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Le voyage pour raison de santé dans la France des XVII e et XVIII e siècles Présenté par Lysanne ROUX Sous la direction de M. Gilles Bertrand Mémoire de Master 1 « Sciences humaines et sociales » Mention : Histoire et Histoire de l’art Spécialité : Histoire des relations et échanges culturels in x (R) ersitai ternationau Année univ re 2007‐2008

Le voyage pour raison de santé dans la France des … · Le voyage pour raison de santé dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles . Présenté par Lysanne ROUX Sous la direction

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Le voyage pour raison de santé dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles 

   

  

   

Présenté par Lysanne ROUX   

Sous la direction de M. Gilles Bertrand   Mémoire de Master 1 « Sciences humaines et sociales » Mention : Histoire et Histoire de l’art Spécialité : Histoire des relations et échanges culturels in x (R) 

ersitai

ternationau

Année univ re 2007‐2008 

  

Lysanne Roux 

 

  

Le voyage pour raison de santé dans la France des XVIIe et XVIIIe siècles 

                               

  

  

 

                                       

 

Remerciements  

Je tiens spécialement à remercier mon directeur de recherches, M. Gilles Bertrand qui

m’a aiguillé vers ce sujet et qui m’a dirigé dans une mer de source. Ma reconnaissance va

également aux professeurs qui nous ont suivis au cours de l’année nous prodiguant sans cesse

de précieux conseils.

Toutes mes pensées convergent vers le Québec, merci à ma famille pour leur soutien

constant. Mélissa tu es mon ange gardien. Merci également à mes nouveaux amis, Marie-Alix

pour ton toujours « excellent » café, Louise, Camille, Xavier et Marco, voici enfin venir le

temps du repos bien mérité.

Enfin, un merci tout particulier à toi qui n’a cessé de croire en moi dans les moments

les plus difficiles.

                         

3  

 

Introduction 

 

 

« La France est un des Royaumes les plus riches dans cette partie : elle contient une

quantité prodigieuse d’Eaux Minérales de toutes les espèces : elle réunit par conséquent une

multiplicité de secours réels & efficaces1 ». Les préoccupations relatives à la santé ont

toujours conditionné les comportements humains. Prôné par Hippocrate et Galien, le recours

aux eaux thermales représente, dans l’Antiquité grecque et romaine, l’une de ces stratégies

visant à guérir et à préserver le corps de la maladie. Aujourd’hui encore, les gens sillonnent la

France afin de profiter de traitements et de cures promulguées par les eaux des divers

établissements thermaux. À la fin du Moyen Âge, époque où les pratiques thermales

semblaient oubliées, le regain d’intérêt pour l’Antiquité permet une redécouverte des vertus

curatives de ce remède ancestral. Les XVIIe et XVIIIe siècles marquent le rétablissement du

thermalisme et, à l’image de Michel de Montaigne, pionnier du voyage aux eaux, la France se

remet en marche vers les différentes sources du territoire. Ce sont précisément ces

déplacements à travers la France qui seront au cœur de ce mémoire.

Depuis les années quatre-vingt, l’historiographie portant sur l’histoire de la maladie,

de la médecine et de la santé connaît un intérêt croissant. Pour cause, les notions relevant de

la médecine « sont liées à un état des connaissances, à une idée de la science; elles sont

forcément évolutives : par nature la médecine est historique2 ». L’histoire du thermalisme

nous est aujourd’hui bien connue, mais il semble qu’elle demeure confinée à un état

fragmentaire. Comme notre recherche bibliographique nous a permis de le découvrir, les

différents thèmes d’études historiques touchant le thermalisme et les voyages à l’époque

moderne représentent un large éventail de champs d’enquête. Les ouvrages abordant le thème

du voyage pour raison de santé représentent un ensemble disparate dans lequel nous avons

établi plusieurs sous-groupes. À notre connaissance, il n’existe aucun ouvrage spécifique

traitant du voyage pour raison de santé en France et encore moins pour la période

s’échelonnant du XVIIe au XVIIIe siècle. Une bibliographie diversifiée traitant à la fois du

voyage à l’époque moderne, de la notion de paysage, de la perception du corps, de l’histoire                                                             1 Joseph Bart François CARRÈRE, Catalogue raisonné des ouvrages qui ont été publiés sur les eaux minérales en général, et sur celles de la France en particulier, Avec une Notice de toutes les EAUX MINÉRALES de ce royaume, et un Tableau des différens degrés de température de celles qui sont Thermales, Paris, Rémont, Libraire, 1785, p. 3. 2 Jean-Charles SOURNIA, « L’homme et la maladie », L’Histoire, no 74, janvier 1985, p. 133.

4  

 

de la médecine, de la pensée scientifique et du thermalisme est nécessaire afin d’étudier la

question.

L’historiographie sur le thermalisme est vaste et peut sembler désuète. Puisqu’il s’agit

du siècle d’or du thermalisme, le XIXe siècle fut l‘objet de plusieurs études. Ces ouvrages

nous ont éclairés sur les pratiques thermales de l’époque et nous ont servi de base

comparative. Au milieu du XXe siècle paraît la synthèse exhaustive d’Eugène-Humbert

Guitard, Le prestigieux passé des eaux minérales : histoire du thermalisme et de l'hydrologie

des origines à 1950 (1951). Elle semble toutefois ne pas avoir été réactualisée depuis.

D’autres ouvrages plus spécifiques comme Les amusements des villes d’eaux à travers les

âges (1936) ainsi que plusieurs ouvrages traitant du thermalisme dans une stations ou région

particulière parurent au cours du XXe siècle. L’historiographie du thermalisme demeure

néanmoins parcellaire. L’unicité de chaque station thermale, de son histoire, de son territoire,

contribua certainement au morcellement des recherches. Plus récemment, Paul Gerbod

écrivait Loisirs et Santé, Les thermalismes en Europe des origines à nos jours (2004). Le

livre nécessiterait d’être revisité puisque truffé d’erreurs d’éditions. Malgré ces quelques

nouveautés, l’historiographie sur le thermalisme a grand besoin d’être modernisée et

organisée. Nous tentons donc d’apporter un éclairage sur les pratiques liées au voyage vers la

ville d’eaux ainsi que sur le thermalisme au cours des XVIIe et XVIIIe siècles.

À l’image de notre bibliographie, le corpus de sources nécessaire à l’étude du voyage

aux eaux revêt un caractère hétéroclite. Elles sont d’abord de natures générales, étant

composées de mémoires, de journaux personnels et de correspondances relatant un voyage

vers les sources thermales. Il s’agit ensuite de sources portant sur le voyage en France, telles

des relations, dont plusieurs effectués dans les montagnes. Dans la mesure où il est

impossible de soustraire la notion de destination au concept de voyage thérapeutique, nous

avons recueilli des documents traitant du thermalisme au XVIIe et au XVIIIe siècle. Il s’agit

plus particulièrement de documents étudiant des amusements et du divertissement dans les

villes d’eaux; ce sont également des sources médicales ou des analyses scientifiques sur les

différentes sources thermales. Les sources qui serviront à notre recherche se trouvent

principalement dans le fond ancien de la bibliothèque d’étude et d’information de Grenoble.

Certaines sont des ouvrages numérisés consultés à partir du site de la Bibliothèque nationale

de France, Gallica et de Google Books. Il s’agit d’un corpus restreint puisqu’il ne contient

que les ressources disponibles dans la région grenobloise.

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Nous nous proposons donc d’étudier quelles sont les caractéristiques et les évolutions

du voyage pour raison de santé à travers la France au XVIIe et au XVIIIe siècle. Les dates qui

balisent notre recherche sont celles de 1605, année durant laquelle Henri IV créa la

surintendance générale des Bains et Fontaines minérales du royaume, et 1789, année où les

événements révolutionnaires vinrent causer une rupture dans la pratique du voyage aux eaux.

À cette époque, les sources thermales semblent être la destination par excellence des voyages

pour raison de santé; les voyages en direction des villes d’eaux seront donc au centre de notre

étude. Il est d’abord nécessaire de s’interroger sur les villes d’eaux. Quelles sont leurs

caractéristiques? Évoluent-elles d’un siècle à l’autre? Pour le XVIe et le début du XVIIe

siècle, Jacqueline Boucher soutient qu’à l’image de Montaigne, les baigneurs procédaient par

essais et erreurs en raison d’une perception peu scientifique des sources thermales3. Mais est-

ce toujours le cas aux XVIIe et XVIIIe siècles? Quels rôles tiennent les divertissements et les

mondanités lors du voyage et lors de la cure? La multiplication de traités sur les eaux

minérales, les recommandations de plus en plus soutenues des scientifiques et des médecins,

ainsi que l’émergence de la pensée des Lumières eurent-elles suffisamment d’impact sur la

collectivité pour faire évoluer les pratiques?

Notre première partie aura pour but de dresser un portrait de la ville d’eaux et d’en

dégager les évolutions apparentes. Comme nous nous penchons sur une période du passé, il

est nécessaire de bien définir les termes qui seront employés, la langue française étant en

constante évolution. Les notions utilisées aujourd’hui pour traiter du thermalisme (qui est en

outre un mot récent) peuvent, lorsqu’on pose un regard contemporain sur les éléments du

passé, mener à certaines imprécisions, voire à des anachronismes. La datation étant l’outil de

classification de l’historien, nous tenterons de dresser une brève chronologie liée au

thermalisme. Nous examinerons également sous quelles formes apparaissait le souci de la

santé. Nous nous attarderons finalement davantage à la forme du voyage et à ses évolutions,

plutôt qu’aux modalités du thermalisme.

La deuxième partie sera consacrée à l’examen du voyage et à la cure thermale comme

forme de sociabilité. La stratégie médicale que représente le voyage vers la station thermale

est bien réelle. Pourtant, il est impossible de soustraire la socialisation de la cure et du

voyage. Nous nous intéresserons alors à cette caractéristique propre à la ville d’eaux tenant à                                                             3 Jacqueline BOUCHER, «Voyages et cures thermales dans la hautes société française à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle », Villes d’eaux, histoire du thermalisme, Paris, Éditions du CTHS, 1994, p. 43.

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une ambivalence de lieu de cure doublée d’un discours scientifique et de divertissements. Elle

devient ainsi de véritables lieux de villégiatures, où prédomine l’image du plaisir. Pour

Dominique Jarrassé, cette dualité est présente et observable dans « l’étude des résonnances

mentales de ce lieu dense, d’un espace plus souvent rêvé que vécu, à travers les restitutions

fictives ou réalistes des littérateurs4 ». Les écrivains se nourrissent donc du mythe de la ville

d’eaux, en font un lieu privilégié d’inspiration et contribuent à sa formation. Les littérateurs

altèrent alors la réalité de la vie du baigneur.

Enfin, la troisième partie sera dédiée à l’évolution du voyage. Dans la continuité des

récentes études sur l’influence des récits de voyages scientifiques sur les perceptions du

paysage, nous avons voulu étudier l’impact du thermalisme dans cette évolution des

conceptions collectives. La cure thermale rejoint cet élément de l’évolution de la notion de

curiosité, dont témoigne l’époque des Lumières, avec ses conséquences sur la fonction

consacrée à l’observation et au désir de construire un discours scientifique. De plus, la forme

du voyage de santé se transformera au milieu du XVIIIe siècle avec l’arrivée de

« villégiateurs » plus soucieux des sentiments que des amusements superficiels de leur temps.

Nous examinerons comment la ville d’eaux deviendra une étape obligée des itinéraires

sentimentaux ou préromantiques.

                                                            4 Dominique JARASSÉ, « Poétique de la ville d’eau », dans Villes d'eaux en France, Paris, Institut français d'architecture, 1984, p. 145.

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Première partie : Des lieux vers lesquels on voyage 

 

 

Chapitre 1 : Géographie des villes d’eaux

Les XVIIe et XVIIIe siècles furent marqués par le retour des pratiques thermales. La

saison des eaux arrivée, voyageurs malades, ou non, se mirent à sillonner les routes de France

afin de pouvoir bénéficier du secours curatif des eaux minérales. Puisqu’il serait impossible

de s’intéresser à l’histoire du voyage aux eaux sans s’intéresser à sa destination, définir et

dresser un portrait de la ville d’eaux, de ses infrastructures et de ses évolutions sur les deux

siècles qui nous intéressent demeure primordiale.

1.1 Définir et repérer les villes d’eaux aux XVIIe et XVIIIe siècles Aujourd’hui nous pouvons qualifier la thérapie par l’eau d’hydrothérapie. Elle

englobe le thermalisme : « science de l'utilisation et de l'exploitation des eaux minérales5 ».

Ce n’est qu’à partir du milieu du XIXe siècle, que les termes propres au thermalisme évoluent

pour prendre leur signification actuelle6. Néanmoins, nous utilisons généralement un

vocabulaire contemporain pour désigner le thermalisme avant le XIXe siècle. Afin d’éviter

l’anachronisme, nous établirons quelle était la terminologie en usage au cours du XVIIe et

XVIIIe siècle.

Quoique son emploi ne devienne fréquent qu’après 1850, nous utiliserons

l’expression « villes d’eaux » comme étant l’ensemble d’un village ou d’une ville, de ces

habitations et des infrastructures nécessaires à l’exploitation d’une ou plusieurs sources

reconnues pour avoir des vertus thérapeutiques ou médicinales. Avant cette époque, on

utilisait simplement l’expression « aller aux eaux » ou « prendre les eaux ». Par exemple, en

1665, mademoiselle de Montpensier, se fit recommander « […] de prendre les eaux de

                                                            5 Définition d’ « hydrothérapie » et de « thermalisme » dans, Le Petit Robert de la langue française, [En ligne], http://petitrobert.bvdep.com/frameset.asp?word=savoir, (Page consultée le 7 avril 2008). 6 Armand WALLON, La Vie quotidienne dans les villes d'eaux : 1850-1914, Paris, Hachette, Presses du Palais royal, 1981, p. 11.

