutelimination des deacutechets issus de ces eacutequipements (version qui sera abrogeacuteeen 2007)
33 Arrecircteacute relatif aux agreacutements et approbations preacutevus aux articles 9 10 14 et 15 du deacutecret ndeg2005-829du 20 juillet 2005 relatif agrave la composition des eacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques et agrave lrsquoeacuteliminationdes deacutechets issus de ces eacutequipements
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
Dans cette premiegravere peacuteriode Eco-systegravemes avait pour objectif principal de creacuteer unefiliegravere de qualiteacute au coucirct le plus bas reacutepondant aux obligations reacuteglementaires de collecte(alors de 4kg par habitant et par an) et de traitement tout en deacuteveloppant une filiegravere dequaliteacute Il srsquoagissait de passer de la laquo logique de recyclage eacuteconomique agrave une logique derecyclage eacutecologique avec des impeacuteratifs environnementaux raquo (Eco-systegravemes 2009) Pourcela Eco-systegravemes srsquoest appuyeacute sur un reacuteseau de distributeurs et sur lrsquoimplication desacteurs de lrsquoeacuteconomie sociale et solidaire
III311 La structuration drsquoun reacuteseau auparavant inexistant
Lrsquoenjeu eacutetait conseacutequent car la construction de la filiegravere partait de rien Il srsquoagissait deconstruire tout un reacuteseau national de points de collecte qui eacutetait agrave relier agrave des sites detraitement respectant les normes environnementales de deacutepollution agrave travers un systegravemelogistique optimiseacute Dans cet optique Eco-systegravemes a accompagneacute les diverses partiesprenantes (adheacuterents distributeurs opeacuterateurs etc) dans lrsquoapprentissage de nouveauxmeacutetiers de nouvelles regravegles du jeu et dans un changement des pratiques laquo La premiegraverepeacuteriode drsquoagreacutement a donc eacuteteacute celle des fondations raquo (Eco-systegravemes 2009)
Tout drsquoabord les distributeurs ont ducirc ecirctre sensibiliseacutes au nouveau meacutetier qursquoest celuide la collecte et agrave lrsquoaffichage des contributions visibles en magasin Drsquoautre part agrave tra-vers des contrats agrave dureacutee de plus ou moins long terme Eco-systegravemes a chercheacute agrave creacuteerdes conditions favorables pour inciter les opeacuterateurs agrave investir dans de nouvelles instal-lations de traitement respectant les normes de deacutepollution Notamment alors que lesopeacuterateurs historiques de broyage des veacutehicules hors drsquousages ont naturellement investile marcheacute du traitement des GEM HF (Hors Froid) le GEM F (Froid) neacutecessitait une deacute-pollution particuliegravere nouvelle non communeacutement pratiqueacutee (ie lrsquoaspiration des fluidesfrigorigegravenes et des gaz drsquoexpansion des mousses drsquoisolation) De lourds investissementseacutetaient en effet neacutecessaires afin de creacuteer cette nouvelle filiegravere de deacutepollution Pour soute-nir le deacuteveloppement de ces installations Eco-systegravemes a ainsi choisi de srsquoengager dansdes contrats drsquoune peacuteriode de six ans avec les opeacuterateurs afin de seacutecuriser ces investis-sements massifs (Eco-systegravemes 2009) Cet engagement a permis la creacuteation en trois ansde cinq uniteacutes fixes et de deux uniteacutes mobiles de traitement des appareils frigorifiquesrepreacutesentant 24 millions drsquoeuros drsquoinvestissement (Eco-systegravemes 2009) Cette deacutemarchedrsquoengagement sera notamment reprise comme ligne directrice des relations entre eacuteco-organismes et opeacuterateurs agrave travers le cahier des charges reacuteviseacute en 2014 En effet il est faitmention que lrsquoeacuteco-organisme doit proposer laquo a minima aux opeacuterateurs sauf cas parti-culier des contrats drsquoune dureacutee de 3 ans [ ] pour les opeacuterations de traitement et de 2ans pour les opeacuterations drsquoenlegravevement de regroupement des DEEE raquo (cahier des charges2014 34)
De la mecircme maniegravere avant la mise en œuvre de la filiegravere les petits appareils en meacute-lange (PAM) nrsquoavaient pas de voies speacutecifiques Ils eacutetaient pour la plupart du temps en-fouis ou incineacutereacutes Depuis 2006 six uniteacutes ont pu ecirctre creacuteeacutes pour un investissement de18 millions drsquoeuros Eco-systegravemes srsquoest eacutegalement engageacute aupregraves des acteurs de lrsquoESS enconfiant 48 des flux des eacutecrans agrave des entreprises drsquoinsertion et en seacutecurisant les inves-tissements engageacutes pour ameacuteliorer les conditions de deacutepollution de la chaicircne de traite-
34 Annexeacute agrave lrsquoarrecircteacute du 2 deacutecembre 2014 relatif agrave la proceacutedure drsquoagreacutement et portant cahier des chargesdes eacuteco-organismes de la filiegravere des deacutechets drsquoeacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques meacutenagers en ap-plication des articles R 543-189 et R 543-190 du code de lrsquoenvironnement
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
ment De plus alors que la deacutepollution avant broyage nrsquoeacutetait pas systeacutematique pour lafiliegravere des gros appareils non frigorifiques par les broyeurs VHU (ex retrait systeacutematiqueavant broyage des condensateurs) Eco-systegravemes a mis en place un dispositif de controcircleexigeant de maniegravere agrave ameacuteliorer la qualiteacute des traitements
De maniegravere geacuteneacuterale outre la neacutecessiteacute de creacuteer de nouvelles uniteacutes il srsquoagissait demettre en relation et en conformiteacute lrsquoensemble des activiteacutes logistiques de deacutepollutionet de traitement Dans cette optique Eco-systegravemes a exigeacute de ses prestataires le respectde prescriptions environnementales et sociales agrave travers des cahiers des charges et dediverses opeacuterations de controcircle conduites par lrsquoeacuteco-organisme lui-mecircme ainsi que parun bureau drsquoaudit externe indeacutependant Ce point sera repris dans les cahiers des chargesdes peacuteriodes drsquoagreacutement suivantes En effet dans le cahier des charges de la seconde peacute-riode drsquoagreacutement (2010-2014) il sera fait mention que lrsquoeacuteco-organisme laquo met en œuvre demaniegravere reacuteguliegravere des mesures de suivi et drsquoaudit directs des prestataires de tous rangs raquo(cahier des charges 2009 35) Il sera par la suite preacuteciseacute dans le troisiegraveme cahier des chargesque pour le cas preacutecis des prestataires en relation contractuelle directe avec lrsquoeacuteco-organismeces mesures de controcircle doivent prendre laquo la forme drsquoun audit a minima annuel conduitpar un organisme tiers preacutesentant toutes les garanties drsquoindeacutependance raquo (cahier des charges2014)
Cette premiegravere peacuteriode drsquoagreacutement a ainsi eacuteteacute largement consacreacutee agrave la structurationdrsquoun vaste reacuteseau de collecte et de traitement ainsi qursquoagrave la mise en conformiteacute de lrsquoen-semble de ces activiteacutes La logistique a eacutegalement eacuteteacute un lieu drsquoexpeacuterimentation motiveacutepar les objectifs de reacuteduction des coucircts et de lrsquoempreinte carbone Eco-systegravemes a no-tamment investi dans lrsquooptimisation des tourneacutees de ramassage les synergies entre fluxla maximisation des chargements et dans le deacuteveloppement de nouveaux modes de trans-port tel que le transport fluvial et maritime expeacuterimenteacute degraves 2009
Lrsquoadheacutesion des producteurs a eacuteteacute lrsquoun des principaux enjeux de la premiegravere anneacutee demise en opeacuteration Entre 2006 et 2007 plus de deux mille producteurs deacutecideront de re-joindre Eco-systegravemes ce qui repreacutesente alors une part de mise sur le marcheacute cumuleacuteede plus de 70 (Eco-systegravemes 2009) Cette monteacutee en puissance a eacuteteacute tregraves importanteet a eacuteteacute accompagneacutee de multiples ameacuteliorations dans la qualiteacute du service proposeacute parlrsquoeacuteco-organisme agrave ses adheacuterents (informatisation des deacuteclarations simplification des pro-ceacutedures administratives et de facturation etc) Apregraves trois ans de monteacutee en puissanceEco-systegravemes a lanceacute en 2008 une premiegravere enquecircte de satisfaction de maniegravere agrave reacute-pondre aux attentes nouvelles de ses membres et agrave les fideacuteliser
III312 Premiegraveres critiques et renforts reacuteglementaires
Le systegraveme collectif ainsi constitueacute avec la creacuteation de quatre eacuteco-organismes a per-mis tregraves rapidement une couverture nationale De plus la filiegravere srsquoest consideacuterablementstructureacutee avec la creacuteation de nouveaux sites de traitements et la mise en œuvre drsquounsystegraveme logistique optimiseacute Celui-ci assure une grande traccedilabiliteacute notamment agrave traversles bordereaux de suivi des deacutechets devenus systeacutematiques reliant lrsquoensemble des partiesprenantes
35 Annexe de lrsquoarrecircteacute du 23 deacutecembre 2009 portant agreacutement drsquoun organisme ayant pour objet drsquoenleveret de traiter les deacutechets drsquoeacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques meacutenagers en application des articles R543-189 et R 543-190 du code de lrsquoenvironnement publieacute au journal officiel ndeg4 du 6 janvier 2010
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
Cependant cette monteacutee en puissance des eacuteco-organismes dans la mise en œuvredes filiegraveres REP va susciter fin 2008 des premiegraveres critiques En effet la massification desvolumes conduisant agrave la concentration des eacuteco-participations sur un petit nombre drsquoor-ganismes va conduire agrave la mise en place de monopoles naturels vigoureusement critiqueacutespar certains acteurs Cette meacutefiance vis-agrave-vis des eacuteco-organismes va naicirctre en particulierdrsquoun scandale meacutediatique En effet fin 2008 Eco-emballage (qui est lrsquoeacuteco-organisme de lafiliegravere emballage) va ecirctre mis en cause pour des laquo placements non seacutecuriseacutes drsquoune partiede la treacutesorerie dans des paradis fiscaux raquo (Communiqueacute du ministegravere de lrsquoeacutecologie [LesEchos 2008]) Cette affaire va amorcer tout un mouvement de renforcement de lrsquoauto-riteacute publique dans le fonctionnement des eacuteco-organismes et de clarification de leur rocirclemouvement toujours drsquoactualiteacute Lrsquoune des conseacutequences de ces controverses est le ren-forcement du controcircle financier des eacuteco-organismes avec la creacuteation de la fonction decenseur drsquoEacutetat exerceacutee par des membres du service du Controcircle Geacuteneacuteral Eacuteconomique etFinancier
Le manque drsquoincitation de preacutevention de la production de deacutechets fait lrsquoobjet drsquouneautre critique En 2007 agrave mi-parcours de la premiegravere peacuteriode drsquoagreacutement se tient le Gre-nelle de lrsquoEnvironnement Ce rendez-vous va marquer une eacutetape importante dans le deacute-veloppement du principe de REP en France avec lrsquoadoption des lois Grenelle 1 et 2 en 2009et 2010 respectivement En particulier alors que certaines filiegraveres REP deviennent de plusen plus structureacutees les pouvoirs publics vont chercher agrave renforcer les politiques en ma-tiegravere de preacutevention en responsabilisant plus nettement les producteurs degraves la conceptiondes produits
Au-delagrave de la France crsquoest au niveau europeacuteen que lrsquoobjectif de preacutevention va ecirctreeacutegalement renforceacute La directive-cadre de 2008 36 eacutetablit de nouveaux objectifs renforceles dispositions en matiegravere de preacutevention des deacutechets (notamment en imposant aux Eacutetatsmembres de mettre en place des programmes nationaux de preacutevention) introduit pourla premiegravere fois au niveau communautaire lrsquoideacutee drsquoune hieacuterarchie des traitements desdeacutechets (ie privileacutegiant la preacutevention suivie du reacuteemploi du recyclage des autres formesde valorisation et en dernier recours de lrsquoeacutelimination) 37 et deacutefinit un certains nombresde notions tels que le recyclage la valorisation et les deacutechets
III32 Deuxiegraveme peacuteriode drsquoagreacutement (2010-2014)
Apregraves une premiegravere peacuteriode drsquoagreacutement axeacute sur la structuration drsquoune filiegravere nouvellela deuxiegraveme phase srsquoamorce sur un nouveau cahier des charges bien plus ambitieux quele preacuteceacutedent
III321 Reacutevisions du cahier des charges suite aux leccedilons tireacutees de lapremiegravere peacuteriode drsquoagreacutement
Le nouvel agreacutement fait suite agrave la loi du 3 aoucirct 2009 de programmation relative agrave lamise en œuvre du Grenelle de lrsquoEnvironnement qui officialise la mise en œuvre de la poli-
36 Abrogeant les directives 200612CE sur les deacutechets 91689 sur les deacutechets dangereux et 75439 surles huiles usageacutees
37 Cette hieacuterarchisation est une ideacutee ancienne dans le droit franccedilais puisqursquoon la retrouve degraves la loi-cadre sur les deacutechets de 1975 (cf II142)
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
tique de REP en droit franccedilais (loi ndeg2009-967 du 3 aoucirct 2009) Lrsquoarticle L541-10 du code delrsquoenvironnement relatif aux deacutechets va ainsi ecirctre largement eacutetoffeacute de maniegravere agrave faire men-tion explicite du principe de REP Il est alors expliciteacute pour la premiegravere fois que les produc-teurs deacutesigneacutes ont le choix entre adheacuterer agrave un eacuteco-organisme ou mettre en place un sys-tegraveme individuel Concernant la creacuteation drsquoorganismes de producteurs lrsquoarticle preacutecise lespoints devant figurer dans le cahier des charges les reacutegissant que sont les missions deseacuteco-organismes ainsi que les conditions de reacuteutilisation inteacutegrale des eacuteco-participationspour ces missions et lrsquoimpeacuteratif de non-lucrativiteacute
De plus suite agrave lrsquoaffaire Eco-emballage il a eacutegalement eacuteteacute ajouteacute au paragraphe onzedu cahier des charges lrsquoobligation de prouver la conformiteacute des opeacuterations financiegraveresaupregraves drsquoun censeur drsquoEacutetat 38 preacutesent au sein des conseils drsquoadministration Cette mesureimplique que laquo tout eacuteco-organisme ne pourra proceacuteder qursquoagrave des placements financiersseacutecuriseacutes dans des conditions valideacutees par le conseil drsquoadministration apregraves informationdu censeur drsquoEacutetat raquo (Article 46 de la loi ndeg2009-967) Le censeur drsquoEacutetat peut eacutegalement exi-ger la communication de tous documents et informations lieacutes agrave la gestion financiegravere etproceacuteder agrave tout audit en rapport avec sa mission De mecircme y est ajouteacute les sanctions en-courues en cas de manquement au cahier des charges que sont une amende au plus eacutegaleagrave 30 000euro voire mecircme la suspension ou le retrait de lrsquoagreacutement (ou de lrsquoapprobation) 39Srsquoajoute agrave ces mesures reacutepressives la soumission des systegravemes collectifs et individuels agravedes controcircles peacuteriodiques 40
Cette nouvelle peacuteriode drsquoagreacutement deacutebute ainsi avec un renforcement des pouvoirspublics sur le controcircle des filiegraveres constitueacutees ou en cours de construction Cette reprisede controcircle par lrsquoEacutetat va permettre une poursuite du deacuteveloppement du principe de REPpar la creacuteation de nouvelles filiegraveres (telles que celles des meacutedicaments des fluides frigori-gegravenes fluoreacutes des mobil-homes et des cartouches drsquoimpression entre 2009 et 2011) dansun cadre reacuteglementaire nettement plus preacutecis que celui de 2006 Afin drsquoharmoniser et derationnaliser leur gestion les reacuteflexions meneacutees lors du Grenelle vont eacutegalement conduireagrave la creacuteation drsquo laquo une instance de meacutediation et drsquoharmonisation des filiegraveres agreacuteeacutees decollecte seacutelective et de traitement des deacutechets raquo Cette instance intituleacutee la CommissiondrsquoHarmonisation et de Meacutediation des Filiegraveres (CHMF) sera creacuteeacutee officiellement par le deacute-cret ndeg2009-1043 du 27 aoucirct 2009 (les lignes directrices seront publieacutees le 28 mars 2012)
III322 Renforcement du principe de preacutevention
Outre les dispositions tireacutees des leccedilons de la phase preacuteceacutedente le nouvel agreacutementinscrit dans le cahier des charges de nouvelles missions des eacuteco-organismes relatives agravelrsquoameacutelioration de la performance et de la qualiteacute de la filiegravere des DEEE et notamment agrave laprise en compte de la preacutevention agrave travers lrsquoeacuteco-conception Dans cette optique le cha-pitre premier du titre IV relatif aux deacutechets du code de lrsquoenvironnement sera modifieacute en2010 par ordonnance 41 Il ne srsquointitulera plus laquo Eacutelimination des deacutechets et reacutecupeacuterationdes mateacuteriaux raquo mais laquo Preacutevention et gestion des deacutechets raquo
38 Mesure mise en œuvre agrave travers le deacutecret ndeg2011-429 du 22 avril 2011 preacutecisant la deacutesignation et lamission du censeur drsquoEacutetat
39 Mesure mise en œuvre agrave travers le deacutecret ndeg2012-617 de mai 201240 Mesure qui sera mise en application plus tardivement en 2014 agrave travers le deacutecret ndeg2014-75941 Ordonnance ndeg2010-1579 qui viendra transposer en droit franccedilais la directive europeacuteenne de 2008
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
Il srsquoagit de mettre en avant le potentiel du dispositif de REP agrave promouvoir la reacuteduc-tion des deacutechets depuis laquo lrsquoeacuteco-conception du produit agrave sa fabrication [au cours de] sadistribution et sa consommation jusqursquoagrave sa fin de vie raquo Pour cela laquo la responsabiliteacute desproducteurs sur les deacutechets issus de leurs produits sera eacutetendue en tenant compte des dis-positifs de responsabiliteacute partageacutee existants et la reacuteduction agrave la source fortement inciteacutee raquo(Article 46 de la loi ndeg2009-967) Ainsi afin de renforcer lrsquoincitation agrave lrsquoeacuteco-conceptionil est ajouteacute agrave lrsquoarticle L541-10 du code de lrsquoenvironnement relatif agrave la gestion des deacute-chets un paragraphe stipulant que les contributions financiegraveres devront ecirctre laquo moduleacuteesen fonction de la prise en compte lors de la conception du produit de son impact surlrsquoenvironnement en fin de vie et notamment de sa valorisation matiegravere raquo (sect9 de la ver-sion 2010-2014) Nous verrons que cette disposition sera une mesure phare du nouveaucahier des charges des eacuteco-organismes DEEE et que sa mise en œuvre conduira agrave une ex-peacuterimentation par phases successives qui sera renforceacutee au moment de lrsquoeacutelaboration dutroisiegraveme cahier des charges
III323 De nouveaux objectifs plus ambitieux
III3231 Lrsquoenjeu de la collecte
Enfin la couverture nationale eacutetant reacutealiseacutee et lrsquoobjectif national de collecte de 4kg parhabitant et par an atteint (objectif en vigueur depuis 2003 suite agrave la directive 200296CErelative aux DEEE) ce nouveau cahier des charges introduit des objectifs annuels gradueacutesplus ambitieux Il est attendu des eacuteco-organismes de mettre en œuvre laquo les actions neacuteces-saires pour contribuer agrave lrsquoatteinte drsquoun objectif national de collecte seacutelective des DEEEmeacutenagers drsquoau moins 6 kg par habitant et par an en 2010 raquo et drsquoau moins 10 kg par habi-tant et par an en 2014 crsquoest-agrave-dire avant la fin de cette seconde peacuteriode drsquoagreacutement (titre1-cahier des charges 2009) Agrave cela la reacutevision de la directive europeacuteenne sur les DEEE du4 juillet 2012 va eacutegalement chercher agrave booster les objectifs de collecte en les reacuteeacutevaluant eten proposant des modaliteacutes de calcul plus impactantes (201219UE) En effet la direc-tive preacutevoit un objectif de collecte non plus calculeacute laquo par habitant raquo et estimeacute en poidsmais un taux de collecte calculeacute sur la base du poids total de DEEE collecteacutes et exprimeacuteen pourcentage du poids moyen drsquoEEE mis sur le marcheacute au cours des trois anneacutees preacuteceacute-dentes Pour 2015 ce taux a eacuteteacute fixeacute agrave 40 et passera agrave 65 en 2019 (ou encore un objectifde 20 kg par habitant et par an drsquoici 2020) 42 Cela signifie pour Eco-systegravemes un double-ment de sa collecte au cours de la troisiegraveme peacuteriode drsquoagreacutement
Toutefois les anneacutees 2012 et 2013 vont ecirctre particuliegraverement difficiles puisque les tauxde collecte vont stagner agrave 69 kg par habitant et par an (Eco-systegravemes 2014) et les objec-tifs annuels ne seront plus atteints Durant cette seconde phase drsquoagreacutement la collectedevient alors un enjeu primordial pour les eacuteco-organismes puisque lrsquoatteinte des objec-tifs conditionne leur agreacutement par lrsquoEacutetat Il srsquoagit alors agrave la fois drsquoaugmenter la collecte viales points de collecte historiques (ie ESS distribution collectiviteacute) en renforccedilant les pro-grammes de communication drsquoinformation et de sensibilisation et drsquoexplorer de nou-veaux canaux de collecte via de nouveaux partenaires
Dans cette optique Eco-systegravemes va lancer un vaste programme de communicationagrave travers des campagnes publicitaires massives et la mise en place de meubles de collecte
42 Les objectifs sont eacutegalement estimeacutes en pourcentage des gisements avec une cible agrave 85 pour lrsquoeacutequi-valent des 65 sur la base des mises en marcheacute
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
dans divers magasins Agrave ce titre 5 875 meubles seront deacuteployeacutes entre 2011 et 2014 surtout le territoire cf Eco-systegravemes 2014 Entre 2011 et 2014 2 400 journeacutees drsquoanimationsseront organiseacutees (Eco-systegravemes 2014) En deacutecembre 2012 sera eacutegalement creacuteeacute une pla-teforme de services en ligne permettant agrave lrsquointernaute de trouver rapidement la solutionla plus adapteacutee et la plus proche de chez lui pour se deacutebarrasser de son appareil en findrsquousage La plateforme ainsi que lrsquoapplication mobile qui en a deacutecouleacute ont permis pourla premiegravere fois depuis 2006 une augmentation visible de la collecte du PAM En effet lacroissance du PAM a atteint un record de 85 en 2013 De mecircme en 2014 la campagnelaquo meubles verts en magasin raquo a permis de multiplier les connexions sur le site et drsquoat-teindre une collecte du PAM de 18 La pertinence de ces dispositifs va ecirctre confirmeacuteeavec la Directive europeacuteenne reacuteviseacutee de 2012 introduisant la reprise laquo 1 pour 0 raquo (ie sansobligation drsquoachat) obligatoire pour les tregraves petits appareils dans certains magasins 43
Lrsquoaccent sur le PAM nrsquoest pas anodin Crsquoest un flux tregraves heacuteteacuterogegravene et tregraves disperseacuteEn particulier la collecte des teacuteleacutephones portables eacutetant donneacute leur valeur reacutesiduelleconstitue un veacuteritable challenge pour la filiegravere En effet ils sont tregraves peu remis aux pointsde collecte officiels car les usagers preacutefegraverent les conserver laquo au fond de leur tiroir raquo au casougrave ou les vendre via des plateformes Internet derriegravere lesquelles se cache une large filiegravereparallegravele Conscient de lrsquointeacuterecirct eacuteconomique et environnemental de ces produits Eco-systegravemes a exploreacute degraves 2010 une nouvelle approche par la creacuteation drsquoun cinquiegraveme fluxconsacreacute speacutecifiquement agrave la collecte des teacuteleacutephones portables Pour cela lrsquoeacuteco-organismea eacutelaboreacute une charte de reacuteemploi en 2011 qursquoil a fait signer agrave ses prestataires de la collecteet du traitement des mobiles Les teacuteleacutephones collecteacutes seacutepareacutement (via les opeacuterateurs deteacuteleacutephonie mobiles ou encore via les bacs speacutecifiques inteacutegreacutes aux meubles verts) sont en-voyeacutes en prioriteacute agrave une entreprise drsquoinsertion destineacutes agrave ecirctre reacutepareacutes et mis sur le marcheacutede lrsquooccasion et en dernier recours ils seront envoyeacutes agrave un site de recyclage
III3232 La lutte contre les filiegraveres parallegraveles
La fuite des teacuteleacutephones portables vers la filiegravere parallegravele nrsquoest pas un cas marginal Enreacutealiteacute cette stagnation de la collecte est accentueacutee par une concurrence persistante defiliegraveres parallegraveles voire illeacutegales Ces filiegraveres cherchent agrave capter de maniegravere opportunistela valeur de certains types de DEEE notamment les deacutechets riches en meacutetaux preacutecieuxet strateacutegiques (voir encadreacute) Il est estimeacute que 23 du flux de DEEE eacutechappe agrave la filiegravereofficielle et cela agrave lrsquoeacutechelle europeacuteenne (HUISMAN et collab 2015)
Le deacuteveloppement de ces filiegraveres srsquoest largement renforceacute avec la hausse des prix desmatiegraveres premiegraveres entre 2010 et 2011 en particulier celles du cuivre des meacutetaux preacute-cieux et des terres rares (ces derniegraveres en conseacutequence de lrsquoembargo par la Chine) Cettehausse a conduit agrave une augmentation importante des vols en deacutechetterie et sur les chan-tiers Eco-systegravemes a eacutegalement noteacute la deacutegradation de certains meubles verts contenantdes teacuteleacutephones mobiles que lrsquoeacuteco-organisme a renforceacutes aujourdrsquohui Selon une eacutetudemeneacutee par lrsquoADEME sur les flux eacutechappant agrave la filiegravere officielle laquo une correacutelation existevraisemblablement entre lrsquoeacutevolution de la freacutequence des vols et du vandalisme et celledu cours des matiegraveres premiegraveres raquo (ADEME 2013a)
Pour aller plus loin un reportage en 2014 fait le constat alarmant du devenir des deacute-chets empruntant ces voies opaques La plupart apregraves avoir eacuteteacute pilleacutes de leur valeur (carte
43 Les magasins ayant une surface de vente deacutedieacutee aux EEE de plus de 400m2
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
eacutelectronique deacuteviateurs en cuivre des eacutecrans agrave tube cathodique etc) finissent leur peacute-riple dans des deacutecharges agrave ciel ouvert en Afrique ou en Asie (DANNORITZER 2014)
III324 Durcir la reacuteglementation pour seacutecuriser la collecte
III3241 Des mesures nationales
Face agrave ces difficulteacutes remonteacutees par les collectiviteacutes et les eacuteco-organismes les pou-voirs publics franccedilais ont deacutecideacute drsquointerdire le paiement en espegraveces lors de lrsquoachat de meacute-taux dans le but de deacutecourager ces vols (Article 51 de la loi de finance du 20 juillet 2011)Cette mesure a eu des effets significatifs sur lrsquoaugmentation des quantiteacutes collecteacutees agravelrsquoeacutechelle nationale (ADEME 2013a) et a eacuteteacute un reacuteel soutien au travail de consolidation desreacuteseaux de collecte par les eacuteco-organismes
De la mecircme maniegravere afin de seacutecuriser ses points de collecte Eco-systegravemes srsquoest en-gageacute dans diverses mesures pour mieux capter le gisement collecteacute en deacutechetteries Lesfreacutequences drsquoenlegravevement sont mieux adapteacutees pour limiter le temps de stockage des ap-pareils convoiteacutes les conteneurs sont davantage seacutecuriseacutes et certains sites sont eacutequipeacutesde videacuteo-surveillance (Eco-systegravemes 2009) Agrave cela srsquoajoute une campagne de marquagedes gros appareils dans le but drsquoaccroicirctre la traccedilabiliteacute Afin de partager ces solutions uneboicircte agrave outils laquo protection du gisement raquo est consultable par les producteurs sur le site delrsquoOCAD3E
III3242 mais eacutegalement europeacuteennes agrave travers le WEEE Forum
Bien au-delagrave des frontiegraveres franccedilaises les filiegraveres illeacutegales ont une emprise mondialeqursquoaucun Eacutetat ne peut contrer seul Crsquoest pourquoi le WEEE Forum (organisme qui re-groupe des eacuteco-organismes de diffeacuterents pays europeacuteens) srsquoest investi du sujet agrave travers leprojet CWIT (Countering WEEE Illegal Trade) Ce projet a rassembleacute de multiples acteurs des professionnels de lrsquoindustrie du DEEE des autoriteacutes publics des organisations inter-nationales des juristes des chercheurs des consultants speacutecialiseacutes dans la seacutecuriteacute deschaicircnes drsquoapprovisionnement etc Ceci dans le but drsquointensifier et drsquoeacutevaluer le trafic desfiliegraveres parallegraveles et de proposer des recommandations agrave la Commission europeacuteenne Leprojet CWIT a eacuteteacute meneacute sur deux ans et a donneacute lieu agrave un compte-rendu fin 2015 (HUIS-MAN et collab 2015)
Cette eacutetude confirme les grandeurs des fuites de la filiegravere deacutejagrave estimeacutees Il est eacutevalueacuteque seulement 35 (soit 33 millions de tonnes) des DEEE jeteacutes en 2012 ont eacuteteacute comp-tabiliseacutes agrave travers la filiegravere officielle Les 65 (ie 615 millions de tonnes) restant ont eacuteteacutesoit exporteacutes (pour 15 millions de tonnes) recycleacutes dans des conditions non conformesagrave la reacuteglementation europeacuteenne (pour 315 millions de tonnes) reacutecupeacutereacutes pour ecirctre deacute-pouilleacutes de leur valeur (pour 750 000 tonnes) ou encore simplement jeteacutes avec les orduresmeacutenagegraveres classiques (pour 750 000 tonnes) Eco-systegravemes a participeacute activement agrave cetteeacutevaluation Lrsquoorganisme a participeacute au cadrage et aux orientations du projet en pilotanten France (au sein de lrsquoOCAD3E et avec lrsquoADEME) une eacutetude drsquoeacutevaluation du gisement desDEEE qui a permis drsquoalimenter en donneacutees robustes le volet laquo eacutevaluation du gisement raquodu projet CWIT Eco-systegravemes a en outre partageacute les coordonneacutees de contacts pertinentset enfin a communiqueacute largement les initiatives du projet
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
Plusieurs preacuteconisations ont eacuteteacute donneacutees dont notamment la geacuteneacuteralisation de lrsquoin-terdiction du paiement en espegraveces agrave lrsquoeacutechelle europeacuteenne Cette mesure a pour but drsquoeacutetendrela mesure franccedilaise qui a montreacute des effets inteacuteressants mais qui reste fragiliseacutee par laconcurrence des pays limitrophes En effet suite agrave la fermeture des frontiegraveres apregraves lesattentats du 13 novembre 2015 Lille a comptabiliseacute une hausse de collecte de DEEE de40 (selon Eco-systegravemes) signifiant qursquoen temps geacuteneacuteral ce flux de deacutechets est vendu enBelgique ougrave la vente en espegraveces est autoriseacutee Ainsi sans une geacuteneacuteralisation de la restric-tion un gisement de deacutechets non neacutegligeable continuera drsquoeacutechapper agrave la filiegravere officielle(ADEME 2013a)
Une autre recommandation est de controcircler davantage les opeacuterations de traitementen rendant obligatoire le respect de standards de deacutepollution et de processus europeacuteensCette proposition srsquoappuie sur un projet lanceacute en 2009 et cofinanceacute par la Communauteacuteeuropeacuteenne dans le cadre du programme Life+ (LIFE07 ENVB000041) Dans ce pro-gramme les principaux eacuteco-organismes europeacuteens (dont Eco-systegravemes) se sont regrou-peacutes afin drsquoeacutelaborer des normes de qualiteacute communes en coopeacuteration avec des industrielsde la production et du secteur du recyclage Lrsquoobjectif est de tirer la filiegravere vers le hauten lui donnant plus de transparence et drsquohomogeacuteneacuteiteacute agrave lrsquoeacutechelle europeacuteenne Ce projeta conduit agrave la creacuteation de lrsquoorganisation WEEELABEX (WEEE LAbel of EXellence) et destandards et reacutefeacuterentiels exigeants reacutegissant les opeacuterations de collecte de transport et detraitement Eco-systegravemes a participeacute activement agrave la reacutedaction de ces standards en ayantdegraves 2006 entrepris des controcircles continus de qualiteacute sur ses propres prestataires et acquisainsi une certaine expertise sur la deacutefinition de prescriptions administratives organisa-tionnelles et techniques
Aujourdrsquohui pregraves de quarante eacuteco-organismes DEEE europeacuteens ont rejoint le consor-tium De plus depuis juin 2016 lrsquoorganisation WEEELABEX est officiellement accreacutediteacuteeen tant qursquoorganisme de certification pour la certification des proceacutedeacutes de traitementsdes DEEE (selon la norme ISOIEC 17065-2013) et pour la certification des auditeurs deces proceacutedeacutes (selon la norme ISOIEC 17024-2013) (TERRA SA 2016) Des auditeurs ex-perts WEEELABEX sont ainsi formeacutes au niveau europeacuteen afin de mener des programmesdrsquoaudits dans les centres de traitements
Il reste que les standards WEEELABEX nrsquoont pas de valeur europeacuteenne certifieacutee puis-qursquoelles ont eacuteteacute co-creacuteeacutees par un nombre restreint drsquoorganismes collectifs priveacutes Tou-tefois la grande coheacuterence du projet a eacuteteacute reconnu au niveau du Comiteacute Europeacuteen deNormalisation Electrotechnique (le CENELEC) Ce dernier srsquoappuie largement sur les tra-vaux du WEEELABEX afin drsquoeacutelaborer officiellement des normes CENELEC agrave destinationde lrsquoensemble des opeacuterateurs europeacuteens Agrave terme les normes CENELEC sont destineacutees agraveremplacer progressivement les standards priveacutes WEEELABEX dans les processus drsquoaudit
III325 Deacuteveloppement drsquoautres canaux de collecte
Toutes les mesures eacutevoqueacutees preacuteceacutedemment ont pour principal objectif drsquoaugmen-ter la collecte des deacutechets via les canaux dits laquo historiques raquo que sont la distribution lescollectiviteacutes et lrsquoESS Cependant afin de reacuteamorcer la dynamique de croissance de la col-lecte Eco-systegravemes a chercheacute eacutegalement agrave explorer de nouveaux canaux notamment ense rapprochant des opeacuterateurs de broyage et des reacutecupeacuterateurs de meacutetaux et en deacutevelop-pant des collectes de proximiteacute en zone urbaine
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
III3251 Un nouveau reacuteseau de collecte via les opeacuterateurs de broyage et les ferrailleurs
En effet la deacutemarche expeacuterimentale drsquoEco-systegravemes srsquoest appuyeacutee sur une eacutetude delrsquoADEME reacutealiseacutee en 2013 qui estimait la perte de DEEE chez les ferrailleurs et les broyeursagrave pregraves de 5 kg par an et par habitant (ADEME 2013a) Ces acteurs qursquoils soient souscontrat ou hors contrat avec un eacuteco-organisme captent des DEEE non issus de la col-lecte seacutelective par apport direct des deacutetenteurs drsquoeacutequipements sanitaires thermiques ouencastrables usageacutes Il srsquoagit de professionnels indeacutependants voulant se deacutebarrasser drsquoen-combrants (chauffagistes plombiers eacutelectriciens installateurs cuisinistes ou encore deservices priveacutes de collecte) Ces deacutetenteurs se deacutetournent souvent des deacutechetteries pu-bliques en raison du coucirct qui leur est souvent factureacute voire qui leur sont interdites
Aussi les collaborateurs drsquoEco-systegravemes ont-ils chercheacute agrave proposer une solution adap-teacutee Cela a conduit en 2013 agrave un programme de contractualisation avec les opeacuterateurs debroyage et les ferrailleurs dans le but de creacuteer un reacuteseau de collecte et de traitement desflux jusque-lagrave non comptabiliseacutes Le reacuteseau ainsi creacuteeacute est reacutefeacuterenceacute par lrsquoeacuteco-organismeet permet de ce fait une meilleure visibiliteacute des opeacuterations de traitement notammentgracircce agrave la systeacutematisation de lrsquoutilisation des bordereaux de suivi de deacutechet Ce reacuteseausrsquoest construit avec lrsquoappui des feacutedeacuterations professionnelles des deacutetenteurs (feacutedeacuterationdes grossistes des eacutequipements de cuisine du bacirctiment etc) mais eacutegalement des fer-railleurs et broyeurs Il beacuteneacuteficie de lrsquoappui de la Feacutedeacuteration des entreprises du recyclagemdash FEDEREC mdash agrave travers un partenariat signeacute fin 2014
Dans ce modegravele Eco-systegravemes cherche agrave srsquoimmiscer le moins possible dans le sys-tegraveme de marcheacute historique La proprieacuteteacute de la matiegravere reste attitreacutee aux ferrailleurs ou auxbroyeurs et il nrsquoy a pas de versement de recettes matiegraveres agrave lrsquoeacuteco-organisme Le contrateacutetabli assure simplement que la part de DEEE des deacutechets reacutecupeacutereacutes par le broyeur oule ferrailleur soit correctement seacutepareacutee deacutepollueacutee et traiteacutee dans les normes environne-mentales exigeacutees par Eco-systegravemes Ce controcircle agrave minima des activiteacutes de traitement estvu par certains comme une voie dangeureuse vers lrsquoacceptation de pratiques douteusespuisqursquoil transforme un controcircle opeacuterationnel en une traccedilabiliteacute deacuteclarative reposant surla bonne volonteacute des reacutecupeacuterateurs La gestion de ce nouveau reacuteseau de collecte revientainsi moins cher agrave la filiegravere (par rapport aux canaux historiques) mais la conformiteacute reacutegle-mentaire des traitements semble plus difficile agrave garantir
Il nrsquoen reste pas moins qursquoavant la constitution de ce reacuteseau drsquoopeacuterateurs ces dernierseacutetaient complegravetement indeacutependants et ne se souciaient guegravere des normes de deacutepollutionUn changement de pratique neacutecessite un certain temps drsquoadaptation des opeacuterateurs etde prises de conscience Crsquoest pourquoi lrsquoexpeacuterimentation srsquoest tout drsquoabord concentreacuteedans une reacutegion le Sud-Ouest et sur certains types de deacutechets (les appareils de chauf-fage et de climatisation les ballons drsquoeau chaude lrsquoeacutelectromeacutenager encastrable telle queles gaziniegraveres etc) Apregraves deux ans lrsquoexpeacuterimentation a eacuteteacute deacuteployeacutee au niveau natio-nal et est aujourdrsquohui en pleine croissance En 2015 les nouveaux canaux repreacutesentaientdrsquoores et deacutejagrave 11 de la collecte chez Eco-systegravemes (Eco-systegravemes 2015) Ces nouveauxflux drsquoapprovisionnement ont permis une hausse importante de la collecte de pregraves de 25par rapport agrave 2014 (la hausse du GEM hors froid due aux nouveaux canaux est la plus si-gnificative) assurant ainsi une rupture avec la phase de stagnation des anneacutees 2012-2013Fort de ces reacutesultats le dispositif a reccedilu un soutien leacutegislatif particulier par lrsquoentreacutee envigueur le 17 aoucirct 2015 de lrsquoarticle 77 de la loi relative agrave la transition eacutenergeacutetique pourla croissance verte (Loi ndeg 2015-992) En effet cet article oblige tout opeacuterateur souhai-
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
tant geacuterer des DEEE agrave disposer de contrats avec des eacuteco-organismes agreacuteeacutes ou avec dessystegravemes individuels 44 De plus nous verrons que deacutevelopper de nouveaux canaux decollecte deviendra une mission agrave part entiegravere inscrite dans le nouveau cahier des chargespour la peacuteriode 2015-2020
III3252 Les collectes de proximiteacute
Agrave cocircteacute du potentiel de collecte via les broyeurs et reacutecupeacuterateurs de meacutetaux lrsquoeacutetudede lrsquoADEME souligne le faible taux de retour en zone urbaine dense ougrave le reacuteseau de deacute-chetteries est tregraves limiteacute (Paris Marseille etc) En 2013 les performances de collecte enmilieu urbain ont eacuteteacute nettement infeacuterieures agrave la moyenne nationale avec 23 kg par ha-bitant et par an contre 49 en moyenne (Eco-systegravemes 2014) Une recommandation faitepar lrsquoADEME est de deacutevelopper de nouvelles solutions de collecte de proximiteacute Dans cetteoptique Eco-systegravemes a chercheacute agrave innover son systegraveme urbain en engageant des collectesen pied drsquoimmeubles des collectes ponctuelles agrave tendance eacuteveacutenementielle ou encore descollectes solidaires en partenariat avec Emmauumls
