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Pierre Oléron Le rôle du langage dans le développement mental. Contribution tirée de la psychologie de l'enfant sourd-muet In: Enfance. Tome 5 n°2, 1952. pp. 120-137. Citer ce document / Cite this document : Oléron Pierre. Le rôle du langage dans le développement mental. Contribution tirée de la psychologie de l'enfant sourd-muet. In: Enfance. Tome 5 n°2, 1952. pp. 120-137. doi : 10.3406/enfan.1952.1237 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/enfan_0013-7545_1952_num_5_2_1237

Le Rôle Du Langage Dans Le Développement Mental

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Le rôle du langage dans le développement mental

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  • Pierre Olron

    Le rle du langage dans le dveloppement mental. Contributiontire de la psychologie de l'enfant sourd-muetIn: Enfance. Tome 5 n2, 1952. pp. 120-137.

    Citer ce document / Cite this document :

    Olron Pierre. Le rle du langage dans le dveloppement mental. Contribution tire de la psychologie de l'enfant sourd-muet.In: Enfance. Tome 5 n2, 1952. pp. 120-137.

    doi : 10.3406/enfan.1952.1237

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/enfan_0013-7545_1952_num_5_2_1237

  • LE RLE DU LANGAGE

    DANS LE DVELOPPEMENT MENTAL

    CONTRIBUTION TIRE DE LA PSYCHOLOGIE

    DE L'ENFANT SOURD-MUET

    par Pierre Olron

    Lorsque les psychologues cherchent dterminer le rle que le langage joue dans le dveloppement de la vie mentale, plusieurs sources d'informations sont disponibles, qu'il est important de pouvoir recouper les unes par les autres, telles que : tude du dveloppement de l'enfant, comparaison de l'homme et de l'animal, examen de la pathologie du langage et aussi comparaisons ethnologiques ou histoire et mthodologie de la pense scientifique.

    L'tude des sourds-muets peut galement s'ajouter ces sources (dont l'numration n'a rien d'exhaustif). Car ces sujets n'ont pas eu un accs normal au langage et ils ne peuvent l'employer faute de l'entendre. Ils vivent ainsi toute une priode de temps sans possder cet instrument. Lorsqu'une patiente ducation le leur fait progressivement acqurir, ce n'est qu'avec retard, lentement et surtout d'une manire qui, par rapport l'enfant normal, est artificielle, ce qui risque d'entraner, au moins pour nombre de sujets, une intgration incomplte des activits verbales l'ensemble des processus psychologiques.

    Quelles sont les caractristiques de la vie mentale chez ces sujets, en quoi se diffrencient-ils des entendants, quelle est leur situation durant la priode o leurs capacits verbales sont pratiquement nulles, comment cette situation se modifie-t-elle lorsque s'acquiert le langage, quelles diffrences subsistent malgr cette acquisition?... Si ces questions/ qui supposent une masse d'investigations, taient rsolues, nous disposerions sans doute d'informations utiles pour le problme gnral que l'on indiquait plus haut.

  • LE ROLE DU LANGAGE

    II

    L'intrt que prsente le cas des sourds-muets du point de vue des rapports du langage et de la pense a t compris relativement tt. Ce sont les philosophes qui en ont discut les premiers et, videmment, d'un point de vue dogmatique, ce qui n'a pas toujours t sans rpercussions pratiques fcheuses.

    Cependant au moins dans un cas, des philosophes, des thologiens plus exactement, auraient manifest un souci plus positif. On peut lire dans Marie (13), d'aprs les comptes rendus de l'Acadmie des Sciences, qu'un sourd-muet ayant retrouv l'usage de l'oue au dbut du xvine sicle, des thologiens seraient venus l'interroger sur l'tat de sa pense avant sa gurison. Ils se seraient intresss en particulier l'tat de ses ides en matire de religion et de morale. Ces questions ne surprennent pas de la part de thologiens, mais du point de vue psychologique cette curiosit parat judicieuse, car il s'agit l de notions abstraites particulirement intressantes k considrer dans un tel cas.

    Chez des auteurs plus rcents, qui n'ont pas toujours l'excuse d'tre thologiens, on peut trouver des positions beaucoup plus dogmatiques. La plus classique est celle de Max Mller qui a affirm l'identit de la pense et du langage (c'est le titre d'une de ses confrences, o il disait entre autres : Nous pouvons aussi peu penser sans mots que respirer sans poumons ). Point de vue qui l'amenait placer fort bas le niveau mental des sourds-muets : Un homme n muet, malgr le poids lev de son cerveau et la possession hrditaire de puissants instincts intellectuels, ne serait gure capable de manifestations intellectuelles suprieures celles d'un orang-outang ou d'un chimpanz, s'il tait limit la socit de ses compagnons muets (cit par Ribot (25), p. 48).