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Forges7 ». À partir du XIXe siècle, l’expression en vogue devint « faire une saison dans telle

ou telle station8 ». Quant à l’expression « station thermale », elle ne devint couramment

utilisée qu’après 1890. Jusqu’alors, les thermes étaient définis comme étant les

établissements antiques destinés à se baigner9. Selon Armand Wallon, ce n’est que vers 1860

qu’apparaît le mot « cure ». Toutefois, nous avons retrouvé le mot à plusieurs reprises lors de

nos recherches, et ce, bien avant 1860. Il faut préciser qu’à l’époque, le terme était utilisé

comme étant le « Succès heureux d’un remède pour la guérison d’un malade10 » et non pas

comme un « Traitement médical d'une certaine durée, ou d’une méthode thérapeutique

particulière11 », définition actuelle. Ainsi, c’est en toute conscience que nous utiliserons des

termes contemporains pour traiter du thermalisme des XVIIe et XVIIIe siècles.

Le recours aux eaux connut son plein rayonnement sous l’Antiquité. La Gaule

romaine fut une terre de prédilection pour l’édification d’établissements thermaux. On venait

de loin pour expérimenter les thermes gallo-romains qui ressemblaient alors à des lieux de

pèlerinage. La vie aux eaux était déjà caractérisée par une spécificité du thermalisme de

l’époque moderne : le plaisir. Véritables lieux de socialisation, les jeux de hasard y avaient

libre cours. On y tenait des représentations théâtrales, ainsi que des combats de gladiateurs12.

Contrairement à la croyance populaire, l’exploitation des ressources ne disparait pas

entièrement avec la chute de l’Empire romain d’Occident. Évidemment, les thermes furent la

proie de destructions. Toutefois, plusieurs témoignages, comme Le roman de Flamenca,

décrivant la vie à Bourbon-l’Archambault au XIIIe siècle, démontrent bel et bien l’existence

d’une activité thermale sur le territoire français à l’époque médiévale13.

                                                            7 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 2, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 427. 8 Armand WALLON, op. cit., p. 11. 9 Armand WALLON, La Vie quotidienne dans les villes d'eaux : 1850-1914, Paris, Hachette, Presses du Palais Royal, 1981, p. 11. Et Antoine FURETIÈRE, « Thermes », Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts. La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, article « thermes ». Et Jean le Rond d’ALEMBERT et Denis DIDEROT, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, volume 16, Neufchastel, chez Samuel Faulche, 1765, p. 268. 10 Antoine FURETIÈRE, « Cure », Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts. La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, Article « cure ». 11 « Cure », Le Petit Robert de la langue française, [En ligne], http://petitrobert.bvdep.com/frameset.asp?word=savoir, (Page consultée le 7 avril 2008). 12 Armand WALLON, op.cit., p. 17. 13 Armand WALLON, op. cit., p. 18. 

9  

 

Le déclin des pratiques liées à l’usage de l’eau aurait été accentué par les fléaux

épidémiques qui, à partir du XIVe siècle, forcèrent les populations à revoir les mesures

d’hygiène corporelle. En effet, selon les croyances, l’eau avait la propriété d’ouvrir les pores,

les laissant béants et exposés aux miasmes, porteurs de poussières et d’air malsain14. On

privilégiait alors la toilette sèche par frottement et l’utilisation abondante de parfum et de

poudre. Le corps était également préservé par le linge blanc qui, à l’époque, devint synonyme

de propreté. « Le renouvellement du blanc efface la crasse en atteignant une intimité du

corps. L’effet est comparable à celui de l’eau. Il est même plus sûr et surtout moins

dangereux15 ». C’est d’ailleurs ce que déplorait Le Grand d’Aussy dans son Voyage fait en

1787 et 1788 dans la ci-devant haute et bafse auvergne.

On sait l’usage fréquent qu’il (en parlant du peuple Romain) en faisait dans son régime diététique; et par conséquent, le cas que, dans son régime médicinal, il devait faire des bains d’eaux thermales. L’invention et l’emploi du linge ont presque anéanti parmi nous l’usage des premiers. Les seconds sont encore ordonnés quelquefois par la médecine; et peut-être ne le sont-ils pas assez […]16.

L’histoire des pratiques entourant le corps est donc intimement liée à la perception qu’en

avaient les gens à l’époque, ce qui eut, comme nous l’examinerons, une influence directe sur

les pratiques thermales.

Malgré ces nouvelles contraintes, nous pouvons facilement imaginer que la

Renaissance, marquée d’un nouvel intérêt pour les civilisations antiques, contribua à faire

renaître la cure thermale. Dès le XVIe siècle, au souci de restaurer sa santé s’alliait un grand

intérêt pour le génie romain17. Cette curiosité pour les structures antiques est d’ailleurs

observable dans les récits de voyage des XVIIe et XVIIIe siècles18. De plus, dès le XVIe siècle,

les rois et les grands du royaume de France, en faisant l’apologie de certaines eaux et surtout

en les gratifiants de leur présence, contribuèrent à redonner leurs lettres de noblesse à cette

pratique qui prit de l’expansion jusqu’à son nouvel âge d’or.

                                                            14 Sur le sujet voir les deux ouvrage de Georges VIGARELLO Le propre et le sal, l'hygiène du corps depuis le Moyen Age (Paris, Éditions du Seuil, 1985) et Le sain et le malsain, Santé et mieux-être depuis le Moyen Âge, (Paris, Éditions du Seuil, 1993). 15 Georges VIGARELLO, Le propre et le sale, l'hygiène du corps depuis le Moyen Age, Paris, Seuil, 1985, p. 70. 16 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY. Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant haute et bafse auvergne aujourd'hui dept du pay de dôme et du Cantal et partie de celui de la haute loire, volume 2, Paris, Imp. des sciences et arts, an III (1794), p. 274. 17 Armand WALLON, op. cit., p. 21. 18 Par exemple, Jean de PRÉCHAC, Relation d'un voyage fait en Provence, Paris, C. Barbin, 1683, recense les antiquités qui doivent éveiller la curiosité du voyageur. 

10  

 

En 1606, suite à la création de la Surintendance générale des bains et fontaines minérales

du royaume, Jean Banc énuméra les sources approuvées en France19.

Les froides si devant reconnues & approuvées, sont en France : Celles de Pougues en la province de Nivernois, Saint Pardoux, & Vichy en Bourbonnais; Bardon pres la ville de Moulins; Saint Myon en Auvergne, Saint Arban en Forest, toutes d’évidente utilité contre les maladies. Les tiedes sont celles d’Ancausé au pays de Gascogne, au pied des Monts Pirenées : celles de Ville-Compte, & des Martres découvertes & expérimentées avec heureux succès depuis moins de trois ans en la province d’Auvergne. Les eaux chaudes sont medicamenteuses en bains seulement, ou en bain & brevage tout ensemble; les eaux des deux Bourbons l’Ancys en Bourgongne, l’Archambault, Nery & Vichy en Bourbonnais, Efvaon en Combrailles, chaudes aigues, & le Mont d’or qu’on appelle bain en Auvergne […]. Baringes, Bauieres, & Barbotan, […] Balaruc […]20 ».

Il dénombra, en ce début de XVIIe siècle, un total de vingt sources minérales. En

comparaison, François Lebrun stipule que la Société royale de médecine en avait recensé

quatre cent soixante-dix-huit à la fin du XVIIIe siècle21. Bien que nous n’ayons pas eu accès à

ce document inventoriant toutes les sources du royaume, nous avons étudié le Catalogue

raisonné des ouvrages qui ont été publiés sur les eaux minérales en général, et sur celles de

la France en particulier. Le catalogue n’étant pas exhaustif, ce que confesse l’auteur lui-

même, recense la quantité non négligeable de 295 sources sur lesquelles furent publiés des

écrits connus et pas moins de 357 sources sur lesquelles rien ne fut publié. Il s’agit donc d’une

augmentation considérable. La mode croissante du voyage aux eaux et le remède réel qu’il

représentait tout au long du XVIIIe siècle eurent pour effet la multiplication des sources

salutaires propices à guérir une panoplie de maladies.

Cartographier les villes d’eaux à la fin du XVIIIe siècle fut une entreprise

particulièrement complexe; d’abord en raison de leur nombre et ensuite parce qu’il est

laborieux de déterminer à partir de quel moment elles furent découvertes et exploitées. Nous

avons donc procédé à l’élaboration d’une carte localisant les villes d’eaux que nous avons

rencontrées lors de nos recherches (en excluant l’ouvrage de Carrère dénombrant un total de

652 sources minérales). Nous observons un corridor sud-ouest, nord-est s’étendant du massif

pyrénéen au massif des Vosges en passant par le Massif central. On dénombre également

quelques villes d’eaux du côté du massif alpin. Se trouvant ainsi en plein cœur de régions                                                             19 Paul GERBOD, Loisirs et Santé, Les thermalismes en Europe des origines à nos jours. Paris, Honoré Champion, 2004, p. 40- 41. 20Jean BANC, La Merveille des eaux naturelles, sources et fontaines médicinales les plus célèbres de la France, Paris, Sevestre, 1606, p. 15. 21 François LEBRUN, Se soigner autrefois: médecins, saints et sorciers aux XVIIe et XVIIIe siècles (2e édition, 1ière en 1983), Paris, Éditions du Seuil, 1995, p. 80.

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montagneuses, ces villes étaient difficiles d’accès et s’y rendre signifiait, comme nous le

constaterons, s’engager dans un voyage périlleux.

Carte des principales villes d’eaux rencontrées dans notre corpus de source22 

                                                            22 Il ne s’agit que des villes d’eaux que nous avons inventoriées lors de nos recherches. Les sources exploitées se multiplièrent rapidement au cours du XVIIIe siècle et leur énumération fournirait un ample catalogue (probablement à l’image de celui de Carrère).

12  

 

1.2 L’économie des villes d’eaux Nous savons dorénavant que le nombre de sources minérales exploitées lors des

XVIIe et XVIIIe siècles augmenta de façon exponentielle. Quelles furent les raisons d’une

telle augmentation? Et quels furent les facteurs favorables au développement d’une ville

d’eaux? Les différents témoignages démontrent que les seules qualités curatives des sources

ne suffisaient pas à attirer une clientèle nombreuse. « […] tout, en ce monde, n’est que

hasard, et tu sais, mon ami, que pour y jouer un personnage, il ne suffit pas toujours d’avoir

du mérite; il faut encore; avec cela, des circonstances heureuses et des prôneurs illustres23 ».

Le Grand d’Aussy relatait ainsi que les eaux de Saint-Mart auraient pu faire oublier celles du

Mont d’Or, possédant davantage de vertus curatives.

Les villes d’eaux les plus à la mode devaient leur succès à ce que nous avons appelé

la « commandite de cour ». D’abord par bouche à oreille, les grands du royaume, avec le

concours du médecin intendant, participèrent à faire la promotion de certaines sources

minérales et de leurs miracles. Madame de Maintenon, qui accompagnait le jeune duc du

Maine à Barèges, écrivit au médecin Monsieur de la Guttère : « J’ai fort parlé pour vos eaux,

et je vous envoie une lettre de M. le premier médecin qui vous fera voir qu’on en veut

prendre soin24 ». Le rôle de la haute aristocratie était essentiel dans le succès d’une source

minérale et celui de la femme de rang, était primordial au même titre que celui du médecin ou

de l’intendant25.

Créée en mai 1605 sous Henri IV, la surintendance générale des Bains et Fontaines

minérales du royaume eut pour effet de mettre toutes les sources du territoire sous la

surveillance du surintendant. Ce dernier avait ensuite la tâche de nommer des intendants

particuliers pour administrer chaque source reconnue du royaume. Ceux-ci devaient

également apporter leur contribution au succès de la ville d’eaux, veillant à visiter les

différentes sources, les analyser pour en faire connaître les propriétés et veiller à leur entretien

et aux constructions nécessaires pour leurs bons usages26. Leurs revenus étant limités, ils

                                                            23 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY, Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant haute et bafse auvergne aujourd'hui dept du pay de dôme et du Cantal et partie de celui de la haute loire, volume 1, Paris, Imp. des sciences et arts, an III (1794), p. 183. 24 Françoise d'Aubigné marquise de MAINTENON, Correspondance générale de madame de Maintenon, volume 2, Paris, Charpentier, 1865, p. 3. 25 Laurent-Pierre BÉRENGER, « Quinzième lettre à M. l’Abbé P…d’Aix », Recueil amusant de voyages (publié par Bérenger et autres), volume 5, Paris, chez F. Gay, 1801, p. 162. 26 Armand WALLON, op. cit., p. 21.

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disposaient généralement d’une faible marge de manœuvre. Ils dépendaient souvent de la

bonne volonté du pouvoir royal ou d’intérêts particuliers afin de pourvoir aux dépenses

nécessaires à l’entretien et au développement des lieux. À titre d’exemple, l’amélioration des

voies de communication était un élément essentiel dans l’essor d’une ville d’eau.

