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Le risque industriel, facteur de r´ esilience d’un territoire ? L’exemple de la reconversion du bassin de Lacq Christine Bouisset, Sylvie Clarimont To cite this version: Christine Bouisset, Sylvie Clarimont. Le risque industriel, facteur de r´ esilience d’un territoire ? L’exemple de la reconversion du bassin de Lacq. 52e colloque de l’Association des Sci- ences R´ egionales de Langue Fran¸caise, Jul 2015, Montpellier, France. <http://asrdlf2015.fr/>. <halshs-01357741v2> HAL Id: halshs-01357741 https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01357741v2 Submitted on 21 Sep 2016 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destin´ ee au d´ epˆ ot et ` a la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publi´ es ou non, ´ emanant des ´ etablissements d’enseignement et de recherche fran¸cais ou ´ etrangers, des laboratoires publics ou priv´ es.

Le risque industriel, facteur de résilience d'un ... · affecter le secteur en raison de l’épuisement du gisement de gaz et la fermeture des industries associées. Le choix opéré

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Le risque industriel, facteur de resilience d’un territoire

? L’exemple de la reconversion du bassin de Lacq

Christine Bouisset, Sylvie Clarimont

To cite this version:

Christine Bouisset, Sylvie Clarimont. Le risque industriel, facteur de resilience d’un territoire? L’exemple de la reconversion du bassin de Lacq. 52e colloque de l’Association des Sci-ences Regionales de Langue Francaise, Jul 2015, Montpellier, France. <http://asrdlf2015.fr/>.<halshs-01357741v2>

HAL Id: halshs-01357741

https://halshs.archives-ouvertes.fr/halshs-01357741v2

Submitted on 21 Sep 2016

HAL is a multi-disciplinary open accessarchive for the deposit and dissemination of sci-entific research documents, whether they are pub-lished or not. The documents may come fromteaching and research institutions in France orabroad, or from public or private research centers.

L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, estdestinee au depot et a la diffusion de documentsscientifiques de niveau recherche, publies ou non,emanant des etablissements d’enseignement et derecherche francais ou etrangers, des laboratoirespublics ou prives.

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Lerisqueindustriel,facteurderésilienced’unterritoire?L’exempledelareconversiondubassindeLacq.

ChristineBOUISSETetSylvieCLARIMONT,UniversitédePauetdesPaysdel’Adour,LaboratoireSET-UMR5603CNRS/UPPA

Contact:[email protected]ésumé:LebassindeLacq,confrontéenunpeuplusd’undemisiècleàdestransformationsterritorialesmajeuressuiteàladécouverte,l’exploitationpuisl’épuisementd’ungisementdegaz naturel, constitue un laboratoire d’étude intéressant pour analyser les ressorts de larésilience d’un territoire. Créé en 1951, le complexe industriel introduit un bouleversementmajeur dans un espace jusque-là très rural. Présenté alors comme un vecteur demodernisationetdedéveloppementrégional,cepôle industrialo-chimiquesecaractériseparuneforteconcentrationd’établissementsdangereux.Plusde60ansaprès,confrontésàlafinprogramméede l’extractiondugaz, les représentantsdu territoire s’emploientactivementàfaire valoir les atouts du site afin d’attirer des investisseurs potentiels, notamment dans ledomaine de l’industrie chimique. Dans cette perspective l’acceptation sociale du risque estmiseenavantcommeunfacteurd’attractivitéetunlevierdelarésilienceduterritoire.

Mots-clés:

Risqueindustriel;résilience;gouvernance;reconversion;culturedurisque

LebassindeLacq,troisièmepôlechimiquefrançais,confrontéenunpeuplusd’undemisiècleà des transformations territoriales majeures suite à la découverte et à l’exploitation d’ungisement de gaz naturel, constitue un laboratoire d’étude intéressant pour analyser lesressorts de la résilience d’un territoire aujourd’hui confronté à la nécessité de surmonterl’épuisement inéluctable d’une ressource et de la manne économique qu’elle a généré. Larésilience peut être envisagée comme un ensemble de dispositifs sociaux et politiquespermettantdepérenniserl’organisationetlefonctionnementdesterritoires.Elleseprésentecomme la capacité d’un système social à assurer sa pérennité en accompagnant leschangements, loinde transformationsmajeures (catastrophiques) concernant ses structures,son organisation ou son fonctionnement (Walker et al., 2004; Folke, 2006). Etudier la

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résilience permet alors de situer et d’analyser des choix opérés sur les territoires, choix quipeuvent sembler contradictoires en fonction des échelles de lecture (Pigeon, 2012). Orl’exemple de Lacq pose un certain nombre de questions : en matière de gouvernance, quidéfinitcequedoitêtrelaréponseduterritoire,cequ’ilfautconserveretcequidoitévoluer?Querecouvrentlacatastrophe«majeure»àéviteretlesqualitésàconserver(WalkeretSalt,2006)? Ici, la catastrophe à éviter semble être avant tout la crise économique qui pourraitaffecterlesecteurenraisondel’épuisementdugisementdegazetlafermeturedesindustriesassociées. Le choix opéré par les élus locaux est allé dans le sens de la pérennisation dumodèle de développement autour de l’industrie chimique (Clarimont, 2012) et d’unrenouvellementdesentreprisesprésentessurlesite.Danscecontexte,laprésenceanciennedel’industrieestévoquéecommeunatoutduterritoiredanslamesureoùilyexisteraitune«culture du risque» industriel. Selon Giddens la culture du risque est «un aspect culturelfondamental de la modernité» (Giddens, 1991: 244), elle recouvre les savoirs par lesquelss’opèrelaconsciencedesrisquesetparconséquentlacapacitéàyfairefaceàl’avenir.DanslecasdeLacq,l’usagequelesélusfontdelanotionrecouvresurtoutlacapacitédelapopulationàaccepterl’existencedurisqueindustriel.Maislapertinencedeschoixfaitspourleterritoiretout comme la réalité d’une culture du risque peut–être interrogée. L’adhésion des diversacteurs de ce territoire, notamment les 40000 habitants concernés par le risque industriel1,est-elleréelle?Autrementdit,l’absencedecontestationexprime-t-ellel’adhésionàunprojetou résulte-elle d’une forme de «consensus teinté de fatalisme autour de la place del’industrie»(Flanquart,2012citéparChambonetal.,2012)?

Nousnousefforceronsdoncde comprendre les ressortsde l’évolutiondu territoireennousappuyant sur l’analyse de documents officiels (archives, PPRT, rapports d’enquête publique,réunions publiques, plaquettes de communication…) et sur l’analyse des données collectéesdans le cadre d’une enquête qualitative, menée en 2014, auprès d’élus, de techniciens etd’une trentaine d’habitants du bassin vivant dans des lotissements situés à proximité desétablissements industriels2. Nous montrerons que la capacité à anticiper le changement, lacoordinationentre acteurs industriels et collectivités ainsi que la volontépolitique fortedeséluslocauxconstituentlesclefsdelacapacitéduterritoireàrebondir.Pourautant,lesuccèsde la reconversionest à tempérerdans lamesureoù lesacteurs industrielsetpolitiquesduterritoire excluent la société civile du processus décisionnel et laissent en suspens certainesquestions comme la pertinence et la durabilité du modèle économique ou l’émergence denouveauxrisques.

Lacq:uneépopéeindustrielle

Créé à partir de 1951 autour de l’exploitation d’un gisement de gaz naturel, le complexeindustriel de Lacq est situé dans la plaine alluviale du gave de Pau, à une vingtaine dekilomètres à l’ouest de l’agglomération paloise (Pyrénées Atlantiques). Son développements’inscrit dans un contexte particulier de forte intervention de l’État soucieux de garantirl’indépendanceénergétiquedupays.Lacqestainsiunélémentdelastratégieénergétiqueetindustrielle nationale. Localement, l’implantation d’un pôle industriel spécialisé dans la143communeset39341habitantssontconcernésparlespérimètresdeprotectiondespopulations(PPI)autourdesusinesSEVESOseuilhaut.