    Cependant des contemporains de Max Mller, en partie sous l'influence de sa thorie extrmiste, ont adopt, plus prudemment, une mthode inverse et cherch chez le sourd-muet des donnes de fait susceptibles d'tayer une hypothse gnrale. Citons Romanes (26) dont le point de vue est assez proche de celui de Max Mller et James, (8,9) qui s'y oppose compltement. Tous deux ont utilis les tmoignages que des sourds adultes, cultivs, ont apport sur leurs ides, leurs croyances, leurs activits mentales l'poque o ils n'avaient pas encore reu d'ducation systmatique. Romanes qui se place, un point de vue darwinien cherchait les facteurs responsables de l'volution du psychisme de l'animal l'homme. Il attribue un rle essentiel au langage articul, sans lequel l'humanit, selon lui, ne l'aurait gure emport sur le niveau des singes anthropodes. Les sourds-muets n'auraient que des notions qui ne dpassent pas celles des animaux ou des idiots. L preuve : il n'a pu trouver parmi eux de tmoignages attestant la conception de quelque forme de surnaturel .

  • QLRON

    James pense, contrairement Max; Mller et Romanes que la pense

  • LE R&LE DU LANGAGE

    sont ittdifff eaee aux types, d'images. Considrs sous l'angle de l'activit mentale, les textes qu'il cite- paraissent bien convaincants.. Tek ee\*x o Ra&ard raconte ses reeiierefeeft vess l'ge de. huit ans pour svexpli

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    fer, dsignant le fourneau autour duquel nous tions assis un samedi matin d'hiver [peut-tre pour faire comprendre l'ide de cause ou de puissance]; et qu'il tait assis sur un trne lev, en se plaant sur un fauteuil, le touchant et tendant le doigt en l'air, comme si quelque chose de semblable se trouvait dress au-dessus de la vote du ciel. Autant que je puis me rappeler, je pensais qu'il tait beaucoup plus puissant que l'homme et qu'il serait gravement offens et extrmement en colre, si je commettais jamais quelque action vilaine ou mauvaise .

    Un autre exemple galement caractristique est fourni dans un rcit de Massieu, un sourd-muet franais, dont on reproduit, d'aprs Sicard, un extrait un peu tendu, car il ne parat pas connu des psychologues (il s'agit de rponses une sorte d'interview par un auteur anonyme) : Dans mon enfance mon pre me faisait faire des prires par gestes, le soir et le matin. Je me mettais genoux, je joignais les mains et remuais les lvres en imitant ceux qui parlaient quand ils priaient Dieu... A quoi pensiez- vous, lui demandmes-nous, quand votre pre vous faisait rester genoux? Au ciel. Dans quelle intention lui adressiez- vous une prire? Pour le faire descendre de nuit sur la terre, afin que les plantes que j'avais plantes crussent et pour que les malades fussent rendus la sant. taient-ce des ides, des mots, des sentiments dont vous composiez votre prire? C'tait le cur qui la faisait, je ne connaissais encore ni les mots, ni leur valeur. Qu'prouviez- yous alors dans le cur? La joie quand je trouvais que les plantes et les fruits croissaient, la douleur quand je voyais leur endommagement par la grl, et que mes parents malades restaient encore malades. A ce moment de sa rponse, Massieu fit plusieurs signes qui exprimaient la colre et la menace. Est-ce que vous menaciez le ciel, lui demandmes-nous avec tonnement? Oui. Mais pour quel motif? Parce que je pensais que je ne pouvais l'atteindre pour le battre, le tuer, de ce qu'il causait tous ces dsastres et qu'il ne gurissait pas mes parents... Donniez-vous une figure, une forme ce ciel? Mon pre m'avait fait voir une grande statue qui tait dans l'glise de mon pays; elle reprsentait un vieillard avec une longue barbe; il tenait un globe la main; je croyais qu'il habitait au-dessus du soleil (27) .

    A ct des explications transmises l'aide de gestes, on peut faire jouer un rle aux dessins. Ainsi, si l'assimilation de la terre, comme du soleil et de la lune, un disque plat parat naturelle , Ballard se reprsentait la terre comme deux disques colls, parce qu'on lui avait montr une carte des deux hmisphres. Peet signale galement que l'ide selon laquelle le vent est produit par un homme ou un Dieu peut tre suggre par des gravures (classiques autrefois) comportant cette figuration.

    Ainsi la participation de l'enfant sourd son milieu est une donne dont il faut tenir compte. Rien ne serait plus inexact que de considrer le dveloppement de sa mentalit comme parfaitement spontan. Il faut

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    galement retenir l'imperfection de cette participation. Mais il est certain aussi, car cette imperfection ne saurait suffire tout expliquer, qu'il assimile les enseignements selon une structure et une capacit proprement enfantines, ce en quoi Piaget semble avoir parfaitement raison.

    ni

    Les tudes que l'on vient de considrer reposent sur l'emploi de l'introspection. Il est normal que la psychologie moderne se soit oriente vers des mthodes objectives, plus sres et d'un champ d'application plus tendu. On a cru trouver une telle mthode dans l'observation du langage mimique. Ribot l'a prconise et il dclare mme : L'tude de ce langage, spontan, naturel, est le seul procd qui nous permette de pntrer dans leur psychologie [des sourds-muets] et de dterminer leur mode de penser. (25 p. 49).

