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AFFAIRE GIARDINA Tsunami obstétrico-médiatique GABRIEL RICHET Un Géant nous a quitté Infectiologie L’INTERNAT DE PARIS ISSN: 0290-5124 Commission paritaire en cours Prix au numéro : 7,5 euros Infectiologie Le trimestriel des AIHP www.linternatdeparis.fr Mars 2015 n°79 DOSSIER

Le trimestriel des AIHP DE PARIS · 2015-11-18 · de la fresque de la Salle de Garde de Clermont-Ferrand représentant une orgie de super-héros, sur laquelle les internes avaient

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AFFAIRE GIARDINATsunami obstétrico-médiatique

GABRIEL RICHETUn Géant nous a quitté

Infectiologie

L’INTERNATD E PA R I S ►IS

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Infectiologie

Le trimestriel des AIHP

www.linternatdeparis.frMars 2015

n°79

DOSSIER

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Tout�d’abord�je�voudrais�rendrehommage�à�Morgan�Roupret(AIHP� 1999)� qui� a� assuréavec� talent� les� fonctions� dedirecteur� de� la� rédaction�denotre�revue�pendant�six�ans.Qu’il� soit� remercié� pour� ses

éditoriaux�précis,�argumentés�et�toujours�pertinentset�surtout�bon�courage�à�lui�pour�ses�nombreuses�au-tres�missions�toujours�orientées�vers�le�service�auxcollègues.

Je�débute,�hélas,�ma�chronique�avec�le�triste�privilègede�rendre�hommage�à�tous�mes�collègues�qui�ont�étémobilisés� lors�des�affreux�attentats�qui�ont�ensan-glanté�Paris�en�ce�début�d’année.�Ces�mêmes�mé-

decins�qui,�dans�l’ombre,�se�sont�tenus�prêts�à�agir�en�cas�d’afflux�massif�deblessés�lors�de�la�manifestation�prônant�la�liberté�d’expression�le�11�janvier�àParis,�réunissant�plus�de�4�millions�de�personnes.

Pourtant,�moins�de�10�jours�après,�un�véritable bashing s’est abattu sur le

corps médical qui�n’a�pour�l’instant�pas�cessé.�Le�bal�s’est�ouvert�avec�l’affairede�la�fresque�de�la�Salle�de�Garde�de�Clermont-Ferrand�représentant�une�orgiede�super-héros,�sur�laquelle�les�internes�avaient�ajouté�des�bulles�de�BD�afinde�moquer�la�future�loi�de�«�modernisation�de�la�santé�».�

Cette�fresque�qui�avait�vécu�dans�l’indifférence�depuis�15�ans�devint�alors�lesymbole�de�l’agression�machiste�faite�aux�femmes,�une�incitation�au�viol�et�à

L’internat de Paris 79

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LE BILLET

Christophe

Trésallet

(AIHP�1994)�*Directeur�de�la�rédaction

Une année qui s’annonce difficile…mais Hippocrateest toujours là !

Directeur de la publication :�Emmanuel�Chartier-Kastler�(AIHP�1984)���Directeurs de la rédaction :François�Daniel�(AIHP�1961)�&�Christophe�Trésallet�(AIHP�1994)���AssistanteDoriane�de�Nazelle���Comité de rédaction:�Philippe�Brun�(AIHP�1981),�Jean-Pierre�Brunet�(AIHP�1961),�Yves�Cukierman�(AIHP�1991),�Guillaume�Dedet�(ECN�2008),�PierreDesbiez�(AIHP�1961),�Pierre�Desche�(AIHP�1979),�Sophie�Georgin-Lavialle�(AIHP 2001),�Claude�Hamonet�(AIHP�1965),�Bernard�Kron�(AIHP�1965),�Marc-Antoine�Rousseau(AIHP�1999),�Bernard�Séguy�(AIHP�1961),�Christophe�Vidal�(ECN�2006),�Daniel�Wallach�(AIHP�1972)���Rédaction :�17,�Rue�du�Fer�à�Moulin�75005 Paris�-Tél.�:�01�46�69�14�11Courriel :�[email protected]���Site :�www.linternatdeparis.fr���Editeur & directeur de la publication délégué :�Dominique�Carré.�Numéro�réalisé�en�micro-édition���Im-pression :�Imprimerie�des�Deux-Ponts�-�France���Routage :�PubAdresse� Dépôt légal :�à�parution��ISSN:�0290-5124���Commission paritaire :�en�cours���Publicité (hors par-tenariats) :�ERI�:�01�55�12�31�20���Abonnement annuel :�20�euros���Prix au numéro:�7,5�euros���Crédit photos :�Banque�d’images�AAIHP�;�Collections�particulières�;�Shutterstock�;DR.���© Les éditions de l’A.I.H.P. sarl�de�presse�de�l’AAIHP���Conditions générales :�Le�magazine�décline�toute�responsabilité�quant�aux�manuscrits�et�photos�qui�lui�sont�envoyés.Les�articles�publiés�n’engagent�que�la�responsabilité�de�leurs�auteurs.�Les�manuscrits�non�retenus�ou�publiés�ne�sont�pas�rendus.Tous�droits�de�reproduction�réserves.

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la�violence.�Courageusement,�le�doyen�de�la�faculté�l’a�faite�illico recouvrirde�peinture�blanche�avant�d’entendre�l’interne�délinquant�en�conseil�discipli-naire�pour�l’absoudre�avec�une�petite�tape�dans�le�dos.�N’est�pas�Charlie quiveut�a-t-on�pu�lire.�On�attend�donc�avec�impatience�le�guide�de�l’outranceautorisée,�du�dessin�impertinent�correct,�du�droit�à�la�liberté�d’expressionCharlie-compatible...

Les�médecins�sont�donc�bien�potentiellement�des�violeurs,�en�attestent�lestouchers� pelviens�au�bloc� qu’on�peut� assimiler� à� un� viol� en� l’absence�deconsentement.�

Les�médecins�sont�bien�entendu�aussi�:�avides�et�égoïstes�en�soutenant�ledroit�aux�dépassements�d’honoraires�et�en�refusant�la�loi�sur�le�tiers�payantgénéralisé,�alcooliques�depuis�qu’un�député�a�eu�l’idée�géniale�de�demanderà�ce�qu’une�alcoolémie�soit�faite�pour�tout�chirurgien�ou�anesthésiste�avantune�intervention�chirurgicale.�Les�médecins�sont�des�voleurs�dont�on�peut�heu-reusement�aujourd’hui�contrôler�les�liens�d’intérêt�avec�l’industrie�dès�10�eurosen�avantage�matériel�ou�financier�(pourquoi�pas�moins�?),�ils�sont�grossiers(on�le�savait�ça)�en�ne�se�présentant�pas�à�leurs�patients�à�l’hôpital,�ils�ruinentla�sécu�par�des�prescriptions�trop�nombreuses�et�inappropriées,�travaillent�mal,trop�peu�ou�sélectionnent�leurs�patients,�ce�qui�bientôt�pourra�être�dénoncéau�grand�jour�par�le�«�patient�traceur�»�que�va�lancer�l’HAS�dans�le�systèmede�soins,�à�l’instar�des�testings�de�boites�de�nuit.

La�liste�des�insultes,�humiliations�et�autres�compliments�qui�se�sont�concentréssur�le�corps�médical�ces�derniers�mois�serait�encore�longue.

Pourtant,�je�ne�vois�pas�les�mêmes�médecins�que�ceux�que�la�presse�ou�lesblogs�salissent�collectivement.�J’ai�encore�pu�les�voir�tels�qu’ils�sont�au�quoti-dien,�lors�des�attentats�et�de�la�manifestation�qui�s’en�est�suivie�:�mobilisésd’un�seul�bloc�dans�les�hôpitaux�ou�en�ville,�volontaires�sans�rechigner�uneseconde�pour�se�porter�au�secours�de�qui�en�aurait�besoin�en�dehors�de�leursheures�de�travail�y�compris�la�nuit,�dignes�et�concentrés,�professionnels�etcalmes,�au�service�de�tous.�Hippocrate�ne�les�a�jamais�quittés.�

Cette�revue�est�la�vôtre,�n’hésitez�pas�à�nous�envoyer�vos�commentaires�surl’actualité,�billets�d’humeur,�articles,�récits.�Participez�avec�nous�à�faire�vivrecette�forme�de�liberté�qu’ont�les�médecins,�gage�d’indépendance,�d’initiativeet�d’audace�:�autant�de�qualités�qui�font�évoluer�la�médecine�vers�toujours�plusde�progrès.��■

*�Note�de�la�rédaction�: PU-PH�en�chirurgie�générale,�viscérale�et�endocri-nienne�à�la�Pitié-Salpêtrière.

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SOMMAIRE

POINT DE VUE

1 Le billet

Une�année�qui�s’annonce�difficile…�mais�Hippocrate�est�toujours�là�!

5 Editorial

Formation�des�internes�:�l’équation�impossible.��

ACTUALITE

7 Nobel de médecine

2014

Trois�scientifiques�récompen-sés�pour�leurs�travaux�sur�unsystème�de�géoposition�dans�le�cerveau.

11 Communiqué de

l’AAIHP du 14 janvier

2015

12 Affaire Giardina

■ Tsunami�obstétrico-média-tique.�L'adolescent�handicapéet�les�11�millions.■�La�réparation�juridique�du�dommage�corporel�«�en�porte�àfaux�»�:�indemniser�le�corpsmeurtri�ou�compenser�les�situa-tions�de�handicap�?

19 Chronique

Le�prix�d’un�homme.

L’INTERNAT

SPECIALITE

20 Hommage

Gabriel�Richet�(1916�-�2014)�-�AIHP�1939.�Un Géant nous a quittés.

22 Souvenirs

La�visite�du�Patron.

24 Courrier des

lecteurs

24 A l’honneur

HISTOIRE

25 Etude

L’hominidé�qui�rêvait.29 Le coin des livres

Aux�sources�de�la�médecinescientifique.�Du�clystère�au�stéthoscope.

33-52 Infectiologie - Sommaire�page�33.

53-56 Focus : diabétologie

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Imaginez�nos�étudiants�de�DFASM3�*,�à�quelques�jours�depasser�leur�épreuve�classante�(27-28�et�29�mai�2015)�et�médi-tant�sur�leur�avenir�professionnel�!�Comment leur�assurer�quenous�avons�un�des�plus�beaux�métiers�du�monde�et�justifierdans�le�même�temps�les�absurdes�contraintes�opposées�quileur�sont�proposées�?�Commentmaintenir�un�niveau�d’excel-lence�de�la�pratique�médicale�clinique�devant�un�tel�appauvris-

sement�idéologique�de�notre�système�de�santé�?�Comment leur�dire�qu’ils�vontbientôt�rentrer�dans�la�plus�belle�période�de�leur�vie�professionnelle�:�celle�del’apprentissage�par�l’expérience�du�troisième�cycle�et�de�l’acquisition�du�diplômed’études�spécialisées�de�leur�choix…�ou�presque�selon�leur�classement�?�

On vit une époque paradoxale :�d’un�coté�il�est�demandé�de�respecter�les�ho-raires�de�travail�imposés�par�Bruxelles�et�désormais�applicables�au�1er mai�dansles�services�hospitaliers�les�accueillant�et�de�l’autre�il�est�exigé�une�formationthéorique�et�pratique�de�plus�en�plus�complexe�du�fait�de�l’évolution�de�la�sciencemédicale,�sans�compter�le�temps�nécessaire�au�contact�du�patient�dans�les�spé-cialités�à�«�actes�»�irremplaçable�et�jamais�pris�en�compte�par�nos�décideurs.

Chers futurs collègues,�votre�avenir�médical�est�entre�vos�mains�pour�ce�quiest�de�l’acquisition�des�connaissances�et�de�votre�envie�d’être�les�meilleurs�dansvotre�domaine�de�prédilection.�Malheureusement�nos�gouvernants�successifsvous�offrent�un�environnement�de�travail�misérabiliste�et�appauvrissant.�On�veutfaire�de�vous�des�«�employés�de�la�santé�»�comme�les�autres�alors�que�vousaurez�une�responsabilité�individuelle�et�unique�vis-à-vis�de�votre�patient.�Nous�nesauverons�le�système�qu’en�continuant�à�défendre�l’excellence,�la�rigueur�et�lareconnaissance�financière�de�nos�talents�et�de�notre�dévouement.�

Ne vous laissez pas entrainer dans�les�ornières�de�l’encadrement�horaire�oude�la�normalisation�de�votre�exercice.�Recherchez en�permanence�le�meilleurpour�vous�et�vos�futurs�patients.�A�propos�de�la�normalisation�du�temps�de�travailde�l’étudiant�de�troisième�cycle�que�vous�allez�être,�refusez l’idée�que�votre�pré-sence�dans�les�services�hospitaliers�est�là�pour�assurer�le�fonctionnement�deceux-ci.�Bien�sur�vous�assurerez�les�gardes,�pour�vos�hôpitaux�et�pour�votre�for-mation.�Bien�sur�vos�«�patrons�»�vont�donner�le�meilleur�d’eux�mêmes�avec�leurséquipes�pour�vous�former�et�vous�donner�des�places�à�responsabilité�encadrée.Mais�ne�nous�trompons�pas�d’objectif.

Une�tentative�récente�des�doyens�et�responsables�d’hôpitaux�pour�décaler�lamise�en�place�au�1er mai�de�cette�nouvelle�réglementation�est�apparue…�elle�dé-montre�l’absence�de�réflexion�qui�a�prévalue�à�la�signature�de�ces�règles�dutemps�de�travail.�Oui�cela�va�déstabiliser�le�fonctionnement�de�certains�services.Mais�c’est�à�eux�de�savoir�fonctionner�avec�des�internes�qui�viennent�pour�se�formeret�non�pour�être�des�pansements�pour�services�hospitaliers�mal�calibrés�en�person-nels�(médicaux�ou�non)�et�modes�d’organisation.�La�restructuration�hospitalière�n’aque�trop�tardée�sur�notre�territoire,�vous ne devez pas en être les victimes.��■

Formation des internes :l’équation impossible

L’internat de Paris 79

5

ED

IT

OR

IA

L

Auteur

Emmanuel

Chartier-Kastler

(AIHP�1984)Président�de�l’AAIHP

*�DFASM3�3e année�du�diplôme�de�forma-tion�approfondie�en�sciences�médicales�(ex-DCEM4)…�ou�6e année�d’études�médicales�!

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Introduction

Le� Prix� Nobel de� médecine2014�a�été�décerné�d'une�partà� John O'Keefe et� d'autrepart�à�un�couple,�May-Britt et

Edvard I. Moser pour� leursdécouvertes�des�cellules�qui�constituent�un�sys-tème�de�géoposition�dans�le�cerveau,�une�sortede�«�GPS�interne�»�au�cerveau.�En�effet,�ils�ontmis�en�lumière�l’existence�d’un�réseau�de�neu-rones�dans�le�cerveau�profond�qui�permet�dese�situer�dans�l’espace�et�de�se�déplacer�touten�gardant�conscience�de�notre�position.

L’histoire commence à la fin des années

60… John O’Keefe découvre les cellules

de « position » dans l’hippocampe

L'Américano-Britannique�John�O'Keefe�est�néen�1939�à�New�York.�Il�avait�une�formation�enpsychologie� physiologique� et� travaillait� avecRonald�Melzack�à�l’Université�McGill.�Il�rejointensuite�le�laboratoire�de�neuroscience�cognitivede�l'University�College�de�Londres�(UCL),�où�ila�commencé�son�travail�sur�le�comportementdes�animaux�dans�les�années�1960,�et��décou-vert�le�premier�composant�de�ce�GPS.�Fascinépar�la�façon�dont�notre�cerveau�contrôle�noscomportements,�il�s’est�attaqué�à�la�question,�àla�fin�des�années�60,�à�l’aide�de�méthodes�neu-rophysiologiques.�Il�a�en�effet�enregistré�les�si-gnaux� émis� par� les� cellules� nerveuses� del’hippocampe�de�rats�qui�se�baladaient�libre-ment�dans�une�pièce.�Ce�qu'il�a�alors�remarquéest�à�la�fois�amusant�et�passionnant�:�à�chaquefois�que�le�rat�se�retrouvait�au�même�endroitdans� la�pièce,�certaines�cellules�s'activaient,toujours�les�mêmes.�A�d'autres�endroits�de�lapièce,� d'autres� cellules� s'activaient.� Pour� lechercheur,�cela�signifiait�bien�une�chose�:�les

cellules�«�élaboraient�un�plan�de�la�pièce�»�:�il�lesa�appellées�des�cellules�de�«�position�»�(O ' Keefeet Dostrovsky, 1971).�

Le�modèle�d’activation�de�ces�cellules�«�de�po-sition� »� était� complètement� inattendu� :� ellesétaient�actives�uniquement�lorsque�l'animal�étaitdans�un�endroit�particulier�de�l'environnement.O'Keefe�a�montré�que�ces�cellules�«�de�po-sition�»�intégraient�l'activité�de�neurones�sen-soriels,�mais�réussissaient�également�à�intégrerdes�données�plus�complexes�de�l’environne-ment.�Des�cellules�«�de�position�»�différentespouvaient�être�actives�dans�différents�endroitset�la�combinaison�de�l'activité�de�nombreusescellules�de�position�créait�une�carte�neuronaleinterne�qui�représentait�un�environnement�par-ticulier�(O ' Keefe, 1976 ; O ' Keefe et Conway,1978).�O�'�Keefe�a�démontré�que�ces�cellules�deposition�fournissaient�au�cerveau�un�système�decarte�de�référence�spatiale,�ou�sentiment�d'appar-tenance�(O ' Keefe et Nadel, 1978).�Il�a�montréque�l'hippocampe�peut�contenir�plusieurs�cartesreprésentées�par�les�combinaisons�de�l'activitédes�cellules�de�position�différentes�qui�étaientactives�à�des�moments�différents�dans�des�en-vironnements�différents.�Une�combinaison�spé-cifique�de�séries�de�cellules�de�position�activesreprésenterait�donc�un�environnement�unique,tandis�que�d'autres�combinaisons�représententd'autres�environnements.�Par�les�découvertesde�O'Keefe,�la�théorie�de�carte�cognitive�avaittrouvé�sa�représentation�dans�le�cerveau.�

Une�condition�sine qua non pour�la�réalisationdes�expériences�de�O'Keefe�a�été�le�dévelop-pement�des�techniques�d'enregistrement�pourétudier�le�déplacement�libre�des�animaux.�Il�aainsi�pu�enregistrer�l’activité�cellulaire�au�cours

Trois scientifiques récompensés pour leurs travaux sur un système de géopositiondans le cerveau

Nobel de médecine 2014

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Auteur

Sophie

Georgin-Lavialle

(AIHP�2001)

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du�comportement�naturel�des�animaux,�ce�quilui�permit�de�localiser�les�cellules�responsablesde�la�géoposition��spatiale�au�niveau�cérébral.Dans�des�expériences�ultérieures,�O'Keefe�amontré�que�les�cellules�de�position�pouvaientavoir�des�fonctions�de�mémoire�(O' Keefe etConway, 1978 ; O ' Keefe et Speakman, 1987).La�transposition�simultanée�de�plusieurs�cel-lules� de� position� dans� différents� environne-ments�a�été�appelée�relocalisation.�O'Keefe�amontré� que� la� relocalisation� s'apprend,� etlorsqu'elle�est�établie,�elle�peut�être�stable�au�fildu�temps�(Levier et coll., 2002).�Les�cellules�deposition�peuvent�donc�fournir�un�substrat�cellu-laire�pour�les�processus�de�mémoire,�où�unemémoire�d'un�environnement�peut�être�stockéecomme�des�combinaisons�spécifiques�des�cel-lules�de�position.�

Au�début,�ces�travaux�proposant�que�l'hippo-campe�soit�impliqué�dans�la�navigation�spatialed’un�individu�ont�été�accueillis�avec�un�certainscepticisme.�Ensuite,�lorsqu’il�a�découvert�lescellules�de�position�et�démontré�qu’elles�per-mettaient�de�réaliser�une�carte�mentale�de�notreposition�dans�l’environnement�et�qu’ainsi�l'hip-pocampe�contiendrait�une�carte�interne�pouvantstocker�des�informations�sur�l'environnement,ses�découvertes�ont�été�mieux�acceptées.�Cesrésultats�ont�suscité�un�grand�nombre�d'étudesexpérimentales�et�théoriques�sur�comment�lescellules�de�position�sont�engagées�dans�la�gé-nération�de� l'information�spatiale�et�dans� lesprocessus�de�mémoire�spatiale.�La�conclusionde�ces�études�est�que�l’activité�de�ces�cellulesde�position�permet�de�créer�une�carte�de�l'envi-ronnement,�mais�qu’elles�peuvent�parfois�éga-lement�être�impliquées�dans�la�mesure�de�ladistance�(Ravassard et coll., 2013).�

30 ans plus tard... le couple Moser décou-

vre les cellules de quadrillage dans le cor-

tex entorhinal cérébral

Dans�les�années�1980�et�1990,�la�théorie�do-minante�était�que�la�formation�des�zones�de�lo-calisation�du�cerveau�était�située�au�sein�del'hippocampe�lui-même.�May-Britt�Moser�et�Ed-vard� I.� Moser� étudiaient� l'hippocampe,� tousdeux� au� cours� de� leurs� travaux� de� doctoratdans�le�laboratoire�de�Per Andersen à�Oslo�etpar� la� suite� comme�des�scientifiques� invitésdans� les� laboratoires� de�Richard Morris à

Édimbourg�et�de�John�O'Keefe�à�Londres.�Ilsse�sont�demandé�si�les�activités�des�cellules�deposition�pouvaient�être�générées�à�l'extérieurde�l'hippocampe,�notamment�dans�une�struc-ture�sur�le�bord�dorsal�du�cerveau�du�rat,�le�cor-tex� entorhinal.� Une� grande� partie� de� laproduction�des�activités�du�cortex�entorhinal�in-teragit� ensuite� avec� l'hippocampe,� dans� lamême�partie�du�cerveau�que�celle�dans�laquelleJohn�O'Keefe�a�trouvé�les�cellules�de�positioninitialement.�Dans�les�années�2000,�le�coupleMoser�a�montré�que�le�cortex�entorhinal�médialcontenait�des�cellules�qui�partageaient�des�ca-ractéristiques�avec�les�cellules�de�position�del'hippocampe� (Fyhn et al., 2004).� Toutefois,dans�une�étude�ultérieure�sur�des��animaux,�ilsont�découvert�un�type�de�nouvelles�cellules,�lescellules�de�quadrillage,�qui�avaient�des�proprié-tés�inhabituelles,�(Emmanchement et al, 2005).En�effet,�elles�participaient�activement�à�plu-sieurs� endroits� de� la� zone� et� formaient� lesnœuds�d'un�réseau�hexagonal�étendu,�similaireaux�arrangements�hexagonaux�des�trous�dansune�ruche.�Ils�ont�montré�que�la�formation�du�quadrillagene�découlait�pas�d'une�simple�transformation�designaux�sensoriels�ou�moteurs,�mais�d’une�ac-tivité�en�réseau�complexe.�

Le�quadrillage�n'avait�pas�été�vu�dans�les�cel-lules�du�cerveau�avant� !�Le�couple�Moser�aconclu�que�les�cellules�de�quadrillage�faisaientpartie� d'un� système� d'intégration� du� chemind'accès�ou�de�la�navigation�dans�l’environne-ment.�Le�système�de�grille�fournissait�une�solutionpour�mesurer�les�distances�de�déplacement�et�in-troduisait�une�métrique�des�cartes�spatiales�dansl'hippocampe.�

Plus�tard,�le�couple�Moser�a�montré�que�les�cel-lules�de�quadrillage�faisaient�partie�d’un�réseaudans�le�cortex�entorhinal�médial�qui�comportaitdes�cellules�captant�la�direction�de�la�tête�et�descellules�dites�«�de�bordure�»,�ainsi�que�des�cel-lules� comportant� ces� deux� fonctions� combi-nées.� Les� cellules� de� la� direction� de� la� têteagissaient�comme�une�boussole�et�étaient�ac-tives�lorsque�l’avant�de�la�tête�d'un�animal�setournait�dans�une�certaine�direction.�Les�cel-lules�de�bordure�étaient�actives�par�exemplelorsqu’un�animal�rencontrait�des�murs�lors�d’undéplacement.�L'existence�de�cellules�de�bor-

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dure�avait�été�prédite�par�la�mo-délisation�théorique�de�O�'�Keefeen�2000.�Les�époux�Moser�ontmontré�que�les�cellules�de�qua-drillage,�les�cellules�de�la�direc-tion�de�la�tête�et�les�cellules�debordure,�communiquaient�avecles�cellules�de�position�de�l'hip-pocampe�(Zhang et al., 2013).En� utilisant� des� enregistre-ments�de�plusieurs�cellules�degrille� dans� différentes� partiesdu�cortex�entorhinal,�les�Moseront�également�montré�que�lescellules�de�quadrillage�sont�or-ganisées�en�modules�fonction-nels�avec�des�espacements�dequadrillage�différents�(distancede�quelques�centimètres,�mè-tres)�couvrant�ainsi�les�petits�etgrands� espaces.� En� décou-vrant� les� cellules� de� quadril-lage,�les�Moser�ont�identifié�unsystème�de�coordination�mé-trique� spatiale� dans� le� cortexentorhinal�médial�qui�agit�comme�un�centre�decalcul�pour�la�représentation�de�l'espace,�et�ouvreainsi� une�brèche�pour� découvrir� de� nouvellesvoies�afin�d’avancer�dans�la�compréhension�desmécanismes� neuronaux� qui� sous-tendent� lesfonctions�cognitives�spatiales.

Les systèmes de cellule de quadrillage et de

position sont trouvés chez de nombreuses

espèces de mammifères dont l'homme

Depuis�la�description�initiale�des�cellules�de�po-sition�et�de�quadrillage�chez�le�rat�et�la�souris,ces�types�de�cellules�ont�aussi�été�trouvés�chezles� autres� mammifères.� Chez� l’homme,� leschercheurs�ont�trouvé�des�cellules�ressemblantà�des�cellules�de�position�dans�l'hippocampe�etdes�cellules�de�quadrillage�dans�le�cortex�ento-rhinal,�lors�de�l'enregistrement�en�direct�des�cel-lules�nerveuses�dans�le�cerveau�des�patientsatteints�d'épilepsie.�À�l'aide�de�l'imagerie�fonc-tionnelle,�Doeller�et�coll.�(2010)�ont�égalementappuyé�l'existence�de�cellules�de�quadrillagedans�le�cortex�entorhinal�humain.�La�similaritéde�la�structure�de�l'hippocampe-entorhinal�cheztous�les�mammifères�et�la�présence�de�struc-tures�hippocampiques�semblables�chez�les�ver-tébrés�non�mammifères�dotés�d’une�capacité

de�navigation�laissent�à�penser�que�le�systèmede�cellules�de�quadrillage�et�de�position�est�unsystème�fonctionnel�et�robuste�qui�a�pu�êtreconservé�dans�l'évolution�des�vertébrés.