2Cetravails’inscritdanslecadreduprojetderecherche«ACTER»(Accompagnerlechangementversdesterritoiresrésilients)duprogrammeRisque,Décision,TerritoireduMEDDE.CertainsentretiensontétéréaliséspardesétudiantsduMasterDASTdanslecadredeprojetstutorés.

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pétrochimie introduit un bouleversement majeur dans un espace jusque-là très rural etagricole caractérisé par une mosaïque culturale associant maïs, prairies et vignoble. Unopérateurpublic,laSociéténationaledespétrolesd’Aquitaine(SNPA)crééeen1941,prendencharge lamise en valeur des hydrocarbures du gisement de Lacq, puis, à partir des années1960, de gisements annexes. Autour de la SNPA gravitent de grands groupes chimiques etpétroliers(Péchiney–Ugine–Kuhlmann,Rhône-Poulenc,EDF…)demêmequ’unensembledePME dépendantes composant un espace productif bipolaire (Gilly et Leroux, 2005). Cetteindustrialisation pilotée de l’extérieur devient un puissant vecteur de «modernisation» del’économie et de transformationde la société locale avec l’arrivéedepopulations nouvellesvenues d’autres régions françaises voire d’autres pays (notamment d’Afrique du nord). Ledébut de l’exploitation commerciale du gaz, en 1957, se traduit par: le développement detroisplateformeschimiques(Lacq,MontetPardies–Noguèresauxquelless’ajoutera,en1975,celledeMourenx)enavaldugisementetlaconstruction,àproximitéducomplexeindustriel;l’aménagement, sur le lit majeur du gave, à Artix, d’une centrale électrique destinée àl’alimentationdupôleindustrieletassociéeàuneretenued’eauartificielle;lacréationd’uneville nouvelle résolument «moderne», Mourenx, destinée à accueillir la main-d’œuvrenécessaire au fonctionnement du complexe industriel. Ville autonome pourvue de services,d’uncentreoccupépar lanouvellemairie (symboled’unpouvoirpolitique local transférédel’ancien bourg à la ville nouvelle), Mourenx est bien plus qu’une cité ouvrière. Elle est,d’emblée, conçue commeuneentité locale dotéede tous les attributs de la ville (centralitépolitique, espaces publics, commerces, services). Immeubles collectifs en positiongéographiquementcentraleetconstructionspavillonnairespériphériquesréservéesauxcadreset aux agents de maîtrise composent cette «ville nouvelle industrielle». Les hauteurs deMourenxoffrentunevuepanoramiquesurlecomplexeindustrielde545haquis’étenddanslaplainealluviale(figure1).

(ClichéS.Clarimont,octobre2013)

Figure1:LepaysageurbaindeMourenx,àproximitéducomplexeindustriel

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Présenté alors comme un vecteur demodernisation et de développement régional pour leBéarn, ce pôle industrialo-chimique constitue aussi, du fait de la forte concentrationd’établissements dangereux, l’intrusion de nuisances et de risques nouveaux et méconnusdansceterritoire,suscitantàl’époquedesréactionsderejettantdelapartdeshabitantsquede leurs représentants politiques. Dès la fin des années 1950 et durant les années 1960,plusieurs accidents graves portent atteinte à l’environnement: incendie dans une usine en1959, intoxication d’une cinquantaine de personnes du fait du dysfonctionnement d’unetorchère en 1960, forte contamination des cours d’eau entraînant une fortemortalité despoissons notamment en 1964 et 1967 (Briand, 2006: 21). Ils suscitent l’inquiétude desriverainsetdevivesprotestationsdelapartdesagriculteursnotamment,inquietsdel’impactdecesnuisancesindustriellessurleurproduction.Lerejetdel’industrieestd’autantplusvifdelapartdespopulationslocalesquecelles-cinebénéficientguèredel’importantedemandeenmain-d’œuvregénéréepar lacréationducomplexeindustriel: lerecrutementlocaldemeureinitialement limitédufaitd’une inadéquationentre lemarché localde l’emploiet letypedequalificationrequispourunpostedansces industriesnouvelles(Larbiou,1973).Symboledel’apparition des risques dans ce territoire, la SNPA fait l’objet de critiques récurrentes.L’industrialisation exogène, incarnée par la SNPA (devenue ensuite Elf Aquitaine), se heurtedonc,dansunpremiertemps,àdiversesformesderésistancequi,peuàpeu,s’atténuentpourlaisser la place à ce qui pourrait passer pour de l’acceptation grâce à des mesurescompensatoires comme l’indemnisation d’agriculteurs dont les cultures sont polluées ou lamise en place par la SNPA dès 1971 d’un Centre de recherche et d’information sur lesnuisances.

Pourtant, aujourd’hui encore l’activité autour du gisement expose le bassin à des risquestechnologiques avérés pris en compte par la réglementation des périmètres SEVESO autourdesétablissementsindustriels,l’élaborationdePPRT(PPRTLacq–MontetPPRTMourenx)3etles servitudes strictes autour des puits de gaz et des canalisations. Plus de 60 ans après lacréationducomplexedeLacq, leregardsur lesrisqueset l’industrien’aplusrienàvoiravecles contestations du début. Sa gestion non plus puisque l’évolution des normesenvironnementalesaconduitàunesurveillancecroissantedessitesetàunrenforcementdesmesures de sécurité imposées aux entreprises. Dans ce registre, les grosses entreprises dusecteur se veulent exemplaires et communiquent beaucoup sur le sujet en proposantvolontiers des visites au grand public, en participant aux exercices de sécurité destinés auxriverainsouencoreenéditantrégulièrementdesplaquettes«d’information»grandpublic.LaSOBEGI 4 publie par exemple une «Lettre d’information aux riverains» intitulée «A larencontre de SOBEGI» qui présente l’actualité de l’entreprise et rappelle à chaque éditionl’existenceàdestinationdeshabitantsd’unnumérodetéléphone«plaintenuisances».Plutôtquedeparlerderisque,lesentreprisespréfèrentd’ailleursemployerletermede«culturedela sécurité», que l’on retrouve relayé dans la presse locale, qui paraît beaucoup moinsinquiétantetoffrel’avantaged’uneimagevalorisante.

La banalisation progressive du risque industriel est également illustrée par la gestion qu’enfont les pouvoirs publics: au début de l’exploitation, l’exceptionnalité du risque et la haute

3 Données relatives à l’état d’avancement de ces PPRT disponibles sur : http://www.risques.aquitaine.gouv.fr/les-pprt/index.html 4La plateforme SOBEGI (Société Béarnaise de Gestion industrielle) assure la gestion de services collectifs pour les entreprises du bassin (réseaux de production et de distribution de vapeur, électricité, service de secours incendie, traitement des effluents et des déchets, etc.). Elle est détenue à 60% par TOTAL.