    Ribot n'a malheureusement utilis que des matriaux de seconde main. Il signale que les signes mimiques sont des abstractions (au sens d'un choix parmi les caractristiques des objets dsigns) et que la syntaxe de ce langage indique un commencement d'analyse. Mais il insiste surtout sur les limitations. Il conclut du caractre sec et nu de cette syntaxe qu'elle est le reflet d'une pense fruste et sans nuances ; la rapprochant de celle que manifestent les expressions de certains dficients, il y voit la marque d'une infriorit intellectuelle.

    On trouve chez des auteurs plus modernes d'autres considrations sur le langage mimique. Relevons-en quelques exemples qui sont en commun avec celles de Ribot de souligner les limitations de ce langage.

    Ombredane (20) signale celles qui concernent l'expression de l'abstrait, des contenus ngatifs, de la restriction, de la concession, du conditionnel, surtout irrel, et relve son incapacit d'exprimer des relations d'espce genre.

    Heider et Heider (4), les seuls auteurs qui s'appuyent sur des observations prcises, ont relev, chez le jeune enfant, l'adhrence de l'expression mimique au contexte de la situation. Ils montrent la limitation qui en rsulte l'gard de certains contenus, tels que le pass et le futur, lorsqu'ils dpassent les implications de la situation prsente, les objets absents, les notions de possibilit et ncessit, les jugements de valeur, les vnements psychologiques.

    Pellet (22) a affirm que l'emploi du langage mimique interdit au sourd-muet l'accs une pense vraiment conceptuelle. L'imprgnation du peru dans la matire du signe, l'adhrence de ce signe la chose signifie, s'opposent une vritable abstraction. Elles maintiennent la pense dans un syncrtisme qui s'oppose une dlimitation du concept fonde sur l'analyse. D'o obstacle au raisonnement logique, qui suppose une dtermination troite des significations, et l'organisation intellec-

  • 126 PIERRE OLRQN

    tuelle. Le progrs vers l'analyse, la pense conceptuelle, et le raisonnement ne sont possibles qu' l'aide du langage verbal, qui, en particulier, fournit des instruments pour l'expression des relations.

    Le point de vue de Ribot qui parat, plus ou moins explicitement, adopt par les auteurs que l'on vient de mentionner et les postulats qui sont la base de leurs observations appellent certaines rflexions et rserves.

    Il est videmment important d'tudier le langage mimique des sourds- muets. On se tromperait en les considrant comme des sujets privs, sans plus, de langage. Ce sont en fait des sujets qui emploient un certain langage. Le problme que l'on considre ici sera toujours incomplte* ment trait si l'on n'envisage pas les particularits de ce langage et si l'on n'tablit pas une relation entre ces particularits et eelles des autres activits psychologiques. (Il sera incompltement trait galement, si l'on ne tient pas compte de l'accs au langage verbal et de ses niveaux d'utilisation.)

    Mais, ceci constitue la premire rserve, le psychologue risque de passer ct du problme, lorsqu'il considre le langage mimique de l'extrieur, soit sous l'angle de la logique, soit sous celui des contenus signifis. On n'a pas dmontr que le langage mimique, en soi, n'a "pas de possibilits aussi indfinies que le langage oral et qu'il n'est pas susceptible d'exprimer des abstractions complexes. L'exemple de l'abb de l'pe prouverait mme le contraire : un ensemble de conventions dtailles lui permettait de dcalquer peu prs toutes les nuances de la langue parle ou crite, grce quoi il pouvait dicter par signes des passages fort abstraits (18).

    Les limitations que l'on dcrit dans le langage mimique n'en dcoulent donc pas par ncessit. Elles correspondent en fait certains niveaux d'exercice. Ces niveaux dpendent des sujets, en particulier de leur ge, de leur niveau de culture, de leur degr d'imprgnation par le langage verbal. Ils ne peuvent tre poss a priori. Une tude fconde du langage mimique suppose que ce langage soit rapport au sujet qui l'utilise; c'est le seul point de vue proprement psychologique (qui n'exclut pas, ct, un point de vue linguistique ). Les limitations prsentes par Heider et Heider concernent les enfants d'ge prscolaire qu'ils ont censi drs. A un ge plus avanc certaines de ces limitations peuvent dispa* ratre ou s'attnuer (par exemple celles qui correspondent l'expression du temps). D'autres, au contraire, vont surgir par suite du dveloppement des notions et des besoins d'expression correspondants. Elles pourront ou non tre surmontes, mais c'est seulement l'observation, rap porte aux sujets d'ge et de structure mentale donne, qui peut l'apprendre. L'aequisition du langage mimique traverse des stades, comme l'acquisition de la langue parle. Les progrs de cette acquisition four* nissent matire des tudes intressantes; on y voit en particulier

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    s'accrotre et s'enrichir les procds d'expression; la dsignation, qui est le procd essentiel pour le jeune enfant, se complte par la represent tation figurative, puisTallusion, en mme temps que le geste se socialise et s'adapte en fonction des groupes qui l'utilisent.