Des expeacuterimentations sont ainsi conduites dans diffeacuterents arrondissements de ParisCrsquoest agrave partir drsquooctobre 2013 que lrsquoeacuteco-organisme a expeacuterimenteacute dans le onziegraveme arron-dissement de Paris une collecte en apport volontaire qui avait lieu tous les samedis ma-tin sur diffeacuterents points ougrave les habitants du quartier preacutevenus par des flyers pouvaientvenir deacuteposer leurs dons Les objets encore utilisables retrouvaient une seconde vie auxmains drsquoEmmauumls Ce projet pilote a eu un grand succegraves et est aujourdrsquohui deacuteployeacute dansplusieurs arrondissements de la capitale (on compte cinq arrondissements couverts fin2014) En 2014 ces opeacuterations ont permis de collecter pregraves de 36 tonnes de DEEE dont20 en moyenne ont eacuteteacute reacuteemployeacutees (Vespier Rita 2016) De maniegravere geacuteneacuterale lrsquoeacuteco-organisme a lanceacute un appel agrave projet en 2012 afin drsquoimpliquer les collectiviteacutes dans la re-cherche de solutions innovantes et durables adapteacutees aux speacutecificiteacutes de chacune drsquoentreelles (Eco-systegravemes 2014)
Capter les flux de DEEE eacutechappant aux canaux de collecte historiques est devenu unenjeu essentiel si la France veut pouvoir atteindre les objectifs fixeacutes par lrsquoEurope drsquoici 2019Le cahier des charges de la troisiegraveme peacuteriode drsquoagreacutement va inteacutegrer lrsquoexpeacuterience des eacuteco-organismes en matiegravere de deacuteveloppement de nouveaux canaux de collecte Le paragrapherelatif aux taux de collecte agrave atteindre va finalement ecirctre compleacuteteacute par des objectifs decollecte agrave reacutealiser agrave travers laquo drsquoautres canaux raquo que ceux historiques Ainsi pour 2015 ilest demandeacute que 10 des DEEE collecteacutes (par rapport aux quantiteacutes de DEEE collecteacutessur le territoire national) soit collecteacute via de laquo nouveaux canaux raquo Cet objectif est renforceacutechaque anneacutee pour atteindre un objectif de 30 en 2019 Pour cela les eacuteco-organismessont encourageacutes agrave deacuteployer laquo des dispositifs de collecte permettant aux deacutetenteurs et uti-lisateurs [ ] de se deacutefaire gratuitement de leurs Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques etEacutelectroniques meacutenagers au niveau de points drsquoapport permanents ou ponctuels fixesou mobiles venant compleacuteter les modes de collecte mis en œuvre par les collectiviteacutesen particulier les deacutechetteries publiques ou la reprise par les distributeurs raquo (cahier descharges 2014) Cet ajout vient ainsi renforcer les expeacuterimentations deacutejagrave engageacutees par leseacuteco-organismes et permet de soutenir ces deacutemarches gracircce agrave lrsquoappui reacuteglementaire
44 Cet article vient eacutetendre et renforcer lrsquoarticle 7 du deacutecret du 2 mai 2012 laquo relatif agrave la gestion des deacutechetsde piles et accumulateurs et drsquoeacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques raquo (Deacutecret ndeg 2012-617)
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
III326 Lrsquoincitation agrave lrsquoeacuteco-conception renforceacutee par le dispositif drsquoeacuteco-modulation
Outre les expeacuterimentations conduites pendant la seconde peacuteriode motiveacutees par lrsquoen-jeu pressant de la collecte le second agreacutement a reposeacute eacutegalement sur un engagement deseacuteco-organismes agrave encourager davantage leurs membres agrave inteacutegrer lrsquoeacuteco-conception dansleurs deacutemarches pour une filiegravere plus circulaire Alors que les baregravemes drsquoadheacutesion eacutetaientjusqursquoagrave preacutesent librement fixeacutes par les eacuteco-organismes le second cahier des charges im-pose de maniegravere identique agrave tous les titulaires drsquoun agreacutement des critegraveres environne-mentaux et des amplitudes de modulation lieacutes agrave la fin de vie des EEE mis sur le mar-cheacute Cinq critegraveres ont eacuteteacute retenus portant sur diffeacuterentes cateacutegories de DEEE Certainscritegraveres sont deacutefinis de maniegravere positive et sont accompagneacutes de laquo bonus raquo agrave lrsquointentiondu producteur adheacuterent Agrave lrsquoinverse drsquoautres le sont de maniegravere neacutegative et accompagneacutesde laquo malus raquo que devront payer les producteurs non conformes en suppleacutement de leurscontributions classiques Ces critegraveres ont fait lrsquoobjet de discussions multipartites entre2008 et 2009 en parallegravele de lrsquoeacutecriture de la Loi Grenelle Cette loi est lrsquoorigine leacutegislativede lrsquointroduction reacuteglementaire de la modulation dans le cahier des charges
Lrsquointroduction reacuteglementaire a eacuteteacute deacutecideacutee par les pouvoirs publics mais par manquedrsquoinformation la mise en œuvre a eacuteteacute geacutereacutee en particulier sous lrsquoimpulsion de lrsquoADEMECette derniegravere a amorceacute un processus de travail collaboratif impliquant les eacuteco-organismesune association de deacutefense de lrsquoenvironnement des repreacutesentants des producteurs drsquoEEEdes repreacutesentants des centres de traitement et de recyclage ainsi que des repreacutesentantsdes structures du reacuteemploi En effet mecircme si la modulation existait deacutejagrave dans la filiegravereemballages la creacuteation de critegraveres de modulation pour le cas de la filiegravere DEEE se reacuteveacutelaitbien plus complexe En effet les emballages sont des deacutechets relativement simples parrapport aux DEEE facilitant ainsi le choix de critegraveres de modulation ceux-ci sont lieacutes auvolume et agrave la composition Aussi du fait drsquoun manque de connaissances et de certitudessur la question le dispositif nouvellement introduit en 2009 a reposeacute volontairement surun nombre limiteacute de deacutechets (ceux agrave fort volume de vente afin de maximiser lrsquoincitationfinanciegravere) et de critegraveres (relativement preacutecis et simples agrave controcircler) de maniegravere agrave eacuteprou-ver dans la continuiteacute la fonctionnaliteacute du dispositif La volonteacute des pouvoirs publics eacutetaitdegraves lors de faire de la France un veacuteritable laboratoire de lrsquoeacuteco-modulation ce qui a effecti-vement attireacute lrsquoattention de la Commission europeacuteenne ainsi que drsquoautres Eacutetats membres
III3261 Les critegraveres de modulation
Apregraves de longues discussions orchestreacutees par lrsquoADEME entre lrsquoensemble des partiesprenantes dans lesquelles des inteacuterecircts divergents se sont vivement confronteacutes cinq cri-tegraveres ont finalement eacuteteacute retenus Ces critegraveres ciblent chacun une cateacutegorie de deacutechet preacute-cis et accompagneacute drsquoun bonus ou malus de 20 (voir tableau III31)
Trois critegraveres contraignent les producteurs agrave supprimer lrsquoutilisation de certaines sub-stances polluantes telles que les retardateurs de flamme bromeacutes dans les plastiques 45 lemercure dans les lampes 46 ou encore les gaz agrave fort pouvoir reacutechauffant global 47 (ie les
45 Pour les adheacuterents drsquoEco-systegravemes cela repreacutesentait une majoration de 10 centimes par aspirateur etde 02 agrave 16euro pour les teacuteleacuteviseurs selon la taille des eacutecrans
46 Repreacutesentant chez Eco-systegravemes une majoration de 6 centimes par ordinateur portable et 02 agrave 16europour les teacuteleacuteviseurs selon la taille des eacutecrans
47 Traduit par Eco-systegravemes par une majoration de 1 agrave 26euro sur les EEE utilisant ces substances
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
EacuteQUIPEMENTSCONSIDEacuteREacuteS
CRITEgraveRES DE MODULATION de lacontribution
AMPLITUDES demodulation de lacontribution
Cateacutegorie 1 Eacutequipementsproduisant dufroid avec circuitreacutefrigeacuterant
Preacutesence de fluide frigorigegravene agrave PRC 15 +20
Cateacutegorie 2 As-pirateurs
Preacutesence de piegraveces plastiques 25grammes contenant des retardateurs deflamme bromeacutes
+20
Cateacutegorie 3 Teacuteleacutephonesportables
Absence drsquoun chargeur universel (critegravereapplicable degraves publication de la normetechnique internationale)
+100
Cateacutegorie 3 Ordinateursportables
Preacutesence de lampes contenant du mer-cure et Preacutesence de piegraveces plastiques 25grammes contenant des retardateurs deflamme bromeacutes
+20
Cateacutegorie 4 Teacute-leacuteviseurs
Preacutesence de lampes contenant du mer-cure et Preacutesence de piegraveces plastiques 25grammes contenant des retardateurs deflamme bromeacutes
+20
Cateacutegorie 5 Lampes
Source agrave LED exclusivement -20
TABLEAU III31 ndash Critegraveres et amplitudes de modulation retenus (cahier des charges 2009 p119)
gaz dans les fluides frigorigegravenes CFC HCFC HFC) Les deux autres critegraveres cherchent da-vantage agrave encourager les producteurs agrave contribuer agrave la reacuteduction de la production de deacute-chets Ils peacutenalisent les producteurs de teacuteleacutephones portables ne disposant pas de connec-tique standardiseacutee 48 ou encore en encouragent lrsquousage des lampes LED 49 (ou DEL pourDiode Electroluminescente) qui possegravedent une meilleure efficaciteacute eacutenergeacutetique et uneplus longue dureacutee de vie Drsquoautres critegraveres ont eacuteteacute abandonneacutes dans les discussions telsque la preacutesence de matiegravere recycleacutee dans le produit fini ainsi que la disponibiliteacute despiegraveces deacutetacheacutees et des notices techniques aupregraves des reacuteparateurs drsquoEEE En effet cescritegraveres ne portaient pas speacutecifiquement sur la fin de vie des EEE Toutefois et lagrave se reacutevegraveletout lrsquointeacuterecirct du dispositif de REP ces critegraveres seront inteacutegreacutes plus tard (une fois les acteursfamiliariseacutes avec ce premier set de critegraveres) lors de lrsquoeacutelaboration du troisiegraveme cahier descharges de la peacuteriode drsquoagreacutement suivante
III3262 La premiegravere phase drsquoun dispositif ameneacute agrave eacutevoluer
Cette premiegravere phase expeacuterimentale de mise en oeuvre de lrsquoeacuteco-modulation a dureacutecinq ans du 1er juillet 2010 au 1er juillet 2015 Cette expeacuterimentation a permis de nom-breux enseignements qui ont conduit agrave lrsquoeacutelaboration drsquoune seconde phase plus ambi-tieuse sur laquelle nous reviendrons Crsquoest au cours de lrsquoencadrement drsquoun stage de re-
48 Repreacutesentant une majoration de 1 centime par teacuteleacutephone chez Eco-systegravemes49 Traduit par un gain de 4 centimes par lampe LED pour les membres drsquoEco-systegravemes
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
cherche traitant de lrsquoapplication de lrsquoeacuteco-modulation dans la filiegravere DEEE que nous noussommes rendus compte de la dynamique progressive et collective lieacutee au pilotage du dis-positif Le rapport de cette recherche srsquoappuie sur des enquecirctes qualitatives aupregraves deproducteurs ainsi que sur des entretiens drsquoacteurs impliqueacutes dans la mise en œuvre delrsquoeacuteco-modulation Aussi en 2013 agrave mi-temps de la premiegravere phase un sondage meneacute partrois eacuteco-organismes a eacuteteacute reacutealiseacute aupregraves drsquoun grand nombre de leurs adheacuterents
FIGURE III31 ndash Reacuteponses au sondage sur lrsquoeacuteco-modulation aupregraves drsquoadheacuterents 2013
Ce sondage reacutevegravele un impact relativement faible du dispositif (voir figure III31) Eneffet la moitieacute des reacutepondants mettant sur le marcheacute des eacutequipements soumis aux cri-tegraveres eacutetaient deacutejagrave en conformiteacute avant mecircme la mise en œuvre du dispositif Dans lrsquoautremoitieacute seulement dix-neuf ont reacuteagi au dispositif pour lrsquoune ou plusieurs des raisons sui-vantes soit afin de laquo collecter et geacuterer des donneacutees manquantes raquo laquo de modifier leurschoix de conception raquo soit afin laquo de modifier le cahier des charges drsquoachat raquo En effetlrsquoincitation financiegravere au changement est relativement faible Pour les adheacuterents drsquoEco-systegravemes et drsquoapregraves les donneacutees drsquoEco-systegravemes pour 2014 plus de la moitieacute eacutetaient concer-neacutes par des modulations infeacuterieures agrave 100euro En regardant lrsquoeacutevolution de la part drsquoEEE missur le marcheacute respectant les critegraveres (en proportion du nombre drsquoEEE deacuteclareacutes) entre 2010et 2015 seuls les teacuteleacuteviseurs ont connu une progression de mise en conformiteacute avec 75des teacuteleacuteviseurs conformes en 2010 contre plus de 95 en 2015 La raison est en veacuteriteacute unchangement de technologie avec le passage aux eacutecrans agrave cristaux liquides agrave LED ne conte-nant pas de mercure et ainsi respectant les critegraveres (contrairement aux eacutecrans agrave cristauxliquides utilisant des lampes de reacutetroeacuteclairage contenant du mercure dans les tubes fluo-rescents et dont la vente eacutetait au plus fort entre 2009 et 2011) Pour le reste des eacutequipe-ments les taux de conformiteacute sont resteacutes stables autour de 90 Seuls les aspirateurs ontun taux relativement faible variant entre 65 et 75
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
III3263 Des reacutesultats encore insuffisants
III32631 La prioriteacute des producteurs dans lrsquoeacuteco-conception diffegravere de celle envi-ronnementale De maniegravere geacuteneacuterale les entreprises ont axeacute leurs deacutemarches drsquoeacuteco-con-ception sur la prise en compte de lrsquoefficaciteacute eacutenergeacutetique 50 Effectivement lrsquoameacuteliorationdes technologies ainsi que le deacuteveloppement des eacutecolabels et de lrsquoeacutetiquetage eacutenergeacutetiqueeuropeacuteen 51 semblent avoir eu un impact majeur sur les choix des producteurs dans laconception des produits de mecircme que sur le choix des consommateurs dans leurs achatsAu niveau europeacuteen (ie UE23) la performance eacutenergeacutetique a eacuteteacute ameacutelioreacutee de 7 entre2005 et 2010 pour lrsquoensemble des lave-linge lave-vaisselle reacutefrigeacuterateurs et congeacutelateurs(JRC 2012) Cette premiegravere approche de lrsquoeacuteco-conception paraicirct raisonneacutee En effet lrsquoeacuteco-conception est une deacutemarche drsquoarbitrage entre des objectifs parfois contradictoires qua-liteacute coucircts deacutelais seacutecuriteacute environnement etc Aussi les premiegraveres initiatives porteacutees parles producteurs cherchent-elles avant tout agrave concilier lrsquoeacuteco-conception avec des objec-tifs de profitabiliteacute Ainsi les deacutemarches prioriseacutees sont celles qui coiumlncident avec desoptions de laquo bon sens raquo permettant une reacuteduction des coucircts tels que des eacuteconomies dematiegravere par allegravegement ce qui se fait naturellement dans la filiegravere des emballages oudrsquoeacutenergie consommeacutee en peacuteriode drsquousage ce qui assure un gain pour le consommateuret repreacutesente un atout commercial pour le producteur En revanche comme on lrsquoa vupreacuteceacutedemment lors du choix des critegraveres pour la premiegravere phase drsquoeacuteco-modulation lescritegraveres davantage en contradiction avec les objectifs de vente tel que lrsquoallongement dela dureacutee de vie des appareils sont encore relativement faiblement pris en compte par lesproducteurs de la filiegravere drsquoEEE
III32632 Un dispositif difficilement approprieacute par les producteurs Les raisons deces reacutesultats moyennement convaincants sont eacutegalement agrave analyser au regard des as-pects opeacuterationnels du dispositif Que signifie du point de vue du producteur se confor-mer aux critegraveres environnementaux du dispositif drsquoeacuteco-modulation Depuis la mise enœuvre de la REP les producteurs-adheacuterents doivent deacuteclarer deux fois par an agrave leur eacuteco-organisme sous forme drsquoun tableau numeacuterique les EEE qursquoils mettent sur le marcheacute Parexemple les membres drsquoEco-systegravemes doivent renseigner dans leurs deacuteclarations le li-belleacute du produit le statut de la socieacuteteacute lieacutee au produit le poids unitaire net du produit lecode douanier le nombre de produits mis sur le marcheacute franccedilais ainsi que le code propreau baregraveme drsquoEco-systegravemes Avec lrsquointroduction du dispositif de modulation le renseigne-ment de ce dernier code srsquoest en pratique complexifieacute puisqursquoil existe agrave preacutesent pour lesEEE sujets agrave la modulation des codes pour les produits vendus respectant les critegraveres etdes codes pour ceux ne les respectant pas Concregravetement la prise en compte des critegraveresde modulation rend encore plus complexe les deacuteclarations deacutejagrave relativement lourdes pourles entreprises Drsquoautant plus que la preacutecision de certains critegraveres neacutecessite drsquoaller reacutecu-peacuterer des informations souvent inconnues de la personne dans lrsquoentreprise chargeacutee defaire ces deacuteclarations agrave lrsquoeacuteco-organisme Celle-ci est alors contrainte drsquoaller chercher cesdonneacutees aupregraves drsquoautres acteurs internes ou externes voire mecircme parfois aupregraves de four-nisseurs eacutetrangers Il nrsquoest alors pas surprenant que du fait du faible montant en jeu et delrsquoinvestissement humain non neacutegligeable que neacutecessite le processus de deacuteclaration cer-taines entreprises ne prennent pas la peine de se porter eacuteligibles pour tel ou tel bonus etacceptent les malus sans chercher agrave prouver la conformiteacute de leur produit
50 En particulier avec lrsquointroduction de la directive europeacuteenne sur lrsquoeacutecoconception qui vise lrsquoameacuteliora-tion de lrsquoefficaciteacute eacutenergeacutetique des produits (Directive 2009125CE)
51 Reacuteviseacute et eacutetendu par la directive europeacuteenne sur lrsquoeacutetiquetage eacutenergeacutetique (Directive 201030UE) quipermet au consommateur de reconnaicirctre les produits les plus performants
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
III32633 Un dispositif qui encourage un soutien suppleacutementaire des eacuteco-organismesLa lourdeur du processus souligne lrsquoimportance drsquoaccompagner les producteurs dans lanouvelle proceacutedure de deacuteclaration Dans cette optique les eacuteco-organismes ont lrsquoobliga-tion de faire auditer leurs adheacuterents une fois par an par un acteur tiers de maniegravere agravesrsquoassurer de la justesse des deacuteclarations Ces audits ont permis drsquoavoir un retour riche enenseignements sur les difficulteacutes drsquoapplication pratique de lrsquoeacuteco-modulation par les pro-ducteurs Au cours du travail de stage de recherche sur lrsquoeacuteco-modulation une analyse deces retours a eacuteteacute conduite ainsi qursquoun entretien avec un auditeur certifieacute Ces controcirclesaupregraves des producteurs ont reacuteveacuteleacute que de nombreuses sources drsquoerreurs eacutetaient possibleset que le dispositif de modulation eacutetait souvent mal pris en compte au sein de lrsquoentrepriseLes raisons eacutevoqueacutees eacutetaient multiples les producteurs eacuteprouvaient deacutejagrave des difficulteacutesagrave deacuteclarer les eacuteleacutements standards (hors modulation) aucun effort drsquoinvestigation nrsquoeacutetaitmeneacute afin de collecter les informations ou encore la personne chargeacutee des deacuteclarationsen interne changeait reacuteguliegraverement ce qui complique lrsquoapprentissage du systegraveme de deacute-claration au sein drsquoune entreprise Ces audits qui eacutetaient agrave lrsquoorigine des proceacutedures decontrocircle se sont reacuteveacuteleacutes ecirctre de reacuteels dispositifs drsquoeacutechange et drsquoapprentissage entre lesproducteurs et les eacuteco-organismes Lrsquoauditeur prenant alors le temps drsquoexpliquer les cri-tegraveres et la proceacutedure de deacuteclaration tout en encourageant et en accompagnant le produc-teur agrave rechercher les donneacutees neacutecessaires
Cette premiegravere phase expeacuterimentale a ainsi montreacute lrsquoimportance drsquoaccompagner lesproducteurs dans la transition vers une prise en compte de lrsquoeacuteco-conception Dans cetteoptique Eco-systegravemes cherche agrave deacutevelopper une veacuteritable laquo boicircte agrave outils raquo en coheacuterenceavec les besoins des producteurs En effet Eco-systegravemes eacutetant donneacute son positionne-ment dans la filiegravere est un interlocuteur privileacutegieacute des producteurs en matiegravere drsquoeacuteco-conception Par son rocircle central et opeacuterationnel Eco-systegravemes assure une continuiteacute deseacutechanges entre fabricants et opeacuterateurs de traitements dans le but de diffuser les bonnespratiques de recyclabiliteacute des appareils De plus par lrsquoeffet des campagnes de caracteacuteri-sation 52 (permettant de quantifier et de qualifier les flux de deacutechets entrants et sortantsde la filiegravere) des visites de sites de traitements et des retours faits par les recycleurs surla recyclabiliteacute des deacutechets Eco-systegravemes a su capitaliser en connaissances Cette exper-tise est reacuteguliegraverement reacuteinvestie par lrsquoeacuteco-organisme dans diffeacuterents projets internes oude partenariat dans le but drsquoameacuteliorer les services proposeacutes aux adheacuterents Parmi les ou-tils deacuteveloppeacutes au cours de la seconde phase drsquoagreacutement Eco-systegravemes a participeacute encollaboration avec drsquoautres eacuteco-organismes ainsi que lrsquoinstitut ENSAM de Chambeacutery agravelrsquoeacutelaboration drsquoun guide bilingue en ligne laquo eco3eeu raquo qui se veut peacutedagogique et interac-tif de maniegravere agrave fournir les cleacutes drsquoune eacuteco-conception reacuteussie Le guide en ligne depuis2012 est agrave destination des producteurs au sens large (fabricants distributeurs etc) etsera ameneacute agrave eacutevoluer en fonction de lrsquoeacutevolution des technologies de recyclage et de la reacute-glementation
Cette initiative srsquoinscrit dans la strateacutegie drsquoEco-systegravemes afficheacutee pour la seconde peacute-riode drsquoagreacutement qui est de laquo contribuer agrave lrsquooptimisation de lrsquoempreinte eacutecologique desEEE dans le respect des inteacuterecircts des adheacuterents raquo (document interne) Lrsquoenjeu est claire-
52 laquo Les caracteacuterisations constituent le socle de la mesure des taux de recyclage Le principe consisteagrave peser les appareils agrave lrsquoentreacutee drsquoun centre de traitement et le poids des matiegraveres premiegraveres secondairesobtenu en sortie de traitement raquo laquo Au-delagrave du calcul des taux de recyclage et de valorisation les caracteacuteri-sations sont un instrument drsquoameacutelioration de la qualiteacute permettant de faire le point sur les extractions depolluants et drsquoidentifier les axes de progregraves pour chaque centre de traitement via un rapport personnaliseacute raquo(Eco-systegravemes 2009)
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
ment de sensibiliser et de former les producteurs agrave lrsquoeacuteco-conception Parallegravelement audeacuteveloppement drsquooutils Eco-systegravemes organise des visites de sites de traitement avec desproducteurs afin de leur faire deacutecouvrir les probleacutematiques de ces installations Ces vi-sites permettent ainsi drsquoengager des eacutechanges constructifs entre producteurs et opeacutera-teurs de traitement autour des questions de la recyclabiliteacute Le but pour lrsquoeacuteco-organismeest drsquoidentifier des leviers agrave actionner sur lesquels il pourrait apporter son soutien
Ainsi il nrsquoy a pas de reacuteelles remises en cause de la pertinence du dispositif de modu-lation seulement un besoin drsquoapprofondir son opeacuterationnalisation et drsquoeacutelargir sa couver-ture Crsquoest dans cet esprit qursquoont eacuteteacute amorceacutees les reacuteflexions pour eacutelaborer une secondephase de ce dispositif ce que nous verrons plus loin
Malgreacute les efforts agrave la fin de la seconde peacuteriode drsquoagreacutement la stagnation de la collectepersiste ainsi que le manque drsquoengagement reacuteel agrave lrsquoeacuteco-conception Ce sera confirmeacute parde nombreux rapports CNR 2015 Cour des comptes 2016 Eco-systegravemes 2014 ERP2014 UFC Que Choisir 2016 etc Cependant un deacutebut de prise de conscience de la partdes producteurs srsquoest amorceacute notamment en matiegravere drsquoefficaciteacute eacutenergeacutetique Des effortsfinanciers importants sont alors agrave preacutevoir pour la troisiegraveme phase drsquoagreacutement ce qui im-plique une mobilisation encore plus significative de lrsquoensemble des acteurs En effet dou-bler la collecte signifie eacutegalement de doubler les capaciteacutes logistiques et de traitement desDEEE et de ce fait drsquoaugmenter les contributions des producteurs Or en raison de lrsquoexis-tence de plusieurs eacuteco-organismes la filiegravere DEEE est soumise aux regravegles de la concur-rence De ce fait si un eacuteco-organisme deacutecide drsquoaugmenter de maniegravere significative sonbaregraveme drsquoeacuteco-participation il prend le risque de voir fuir certains de ses adheacuterents versles autres concurrents Par ailleurs des efforts en matiegravere drsquoeacuteco-conception inteacutegrant da-vantage les objectifs drsquoallongement de la dureacutee de vie des appareils et de recyclabiliteacutesont eacutegalement neacutecessaires de la part des producteurs Ces derniers sont ameneacutes agrave revoirle cœur mecircme de leur business model Crsquoest pourquoi les enjeux primordiaux de cettenouvelle peacuteriode drsquoagreacutement seront la recherche de la creacuteation de valeur et sa captationau sein de la filiegravere DEEE
III33 Troisiegraveme peacuteriode drsquoagreacutement (2014-2020)
Alors que le premier cahier des charges a neacutecessiteacute pregraves de trois anneacutees de concerta-tion le troisiegraveme a eacuteteacute eacutelaboreacute en seulement douze mois Apregraves une deacutecennie de discus-sions entre les parties prenantes de la filiegravere DEEE ces derniers ont appris agrave se connaicirctreet agrave comprendre les inteacuterecircts de chacun ainsi que les diffeacuterentes activiteacutes et meacutetiers Ledispositif de pilotage de la filiegravere (ie agreacutement cahier des charges etc) est de mieux enmieux inteacutegreacute par les acteurs qui y contribuent de plus en plus et de maniegravere coheacuterenteLes reacutevisions des cahiers des charges lors du renouvellement des agreacutements deviennentnaturelles Sont alors discuteacutes les eacuteveacutenements de la peacuteriode drsquoagreacutement preacuteceacutedente (ex-peacuterimentations inteacuteressantes impreacutevus divers) afin de les inteacutegrer ou non dans le nou-veau cahier des charges de la phase suivante Alors que le premier cahier des charges eacutetaitconstitueacute de sept articles le second eacutetait davantage structureacute avec ses huit chapitres et saquinzaine de pages Fort de ces anneacutees drsquoexpeacuteriences les missions des eacuteco-organismes sesont consideacuterablement eacutetoffeacutees et le cadre reacuteglementaire progressivement preacuteciseacute ce quelrsquoon peut constater agrave travers la quarantaine de pages de ce dernier cahier des charges
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
III331 Validation des expeacuterimentations de la peacuteriode preacuteceacutedente
Nous avons deacutejagrave eacutevoqueacute plusieurs mesures qui vont inteacutegrer ce troisiegraveme cahier descharges suite agrave des expeacuterimentations convaincantes En effet au-delagrave drsquoun changementdans les modaliteacutes de calcul des objectifs de collecte 53 il a notamment eacuteteacute ajouteacute des ob-jectifs de deacuteveloppement de nouveaux canaux de collecte autres que laquo le service publicde gestion des deacutechets la reprise par les distributeurs et les deacutechets provenant des eacutequi-pements non reacuteemployeacutes par les acteurs de lrsquoESS raquo (cahier des charges 2014 sectI133) Enoutre les eacuteco-organismes doivent organiser des laquo collectes de proximiteacute par apport volon-taire en eacutetroite coordination avec les collectiviteacutes territoriales raquo (cahier des charges 2014sectIII1312) Dans ce dernier paragraphe est deacuteveloppeacutee la meacutethode agrave employer appeldrsquooffres des opeacuterateurs information de proximiteacute consistant laquo au minimum en la distri-bution drsquoun document speacutecifique dans les boicirctes aux lettres raquo (reprenant lrsquoexpeacuterimenta-tion meneacutee par Eco-systegravemes) etc Il est eacutegalement preacuteciseacute qursquoun bilan sera effectueacute parlrsquoorganisme coordonnateur (ie lrsquoOCAD3E) au bout de deux anneacutees de fonctionnementCe bilan sera remis agrave la Commission Consultative drsquoAgreacutement (CCA) qui eacutemettra alors unavis sur laquo lrsquoopportuniteacute de la peacuterennisation ou lrsquoeacutevolution du dispositif notamment au re-gard de ses reacutesultats quantitatifs qualitatifs de ses coucircts et des systegravemes alternatifs decollecte dans les collectiviteacutes territoriales concerneacutees proposeacutes ou testeacutes par le ou les ti-tulaires drsquoun agreacutement raquo (ie les eacuteco-organismes) laquo Agrave la suite de ce bilan les ministegraveressignataires deacutecident drsquoune peacuterennisation ou drsquoune eacutevolution du dispositif raquo Aussi tout undispositif a-t-il eacuteteacute officiellement mis en place de faccedilon agrave soutenir et agrave pouvoir reacuteviser lesprogrammes de collectes de proximiteacute meneacutes par les eacuteco-organismes en tant qursquoexpeacuteri-mentations continues
De maniegravere geacuteneacuterale les objectifs ont eacuteteacute reacuteeacutevalueacutes atteignant des taux ambitieuxpour 2019 ce qui repreacutesente un deacutefi consideacuterable pour les eacuteco-organismes Lrsquoaugmen-tation de lrsquoobjectif de collecte a eacuteteacute accompagneacutee drsquoun nouveau peacuterimegravetre drsquoagreacutementpour les eacuteco-organismes En effet lrsquoarticle R543-173 du Code de lrsquoenvironnement preacuteciseles deacutefinitions drsquoeacutequipements meacutenagers et drsquoeacutequipements professionnels Il srsquoagit drsquounedistinction fondeacutee sur la qualiteacute de lrsquousager plutocirct que sur celle de lrsquoacheteur Ainsi lesproduits qui sont ameneacutes agrave ecirctre utiliseacutes mecircme occasionnellement en dehors du lieu detravail (tels que les ordinateurs teacuteleacutephones portables tablettes etc agrave titre de loisirs oupersonnel) dits laquo mixtes ou assimileacutes raquo entrent doreacutenavant dans le champ drsquoapplicationdes eacuteco-organismes de DEEE meacutenagers Selon une enquecircte interne drsquoEco-systegravemes en2014 cette extension reacuteglementaire concerne plusieurs milliers de producteurs ainsi quedes flux suppleacutementaires Par ailleurs afin de soutenir lrsquoaugmentation de la collecte en2014 un deacutecret drsquoapplication de la Directive europeacuteenne de 2012 (Deacutecret ndeg2014-929) preacute-voit lrsquoobligation de reprise dite laquo un pour un raquo par les distributeurs Agrave lrsquooccasion de la ventedrsquoun EEE meacutenager un appareil acheteacute permet la reprise gratuite drsquoun deacutechet de mecircmetype Ce deacutecret va plus loin en introduisant eacutegalement la reprise laquo un pour zeacutero raquo (iesans obligation drsquoachat) pour les petits eacutequipements dans les surfaces de vente de plusde 400 m2 Nous avons eacutegalement deacutejagrave eacutevoqueacute lrsquoobligation de tout gestionnaire de DEEEde contractualiser avec un systegraveme agreacuteeacute Toutes ces dispositions reacuteglementaires visent agravesoutenir les eacuteco-organismes dans lrsquoatteinte de leurs objectifs de collecte et de recyclage
53 Calculeacutes sur la base du poids total de DEEE collecteacutes et exprimeacutes en pourcentage selon la part demarcheacute de lrsquoeacuteco-organisme et non plus en poids par habitant
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
III332 Lancement de la deuxiegraveme phase du dispositif drsquoeacuteco-modulation
Outre la collecte qui reste un enjeu toujours pressant la troisiegraveme peacuteriode drsquoagreacutementintroduit une nouvelle phase plus ambitieuse dans le dispositif drsquoeacuteco-modulation intro-duit agrave la peacuteriode preacuteceacutedente Au-delagrave de lrsquoincitation agrave limiter lrsquoutilisation de substancespolluantes 54 il srsquoagit drsquoeacutetendre les critegraveres de modulation afin drsquoassurer une meilleureprise en compte de la preacutevention de la production de deacutechets degraves la conception des pro-duits Apregraves maturation des premiers critegraveres et une bonne appropriation du dispositifdrsquoeacuteco-modulation lrsquoADEME a orchestreacute une nouvelle vague de discussions entre lrsquoen-semble des parties prenantes afin de conclure sur les nouveaux critegraveres agrave adopter Cetteseconde discussion srsquoest deacuterouleacutee plus aiseacutement que la premiegravere En effet les acteurs seconnaissaient davantage et avaient une vision plus preacutecise et plus partageacutee de ce qursquoestlrsquoeacuteco-conception Cela eacutetait loin drsquoecirctre le cas lors des premiegraveres discussions Lrsquoapprochede la deuxiegraveme phase drsquoeacuteco-modulation reposait alors moins sur la confrontation que surla construction de principes et de regravegles communes
III3321 Une deuxiegraveme phase du dispositif drsquoeacuteco-modulation porteacutee par la loi ESS
Dans la ligneacutee de la Loi sur lrsquoEacuteconomie Sociale et Solidaire (dite laquo Loi ESS raquo 55) met-tant en avant la preacutevention comme objectif des filiegraveres REP les critegraveres de modulation onteacuteteacute multiplieacutes et eacutetendus En effet la Loi ESS a eu pour objectif de reacuteaffirmer le principede preacutevention au cœur des filiegraveres REP Les dispositions relatives aux REP (inteacutegreacutees agravecette loi) ont en particulier chercheacute agrave concilier plus clairement la filiegravere de recyclage avecle secteur de la reacuteparation Ce dernier est porteacute majoritairement par les acteurs de lrsquoESSPar exemple cette loi eacutetend la garantie leacutegale de conformiteacute des produits agrave deux ans demaniegravere agrave inciter les producteurs agrave concevoir des produits avec une plus longue dureacutee devie De mecircme elle rend obligatoire la communication au moment de lrsquoachat des infor-mations relatives agrave la disponibiliteacute des piegraveces deacutetacheacutees Drsquoautre part les eacuteco-organismessont deacutesormais tenus de veiller laquo agrave prendre en compte lrsquoexpeacuterience des entreprises soli-daires drsquoutiliteacute sociale agreacuteeacutees [ ] dans la gestion des DEEE meacutenagers en proposant desaccords avec ces acteurs pour la reacuteparation et la reacuteutilisation des DEEE meacutenagers raquo (cahierdes charges 2014 sectI5) Pour aller plus loin un comiteacute drsquoacteurs de lrsquoEacuteconomie Sociale etSolidaire concernant les actions de reacuteemploi et de reacuteutilisation a eacuteteacute creacuteeacute Ce comiteacute estcomposeacute laquo de maniegravere paritaire de repreacutesentants des acteurs du reacuteemploi et de la reacuteutili-sation ainsi que du (des) titulaires drsquoun agreacutement raquo (ie les eacuteco-organismes) Il a pour butdrsquoeacutetudier des probleacutematiques lieacutees au reacuteemploi et agrave la reacuteutilisation et de fixer des objectifssur ces sujets Chaque anneacutee ce comiteacute doit communiquer agrave la Commission ConsultativedrsquoAgreacutement laquo un bilan des actions et reacutesultats suivis raquo (cahier des charges 2014 sectV5)
III3322 Une filiegravere preacutecurseur avec de nouveaux critegraveres eacutetendus
Au-delagrave de la creacuteation de valeur environnementale il srsquoagit de creacuteer de la valeur so-ciale en assurant une prise en compte des acteurs de lrsquoESS dans la filiegravere et la creacuteationdrsquoemplois non deacutelocalisables Dans cette optique les critegraveres qui ont eacuteteacute retenus dans laseconde phase du dispositif drsquoeacuteco-modulation (voir sectII23 p 14-16 du cahier des charges2014) sont davantage lieacutes agrave la reacuteparabiliteacute et agrave la dureacutee de vie des EEE Les critegraveres ont
54 Limitation en reacutealiteacute deacutejagrave encourageacutee degraves 2003 par la Directive RoHs sur les substances dangereuses(Directive 200295CE)
55 Loi ndeg 2014-856 du 31 juillet 2014 relative agrave lrsquoeacuteconomie sociale et solidaire
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
aussi eacuteteacute eacutetendus agrave davantage de produits Suite agrave cette seconde phase plus de la moi-tieacute des eacuteco-participations perccedilues par Eco-systegravemes sont deacutesormais concerneacutees par unemodulation
Les critegraveres retenus dans la deuxiegraveme phase sont moins speacutecifiques agrave un produit enparticulier contrairement agrave la phase une dans laquelle les critegraveres visaient la preacutesence desubstances polluantes dans des produits cibles Ils peuvent concerner diffeacuterents produitsce qui est le cas des critegraveres de mise agrave disposition drsquoune documentation technique au-pregraves des reacuteparateurs drsquoeacutelectromeacutenagers ou encore de disponibiliteacute des piegraveces deacutetacheacuteesindispensables agrave lrsquoutilisation drsquoun EEE pendant plusieurs anneacutees Ces critegraveres mettentdavantage lrsquoaccent sur lrsquoaugmentation de la dureacutee de vie des EEE afin de mieux corres-pondre agrave la hieacuterarchie de traitement des deacutechets de vigueur 56 En reacutealiteacute il est agrave noterque certains de ces critegraveres sortent leacutegegraverement du cadre preacutevu par la loi qui preacuteconise desmodulations en fonction laquo de critegraveres environnementaux lieacutes agrave la fin de vie raquo des EEE Lecritegravere drsquo laquo inteacutegration de plastique recycleacute post consommateur raquo dans le produit neuf enest un exemple
En affichant des critegraveres eacutetendus agrave lrsquoensemble du cycle de vie la filiegravere DEEE a eacuteteacute preacute-curseur En effet crsquoest seulement derniegraverement que la Loi sur la Transition Eacutenergeacutetique asoutenu lrsquoextension des critegraveres de modulation agrave lrsquoensemble du cycle de vie lorsque perti-nent Ainsi alors que lrsquoarticle L 541-10 du code de lrsquoenvironnement ne prenait en compteque lrsquo laquo impact sur lrsquoenvironnement en fin de vie raquo suite agrave la Loi Relative agrave la TransitionEacutenergeacutetique le paragraphe IX est modifieacute comme suit laquo Les contributions financiegraveresmentionneacutees au preacutesent article et aux articles L 541-10-1 agrave L 541-10-8 sont moduleacutees enfonction de critegraveres environnementaux lieacutes agrave la conception agrave la dureacutee de vie et agrave la fin devie du produit et nrsquoentraicircnant pas de transfert de pollution vers une autre eacutetape du cyclede vie du produit raquo Cet ajustement du code de lrsquoenvironnement devrait ecirctre transcrit demaniegravere officielle dans le quatriegraveme cahier des charges de la filiegravere DEEE preacutevu en 2020sous condition de la validation de la seconde phase du dispositif drsquoeacuteco-modulation
Cette seconde phase du dispositif drsquoeacuteco-modulation paraicirct ainsi plus prometteuseque la premiegravere Toutefois elle demande un engagement nettement plus pousseacute des pro-ducteurs dans leur deacutemarche drsquoeacuteco-conception Assurer la disponibiliteacute des piegraveces deacuteta-cheacutees pendant un grand nombre drsquoanneacutees pose des questions logistiques importantes Demecircme lancer des gammes de produits utilisant du plastique recycleacute post-consommationneacutecessite au preacutealable drsquoacqueacuterir certaines connaissances et compeacutetences en la matiegravereEn effet le plastique secondaire nrsquoest pas toujours compatible avec les processus de pro-duction classique en plasturgie et peut conduire agrave une diminution des performancestechniques du produit final
III333 Renouvellement de lrsquoaccompagnement des producteurs danslrsquoeacuteco-conception