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technicitédescompétencesrequisespourfairefaceàunaccidentindustrielsesonttraduitesparlacréationsurlesited’uneantennedespompiersdeParisquiafonctionnéjusqu’en2011.A cettedate, auprétextedu coûtetd’unediminutiondes risquesà l’exploitationdespuits,l’antenneregroupantunecinquantainedepompiersparisiensaustatutmilitaireaétéferméeetlagestiondurisqueconfiéeauxsapeurs-pompiers«ordinaires»duServicedépartementald’incendie et de secours placé sous la tutelle du conseil général. Cette banalisation estégalement illustrée par l’absence d’oppositions virulentes à la présence de l’industrie. Iln’existeparexempleaujourd’huiaucunestructureassociativeoumouvementcitoyenrelatifsàl’environnementoupluslargementaucadredeviepropreaubassin.Leseulacteurprésentestla SEPANSO (Fédération des Sociétés pour l'Étude, la Protection et l'Aménagement de laNaturedans le Sud-Ouest), associationdont, commesonnom l’indique, l’aired’interventionestbienpluslargeetquin’émanepasdesacteurslocauxduterritoiredeLacq.Lesnuisancesgénéréesparl’industriefontdoncglobalementpeuparlerd’ellesmêmesilaSEPANSOdiffusede temps en temps des communiqués de presse pour s’inquiéter des impactsenvironnementaux et sanitaires de l’activité industrielle. Tous les élus et fonctionnairesterritoriaux rencontrés insistent d’ailleurs sur la culture du risquede la population. Ainsi unchefdeserviceinterrogésurlafaçondontlepublicavaitréagiàl’arrivéedesPPRTdéclare-t-il:

«Non,çava...,jepensequ’ilsontacceptélerisque,ilsviventaveccetteculturedurisquedonc,bon, oui, il y a eu quelques tensions pareil au début pour quelques maisons qui étaient àproximité,savoir laréglementationqu’ilsallaientavoir, lescontraintesqu’ilsallaientavoirauniveaude leurshabitations, cequ’ilsdevaient faireauniveaude renforcementsdesvitrages.Voilà.Maisdans l’ensembleças’estbienpassé.Tout lemondeconnaît les risques,même lesenfants.Oui.Parcequ’onsensibiliselesenfantsauxrisques.»(chefdeservice,CCL).

Point de vue confirmé par tous les acteurs institutionnels, politiques ou gestionnaires,rencontrés avec toujours une insistance particulière sur la notion de «culture du risque»,véritable leitmotiv. A les en croire, la culture du risque de la population relèverait de troisprocessus:l’accoutumanceàlaprésencedel’industriequicontribueàbanaliserlerisque;lesréseauxrelationnelsquifontquechacunsurlebassintravaillelui-mêmeoucôtoiequelqu’unqui travaille dans l’industrie; et enfin, la mise en œuvre ancienne d’une politiqued’information préventive portée à la fois par les pouvoirs publics et les industriels sur lesconsignesetcomportementsàadopterencasd’accident.

Toutsepassedonccommesiletempsdelarésistance,«luttercontrelerisque»avaitcédélaplace au temps de l’adaptation («vivre avec le risque», «développer une culture de lasécurité»),voiredel’innovation:«fairedel’acceptationdurisqueunatout»duterritoire.Reconversion:l’industrie,«cimentduterritoire»

LebassindeLacq,esteneffetaujourd’huiencoursdereconversion,aprèsunelonguepériodedecrisequiauramarquélesannées1980et1990.LesfermeturesdeCDF-Chimie(productiondepolyéthylène),en1978puiscellede lacentraleEDFd’Artix,en1985, inaugurent ledébutd’une longue série de cessations d’activité y compris de la part de certains des grandsétablissements fondateurs comme Péchiney partiellement compensées par quelquesinstallationsd’usinesdepluspetitetaille(Poinsot,1999).Entre1985et1996,prèsd’unmillierd’emploisontdisparu(Gillyetal,2005).L’arrêtdéfinitifdel’exploitationcommercialedugazaeu lieuà l’automne2013. La crisepuis la reconversiondubassinde Lacq s’opèrentdansuncontextedeprofonds changements: internationalisationde la stratégiedes grandsgroupes,privatisationd’entreprisespubliquescommeElfAquitaineprivatiséeen1994,affirmationdes

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collectivités territoriales qui, au gré des phases successives de décentralisation se voientattribuer des compétences de plus en plus importantes notamment dans le domaine dudéveloppementéconomique.Bienqu’apparemmentdésengagédel’activitéindustrielle,l’ÉtatvapourtantjouerunrôledanslareconversiondubassindeLacq.

Réalisée sous la houlette de l’État et des collectivités territoriales, cette reconversion estsaluée commeune réussite et citée en exemple par le Premierministre en personne, Jean-MarcAyrault,enseptembre2013,lorsdesavisiteenBéarnpourinaugurerlanouvelleunitédegazdeLacq:«Jeviensicitémoignerd’uneréussitecollective.Unnouvelaveniraétédonnéàcebassinéconomique(…).C’estunexempleremarquablepourtouslesbassinsconfrontésàdesmutationséconomiques,commeautourdel’ÉtangdeBerreparexemple(…)Ilillustrequ’iln’yapasdefatalitéetque,parlamobilisationcollective,onpeutfairedebellesréalisations»(LaRépubliquedesPyrénées,22/11/2013).Confrontésàlafinprogramméedel’extractiondugaz, les représentants du territoire se sont en effet activement employés à faire valoir lesatouts du site afin d’attirer des investisseurs potentiels, notamment dans le domaine del’industriechimique.Faceàlacrisedesannées1990,lesacteurspublicsetprivésdubassinsesont rapprochés et mobilisés autour de projets de redéveloppement industriel. Dansl’adversité émerge un «compromis tripartite Elf Aquitaine / syndicats locaux / collectivitésterritoriales»visantàvaloriserlesressourceslocalespourmaintenirl’emploiquidébouchesurla mise en place, en 1995, d’un projet fédérateur, le Pôle environnement (Gilly et Leroux,2005).Dans les années 2000, ces acteurs unis par des objectifs communs, ont – de concertavec l’État - opéré plusieurs choix de développement qui ont porté leurs fruits et permis lemaintiend’uneactivitéindustrielledanslebassin.Ilsontainsimisésurl’attractivitésélective(chimiefineetdespécialités;NTIC)etnonsélectived’entreprises; larecherchescientifiqueetletransfertdetechnologieauseindupôleenvironnementencollaborationavecl’UniversitédePaupourtenterdedévelopperdestechnologiesdel’environnement(GillyetLeroux,2005).IlssontégalementparvenusànégocieravecTOTAL(quiaabsorbéElfAquitaine)lesconditionsd’unretraitpartieletprogressifdel’entreprise.

À la fin des années 2000, l’avenir du bassin est conforté par l’arrivée de nouveauxinvestisseurs. En 2007, une usine de bioéthanol, installée à Lacq par le groupe espagnolAbengoa, démarre sa production. À l’automne 2012, deux nouvelles implantationsindustrielles sont annoncées: Novaseps décide de construire, à Mourenx, une unité dechromatographietandisquelegroupejaponaisTORAYconfortesonimplantationàLacqenyinstallantsonusineeuropéennedefabricationdelamatièrepremièrepourlafibredecarbonedont l’utilisationdans l’industrieaéronautiqueestenpleineexpansion(Sainvet,2014).Enfin,le programme Lacq Cluster Chimie 2030 permet de garantir la pérennité économique de laplateformedeLacq,repriseparSOBEGI,endépitdelafindel’extractioncommercialedegaz.Ce programme permet d’éviter l’interruption des livraisons de soufre à ARKEMA alors quecelui-ciconstituelamatièrepremièredesonactivitédethiochimie.L’ébranlementd’ARKEMAauraiteudeseffetsen cascade sur toute la chaînede sous-traitants. Leprojet LacqClusterChimieadoncétépensépourmaintenirl’extractiondesdernièresressourcesdegazàdesfinsexclusivementindustrielles..Pourlaréalisationdeceprojet,denouvellesunitésdetraitementdugazsontrequisesquiconduisentàuneévolutiondurisquedansleterritoire.