Pour les chemins, c’est une chose extraordinaire que leur beauté. On n’arrête pas un seul moment. Ce sont des mails et des promenades partout, toutes les montagnes aplanies, la rue d’enfer un chemin de paradis – mais non, car on dit que le chemin en est étroit et laborieux, et celui-ci est large, agréable et délicieux. Les intendants ont fait des merveilles, et nous n’avons cessé de leur donner des louanges27.

Si la marquise de Sévigné louait le travail des intendants pour les routes de Bourbon-

l’Archambault, toutes les villes d’eaux ne bénéficiaient pas encore de telles infrastructures.

Près d’un siècle plus tard, Diderot mentionnait le séjour horrible de Bourbonne-les-Bains en

ne faisant pas référence aux intendants, mais bien aux habitants. « Si les habitants entendaient

un peu leur intérêt, ils n’épargneraient rien pour l’embellir, ils planteraient une promenade; ils

aplaniraient les chemins aux collines; ils en décoreraient les sommets; ils feraient un lieu dont

le charme pût attirer même dans la santé28 ». Ainsi, en dépit d’un désir apparent de

l’administration royale d’uniformiser et de favoriser l’essor du thermalisme, le développement

des villes d’eau se fit de façon inégale tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles. Le travail des

intendants demeura inconstant d’une époque à l’autre et d’une région à l’autre s’entremêlant

souvent à des intérêts privés.

La littérature joua également en faveur de certaines villes d’eaux. Les périodiques

comme le Mercure Galant et les Amusements des eaux, genre littéraire au nom évocateur,

eurent également un rôle considérable dans la promotion des villes d’eaux. Alors que le

premier donnait une liste des personnalités les plus illustres fréquentant telles ou telles villes,

les Amusements, révélateurs du cosmopolitisme des stations à la mode, relataient leur vie

mondaine et leurs nombreux divertissements29. Il semble que le thermalisme de cour eut une

influence cruciale jusqu’au XIXe siècle sous la Restauration et sous le Second Empire.

                                                            27 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 3, Paris, Gallimard, 1978, p. 978. 28 Denis DIDEROT, « Voyage à Bourbonne et à Langres », Œuvres complètes, volume 8, Paris, Le club français du livre, 1972, p. 611. 29 Dominique JARASSÉ, « Poétique de la ville d’eau », dans Villes d'eaux en France, Paris, Institut français d'architecture, 1984, p. 145.

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Une fois le succès d’une source assurée, il est facile d’imaginer que l’économie de la

ville était intimement, voire même totalement, liée à l’exploitation des eaux. C’est ce que

rapportait le voyageur Jean-Pierre Picquet en décrivant Bagnères-de-Bigorre.

Rentrées après la saison des eaux, qu’on trouve toujours trop courte, durant les longues journées d’hiver, dans la solitude de leurs familles, ces femmes sont des modèles d’économie. Le commerçant, l’artisan, le manufacturier, les loueurs de maisons (c’est à peu près toute la ville), attendent l’arriver des étrangers, comme les habitants de la Sybérie attendent le retour du printemps30.

L’exploitation d’une source courue par la haute société devait monopoliser une grande

partie de la population ne serait-ce que pour le logement et l’alimentation. En effet, Antoine-

Grimoald Monnet remarqua que les aubergistes des grandes villes d’eaux vivaient dans

l’opulence31. L’abbé de Voisenon, à lui seul, contribua à faire la fortune de deux pâtissiers de

Cauterets : « Un second pâtissier, sur ma réputation, est venu s’établir ici; tous les jours il y a

une émulation et un combat entre ces deux artistes. Je mange et je juge; c’est mon estomac

qui en paie les dépens. Le lendemain mes eaux le nettoient. Je vais au bain et je reviens au

four32 ».

De nombreux médecins, également attirés par l’appât du gain, n’hésitaient pas à aller

s’installer dans les villes d’eaux. Denis Diderot à Bourbonne affirmait « Les médecins d’eaux

sont tous des charlatans, et les habitants regardent les malades comme les Israélites

regardaient la manne du désert. La vie et le logement y sont chers pour tout le monde, mais

surtout pour les malades, oiseaux de passage dont il faut tirer parti33 ». Il conseillait alors aux

malades venant prendre les eaux de Bourbonne de se munir de leur propre personnel afin

d’amoindrir les coûts du séjour.

L’activité économique étant monopolisée par « l’industrie » du thermalisme, un

événement retardant la saison était alors susceptible de nuire à l’ensemble de la ville d’eaux,

tout comme le mentionne Jean Picquet dans le cas de Barèges : « Lorsque la guerre ou

quelqu’autre fléau s’oppose à l’arriver périodique des malades et des oisifs, mine féconde

                                                            30 Jean-Pierre PICQUET, Voyage aux Pyrénées françaises et espagnoles, dirigé principalement vers les vallées du Bigorre et d'Aragon, suivi de quelques vérités sur les eaux minérales qu'elles renferment, et les moyens de perfectionner l'économie pastorale. Paris, E. Babeuf, 1828, 2e édition (1ère en 1789), p. 285. 31 Antoine-Grimoald MONNET, Les bains du Mont-Dore en 1786, voyage en Auvergne de Monnet, inspecteur général des mines, publié et annoté par Henry Mosnier, Clermont-Ferrand, Ribou-Collay, 1887, p. 47. 32 Charles Simon FAVART, Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, Libraire, rue Gît-le-Cœur, 1808, p. 153. 33 Denis DIDEROT, op. cit., p. 610. 

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pour les Barégeois, c’est une calamité qui suspend l’échange de l’eau en bons vins […]34 ».

Ainsi, il semble évident que les événements de la Révolution française, privant les stations de

leur clientèle nobiliaire, portèrent un dur coup à l’économie de nombreuses villes d’eaux.

1.3 L’évolution des villes d’eaux Les villes d’eaux sont largement décrites à travers les récits, les mémoires et les

correspondances des voyageurs. Les représentations picturales étant rares pour les XVIIe et

XVIIIe siècles, nous avons tenté de dresser un portrait de la ville d’eaux et des infrastructures

afin d’y percevoir les hypothétiques évolutions. De nombreux voyageurs ont décrit de façon

très précise les différentes infrastructures des villes d’eaux. Ce fut le cas de Jean Picquet qui,

dans son Voyage aux Pyrénées françaises et espagnoles (1789), décrivit les différentes

installations des villes d’eaux pyrénéennes et de Denis Diderot qui s’attarda longuement à

décrire les installations de Bourbonne en 1770. Pierre Jean-Baptiste Le Grand d’Aussy, dans

son Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant haute et bafse auvergne aujourd'hui dept

du pay de dôme et du Cantal, d’écrivait ainsi les installations du Mont d’Or à la fin du XVIIIe

siècle : « Bâtiment horrible, nourriture très chère, logemens dégoûtans, sans cour, sans remise,

sans commodité aucune; écuries sans litière; village sale et boueux, voilà ce qu’on y retrouve

[…]35 ».

Les logements variaient d’une ville à l’autre et dépendaient probablement de la somme

que les voyageurs étaient prêts à investir. Par exemple, Madame de Sévigné mentionnait la

location d’une maison pour son voyage à Vichy en 1676 et pour celui Bourbon-l’Archambault

en 1687. Elle semblait logée confortablement exprimant son contentement à plusieurs

reprises : « Nous sommes logées commodément, et l’une près de l’autre […]36». La location

d’une demeure était la solution la plus courante chez l’aristocratie des XVIIe et XVIIIe siècles.

Par contre, mademoiselle de Montpensier affirma lorsqu’elle se rendit à Forges en 1663 :

« être logée en maison bourgeoise, dans une petite ville, n’est pas une chose agréable37 ». Il

                                                            34 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. 202. 35 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY, Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant haute et bafse auvergne aujourd'hui dept du pay de dôme et du Cantal et partie de celui de la haute loire, Volume 2, Paris, Imp. des sciences et arts, an III (1794), p. 54. 36 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 3, Paris, Gallimard, 1978, p. 317. 37Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 3, Paris, Foucault, collection des Mémoires, p. 576. 

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en va de soi que les visiteurs issus de la noblesse effectuant ce voyage aux eaux étaient

accompagnés d’une suite nombreuse et que le logement de tous ces gens pouvait entraîner

plusieurs désagréments, en autres dans des lieux où les infrastructures restaient rudimentaires.

Mais, Vichy et Bourbon étaient des villes de haut statut, habituées à recevoir les gens de la

cour. Vichy fut même doté d’appartements royaux.

 

 

Le logis du roi à Vichy au temps de la marquise de Sévigné38 

Comme le laisse entrevoir l’abbé de Voisenon, le partage d’une habitation était également une

pratique courante : « L’oncle de madame de la duchesse de Choiseul, qui vous faisait tant de

compliments dans le foyer, est arrivé d’hier; il loge avec moi39 ». Pour les moins fortunés, il y

avait toujours la possibilité de loger chez l’habitant et dans les rares auberges. Les choses

pouvaient être tout à fait différentes pour les indigents. « Il y a un bain de pauvre à Barèges,

mais ils n’y trouvent aucun asile réduits à chercher un abri dans les granges écartées ou à

                                                            38 Le « logis du roy » à Vichy, Musé de Vichy, dans Eugène-Humbert GUITARD, Le prestigieux passé des eaux minérales : histoire du thermalisme et de l'hydrologie des origines à 1950, Paris, Société d'histoire de la pharmacie, 1951, p. 101. 39 Charles Simon FAVART, Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 4, Paris, L. Collin, Libraire, rue Gît-le-Cœur, 1808, p. 133. 

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coucher en plein air […]40 ». La situation était similaire au Mont d’Or où les infortunés

logeaient dans de froids greniers à foin.

Bien que les villes où l’on retrouve les fontaines les moins connues furent perçues

comme des lieux tristes, désolants et austères, les villes les plus à la mode bénéficiaient

d’installations destinées au divertissement de sa noble clientèle. Boileau, en 1687, prévoyait

donner un bal à Bourbon-l’Archambault41. Bals, théâtre, comédie, concerts, les

correspondances et les mémoires des XVIIe et XVIIIe siècles laissent entrevoir les

divertissements auxquels se livrait la haute société de la France en visite aux eaux. Tous ces

divertissements indispensables à la vie mondaine supposaient donc la présence

d’infrastructures nécessaires à la tenue de tels divertissements galants.

Finalement, le jardin et la promenade étaient des éléments importants d’une ville

d’eaux puisque, comme nous l’examinerons plus en détail en deuxième partie, dès le XVIIe

siècle, la promenade en des lieux calmes et sereins faisait déjà partie intégrante du traitement.

Ainsi, Madame de Montpensier se promenait dans le jardin des capucins à Forges42. Pour sa

part, Diderot déplorait : « Bourbonne est un séjour triste, […] nulle promenade, un pavé

détestable, des environs arides et déplaisants […]43 ». Au contraire, Boileau, souffrant d’une

aphonie et d’un mal poitrinaire, fut agréablement surpris du séjour de Bourbon-l’Archambault

en 1687. :« […] franchement le séjour de Bourbon jusqu’icy ne m’a paru si horrible que je me

l’estais imaginé. J’ay un jardin pour me promener […]44 ». La qualité des infrastructures et le

développement des villes d’eaux dépendaient ainsi d’une panoplie de facteurs.

Ce portrait des stations thermales demeure très sommaire puisqu’il s’étend sur deux

siècles et sur l’ensemble des villes du territoire de la France. Néanmoins, un constat s’impose.

À l’exception des quelques villes les plus cossues ayant bénéficié de constructions récentes,

les stations thermales, même au cours du XVIIIe siècle, paraissaient inhospitalières et les

installations y étaient couramment vétustes et inadaptées. Au cours de ces deux siècles, elles

ne semblent pas avoir connu quelques changements considérables tant au niveau de leur

                                                            40 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. 207-208. 41 Nicolas BOILEAU, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1966, p. 788. 42 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 2, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 447. 43 Denis DIDEROT, « Lettre à mademoiselle Volland », Œuvres complètes de Diderot, volume 19, Paris, Grenier et frères, Libraires-Éditeurs, 1876, p. 332-333. 44 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 737. 

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économie, qu’au niveau de leurs infrastructures. Il faut alors attendre la seconde moitié du

XIXe siècle pour percevoir les réels changements qui marqueront la « fièvre thermale ». La

ville d’eaux connaîtra une pléthore d’améliorations. Promues par le développement des voies

de communication et la démocratisation du voyage, les stations thermales deviendront des

lieux où « la médecine occupe une place de choix, mais aussi des espaces où les distractions

sont nombreuses, où le tourisme et les loisirs s'épanouissent45 ».

                                                            45 Jérôme PENEZ, Histoire Du Thermalisme En France Au XIXe Siècle, Paris, Économica, 2004, Quatrième de couverture. L’ouvrage de Penez réactualise l’ouvrage d’Armand Wallon La Vie quotidienne dans les villes d'eaux : 1850-1914, paru en 1981.

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Chapitre 2 : La nature des eaux minérales

Du XIVe au début du XXe siècle, la France fut éprouvée par les maladies infectieuses

et par une morbidité particulièrement variée et virulente46. Les préoccupations relatives à la

santé étaient constantes et les stratégies de conservation du corps fort variées. Cette

conscience de la santé se rattache à une vision du corps et aux modes de préservation de celui-

ci. Il est permis d’imaginer que ce souci pour la santé fut vécu différemment par les

différentes classes de la société.

2.1 L’homme devant la maladie

Le XVIIe siècle vit paraître un certain intérêt administratif pour le thermalisme.