Ces difficulteacutes ont eacuteteacute bien perccedilues par Eco-systegravemes Lrsquoorganisme a chercheacute agrave pro-poser de nouveaux outils dans le but drsquoenrichir sa laquo boicircte agrave outils raquo de lrsquoeacuteco-conception agravedestination de ses adheacuterents Ainsi apregraves une phase de consultation aupregraves de ses adheacute-rents deacutebut 2012 leur demandant comment lrsquoeacuteco-organisme pouvait les aider dans une
56 Suite au deacutecret en 2014 de transposition de la directive europeacuteenne de 2012 (deacutecret ndeg2014-928)
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
deacutemarche drsquoeacuteco-conception deux grands souhaits ont eacuteteacute exprimeacutes menant agrave deux pro-jets distincts Le premier constat eacutetait un manque de donneacutees concernant les impacts etles beacuteneacutefices du recyclage Les industriels ont une maicirctrise relativement avanceacutee de lameacutethode de calcul par lrsquoAnalyse du Cycle de Vie (lrsquoACV) et ont une base de donneacutees re-lativement complegravete leur permettant de reacutealiser des ACV de qualiteacute pour les phases deproduction et drsquoutilisation En revanche ils ont beaucoup moins de connaissance pource qui concerne la fin de vie des produits Ces donneacutees sont geacuteneacuteralement eacuteparses im-preacutecises et obsolegravetes En ce sens un besoin exprimeacute eacutetait la conduite de mesures sur lesimpacts et les beacuteneacutefices du recyclage Cela en vue de la constitution drsquoune base de don-neacutees exploitable par les industriels Ce diagnostic a conduit au deacutemarrage mi-2015 drsquounprojet drsquoInventaires de Cycle de Vie (ICV) laquo fin de vie raquo qui a permis la constitution de labase attendue La base est aujourdrsquohui officielle mais non figeacutee En effet elle est ameneacuteeagrave srsquoenrichir au fil du temps (Eco-systegravemes 2015) Cet outil a neacutecessiteacute deux anneacutees detravail sans compter le temps de cadrage du projet Le projet a eacuteteacute reacutealiseacute en partenariatavec Reacutecylum eacuteco-organisme qui gegravere les lampes et co-financeacute avec lrsquoADEME
Un autre besoin a eacuteteacute identifieacute eacuteclaircir la notion de laquo recyclabiliteacute raquo (ie faciliter lerecyclage drsquoun eacutequipement en fin de vie de maniegravere agrave en augmenter sa valorisation)En effet il nrsquoexiste pas de meacutethode officielle de calcul de la recyclabiliteacute Les industrielstiennent en geacuteneacuteral des tableaux Excel et laquo bricolent raquo des mesures de maniegravere plutocirct arti-sanale Or eacutetant donneacute sa position centrale lrsquoeacuteco-organisme est en mesure de recevoir lesprobleacutematiques de recyclabiliteacute rencontreacutees par les recycleurs sur le terrain En outre ilest teacutemoin des eacutevolutions technologiques Crsquoest pourquoi Eco-systegravemes a lanceacute en mars2016 un outil le Reeecycrsquolab Il permet aux adheacuterents agrave travers leur compte membreen ligne de calculer le degreacute de recyclabiliteacute de leurs produits mis sur le marcheacute Apregravesavoir entreacute un certain nombre drsquoinformations sur un produit lrsquooutil communique au pro-ducteur un compte rendu deacutetailleacute des caracteacuteristiques de recyclabiliteacute en identifiant lespoints durs et en proposant des alternatives possibles afin drsquoameacuteliorer le taux obtenuLrsquooutil permet ainsi agrave la fois de fideacuteliser les adheacuterents et de les encourager agrave lrsquoameacuteliora-tion de la conception des produits Ce projet reacutesulte drsquoun travail de deux ans Il a mobi-liseacute diffeacuterents acteurs en interne et a eacuteteacute financeacute inteacutegralement par lrsquoeacuteco-organisme Eco-systegravemes srsquoest eacutegalement appuyeacute sur des adheacuterents volontaires dans les phases de choixdes indicateurs de conception de lrsquoarchitecture globale et enfin de tests de lrsquooutil Cet ou-til de calcul inteacuteresse particuliegraverement le centre de recherche europeacuteen le JRC (the JointResearch Center) Ce dernier a solliciteacute lrsquoexpertise drsquoEco-systegravemes en la matiegravere dans lecadre drsquoune eacutetude de faisabiliteacute sur le deacuteveloppement drsquoindices de recyclabiliteacute par ma-teacuteriaux et produits Cette deacutemarche amegravene agrave penser qursquoagrave terme la recyclabiliteacute pourraitfaire lrsquoobjet drsquoune normalisation ou drsquoune reacuteglementation
Ces projets confirment la volonteacute drsquoEco-systegravemes de deacutevelopper un axe strateacutegiquefort sur lrsquoaccompagnement de ses membres dans des deacutemarches drsquoeacuteco-conception Tou-tefois il est important de rappeler que les questions de conception sont des points strateacute-giques durs des industriels Elles relegravevent drsquoune grande confidentialiteacute Lrsquoeacuteco-organismeest conscient de lrsquoenjeu reacuteussir agrave se positionner sur la question de lrsquoeacuteco-conception detelle maniegravere agrave accompagner leurs membres en apportant de la valeur tout en preacuteservantleurs axes strateacutegiques Cet outil de calcul est un bon exemple de reacuteponse agrave une difficulteacutepartageacutee (ici celle du calcul de la recyclabiliteacute des appareils) creacuteeacute par et pour le collec-tif dans le but de faciliter les producteurs agrave reacutepondre agrave leur responsabiliteacute individuelledrsquoeacuteco-conception sans entraver leur compeacutetitiviteacute respective
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
Par ailleurs en proposant de nouveaux services lrsquoeacuteco-organisme cherche agrave fideacuteliserses adheacuterents En effet nous lrsquoavons eacutevoqueacute plus haut lrsquoaugmentation de la collecte quidoit ecirctre accentueacutee drsquoici la fin de cette troisiegraveme peacuteriode drsquoagreacutement va conduire meacutecani-quement agrave une augmentation des coucircts logistiques et de traitements Or selon un rapportdu cabinet Deloitte laquo les coucircts nets de gestion des deacutechets au sein de la filiegravere REP [sontdeacutejagrave] largement positifs (autour de 250eurotonne collecteacutee en moyenne pour les DEEE parexemple les recettes matiegraveres ne couvrant que 40 agrave 45 des coucircts opeacuterationnels) raquo (Bioby Deloitte 2014) Cette augmentation des coucircts pourrait ecirctre en partie reacutepercuteacutee surles contributions des adheacuterents au risque de les voir rompre leur adheacutesion Ainsi un en-jeu est de taille augmenter la collecte sans accroicirctre trop significativement les coucircts degestion de la filiegravere Outre lrsquoideacutee drsquoassurer la fideacutelisation des membres la cleacute repose prin-cipalement sur la creacuteation de nouvelles sources de valeur et une meilleure captation de lavaleur par les acteurs de la filiegravere officielle Dans un contexte de rareacutefaction des ressourcesnaturelles la laquo mine urbaine raquo prend ainsi une nouvelle dimension dans son potentiel decreacuteation de valeurs environnementale eacuteconomique et sociale Dans cette optique Eco-systegravemes a engageacute une nouvelle strateacutegie entre 2013 et 2016 celle de laquo porter le deacutevelop-pement de solutions de recyclage opeacuterationnelles agrave haute performance environnemen-tale sociale et eacuteconomique au beacuteneacutefice de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral raquo (document interne)
III334 Un nouveau cahier des charges pour encourager la creacuteation devaleur et lrsquoinnovation
De nouvelles missions ont fait leur apparition dans le cahier des charges des eacuteco-organismes lieacutees agrave la creacuteation de valeurs Drsquoune part la creacuteation de valeurs sociales estun point phare de cette nouvelle peacuteriode drsquoagreacutement avec entre autres la creacuteation drsquouncomiteacute des acteurs de lrsquoESS Drsquoautre part les eacuteco-organismes ne doivent plus simplementlaquo encourager raquo leurs membres agrave mener des deacutemarches drsquoeacuteco-conception mais agrave lrsquoinstardu soutien porteacute par Eco-systegravemes ils doivent deacutesormais les laquo accompagner raquo dans lamise sur le marcheacute drsquoEEE eacuteco-conccedilus Cela non seulement en termes de laquo reacuteductiondes substances dangereuses raquo laquo de facilitation de leur reacuteparation ulteacuterieure et de leur reacute-emploi et drsquoaugmentation de leur potentiel de recyclage et de valorisation raquo (cahier descharges 2009) mais eacutegalement en termes laquo drsquooptimisation de lrsquoutilisation des matiegraverespremiegraveres raquo et laquo drsquoaugmentation de la dureacutee de vie des eacutequipements raquo (cahier des charges2014)
En particulier un enjeu est celui drsquoaccroicirctre la valorisation matiegravere (ie la reacuteutilisationapregraves recyclage de la matiegravere reacutecupeacutereacutee) Une meilleure valorisation devrait en effet per-mettre drsquoaugmenter les recettes matiegraveres issues des ventes de la matiegravere recycleacutee et ainsireacuteeacutequilibrer financiegraverement la filiegravere Toutefois cela implique la creacuteation drsquoun marcheacute dela matiegravere secondaire ce qui nrsquoest pas eacutevident pour des matiegraveres complexes tels que lesmeacutetaux strateacutegiques et les plastiques issus des DEEE (voir lrsquoencadreacute pour les obstacles)De lourds investissements doivent ecirctre entrepris afin de deacutevelopper des techniques de re-cyclage innovantes
Dans cette optique deacutesormais le nouveau cahier des charges preacutevoit une dureacutee mi-nimale de contractualisation entre un eacuteco-organisme et ses opeacuterateurs disposition deacutejagravepreacutevue dans les contrats drsquoEco-systegravemes Le cahier des charges de 2014 encourage laquo lamise en œuvre contractuelle de partenariats visant agrave permettre drsquoune part un partage
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
des risques et de valeur entre le titulaire [ie lrsquoeacuteco-organisme] et les prestataires drsquoautrepart le deacuteveloppement de nouvelles technologies adapteacutees agrave la collecte ou au traitementdes DEEE raquo (cahier des charges 2014 sectVI1) En outre de la mecircme maniegravere que pour lesacteurs de lrsquoESS le paragraphe VI7 du nouveau cahier des charges preacutevoit la partici-pation de lrsquoeacuteco-organisme agrave un comiteacute drsquoorientation opeacuterationnel Il est composeacute laquo derepreacutesentants des opeacuterateurs de collecte drsquoenlegravevement et de traitement des DEEE raquo Ilsse reacuteunissent laquo pour traiter des aspects opeacuterationnels de la filiegravere des DEEE concernantces diffeacuterents membres et notamment les exigences techniques minimales ou standardstechniques de la filiegravere en matiegravere de collecte drsquoenlegravevement et de traitement des DEEE les meacutethodes de mesures du respect de ces exigences lrsquoinformation des parties prenanteset la communication opeacuterationnelle raquo Les avis du comiteacute sont laquo consultatifs et transmisaux ministegraveres signataires raquo ainsi qursquoagrave la Commission Consultative drsquoAgreacutement (CCA)
Aussi depuis le nouvel agreacutement de 2014 les eacuteco-organismes sont davantage sollici-teacutes dans la recherche et le deacuteveloppement de solutions innovantes En reacutealiteacute lrsquoactiviteacute deRecherche et Deacuteveloppement eacutetait deacutejagrave preacuteconiseacutee dans le cahier des charges de 2009 Eneffet il y avait eacuteteacute introduit une mesure phare lrsquoobligation de lrsquoeacuteco-organisme laquo agrave consa-crer en moyenne sur la dureacutee de son agreacutement au minimum 1 du montant total descontributions qursquoil perccediloit agrave des projets de Recherche et Deacuteveloppement publics [ ] oupriveacutes raquo (cahier des charges 2009 sect7 cahier des charges 2014 sectVIII3) Cependant alorsqursquoil eacutetait souligneacute lrsquoimportance drsquoengager des projets visant laquo notamment agrave reacuteduire lrsquoim-pact sur lrsquoenvironnement de la logistique drsquoenlegravevement des DEEE raquo ce nouveau cahierdes charges eacutelargit significativement les domaines de recherche concerneacutes par les eacuteco-organismes En effet le preacuteceacutedent paragraphe est modifieacute de la faccedilon suivante laquo Le titu-laire [ie lrsquoeacuteco-organisme] soutient et peut mener des eacutetudes et des projets de Rechercheet Deacuteveloppement visant notamment agrave analyser les gisements de DEEE meacutenagers deacuteve-lopper lrsquoeacuteco-conception des produits deacutevelopper et optimiser les solutions de collectede logistique et de traitement rechercher des deacuteboucheacutes pour les fractions issus du trai-tement et de faccedilon plus geacuteneacuterale visant agrave ameacuteliorer les performances eacuteconomiques en-vironnementales et sociales de la filiegravere raquo (cahier des charges 2014 sectVIII2)
III335 Les eacuteco-organismes engageacutes dans la Recherche et Deacuteveloppe-ment
Dans cette optique Eco-systegravemes a lanceacute le 11 feacutevrier 2014 une Chaire universitairede recherche et drsquoenseignement intituleacutee laquo Mines Urbaines raquo (Chaire Mines Urbaines2014) Cela en partenariat avec la Fondation Paristech ainsi que trois grandes eacutecoles Arts et Meacutetiers Chimie Paristech et Mines Paristech Lrsquoobjectif de la Chaire est de laquo contri-buer agrave la mise en œuvre drsquoun modegravele drsquoeacuteconomie circulaire respectueux des principesdu deacuteveloppement durable et profitable aux citoyens fabricants acteurs du recyclage etterritoires raquo Les missions que se sont reacuteparties les trois eacutecoles sont regroupeacutees au nombrede trois laquo deacutevelopper de nouvelles matiegraveres secondaires de qualiteacute deacutefinir de nouveauxmodegraveles eacuteconomiques pour le recyclage former les acteurs de demain raquo Notamment lesaxes de recherche prioritaires concernent lrsquo laquo optimisation de la filiegravere de recyclage desmeacutetaux strateacutegiques raquo le laquo tri comptabiliteacute et valorisation du recyclage des plastiques raquo ainsi que le laquo deacuteveloppement de nouveaux modegraveles pour lrsquoeacuteconomie circulaire raquo
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III3351 Lrsquoeacuteco-organisme un soutien aux solutions innovantes
Eco-systegravemes srsquoest engageacute agrave soutenir diffeacuterents projets meneacutes par ses prestatairesUn exemple phare est le projet meneacute en partenariat avec le producteur franccedilais SEBadheacuterent-fondateur drsquoEco-systegravemes et le recycleur Veolia partenaire industriel drsquoEco-systegravemes Il concerne la reacuteutilisation de plastique recycleacute dans des eacutequipements eacutelectro-meacutenagers neufs Ces acteurs viennent de secteurs relativement eacuteloigneacutes lrsquoun de la pro-duction alors que le second du recyclage En tant qursquoacteur pivot Eco-systegravemes a contri-bueacute agrave la bonne compreacutehension des preacuteconisations des diffeacuterentes parties Une bouclesrsquoest ainsi creacuteeacutee entre les DEEE collecteacutes par Eco-systegravemes qui sont ensuite valoriseacutes parVeolia sous forme de matiegraveres premiegraveres recycleacutees et enfin reacuteutiliseacutees par le Groupe SEBdans la production drsquoeacutequipements neufs Apregraves trois anneacutees de recherche partenarialeune premiegravere application a eacuteteacute reacutealiseacutee avec la commercialisation drsquoune centrale vapeurde la marque Rowenta partiellement produite agrave partir de plastique recycleacute Drsquoautres es-sais sont en cours Ils devraient conduire agrave la commercialisation de nouvelles applications(Veolia 2016)
Un autre exemple est le cas du traitement du verre des eacutecrans cathodiques Le verrea eacuteteacute longtemps reacuteutiliseacute en boucle fermeacutee dans la production drsquoeacutecrans similaires Ce-pendant les technologies eacutevoluant la production drsquoeacutecrans cathodiques a eacuteteacute progressi-vement remplaceacutee par celle des eacutecrans plats Ces derniers ne contiennent plus ce typede verre La probleacutematique est qursquoil existe encore un nombre significatif drsquoeacutecrans catho-diques en peacuteriode drsquousage qui vont entrer dans la filiegravere de recyclage dans les anneacutees agrave ve-nir contenant de surcroicirct du verre pollueacute aux meacutetaux lourds En conseacutequence il srsquoagit detrouver de nouveaux deacuteboucheacutes pour le verre issu de ces eacutecrans Dans cette perspectiveafin de deacutevelopper une solution industrielle innovante Eco-systegravemes a lanceacute en partena-riat avec des prestataires le projet de RampD Recyver (Eco-systegravemes 2015) Par ailleurs letraitement des nouveaux eacutecrans plats est eacutegalement un enjeu important du fait de la preacute-sence de tubes de reacutetro-eacuteclairage au mercure Bien que la quantiteacute des eacutecrans plats dans legisement de deacutechet ne soit pas encore importante elle va meacutecaniquement croicirctre dans lesanneacutees agrave venir Il est important de lrsquoanticiper Dans cette optique Eco-systegravemes participeagrave la robotisation des traitements Le but est de seacuteparer meacutecaniquement les diffeacuterentescouches constituant lrsquoeacutecran de maniegravere agrave extraire les tubes dans de bonnes conditionsUn meacutecanisme robotiseacute a eacuteteacute inaugureacute sur le site de Veolia agrave Angers
III3352 Lrsquoeacuteco-organisme acteur de la politique strateacutegique de creacuteation de valeuraux niveaux national et europeacuteen
Au-delagrave des projets deacuteveloppeacutes avec ses partenaires lrsquoeacuteco-organisme srsquoengage dansdes programmes drsquoampleur plus large agrave lrsquoeacutechelle nationale et europeacuteenne Un exempleest le WEEE Forum Il regroupe plusieurs eacuteco-organismes agrave lrsquoeacutechelle europeacuteenne dans lebut de partager des bonnes pratiques et de mener des eacutetudes en commun Cette organisa-tion a notamment conduit agrave lrsquoeacutelaboration des standards WEEELABEX qui devraient ecirctretraduites prochainement en normes CENELEC Cet organisme a aussi traiteacute la probleacutema-tique des filiegraveres illeacutegales agrave travers le projet CWIT Un autre projet phare est celui traitantde lrsquoenjeu des meacutetaux strateacutegiques le projet ProSUM (Prospecting Secondary raw ma-terials in the Urban Mine and mining waste) Ce projet a pour but de cartographier auniveau de lrsquoEurope les stocks et les flux des matiegraveres premiegraveres secondaires critiquesLrsquoideacutee est de traduire ces donneacutees agrave travers une plateforme de partage drsquoinformations etde ressources agrave destination des industriels Le but est de les informer sur lrsquoeacutetat actuel du
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
gisement de meacutetaux strateacutegiques dans les filiegraveres de recyclage afin qursquoils puissent inves-tir en connaissance de cause dans les infrastructures de recyclage et les technologiesLes donneacutees reacutecolteacutees viennent drsquoacteurs et drsquoorganismes tregraves divers Eco-systegravemes y alargement contribueacute par lrsquoeffet de ses connaissances et de ses bases de donneacutees issuesdes caracteacuterisations matiegraveres meneacutees aupregraves de ses prestataires
Le sujet des meacutetaux strateacutegiques est eacutegalement un sujet de prioriteacute national Il estporteacute par le COmiteacute des Meacutetaux Strateacutegiques (le COMES) creacuteeacute par deacutecret le 24 janvier2011 57 Cela agrave la suite de lrsquoembargo chinois reacuteveacutelant lrsquoimportance strateacutegique des terresrares Ce comiteacute a pour mission de renforcer la seacutecuriteacute drsquoapprovisionnement en meacutetauxstrateacutegiques neacutecessaire agrave la compeacutetitiviteacute durable de lrsquoeacuteconomie Cinq axes de reacuteflexionont eacuteteacute prioriseacutes dont les besoins de lrsquoindustrie les proceacutedeacutes de reacutecupeacuteration et de re-cyclage la Recherche et Deacuteveloppement en matiegravere drsquoeacuteconomies de matiegraveres et de pos-sibiliteacutes de substitution Dans ce cadre Eco-systegravemes participe activement aux diffeacuterentsgroupes de travail aupregraves drsquoautres repreacutesentants de lrsquoindustrie des EPIC experts du sec-teur ainsi que des pouvoirs publics
III336 La REP un instrument de gestion de la transition vers lrsquoeacutecono-mie circulaire
Les eacuteco-organismes sont devenus des acteurs agrave missions multiples dont la porteacutee a deacute-passeacute progressivement le seul but de la gestion des deacutechets En effet deacutesormais les mis-sions incluent les questions de la preacutevention et de la creacuteation de valeur Cette dynamiquea eacuteteacute particuliegraverement renforceacutee avec la monteacutee en puissance agrave la fin des anneacutees 2000de la probleacutematisation de lrsquoeacuteconomie circulaire Apparu pour la premiegravere fois en Francelors du premier Grenelle de lrsquoenvironnement (2007) le concept drsquoeacuteconomie circulaire estdevenu structurant Cela en particulier suite agrave la Loi sur la Transition Eacutenergeacutetique pourla Croissance Verte En effet la politique de preacutevention et de gestion des deacutechets est degraveslors probleacutematiseacutee comme un laquo levier essentiel de la transition vers une eacuteconomie circu-laire raquo (Article L541-1 Legifrance version en vigueur au 17 aoucirct 2015) Cette loi confirmelaquo lrsquoimportance donneacutee aux filiegraveres REP en France en tant qursquooutil de gestion des deacutechets raquoEn outre les filiegraveres REP agissent sur la laquo production durable raquo ainsi que laquo la consomma-tion durable raquo (ADEME 2015b) La dynamique est identique au niveau europeacuteen commeen teacutemoigne le laquo paquet eacuteconomie circulaire raquo preacutesenteacute par la Commission europeacuteenneen deacutecembre 2015 Sa partie reacuteglementaire a eacuteteacute amendeacutee par le Parlement europeacuteen enmars 2017 Ainsi en tant qursquooutils puissants au service de lrsquoeacuteconomie circulaire les fi-liegraveres REP deviennent un levier essentiel de la transition vers une socieacuteteacute plus durable objectifs ambitieux de collecte creacuteation de valeur par les objectifs de recyclage ou de va-lorisation matiegravere baisse de la pression sur les ressources naturelles etc En particulierles eacuteco-organismes prennent une dimension nouvelle en tant qursquoacteur au cœur du dis-positif de REP Ils creacuteent une interface entre les acteurs intervenant tout au long du cyclede vie du produit (Bio by Deloitte 2014) En cela selon un rapport du cabinet de conseilen environnement Bio by Deloitte au-delagrave de lrsquooffre de mutualisation que permettent leseacuteco-organismes ces derniers sont devenus des laquo tiers inteacutegrateurs raquo de lrsquoensemble desparties prenantes Aussi ont-ils un rocircle laquo primordial pour le deacuteveloppement drsquoune eacutecono-mie circulaire raquo
57 Deacutecret ndeg 2011-100 du 24 janvier 2011 portant creacuteation du comiteacute pour les meacutetaux strateacutegiques(COMES)
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
Cependant lrsquohistorique des diffeacuterentes phases drsquoagreacutement a permis de souligner lecaractegravere relativement exploratoire et encore en construction de la filiegravere DEEE et demaniegravere geacuteneacuterale de celle de la mise en œuvre du principe de REP En effet elle a eacuteteacutemarqueacutee drsquoallers-retours continus entre lrsquoexpeacuterimentation de terrain et la formalisationreacuteglementaire Conscient de ce fait degraves la confeacuterence environnementale de 2013 les pou-voirs publics avaient deacutecideacute de freiner le deacuteveloppement de nouvelles filiegraveres Le but eacutetaitde privileacutegier avant toute poursuite de lrsquoextension du principe de REP une profonde prisede recul une stabilisation et une consolidation des systegravemes en place ainsi que la reacuteali-sation de bilans globaux Par conseacutequent il est expliqueacute dans la deuxiegraveme feuille de routepour la transition eacutecologique de septembre 2013 qursquolaquo aucune nouvelle filiegravere REP ne seracreacuteeacutee agrave court terme afin de permettre collectivement lrsquoameacutelioration des pratiques et reacute-sultats des filiegraveres existantes raquo (Confeacuterence environnementale 2013)
III337 Les eacuteco-organismes comment encadrer leur puissance drsquoagir
Au fur et agrave mesure du renforcement du dispositif de REP et de la multiplication desmissions assigneacutees aux eacuteco-organismes ces derniers sont devenus en deacutefinitive la cleacute devoucircte de la gestion des deacutechets voire mecircme des acteurs cleacutes dans la transition vers unmodegravele drsquoeacuteconomie circulaire Or les initiatives engageacutees par Eco-systegravemes souligneacuteespreacuteceacutedemment pourraient ecirctre essentiellement dues agrave une direction particuliegraverementvolontariste aux aspirations environnementales et sociales En cas de changement de di-rection la strateacutegie pourrait ecirctre toute autre prioriteacute agrave la pression des actionnaires baissede la qualiteacute des traitements ce qui pourrait conduire agrave des deacuterives significatives du sys-tegraveme
Un fait reacutecent a notamment reacuteveacuteleacute agrave quel point la soutenabiliteacute du systegraveme reposaitsur les eacuteco-organismes en particuliers sur les eacuteco-organismes historiques et en situationde monopole En effet fin 2014 ERP (ie le troisiegraveme eacuteco-organisme traitant les DEEE) nrsquoapas eacuteteacute reacuteagreacuteeacute par les pouvoirs publics Ces derniers ont estimeacute que le dossier drsquoagreacutementremis en fin drsquoanneacutee ne remplissait pas toutes les conditions requises (pour lrsquoaffaire voirla revue de presse du 5 au 16 janvier 2015 de lrsquoorganisme ERP [2015]) ERP eacutetait un eacuteco-organisme relativement laquo petit raquo sur le marcheacute franccedilais compareacute aux deux autres Cela aeacuteviteacute une deacutesorganisation trop significative de la filiegravere Toutefois ce cas unique a souleveacuteplusieurs probleacutematiques encore jamais rencontreacutees en pratique En effet srsquoest poseacutee laquestion du transfert des points de collecte en cas de preacutesence drsquoautres eacuteco-organismesainsi que celle encore plus preacuteoccupante de la continuiteacute du service dans le cas ougrave ilnrsquoexisterait pas drsquoorganisme alternatif Apregraves tant de chemin parcouru et de connais-sances capitaliseacutees nous imaginons mal les autoriteacutes pouvoir suspendre voire annulerlrsquoagreacutement drsquoun eacuteco-organisme en situation de quasi-monopole tel qursquoEco-systegravemes
Eacutegalement alors que les eacuteco-organismes ont drsquoimportantes provisions pour chargesfutures venant des eacuteco-contributions srsquoest poseacutee la question du devenir de ces sommesen cas drsquoarrecirct de leur activiteacute Le fait que ces sommes puissent devenir un capital priveacuteagrave la proprieacuteteacute des producteurs a eacuteteacute fortement contesteacute La controverse est que les pro-visions proviennent de contributions payeacutees par le consommateur visant exclusivementune mission drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral la gestion des deacutechets
Un autre point souleveacute par ce non-reacuteagreacutement est celui de la gouvernance des eacuteco-organismes En France les eacuteco-organismes doivent mener des activiteacutes agrave but non lucratif
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
contrairement agrave lrsquoAllemagne Or ce qui a eacuteteacute notamment contesteacute dans lrsquoaffaire ERP estle rachat du groupe ERP par le Groupe allemand Landbell devenant ainsi actionnairemajoritaire Cette opeacuteration pouvait remettre en cause le but non lucratif de lrsquoactiviteacute delrsquoeacuteco-organisme Cela permettait notamment le reversement de dividendes agrave un action-naire eacutetranger
Cet exemple conduit agrave nuancer le potentiel de la co-reacutegulation En effet nous avonspu voir que le dispositif hybride ainsi constitueacute accordait une certaine liberteacute aux eacuteco-organismes leur permettant drsquoexpeacuterimenter et drsquoinnover Cependant dans le cas drsquoEco-systegravemes la direction nrsquoa pas changeacute depuis la mise en oeuvre de la filiegravere Lrsquoessencemecircme du projet environnemental drsquoorigine est toujours ancreacutee au plus haut niveau degouvernance de lrsquoeacuteco-organisme Cela pourrait expliquer lrsquoengagement profond observeacuteSerait-ce toujours le cas dans plusieurs deacutecennies apregraves des changements de directionIl srsquoagit de srsquoassurer que le dispositif hybride ainsi construit ne repose pas inteacutegralementsur la laquo bonne volonteacute raquo drsquoun dirigeant mais contienne en lui-mecircme des meacutecanismesautonomes drsquointeacutegration des probleacutematiques
Ce sont les craintes de concentration du pouvoir et de deacutetournements des principesoriginels de la REP qui ont conduit agrave la parution au Journal Officiel du Deacutecret ndeg2016-1890 du 27 deacutecembre 2016 laquo portant diverses dispositions drsquoadaptation et de simplifica-tion dans le domaine de la preacutevention et de la gestion des deacutechets raquo Drsquoune part ce deacutecretpreacutecise laquo les regravegles drsquooctroi des agreacutements aux eacuteco-organismes concerneacutees par les filiegraveresREP raquo (Art 1) Il renforce eacutegalement lrsquoexigence de non lucrativiteacute des activiteacutes meneacutees parles eacuteco-organismes Aussi est-il stipuleacute que laquo la gouvernance [des eacuteco-organismes] doitreacutepondre agrave lrsquoexigence de non lucrativiteacute raquo Drsquoautre part en cas drsquoarrecirct de lrsquoactiviteacute desuspension ou retrait de lrsquoagreacutement il est preacuteciseacute que les eacuteco-organismes doivent utili-ser leurs provisions constitueacutees pour charges futures pour laquo lrsquoexeacutecution des obligationscontracteacutees vis-agrave-vis des tiers dans le cadre de cette activiteacute raquo et dans le cas eacuteventuel drsquounlaquo reliquat raquo ce dernier doit ecirctre mobiliseacute dans un but non lucratif dans le cadre de contratspreacutevus avec les membres
III338 Un dispositif de gouvernance en reacutevision pour renforcer le poidsde lrsquoadministration
De maniegravere geacuteneacuterale derniegraverement pour contrecarrer lrsquoemprise de plus en plus ineacute-luctable des eacuteco-organismes sur le systegraveme ainsi constitueacute une restructuration du dispo-sitif de gouvernance de la filiegravere a eacuteteacute engageacutee Cela de faccedilon agrave reacuteeacutequilibrer les pouvoirset agrave harmoniser le pilotage des nombreuses filiegraveres existantes Cette restructuration a eacuteteacutepreacuteconiseacutee agrave travers un rapport de la Cour des comptes de feacutevrier 2016 Il stipule quelaquo compte-tenu de lrsquoimportance prise par les filiegraveres [REP] la Cour des comptes appelleagrave une eacutevolution de leur gouvernance raquo notamment en raison drsquoun manque de sanctionsdes non-contributeurs drsquolaquo une proceacutedure drsquoagreacutement peu formaliseacutee et insuffisammentrigoureuse raquo et drsquoun laquo empilement de structures raquo (ex Conseil national des deacutechetsCHMF CCA divers instances de dialogue agrave caractegravere bilateacuteral tel que le comiteacute drsquoorien-tation opeacuterationnel) entravant la gouvernance (Cour des comptes 2016) Aussi une nou-velle Commission des filiegraveres de Responsabiliteacute Eacutelargie des Producteurs a-t-elle eacuteteacute creacuteeacuteeElle remplace la Commission drsquoHarmonisation et de Meacutediation des Filiegraveres (CHMF) ainsique lrsquoensemble des Commissions Consultatives drsquoAgreacutement existantes relatives aux diffeacute-
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CHAPITRE III3 MONTEacuteE EN PUISSANCE DE LA FILIEgraveRE DEEE
rentes filiegraveres de gestion de deacutechets 58 Cette nouvelle instance comprend laquo une formationtransversale agrave lrsquoensemble des filiegraveres et des formations speacutecifiques agrave chacune drsquoelles deacute-nommeacutees formations de filiegravere raquo (Art 1er sectI) La formation transversale de la Commissioncontribue laquo agrave la meacutediation entre acteurs raquo et laquo agrave lrsquoharmonisation des filiegraveres raquo Cela enassurant laquo la coheacuterence des cahiers des charges drsquoagreacutement ou drsquoapprobation des diffeacute-rentes filiegraveres raquo (Art 1er sectVI) de maniegravere agrave identifier les communs aux filiegraveres et agrave diffuserles bonnes pratiques La commission eacutemet des avis agrave titre consultatif Ils peuvent ecirctre re-pris dans les arrecircteacutes portant les cahiers des charges des eacuteco-organismes En outre contrai-rement au fonctionnement des CCA preacuteceacutedentes en cas de vote les eacuteco-organismes demecircme que les systegravemes individuels ne peuvent plus y prendre part (Art 1er sectIX) En effetselon le compte-rendu de la Cour des comptes de feacutevrier 2016 il avait eacuteteacute constateacute quedans plusieurs filiegraveres laquo le cahier des charges [avait] eacuteteacute en grande partie inspireacute par lrsquoeacuteco-organisme raquo Cela conduisait agrave une publication souvent laquo posteacuterieure agrave la date limite dedeacutepocirct des demandes drsquoagreacutement raquo et ainsi agrave des laquo reacutedactions parallegraveles raquo entre cahiers descharges et demandes drsquoagreacutement ce qui pouvait faire obstacle agrave lrsquoentreacutee de nouveaux eacuteco-organismes (Cour des comptes 2016) Malgreacute tout le principe de co-production persistepuisque les eacuteco-organismes participent toujours aux reacuteunions courantes de la commis-sion et les syndicats de producteurs restent membres agrave part entiegravere de ces commissions
Alors que des obstacles persistent problegraveme de la collecte variabiliteacute des cours desmatiegraveres premiegraveres manque de deacuteboucheacutes deacuteseacutequilibre eacuteconomique et fuite de la va-leur manque de valorisation peu drsquoincitation agrave lrsquoeacuteco-conception etc lrsquoheure est agrave larationalisation des systegravemes de REP dans leur ensemble et agrave la question de la place agravedonner aux filiegraveres REP ainsi qursquoaux eacuteco-organismes dans lrsquoobjectif de transition versune eacuteconomie circulaire
Maintenant que la description de la construction de la filiegravere REP et de ses eacutevolutionsont eacuteteacute exposeacutes en deacutetail il srsquoagit de passer agrave leur discussion
58 Deacutecret ndeg 2015-1826 du 30 deacutecembre 2015 relatif agrave la Commission des filiegraveres de Responsabiliteacute Eacutelargiedes Producteurs
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Chapitre III4
Discussion des reacutesultats Le systegraveme deREP en pratique un dispositifdrsquoapprentissage collectif continu
Lrsquohistorique retraccedilant la mise en œuvre du principe de REP en France de la publi-cation des lois-cadres aux expeacuterimentations conduites permet de souligner lrsquoeacutevolutionsinguliegravere des systegravemes adopteacutes et de leur appropriation progressive par lrsquoensemble desacteurs concerneacutes En effet apregraves plusieurs anneacutees drsquoopeacuterationnalisation le dispositif enplace a bien eacutevolueacute par rapport au concept initial Celui-ci eacutetait focaliseacute sur des objectifsde volume et de minimisation des coucircts De maniegravere geacuteneacuterale rappelons-nous les pre-miegraveres doctrines du principe de REP eacutetablies par lrsquoOCDE agrave travers son manuel agrave lrsquointen-tion des pouvoirs publics en 2001 (cf II22) exposaient un instrument au caractegravere neacuteoli-beacuteral Elles srsquoappuyaient sur des incitations et des mesures individuelles Cette approchesrsquoest profondeacutement nourrie des expeacuterimentations meneacutees au cours des peacuteriodes succes-sives drsquoagreacutement Celles-ci ont progressivement transformer lrsquoapproche individuelle enune doctrine encourageant davantage un systegraveme collectif Bien que cette ideacutee est agrave dis-cuter au niveau europeacuteen elle reste reacuteelle en France En effet alors que la directive eu-ropeacuteenne reconnaissait simplement la possibiliteacute drsquoune organisation collective au deacutebutdes anneacutees 90 aujourdrsquohui en France tout un dispositif reacuteglementaire issu du principede REP traite speacutecifiquement du cadrage de la gestion collective des deacutechets meacutenagers(pour les deacutechets professionnels les systegravemes individuels restent privileacutegieacutes)
Par ailleurs les eacutevolutions des objectifs au cours du temps montrent une concep-tion de la mise en œuvre du principe de REP davantage processuel qursquoau deacutepart En ef-fet est apparu en pratique un aller-retour constant entre les expeacuterimentations meneacuteespar les acteurs de terrain et le cadrage reacuteglementaire venant agrave la fois soutenir les ini-tiatives innovantes et reacuteguler davantage les deacuterives observeacutees Cet aller-retour reacutegulierentre les parties prenantes notamment entre les eacuteco-organismes et les pouvoirs publicsa permis un apprentissage continu dans le temps Ce processus est illustreacute par la figureIII41 Elle permet de mettre en relief le cheminement parcouru entre ce qui est misagrave lrsquoagenda politique les expeacuterimentations meneacutees issues des strateacutegies adopteacutees par leseacuteco-organismes (ici celles drsquoEco-systegravemes) les effets observeacutes et leurs enseignements leschocs externes pouvant deacutesorganiser temporairement le systegraveme avant un ajustementreacuteglementaire et un enrichissement du cahier des charges
Ainsi cette nouvelle doctrine soutient davantage une construction laquo chemin faisant raquo
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CHAPITRE III4 DISCUSSION DES REacuteSULTATS LE SYSTEgraveME DE REP ENPRATIQUE
Elle repose sur une forme de reacutegulation hybride ou de co-reacutegulation Cette forme permetde laisser une certaine marge de manœuvre aux acteurs eacuteconomiques tout en assurantdes reacutevisions peacuteriodiques du cadre reacuteglementaire Dans cette perspective ougrave la politiquedrsquoenvironnement srsquoapparente agrave une politique drsquoinnovation lrsquoaction des pouvoirs publicsconsiste moins agrave contraindre et agrave sanctionner qursquoagrave accompagner les expeacuterimentations agraveles cadrer et agrave les recadrer en fonction des reacutesultats observeacutes (AGGERI 2000)
FIGURE III41 ndash Le processus drsquoapprentissage traduit par un enrichissement du cahier des charges
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CHAPITRE III4 DISCUSSION DES REacuteSULTATS LE SYSTEgraveME DE REP ENPRATIQUE
III41 Les eacuteco-organismes au cœur de la conduite drsquoexpeacute-rimentations continues
En tant qursquoorganismes collectifs cristallisant le principe de responsabiliteacute partageacuteedes producteurs drsquoune filiegravere les eacuteco-organismes sont des acteurs cleacutes Les reacutesultats preacute-ceacutedents exposant leur rocircle et leur place dans la filiegravere reacutesonnent particuliegraverement aveclrsquoeacutetude theacuteorique de la partie 1 (cf I524) Effectivement pendant leurs six anneacutees demandat les eacuteco-organismes sont encourageacutes agrave expeacuterimenter des solutions innovantesLrsquoexemple le plus repreacutesentatif est le dispositif drsquoeacuteco-modulation qui se construit pro-gressivement par eacutetape Les critegraveres sont agrave chaque fois deacutefinis agrave travers des proceacuteduresparticipatives impliquant lrsquoensemble des parties prenantes Les premiers critegraveres eacutetaientvolontairement simples Ils ciblaient des points durs speacutecifiques agrave lrsquoeacutelimination de ma-niegravere agrave familiariser les producteurs avec ce nouveau baregraveme Les eacuteco-organismes ont ducircdeacutevelopper un certain nombre de savoir-faire afin drsquoaccompagner leurs membres danscette deacutemarche par exemple le guide en ligne eco3e Une fois ces premiers critegraveres ap-proprieacutes par les acteurs et une fois devenus systeacutematiques la seconde phase a eacutetendu ledispositif agrave drsquoautres produits Elle a inclus de nouveaux critegraveres plus geacuteneacuteraux ciblant no-tamment davantage lrsquoallongement de la dureacutee de vie des appareils Ces derniers critegravereseacutetant plus complexes et impactant un plus grand nombre de produits les eacuteco-organismesont aujourdrsquohui pour mission de deacutevelopper une peacutedagogie encore plus efficace et per-sonnaliseacutee Cela afin que le nouveau baregraveme ne soit pas perccedilu comme une contraintetrop reacutedhibitoire par les membres Un exemple est lrsquooutil de calcul Reeecycrsquolab 59 qui per-met aux membres drsquoEco-systegravemes drsquoeacutevaluer la recyclabiliteacute des produits qursquoils mettentsur le marcheacute