L’importance de la découverte des cellules

de position et des cellules de quadrillage

en recherche en neurosciences cognitives

C'est� un� thème�émergent� que� l'hippocampeparticipe�au�stockage�et/ou�à�la�récupération�dela�mémoire�spatiale.�Dans�les�années�1950,Scoville et Milner (1957)�ont�publié�leur�rapportsur�le�patient�Henry�Molaison�(HM),�qui�avait�euses�deux�hippocampes�retirées�chirurgicale-ment�dans�le�cadre�du�traitement�de�son�épi-lepsie.�La�perte�des�2�hippocampes�a�provoquédes�déficits�de�mémoire�grave,�comme�en�té-moigne�l'observation�clinique�qu’HM�n'avait�paspu�encoder�de�nouveaux�souvenirs,�alors�qu'ila�encore�pu�récupérer�de�vieux�souvenirs.�HMavait�perdu�ce�qui�plus�tard�a�été�nommé�la�mé-moire�épisodique,�se�référant�à�notre�capacitéà� se� souvenir� des� événements� auto-expéri-mentés.�Il�n'y�a�aucune�preuve�directe�que�les�cel-lules�de�l’hippocampe�participaient�à�la�mémoireépisodique.�Cependant,�les�cellules�de�positionpeuvent�encoder�non�seulement�l'emplacement

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▲Le�prix�Nobel de�médecine�physiologie�2014�a�été�attribué�à�trois�scien-tifiques�pour�leurs�travaux�sur�un�système�de�géoposition�dans�le�cerveau.John�O'Keefe (à�gauche),�et�d'autre�part�au�couple�formé�par�May-Britt etEdvard�I.�Moser�Randy�Schekman (au�centre�et�à�droite).�John�O'Keefe�adécouvert�que�des�cellules��«�de�position�»�de�l'hippocampe�signalent�notre

position�spatiale�et�fournissent�au�cerveau�une�capacité�de�mémoire�spatiale.�May-Britt�Moser�et�Edvard�I.�Moser�découvrirent�dans�le�cortexentorhinal�médial�une�région�du�cerveau,�à�côté�de�l'hippocampe,�qui�lui

fournit�des�repères�internes�indispensables�à�la�navigation.�Les�cellules�del'hippocampe�entorhinal�«�de�quadrillage�»�forment�ensemble�des�réseaux�interconnectés�de�cellules�nerveuses�qui�sont�essentiels�pour�le�calcul�descartes�spatiales�et�les�tâches�de�navigation.�Le�travail�de�John�O'Keefe,May-Britt�Moser�et�Edvard�I.�Moser�a�changé�notre�compréhension�des

fonctions�cognitives�via�les�circuits�neuronaux�et�fait�la�lumière�sur�comment�pourrait�être�créée�la�mémoire�spatiale.

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spatial�actuel,�mais�aussi�celui�où�un�animalvient�d’aller�et�où�il�se�dirige.�Un�encodage�deslieux�du�passé�et�du�présent�pourrait�permettreau�cerveau�de�se�souvenir�des�représentationsordonnées�temporellement�des�événements,comme�dans�la�mémoire�épisodique.�

Après�que� la�mémoire�ait� été�encodée,� ellesubit�encore�une�consolidation,�par�exemplependant�le�sommeil.�Des�enregistrements�avecplusieurs�électrodes�chez�l'animal�endormi�ontrendu�possible�l'étude�de�la�consolidation�dessouvenirs�du�déplacement�dans�l’espace�d’unanimal�obtenus�lorsqu’il�se�déplaçait�avant�des’endormir.�Les�cellules�de�position�sont�acti-vées�dans�un�ordre�particulier�pendant�le�com-portement� et� affichent� la� même� séquenced'activation�des�épisodes�pendant�le�sommeilultérieur�(Wilson et McNaughton, 1994).�Cetterelecture�du�lieu�l'activité�des�cellules�pendantle�sommeil�peut�être�une�mémoire.�L'activitédes�cellules�de�position�peut�être�utilisée�aussibien�pour�définir�la�position�dans�l'environne-ment�à�un�moment�donné�que�pour�se�souvenirdes�expériences�de�l'environnement�passées.Sont�peut-être�liées�à�cette�notion�les�conclu-sions�qui�font�dire�que�l'hippocampe�des�chauf-feurs� de� taxi� londoniens,� qui� suivent� uneformation�pour�apprendre�à�naviguer�entre�desmilliers�de�lieux�dans�la�ville�sans�carte,�aug-mente�au�cours�de�leur�longue�année�de�for-mation� et� qu’après� cette� formation,� leschauffeurs�de�taxi�avaient�significativement�unplus�gros�volume�hippocampique�que�le�com-mun�des�sujets�(Woollett et Maguire, 2011).�

Pertinence pour les humains

et la médecine

Les�troubles�cérébraux�sont�la�cause�la�plus�fré-quente�de�handicap�et�malgré�l'impact�majeursur�la�vie�et�sur�la�société,�il�n'y�a�aucun�moyenefficace�de�prévenir�ou�de�guérir�la�plupart�deces�troubles.�La�mémoire�épisodique�est�affec-tée�par�plusieurs�troubles�du�cerveau,�y�comprisla�démence�dont�la�maladie�d'Alzheimer.�Unemeilleure� compréhension� des� mécanismesneuronaux�qui�sous-tendent�la�mémoire�spa-tiale�est�donc�importante,�et�les�découvertesdes�cellules�de�position�et�de�quadrillage�ont�étéun�grand�bond�en�avant�pour�faire�progressercette�initiative.�O'Keefe�et�ses�collaborateurs�ontmontré�dans�un�modèle�murin�de�la�maladie

d'Alzheimer�que�la�dégradation�de�la�zone�descellules�de�position�est�corrélée�avec�la�détério-ration�de�la�mémoire�spatiale�des�animaux�(Ca-cucci et al., 2008).� Il�n'y�a�pas�de�traductionimmédiate�de�ces�résultats�pour�la�rechercheclinique�ou�pratique.�Toutefois,�la�formation�hip-pocampique�est�l'une�des�premières�structuresà�être�affectée�dans�la�maladie�d'Alzheimer�etune�meilleure�connaissance�du�système�de�na-vigation�du�cerveau�pourrait�aider�à�compren-dre� le�déclin�cognitif�des�patients�atteints�decette� maladie.� Pour� Edvard� Moser,� ces� re-cherches�pourraient�«�bénéficier�dans�dix�ou�20ans�aux�malades�d'Alzheimer�»�et�«�aider�à�longterme�à�comprendre�comment�le�cerveau�fonc-tionne�en�général�».

Au total

Le�couple�Moser�a�montré�que�des�cellules�ner-veuses� créent� un� système� de� coordonnéespour�déterminer�notre�position.�O'Keefe�avaittrouvé� la�carte,�eux,� les�coordonnées.�Cettefois,�ces�«�cellules�de�quadrillage�»�(grid�cells)s'activent�non�pas�lorsque�le�rat�passe�à�un�en-droit,�mais�à�plusieurs�endroits,�en�l'occurrencedans�leur�expérience,�les�différents�points�for-maient�une�structure�hexagonale.�Elles�suiventdonc�notre�mouvement,�notre�trajet�en�entier.Ces�cellules�se�situent�non�pas�dans�l'hippo-campe� mais� dans� le� cortex� entorhinal,� uneautre�partie�du�cerveau.�Les�cellules�identifiéespar�les�trois�chercheurs�fonctionnent�main�dansla�main.�Les�cellules�du�cortex�entorhinal�sontcapables�de�savoir�vers�où�s'oriente�notre�tête,ou�à�quelle�distance�sont�les�murs�d'une�pièce.Les�cellules�de�l'hippocampe,�elles,�forment�plu-sieurs�cartes.�Ensemble,�elles�constituent�unsystème�de�coordination�qui�permet�de�navi-guer�dans�l'espace.Ce�système�permet�de�répondre�à�des�questionssimples�telles�que�«�Comment�savons-nous�oùnous�sommes�?�Comment�réussissons-nous�àtrouver�le�chemin�d'un�lieu�à�un�autre�?�Et�com-ment�stockons-nous�cette�information�d'une�ma-nière� telle�que�nous�puissions� immédiatementtrouver�le�chemin�la�fois�suivante�où�nous�em-pruntons�la�même�route�?�».

Ce�système�de�positionnement�et�de�naviga-tion�est� l’une�des� fonctions� cérébrales� lesplus�complexes,�puisqu’il�fait�recours�à�la�foisà�des�informations�multisensorielles�(visuelles,

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Références

►Doeller,�C.F.,�Barry,�C.,�andBurgess,�N.�(2010).�Evidence forgrid cells in a human memorynetwork.�Nature�463,�657-661.�► M.,�Hafting,�T.,�Treves,�A.,Moser,�M.B.,�and�Moser,�E.I.(2007).�Hippocampal remappingand grid realignment in entorhinalcortex.�Nature�446,�190-194.�► Fyhn,�M.,�Molden,�S.,�Witter,M.P.,�Moser,�E.I.,�and�Moser,M.B.�(2004). Spatial representa-tion in the entorhinal cortex.Science�305,�1258-1264.�► Hafting,�T.,�Fyhn,�M.,�Molden,S.,�Moser,�M.B.,�and�Moser,�E.I.(2005).�Microstructure of a spatialmap in the entorhinal cortex.�Nature�436,�801-806.�► Hartley,�T.,�Burgess,�N.,�Lever,C.,�Cacucci,�F.�and�O'Keefe,�J.(2000).�Modeling place fields interms of the cortical inputs to thehippocampus.�Hippocampus,10(4),�369-379.�► Maguire,�E.A.,�Gadian,�D.G.,Johnsrude,�I.S.,�Good,�C.D.,�Ashburner,�J.,�Frackowiak,�R.S.and�Frith�C.D.�(2000).�Naviga-tion-related structural change inthe hippocampi of taxi drivers.PNAS,�97(8),�4398-4403.�► O'Keefe,�J.�(1976).�Place unitsin the hippocampus of the freelymoving rat.�Experimental�neurology�51,�78-109.�► O'Keefe,�J.,�and�Conway,�D.H.(1978).�Hippocampal place unitsin the freely moving rat: why theyfire where they fire.�Experimentalbrain�research�31,�573-590.�→

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vestibulaires,� tactiles…),�à� la�mémoire�et�aumouvement.�Ainsi,�il�nécessite�de�construireun�plan�intérieur�de�l’environnement�qui�nousentoure,�ainsi�que�d’avoir�un�«�sens�de�l’em-placement�».

Conclusions

Les�découvertes�des�cellules�de�position�et�dequadrillage�par�John�O'Keefe,�May-Britt�Moseret�Edvard� I.�Moser�représentent�un�change-ment�de�paradigme�dans�notre�compréhensionde� la� façon�dont�des�ensembles�de�cellulesspécialisées�travaillent�ensemble�pour�exécuterdes�fonctions�cognitives�supérieures.�Les�dé-couvertes�ont�profondément�promu�une�nou-velle�recherche�sur�de�nombreux�mammifères,y�compris�les�humains.

Quelles�leçons�en�tirer�pour�les�plus�jeunes�lec-teurs�de�L’internat de Paris :�même�de�nos�jours,il�y�a�des�découvertes�majeures�à�faire�en�mé-decine�et�le�champ�des�recherches�en�neurop-sychiatrie�est� encore� très� vaste�à�explorer� ;l’union�fait�la�force,�un�chercheur�des�années60�et�un�couple�des�années�2000�pour�trouverle�GPS�cérébral�!�

Et�encore�une�fois,�cette�année,�il�a�fallu�plu-sieurs�décennies�pour�voir�ce�travail�aboutir,comme�quoi�il�faut�du�temps�en�recherche�etles�idées�anciennes�ne�sont�pas�toutes�à�jeterà�la�poubelle�!!!��■

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►O'Keefe,�J.,�and�Dostrovsky,�J.(1971).�The hippocampus as aspatial map. Preliminary evidencefrom unit activity in the freely-mo-ving rat.�Brain�research�34,�171-175.�► O'Keefe,�J.,�and�Nadel,�L.(1978).�The Hippocampus as aCognitive Map (Oxford�UniveristyPress).�► O'Keefe,�J.,�and�Speakman,�A.(1987).�Single unit activity in therat hippocampus during a spatialmemory task.�Experimentalbrainresearch�68,�1-27.�► Ravassard,�P.,�Kees.�A.,�Wil-lers,�B.,�Ho,�D.,�Aharoni,�D.,Cushman,�J.,�Aghajan,�Z.M.�andMehta�M.R.�(2013)�Multisensorycontrol of hippocampal spatio-temporal selectivity.�Science,340(6138),�1342-1346.�► Scoville,�W.B.,�and�Miller,�B.(1957).�Loss of recent memoryafter bilateral hippocampal lesions.�Journal�of�NeurologyNeurosurgery�and�Psychiatry,�20,11-21.�► Zhang,�S.J.,�Ye,�J.,�Miao,�C.,Tsao,�A.,�Cerniauskas,�I.,�Leder-gerber,�D.,�Moser,�M.B.,�andMoser,�E.I.�(2013).�Optogeneticdissection of entorhinal-hippo-campal functional connectivity.Science�340,�(6128)232627.

«�Les�événements�tragiques�qui�viennent�de�secouer�notre�pays�en�matière�d’attaques�terro-ristes�ont�mis�en�valeur,�s’il�en�était�encore�besoin,�l’extraordinaire�travail�des�services�de�l’Etat.

Parmi�eux�l’AAIHP�voudrait�rendre�un�hommage�appuyé�aux�médecins�et�personnels�de�santéqui�ont�eu�à�gérer�des�situations�éprouvantes.

Soins�aux�personnels�militaires�blessés�en�opération,�ramassage�de�blessés�civils�victimes�de�lésions�de�guerre�majeures�et�hors�normes,�aide�psychologique�aux�personnels�ayant�été�témoins�de�scènes�brutales�et�choquantes,�mobilisation�des�services�hospitaliers�pour�parer�à�des�risques�d’afflux�de�blessés�massifs�:�toutes�ces�situations�méritent�le�respect�et�forcent�l’admiration.

Nous�sommes�tous�formés�à�l’école�du�compagnonnage�et�de�la�disponibilité�naturelle�pour�nos�patients.�L’AP-HP�a�été�en�tête�de�pont�de�pré-alerte�et�de�prise�en�charge�de�blessésgraves�notamment�après�le�premier�massacre�sauvage�ayant�frappé�les�dirigeants�et�le�person-nel�de�Charlie Hebdo.�Nous�présentons�toutes�nos�condoléances�aux�familles�des�journalistes�et�autres�collaborateurs�décédés.�Que�nos�confrères�soient�ici�remerciés�pour�leur�travail.

Au�moment�ou�nous�célébrons�le�centenaire�de�la�grande�guerre�et�mettons�à�l’honneur�les�faitsd’armes�et�de�soins�de�certains�de�nos�anciens,�l’actualité�rappelle�à�tous�que�notre�mission�deservice�et�d’abnégation�n’a�pas�changé�avec�le�temps.�

Restons�fidèles�à�l’esprit�de�notre�maison.�Nous�sommes�tous�AIHP Charlie.�» ■

Auteur�:�le�bureau�de�l’AAIHP

Communiqué du 14 janvier 2015

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'attribution,�après�15�ans�deluttes�juridiques,�d'une�indem-nité�théorique�pouvant�s'éleverà�11�millions�d'euros,�à�un�ado-lescent�handicapé�à�100�%,�en

conséquence�d'une�série�d'erreurs�et�de�fautesprofessionnelles�obstétricales�à�sa�naissance,a�suscité�une�déferlante�médiatique,�suivie�d'unraz�de�marée�de�commentaires,�plus�absurdesvoire�déplacés,�les�uns�que�les�autres.�Étantl'Obstétricien�Expert,� en� dernier� recours,� ausoutien�de�la�famille�Giardina,�pour�laquelle�jeme�suis�battu�pendant�sept�ans,�et�donc�à�l'ori-gine�de�cette�difficile�victoire,�je�pense�néces-saire�de�mettre�quelques�points�sur�les�i.

Le montant de l'Indemnisation.

Explications

Je�laisserai�d'abord�la�parole�au�Dr. M. Nauda-

sher,�Secrétaire�général�de�l'ANAMEVA�(Asso-ciation�Nationale�des�Médecins�Conseils�de

L’article que nous avons reçu de notrecollègue Bernard Séguy nous interpelle fortement et suscitera vrai-semblablement une pluie de réflexionsen particulier venant de nos collègueschirurgiens et accoucheurs. C’est la raison qui nous a poussé à demanderà Claude Hamonet dont nousconnaissons tous la grande réputationdans l’expertise médico-judicaire, defaire le point sur la situation actuelle del’indemnisation et du handicap.Nous attendons donc vos avis sur cessujets délicats.

Tsunami obstétrico-médiatiqueL'adolescent handicapé et les 11 millions

Affaire Giardina

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Victimes�d'Accidents)�qui�a�rédigé�pour�le�siteInternet�EGORA,�une�excellente�analyse�dusujet,�sur�ce�plan�financier.

«�J'ai lu dans la presse grand public des réac-tions indignées du côté excessif de cette indem-nisation. Moi qui ai malheureusement l'habitudede ce genre de situation, je dis qu'il ne s'agit pasd’une indemnisation record. C'est un montantqui indemnise justement les besoins que cetenfant va avoir tout au long de sa vie pour as-sumer son handicap, tant que ses parents se-ront en vie et surtout le jour où ils ne le serontplus. J'estime que cette réparation est dans lesnormes de ce qui est utile, par rapport à ce queles avocats demandent. Des calculs sont faitsde façon très précise, le gros poste étant le be-soin en aide humaine 24 heures sur 24. Ce sontdes montants tout à fait cohérents avec la réa-lité économique.

Il s'agit en général de dossiers néonataux, desouffrance fœtale ou d'accouchements qui sesont mal passés. Il y a alors une vie entière àprendre en charge. Il s'agit toujours de dossierstrès longs et judiciairement très compliqués.Les expertises contradictoires sont souvent re-nouvelées à cause d'appels ou de protestationsd'expertises. Cela n'est jamais simple. Il y a dif-férents postes de préjudices selon la nomen-clature, le plus important étant ce qu'on appelleles aides humaines. Lorsqu'il s'agit d'une aidehumaine 24 heures sur 24 au coût réel de 21euros de l'heure sur 58 semaines avec lescongés payés, le calcul est donc de 24 heurespar jour multipliées par 21 euros multipliés par373 jours multipliés par 82 années. A celas'ajoute un calcul pour les rentes avec des ta-bles de mortalité. Il faut ensuite calculer tous lesbesoins d'aménagement du domicile pourqu'un handicapé puisse vivre avec une tiercepersonne à ses côtés. Il faut aussi calculer les100 % de déficit permanent, la souffrance en-durée, le préjudice esthétique… Avec tout celaon arrive à des sommes aussi importantes ».

L'impact de cette indemnisation

sur la profession obstétricale.

Constatations

Le�chœur�des�réactions�des�confrères,�pour�laplupart�obstétriciens�probablement,�sur�ce�siteEGORA,�est�centré�sur�l'impact�de�ce�jugement

et�de�cette�indemnisation�sur�les�primes�d'as-surance�professionnelle,�sans�aucune�compas-sion,�d'ailleurs,�pour�l'enfant�victime.�Voici�l'undes� commentaires� qui� résume� parfaitementtous�les�autres�:�«�Cette indemnisation énorme peut être tout àfait justifiée. Mais sans aucun jugement sur salégitimité, elle va avoir deux effets catastro-phiques : l'augmentation massive des primesd'assurance des obstétriciens, leurs honorairesn'augmentant pas par ailleurs ; le risque pourun obstétricien de se retrouver incomplètementcouvert par son assureur et donc obligé depayer une partie de ces sommes énormes surses propres économies (une banqueroute as-surée pour lui et sa famille). Ce genre de déci-sion de justice, peut-être parfaitement légitimeje le répète, a un effet dévastateur sur la moti-vation des jeunes collègues à venir exercer cebeau métier ».

Face�à�ce�type�de�réactions,�j'ai�été�contraintd'intervenir�à�mon�tour�et�de�poster�ce�com-mentaire�:�«�Il n'est humainement pas possible de mettredans une même balance,- d'une part l'avenir d'une profession, en l'occur-rence l'Obstétrique, que j'ai défendue pendant40 ans avec acharnement et intrépidité (car cen'était alors pas à la mode...),- d'autre part, le drame d'une famille avec ungrand handicapé (100 % dans le cas dont onparle). Que voulez-vous faire de l'enfant ? Le lais-ser mourir faute de soins ? On refuse ce droit (eu-thanasie) à des gens en fin de vie ou souffrantd'une terrible maladie, qui le demandent en sup-pliant !!! Mettre ces enfants dans des grangesou des combles prévues pour, attachés les unscontre les autres, comme des poulets de batte-rie ? Arrêtons.... je vous en prie.Ce type de mise en parallèle, ou plutôt enconcurrence, aboutit toujours à sauver la pro-fession au détriment des victimes... Et c'est bience qui se passe de plus en plus depuis l'appli-cation systématique des "normes américaines"élaborées unilatéralement par les syndicats desobstétriciens US et les gros cabinets d'avocatsspécialisés, dans l'intérêt de leurs adhérents, etsans aucun consensus avec les défenseursdes victimes (médecins ou avocats) et leurs as-sociations de défense. Ces "normes améri-caines" ont été, bien évidemment, adoptées

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Auteur

Bernard Séguy

(AIHP�1961)

Expert�honoraire�près�la�Cour�d'Appel�d'Aix.

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avec enthousiasme par tous les experts et avo-cats spécialisés en défense de la profession...On ne parle plus beaucoup de Déontologie etd'Éthique... c'est un sujet inopportun !!Pourquoi pensez-vous qu'il a fallu 15 ans d'uncombat affreux et éprouvant à cette famille (dont7 ans avec moi) pour obtenir enfin la reconnais-sance de l'erreur totale de diagnostic, de l'achar-nement dans cette erreur, et, en plus, de"l'altération de preuve", c'est à dire de la modifica-tion à posteriori de certaines données du dossierobstétrical, par l'obstétricien en accusation ? »

Un�autre�élément�de�comptage�a�choqué�biendes�confrères,�ce�sont�les�82�années�retenuespour�la�survie�de�l'enfant�handicapé,�depuis�sanaissance.�Voici�un�commentaire�en�ce�sens�:« Sans être malveillant, quel beau sujet deroman policier, le décès pourrait être accidentel,pourquoi pas criminel ? Le jackpot peut donnerdes idées que je n'ose imaginer. »

Ce�qui�m'a�obligé�à�répliquer�ainsi�:�«�La�sommeen�question�est�un�calcul�théorique�et�ne�sort�ja-mais�de�la�banque�de�l'assurance.�C'est�d'ailleursune�somme�purement�fictive,�un�écrit�comptable.La�banque�doit�simplement�cantonner�ou�"provi-sionner"�cette�somme�dans�ses�écrits,�sommequ'elle�garde�chez�elle...�Mais,�en�pratique,�elle�nefera�que�des�règlements�mensuels,�au�compte-goutte�et�avec�réticence,�uniquement�sur�justifica-tifs�et�factures,�concernant�essentiellement�lessalaires�de�l'équipe�des�cinq�professionnels�mo-bilisés�en�continu�autour�de� l'enfant,�auxquelss'ajoutent�les�frais�d'aménagement�du�domicile(généralement,�les�travaux�sont�tellement�lourdsque�le�déménagement�s'impose�:�c'est�le�cas�ici),du�véhicule�spécialisé�pour�son�transport�et�desdifférents�engins�et�outillages�nécessaires�à�sondéplacement,�à�sa�mobilisation�et�à�sa�rééduca-tion�quotidienne.�Les�parents,�eux,�ne�toucherontrien�sur�cette somme dévolue exclusivement à lavictime pour�son�entretien�jusqu'à�la�fin�de�sesjours.�Le�décès�de�la�victime�met�évidemment�finaux�versements�des�sommes�prévues,�et�l'assu-rance�réintègre�dans�ses�comptes�les�sommesrestantes.�C'est�bien�pour�cela�que�les�assurancesfont�trainer�toujours�les�choses�en�longueur,�partous�les�artifices�procéduraux�possibles,�en�espé-rant�le�décès�précoce�de�la�victime...�Voila.�vrai-ment�pas�un�sujet�de�roman�policier...�Mais�unsujet�dramatique�pour�une�famille�et�la�victime.�»

Un�autre�médecin�expert�a�répondu�lui�aussi�:«�Pourquoi�pas�82�ans�d'espérance�de�vie�?Dans�le�cas�de�cet�enfant,�"�l'accident�"�est�sur-venu�à�la�naissance,�les�82�ans�d'espérancesont�calculés�à�partir�de�cette�date�et�non�à�14ans,�date�du�jugement.�Mais�"�rassurez-vous�",il�y�a�35�ans�(début�de�mon�activité�d'expert)�onentendait�souvent�des�médecins�d'assuranceprétendre�cyniquement�que�la�vie�de�la�victimelourdement� handicapée� allait� être� abrégée.C'est�une�idée�fausse,�les�victimes�lourdementhandicapées�sont�très�entourées�et�font�l'objetde�soins�efficaces�(c'est�aussi�ce�qui�chiffre).Une�très�vaste�étude�réalisée�dans�des�établis-sements� accueillant� ce� genre� de� victimes� amontré�que��l'espérance�de�vie�n'était�pas�signi-ficativement�raccourcie�en�2014.�»

Quelques notions obstétricales

pour comprendre "l'Affaire".

Démonstration.

Je�vais�essayer�d'être�bref�et�clair�pour�ne�pasinfliger�aux�lecteurs�un�cours�d'obstétrique�quirisquerait�de�leur�rappeler�les�plus�désagréa-bles�heures�de�leurs�études�médicales.Le�plus�souvent,�l'enfant�accouche�tête�en�bas(présentation� céphalique),� son� dos� étant� àgauche�du�côté�maternel,�et�son�occiput�étanttourné�vers�l'arche�pubienne�du�bassin�mater-nel.�C'est�ce�qu'on�nomme�une�présentation�enOIGA (Occipito�Iliaque�Gauche�Antérieure)�oùl'occiput�de�l'enfant�jouxte�la�partie�antérieurede�l'os�iliaque�gauche�de�la�mère.Le�diamètre�de�la�tête�fœtale�étant,�chez�les�hu-mains,�plus�grand�que�le�diamètre�de�l'orificesupérieur�du�bassin�maternel�(détroit�supérieur:diamètre�oblique�12�cm�maximum),�la�tête�fœ-tale�doit�obligatoirement�se�fléchir�pour�rempla-cer�son�diamètre�occipito-frontal�(12�cm),�tropgrand,�par�son�diamètre�sous-occipito-bregma-tique,�plus�petit�(9�cm)�et�donc�compatible�avecl'orifice�du�détroit�supérieur.�Sans�cette�flexionobligatoire,�pas�d'engagement�possible�de�laprésentation�céphalique�dans�le�bassin�mater-nel,�et�donc,�évidemment,�pas�de�descente�del'enfant,�et�pas�d'accouchement�possible�par�lesvoies�naturelles�:�césarienne�alors�obligatoire�etsans�tarder.�Cette�flexion�fondamentale�se�pro-duit� mécaniquement� et� "automatiquement".Dans�les�présentations�antérieures,�la�pousséede�l'utérus�amène�en�effet�l'occiput�à�butter�contrel'arc�pubien,�ce�qui�entraîne�mécaniquement�la

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flexion�de�la�tête,�la�diminution�de�son�diamè-tre�et�donc�son�engagement.�

Plus�rarement�(30�%�des�cas�environ),�mal-heureusement,�la�mécanique�est�un�peu�pluscompliquée�car� l'enfant� se�présente�dos�àdroite�de�la�mère�et�occiput�en�arrière�vers�lesacrum�maternel.�C'est�ce�qu'on�nomme�uneprésentation�en�OIDP (Occipito�Iliaque�DroitePostérieure)�où�l'occiput�de�l'enfant�jouxte�lapartie�postérieure�de�l'os�iliaque�droit�de�la�mère,c’est-à-dire�la�gouttière�sacrée.�Et�là,�malheu-reusement,�plus�d'incitation�mécanique�à�laflexion…�Les�butées,� évoquées�plus�haut,manquent� dans� les� présentations� posté-rieures,�où�l'occiput�ne�rencontre�pas�en�ar-rière,� au� niveau� de� l'aile� iliaque,� de� butéecomparable�à� l'arc�pubien�pour�assurer�saflexion.�Celle-ci�ne�peut�être�générée�que�par�lefrottement�du�front�sur�l'arc�pubien.�Elle�est�dif-ficile,�toujours�tardive�et�parfois�irréalisable.�Lerisque�majeur,�et�connu�depuis�des�siècles,�decette�variété�de�présentation,�c'est�la�déflexion,qui,�si�elle�persiste,�empêche�évidemment�etdéfinitivement,�l'engagement�et�la�descente�dela�tête�dans�le�bassin�maternel�et�donc,�l'accou-chement�par�voie�basse.�Cette�déflexion�estdonc�le�risque�et�le�danger�que�tout�accoucheur,toute�sage-femme,�doit�constamment�redouteret�dépister�au�cours�d'un�travail�obstétrical�avecune�tête�en�OIDP.�Si�la�déflexion�persiste,�l'uté-rus�va�essayer,�en�redoublent�de�contractionsintenses,�de�faire�pénétrer�en�force�la�tête�dansle�bassin�maternel,�ce�qui�n'est�tout�simplementpas�possible�du�fait�des�dimensions�non�com-patibles,�comme�déjà�expliqué.�De�plus,�ces�ef-fets�en�force,�qui�équivalent�à�cogner�la�têtefœtale�contre�la�margelle�osseuse�dure�du�bas-sin�maternel,�entrainent�des�ébranlements�cé-rébraux� non� souhaitables� et,� également,� laconstitution� d'une� bosse� séro-sanguine� qui,sous�la�répétition�des�chocs,�peut�atteindre�desdimensions�impressionnantes,�égalant�ou�dé-passant�même� le� volume� de� la� tête� fœtale,dans�certains�cas.�Cette�bosse�séro-sanguine(BSS),�plus�molle�évidemment�que� le�crânefœtal�osseux,�a�tendance�à�descendre�dans�lebassin�maternel,� à� la� fois� enfoncée� par� lescontractions�utérines,�et�aspirée�vers�le�bas�parl'effet�ventouse�du�vide�du�canal�pelvien�mater-nel.�Elle�va�finir�par�s'y�coincer,�bloquant�défini-tivement�la�tête�sur�l'orifice�du�détroit�supérieur.