    La seconde rserve est beaucoup plus essentielle. La mthode adopte - par Ribot et certains de ses successeurs parat bien reposer sur une ptition de principe. Si le langage mimique a l'avantage de se prter une observation objective (rarement faite avec prcision d'ailleurs), lorsqu'on, remonte des caractristiques de ce langage aux caractristiques de la. pense, en induisant des limitations de l'un les limitations de l'autre, >oel prsuppose une adquation entre les deux, soit que le langage reflte fidlement la pense, soit que celle-ci soit exactement faonne l'image- du langage. Cette adquation est un postulat gratuit. Si on l'admet a priori il devient mme inutile d'tudier les sourds-muets,

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    tifs. Cette condition est remplie par les mthodes exprimentales o l'on demande au sujet d'accomplir certaines activits, de fournir certaines rponses matrielles dans des situations contrles, activits choisies selon les fonctions psychologiques que l'on veut tudier.

    IV

    L'emploi de ces mthodes a apport un certain nombre d'informations. Celles-ci sont insuffisantes en quantit pour nous mener trs prs de la solution de notre problme, car elles laissent inexplors -nombre de points parmi les plus essentiels. Elles souffrent aussi souvent d'une insuffisance de qualit, pour avoir t recherches partir de concepts imparfaitement dfinis ou l'aide de techniques insuffisamment prcises et objectives.

    De plus, il ne faut pas oublier que, dispost-on des donnes les mieux tablies, des difficults subsistent au niveau de l'interprtation. Et cela provient d'abord de ce que la situation du sourd-muet, telle que nous pouvons objectivement la saisir, est la rsultante d'une pluralit de facteurs. La privation du langage n'intervient pas seule. L'absence d'audition, logiquement antrieure, peut entraner (opinion communment admise) une prdominance des informations d'origine visuelle : ceci peut contribuer orienter la pense vers l'aspect figuratif, spectaculaire des choses. On a rappel plus haut qu'il fallait tenir compte de l'utilisation du langage mimique. L'ducation, de son ct, qui accorde une part considrable l'imitation, risque de disposer les sujets une certaine passivit, de diminuer leur capacit d'initiative mentale. Rappelons encore que Mac Andrew (12) a confr un rle principal l'isolement dont il a tudi ce qu'il considre comme les rpercussions, dans le cadre d'une thorie inspire de Lewin.

    Par ailleurs il n'y a pas chez le sourd-muet (comme chez tout sujet -atteint d'une dficience comparable) simple privation ou retard dans l'acquisition d'une fonction, mais, en fait, structure mentale originale. On n'est pas ici dans le cas d'un amput chez qui la perte d'un membre persiste comme privation physique (encore qu'elle tende tre fonction- nellement compense); mais l'ensemble des fonctions psychiques se 'dveloppe et s'organise pour aboutir un quilibre adaptatif, grce des interactions complexes qui ne rappellent en rien un processus l

    mentaire de soustraction. N'oublions pas aussi que le langage, chez l'homme normal, intervient,

    dans les diverses couches de la vie psychique, d'une manire complexe; si bien que le sens d'une comparaison entre le sourd-muet et l'entendant n'est pas toujours aussi simple qu'il peut apparatre premire vue.

    Un exemple qui illustre ces remarques est fourni. par la mmoire. JDans ce domaine nous avons un rsultat net : l'infriorit du sourd dans r

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    les preuves de mmoire immdiate (24). L'explication parat simple et ne pas dpasser le niveau sensoriel. On s'adresse chez le sujet normal la mmoire par l'intermdiaire, mme indirect, de l'audition; ce sens se prte l'organisation d'un matriel prsent par units successives; le sourd-muet est handicap parce que la vue laquelle il est limit est moins favorable une telle organisation. Mais voici un fait curieux : les sourds tardifs sont ici trs suprieurs aux sourds congnitaux ou prcoces (sourds-muets proprement dit) (3): La privation actuelle de l'lment acoustique n'explique donc rien. Il faut faire appel d'autres mcanismes, soit moteurs, lis l'emploi de la parole (conserve chez ces sujets), soit plus complexes, lis un dveloppement des capacits de structuration temporelle ou une plus grande familiarit avec le matriel (chiffres).

    Concernant la mmoire diffre , nous pouvons parmi les rsultats, dans l'ensemble imparfaitement cohrents, retenir ceux, dj anciens de Lindner (11). Ils indiquent la supriorit des sourds-muets dans la reproduction de mmoire d'un objet familier (un tramway). L'interprtation de Lindner est intressante : il pense que dans de telles preuves le sourd-muet n'est pas proprement parler suprieur; c'est l'entendant qui serait handicap par des habitudes verbales d'interprter, de schmatiser, donc d'appauvrir le rel de ses dtails concrets (mme hypothse, comme on sait, lorsqu'on compare primitif et civilis). C'est donc le langage, dont l'absence serait facteur de supriorit, qui interviendrait et non, encore ici, le mode de rception sensorielle. Ce qui semble confirmer cette manire de voir, c'est que la supriorit d'une mmoire visuelle chez le sourd, si elle existait, devrait se manifester l'gard de toute espce de matriel. Or lorsqu'elle apparat, c'est surtout l'gard d'objets concrets, familiers; un matriel abstrait, schmatique, sans signification est au contraire mal mmoris (14). Donc rle d'lments tels que schemes de reconnaissance et d'interprtation qui sont d'ordre supra-sensoriel.