Ces observations renforcent lrsquoideacutee qursquoune des activiteacutes principales des eacuteco-organismes(au-delagrave de la gestion opeacuterationnelle au quotidien) est la conduite drsquoexpeacuterimentationscontinues et de processus drsquoapprentissage collectif Cela agrave travers une approche increacute-mentale concept introduit par Charles Lindblom en 1959 et deacuteveloppeacute par Callon en2009a en analysant la constitution dynamique des marcheacutes carbone entre expeacuterimen-tation laquo in vitro raquo et laquo in vivo raquo Le fait est qursquoil est difficile de saisir des systegravemes com-plexes dans leur inteacutegraliteacute (BACHUS et SPILLEMAECKERS 2012) Les modegraveles rationnelstraditionnels de prise de deacutecision ex post ne conviennent pas dans la mesure ougrave les ac-teurs sont ameneacutes agrave adapter constamment leurs choix agrave la reacutealiteacute Les deacutecideurs poli-tiques sont de fait contraints par une rationaliteacute limiteacutee et par des jeux politiques (BEacute-RARD 2011) Dans ces conditions le changement ne peut avoir lieu que par eacutetapes suc-cessives (CALLON et collab 2001) Cela eacutetant dit lrsquoapproche increacutementale peut tout aussibien conduire sur le temps long agrave des solutions radicalement innovantes (LINDBLOM1959)
En pratique une telle approche creacutee un processus drsquoexploration ouvert au sens ougraveles objectifs et les deacutemarches peuvent eacutevoluer laquo chemin faisant raquo Ainsi au cours des der-niegraveres peacuteriodes drsquoagreacutement non seulement la politique de REP avait pour but drsquoassurerune deacutepollution du deacutechet mais peu agrave peu ont eacutemergeacute des objectifs de valorisation dela matiegravere et de creacuteation de valeur Reprenant lrsquoapproche philosophique drsquoIsaacs sur la
59 Reeecycrsquolab est un outil deacuteveloppeacute par Eco-systegravemes et mis en ligne le 1er mars 2016 Il permet auxproducteurs drsquoeacutevaluer le laquo taux de recyclabiliteacute theacuteorique raquo pour chacun de leurs produits Ce taux est deacute-termineacute en fonction des matiegraveres premiegraveres qui le composent des proceacutedeacutes drsquoassemblage choisis et delrsquoaccessibiliteacute agrave drsquoeacuteventuels composants polluants lors du recyclage
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CHAPITRE III4 DISCUSSION DES REacuteSULTATS LE SYSTEgraveME DE REP ENPRATIQUE
question de la responsabiliteacute collective (cf I35) nous observons un passage de la res-ponsabiliteacute collective reacutetrospective (ie par laquelle sont reacutetribueacutes les acteurs en fonctiondes impacts passeacutes) agrave la responsabiliteacute collective prospective (ie qui projette les res-ponsabiliteacutes dans lrsquoavenir par la mise en place drsquoobligations futures) Ainsi lrsquoenjeu desmeacutetaux strateacutegiques est devenu tregraves preacutegnant geacuteneacuterant de nouvelles explorations tech-nologiques Dans cette perspective drsquoinnovation les technologies et les organisations nepreacuteexistent pas Elles doivent ecirctre deacutecouvertes et constamment reacuteviseacutees drsquoautant plusque dans ce secteur les technologies eacutevoluent tregraves rapidement de mecircme que les prix desmatiegraveres premiegraveres Cela peut avoir un impact significatif sur lrsquoorganisation de la filiegraveretel lrsquoexemple de la fermeture de lrsquousine de recyclage de terres rares Rhodia-Solvay
Ainsi afin drsquoaccompagner les acteurs de la filiegravere DEEE diffeacuterents meacutecanismes dereacutegulation sont neacutecessaires au-delagrave des incitations eacuteconomiques des speacutecifications etdes soutiens financiers Ils doivent permettre de stimuler lrsquoinnovation tels que les modesde reacutegulation srsquoinspirant de la theacuteorie des entreprises de la connaissance voir I11 Parexemple lrsquoefficaciteacute du dispositif drsquoeacuteco-modulation est conditionneacute par la creacuteation drsquouneacutecosystegraveme favorable au deacuteveloppement du nouveau baregraveme crsquoest-agrave-dire accompagne-ment des producteurs concerneacutes sensibilisation des consommateurs deacuteveloppementdu marcheacute du recycleacute Au cours des diffeacuterents agreacutements la varieacuteteacute des meacutecanismes dereacutegulation et de soutien mis en place par les eacuteco-organismes srsquoest consideacuterablement eacuteten-due contrats speacutecifications et standards WEEELABEX audits et controcircles lignes direc-trices et outils drsquoaide support RampD modulation individuelle campagnes de communi-cation Cela de maniegravere agrave soutenir ou agrave eacutetendre des expeacuterimentations pionniegraveres ou agraveeacuteviter certaines pratiques Aussi les eacuteco-organismes sont-ils devenus de veacuteritables acteursdrsquoorientation strateacutegique des filiegraveres (Bio by Deloitte 2014)
La geacuteneacutealogie de la filiegravere DEEE a montreacute que ce processus drsquoexpeacuterimentations conti-nues pouvait ecirctre entraveacute par divers eacuteveacutenements et conduire agrave des irreacutegulariteacutes conten-tieuses (ex affaire Eco-emballage) Par conseacutequent ce processus srsquoest accompagneacute drsquouneproduction reacuteglementaire continue de maniegravere agrave soutenir et agrave guider lrsquoaction collective
III42 Production continue de regravegles
Drsquoune part le processus drsquoexpeacuterimentations continues peut ecirctre influenceacute par di-vers eacuteveacutenements tel que lrsquoimpact de nouvelles prioriteacutes politiques (ex la preacutevention)Drsquoautre part le principe de responsabiliteacute collective peut conduire agrave des eacutecarts opportu-nistes que les autoriteacutes corrigent en renforccedilant les systegravemes de controcircle et de surveillanceCes eacuteveacutenements influencent constamment le devenir de lrsquoorganisation des filiegraveres REPUn exemple est lrsquoaffaire Eco-emballage qui a conduit agrave lrsquointroduction dans la loi du rocircledu censeur drsquoEacutetat et agrave sa geacuteneacuteralisation dans toutes les filiegraveres REP Toutefois preacutecisonsqursquoun acteur au rocircle similaire eacutetait deacutejagrave preacutesent dans la filiegravere emballage
La production de nouvelles reacuteglementations peut aussi venir de lrsquoinitiative des pro-ducteurs eux-mecircmes Crsquoest le cas de lrsquointroduction de la mesure sur lrsquointerdiction de paie-ment en espegraveces de la ferraille Elle a eacuteteacute vivement porteacutee par les eacuteco-organismes En reacutea-liteacute les pouvoirs publics partagent avec les eacuteco-organismes un pouvoir de controcircle En ef-fet les cahiers des charges des eacuteco-organismes stipulent qursquoils doivent proceacuteder agrave un au-dit annuel des donneacutees deacuteclareacutees par leurs adheacuterents controcircler la qualiteacute des opeacuterationsreacutealiseacutees par leurs prestataires et avertir les producteurs non contributeurs avant de les
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CHAPITRE III4 DISCUSSION DES REacuteSULTATS LE SYSTEgraveME DE REP ENPRATIQUE
deacutenoncer aux autoriteacutes si aucune reacutegularisation nrsquoest entreprise En cela lrsquoeacuteco-organismeest le laquo bras armeacute raquo des pouvoirs publics concernant la politique de REP
Certaines reacuteglementations peuvent eacutegalement eacutemaner de lrsquoagenda politique Un exem-ple est le Grenelle de lrsquoenvironnement qui a mis sur le devant de la scegravene la question delrsquoeacuteco-conception Par la suite cette mise en avant a incontestablement influenceacute la reacute-daction des cahiers des charges avec lrsquointroduction de lrsquoeacuteco-modulation
De maniegravere geacuteneacuterale les cahiers des charges des diffeacuterentes filiegraveres REP se sont lar-gement eacutetoffeacutes au cours du temps En effet cette profusion continue de regravegles ne se res-treint pas uniquement agrave la filiegravere DEEE Des apprentissages se font inter-filiegraveres drsquoougravelrsquoeacutevolution du modegravele de gouvernance des filiegraveres dans un but drsquoharmonisation En ef-fet le regroupement des diffeacuterentes Commissions Consultatives drsquoAgreacutement sous lrsquoeacutegidedrsquoune seule Commission transversale doit permettre de favoriser les eacutechanges de bonnespratiques entre les filiegraveres et une certaine standardisation des cahiers des charges Lesexpeacuterimentations meneacutees dans les diffeacuterentes filiegraveres vont permettre drsquoenrichir une basede connaissance commune Les expeacuteriences concluantes pourront ecirctre transposeacutees se-lon la speacutecificiteacute de la filiegravere viseacutee Un exemple est la filiegravere pile qui en srsquoappuyant surlrsquoexpeacuterience meneacutee dans la filiegravere DEEE a conduit des eacutetudes pour deacuteterminer des cri-tegraveres drsquoeacuteco-modulation pertinents relatifs agrave ses propres produits
Aussi dans ce processus drsquoapprentissage la reacutegulation est une activiteacute dynamique ethybride qui a pour but de reacuteduire les coucircts de traitement de limiter les incertitudes etde promouvoir lrsquoinnovation Cette co-reacutegulation confirme des concepts eacutetudieacutes tels quele processus drsquoapprentissage continu et lrsquointeacutegration des parties prenantes neacuteanmoinselle repose sur un dispositif dynamique de responsabilisation collective original Il srsquoagitagrave preacutesent de le caracteacuteriser Cela sera une des contributions majeures de la thegravese
III43 Identification du dispositif de co-reacutegulation au ser-vice du processus drsquoapprentissage collectif
La geacuteneacutealogie de la filiegravere reacutealiseacutee preacuteceacutedemment permet de souligner lrsquoimportancedu dispositif de co-reacutegulation Il assure un aller-retour reacutegulier entre les pouvoirs pu-blics et les eacuteco-organismes Les observations permettent drsquoapporter agrave la litteacuterature surla reacutegulation un scheacutema du dispositif hybride Ce que nous observons est que le dispo-sitif de pilotage des filiegraveres REP repose sur lrsquoeacutelaboration tous les six ans drsquoun cahier descharges et drsquoun dossier drsquoagreacutement Ceux-ci engagent les eacuteco-organismes pour une peacute-riode opeacuterationnelle limiteacutee dans le temps et dans lrsquoespace par un cadre reacuteglementaireco-construit Les eacuteco-organismes sont agreacuteeacutes sous certaines conditions en cas de nonrespect leur agreacutement peut ecirctre reacutevoqueacute ou non renouveleacute comme cela a eacuteteacute le cas pourlrsquoeacuteco-organisme ERP
Ce cahier des charges deacutefinit les relations que les eacuteco-organismes doivent entreprendreet deacutevelopper pendant six ans avec les collectiviteacutes les opeacuterateurs de collecte et de traite-ment les acteurs de lrsquoESS lrsquoorganisme coordonnateur les pouvoirs publics ainsi qursquoavecleurs adheacuterents Ces relations reposent sur des contrats de caractegravere public ou priveacute (voirfigure III25)
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CHAPITRE III4 DISCUSSION DES REacuteSULTATS LE SYSTEgraveME DE REP ENPRATIQUE
La centralisation des relations au niveau de lrsquoeacuteco-organisme permet de donner de lastabiliteacute au systegraveme ce que confirme lrsquoeacutetude de Favot sur un eacuteco-organisme italien (FA-VOT 2015) cf II442 En effet la dureacutee minimale de contractualisation avec les opeacutera-teurs permet de favoriser les investissements et lrsquoinnovation De mecircme il est importantde rappeler que de maniegravere geacuteneacuterale les acteurs publics se renouvellent tregraves reacuteguliegravere-ment Or la complexiteacute du systegraveme de REP fait qursquoagrave chaque changement drsquoautoriteacute untemps drsquoadaptation et drsquoassimilation des enjeux est neacutecessaire afin de maicirctriser un tantsoit peu le dispositif Ce laps de temps peut freiner lrsquoeacutelan drsquoinnovation porteacute par les ac-teurs eacuteconomiques La preacutesence drsquoacteurs centraux pour une peacuteriode longue tels queles eacuteco-organismes permet drsquoassurer une continuiteacute des expeacuterimentations et de la miseen œuvre des politiques publiques Dans ce scheacutema la reacutegulation opeacuterationnelle est agrave lacharge des acteurs priveacutes la charge du cadrage reacuteglementaire et de la surveillance est agrave lacharge des autoriteacutes
Un autre point important du dispositif est qursquoil permet une participation de lrsquoen-semble des parties prenantes agrave travers la Commission Consultative drsquoAgreacutement (CCA)et drsquoautres sous-comiteacutes Bien que les eacuteco-organismes ne peuvent plus voter agrave la CCAsuite agrave la reacuteforme sur la gouvernance des filiegraveres REP ils peuvent toujours contribuer auxdiscussions Ainsi les expeacuterimentations meneacutees sont analyseacutees agrave travers les diffeacuterents co-miteacutes de dialogue rassemblant les parties prenantes En fonction des enseignements tireacutespar ces comiteacutes les autoriteacutes vont pouvoir introduire de nouveaux objectifs de nouvellesincitations ou de nouvelles reacuteglementations Aussi le modegravele est-il dynamique il peutecirctre reacuteviseacute peacuteriodiquement en fonction des performances observeacutees (voir figure III42)
FIGURE III42 ndash Un dispositif dynamique reacutevisable
Par conseacutequent le principe de REP a permis de conduire agrave la mise en œuvre drsquoun dis-positif drsquoexpeacuterimentations collectives source drsquoun apprentissage continu Crsquoest agrave traverslrsquoanalyse longitudinale preacuteceacutedente qursquoil est possible drsquoen reacuteveacuteler la force En reacutealiteacute la po-litique de REP ne peut ecirctre saisie agrave travers une deacutemarche classique drsquoeacutevaluation des poli-tiques publiques qui consisterait agrave veacuterifier que les reacutesultats sont conformes aux objectifsinitiaux ideacutee avanceacutee au II422 En effet les critegraveres de performance de la filiegravere ne sontpas donneacutes au deacutepart ni stables dans le temps ils se construisent agrave travers les retoursdrsquoexpeacuterience et la monteacutee en compeacutetence des acteurs Ainsi aux objectifs initiaux en ma-tiegravere de taux de collecte et de valorisation sont venus srsquoajouter des objectifs de creacuteation
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CHAPITRE III4 DISCUSSION DES REacuteSULTATS LE SYSTEgraveME DE REP ENPRATIQUE
de valeurs et drsquoinnovation
De fait agrave travers lrsquoeacutetoffement des missions assigneacutees aux eacuteco-organismes le principede REP incarne des responsabiliteacutes bien plus eacutetendues qursquoagrave lrsquoorigine Ces missions offrentde nouvelles promesses Aussi la valeur de performance de la REP eacutevolue-t-elle laquo cheminfaisant raquo Elle ne peut ecirctre mesureacutee que de faccedilon dynamique En effet lrsquoeacutevaluation de laperformance du principe de REP est un processus collectif dont le reacutesultat reste provisoireet qui ne peut ecirctre deacutetacheacute du processus lui-mecircme ce qui en explique la difficulteacute au re-gard des politiques publiques classiques Nous proposons de deacutepasser la conception tregravesmeacutecaniste de lrsquoeacutevaluation consistant agrave la recherche des reacutesultats et des effets Cela pourcomprendre lrsquoeacutevaluation comme un laquo agir eacutevaluatif raquo dans lequel laquo lrsquoeacutevaluation srsquoaccom-plit [ ] dans la dynamique mecircme de lrsquoaction raquo srsquoimposant alors comme un laquo processuscreacuteateur de valeurs raquo (CHANUT 2010) Pour Veacuteronique Chanut dans cette nouvelle ac-ception laquo eacutevaluer nrsquoeacutequivaut pas tant agrave mesurer des performances qursquoagrave faire eacutemerger etconverger les repreacutesentations et les valeurs construites dans lrsquoaction raquo (CHANUT 2010)Crsquoest dans la mecircme ideacutee que Franccedilois Vatin agrave travers un ouvrage collectif interroge ladistinction analytique entre lrsquo laquo eacutevaluation raquo qui deacutesigne lrsquoensemble des opeacuterations parlesquelles une valeur est associeacutee agrave un bien et la laquo valorisation raquo qui traduit la constitu-tion de la valeur (VATIN 2009) Il questionne ainsi lrsquohypothegravese drsquoune double nature de lavaleur eacuteconomique Michel Callon propose alors de retenir la notion de valuation laquo pourdeacutesigner lrsquoensemble des reacutecits meacutecanismes dispositifs outils qui constituent les valeurset simultaneacutement mettent en place leur mesure raquo (CALLON 2009b) Bien que ces auteursinterrogent en particulier la laquo valuation marchande raquo (ie laquo un processus qui qualifie desbiens et qui agrave chaque eacutetape de ce processus attribue agrave leurs qualiteacutes ainsi constitueacuteesune valeur moneacutetaire qui rend possible le calcul de prix relatifs raquo) cette notion de laquo va-luation raquo permet eacutegalement de traduire ce que devrait ecirctre un dispositif drsquoeacutevaluation drsquounsystegraveme de co-reacutegulation
Par ailleurs au-delagrave de permettre une ameacutelioration des compeacutetences et des savoirstechniques le processus drsquoexpeacuterimentations continues a eacuteteacute saisi par les pouvoirs pu-blics pour responsabiliser les acteurs eacuteconomiques de maniegravere progressive En effet leprincipe de REP en tant que laquo technique politique raquo de gouvernement a permis drsquoamorcerun processus de responsabilisation des acteurs Lrsquoeacutetude de la filiegravere DEEE nous permet agravepreacutesent de retracer ce processus de responsabilisation et drsquoen proposer les principes
III44 Modeacutelisation du processus de responsabilisation dansla filiegravere DEEE
La co-reacutegulation en œuvre permet un apprentissage continu entre acteurs priveacutes etpublics Cela maintient un ajustement dynamique du modegravele de REP au cours du tempsDans le processus la responsabiliteacute assigneacutee aux producteurs est elle-mecircme ameneacutee agraveeacutevoluer En effet depuis la mise en œuvre des premiegraveres filiegraveres REP en France le conceptde responsabiliteacute est devenu de plus en plus consistant eacutetendant nettement son champdrsquointervention Cela srsquoobserve par la diversification des missions des eacuteco-organismes ins-crites dans les cahiers des charges successifs
La geacuteneacutealogie preacuteceacutedente nous permet de distinguer trois laquo acircges raquo de la responsabiliteacuteen reacutefeacuterence aux laquo acircges raquo drsquoEwald [NEUBERG et collab 1997 p14] Ces acircges se juxtaposent
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CHAPITRE III4 DISCUSSION DES REacuteSULTATS LE SYSTEgraveME DE REP ENPRATIQUE
au fur et agrave mesure de leur eacutemergence Agrave travers ces acircges ce qui fait commun entre les ac-teurs eacutevolue (voir figure III43) En effet chaque acircge fait intervenir des acteurs diffeacuterentsavec un degreacute drsquoimplication qui varie selon ce qui fait commun
FIGURE III43 ndash Les acircges successifs de la responsabiliteacute dans la construction de la filiegravere DEEE enFrance
Juste apregraves lrsquoeacutetape introductive de la responsabiliteacute qui permet aux pouvoirs publicsde deacutefinir ce qui fait commun vient lrsquoacircge de la responsabiliteacute de la reacuteparation (de la pol-lution par les deacutechets) Ce premier acircge repose sur une logique de volume et drsquoeacuteconomiedrsquoeacutechelle ougrave ce qui est rechercheacute est le partage et la reacuteduction des coucircts Ce qui fait alorscommun est la neacutecessiteacute de construire les bases drsquoun reacuteseau de gestion des deacutechets decouverture national reacutepondant agrave lrsquourgence environnementale drsquoougrave la creacuteation drsquoorga-nismes collectifs
Vient ensuite lrsquoacircge de la responsabiliteacute de la preacutevention Cet acircge repose sur une lo-gique drsquoapprentissage collectif La recherche de la qualiteacute devient une prioriteacute communeDans cette optique lrsquoexpeacuterimentation permet de constituer une base de connaissancescommune qui est discuteacutee au sein de lieux drsquoeacutechanges collectifs Ces espaces se sont enoutre constitueacutes autour des organismes collectifs en raison de leur position cleacute dans lachaicircne de valeur
Enfin plus reacutecemment lrsquoacircge de la responsabiliteacute de la creacuteation de valeur et de lrsquoinno-vation a eacutemergeacute Cette responsabiliteacute conduit agrave de nouvelles logiques de partenariats etde soutiens agrave la compeacutetitiviteacute dans lesquelles la captation et le partage de la valeur sontdes enjeux communs
Ces laquo acircges raquo ne se substituent pas les uns aux autres ils se chevauchent En effet drsquounepeacuteriode agrave lrsquoautre lrsquoaccent est mis sur de nouvelles questions Cela creacutee un changement dedominante (AGGERI 2005) non une rupture En outre nous pouvons remarquer que ceslogiques successives nrsquoappellent pas agrave un mecircme degreacute de solidariteacute dans le partage dela responsabiliteacute Cette solidariteacute progressive dans le collectif est justement une conseacute-
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CHAPITRE III4 DISCUSSION DES REacuteSULTATS LE SYSTEgraveME DE REP ENPRATIQUE
quence du processus de responsabilisation
III45 Caracteacuterisation de lrsquoeacutevolution des degreacutes de solida-riteacute
Les logiques issues des laquo acircges raquo de la responsabiliteacute reposent sur le principe de soli-dariteacute collective agrave des degreacutes varieacutes En effet la logique de volume et de reacuteduction descoucircts appelle agrave moins de profondeur dans la solidariteacute collective que celle de lrsquoapprentis-sage collectif La raison en est que la structuration du reacuteseau de collecte et de traitementrepose inteacutegralement sur une logique drsquoeacuteconomie drsquoeacutechelle reacutealiseacutee par la centralisationdes responsabiliteacutes au niveau des eacuteco-organismes
De la mecircme maniegravere ces deux logiques sont moins exigeantes en matiegravere de solida-riteacute que la logique de partenariat En effet alors que lrsquoimplication individuelle des pro-ducteurs eacutetait peu rechercheacutee dans la logique de partage des coucircts elle devient un enjeuessentiel dans un laquo acircge raquo de creacuteation de valeur et drsquoinnovation collective Aussi le pro-ducteur doit-il personnellement srsquoinvestir dans le common purpose 60 qui lie les acteursdu groupe entre-eux en preacutefeacuterant par exemple lrsquoachat de plastique recycleacute Le but drsquouneforte solidariteacute est de deacutemultiplier le potentiel de la filiegravere
Cependant la creacuteation de valeur collective srsquoaccommode mal avec les strateacutegies com-peacutetitives de captation de la valeur Par conseacutequent au-delagrave drsquoun simple rocircle de mutua-lisation lrsquoeacuteco-organisme a un rocircle drsquoanimation de la filiegravere au service du maintien et durenouvellement du common purpose En ce sens lrsquoeacuteco-organisme incarne le rocircle drsquoin-termeacutediaire dans la coheacutesion des acteurs permettant de deacutevelopper la confiance unfacteur cleacute agrave la base de cette eacutevolution de la solidariteacute (cf I523 et I524)
III46 Articulation des responsabiliteacutes individuelle et col-lective
Le partage de la responsabiliteacute est un principe fragile menaceacute par les strateacutegies op-portunistes et les conflits drsquointeacuterecircts Comme lrsquoanalyse de Mancur Olson lrsquoa montreacute plusle nombre drsquoacteurs et leur heacuteteacuterogeacuteneacuteiteacute est grande plus lrsquoaction collective est menaceacuteepar des comportements de passagers clandestins ou opportunistes qui jouissent des beacute-neacutefices de lrsquoaction sans y participer (OLSON 1965) Srsquoassurer que la strateacutegie collectiveest accepteacutee par le collectif et compatible avec les objectifs publics est une mission per-manente des eacuteco-organismes leur agreacutement est en jeu
Nous avions avanceacute au I35 qursquoil nrsquoexistait pas tant de contradiction entre mettre enœuvre une organisation collective et aspirer agrave une responsabiliteacute individuelle Cela degraves
60 Notion introduite au paragraphe I36 par la citation drsquoIsaacs (2014) insistant sur lrsquoimportance de creacuteerdu lien entre les acteurs drsquoun groupe dont lrsquo laquo organisation collective ne se distingue pas au preacutealable natu-rellement raquo Le laquo common purpose raquo se manifeste par le partage drsquoune mecircme compreacutehension drsquoun objectifcommun et drsquointentions collectives qui peuvent diffeacuterer des inteacuterecircts pris individuellement Ou dit autre-ment le comprendre comme laquo une eacutethique commune raquo permettant de laquo servir de guide agrave lrsquoaction indi-viduelle raquo (NEUBERG et collab 1997 p10) Le terme cherche agrave deacutepasser celui drsquo laquo objectif commun raquo cedernier eacutetant geacuteneacuteralement reacuteduit agrave la seule dimension de performance de la filiegravere tels que les objectifs decollecte de recyclage etc
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CHAPITRE III4 DISCUSSION DES REacuteSULTATS LE SYSTEgraveME DE REP ENPRATIQUE
lors que lrsquoon distinguait la responsabiliteacute financiegravere de la responsabiliteacute opeacuterationnelleAu regard du cas de la filiegravere DEEE il est possible drsquoaller plus loin dans lrsquoanalyse En effetnous avons pu observer qursquoen pratique la responsabiliteacute collective relative au principede REP se mettait en place en deux eacutetapes Dans un premier temps il srsquoagit de construireune filiegravere opeacuterationnelle assurant lrsquoenlegravevement et le traitement des deacutechets au coucirct leplus bas La responsabiliteacute collective repose alors sur une logique de volume et de reacuteduc-tion des coucircts dans laquelle la recherche de mutualisations fait sens pour des raisonsdrsquoeacuteconomie drsquoeacutechelle Il se produit une deacuteleacutegation de responsabiliteacute donnant naissance agravedes organismes collectifs tels que les eacuteco-organismes Dans un second temps alors quelrsquoobjectif drsquoincitation agrave lrsquoeacuteco-conception semble srsquoopposer agrave la logique collective il srsquoagitpour les eacuteco-organismes agrave la fois drsquoaccroicirctre la creacuteation de valeur par lrsquoinnovation collec-tive et de reacute-individualiser la responsabiliteacute afin drsquoinciter plus directement le producteuragrave lrsquoeacuteco-conception de ses produits
En cela la filiegravere DEEE nous a permis drsquoidentifier plusieurs meacutecanismes permettantde reacuteintroduire la responsabiliteacute individuelle dans le systegraveme collectif sans pour autantgeacuteneacuterer un surtri pour de tels exemples se reacutefeacuterer au paragraphe II4212
mdash les incitations eacuteconomiques (telle lrsquoeacuteco-modulation)
mdash les outils drsquoaide aux producteurs afin de les guider dans les ameacuteliorations possibles(tel le calculateur Reeecycrsquolab qui permet drsquoeacutevaluer le taux de recyclabiliteacute drsquoun ap-pareil)
mdash la mise en relation des producteurs avec des recycleurs afin drsquoidentifier les pointsdurs de la recyclabiliteacute ou encore avec des fournisseurs de matiegraveres recycleacutes afin dedeacutevelopper de nouveaux marcheacutes (tel que le projet entre SEB et Veolia concernantla reacuteutilisation de plastique recycleacute)
Ainsi les eacuteco-organismes produisent des communs reacuteseaux logistiques espaces drsquoeacutechangeguides outils connaissances savoir-faire etc Cela dans le but de fideacuteliser leurs membreset de maintenir leur engagement dans le common purpose lui-mecircme en eacutevolution selonles laquo acircges raquo de la responsabiliteacute Ce processus de construction permet de montrer com-ment se met en place en pratique la co-existence (identifieacutee dans la premiegravere partie dela thegravese) entre la responsabiliteacute laquo individualiste raquo porteacutee par les producteurs dans leurengagement agrave contribuer agrave leur niveau agrave la filiegravere et la responsabiliteacute laquo altruiste raquo porteacuteepar les eacuteco-organismes consistant agrave laquo se porter garant drsquoun autre raquo (NEUBERG et collab1997 p64)
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Chapitre III5
Discussion de la co-reacutegulation commepratique instituante du commun deacutechet
Cette thegravese traite la co-reacutegulation en tant que pratique performative et non du pointde vue traditionnel ostensif par lequel les acteurs adhegraverent agrave des regravegles deacutejagrave deacutetermineacuteesstructurant la socieacuteteacute (LATOUR 1984) En drsquoautres termes la valeur de la co-reacutegulation nedoit pas ecirctre consideacutereacutee en principe mais agrave travers la pratique par lrsquoobservation appli-queacutee de la dynamique des effets Drsquoautant plus que pour les eacuteconomistes et les juristesclassiques la co-reacutegulation est relativement difficile agrave expliquer par la theacuteorie En effetnous avons deacutejagrave discuteacute dans la premiegravere partie des limites des modegraveles traditionnelsreposant sur des meacutecanismes drsquoincitation individuelle face aux enjeux neacutecessitant uneaction collective Dans ces modegraveles il est fait lrsquohypothegravese drsquoagents neacuteo-classiques jouis-sant drsquoune rationaliteacute parfaite sensibles aux signaux eacuteconomiques et reacuteglementaires per-mettant une approche preacutedictive et theacuteorique de la reacutegulation
Cependant comme nous avons pu le voir consideacuterer la pratique de la co-reacutegulationdans le secteur des deacutechets en France permet de reacuteveacuteler les dynamiques sous-jacentesnon perccedilues de premier abord telles que lrsquoactiviteacute de creacuteation de communs En particu-lier cette pratique apparaicirct ecirctre un systegraveme adaptable et reacutevisable approprieacute pour traiterdes situations complexes et incertaines pour lesquelles lrsquointervention publique est diffi-cile agrave concevoir mettre en œuvre et controcircler
En reacutealiteacute la performativiteacute de ce modegravele deacutepend de la capaciteacute des acteurs agrave constru-ire au-delagrave des meacutecanismes de responsabiliteacute individuelle un cadre de gestion collectivedes deacutechets reposant sur un common purpose ayant pour but de reacuteduire les laquo bads raquo etde valoriser les laquo goods raquo Cette responsabilisation est rendue possible agrave travers la co-reacutegulation et ses principes telle laquo une praxis instituante eacutetablissant les regravegles de lrsquousagecommun et de son prolongement dans un usage instituant proceacutedant agrave la reacutevision reacutegu-liegravere de ces mecircmes regravegles raquo (DARDOT et LAVAL 2015) Le cas pratique a de ce fait reacuteveacuteleacute lafaccedilon dont la co-reacutegulation a permis drsquoouvrir laquo un certain espace en deacutefinissant les regraveglescommunes de son fonctionnement raquo et comment au-delagrave laquo de lrsquoacte par lequel un com-mun est creacuteeacute raquo elle soutient laquo dans la dureacutee raquo laquo une pratique qui doit srsquoautoriser agrave modifierles regravegles qursquoelle a elle-mecircme eacutetablies raquo Selon les auteurs Dardot et Laval une telle pra-tique est la laquo praxis instituante raquo En ce sens laquo la pratique instituante est donc une pratiquede gouvernement des communs par les collectifs qui les font vivre raquo (DARDOT et LAVAL2015) Agrave la diffeacuterence que dans le cas des deacutechets les pouvoirs publics ont un rocircle toutaussi essentiel dans lrsquoinstitution du common purpose que les collectifs qui le font laquo vivre raquo
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CHAPITRE III5 DISCUSSION DE LA CO-REacuteGULATION COMME PRATIQUEINSTITUANTE DU COMMUN DEacuteCHET
(ie les eacuteco-organismes)
En se basant sur lrsquoapproche pragmatique des DEEE le but est alors de proposer unmodegravele de la co-reacutegulation Dans cette optique nous avons deacutejagrave souligneacute lrsquointeacuterecirct desprincipes drsquoOstrom concernant la gouvernance des ressources communes Toutefois lesecteur des DEEE a permis de reacuteveacuteler des diffeacuterences majeures entre ce qui fait communagrave travers le principe de REP et les ressources communes drsquoOstrom Tout drsquoabord le com-mon purpose dans le secteur des deacutechets est creacuteeacute par lrsquoEacutetat puisque lrsquointeacuterecirct communnrsquoest pas directement perceptible par les acteurs Deuxiegravemement les deacutechets et les pro-bleacutematiques concernant leur gestion sont en constante transformation Cela conduit agravedes changements fortement impreacutevisibles Par conseacutequent un enjeu pressant est le main-tien et le renouvellement du common purpose par lrsquoarticulation entre responsabiliteacutes col-lective et individuelle Ces constats permettent de proposer un modegravele dynamique de laco-reacutegulation ce qui fait lrsquoobjet drsquoune contribution majeure de la thegravese
III51 Les principes de la gouvernance des ressources na-turelles appliqueacutes aux DEEE un modegravele agrave compleacute-ter
Rappelons tout drsquoabord les huit principes drsquoOstrom sur la gouvernance des ressourcesnaturelles (I44) Ces principes sont les suivants
1 Les limites sur la ressource et sur les droits drsquoexploitation sont clairement deacutefiniesCe principe introduit aussi la notion drsquousagers de la ressource crsquoest-agrave-dire le groupedrsquoindividus qui a inteacuterecirct agrave geacuterer efficacement la ressource
2 Une adaptation des regravegles drsquoutilisation aux conditions et aux obligations locales
3 Des dispositifs de participation des usagers aux choix collectifs et agrave la deacutefinition desregravegles opeacuterationnelles
4 Un systegraveme de surveillance de la ressource dans lequel les surveillants rendent com-pte aux usagers ou sont les usagers eux-mecircmes
5 Des sanctions graduelles en fonction de la graviteacute et du contexte de lrsquoinfractionUne des cleacutes du succegraves est que ce sont les usagers eux-mecircmes qui deacutecident dessanctions et non pas des autoriteacutes exteacuterieures
6 Des meacutecanismes rapides et bon marcheacute de reacutesolution des conflits
7 Une reconnaissance minimale par les autoriteacutes externes du droit agrave srsquoauto-organiseret des regravegles qui sont issues de cette auto-organisation
8 Lrsquoexistence de plusieurs niveaux de regravegles et drsquoinstitutions imbriqueacutees
Agrave lrsquoaune de ce qui a eacuteteacute vu jusqursquoagrave preacutesent il est inteacuteressant drsquoappliquer tel quel lesprincipes drsquoOstrom agrave la filiegravere DEEE (voir tableau III51) Le but est de justifier lrsquoideacuteeque les deacutechets relegravevent bien de lrsquoordre du commun ce qui constitue une contributionconceptuelle originale
Anne-Sophie Meacuterot agrave travers sa thegravese sur la gouvernance de la filiegravere DEEE (MEacuteROT2014) avait proceacutedeacute au mecircme paralleacutelisme Selon elle le dispositif de REP de la filiegravere
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CHAPITRE III5 DISCUSSION DE LA CO-REacuteGULATION COMME PRATIQUEINSTITUANTE DU COMMUN DEacuteCHET
Deacutefinition de la ressource etde ses membres
Les metteurs sur le marcheacute sont deacutesigneacutes responsablespar lrsquoEacutetat Leurs objectifs et peacuterimegravetre drsquoaction sont speacute-cifieacutes dans un cahier des charges
Coheacuterence entre les regravegles etla nature de la ressource
Les regravegles et objectifs deacutependent de la nature des deacutechets(dangerositeacute valeur volume etc)
Participation des utilisateurs Existence de la commission drsquoagreacutement dans laquelleparticipent les parties prenantes agrave lrsquoeacutelaboration et agrave la reacute-vision des cahiers des charges (et drsquoautres comiteacutes)
Systegraveme de surveillanceCenseur drsquoEacutetat audit par une partie tiers compte renduannuel observateur de la filiegravere (ADEME)Controcircle des membres et des opeacuterateurs (WEEELABEX)par les eacuteco-organismes
Graduation des sanctions Les sanctions sont preacutevues par le cahier des charges(amende de 30 000euro ou retrait drsquoagreacutement)
Instances de reacutesolution desconflits
Les contentieux peuvent ecirctre traiteacutes agrave travers la commis-sion des filiegraveres ou faire face agrave la justice peacutenale ou admi-nistrative
Reconnaissance des autori-teacutes
Tout systegraveme de gestion des deacutechets doit ecirctre habiliteacute parlrsquoEacutetat LrsquoEacutetat deacutefinit un cadre reacuteglementaire dans lequelune certaine marge de manœuvre existe
Organisation des regravegles enplusieurs niveaux de com-munauteacutes
Le cahier des charges organise les relations entre les par-ties prenantes en mettant au cœur du systegraveme les eacuteco-organismes
TABLEAU III51 ndash Les principes de gestion des ressources communes drsquoOstrom appliqueacutes agrave la filiegravereDEEE
DEEE permet bien drsquoidentifier les principes de deacutefinition de la ressource de participa-tion aux choix collectifs et agrave la deacutefinition des regravegles et de reconnaissance par les autori-teacutes
En effet la gestion des deacutechets est attribueacutee aux metteurs sur le marcheacute des produitsarriveacutes en fin de vie De plus le facteur de deacutelimitation de la ressource repose sur lesconditions de traccedilabiliteacute du deacutechet Une bonne traccedilabiliteacute des flux permet de recenserdes donneacutees cleacutes quantiteacutes mises sur le marcheacute quantiteacutes collecteacutees et traiteacutees etc Celapermet de deacutefinir des objectifs aux acteurs concerneacutes Meacuterot souligne eacutegalement le fac-teur lieacute agrave la deacutefinition mecircme du deacutechet Un produit usageacute remis directement agrave un acteursolidaire nrsquoest pas un deacutechet crsquoest un don De la mecircme maniegravere un produit usageacute venduagrave un intermeacutediaire en dehors de la filiegravere de gestion des DEEE nrsquoest pas un deacutechet Undeacutechet au sens juridique du terme est un produit usageacute dont se deacutefait volontairementlrsquoutilisateur aux points de collecte de la filiegravere DEEE (agrave lrsquoexception des points de collectedeacutedieacutes au reacuteemploi)
Par ailleurs le principe de participation du collectif est largement observeacute En effetnous constatons une co-construction de la filiegravere entre les diffeacuterentes parties prenantes agravetravers de multiples lieux drsquoeacutechanges groupes de travail comiteacutes Commission Consul-tative drsquoAgreacutement etc Ces instances permettent agrave chacun drsquoexprimer ses inteacuterecircts danslrsquoeacutelaboration des regravegles encadrant le dispositif
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CHAPITRE III5 DISCUSSION DE LA CO-REacuteGULATION COMME PRATIQUEINSTITUANTE DU COMMUN DEacuteCHET
Enfin le principe de reconnaissance des autoriteacutes de lrsquoauto-organisation est dans laco-reacutegulation un point essentiel Drsquoailleurs il ne nous paraicirct pas suffisamment marqueacutedans les principes drsquoOstrom En effet dans le cas des filiegraveres REP les pouvoirs publics nese limitent pas agrave une reconnaissance minimale des producteurs agrave lrsquoauto-organisation ilslrsquoencouragent en deacutefinissant un cadre reacuteglementaire agrave lrsquointeacuterieur duquel les expeacuterimen-tations sont possibles Le cahier des charges est lrsquoacte permettant par la suite de rendrereacuteglementaire les ideacutees nouvelles co-conccedilues entre les parties prenantes (par exemple lescritegraveres drsquoeacuteco-modulation) Qui plus est les pouvoirs publics ont un pouvoir supeacuterieur agravecelui confeacutereacute dans les principes drsquoOstrom en tant que garant du droit agrave la simple exis-tence des organismes collectifs ou individuels