Le�cuir�chevelu,�qui�recouvre�cette�bosse,�peutainsi,�dans�les�cas�extrêmes,�devenir�visible�àla�vulve,�alors�que�la�tête�fœtale�est�toujours,elle,�non�engagée,�au-dessus�du�détroit�supé-rieur.�Ce�risque�d'une�grosse�BSS�pouvant�êtrefaussement�prise�pour�la�descente�d'une�têteengagée�est�connu�et�décrit�depuis�trois�siècles.

Le Dossier obstétrical au cœur de l'affaire

Dans�le�dossier�en�question,�nous�retrouvonstous�les�risques�ci-dessus�énumérés�:�chez�uneprimipare,�OIDP�non�fléchie�et�qui�ne�se�fléchirajamais,�rendant�donc�impossible�l'engagementet,�partant,�l'accouchement�par�les�voies�natu-relles.�Cette�déflexion�persistante�s'accompa-gnera� progressivement� d'une� énorme� BSS,reconnue� comme� "particulièrement� volumi-neuse"�par�l'obstétricien�lui-même,�descendantet�se�bloquant�dans�le�canal�pelvien�et�amenantle�cuir�chevelu�à�la�vulve,�le�crâne�fœtal�osseuxrestant,�lui,�au-dessus�du�détroit�supérieur.

La�sage-femme,�expérimentée,�a�toujours�sou-tenu,�et�a�répété�tout�au�long�de�cette�nuit�tra-gique,� que� la� tête� défléchie� ne� s'est� jamaisengagée,�et�elle�a�appelé�dans�la�nuit�l'obstétri-cien�pour�une�césarienne.�Celui-ci,�au�contraire,s'est�acharné�à�mépriser�les�avis�de�la�sage-femme.�Après�avoir�émis,�contre� l'avis�de� lasage-femme,�l'hypothèse�d'une�présentation�dusiège�(hypothèse�vérifiée�fausse�par�une�écho-graphie�en�urgence�confirmant�une�droite�pos-térieure�défléchie),�il�persista�toute�la�nuit�dansson�opinion�d'une�tête�en�voie�d'engagement,�puisde�descente,�lorsqu'il�parvint�à�voir�les�cheveux

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◄Tète�de�foetuss’étant�dégagée�en�occipito-sacrée.Bosse�séro-sanguinevolumineuse.

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au�fond�du�vagin.�Il�essaya�alors,�et�à�plusieursreprises,�de�sortir,�ce�qu'il�croyait�être�la�tête�fœ-tale,�par�des�applications�difficultueuses�de�spa-tules,�qui�ne�purent�que�déraper�sur�la�bosseséro-sanguine�seule�saisie,�en�fait,�par�l'instru-ment.�Ce�n'est�que�devant�ses�échecs�répétéset�l'aggravation�du�monitorage,�que�l'obstétri-cien�se�décida�enfin�à�pratiquer�une�césarienne.Hélas,�beaucoup�trop�tardivement,�et� le�cer-veau�de�l'enfant�avait�été�définitivement�altérépar�de�longs�épisodes�cumulés�d'hypoxie,�le�fai-sant�entrer�définitivement�dans�le�cadre�patho-logique�de�l'�IMOC�(Infirmité�Motrice�d'OrigineCérébrale)�hypoxique.�Ce�diagnostic�fut�confirmé�par�l'évolution�ulté-rieure�qui�mit�en�évidence�la�présence�de�troisdes� quatre� critères� internationaux� requis,� lequatrième��(pHmétrie)�n'étant�pas�praticable�àcette�clinique�à�l'époque,�puis�par�l'apparitiond'une�microcéphalie..

L'état�actuel�de�cet�enfant,�indemne�de�toutepathologie�en�début�de�travail�comme�cela�a�étépréalablement�vérifié�et�prouvé,�est�lié�exclusi-vement�aux�erreurs�de�diagnostic�basiques,�etaux�fautes�professionnelles�graves�cumuléespar�l'obstétricien�responsable,�le�Dr�Toufik�Se-klahoui�(dont�le�nom�a�été�cité�par�tous�les�mé-dias)�et�à�son�acharnement�à�vouloir�démontrerqu'il�avait�raison�et�que�la�sage-femme�avait�tort.

Qui�plus�est,�et�plus�grave:�l'obstétricien�a�quittésa�patiente�pendant�plus�de�deux�heures�au�mi-lieu�de�la�nuit�pour�rentrer�chez�lui,�ce�qui�estune� faute� professionnelle� grave� puisque,� lasage-femme�l'ayant�appelé,�la�surveillance�decet�accouchement�dystocique�était�légalementde�sa�seule�compétence�et�responsabilité.�C'estbien�ainsi�que�l'a�stigmatisé�la�Cour�d'Appel.Qui�plus�est,�et�plus�grave�encore,�huit�joursaprès�la�naissance,�et�sachant�alors�que�l'avenircérébral�du�nouveau-né�était�fortement�com-promis,�le�Dr�Seklaoui�a�modifié�a�posteriori�ledossier�médical,�en�ajoutant�de�sa�main,�en�in-terligne�(c’est-à-dire�entre�deux�lignes�normalesde�la�description�«�au�fur�et�à�mesure�»�de�l'évo-lution�du�travail),�la�mention�totalement�fausse«�engagé�à�la�partie�moyenne�».�Cette�«�alté-ration�de�preuve�»�a�été�jugée�par�la�Cour�d'Ap-pel�avec�la�sévérité�qu'elle�méritait.

Pourquoi a-t-il fallu quatorze ans pour

faire reconnaitre la Vérité ?

Il�a�fallu�quatorze�ans�pour�arriver�à�renverserla�situation,�après�avoir�été�quatre�fois�condam-nés�par�les�différents�tribunaux�(nous�étions�aupénal)�et�les�trois�collèges�d'experts�successifs,composés�de�la�«�fine�fleur�»�de�l'obstétriquefrançaise.� Ils�ont�systématiquement�exonérél'accoucheur�en�cause�de�toute�responsabilitéet�de�toute�faute,�en�ne�retenant�du�dossier�quele�surajout�de�la�main�de�l'accoucheur�à�poste-riori�«�engagée�partie�moyenne�!!�»�Même�si�cesurajout�était�évident�et�qu'il�fallait�être�volontai-rement�aveugle�pour�ne�pas�le�voir,�il�faut�néan-moins�signaler�que�la�compagnie�d'assurance,qui�défendait�le�Dr�Seklaoui,�s'est�toujours�biengardée�de� fournir�aux�différents�professeursconsultés,�parmi�les�plus�prestigieux�de�France(une�dizaine�en�tout),�les�documents�argumen-taires�des�défenseurs�de�l'enfant,�c'est�à�diremes�nombreux�écrits�et� les�rapports�des�Pr.Amiel-Tison,�Ravina,�Echenne…�Pour�ma�part,j'ai�été�injurié�à�deux�reprises�en�public�(salle�duTribunal�bondée...)�par�l'accusé�et�j'ai�subis�biendes�infamies.�Voila�la�réalité�des�faits...�Nousnous�en�sommes�sortis�que�grâce�à�l'honnêtetéintellectuelle�du�Président�de�la�Cour�d'Appeld'Aix,�qui,�seul�et�pour�la�première�fois,�a�lu�nosécrits,� et� les� miens� en� particulier,� ce� quen'avaient�jamais�daigné�faire�les�Magistrats.�

Pendant�40�ans,�je�me�suis�battu�pour�«�sauverle�soldat�accoucheur...»�et�j'ai�même�mis�magrande�expérience�par�écrit�en�un�ouvrage�des-tiné�justement�aux�accoucheurs�et�aux�établis-sements� (Prévenir le Risque Juridique enObstétrique,�Elsevier�Masson�Ed.�Paris,�2006),que�le�Pr.�Sureau,�un�grand�nom�de�l'obsté-trique�française,�m'a�fait�l'honneur�de�préfacer....Mais�il�y�a�des�limites�à�ne�pas�dépasser,�ellesse�nomment�Déontologie,�Éthique�et�reconnais-sance�des�Droits�des�Victimes...�Elles�ont�toutesvolé�en�éclat�depuis�15�ans..�c'est�une�tendancelourde.��■

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La�notion�de�dommage�corpo-rel�été�introduite�pour�différen-cier�dans�un�sinistre�avec�unresponsable�ou�un�coupable,les�dommages�matériels�des

atteintes�à�la�personne�qui�en�est�victime.

Il�s'agit�ici�de�droit�civil�visant,�selon�le�droit�français,à�remettre�la�victime�dans�l'état�(la�situation)�oùelle�était�au�moment�du�fait�dommageable.�La�ré-paration�se�doit�d'être�intégrale.�Ce�terme�corporelconduit�naturellement�à�évoquer�les�lésions�desdifférentes�parties�du�corps,�faciles�à�appréhenderpar�la�clinique,�l'imagerie,�l'électrophysiologie,�l'his-topathologie�et�la�biologie.�Dans�cette�démarche,les�spécialistes�d'organes�ont�les�moyens�de�dé-crire�avec�précision�les�lésions�provoquées,�de�lesrapporter�au�magistrat�ou�à�l'assureur�et�d'en�me-surer�la�gravité�selon�des�critères�«�lésionnels�».

Un�premier�biais�apparaît�dans�ce�type�d'analyseséméiologique,�c'est�l'introduction�d'une�métrolo-gie�empruntée�au�droit�pénal�et�bien�ancrée�dansl'Histoire�de�l'Humanité,�comme�nous�l'a�apprisnotre�ami�Henri Margeat,�initiée�dans�le�Coded'Hammourabi�et�reprise�dans�la�Bible.�ll�s'agissaitde�punir�le�coupable�pour�le�dissuader�de�recom-mencer�et�de�faire�un�exemple,�mais�aussi�éviterune�réaction�violente�de�vengeance�collective�dela�part�du�groupe�d'appartenance�de�la�victime.C'est�ainsi�qu'a�été�imaginé�le�principe�«�œil�pourœil,�dent�pour�dent�»�mais�aussi�«�fracture�pourfracture,�vie�pour�vie�»�(Lévitique).�Cette�loi�dite�dutalion�(de�tale,�latin,�tel�tu�m'as�fait,�tel�on�te�fera)�aété�humanisée�sous�la�forme�d'un�pourcentage,

affecté�à�chaque�organe�lésé�correspondant�àune�tarification�monétaire�qui�est�présente,�aussi,dans�le�Lévitique�:�tant�pour�une�main,�tant�pourune�jambe�etc.,�avec�un�ajustement�selon�l'âge(le�tarif�est�un�peu�moins�élevé�après�60�ans)�et�lesexe�(il�est�moindre�pour�une�femme).�Cette�modalité�de�mesure�du�corps,�facilementadoptée�par�les�médecins�qui�transposent�ai-sément�leurs�connaissances�du�corps�blessé,a�fait�dire�à�Henri�Margeat�que�les�médecinsévaluateurs,�conseils�ou�experts,�mesuraient«�à�la�pièce�détachée�».�

Cette�matérialisation�de�l'évaluation�provoquait,naguère,� les� colères� du� Président Barrot

chargé�de�la�chambre�spécialisée�dans�la�ré-paration�du�dommage�corporel�au�TGI�de�Paris.Célèbre�pour�ses�critiques�vis-vis�des�expertsdont�les�rapports�étaient�riches�en�descriptionstrès�médicales,�auxquelles�il�ne�comprenait�pasgrand-chose,�même�avec�un�dictionnaire�mé-dical�disait-il,�il�reprochait�aussi�le�manque�de�dé-tails� sur� la� nouvelle� réalité� fonctionnelle� de� lavictime.�Il�lui�faisait�parfois�une�évaluation�fonction-nelle�en�plein�tribunal�en�lui�demandant�de�mar-cher,�de�se�lever,�de�prendre�un�objet�etc.�Cetteconfusion�entre�Pénal�et�Civil�a�été�largement�sou-lignée�par�une�juriste�spécialisée�dans�le�droit�desassurances,� la Professeure Lambert-Faivre

dans�son�ouvrage�qui�fait�référence�sur�la�Répa-ration�juridique�du�dommage�corporel.�Ce�glisse-ment� regrettable� introduit� une� démarche� desuspicion�vis�à�vis�de�la�victime�qui,�bien�souvent,a� la� sensation� d'être� mise� en� examen� plutôtqu'examinée�par�un�ou�des�médecins.�

La réparation juridiquedu dommage corporel « en porte à faux » : indemniser le corpsmeurtri ou compenserles situations de handicap ?

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Auteur

Claude Hamonet

(AIHP�1965)

Expert�agréé�par�la�Courde�Cassation.

Affaire Giardina

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Pour�mesurer�ces�pourcentages,�dénommés�pré-cédemment�IPP (incapacité�permanente�partielle)puis�DPP (déficience�permanente�partielle)�depuisl’adoption�de�la�nomenclature�Dinthilhac qui�aamélioré�la�pratique�de�l’expertise�médicale�avecdes�missions�à�experts�plus�complètes�et�plusprécises,�les�médecins�et�les�assureurs�ont�misau�point�des�barèmes�dont�le�plus�connu�estcelui�du�Concours médical.�Il�faut�mentionnerque�François Barrême,�était�un�mathématicienqui�a�réalisé,�sous�Louis�XIV,�des�dispositifs�decalcul�des�coûts�appliqués�au�commerce.

Cette�quantification�au�pourcentage�a�aussi�étéadoptée,�malheureusement,�dans�la�loi�du�11février�2005�sur�les�droits�et�les�chances�despersonnes�handicapées�qui�confie�aux�Maisonsdépartementales�du�handicap�de�fixer�un�tauxau-dessous�ou�au-dessus�de�80�%�sans�fourniraucunement�le�moyen�de�le�mesurer.�Pire�!�Lesdéfinitions�du�handicap�qui�sont�données�dans�laloi,�plus�ou�moins�copiées�de�celles,�très�discuta-bles,�de�l'OMS,�sont�imprécises�et�rédigées�dansun�vocabulaire�inapproprié�pour�les�juristes.

Les quatre dimensions de l'Homme,

ou du lésionnel au fonctionnel

et du fonctionnel au situationnel.

Apports de la subjectivité

Cette�globalisation�du�pourcentage�organe�parorgane�rend�impossible�la�visibilité�de�la�réalitéque�vit�la�victime.�Il�faut�passer�de�l'organe�à�lafonction�et,�pour�cela,�redéfinir�ce�que�sont�pourl'Homo�sapiens�universel�les�fonctions�qui�le�ca-ractérisent,�en�épurant�de�notre�vocabulaire�demédecin�l'usage�du�terme�fonctionnel,�sans�l'as-socier�au�physiologique.�Par�exemple�:�«�épreuves�fonctionnelles�respi-ratoires�»�est�incorrect�et�doit�être�remplacé�par«� épreuves� de� physiologie� respiratoire� ».L'Homo� sapiens� tient� debout,�marche,� a� unlarge�champ�visuel,�parle�mais�aussi�pense,mémorise,�porte�des�jugements,�est�sensibleaux�émotions.�Les�autres�fonctions�(contrôle�de

la�vessie,�audition,�olfaction,�sommeil�etc.)�sontcommunes�au�reste�du�monde�animal�avecune�spécificité�chez�l'homme.�

Se�pose�ici�la�notion�d’Homme�normal�qui�estprobablement� une� invention� des� médecinsselon�Erwing Goffman,�auteur�de�Stigmates,cité�par�Georges Canguilhem dans�Le normalet le pathologique.�L'expert�en�victimologie�aurala�tâche�facilitée�pour�évaluer�le�dommage�car�ildoit�comparer�le�sujet�par�rapport�à�lui-même,c'est�à�dire�avant�et�après�le�fait�dommageable.

Quatre�niveaux�d’évaluation�sont�à�considérer�:► Le�niveau�lésionnel�:�les�altérations�anato-miques,�histologiques,�physiopathologiques�ducorps�humain�;► Le�niveau�fonctionnel�:�les�limitations�et�ca-pacités�des�fonctions�de�la�victime�qui�lui�don-nent�son�autonomie�;► Le�niveau�situationnel�(situations�de�handi-cap)�qui�est�l’interface�entre�les�capacités�pré-sentes� et� les� exigences� ergonomiques� del’environnement�où�vit�la�personne.�Il�s’agit�devie�quotidienne,�de�vie�affective,�de�l’école,�dutravail,�des�loisirs…► Le�niveau�de�la�subjectivité�qui�recoupe�ceque�pense�la�victime�de�ses�lésions,�de�ses�li-mitations�fonctionnelles�et�sa�possibilité�d’inclusionsociale.�Interviennent�aussi�:�les�circonstancesde�survenue�des�lésions�et�la�possibilité,�pourelle�de�construire�un�avenir,�notamment�par�laréadaptation.

L’évaluation�des�niveaux�fonctionnels�s’appuiesur�la�notion�de�dépendance�(pénibilité,�dépen-dance�technique�ou�matérielle,�dépendance�hu-maine.�L’appréciation�des�lésions�est�le�fait�dumédecin�qui�donne�un�avis�sur�leur�sévérité�surune�échelle� numérique.� L’appréciation� de� lasubjectivité�est�le�fait�de�la�victime�qui�utilise,elle�aussi�une�échelle�numérique.

Ainsi�peut-on�obtenir�quatre�échelles�de�sévéritéavec�des�indications�sur�les�besoins�en�termes�dedépendance�matérielle�ou�humaine,�et�organiser,avec�davantage�de�précisions�et�de�justice,�la�Ré-paration-réadaptation�de�la�personne�dans�soncadre�de�vie.�Cette�Méthode�a�été�validée�dansla�thèse�professorale�de�Maria Tersa Magalhaes,Professeur�de�Médecine�légale�à�l’Université�dePorto.�Et�dans�plusieurs�autres�publications.��■

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Schéma�constitutif��►du�Handicap.

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La�barbarie�existedepuis�que�lepremier�hommerencontra�le�se-cond�au�coin

d’un�bois.�En�effet,�depuis�quel’humanité�existe,�et�quoiqu’endisent�nos�Grands�Ancêtres�de48�et�tous�les�bien-pensantsd’aujourd’hui,�les�progrès�ne�fu-rent�jamais�que�matériels.�Etquels�progrès�!�La�roue,�l’électri-cité,�internet…�Mais�quant�à�lanature�de�l’homme�:�zéro.L’homme�reste�ce�qu’il�a�toujoursété�:�non�pas�un�loup,�mais�unhomme�pour�l’homme.

«�La�férocité�des�Gaulois�nousest�restée�;�elle�est�seulementcachée�sous�la�soie�de�nos�baset�de�nos�cravates�»�Château-

briand,�Mémoires d’Outre-Tombe,�«�L’homme�est�plusméchant�et�plus�dénaturé�dansses�guerres�que�les�taureaux�etles�fourmis�dans�les�leurs�»�Anatole France,�Les opinionsde Jérôme Coignard est�le�gentilCandide�de�poser�la�question�:�«�Croyez-vous�que�les�hommesse�soient�toujours�mutuellementmassacrés�comme�ils�le�font�aujourd’hui�?�Qu’ils�aient�toujours�été�menteurs,�fourbes,perfides,�ingrats,�brigands,�faibles,�volages,�lâches,�envieux,�gourmands,�ivrognes,�avares,ambitieux,�sanguinaires,�calomniateurs,�débauchés,�fanatiques,�hypocrites�et�sots�?�»

Récemment,�des�hommes�innocents�ont�été�décapités�auvu�de�millions�d’internautes.Dont�le�Français�Hervé�Gourdel.Cette�mort�unique�fit�la�une�desmédias,�provoqua�plus�de�crisd’horreur�que�la�mort�de�1000Kurdes�ou�Chrétiens�d’Orient�etdécida�le�président�de�la�Répu-blique�à�déclencher�des�opéra-tions�militaires�en�Irak�;�celles�deJames�Foley�et�Steven�Sotloff,�

le�président�Obama�à�frapperceux�qu’il�défendait�hier�;�demême�le�premier�ministre�Came-ron�après�celles�de�DavidHaines�et�Alan�Henning.�Pourquel�coût�?�Un�coût�totalementjustifié�et�même�insuffisantpour�les�uns,�inadmissible�pourd’autres.

Ce�billet,�j’ai�voulu�l’écrire�aprèsl’assassinat�d’Hervé�Gourdel,me�remémorant�une�composi-tion�d’histoire�religieuse,�alorsqu’à�l’âge�des�boutons�d’acnéj’effectuais�ma�quatrième�chezles�pères.�Quel�est�le�plus�tra-gique�était�la�question�:�la�mortd’un�homme�dans�un�accidentde�voiture�ou�de�100�dans�lecrash�d’un�avion�?�Je�répondisque�celle�de�l’homme�tué�seulétait�ausi�tragique�que�celle�de100.�Ce�n’était�pas�la�bonne�réponse.�Mais�50�ans�après,�je�persiste�et�signe.

Alors, combien vaut la vie d’un

homme ? Combien�vaut�la�viedes�642�Français�brûlés�vifs�àOradour�?�Celle�des�atomisésd’Hiroshima�?�Celle�des�200�ou300�000�napalisés�de�Dresde�?Celle�des�victimes�de�Dachau,du�Goulag�?�Faut-il,�à�partir�duseul�Hervé�Gourdel�ou�de�642ou�de�300�000�estimer�que�«�l’opération�»�et�ses�consé-quences�furent�odieuses�ou�justifiées�ou…�rentables�?

J’arrête�là.�Nous�sommes�médecins�et�entre�nous�pas�de�blabla,�nous�savons,�nous�médecins,�que�la�vie�d’unhomme�est�unique.�C’est�unpostulat.�L’article�Premier�desDroits�de�l’Homme�dit�:�«�Leshommes�naissent�libres�et�égauxen�droits�».�Il�omet�d’ajouterqu’ils�devraient�être�égaux�aussidevant�la�maladie�et�la�mort.Mais�nous�médecins,�le�savons.Lequel�d’entre�nous�a-t-il�une

fois�-�une�seule�fois�-�refusé�desoigner�un�clochard�moribondparce�qu’il�puait�?�Ou�un�ennemipolitique�?�Ou�un�violeur�?�Doit-on�soigner�différemmentune�verrue�chez�Jack�l’Eventreurou�Mère�Teresa�?�

C’eût�dû�être�ma�conclusion�carla�réponse�semblait�aller�de�soi.Oui�mais...�Malheureusement�leschoses�se�compliquent�un�toutpetit�peu�lorsque�politique,�argent�et�nature�humaine�s’enmêlent.�Ariel�Sharon�maintenuen�vie�artificielle�huit�ans,�Bourguiba�soigné�en�boucle�aux«�frais�de�la�princesse�»�au�Val-de-Grâce,�tel�confrère�-�j’eusseaimé�ne�pas�dire�Collègue,�maishélas,�celui-là�en�est�un�-�aban-donnant�ses�pas-assez-cherspatients�pour�dormir,�dans�un�hôpital�de�la�banlieue�parisienneque�je�ne�nommerai�pas�maisoù,�clones�de�l’oncle�Picsou,�lespupilles�des�«�chers�»�confrèresont�la�forme�de�dollars,�pour�dormir�donc,�aux�pieds�de�sonriche�potentat�arabe,�ne�sontqu’exemples�parmi�des�milliersqu’hélas,�même�pour�des�médecins,�et�c’est�leur�honte,notre�honte,�la�maladie,�la�mortn’ont�pas�pour�tous�le�mêmeprix.�Le prix d’un homme :

vous avez dit combien ?

PS. D’autres�sont�morts�depuisque�j’ai�écrit�ce�billet�:�17�à�Pariset�4�millions�de�Français�sontdescendus�dans�la�rue,�maisaussi,�2000�trucidés�par�BokoHaram�la�même�semaine,�maissi�loin�de�chez�nous,�alors�whocares ?�Tout�juste�quelquesentrefilets�dans�la�presse�(certains�poussant�même�l’outrecuidance�pour�contester�lechiffre�:�«�non,�pas�2000,�tout�auplus�1000�»...�Ah�!�Bon,�seule-ment�1000,�on�a�eu�peur�!),�et�21coptes�égyptiens�et�et�et...�La

vie d’un homme : combien ? ■

Chronique

Jean-Pierre Cousteau

(AIHP�1965)

Auteur

Le prix d’un homme

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Cet article est écrit au nom de la communautéde l’Hôpital Tenon, de ceux qui sont restés, deceux qui sont partis, et qui tous gardent l’em-preinte de ce Géant de la Néphrologie.

Une dynastie brillante

Né�en�1916�au�cours�de�la1er Guerre�Mondiale,�Ga-

briel Richet représentaitla� 4e génération� d’une� li-gnée�illustre�de�médecins,

tous�professeurs�à�la�Faculté�de�médecine�deParis.�L’arrière-grand-père�Alfred Richet,�chi-rurgien�des�hôpitaux,�soignait�les�blessés�dusiège� de� Paris� en� 1871.� Son� grand-père,Charles Richet reçut� le�Prix�Nobel en�1913pour�la�découverte�de�l’anaphylaxie.�Son�père,Charles Richet fils,�médecin�des�hôpitaux,�étudiales�conséquences�de�la�dénutrition�chez�ses�com-pagnons�de�captivité.�Du�côté�maternel,�sa�mère,Marthe�Trélat,�fut�l’une�des�premières�internes�deshôpitaux.�Il�restait�à�Gabriel�Richet,�à�se�faire�unprénom,�ce�qu’il�fit�avec�courage�et grandeur.

L’homme de courage pendant la guerre

de 1940 et bien après

Gabriel�Richet�avait�23�ans�lorsque�la�2e GuerreMondiale�éclata.�Il�venait�juste�d’être�reçu�à�l’in-ternat�des�hôpitaux�de�Paris.�Mobilisé,�il�parti-cipa� à� la� campagne�de�France� et� fut� cité� àl’ordre�de�son�régiment�et�décoré�de�la�croix�deGuerre.�Après�une�courte�captivité,�il�revint�àParis�où�il�reprit�son�activité�médicale�dans�leshôpitaux.�Toute�sa�famille�participa�à� la� luttecontre�l’occupant.�Son�père,�Charles�Richet�futdéporté�à�Dachau,�son�frère�Olivier�à�Dora�etsa�cousine,�Jacqueline�Richet-Souchère�à�Ra-vensbrück.�Sa�mère,�Marthe,�fut�emprisonnéeà�Fresnes.�Gabriel�Richet�s’engagea�dès�la�li-bération�dans�l’armée�qui�sous�le�commande-ment�du�Général�Leclerc,�libéra�Strasbourg�ennovembre�1944.�Durant�tout�le�début�de�l’an-née�1945,�les�combats�continuèrent�autourde�la�poche�de�Colmar.�Gabriel�Richet�y�par-ticipa�comme�médecin�des�commandos�deFrance.�Il�fut�blessé,�cité�3�fois�à�l’ordre�del’Armée�et�décoré�de� la�Légion�d’Honneur

Gabriel Richet (1916 - 2014) - AIHP 1939Un Géant nous a quittés

Hommage

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par�le�Général�de�Gaulle�en�avril�1945.�GabrielRichet�revenait�très�régulièrement�à�Durrenent-zen�aux�réunions�des�anciens�du�commando.