Danscecontexte, lescontraintesréglementairestrèsfortespesantsur leterritoire(directiveSEVESO,PPRTetPPRI)etl’acceptationsocialedurisquesontprésentéescommedesfacteursd’attractivitéetlesleviersdelarésilienceduterritoirepourfairefaceàlafindel’exploitationcommerciale du gaz. Comme le souligne la communication du GIP Chemparc chargéd’accompagner la revitalisation du bassin industriel de Lacq: «S’implanter sur le Bassin de

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Lacq, c’est bénéficier d’un environnement favorable avec une forte acceptabilité par lapopulation du risque industriel» (http://chemparc.fr/simplanter/les-atouts-du-bassin/). Lorsd’un colloque organisé à Mourenx, en novembre 2012, le député maire, David Habib, seréjouissait aussi de la présence d’une «culture du risque» dans son territoire: «Ledéveloppementindustrielestlecimentdenotreterritoire;cecimentn’estpasseulementfiscal,ilestculturel.Nousnevoulonspasbasculerversunterritoirerésidentieloutouristique.C’estcequi emmène ce territoire à dire oui à l’industrie,mêmeaugaz de schistes s’il y en avait surnotre territoire»5. Il s’agit donc de vanter la culture du risque, l’existence des périmètresSEVESO, des PPRT et l’acceptation de l’industrie pour tenter d’attirer des activitéspotentiellement dangereuses dont la venue seraitmoins facilement acceptée, voire refuséeailleurs.Ils’agitégalement,eninscrivantl’industriedansles«gènes»duterritoire,d’enfaireunmarqueur identitaire.Lemêmeéludéclaraitainsidans lapresseunanplus tard:«Lacq,c’est une partie demoi, un territoire exceptionnel. Pourmoi, c’est une vision éclatante dupositivisme.C’est l’idéeque l’hommepeutdominer lanature» (Sud-Ouest,27/11/20136).Ladécouverte du gisement et l’industrialisation qui a suivi sont ainsi décrites comme unevéritable «aventure», une «épopée», une «sagaqui a bouleversé le visage du Béarn» (LaRépubliquedesPyrénées,15/10/2013),uneconquête,nonseulement inscritedans l’histoirelocale,mais aussi dans celle du pays: «Ce bassin de Lacq, qui a démarré avec de l’énergiefossile et se reconvertit, c’est une aventure humaine, une idée surgie du sous-sol. Dans lesdébuts,c’étaitlewestern.Ilyavaitdesmasquesàgazdanslesécuries.CebassinaapportéàlaFrance»(A.Rousset,présidentduConseilrégionald’Aquitaine—Sud-Ouest,27/11/2013).

Onlevoit,lepointdevuedesacteurspolitiquesestlargementrelayédanslapresselocalequi,aumoment de la fermeture des derniers puits à l’automne 2013, a consacré de nombreuxarticlesetdossiersspéciauxaubassindeLacq,sonhistoireetsareconversion.L’industriebienqu’ayantàpeineplusde50ans seraitdonc le cimentdu territoire.D’ailleurs,plusieursélussoulignentquelebassins’estconstruitautourdel’industrieausensproprecommeaufiguré.LemairedeBésingrandconstateparexempleque lesmaisonssesontconstruitesauprèsdusiteindustrieldesacommuneetqu’ilseraitparconséquentmalvenudecritiquermaintenantlesnuisancesetlesrisquesdesitesindustrielsantérieursàl’urbanisation.

Ilestvraiquelafaibleparticipationdeshabitantsauxdifférentesenquêtespubliquesmisesenplace dans le bassin de Lacq sur des projets en lien avec les risques technologiques sembleconforterlesproposdecetélu.Conformémentàlaréglementation,desenquêtespubliquessesonttenuespourinformeretrecueillirl’avisdupublicsurlesPPRT.Deuxenquêtespubliquesonteulieu:l’une,relativeauPPRdesplateformesSOBEGIetARYSTA(communesdeMourenx,Noguères,Os-MarsillonetPardies),en2012;l’autrerelativeauPPRTdesplateformesdeLacqetdeMont(communesdeAbidos,Lacq,Lagor,MontetOs-Marsillon),en2014.Lesrapportsétablis par les commissaires enquêteurs en charge des enquêtes soulignent leur faibleaudienceavecunnombretotald’observations inférieurà10danschaquecas.L’indifférencedelapopulationpourraitêtreimputéeaucaractèrerelativementtechniquedesPPRTetàleurimpact modeste sur les habitants puisque la phase d’élaboration s’est accompagnéed’importantesmesuresderéductiondurisqueàlasourceparlesindustriels7etquecesPPRT

5Table-ronde finale du colloque « Lacq : trajectoires et enjeux territoriaux ». Colloque international organisé à la Communauté de communes de Lacq (CCL) et coordonné par la Maison des Sciences de l’homme d’Aquitaine (Mourenx, 14-15 novembre 2012).6CetteéditioncomporteundossierspécialsurlebassindeLacqàl’occasiondelafindel’exploitationcommerciale.7Cesmesures co-financées par les industriels, l’Etat et les collectivités ont par exemple permis d’éviter ledélaissementde50maisonssurlacommunedePardies.

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génèrentpeudecontraintesnouvellespour lesriverains,voiredanscertainescommunes,setraduisentparlaréouverturedelapossibilitédeconstruiresurcertaineszonesjusqu’àprésentgelées.C’estentoutcascequisembleressortir,enpremièrelecture,del’examendesrapportsd’enquêtepubliqueetdescompterendusdescomitésdepilotagessurlesPPRT.

(clichéC.Bouisset,juin2015)

Figure2:LotissementdePardiesoù50maisonsenfacedel’usineYara(productionetstockagedenitrates)ontuntempsétémenacéesdemesuresdedélaissement.

Parmilesparticipantsauxenquêtespubliques,certainssontdesélussoucieuxdedéfendrelemaintiendel’activitéindustrielle.Lapositiondumaired’Os-Marsillon,parailleurssalariédelasociétéSOFERP(filialedeTOTAL),responsableHSE, jusqu’enmars2014, illustreassezbienlaposition des élus locaux. Dans un courrier du 13/02/2014, annexé au rapport d’enquêtepublique,cemaires’expliquesurladélibérationduconseilmunicipaldesacommunedonnantunavisdéfavorableauPPRT.IlestimequecePPRTestexcessifetoutrepasselesexigencesdela loi de 2003 en limitant considérablement les possibilités d’implantation de nouvellesindustries dans les plates-formes de Lacq et de Mont. Ce PPRT s’inscrirait, selon l’édilemunicipal, dans une «démarche avant-gardiste qui peut se révéler dangereuse pour nosindustries de procédés, déjà durement éprouvées par la crise et une concurrencemondiale»(PREFECTURE 64, 2014: 49). Il menacerait les efforts déployés par les acteurs locaux pourmaintenir l’attractivitéduterritoire:«LescollectivitésduBassindeLacqœuvrent,enétroitecollaborationaveclesindustrielspourprésentertoutel’attractivitéduBassin,saculturede lasécurité8,afind’inciter les investisseursàmaintenir l’emploi sur leBassin.Cette rédactionduprojetdePPRT,beaucouppluscontraignantequelePPRTdeMourenxestsansbesoinpuisque

8Soulignéparnous.

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laréglementationICPEgéraitdéjàlesrisquesauniveaudesindustrielsdesplates-formes,vaàl’encontredeseffortsmenésparlescollectivités»(Ibid.).