En revanche selon Meacuterot deux principes ne sont pas respecteacutes par le dispositif deREP le principe des sanctions graduelles ainsi que le principe de meacutecanismes laquo rapides raquoet laquo bon marcheacute raquo de reacutesolution des conflits En effet concernant le premier les sanctionsenvers les eacuteco-organismes sont soit trop peu dissuasives (amende de 30 000euro) ou soit tropdommageables pour lrsquoensemble du systegraveme (retrait de lrsquoagreacutement) De ce fait il nrsquoexistepas drsquoeacutechelle gradueacutee de sanctions De plus contrairement au principe drsquoOstrom qui sou-ligne le rocircle des acteurs reacuteguleacutes dans la deacutecision des sanctions et lrsquoabsence des autoriteacutesexteacuterieures dans le cas de la filiegravere DEEE les sanctions sont deacutefinies par la loi Concernantles producteurs non contributeurs (ie les laquo passagers clandestins raquo agrave la filiegravere) ce sont leseacuteco-organismes qui ont dans un premier temps le devoir de rappeler les responsabiliteacutesde chacun par lettre recommandeacutee dans le but drsquoune simple reacutegularisation du produc-teur En lrsquoabsence de reacuteponse un dossier est constitueacute et envoyeacute au ministre chargeacute delrsquoenvironnement Ce dernier peut alors prononcer une amende administrative laquo dont lemontant tient compte de la graviteacute des manquements constateacutes et des avantages qui ensont retireacutes raquo mais qui ne peut exceacuteder un certain seuil (Article L541-10 du code de lrsquoenvi-ronnement sectIII) Ainsi la reacutegularisation des non contributeurs repose sur une proceacutedurerelativement gradueacutee et partageacutee entre les autoriteacutes et les eacuteco-organismes Toutefois ilresterait agrave savoir si le montant maximal est reacuteellement dissuasif et si les amendes sonteffectivement appliqueacutees
Concernant le second principe eacutevoqueacute Meacuterot rappelle que lrsquohistoire de la filiegravere amontreacute des reacutesolutions de conflits difficiles demandant lrsquointervention drsquoarbitres externestelle que lrsquoautoriteacute de la concurrence pour eacuteclaircir des situations complexes entre opeacute-rateurs de traitement et eacuteco-organismes En reacutealiteacute la complexiteacute reacuteside principalementdans la qualification des meacutecanismes juridiques agrave deacuteployer En effet en tant qursquoacteurhybride partageacute entre Droit commercial et Droit administratif les conflits concernantles eacuteco-organismes peuvent relever du Tribunal Administratif ou du Tribunal peacutenal Cettedistinction nrsquoest pas tregraves claire Elle a conduit agrave des proceacutedures complexes de renvois entreTribunaux de Grande Instance (TGI) et Tribunaux Administratifs (TA) (Gossement avo-cats 2016)
Enfin concernant les principes de coheacuterence (entre les regravegles et la nature de la res-source) de surveillance et de niveaux de communauteacutes ceux-ci ne sont pas traiteacutes parAnne-Sophie Meacuterot
Drsquoune part ce qui peut tout de mecircme ecirctre souleveacute concernant le point sur la coheacute-rence est la faccedilon dont le principe de REP srsquoest deacuteployeacute de maniegravere diffeacuterente selon la
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nature du deacutechet concerneacute Ainsi la filiegravere emballages est geacutereacutee par un eacuteco-organisme detype financier et non opeacuterationnel Une raison parmi tant drsquoautres de cette diffeacuterence estla nature mecircme des deacutechets qui sont bien moins complexes que les DEEE Aussi la miseen œuvre du principe de REP srsquoadapte-t-elle au type de deacutechet traiteacute
Drsquoautre part la surveillance du systegraveme est un point essentiel sur lequel repose la per-tinence des reacutevisions continues Dans la filiegravere DEEE la surveillance est partageacutee entreles acteurs priveacutes et publics En effet elle est reacutealiseacutee agrave la fois par les eacuteco-organismes eux-mecircmes qui doivent auditer leurs membres et leurs prestataires ainsi que par les autoriteacutesagrave travers le censeur drsquoEacutetat et les instances drsquoobservation tels que lrsquoADEME
Enfin le principe sur lrsquoorganisation des regravegles en plusieurs niveaux de communauteacutesest agrave rapprocher agrave la reacutecente phase de rationalisation de la gouvernance des filiegraveres REPCelle-ci preacutevoit la creacuteation drsquoune commission des filiegraveres REP constitueacutee drsquoune formationtransversale et de formations speacutecifiques agrave chacune des filiegraveres
Toutefois cette analyse ne permet pas de rendre compte de lrsquoensemble du processusde responsabilisation Aussi nous proposons de nous appuyer sur les principes drsquoOstromsur la gouvernance des ressources communes afin de les compleacuteter dans le but de tra-duire les actions nouvelles de creacuteation et de renouvellement du commun sans oublierun autre facteur qui est lrsquoimportance du rocircle des pouvoirs publics En effet dans le cas dela creacuteation des filiegraveres REP et de leur gestion deux rocircles majeurs semblent se deacutegager ce-lui des pouvoirs publics en tant qursquoinstigateur du commun et celui des eacuteco-organismesen tant qursquoanimateur de la filiegravere
III52 Contribution majeure (1) les nouveaux principesde creacuteation et de renouvellement des communs parla co-reacutegulation
III521 Les nouveaux principes de la co-reacutegulation
Le tableau III52 propose sept principes de la co-reacutegulation regroupeacutes en trois pointsprincipaux
Les trois premiers principes traduisent lrsquoactiviteacute de creacuteation de ce qui fait communainsi que du collectif agrave engager dans le processus de responsabilisation Le quatriegravemeprincipe traite de la constitution drsquoun acteur cleacute permettant drsquoassurer la poursuite et lerenouvellement du commun Le cinquiegraveme souligne la place centrale de lrsquoorganisme col-lectif orchestrant lrsquoimplication des diffeacuterentes parties prenantes Enfin les deux derniersprincipes reprennent les ideacutees de reacutevisabiliteacute du systegraveme et de la neacutecessiteacute de lrsquoexistencede sanctions Bien que deacutejagrave preacutesents dans les travaux drsquoOstrom nous mettons davantagelrsquoaccent sur la dynamique du systegraveme ainsi que sur la leacutegitimiteacute drsquointervention des pou-voirs publics
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CHAPITRE III5 DISCUSSION DE LA CO-REacuteGULATION COMME PRATIQUEINSTITUANTE DU COMMUN DEacuteCHET
Creacuteation par les partenaires(Eacutetat entreprise etc) de cequi fait commun et ducollectif agrave engager
(1) Selon leurs compeacutetences des acteurs sont deacutesigneacutescollectivement responsables pour reacutepondre agrave une probleacute-matique drsquointeacuterecirct geacuteneacuteral(2) Un processus de responsabilisation srsquoenclenche avecune premiegravere phase drsquoexploration et de neacutegociation entreles partenaires(3) Une responsabiliteacute partageacutee est alors deacutefinie et carac-teacuteriseacutee par lrsquoassignation drsquoune mission preacutecisant les ob-jectifs et les engagements reacuteciproques
Constitution drsquouneorganisation collective agravemission
(4) La mission peut ecirctre deacuteleacutegueacutee agrave une organisation col-lective qui agit au nom de ses membres et qui doit pour-suivre le common purpose et le renouveler(5) Lrsquoorganisation a une structure de gouvernance impli-quant lrsquoensemble des parties prenantes et a une influencesur les regravegles auxquelles elle est soumise
Possibiliteacute de reacutevisions dumodegravele et de renforcementde lrsquointervention publique
(6) Les objectifs et la mission attribueacutes agrave lrsquoorganisationsont reacutevisables selon les reacutesultats et les problegravemes ob-serveacutes sur le terrain et selon les objectifs de lrsquoaction pu-blique(7) Lrsquointervention publique peut ecirctre neacutecessaire en cas dedeacuterives de lrsquoauto-organisation si deacutelits drsquoopportunismesi non atteinte des objectifs si preacutesence de passagersclandestins qui menacent lrsquoaction collective
TABLEAU III52 ndash Les nouveaux principes de la co-reacutegulation
III522 Discussion des nouveaux principes de la co-reacutegulation creacutea-tion drsquoune laquo figure drsquoacteur raquo
Ce modegravele theacuteorique issu de lrsquoobservation semble montrer une capaciteacute agrave eacuteviter lespiegraveges du pendant neacuteolibeacuteral de la responsabiliteacute individuelle ou de lrsquoapproche reacutega-lienne classique dans les contextes instables caracteacuteriseacutes par de fortes incertitudes in-terdeacutependances et innovations Ce modegravele repose manifestement sur deux acteurs lespouvoirs publics en tant que garant de lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et les eacuteco-organismes en tantqursquoanimateur des filiegraveres REP En reacutealiteacute lrsquoincitation agrave la creacuteation et au partage de la va-leur et agrave lrsquoengagement de lrsquoindividu dans le collectif deviennent des enjeux cleacutes alorsqursquoils eacutetaient secondaires dans les principes drsquoOstrom sur la gouvernance des ressourcesnaturelles En ce sens le reacutecit a permis de souligner le rocircle cleacute des eacuteco-organismes dans lrsquoanimation de la filiegravere le maintien et le renouvellement du common purpose la conti-nuiteacute de la politique de REP la capitalisation des connaissances la veille reacuteglementaire ettechnologique la monteacutee en puissance en termes drsquoefficaciteacute et de qualiteacute de la filiegravere lecontrocircle et la surveillance des producteurs et des opeacuterateurs la creacuteation de communs etc
Par conseacutequent un point agrave relever est la force de leacutegitimation de ce nouvel acteurqui srsquoest progressivement imposeacute dans le scheacutema de la filiegravere En effet le rocircle de lrsquoeacuteco-organisme et sa place dans la filiegravere DEEE nrsquoont cesseacute de srsquoaffiner depuis les textes reacutegle-mentaires drsquoorigine Leur rocircle et leur place se sont deacutefinis laquo chemin faisant raquo agrave travers lacapaciteacute des eacuteco-organismes agrave proposer des solutions concregravetes Au fil du temps il est
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CHAPITRE III5 DISCUSSION DE LA CO-REacuteGULATION COMME PRATIQUEINSTITUANTE DU COMMUN DEacuteCHET
indeacuteniable que les eacuteco-organismes sont devenus de nouvelles laquo figures drsquoacteurs raquo (HAT-CHUEL et WEIL 1992) doteacutees de logiques autonomes ceci reste observable dans drsquoautresfiliegraveres telle que celle des emballages mais pas forceacutement dans toutes Le reacutecit reacutevegravele queles eacuteco-organismes de la filiegravere DEEE ne sont pas des laquo meacuteta-organisations raquo tradition-nelles servant uniquement de laquo voix commune raquo en repreacutesentant leurs membres aupregravesdes instances de reacutegulation (cf I525) Ce sont en reacutealiteacute des laquo meacuteta-organisations raquo avecune eacutepaisseur singuliegravere non reacuteductible agrave la somme des inteacuterecircts de leurs membres Ceciest notable du fait drsquoune certaine prise de distance entre les enjeux de lrsquoeacuteco-organisme etceux des membres qui est intrinsegraveque agrave la construction du systegraveme collectif
En effet les producteurs en adheacuterant agrave un eacuteco-organisme deacutecident de deacuteleacuteguer unepartie de leurs responsabiliteacutes notamment la responsabiliteacute opeacuterationnelle de la collecteet du traitement des deacutechets tout en conservant leur part de responsabiliteacute dans lrsquoeacuteco-conception Les enjeux lieacutes agrave la structuration de la filiegravere sont ainsi devenus des sujetsrelativement peacuteripheacuteriques aux preacuteoccupations courantes des producteurs En conseacute-quence il existe un espace libre entre la mise en application du dispositif reacuteglementairede la filiegravere et lrsquoagenda direct des producteurs dans lequel se sont investis pleinementles eacuteco-organismes devenant ainsi de veacuteritables acteurs agrave part entiegravere Cet espace est desurcroicirct plus ou moins important selon le type de deacutechet concerneacute Par exemple dansla filiegravere VHU il nrsquoexiste pas drsquoeacuteco-organisme La raison principale est le fait drsquoun eacutequi-libre eacuteconomique naturel de la filiegravere ne neacutecessitant pas de meacutecanisme financier collec-tif Dans le cas des DEEE les probleacutematiques eacutetant nombreuses et complexes les enjeuxdrsquoingeacutenieacuterie de filiegravere sont drsquoautant plus insaisissables par des acteurs non speacutecifiquesPar conseacutequent les eacuteco-organismes ont deacuteveloppeacute une identiteacute distincte une capaciteacutedrsquoaction ainsi que des strateacutegies propres agrave mecircme de reacutepondre aux missions reacuteglemen-taires et drsquoavoir une vision prospective des enjeux
Cette eacutemancipation des eacuteco-organismes par rapport agrave leurs membres peut faire pen-ser agrave la configuration du sceacutenario de la theacuteorie drsquoagence dans laquelle un acteur le laquo prin-cipal raquo deacutelegravegue agrave un laquo agent raquo certaines de ses missions impliquant alors une deacuteleacutegationde pouvoir Cette theacuteorie place la deacutetention de lrsquoinformation et son partage au cœur deson analyse En effet elle suppose que la deacuteleacutegation est associeacutee agrave une imperfection delrsquoinformation au profit de lrsquo laquo agent raquo (ie lrsquo laquo agent raquo possegravede plus drsquoinformations que lelaquo principal raquo lui permettant drsquoagir dans son propre inteacuterecirct)
Effectivement dans son meacutemoire de recherche Anna Aulakoski eacutetudie le principe dulaquo principal-agent raquo dans le cadre des relations entre les eacuteco-organismes en tant qursquo laquo ag-ents raquo et leurs membres les laquo principaux raquo (AULAKOSKI 2012) Lrsquoeacutetudiante commence parsoulever qursquoen tant que repreacutesentants des producteurs il y a un risque qursquoune fois bieneacutetablis les eacuteco-organismes cherchent agrave faire valoir leurs propres inteacuterecircts Afin de rendrecompte de la reacutealiteacute elle analyse le cas de lrsquoopeacuterateur de teacuteleacutephonie Nokia Il est membrede diffeacuterents eacuteco-organismes notamment en Finlande Suegravede et au Royaume-Uni Agrave tra-vers cette eacutetude empirique Aulakoski relegraveve qursquoil y a en reacutealiteacute bien un consensus entreles objectifs strateacutegiques des eacuteco-organismes et les attentes de leurs membres et que lepartage drsquoinformations est suffisant Ses divers entretiens permettent en somme de sou-ligner la satisfaction globale des producteurs dans leur contrat avec les eacuteco-organismes
Notre identification du processus drsquoapprentissage collectif qui a accompagneacute le deacuteve-loppement des relations entre eacuteco-organismes et leurs membres permet drsquoexpliquer ce
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CHAPITRE III5 DISCUSSION DE LA CO-REacuteGULATION COMME PRATIQUEINSTITUANTE DU COMMUN DEacuteCHET
constat En effet srsquoil y a consensus crsquoest moins le fait que lrsquo ldquoagentrdquo (ie lrsquoeacuteco-organisme)agit conformeacutement aux inteacuterecircts des membres que le fait qursquoil soit arriveacute agrave convaincre lesmembres de la pertinence de sa strateacutegie En veacuteriteacute le processus drsquoapprentissage a per-mis de produire de nouvelles connaissances modifiant ainsi les objectifs et les attentes dedeacutepart De plus les producteurs eacutetant agrave lrsquoorigine de la creacuteation des eacuteco-organismes et lagouvernance leur eacutetant obligatoirement attribueacutee le partage drsquoinformations est effective-ment reacutealiseacutee Cela nrsquoest pas assureacute dans les pays ougrave la gouvernance des eacuteco-organismesest libre notamment au Royaume-Uni point sur lequel nous reviendrons dans la partie 5
En reacutealiteacute dans cette analyse lrsquoauteure omet de consideacuterer la complexiteacute de la pro-bleacutematique agrave laquelle font face les acteurs En effet dans les situations drsquoinnovation ougraveles objets de gouvernement ne sont pas stables il est plutocirct question drsquoincertitudes par-tageacutees (AGGERI 1999) et moins drsquoasymeacutetrie de lrsquoinformation le ldquoprincipalrdquo lui-mecircmene sachant pas neacutecessairement quelle strateacutegie adopter Lrsquoenjeu est alors moins drsquoinci-ter les acteurs agrave partager lrsquoinformation que de conduire des apprentissages collectifs afinde deacutevelopper des connaissances communes Par ailleurs la relation principal-agentrenvoie agrave une vision hieacuterarchiseacutee non repreacutesentative du lien entre eacuteco-organisme et pro-ducteurs ce dernier reposant davantage sur des relations de ldquoprescriptions reacuteciproquesrdquo(HATCHUEL 1994 [AGGERI 1999]) ou drsquoapprentissages croiseacutes
En ce sens la theacuteorie ldquoprincipal-agentrdquo ne permet pas de rendre compte des dyna-miques de lrsquoaction collective et du processus de creacuteation (AGGERI 1999) En effet cettetheacuteorie repose sur une approche davantage statique faisant lrsquohypothegravese que les ldquoprinci-pauxrdquo ont des inteacuterecircts constitueacutes connus ex ante Toutefois la question peut se poser silrsquoeacutetat des connaissances devient mature Dans ce cas ceux ayant effectivement identifieacutesune nouvelle source drsquoenrichissement pourraient vouloir la garder cacheacutee afin drsquoen beacuteneacute-ficier exclusivement (AGGERI 1999)
Par ailleurs le modegravele theacuteorique permet de confirmer les diffeacuterents sens du processusde responsabilisation identifieacutes par Salles (2009) [cf I34] que sont une laquo technique degouvernement raquo par laquelle lrsquoEacutetat suscite une activiteacute de commun laquo une reacuteponse col-lective aux difficulteacutes de gouvernabiliteacute des situations marqueacutees par lrsquoincertitude et lesrisques raquo agrave travers une dimension exploratoire assumeacutee et enfin ce qursquoil vient tout justedrsquoecirctre discuteacute un laquo processus de construction identitaire raquo avec la creacuteation de nouvellesfigures drsquoacteurs
Enfin agrave ce stade de maturiteacute de la structuration de la filiegravere il est leacutegitime de se de-mander si le dispositif ainsi construit ne serait pas qursquoun reacutegime transitoire La veacuteriteacuteest que tant que les probleacutematiques restent complexes et eacutevolutives il paraicirct parfaite-ment pertinent de maintenir un reacutegime hybride agrave lrsquoagenda dynamique En revanche si lecontexte venait agrave se stabiliser (maturiteacute drsquoun marcheacute de la matiegravere secondaire par exemple)une privatisation progressive aurait probablement un sens Ou au contraire si des deacute-rives fermement condamnables ou des reacutesultats largement insuffisants venaient agrave ecirctreobserveacutes une intervention plus contraignante des pouvoirs publics serait assureacutement leacute-gitimeacutee
Preacuteciseacutement si lrsquoon reprend la logique drsquointernalisation des externaliteacutes agrave lrsquoorigine duprincipe de REP on peut supposer que lrsquoeacutetape ultime de la responsabilisation est queles acteurs soient capables drsquointeacuterioriser systeacutematiquement les enjeux preacutevenant auto-
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CHAPITRE III5 DISCUSSION DE LA CO-REacuteGULATION COMME PRATIQUEINSTITUANTE DU COMMUN DEacuteCHET
matiquement les deacuterives drsquoeux-mecircmes agrave travers une forme drsquoauto-reacutegulation Dans unetelle situation lrsquointervention publique ne serait plus neacutecessaire On peut alors en deacuteduireqursquoun critegravere de reacuteussite du processus de responsabilisation selon lrsquoEacutetat serait la creacutea-tion effective drsquoun commun garantissant une veacuteritable coheacutesion entre les acteurs dans lagestion et le respect de leurs responsabiliteacutes
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Conclusion de la partie 3
Le travail de cadrage theacuteorique effectueacute dans les premiegraveres parties de la thegravese a per-mis dans cette troisiegraveme partie de mieux comprendre in fine les pratiques observeacutees etde theacuteoriser le potentiel du dispositif en termes de capaciteacute drsquoapprentissage et de pro-cessus de responsabilisation Les enjeux de pilotage et de gouvernance ont ainsi pu ecirctresouligneacutes De mecircme les questions initiales de creacuteation et de captation de valeur de mo-degraveles drsquoinnovation et drsquoarticulation entre responsabiliteacutes individuelle et collective ont eacuteteacuteexploreacutees
Au-delagrave de la politique de gestion des deacutechets le dispositif de REP permet de catalyserles cadres juridiques drsquoen produire du sens avec les acteurs et de les interpreacuteter De cefait en matiegravere de politique publique le dispositif de REP est une logique innovante reacuteveacute-latrice drsquoune nouvelle forme drsquointervention de lrsquoEacutetat ougrave il srsquoagit drsquoaffirmer lrsquoautonomie desacteurs et de creacuteer les conditions de leur aventure collective dont lrsquohorizon reste vague eten continuelle construction
La logique de responsabilisation opeacuterationnaliseacutee par la co-reacutegulation qui adhegravere lesacteurs autour drsquoun common purpose srsquoapparente ainsi agrave une veacuteritable technique poli-tique de gouvernement dont les applications vont bien au-delagrave de la probleacutematique degestion des deacutechets Par exemple dans le domaine du jeu drsquoargent srsquoest poseacutee eacutegalementla question de la responsabilisation collective des opeacuterateurs En effet dans ce secteureacuteconomique la logique de la gouvernance des conduites est devenue centrale suite agrave despolitiques reacutepressives inefficaces (TRESPEUCH 2016) (cf I49) Le cas de la crise financiegraverede 2007 agrave 2010 a eacutegalement montreacute des similariteacutes dans la probleacutematisation des respon-sabiliteacutes en jeu et notamment dans la question de la dilution de responsabiliteacute (NICOL2016)
Encore plus proche de notre actualiteacute on peut penser agrave la filiegravere agricole franccedilaise ensituation de faiblesse face agrave la grande distribution et aux filiegraveres industrielles La preacuteoc-cupation commune est de preacuteserver une agriculture locale de qualiteacute agrave un prix drsquoachataccessible tout en eacutetant plus reacutemuneacuterateur pour les agriculteurs Pour se saisir de cet en-jeu commun il srsquoagit drsquoengager un processus de responsabilisation des acteurs ayant unpouvoir de changement crsquoest-agrave-dire probablement les industriels de la grande distribu-tion Ce collectif une fois deacutesigneacute pourrait envisager lrsquoeacutelaboration de regravegles de distribu-tion et de partenariat co-construites avec les parties prenantes agriculteurs industriesagroalimentaires eacutelus consommateurs restauration collective etc
Toutefois en revenant aux objectifs initiaux de la REP il est incontestable qursquoagrave ce stadeles promesses initiales ne sont pas inteacutegralement remplies En effet alors que le premierobjectif relatif agrave la structuration drsquoune filiegravere de gestion des deacutechets a eacuteteacute indeacuteniablementhonoreacute le second procircnant le respect de la hieacuterarchie des traitements objectif cleacute pour
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CONCLUSION DE LA PARTIE 3
assurer la transition vers une eacuteconomie circulaire est encore trop faiblement observeacute
Il est notoire que la gestion collective a permis des eacuteconomies drsquoeacutechelle significativesdans la gestion des deacutechets et la recherche de nouveaux deacuteboucheacutes assurant une effi-cience de conseacutequence Toutefois cela a conduit en contrepartie agrave une deacuteresponsabili-sation des acteurs dans leurs engagements individuels agrave la recherche de nouveaux modesde creacuteation de valeur respectant la hieacuterarchie de traitement des deacutechets Le fait est alorsque la gestion collective agrave lrsquoeacutechelon national a du sens pour lrsquoactiviteacute de recyclage la preacute-vention telle que lrsquoeacuteco-conception relegraveve davantage de lrsquoinitiative des producteurs
En cela lrsquoanalyse sur la solidariteacute collective a permis de souligner que la logique decreacuteation de valeur et drsquoinnovation ne pouvait effectivement pas reposer exclusivementsur lrsquoengagement des eacuteco-organismes mais impliquait neacutecessairement une participationplus active des adheacuterents Il reste manifeste que les eacuteco-organismes proposent continuel-lement de nouveaux outils et services permettant agrave leurs membres de srsquoinvestir davantageet de maniegravere plus sucircre dans la transition vers une eacuteconomie circulaire Toutefois au re-gard des reacutesultats qui tardent agrave arriver il est leacutegitime de se demander si ces actions sontsuffisantes
Bien que lrsquoon invoque des raisons macro-eacuteconomiques ou geacuteneacuteriques pour expliquerla difficulteacute drsquoune transition vers une eacuteconomie circulaire crise des matiegraveres premiegraveres absence de marcheacutes deacutefaut de reacuteglementations adapteacutees preacutedominance de la socieacuteteacutede consommation etc il existe eacutegalement de nombreuses raisons plus contingentes etlocales largement meacuteconnues Elles neacutecessitent drsquoeacutetudier les micro-dynamiques de lacreacuteation de valeur au niveau des entreprises Ce agrave quoi va srsquoattacher la quatriegraveme par-tie de la thegravese
Le but eacutetant de reacutepondre aux questions concregravetes ci-dessous
mdash Quelles sont les implications reacuteelles de la transition vers un business model circu-laire au niveau de lrsquoentreprise
mdash Quelles sont les logiques de creacuteation de valeur Quels en sont les obstacles
Ces analyses preacuteliminaires vont permettre ensuite de mettre en eacutevidence les condi-tions drsquoeacutemergence et de soutien de nouveaux business models circulaires
mdash Quelles formes drsquoingeacutenierie sont neacutecessaires pour soutenir le deacuteveloppement drsquoin-novations et de nouveaux business models circulaires
mdash Quel rocircle peuvent alors prendre les eacuteco-organismes dans la transition des modegraveleseacuteconomiques au niveau des entreprises
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Quatriegraveme partie
La creacuteation de valeur dans la filiegravere DEEE
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Chapitre IV1
Lrsquoeacuteconomie circulaire
Les parties preacuteceacutedentes nous ont ameneacute agrave nous inteacuteresser en particulier au principede la responsabiliteacute collective Srsquoest alors imposeacute un acteur cleacute lrsquoeacuteco-organisme en tantqursquoanimateur drsquoune filiegravere de gestion des deacutechets assumant la responsabiliteacute reacuteglemen-taire de ses membres face au gouvernement Nous avons ainsi theacuteoriseacute la relation depouvoir entre les eacuteco-organismes et lrsquoEacutetat en proposant un modegravele dynamique de la co-reacutegulation Suite agrave cela nous faisons le constat de lrsquoenjeu essentiel pour une reacuteelle transi-tion vers une eacuteconomie circulaire qui est aujourdrsquohui agrave lrsquoagenda politique et pour laquellele principe de REP a fait preuve drsquoun certain potentiel Cet enjeu est lrsquoengagement indivi-duel des producteurs dans la reacutealisation concregravete de strateacutegies drsquoeacuteconomie circulaire auniveau de lrsquoentreprise
En fait nous verrons que la mise en œuvre de modegraveles eacuteconomiques circulaires de-mande aux producteurs de faire face agrave de nombreuses difficulteacutes qui ne peuvent ecirctre reacuteso-lues isoleacutement Lrsquoeacuteco-organisme apparaicirct de nouveau comme un acteur central pertinentpour soutenir les producteurs dans une telle transition de modegravele eacuteconomique Aussidans cette quatriegraveme partie nous allons nous inteacuteresser particuliegraverement agrave lrsquoactiviteacute eacuteco-nomique au niveau des entreprises et aux soutiens potentiels que peuvent apporter leseacuteco-organismes agrave leurs membres
Dans cette optique nous allons dans un premier temps nous inteacuteresser agrave la notiondrsquoeacuteconomie circulaire son origine ses promesses et les difficulteacutes de mise en œuvreen pratique Lrsquoeacuteconomie circulaire est un modegravele eacuteconomique qui repose sur la valori-sation de la valeur reacutesiduelle des biens Par opposition le systegraveme lineacuteaire abandonneune grande partie de cette valeur pour privileacutegier la production de produits neufs ce quiassure une rentabiliteacute plus sucircre agrave court terme Cette impreacutegnation de la logique lineacuteaireet court-termiste est un reacuteel frein au deacuteveloppement de modegraveles plus durables qui neacuteces-sitent une reacuteflexion systeacutemique des chaicircnes de valeur et cela sur le temps long Le tempsminimum neacutecessaire est la dureacutee de vie drsquoun produit ce qui peut repreacutesenter jusqursquoagrave plu-sieurs dizaines drsquoanneacutees pour du gros eacutelectromeacutenager de qualiteacute Aussi creacuteer de la va-leur agrave partir drsquoune deacutemarche de circulariteacute repreacutesente pour les entreprises un facteur derisque dans un monde en hyper concurrence ougrave la quecircte de profit agrave court terme srsquoimposeEn outre capter la valeur creacuteeacutee agrave lrsquointeacuterieur drsquoune chaicircne de valeur longue et complexe estun autre enjeu des modegraveles circulaires
Pour expliquer la maniegravere dont les entreprises creacuteent et captent de la valeur un ou-til suscite lrsquoengouement des praticiens et des chercheurs crsquoest celui du Business Model
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CHAPITRE IV1 LrsquoEacuteCONOMIE CIRCULAIRE
(BM) qui fait lrsquoobjet du second chapitre de cette quatriegraveme partie Apregraves avoir expliqueacutelrsquoorigine et les inteacuterecircts de lrsquooutil BM pourquoi et comment il est utiliseacute quels sont leseffets etc nous verrons qursquoeacutemerge une forme speacutecifique de BM Cette forme le BusinessModel Circulaire (BMC) porte au cœur de sa strateacutegie lrsquoeacuteconomie circulaire Le conceptde BMC fera lrsquoobjet du chapitre trois
Le BMC a pour enjeu de deacutepasser la logique lineacuteaire et de court terme afin de deacuteve-lopper des modegraveles eacuteconomiques plus durables fondeacutes sur la circulariteacute des flux Crsquoestun enjeu particuliegraverement difficile pour les grandes entreprises deacutejagrave eacutetablies au sein drsquounmarcheacute mature Par ailleurs nous verrons dans ce troisiegraveme chapitre un autre challengedans la laquo circularisation raquo de lrsquoeacuteconomie Ce challenge est la creacuteation drsquointerdeacutependancesfortes entre acteurs de la chaicircne de valeur le deacutechet de lrsquoun devenant le produit drsquounautre Ces interdeacutependances conduisent agrave la creacuteation de nouvelles relations et agrave la trans-formation des activiteacutes des acteurs Afin drsquoillustrer ces enjeux nous nous appuierons surlrsquoexemple de la filiegravere des Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques Agrave ce jourcette filiegravere est en cours drsquoeacutevolution avec des logiques de creacuteation de valeur varieacutees plus oumoins affranchies du modegravele lineacuteaire et de la vision court-termiste Alors que le BM est unoutil traditionnellement centreacute sur lrsquoactiviteacute de lrsquoentreprise prise isoleacutement ces exemplesmettront en avant lrsquoimportance du caractegravere collectif de la creacuteation de valeur dans le casdrsquoun BMC La valeur se creacutee collectivement agrave travers lrsquoeacutetablissement de relations durablesentre acteurs de secteurs diffeacuterents Afin de caracteacuteriser ces relations nous introduironsune nouvelle notion celle drsquolaquo EcoSystegraveme drsquoAffaires (ESA) raquo
Ainsi la difficulteacute pour les entreprises est de se deacutetacher agrave la fois drsquoune vision court-termiste et drsquoune reacuteflexion laquo firmo-centreacutee raquo pour adopter une deacutemarche plus inteacutegranteen ayant une approche systeacutemique des enjeux lieacutes aux nouveaux modegraveles circulaires decreacuteation de valeur Comment accompagner les entreprises dans de telles deacutemarches Lequatriegraveme chapitre srsquointeacuteressera alors aux meacutethodes pour geacuteneacuterer des BMC
La plupart de ces meacutethodes visent agrave accompagner les entreprises dans la geacuteneacuterationdrsquoideacutees innovantes agrave travers la modeacutelisation de processus collectifs drsquoinnovation En re-vanche peu de litteacuterature existe sur lrsquoaccompagnement des acteurs dans lrsquoexpeacuterimenta-tion de BMC en pratique agrave travers des projets pilotes par exemple Afin de deacutevelopperce point nous nous reacutefeacutererons au domaine des start-ups dans lequel lrsquoexpeacuterimentationest une deacutemarche intrinsegraveque agrave la logique de lrsquoentrepreneur Toutefois ces deacutemarchessont-elles adaptables au cas des grandes entreprises deacutejagrave eacutetablies au sein drsquoun marcheacuteclassique Pour eacuteclairer cette interrogation lrsquoensemble de ce chapitre sera illustreacute par uncas empirique du secteur de lrsquoeacutelectromeacutenager mettant en scegravene deux projets drsquoeacutecono-mie circulaire porteacutes par le Groupe SEB Lrsquoeacutetude approfondie de ces exemples de mise enœuvre de BMC a eacuteteacute tregraves riche en enseignements Il souligne lrsquoimportance drsquoaccompagnerles expeacuterimentations dans la construction drsquoun BMC
Les enseignements ont eacuteteacute discuteacutes dans le sixiegraveme et septiegraveme chapitre de cette qua-triegraveme partie Le septiegraveme chapitre preacutesente aussi une succession de propositions visantagrave soutenir le deacuteveloppement et la diffusion des BMC dont le rocircle cleacute des eacuteco-organismes
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CHAPITRE IV1 LrsquoEacuteCONOMIE CIRCULAIRE
IV11 Eacutemergence de diffeacuterents concepts face agrave la limite delrsquoeacuteconomie classique
Le modegravele eacuteconomique dominant est une eacuteconomie lineacuteaire organiseacutee par la succes-sion suivante extraction des matiegraveres premiegraveres production de biens agrave partir de celles-ci consommation puis abandon par lrsquousager La soutenabiliteacute eacuteconomique et environ-nementale de ce modegravele lineacuteaire est aujourdrsquohui fortement remise en question par diffeacute-rents rapports drsquoexpertise Ces rapports soulignent la limitation des ressources naturellesla saturation des deacutecharges et la pollution lieacutee agrave lrsquoeacutelimination ainsi que les tensions surcertains marcheacutes de matiegraveres premiegraveres (EEA 2015 FEM 2012b) En reacutealiteacute le modegravelelineacuteaire repose sur une logique de volume qui a conduit agrave une seacuterie drsquoimpasses (DALLE-MAGNE 2014) En effet il srsquoagit de produire toujours davantage afin de vendre toujoursplus Or la consommation accrue des matiegraveres premiegraveres entraicircne une rareacutefaction desressources naturelles et de surcroicirct une augmentation des coucircts de production En outrecette augmentation des coucircts est accompagneacutee par une pression sur les prix agrave la venteengendreacutee par une concurrence forte et mondialiseacutee Par ailleurs la consommation demasse a atteint ses limites du fait drsquoune saturation des taux drsquoeacutequipements tel lrsquoeacutelectro-meacutenager dans les meacutenages Les marges eacutetant ainsi comprimeacutees la strateacutegie de volumequi consiste agrave reacutepondre agrave la compeacutetitiviteacute par les coucircts reste dominante et ce au deacutetri-ment de toutes innovations plus soutenables relevant davantage drsquoune compeacutetitiviteacute parla valeur
Faces aux impasses de ce modegravele lineacuteaire de nombreux concepts ont eacutemergeacute degraves lesanneacutees 70 (FEM nc) agrave la croiseacutee desquels va eacutemerger lrsquoeacuteconomie circulaire Une des pre-miegraveres eacutecoles de penseacutee qui est apparue est celle autour de la notion de conception reacute-geacuteneacuterative (Regenerative design du paysagiste John TLyle) Cette notion deacutecrit des pro-cessus qui visent agrave restaurer renouveler ou revitaliser lrsquoeacutenergie et les matiegraveres neacutecessairesagrave la production [afin de creacuteer] les conditions pour lrsquoeacutetablissement de systegravemes peacuterennesqui reacutepondent aux besoins de la socieacuteteacute dans le respect de lrsquointeacutegriteacute de la nature Par lasuite lrsquoarchitecte et eacuteconomiste Walter Stahel a deacuteveloppeacute en 1976 lrsquoideacutee drsquoune eacuteconomiefonctionnant en circuit fermeacute agrave travers lrsquoouvrage The potential for substituting manpowerfor energy 1976 (co-eacutecrit avec Geneviegraveve Reday) Stahel est en outre agrave lrsquoorigine de lrsquoeacutecolede penseacutee de lrsquoeacuteconomie de la fonctionnaliteacute (ou eacuteconomie de la performance functionalservice economy) Ce dernier concept insiste sur la vente de services plutocirct que des pro-duits
Deux auteurs le chimiste allemand Mickael Braugnart et lrsquoarchitecte ameacutericain BillMcDonough ont prolongeacute ces travaux avec le concept du berceau au berceau (Cradleto Cradle C2C) mis au point agrave la fin des anneacutees 80 (par opposition au modegravele du berceauau tombeau cradle to grave) (MCDONOUGH et BRAUNGART 2010) Ce principe poursuitlrsquoideacutee drsquoune boucle de la matiegravere Il propose une veacuteritable philosophie de la productionindustrielle en srsquoinspirant des meacutetabolismes biologiques Le modegravele exige une reacuteuti-lisation perpeacutetuelle des eacuteleacutements techniques et nutritifs entrant dans la fabricationdrsquoun produit et une production de zeacutero pollution Le modegravele tend ainsi agrave eacuteliminer lrsquoideacuteemecircme de deacutechets Le concept a eacuteteacute officialiseacute en 2002 avec la creacuteation drsquoune certificationinternationale cradle to cradle-C2C pour les produits de consommation ou de service res-pectant cette eacutethique environnementale
Crsquoest au milieu des anneacutees 90 avec la clarification de la notion de deacuteveloppement du-
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CHAPITRE IV1 LrsquoEacuteCONOMIE CIRCULAIRE
rable (DIEMER et LABRUNE 2007) qursquoest apparue une premiegravere forme de mise en œuvredu principe C2C au niveau du secteur industriel En effet lrsquo eacutecologie industrielle estalors apparue comme un concept opeacuterationnel proposant une application du modegraveledes eacutecosystegravemes naturels (AYRES et AYRES 2002 ERKMAN 1998 FROSCH et GALLOPOU-LOS 1989) Il srsquoagit drsquoune nouvelle pratique de management environnemental visantune approche globale du systegraveme industriel par la rationalisation lrsquoeacutechange et la syner-gie des flux de matiegravere et drsquoeacutenergie entre industries drsquoun mecircme territoire
Finalement lrsquoinspiration de la nature et des processus biologiques pour concevoir desprocessus technologiques innovants de production et de service est devenue une disci-pline agrave part entiegravere Celle-ci est nommeacutee le biomimeacutetisme (biomimetics) et a eacuteteacute vulga-riseacutee par Janine Benuys auteure de Biomimicry (1997)
Ainsi les concepts procircnant des modegraveles eacuteconomiques plus durables ne manquentpas Cependant force est de constater que ces eacutecoles de penseacutee nrsquoont pas eu les effetsescompteacutes Ils ont eu un eacutecho limiteacute aupregraves des acteurs eacuteconomiques et nrsquoont ainsi pasconduit agrave une transformation radicale du modegravele eacuteconomique Ce dernier reste en effetdomineacute par une eacuteconomie lineacuteaire et une logique de volume Ces concepts empreintsde preacutesupposeacutes normatifs ont probablement reacutepondu agrave une aspiration de dirigeants enquecircte de sens dans leur fonction et leur volonteacute drsquoaligner les activiteacutes de leur entrepriseavec lrsquointeacuterecirct geacuteneacuteral et la protection de lrsquoenvironnement mais nrsquoont pas convaincu lamasse des managers dont lrsquoaction reste domineacutee par les logiques de concurrence et decourt terme Lrsquoinflexion introduite par le concept drsquoeacuteconomie circulaire ne porte pas tantsur lrsquooriginaliteacute du modegravele sous-jacent (puisque le principe de bouclage des flux de ma-tiegraveres et drsquoeacutenergie ne fait que recycler habilement les concepts preacuteceacutedents dans un cadredrsquoensemble) que son orientation pragmatique fondeacutee sur une double promesse eacutecono-mique et environnementale
IV12 Eacuteconomie Circulaire recyclage de notions avec unedouble promesse eacuteconomique et environnementale