Le cofondateur de la Néphrologie à Necker

Dès�le�début�de�ses�activités�professionnelles,Gabriel�Richet�n’a�eu�de�cesse�que�de�faireévoluer�la�médecine�de�la�description�passiveà�la�physiopathologie.�Après�sa�démobilisation,il�rejoignit�le�service�de�Louis Pasteur Valléry

Radot où�il�rencontra�Jean Hamburger qu’ilsuivit�à�l’Hôpital�Necker�pour�créer�en�1950�le1er service�français�de�néphrologie.�Il�resta�l’ad-joint�de�Jean�Hamburger�pendant�10�ans.�Il�futavec�ce�dernier�un�des�reconstructeurs�de�lamédecine�Française�d’après-guerre�et�le�co-fondateur�de�la�Néphrologie.�A�Necker,�il�intro-duisit�le�traitement�de�l’insuffisance�rénale�aiguëpar�le�rein�artificiel�transformant�le�pronostic�dessepticémies� post-abortum� et� des� syndromesd’écrasement.�Il�participa�à�tous�les�travaux�quifirent�la�renommée�mondiale�du�service�de�né-phrologie.�Citons�l’allogreffe�rénale�entre�mèreet�fils�en�1952�qui�ouvrit�la�voie�aux�succès�ul-térieurs,�le�démembrement�des�néphropathiesglomérulaires�par� l’examen�histologique�desprélèvements�obtenus�par�biopsie�rénale,�lespremières� études� des� reins� en�microscopieélectronique,�la�démonstration�que�le�pronosticlétal�de�l’insuffisance�rénale�chronique�terminaledépendait�des�troubles�hydro-électrolytiques�etnon� de� l’urémie.�Dès� 1955,� il� conceptualisaavec�Jean�Hamburger�et�Jean Crosnier la�no-tion�de�réanimation�médicale,�c’est-à-dire�decorrection�des�grandes�fonctions�métaboliques,vite�étendue�avec�succès�à�d’autres�disciplines,ouvrant�ainsi�le�nouveau�secteur�des�soins�in-tensifs.�Ces�progrès�fulgurants�furent�renduspossibles�par�les�progrès�techniques�tels�quele�photomètre�à�flamme�pour�la�mesure�du�po-tassium�et�du�sodium.�Une�autre�découverteprémonitoire�fut�la�mise�en�évidence�d’une�éry-throblastopénie�médullaire�transitoire�dans�l’in-suffisance� rénale�aiguë�qui�permit�à�GabrielRichet�de�faire�l’hypothèse�du�rôle�d’une�hor-mone�rénale,�l’érythropoïétine.

Le chef de l’Ecole de Néphrologie de Tenon

Après�Necker,�ce�fut�Tenon�où�Gabriel�Richetcréa�un�centre�de�néphrologie�clinique�et�de�re-cherches.�Il�y�resta�de�1961�à�sa�retraite�en1985.� Son� premier� souci� fut� de� réunir� une

équipe� avec� Claude Amiel,� Raymond Ar-

daillou et�Liliane Morel-Maroger auxquelss’adjoignirent� plus� tard� Françoise Mignon,Jean-Daniel Sraer,�Pierre Verroust,�Pierre

Ronco,�Eric Rondeau et�bien�d’autres�encore.Il�fut�aidé�dans�ses�efforts�par�l’Assistance�Pu-blique-Hôpitaux�de�Paris�qui�fournit�un�terrainet�y�construisit�un�pavillon�moderne�d’hospitali-sation�et�de�laboratoires,�l’INSERM�qui�lui�attri-bua�la�direction�d’une�Unité�de�recherches�et�lalogea�dans�de�nouveaux�locaux,�l’Université,l’Association�Claude�Bernard�et�le�CNRS�quicontribuèrent�à�l’acquisition�de�matériel�et�auxcrédits�de�fonctionnement.�L’objectif�de�GabrielRichet�était�de�faire�de�la�néphrologie�de�Tenonun�centre�de�soins�performant�et�un�foyer�intel-lectuel,�comme�il�aimait�le�définir.�Il�y�réussitpleinement�comme�le�prouve�le�nombre�impor-tant�de�néphrologues�français�et�étrangers�quiy�furent�formés�et�font�partie�de�son�Ecole,�etde�professeurs�étrangers�qui�venaient�y�passerune�année�sabbatique.�Il�est�impossible�d’énu-mérer�tous�les�travaux�et�découvertes�qui�jalon-nèrent�cette�période�de�24�ans.�Gabriel�Richetavait�sa�propre�équipe�de�recherches�et�fut�lepremier�à�décrire�une�variété�de�cellules�«�som-bres�»�rénales�impliquées�dans�l’excrétion�desions�bicarbonates.�Il�inventa�la�recherche�trans-lationnelle�avant�la�lettre,�tirant�partie�de�la�moindreobservation�insolite�faite�chez�un�patient�pour�évo-quer�des�hypothèses�physiopathologiques�et�es-quisser�le�programme�de�recherche�qui�permettaitéventuellement�de�vérifier�l’hypothèse.�Il�laissapourtant�toujours�à�ses�élèves�une�grande�libertédans�leurs�sujets�de�recherches�et�se�réjouissaitde�les�voir�acquérir�une�reconnaissance�interna-tionale.�Aux�contributions�scientifiques�spéciali-sées� qu’il� écrivit,� s’ajoutent� de� nombreuxouvrages�didactiques�sur�l’équilibre�hydroélectro-lytique,�la�néphrologie�et�la�sémiologie�rénale,�tousabordant�la�clinique�par�des�données�physiopa-thologiques.�Réédités,�ces�livres�ont�nourri�desgénérations�d’étudiants�et�témoignent�de�son�goûtpour�l’enseignement.

Le néphrologue international

Gabriel�Richet� est� considéré� comme� l’un� desgéants�de�la�Néphrologie�mondiale.�Il�fut�un�mem-bre�fondateur�de�la�Société�Internationale�de�Né-phrologie,�secrétaire�général�du�premier�congrèsmondial�de�néphrologie�à�Genève�et�Evian�en1960,�président�de�la�Société�Internationale�de

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Néphrologie� de� 1981� à� 1984.� Parmi� d’autresnombreuses�récompenses�et�Doctorats�HonorisCausa,�il�fut�le�lauréat�du�prestigieux�Prix�JeanHamburger�de�cette�même�société�en�1993.

L’héritage

A�sa�retraite, Gabriel�Richet�laissa�comme�héri-tage�deux�services�de�néphrologie,�un�serviced’explorations�fonctionnelles,�une�unité�INSERM,sans�compter�tous�les�services�de�néphrologie�deParis�et�de�province�dirigés�par�ses�élèves.�L’élanqu’il�a�donné�fait�que�l’Hôpital�Tenon�occupe�uneplace�importante�dans�la�néphrologie�mondiale.L’esprit�alliant�clinique�et�recherche�qui�y�règne,l’outil�forgé�et�les�néphrologues�qui�y�travaillentportent�la�marque�frappée�par�Gabriel�Richet�surcette�discipline�dont�il�a�été�un�des�créateurs.�

L’Homme

Quelle fut�la�personnalité�de�Gabriel�Richet�?�Il�sedécrit�dans�la�dernière�leçon�qu’il�donna�à�Tenonen�octobre�1985�comme�un�«�angoissé�intellec-

tuel�»�qui,�dès�le�début�de�sa�carrière�médicale,ne�voulait�pas�se�satisfaire�d’une�médecine�pure-ment�descriptive,�mais�était�angoissé�par�la�soifde�comprendre.�Deux�autres�de�ses�qualités�endécoulent�directement:�l’ardeur�au�travail�et�l’ou-verture�aux�autres.�Lorsqu’il�recrutait�un�futur�in-terne,�les�deux�qualités�auxquelles�il�était�le�plussensible�étaient�l’imagination�et�le�goût�du�travail.Il�cherchait�ainsi�chez�les�autres�ce�qu’il�portait�enlui.�Gabriel�Richet�était�par-dessus�tout�un�hommegénéreux�qui�manifestait�un�intérêt�non�feint�pourla�vie�de�ses�élèves,�était�fier�de�leur�réussite,�ettriste�de�leurs�échecs.�Il�restera�pour�la�commu-nauté�médicale�un�exemple�d’intelligence,�d’hu-manisme� et� de� grandeur� ce� qui� lui� valut� ladistinction�de�Grand�Officier�de�la�Légion�d’Hon-neur�dont�il�était�très�fier. ■

Auteurs

Raymond Ardaillou

(AIHP�1953)Secrétaire�perpétuel�honoraire�de�l’Académienationale�de�médecine.�

Pierre Ronco

(AIHP�1974)Chef�du�Service�de�Néphrologie�et�Dialyses,�Directeur�de�l’unité�INSERM�1155�;�HôpitalTenon�;�Membre�de�l’Académie�nationale�de�médecine.

Eric Rondeau

(AIHP�1978)Chef�du�Service�d’Urgences�Néphrolo-giques�et�TransplantationRénale,�Hôpital�Tenon.

Jean-Daniel Sraer

(AIHP�1962)Membre�de�l'Académienationale�de�médecine.

Ala� fin� des� années� 30lorsque� je� commençaimes�études�de�médecine,la� visite� du� Patron� étaitune�sorte�de�culte�païen

dont�la�surveillante�générale�était�la�«�grande�prê-tresse�»,�les�assistants,�chefs�de�cliniques�etautres�internes�les�diacres�et�sous-diacres.�Lesexternes� et� stagiaires� dont� je� faisais� partieétaient�les�fidèles�inconditionnels�se�pliant�auxrites�imposés�par�une�longue�tradition�et�buvantla�parole�du�Maître...

La�surveillante�générale,�marquée�au�front�des3�galons�et�de�l’étoile�d’or�cyclopéenne,�sym-boles�de�sa�puissance�et�de�son�autorité,�diri-geait�avec�componction�la�cérémonie.�Elle�étaitporteuse�d’une�corbeille�d’osier�qui�contenaittous�les�instruments�d’une�bonne�médecine�:

► une�serviette�immaculée�dont�un�des�quatrecoins� était� plié� et� porteur� d’un� gros� nœudmauve�sous� laquelle�seuls� les� initiés�enten-daient�monter�à�eux�la�marée�des�râles�crépi-tants,�percevaient�la�divine�musique�des�perlestombant�dans�une�coupe�de�cristal�ou�le�sourdmartèlement�du� tambour� voilé�de� crêpe� telsqu’ils�sont�décrits�dans�l’évangile�selon�Laënnec,►�un�marteau�magique�qui�rendait�le�mouve-ment�aux�paralysés,►�une�épingle�d’argent�fabriquée�par�un�vieuxprêtre�polonais�qui�servait�à�tester�la�majestédu�gros�orteil�mais�aussi�à�jouer�au�jeu�de�«�jevous�touche�ou�je�vous�pique�?�»►�deux�pièces�de�bronze�qui�n’étaient�pas�làcomme�on�aurait�pu�le�croire�pour�une�éven-tuelle�quête,�mais�pour�faire�retentir�ce�bruit�d’ai-rain� que� seuls� entendaient� les� plus� anciensparmi�les�plus�savants�des�médecins,

La visite du Patron

Souvenirs

Pierre Vernant

(AIHP�1947)

Auteur

L’internat de Paris 79

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Nul n’a le droit d’en oublier un seul.

Deux dossiers faits par Gabriel Richet

à l’occasion des commémorations du cinquante-

naire de la Déportation dans notre revue.

A télécharger sur la page d’accueil : www.aaihp.fr.

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L’internat de Paris 79

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►�un�fil�à�plomb�grâce�auquel�le�grand�sourciersavait�déceler�l’eau�dans�les�plèvres,►�une�lampe�électrique�qui�donnait�de�grossoucis� car� elle� était� rarement� en� état� demarche,�privant�ainsi�le�tabétique��d’un�de�sestrois�signes�cardinaux,►�quelques�abaisse-langue�pour�un�examen�dela�cavité�buccale�qui�se�terminait�par�un�chatouillisde�la�luette,�des�lames�de�verre�pour�la�vitro�pres-sion,�des�doigtiers�à�un�ou�deux�doigts�et�un�potde�vaseline�pour�l’exploration�des�orifices�naturels.�

Lorsque�le�Patron�arrivait�au�lit�du�malade,�cedernier�fortement�intimidé�par�cette�visitationavait�le�regard�éperdu�et�admiratif�de�Berna-dette�devant�la�grotte�miraculeuse.�Le�Patron�ledévisageait�un�instant�d’un�œil�plein�de�bontépuis�abaissait� le�visage�vers� la�pancarte,�aupied�du�lit,�censée�donner�dans�l’instant�unefoule�de�renseignements�cliniques.�En�générall’expression�du�Maître�perdait�brusquement�sabelle�sérénité,�son�sourcil�se�fronçait�et�son�vi-sage�se�tournait�vers�l’externe�qui�avait�omis�deprendre�la�tension�artérielle�ou�de�rechercherl’albumine�ou�le�sucre�dans�les�urines,�ce�misé-rable�externe�qui�ne�ferait�jamais�un�bon�médecin,qui�aurait�peut-être�fait�un�bon�cordonnier,�maisqui�ne�méritait�pas�tous�les�sacrifices�que�ses�pa-rents�avaient�consentis�pour�lui.

Ce�premier�orage�passé,�dans�le�silence�défé-rent�des�officiants,�la�cérémonie�pouvait�com-mencer.�Le�Patron�posait�son�auguste�derrièresur�la�sedia�que�lui�approchait�la�surveillante�gé-nérale�et�écoutait�en�hochant�la�tête�le�textesacré�que� lui� lisait� d’une�voix�monocorde� lejeune�servant�qui�avait�déjà�le�titre�envié�d’ex-terne�des�hôpitaux.�L’externe�des�hôpitaux�nese�distinguait�du�vulgaire�stagiaire�que�j’étaisencore�que�par�son�uniforme,�dont�les�deux�at-tributs�essentiels�étaient�les�yo-yo�assurant�lafermeture�de�la�blouse�et�le�tablier�noué�à�laceinture,�qui�pouvait�contenir�des�tas�d’objetshétéroclites�allant�du�stéthoscope�au�paquet�decigarettes�et�aux�pinces�à�vélo.

Durant�cette�lecture,�le�Patron�ne�s’adressait�aumalade�que�par�personne� interposée�:�«�Luiavez-vous�demandé�quelle�était�la�couleur�de�sesselles�?�»�ou�«�Lui�avez-vous�demandé�s’il�avaitdes�pituites�le�matin�?�»�Quelques�gestes�rituelsinterrompaient�souvent�la�cérémonie�;�ainsi�l’élé

vation� tel� un� calice� du� bocal� d’urines� dont� lecontenu�ambré�était�soumis�un�instant�à�l’admira-tion�des�foules�ou�encore�du�verre�gradué�luisantde�l’éclat�glauque�des�quatre�couches�superpo-sées�de�l’expectoration�mucopurulente.Ce�n’est�qu’après�l’examen�clinique,�des�cri-tiques�souvent�acerbes�du�travail�de�ses�col-laborateurs� et� de� doctes� commentaires� etconclusions�dictées�à�l’externe�pour�qu’elles�fi-gurassent�bien�dans�le�dossier�et�qu’on�ne�pûtdéformer�à�posteriori�la�pensée�du�Maître,�quecelui-ci�adressait�pour�la�première�fois�la�paroleau�malade,�en�lui�tapotant�la�joue�avec�infini-ment�de�bonté�:�«�Ne�vous�en�faites�pas�monvieux.�Ça�va�s’arranger�!�»

Une�fois�par�semaine�«�la�grand-messe�»�avaitlieu� à� l’amphithéâtre.� L’assistance� était� plusnombreuse,� plus� choisie,� les� intervenantsétaient�d’un�rang�plus�élevé.�Le�malade�n’étaittoléré�que�pour�une�brève�apparition�simple-ment�destinée�à�lui�montrer�à�quel�point�son�casétait� l’objet�de�tous�les�soucis�et�de�tous�lessoins�du�corps�médical.�

De�toute�façon,�la�«�messe�»�ne�se�prolongeaitjamais�au-delà�de�midi�et�demi�très�précises�carle�«�grand�prêtre�»�accordait�l’après-midi�à�sondomicile�des�audiences�privées�à�quelques�fi-dèles�privilégiés�et�fortunés.

Il�regagnait�rapidement�son�bureau�avec�sesplus�proches�collaborateurs�et�la�surveillantegénérale.�À�l’extérieur�nous�parvenaient�sou-vent�des�éclats�de�voix�donnant�à�penser�queses�assistants�n’étaient�pas�à�la�hauteur�de�leurtâche.�Puis�la�porte�s’ouvrait.�Le�«�grand�prêtre�»avait�enlevé�sa�chasuble.�La�surveillante�ache-vait�de�l’aider�à�enfiler�son�pardessus�et�l’ac-compagnait�à�sa�voiture�escortée�d’une�cohorteattentive�dans�laquelle,�par�un�manège�subtilchacun�essayait�de�se�placer�pour�être�le�pre-mier�à�saisir�la�poignée�de�la�portière.��■

◄ Service�de�Rathery(AIHP�1899)�en�1939.(je�suis�L’auteur�est�àl’extreme�gauche�audeuxième�rang�enpartant�du�haut).

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A été élevé au grade de Commandeur

Jacques CHASSIGNEUX (AIHP�1953)�����Med�Interne

A été nommé au grade de Chevalier

Jean-Christophe�PAGES (AIHP�1992)�����ORL

Chers Collègues,

J'ai pris ma retraite ily a 6 mois et j'ensuis fort content. Ilest clair que j'avaisfait mon temps et

que la médecine et l'administra-tion "modernes" ne correspon-daient plus à la vision que j'enavais.

Bravo pour Bernard Kron pourson article dans le dernier numéro. En tant que gastro libé-ral, j'ai ressenti les mêmeschoses, aggravées par la disso-ciation du K et du KC, ainsi quepar la baisse en monnaie cou-rante de l'échographie. Le restede ma famille a choisi le tech-nique (comme mon père mel'avait d'ailleurs conseillé), avec,à compétence égale, un revenuet, surtout, une retraite sans rap-port. De plus, j'avais choisi lesecteur 1...

Je suis toutefois content d'avoirpu dissuader mes enfants etmes neveux de faire médecine.Cependant, j'ai eu la chance depouvoir pratiquer, sans patron, lamédecine telle que je pensaisqu'elle devait être faite.

L'article de Jean-Pierre Brunetm'a beaucoup intéressé mais,ayant commencé en tant queFFI à Tenon au désencombre-ment en 1970 (Pr. Contamin), ce que j'ai remarqué d'essentielcomme changement dans la viedes internes, c'est la baisse des

responsabilités. J'ai eu la chance(relative) de faire partie des pre-miers "étudiants hospitaliers"avec, encore, de vraies fonctionsd'externe. L'externat pour tous, atrès vite débouché sur l'externatpour personne avec la dispari-tion des MG capables de fairedes gestes simples, tels que laponction d'ascite.

L'internat pour tous a eu lesmêmes conséquences (osonsvoir les choses en face !), avec,en plus, la disparition de la formation multidisciplinaire dontj'ai eu la chance (1971) de pou-voir encore bénéficier et qui faisait de la France la fille aînéede la Médecine Interne. J'ai doncpu faire comme EH de la chirur-gie digestive, de la pneumo, de l'ORL, de la pédiatrie et de laMédecine Interne et comme IHP,de la pneumo, de la gastro, del'hépato, de la rhumato, de l'endocrino, de la radio et de laMédecine Interne. Cette forma-tion n'avait rien à voir avec celled'après 1983. On peut (on doit)toujours apprendre sa spécialitémais pour la formation et lesbases, ce n'est plus possible.

J'étais responsable de mes lits(de 60 en tant que FFI à 20 envi-ron en tant qu'IHP), faisant la visite tous les jours, avec le CCAet l'agrégé un jour par semaine(sauf un CCA psychopatheanxio-dépressif, pendantquelques mois), enseignant mesexternes comme je l'avais été.De garde, j'étais responsable de

tout l'hôpital, en plus des urgences et sans grand recours.Je ne remercierai jamais assezmes divers enseignants quim'ont permis une formation exceptionnelle dont je ne peuxque déplorer la disparition enFrance.

J'ai suivi la dégradation de lafonction des internes, à vrai diredans de petits CHU tels queBrest, avec une visite du Patronaccompagné de son assistantetous les jours, reléguant l'interneà un rôle d'externe, auquel iln'accède même plus actuelle-ment. La multiplication des éche-lons, parallèle à la dévalorisationdes fonctions, ne peut être quecatastrophique. La capacitétechnique des jeunes médecinsest en chute libre, comme leurcapacité d'empathie. Quand jeme suis installé en 1979, les MGpassaient le dimanche matin voirleurs patients hospitalisés. Avantma retraite, mes visites à mespatients à l'hôpital, paraissaientbizarres, voire suspectes.

Bref, il était temps de quitter le navire... Ma femme avait raison de me rabattre le caquetquand j'étais si fier d'êtrenommé : « Personne ne sait ceque c'est et tout le monde s'enfout ! » Mais il y avait la forma-tion... Bonne chance à ceuxqui restent ! ■

Courrier des lecteurs

Bernard Maroy

(AIHP�1971)

Auteur

Les AIHP promus en janvier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur

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«�Le concept d’âme serait issu du rêve : pen-dant le sommeil, l’âme quitte son enveloppe hu-maine et le rêve est le reflet de ce que l’âme voitet vit au cours de ces pérégrinations. »Michel Jouvet

Le�rêve,�«�cette�conscience�dansle� sommeil� »,� comme� l’avaitdéfini�Julien Gracq,�(Au�châ-teau� d’Argol), demeure� unphénomène� physiologique

mystérieux�aux�yeux�des�profanes�et�un�défiaux�recherches�des�neurologues.�

Si�son�contenu�a�été�interprété,�depuis�les�prê-tres�de�l’Asclépion�jusqu’aux�psychanalystes�duXIXe siècle�(Freund, Jung)�son�mécanisme,�saphysiologie�sont�un�domaine�où�la�science�mo-derne�tente�de�progresser�peu�à�peu�à�l’aidedes�moyens�d’investigations�du� cerveau� lesplus�récents.«�Le voile commence à se lever sur ce théâtrenocturne des rêves. Mais il restera encore dansdix ans une belle part d’inconnu et de merveil-leux à l’activité du rêve ».�(I. Arnulf - 2014)

Le chat qui rêvait

Nos�animaux�domestiques�-�chats,�chiens�-�rê-

vent,�c’est�une�constatation�courante,�une�cer-titude�pour�leurs�maîtres,�qui�sont�souvent�taxésd’anthropomorphisme�béat.�

J’ai�un�chat,�un�norvégien.�Quand�il�était�plusjeune,�il�rêvait�souvent�:�deux�songes�habituelsaux�félins.�L’un�est�un�rêve�de�prédateur,�unrêve�de�chasse�:�le�chat�endormi�a�les�oreillesdressées,�la�queue�et�les�pattes�tendues,�lesmoustaches�frémissantes.�Il�émet�une�sorte�decaquètement� en� faisant� vibrer� ses� babines.L’autre�rêve�est�celui�du�combattant,�un�rêve�debagarre�:�les�oreilles�sont�couchées,�la�queuefouette�violemment,�les�membres�sont�pliés,�lesgriffes�sorties.�Il�émet�des�grognements�d’inti-midation.� Comme� les� héros� d’Homère,� leschats� s’injurient� pendant� de� longs�momentsavant�de�se�battre�ou�de�se�séparer.Devenu�vieux,�mon�chat�ne�rêve�qu’exception-nellement�:�il�ne�chasse�plus�et�ne�se�bagarrequ’en�de�rares�occasions.Deux�réflexions�sont�à�faire�au�sujet�des�rêvesde�chats.�D’une�part,�il�s’agit�de�rêves�dits�«�ar-chaïques�»�(chasse,�combats)�que�nous�retrou-verons�chez�l’être�humain.�D’autre�part,�le�chatne�peut�pas�raconter�son�rêve�à�ses�congé-nères,� le� décrire,� le� commenter.� Le� chat� seborne�à�vivre�son�rêve�(rêve�vécu).

L’hominidé qui rêvait

Etude

L’internat de Paris 79

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Auteur

Bernard Godquin

(AIHP�1960)Membre�de�l’Académie�de�Chirurgie.

Le�chat�qui�rêvait.�▲

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Les�chiens,�en�particulier�les�chiens�de�chasse,rêvent�aussi�:�la�quête�du�gibier�paraît�le�sujetpréféré.�Nous�ne�savons�pas�si�la�configurationdu�cerveau�d’autres�mammifères,�comme�lecheval�ou�le�phoque,�leur�donne�la�possibilitéde�rêver.

Mais� les� «� rangers� »� des� parcs� animaliersd’Afrique�sont�formels,�les�éléphanteaux�orphe-lins�font�des�cauchemars.

Les� chats� -� comme� tous� les� félins� -� dormentjusqu’à�vingt�heures�par�jour.�Ils�sont�l’animal�deprédilection�pour�les�Laboratoires�du�Sommeil.(M. Jouvet - Lyon, I. Arnulf - Paris).�Le�chat,bardé�d’encéphalo-,�d’oculo-,�de�myographes�estle�seul�animal�dont�on�peut�étudier�le�rêve�in vivo.

Les�méthodes�modernes�d’investigation�céré-brale�au�moyen�de�microélectrodes�implantéesdirectement�sur�le�cerveau�ont�permis�d’étudierle�sommeil�d’animaux�moins�encombrants�quele�chat,�d’abord�des�rats�puis�des�souris.�Mais�ilest�évident�que�les�songes�des�souris�ne�peu-vent�être�comparés�à�celui�d’Athalie.

Généalogie

Nous�pouvons�rapidement�esquisser�un�arbregénéalogique�de�notre�espèce,�mais�d’embléenous�devons�avouer�que�dans�cette�longue�li-gnée�d’ancêtres�et�de�collatéraux,�nous�ne�sa-vons� pas� qui� fut� le� premier� à� imaginer� uneébauche�d’abstraction,�un�embryon�de�méta-physique.�Les�empreintes�cérébrales�à�l’inté-rieur�des�crânes�fossiles�ne�nous�sont�d’aucunsecours.

Les�hominidés�sont�apparus�il�y�a�10�millionsd’années,�les�Australopithèques�vers�-7�millions.A�ce�propos�il�faut�mentionner�l’hypothèse�de�M.Otte�qui�avance�que�la�position�verticale�a�été�ob-

tenue�lors�de�la�vie�enforêt� des� hominidésavant� leur� migrationvers�la�savane.�Nous,anatomistes,�serionsenclins� à� réfutercette�hypothèse.�De-venir� bipède� a� né-cessité�la�diminutiondes�muscles�fléchis-seurs� puissants� de

la�brachiation�(nerf�médian)�et�le�développe-ment�des�muscles�extenseurs�et�rotateurs�del’avant-bras�(nerfs�radial�et�cubital)�permettantun�fonctionnement�plus�précis�de�la�main.�Pourdevenir�humain,�il�fallait�descendre�de�l’arbre,quitter�la�forêt�et�se�tenir�la�tête�droite.�C’est�trèssimple�!�Quoiqu’il�en�soit,�ce�fut�une�migrationprimordiale� :� l’hominidé� bipède,� végétarien,fructivore,�est�devenu�omnivore,�donc�chas-seur.�Tout�son�destin�s’est�joué�à�ce�moment.

L’homme�(homo�habilis,�ergaster)�serait�né�il�ya�3�millions�d’années.�Les�premiers�outils�an-noncent� l’Homo�Erectus� -2�millions,� les�pre-miers�feux�s’allument�un�peu�plus�tard,�-1�millionet�demi.�

Vers�-400.000�ans,�dérivé�de�l’Homo�Erectuseuropéen,�l’homme�de�Néenderthal�va�occuperle�devant�de�la�scène�sur�notre�continent�endonnant�naissance�à�une�véritable�civilisationqui�va�durer�plus�de�300.000�ans�(un�record�!).L’homme�moderne,�venu�de�Chine�et�d’Afriqueapparaît�en�-200.000�ans.

Il�y�a�35.000�ans,�Néenderthaliens�et�Hommesmodernes�(dits�de�Cro�Magnon)�se�rencontrent.Pour�des�raisons�inexpliquées,�les�Néender-thaliens�disparaissent.�Y�a-t-il�eu�des�croise-ments�entre�ces�cousins�?�Nous�posséderionsquelques�brins�d’ADN�néenderthaliens.�Nousserions�enclins,�pour�simplifier�la�liste�de�nosnombreux�prédécesseurs�ou� collatéraux,� dedonner� à� notre� ancêtre,� le� nom� génériquequ’avait�inventé�André Leroi-Gourhan :�«��le�pa-léanthrope�».�Ce�qui�nous�évite�de�donner�lenom�du�premier�penseur,�de�faire�des�jaloux.