    Ce qu'il est essentiel de considrer chez les sourds-muets, les observations prcdentes le suggrent, ce ne sont donc pas les. processus rceptifs. Bien entendu personne n'ignore les faits de compensation sensorielle. Mais les expriences faites sur les aveugles ont dtermin de bonne heure la nature de ce phnomne et montr qu'il s'tablissait aux niveaux interprtatifs et non l'chelon sensoriel. Il en est de mme chez les sourds- muets (1). (Chez Laura Bridgman, sourde et aveugle, on a trouv cependant une acuit tactile environ trois fois plus fine que la normale (10)). Une obscurit a bien t entretenue par des expriences d'auteurs allemands qui ont cru constater une supriorit des sourds des niveaux infra-interprtatifs (idtisme et champ d'apprhension (17)), mais des expriences plus rcentes ne les ont pas confirmes (14, 17).

    Si les fonctions sensorielles ne prsentent pas chez les sourds-muets de modifications fondamentales, cela ne signifie videmment pas que les

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    donnes perues et surtout les donnes perues par la vue, n'aient pas dans la vie mentale un rle diffrent de celui qu'elles jouent chez le sujet normal. On aura au contraire revenir sur ce point. Mais on doit viter de concevoir l'intervention des lments sensoriels comme un envahissement devant lequel le sujet resterait passif. Car c'est une chose que l'orga- nisation de la vie mentale selon les lois des lments empiriques, et une autre chose que l'utilisation active par le sujet des informations et moyen dont il dispose. C'est dire que les activits intellectuelles doivent tre tudies en elles-mmes. On peut s'attendre que cette tude apporte le plus d'informations prcieuses, puisque c'est l que l'on trouve les oprations abstraites , dont le langage est l'instrument de choix, et que risquent d'apparatre chez les sourds-muets les dficits les plus caractristiques.

    Dans ce domaine les psychologues, souvent inspirs par des soucis pratiques, se sont surtout placs au point de vue psychomtrique. Leurs rsultats ne concordent qu'imparfaitement; tablis partir d'preuves empiriquement construites pour la plupart et visant simplement un niveau global, ils ne fournissent que des informations incompltes r malgr leur abondance notable. Pourtant leur examen apporte un enseignement : la difficult relative (c'est--dire le degr de retard par rapport un groupe tmoin d'entendants) varie en fonction du degr d'abstraction des tches.

    Le degr d'abstraction, la distinction entre l'abstrait et le concret sont des notions d'une grande importance, comme on vient de le rappeler, car elles fournissent une clef pour comprendre de nombreux faits et orienter les recherches. Malheureusement ces termes sont trs imprcis et il est ncessaire, lorsqu'on les emploie, de les dterminer partir d'oprations ou de donnes objectives facilement identifiables.

    Lors des premires recherches sur l'abstraction, les psychologues n'avaient retenu de ce processus que l'ide de sparation, de mise l'cart. Ils ont pens l'tudier en proposant des objets sans signification, dont certains taient identiques ou prsentaient un lment commun, la tche du sujet tant d'isoler, de distinguer ces objets des autres. C'est un point de vue inspir d'un empirisme, thorique et mthodologique, simpliste qui fut par exemple celui de Hull et de Kuo aux tats-Unis, de Koch et Habrich en Allemagne utilisant une mthode adapte de Grnbaum. La mthode de ces derniers auteurs a inspir une partie d'une recherche de Hfler sur des enfants sourds -muets (6). C'est la raison pour laquelle on la mentionne ici, mais il est certain qu'il n'y a pas lieu d'insister sur ceB expriences qui passent entirement ct du vrai problme.

    L'abstrait, en effet, n'est pas ce qui est spar matriellement, conformment une ligne de clivage fourni par use identit ou une absence d'identit de fait. La sparation est dtermine par rapport un point

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    de vue apport par Je sujet, en particulier par rapport un concept: (taille, forme, couleur* nombre, etc.). Aussi est-il important, pour dterminer la capacit du sourd d'abstraire et d'utiliser Pabstrait, d'envisager la pense conceptuelle, dont les oprations de base, les classifications^ se prtent une tude objective assez commode.