Inspireacute des eacutecoles de penseacutee eacutevoqueacutees preacuteceacutedemment le terme drsquoeacuteconomie circu-laire aurait eacuteteacute formuleacute par les eacuteconomistes Pearce et Turner (1990 [SAUVEacute et collab2016]) afin de traduire un modegravele dans lequel les flux de matiegraveres et drsquoeacutenergie ne se perdentpas et sont reacuteutiliseacutes en boucles Toutefois le concept nrsquoa eacuteteacute populariseacute qursquoagrave partir de2010 avec la creacuteation de la fondation Ellen MacArthur du nom de la grande navigatriceLes partenaires fondateurs de la fondation sont BampQ BT Group Cisco National Grid etRenault Degraves lors lrsquoengouement autour de lrsquoeacuteconomie circulaire nrsquoa cesseacute de srsquoamplifier
Le concept a connu un succegraves fulgurant et a eacuteteacute largement repris agrave la fois au cœurdu monde des affaires dans le deacutebat politique dans le monde universitaire et aupregravesde la socieacuteteacute civile En effet la transition vers une eacuteconomie circulaire est aujourdrsquohui agravelrsquoagenda politique de diffeacuterents pays dans le monde (SANA 2014) notamment au niveaude la politique europeacuteenne et des pays membres comme en teacutemoigne le laquo paquet eacuteco-nomie circulaire raquo preacutesenteacute par la Commission europeacuteenne en deacutecembre 2015 et amendeacutepar le Parlement europeacuteen en mars 2017 (Gossement avocats 2017)
Sur ce thegraveme une ample litteacuterature grise existe produite par de multiples acteurs ins-
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titutionnels En France lrsquoinstitut de lrsquoeacuteconomie circulaire creacuteeacute en feacutevrier 2013 qui com-prend une soixantaine de structures et personnaliteacutes est le fer de lance du mouvementIl a pour ambition de peser sur le cadre reacuteglementaire afin de promouvoir un change-ment profond du modegravele eacuteconomique (Institut de lrsquoeacuteconomie circulaire 2013) Lrsquoinstitutorganise reacuteguliegraverement des ateliers de travail colloques et propose une plateforme peacuteda-gogique ougrave sont diffuseacutes par exemple des cours en ligne (MOOC) LrsquoADEME est eacutegalementun acteur tregraves actif en matiegravere de rapports et drsquoeacutetudes sur la mise en œuvre de lrsquoeacuteconomiecirculaire En outre lrsquoADEME organise depuis 2014 les assises annuelles de lrsquoeacuteconomiecirculaire qui regroupent un ensemble tregraves large de parties prenantes Les assises sontlrsquooccasion de preacutesenter les diffeacuterents outils existants ainsi que des teacutemoignages drsquoacteurspionniers
Comment expliquer le succegraves de ce concept Pourquoi est-il parvenu agrave cristalliser lesdeacutebats publics
Plusieurs raisons peuvent ecirctre avanceacutees Tout drsquoabord la deacutefinition de lrsquoeacuteconomie cir-culaire nrsquoest encore agrave ce jour pas stabiliseacutee (MENTINK 2014) De ce fait crsquoest un concepteacutelastique qui est modulable et appropriable par diffeacuterents mouvements On peut ainsiidentifier deux conceptions principales de lrsquoeacuteconomie circulaire Les premiers y voient laseule maniegravere de transformer lrsquoeacuteconomie actuelle en un systegraveme reacutegeacuteneacuteratif et durablequi permettrait agrave lrsquohumaniteacute de srsquoeacutepanouir agrave lrsquointeacuterieur des limites planeacutetaires tandisque les seconds srsquoattardent plutocirct sur ses dimensions commerciales et mettent en avantle regain drsquoinnovation possible les nouveaux modegraveles drsquoaffaires disruptifs et lrsquoaugmen-tation des marges beacuteneacuteficiaires que pourrait geacuteneacuterer cette approche novatrice (SAUVEacute
et collab 2016)
Parmi les tenants de la premiegravere conception on trouve les eacuteconomistes Pearce et Tur-ner qui dans leur ouvrage fondateur portaient une attention particuliegravere agrave la notion debien-ecirctre en tant qursquoindicateur drsquoun modegravele circulaire performant Leur conception delrsquoeacuteconomie circulaire reprend ainsi plusieurs aspects de la deacutefinition du deacuteveloppementdurable au sens du rapport Brundtland en 1987 (BRUNDTLAND 1987)
La seconde conception se focalise de son cocircteacute davantage sur lrsquoaspect eacuteconomiquedu modegravele et ses promesses de creacuteation de valeur Lrsquoobjectif y est un deacutecouplage entre lacroissance eacuteconomique et lrsquoutilisation des ressources Cette seconde conception de lrsquoeacuteco-nomie circulaire est critiqueacutee par les tenants drsquoun deacuteveloppement durable radical Cesderniers reprochent une trop faible prise en compte des valeurs sociales ou dit autre-ment un aveuglement par les laquo chantres raquo drsquoune laquo croissance verte raquo et drsquoune laquo naturerendue illimiteacutee par le progregraves technique raquo faisant oublier lrsquoenjeu drsquoune laquo eacuteconomie demodeacuteration et de sobrieacuteteacute volontaires raquo seule capable de garantir une eacuteconomie laquo au-thentiquement raquo circulaire (ARNSPERGER et BOURG 2016)
La FEM quant agrave elle revendique ouvertement une conception eacuteconomique du mo-degravele circulaire tout en appuyant sa reacuteflexion sur le biomimeacutetisme et tout en procircnantune double creacuteation de valeur environnementale et eacuteconomique Lrsquoaspect social apparaicirctagrave travers la promesse de creacuteation drsquoemplois lieacutes aux activiteacutes de reacutegeacuteneacuteration de la ma-tiegravere
Lrsquoapproche pragmatique de la FEM est celle qui srsquoest largement diffuseacutee comme mo-
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CHAPITRE IV1 LrsquoEacuteCONOMIE CIRCULAIRE
degravele dominant associeacute au concept de lrsquoeacuteconomie circulaire Les partenaires de la FEM nenient pas le fait qursquoils se soient fortement inspireacutes des conceptions vues preacuteceacutedemmentCependant agrave la diffeacuterence de celles-ci lrsquoapproche de lrsquoeacuteconomie circulaire porteacutee par laFEM est agrave destination principalement des acteurs eacuteconomiques et a en prioriteacute une vi-seacutee opeacuterationnelle En effet la fondation est convaincue qursquoune transition eacutecologique nepeut se faire sans lrsquoimplication et lrsquoimpulsion des grandes entreprises Ceci explique pour-quoi son premier rapport (FEM 2012a) chiffrant le potentiel de lrsquoeacuteconomie circulaire agrave630 milliards de dollars en Europe dans un contexte de deacuteveloppement circulaire avanceacutea eacuteteacute preacutesenteacute lors de la reacuteunion annuelle du forum eacuteconomique mondial agrave Davos quirassemble les plus hauts dirigeants drsquoentreprises
Ainsi pour la FEM il srsquoagit drsquoencourager les acteurs pionniers agrave srsquoengager dans la re-cherche de nouveaux modegraveles eacuteconomiques afin drsquoacceacuteleacuterer la transition vers une eacuteco-nomie circulaire Dans cette optique le discours a eacuteteacute porteacute par un cabinet de conseilpartenaire maicirctrisant lrsquoart de la communication aupregraves du monde eacuteconomique le ca-binet McKinsey amp Company Les questions de creacuteation et de captation de valeur sont aucœur du modegravele drsquoeacuteconomie circulaire communiqueacute par la FEM Lrsquoobjectif de la FEM estde rendre le discours eacutecologique audible aupregraves drsquoacteurs eacuteconomiques preacuteoccupeacutes prin-cipalement par des enjeux de compeacutetitiviteacute et de rentabiliteacute (deux autres rapports sur lamecircme ligneacutee que le premier volume paru en 2012 suivront [2013 2014a])
Aussi les partenaires de la FEM ont-ils compris lrsquoimportance du choix du langage etdrsquoune orientation pragmatique pour faire de lrsquoeacuteconomie circulaire un axe strateacutegique dedeacuteveloppement allant de soi pour les entreprises Outre la communication par le discoursla fondation a su eacutegalement srsquoapproprier lrsquoart de la communication par la repreacutesentationgraphique et les scheacutemas En effet dans son premier rapport publieacute en 2012 (FEM 2012a)crsquoest le scheacutema proposeacute par la FEM (figure 6 de son rapport) repreacutesentant sa conceptionde lrsquoeacuteconomie circulaire qui a eu le plus grand impact aupregraves des acteurs eacuteconomiques etpolitiques Il est reacuteguliegraverement repris et adapteacute dans diffeacuterents contextes en tant qursquooutilpeacutedagogique de visualisation de lrsquoeacuteconomie circulaire
Cette repreacutesentation permet de rendre visuel lrsquoopposition entre eacuteconomie circulaireet eacuteconomie lineacuteaire Il srsquoagit de modeacuteliser les diffeacuterentes maniegraveres de creacuteer de la valeuragrave travers des boucles traduisant lrsquoutilisation optimale des matiegraveres et ainsi des gains deproductiviteacute potentiels pour lrsquoentreprise
Le scheacutema (voir figure IV11) distingue les cycles biologiques qui comprennent lesnutriments renouvelables et dans lesquels la reacutegeacuteneacuteration naturelle se fait avec ou sansintervention humaine des cycles techniques ougrave la reacutecupeacuteration et la restauration desressources limiteacutees se font au contraire par lrsquoaction humaine Aussi les boucles des cyclestechniques deacutefinissent-elles diffeacuterents modes de creacuteation de valeur agrave travers les activiteacutes de reacuteemploi de maintenance de reacuteparation de reacuteutilisation de recyclage etc De ce faitdiffeacuterentes strateacutegies peuvent ecirctre adopteacutees par les entreprises pour amorcer une transi-tion
Par ailleurs les boucles les plus courtes agrave travers lesquelles le produit subi un mini-mum de transformations voire aucune avant de revenir sur le marcheacute traduisent un gainenvironnemental supeacuterieur par rapport aux plus longues
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CHAPITRE IV1 LrsquoEacuteCONOMIE CIRCULAIRE
FIGURE IV11 ndash Scheacutema de lrsquoeacuteconomie circulaire proposeacute par la FEM [FEM 2012a fig6]
La FEM deacutefinit ainsi les pouvoirs de lrsquoeacuteconomie circulaire pour une double creacutea-tion de valeur environnementale et eacuteconomique Ces pouvoirs sont ceux de la bouclecourte de lrsquooptimisation des cycles du fonctionnement en cascade et des intrants purs(FEM 2014b)
Cette repreacutesentation a aussi lrsquoavantage de souligner les principes de lrsquoeacuteconomie cir-culaire qui font consensus dans la litteacuterature ce qui comble lrsquoabsence de deacutefinition Lesprincipes majeurs sont la preacuteservation et le deacuteveloppement du capital naturel lrsquooptimi-sation de lrsquoexploitation des ressources ainsi que lrsquoeacutelimination des externaliteacutes neacutegatives
Cette repreacutesentation simple et syntheacutetique de lrsquoeacuteconomie circulaire est aujourdrsquohuilargement diffuseacutee Elle est reprise aussi bien agrave tous les niveaux de lrsquoentreprise et de lrsquoEacutetatqursquoau sein des organisations non gouvernementales et de la socieacuteteacute civile
IV13 Double promesse mais difficulteacutes de mise en oeuvreen pratique
Agrave travers ses rapports la FEM essaye de mettre en eacutevidence les opportuniteacutes eacutecono-miques majeures associeacutees agrave lrsquoeacuteconomie circulaire Elle cherche ainsi agrave construire despromesses qui rendront le concept drsquoautant plus attractif et deacutesirable Pour cela la fon-dation srsquoappuie sur lrsquoexemple de divers acteurs pionniers Ces derniers ont mis en œuvredes modegraveles circulaires qui explorent de nouvelles formes de creacuteation de valeur (FEM2013) Cependant force est de constater que si cette strateacutegie a reacuteussi agrave susciter un fort
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CHAPITRE IV1 LrsquoEacuteCONOMIE CIRCULAIRE
engouement les reacutealisations concregravetes sont encore limiteacutees Aussi les initiatives obser-vables depuis le deacutebut des anneacutees 2000 restent-elles relativement isoleacutees
Le fait est qursquoil existe de nombreux obstacles geacuteneacuteriques (FEM 2014a) Certains sontdus agrave la multipliciteacute des eacutetapes de fabrication drsquoun produit et agrave leur dispersion geacuteogra-phique elle-mecircme lieacutee agrave la mondialisation des systegravemes de production et de logistiquePrenons lrsquoexemple du secteur des produits eacutelectriques et eacutelectroniques La plupart desproduits eacutelectroniques sont fabriqueacutes en Asie La fabrication des diffeacuterentes piegraveces deacute-tacheacutees peut impliquer un grand nombre drsquoentreprises asiatiques Quant agrave lrsquoeacutetape drsquoas-semblage elle a lieu en Asie ou en Europe La chaicircne de valeur est ainsi complexe faisantintervenir de nombreux acteurs situeacutes dans des contextes geacuteographiques eacuteconomiqueset politiques tregraves diffeacuterents Aussi un changement de modegravele de lrsquoensemble drsquoune chaicircnedrsquoapprovisionnement est-il un obstacle majeur
Drsquoautre part la complexification des produits rend difficile leur reacuteparation ou leur re-cyclage Par exemple les eacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniques sont de plus en plusminiaturiseacutes tout en eacutetant enrichis en fonctionnaliteacutes de mecircme lrsquoindustrie plastique pro-duit des mateacuteriaux de plus en plus complexes avec de nombreux additifs ce qui com-plique grandement la seacuteparation des mateacuteriaux en vue drsquoun recyclage Cette difficulteacute estdrsquoautant plus grande que la qualiteacute de la matiegravere secondaire reacutecupeacutereacutee crsquoest-agrave-dire sa va-leur de marcheacute deacutepend fortement de la pureteacute des eacutetapes preacutealables au recyclage du trides deacutechets et des composants agrave la seacuteparation des matiegraveres Agrave ces difficulteacutes techniquesdu recyclage srsquoajoute la probleacutematique de la collecte Celle-ci stagne en raison de fuitesdes deacutechets vers les filiegraveres parallegraveles
Ces difficulteacutes accroissent le coucirct de production de la matiegravere recycleacutee la rendantmoins compeacutetitive que la matiegravere vierge en particulier dans les peacuteriodes ougrave le prix desmatiegraveres premiegraveres est faible
En somme tant que les volumes et la qualiteacute de la matiegravere recycleacutee resteront insuffi-sants les industriels ne srsquoengageront pas dans les lourds investissements neacutecessaires audeacuteveloppement et agrave la peacuterennisation drsquoun marcheacute de la matiegravere secondaire
Enfin de maniegravere geacuteneacuterale crsquoest lrsquoimpreacutegnation de la logique lineacuteaire agrave tous les ni-veaux de la socieacuteteacute qui freine consideacuterablement lrsquoinnovation Le fait est que la transitionvers une eacuteconomie circulaire neacutecessite lrsquoengagement drsquoun grand nombre de parties pre-nantes entreprises politiques consommateurs Or aligner une pluraliteacute drsquointeacuterecircts dansun projet de long terme est drsquoautant plus difficile dans un contexte de mondialisationfondeacute sur une logique de maximisation de la valeur agrave court terme Aussi lrsquoeacuteconomie circu-laire se caracteacuterise-t-elle par une absence de marcheacutes de chaicircnes de valeur ou de filiegraveresindustrielles structureacutees (BICKET et collab 2014)
La FEM propose des leviers pour les entreprises afin de lever les verrous du modegravelelineacuteaire mise en place de systegravemes de logistique inverse dans lesquels la valeur des ma-teacuteriaux est preacuteserveacutee (ie respectant la reacutegeacuteneacuteration en cascade) conception circulairedes produits et des processus pour faciliter la revalorisation des mateacuteriaux notammenten favorisant les mateacuteriaux purs crsquoest-agrave-dire agrave la composition homogegravene ou encorecreacuteation de nouveaux modegraveles eacuteconomiques tels que ceux privileacutegiant lrsquoeacuteconomie defonctionnaliteacute crsquoest-agrave-dire lrsquousage des produits par rapport agrave la proprieacuteteacute Drsquoautre part
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CHAPITRE IV1 LrsquoEacuteCONOMIE CIRCULAIRE
ces transformations de lrsquoentreprise peuvent ecirctre faciliteacutees par une eacutevolution des forma-tions afin qursquoelles se preacuteparent aux nouvelles logiques circulaires des outils de finan-cement un accegraves agrave des plateformes collaboratives ou encore par la mise en place drsquounnouveau cadre fiscal orienteacute en faveur du travail plutocirct que vers la consommation des res-sources LrsquoAgence Europeacuteenne de lrsquoEnvironnement propose des leviers du mecircme ordreElle y ajoute le principe de Responsabiliteacute Eacutelargie du Producteur comme mesure eacutecono-mique incitative pouvant contribuer agrave la transition (EEA 2016)
Ces obstacles et leviers ont eacuteteacute manifestement bien identifieacutes ce que confirme la litteacute-rature (LEWANDOWSKI 2016) Toutefois ils se limitent agrave un niveau drsquoanalyse plutocirct macro-eacuteconomique ne rendant pas bien compte des difficulteacutes agrave lrsquoeacutechelle plus micro-eacuteconomiquede lrsquoentreprise Or drsquoapregraves les cas observeacutes dans la filiegravere des DEEE la mise en œuvre denouveaux modegraveles eacuteconomiques au sein de lrsquoentreprise est particuliegraverement complexedu fait drsquoun environnement dynamique et incertain et drsquointerdeacutependances intrinsegravequesaux principes de circulariteacute et de bouclage des flux (ACOSTA et collab 2013) Agrave cette com-plexiteacute les leviers trop geacuteneacuteriques nrsquoy reacutepondent que partiellement et ne permettent pasde reacutefleacutechir agrave des solutions concregravetes agrave destination mecircme des entreprises
Il est en cela neacutecessaire drsquoeacutetudier les micro-dynamiques de la creacuteation de valeur auniveau opeacuterationnel des entreprises afin de reacutepondre aux questions concregravetes ci-dessous
mdash Quelles sont les implications reacuteelles de la transition vers un modegravele circulaire auniveau de lrsquoentreprise
mdash Quelles sont les logiques de creacuteation de valeur
mdash Quels sont les obstacles observeacutes
Pour cela nous allons agrave preacutesent entrer dans le vif du sujet en nous appuyant sur leconcept de Business Model (BM) en tant que repreacutesentation scheacutematiseacutee laquo des choixqursquoune entreprise effectue pour geacuteneacuterer des revenus raquo (LECOCQ et collab 2006) En ef-fet le BM est un outil de repreacutesentation de la conduite strateacutegique au niveau micro-eacuteconomique de lrsquoentreprise Il repose sur la pratique et en cela suscite un engouementcertain chez les praticiens comme les acadeacutemiciens Par ailleurs selon la FEM concevoirde nouveaux modegraveles eacuteconomiques est un des axes majeurs qui contribue agrave favoriser latransition vers un modegravele plus circulaire (FEM 2014b)
Dans le chapitre suivant nous allons expliquer la maniegravere dont est utiliseacute le BM quelsen sont les fonctions et usages Nous verrons qursquoil existe deux eacutecoles de penseacutee lrsquounesrsquoappuyant sur la dimension repreacutesentative et reacutetrospective de lrsquooutil permettant la des-cription des modegraveles drsquoaffaires et leur classification pendant que lrsquoautre srsquoattache da-vantage aux aspects dynamiques (iteacuterativiteacute reacuteflexiviteacute) intervenant dans la conceptiondrsquoun nouveau BM Dans cette thegravese nous choisissons de nous appuyer sur la seconde ap-proche plus approprieacutee pour eacutetudier les processus drsquoinnovation en cours et la conceptionde BM qui nrsquoexistent pas encore Ce second chapitre sert drsquointroduction au chapitre troisportant plus speacutecifiquement sur les BM qui mettent en œuvre les strateacutegies de lrsquoeacuteconomiecirculaire
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Chapitre IV2
Le Business Model
IV21 Origine du concept de Business Model
Contrairement agrave ce que lrsquoon pourrait croire le concept du Business Model (BM) est an-cien Il est apparu dans la litteacuterature acadeacutemique degraves 1957 (BELLMAN et collab 1957[OS-TERWALDER et collab 2005]) Toutefois ce nrsquoest qursquoagrave la fin des anneacutees 90 qursquoil a eacuteteacute po-pulariseacute avec lrsquoeacutemergence de lrsquoInternet ougrave il srsquoagissait pour les entreprises de convaincredes investisseurs de la pertinence de modegraveles dits laquo gratuits raquo (OSTERWALDER et collab2005)
Depuis de nombreux auteurs ont proposeacute des modegraveles varieacutes mettant en avant diffeacute-rents eacuteleacutements qui expliquent la faccedilon dont lrsquoentreprise creacutee et capture de la valeur Cesauteurs identifient les segments de clientegravele la proposition de valeur les canaux de re-lations et de distribution les activiteacutes cleacutes de lrsquoorganisation les partenaires et ressourcescleacutes et les flux de ressources et de coucircts
La deacutefinition la plus employeacutee est celle drsquoOsterwalder et Pigneur (2013) le BM estla logique par laquelle une entreprise creacutee deacutelivre et capture de la valeur Cette deacutefini-tion reflegravete les quatre piliers du BM que lrsquoon retrouve largement dans la litteacuterature Cespiliers se traduisent par les questions successives suivantes What quelle est la proposi-tion de valeur How comment se creacutee-t-telle Who pour qui (segments de clientegravele) etWhy Pourquoi (gains) Ces questions sont agrave la base de tous BM selon Frankenberger etal (2013)
IV22 Inteacuterecircts de lrsquooutil Business Model
Le BM est un outil particuliegraverement bien adapteacute pour concevoir la strateacutegie de creacutea-tion et de captation de valeur drsquoune organisation en situation de grandes incertitudes Eneffet crsquoest un modegravele simple reprenant des eacuteleacutements cleacutes par lesquels une entreprise creacuteede la valeur Crsquoest un outil dynamique issu de la pratique qui peut eacutevoluer au cours dutemps Il est en cela particuliegraverement flexible et permet de deacutecrire scheacutematiquement unelogique de creacuteation de valeur Par ailleurs tout comme la notion drsquoeacuteconomie circulaireil nrsquoexiste pas de deacutefinition tregraves preacutecise de ce qui fait un BM Aussi reste-t-il tregraves appro-priable et modulable
Agrave lrsquoinverse les outils classiques du management strateacutegique sont moins adapteacutes agrave la
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CHAPITRE IV2 LE BUSINESS MODEL
conception de modegraveles en situation drsquoincertitude et drsquoinnovation En effet lrsquohypothegraveseimplicite du champ traditionnel de la strateacutegie est que la deacutecision strateacutegique doit srsquoap-puyer sur une cartographie preacutealable drsquoun environnement externe objectivable marcheacutesproduits concurrents chaicircne de valeur etc agrave lrsquoimage de lrsquoanalyse concurrentielle de Por-ter 1985 Les outils qui reacutesultent de cette deacutemarche visent ainsi agrave aider la prise de deacutecisionau sein drsquoun portefeuille drsquooptions identifiables Typiquement ces outils servent agrave identi-fier les couples produitsmarcheacutes sur lesquels se positionner preacutedire les comportementsstrateacutegiques des concurrents ou calculer des flux de revenus et des rentabiliteacutes attenduesIls sont adapteacutes agrave des raisonnements dans des cadres stabiliseacutes marcheacutes connus jeuconcurrentiel identifieacute chaicircnes de valeur eacutetablies etc Parmi ces outils les plus connussont le plan drsquoaffaire (le business plan) les matrices de type SWOT ou BCG lrsquoanalyseconcurrentielle de Porter etc Mais pour qursquoun environnement puisse ecirctre cartographieacuteencore faut-il qursquoil soit descriptible Or crsquoest preacuteciseacutement sur cette limite que butent cesoutils pour traiter de domaines strateacutegiques exploratoires ou innovants ougrave les chaicircnes devaleur les produits et les marcheacutes sont agrave concevoir
Drsquoautre part le BM est un outil qui repose eacutegalement agrave lrsquoinstar de lrsquoeacuteconomie circu-laire sur des scheacutemas Il permet de rendre visuel la maniegravere dont une entreprise va creacuteerde la valeur En cela au-delagrave drsquoun outil de description drsquoune activiteacute crsquoest eacutegalement unoutil utile aux entrepreneurs pour deacutefendre une ideacutee et convaincre les diffeacuterentes partiesprenantes qui leur seront utiles telles que les clients les investisseurs les laboratoires derecherches ou encore les divers services en interne Par ailleurs le support visuel ouvre agravela reacuteflexion et encourage les propositions innovantes En ce sens crsquoest eacutegalement un outilde creacuteation En fait crsquoest lrsquoensemble du processus qui accompagne la conception drsquounBM avec lrsquoutilisation de la repreacutesentation graphique qui fait du BM un outil drsquoaide agrave lrsquoin-novation
Aussi en matiegravere drsquooutil drsquoaide pour mettre en œuvre des strateacutegies drsquoeacuteconomie cir-culaire le BM est tregraves inteacuteressant En effet pour qursquoune transition vers une eacuteconomiecirculaire se fasse il srsquoagit de surmonter le paradigme de la logique lineacuteaire largementdominante en proposant de nouvelles maniegraveres de creacuteer de la valeur Il srsquoagit ainsi drsquoavoirun outil ouvrant le champ des possibles et suffisamment convaincant pour convaincre lesdiverses parties prenantes
Nous allons agrave preacutesent voir qursquoil existe en reacutealiteacute deux conceptions du BM lrsquoune uti-liseacutee de maniegravere relativement statique dans le but de deacutecrire et de classer reacutetrospective-ment des modegraveles drsquoaffaires la seconde adopte une perspective davantage dynamiquevisant agrave reacuteveacuteler les interactions entre les diffeacuterents eacuteleacutements du BM au sein drsquoune deacute-marche drsquoinnovation Dans le cadre de cette thegravese nous nous appuierons plutocirct sur cetteseconde approche
IV23 Deux eacutecoles de penseacutee et usages du Business Model
Il existe deux eacutecoles dans la litteacuterature sur les BM (DEMIL et LECOCQ 2010) Lrsquounerepose sur des modegraveles tregraves descriptifs de type Business Model canvas introduit parOsterwalder et Pigneur (2010) La seconde repose sur des modegraveles plus eacutebaucheacutes et plusflexibles tel que le modegravele RCOV de Demil et Lecocq (2010) Ces eacutecoles se distinguentpar le type drsquousage qursquoelles font du BM
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CHAPITRE IV2 LE BUSINESS MODEL
La premiegravere utilise le concept de BM de maniegravere relativement statique comme outilde description de la mise en pratique de la strateacutegie de lrsquoentreprise (HOBSON et LYNCH2016 [TALUKDER 2017]) Elle vise agrave expliquer la coheacuterence des eacuteleacutements cleacutes qui com-posent le modegravele drsquoaffaire Cette approche permet de construire des classifications destypes de BM et de les comparer (AMIT et ZOTT 2001 MAGRETTA 2002) Dans cette op-tique les modegraveles deacuteveloppeacutes sont relativement deacutetailleacutes et laissent peu de place agrave lrsquoim-provisation
Le Business Model canvas proposeacute par Osterwalder et Pigneur en est un exemple(voir figure IV21) Il repose sur neuf eacuteleacutements organiseacutes dans un tableau
FIGURE IV21 ndash Le Business Model Canvas (OSTERWALDER et PIGNEUR 2010)
Les eacuteleacutements sont les partenaires cleacutes les activiteacutes cleacutes les ressources cleacutes les pro-positions de valeur les relations les reacuteseaux de distribution les segments clients ainsique les structures de coucircts et de revenus Ces eacuteleacutements peuvent ecirctre regroupeacutes selon lesquatre questions cleacutes que constituent le BM (MENTINK 2014) What = la proposition devaleur How = les activiteacutes ressources et partenaires Who = les clients relations et reacute-seaux why = les structures de coucircts et de revenus
Le BM canvas est donc un outil qui peut ecirctre utiliseacute si lrsquoon possegravede un certain nombredrsquoinformations En effet il srsquoagit de remplir des cases de maniegravere relativement preacuteciseneacutecessitant drsquoavoir une ideacutee deacutejagrave bien avanceacutee du modegravele drsquoaffaire et de son interactionavec lrsquoenvironnement exteacuterieur agrave lrsquoentreprise Par ailleurs cette repreacutesentation laisse peude place agrave la modulariteacute ce qui rend lrsquooutil peu flexible et relativement figeacute
Agrave lrsquoinverse la seconde approche considegravere le BM davantage en tant qursquooutil drsquoanalysedes changements et support agrave lrsquoinnovation (DEMIL et LECOCQ 2010) Cette litteacuterature est
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CHAPITRE IV2 LE BUSINESS MODEL
porteacutee par le champ sur les Business Model Innovation (BMI) qui se deacuteveloppe rapide-ment Contestant un manque de clarteacute de ce champ en pleine expansion Foss et Saebi(2017) deacutefinissent les BMI comme issus de changements deacutecideacutes nouveaux et non tri-viaux drsquoeacuteleacutements cleacutes du BM drsquoune entreprise etou de lrsquoarchitecture mecircme qui relie ceseacuteleacutements Ces auteurs proposent une revue de litteacuterature de pregraves de cent cinquante ar-ticles srsquoeacutetalant sur les quinze derniegraveres anneacutees Cette seconde approche des BM lieacutee auchamp des BMI souligne davantage la force de creacuteativiteacute du BM en ce qursquoil facilite la geacute-neacuteration de nouvelles ideacutees et la repreacutesentation dynamique des changements
Dans cette ligneacutee Demil et Lecoq ont proposeacute un modegravele bien plus simplifieacute que ce-lui drsquoOsterwalder et Pigneur (voir figure IV22) En effet le modegravele RCOV repose essen-tiellement sur trois eacuteleacutements cleacutes que sont les ressources et compeacutetences lrsquoorganisationinterne et externe de lrsquoentreprise et la proposition de valeur (produit ou service) Agrave tra-vers un scheacutema tregraves simplifieacute les auteurs srsquoattachent en particulier agrave mettre en avant lesinteractions entre les diffeacuterentes composantes Ce cadre agrave trois eacuteleacutements permet de deacuteter-miner la structure des coucircts et revenus ainsi que finalement la soutenabiliteacute de lrsquoactiviteacute
FIGURE IV22 ndash Le modegravele RCOV (DEMIL et LECOCQ 2010)
Les auteurs srsquoappuient entre autres sur les travaux de Penrose (1959) Ce dernier avanceque lrsquoentreprise est en permanence en eacutetat de deacuteseacutequilibre ougrave le changement drsquoun seuldes eacuteleacutements du BM impacte neacutecessairement les autres composantes (DEMIL et LECOCQ2010) De ce fait une eacutevolution du BM ne peut se faire en se focalisant sur un seul eacuteleacute-ment mais doit ecirctre reacutefleacutechi de maniegravere systeacutemique au niveau de lrsquoentreprise et de sonenvironnement
Ainsi alors que la premiegravere approche permet lrsquoidentification de typologies la secondeapproche agrave caractegravere dynamique vise agrave identifier les configurations permettant de geacuteneacute-rer de nouveaux potentiels de valeur
Au regard de ce qui vient drsquoecirctre dit les BM lineacuteaires classiques caracteacuteriseacutes par unmarcheacute des filiegraveres et des technologies stables et identifieacutes pourront aiseacutement ecirctre deacute-crits de maniegravere preacutecise agrave lrsquoaide du BM de type canvas En revanche cette approche sereacutevegravele ecirctre moins pertinente dans le cas ougrave le facteur drsquoinconnu est significatif ne per-mettant pas de regrouper autant drsquoinformations au preacutealable
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CHAPITRE IV2 LE BUSINESS MODEL
En reacutealiteacute dans les situations ougrave il srsquoagit de construire un modegravele drsquoaffaire cheminfaisant (par exemple dans les cas ougrave le marcheacute ne preacuteexiste pas mais est agrave creacuteer) cher-cher agrave le repreacutesenter de maniegravere trop preacutecise ex ante nrsquoa pas reacuteellement drsquointeacuterecirct puisquecelui-ci ne sera reacuteveacuteleacute qursquoau regard de la pratique
Enfin reste que ces formes de repreacutesentation des BM qursquoelles soient agrave caractegravere dy-namiques ou statiques sont drsquoordre tregraves geacuteneacuteral adapteacutees plutocirct agrave lrsquoeacuteconomie lineacuteairePour aller plus loin il existe des repreacutesentations qui ont des objectifs plus preacutecis telle quelrsquoinclusion drsquoaspects environnementaux et sociaux ou encore de systegravemes circulaires
IV24 Drsquoautres litteacuteratures deacuteriveacutees du Business Model
Il existe tout un champ de litteacuterature sur les BM durables (Sustainable Business ModelSBM) Ce champ a eacuteteacute introduit pour la premiegravere fois par les auteurs Stubbs et Cocklin(SCHALTEGGER et collab 2016) Il srsquoagit pour les entreprises de creacuteer de la valeur environ-nementale et sociale au mecircme niveau drsquoimportance que la valeur eacuteconomique voire agrave unniveau supeacuterieur tels les modegraveles issus de lrsquoESS Lrsquooutil du BM est ici utiliseacute dans le but deprouver aux parties prenantes lrsquoengagement de lrsquoentreprise pour le deacuteveloppement du-rable et drsquoexpliquer la strateacutegie qursquoelle va adopter pour respecter ces enjeux de maniegraveresoutenable (SCHALTEGGER et collab 2016)
Le BM durable peut ecirctre consideacutereacute comme un croisement entre la litteacuterature sur lrsquoin-novation durable et les BM (BOONS et LUumlDEKE-FREUND 2013) Bocken et al (2014) ontfortement contribueacute agrave cette litteacuterature Ils proposent une classification des BM durablesselon que lrsquoinnovation soit drsquoordre technique social ou organisationnel Ils deacutecrivent ainsihuit types de BM durables dont les quatre premiers relegravevent des strateacutegies de lrsquoeacuteconomiecirculaire maximisation matiegravere et efficience eacutenergeacutetique creacuteation de valeur agrave partirdes deacutechets substitution par du renouvelable et des processus naturels vente drsquouniteacutesdrsquousage plutocirct que du produit
Alors que le BM durable cherche agrave mettre au mecircme niveau les valeurs sociales et en-vironnementales les BM axeacutes sur les strateacutegies drsquoeacuteconomie circulaire srsquoattachent davan-tage agrave deacutegager la compeacutetitiviteacute eacuteconomique de la valeur creacuteeacutee agrave partir drsquoun bouclage desflux Le discours est alors davantage orienteacute agrave destination des entrepreneurs dans le butde rendre seacuteduisant la logique circulaire Cette logique doit permettre de contribuer po-sitivement agrave lrsquoenvironnement par la preacuteservation des ressources et par la diminution dela pollution et agrave la socieacuteteacute par la creacuteation drsquoemplois
Commence agrave eacutemerger ainsi plus speacutecifiquement un autre champ deacuteriveacute du BM leBusiness Model Circulaire (BMC) en pleine expansion Agrave partir des concepts drsquoeacuteconomiecirculaire et de BM vus preacuteceacutedemment le BMC peut ecirctre deacutefini comme un BM reposantsur une creacuteation de valeur issue des diffeacuterentes boucles de lrsquoeacuteconomie circulaire (MEN-TINK 2014)
On observe diffeacuterents degreacutes de circulariteacute drsquoun BMC Il peut srsquoagir simplement derendre plus circulaire un BM existant en revoyant par exemple la politique achat de fa-ccedilon agrave acheter certains composants en matiegravere recycleacutee pour la fabrication du produit on pourrait alors parler davantage drsquoune innovation increacutementale Il peut srsquoagir aussi derevoir inteacutegralement le modegravele eacuteconomique en se tournant par exemple vers une eacutecono-
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CHAPITRE IV2 LE BUSINESS MODEL
mie de la fonctionnaliteacute se rapprochant alors drsquoune innovation radicale eacutetant donneacute latransformation socio-technique que cela implique (CHANG et collab 2012) Dans tous lescas un modegravele 100 circulaire nrsquoexiste pas Agrave chaque cycle il y aura toujours des pertes etune deacutegradation de la matiegravere Agrave lrsquoinverse les industriels auront toujours un inteacuterecirct eacuteco-nomique agrave reacuteutiliser les chutes de production (MENTINK 2014)
De plus les enjeux ne sont pas les mecircmes srsquoil srsquoagit de transformer le modegravele eacutecono-mique drsquoune entreprise qui a deacutejagrave une activiteacute inteacutegreacutee agrave un marcheacute ou drsquoune entreprisenouvellement creacuteeacutee qui souhaite deacutevelopper un modegravele drsquoeacuteconomie circulaire telle unestart-up proposant la vente drsquoun usage plutocirct qursquoun produit En effet lrsquoentreprise eacutetablieest alors davantage lieacutee au modegravele drsquoeacuteconomie lineacuteaire Il est drsquoautant plus difficile pourelle drsquoen sortir que sa structure et son organisation sont des freins agrave lrsquoeacutemergence drsquoinno-vations radicales Il existe une vaste litteacuterature identifiant les freins agrave lrsquoinnovation radicaledans les entreprises existantes voir par exemple (CHANG et collab 2012) Agrave lrsquoinverse lemodegravele flexible des start-ups facilite la mise en place de BM innovants (TALUKDER 2017p22)
Dans la suite nous allons davantage nous inteacuteresser aux difficulteacutes de transforma-tion vers une eacuteconomie circulaire drsquoentreprises existantes qui sont de grande taille et in-fluentes En effet un objectif conseacutequent du principe de Responsabiliteacute Eacutelargie du Pro-ducteur est preacuteciseacutement drsquoinciter les entreprises existantes agrave penser davantage lrsquoensembledu cycle de vie du produit et de se deacutetacher de la logique lineacuteaire
Dans cette optique dans le prochain chapitre nous allons tout drsquoabord exposer lesenjeux lieacutes au deacuteveloppement de BMC par rapport aux BM classiques en nous appuyantsur le cas empirique de la filiegravere des DEEE Nous verrons en quoi la creacuteation et la capta-tion de la valeur deviennent des enjeux encore plus cruciaux dans la mise en œuvre deBMC neacutecessitant une deacutemarche particuliegravere davantage collective En effet la preacutegnancedu modegravele lineacuteaire est significative et limite consideacuterablement la porteacutee de toutes ini-tiatives voulant accroicirctre la valeur creacuteeacutee par lrsquointroduction de plus de circulariteacute Le faitest que creacuteer de la valeur par lrsquoeacuteconomie circulaire implique la prise en compte de lrsquoen-semble de la chaicircne de valeur (ie avec ses diffeacuterentes eacutetapes et acteurs) conduisant agravelrsquoeacutemergence de fortes interdeacutependances difficilement compatibles dans des milieux detradition hyperconcurrentielle Dans un second temps nous essaierons alors de reacutepondreagrave lrsquoeacutenigme sur la deacutemarche agrave adopter pour concevoir un BMC
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Chapitre IV3
Le Business Model Circulaire
IV31 Le Business Model Circulaire au service de lrsquoeacutecono-mie circulaire
En reprenant les strateacutegies drsquoeacuteconomie circulaire du scheacutema de la FEM on peut dis-tinguer les BMC baseacutes sur une logique drsquoextension de la dureacutee de vie (ex les activiteacutes dereacuteemploi de maintenance de reacuteparation ou encore lrsquoeacuteconomie de la fonctionnaliteacute quiconsiste agrave vendre une uniteacute drsquousage plutocirct qursquoun produit comme pour le modegravele drsquoAuto-librsquo) des modegraveles baseacutes sur une reacuteutilisation des composants ou de la matiegravere 61 (ex lesactiviteacutes de reacuteutilisation de piegraveces deacutetacheacutees ou de recyclage)
Le BMC consiste ainsi agrave valoriser la valeur reacutesiduelle des produits apregraves usage et celade maniegravere reacutepeacuteteacutee en cascade Il srsquoagit de creacuteer de nouvelles sources de valeur qui dansune logique lineacuteaire sont en geacuteneacuteral deacutetruites
Srsquoappuyant sur la logique drsquoeacuteconomie circulaire le BMC en reacutesume tout autant lespromesses que les faiblesses et les menaces Lrsquoune de ces derniegraveres est la concurrencerude avec un modegravele lineacuteaire tregraves compeacutetitif notamment quand les cours des matiegraverespremiegraveres sont bas Cette concurrence encourage une vision tregraves court terme non com-patible avec lrsquohorizon lointain du modegravele circulaire Ces risques sont des freins conseacute-quents au deacuteveloppement de BMC
Mentink a notamment proposeacute une matrice SWOT des entreprises qui auraient adopteacuteun modegravele circulaire afin drsquoen exposer les Forces Opportuniteacutes Faiblesses et Menaces demaniegravere theacuteorique (voir figure IV31)