Physiologie du sommeil

Le�sommeil�est�la�suspension�physiologique,�ré-versible�des�relations�sensitivo-motrices�avec�l’en-vironnement.�Une�stimulation�peut�y�mettre�fin.

Il�existe�deux�types�de�sommeil,�le�sommeil�lentet�le�sommeil�paradoxal.

Le�sommeil�lent�s’installe�dans�les�35�à�40�mi-nutes�suivant�l’endormissement.�Il�comprendquatre�stades�au�cours�desquels�la�fréquencedes�ondes�cérébrales�diminue�alors�que�leuramplitude�augmente.

L’internat de Paris 79

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Biface�acheuléen,►contemporain�des

premières�sépultures.

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Environ�90�minutes�après� l’endormissementapparaît�le�sommeil�paradoxal�qui�nous�inté-resse�davantage�car�c’est�pendant�ce�type�desommeil�que�se�produisent�généralement�lesrêves.�Ce�terme�de�paradoxal�vient�du�fait�quele�tracé�E.C.G.�se�rapproche�de�celui�qu’on�en-registre�à�l’état�de�veille.�Fait�important�le�cer-veau�consomme�une�énorme�quantité�d’oxygènependant�ce�sommeil.�

La�vigilance�du�cerveau�dans�le�rythme�circa-dien,�le�cycle�veille-sommeil,�dépend�de�deuxprocessus,�le�processus�circadien�et�le�proces-sus� homéostatique.� Le� processus� circadien(noyaux�supra-chiasmatiques�de�l’hypothala-mus)�génère�la�propension�rythmique�du�cer-veau�au�sommeil�et�à�la�veille.�Le�processushoméostatique� augmente� progressivementjusqu’à�atteindre�le�seuil�haut�du�processus�cir-cadien�déterminant�l’endormissement.�Il�décroîtensuite�jusqu’à�atteindre�le�seuil�bas�du�proces-sus�circadien�induisant�le�réveil.

Physiologie du rêve

Les�moyens�modernes� d’investigation� céré-brale�ne�sont�d’un�faible�secours�dans�l’étudede�la�physiologie�du�rêve�en�dehors�de�l’élec-troencéphalogramme.�Il�est�possible�de�fairedormir�un�sujet�dans�l’enceinte�d’un�scanner�oud’une�IRM�fonctionnelle�et�d’étudier�les�proces-sus�neuro-�anatomiques�du�sommeil.�En�re-vanche� les� processus� du� rêve� demeurentinexplorés,�faute�de�rêveur.�Il�serait�tentant�d’ad-ministrer�au��dormeur�des�drogues�hallucino-gènes� (Aldous Huxley -� Les portes de laperception).� Les� chamanes� emploient� desdrogues�issues�de�cactus�ou�de�champignonspour�obtenir�des�visions.�On�pourrait�imaginerd’en�glisser�un�dans�le�sarcophage�d’un�scan-ner�ou�d’une�I.R.M.f.�«�Le�chamane�et�le�scan-ner� »� quel� beau� titre� pour� un� essai� «� à� lamanière�»�d’Arthur Koestler !

L’activation�corticale�du�sommeil�paradoxal�dé-pendrait�de�trois�structures�situées�dans�le�tronccérébral�(tegmentum�pontique,�noyaux�subla-térodorsal�et�magnocellulaire�du�bulbe).�Lesmesures�du�débit�sanguin�dans�la�période�post-onirique�ont�montré�une�augmentation�du�fluxau�niveau�de�la�jonction�temporo-pariétale�et�ducortex�préfrontal�médian.�Ces�structures�ne�se-raient�pas�seulement�impliquées�dans�le�rappel�

du� rêve� pendantla� veille� (résidudiurne)�mais�pour-raient�avoir�un�rôlepartiel�dans�la�gé-nèse�du� rêve�du-rant� le� sommeilparadoxal.

Quelque�soit�l’origine�de�l’influx�initial,�c’est�lecortex�qui�rêve�et�lui�seul,�témoin�la�diversité�ducontenu� des� rêves.� Les� comportements� ar-chaïques�(batailles,�poursuites),�les�mouvements,les�paroles,�les�visions,�les�hallucinations�audi-tives�sont�d’origine�corticale.

Le�rêve�peut�être�plus�élaboré,�créant�des�si-tuations�tragiques�ou�cocasses.�Quel�A.I.H.P.n’a�pas�repassé�le�concours�de�l’Internat�?�Quelchirurgien�n’a�pas�vécu�une�intervention�désas-treuse�?�Que�dire�de�la�complexité�de�certainscauchemars�?

Le�rêve�érotique�se�rapproche�crûment�de�laréalité� puisqu’il� peut� aboutir� à� une� érection,voire�une�éjaculation�chez�le�jeune�homme�ouà�un�orgasme�chez�la�femme.Comme�le�vieux�chat�qui�ne�rêve�plus�de�ba-garres,�l’homme�âgé�fait�de�plus�en�plus�rare-ment�de�rêves�érotiques.

Du rêve naquit la religion

«�Or cela se passait en des temps très an-ciens »�.�V. Hugo

Si�des�animaux�relativement�inférieurs,�commeles�chats,�rêvent,�on�peut�penser�que�les�homi-nidés,� aux� cerveaux� plus� développés,� pou-vaient�en�faire�autant.�Comme� tous� les� primates,� les� paléan-thropes�vivaient�en�société,�en�clans,�associa-tions� indispensables� pour� la� pratique� de� lachasse.�Des�moyens�de�communication,�ges-tuels�et�oraux�sont�nécessaires.�Le�langage�arti-culé�demande�la�complexification�de�l’organe�ducri�et�du�grognement,�le�larynx,��tube�sonore�ver-tical�où�la�colonne�gazeuse�est�modulée�par�lescordes�vocales.�Se�développe�conjointement�l’airemotrice�du�langage,�dite�de�Broca.

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La�femme�►rêvée�du�Gravettien.����������

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Les�modifications�anatomiques�des�hominidésn’ont�pu�apparaître�qu’une�fois�la�permanencede�la�bipédie�définitivement�fixée�et�le�larynxverticalisé.�On�date�cette�importante�acquisitionà� la�période�de� l’Oldowaien,�vers�-2�millionsd’années�(étude�d’os�hyoïdes�?).�

Les�rares�témoignages�paléontologiques�d’uneébauche�de�spiritualité�dont�nous�disposons�da-tent�de�l’Acheuléen,�vers�-500.000�ans�lorsqueles� premiers� rites� funéraires� apparaissent.L’Homo�Erectus�évolué�règne�désormais.�C’estl’époque�du�fameux�biface,�arme�ou�outil,�réussitetechnique�qui�va�inonder�l’Europe�de�l’ouest.

La�maîtrise�de�l’artisanat�lithique,�le�début�del’appréhension� de� l’abstrait,� telles� sont� lesconditions�d’une�transcendance�du�réel�par�lerêve.�«�Savoir, penser, rêver. »�V. Hugo

Nous pouvons�imaginer�le�scénario�suivant,�quise�passa�dans�une�tribu�de�paléanthropes�à�unedate�que�nous�ne�pourrons�jamais�préciser.Une�nuit,�pendant�son�sommeil,�l’un�des�mem-bres�fit�un�rêve.�Quelques�jours�plus�tôt,�sonpère,�un�chef,�ou�l’un�de�ses�proches�avait�ététué�lors�d’un�combat�avec�un�clan�rival�ou�à�lasuite�d’une�chute.�Le�cadavre�avait�été�aban-donné�sur�place�en�laissant�aux�charognards�lesoin�de�le�faire�disparaître.

Dans�son�rêve,�le�paléanthrope�vit�le�défunt�vi-vant,�en�chair�et�en�os,�sans�blessure�appa-rente.�Il�se�déplaçait�et�surtout�lui�parlait.�Il�luireprocha�d’avoir�laissé�son�corps�seul,�sur�le�solde� la� savane,� en� proie� aux� animaux� nécro-phages.�A�son�réveil,�il�se�souvint�de�sa�visionet�décrivit�en�détails�l’apparition�à�son�clan�:�«�ilest�vivant,�il�m’a�parlé�et�m’a�reproché�de�l’avoirabandonné�».�Si�le�rêveur�était�le�dominant�desa�tribu,�il�possédait�des�arguments�pour�impo-

ser�sa�croyance.�Ses�congénères�abondèrentdans�son�sens�:�l’un�d’eux�relata�avoir�vu�sonfils�vivant�alors�qu’il�était�mort�de�maladie�long-temps�auparavant.�Un�autre�raconta�avoir�rêvéd’une�femme�merveilleuse,�habile�à�décharnerles�os�et�préparer�les�peaux.�Il�l’avait�entrevuedans�une�tribu�voisine.

Dans�ces�sortes�de�«�crises�oniriques�»,�toutl’avantage�du�rêveur�est�de�les�révéler�pour�lapremière�fois,�les�autres�individus�modèlent�en-suite�leurs�visions�sur�le�message�reçu.�Le�sur-naturel�est�contagieux.�

Pendant�des�centaines�de�millénaires,�les�ho-minidés,�puis�les�homo�erectus�avaient�faits�lesmêmes�rêves�que�les�chats�:�chasse,�batailles.Ces�visions�n’étaient�connues�que�du�dormeur(rêve�souvenir).�Le�développement�progressif(combien�de�millénaires�?)�de�l’organe�de�laphonation�et�de�l’aire�corticale�du�langage�permitla� transmission�orale�du�phénomène�onirique.(rêve�récit�ou�«�résidu�diurne�»).�Quelques�millé-naires�plus� tard,� le�cerveau�s’enrichissait�denouvelles� connections� neuronales,� l’abstraitprenait�place�dans�la�pensée.�L’émergence�del’imaginaire� dans� le� fonctionnement� psy-chique�des�plus�anciens�représentants�du�ra-meau�sapiens�des�hominidés�les�distinguede�leurs�prédécesseurs�qui�ne�laissèrent�au-cune�trace�d’activité�symbolique.�Mais�euxaussi�rêvaient.

Pour�la�première�fois�naquit�dans�l’esprit�humainla�croyance�en�l’éventualité�d’une�vie�au-delà�dela�mort,�d’une�résurrection�dans�un�autre�monde.Cette�vision�onirique�entraîna�un�devoir�de�respectvis-à-vis�du�cadavre.�Puisqu’une�partie�de�lui�étaitvivante,�dans�un�ailleurs�inconnu,�il�fallait�protégerle�corps,�assurer�son�confort�dans�l’au-delà,�et�sur-tout�s’en�souvenir.

Ce�fut�l’origine�des�premières�sépultures�;�l’in-compréhensible�devenait�sacré.�Les�sépulturespréhistoriques�témoignent�d’une�nouvelle�atti-tude�devant�la�mort�qui�est�célébrée,�sublimée.Son�caractère�inéluctable�laisse�la�place�à�unepossibilité�d’espérance.�Ainsi�naquit�la�religion,transcendance�du�réel�au-delà�de�l’intelligence.Les�esprits,� les� totems,� les� idoles,� les�dieuxn’étaient�pas�loin.

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Références

►Arnulf�Isabelle.�Une fenêtre surles rêves.�Editions�Odile�Jacob,2014.►�Billiard�M.,�Dauvilliers�Y. Lestroubles du sommeil. ElsevierMasson�2012.►�L’Immortalité, de la Préhistoireà nos jours.�Religions�et�Histoire,N°52�-�2013.�Editions�Faton.►Jouvet�Michel,�Gessain�Monique.�Le grenier des rêves.�Editions�Odile�Jacob,�1997.►�Marieb�Elaine�M.�Anatomie et Physiologie humaines.�De�Boek�Université.�Editions�du�Renouveau�Pédagogique�1999.►�Néenderthal réhabilité.�Dossiers�d’Archéologie,�N°�345.2011.�Editions�Faton.►�Otte�Marcel.�A l’aube spiri-tuelle de l’humanité.�EditionsOdile�Jacob,�2012.�«�Epuisé�».►�Tillier�Anne-Marie. L’hommeet la mort. L’émergence du gestefunéraire durant la Préhistoire.CNRS�Editions.�Biblis,�2013.�►�Vialou�Denis.�La Préhistoire.L’Univers des formes.�Gallimard,1991.

Funérailles�►d’un�homme�

de�Cro�Magnon(Peinture�de�Z.Burian.

circa�1960).��

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De�la�simple�fosse�creusée�dans�la�terre�aux�py-ramides,�la�sépulture�jalonnait�désormais�le�che-min�ascendant�des�croyances�de�l’humanité.

Conclusion

Le�monde�des�rêves�est�d’une�richesse�infinie,un�véritable�tourbillon�d’images.�Son�retentisse-ment� sur� les� activités� humaines,� souvent,ignoré,�est�considérable.�Son�utilisation�dans�lamédecine�antique�s’est�perpétuée�dans�celledes�populations�primitives�et�dans�la�psychia-trie.�Les�«�visions�»,�dites�béatifiques�dans�lareligion� catholique,� ont� succédé�au� rêve� ar-chaïque�de�l’hominidé.�Le chemin de Damas dePaul�est�le�même�que�celui�des�découvertesscientifiques.��Les�rêves�de�gloire�ont�généré�la

fondation� d’empires.� Que� dire� des� fameuxrêves�prémonitoires�«�pendant�l’horreur�d’uneprofonde�nuit�».

Souvenez-vous�:�«�I have a dream… ».��■

RemerciementsLa�rédaction�de�l’Internat de Paris remercie�MichelBilliard�(AIHP�1968)�pour�ses�conseils.�Notre�col-lègue�a�fait�une�brillante�carrière�de�Professeurde�neurologie�à�l’Université�de�Montpellier�1�de1980�à�2005.�Il�a�particulièrement�étudié�la�pa-thologie�du�sommeil�en�créant�une�unité�d’enre-gistrement�du�sommeil.�Il�coordonne�depuis�1994les� éditions� successives� de� l’ouvrage� de� réfé-rence�en�langue�française�Le sommeil normal etpathologique -�Masson�1994.

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prèsune�bio-graphieconsa-crée�au

destin�brillant,�mais�dramatiquede�Camille�Desmoulins,�préfa-cée�par�Yves�Pouliquen�(AIHP1957),�notre�collègue�Gérard

Bonn (AIHP 1967) se�pencheavec�bonheur�sur�les�premierspas�de�la�médecine�scientifique,dans�un�ouvrage�préfacé�parPierre�Corvol�(AIHP�1965).�Cetessai�couvre�une�période�qu’ilconnaît�bien,�que�sont�les�an-nées�1780-1830,�période�quireste�l’une�des�plus�importanteset�des�plus�passionnantes�denotre�histoire�contemporaine.Pendant�ces�50�années,�laFrance�a�connu�et�épuisé�troisrégimes,�monarchie,�république

et�empire,�et�changé�8�fois�deconstitution�!�Napoléon�a�jetéles�fondements�de�la�vie�col-lective�des�français,�avec�la�ré-daction�du�Code�Civil�en�1804,qui�suit�de�2�ans�la�création�denotre�Internat.

Et�parallèlement,�la�conceptionet�la�pratique�de�l’art�médical�ontinitié�une�vaste�mutation,�qui�neprendra�tout�son�essor�que�pen-dant�la�seconde�moitié�du�XIXe

siècle,�avec�la�généralisation�dela�méthode�expérimentale�grâceà�Claude�Bernard,�les�décou-vertes�pastoriennes,�et�les�progrès�chirurgicaux�décisifs�liésà�l’antisepsie�et�à�l’anesthésie.

Pour�bien�apprécier�l’ampleurdes�progrès�réalisés�pendantces�50�ans,�il�convenait�de�rap-

peler�quel�était�l’état�de�la�médecine�à�la�fin�du�XVIIIe

siècle.�C’est�l’objet�de�la pre-

mière partie de�l’ouvrage.�Alorsque�l’esprit�des�Lumières�éclaireun�large�plan�de�savoir�de�la�société,�la�médecine�continueson�petit�bonhomme�de�chemin,toujours�totalement�focalisé�surles�dogmes�des�anciens�auteursgrecs�et�romains.�Les�théories�d’Hippocrate�et�de�Galien�tiennent�toujours�le�haut�du�panier,�alimentantainsi�une�pédanterie�molié-resque�qui�cache�mal�une�profonde�ignorance�des�causesdes�maladies.�La�thérapeutiquen’a�guère�varié�depuis�les�misères�d’Argan,�et�vit�sur�desprescriptions�monocordes�basées�sur�la�saignée�et�les�purgations.�

Aux sources de la médecine scientifiqueDu clystère au stéthoscope

Le coin des livres

François Daniel

(AIHP�1961)

Auteur

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Livre de Gérard Bonn

(AIHP�1967)Editions�Glyphe�2014.�496�pages.ISBN�978�2�35815�140�5.

La�pharmacopée�repose�surl’opium�et�le�quinquina,�et�rested’une�efficacité�très�limitée.�L’organisation�du�cursus�médicalest�le�fait�d’une�Faculté�qui�dépend�de�l’Université,�et�l’auteur�détaille�tous�les�aspectsde�son�enseignement�et�des�rituels�qui�entourent�l’acquisitiondes�grades�successifs.�Un�autrepouvoir�s’est�néanmoins�dégagé,�grâce�à�la�création�del’Académie�Royale�de�médecineen�1778,�qui�suscite�jalousie�etméfiance�de�la�part�des�respon-sables�de�la�Faculté.�La�chirurgies’est�autonomisée�antérieure-ment,�la�fondation�de�l’AcadémieRoyale�de�chirurgie�date�de1748,�17�ans�après�la�SociétéAcadémique�de�chirurgie�deParis.

Parallèlement�à�cette�évolution,Gérard�Bonn�détaille�la�formationprogressive�du�Service�de�Santédes�Armées.�Il�voir�le�jour�en1708�sous�Louis�XIV,�qui�officialise�une�organisation�quis’était�développée�pendant�la�seconde�moitié�du�XVIIe siècledu�fait�de�la�longue�période�deguerres�qui�l’a�traversée.�L’auteur�décrit�longuement�son�évolution�et�insiste�sur�l’importance�des�progrès�que�lesconflits�de�la�Révolution�et�del’Empire�ont�fait�faire�à�la�chirur-gie�et�à�la�médecine�en�général.

Après�avoir�évoqué�la�formationdes�médecins�et�l’organisationde�leurs�études,�l’auteur�détailleles�modalités�de�l’exercice�de�lamédecine,�passant�en�revue�defaçon�très�précise�les�techniquesd’examen,�les�prescriptions�

thérapeutiques,�les�médecinesparallèles,�les�principales�affec-tions,�les�facteurs�de�morbidité,la�pathologie�des�armées�et�lesinterventions�chirurgicales,�pour�terminer�sur�quelques�pagesconsacrées�à�l’évolution�de�l’idéede�la�mort�pendant�cette�période.

La seconde partie de�l’ouvrageest�plus�biographique,�centréesur�le�parcours�de�quelques-unsdes�plus�illustres�parmi�nos�col-lègues�de�l’époque.�Cela�sera�eneffet�le�mérite�de�ces�deux�géné-rations�que�d’arriver�à�s’extraired’un�corpus�périmé�de�théoriesincapables�de�rendre�compte�dela�complexité�du�vivant�et�de�lapathologie.

L’esprit�d’observation�doit�l’em-porter�sur�les�spéculations�théo-riques�et�cela�sera�le�mérite�de�3�grands�médecins�dont�GérardBonn�retrace�le�parcours.�C’estd’abord�Marie François

Xavier Bichat (1771-1802),�passionné�par�l’anatomie�et�lamédecine�opératoire,�il�publie�en1802�son�Traité des membranesqui�définit�les�structures�et�lesfonctions�des�principaux�tissusde�l’organisme.�C’est�ensuiteThéophile René Hyacinthe

Laennec (1781-1826)�dont�l’ou-vrage�majeur�De l’auscultationmédicale, un traité du diagnosticdes maladies du poumon et ducœur,�paru�en�1819,�est�l’acte�de�naissance�de�l’invention�dustéthoscope,�qui�sera�néan-moins�l’objet�de�vives�critiquesde�la�part�de�Broussais.�C’estenfin�Pierre Fidèle Bretonneau

(1778-1862)�qui�individualisesuccessivement�la�dothinentérie

rebaptisée�rapidement�fièvre�typhoïde,�et�la�diphtérie�rebapti-sée�par�Trousseau Diphtérie.

Ces�trois�biographies�se�lisentavec�un�très�grand�plaisir,�tantsont�bien�évoqués�avec�unegrande�finesse,�leur�personnalitéet�leur�destin�individuel,�leur�rencontre�avec�les�grands�événements�et�les�grands�personnages�de�cette�périodeprodigieuse,�et�surtout�leur�dé-marche�scientifique,�où�l’affirma-tion�de�vérités�qui�nousparaissent�actuellement�élémen-taires�étaient�loin�d’aller�de�soi.�

De�même,�le�récit�de�la�vie�extra-ordinaire�de�Jean Dominique

Larrey,�à�travers�les�25�annéesde�guerres�de�la�Révolution�etde�l’Empire,�est�mené�tambourbattant,�et�suivi�par�celle�un�peumoins�mouvementée�de�Pierre

François Percy.

En�conclusion,�cet�ouvrage�estune�somme�de�renseignementset�de�réflexions�sur�l’une�des�pé-riodes�les�plus�mouvementée�denotre�histoire.�La�lecture�en�restetrès�aisée,�malgré�le�fort�volumedes�pages,�et�l’on�peut�parfaite-ment�lire�les�chapitres�de�façonséparée,�tant�chacun�d’entre�euxse�suffit�à�lui-même.�Cela�amène�cependant�àquelques�répétitions,�mais�n’est-ce�pas�l’une�des�vertus�duconteur�ou�de�l’enseignementque�de�fixer�ainsi�l’attention�deson�lecteur�? ■

Recension�du�livre�Histoire des médecins,

artisans et artistes de la santé de l’Antiquité à nos jours

de�Stanis�Perez�(paru�aux éditions Perrin)Da

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SOMMAIREINFECTIOLOGIE

FOCUS : DIABETOLOGIE

35 Interview de Patrick Yeni,

Président�du�Conseil�National�du�Sida

37 Infection par le VIH :

le devenir du patient sous antirétroviraux

Audrey Merlet & Jade Gohsn & Jean-Paul Viard

41 Ebola 2014-2015 : triste révélateur

des dysfonctionnements de nos sociétés

Olivier Bouchaud

45 Remerciements aux auteurs des pages

spécialités de l’année 2014

47 L’hépatite C, du dépistage au traitement,

une révolution en marche

Karine Lacombe & Julie Bottero

49 Infection à Clostridium difficile :

recommandations de prise en charge

Jean-Luc Meynard & Frédéric Barbut

53 Prévenir l’épidémie du diabète :

comportement ou médicament ? Ou pourquoi

le diabète de type 2 ne devrait pas exister

Jean-Jacques Altman

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Vous êtes Ancine Interne

des Hôpitaux de Paris

(1972) et depuis de nom-

breuses années, PU-PH,

chef du pôle maladies in-

fectieuses des hôpitaux universitaires Paris-

Nord Val de Seine, mais aussi président du

Conseil National du Sida (CNS) où vous

succédez à Willy Rozenbaum (AIHP 1973).

En tant que président de cet organisme

se définissant comme un observateur in-

dépendant et engagé, quelle est la situa-

tion de l’épidémie du Sida aujourd’hui en

France ?

L’épidémie� de� l’infection� VIH� n’est� pas� au-jourd’hui�contrôlée�que�ce�soit�en�métropole�ouplus�encore�dans�certains�territoires�d’outre�meret�notamment�en�Guyane.�En�effet,�le�nombrede�nouvelles�infections�n’a�pas�diminué�depuisplusieurs�années�(entre�7000�et�8000)�et�ceci�tra-duit�un�échec�relatif�des�stratégies�classiques�deprévention�de�la�transmission�par�voie�sexuelle.

Qu’en est-il des traitements actuels et de

leurs limites ?

Les�traitements�antirétroviraux�ont�considéra-blement�progressé�depuis�qu’on�dispose�destrithérapies�en�1996.�Ils�sont�aujourd’hui�très�ac-tifs,� la�plupart�des�patients� traités�ayant�unecharge�virale�indétectable,�ce�qui�traduit�le�blo-cage�de�la�réplication�du�virus.�Ils�sont�bien�to-lérés� et� on� observe� beaucoup� moins� lescomplications�liées�aux�premières�trithérapiesdisponibles�même�s’ils�ne�sont�pas�encore�dé-nués�d’effets�secondaires.�Enfin,�leur�prise�s’estbeaucoup�simplifiée�puisque,�dans�de�nom-breux�cas,�ils�peuvent�être�administrés�sous�laforme�d’un�comprimé�une�fois�par�jour.�Il�resteque�le�traitement�antirétroviral�ne�pourra�jamaiséradiquer�le�code�génétique�du�virus�incorporédans�les�cellules�infectées,�donc�guérir�l’infec-tion.�Il�doit�donc�être�pris�pendant�toute�la�vie�etson�interruption�entraîne�une�reprise�de�la�ré-

plication�du�virus�et�une�baisse�des�lympho-cytes�CD4.

La trithérapie est-elle un outil de prévention

contre le VIH ?

En�effet,�la�trithérapie�est�un�outil�de�préventioncontre�le�VIH�:�il�est�démontré�que�la�prise�ré-gulière�du�traitement�par�les�personnes�infec-tées�permet�d’annuler�presque�complètementle�risque�de�transmission�du�virus�à�leur�parte-naire.�C’est�une�des�raisons�pour�lesquelles�letraitement�anti-VIH�est�recommandé�aujourd’huichez�toutes�les�personnes�infectées�par�le�virus,et�pas�seulement�chez�celles�qui�souffrent�d’undéficit�immunitaire�induit�par�l’infection.�Le�trai-tement�antirétroviral�peut�également�servir�d’ou-til�de�prophylaxie�lorsqu’il�est�administré�à�despersonnes�non�infectées�qui�sont�exposées�àdes�risques�particulièrement�élevés�de�trans-mission�en�raison�de�leurs�pratiques�sexuelles.Toutefois,�il�ne�s’agit�pas�alors�d’une�trithérapiemais�seulement�d’une�bithérapie.�Ce�conceptde�PrEP�actuellement�en�cours�d’évaluation,a�donné�suffisamment�de�résultats�probantspour�pouvoir�être�recommandé�dans�certainscontextes. Enfin,�on�sait�déjà�depuis�longtempsque�la�trithérapie�prévient�la�transmission�duvirus�de�la�mère�à�l’enfant�pendant�la�grossesseet�l’accouchement�et,�probablement,�lorsqu’elleest�administrée�au�décours�immédiat�d’un�ac-cident�d’exposition�qu’il�soit�professionnel�ousexuel.

Quel est le rôle de l’immunothérapie dans le

traitement de l’infection VIH ?

Pour�l’instant,�l’immunothérapie�n’a�pas�de�rôledans�le�traitement�de�l’infection�VIH.

Est-on sur la bonne piste dans la recherche

d’un vaccin préventif ?

Les�stratégies�de�recherche�concernant�la�miseau�point�d’un�vaccin�contre�le�VIH�ont�été�mo-difiées�et�la�méthodologie�s’est�améliorée.�Il�est

Interview de Patrick Yeni, Président du ConseilNational du Sida

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SP

EC

IA

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E

Auteur

Patrick Yeni

(AIHP�1972)

PU-PH,�Président�duConseil�National�du�Sida.

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cependant�peu�probable�qu’un�vaccin�soit�dis-ponible�dans�les�prochaines�années.

Et la thérapie génique ? Pourrait-elle jouer

un rôle dans le traitement du VIH/Sida ?