Comme ses prédécesseurs Henri III et Catherine de Médicis, Henri IV, ayant lui-même

expérimenté les sources minérales d’Aix et de Pougues, était sensible aux propriétés curatives

de ces eaux47. Le XVIIe siècle s’amorça ainsi par la création de la surintendance générale des

Bains et Fontaines minérales du royaume en mai 1605.

Entre plusieurs grâces et bénédictions dont il a pleu à Dieu de favoriser notre roiaulme par sur tous les autres, celle qui regarde le restablissement et conservation de la santé des peuples, ainsy que font les bains, fontaines minérales dont il abonde est l’une des principales que nous avons d’aultant plus en grande recommandation qu’elle est familière et communiquable à tous nos sujets48.

Le préambule des lettres patentes créant la surintendance générale des Bains et Fontaines

minérales démontre un certain souci de la monarchie face à la santé du peuple. Nous

pourrions associer le même souci à la création d’hôpitaux militaires faisant bénéficier

gratuitement l’armée des bienfaits des eaux de la France. De façon plus prononcée à partir du

XVIIIe siècle, l’autorité royale, l’Académie des sciences et l’Académie de médecine eurent un

grand intérêt pour les eaux et leurs propriétés curatives. Il faut y voir les prémices d’un souci

pour la santé publique déjà engagé avec les topographies médicales et les « […] enquêtes

                                                            46 Olivier FAURE, Histoire sociale de la médecine, Paris, Anthropos, 1994, p. 18. 47 Paul GERBOD, op. cit., p. 36. 48 Lettres patentes de mai 1605 cité dans, Armand WALLON, La Vie quotidienne dans les villes d'eaux : 1850-1914, Paris, Hachette, Presses du Palais Royal, 1981, p. 21-22.

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sanitaires de grande envergure, l’amélioration des institutions d’assistance et le renouveau de

l’enseignement médical universitaire49 », mais qui ne s’épanouiront qu’au siècle suivant.

Outre par le souci administratif, le souci de la santé transparaît par la religion. Dans un

monde chrétien aux pratiques presque unanimes, François Lebrun stipule que c’est d’abord de

« […] l’Église que les hommes attendent une réponse cohérente et rassurante au problème

posé par la maladie50 ». La religion, avec la messe et les ordres religieux, s’assurait une forte

présence dans les villes d’eaux. Il faut s’avoir que suite à la Réforme de l’Église catholique,

les autorités religieuses propagèrent le message faisant de la maladie un châtiment envoyé par

Dieu visant à punir l’homme de ses péchés en affligeant le corps. La maladie se voulait donc

salutaire. Le chrétien se devait donc d’accepter la maladie, prenant ainsi conscience de ses

torts. Après cette prise de conscience, le bon chrétien devait tenter de se guérir par tous les

moyens légitimes en son pouvoir. En effet, tout comme la maladie, le remède était un don de

Dieu. Ainsi, selon Olivier Faure « Il serait tout aussi impie de négliger le remède que de

refuser la maladie51 ». Le préambule, cité ci-dessus, faisait également état de ce don de Dieu.

Si, selon la croyance religieuse, la maladie était un châtiment de Dieu, nous avons

observé que certains malades des villes d’eaux percevaient également la cure comme étant un

supplice voulu par Dieu, dans le but de les faire réfléchir à leurs péchés.

Mais je voy bien que c’est Dieu qui m’éprouve et je ne sçai mesme si je lui dois demander de me rendre la voix puisqu’il ne me l’a peut estre ostée que pour mon bien et pour m’empescher d’en abuser. Ainsi je m’en vais regarder dorenavant les eaux et les medecines que j’avalerai comme des penitences qui me sont imposées plûtost que comme des remedes qui doivent produire ma santé. Et certainement je doute que je puisse mieux faire voir que je suis resigné à la volonté de Dieu qu’en me soumettant au joug de la Medecine […]52.

Soulignons que Boileau buvait de l’eau de Bourbon-l’Archambault depuis une dizaine de

jours et que la médecine des eaux affligeait son corps d’une grande faiblesse. Le même

sentiment se fit sentir chez la marquise de Sévigné en visite à Vichy en 1676. En comparant

la douche au purgatoire, « lieu où les âmes des justes expient leurs péchés avant d'accéder à

                                                            49 Ouvr. Coll., Histoire de la pensée médicale en Occident. Tome II, De la Renaissance aux lumières, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 96. 50 François LEBRUN, op. cit., p. 11. 51 Olivier FAURE, op. cit., p. 11. 52 Nicolas BOILEAU, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1966, p. 785.

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la félicité éternelle53 », et en stipulant que l’objet de la douche était bien la souffrance, le

caractère violent des traitements rendait la cure aussi pénible que la maladie, lui conférant ce

même caractère salutaire54. Il ne faut pas oublier que le souci de la santé équivalait au souci

de sauver son âme et que le « […] premier devoir du médecin est de veiller à ce qu’un

malade dangereusement atteint se confesse55 ».

2.2 Des eaux miraculeuses Olivier Faure expliquait : « S’il y a continuité entre médecine et religion, la frontière

n’est pas non plus nette entre médecine, magie et sorcellerie56». Cette continuité renvoie à une

médecine commune largement influencée par l’expérience de tout un chacun. Le recours aux

eaux était bel et bien établi comme une stratégie médicale. Toutefois, si comme l’affirme

Olivier Faure, il y avait continuité entre médecine, religion et magie jusqu’au XIXe siècle,

nous pouvons alors imaginer que les eaux étaient perçues de différentes manières par les

malades. Traitement curatif pour les médecins et les scientifiques, les eaux étaient pour

l’Église un remède divin. Il est alors permis d’imaginer qu’une grande majorité de la

population y voyait un remède magique, voire miraculeux. Nous avons remarqué que malgré

la rigueur et le rationalisme grandissant des médecins et des scientifiques, particulièrement au

XVIIIe siècle, les eaux minérales demeurèrent affligées d’un caractère peu scientifique.

Ces superstitions, en plus d’être démenties par la science qui prenait lentement assise,

furent également dénoncées par le voyageur instruit du XVIIIe siècle. Ce fut le cas de Pierre

Jean-Baptiste Le Grand d’Aussy. En passage dans la ville de Clermont, il déplora la pratique

des mères, qui au mois de décembre, plongeaient leurs nouveau-nés dans la fontaine de Saint-

Abraham, qui selon la croyance populaire, avait la vertu d’empêcher les jeunes enfants de se

plaindre.

                                                            53 « Purgatoire », Le Petit Robert de la langue française, [En ligne], http://petitrobert.bvdep.com/frameset.asp?word=savoir, (Page consultée le 7 avril 2008). 54 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1978, p. 302-303. 55 François LEBRUN, op. cit., p. 17. 56 Olivier FAURE, op. cit., p. 23.

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Rien ne m’étonne en fait de superstition. Il n’est point d’absurdité que l’ignorance et l’imbécilité ne puissent adopter. Ce qui me surprend, c’est que celle-ci, malgré le danger qu’elle peut avoir pour des enfants délicats, subsiste encore, et que dans le tems, les magistrats et le clergé ne se soient pas réunis, les une pour la détruire, en prêchant contre elle, les autres pour l’arrêter en fesant murer la fontaine57.

Il déplorait l’inaction des autorités instruites devant le danger que couraient les nouveau-nés.

Toutefois, il est facile d’imaginer qu’à la veille de la Révolution, les superstitions restaient

très répandues dans un royaume ne bénéficiant d’aucun moyen de communication efficace.

Néanmoins, au cours du XVIIe et XVIIIe siècle, les malades n’hésitaient pas à

entreprendre de longs et épuisants voyages espérant bénéficier des mêmes guérisons

miraculeuses. Différents voyageurs relevaient différentes vertus miraculeuses propres aux

eaux. La correspondance de Madame de Sévigné laissait transparaitre une croyance en des

eaux merveilleuses, voire miraculeuses. D’abord convaincue qu’elle reviendra totalement

guérie de son premier voyage à Vichy, elle écrivit à sa fille : « […] je n’espère la guérison de

mes mains, de mes épaules et de mes genoux qu’à Vichy, tant mes pauvres nerfs ont été

rudement affligés du rhumatisme; aussi je ne songe qu’à partir58 ». Plus tard dans la saison,

une fois à Vichy elle exprima : « Il est certain que les eaux ici sont miraculeuses59 ». Ainsi,

en juin 1676, elle rentra à Paris guérie de son arthrite aux jambes, mais non de ses mains.

Reconnues pour avoir des vertus éminemment guérisseuses, ces eaux étaient vues

comme une solution afin d’amoindrir le poids du temps. Ainsi, les voyageurs, visitant les

sources de certaines villes d’eaux, attribuaient souvent à des fontaines la propriété

d’amenuiser le poids du temps. Boileau s’était ainsi fait vanter les eaux de Bourbon : « […]

on m’eust dit d’abord qu’a peine j’aurais gousté des eaux que je me trouverais tout renouvellé

et avec plus de force et de vigueur qu’à l’âge de vingt-cinq ans60 ». Madame de Sévigné

affirmait qu’une certaine Madame de Péquigny cherchait à se guérir de soixante-seize ans,

dont elle était fort incommodée61. Ces références au rajeunissement sont également

perceptibles à travers le XVIIIe siècle. En 1761, l’abbé de Voisenon écrivait à madame

                                                            57 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY. Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant haute et bafse auvergne aujourd'hui dept du pay de dôme et du Cantal et partie de celui de la haute loire, Volume 1,Paris, Imp. des sciences et arts, an III (1794), p. 152-153. 58Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1974, p. 274. 59 Ibid., p. 309. 60 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 786. 61 Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ, op. cit., p. 309. 

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Favart, sur les eaux de Cauterès : « Je sens que je vieillis, au lieu de rajeunir, comme on me

l’avait fait espèrer […]62». Selon Gille Durant, le thermalisme représentait la perpétuité

médicale substituant le mythe : « Bains et boissons de jouvence ont médicalement continué

d'exister et se perpétueront dans la pratique du thermalisme qui, au Japon comme en Europe,

remonte à la plus haute antiquité, en un point où l'efficacité médicale vient relayer la légende

et le mythe63 ». Symbole d’immortalité et de perpétuel rajeunissement emprunté à la

mythologie biblique et classique, on caractérisait souvent les sources minérales de fontaine de

Jouvence. Elle représentait un modèle pour des sources minérales réelles, qui par le récit

souvent miraculeux de guérisons d’homme et de femmes y ayant retrouvé un état de santé

depuis longtemps oublié, donnait même espoir au plus grand des malades.

2.3 L’apport de la science et de la médecine

La création de la Surintendance des eaux eut pour effet le recensement des eaux

minérales du royaume et la multiplication des publications portant sur l’analyse plus

rationnelle et scientifique des différentes sources. La Merveille des eaux naturelles, sources et

fontaines médicinales les plus célèbres de la France, ouvrage publié en 1606 par un médecin

de Moulins, Jean Banc, démontrait ce désir administratif. Il y dénombrait premièrement toutes

les sources sous trois catégories, chaudes, tièdes ou froides, pour ensuite tenter d’en faire

l’analyse. Il s’attardait ensuite à expliquer quelles eaux guérissaient quelles maladies, pour

finalement donner quelques conseils sur la prise des eaux. Cet ouvrage voulait alors recenser

toutes les connaissances de l’époque sur le thermalisme en France64. L’étude des sources

paraissait, au tournant du XVIIe siècle, frugale et peu efficace.

Les apports de la science se reflétaient d’abord dans l’évolution des concepts qui se

précisa de plus en plus au gré des découvertes. Quelles étaient donc, à l’époque, les eaux

minérales, les eaux thermales, et quelles étaient leurs caractéristiques? Comme nous l’avons

d’abord observé avec l’analyse de Jean Banc en ce qui concerne le XVIIe siècle, les réponses

restaient vastes et imprécises. Furetière ne décrivit que furtivement les eaux minérales et

                                                            62 Charles Simon FAVART, Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, Libraire, rue Gît-le-Cœur, 1808, p. 150. 63 Gilbert DURAND, « SYMBOLISME DES EAUX », Encyclopaedia Universalis, [En ligne], http://www.universalis-edu.com/article2.php?napp=93245&nref=F961581, (Page consuté le 2 avril 2008). 64 Ouv. Coll., Manuel des eaux minérales de la France, à l'usage des médecins, et des malades qui les fréquentes, 1818, Méquignon-Marvis, p. I.

24  

 

l’adjectif « thermal » était tout simplement absent de son Dictionnaire. Nous avons donc

trouvé réponse à nos questions à l’intérieur du Dictionnaire raisonné universel d'histoire

naturelle, de Jacques Christophe Valmont de Bomarecques, paru en 1764 et dans

l’Encyclopédie de Diderot et d’Alembert. Selon ces deux ouvrages, à partir de la moitié du

XVIIIe siècle, l’eau pouvait contenir des matières étrangères lui donnant une odeur, une

couleur et de la saveur. Leurs principales caractéristiques étaient la température froide ou

chaude, la composition, simple ou composée, et la consistance, concrète (solides) ou liquide.

L’état normal de l’eau se devait d’être liquide et froid, si le contraire se produisait c’était par

erreur. L’eau dite thermale était celle qui émanait naturellement chaude du sol65. On

distinguait les eaux simples et les eaux composées, les eaux simples étaient plus communes

englobant l’eau des « fontaines, des sources, l’eau de puits, l’eau souterraine, l’eau de rivière,

l’eau stagnante, l’eau de citerne et eau de lac66 ». Les eaux composées étaient également

appelées eaux minérales. Elles pouvaient être froides ou thermales et l’on pouvait les séparer

de leur alliage (leurs principes minéraux), soit par « l’évaporation, ou par la distillation, soit

par la filtration ou par la précipitation67 ». Elles étaient moins communes et pouvaient être

regroupées en plusieurs catégories. La précision des termes scientifiques fait état d’une

science qui se développe et s’affirme même si elle demeure toujours assez rudimentaire tout

au long de l’époque moderne.