L’analyse des comptes rendus de réunions de comité de pilotage des PPRT montre laconvergence des industriels, des élus et de l’Etat autour de la volonté de ne pas nuire audéveloppement futur de l’industrie sur le territoire et le préfet souligne le paradoxe de laposition de l'Etat, qui souhaite protéger les populations mais également favoriser ledéveloppementindustrieldesortequ’ilsemontretrèsouvertauxpréoccupationsdesélusetdes industriels. Au point parfois d’accepter des évolutions importantes des dispositions desPPRT. Ainsi enmatière de transport dematières dangereuses par voie ferrée, et alors queplusieursincidentsonteulieudesdernièresannées,lerapportdesservicesdel’Etataupréfetpour l’approbationduPPRTdeLacq(après l’enquêtepublique) introduitparexempleunnetassouplissementdescontraintes.La formulation«Lacréationdenouveauxembranchementssur le périmètre du PPRT est interditesauf s’ils sont strictement nécessaires aufonctionnement des activités existantes, qui ne sauraient être implantées en d’autres lieux,danslamesureoùilsn’augmententpasl’expositionauxrisquedelapopulation…»estainsiremplacée par«…sauf s’ils sont strictement nécessaires au fonctionnement des activitésexistantes ainsi qu’à l’amélioration du réseau ferré […] dans lamesureoù l’exposition auxrisques de la population demeure acceptable 9 …» (DREAL et DDTM, Rapport pourl’approbationduPPRTdeLacq-Mont28/05/2014).Bienévidemment,rienneprécisecequ’ilfautentendreparrisqueacceptablepourlapopulation.

Cettepostureacteursinstitutionnelsduterritoireestendécalageparrapportàcelledesrarescitoyensayantparticipéàcesdeuxenquêtespubliques.Sil’ons’entientàl’enquêtepubliquelaplusrécente,parmilesseptpersonnesayantformuléuneobservation,seulunhabitantdeLacq exprime son inquiétude pour les effets sur la santé qu’est susceptible d’entraîner laproximité entre les zones d’habitat et l’industrie chimique: il insiste notamment sur ladangerosité éventuelle sur la santé humaine que pourraient avoir les fibres de carbonefabriquéespar l’usineTorayetévoqueune analogieavec l’amiante (PREFECTURE64,2014:42).Touteslesautresobservationsémanentdepropriétairesriverainsdel’industrie, inquietsde l’impactduPPRTsur lavaleurde leurbien.Cettequestionde ladévalorisationdesbiensimmobiliers dans des communes soumises à un PPR est récurrente. Deux propriétaires deparcellesdevenues inconstructiblesdufaitduPPRTseplaignentainsidesubir«unpréjudicefinancier»etdemandentàcequecesparcellesredeviennentconstructibles«pourunhabitatindividuel ou bien selon d’autres destinations à définir (artisanal, commercial,…)»(PREFECTURE 64, 2014: 43). La propriétaire d’un terrain de 1315m2 à Lacq, situé en zonebleue «B» du PPRT, exprime son incompréhension de voir celui-ci devenir inconstructiblealorsqu’elleavaitobtenuuncertificatd’urbanismeen2000.Elledemandeàcequesonterraindevienneconstructiblepourunusaged’habitation10.Àl’inverseuncouple,propriétaired’unemaisonconstruiteen1969(avantlamiseenplacedespérimètresSEVESO)etintégréeensuiteen zone R1 (zone de limitation stricte de l’urbanisation, selon la norme SEVESO de 1991)contestel’assouplissementdelaréglementationintroduiteparlePPRTetlarévisionàlabaissedu niveau d’exposition aux risques de leur habitation. Considérant tous deux qu’ils sontexposésauxmêmes risquesquepar lepassé, ilsdemandentàêtre intégrésdans la zonededélaissement.Poureux, lePPRTestsaisicommeuneopportunitépoursedessaisird’unbienimmobilierdévaloriséparlaproximitédel’industrieetqu’ilsestimentinvendable.Toutefois,le

9Soulignéparnous.10Il est toutefois intéressant de noter que cette personne ne réside pas dans le bassin de Lacq, mais àGurmençon,danslepiémontoloronais.

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courrierquececouplehabitantLacq-AudéjosaadresséauCommissaireenquêteur,témoigned’uneacceptationdurisquetouterelative:

«Nous avons tous confiance et sommes conscients que le développement économique dubassindeLacqestdéterminantpourl’avenirdenotrerégion.L’acceptabilitédurisqueestunechosebienacquisedepuis60ansetreconnuepartouslesexploitantsdusite…elleaseslimites.Lamoléculed’acrylonytrile(àcaractèreinflammable,toxiqueetcancérigène)s’ajouteraàcelleduH2S et les proches riverains accepteront encore et toujours les nuisances et le risque surleurs terres familiales qui ont généré une richesse nationale. (…)» (Courrier au Commissaireenquêteur,endatedu13/02/2014inPREFECTURE64,2014:45).

Unconsensusautourdesrisquestrèsrelatif

Sil’absencedecontestationautourdela«vocation»industrielledubassinpeutdoncpasserpour une adhésion, en revanche l’arrivée de projets nouveaux, dont l’impact potentieldébordedessiteshabituellementsoumisàrisque,aétél’occasiondecontroversesvirulentesmêmesipeud’habitantsdescommunesriverainesdesusinessesontmobilisés.C’estlecasduprojetexpérimentaldecaptageetstockagedeCO2.Présentécomme«unedessolutionspourlutter contre le changement climatique» (Gires, 2008), le projet de captage et stockageconstituait une expérience pilote portée par TOTAL et fortement encouragée par l’État. Ils’inscrivaitàlafoisdansunestratégielocale(œuvreràlareconversionindustrielle)etdanslesstratégiesnationaleetrégionale11deréductionsdesémissionsdeCO2,enconformitéaveclesprescriptionsduGIECetleprotocoledeKyoto.Ilcomportaittroisphasesprincipales:captagedu CO2 émis dans le complexe industriel de Lacq, transport du CO2en réutilisant d’anciensgazoducsetinjectionduCO2,à4500mdeprofondeur,dansleréservoirdeRousse(communedeJurançon),situéàenviron27kilomètresdubassin,danslescollines.Annoncépubliquementà la presse, en 2007, le projet donne lieu à une concertation (organisation de réunionspubliques puis désignation d’une CLIS) et à une enquête publique (2008), offrant un autrecorpus d’importance à analyser. L’expérimentation à proprement parler débute en 2010 etdurant deux ans, plus de 48 000 tonnes de CO2 sont enfouies. L’injection de CO2 estinterrompue au premier trimestre 2013; débute alors une période de surveillanceenvironnementalede3ans(figure3).L’arrêtprématuréde l’expérimentationserait,selon ledirecteurdeTEPF,liéeàsonsuccès:«nousavonsfaitladémonstrationdelafaisabilitésurleplantechnique.(…)vis-à-visdelacapacitédestockageduréservoir,lefaitd’injecterdavantagedeCO2n’auraiten rien réduit les incertitudes.Nousavons réussiàobtenirdesmodélisationsquel’onpeutqualifierderobustes»(LaRépubliquedesPyrénées,12/12/2012).Toutefois, l’abandon du projet béarnais de séquestration de CO2 est concomitant du retraitd’autresprojetssimilaires(parexemple,leprojetUlcosportéparArcelor-Mittal,àFlorange)etsembleétroitementliéàl’arrêtdesfinancementseuropéens.Àl’explicationéconomique(coûtélevé d’une installation de ce type) s’ajoute peut-être aussi, localement, une explicationsociale.Eneffet,dèssesdébuts, leprojetdeTOTALasuscitédesréactionscontrastéesdelapart de la société locale: adhésion de nombre d’élus locaux y voyant une opportunitééconomiquepourunbassinenconversion,indifférenceapparentedeshabitantsdubassindeLacq,oppositionhorsdubassin(Clarimont,2012).

11 L’État et la région Aquitaine ont approuvé, le 15 novembre 2012, un Schéma régional du Climat, de l’Air et de l’Energie (SRCAE).