La�thérapie�génique�a�montré�qu’en�altérant�ungène�cellulaire�indispensable�à�l’infection�par�leVIH�des�cellules�cibles,�on�pouvait�vraisembla-blement�guérir�cette�infection.�En�tant�que�tel,�ils’agit�d’une�preuve�de�concept�essentielle.�Ce-pendant,�la�lourdeur�de�la�thérapie�génique�estaujourd’hui�incompatible�avec�son�applicationpour�un�traitement�à�large�échelle�de�l’infectionpar�le�VIH.�On�peut�cependant�espérer�la�miseau�point�de�techniques�permettant�une�altérationgénique�ciblée�par�l’administration�intra-veineused’une�enzyme�vectorisée.�C’est�une�piste�de�re-cherche�intéressante�mais�on�en�est�encore�loin.

Selon vous, quel est l’avenir de la théra-

pie, éradiquer l’infection ou la tenir sous

contrôle ?

La�thérapie�de�l’infection�VIH,�telle�que�nous�endisposons�aujourd’hui,�permet�seulement�detenir�l’infection�sous�contrôle�en�poursuivant�letraitement.�Les�concepts�actuellement�dévelop-pés�concernant�l’éradication�de�l’infection�ne�re-posent�pas�sur�le�même�type�de�médicamentet�sont�à�un�stade�très�préliminaire�de�dévelop-pement,�même�si�quelques�essais�ont�été�ef-fectués�chez�des�patients.

Quels sont les objectifs des travaux de re-

cherche actuels et à venir ?

Les�objectifs�des�travaux�de�recherche�actuelsportent�sur�une�amélioration�des�traitementsantirétroviraux�classiques.�Ils�portent�principa-lement�sur�une�meilleure�tolérance�et�une�sim-plification�de�l’administration.�Cependant,�il�estclair�qu’on�arrive�au�bout�des�possibilités�d’optimi-sation�dans�ce�domaine.�Les�autres�recherchesthérapeutiques� portent� sur� l’évaluation� duconcept� d’éradication� de� l’infection� et� sur� lamise�au�point�d’un�vaccin�thérapeutique�ou�pré-ventif.�Compte�tenu�de�la�persistance�de�l’activitéde� l’épidémie,� la� recherche� sur� la� préventionreste�également�essentielle.

Peut-on réellement envisager une fin de

l’épidémie ?

S’il�est�difficile�d’envisager�la�fin�de�l’épidémieVIH�à�moyen�terme,�il�est�possible�d’espérer�un

contrôle�de�la�progression�de�l’épidémie�grâce,en�particulier,�à�la�mise�en�oeuvre�d’un�traite-ment�universel�de�l’infection�VIH,�toutes�les�per-sonnes�infectées�recevant�un�traitement�quelque�soit�leur�état�immunitaire.�A�côté�des�autresmoyens�disponibles,�cette�stratégie�de�préven-tion�peut�contribuer�à�contrôler�la�progressionde�l’épidémie.

Le CNS a rendu en Mars 2013, un avis favo-

rable sur l’autotest, qui est une réelle nou-

veauté dans le dépistage d’une maladie.

Aujourd’hui comment ce dispositif a-t-il été

accueilli ? La mise en place est-elle effective

à 100 % ?

L’autotest�de�diagnostic�de�l’infection�VIH�est�unconcept�bien�accepté�y�compris�au�niveau�duMinistère�de�la�Santé.�Sa�mise�en�place�est�an-noncée�pour�cette�année.

Sur le front de la prévention, quel chemin

reste-t-il à parcourir ?

Sur�le�plan�de�la�prévention,�il�faut�persévérerde�façon�très�volontariste�dans�la�mise�en�ap-plication�du�concept�de�prévention�combinée.�Ilest�devenu�clair�que�le�préservatif�n’est�pas�unmoyen�suffisant�pour�prévenir�la�transmissionsexuelle�du�VIH,�bien�qu’il�en�reste�un�élémentessentiel.�On�considère�aujourd’hui�que�le�dé-pistage�de�l’infection�par�le�VIH,�en�modifiant�lescomportements�des�personnes�et�en�leur�don-nant�accès�aux�traitements,�et�le�traitement�an-tirétroviral�précoce�lui-même,�sont�devenus�desévènements�essentiels�de�la�prévention.�Il�per-siste�une�«�épidémie�cachée�»�dans�la�mesureoù�20�%�des�personnes�infectées�par�le�VIH�enFrance�ne�le�savent�pas.�Ces�personnes�contri-buent�d’ailleurs�plus�que�les�autres�à�la�trans-mission�du�virus�et�il�est�essentiel�de�favoriserle�dépistage�dans�cette�population�: favoriserl’accès�au�test�de�dépistage�hors�des�centres�desoins�avec�les�tests�d’orientation�rapide�et�les�au-totests.�La�mise�en�application�de�la�PrEP�contri-bue�également�au�progrès�de�la�prévention.

Pensez-vous qu’on assiste à un change-

ment de mentalité et de comportement vis

à vis de la maladie ?

L’amélioration�des�traitements�et�donc�de�l’étatde�santé�des�personnes�infectées�par�le�VIH,�acontribué�à�«�banaliser»�ce�qui�est�devenu�uneinfection�chronique.�On�observe�cependant�que

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les�progrès�de�l’état�de�santé�n’ont�pas�été�ac-compagnés�par�une�amélioration�de�la�situationsociale�de�la�population�vivant�avec�le�VIH,�quidemeure�surexposée�à�des�difficultés�socio-économiques� ainsi� qu’à� diverses� formes� destigmatisation�et�de�discrimination.�Le�plan�na-tional�de�lutte�contre�le�VIH/SIDA,�inclut�d’ail-leurs�un�ensemble�de�mesures�visant�à�luttercontre�les�discriminations�et�à�améliorer�la�priseen�charge�sociale�des�personnes�vivant�avecle�VIH� les�plus�vulnérables,�à�côté�de�nom-breuses� mesures� destinées� à� contribuer� àl’amélioration�de�l’état�de�santé�des�personnesinfectées.�Dans�certaines�régions�du�monde,�ilest�inquiétant�de�noter�que�les�décisions�idéo-logiques�prises�à�l’encontre�de�certaines�popu-

lations�exposées�(usagers�de�drogue�par�voieintraveineuse,� hommes� ayant� des� relationssexuelles�avec�les�hommes,�…)�contribuent�àaggraver�l’incidence�de�l’infection�VIH.

Que peut-on attendre pour cette année ?

Au-delà�de�progrès�thérapeutiques,�il�faut�es-pérer�que�la�mobilisation�contre�cette�épidémiedans�le�monde�restera�forte�avec�un�finance-ment�soutenu�des�actions�en�faveur�de�la�priseen�charge�et�de�la�prévention�permettant�enfind’observer�un�début�de�contrôle�de�la�progres-sion�de�l’épidémie.�Cet�objectif�n’est�pas�irréa-liste�;�il�doit�être�partagé�par�tous�les�acteurs�dela�lutte�contre�le�VIH.��■

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Introduction

Grâce�aux�associations�d’an-tirétroviraux�(ARV),�les�per-sonnes�porteuses�du�VIHvivent�mieux et�plus� long-temps.�On�estime�à�150�000

le�nombre�de�personnes�vivant�avec�le�VIH�enFrance,�dont�20�000�à�30�000�ignorant�leur�sta-tut�sérologique.�Parmi�celles�diagnostiquées�etsuivies,�90�%�reçoivent�des�ARV�et�88�%�decelles�sous�traitement�depuis�au�moins�6�moissont�en�succès�virologique�(charge�virale�plas-matique�<50�copies�d’ARN�VIH/ml)�et�59�%�ontun� taux� de� lymphocytes� T� CD4� à� l’objectif(500/mm3)� 1,2.� L’espérance� de� vie� des� per-sonnes� traitées�se� rapproche�de�celle�de� lappulation�générale�3,�avec�pour�conséquenceleur�vieillissement�:�41�%�avaient�plus�de�50�ansen�2011�contre�27,6�%�en�2008�selon�la�basede�données�hospitalières�française.�Les�causesde�mortalité�ont�aussi�évolué�(Tableau�1).�Si,�en2010,�les�évènements�«�sida�»�(surtout�lym-

phomes� non� hogkiniens� et� pneumocystose)étaient�toujours�la�première�cause�de�décès,�lesdécès�de�causes�«�non�sida�»�ont�progressé�:�lescancers�non�sida�représentaient�22�%�des�causesde�décès,�les�maladies�hépatiques�11�%�et�lesmaladies�cardiovasculaires�10�%�4,5.

Ces�comorbidités�deviennent�une�préoccupa-tion�importante�puisque�les�patients�vivant�avecle�VIH�ont�plus�de�pathologies�cardiovasculaires(infarctus�du�myocarde,�accidents�vasculairescérébraux),�osseuses�(ostéoporose),�métabo-liques�(diabète,�dyslipidémie)�et�rénales�que�lapopulation�générale.�Ces�pathologies�ont�ten-dance�à�s’associer�entre�elles�chez�une�mêmepersonne�et�rendent�compte�d’une�proportioncroissante�des�décès�2,6-8.�L’explication�de�cephénomène�est�multifactorielle,�faisant�interve-nir�les�facteurs�de�risque�traditionnels,�la�toxicitéà�long�terme�des�ARV�et�l’activation�immunepersistante�malgré�un�traitement�virologique-ment�efficace.

Infection par le VIH : le devenir du patientsous antirétroviraux

Auteurs

UF�de�Thérapeutique�en�Immunoinfectiologie,�Centrede�Diagnostic�et�de�Théra-peutique,�Hôtel-Dieu�AP-HPet�EA�7327,�Faculté�de�Médecine�Paris�Descartes.

Audrey Merlet

Jade Gohsn

Jean-Paul Viard

(AIHP�1982

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Références

1 Vivre avec le VIH: Premiers ré-sultats de l'enquête ANRS-Vespa2.�Bull�Epidemiol�Hebdo.2013;26-27:283-324.2 Mary-Krause�M,�Grabar�S,�Lie-vre�L,�Abgrall�S,�Billaud�E,�Boue�F,et�al.�Cohort Profile: French hospital database on HIV (FHDH-ANRS CO4).�Int�J�Epidemiol.�2014Oct;43(5):1425-36.3 Lewden�C,�Bouteloup�V,�DeWit�S,�Sabin�C,�Mocroft�A,�Was-muth�JC,�et�al.�All-cause mortalityin treated HIV-infected adults withCD4 >/=500/mm3 compared withthe general population : evidencefrom a large European observa-tional cohort collaboration.�Int�JEpidemiol.�2012�Apr;41(2):433-45.4 Roussillon�C�HS,�Hardel�L�etal.�Causes de décès des patientsinfectés par le VIH en France en2010. Etude ANRS EN20 Morta-lité 2010.�Bull�Epidemiol�Hebd2012;46-47:541-45.5 Morlat�P,�Roussillon�C,�HenardS,�Salmon�D,�Bonnet�F,�CacoubP,�et�al.�Causes of death amongHIV-infected patients in France in2010 (national survey): trendssince 2000.�AIDS.�2014�May15;28(8):1181-91.6 Lang�S,�Mary-Krause�M,�CotteL,�Gilquin�J,�Partisani�M,�SimonA,�et�al.�Increased risk of myocar-dial infarction in HIV-infected pa-tients in France, relative to thegeneral population.�AIDS.�2010May�15;24(8):1228-30.7 Luz�PM,�Bruyand�M,�RibeiroS,�Bonnet�F,�Moreira�RI,�Hes-samfar�M,�et�al.�AIDS and non-AIDS severe morbidityassociated with hospitalizationsamong HIV-infected patients intwo regions with universal accessto care and antiretroviral therapy,France and Brazil, 2000-2008:hospital-based cohort studies.BMC�Infect�Dis.�2014;14:278.8 Morlat�P,�Vivot�A,Vandenhende�MA,�Dauchy�FA,Asselineau�J,�Deti�E,�et�al.�Roleof traditional risk factors and anti-retroviral drugs in the incidence ofchronic kidney disease, ANRSCO3 Aquitaine cohort, France,2004-2012.�PLoS�One.2013;8(6):e66223.��→

La�prise�en�charge�va�donc�nécessiter,�en�plusde�la�gestion�des�ARV,�la�prévention,�le�dépis-tage�et�le�traitement�de�ces�comorbidités.

Cancers « non classant SIDA »

Une�augmentation�de�l’incidence�des�cancerschez� les� personnes� vivant� avec� le� VIH� estconstatée�depuis�la�fin�des�années�1990�avecun�sur-risque�par�rapport�à�la�population�géné-rale,�notamment�pour�la�maladie�de�Hodgkin,les�cancers�liés�aux�papillomavirus�(canal�anal,vulve,�vagin,�pénis),�les�cancers�broncho-pulmo-naires,�ORL,�cutanés�et�les�hépatocarcinomes(co-infection�par�les�virus�des�hépatites�B�et�C)�4.Le�rôle�de�l’immunodéficience�a�été�identifié�tantpour�les�cancers�classant�sida�(lymphomes�nonhodgkinien,�maladie�de�Kaposi,�cancer�du�col�uté-rin)�que�pour�les�cancers�non�classants�9.�Ainsi,�laprévention�des�infections�à�virus�oncogènes,�lesevrage�ou�la�réduction�de�la�consommation�detoxiques�oncogènes�et�les�dépistages�ciblés�(can-cer�anal�chez�l’homme,��cancer�du�col�utérin�chezla�femme)�font�partie�de�la�prise�en�charge.

Co-infections par le virus des hépatites

Près�de�30�%�des�patients�vivant�avec�le�VIHsont�chroniquement�co-infectés�par�le�virus�del’hépatite�C�(VHC)�et/ou�le�virus�de�l’hépatite�B(VHB)�parfois�associé�au�virus�Delta�(VHD)�10.Les�personnes�co-infectées�VIH-VHC�ont�souventune�fibrose�hépatique�sévère,�avec�un�risque�decirrhose�2�à�5�fois�plus�important�que�les�patientsmono-infectés�VHC�et�la�mortalité�hépatique�liéeau�VHC�est�la�première�cause�de�décès�chez�lesco-infectés.�Les�nouveaux�antiviraux�actifs�sur�leVHC,�permettant�d’obtenir�des�taux�de�guérisonde�plus�de�90�%,�sont�en�train�de�bouleverser�laprise�en�charge�de�ces�patients.�Au�cours�de�laco-infection�VIH-VHB,�l’infection�par�le�VIH�ag-grave�le�pronostic�de�l’hépatite�avec�une�évo-lution�plus�rapide�de�la�fibrose.�Le�traitementantirétroviral�doit�être�instauré�dès�que�possiblechez�ces�patients�en�utilisant�des�ARV�ayant�

une�activité�double,�anti-VIH�et�anti-VHB�(téno-fovir,�emtricitabine/lamivudine).

Risque cardiovasculaire et métabolique

Les�évènements�cardiovasculaires�représen-tent�la�4e cause�de�décès�chez�les�patients�vi-vant�avec�le�VIH.�Le�risque�relatif�d’infarctus�dumyocarde�par�rapport�à�la�population�généraleest�estimé�à�1,4�pour�les�hommes�et�à�2,7�pourles�femmes�6.�Les�causes�sont�multiples�:�pré-valence�plus�importante�du�tabagisme,�toxicitéà�long�terme�des�ARV�(certains�inhibiteurs�deprotéase�et�nucléosides�thymidiniques),�respon-sables�de�dyslipidémie�et�d’insulino-résistance�oud’une�toxicité�cellulaire,�inflammation�persistante.Un�nadir�des�lymphocytes�T�CD4�bas�(reflet�del’immunodépression� passée)� et� un� rapportCD4/CD8� inversé� (témoin�de� l’activation� im-mune�résiduelle)�sont�des� facteurs� indépen-dants�associés�à�la�survenue�d’un�infarctus�dumyocarde. Il�est�proposé�que�ces�éléments�del’histoire�de�l’infection�et�de�son�traitement�entrentdans�l’appréciation�du�risque�cardiovasculaire�(Ta-bleau�2) 12.��Le�risque�cardiovasculaire�étant�éva-lué� et� gradé,� un� dépistage� de� l’athéromeinfraclinique�ainsi�qu’une�prise�en�charge�(sevragetabagique,�éducation�hygiéno-diététique,�hypoli-pémiants,�antihypertenseurs,�aspirine�…)�doiventêtre�proposés�chez�les�patients�à�haut�risque,�afinde� réduire� la�morbi-mortalité� cardiovasculaire,comme�en�population�générale.�Le�diabète�doitêtre�dépisté�et�traité.

L’ostéoporose

La�prévalence�de�l’ostéoporose�est�plus�impor-tante�chez�les�patients�vivant�avec�le�VIH,�sousARV�ou�non�11.�Plusieurs�causes�ont�été�avan-cées,�comme�le�rôle�du�VIH�et�de�certains�decertains�ARV�sur�les�ostéoblastes�et�les�ostéo-clastes,�la�consommation�de�drogues�récréatives,l’activation�et�de�la�restauration�immunitaires,�lacarence�en�vitamine�D.�Des�stratégies�de�dépis-tage�adaptées�ont�été�proposées,�comme�la

AnnéeNombre�total�de�décès�étudiésAge�médian�au�décès�(années)Décès�dus�à�des�complications�sidaDécès�dus�à�des�cancers�non-classant�sida,�non�liés�aux�hépatitesDécès�dus�à�des�maladies�hépatiquesDécès�d’origine�cardiovasculaireDécès�d’autres�causes

20009644147%11%13%7%22%

200510424636%17%15%8%24%

20107285025%22%11%10%32%

▲ Tableau 1.Causes�de�décès�chez�les�personnes�vivant�avec�le�VIH�en�France,�en�2000,�2005�et�2010 5.

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réalisation�d’une�ostéodensitométrie�chez�leshommes�de�plus�de�60�ans�et�avant�60�ans�enprésence�d’un�IMC�faible�et�d’un�nadir�de�CD4inférieur�à�200/mm3�12.

L’atteinte rénale

Si�l’utilisation�des�ARV�a�réduit�la�prévalence�dela�néphropathie�associée�au�VIH�(HIVAN),�onvoit�émerger�d’autres�types�d’atteinte�rénale,conséquence�en�partie�des�comorbidités�et�duvieillissement,�de�l’exposition�prolongée�à�cer-tains�ARV�(tenofovir�et�tubulopathie�proximale,atazanavir�et�lithiase)�et�au�VIH�lui-même�(impactdu�stade�sida�et�d’un�taux�de�CD4<200/mm3�surl’incidence� de� la�maladie� rénale� chronique).Dans�la�cohorte�Aquitaine�ANRS�CO3,�la�pré-valence�de�la�maladie�rénale�(protéinurie�et/oualtération�du�débit�de�filtration�glomérulaire)�at-teignatt�36%�des�patients�13.�La�surveillance�dela�fonction�rénale�est�donc�primordiale.�

Troubles neurocognitifs et psychiatriques

Dans�une�étude�transversale�de�la�cohorte�Aqui-taine�ANRS�CO3�60�%�des�patients�présentaientdes�troubles�neurocognitifs�14 et�dans�une�étuderéalisée�aux�Etats-Unis�48�%�avaient�des�troublespsychiatriques�15.�Les�raisons�de�cette�fréquencesont�mal�élucidées.�On�peut�citer�le�neurotropismedu�VIH,�la�faible�diffusion�de�certains�ARV�à�tra-vers�la�barrière�hémato-encéphalique,�les�consé-quences�cérébrales�des�comorbidités� liées�au

vieillissement,�la�consommation�de�produits�psy-choactifs,�la�neurotoxicité�propre�des�ARV,�l’impactpsychosocial�du�diagnostic…�Dans�l’étude�Mor-talité 2010,�les�suicides�étaient�responsables�de4.7�%�des�décès�4.

Autres aspects

Le� traitement�ARV� est� aujourd’hui� envisagécome�un�traitement�à�vie�:�la�prise�en�charge�dupatient�comprendra�donc�une�dimension�psy-chosociale�avec�l’aide�à�l’acceptation�du�diag-nostic,�l’aide�à�l’observance�du�traitement,�uneoffre�de�santé�sexuelle,�l’aide�à�la�procréation,la�prise�en�charge�des�dépendances,�l’aide�àl’insertion�professionnelle�et�sociale�...

Conclusion

La�prise�en�charge�de�l’infection�par�le�VIH�reposedonc�à�la�fois�sur�le�contrôle�de�l’infection�avecl’objectif�d’une�restauration�immunitaire�optimale,et�sur�la�prévention,�le�dépistage�et�le�traitementdes�comorbidités,�sans�oublier�la�gestion�de�la�ia-trogénie�inhérente�aux�ARV�et�des�nombreusesinteractions�médicamenteuses�dont�ils�sont�res-ponsables.�Le�vieillissement�de�la�population�vi-vant� avec� le� VIH� pose� donc� des� questionsnouvelles�nécessitant�une�approche�à�la�fois�ex-perte�et�globale,�multidisciplinaire,�de�patients�«qui�vont�bien�»�mais�chez�qui�de�nombreux�para-mètres�doivent�être�surveillés.��■

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9 Guiguet�M,�Boue�F,�CadranelJ,�Lang�JM,�Rosenthal�E,�Costa-gliola�D.�Effect of immunodefi-ciency, HIV viral load, andantiretroviral therapy on the riskof individual malignancies(FHDH-ANRS CO4): a prospec-tive cohort study.�Lancet�Oncol.2009�Dec;10(12):1152-9.10 Larsen�C,�Pialoux�G,�SalmonD,�Antona�D,�Le�Strat�Y,�Piroth�L,et�al.�Prevalence of hepatitis Cand hepatitis B infection in theHIV-infected population ofFrance, 2004.�Euro�Surveill.�2008May�29;13(22).11 Mary-Krause�M,�Viard�JP,Ename-Mkoumazok�B,�BentataM,�Valantin�MA,�Missy�P,�et�al.Prevalence of low bone mineraldensity in men and women infec-ted with human immunodefi-ciency virus 1 and a proposal forscreening strategy. J�Clin�Densi-tom.�2012�Oct�Dec;15(4):422-33.12 Ministère�des�Affaires�so-ciales�et�de�la�Santé�C,�ANRS.Prise en charge médicale despersonnes vivant avec le VIH.Recommandations du grouped'experts. 2013.13 Dauchy�FA,�Lawson-AyayiS,�de�La�Faille�R,�Bonnet�F,�Rigo-thier�C,�Mehsen�N,�et�al.�Increa-sed risk of abnormal proximalrenal tubular function with HIV in-fection and antiretroviral therapy.Kidney�Int.�2011Aug;80(3):302-9.14 Bonnet�F,�Amieva�H,�Mar-quant�F,�Bernard�C,�Bruyand�M,Dauchy�FA,�et�al.�Cognitive disor-ders in HIV-infected patients: arethey HIV-related?AIDS.�2013Jan�28;27(3):391-400.15 Bing�EG,�Burnam�MA,Longshore�D,�Fleishman�JA,Sherbourne�CD,�London�AS,�etal.�Psychiatric disorders and druguse among human immunodefi-ciency virus-infected adults in theUnited States. Arch�Gen�Psychia-try.�2001�Aug;58(8):721-8.

Age

Antécédents�familiaux�de�maladie�coronaire�précoce

Tabagisme

Hypertension�artérielle

Paramètres�métaboliques

Infection�par�le�VIH

Facteur�protecteur

Homme�:�50�ans�ou�plus�-�Femme�:�60�ans�ou�plus

Infarctus�du�myocarde�ou�mort�subite�:•�avant�l’âge�de�55�ans�chez�le�père�ou�chez�un�parent�de�1er�degré�de�sexe�masculin•�avant�l’âge�de�65�ans�chez�la�mère�ou�chez�un�parent�de�1er�degré�de�sexe�féminin

Actuel�ou�arrêté�depuis�moins�de�3�ans

Permanente,�traitée�ou�non

Diabète�sucré�-�Cholestérol�HDL�<�0,40�g/l�(1�mmol/l)�quel�que�soit�le�sexe�-�Cholestérol�LDL�>�1,60�g/l�(4,11�mmol/l)

ARN�VIH�non�contrôlé�-�Nadir�des�CD4�<�200/mm3�-�CD8�>�800/mm3�-�Exposi-tion�cumulée�>�10�ans�aux�inhibiteurs�de�la�protéase

Cholestérol�HDL�≥�0,60�g/l�(1,5�mmol/l)

▲ Tableau 2. Facteurs�de�risque�cardiovasculaire�chez�les�personnes�vivant�avec�le�VIH,�selon�les�recommanda-tions�d’experts�françaises�2013�(adapté�à�partir�des�recommandations�2005�de�l’AFSSAPS)�12.�Il�est�proposé�de�définir�les�objectifs�de�cholestérol�LDL�en�fonction�du�nombre�de�facteurs�de�risque�comme�le�re-commande�l’AFSSAPS,�l’infection�par�le�VIH�devant�ou�non�être�comptée�comme�l’un�d’entre�eux�en�fonction�descritères�en�marron�ci-dessus.

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L’épidémie�Ebola�d’Afrique�del’Ouest�qui�a�débuté�fin�2013et� est� toujours� bien� activedébut� 2015� pose� de� gravesquestions� épidémiologiques,

médicales�mais�aussi�et�surtout,�car�la�causeen�est�bien�là,�sur�le�fonctionnement�de�nos�so-ciétés.�Comment�en�est�on�arrivé�là�?�

Pour�la�deuxième�fois�de�toute�son�existence(la�1re remonte�à�la�crise�Rwandaise),�MSF�parla�voix�de�sa�présidente�«�internationale�»��an-nonce�mi-2014�qu’ils�sont�débordés�et�réclamel’aide�des�Etats�industrialisés�(et�même�sousentendu�de�leurs�armées,�seules�capables�depouvoir�apporter�une�réponse�opérationnelle�àla�hauteur�des�enjeux).�Les�chiffres�officiels�début�février�2015�de�plusde�22�500�victimes�et�de�près�de�9�000�mortsne�correspondent�pas�à�la�réalité�car�ne�reflè-tent�que�les�cas�officiellement� identifiés.�Lesgens�de�terrain�parlent�de�possiblement�3�foisplus�de�cas�et�de�décès�réels.�Les�deux�payssecondairement� concernés� après� la�GuinéeConakry,�le�Libéria�et�la�Sierra�Leone�ont�été�lesplus�touchés�avec�une�courbe�épidémique�qua-siment�verticale�dans�le�dernier�trimestre�2014,notamment�au�Sierra�Leone.Même�si�les�choses�semblent�aller�globalementun�petit�peu�mieux�actuellement,�il�est�encoreillusoire�de�prévoir�le�contrôle�et�à�fortiori�la�finde�l’épidémie.�D’autant�que�la�situation�est�fluc-tuante�géographiquement�:�tel�district�semble«�s’éteindre�»�quand�un�autre�s’enflamme.�Leschoses�évoluent�aussi�dans�la�perception�parla�population�de�ces�centres�de�prise�en�charge.Alors�que�beaucoup�de�patients�refusaient�dese�présenter�dans�les�centres�de�dépistage�oude�se�signaler�-�et�encore�plus�les�contacts�-�parmanque� de� confiance� dans� un� système� desanté�oublié�et�donc�déliquescent,�par�crainted’être�abandonné�sans�eau�ni�nourriture,�sépa-rés�de�leur�famille�(ce�qui�est�culturellement�dif-

ficilement�imaginable)�et�pire�enterrés�sans�lesrites�traditionnels�(qui�seraient�responsables�enGuinée�de�60�%�des�transmissions�1),�l’amélio-ration�des�protocoles�de�prise�en�charge�en�di-minuant�la�mortalité�et�en�permettant�d’utiliserles�patients�guéris�comme�«�ambassadeurs�»a�permis�de�redonner�confiance�dans�ces�struc-tures.�Si�la�mortalité�par�Ebola�est�importante(de�l’ordre�de�50�%�;�70�%�selon�certaines�esti-mations�2),�la�mortalité�«�générale�»�a�aussi�ex-plosé�faute�de�structures�de�soin�fonctionnellespour�les�pathologies�courantes.�En�effet�si�pa-radoxalement�les�structures�de�niveau�1�(dis-pensaires)�ont�résisté�à�peu�près,�les�hôpitauxde�district�et�de�référence�ont�été�en�plein�col-lapsus,�beaucoup�carrément�fermés�(commel’hôpital�pédiatrique�de�Freetown)�faute�de�per-sonnel�soignant,�certains�victimes�du�virus�(lessoignants�y�sont�surreprésentés)�et�d’autresayant�déserté�par�panique�devant�la�trop�fré-quente�absence�de�moyen�de�protection�mini-mum�(pas�de�gants�ni�de�bavettes�ou�rupturesde�stock�itératives,�et�parfois�même�ni�eau,�nisavon,�…),�et�de�matériel�de�soins.�Et�qui�«�du�Nord�»�pourrait�blâmer�les�«�déser-teurs�»�alors�qu’on�a�vu�des�personnels�navi-gants�pourtant�hyper-protégés�et�informés,�etpas�réellement�exposés,�faire�valoir�leur�droitde�retrait�bloquant�des�avions�et�fermant�deslignes�contribuant�au�marasme�général�en�gê-nant�l’afflux�de�matériel�et�de�soignants�interna-tionaux�et�générant�une�profonde�anxiété�chezles�expatriés�pas�tant�vis�à�vis�du�risque�épidé-mique�qu’ils�ont�vite�compris�maitrisable�poureux�mais�du�risque�de�rester�bloqués�si�la�dés-organisation�générale�rendait�nécessaire�uneexfiltration�?�En�effet�la�vie�au�quotidien�est�profondémentperturbée�bien�au�delà�des�services�de�santé�:administrations�et�écoles�fermées�ou�fonction-nant�à�minima,�commerce�et�vie�économiqueparalysés�(la�Banque�Mondiale�chiffre�à�prèsde�33�milliards�$�US�la�perte�économique�sur

Ebola 2014-2015 : triste révélateur desdysfonctionnements de nos sociétés

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41Auteur

Olivier Bouchaud

(AIHP�1984)

PU-PH,�Hôpital�Avicenne,service�des�maladies�infectieuses�et�tropicales,APHP.�Université�Paris�13-ParisCité�Sorbonne,�Bobigny.