On constate que les faiblesses et les menaces des BMC sont lieacutees directement auxforces et aux opportuniteacutes des modegraveles lineacuteaires De la mecircme faccedilon les forces et les op-portuniteacutes des BMC deacutecoulent des avantages qursquoapporte un modegravele circulaire par rapportaux risques drsquoun modegravele lineacuteaire En particulier un BMC permet de seacutecuriser les appro-visionnements en utilisant de nouvelles ressources renouvelables et en deacuteveloppant despartenariats de long terme avec des fournisseurs engageacutes
Dans la litteacuterature il existe peu de propositions de repreacutesentation graphique des BMC
61 La distinction entre reacuteemploi et reacuteutilisation est subtile On parle de reacuteemploi lorsqursquoun produit enentier est remis sur le marcheacute On parle de reacuteutilisation si plusieurs piegraveces deacutetacheacutees provenant de diffeacuterentsproduits ont eacuteteacute utiliseacutees afin de reacuteparer ou reconstituer un autre produit
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
FIGURE IV31 ndash Matrice SWOT des BMC traduit et simplifieacute des travaux de Mentink (2014)
FORCE
mdash Nouveaux pools de profit
mdash Systegraveme optimiseacute
mdash Changement radical et innovationde systegraveme
OPPORTUNITEacute
Face agrave la menace du modegravele lineacuteaire
mdash Risque drsquoapprovisionnement
mdash Renforcement des politiques pu-bliques
mdash Crise de leacutegitimiteacute
Tendances de la socieacuteteacute
mdash Approvisionnement circulaire
mdash Consommation collaborative
mdash Creacuteation de valeur multiple
mdash Co-creacuteation de valeur
FAIBLESSE
mdash Complexiteacute dans lrsquoorganisation etle management
mdash Confidentialiteacute confiance deacute-pendances etc
mdash Manque drsquoinformation
mdash Attachement au modegravele lineacuteaire
mdash Coucircts de transaction et du risque
MENACE
mdash Concurrence des modegraveles li-neacuteaires
mdash Prix bas de la matiegravere premiegravere
mdash Substitution des matiegraveres
mdash Coucircts drsquoentreacutee agrave lrsquoinvestissement
mdash Revenu agrave horizon long terme
mdash Vision court terme
et de meacutethodes de leur conception Tout de mecircme nous verrons plus loin quelques scheacute-mas et processus notamment proposeacutes par Mentink (MENTINK 2014) Toutefois afin depouvoir conduire une analyse theacuteorique de ces propositions il srsquoagit avant toute chosedrsquoen saisir les deacutefis Dans ce but nous allons dans un premier temps nous appuyer surlrsquoexemple de la filiegravere des Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques afin dedeacutegager les enjeux cleacutes des BMC
IV32 Les Business Models Circulaires dominants dans lafiliegravere DEEE des Business Models qui manquent decirculariteacute
Un des enjeux de la filiegravere de recyclage des DEEE est qursquoelle est fortement contraintepar le modegravele lineacuteaire limitant sa circulariteacute En effet dans le modegravele dominant la valeurreacutesiduelle des deacutechets nrsquoest pas exploiteacutee agrave son maximum en raison des risques rappeleacutespreacuteceacutedemment Ces risques conduisent agrave cibler en prioriteacute la reacutecupeacuteration des meacutetauxpreacutecieux et agrave preacutefeacuterer un sous-recyclage plastique (ie la reacuteutilisation drsquoun plastique decomposition complexe dans une application de faible valorisation)
En lrsquoeacutetat actuel la filiegravere de recyclage des meacutetaux preacutecieux est domineacutee par un oli-gopole de moins de dix acteurs dans le monde Ces derniers par lrsquoeffet de leur activiteacutehistorique drsquoexploitation miniegravere ont su srsquoimposer sur le marcheacute en reconvertissant leurssavoir-faire et leurs actifs immobiliseacutes pour le traitement des deacutechets industriels et des
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
DEEE
Trois de ces acteurs sont europeacuteens et traitent pregraves de 150 000 tonnes de cartes paran soit 30 du marcheacute mondial Les proceacutedeacutes utiliseacutes sont relativement sophistiqueacutesle degreacute de pureteacute des meacutetaux reacutecupeacutereacutes est supeacuterieur agrave 99 mais neacutecessitent drsquoimpor-tants investissements et un systegraveme de deacutepollution coucircteux Ces trois acteurs cumulent agraveeux seuls un investissement de quatre milliards drsquoeuros Srsquoajoute agrave ces contraintes eacutecono-miques les pressions de marcheacute qui poussent les acteurs agrave reacutefleacutechir agrave court terme et agrave neprivileacutegier que la reacutecupeacuteration des meacutetaux de base et preacutecieux au deacutetriment des meacutetauxstrateacutegiques
En effet les meacutetaux les plus critiques ne sont pas forceacutement les plus rentables ni lesplus sucircrs pour en deacutevelopper un marcheacute Ceci peut srsquoexpliquer par lrsquoinstabiliteacute des meacutetauxstrateacutegiques qui sont vendus de greacute agrave greacute et nrsquoont pas de valeur officielle ni stabiliseacutee Agravelrsquoinverse les meacutetaux preacutecieux srsquoeacutechangent sur le New York Commodities Exchange (CO-MEX) 62 ougrave leur valeur est mesurable
Ainsi investir dans des meacutetaux dont la rentabiliteacute nrsquoest pas certaine est un risque queles entreprises ne souhaitent pas prendre Elles preacutefegraverent se contenter de la profitabiliteacutede meacutetaux plus sucircrs tels que les meacutetaux de base et preacutecieux En outre leurs sites indus-triels sont dimensionneacutes pour de gros volumes de matiegravere et de ce fait ils sont moinsadapteacutes aux flux des meacutetaux strateacutegiques relativement petits et dont le traitement neacuteces-site des ajustements speacutecifiques
Aussi cette filiegravere dominant le marcheacute structureacutee autour drsquoun oligopole ne permet-elle pas la reacutecupeacuteration de tous les meacutetaux drsquoune carte eacutelectronique (CUI et ZHANG 2008GHOSH et collab 2015) La creacuteation de valeur de ces entreprises est high-tech car sophis-tiqueacutee et partielle car elle cible prioritairement les eacuteleacutements dont la valeur est tangible etbien identifieacutee
En parallegravele des meacutetaux la filiegravere des DEEE offre eacutegalement de la matiegravere plastiquesecondaire agrave reacutecupeacuterer La part des plastiques dans le gisement des DEEE collecteacute est es-timeacutee agrave environ 173 soit 785 kt
Contrairement agrave la filiegravere des meacutetaux laquo high tech raquo les plastiques sont sous-valoriseacutesOn parle de laquo sous-recyclage raquo crsquoest-agrave-dire que les traitements visent un recyclage demasse pour produire des commoditeacutes poubelles sacs bacs de fleurs etc plutocirct qursquounrecyclage de qualiteacute visant des applications industrielles speacutecifiques agrave plus forte valeurajouteacutee Les recycleurs de plastique privileacutegient ainsi une logique drsquoeacuteconomie drsquoeacutechellepar la massification des volumes Bien qursquoun tri soit effectueacute celui-ci reste relativementsommaire conduisant agrave un flux de plastiques fins en meacutelange Ainsi le plastique secon-daire issu de la filiegravere est en grande majoriteacute de basse qualiteacute et ne peut ecirctre reacuteutiliseacute dansdes applications agrave haute valeur ajouteacutee Les deacuteboucheacutes pour cette matiegravere sont limiteacutes etont peu drsquointeacuterecirct
Cette deacutegradation de la matiegravere geacutenegravere un cercle vicieux En effet nrsquoeacutetant pas quali-tativement inteacuteressante les producteurs accordent tregraves peu drsquoimportance au marcheacute se-
62 Le COMEX est une bourse speacutecialiseacutee dans lrsquoeacutenergie et les meacutetaux preacutecieux fondeacutee agrave New York en1933
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
condaire de la matiegravere et privileacutegient le marcheacute de la matiegravere premiegravere vierge ce qui estencore plus vrai aujourdrsquohui face agrave des cours tregraves bas En outre ce deacutesinteacuteressement geacute-neacuteral porte atteinte aux compeacutetences en plasturgie dans la filiegravere et devient un obstaclesignificatif pour espeacuterer faire eacutemerger une filiegravere secondaire plastique de qualiteacute
Dans les filiegraveres des meacutetaux et du plastique actuelles il est ainsi possible drsquoidenti-fier de multiples failles dont un manque de compeacutetences de savoirs de propositionsde valeur environnementale et de deacuteboucheacutes industriels pour la matiegravere secondaire Cesfailles limitent le potentiel de circulariteacute de la filiegravere crsquoest-agrave-dire le deacuteveloppement deBMC maximisant la valorisation de la valeur reacutesiduelle des DEEE
En fait passer drsquoun modegravele classique agrave un modegravele plus circulaire implique des chan-gements notables dans lrsquoentreprise modification de la conception des produits ou ser-vices etou des processus de production (en inteacutegrant les enjeux environnementaux) creacuteation de nouvelles relations avec les consommateurs etou fournisseurs creacuteation denouveaux modegraveles de revenus pouvant inclure de nouvelles formes de valeur autre quefinanciegraveres (MENTINK 2014 p4) etc
Ces changements sont caracteacuteristiques drsquoune transition vers un modegravele drsquoeacuteconomiecirculaire et doivent se penser de maniegravere systeacutemique En cela une repreacutesentation dyna-mique agrave lrsquoimage de celle du modegravele RCOV est inteacuteressante Toutefois nous allons agrave preacute-sent insister sur un enjeu tout aussi important qui est drsquoencourager les acteurs agrave penser entermes de systegraveme drsquoaffaires crsquoest-agrave-dire au-delagrave de lrsquoactiviteacute prise isoleacutement Il srsquoagiraalors de srsquoappuyer eacutegalement sur un modegravele inteacutegrant un spectre drsquoacteurs et drsquoactiviteacuteslarge et non firmo-centreacute comme le sont les scheacutemas des BM classiques
IV33 Le Business Model Circulaire source drsquointerdeacutepen-dances fortes
Dans un modegravele drsquoeacuteconomie circulaire la dimension de circulariteacute modifie le niveaudrsquoanalyse En effet lrsquoentreprise doit alors concevoir son modegravele drsquoaffaire de maniegravere eacutelar-gie davantage vers lrsquoamont et lrsquoaval de son activiteacute Cet eacutelargissement implique la consi-deacuteration de nouveaux acteurs et de deacutevelopper de nouvelles compeacutetences et de nouvellesressources Par ailleurs ces derniers (ie acteurs compeacutetences et ressources) peuvent nepas preacuteexister devant alors ecirctre creacuteeacutes
Par exemple dans le cas de la filiegravere DEEE lrsquoabsence de marcheacute de certaines matiegraveressecondaires est un obstacle important agrave la valorisation des deacutechets En effet les meacutetauxstrateacutegiques contenus dans les cartes eacutelectroniques ne sont pas reacutecupeacutereacutes par les opeacutera-teurs de traitement dominants (ceux composant lrsquooligopole) car ils ne considegraverent pas lemarcheacute suffisamment inteacuteressant pour investir de maniegravere conseacutequente dans le deacutepasse-ment des limites technologiques Tout de mecircme certains acteurs tentent de srsquoimmiscerdans la filiegravere Ces acteurs proposent des technologies nouvelles permettant de reacutecupeacute-rer certains meacutetaux strateacutegiques en geacuteneacuteral perdus dans les processus de traitement descartes Par exemple les acteurs Terra Nova Deacuteveloppement et Bigarren Bizi sur lesquelsnous reviendrons plus tard
Reste qursquoun des obstacles majeurs auquel sont confronteacutes ces acteurs innovants est
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
le manque de deacuteboucheacutes en France et en Europe pour la reacuteutilisation de ces meacutetaux tregravesspeacutecifiques Ces meacutetaux sont plutocirct utiliseacutes dans les hautes technologies notammentdans les technologies de lrsquoinformation et de la teacuteleacutecommunication dont la productionest concentreacutee dans les pays asiatiques En outre il nrsquoexiste pas de cours de ces meacutetauxspeacutecifiques contrairement aux meacutetaux preacutecieux avec le COMEX En lrsquoabsence de marcheacuteinvestir dans la reacutecupeacuteration de matiegraveres secondaires est un risque conseacutequent
Cet obstacle se retrouve eacutegalement dans la filiegravere des plastiques En effet le recyclagedes DEEE permet eacutegalement de reacutecupeacuterer une quantiteacute significative de matiegravere plastiquesecondaire Toutefois contrairement aux meacutetaux qui sont en theacuteorie 100 recyclableset ce agrave lrsquoinfini le plastique se deacutenature au cours du recyclage et perd de ses proprieacuteteacutesphysico-chimiques et de ses performances techniques Ceci conduit en geacuteneacuteral les in-dustriels agrave faire du sous-recyclage (ie reacuteutiliser le plastique recycleacute pour la fabricationde commoditeacutes de faible valeur ajouteacutee) Aussi la substitution de plastique vierge par duplastique secondaire dans un processus de fabrication peut-elle contraindre le fabricantagrave des surcoucircts drsquoadaptation de ses machines et de conception de ses produits
Par ailleurs lorsque les cours de la matiegravere premiegravere sont bas produire un plastiquerecycleacute de qualiteacute nrsquoest pas compeacutetitif De la mecircme maniegravere que pour les meacutetaux strateacute-giques (mais pour drsquoautres raisons) le plastique secondaire nrsquoa pas de marcheacute deacuteveloppeacuteet stabiliseacute ce qui freine les initiatives de valorisation de ces matiegraveres
Ainsi dans un modegravele drsquoeacuteconomie circulaire le marcheacute est bien plus complexe moinsstable parfois incomplet voire inexistant Aussi relegraveve-t-il neacutecessairement drsquoune actionde co-construction entre des acteurs de secteurs diffeacuterents
La dimension circulaire contracte lrsquoenvironnement de lrsquoentreprise en creacuteant des in-terdeacutependances fortes jusque-lagrave inexistantes Drsquoautant plus que les acteurs de lrsquoeacutecono-mie circulaire sont peu nombreux Ceci limite consideacuterablement le choix des partenaireset rend les deacutependances drsquoautant plus fortes En effet ce que lrsquoon observe est que les re-cycleurs crsquoest-agrave-dire les producteurs de matiegraveres secondaires et les producteurs de pro-duits finis qui utilisent de la matiegravere premiegravere se rapprochent de maniegravere agrave concevoirensemble la fiche technique de la matiegravere secondaire afin qursquoelle soit compatible agrave la foisavec les processus de recyclage et les processus de fabrication des produits Crsquoest ainsiqursquoun partenariat a eacuteteacute creacuteeacute entre le producteur drsquoeacutelectromeacutenagers SEB et le recycleurVeolia afin de concevoir ensemble un plastique recycleacute compatible avec les exigencestechniques et commerciales de chacun
Il srsquoagit pour ces acteurs de creacuteer ensemble de nouveaux deacuteboucheacutes de la matiegravere re-cycleacutee drsquoacqueacuterir de nouvelles compeacutetences et de creacuteer de nouveaux marcheacutes Rappelonsqursquoagrave lrsquoinverse dans une eacuteconomie lineacuteaire les marcheacutes des matiegraveres premiegraveres sont mon-dialiseacutes et regroupent un grand nombre drsquoacteurs participant agrave un marcheacute de lrsquooffre et dela demande tregraves dynamique Les fabricants de produits peuvent srsquoapprovisionner aupregravesde divers fournisseurs de matiegraveres standardiseacutees et inversement les producteurs de ma-tiegraveres premiegraveres ont accegraves agrave un large marcheacute et nrsquoont pas agrave se soucier de lrsquoexistence dedeacuteboucheacutes
De ce fait lrsquoactiviteacute drsquoune entreprise au sein drsquoune filiegravere drsquoeacuteconomie circulaire deacutepen-dra fortement des activiteacutes amont (tel est le cas pour les producteurs qui doivent controcircler
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
la qualiteacute drsquoapprovisionnement en matiegravere recycleacutee) et aval (tel est le cas pour les recy-cleurs qui doivent creacuteer des deacuteboucheacutes de maniegravere agrave creacuteer de la valeur ajouteacutee) Toutemodification du BM devra prendre en compte lrsquoensemble de la chaicircne de valeur Il srsquoagitalors de penser lrsquoensemble de la filiegravere ougrave les fournisseurs et les clients ne se reacutevegravelent passpontaneacutement ougrave le marcheacute est agrave construire ougrave les ressources et les compeacutetences sontagrave deacutevelopper et ougrave la creacuteation de valeur au niveau de lrsquoentreprise ainsi que le reacuteseau devaleur agrave lrsquoeacutechelle de la filiegravere doivent ecirctre conccedilus et articuleacutes
Dans ce modegravele la performance drsquoun BMC ne repose pas sur un unique acteur maisdeacutepend de plusieurs acteurs de secteurs diffeacuterents Lrsquoinnovation relegraveve drsquoun engagementcollectif (NTSONDEacute 2016) En fait alors que dans un marcheacute stabiliseacute la concurrence peutencourager lrsquoinnovation en situation de fortes incertitudes elle peut ecirctre un frein agrave lrsquoex-ploration de nouvelles solutions Crsquoest une des raisons pour lesquelles les eacuteco-organismesprivileacutegient des contrats drsquoune dureacutee suffisante avec leurs opeacuterateurs afin de soutenir lesinvestissements engageacutes dans lrsquoameacutelioration de la performance de la filiegravere (cf III311)En outre la coopeacuteration permet aux petites entreprises drsquoacqueacuterir les ressources et lescompeacutetences neacutecessaires agrave une transformation circulaire qui leur auraient eacuteteacute difficile-ment accessibles agrave un niveau individuel
Avant drsquoentrer dans les deacutetails de la repreacutesentation graphique drsquoun BMC et de sonprocessus de conception voyons quelles sont les logiques de creacuteation de valeur dansla filiegravere DEEE cherchant agrave deacutepasser le paradigme du modegravele lineacuteaire Ce retour au casde la filiegravere DEEE va nous permettre de mieux saisir lrsquoenjeu de deacutepassement de lrsquoap-proche laquo firmo-centreacutee raquo des BM classiques et drsquointroduire la notion drsquoEcoSystegraveme drsquoAf-faires (ESA) comme support au deacuteveloppement des BMC
IV34 Logiques de creacuteation de valeur dans la filiegravere DEEE
Dans la filiegravere DEEE nous pouvons observer diffeacuterentes strateacutegies de creacuteation de va-leur dans le but de deacutepasser le paradigme du modegravele lineacuteaire
Concernant le marcheacute des meacutetaux strateacutegiques certains acteurs cherchent agrave se posi-tionner en deacuteveloppant de nouvelles technologies permettant une valorisation totale descartes eacutelectroniques en suppleacutement des meacutetaux preacutecieux Agrave partir de nos investigationsempiriques nous avons pu identifier trois logiques drsquoinnovation que nous allons illustreragrave partir de trois exemples concrets
La premiegravere logique drsquoinnovation est une strateacutegie low cost visant agrave minimiser lescoucircts drsquoinvestissement et de fonctionnement plutocirct qursquoune maximisation de la valeurcreacuteeacutee Bigarren Bizi PME franccedilaise a ainsi opteacute pour une telle strateacutegie La technologieque lrsquoentreprise a deacuteveloppeacutee est un proceacutedeacute entiegraverement meacutecanique ougrave les cartes eacutelec-troniques contenant des meacutetaux preacutecieux et strateacutegiques sont broyeacutees tregraves finement pourseacuteparer les diffeacuterents meacutetaux Ce proceacutedeacute simple preacutesente lrsquoavantage de coucircts tregraves faibles 15meurodrsquoinvestissement par rapport agrave des proceacutedeacutes physico-chimiques plus sophistiqueacutesEn revanche le degreacute de pureteacute de la matiegravere reacutecupeacutereacutee de 90 est nettement plus faibleet ne permet pas une reacuteutilisation agrave haute valeur ajouteacutee ougrave le degreacute atteint les 99999De ce fait cette innovation technologique est accompagneacutee drsquoune reacuteflexion sur les deacutebou-cheacutes potentiels de la matiegravere en aval de lrsquoactiviteacute et ainsi sur lrsquoorganisation drsquoun reacuteseau devaleur en aval de lrsquoentreprise Dans la phase actuelle drsquoexploration drsquoun tel BMC lrsquoen-
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
treprise nrsquoa pas encore vraiment structureacute une telle deacutemarche ou trouveacute des partenairespour le faire
Une deuxiegraveme logique drsquoinnovation est drsquoadopter des strateacutegies de niche compleacute-mentaires des acteurs dominants Terra Nova Deacuteveloppement (TND) est un recycleur detaille moyenne TND recycle 15000 tonnes de cartes par an soit 3 du marcheacute mondialIl reacutecupegravere aujourdrsquohui les meacutetaux preacutecieux des cartes eacutelectroniques et souhaite deacutevelop-per une technologie compleacutementaire de celle des grands recycleurs de meacutetaux preacutecieuxIl cherche agrave reacutecupeacuterer par exemple le Tantale un meacutetal strateacutegique jusque-lagrave perdu dansles process de pyromeacutetallurgie utiliseacutes par ces grands recycleurs De la mecircme maniegravere quepreacuteceacutedemment cette strateacutegie neacutecessite de penser lrsquoorganisation externe de lrsquoentreprisedeacutejagrave ancreacutee dans une filiegravere oligopolistique bien eacutetablie De ce fait leur ideacutee est drsquoaxer leurBMC sur la reacutecupeacuteration drsquoun Tantale tregraves pur laquo precirct agrave lrsquoemploi raquo et de laisser lrsquoaffinagedes meacutetaux preacutecieux aux acteurs deacutejagrave existants Cette logique a conduit TND agrave se poser laquestion des deacuteboucheacutes et de la forme agrave donner au Tantale pour satisfaire le besoin desclients en aval Cependant un enjeu majeur de ce marcheacute de niche est que tregraves peu declients potentiels crsquoest-agrave-dire les fabricants drsquoeacutequipements eacutelectriques et eacutelectroniquesfabriquent reacuteellement sur le territoire et utilisent directement du Tantale La question dudeacuteboucheacute est donc essentielle et penser uniquement en matiegravere de technologie ne peutsuffire pour deacuteployer une filiegravere de reacuteutilisation de la matiegravere secondaire Aussi tout unmarcheacute est-il agrave creacuteer
Une troisiegraveme logique drsquoinnovation est de proposer une inteacutegration verticale pourproposer des produits-services agrave forte valeur ajouteacutee Rhodia-Solvay grande entreprisedans le secteur de la chimie avait ainsi choisi de ne pas srsquoarrecircter agrave lrsquoextraction simple desterres rares (ie une famille de meacutetaux strateacutegiques) issues des lampes fluo-compactesLrsquoentreprise avait choisi de valoriser les terres rares en interne en proposant agrave la ventede nouvelles applications les utilisant Cependant lrsquousine a ducirc fermer au deacutebut de lrsquoan-neacutee 2016 (Ecogisements 2016) Le fait est qursquoelle a eacuteteacute fragiliseacutee par le changement tech-nologique du passage des lampes fluo-compactes aux lampes eacutelectroluminescentes Cesderniegraveres ont une composition diffeacuterente qui ne permettait plus drsquoassurer lrsquoapprovision-nement en terres rares de lrsquousine Agrave cela srsquoest ajouteacute le retour agrave la normale des exportationschinoises en terres rares Aussi lrsquoeacutevolution rapide des technologies des EEE est-il un freinconseacutequent au deacuteveloppement des BMC deacutepassant les simples choix techniques de re-cyclage
De ces logiques nous pouvons noter qursquoune reacuteflexion uniquement en matiegravere drsquoin-novation technologique ne peut suffire pour penser le deacuteveloppement et la diffusion agravegrande eacutechelle de BMC innovants et qursquoune activiteacute drsquoingeacutenierie est neacutecessaire pour conce-voir un eacutecosystegraveme drsquoaffaires (ESA) favorisant lrsquoaccueil et le deacuteveloppement de tels BMC
Dans le cas de la filiegravere plastique fragiliseacutee par une logique de sous-recyclage les en-treprises du recyclage cherchent agrave se reacuteinventer Dans cette optique elles se recentrentsur des marcheacutes de niche et proposent de nouvelles faccedilons de creacuteer de la valeur agrave traversune logique de croissance externe (Ecogisements 2015) soit par lrsquoacquisition de star-tups innovantes par exemple en septembre 2015 Veolia a annonceacute le rachat de la socieacuteteacuteneacuteerlandaise AKG Kunstsof Groep speacutecialiseacutee dans le recyclage des plastiques soit par lacreacuteation de partenariats strateacutegiques avec des entreprises disposant de technologies in-novantes par exemple en octobre 2015 Seacutecheacute Environnement srsquoest associeacute avec la startup
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
ETIA dans le cadre drsquoun projet de valorisation eacutenergeacutetique des combustibles solides dereacutecupeacuteration soit par la creacuteation de partenariats dans le but de co-construire un proces-sus de valorisation innovant par exemple Veolia et le producteur drsquoeacutelectromeacutenagers SEBse sont associeacutes afin de produire une matiegravere plastique recycleacutee compatible avec les pro-ceacutedeacutes de fabrication du fabricant Dans ce dernier exemple la question nrsquoest pas tant latechnologie innovante agrave investiguer que la composition technique de la matiegravere secon-daire agrave adapter aux besoins des producteurs de la filiegravere
De maniegravere geacuteneacuterale on constate que les acteurs ont tendance agrave chercher de la valeuren eacutetendant les eacutetapes aval etou amont de la chaicircne de valeur Un opeacuterateur de recy-clage speacutecialiseacute sur le tri et la seacuteparation des mateacuteriaux reacutefleacutechira agrave inteacutegrer de nouvellescompeacutetences afin drsquoaccroicirctre la valorisation matiegravere tandis qursquoun fabricant de produitscherchera agrave maicirctriser son approvisionnement en matiegravere recycleacutee
Ces tendances conduisent agrave la creacuteation de nouvelles relations drsquointerdeacutependancesentre acteurs de secteurs diffeacuterents et poussent les acteurs agrave reacutefleacutechir leur BM au-delagravede leur activiteacute Il srsquoagit de co-construire un EcoSystegraveme drsquoAffaires (ESA) permettant drsquoac-cueillir les BMC Aussi les acteurs misent-ils essentiellement sur les compeacutetences agrave deacute-ployer tout en prenant conscience de lrsquoimportance drsquoautres facteurs lieacutes agrave la structurationde filiegraveres et drsquoeacutecosystegravemes drsquoaffaires
IV35 Lrsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires comme support au BusinessModel Circulaire
La logique de circulariteacute a des conseacutequences inheacuterentes qui eacutelargit neacutecessairement leniveau drsquoanalyse du Business Model (BM) afin drsquointeacutegrer la dimension filiegravere Le BusinessModel Circulaire (BMC) en tant qursquooutil drsquoinnovation doit permettre la prise en comptedes questions de compatibiliteacute avec lrsquoenvironnement existant ou de construction drsquounenvironnement absent Eacutemerge ainsi lrsquoimportance de lrsquoactiviteacute drsquoingeacutenierie de filiegravere ougraveil srsquoagit drsquoidentifier de modifier ou de construire un EcoSystegraveme drsquoAffaires (ESA) permet-tant de soutenir lrsquoinnovation collective (NTSONDEacute 2016)
Crsquoest dans les anneacutees 90 que le concept drsquoESA est apparu par analogie avec les eacutecosys-tegravemes naturels dans lesquels des relations complexes srsquoeacutetablissent entre des ecirctres vivantset leur milieu parvenant agrave un eacutequilibre durable Le concept a eacuteteacute deacutefini par Moore commelaquo une communauteacute eacuteconomique supporteacutee par lrsquointeraction entre des entreprises et desindividus mdash les organismes du monde des affaires Cette communauteacute eacuteconomique vaproduire des biens et des services en apportant de la valeur aux clients qui feront eux-mecircmes partie de cet eacutecosystegraveme Les organismes membres vont eacutegalement inclure lesfournisseurs les producteurs les concurrents et autres parties prenantes Agrave travers letemps ils vont faire co-eacutevoluer leurs compeacutetences et leurs rocircles et vont tendre agrave srsquoalignereux-mecircmes sur la direction drsquoune ou de plusieurs entreprises centrales Ces entreprisesvont deacutetenir un rocircle de leader qui peut eacutevoluer agrave travers le temps mais la fonction drsquounleader de lrsquoeacutecosystegraveme sera drsquoapporter de la valeur agrave la communauteacute car il va engager lesmembres agrave agir en partageant une vision pour adapter leurs investissements et trouverdes rocircles drsquoappui mutuels raquo (MOOER 1996) Ainsi la notion drsquoESA permet de souligner lesdynamiques de coopeacuteration dans les situations complexes en reacuteveacutelant les liens de coor-dination entre diffeacuterents BM en interaction (ATTOUR et BURGER-HELMCHEN 2014)
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
Dans le cas des BMC la notion fait drsquoautant plus sens que les interdeacutependances sontintrinsegraveques aux modegraveles circulaires et imposent aux acteurs de deacutevelopper de nouvellescoopeacuterations avec des secteurs jusque-lagrave inconnus afin de rendre viable leur technolo-gie Lrsquoentreprise passe ainsi drsquoun modegravele drsquoinnovation fermeacutee agrave un modegravele drsquoinnovationouverte conduisant agrave lrsquoeacutemergence drsquoESA (ATTOUR et BURGER-HELMCHEN 2014) LrsquoESApermet aux entreprises entre autres de laquo mieux valoriser [leurs] outputs (inside-out) envue de capturer de la valeur geacuteneacutereacutee par lrsquoeacutecosystegraveme raquo (ATTOUR et BURGER-HELMCHEN2014 [ZOTT et collab 2010])
Toutefois lrsquoeacutecosystegraveme peut ne pas preacuteexister ecirctre incomplet marqueacute par des laquo trousraquo de compeacutetences ou instable En effet les filiegraveres de lrsquoeacuteconomie circulaire font face agravede nombreux obstacles dont un manque de connaissances et de savoir-faire drsquoinforma-tions et drsquoinvestissements agrave diffeacuterents niveaux cleacutes de la chaicircne de valeur (BICKET et col-lab 2014) Or selon Attour et Burger-Helmchen laquo la configuration ideacuteale de la chaicircne devaleur et par extension le modegravele drsquoaffaires le plus adapteacute nrsquoapparaissent pas lors de laconstruction drsquoun eacutecosystegraveme mais seulement une fois que celui-ci est stabiliseacute raquo (AT-TOUR et BURGER-HELMCHEN 2014) Aussi la construction drsquoun BMC ne peut-elle se fairesans lrsquoidentification et la stabilisation de lrsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires qui lrsquoentoure
Apregraves avoir exposeacute et illustreacute les enjeux des BMC venons en agrave leur repreacutesentation gra-phique et leur processus de conception La forme de repreacutesentation du BMC a pour deacutefide rendre compte agrave la fois des composantes cleacutes du BM proposition de valeur clients partenaires structures de coucircts et de revenus etc et des interdeacutependances entre acteursde lrsquoESA Par ailleurs le processus de conception des BMC a tout autant un rocircle agrave jouerdans lrsquoeacutemergence et la constitution drsquoun ESA adapteacute Voyons agrave preacutesent comment la litteacute-rature a traiteacute ces deacutefis
IV36 Repreacutesentation graphique du Business Model Circu-laire un deacutefi drsquointeacutegration de lrsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires
Dans la litteacuterature il existe peu de modegraveles permettant une vision inteacutegreacutee drsquoun eacuteco-systegraveme circulaire Mentink apregraves avoir reacutealiseacute une revue de diffeacuterentes repreacutesentationsexistantes de Business Model (BM) a proposeacute un modegravele dans le but drsquoaider les praticiensagrave reacutefleacutechir en termes drsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires et non pas de maniegravere restreinte agrave un BMindividuel Le Business Cycle Canvas (BCC) (figure IV32) fait reacutefeacuterence au BM Canvas Ilrepose simplement sur les quatre questions cleacutes who what how why plutocirct que lesneuf composantes du BM Canvas En reacutealiteacute on retrouve lrsquoensemble des eacuteleacutements du BMCanvas mais repreacutesenteacutes de maniegravere plus dynamique Les acteurs impliqueacutes partenairesclients etc dans le BMC sont tous repreacutesenteacutes individuellement par des rectangles agrave lrsquoin-teacuterieur desquels sont indiqueacutees les activiteacutes cleacutes exerceacutees au sein du systegraveme Les relationsentre les acteurs sont modeacuteliseacutees par diffeacuterentes flegraveches Les flegraveches noires pleines deacute-crivent les flux mateacuteriels eacutechangeacutes ou partageacutes matiegraveres premiegraveres produits machineset correspondent ainsi agrave la proposition de valeur et aux ressources cleacutes du BM Canvas clas-sique Les flegraveches en pointilleacutees correspondent aux flux financiers crsquoest-agrave-dire agrave la struc-ture de coucircts et de revenus Enfin les doubles flegraveches rouges repreacutesentent les eacutechangesimmateacuteriels tels que des donneacutees des licences des formations des prescriptions desconseils des contacts etc ou encore des caracteacuteristiques relationnelles confiance reacute-
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
putation satisfaction client etc
FIGURE IV32 ndash Le Business Cycle Canvas (MENTINK 2014)
Contrairement au BM Canvas lrsquoavantage de ce modegravele est qursquoil permet agrave une entre-prise de repreacutesenter sa valeur ajouteacutee au sein drsquoun EcoSystegraveme drsquoAffaires (ESA) dont lrsquoen-semble contribue agrave lrsquoobjectif de circulariteacute Il permet drsquoencourager les acteurs agrave penserde maniegravere systeacutemique Par ailleurs de multiples repreacutesentations deacuteriveacutees sont possiblesselon la configuration du modegravele circulaire en question selon le nombre drsquoacteurs ou lenombre de strateacutegies drsquoeacuteconomie circulaire Un exemple est repreacutesenteacute agrave la figure IV33 Agravelrsquoinverse la repreacutesentation en forme de tableau du BM Canvas fige les ideacutees et ne permetpas de voir au-delagrave de lrsquoactiviteacute de lrsquoentreprise
Lrsquoauteur a pu tester le modegravele au cours de workshops aupregraves de professionnels Il estressorti drsquoun grand inteacuterecirct pour ce mode de repreacutesentation Les participants ont souligneacuteplusieurs avantages et utiliteacutes Le scheacutema Business Cycle Canvas (BCC) permet drsquoorga-niser visuellement les informations du cycle eacuteconomique et encourage les utilisateurs agravepenser en termes de systegraveme eacuteconomique avec lrsquoensemble des parties prenantes unemeilleure compreacutehension de la structure et des dynamiques du systegraveme eacuteconomique demettre en avant les relations entre les diffeacuterents acteurs Par ailleurs le support scheacutema-tique facilite la communication aupregraves des parties prenantes Il permet drsquoouvrir au dia-logue et de conclure des engagements de coopeacuteration tangibles En outre le modegravele per-met de souligner les obstacles agrave la mise en oeuvre du systegraveme ou aux deacutefauts agrave comblerEnfin cette repreacutesentation permet drsquoidentifier le Business Model (BM) de lrsquoEcoSystegravemedrsquoAffaires (ESA) dans son ensemble et peut eacuteventuellement encourager les parties pre-nantes agrave innover de maniegravere collective au-delagrave de leurs propres objectifs et inteacuterecircts indi-
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
FIGURE IV33 ndash Variante du Business Cycle Canvas (MENTINK 2014)
viduels crsquoest-agrave-dire par rapport agrave lrsquoensemble du systegraveme De ceci deacutecoule une possiblerepreacutesentation drsquoune structure de gouvernance sur laquelle reposerait lrsquoinnovation col-lective Selon Mentink cette structure pourrait srsquoappuyer sur les flux drsquoinformation deacutejagraverepreacutesenteacutes
Ainsi une visualisation de lrsquoESA peut encourager agrave concevoir des solutions optimiseacuteesagrave lrsquoeacutechelle de la chaicircne de valeur plutocirct qursquoau niveau individuel Ceci peut conduire agrave desprofits suppleacutementaires ou agrave creacuteer drsquoautres sources de valeur qui nrsquoauraient pas eacuteteacute ac-cessibles de maniegravere individuelle
Talukder a repris la repreacutesentation de Mentink en soulignant le manque drsquoaccent surles critegraveres de deacuteveloppement durable par ailleurs reconnu par Mentink ainsi que lrsquoab-sence de la concurrence (TALUKDER 2017) qui selon Widmers (2016) est un eacuteleacutementimportant constitutif du BM En outre il considegravere la reacuteduction des eacuteleacutements classiquesdu BM canvas agrave quatre questions trop restrictive conduisant agrave une perte drsquoinformationscruciales
Il identifie ainsi drsquoautres modegraveles tels que le BM circulaire durable (Sustainable Cir-cular Business Model SCBM) proposeacute par Antikainen et Valkokari (2016) Toutefois alorsque celui-ci permet drsquoinclure les enjeux de soutenabiliteacute Talukder critique la faible repreacute-sentation des relations de coopeacuteration de la penseacutee systeacutemique et des aspects de concur-rence
Talukder relegraveve eacutegalement les travaux de Lewandoski (2016) Ce dernier propose unmodegravele circulaire deacutecoulant du BM Canvas drsquoOsterwalder Il y ajoute deux eacuteleacutements un systegraveme de retour (Take-back system) assurant la circulariteacute des flux et des facteursdrsquoadoption (adoption factors) crsquoest-agrave-dire les capaciteacutes internes et externes de lrsquoentre-prise pour une transition vers un modegravele drsquoeacuteconomie circulaire Toutefois il souligne queces eacuteleacutements sont deacutejagrave preacutesents dans le modegravele de Mentink de maniegravere plus visuelle Ils ysont traduits par des flegraveches et des encadreacutes Par ailleurs il souligne lrsquoabsence du carac-tegravere systeacutemique puisque le modegravele de Lewandoski est une simple extension du tableauproposeacute par Osterwalder
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
De ce fait agrave lrsquoaune de cette litteacuterature compleacuteteacutee Talukder propose une autre repreacute-sentation le Business Combo Model Celle-ci est une combinaison de deux modegraveles Celuidu BM Canvas drsquoOsterwalder auquel il reprend sept des neuf eacuteleacutements cleacutes laissant decocircteacute les flux de revenu et les partenaires cleacutes pour les remplacer par des eacuteleacutements issus duSCBM et du Business Cycle Canvas de Mentink en srsquoinspirant du caractegravere systeacutemique(cf figure IV34) Agrave cela il ajoute deux eacuteleacutements tireacutes du SCBM que sont les impacts lieacutesau deacuteveloppement durable et les parties prenantes cleacutes srsquoinspirant des travaux drsquoAnti-kainen et de Valkokari (ANTIKAINEN et VALKOKARI 2016)
FIGURE IV34 ndash Le Circular Business Model (TALUKDER 2017 fig 12 p45)
Ce scheacutema amegravene agrave une critique En cherchant agrave rassembler un maximum drsquoinfor-mations le modegravele proposeacute par Talukder perd la flexibiliteacute des repreacutesentations de typesMentink ou RCOV Le scheacutema revient agrave un niveau de deacutetail duquel on cherchait juste-ment agrave se deacutegager afin de privileacutegier le caractegravere eacutevolutif de lrsquooutil Par ailleurs la chaicircnede valeur cyclique est moins reconnaissable Or selon les retours faits du BCC cette vi-sualisation assurait agrave lrsquoensemble des acteurs une meilleure compreacutehension du systegravemeeacuteconomique et encourageait agrave penser de maniegravere systeacutemique voire mecircme agrave innover demaniegravere collective au-delagrave des propres inteacuterecircts de chacun
De ce fait nous pensons qursquoau lieu de chercher agrave inclure un maximum drsquoinformationsdans un mecircme scheacutema il est probablement plus raisonnable de garder une combinaisondrsquooutils chacun ayant un but speacutecifique Alors que le modegravele RCOV permet de soulignerles micro-dynamiques intervenant dans la transformation des BM la repreacutesentation cir-culaire de type BCC permet de rendre compte des interdeacutependances entre acteurs et deleur place dans lrsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires Crsquoest alors aux acteurs de choisir quelles repreacutesen-tations utiliseacutees en fonction de leur objectif drsquoautant plus que ces derniers peuvent ecirctremultiples cherchent-ils agrave repreacutesenter de maniegravere claire la complexiteacute drsquoun systegraveme Agravecommuniquer efficacement sur une initiative circulaire Ou bien cherchent-ils agrave en faireun outil drsquoaide agrave la conception collective
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CHAPITRE IV3 LE BUSINESS MODEL CIRCULAIRE