    Transposant la surdi-mutit des vues suggres par l'tude de l'apn- sie, on pouvait craindre, d'aprs les thories de Goldstein, que le comportement du sourd-muet prsentt ici des anomalies. Une classification conceptuelle suppose qu'on s'lve au-dessus du niveau concret et que l'on considre les objets, non dans leurs particularits propres, mais comme les reprsentants d'une classe. Le sourd-muet n'prouve-t-il pas quelques difficults atteindre cette attitude? Une exprience ralise par Heider et Heider (4) a montr que ces craintes taient injus^ tifies : l'enfant sourd assortit les objets selon leur caractre commun-,, comme l'enfant normal. Ses groupements sont plutt plus larges* comme si la possession du mot avait pour effet de restreindre, au lieut de l'largir, l'ampleur des ressemblances.. Ce rsultat n'est pas, dans le- fond, vraiment surprenant, car on sait depuis toujours que l'apprhen. sion d'un caractre gnral est primitive. Il nous apprend pourtant tre prudent l'gard des assimilations, par lesquelles en peut tre tent, entre absence ou manque de dveloppement et destruction ot* altration des fonctions tablies.

    Ce n'est pas dire cependant que toute constitution de classe soit facile pour l'enfant sourd-muet. Il faut s'attendre des difficults lorsque le principe de classification correspond une notion qui n'a pas t acquise et que le sujet ne sait dcouvrir dans le matriel classer. Les lacunes du savoir entravent l'accomplissement d'une opration, parce qu'elle privent le sujet d'un instrument.

    Des difficults apparaissent surtout, comme on l'a montr ailleurs (19) dans les preuves de classement multiple. On prsente ici un matriel qui peut tre class de plusieurs manires diffrentes et le sujet doit dcouvrir les divers classements possibles et les raliser successivement.. Les sourds-muets russissent mal dans une telle tche, surtout lorsque le matriel est complexe. L'analyse des conditions qu'implique la russite dans ces preuves a fourni une hypothse qui peut rendre compte de leurs difficults. Il faut, d'une part, que les divers principes de classement possible soient distingus les uns des autres. Il faut d'autre part qxie ces divers principes, qui doivent intervenir successivement, soient intgrs dans une organisation temporelle, dans laquelle soient^ en outre, distingus sans confusion, virtuel, actuel et dj ralis. L'examen de ces conditions et l'tude d'autres donnes de comportement ont permis d'- vancer que les sourds-muets sont handicaps ici parce qu'ils accordent uae importance trop grande aux donnes perues. La perception est en effet un mode d'apprhension dans lequel les divers caractres adhrent en. des objets et ne se dissocient pas. Elle invite, en outre, des organisation

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    matrielles des objets, essentiellement spatiales, dans lesquelles les divers caractres sont simultanment actualiss. Ainsi, et telle serait la cause de ses checs, l'activit mentale du sourd-muet tend se maintenir un niveau o les lments perus ne sont pas suffisamment subordonns aux concepts, niveau que l'on a propos, pour cette raison, d'appeler perceptuel.

    La perspective apporte par cette interprtation, qui reprend en un sens, mais sous un aspect plus fonctionnel, la distinction abstrait-concret, peut tre applique d'autres faits obtenus par d'autres investigations. Telles celles qui portent sur certaines formes de raisonnement, en particulier le raisonnement par analogie. Celui-ci intervient dans les Progressive Matrices de Raven et d'autre part dans les tests de Brody. Dans l'une comme dans l'autre de ces preuves, les sourds se rvlent infrieurs aux entendants (16, 28). Les tests de Brody ont t appliqus par Templin (28); ils comprennent deux types d'preuves portant sur un matriel non verbal, les unes de classification, les autres d'analogie. Ce

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    pas que son apprhension et son utilisation soient essentiellement difficiles pour l'enfant sourd-muet.

    L'attachement au peru ne se traduit pas seulement par un certain degr de russite dans des tches dfinies; il apparat aussi dans les pro cdures suivies au cours de l'accomplissement de ces tches. Ces procdures sont particulires ces tches, ce qui ne permet pas de les exposer d'une manire assez gnrale. Il en est une pourtant qui est caractristique, c'est le ttonnement qui comporte une comparaison directe entre le modle et le rsultat de l'action, limitant le rle que pourrait jouer un schma mental. Myklebust (14) a signal l'intervention de cette procdure dans l'excution du test de Minnesota; elle empche, du point de vue pratique de considrer comme valables les notes d'erreurs dans cette preuve.

    Cet attachement parat aussi responsable, au moins en partie de ce qu'on pourrait appeler la cintique des processus mentaux. Anomalies qui se manifestent en particulier par la difficult de changer de perspective, le manque de plasticit. Mac Andrew a consacr une tude ce problme (12) ; il a cru distinguer chezde sourd-muet un lment gnral de rigidit, proprit des structures psychiques qui se manifeste dans des preuves de type diffrent (classement multiple, preuves de satiation, de niveau d'aspiration). Les faits sont difficilement discutables et peut- tre est-ce une condition du mme ordre qui contribue rendre difficile l'excution des preuves comportant de nombreux items dont chacun diffre du prcdent par la matire et le dtail des solutions. On a discut ailleurs (49) l'hypothse de la rigidit et avanc que le responsable des persvrations et des redites devait tre plutt le besoin de trouver un appui dans le donn concret, le dj fait, le dj constat.