Références

1 Chan�M.�Ebola virus disease in West Africa. No early end tothe outbreak.�NEJM�2014�;�DOI10.1056/NEJMp1409859.�2 WHO.�Ebola virus disease inWest Africa. The first 9 months of the epidemic and forward projections.�NEJM�2014�;�DOI�:10.1056/NEJMoa1411100(23/09/14).3 Roberts�I,�Perner�A.�Ebolavirus disease : clinical care andpatient-centred research.�Lancet.2014;384(9959):2001-2.

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les�3�pays�ce�qui�est�énorme�pour�des�pays�sifragiles).�

Pourquoi�cette�(première)�épidémie�ouest-afri-caine�a�t’elle�pris�de�court�tout�le�monde�et�a�en-flammé� trois� pays� ?� Chacun� (y� compris� lemodeste�auteur�de�ce�texte)�prédisait�en�avril2014�après�son�début�officiel�en�mars�que,�toutcomme�la�vingtaine�d’épidémies�connues�de-puis�1976�n’ayant�jamais�dépassé�les�500�cas,les�choses�allaient�se�calmer�rapidement.�Defait�en�mai�l’incidence�baissait�avant�de�repartiren�flèche.�Rétrospectivement,�et�au�delà�d’unhypothétique�et�pas�forcément�évident�facteurde�virulence�particulier,�le�contexte�socio-géo-graphique�n’est�pas�le�même.�Si�les�épidémies�précédentes�ont�éclaté�dansdes�foyers�isolés�de�pays�forestiers�d’AfriqueCentrale�peu�densément�peuplés�et�avec�desvoies�de�communication�limitées,�dans�le�casprésent,�à�l’inverse,�l’épidémie�a�démarré�certesaux�confins�sud-est�de�la�Guinée�frontaliers�duLibéria�mais�en�milieu�urbain�(Guéckédou,�Ma-centa),�densément�peuplé�chez�une�populationtrès�mobile�pouvant�se�déplacer�relativementaisément�y�compris�en�transfrontalier�et�avecdes�rites�funéraires�très�à�risque.�L’impossibilitéde�contrôler�les�déplacements�de�population�aentrainé�la�dissémination�des�foyers.�Par�ailleursle�«�triage�»�des�patients�n’est�pas�simple�:�d’unepart�les�symptômes�sont�non�spécifiques,�lesmanifestations�hémorragiques�étant�finalementrelativement�rares�(moins�d’1/4�des�cas),�modé-rées�et�tardives�2,�et�d’autre�part�l’effet�«�masse�»du�milieu� urbain� pose� des� problèmes� logis-tiques�énormes�:�à�Monrovia�c’est�de�l’ordre�de4�000�personnes�fébriles�par�jour�qu’il�faut�exa-miner�et�«�trier�».�Si�les�capacités�diagnostiques(par�PCR)�sont�suffisantes,�elles�ont�été�long-temps�trop�centralisées�et�la�logistique�ne�sui-vait� pas� :� combien� de� prélèvements� (ou� derésultats)�se�sont�égarés�en�route,�ne�sont�ja-mais�parvenus�au�laboratoire�ou�n’étaient�plusidentifiables�?��

La�prise�de�conscience�tardive�que�l’épidémien’évoluait�pas�«�comme�d’habitude�»�expliqueen�partie�le�grand�retard�à�la�perception�de�l’am-pleur�de�la�catastrophe�qui�s’annonçait.�Ajou-tons�à�ça�l’éloignement�de�la�capitale�des�foyersinitiaux,� les�inerties�habituelles�à�tous�les�ni-veaux�(par�exemple�l’OMS�n’a�été�informée�de

l’épidémie�que�le�23�mars�2014�alors�que�lespremiers�cas�sont�apparus�fin�2013),�les�«�pu-deurs�»�politiques�(on�murmure�que�le�gouver-nement�Guinéen�n’aurait�même�pas�répondu�àune�proposition�officielle�d’aide�de�l’armée�ca-nadienne),�la�fausse�certitude�que�l’épidémie�al-lait�bien�finir�par�«�rentrer�dans�le�rang�».�Lerésultat�a�été�une�mobilisation� internationalebien� trop� tardive�et� insuffisante�au�début,� laFrance�n’ayant�hélas�pas�plus�brillé�que�les�au-tres�pour�sa�réactivité.�Eu�égard�aux�connais-sances� sur� la� transmission� et� au� contextesocio-géographique� d’émergence� inhabituelévoqué�plus�haut,�pourquoi�les�modélisations(dont�on�fait�grand�cas)�n’ont�elles�pas�prévu�cequi�est�advenu�?�

Au�stade�actuel,�début�2015,�où�en�est-on�?Tout�d’abord,�et�ce�n’est�pas�rien,�le�pire,�c’està�dire�la�diffusion�large�du�virus�dans�les�payslimitrophes�(notamment�Côte�d’Ivoire,�étonnam-ment�préservée,�et�Mali)�a,�pour�le�moment,�étéévitée.�Les�cas�nigérians,�puis�maliens�et�le�cassénégalais�n’ont�pas�fait�souche�ce�qui�sembleprouver�qu’une�réaction�adaptée�précoce�estsuffisante.�Il�est�cependant�vraisemblable�quele�virus�va�s’endémiciser�dans�la�région.�La�pré-paration� des� systèmes� de� santé� des� paysOuest-Africains�à�une�possible�émergence�épi-démique�est�fondamentale.�Le�nécessaire�est-il�fait�?�Ne�serait-ce�pas�ici�lechamp�d’action,�certes�peut�être�moins�valori-sant�que�l’intervention�directe,�dans�lequel�lesautorités�de�santé�de�notre�pays,�et�notammentla�direction�des�hôpitaux,�auraient�du�s’investiren�utilisant�largement�les�réseaux�francophonespré-existant�(par�exemple�le�GIP�ESTHER)�enlieu�et�place�du�silence�assourdissant�auquel�ona�assisté�(silence�juste�rompu�par�des�directivesnationales�jusqu’auboutistes�eu�égard�à�unetransmission�pas�si�facile�que�ça,�émanant�demultiples�sources�et,�surtout,�faisant�prendredes�risques�vitaux�-�par�restriction�de�soins�-�auxpatients�fébriles�revenant�des�pays�cibles�ayantmille�fois�plus�de�risque�de�paludisme�que�defièvre�Ebola)�?�Par�ailleurs�dans�les�trois�pays�concernés,�lemessage�de�MSF�a�été�partiellement�entendu�:des�interventions�(que�l’on�aurait�souhaité�plusmassives)�avec�décentralisation�des�moyensdiagnostiques�et�de�soins�d’urgence�ont�été�dé-ployées�par� le�«�Yalta�»�entre�la�France,� les

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USA�et�le�Royaume�Uni�pour�respectivement�laGuinée,�le�Libéria�et�la�Sierra�Leone.�Des�résul-tats�sont�visibles�mais�bien�fragiles�:�si�l’inci-dence� semblait� reculer� mi-janvier,� elle� estrepartie�à�la�hausse�début�février�montrant�bienque�la�partie�est�loin�d’être�gagnée�(notammentau�Sierra�Leone�où�la�situation�reste� inquié-tante).�N’aurait-on�pas�pu�faire�plus�?�N’est-onpas�encore�une�fois�de�plus�dans�une�sous-es-timation�grossière�des�réels�besoins�alors�qu’enoctobre�l’OMS�a�déclaré�cette�épidémie�«�ur-gence�de�santé�publique�de�portée�mondiale�»?Les�populations,�même�habitées�par�une�ter-reur�bien�compréhensible�générant�toutes�lesrumeurs�imaginables,�ne�sont�pas�folles�:�déslors�que�des�soins�de�base�plus�facilement�ac-cessibles�font�chuter�la�mortalité,�la�confiancerevient�et�les�«�fièvreux�»,�et�leurs�contacts,�nes’enfuient�plus.�Si�les�Ac�monoclonaux�du�«�ZMapp�»�(anec-dotiquement�utilisés�et�sans�preuve�d’efficacité),ou�les�sérums�de�convalescents�(si�c’est�effi-cace,�ce�qu’il�faut�évidemment�urgemment�éva-luer,�qui�va�les�produire�aux�normes�de�sécuritéen�quantité�suffisante�?)�ou�surtout�les�inhibi-teurs�d’ARN�polymérase�comme�le�favipiravir(résultats�préliminaires�encourageants)�ont�unepossible�certaine�efficacité,�une�bonne�partie�dela�mortalité�est�«�bêtement�»�imputable�à�la�dés-hydratation�et�au�choc�hypovolémique�(impor-tance�des�diarrhées)�ou�septique.�Pourquoi�lesprotocoles�initiaux�limitaient�ils�les�abords�vei-

neux�ou�les�volumes�à�perfuser�?�combien�depatients�isolés�dans�des�centres�de�soin�sont-ils�morts�faute�de�soins�de�base�adaptés�?�3

Pour�plus�tard�le�vaccin�dont�on�annonce�lespremiers�essais�et�à� (beaucoup� !)�plus� longterme,�rêvons�un�peu,�l’infléchissement�de�lapauvreté�(car�c’est�bien�elle�-�ou�plutôt�ceux,�lo-calement�et�«�internationalement�»�qui�l’entre-tiennent�-�qui�est�responsable�de�ce�désastre)éviteront�peut�être�une�nouvelle�épidémie�decette�ampleur.

Pour�le�mot�de�la�fin,�on�serait�tenté�de�rappelerles�propos�prémonitoires�de�Charles Nicolle

(AIHP 1889) il�y�a�80�ans�sur�l’inévitable�appa-rition� de� nouvelles�maladies� infectieuses� enajoutant�qu’elles�nous�surprendront�toujours�etqu’elles�sont,�hélas,�de�parfaits�révélateurs�desdysfonctionnements�de�nos�sociétés.�On�nepeut�aussi�que�saluer�avec�respect�l’extraordi-naire�dévouement�de�certains�soignants,�certesinternationaux,�mais�aussi�et�surtout�locaux�quidonnent�sans�compter,�parfois�en�se�cachantde�leur�entourage�pour�éviter�la�stigmatisationsociale,�pour�apporter�des�soins�aux�patientsvictimes�d’Ebola,�et�notamment�ces�patientsguéris�qui�acceptent�de�repartir,�sans�protection(l’immunité� est� sensée� être� stérilisante),� aucontact�des�patients�pour�les�aider,�expliquer,rassurer…�■

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La�rédaction�de�l’Internat de Paris remercie�les�auteurs�d’avoir�pris�du�temps�dans�leursagendas�surchargés,�et�ainsi�de�contribuer�à�la�qualité�de�nos�dossiers�de�spécialités.

Yannick�Allanore (AIHP�1994)�-�Joëlle�Belaisch-Allart (AIHP�1977)�-�Marie-Christophe�Boissier�(AIHP�1980)�-�Gabriel�Coscas (AIHP�1957)�-�Paul�Cottu (AIHP�1990)�-�Jean-LouisDufier (AIHP�1971)�-�Ali�Erginay -�Serge�Evrard (AIHP�1983)�-�Thomas�Funck-Brentano(ECN�2004)�-�Gérard�Ganem -�Laure�Gossec (AIHP�1996)�-�Christian�Jamin -�Yves�Lachkar(AIHP�1988)�-�Xavier Mariette (AIHP�1983)�-�Philippe�Merviel (AIHP�1987)�-�Philippe�Orcel(AIHP�1979)�-�Christophe�Orssaud (AIHP�1982)�-�Edouard�Pertuiset (AIHP�1982)�-�Eric�Pujade-Lauraine (AIHP�1973)�-�Pascal�Richette (AIHP�1994)�-�Rémy�Salmon (AIHP�1970)Thomas�Schmitz (AIHP�1994)�-�Florian�Scotté -�Julien�Taieb (AIHP�1994).��■

Remerciements aux auteurs de la rubrique spécialités de l’année 2014

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L’hépatite C, du dépistage au traitement, une révolution en marche

Données

épidémiologiques récentes

Bien�que�cela�fasse�plus�de20�ans�que�l’épidémie�d’hé-patite� C� ait� émergée� enFrance,� -initialement� liéeaux�soins�et�aux� transfu-

sions,�puis�avec�une�diffusion�très�rapide�parl’utilisation�de�drogues�intraveineuse,�elle�restetout�à�fait�d’actualité�dans�la�communauté,�oùla�toxicomanie�(intraveineuse�et�intranasale)�estdevenue�le�premier�mode�de�transmission,�mal-gré�les�nombreuses�actions�de�réduction�desrisques�mises�en�place�ou�discutées�par�le�mi-lieu�associatif�en�partenariat�avec�les�autoritésde� santé� (programmes� d’échange� de� se-ringues,�substitution,�débat�sur� les�salles�deshoot,�etc.).�Cependant,�c’est�chez�les�patientsinfectés�par�le�VIH�que�l’épidémie�a�pris�une�ré-sonnance�nouvelle�et�particulière�au�milieu�desannées� 1990,� où� la� transmission� par� voiesexuelle� au� sein� de� la� communauté� homo-sexuelle�a�pris�le�pas�sur�les�autres�modes�clas-siques�de�contamination,�augurant�d’un�nouveauvisage�pour�l’épidémie.�En�France�comme�en�Europe,�environ�24�%des�patients�porteurs�du�VIH�sont�aussi�por-teurs�d’une�hépatite�C,�chronique�donc�réplica-tive�et�transmissible�pour�les�trois�quart.�Jusqu’àprésent,�le�génotype�d’hépatite�C�le�plus�fré-quent�était�le�1,�suivi�des�3,2�puis�4�(pour�envi-ron�10�%�des�patients),� les�5�et�6�étant�trèsrares�en�France.�Cependant,�du�fait�d’une�utili-sation�de�plus�en�plus�large�de�la�bithérapieanti-VHC�reposant�sur�le�Peg-Interféron�et�la�ri-bavirine�qui�a�permis�de�guérir�entre�50�et�60�%des�patients�avec�un�génotype�2�ou�3,�et�envi-ron�30�à�40�%�des�génotypes�1,�le�nombre�depatients�porteurs�d’une�hépatite�C�de�génotype4�est�en�pleine�croissance,�croissance�nourriedu�fait�d’une�moins�bonne�réponse�au�traite-ment�(environ�20�%�de�succès)�et�de�la�migra-tion�de�personnes�originaires�d’Afrique�Centrale,

où�le�génotype�4�est�le�plus�prévalent.�Ce�sontdonc�ces�patients�qui,�ajoutés�aux�patients�avecun�génotype�1�en�échec�de�traitement�et�ayantévolué�vers�la�cirrhose,�condensent�les�défisthérapeutiques�auxquels�fait�face�la�commu-nauté�médicale.���

Comment mieux dépister ?

La�proportion�de�patients�traités�pour�l’hépatiteC�a�beaucoup�augmenté�ces�dix�dernières�an-nées,�avec�plus�ou�moins�de�succès�comptetenu�de�l’efficacité�modérée�des�traitements�dis-ponibles�jusque�très�récemment.�Mais�pour�trai-ter,�encore�faut-il�dépister.�Lors�de�la�prise�encharge�initiale�des�patients�dont�l’infection�parle�VIH�)))est�de�découverte�récente,�le�dépis-tage�du�VHC�se�fait�maintenant�de�façon�quasisystématique.�En�revanche,�il�n’est�pas�toujoursrépété�de�façon�régulière�au�cours�du�suivi�despatients,�même�chez�ceux�chez�qui�le�risque�decontamination�est�important�(toxicomanie�ac-tive,�relations�sexuelles�traumatiques�avec�ob-jets�contondants,�d’autant�plus�si�celles-ci�sontconcomitantes�à�la�prise�de�drogues�récréa-tives).�Basé�sur�la�pratique�d’un�test�ELISA�dou-blé�d’une�évaluation�de�la�charge�virale�en�casde�test�positif,�le�dépistage�est�resté�pendantlongtemps�cantonné�aux�structures�de�soins.�Cependant,�l’activisme�des�associations�a�per-mis�de�faire�sortir�le�dépistage�des�milieux�desoins�pour�investir�la�communauté,�grâce�à�l’uti-lisation�de�tests�rapides,�soit�sanguins�soit�sali-vaires,�utilisés�comme�des�outils�d’orientationavant�un�dépistage�plus�formel.�Parfois�coupléà�un� test� rapide�VIH,� ce�TROD� (test� rapided’orientation�et�de�dépistage)�devrait�permettrede�toucher�les�patients�les�plus�rétifs�à�une�priseen�charge�institutionnelle�initiale.�

Au-delà�du�dépistage�de�l’infection�elle-même,l’autre�enjeu�majeur�auquel�les�médecins�res-tent�confrontés�au�quotidien�est�celui�du�dépis-tage� des� complications� liées� à� l’hépatite� C. ►

Auteurs

Karine Lacombe

(AIHP�1994)

Julie Bottero

(AIHP�2003)

Hôpital�Avicenne,�servicedes�maladies�infectieuseset�tropicales,�APHP.Université�Paris�13-ParisCité�Sorbonne,�Bobigny.

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Avec�l’augmentation�de�l’espérance�de�vie�despersonnes�porteuses�du�VIH�(qui�a�rejoint�cellesdes�personnes�non� infectés�par� le�VIH�si� laprise�en�charge�initiale�a�lieu�avant�le�taux�delymphocytes�CD4+�soit�passé�sous�le�seuil�des500/mm3),�les�décès�de�cause�hépatique�sontdevenus�la�3e cause�de�mortalité�chez�ces�pa-tients�(après�les�maladies�classant�sida�et�lescancers�non�sida).�Pour�être�efficace,�le�dépis-tage�de�ces�complications�(principalement�lacirrhose�et�le�cancer�du�foie)�doit�être�régulier(tous�les�ans�en�cas�d’atteinte�hépatique�peugrave�et�semestriel�pour�les�patients�pré-cirrho-tiques�et�cirrhotiques)�et�basé�sur�l’associationde�l’imagerie�(échographie�hépatique�par�un�ra-diologue�expérimenté�qui�demandera�un�scan-ner�ou�une�IRM�en�cas�d’image�anormale)�à�unexamen�clinique�approfondi�et�à�des�dosagesde�marqueurs�sanguins�(alpha-foeto-protéine).�Enfin,�chez�les�patients�les�plus�malades�(cir-rhose�décompensée,�carcinome�hépato-cellu-laire),�l’orientation�précoce�vers�une�équipe�detransplantation�hépatique�est�la�seule�façon�deleur�assurer�une�prise�en�charge�optimale�dontdépendra�leur�chance�de�survie.�Ainsi,�la�miseen�place�plus�généralisée�de�binômes�infectio-logue�/�hépatologue�pour�ces�patients�à�la�ges-tion�complexe�pourrait�permettre�de�faciliter�cesprocédures�de�dépistage�et�d’orientation.

La révolution thérapeutique

Jusqu’en�2011,�le�traitement�de�l’hépatite�C�re-posait�sur�l’association�Peg-Interféron�+�ribavi-rine,�administrés�respectivement�en�injectionsous-cutanée�hebdomadaire�et�par�comprimésbi-quotidiennement�pour�une�durée�totale�de�6à�18�mois�selon�les�cas.�L’efficacité�de�cette�bi-thérapie,�globalement�de�l’ordre�de�50�%,�variaitfortement�notamment�en�fonction�du�génotypedu�VHC,�de�la�sévérité�de�la�fibrose�hépatique,de�l’existence�d’une�co-infection�VIH,�de�carac-téristiques�génétiques�du�patient�et�de�la�duréede�traitement.�Outre�son�efficacité�relativementrestreinte,�la�bithérapie�Peg-Interféron�+�ribavi-rine était�le�plus�souvent�mal�tolérée�avec�fatigue,perte�de�poids,�dépression,� toxicité�hématolo-gique,�troubles�cutanéo-muqueux,�etc.,�d’autantplus�difficile�à�supporter�que�le�traitement�étaitlong.�Ces�dernières�années,�de�nouvelles�moléculesdites�agents�antiviraux�directs�(DAA)�ont�été�dé-veloppées.�Du�fait�de�leurs�cibles�spécifiques

du�cycle�de�réplication�du�VHC,�ces�moléculeset�surtout�celles�dites�de�2e génération�(succé-dant�au�Telaprévir�et�Bocéprévir,�inhibiteurs�deprotéase�de�1ère génération),�s’avèrent�particu-lièrement�efficaces�et�bien�tolérées.�Dans�unpremier�temps,�ces�molécules�ont�été�utiliséesen�association�au�Peg-Interféron�et�à�la�ribavi-rine�pour�réduire�la�durée�de�traitement�néces-saire�et�augmenter�l’efficacité.�Désormais,�cesont�surtout�les�associations�de�DAA�agissantsur�des�cibles�différentes�(principalement�la�pro-téase,�la�polymérase�et�la�NS5A)�qui�sont�privi-légiées,�pour�une�durée�de�12�à�24�semaines,parfois�en�association�avec�la�ribavirine.�L’effica-cité�de�ces�associations,�très�faiblement�pour-voyeuses� d’effets� secondaires,� est� estimée,dans�la�plupart�des�cas�documentés�à�ce�jour,supérieure�à�90�%.

Début�2015�les�principaux�agents�anti-VHC�di-rects�disponibles�en�France�sont�les�inhibiteursde�polymérase�NS5b�(Sofosbuvir,�Dasabuvir),les�inhibiteurs�de�NS5a�(Daclatasvir,�Ledipasvir,Ombitasvir)�et�les�inhibiteurs�de�protéase�(Si-meprevir,�Paritaprevir).�Parmi�ces�molécules,seul�le�sofosbuvir�est�actif�sur�tous�les�génotypesdu�VHC,�les�autres�étant�actifs�sur�le�génotype�1et�parfois�le�génotype�4�voir�partiellement�sur�legénotype� 3.� D’autres� molécules� pangénoty-piques�(notamment�les�GS�5816,�MK�5192�etMK�8742)�devraient�être�disponibles�dans�lesprochains�mois.�Tenant�compte�de�la�mise�à�dis-position�progressive�de�ces�molécules�et�des�ré-sultats�des�essais,�les��schémas�thérapeutiquespossibles�et�donc�les�recommandations�de�trai-tement�évoluent�rapidement.�En�France�celles-ci�sont�édictées,�mises�à�jour�et�publiées�parl’Association�Française�pour� l’Etude�du�Foie(AFEF)�(http://www.afef.asso.fr/).�

Parallèlement� à� ces� recommandations� etcompte-tenu�des�coûts�financiers�importants�deces�molécules,�des�conditions�restrictives�deremboursement�ont�été�formulées�par�le�minis-tère�de�la�santé�et�sous�avis�de�la�HAS�(HauteAutorité� en� Santé).� Celles-ci� impliquent� latenue,�dans�les�pôles�de�référence�hépatites,d’une�réunion�de�concertation�pluridisciplinaireet� le�respect�des� indications�de�prescription.Début�2015,�les�associations�de�DAA�ne�peu-vent�être�remboursées�que�dans�les�indicationsdes�ATU�(Autorisation�Temporaire�d’Utilisation)

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de�cohorte�préalablement�mises�en�place�à�sa-voir�pour�des�patients�ayant�une�fibrose�hépatiqueavancée,�une�cirrhose�ou�des�manifestationsextra-hépatiques�du�VHC�voire,�pour�certainsDAA,�aux�patients�transplantés�hépatique�ourénal�ou�sur�liste�d’attente�pour�une�transplan-tation�hépatique.�Le�sofosbuvir�peut�par�ailleursêtre�prescrit,�quel�que�soit�le�stade�de�fibrosehépatique,�en�association�avec�la�ribavirine�+/-le�Peg-Interféron,�chez� l’adulte�concomitam-ment�infecté�par�le�VIH�ou�atteint�de�cryoglobu-linémie� mixte� symptomatique� ou� atteint� delymphome�B�associé�au�VHC.

Si�l’on�comprend�bien�l’organisation�mise�enplace�dans�un�premier�temps�par�les�autoritésde�santé�au�vu�de�la�nouveauté�de�ces�traite-ments�et�de�leur�coût�financier,�il�serait�souhai-table� à� l’avenir� d’élargir� et� d’assouplir� cesconditions� de� prescriptions,� afin� de� pouvoirprendre��en�charge�un�plus�grand�nombre�depersonnes�infectées�et�ainsi�réduire�le�risque�detransmission�et�la�morbi-mortalité�globale.

Conclusion

Le�visage�de�l’épidémie�d’hépatite�C�va�trèsprobablement�changer�dans�les�années�à�veniret�l’avènement�des�nouvelles�stratégies�de�trai-tement�plus�courtes,�mieux�tolérées�et�beau-coup�plus�efficaces�fait�dire�à�certains�que�dans10�ans,�le�VHC�appartiendra�au�passé…�En�at-tendant,�de�nombreux�enjeux�persistent�pour�lecorps�médical�et�la�communauté�:�enrayer�l’épi-démie� dans� la� communauté� homosexuelle,mieux�dépister�les�complications,�orienter�suffi-samment�tôt�les�malades�les�plus�atteints�versles�structures�de�soins�les�plus�adaptées,�finan-cer�les�nouvelles�stratégies�de�traitement�quidevraient�concerner�un�plus�grand�nombre�demalades,�et�enfin�faire�preuve�de�solidarité�avecles�pays�du�Sud�qui�concentrent�la�majorité�despatients�infectés,�mais�où�l’accès�au�traitementreste�encore�une�utopie�pour�beaucoup.��■

Infection à Clostridium difficile : recommandations de prise en charge

Introduction

Clostridium difficile,�bactérie�àgram�positif�anaerobie,�spo-rulée�est�actuellement�consi-déré� comme� le� principalmicroorganisme� responsa-

ble�des�diarrhées�associées�aux�soins.L’intérêt�porté�à�ce�germe�remonte�maintenantà�plusieurs�années,�en�raison�de�la descriptionen�Amérique�du�Nord,�puis�en�Europe,�d’épidé-mies�associées�à�une�augmentation�des�formessévères,�de�la�mortalité�et�d’une�moins�bonneréponse�au�traitement�par�le�métronidazole.�1,2,3

Epidémiologie

En�France,�l’incidence�des�infections�à�Clostri-dium difficile (ICD)�augmente�et�est�estimée�à3,6�cas�pour�10�000�journées�d’hospitalisation.Cette� augmentation� est� expliquée� par� uneréelle�augmentation�de�l’infection�mais�aussi�àune�plus�grande�sensibilisation�à�cette�infection,entraînant� une� recherche�plus� systématiquechez�certains�cliniciens.

Facteurs de risque

Les�principaux�facteurs�de�risque�d’ICD�se�ré-partissent�habituellement�en�trois�groupes�:�les

Auteurs

Jean-Luc Meynard

(AIHP�1987)

Service�des�Maladies�Infectieuses�et�TropicalesHôpital�Saint-Antoine.�AP-HP.