Plusieurs théories sont émises pour expliquer la température des eaux thermales. Les

deux sources qui nous ont servies à définir les eaux ne s’entendent pas sur les origines de

cette chaleur. Valmont de Bomarecques attribuait plutôt « les différents degrés de chaleur de

ces Eaux, à des mélanges de pyrites, qui s’échauffent en se décomposant, qu’à des feux

souterrains68 ». Les feux souterrains étant l’hypothèse émise dans l’Encyclopédie. Nous

pouvons ici apercevoir, malgré l’affirmation des termes liés à l’étude de l’eau, les

balbutiements d’une science qui cherche encore à faire ses preuves.

En 1994, dans un article nommé « Voyages et cures thermales dans la haute société

française à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle » Jacqueline Boucher affirmait

                                                            65 Jacques Christophe Valmont de BOMARECQUES, Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle, Paris, Chez Didot le Jeune, Musier, Fils, De Hansy, Panckoucke, 1764, Volume 1, p. 244. 66 Ibid., p. 246-247. 67 Ibid., p. 248. 68 Ibid., p. 251.

25  

 

L’indéniable essor du thermalisme dans la haute société française à la fin du XVIe et au début du XVIIe a eu pour cause principale une recherche thérapeutique, dénuée d’esprit scientifique. L’intérêt politique ou familial a joué un rôle dans cet essor, la sociabilité encore plus, mais celle-ci n’avait-elle pas valeur de soin ou de traitement complémentaire69?

Qu’en était-il pour le reste du XVIIe et le XVIIIe siècle? L’émergence de la méthode

expérimentale et d’une pensée rationnelle promue par les Lumières contribua-t-elle à accorder

une vision plus scientifique au thermalisme pour reléguer au second plan l’opinion d’un

groupe social? Pour le XVIIe siècle, la réponse la plus probable reste négative. Les

témoignages de l’aristocratie démontrent généralement que le choix d’une source thermale

était attribué à des raisons personnelles ou à des conseils de gens n’ayant aucune compétence

dans l’analyse des eaux. En 1676 Madame de Sévigné se rendit à Vichy pour se rapprocher de

sa fille et en profita en même temps pour éviter madame de Montespan qui se rendit à

Bourbon. En 1687, elle préféra au contraire Bourbon pour jouir de la bonne compagnie de

Madame de Chaulnes. Ce fut donc de raisons sentimentales, plus que scientifiques ou

médicales, qui poussèrent madame de Sévigné à choisir sa destination. Si, comme ce fut le cas

pour Boileau, un malade se rendait à une source suivant les conseils de médecins, le

scepticisme du baigneur demeurait grand. La mauvaise réputation des médecins et le faible

statut de la médecine de l’époque en étaient probablement en partie responsables.

Nous supposons ce qui est absolument necessaire, que personne ne s’engage témérairement à faire un voyage sur les lieux où sont les Eaux, sans consulter leur Medecin ordinaire […] car il ne suffit pas au malade de savoir sur le rapporte de quelques autres, même par le bruit commun que ces eaux sont favorables à bien des maladies, & ce n’est pas encore assez d’étre certain que tels & telles ont été guéris d’une même maladie, parce qu’il y a bien des circonstances dans une maladie qui ne se trouve pas dans une autre70.

Malgré les avertissements tels que celui parut dans le Nouveau système des bains et eaux

minérales de Vichy en 1686, les malades du XVIIe siècle préféraient généralement se fier aux

expériences de proches plutôt qu’à l’expertise de dit « charlatans ».

Les médecins des XVIIe et XVIIIe siècles avaient particulièrement mauvaise

réputation. Les innombrables témoignages que nous avons rencontrés le démontrent

abondamment. Pour le XVIIe siècle, nous ne citerons que Madame de Sévigné : « J’ai vu les

meilleurs ignorants d’ici (médecins), qui me conseillent de petits remèdes si différents, pour                                                             69 Jacqueline BOUCHER, « Voyages et cures thermales dans la haute société française à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle », Ville d’eaux, histoire du thermalisme, (Acte du 117e congrès national des sociétés savantes, Clermont-Ferrand, octobre 1992), Paris, Éditions du CTHS, 1994, p. 53. 70 Claude FOUET, Nouveau système des bains et eaux minérales de Vichy, Paris, Pepie, 1686, p. 204.

26  

 

mes mains, que pour les mettre d’accord, je n’en fais aucun; et je me trouve encore trop

heureuse que, sur Vichy ou Bourbon, ils soient d’un même avis71 ». Tout comme elle

dénonçait les mauvais médecins, elle s’attardait également à décrire les qualités d’un bon

médecin qui se devait d’avoir de l’esprit, de l’honnêteté, du savoir-vivre et de connaître le

monde72. Le témoignage le plus significatif envers les médecins du XVIIIe siècle nous vient

de l’abbé de Voisenon et nous ne citerons que celui-ci : « […] le docteur Poissonnier, […]

tuera peut-être tout le monde ici, excepté moi qui me moque de lui toute la journée, ce qu’il

trouve fort mauvais73 ». On comprend donc le souci rationaliste de redonner le prestige à une

discipline longuement accablée par le charlatanisme. De plus, le recensement officiel des

moyens pour se guérir n’était-il pas la première étape d’une médecine se voulant efficace,

connaissant ainsi les moyens à sa disposition? Selon nous, il ne suffit pas en cette matière de

pointer l’incapacité de la science, mais plutôt d’en déceler les apports réels.

Bien que l’analyse des eaux, propulsée par la création de la charge de la

surintendance, fût bien réelle, les faibles progrès de la chimie ne permirent pas de créer une

hégémonie scientifique influençant le choix de la destination thermale. Claude Fouet,

médecin du roi, publiait en 1686, son Nouveau système des bains et eaux minérales de Vichy.

Bien qu’il tentait timidement d’expliquer les propriétés particulières des ces eaux, il renforça

son propos par une série de récits de guérisons tous plus extraordinaires les uns des autres.

L’un des récits les plus considérables est celui d’un sergent d’Artonne. En 1679, souffrant de

la galle, d’excès de fièvres et de paralysie aux bras et aux jambes, il vint à Vichy, dans une

ultime tentative de guérison.

[…] en douze ou quinze jours, il reprit des forces & un embonpoint qu’il faut avoir vû pour le croire : les bras & les jambes demeurans neanmoins paralytiques, nous luy fîmes prendre des Bains qui en deux ou trois jours luy sécherent entierement sa galle, & huit ou dix Bains luy redonnerent la liberté des jambes & des bras. Cette histoire seule devrait suffire pour prouver la bonté & les merveilles de ces Eaux, mais il ne sera pourtant pas inutile d’en ajoûter d’autres74.

                                                            71 Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1974, p. 274. 72 Ibid., p. 303 et 307. 73 Charles Simon FAVART, Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, Libraire, rue Gît-le-Cœur, 1808, p. 168. 74 Claude FOUET, op. cit., p. 253. 

27  

 

Il semble bien évident que les seuls faits scientifiques au XVIIe siècle soient encore trop

pauvres et inefficaces pour qu’ils puissent à eux seuls démontrer les bienfaits des eaux et ainsi

contribuer à attirer une clientèle de malade.

L’émergence de la pensée des Lumières pourrait laisser supposer la mise en place

d’une conception plus rationnelle et scientifique du thermalisme. La multiplication des

analyses chimiques des eaux pourrait en être la preuve. En effet, la méthode expérimentale

trouva sa pleine expression à travers la chimie et cette dernière influença l’ensemble de la

médecine75. Pourtant, l’influence concrète de la méthode expérimentale n’apparaît pas dans la

médecine du XVIIIe. En effet, de la fin du XVIIe et au début du XVIIIe siècle, les médecins

modernistes s’opposèrent aux traditionalistes qui formaient la majorité du corps médical et

enseignants universitaires. Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, les résultats concrets de cette

opposition faisaient plutôt état d’un optimisme relevant de « la conviction d’être le maillon

d’une chaîne de l’esprit humain tendue vers une inévitable amélioration […] et se concrétisera

par la création d’institutions destinée à assurer aux malades une assistance plus méthodique et

aux médecins un champ d’observation clinique et pathologique plus vaste76 ». En 1778,

l’Académie de médecine s’intéressa aux sources minérales et en 1780, Joseph-Barthélemy-

François Carrère fut chargé d’établir un état exhaustif des sources minérales disponible dans

le royaume. Nous pouvons lire dans le catalogue raisonné des ouvrages qui ont été publiés

sur les eaux minérales en général et sur celles de la France en particulier,

Nous devons donc désirer d’avoir des bonnes analyses des Eaux Minérales qu’elle renferme, que ces analyses soient soutenues par des observations de pratique, faites par des Médecins sages, éclairés & de bonne-foi. Cette réunion de l’analyse & de l’observation fixerait à jamais l’Esprit de la Nation sur cet objet important : elle augmenterait le nombre de nos connaissances & de nos remèdes; elle nous garantirait, à cet égard, de l’empyrisme qui a subjugué ceux qui nous ont précédés. Un tel ouvrage est digne de l’attention du Gouvernement, & ferait éternellement utile à la Médecine Françoise & même au reste de l’Europe. […] Il faut l’avouer cependant; pendant long-tems les Chimistes ont paru donner trop peu leur attention, tandis qu’une foule de personnes dépourvues de connaissances chimiques, ont entrepris souvent de faire cet examen. Il en a résulté un trouble, un désordre, une confusion, suites inévitables de l’incertitude des connaissances de ceux qui ont opéré, & en même-tems des contradictions multipliées qui en ont été l’effet. De là une incertitude embarrassante pour le Praticiens, & dangereuse pour les malades77.

                                                            75 Allen G. DEBUS, « La médecine chimique », dans Histoire de la pensée médicale en Occident, De la Renaissance aux lumières, volume 2, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 59. 76 Renato G. MAZZALINI, « Les Lumières de la raison : des systèmes médicaux à l’organologie naturaliste », dans Histoire de la pensée médicale en Occident, De la Renaissance aux lumières, volume 2, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 94-96. 77 Joseph Bart François CARRÈRE, Catalogue raisonné des ouvrages qui ont été publiés sur les eaux minérales en général, et sur celles de la France en particulier […], Paris, Rémont, Libraire, 1785, p. 2-3.

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Le désir de rationalisation était donc bien réel et nous retrouvons également cette opposition à

l’empirisme des siècles passés. De plus, il s’agissait de redonner aux spécialistes un rôle

prédominant dans l’analyse des eaux et surtout de dénombrer les ressources du royaume.

Cependant, comme nous avons pu le constater, les traités d’analyses des eaux

minérales restaient marqués par la tradition populaire et semblaient échouer à émettre des

recommandations strictement basées sur l’étude scientifique des eaux. Nous pouvons

effectivement lire, à l’intérieur du Journal de physique, de chimie, d'histoire naturelle et des

arts parus en 1777, diverses recommandations concernant la prise des eaux. L’auteur stipulait

que « L’air libre & pur de la campagne, un exercice modéré, les amusements, contribuent

infiniment aux effets salutaire des eaux minérales. Le gros jeu, les veilles, la bonne-chere, ne

font que trop souvent les causes de leur peu de succès78 ». Les seules propriétés des eaux ne

suffisaient pas pour une bonne guérison. Autre exemple significatif, dans son analyse des

eaux du Mont d’Or paru en 1744, le médecin Monnier fit des analyses chimiques,

expérimenta lui-même les eaux et interrogea les baigneurs sous forme d’enquête. Son étude

laissait aussi une grande place aux témoignages de la population locale, incluant même des

récits de guérisons miraculeuses79.

Comme le fit remarquer le poème d’Antoine-Marin Le Mierre, il suffisait souvent de

s’inventer une maladie afin de pouvoir aller profiter de la vie mondaine et des divertissements

des villes d’eaux. Nous sommes ainsi bien loin d’un thermalisme médical. Nous reviendrons

amplement sur cet aspect de la ville d’eaux, mais il semble qu’au cours des XVIIe et XVIIIe

siècles, en posant un regard rétrospectif sur les apports de la science dans le domaine du

thermalisme, qu’elle faillit à expliquer scientifiquement comment les eaux guérissaient les

différentes maladies du corps humain. Ces analyses scientifiques, s’adressant à une minorité

de spécialistes, ne semblaient généralement pas suffisantes pour convaincre des propriétés et

de l’utilité des sources. Les auteurs de ces analyses agrémentaient donc leurs recherches de

récits sur les diverses guérisons attribuables aux eaux.

                                                            78 Henri Marie DUCROTAY DE BLAINVILLE, Journal de physique, de chimie, d'histoire naturelle et des arts, volume 1, Paris, Chez Le Jay, Libraire, 1777, p. 644. 79 M. Le MONNIER, « Examen des eaux minérales du Mont D’Or », Histoire de l'Académie royale des sciences. Paris, De l’imprimerie Royale, 1748, p. 157-169.