    Il est certain cependant que les facteurs en jeu sont complexes et que nous sommes dans des zones frontires o l'on ne peut sparer intelligence et personnalit. C'est un aspect intellectuel que l'attachement au dj vu et plus encore la dmarcation qui existe peut-tre entre l'alternance simple (l'un, puis l'autre) et l'alternance indfinie (l'un, puis un autre, puis encore un autre...). C'est un aspect intressant la personnalit que ces degrs d'inertie, de passivit, de manque d'initiative, o l'on peut voir les effets d'un mode d'ducation, mais aussi les rpercussions profondes des entraves la communication sociale et des difficults saisir l'image de soi et la structurer. On ne peut cet gard que se contenter d'allusions, tant les informations positives font dfaut.

    Ainsi ce qui caractriserait les processus psychiques chez les sourds- muets, tels que ceux-ci se manifestent, d'une manire encore bien incomplte, par l'emploi des mthodes objectives, c'est un certain mode d'attachement au peru.

    Il est ncessaire devant un tel nonc d'viter un malentendu possible. Il ne s'agit pas d'affirmer que le sourd-muet est limit des activits

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    ^perceptives et que les activits intellectuelles lui seraient interdites. -Affirmation parfaitement fausse dans ce cas particulier et qui suppose, ^plus gnralement; une ligne de clivage entre perception et intelligence, 'qui n'existe pas dans la ralit. Ce qu'il faut considrer au contraire, ic'est une interaction entre perception et intelligence. Interaction dont on retiendra seulement un ct : le fait que l'intelligence emprunte la perception des modles d'action, des instruments, des intrts et qu'elle subit, en consquence, des limitations. L'tude des sourds-muets suggre qu'une faon de comprendre les rapports entre ces deux fonctions est de les envisager, plutt que comme une participation plus ou moins parfaite 3k un modle commun, en termes soit de conflit, soit de coopration. Il ^semble en particulier que les expriences qui mettent en uvre un tel conflit sont particulirement instructives pour faire apparatre, parles ^difficults des sujets, l'irruption des lments perceptifs.

    La facilit d'excution d'une tche va dpendre en effet de l'accord qui existe entre ces derniers et les exigences intellectuelles. C'est ainsi qu'on peut rsoudre certaines contradictions apparentes. Par exemple ntre la facilit des classements simples et la difficult des classements multiples. Cette dernire tient ce que le matriel comporte une pluralit *de caractres, qui, du point de vue du principe de classement, sont des lments perturbateurs. Dans les classements simples les objets sont unifis au maximum, ce qui laisse aisment percevoir le principe (chantillons 'de laines ou de papiers dans les classements de couleur, ni la forme, ni la taille ou la matire ne provoquant de perturbations) . Mais on pourra rendre a mme tche plus difficile en introduisant des diversits accessoires.

    Ce qui intervient ici ce sont les diffrences. Celles-ci, du point de vue perceptif, sont aussi importantes que les ressemblances; elles tendent mme s'imposer davantage (elles sont apprhendes avant les ressemblances, comme l'ont remarqu Claparde et Wallon). Leur prsence contribue introduire un conflit; guid par la perception le sujet veut en tenir compte, ce qui le conduit des modes de classements dcrits ailleurs (19) et l'empche de russir. Lorsque les diversits sont rduites u minimum, il y a cette fois coopration du peru et la tche est effectue sans difficult.

    Il en est de mme,semble-t-il,en ce qui concerne l'apprhension des apports. Tout ce qui facilite leur prsentation claire, aussi dpouille que possible d'lments accessoires, leur conservation travers certaines variations du support, favorise aussMa russite. On peut s'attendre ce que les conditions contraires soient dfavorables.

    Ces observations peuvent tre tendues d'autres processus intellectuels, tels que le raisonnement qui, d'aprs Templin, utilisant les preuves "de Long et Welch, est plus facile au niveau concret que lorsque l'on s'lve aux hirarchies suprieures. Elles peuvent l'tre aussi l'emploi du langage, d'autant plus ais acqurir et "utiliser qu'il se rapproche de la description ou, du moins, de la simple schmatisation.

  • LE ROLE DU LANGAGE 135

    La situation intellectuelle du sourd-muet, dan&la mesure o l'esquisse schmatique que l'on vient d'en tracer est valable, apporte quelques lumires sur certaines fonctions du langage. Si cette situation se caractrise paj l'intrusion du peru et son intervention comme guide ou modle d'activits dans lesquelles il devrait tre, sinon exclu, du moins subordonn, le langage aurait donc le pouvoir d'aider rduire cette intrusion et d'assurer cette subordination. C'est ainsi que les sujets capables de l'utiliser normalement sont mieux capables que les sourds- muets d'accomplir certaines tches : analyser les aspects qui, du point de vue perceptif, adhrent les uns aux autres, abstraire des donnes momentanment inintressantes, retrouver le fil de ressemblances, malgr des diffrences frappantes pour l'il, chercher de nouvelles solutions et tenter des hypothses, etc. La possession du langage permettrait ainsi l'indpendance l'gard des conditions favorables de la situation perue; il permet au sujet d'accomplir la tche propose, mme lorsque la perception n'indique pas les lignes de solution ou tend les masquer. Il permet des conomies de temps, de gestes, d'essais, de rptition, de recours au conseil d'autrui. Il contribue au dveloppement de l'initiative et de la libert.