Frédéric Barbut

Unité�d’Hygiène�et�de�Lutte�contre�les�Infections��Nosocomiales.�HôpitalSaint-Antoine�-�AP-HP.

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facteurs�liés�au�patient,�ceux�en�rapport�avec�unedysbiose�intestinale�et�les�facteurs�favorisant�lecontact�avec�les�spores�de�C. difficile.�Ces�fac-teurs�sont�regroupés�dans�le�tableau 4,5.

Principales manifestions cliniques

C. difficile peut�être�retrouvé�chez�3�%�de�la�po-pulation,�posant�le�problème�de�la�relation�entreportage�et�infection.�On�distingue�deux�présen-tations�distinctes�des�infections�à�ICD�:�les�diar-rhées�post-antibiotiques�de�sévérité�variable�etles�colites�pseudo-membraneuses�(CPM)�6,7.

Les�principales�difficultés�thérapeutiques�concer-nent�la�prise�en�charge�des�formes�compliquéesd’ICD�et�la�problématique�des�récidives�multiples.La�colite�fulminante�et� le�mégacôlon�toxique(diamètre�du�colon�>�6�cm�sur�le�cliché�d’abdo-men�sans�préparation)�nécessitent�une�prise�encharge�médico-chirurgicale.�Ces�deux�compli-cations�sont�associées�à�des�manifestationssystémiques�associant�altération�de�l’état�géné-ral,�diarrhée�profuse,�abdomen�chirurgical,�chochypovolémique�et�grande�hyperleucocytose�(≥20.000/mm3).�Parfois,�au�cours�du�mégacôlontoxique,�la�diarrhée�peut�être�absente.

A�côté�de�ces�formes�compliquées,�difficiles�àprendre�en�charge,�les�récidives�d’ICD�particu-lièrement�fréquentes (25�%�après�un�premierépisode�8,9 sont�aujourd’hui�un�des�principauxchalenges�thérapeutiques.La�mise�à�disposition� récente�d’un�nouveaumédicament,�la�fidaxomicine�a�amené�les�ex-perts�européens�de�Microbiologie�et�MaladiesInfectieuses�à�réactualiser� les�recommanda-tions�thérapeutiques�de�l’infection�à�ICD�10.Ce�sont�ces�recommandations�qui�vont�être�ré-sumées�dans�la�suite�de�cet�article.

Concernant�le�diagnostic�microbiologique,�il�fautsouligner�qu’il�n’existe�pas�à�l’heure�actuelle�detest�parfaitement�standardisé.Néanmoins,�un�ou�plusieurs�algorithmes�ont�étéproposés�par�les�sociétés�savantes.�Ces�algo-rithmes�proposent�en�première�intention�la�réa-lisation�d’un�premier�test�ayant�une�excellentevaleur�prédictive�négative�comme�la�détectionde�la�GDH.�Un�résultat�négatif�permet�d’éliminerle�diagnostic�d’ICD�alors�qu’un�résultat�positifse�doit�d’être�confirmé�par�une�autre�méthode(test�immunoenzymatique�détectant�les�toxines

A�et�B,�test�de�cytotoxicité�des�selles,�méthodesmoléculaires�ou�culture�toxigénique11,12,13).Avant�de�détailler�les�recommandations�théra-peutiques,�il�convient�de�définir�certains�para-mètres�qui�ont�conduit�à�les�établir�:

Réponse thérapeutique

Elle�doit�être�évaluée�au�moins�3�jours�après�ledébut�du�traitement.�Il�est�classiquement�décritque�la�réponse�au�traitement�peut�être�plus�longue(3�à�5�jours)�avec�le�métronidazole�14,15,16.La�réponse�clinique�est�définie�par�une�diminu-tion�du�nombre�de�selles,�l’augmentation�de�leurconsistance�et�l’amélioration�des�paramètresbiologiques.

Rechutes

La�majorité�des�rechutes�surviennent�dans�les8�semaines�suivant�l’épisode�initial.�Parmi�lesfacteurs�pronostic�associés�au�risque�de�réci-dive�d’ICD,�on�retrouve�:�l’âge�>�65�ans,�la�pour-suite�du�traitement�antibiotique,�l’existence�decomorbidité/�et/ou�l’insuffisance�rénale,�l’exis-tence�d’une�ICD�antérieure�(≥�1),� l’utilisationd’IPP,�une�présentation�sévère�de�l’ICD.

Marqueurs de sévérité de l’ICD

Certaines�études�cliniques�ont�montré�une�su-périorité�de�certains� régimes� thérapeutiquesselon�le�degré�de�sévérité�de�la�maladie,�enparticulier�dans�les�formes�sévères�ou�la�van-comycine�à�la�posologie�de�125�mg�x�4/j�est�su-périeure�au�métronidazole�(500�mg�x�3/j)�17.

Dans�les�dernières�recommandations�de�l’EC-MID,� l’ICD� est� considérée� comme� sévèrelorsqu’un�ou�plus�des�éléments�suivants�sont�pré-sents�:�leucocytes�>�15.000/mm3,�albumine�<�30g/l,�créatinine�≥�133�µmol/l�ou�1,5�la�valeur�initiale.L’infection�à�Clostridium difficile sans�signe�decolite�sévère�chez�des�patients�âgés�de�plus�de65�ans�avec�comorbidités,�admission�en�Réa-nimation�ou�la�présence�d’une�immunodépres-sion�peut�également�être�considérée�comme�àrisque�de�développer�une�ICD�sévère.

Recommandations thérapeutiques des ICD

Traitement�des�formes�non�sévèresDans�les�cas�des�ICD�non�sévères�(absencede�signe�de�colite�sévère),�ou�situation�non�épi-démique�et�lorsque�l’ICD�est�clairement�induitepar� les� antibiotiques,� il� peut� être� proposé

Références

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d’arrêter�les�antibiotiques�responsables�et�d’éva-luer�la�réponse�thérapeutique�pendant�48�h.�Cetteattitude�doit�si�elle�est�proposée�être�suivie�d’unesurveillance�très�étroite�(Grade�C�II).Dans�l’immense�majorité�des�ces�cas,�il�est�plu-tôt�recommandé�d’utiliser�un�traitement�antibio-tique�par�métronidazole�(500�mg�x�3/jour�P0pendant�10�j)�(Grade�AI).L’alternative�est�représentée�par�la�vancomy-cine�(150�mg�x�4/j�pendant�10�j)�(Grade�B1)�oula� fidaxomicine� 200� mg� x� 2/j� pendant� 10� j(Grade�BI).Dans�cette�situation�de�forme�non�sévère,�il�n’ya�pas�de�donnée�suffisante�qui�permet�de�re-commander�l’usage�des�probiotiques,�des�anti-corps�monoclonaux.

Traitement�des�formes�sévèresBasée�sur�ses�propriétés�pharmacocinétiques,la�vancomycine�est�considérée�comme�supé-rieure�au�métronidazole�pour�le�traitement�desICD�sévères.�La�posologie�recommandée�estde�125�mg�x�4/j�(Grade�AI).�En�effet,�il�n’y�a�pasde�donnée�suffisante�pour�recommander�unedose�supérieure�de�vancomycine�en�dehors�del’existence�d’un�iléus.

L’alternative�est�représentée�par�la�fidaxomicine200�mg�x�2/j�pendant�10�j�(Grade�BI),�surtout�enraison�du�peu�de�données�sur�les�formes�sé-vères.�Néanmoins,�dans�une�sous-analyse�desdeux�essais�pivots,�l’efficacité�dans�les�formessévères�de�la�fidaxomicine�est�comparable�à�lavancomycine.

Place�de�la�chirurgieLa�réalisation�d’une�colectomie�dans�le�cadred’une�ICD�compliquée�est�recommandée�encas�de�:

■��perforation�colique,■��mégacôlon�toxique,■ iléus�sévère.Un�taux�de�lactate�augmenté�doit�faire�discuter�lachirurgie�(intervention�avant�taux�de�lactates�>�5).

Traitement des formes récurrentes

L’incidence�d’une�seconde�récurrence�aprèstraitement�d’une�première�récurrence�par�mé-tronidazole�ou�vancomycine�est�comparable.Dans�cette�situation,�la�fidaxomicine�apporte�unbénéfice�significatif�réduisant�de�50�%�le�risquede�récidive.�Néanmoins,�les�recommandationsde� l’ECMID�mettent� les� deux� molécules� aumême�niveau�(B1).

Traitement des récidives multiples

Dans�les�formes�non�sévères�(seconde�ou�≥��2récurrence�of�ICD),�la�vancomycine�orale�ou�lafidaxomicine�est�recommandée�mais�après�unepremière�récurrence,�il�existe�un�bénéfice�signi-ficatif�de�la�fidaxomicine.

Dans�les�situations�de�récidives�multiples,�c’estla�transplantation�fécale�qui�apporte�les�meil-leurs�résultats�avec�une�réduction�du�risque�deplus�de�80�%.

Conclusion

C. difficile est�un�enteropoathogène�majeur,�pre-mier�agent�des�diarrhées�associées�aux�soins.Des�avancées�thérapeutiques�permettent�deréduire�le�risque�de�récurrence,�soit�avec�la�fi-daxomicine�pour�les�patients�à�risques�de�réci-dives�ou�après�un�premier�épisode.En�cas�d’épisodes�multiples,�la�transplantationfécale�est�le�traitement�de�choix.��■

11 Cohen�SH,�Gerding�DN,Johnson�S,�et�al.�Clinical practiceguidelines for Clostridium�difficileinfection in adults : 2010 updateby the society for healthcare epi-demiology of America (SHEA)and the infectious diseases so-ciety of America (IDSA).�InfectControl�Hosp�Epidemiol�2010May;31(5):431-55.12 Crobach�MJ,�Dekkers�OM,Wilcox�MH,�Kuijper�EJ.�EuropeanSociety of Clinical Microbiologyand Infectious Diseases (ES-CMID): data review and recom-mendations for diagnosingClostridium�difficile-infection(CDI).�Clin�Microbiol�Infect�2009Dec;15(12):1053-66.13 Cheng�AC,�Ferguson�JK,�Ri-chards�MJ,�et�al.�Australasian So-ciety for Infectious Diseasesguidelines for the diagnosis andtreatment of Clostridium�difficileinfection. The�Medical�journal�ofAustralia��Apr�4;194(7):353-8.14 Kuijper�EJ,�Wilcox�MH.�Edi-torial commentary: decreased ef-fectiveness of metronidazole forthe treatment of Clostridium�diffi-cile infection? Clin�Infect�Dis2008;�47:�63–65.15 Nassir�Al�WN,�Sethi�AK,�Ne-randzic�MM,�Bobulsky�GS,�JumpRLP,�Donskey�CJ.Comparison of clinical and micro-biological response to treatmentof Clostridium�difficile-associateddisease with metronidazole andvancomycin.�Clin�Infect�Dis�2008;47:�56–62.16 Wilcox�MH,�Howe�R.Diarrhoea caused by Clostridiumdifficile : response time for treat-ment with metronidazole andvancomycin.�J�Antimicrob�Che-mother�1995;�36:�673–679.17 Johnson�S,�Louie�TJ,�Ger-ding�DN,�et�al.�Vancomycin, me-tronidazole, or tolevamer forClostridium�difficile�infection: re-sults from two multinational, rando-mized, controlled trials.�Clin�InfectDis�2014�Aug;59(3):345-54.

Facteurs�d’exposition

■�Forte�pression�de�colonisation■�Prolongation�des�séjours�hospitaliers�ou�en�structures�de�soins■�Voisin�d’un�patient�infecté■�Occuper�une�chambre�qui�a�hébergée�un�patient�infecté■�Séjours�en�soins�intensifs

Facteurs�favorisants�la�colonisation

■�Antibiotiques�à�large�spectre(3�catégories)■�Inhibiteurs�pompes�à�protons■�Anti-acides■�Chimiothérapies■�Lavements■�Sondage�nasogastrique�et�chirurgie�gastrointestinale■�Laxatifs

Facteurs�liés�à�l’hôte

■�Age�:�>�65�ans■�Co-morbidités�associées�et�leur�sévérité■�Immunodépressions■�Statut�immunitaire�(taux�anticorps�neutralisant)■�Femme�>�homme■�Antécédent�d’ICD

▲ Facteurs�de�risque�d’ICD.�Bignardi�et�al,�JHI�1998�:�Cohen��et�al,�ICHE�2010.

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Une�épidémie�est�une�aug-mentation�rapide�en�un�lieuet� en� un� moment� d’unemaladie.� Cette� définitionest� habituellement� réser-

vée�aux�maladies�«�transmissibles�»�:�ce�n’estpas�le�cas�du�diabète�(même�si�des�études�ré-centes�ont�étudié�de�près�les�bactéries�intesti-nales�et�ont�démontré�un�rôle�possible�de�cesdernières�dans�la�physiopathologie�de�la�mala-die).�Cette�terminologie�est�donc�employée�ausens� figuré� :� c’est� indirectement� une� bonnenouvelle�car�qui�dit�épidémie,�dit�cause�donc�ac-tion.�Ces�actions�sont�urgentes.�L’OMS�a�dé-nombré�environ�250�millions� de�diabétiquesdans�le�monde�dans�les�années�2000�et�a�pré-dit�un�doublement�à�plus�de�400�millions�pourles�années�2030�:�ces�chiffres�sont�pratique-ment�atteint�plus�d’une�décennie�à�l’avance.�EnFrance,� le� pourcentage� de� diabétiques� estpassé��en�une�décennie�de�2.5�à�4.5�%�de�lapopulation.�Ce�sont�près�de�3�000�000�de�noscompatriotes�qui�sont�diabétiques.�Il�y�a�des�dis-parités�en�lien�avec�les�départements�les�moinsfavorisés�qui�ont�le�plus�de�diabétiques.�Pire,�cetexcès�de�pourcentage�s’accompagne�en�généralinversement�d’une�moins�bonne�prise�en�chargeet�d’une�plus�grande�difficulté�d’accès�aux�soins�:les�politiques�des�divers�gouvernements�ne�«�s’at-taquent�»�pas�de�façon�efficace�à�ce�problème.�

Le�diabète�de�type�2�est�la�conséquence�d’uneinteraction�entre�des�gênes�favorisants�(rôle�del’hérédité)�et�un�environnement�plus�ou�moinspermissif.�Les�gênes�incriminées�sont�un�véri-table�cocktail�de�plusieurs�centaines�qui�ne�sontpas�précisément�identifiés�et�qui�varient�selon

les�populations.�Ce�mélange�de�gênes�prédis-posant�à�l’obésité�et�au�diabète�sont�des�gênesd’épargne�:�les�personnes�qui�mangent�très�peuet�grossissent�«�quand�même�»�en�possèdentprobablement� en� grande� quantité.� Même� sicette�théorie�a�été�récemment�contestée,�il�estprobable�que�dans�les�siècles�précédents�lesrestrictions�alimentaires�notamment�longues,répétées�et�intenses�ont�favorisé�la�survie�deceux�qui�se�contentaient�de�peu�pour�vivre�doncde�survivre�:�il�n’y�avait�aucune�possibilité�destockage�alimentaire.�Cet�avantage�sélectif�estdevenu�un�désavantage�avec�la�concentrationdes�gênes�délétères�parmi�les�survivants�(parti-culièrement�notable�dans�les�iles,�par�exemple)�etsurtout�se�sont�«�exprimés�»�devant�la�surabon-dance�alimentaire�liée�à�la�révolution�industrielle�:consommation�hypercalorique,�conserves,�surge-lés…�Pour�prévenir�le�diabète�de�type�2,�on�pour-rait�donc�d’agir�sur�les�"deux�causes",�les�gêneset/ou�sur�l’environnement.

Agir sur les gènes

La�chirurgie�génétiqueLa�chirurgie�génétique�a�l’ambition�de�rempla-cer� les� gènes�défectueux.�C'est� un� objectiflouable� pour� les� maladies� monogèniques(mucoviscidose,� certaines� myopathies…).Ce�n’est�pas�encore�possible.�Dans�le�cadre�ducontexte�multi�génique�du�diabète�de�type�2�cen'est�de�plus�probablement�pas�souhaitable.

Médicaments�modulant�l’expression�des�gènesOn�sait�depuis�longtemps�que�la�réponse�à�unmême�médicament�peut�être�différente�selonles�sujets.�Il�existe�de�nombreuses�explicationsà�cela,�une�des�plus�probables�et�des�moins

Prévenir l’épidémie dudiabète : comportementou médicament ?Ou pourquoi le diabètede type 2 ne devrait pas exister

Focus : diabétologie

Auteur

Jean-Jacques Altman

(AIHP�1972)

PU-PH,�Chef�de�servicediabétologie,�HEGP�-�AP-HP.

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documentés�est�la�variation�dans�le�capital�gé-nétique.�Actuellement,�la�quasi-totalité�des�es-sais� des� nouvelles� molécules� de� l’industriepharmaceutique�comporte�une�banque�d'ADNdans�l’espoir�de�cibler�les�meilleurs�répondeurs.Il�y�a�un�certain�cynisme�dans�cette�démarchecar�la�majorité�des�firmes�préfère�un�médica-ment�qui�guérirait�«�tous�les�diabétiques�»�sansvraiment�de�soucis�physiopathologique�ou�phé-notypiques�et�donc�probablement�encore�moinsgénotypiques.�Pourtant�si�la�cible�était�mieuxdéterminée,�les�médicaments�auraient�certai-nement�plus�d’efficacité�chez�les�«�ciblés�».�Queles�médicaments�agissent�via�ou�sur�les�gênes,c’est�déjà�le�cas�de�nombreux�antidiabétiques.Les�glitazones�agissent�sur�plusieurs�centainesd’entre�eux,�mais�y�compris�sur�des�«�bons�».Cela�a�été�à�l’origine�de�déboires�qui�ont�mêmefini�par�faire�retirer�ces�molécules�du�marché.�De�nombreuses�molécules�sont�officiellementà�l’étude�pour�améliorer�l’insulino-résistance,l’insulino-sécrétion,�lutter�contre�l’apoptose�bétapancréatique.�Il�est�possible�que�l’on�puisse�unjour�mettre�au�point�une�molécule�agissant�surles�gênes�responsables�de�la�lipolyse�périphé-rique,�sans�effet�indésirable�?�

Agir sur l’environnement : est-ce vraiment

plus facile ?

Généralités�:�l’environnement�changeL’environnement�semble�évoluer�d’une�manièreinéluctable,�on�ne�peut�influencer�aucun�«�pro-grès�».�En�dehors�d’une�crise�grave�de�l’éner-gie,�personne�ne�songe�à�revenir�en�arrière�etse�priver�de�l’électricité,�de�l’essence,�de�trans-port,�de�téléphone�portable.�Certains�environ-nements��qui�semblent�éternels�sont�en�faittrès�récent�:�les�boissons�sucrées�sont�pré-sentes�en�France�depuis�un�peu�plus�de�50années,�les�«�fast�food�»�habillement�renom-mées�les�«�néfastes�food�»�sont�encore�plus�ré-centes.�La�communication�des�responsablesest� devenue�plus� éthique,� les� supers� excèssont�réprouvés.�Il�y�a�donc�de�discrets�encou-ragements�:�la�disparition�pure�et�simple�de�sesdeux�«�progrès�»,�sodas�et�hamburgers,�ne�nui-rait�pas�à�la�santé�des�populations�

La�personne�concernée�peut�changer�:�sa-voir/vouloir/pouvoirSavoir�:● Dans�ces�domaines,�les�connaissances�des

français�sont� très� insuffisantes.�Plusieurs�di-zaines� de� pourcent� de� diabétiques� ignorentquel�est�leur�type�de�diabète.�●�Il�y�a�une�véritable�cécité�devant�des�antécé-dents�familiaux�même�quand�«�tout�le�monde�»est�diabétique,�ou�inversement�on�croit�à�unefatalité�héréditaire.�●�Il�y�a�en�France�un�véritable�analphabêtismediététique�(y�compris�dans�le�corps�médical…).Pourtant�le�message�«�manger�mieux�et�bougerplus�»�y�compris�sur�le�site�gouvernemental�dumême�nom,�apparait�comme�simplet�et�n'estpas�suivi�:�«�ce�n'est�pas�la�peine�d'avoir�fait�15ans�d'études�pour�me�dire�ça�».�Il�est�peut�êtresouhaitable�de�présenter�les�faits�de�manièreplus�scientifique�:�-�Le�syndrome�de�sédentarité�peut�être�expliquéavec�beaucoup�de�chiffres�étudiant�par�exemplel’endurance�cardiorespiratoire,�l’insulino-sensibi-lité,�les�transporteurs�et�les�récepteurs�du�glucose,les�hormones,�la�biologie�moléculaire…-�Il�est�possible�de�citer�les�nombreuses�étudesqui� ont� démontré� que� l’activité� physique� etl’amélioration�de�l’alimentation�pouvait�prévenirl’obésité�et�le�diabète�pendant�des�décennies�:étude�DaQing,�DPP,�DPS.

Vouloir●�Les�patients�ont�l’habitude�de�mettre�en�avantune�multitude�d’obstacles�qui�les�empêcheraitde�faire�un�«�régime�»�ou�de�pratiquer�une�«�ac-tivité�physique�».�Au�nombre�de�ceux-ci,�il�y�a�lesobstacles�culturels,�familiaux�(ma�belle�mère,�mafemme�font�trop�bien�à�manger),�financiers,�pro-fessionnels,�religieux…�Cette�liste�est�finalementsouhaitable�non�pour�renoncer�mais�pour�identifierles�obstacles�et�les�dépasser.�●�L’obstacle�principal�est�en�fait�d’ordre�psycho-logique.�Les�mots�«�changer�de�mode�de�vie�»(way�of�life)�sont�d’ailleurs�une�expression�d’unegrande� violence.� Personne,� notamment� enbonne�santé�apparente,�ne�le�veut�vraiment.�Lesrésultats�sont�au�final�désastreux�:�en�France�laprise�de�poids�moyenne�de�la�population��sur�troisannées�est�d’environ�1000�g�ce�qui�fait�10�kilos�en30�ans…,�le�temps�passé�devant�un�écran,�enparticulier� de� télévision,� déjà� supérieur� à� troisheures�quotidienne,�augmente�rapidement…

Pouvoir●�Les�pressions�économico�politiques�sont�ma-jeures�dans�le�monde�entier.�Le�sucre,�l’huile ►

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sont� subventionnés� dans� de� très� nombreuxpays.�La�pression�des�lobbies�agro-alimentairesjointe�à�celle�de�l’industrie�pharmaceutique�estparmi�les�plus�puissantes�du�monde.�●�Il�faut�donc�réagir�et�ceci�est�possible�à�troisniveaux�:�-�On�peut�rendre�la�société�coupable�de�tout.�Maiselle�ne�peut�pas�non�plus�tout�prendre�en�charge.Tout�le�monde�dit�et/ou�pense�que�c’est�très�tôtqu’il�faut�acquérir�des�notions�de�«�diététique�»�oud’activité�physique�et�se�serait�donc�l’école,�l’insti-tuteur�qui�en�serait�chargé.�Mais�ce�dernier�doitdéjà�apprendre�à�lire,�à�compter,�la�politesse,�l’ins-truction�civique�et�maintenant�une�langue�étran-gère,�l’informatique�sans�négliger�la�musique…De�plus,�les�instituteurs�n’ont�pas�la�formation�né-cessaire�dans�ce�domaine.�On�ne�peut�donc�pasleur�demander�de�faire�cela�en�plus.�-�La� responsabilité� familiale�est�donc� impor-tante.�Malheureusement,�ici�l’exemplarité�risqued’être�néfaste.�On�connait�les�familles�de�spor-tifs�(pas�nécessairement�des�champions)�où�lesenfants�vont�«�automatiquement�»�faire�aussibien�que�leurs�parents.�C’est�malheureusementplus�souvent�l’inverse�qui�est�vrai�:�les�famillesoù�ont�mange�trop�et�mal,�où�la�sédentarité�estprédominante�sont�un�modèle�beaucoup�ré-pandu�et�imité�et�suivi.�Plutôt�que�de�tout�rejetersur�les�autres�et�la�société,�c’est�possiblementune�responsabilité�parentale�de�contribuer�for-tement�à�la�bonne�alimentation�de�ses�enfants.�-�Reste� l’individu.� Il� doit� passer�par� les� troisétapes�décrites.�Il�doit�d’abord�savoir,�ce�stadeest�théoriquement�le�plus�facile�à�acquérir.�Il�doitensuite�vouloir,�un�degré�supplémentaire��de�dif-ficultés.�Mais�à�partir�du�moment�où�on�sait�etoù�on�veut,�il�est�garanti�que�l’on�peut.�

Conclusion

Probablement� que� de� nombreux� gouverne-ments,�pays,�familles,�essayent�d’avoir�des�ac-tions�mais� il�est�certain�qu’elles�sont�en�faillitedevant�l’implacabilité�des�chiffres�de�l’épidémie.On�ne�peut�probablement�pas�changer�le�modede�vie�de�toute�une�population,�d’un�continent.�Ilest�triste�de�savoir�que�si�la�surnutrition�est�unfléau,�il�est�beaucoup�moins�important�que�sonpendant,�la�dénutrition.�Peut�être�qu’il�convient�detenter�des�actions�limitées�et�évaluables�qui�pour-raient�faire�école�:�●�Sur�une�ordonnance�d’un�patient�diabétique,�onpourrait,�on�devrait�écrire�:�

A. essayer�de�respecter�les�principaux�conseilsalimentaires,�B. pratiquer�une�activité�physique�significa-tive.�(un�comprimé�d’activité�physique�matin,midi�et�soir…!!!).Certaines� assurances� et� mutuelles� proposentd'ailleurs�des�prises�en�charge�partielles�des�fraisengendrés�par�une�inscription�à�un�«�club�»�desport.�Ce�n’est�qu’en�troisième�lieu�qu’on�devraitécrire�les�prescriptions�d’éventuels�médicaments.�●�Faire�une�prévention�ciblée�où�deux�modèlespeuvent�être�proposés�:�A. Vu�la�composante�de�prédisposition�génétiquetrès�importante�dans�le�diabète�de�type�2,�il�est�li-cite�de�demander�au�probant�de�participer�à�l’édu-cation� de� son� environnement� familial� et� enpremier�lieu�ses�enfants.�Cela�peut�être�fait�parexemple�par�des�documents�simples�d’une�page,rappelant�le�risque,�sa�non�fatalité,�l’intérêt�de�semaintenir�à�un��poids�normal,�de�pratiquer�une�ac-tivité�physique�régulière,�de�manger�équilibré�et�àpartir�d’un�certain�âge�de�faire�un�dépistage�sys-tématique�du�diabète.B. Une�autre�cible�adéquate�est�le�suivi�après�undiabète�gestationnel.�Il�concerne�au�moins�unegrossesse�sur�dix�en�France,�soit�pas�loin�de100�000�cas�se�répétant�toutes�les�années.�Lespatientes�ayant�présenté�un�tel�trouble�ont�de�lachance�de�le�savoir�puisqu’elles�peuvent�agir�surle�risque�de�survenue�d’un�diabète�de�type�2�quiva�atteindre�une�femme�sur�trois�dans�les�dix�an-nées�qui�suivent�la�pathologie.�Ce�groupe�est�idéalpour�une�action�:�il�s’agit�de�femmes�responsablesd'enfants,�d’un�âge�jeune�autour�de�la�trentaine,motivées,�qui�viennent�d’acquérir�des�connais-sances�diététiques,�dont�le�trouble�est�particuliè-rement�peu�important�et�hautement�réversible.L'efficacité�des�mesures�pourraient�être�évaluéeaprès�peu�d'années�en�étudiant�simplement�lepoids�et�la�glycémie�d'un�groupe�pris�en�chargeen�comparaison�avec�un�groupe�«�libre�».�Si�danscette�population�«�sélectionnée�»,�on�n’arrive�pasà�mettre�en�place�des�programmes�de�préventionefficace,�il�est�peu�probable�qu’on�y�arrivera�àl’échelon�de�la�population�française�et�mondiale.�

Alors�que�l’obésité�et�le�diabète�ne�devraientpas�exister,�c’est�deux�fléaux�sont�en�pleine�ex-pansion.�Cet�«�éditorial�»�est�une�des�petitescontributions�à�la�lutte�contre�cette�épidémie.�■

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