Si lrsquoon voulait trouver un lien entre les deux repreacutesentations on pourrait expliquerque le scheacutema BCC nrsquoest autre qursquoune modeacutelisation focaliseacutee de lrsquoorganisation externe(ie lrsquoOrganisation externe le O du modegravele RCOV) de lrsquoentreprise engageacutee dans unestrateacutegie drsquoeacuteconomie circulaire En fait la conception drsquoun BMC entraicircne implicitementlrsquohypothegravese de lrsquoexistence drsquoun eacutecosystegraveme drsquoaffaires associeacute Celui-ci est rarement ex-pliciteacute La repreacutesentation agrave deux niveaux a cet avantage drsquoexpliciter agrave la fois la compo-sition de lrsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires associeacute au Business Model Circulaire (BMC) agrave travers lescheacutema Business Cycle Canvas (BCC) ainsi que les micro-dynamiques des transforma-tions du Business Model agrave travers la scheacutematisation RCOV de lrsquoentreprise
Au-delagrave de la repreacutesentation graphique crsquoest lrsquoensemble du processus de conceptiondu Business Model Circulaire qui en fait un outil drsquoinnovation collective inteacuteressant per-mettant drsquoaccompagner le deacuteveloppement de modegraveles plus circulaires En effet contrai-rement agrave un Business Model classique qui se conccediloit geacuteneacuteralement en interne entre cadresdirigeants concevoir un Business Model Circulaire se fait en concordance avec divers par-ties prenantes issues de secteurs diffeacuterents et parfois nrsquoayant pas forceacutement lrsquohabitude detravailler ensemble Crsquoest degraves le processus de conception drsquoun Business Model Circulaireqursquoun eacutecosystegraveme drsquoaffaires eacutemerge et se structure en fonction des nouvelles relations quise sont creacuteeacutees Par ailleurs il srsquoagit de srsquoefforcer agrave reacutefleacutechir en dehors des cadres classiquesagrave eacutelever la reacuteflexion au-delagrave de la logique lineacuteaire dominante de faire force de creacuteativiteacute etde propositions tout en maintenant une approche systeacutemique des enjeux Aussi le pro-cessus de conception du Business Model Circulaire est-il un deacutefi en soi permettant agrave tra-vers le challenge drsquoeacutelever les reacuteflexions et de faire eacutemerger collectivement des ideacutees et dessolutions innovantes
La meacutethodologie de conception drsquoun Business Model Circulaire est ainsi toute aussiessentielle que la repreacutesentation graphique agrave laquelle elle doit conduire Une meacutethodolo-gie efficace doit permettre la construction drsquoun Business Model Circulaire en parallegravele delrsquoeacutecosystegraveme drsquoaffaires associeacute qui en favorisera la diffusion Afin drsquoaider les entreprisesdans ce travail de conception creacuteative et collective des meacutethodes ont eacuteteacute proposeacutees dansla litteacuterature et par des praticiens
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Chapitre IV4
Meacutethodes pour geacuteneacuterer des BusinessModels Circulaires
IV41 Un manque dans la litteacuterature
Concevoir une meacutethode drsquoinnovation de Business Model (BM) consiste agrave deacutecouper endiffeacuterentes eacutetapes le processus de creacuteation drsquoun BM Il peut srsquoagir de transformer un BMexistant comme il peut srsquoagir drsquoen creacuteer un nouveau Un tel deacutecoupage permet de fairecorrespondre agrave chaque eacutetape diffeacuterents obstacles pouvant subvenir ainsi que les levierspotentiels Des outils manageacuteriaux peuvent ecirctre proposeacutes afin de faciliter la conduite dechangements Cela permet entre autres aux managers drsquoorganiser la conduite du proces-sus drsquoinnovation et drsquoanticiper un certain nombre de difficulteacutes
Alors que lrsquoutilisation de telles meacutethodes est consideacutereacutee comme indispensable pouraccompagner les entreprises dans un processus drsquoinnovation de BM elle semble drsquoau-tant plus cruciale dans la transition vers des modegraveles plus complexes Or il existe peu demeacutethodes speacutecifiques agrave la creacuteation de Business Model Circulaire (BMC) (MENTINK 2014TALUKDER 2017)
Mentink relegraveve que cette absence est un manque important En effet contrairementaux BM classiques qui srsquoinscrivent dans une logique neacuteolibeacuterale drsquohyperconcurrence lesBMC neacutecessitent une approche systeacutemique et collaborative des enjeux qui nrsquoest pas for-ceacutement naturelle Drsquoautre part il souligne le manque drsquoaccent sur la phase de mise enoeuvre du BM innovant En effet la litteacuterature srsquoest davantage focaliseacutee sur la maniegravere defaciliter la geacuteneacuteration drsquoideacutees innovantes et leur organisation dans une repreacutesentation detype BM Par ailleurs la plupart de ces meacutethodes srsquoappuie sur la litteacuterature seulementquelques-unes sont enrichies de cas empiriques
Afin de reacutepondre agrave ce manque Mentink srsquoest en particulier appuyeacute sur les travaux deFrankenberger et al FRANKENBERGER et collab 2013 Ces auteurs ont deacuteveloppeacute un cadrethe 4I-framework agrave quatre phases guidant le processus drsquoinnovation drsquoun BM dans le butde lrsquoadapter agrave un BMC
La premiegravere eacutetape est la phase drsquoanalyse initiation phase Dans cette phase lrsquoenviron-nement immeacutediat de lrsquoentreprise est analyseacute afin drsquoidentifier les changements dans lesbesoins des parties prenantes notamment des clients ainsi que drsquoautres facteurs drsquoinno-vation
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CHAPITRE IV4 MEacuteTHODES POUR GEacuteNEacuteRER DES BMC
La seconde eacutetape est celle de la geacuteneacuteration des ideacutees ideation phase agrave travers laquelleun processus creacuteatif collaboratif srsquoorganise
La phase suivante est celle de lrsquointeacutegration des ideacutees dans des repreacutesentations gra-phiques de type BM integration phase
Enfin la derniegravere eacutetape est la mise en oeuvre du BM qui neacutecessite lrsquoacquisition drsquounensemble de ressources et de connaissances
Les auteurs soulignent le fait que le processus est iteacuteratif et que de nombreux allers-retours peuvent avoir lieu entre les diffeacuterentes phases Ces allers-retours permettent aucours du processus drsquoajouter des informations drsquoaffiner les modegraveles drsquoajouter des rela-tions eacutemergentes de reacutesoudre des difficulteacutes etc
IV42 Le Circular Business Model Innovation Framework
Mentink est alleacute plus loin en proposant une adaptation du cadre drsquoanalyse de Fran-kenberger au cas speacutecifique des Business Model Circulaire (BMC) Il propose le CircularBusiness Model Innovation Framework Ce modegravele ajoute en amont du modegravele agrave quatreeacutetapes de Frankenberger une phase de preacuteparation Dans celle-ci il srsquoagit de constituerun groupe drsquoacteurs aux expertises compleacutementaires et de les reacuteunir autour drsquoune com-preacutehension commune des enjeux de lrsquoeacuteconomie circulaire
Suite agrave cette phase de preacuteparation Mentink reprend les quatre phases de Franken-berger agrave la diffeacuterence qursquoil insiste sur certains points speacutecifiques au BMC Dans la phasedrsquoanalyse il souligne lrsquoimportance de penser en termes de systegraveme et drsquoidentifier les sourcesde creacuteation de valeur lieacutees au modegravele drsquoeacuteconomie circulaire De la mecircme maniegravere laphase de geacuteneacuteration drsquoideacutees doit ecirctre axeacutee sur la recherche de plus de circulariteacute La diffi-culteacute est de se deacutetacher de la repreacutesentation lineacuteaire classique afin de concevoir de nou-velles sources de valeur
Vient ensuite la phase drsquointeacutegration des ideacutees dans une repreacutesentation graphique duBMC Ceci est un veacuteritable challenge du fait de la complexiteacute des systegravemes circulairesneacutecessitant lrsquoimplication de diffeacuterents acteurs qursquoil srsquoagit de coordonner Il souligne lrsquoim-portance de la confiance afin de pouvoir geacuterer les probleacutematiques de confidentialiteacute et dedeacutependances entre acteurs Cette confiance peut srsquoobtenir par exemple par la contractua-lisation ou par un systegraveme de gouvernance collective
Enfin la mise en œuvre drsquoun BMC se confronte agrave de fortes reacutesistances internes etexternes qursquoil srsquoagit de deacutepasser Ces reacutesistances sont lieacutees au nombre eacuteleveacute de partiesprenantes ainsi qursquoagrave lrsquoimpreacutegnation du modegravele lineacuteaire Pour cela il ajoute lrsquointeacuterecirct deconduire des projets pilotes et de deacutevelopper des outils de suivi permettant un retourdrsquoexpeacuterience le plus riche et constructif possible
Ainsi lrsquointeacuterecirct de lrsquooutil du BMC deacutepasse la simple repreacutesentation graphique Crsquoestbien lrsquoensemble de la deacutemarche de conception qui permet drsquoaccompagner la transitiondu modegravele eacuteconomique vers plus de circulariteacute
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CHAPITRE IV4 MEacuteTHODES POUR GEacuteNEacuteRER DES BMC
IV43 Lrsquoexpeacuterimentation une eacutetape cleacute pourtant peu trai-teacutee
Bien qursquoil ne soit que peu deacuteveloppeacute le dernier point sur la conduite de projets pi-lotes dans la phase de mise en oeuvre drsquoun BMC nous paraicirct particuliegraverement essentielnotamment lorsqursquoil srsquoagit drsquoune transformation radicale Crsquoest en reacutealiteacute un manque quelrsquoon retrouve dans la litteacuterature de maniegravere geacuteneacuterale En effet les meacutethodes citeacutees parMentink Talukder (JOUSTRA et collab 2013 MOUAZAN et collab 2016) ou encore dansdrsquoautres contextes (ex ANNARELLI et collab 2016) se focalisent essentiellement sur leseacutetapes drsquoanalyse telles que la geacuteneacuteration drsquoideacutees innovantes et lrsquoalignement des inteacuterecirctsdes acteurs Ces eacutetapes se situent en amont de la mise en oeuvre du BM
Savoir geacuteneacuterer de nouvelles ideacutees est un enjeu effectivement important pour des en-treprises qui recherchent agrave proposer quelque chose de neuf et agrave se deacutemarquer dans unmarcheacute deacutejagrave stabiliseacute En revanche cela ne suffit pas quand le marcheacute ne preacuteexiste pasagrave la mise en oeuvre du BM Par exemple il se peut qursquoune technologie nouvelle eacutemergepermettant de creacuteer davantage de valeur cependant si le marcheacute nrsquoexiste pas il nrsquoestpas si eacutevident qursquoelle puisse se deacutevelopper (ex cas de TND et Bigarren Bizi) Dans cecas lrsquoinnovation technologique ne suffit pas Un autre exemple est le cas des modegraveles ba-seacutes sur la vente de lrsquousage drsquoun bien Une condition de reacuteussite de ce type de modegravele estque les consommateurs soient precircts agrave preacutefeacuterer lrsquousage agrave la proprieacuteteacute En fait un tel chan-gement de paradigme ne peut se faire sans une modification globale du contexte socio-technique (CESCHIN 2013) Ainsi dans ces situations lrsquoinnovation deacutepasse le cadre delrsquoentreprise en impliquant tout un eacutecosystegraveme environnant tel un champ drsquoinnovation(AGGERI 2011) Or ce mouvement drsquoinnovation eacutetendu ne peut se reacuteveacuteler qursquoagrave travers laconduite drsquoexpeacuterimentations mettant agrave lrsquoeacutepreuve le BMC
Lrsquoexpeacuterimentation est de ce fait une eacutetape essentielle dans la construction drsquoun Eco-Systegraveme drsquoAffaires (ESA) et le deacuteveloppement de Business Model Circulaire (BMC) Tou-tefois bien que certains introduisent lrsquoideacutee de mettre en place un projet pilote entre lageacuteneacuteration du BM et son possible deacuteveloppement (MENTINK 2014 TALUKDER 2017) lesmeacutethodes de conduite de lrsquoexpeacuterimentation ne sont pas deacuteveloppeacutees Par ailleurs la mon-teacutee en reacutegime de ces expeacuterimentations est eacutegalement un enjeu cleacute
Aussi allons-nous chercher agrave comprendre comment deacutepasser les obstacles repeacutereacutes parla litteacuterature que sont les reacutesistances internes et externes dans la mise en place drsquoun pro-jet pilote ainsi que la complexiteacute de sa conduite telle que lrsquoorganisation des apprentis-sages collectifs (MENTINK 2014) En outre agrave travers drsquoautres cas empiriques nous allonsidentifier de nouveaux obstacles et leviers afin de compleacuteter la litteacuterature existante telleque la question de la monteacutee en reacutegime de projets pilotes
IV44 Lrsquoexpeacuterimentation quelques repegraveres de la litteacuterature
De maniegravere geacuteneacuterale il existe divers champs de litteacuterature traitant de la question duchangement (ex le management de transition) Mentink encourage ainsi lrsquoeacutetude drsquoex-emples empiriques au regard de la litteacuterature existante sur le management de transitionles reacutesistances au changement la mise en oeuvre de projets pilotes et lrsquoorganisation deprocessus drsquoapprentissage (MENTINK 2014)
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CHAPITRE IV4 MEacuteTHODES POUR GEacuteNEacuteRER DES BMC
Dans ces recommandations Mentink cite notamment lrsquoauteur Chesbrough et son ar-ticle sur les barriegraveres et les opportuniteacutes des Business Model Innovation (BMI) (CHES-BROUGH 2010) Dans cet article Chesbrough srsquoappuie sur les barriegraveres agrave lrsquoinnovation deBM repeacutereacutes dans la litteacuterature Ces barriegraveres sont les conflits et les tensions internes auchangement ainsi que leur connaissance et leur compreacutehension Pour une revue de litteacute-rature des BMI voir FOSS et SAEBI 2017 Cette litteacuterature deacuteveloppe la question du chan-gement organisationnel dans le processus drsquoinnovation du BM mais ne traite pas speacuteci-fiquement des enjeux lieacutes agrave une transformation vers un modegravele plus circulaire
Chesbrough souligne ainsi les besoins suivants processus drsquoexpeacuterimentation bonnequaliteacute de dirigeants pour le changement organisationnel et adoption drsquoune deacutemarchedrsquoeffectuation Il insiste plus preacuteciseacutement sur lrsquoimportance des choix de cadrage de lrsquoex-peacuterimentation Le projet pilote doit permettre une mise en situation du BM la plus fidegravelepossible agrave la reacutealiteacute En outre lrsquoexpeacuterimentation doit ecirctre la moins coucircteuse possible enmatiegravere drsquoinvestissement financier ainsi qursquoen matiegravere de moyens humains et de dureacuteede maniegravere agrave ne pas ralentir lrsquoentreprise dans la conduite de son BM actuel
Chesbrough soulegraveve aussi lrsquoimportance du leadership Celui-ci doit assurer la bonneconduite de lrsquoactiviteacute actuelle de lrsquoentreprise tout en anticipant et en encourageant latransition agrave venir 63 Choisir le bon moment pour passer drsquoun stade reacuteversible agrave une trans-formation irreacuteversible de lrsquoentreprise en vue drsquoune monteacutee en puissance de la nouvelleactiviteacute est un choix difficile agrave faire Par ailleurs le leader doit ecirctre en capaciteacute de mobili-ser et drsquoarticuler lrsquoensemble des acteurs et des services dans la transition et ainsi de faireforce drsquoautoriteacute Dans les petites entreprises bien que la place des dirigeants peut ecirctre unavantage leur connexion trop forte avec le BM drsquoorigine (car le plus souvent ils en sont lecreacuteateur) peut freiner le processus drsquoexpeacuterimentation Agrave lrsquoinverse dans les grandes entre-prises les directeurs geacuteneacuteraux changent de fonction tous les deux-trois ans ne permettantpas drsquoassurer une continuiteacute du projet
Enfin Chesbrough met en avant lrsquointeacuterecirct de la meacutethode essai-erreur dans le proces-sus drsquoinnovation des BM lien encore peu eacutetudieacute (OSTERWALDER et PIGNEUR 2013) Onpeut citer toutefois lrsquoeacutetude de cas des auteurs Sosna et al Cette eacutetude relegraveve eacutegalementlrsquointeacuterecirct drsquoun processus drsquoessai-erreur dans la deacutemarche drsquoinnovation drsquoun BM (SOSNA
et collab 2010) Sosna et al ont deacutecrit de maniegravere longitudinale la transformation drsquounBM drsquoune entreprise espagnole deacutedieacutee agrave la dieacuteteacutetique agrave travers un processus drsquoessai-erreurmeneacute sur cinq ans En srsquoappuyant sur ce cas drsquoeacutecole ils en ont tireacute un processus drsquoinno-vation de BM en quatre eacutetapes Ils distinguent une phase drsquoexploration comprenant laconception de lrsquoideacutee initiale et la deacutemarche drsquoessai-erreur drsquoune phase drsquoexploitationcomprenant la monteacutee en reacutegime du modegravele une fois stabiliseacute et sa soutenabiliteacute Aussilrsquoarticle de Sosna et al confirme-t-il lrsquoimportance de lrsquoexpeacuterimentation par essai-erreurdans la deacutemarche drsquoinnovation drsquoun BM Toutefois le cas eacutetudieacute ne relegraveve pas drsquoune stra-teacutegie drsquoeacuteconomie circulaire et expose une deacutemarche relativement laquo firmo-centreacutee raquo noncontrainte par des interdeacutependances fortes
63 Dans la litteacuterature on parle drsquoambidextrie organisationnelle pour expliquer la capaciteacute de certainesorganisations agrave pouvoir conduire agrave la fois des activiteacutes drsquoexploitation de leur connaissance mdash neacutecessaires agravela survie actuelle et des activiteacutes drsquoexploration mdash neacutecessaires agrave leur survie agrave long terme ie permettant deconduire agrave la fois des innovations increacutementales et radicales (TUSHMAN et OrsquoREILLY 1996)
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CHAPITRE IV4 MEacuteTHODES POUR GEacuteNEacuteRER DES BMC
Par ailleurs ces auteurs ainsi que Chesbrough rappellent la diffeacuterence entre lrsquoeacutechec(failure) et lrsquoerreur (mistake) exposeacute par Thomke (2003) Le premier est un reacutesultat na-turel des processus drsquoexpeacuterimentation pouvant ecirctre drsquoune grande utiliteacute En revanche lesecond reacutesulte de mauvais choix du projet pilote ne permettant pas de retours construc-tifs Ainsi lrsquoimportance reacuteside dans le potentiel drsquoapprentissage du projet pilote
Chesbrough se reacutefegravere eacutegalement agrave la notion drsquoeffectuation de Sarasvathy qui srsquoopposeagrave lrsquoideacutee de causaliteacute (SARASVATHY 2001) Dans un processus drsquoeffectuation peu est porteacutesur la phase drsquoanalyse mais crsquoest dans la pratique que se creacutee lrsquoinformation et se reacutevegravele lesopportuniteacutes cacheacutees Par cette notion Sarasvathy deacutecrit la deacutemarche des entrepreneursqursquoelle considegravere bien diffeacuterente des theacuteories classiques en analyse strateacutegique Alors quedans la strateacutegie classique il srsquoagit drsquoeacutetablir un business plan en analysant le marcheacute et laconcurrence par rapport agrave un but fixeacute agrave lrsquoavance lrsquoapproche effectuale consiste agrave srsquoap-puyer sur les moyens existants pour deacutefinir de nouveaux buts Par exemple Bigarren Bizi adeacuteveloppeacute une technologie agrave bas coucirct permettant la reacutecupeacuteration de meacutetaux strateacutegiquesde pureteacute faible Agrave partir de cette matiegravere secondaire il srsquoagit agrave preacutesent de chercher lesdeacuteboucheacutes possibles et de creacuteer les opportuniteacutes
Ainsi dans les deacutemarches drsquoeffectuation lrsquoopportuniteacute drsquoaffaires nrsquoest pas preacute-exis-tante (SILBERZAHN 2016) ce qui rend lrsquoapproche particuliegraverement pertinente en situa-tion de grande incertitude ougrave le marcheacute nrsquoexiste pas En outre contrairement agrave la plani-fication strateacutegique qui a pour but de limiter au maximum les mauvaises surprises lrsquoap-proche effectuale accepte lrsquoimpreacutevisibiliteacute qui est accueillie comme source drsquoopportu-niteacutes Il srsquoagit simplement de fixer les coucircts acceptables afin de limiter les pertes en casdrsquoeacutechec En fait il est plus facile en situation drsquoincertitude drsquoavancer sur une estimationdes coucircts que sur celle des gains
En somme lrsquoeffectuation consiste agrave passer drsquoune logique de preacutediction (essayer dedeviner le marcheacute) agrave une logique de controcircle (lrsquoinventer) (SILBERZAHN 2016) Dans cecas lrsquoaction est privileacutegieacutee agrave lrsquoanalyse
En ce sens lrsquoeffectuation est une deacutemarche deacutecrivant bien le processus de creacuteationdrsquoun BMC dans lequel lrsquoexpeacuterimentation nrsquoest pas un simple sous-produit de la deacutemarchedrsquoanalyse mais fait partie inteacutegrante du processus de construction du BM en contribuantagrave la collecte drsquoinformations et agrave la deacutecouverte de nouvelles opportuniteacutes
Cependant alors que lrsquoeffectuation et la meacutethode essai-erreur sont naturellementconnues du domaine des startups (notamment avec la deacutemarche lean startup dans la-quelle il srsquoagit de minimiser lrsquoinvestissement dans le test de nouveaux produits en lesconfrontant le plus rapidement possible au marcheacute [RIES 2011]) elles sont moins sou-vent appliqueacutees dans les entreprises agrave lrsquoorganisation plus classique 64 En particulier lesgrands groupes sont naturellement plus agrave lrsquoaise avec la logique causale faite de preacute-vision drsquoobjectifs preacutecis de budget de plan drsquoaction de fonctionnement vertical alorsque lrsquoeffectuation est une aventure et un chemin (SILBERZAHN et METZ 2016) Lrsquoap-proche effectuale est ainsi un reacuteel enjeu pour les grandes entreprises eacutetant donneacute leur
64 De maniegravere geacuteneacuterale il existe une vaste litteacuterature identifiant les freins agrave lrsquoinnovation radicale dans lesentreprises existantes voir par exemple CHANG et collab 2012 Cette litteacuterature se focalise en particuliersur lrsquointroduction de produitsservices radicalement innovants et moins sur drsquoautres activiteacutes induites parles BMC telle que la reacuteutilisation de matiegravere recycleacutee
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CHAPITRE IV4 MEacuteTHODES POUR GEacuteNEacuteRER DES BMC
rocircle drsquoacceacuteleacuterateur majeur dans la transition vers une eacuteconomie circulaire Par exempleen participant agrave lrsquoimpulsion de nouveaux marcheacutes de la matiegravere secondaire (FEM 2014a)
Agrave travers une chronique Silberzahn reacutepond agrave la question qui se pose agrave preacutesent lrsquoef-fectuation peut-elle exister dans les grands groupes et plus geacuteneacuteralement dans les entre-prises existantes loin du domaine des startups (SILBERZAHN et METZ 2016)
Le chercheur reacutepond par lrsquoaffirmative en nuanccedilant qursquoil ne srsquoagit pas de changer ra-dicalement lrsquoidentiteacute et la culture de lrsquoentreprise mais de voir comment les principes delrsquoeffectuation peuvent ecirctre deacuteveloppeacutes dans une culture qui restera globalement causaleSelon le chercheur la cleacute de la reacuteussite drsquoun passage agrave lrsquoaction est le soutien de la hieacuterar-chie et lrsquoadheacutesion des parties prenantes dans la co-construction du projet (SILBERZAHN
et METZ 2016) Le processus drsquoallocation des ressources est eacutegalement un enjeu essen-tiel favorisant souvent les activiteacutes existantes de lrsquoentreprise aux deacutepends des activiteacuteseacutemergentes en particulier lorsque ces derniegraveres neacutecessitent un modegravele drsquoaffaire diffeacute-rent (SILBERZAHN 2013) Il est recommandeacute alors que lrsquoactiviteacute eacutemergente soit isoleacuteede lrsquoactiviteacute principale Par ailleurs il convient drsquoadapter les outils de mesure de perfor-mance des activiteacutes nouvelles notamment en privileacutegiant des indicateurs de suivi de laprogression et moins drsquoeacutevaluation drsquoobjectifs fixeacutes agrave lrsquoavance En reacutesumeacute il convient quelrsquoentreprise laisse un espace de liberteacute suffisant aux intrapreneurs 65 agrave la fois en termesde structure et en termes de temps Cette structure pouvant agrave terme ecirctre inteacutegreacutee ou nonagrave lrsquoentreprise existante telle une structuration eacutevolutive par brique de connaissance outechnologique (LAMBERT et SCHAEFFER 2014)
Lrsquoeacutetude de cas empiriques est plus que cruciale dans lrsquooptique drsquoillustrer ces principeset drsquoidentifier des repegraveres pour les entreprises existantes voulant explorer simultaneacutementdiffeacuterentes strateacutegies de lrsquoeacuteconomie circulaire afin de faire eacutevoluer leur BM vers plus decirculariteacute Alors que les startups maicirctrisent lrsquoart des innovations radicales en usant delrsquoapproche effectuale il existe peu de travaux cherchant agrave comprendre dans quellesmesures la penseacutee startup peut ecirctre appliqueacutee dans les organisations plus classiques(WEISSBROD et BOCKEN 2017)
En ce sens Weissbrod et Bocken proposent un cas drsquoeacutetude traitant drsquoune entreprisedu textile voulant rendre son BM plus durable (WEISSBROD et BOCKEN 2017) Les auteursont suivi le processus de creacuteation drsquoune nouvelle activiteacute au sein de lrsquoentreprise de tex-tile agrave travers des entretiens et des workshops Ils en tirent neuf enseignements cleacutes Lrsquoundes enseignements est la difficulteacute conseacutequente rencontreacutee par lrsquoentreprise pour mettreen oeuvre la penseacutee startup Ceci malgreacute une veacuteritable prise de conscience de la partdes acteurs de la neacutecessiteacute drsquoengager un processus drsquoapprentissage dynamique agrave traverslrsquoexpeacuterience Une des raisons majeures eacutetait le manque de connaissance de ce type drsquoap-proche et une compreacutehension diffeacuterente de la maniegravere agrave suivre Aussi les premiegraveres ac-tions nrsquoont-elles eu lieu que trop tardivement dans le processus drsquoinnovation Selon lesauteurs la trop forte volonteacute de planification combineacutee agrave un manque de connaissancesur les approches de type lean startup agrave travers lrsquoensemble de lrsquoeacutequipe projet a retardeacutela mise en opeacuteration des premiegraveres expeacuteriences
65 Notion agrave cheval entre lrsquoentrepreneur et le manager pour deacutesigner lrsquoactiviteacute drsquoentrepreneuriat agrave lrsquointeacute-rieur mecircme de lrsquoentreprise Le terme a eacuteteacute introduit par Gifford et Elizabeth Pinchot degraves 1978 [PINCHOT etPINCHOT 1978] et populariseacute agrave travers un livre best-seller [PINCHOT III 1985]
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CHAPITRE IV4 MEacuteTHODES POUR GEacuteNEacuteRER DES BMC
Afin de poursuivre ces travaux dans le contexte drsquoune organisation cherchant agrave trans-former son Business Model vers plus de circulariteacute par lrsquoexploration de diffeacuterentes strateacute-gies de lrsquoeacuteconomie circulaire nous allons deacutevelopper le cas du producteur drsquoeacutelectromeacute-nagers SEB Il srsquoagit de comprendre comment se construit un Business Model Circulaire agravetravers la conduite drsquoexpeacuterimentations au sein drsquoune organisation Et en second lieu dediscuter de la question de la monteacutee en reacutegime de ces expeacuterimentations
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Chapitre IV5
Le cas de lrsquoentreprise SEB dans la filiegravereDEEE
IV51 Preacutesentation de SEB
La Socieacuteteacute drsquoEmboutissage de Bourgogne (SEB) agrave Selongey a eacuteteacute creacuteeacutee en 1944 apregravesplus de quatre-vingts ans drsquoexistence en tant que ferblanterie tenue par Antoine Lescureet ses descendants Crsquoest une entreprise franccedilaise dont le siegravege est situeacute agrave Ecully pregraves deLyon et qui tient fortement au maintien drsquoune partie de sa production sur le territoire na-tional Crsquoest eacutegalement une socieacuteteacute porteacutee par une passion de lrsquoinnovation qui a jalonneacuteson histoire Le Groupe lance 250 nouveaux produits et modegraveles par an
Plus reacutecemment crsquoest dans les valeurs du deacuteveloppement durable que le Groupe srsquoestengageacute En effet en 2004 le Groupe a creacuteeacute une direction du deacuteveloppement durable afindrsquoharmoniser orienter et impulser une deacutemarche collective et participative dans ce do-maine Puis en 2005 un comiteacute de pilotage du deacuteveloppement durable a eacuteteacute constitueacutedans le but de creacuteer une vraie dynamique interne Les eacutequipes du deacuteveloppement du-rable et de lrsquoenvironnement ont une reacuteelle influence dans le Groupe Cela a eacuteteacute confirmeacuteen 2013 par lrsquoambition de SEB de se fixer un quadruple objectif agrave lrsquohorizon 2020
mdash Moins 20 de consommation eacutenergeacutetique des produits eacutelectriques
mdash Moins 20 de consommation drsquoeacutenergie pour les sites de production
mdash 20 minimum de mateacuteriaux recycleacutes dans les nouveaux produits
mdash Moins 20 drsquoeacutemissions de gaz agrave effet de serre pour le transport des produits (paruniteacute transporteacutee)
Le Groupe est organiseacute en trois divisions indeacutependantes relieacutees par un comiteacute exeacutecutifdont le siegravege social est agrave Ecully Il srsquoagit des Business Units (BU) ougrave sont deacuteveloppeacutes denouveaux produits par les ingeacutenieurs il en existe trois Selongey Lyon et Annecy et desContinents qui repreacutesentent les marcheacutes des diffeacuterentes filiales implanteacutees dans diverspays du monde
Outre les valeurs internes et les objectifs fixeacutes lrsquoincitation reacuteglementaire est eacutegalementun facteur moteur de lrsquoengagement du Groupe dans la performance environnementaleLrsquoanticipation reacuteglementaire est un moyen pour la socieacuteteacute de maintenir sa place de lea-der mondial du marcheacute du petit eacutequipement domestique Le Groupe SEB srsquoest en parti-culier investi dans la mise en oeuvre collective du principe de Responsabiliteacute Eacutelargie du
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CHAPITRE IV5 LE CAS DE LrsquoENTREPRISE SEB DANS LA FILIEgraveRE DEEE
Producteur en tant que membre fondateur de lrsquoeacuteco-organisme Eco-systegravemes organismequi organise la filiegravere des Deacutechets drsquoEacutequipements Eacutelectriques et Eacutelectroniques pour lecompte de ses membres producteurs Par ailleurs au niveau individuel la socieacuteteacute srsquoest en-gageacutee dans une deacutemarche drsquoeacuteconomie circulaire En effet elle prend en compte le respectde lrsquoenvironnement tout au long du cycle de vie de ses produits depuis les premiegraveresphases de recherche (ie eacuteco-conception) jusqursquoau traitement du produit en fin de vie enpassant par sa fabrication son transport et son utilisation par le consommateur
IV52 Les strateacutegies de SEB pour un Business Model pluscirculaire
SEB srsquoest appuyeacute sur le scheacutema de la Fondation Ellen MacArthur repreacutesentant les dif-feacuterentes boucles de lrsquoeacuteconomie circulaire pour deacutevelopper ses approches strateacutegiquesSEB srsquoest ainsi saisi des diffeacuterentes boucles (voir figure IV51)
FIGURE IV51 ndash Les strateacutegies drsquoeacuteconomie circulaire de SEB
Passons en revue succinctement ces strateacutegies de la boucle la plus longue agrave la pluscourte Tout drsquoabord SEB est un acteur engageacute dans lrsquoorganisation de la filiegravere de recy-clage des DEEE en tant que membre fondateur de lrsquoeacuteco-organisme Eco-systegravemes et entant qursquoadheacuterent Pour aller plus loin SEB srsquoest investi dans un projet de reacuteutilisation deplastique recycleacute issu des Deacutechets drsquoEacutequipement Eacutelectriques et Eacutelectroniques pour les-quels il est responsable selon le principe de REP Le projet a conduit agrave la fabrication drsquoune
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CHAPITRE IV5 LE CAS DE LrsquoENTREPRISE SEB DANS LA FILIEgraveRE DEEE
centrale vapeur dont le socle est en PolyPropylegravene (PP) recycleacute
Depuis 2015 sous sa marque All-Clad 66 SEB propose agrave ses clients-restaurateurs despoecircles drsquooccasion remises agrave neuf dans lrsquousine de Canonsburg en Pennsylvanie Cette offreineacutedite est une strateacutegie de reconditionnement Les poecircles All-Clad reacutecupeacutereacutees aupregraves degrands chefs passent par plusieurs eacutetapes la poigneacutee est deacutevisseacutee la poecircle est nettoyeacuteeagrave haute tempeacuterature et remise agrave sa forme initiale lrsquoexteacuterieur et lrsquointeacuterieur sont brosseacutes etpolis enfin les poigneacutees sont refixeacutees avec de nouveaux rivets Gracircce agrave ce processus deschefs amateurs ont accegraves agrave une offre de haute gamme drsquooccasion nommeacutee ENCORE agravemoitieacute prix et avec un impact moindre sur lrsquoenvironnement
Plus geacuteneacuteralement concernant la reacuteparabiliteacute SEB srsquoest engageacute degraves 2008 agrave rendre dis-ponible pour dix ans les piegraveces deacutetacheacutees des appareils vendus Il est agrave noter que cette po-litique de la reacuteparation est venue bien avant la Loi ESS de 2014 qui oblige aujourdrsquohui lesentreprises agrave mentionner la dureacutee de disponibiliteacute des piegraveces deacutetacheacutees (Loi ndeg 2014-856du 31 juillet 2014 relative agrave lrsquoeacuteconomie sociale et solidaire En 2014 95 du volume totaldes produits vendus par SEB eacutetaient reacuteparables
Enfin SEB expeacuterimente lrsquoeacuteconomie de la fonctionnaliteacute avec le projet Eurecirccook qui aeacuteteacute meneacute entre 2012 et 2017 agrave Dijon et son agglomeacuteration Il srsquoagit drsquoun programme delocation-service qui touche directement les habitudes de consommation
Lrsquoeacuteco-conception est consideacutereacute par le Groupe comme un axe strateacutegique transversalau coeur de lrsquoeacuteconomie circulaire tout en amont du cycle de vie du produit Le terme estcomplexe et ne beacuteneacuteficie pas de deacutefinition tregraves preacutecise Aussi SEB a-t-il deacutefini ses propresaxes drsquoapproches de maniegravere agrave faciliter la compreacutehension des collaborateurs et agrave mieuxles sensibiliser et les mobiliser sur ces enjeux notamment sur lrsquoefficience eacutenergeacutetique quiest un axe prioritaire du Groupe En cela un guide de lrsquoeacuteco-conception a eacuteteacute eacutediteacute en 2014Il renseigne la deacutefinition de lrsquoeacuteco-conception les objectifs attendus et les regravegles de com-munication De plus des sessions de formation ont eacuteteacute reacutealiseacutees agrave destination de diversservices marketing RampD design achats qualiteacute juridique etc
Ainsi pour SEB rendre un BM plus circulaire consiste agrave adopter diffeacuterentes strateacutegiesdrsquooptimisation de la valeur reacutesiduelle du produit et de minimisation des impacts environ-nementaux tout au long du cycle de vie du produit Aussi une strateacutegie drsquoeacuteconomie circu-laire inteacutegreacutee est-elle une action globale conduite par une politique de deacuteveloppementdurable forte porteacutee par la direction de lrsquoentreprise Cette politique globale est ensuite in-carneacutee par des expeacuterimentations cibleacutees agrave un niveau plus local
Afin de comprendre comment sont meneacutees ces expeacuterimentations nous allons agrave preacute-sent deacutevelopper lrsquoexemple de la reacuteutilisation de plastique recycleacute et celui du projet Eurecirc-cook Ce sont toutes deux des innovations importantes mecirclant agrave la fois des aspects tech-niques et socieacutetaux Ces exemples sont analyseacutes au regard des questions de cadrage dupilote des enseignements issus de la phase expeacuterimentale et de la monteacutee en reacutegime duprojet Afin drsquoillustrer les propos les modegraveles RCOV et Business Cycle Canvas (BCC) sontappliqueacutes pour chacun des cas Les faits exposeacutes proviennent des multiples entretiensreacutealiseacutes aupregraves des parties prenantes
66 All-Clad est une marque ameacutericaine de haute gamme drsquoarticles culinaires utiliseacutes par de grands chefs
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CHAPITRE IV5 LE CAS DE LrsquoENTREPRISE SEB DANS LA FILIEgraveRE DEEE
IV53 Boucle fermeacutee du plastique
IV531 Concept et origine du projet
Nous avons deacutejagrave eacutevoqueacute au cours de cette thegravese lrsquoexemple du partenariat creacuteeacute entrele producteur SEB et le recycleur Veolia Le but de ce partenariat est de produire et dereacuteutiliser une matiegravere plastique secondaire Crsquoest un rapprochement qui a eacuteteacute initieacute parlrsquoeacuteco-organisme Eco-systegravemes dans le cadre de la filiegravere agreacuteeacutee SEB en tant qursquoadheacuterent-fondateur de lrsquoeacuteco-organisme et Veolia en tant que partenaire industriel
Selon le communiqueacute de presse du 5 feacutevrier 2016 publieacute par Veolia (Veolia 2016) ilsrsquoagit drsquoun partenariat ineacutedit en France puisqursquoil srsquoagit de la premiegravere boucle complegravetedrsquoeacuteconomie circulaire pour des produits de petit eacutelectromeacutenager les deacutechets eacutelectriqueset eacutelectroniques collecteacutes par Eco-systegravemes sont ensuite valoriseacutes par Veolia sous formede matiegraveres premiegraveres recycleacutees et enfin utiliseacutees par le Groupe SEB pour produire denouveaux appareils vendus en magasin Une premiegravere application concerne un geacuteneacutera-teur vapeur dont le boicirctier est inteacutegralement reacutealiseacute agrave base de matiegravere recycleacutee
Ce projet est issu drsquoune strateacutegie meacutetier et provient de la charte eacutediteacutee degraves 2013 avecpour objectif drsquoincorporer dans les produits vendus par le Groupe un minimum de 20 dematiegravere recycleacutee drsquoici 2020 La direction deacuteveloppement durable a eacutegalement fortementencourageacutee lrsquoinitiative avec la deacutefinition de ses sept axes prioritaires drsquoeacuteco-conceptionLrsquoun de ces axes est lrsquoutilisation de mateacuteriaux recycleacutes dans le but de reacuteduire la consom-mation de ressources naturelles En revanche cette ambition ne vient pas drsquoune demandedu consommateur mecircme si elle inteacuteresse les acteurs de la distribution Drsquoailleurs le pro-jet nrsquoa pas pour but drsquoecirctre communiqueacute aupregraves du grand public qui associe encore lerecycleacute agrave une qualiteacute et une performance faibles
Lrsquoentreprise souhaite ecirctre pionniegravere dans la mise en oeuvre de projets drsquoeacuteconomie cir-culaire voulant aller au-delagrave drsquoune simple conformiteacute avec la reacuteglementation Philips unconcurrent de SEB a deacutejagrave une certaine avance sur le secteur des EEE (Philips 2014) Demaniegravere geacuteneacuterale le Groupe cherche agrave anticiper le marcheacute futur (ie quand la demandeconsommateur sera mature) et la reacuteglementation qui a tendance agrave se durcir SEB souhaiteeffectivement se positionner en avance afin de tirer profit drsquoune eacuteventuelle contraintesur lrsquoincorporation du recycleacute dans la chaicircne de production et drsquoinfluer sur lrsquoeacutevolution dela reacuteglementation Lrsquohypothegravese est que les producteurs qui devront se conformer apregravescoup agrave une mesure contraignante auront des coucircts importants agrave engager alors que SEBsera en pleine expansion et pourra beacuteneacuteficier pleinement de la retombeacutee positive due agrave lacreacuteation de valeur par la matiegravere secondaire Le Groupe srsquoappuie sur lrsquoideacutee que se confor-mer agrave la reacuteglementation est plus coucircteux que de lrsquoanticiper Dans le premier cas lrsquoacteurest agrave la traicircne alors que dans le second cas il se deacutemarque de la concurrence et profiteavant les autres drsquoun marcheacute en expansion
Ce projet nrsquoest pas le premier porteacute par SEB Degraves 2010 une autre expeacuterience avaiteacuteteacute meneacutee concernant la fabrication drsquoune louche en plastique recycleacute issu des DEEE le projet Enjoy Le plastique reacuteutiliseacute eacutetait du Polyteacutereacutephtalate drsquoEThylegravene (PET 67) quipermettait une varieacuteteacute de couleur inteacuteressante Techniquement le projet a eacuteteacute un succegravesmais nrsquoa pas eacuteteacute eacutetendu agrave drsquoautres produits Le projet est resteacute de lrsquoordre du simple one
67 Le PET est en particulier tregraves utiliseacute pour les bouteilles drsquoeau
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