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Chapitre 3 : Un voyage aux conditions toujours difficiles

Voyager fut une entreprise difficile tout au long de l’époque moderne. Néanmoins, il

y avait une pléthore de raisons pour entreprendre un voyage et ces déplacements demeurèrent

une nécessité pour une certaine partie de la population. Malgré les difficultés et les aléas du

voyage, les malades n’hésitaient pas à entreprendre d’épuisants périples pour bénéficier des

eaux salutaires. Le voyage pour raison de santé est à mettre en relation avec la perception du

corps, de la science et de la médecine de l’époque. Comme nous l’avons précédemment

mentionné, la perception du corps à l’époque moderne transforma la relation entre l’homme

et l’eau, mais également la relation entre l’homme et l’air. Cela eut pour effet d’affecter les

pratiques thermales et par le fait même, les pratiques liées aux voyages aux eaux.

3.1 Les raisons pour entreprendre un voyage aux eaux Notre investigation s’étendant sur deux siècles, nous tenterons d’abord d’établir les

caractéristiques du voyage au XVIIe avec les articles liés au champ lexical du mot voyage

contenu à l’intérieur du Dictionnaire universel d’Antoine Furetière paru en 1690. Plusieurs

définitions du mot voyage y sont données. La première nous a semblé la plus intéressante.

Nous pouvons y lire : « Transport qu’on fait de sa personne en des lieux esloignez. On fait

voyage par curiosité pour voir des choses rares. […] Les voyages sont necessaires à la

jeunesse pour apprendre à vivre dans le monde80 ». Aussi, prône-t-il que la lecture des

relations de voyage est une source de savoir sans pareil. Un voyage peut également être fait

en des « […] endroits circonvoisins81 », signifiant des endroits aux environs. Il semble alors

que le voyage puisse être pratiqué en des lieux rapprochés, mais qu’il soit dépourvu de son

caractère éducatif. La caractéristique géographique d’éloignement est réitérée et élargie aux

pays étrangers dans l’article « voyager ». Nous pouvons probablement apercevoir ici

l’influence du Grand Tour qui se pratiquait au cours de ce siècle. Le voyageur est également

celui « Qui fait des voyages par pure curiosité, & qui en fait des relations82 ». Quatre ans plus

tard le Le dictionnaire de l'Académie françoise, dédié au Roy, donnait sa propre définition du                                                             80 Antoine Furetière, « Voyage », Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, article « voyage ». 81 Ibid., « voyage ». 82 Antoine Furetière, « Voyageur », Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts. La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, article « voyageur ». 

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mot voyage, similaire à celle de Furetière. « Allée ou venüe qu’on fait pour aller d’un lieu en

un autre assez éloigné83 », mais également « […] allée & venüe d’un lieu à un autre, quoy

qu’il ne soit pas fort éloigné84 ». Laissant ainsi la caractéristique didactique du voyage et

mettant l’accent sur le déplacement. L’Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences,

des arts et des métiers, publié de 1751 à 1772, réitère dans sa définition du mot voyage le

transport et l’éloignement géographique de l’individu. L’inévitable caractère didactique du

voyage y est réaffirmé et même augmenté comme nous le soulignerons postérieurement85.

Nous pouvons affirmer, en raison des faibles moyens de communication de l’époque,

que le facteur d’éloignement géographique tenait un rôle primordial dans le voyage.

Aujourd’hui, en raison de l’amélioration des voies de communication, il est aisé de se rendre

dans tous les coins de l’hexagone français en moins de vingt-quatre heures. Ainsi, nous

ressentons moins ce phénomène d’éloignement géographique. Il est dorénavant plus

approprié de parler d’une cure thermale que d’un voyage aux eaux. Peut-on alors parler de

« voyage » dans le cas d’un déplacement vers les eaux à l’époque moderne? Comme nous

l’avons observé, bien que l’on utilisait d’autres termes comme « prendre les eaux » ou « aller

aux bains », puisque Furtière écrivait sur les bains : « se dit par excellence des eaux chaudes

& minérales qu’on ordonne pour la santé86 », il nous semble que même si les buts d’un

déplacement pour la prise des eaux étaient différents d’un voyage entrepris dans le cadre du

Grand Tour, les voyageurs, même s’ils entreprenaient un plus court déplacement, devaient

être soumis aux mêmes conditions de vie. Madame de Maintenon qui se rendit de Paris à

Barèges avec le duc du Maine en juin 1675 utilisa le mot voyage87. Ainsi, nous avons

remarqué que c’était le mot voyage qui revenait le plus souvent dans nos recherches, le mot

séjour étant absent de notre corpus de source.

Comme le démontre le voyage entrepris par Michel de Montaigne à la fin du XVIe

siècle, les buts d’un voyage pouvaient s’enchevêtrer. Il entreprit d’abord ce voyage puisqu’il

                                                            83 ACADÉMIE FRANÇAISE, Le dictionnaire de l'Académie françoise, dédié au Roy, Paris, Vve J. B. Coignard et J. B. Coignard, 1694, volume 2, p. 661. 84 Ibid., p. 661. 85 Jean le Rond d’ALEMBERT et Denis DIDEROT, « Voyage », Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers. Neufchâtel, chez Samuel Faulche, 1765, Tome dix-septième, p. 477. 86 Antoine Furetière, « Bain », Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts. La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, article « bain ». 87 Françoise d'Aubigné marquise de MAINTENON, Correspondance générale de madame de Maintenon, volume1, Paris, Charpentier, 1865, p. 279. 

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était atteint de la maladie de la pierre (aujourd’hui calcul rénal) et qu’il cherchait à se guérir

par le thermalisme88. Son récit sembla ouvrir la voie à une nouvelle génération de voyageurs

qui prit d’assaut les routes de la France, étant, selon les autorités scientifiques du XVIIIe

siècle « […] un des Royaumes les plus riches dans cette partie : elle contient une quantité

prodigieuse d’Eaux Minérales de toutes les espèces : elle réunit par conséquent une

multiplicité de secours réels & efficaces89 ».

Les afflictions du corps poussaient alors les gens à entreprendre ces voyages aux eaux.

Mais les raisons pour entreprendre un voyage à travers la France de l’époque moderne

couvrent un large éventail. Nous pouvons mentionner les voyages à connotation politique,

administrative, religieuse, militaire, économique, sans oublier le voyage à des fins de

formation, d’éducation ou de divertissement90. Comme l’entreprise était coûteuse et pouvait

s’avérer dangereuse, le voyage revêtait généralement plusieurs buts et objectifs. La maladie

pouvait également être la source principale d’un voyage aux XVIIe et XVIIIe siècles. Le

voyage n’avait rarement qu’un seul but et les voyageurs en profitaient généralement pour

vaquer à d’autres occupations. Les arrêts et les étapes pouvaient être fréquents et nombreux.

Suite au traité des Pyrénées (7 novembre 1659), la cour de Louis XIV entreprit un voyage

vers Saint-Jean-de-Luz à fin de célébrer le mariage du roi de France et de Marie-Thérèse

d'Autriche infante d'Espagne. La cour fut donc plusieurs arrêts à travers le royaume.

On (la cour) passa à Dax, où il y aune fontaine d’eau chaude et une qui l’est moins; quand l’on jette un chien, il est mort en un instant; que l’on l’ôte et que l’on le jette dans l’autre, il ressuscite. Il y a aussi des boues; j’avais ouï dire qu’elles fortifiaient les bras, et les jambes où on avait eu quelque mal, en les y mettant et les lavant après de cette eau. J’en envoyai quérir étant tombée de cheval et m’étant fait mal au bras et m’étant donnée une entorse au pied, quoiqu’il y eu bien des années et que n’en sentisse aucune incommodité. Le lendemain je ne pouvais quasi marcher; les pieds me pelèrent et le bras : où j’en avais mis, j’étais comme si j’avais eu une érésipèle. On se moqua fort de moi, de m’être fait du mal quand je n’en avais pas, par la crainte d’en avoir91.

Ainsi, un voyage diplomatique à travers le royaume de France pouvait se transformer en

occasion pour essayer les différentes eaux du territoire. Alors que mademoiselle de

                                                            88 Le Journal de voyage de Montaigne est une source importante pour l’histoire du thermalisme à la fin du XVIe siècle. Michel de MONTAIGNE, (textes établis par Albert Thibaudet et Maurice Rat, introduction et notes par Maurice Rat), Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1962. 89Joseph Bart François CARRÈRE, op. cit., p. 3. 90 Ouv. Coll., Le voyage à l'époque moderne, Association des historiens modernistes des Universités, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2004, p. 23. 91 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 3, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 446- 447.

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Montpensier était une habituée des eaux de Forges, elle en profita pour essayer les eaux de

Dax.

Réciproquement, un voyage aux eaux pouvait se transformer en voyage diplomatique

puisque le voyage aux eaux était également l’occasion de visiter le royaume. Ce fut le cas de

madame de Montespan, maîtresse de Louis XIV, qui reçut les honneurs royaux partout où

elle passait. Représentant la royauté, elle faisait preuve d’une grande charité.

Elle fut ici au château, où M. de Nevers était venu donner ses ordres et ne demeura point pour la recevoir. On lui vient demander des charités pour les églises; elle jette beaucoup de louis d’or partout fort charitablement et de fort bonne grâce. […] Mme de Montespan est à Bourbon […]. Elle a fait douze lits à l’hôpital, elle a donné beaucoup d’argent, elle a enrichi les capucins. Elle souffre les visites avec civilité92.

La vie à la ville d’eaux était certainement différente de la vie de cour de Versailles, mais

l’éloignement ne semblait pas interférer outre mesure dans la gestion des affaires

personnelles et les intrigues de la cour suivaient également les courtisans jusque dans les

villes d’eaux. Mademoiselle de Montpensier affirmait que sa cour à Forges « était toujours

fort grosse93 » et elle en profitait même pour engager à son service un certain monsieur

Brays, qu’elle rencontra lors de son premier voyage à Forge en 1656. Un siècle plus tard, en

1786, Antoine-Grimoald Monnet, bien décidé à tirer le meilleur parti de son voyage en

Auvergne, représente l’exemple parfait du voyageur entreprenant un périple aux multiples

objectifs. Il voyagea tant pour son plaisir personnel, profitant des différentes étapes de son

voyage pour visiter les différentes curiosités dignes d’intérêt, que pour des raisons

professionnelles, étant inspecteur général des mines. Il désirait également pouvoir ramener

son fils à Paris et parfaire l’éducation sa fille qui l’accompagnait. Il désirait finalement

profiter des eaux salutaires du Mont d’Or94. La rareté, les coûts élevés et les difficultés

encourues par l’entreprise d’un tel périple faisaient que le voyage à l’époque moderne n’avait

rarement qu’un seul but.

                                                            92 Madame de Sévigné à Vichy, écrit sur le voyage de madame de Montespan à Bourbon en 1676. Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1974, p. 292 et 294. 93 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 2, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 450. 94 Voir Antoine-Grimoald MONNET, Les bains du Mont-Dore en 1786, voyage en Auvergne de Monnet, inspecteur général des mines, publié et annoté par Henry Mosnier, Clermont-Ferrand, Ribou-Collay, 1887. 

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3.2 Un voyage toujours difficile

Rudesse du climat, difficultés d’accès, absence presque complète d’installation balnéaire, rareté et pauvreté des hôtelleries, telles sont les conditions essentiellement défavorables contre lesquelles a eu à lutte […] la station thermale du Mont-Dore. Et pourtant, grâce aux vertus curatives de ses sources, cette station a vu, depuis les temps les plus reculés, et de tous les points du globe, des malades venir lui demander la santé95.

Nous croyons que les gens entreprenant un voyage à destination d’une ville d’eaux étaient

soumis aux mêmes conditions précaires du voyage connues à l’époque moderne. L’entreprise

d’un voyage dans une contrée géographiquement éloignée était laborieuse. Les ponts étaient

rares, les routes étaient en mauvais état et peu sécuritaires. Au niveau de la navigation, les

liaisons maritimes étaient généralement difficiles et les rivières étaient souvent difficilement

navigables. Le voyage signifiait fréquemment mettre sa vie en danger afin de se soigner,

d’autant plus que la majorité des villes d’eaux se trouvaient en terrain montagneux. Nous ne

ferons pas l’histoire des moyens de locomotion utilisés lors des voyages aux XVIIe et XVIIIe

siècles, mais il semble qu’un moyen particulier était utilisé pour circuler sur les routes de

montagne.

Le chemin, toujours bordé d’un précipice, est si pénible, si étroit, & même en quelques endroits si périlleux, qu’on ne peut y aller qu’à cheval ou en chaise à porteurs. Vous seriez étonnée de l’adresse & de la rapidité avec laquelle ces gens-ci courent, pieds nuds, sur les pointes de rochers, & portent entre deux brancards, l’Espace de quatre lieues, ces especes de fauteuils de paille mal recouverts d’une toile cirée96.

La chaise à porteurs permettait aux malades de parvenir à des endroits impossibles d’accès

par les autres moyens de transport de l’époque. La marche, pour se rendre à Barèges ou à

Cauterets était, du moins jusqu’en 1744, inévitable. Ainsi, Jean Picquet mentionne que « Les

Bigorrais furent frappés en 1744 du spectacle, nouveau pour eux, d’une voiture qui du pont

neuf de Lourdes, parvint jusqu’à Barèges, à 1500 toises au-dessus du niveau de la mer97 ».

Les voyages s’avéraient donc longs et épuisants. Se rendre de Paris aux Pyrénées

pouvait prendre un temps considérable. Madame de Maintenon quitta Paris le 28 avril 1675,

pour arriver à Barèges le 20 juin de la même année. Le voyage prit donc 2 mois et selon ses

termes « je fus moins longtemps à aller à l’Amérique; mais aussi se voyage est-il fort

                                                            95 Antoine-Grimoald MONNET, op. cit., p. V. 96 Laurent-Pierre BÉRENGER, « Lettre à M. le Comte de Parn, écrite de Pyrénées par M. Bertin », Recueil amusant de voyages, (publié par Bérenger et autres), Paris, Chez Gay & Gide, Nyon, 1783, 97 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. 141. 