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Figure3:principalesétapesduprojetdecaptageetstockagedeCo2

L’examen des observations formulées lors de l’enquête publique de 2008 permet demieuxcomprendre les arguments en débat et de saisir l’inégal intérêt pour le projet. En effet, laparticipationàl’enquêtepubliqueaététrèscontrastéegéographiquement.Globalementcetteenquêtepubliqueaététrèssuivie(malgrésatenuependantl’été,enunepériodedecongésapriori peu propice à la mobilisation citoyenne) avec un total de 154 observations,majoritairement écrites (62 % des observations). Toutefois, la très grande majorité desobservationssontformuléesàJurançon(88%),peusontfaitesàMonein(8%)tandisque,danslebassindeLacq,l’enquêtepubliquen’aguèreretenul’attentiondescitoyensavecseulementune annotation dans le registre d’enquête publique et deux courriers d’élus favorables auprojetàMont,uncourrierdeparticulieràLacqetunedélibérationpositivedelaCommunautédecommunesdeLacq.Enrevanche,àMoneinetsurtoutàJurançon,lesavissontnombreuxetgrandementdéfavorablesauprojetouréservés(figure4).

2006• Etudesconceptuellesetd’avant-projet

2007

• Conférencedepresse:TOTALannonceprojetpilote• Entretiensauprèsdesacteurs• RéunionsdeconcertationàJurançon,PauetMourenx

2008

• Dépôtdelademanded’autorisationd’exploitation(30avril)• DésignationdelaCLIS• Enquêtepublique(21/07/2008au22/09/2008)

2009• Arrêtépréfectoralautorisantlepilote

2010• Débutdel’expérimentationparTotalExplorationProductionFrance(TEPF)-Coûttotalestiméà60M€pouruobjectifdestockagede120000tdeCO2

2013• Arrêtdel'expérimentation(stockagede50à60000tdeCO2)• Débutd'unephasede"surveillanceenvironnementale"de3ans

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Figure4:Uneparticipationtrèsinégaleàl’enquêtepubliquerelativeauprojetdecaptageetstockagedeCo2(2008)

(Élaborationpropre,d’aprèsPREFECTUREDESPYRENEES-ATLANTIQUES,2008)

Ilsexprimentladéfiancedelapopulationparrapportàunprojetcomportantdesrisquesjugésmal connusetmalmaîtrisés, s’inscrivantdavantage, selonsesdétracteurs,dansune logiquede pérennisation dumodèle de développement fondé sur l’utilisationmassive des énergiesfossiles que dans la rupture et le changement. Les détracteurs au projet questionnent enpremier lieuses aspects techniques (la sécurité et l’étanchéité du stockage). Les opposantsremettent aussi en cause le choix du lieu d’implantation: Rousse, en plein vignoble duJurançon. Ils estiment que ce projet, dangereux pour les populations riveraines, risqueégalementdedégrader l’imagedescoteauxetdeporteratteinteà lavaleurpatrimonialeduvignoble: «Les Jurançonnais et leur descendance vivront avec un DECHET INDUSTRIEL sousleurspieds,l’imagedelarégion(pochedediamètrede2kmsoit1760ha)seradégradée.»;uncouples’étonne«qu’untelprojetpuisseêtreenvisagédanslarégiondeproductiondesvinsdeJurançon. Les qualités de ces vins commencent à rayonner un peu partout en France. Laprésence de CO2 dans les poches naturelles du sous-sol ne peut que jeter la suspicion,légitimement–noussommesdeplusdansunezonesismique!–dansbiendesespritsetnuireà la réputation de ces vins» (PREFECTURE 64, 2008: 34 – 35). Enfin, certains participantsdénoncentledéficitdeconcertationetréclamentlasaisinedelaCNDP(Commissionnationale

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dedébatpublic)et l’organisationd’undébatpublic considérantque laprocédured’enquêtepublique intervient trop tardetn’offrepasdespossibilitésd’échangesaussiétenduesqu’undébat public. Néanmoins, si, dans la zone de coteaux, les avis hostiles au projet dominent,certains se déclarent favorables à la séquestration de CO2 au nom du progrès techniquecomme ce viticulteur, ancien riverain de deux puits de gaz, élu municipal de Jurançon,confiant:«Toutprogrèsauncoût.Ilappartientàtousdeparticiperauxfrais…Lesopposantsàceprojetoublientqued’autrespersonnesontacceptél’implantationdecespuitsdegazsurlescoteauxdeJurançon.Lavignen’enapassouffertaucontraire…Unpeudesolidaritéetderéceptivité qui permettrait au Jurançon d’être encore plus apprécié et de bénéficier d’unepublicitégratuiteetsupplémentaire(…).Quanddesscientifiquesettechniciensconfirmésontmaîtrisé l’extractiondugazonpeut leur faireconfiancequand il s’agitde remettredanscespuitsungazàdespressionsdixfoismoindre.(…)»12(PREFECTURE64,2008:33).

Dans le bassin de Lacq et ses environs, l’irruption d’une technologie nouvelle –potentiellement porteuse de risques inédits - suscite donc des opinions divergentes et desprises de position géographiquement contrastées qu’il convient d’essayer d’expliquer. LamobilisationaétéfaibleaucœurdubassinsurlescommunesdeLacqetdeMont,alorsqu’elleaétéplusforteàMoneinetsurtoutàJurançondanslesous-soldelaquelleestamenélegazinjecté.Or,MoneinetJurançonsontdescommunesmarquéesparunesociologienettementmoins populaire que celle des communes hôtes des sites industriels. Il faut d’ailleurs noterque,loindel’imagedeterritoiredynamique,lesnuisancesetlesrisquesprésentsàLacqfontdescommunesquiaccueillentlessitesindustrielsdesespacespeuattractifsauplanrésidentielàl’échelledudépartementetoùlesprixdufoncieretdel’immobiliersonttrèssensiblementinférieurs aux zones environnantes et en particulier à l’agglomération paloise. Ce sont doncdes habitants de Monein et de Jurançon, ayant beaucoup à perdre d’une éventuelledégradationdel’imagedeleurterritoireetdeleurcadredevie,quisesontleplusmobiliséscontre leprojetde stockage).Ces communes se situentdoncgéographiquement,maisaussiculturellementen retraitpar rapportaucœur industrieldubassinetdoncde sesnuisances.Elles sont d’ailleurs le lieu de résidence d’un certain nombre d’acteurs institutionnelsimportants, lesquelshabitent rarementaupieddesusines:«Oui, jemesuis installé icipourêtre à proximité demon travail, demon lieu de travail. Ensuite, donc, oui j’habite ici sur lebassindeLacqmaissurunecommunequandmêmeassezéloignéedurisque.Donc,j’aichoisiunpeulacommune(rire)»(entretien,chefdeservice,CommunautédecommunesdeLacq).Danslemêmeregistre,forceestdeconstaterqueledéputéquidéclaraitquelebassindeLacqétait une partie de lui-même, ne réside pas non plus sur le bassin dont il a dominé la viepolitiquependantplusde10ans.Lagestionet lesdécisionssur l’avenirdubassinsontdoncentrelesmainsdegensquipourpartien’yhabitentpas,cequi interrogesurlagouvernanceduterritoireetlaréellelégitimitédechoixconsistantàtolérerpourlesriverainsdesrisquesetdesnuisancesauxquelsonévitesoi-mêmedes’exposer.

D’autantquesilesriverainsdessitesindustrielsontpeuparticipéauxenquêtespubliques,ilssont de toute façon exclus des instances de concertation et des processus de décision.Plusieurs acteurs concernés ont ainsi souligné que les réunions auxquelles le public étaitconvié,trèsenavaldesprojets,avaientunesimpleviséeinformative.Lescomitésdepilotagequisesontréunisrégulièrementtoutaulongdesprocessusd’élaborationdesPPRTetquiontdébattudes zonageset de leurs enjeux réunissaient exclusivement les servicesde l’Etat, lesindustriels et les maires des communes concernées. Même les CLIC (comités locauxd’informationetde concertation) supposésouverts auxmembresde la société civileont en

12Soulignéparnous.