    Ce serait d'ailleurs une vue incomplte que d'envisager seulement une opposition entre les possibilits ouvertes au sujet qui possde le langage et les rsistances de' la perception. Ce qui parat plus fondamental, c'est que l'intelligence a besoin, pour fonctionner, d'instruments. Elle utilise ceux qu'elle trouve. La reprsentation d'objets perus, l'action objective sur ces objets sont, en un sens, des instruments. Le langage est simplement un autre instrument, dont les possibilits sont plus tendues. Il permet en effet de dpasser les conditions de la tche prsente pour se soumettre des conditions d'oprations universelles. Moins il se prsente comme un dcalque des choses, plus les organisations qu'il permet peuvent tre originales, ce qui correspond un pouvoir d'action largi. Ceci explique la supriorit du langage articul sur le langage mimique qui, lui, se dgage plus difficilement de l'intuition. S'il dveloppe l'initiative et la libert, c'est qu'il permet d'agir selon des points de vue non figurs, non donns, mais apportes par le sujet, pouvant provenir d'expriences antrieures plus aisment transfres (par exemple la ressemblance conceptuelle exprime par un mot).

    Ce rle instrumental du langage n'est pas opposer son aspect social. Il s'agit cependant d'aspects qu'il faut distinguer. Lorsqu'on envisage l'aspect social on pense, soit l'interaction d'individus, soit au fait que le langage est un apport dj socit l'individu. Mais ce faisant on peut oublier qu'il est un instrument d'action sur les choses. Sans doute, il est une action sociale que permet le langage. Mais ici, l'inverse des conditions rappeles plus haut, l'instrument est d'autant meilleur qu'il est davantage ml au concret, au concret affectif surtout; si bien qu le langage mimique, par sa capacit dramatique, peut tre plus efficace

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    que le langage oral, celui-ci recevant une bonne partie de son efficacit, de sa matrialit mme. Au contraire les mathmatiques offrent le type de langage o l'aspect instrumental, permettant l'action sur le monde physique, est le plus net. Lorsqu'on considre les sourds-muets, on peut tre frapp en premier lieu par la limitation proprement sociale qui est la leur. Mais lors d'expriences o le sujet doit se dbattre dans le cadre d'un problme, agir sur les choses, c'est l'aspect instrumental qui est mis en vidence.

    Cet aspect permet de surmonter les antagonismes que suscite toujours la notion de social, soit par rapport l'individu, soit par rapport au bio- logique. Le langage, situ parmi d'autres instruments, est un moyen d'agir plus et mieux. videmment, sans lui certaines possibilits resteraient peut-tre toujours interdites. C'est pourquoi il est lgitime de parler de

    "discontinuit. Mais ce n'est qu'une perspective. On peut, il est vrai, opposer, et lgitimement, intelligence pratique et intelligence symbolique. Mais si les expriences faites avec les sourds-muets ont un sens, c'est de montrer que certains modes d'action sur les choses sont compromis lorsque manque un instrument symbolique.

    V

    II est normal que les deux grands types de mthodes que l'on considrs successivement dans cette tude rvlent chez les sourds-muets des dficits diffrents. Les uns portent sur la matire des activits mentales. Il y a l absence ou insuffisance de certaines notions dont le langage permet la transmission l'individu. Encore ne faut -il pas exagrer, puisque les seules donnes positives comportent une comparaison d'enfants enfants et que chez les entendants l'on trouve des insuffisances analogues. Les autres portent sur les fonctions elles-mmes qui sont orientes dans le sens du concret et qui, par suite de limitations instrumentales, n'accdent pas aisment certaines liberts.

    On doit cependant, malgr la dualit des perspectives, reconnatre leur aspect complmentaire. Car les notions sont aussi des instruments qui donnent l'individu le moyen de s'orienter parmi les choses, d'agir sur elles, de rsoudre certains problmes qu'elles posent. Inversement les notions dpendent de certaines activits qui les constituent ou les assimilent; elles ne sont pas vraiment reues, mais labores et leur niveau dpend des capacits d'laboration.

    C'est pourquoi ces deux aspects ne peuvent tre qu'artificiellement spars. Le progrs doit comporter, non le rejet des donnes anciennes, mais leur intgration; c'est pourquoi on a cru utile de les rappeler ici. Mais ce qu'il faut surtout c'est acqurir des faits nouveaux. Le seul fondement d'une tentative de synthse est de prparer la recherche et sa justification ne se trouvera que dans la fcondit de celle-ci.

  • LE ROLE DU LANGAGE 137

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    InformationsAutres contributions de Pierre OlronCet article est cit par :Olron Pierre. III. tudes sur le langage mimique des sourds-muets. I. Les procds d'expression. In: L'anne psychologique. 1952 vol. 52, n1. pp. 47-81.

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