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long98 ». Même lorsque la destination n’était pas si éloignée, il pouvait être tout aussi facile

de se perdre. Malgré ses nombreuses précautions, elle avait engagé un guide et prit le soin de

se renseigner sur la distance qui lui restait à parcourir, mademoiselle de Montpensier se perdit

entre les huit lieues qui séparaient Pontoise de Forges. Elle fut d’abord probablement mal

renseignée puisque par les routes d’aujourd’hui, Pontoise se trouve à 87 kilomètres de

Forges. Une lieue valant à l’époque entre 3. 2 et 4 kilomètres, s’il ne lui restait que 8 lieues

avant d’arriver à Forges, elle aurait dû parcourir au maximum 32 kilomètres alors qu’en

réalité il lui en restait plus du double. L’imprécision des mesures et l’ignorance générale des

distances ajoutaient ainsi aux difficultés de l’entreprise.

Comme nous l’avons mentionné, l’aristocratie participa à la promotion du

thermalisme ce qui donna naissance à la mode du « thermalisme de cour ». Au XVIIe siècle,

si le voyage aux eaux revêtait un aspect particulier c’est d’abord grâce à cette caractéristique.

Puisque l’aristocratie était la principale classe à entreprendre ces voyages pour raison de

santé, elle devait donc voyager selon les règles de l’art. Cela signifiait d’abord voyager avec

une suite nombreuse. Madame de Sévigné décrit ainsi la suite de madame de Montespan lors

de son voyage vers Bourbon en 1676.

Elle a un carrosse derrière, attelé de la même sorte, avec six filles. Elle a deux fourgons, six mulets, et dix ou douze cavaliers à cheval, sans ses officiers. Son train est de quarante-cinq personnes. Elle trouve sa chambre et sont lit tout prêts; en arrivant elle se couche, et mange très bien. Elle fut ici au château, où M. de Nevers était venu donner ses ordres et ne demeura point pour la recevoir99.

Accommoder une suite nombreuse demandait certaines infrastructures nécessaires tout au

long du voyage. Cela pouvait entraîner certains désagréments dans des lieux reclus.

L’hébergement s’avérait alors difficile.

Nous avons un grand nombre de domestique difficiles à contenter; mandez-moi si vous comptez que nous logions au château, c’est-à-dire le prince et moi, si l’hôtellerie est proche pour tout le train; ou s’il ne vaudrait pas mieux que nous y logions tous […]. Le prince et moi avons nos lits; ainsi ne vous embarrassez point sur les meubles. Il y a M. Fagon avec lui, M. Le Ragois qui est sont précepteur, un aumônier, six valets de chambre, toute sortes d’officiers et j’ai trois femmes; je vous conte ces détails pour que vous preniez vos mesures […]100.

                                                            98 Françoise d'Aubigné marquise de MAINTENON, Correspondance générale de madame de Maintenon, volume 1, Paris, Charpentier, 1865, p. 279. 99 Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1974, p. 291 et 292. 100 Françoise d'Aubigné marquise de MAINTENON, op. cit., p. 337. 

35  

 

Outre cette utilité mondaine, la suite nombreuse revêtait également un caractère défensif.

Ainsi, tout au long de l’Ancien Régime, les routes de la France restèrent peu sécuritaires.

Nous pouvons remarquer que madame de Montespan se rendant à Bourbon en 1676 était

accompagnée de dix ou douze cavaliers. Plus significatif fut le voyage de madame de

Montpensier vers Forges en 1657. Non seulement en profita-t-elle pour rendre visite au

cardinal Mazarin à Sedan, passant ensuite par Reims, réaffirmant ainsi le caractère du voyage

à objectifs multiples, mais elle était « […] escortée par une brigade des gardes du corps du

roi, une autre de ses mousquetaires et une troisième des gendarmes à chevau-légers101 ». Ces

grands déplacements de la riche aristocratie française étaient en mesure d’attirer la convoitise

des bandits de grand chemin. L’escorte, tout en démontrant le statut du voyageur, avait un

caractère défensif et devait dissuader les protagonistes d’éventuelles attaques.

Outre les risques d’agression armée, le bon déroulement du voyage était souvent lié

aux conditions météorologiques. Le voyage aux eaux était principalement pratiqué du mois

d’avril au mois d’octobre, dépendamment de la région. La saison des eaux se trouvait réduite

si la station se trouvait en montagne où la neige et le temps froid persistaient plus longtemps.

Les conditions de voyages étaient ainsi plus propices aux déplacements lors de la saison

estivale. Mieux valait éviter de voyager en saison hivernale où les routes risquaient de

devenir impraticables. Ainsi, redoutant le séjour de Barèges, l’abbé Voisenon espérait que les

neiges deviendraient si abondantes, qu’elles rendraient le voyage inenvisageable102.

Au cours du XVIIIe siècle, les transports par diligences sur des routes meilleures

rendirent les voyages plus rapides et surtout moins fatigants. Avant de disparaitre éclipsées

par le chemin de fer au XIXe siècle, les diligences furent allégées et améliorées. Malgré ces

quelques améliorations, les voyages demeuraient rythmés par la marche et la cadence du

cheval.

                                                            101 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 3, Paris, Foucault, collection des Mémoires, p. 136. 102 Charles Simon FAVART, Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, Libraire, 1808, p.168.  

36  

 

3.3 Le voyage comme remède

Les eaux minérales, par leurs propriétés, étaient susceptibles d’agir non seulement sur

les humeurs du corps, mais au contact de l’eau chaude, l’air menaçait d’infiltrer les organes

par les pores ouverts. Ainsi, à l’époque moderne, le recours aux eaux thermales devait-il être

entouré de certaines précautions. Ces mesures particulières nous les avons également

retrouvées dans les préparatifs du voyage. L’entreprise d’un tel déplacement ne devait pas

être prise à la légère. Nous avons retrouvé dans l’ouvrage écrit par le médecin royal Jean

Fouet le Nouveau système des bains et eaux minérales de Vichy paru en 1686, une liste de

recommandations entourant la prise des eaux. Cette parution se voulait davantage comme un

traité d’analyse chimique et physique des eaux de Vichy, mais nous y retrouvons également

un traité général des conditions et précautions à prendre en compte pour la prise des eaux.

Le premier dispositif à envisager avant même de considérer entreprendre un voyage

vers une ville d’eau était la consultation d’un médecin. Pour Claude Fouet, le rôle du médecin

était primordial dans l’entreprise d’un traitement par les eaux. Il ne suffisait pas de se fier aux

témoignages de gens qui avaient été guéris d’une même maladie pour affirmer que telles

sources avaient le pouvoir de guérir certaines afflictions. Le rôle du médecin devait donc être

central dans la décision d’entreprendre un voyage aux eaux et dans le choix de la destination.

Le médecin devait en plus faire parvenir un suivi écrit des traitements que la malade avait

entrepris jusque-là. Pourtant, la réalité semblait être tout autre. En effet, tout au long de

l’époque moderne, les médecins avaient très mauvaise réputation, nous avons retrouvé une

pléthore de témoignages accusant les médecins d’être des charlatans. Boileau accusa les

médecins d’être des ignorants, madame de Sévigné les accusa d’être des charlatans et au

XVIIIe siècle l’abbé de Voisenon demeurait tout aussi éloquent. Les médecins des eaux

paraissaient souvent plus intéressés dans la recette que dans la guérison des malades. C’était

probablement pour cette raison qu’on recommandait aux voyageurs qui en avaient les

moyens, de voyager en compagnie de leur médecin personnel. Il arrivait quelquefois de

croiser un médecin respectueux. À Bourbon, madame de Sévigné rencontra un médecin qui

lui plaisait. Le médecin Amyot était un homme plein de bon sens et, fait encore plus

remarquable pour l’époque, ennemi de la saignée103. Ces mauvais médecins prétentieux, dont

Le malade imaginaire de Molière représente la satire par excellence, feront graduellement

                                                            103 Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 3, Paris, Gallimard, 1974, p. 318.

37  

 

place à l’homme des Lumières, médecin fréquentant philosophes et académies, se

préoccupant peu à peu de la santé du peuple104.

Selon Jean Fouet, en vue de son voyage aux eaux, le malade devait se reposer et éviter

toute activité jugée violente pour le corps ou pour l’esprit quinze jours avant la prise des

eaux. Le voyage devait s’exécuter par petites étapes et le sommeil devait rester régulier tout

au long du trajet puisque la prise des eaux était considérée comme une épreuve physique.

En raison des croyances médicales de l’époque, le voyage était perçu en soi comme

un remède. En temps de peste, la réaction courante était de fuir l’air vicié vers des airs

meilleurs. Furetière définissait l’air comme un « Élément liquide & léger qui environne le

globe terrestre; la mer & la terre105 ». Ce que nous avons pu observer en étudiant nos sources,

particulièrement dans celles du XVIIe siècle, c’est que l’air pénétrant le corps se trouvait

encore au centre des préoccupations de préservation de la santé. C’est ainsi que mademoiselle

de Montpensier prévoyait de se rendre à Forges dans la crainte de tomber malade, convaincue

que le changement d’air et la prise des eaux lui seraient d’un grand secours. Le changement

d’air était donc au centre des préoccupations du voyage pour raison de santé puisque cet air

agissait directement sur le corps et sur la santé. C’est ainsi qu’au XVIIe siècle, chaque lieu

avait son propre air qui avait ses propres caractéristiques. La marquise de Sévigné désirait se

rendre à Vichy plutôt qu’à Bourbon, « J’irai à Vichy; on me dégoûte de Bourbon, à cause de

l’air106 ». Encore au XVIIIe siècle, cette conception de l’air se trouvait toujours au premier

rang des préoccupations de la santé puisque l’abbé Voisenon exprime en 1761 : « L’air de

Barrège m’est si contraire, que madame la duchesse de Choiseul m’oblige de retourner à

Cauterès tout à l’heure […]107 ».

Bien qu’il soit nécessaire d’attendre le début du XIXe siècle, voire l’extrême fin du

XVIIIe siècle pour voir apparaitre une sensibilité particulière aux forces de la nature, il

semble que le changement de paysage ait été un facteur propice à la guérison des malades.

                                                            104 François LEBRUN, op. cit., p. 183. 105 Antoine Furetière, « Air », Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, article « Air ». 106 Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1974, p. 270. 107 Charles Simon FAVART, Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, Libraire, 1808, p. 189. 

38  

 

Madame de Sévigné, en plus de la beauté de ses promenades et de la bonté de son air, fait de

la beauté du paysage de Vichy ses principaux critères de sélection. Elle affirmait même :

« Pourvu qu’on ne m’ôte pas le pays charmant, la rivière d’Allier, mille petits bois, des

ruisseaux, des prairies, des moutons, des chèvres, des paysannes qui dansent la bourrée dans

les champs, je consens de dire adieu à tout le reste; le pays seul me guérirait108 ». Le

changement d’air et de paysage devint donc au cœur de la stratégie du voyage pour raison de

santé. Les bienfaits de la prise des eaux étaient donc doublés des bienfaits de l’air des lieux.

Le XVIIIe siècle s’ouvrit avec la découverte de l’inoculation et plus tard, dans la

seconde moitié du XVIIIe siècle, avec la découverte du courant électrique faisant état des

systèmes de défense naturelle du corps humain. Cela eut pour effet de reléguer au second

rang le rôle des humeurs dans la santé. De plus, les premiers microscopes révélèrent pour la

première fois à l’œil humain ces fibres du corps humain communicant le courant. Ces

découvertes permettront graduellement de contester l’ancien modèle hippocratique et le

déplacement des objets d’inquiétudes109. La nouvelle place accordée aux nerfs aura

également un impact sur le voyage aux eaux et, comme l’a démontré Alain Corbin, fera la

promotion des bienfaits de l’eau de mer sur la santé110. En effet, les nerfs pouvaient être

fortifiés par les secousses et l’activité physique, non pas par une activité physique comme

nous la connaissons aujourd’hui, c’est-à-dire par l’exercice, mais bien par une activité subie

physiquement, raidissant la fibre. Ainsi, les mouvements du voyage et les chocs provoqués

par les mauvaises routes étaient bénéfiques pour le voyageur tel que l’exprime l’abbé

Voisenon « Jusqu’à présent ma santé va très bien; le mouvement du voyage me rend la

respiration libre […]111 ». Denis Diderot affirmait que le recours aux eaux était le dernier

conseil de la médecine poussée à bout et que l’on comptait plus souvent sur le voyage que sur

les eaux elles-mêmes. Il affirmait donc que les eaux les plus salutaires étaient celles qui

étaient les plus éloignées, stipulant que si le voyage ne suffisait pas à guérir : « Il prépare bien

l’effet des eaux par le mouvement, le changement d’air et de climat, la distraction112 ». Le

                                                            108 Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1974, p. 307-308. 109 Sur le sujet voire, Georges VIGARELLO, Le sain et le malsain, Santé et mieux-être depuis le Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, Collection L’Univers historique, 1993, troisième partie, chapitre 1. 110 Sur l’histoire et l’émergence des bains de mer voir, Alain CORBIN, Le Territoire du vide : L'Occident et le désir du rivage, 1750-1840, Paris, Aubier, collection historique, 1988, 407 p. 111 Charles Simon FAVART, Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, Libraire, 1808, p. 121. 112 Denis DIDEROT, « Voyage à Bourbonne et à Langres », Œuvres complètes, volume 8, Paris, Le club français du livre, 1972, p. 602. 