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réalité vu les seuls syndicats de salariés de l’industrie être associés aux trois acteursprécédents.Etencore,certainsacteursconsidèrent-ilsquelerôledesCLICselimiteaupremiervolet de leur nom, à savoir l’information. Le droit à l’information pourtant juridiquementgarantiaucitoyenestconsidérémêmecommenuisibleparcertains.Interrogésen2009parleHautConseildelasantépubliqueàl’occasiondelapréparationd’unrapportsurl’évaluationdes risques sanitaires,plusieurs industrielset représentantsdépartementauxdes servicesdel’Etatrévèlentquelesrésultatsdelaseuleétuderécente(2004-2006,miseàjouren2013)surlesrisquessanitairesdanslebassinn’ontpasétécommuniquésaugrandpublicnotammentenraisons de la proximité d’une période électorale et que les associations de citoyens et dedéfense de l’environnement avaient été écartées délibérément du comité de pilotage del’étude (audition de F. Virely représentant de la SOBEGI). Ce défaut de transparence desservices de l’Etat à l’échelon départemental est vigoureusement dénoncé par la SEPANSO.Mais la condamnation la plus cinglante est venue d’un tout récent référé de la Cour desComptes sur la gestion publique de la mutation industrielle du bassin de Lacq. Ce rapportsoulignedesdéfaillancesdesservicesdel’Etatdanslecontrôledessitesindustrielssurquatrepoints: la surveillance des émissions, le traitement des pollutions des sols et des eaux, lecontrôledestransportsdematièresdangereusesetenfinlasécuritésanitairedespopulations.S’agissant des émissions, la Cour dénonce les rejets de tétrachlorure de carbone de l’usineARKEMA de Mont, substance cancérigène et destructrice de la couche d’ozone et dont laproduction et la consommation est interdite depuis 2009, hormis dérogation strictementencadrée.Elleafaitl’objetdedépassements«depuisdesannéessanscommunemesureaveclalimitefixéepararrêtépréfectoralet[qui]avaientatteinten2011prèsdeseptfoislequotaalloué pour l’ensemble de l’Europe» (CDC, 2015:2). La Cour indique qu’il est nécessaire detirer des enseignements de ces errements d’autant que les nouvelles activités industriellesmanipulentégalementdessubstancesdontleniveaudetoxicitéestsoitélevésoitmalconnu(nanoparticules par exemples) et que si les polluants «historiques» que sont le dioxyde desoufreetlefluortendentàdiminuer,ladiversificationdesactivitéss’accompagnedurejetdenouvellessubstances.Selon ladernièreétudedisponible sur lespolluants (2013)citéepar laCour, la population «est exposée à plus de 140 substances différentes». Or, la Cour desComptesconsidèrequecesdonnéessontlargementinsuffisantesdanslamesureoù«ellesneprennentencomptequelespolluantsatmosphériquesetnonlerisqueglobal,netiennentpasen compte l’éventuelle exposition professionnelle et ne sont donc pas en mesure d’estimerd’éventuels«effets-cocktails.» (CDC,2015:5).Et ce,alorsmêmequ’uneétudeexploratoiresur les années 1968-1998 montrait une surmortalité de 14% dans la zone proche desinstallations chez lesmoins de 65 ans, chiffremontantmême à 39% pour la période 1991-1998. L’étudenepouvant conclure formellementen termede liensde causalité, il avait étérecommandé à l’époque, sans aucun effet, de faire des études épidémiologiquescomplémentaires.Lesauditionsde2009parleHautconseildelasantépubliquerévèlentquel’absencedevéritablesétudesépidémiologiquesplusrécentesn’estpassimplementlefruitdenégligences mais sans doute d’une volonté délibérée. Le fonctionnaire de la Ddass de Pauinterrogéen2009danslerapportduHautconseildelasantépubliquedéjàévoquéplushaut,déclaraitainsi:«Dans le casdeLacq, lademandesocialevis-à-visde l’environnementoudeproblèmesdesantérepérésn’estpastrèsimportante.Lelancementd’uneétudefaitcourir lerisque, dès lors de briser la paix sociale, la population étant amenée à penser que lesinvestigations en cours sont motivées par la suspicion de problèmes. Il est néanmoinsimpossibled’ignorer lademandemontantededavantagedesécuritésanitaire.»(auditiondeM.Noussitou).

Lapopulationneseraitdoncpasvraimentdemandeuseetétudierlesimpactssanitairesferaitcourir le risque de l’inquiéter et de briser le beau consensus autour de l’industrie. Cela

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interrogesurlaréalitédelaculturedurisqueetsurleniveauréeld’informationàdestinationdupublic:«oui,lapopulationestinformée,mais,est-cequ’elleprendconscience?Ça,jenesaispas...»(entretien,mairedeBésingrand).Or,contrairementàcequeprétendlemairedeBésingrand, les entretiens auprès des riverains des plates-formes industrielles révèlent uneinformationlacunairedelapopulation.Eneffet, lespersonnesinterrogéesméconnaissentengénéral les PPRT dont un a pourtant été objet d’une enquête publique quelques semainesavant la réalisation des entretiens: «Le PPRT, le Plan particulier des risques technologiques(sic),jepensequelamajoritédesgenssaventqueçaexiste…Oui,maisaprès,lereste,c’estdubrouillard»nousconfieunehabitantedeMourenx,pourtantretraitéedel’industriechimique(E1,MourenxBourg).UnanciensalariédePéchineyavoue, lui,nerienconnaîtreduPPRTettoutignorerdelarécenteenquêtepubliquesurcesujetajoutant,avecinsistance:«J‘yauraisbien été, j’y aurais bien été, je suis demandeur,mais non, je vois pas ce que c’est!» (E18,Lacq). Plus surprenant, les riverains semblentméconnaître le système d’alerte et avoir uneconnaissance très imparfaitedesconsignesàsuivreencasd’accident:«Jesaismêmepasàquoicorrespondentlessirènes.Apparemment,aprèsavoirprislesinformations,ilyauraitdessirènes quimontent et qui descendent, quimontent et qui descendent, alors deux fois, troisfois.Commetout lemonde,onentend lasirènedespompiers(…)mais là,c’estdessirènesàondulations, je sais pas à quoi ça correspond.» (E18, Lacq).Un retraité ayant quitté Lescar,dans labanlieuedePau,pourvenirs’installeràBésingrandseptansauparavant,sesouvientavoirreçu,àsonarrivée,«unpetitlivret,unpetitlivretavectouteslesmesuresàprendreencasdececi,decela»qu’ilalu,maisdontila,avecletemps,totalementoubliélecontenunesachantplusquelleattitudeadopterencasdedanger:«secalfeutrer,jenem’ensouvienspasexactement(…).Ilfallaitsecalfeutrer»(E14,Bésingrand).Lecalfeutrageparaîtêtrelamesurequelesriverainsontlemieuxintériorisé:«Voilà,voilà,lesrisques,lesconduitesàtenir,c’estla sirène qui nous avertit en émettant un signal spécial donc, comme je vous dis, il fauts’enfermerdanslasalledebains,fermerlesissuesaveclescotchspéciallà(…).Voilà,unesallede confinement: c’est la salle de bains. On nous conseille la salle de bains, avec le postebranchésurFranceBleuBéarn,afindesavoirquandl’alerteestfinie»(E8,Os-Marsillon).

Cetterelativedésinformationsurlesmesuresdepréventiondurisqueetlaconduiteàtenirencasd’alertenesignifiepaspourautantquelesriverainssontinconscientsdurisque.Laplupartont une conscience vive du risque industriel, n’hésitant pas à faire spontanément l’analogieentreLacqet lacatastrophed’AZF (2001):«Tout lemondeadans l’idée, làderrière la tête,Toulouse. S’il devait arriver quelque chose ici, àmonavis, il n’y aurait plus rien d’ici jusqu’àPau.Jepensequec’estuneallumetteToulouseparrapportàLacq.C’estuneallumette.»(E18).Lesouvenird’AZFestdoncprésentdanslesespritslaissantcraindreunaccidentsimilairevoirepire:«Enréalité,ilyal’usineYaralà,ilsfontdunitrate.Alorsdunitrate,onpensetoujoursàl’usine AZF, à Toulouse, où voilà, ils traitaient du nitrate, doncmélangé à d’autres produits,boumquoi!» (E14); «Bon, là, en face, on a une bombe, une bombe quoi! S’il y a un grospépin, je saispas,mêmeunattentat, euh…Si vraiment, il y auneexplosion,on risquegros,commeilyaeuAZFàToulouse»(E1).Néanmoins,beaucoupserassurentenmettantenavantla«culturedelasécurité»desusinesoueninsistantsurl’atténuationdurisquedansletempsdufaitdelafermeturedecertainesindustries (Péchiney, Célanèse, TOTAL sont souvent citées) et de l’adoption demesures desécuritéplusstrictes.Ladisparitiondesmasquesàgaz,autrefoisdistribuésàlapopulation,estgénéralementperçuecommeunsignedelaréductiondurisque:«Moi,quandjesuisarrivéen1986, il y avait lesmasques à gaz (…). Puisqu’ils ont retiré lesmasques à gaz et tout ça, jesupposequelesrisquesontdiminué,sinonilsnousauraientlaissélesmasques.»(E7,Abidos).Unhabitantdefraîchedates’efforcedeseconvaincredelavaliditédesonchoixrésidentielenniantlaréalitédurisquemêmesil’onsentnettementl’inquiétudepoindredanssondiscours:

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«Aprèslà,jemesenspastropendangerquoi.(…)Lerisque,ilestquandmêmelimitéici.C’estpasdeshauts risques. Je veuxdire,àpartAir Liquide, c’est surtoutYara là,qui traitequandmêmedesproduitsexplosifs,unpeu(…)AprèsLacq,c’est,…,c’estdéjàunpeuloin.Après,ilyatoutuncontextechimiquepasloin,maisbon,c’estdelachimiefine,c’estpasdesgrostrucs.C’estsurtoutYaraici.»(E14,Bésingrand).Cetteminimisationpasseparuneformedemiseàdistance du risque – « Lacq, c’est, …, c’est déjà un peu loin» - qui conduit la plupart desenquêtésàadopterunevisiontrèsrestrictivedubassindeLacqet,defait,àexcluredubassintoutes les communes hormis Lacq. Dans l’imaginaire collectif, Lacq constitue un «ailleurs»,«déjàloin».Cependant, laproximitédesusinesestrappelée,defaçon insidieuse,par lesodeurs,plusoumoins fortes selon les conditions climatiques. Ces odeurs s’insinuent partout, y compris àl’intérieurdesmaisonsfaisantintrusiondanslasphèredel’intime:«Enfait,c’estcequiestleplus gênant, les odeurs (…).Quand le plafond est bas, on a davantaged’odeurs de Lacq, deSOBEGI(…);jefermelamaison,l’odeurestdanslamaison»(E1),«Lematin,quandonouvrela fenêtre, les odeurs d’usine, c’est pas agréable du tout!» (E8). Ces odeurs intrusives sontperçuescommeunenuisancecontraignantlaviequotidienne:«C’estçaqui,quinous,quimetunpeulesgensencolèrel’été.Quandvousvoulezmangerdehorsouprendrel’apéritifdehors.Sivousavezuncoupd’odeurcommeça,etbienvousrentrez»(E1).Accoutumésàcesodeurs,les habitants implantés de longue date dans le bassin sont capables de les reconnaîtreetévoquent «l’haleine de la SOBEGI» (E1), l’odeur de gaz de Lacq ou encore l’odeur de vincaractéristiqued’Abengoa:«lafabriqued’essence-jemerappellepluscommentelles’appelle-quimarchetoujours,onlasentdetempsentemps,onsentunpeulevin.Quandonsentunpeulevin,c’estqueçasortdelà-bas.»(E18).Ces odeurs persistantes sont parfois interprétées comme les marqueurs d’un risque plusgrand:«là,onditçasent,onsaitpascequ’onrespire,etonsaitpasleseffets.Nousçava,àl’âgequ’ona…Çapeutsedéclarerencore,mais les jeunes, lesenfantsqui respirentça…Desfois,jemedis:est-cequec’estsain?»(E1).Lesodeursrenvoientdoncàl’évidencedurisquequelesriverainspeuventminorersanstoutefois l’ignorertotalement.Lerisquefaitpartiedeleurquotidien;ilsletolèrentplusqu’ilsnel’acceptentsejouantvolontiersdela«culturedurisque»tantvantéeparlesacteurspolitiquesetinstitutionnels:«Voilà,onpeutpasacceptern’importequoinonplus.Parcequec’estbienbeaudedirequelapopulation,ici,est–commentdireleterme–estfavorableàl’industrie,qu’onesthabitué,qu’onauneculturedel’industrie,jeveuxbien,maisçan’autorisepastout!»(E1).

Conclusion

Ainsi le territoire de Lacq a connu à un peu plus de 50 ans d’intervalle deux changementsmajeurs:l’irruptiondel’industriedansunespacerural,puislacessationquiauraitpuêtretoutaussibrutaledecetteactivité.Lepremierchangementaété impulsépar lavolontéde l’Etatsur un espacepeuhabité. Bienqueprévisible, la fin de l’exploitationdu gisement aurait pugénérerunecriseéconomiqueetpolitiquemajeure.Iln’enarienétémêmesilafermeturedecertainsétablissements industrielsaeudesconséquencestrèsdouloureusesauniveau local.Laréussitede lareconversionattestede lacapacitéduterritoireàrebondir.Lagouvernanceestcertainementunedesclésmajeuresdecetteréussite.Dansuncontexteoùlespolitiquesdescendantesdel’Etatsontlargementremisesencause(Theys,2002;BlancetLolive,2007),les acteurs politiques locaux ont réussi à prendre le relai de celui-ci pour affirmer la«vocation» industrielle du bassin et construire son identité autour de l’épopée gazière etindustrielle en magnifiant largement l’aventure humaine et les prouesses techniques de la

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miseenvaleur.Delamêmefaçon,lerisquesouventperçucommeunhandicapaiciétépromuaurangd’atoutduterritoire.

Néanmoins,cetteréussiteéconomiqueetpolitiquedoitêtrenuancée.S’ilestprésentécommeunsuccès,lemaintiend’unmodèleéconomiquefondésurl’industriechimiqueest-ilvraimentle témoin de la capacité de résilience du territoire au sens proactif du terme? Sans doutepeut-il aussi être lu comme l’incapacité à changer de cadredepensée, à envisager d’autresfuturs,autrementdit,àsortird’unschémaproductivisteissuduXXesiècleetdeplusenpluslargementcontestéaujourd’hui.Dansl’hypothèselaplusoptimiste, ilpeutalorsêtreanalysécommeune formede«résiliencestatique» (Hamdouchetal.,2012),d’ajustementmarginalquinechangepas lescaractéristiquesessentiellesdu territoire.Seloncettegrillede lecture,les élus et les services de l’Etat, de par l’intensité des liens d’intérêt qui les unissent auxindustriels seraient alors plutôt un frein à l’émergence d’alternatives. Ces trois acteursmonopolisent à la fois les décisions et les discours sur le territoire ce qui constitue unedeuxièmelimiteàlaréussiteetsoulignel’inégalitédesrapportsdeforce:commesouventenmatièred’actionpublique,lapopulationestlagrandeoubliéedesprocessusdedécisionmêmesiceux-cis’élaborentauniveaulocal.Onpeutalorss’interrogersurladurabilitéd’unterritoirequi se construit sans ses habitants, voire contre ses habitants en négligeant les risques,notammentsanitaires,auxquelslapopulationestainsiexposée.

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