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voyage en soi faisait partie du traitement et nous retrouvons dans le témoignage de Diderot

l’influence des découvertes scientifiques telles les fibres renforcées par le mouvement du

voyage, mais également le rôle encore important de l’air dans les pratiques de préservation du

corps et de la santé.

Pourtant bien avant la découverte de la fibre, nous avons perçu, dès le début du XVIIe

siècle, l’importance de l’exercice dans la préparation et dans l’action de la prise des eaux. En

effet, dès 1606, Jean Banc mentionnait « Ceux qui se doivent servir des eaux

médicamenteuses potables, doivent plutôt se porter sur le lieu de la source que les rendre

portables, si ce n’est de fort petite distance de lieu & de chemin, & toujours si leur santé le

peut permettre, aller à pied qu’ils pourront, afin d’être mieux disposé à boire par l’exercice

qu’ils auront fait113 ». L’exercice n’avait pas pour but de renforcer la fibre, puisqu’elle

demeurait encore inconnue, mais l’exercice, tel que défini en 1690 par Furetière était

nécessaire à la prise des eaux puisqu’elle permettait par l’agitation du corps la dissipation des

humeurs. Ainsi, la définition suggéra-t-elle de faire de l’exercice modéré après le repas. Jean

Banc toujours dans son traité La Merveille des eaux naturelles, sources et fontaines

médicinales les plus célèbres de la France, avançait lors de l’usage des eaux, « […] il se faut

resoudre à l’exercice & ceux qui ne peuvent marcher doivent monter à cheval ou se faire

porter en chaire, ou bien conduire par-dessous les bras autrement j’en déconseille du tout

l’usage sur une infinité de mauvais succès que j’en ai observé114 ». Tout comme les eaux

devaient servir à évacuer les humeurs, soit par sudation (eau chaude) ou par purgation (rendre

les eaux), l’exercice contribuait également à l’évacuation des humeurs et préparait donc à

l’ingurgitation des eaux.

Le nombre de sources thermales exploitées en France augmenta de façon

exponentielle entre le XVIIe et le XVIIIe siècle. Promues d’abord par l’administration royale

qui créa la surintendance générale des eaux et relayées par le thermalisme de cour, les villes

d’eaux connurent rapidement une forte affluence. Si les traités d’analyses chimiques des eaux

minérales se multiplièrent, il semble qu’ils n’eurent pas un impact considérable sur le choix

des destinations des voyageurs. Le succès d’une source était davantage dû à l’affluence de la

plus haute aristocratie du pays. Les intendants et les sous-intendants pouvaient également, par                                                             113 Antoine Furetière, « Exercice », Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, article « Exercice ». 114 Jean BANC, op. cit., p. 56. 

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divers aménagements, faire valoir le séjour de leur ville, mais la « publicité » des grands eut,

jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, une influence considérable sur le succès d’un séjour. À

l’exception des stations les plus à la mode qui pouvaient bénéficier de meilleurs logements et

d’installations destinées à recevoir les diverses mondanités, les infrastructures des stations

thermales demeurèrent rudimentaires, sans connaître de changements radicaux jusqu’aux

événements révolutionnaires. L’émergence de la pensée des Lumières et la science du XVIIIe

siècle, contribuèrent davantage au recensement des eaux de la France. Tout au plus pouvons-

nous apporter l’hypothèse que l’esprit des Lumières eut une influence sur les formes du

voyage au XVIIIe siècle, ce que nous étudierons en troisième partie. Les villes thermales de la

France semblent donc avoir très peu évoluées entre le XVIIe et le XVIIIe siècle.

Le voyage pour raison de santé était intimement lié à la perception du corps, de la

science et de la médecine de l’époque. Cela eut pour effet de conditionner les pratiques

thermales et le voyage lui-même. Selon la perception du corps et en raison des risques que

comportait la prise des eaux, le voyage devait être exécuté selon des règles strictes et il faisait

ainsi partie du traitement.

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Deuxième Partie : Des pratiques sociales 

Chapitre 4 : Une vie de société

Les villes d’eaux devinrent des micros société où, l’espace d’une saison, s’exerçait

une forme de sociabilité particulière. Outre les mondanités et les plaisirs, la clientèle venait y

rechercher une sociabilité. Faisant partie intégrante du traitement, elle participait, avec les

divertissements, à rendre les modalités de la cure moins ennuyeuse et moins pénible. Cette

sociabilité propre à la ville d’eau était d’autant plus particulière qu’une clientèle cosmopolite

et diversifiée se côtoyait lors de la saison.

4.1 La clientèle des villes d’eaux Comme nous l’avons précédemment mentionné, l’entreprise d’un voyage n’était pas

simple et s’avérait très coûteuse. Nous pouvons donc supposer qu’elle était l’affaire d’une

élite sociale. Les voyages pour raison de santé n’échappaient pas à cette règle, d’autant plus

que le seul recours au médecin s’avérait très coûteux. Nos sources sont donc représentatives

de cette clientèle aristocratique. Dès la seconde moitié du XVIIe siècle, la cour de France fut

le grand promoteur du thermalisme. Entreprendre un périple vers les différentes villes d’eaux

à la mode semblait faire partie intégrante de la vie de cour. Madame de Maintenon,

gouvernante des enfants illégitimes de Louis XIV et de Madame de Montespan, accompagna

le duc du Maine (Louis Auguste de Bourbon), né avec une infirmité à la jambe, à Barèges en

1675 ainsi qu’à Bagnères et Barèges en 1677115. Mademoiselle de Montpensier, surmenée

par ses affaires et par le chagrin se rendit à Forges en 1656. Pendant les quarante années qui

suivirent, elle y fit de nombreux voyages116. La marquise de Sévigné, affligée d’arthrite aux

mains et aux genoux se rendit à Vichy en 1676 et 1677, ainsi qu’à Bourbon en 1687117. Pour

sa part, Madame de Montespan préféra les eaux de Bourbon en 1676. Nous pourrions ainsi

                                                            115 Les voyages de Madame de Maintenon dans, Françoise d'Aubigné marquise de MAINTENON, Correspondance générale de madame de Maintenon, volumes 1et 2 principalement, Paris, Charpentier, 1865. 116 Nous connaissons plusieurs détails de ses voyages par ses mémoires. Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, 4 volumes 117 La Marquise de Sévigné décrivit ses voyages dans sa correspondance, Marie de Rabutin-Chantal, marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, Paris, Gallimard, 1973-1978, 3 volumes.

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surnommer le règne de Louis XIV, le siècle d’or du thermalisme de cour. Bien que les visites

royales et nobiliaires se poursuivent lors du XVIIIe siècle, par exemple avec la visite à

Plombières en 1761 d’Adélaïde et Victoire, filles de Louis XV, les villes d’eaux furent les

hôtes d’une nouvelle clientèle éclairée. Voltaire se rendit à Plombières en 1724, alors que

Denis Diderot et le Baron von Grimm se rendirent à Bourbonne-les-Bains en 1770.

Il semble que les voyageurs et les baigneurs se recrutaient presque de façon exclusive

dans les catégories sociales les plus aisées puisque, outre les frais de voyage élevés en ce

temps de communications difficiles, le seul prix d’un bain pouvait facilement représenter le

gain journalier d’un ouvrier118. Le taux d’alphabétisation demeurant faible tout au long de

notre période, nous imaginons que si une clientèle moins fortunée entreprit quelque voyage

vers une ville d’eaux, aucun témoignage écrit ne nous en serait parvenu. Il est alors

nécessaire d’étudier les sources laissées par l’aristocratie afin d’entrevoir la clientèle des

villes d’eaux.

Si les voyages aux eaux furent entrepris exclusivement par l’aristocratie, l’élite ne fut

pas la seule à bénéficier de secours des sources salutaire. En effet, certaines villes furent

munies de bains des pauvres. Des soins furent gratuitement accordés aux indigents et les

hôpitaux militaires se développèrent au cours du XVIe siècle, alors que se consolidèrent les

armées permanentes. Comme le décrivait Madame de Montpensier pour le XVIIe siècle, les

villes d’eaux représentaient l’un des rares lieux où se côtoyait l’ensemble de la société

d’Ancien Régime. « C’est un lieu où il y a toutes sortes de gens, des moines de toutes

couleurs, des religieuses de même, des prêtres, des ministres huguenots, et des gens de tous

pays et professions : cette diversité est assez divertissante119 ». Même si elle n’entreprenait

pas de voyage, comme le démontrait Le Grand d’Aussy, la population des villes d’eaux

bénéficiait généralement de la gratuité des eaux : « Il est consolant pour les Clermontois

d’avoir auprès d’eux un remède salutaire, qu’ailleurs un malade est obligé souvent d’aller

chercher au loin120 ». Cette entente pouvait s’étendre aux villages voisins. Les habitants de

Neuville-le-Coiffy, village à proximité de Bourbonne-les-Bains, pouvaient, en toute gratuité,

                                                            118 Olivier FAURE, Histoire sociale de la médecine, Paris, Anthropos, 1994, p. 31. 119 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 2, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 449. 120 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY, Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant haute et bafse auvergne aujourd'hui dept du pay de dôme et du Cantal et partie de celui de la haute loire, volume 1, Paris, Imp. des sciences et arts, an III (1794), p. 154. 

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avoir recours aux bains121. Cette proximité des classes avait néanmoins certaines limites. La

séparation des classes s’opérait souvent par la création de bains des pauvres ou, comme

c’était le cas au Mont d’Or, par la création d’horaires précis, éliminant la promiscuité entre

les baigneurs du tiers et les malades de la haute société.

Selon les différents témoignages, le caractère hétéroclite des usagers se côtoyant dans

les villes d’eaux se poursuivit tout au long de l’Ancien Régime.

Là paraît le guerrier blessé dans les combats, Par de longues douleurs rachetées du trépas; Il trempe un bras débile en une eau secourable, Non comme dans le Styx pour être invulnérable, Mais pour courir encor où le péril l’attend : Je vois auprès de lui Lise se lamentant, Rose décolorée & et qui vient, languissante, Refleurir dans le sein de cette eau bienfaisante; Un hypocondre Anglais, de son splen consumé, Un livide Espagnol, par la bile enflammé Le Chanoine amaigri, scandale du Chapitre, Les vaporeux titrés; les vaporeux sans titre122.

Ce poème d’Antoine-Marin Le Mierre intitulé « Voyage aux eaux », paru dans l’ouvrage au

titre évocateur Les Fastes ou les usages de l'année (1779), représente un témoignage

révélateur de la société thermale du XVIIIe siècle. L’auteur y réaffirme le caractère

hétérogène de la population des villes d’eaux où se côtoient le guerrier, le chanoine et les

vaporeux titrés et non titrés. Outre une clientèle de malade, il faut souligner la présence

d’accompagnateurs, venus soutenir les souffrants, mais également venus profiter de la vie

mondaine des eaux. Ce fut le cas de Denis Diderot qui rejoignit madame de Maux et sa fille à

Bourbonne. Ne souffrant d’aucune maladie, il trouva le séjour fort déplaisant et en profita

pour étudier les eaux et les curiosités des environs.

Le poème de Le Mierre laissa également transparaître le caractère cosmopolite de la

ville d’eau. Bien que les Français furent probablement un grand nombre à sillonner leur pays

pour recourir aux soins des eaux minérales, plusieurs témoignages font état de la spécificité

cosmopolite des eaux minérales de la France. Les Français eux-mêmes n’ont certainement pas

hésité à se rendre chez leurs voisins Belge, Allemand, Italien, Suisse et Anglais pour essayer

                                                            121 Denis DIDEROT, « Voyage à Bourbonne et à Langres », Œuvres complètes, volume 8, Paris, Le club français du livre, 1972, p. 601. 122 Antoine-Marin LE MIERRE, Les Fastes ou les usages de l'année, Paris, Gueffier, 1779, p. 134.

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leurs sources minérales. Tout voyage était propice à l’essai des différentes eaux d’un

royaume. Aussi les villes d’eau françaises recevaient-elles une certaine clientèle étrangère.

C’est ainsi que l’auteur démontre la diversité de la clientèle des eaux de France relatant la

présence d’Espagnols et d’Anglais atteints du spleen, ce mal se caractérisant par une

« Mélancolie sans cause apparente, caractérisée par le dégoût de toute chose123 »,

particulièrement persistante en Grande-Bretagne depuis la fin du Moyen Âge. Denis Diderot

vantait également le caractère cosmopolite de Bourbonne expliquant que des malades, non

seulement de toutes les régions de la France, mais également de tous les pays étrangers, y

affluaient afin de guérir une pléthore de maladie124.

Nous avons également distingué, lors de nos recherches, une clientèle bien

particulière. La découverte des vertus thérapeutiques des eaux fut bien souvent attribuée à des

animaux. Les eaux de Bourbonne-les-Bains auraient été découvertes par un porc et la légende

accorde à des chèvres la découverte des eaux salutaires de Cauterets. Ainsi, selon nos

sources, il semble que les animaux pouvaient également bénéficier du remède des eaux.

Diderot évoquait un cheval prenant la douche à Bourbonne et l’abbé de Voisenon relatait un

cheval se rendant à la source de Cauterets125. Ainsi, les animaux pouvaient faire partie de la

clientèle des eaux les plus prestigieuses du royaume. Cependant, nos sources ne sont pas

assez précises et nous ne pouvons pas affirmer que le propriétaire entreprit un voyage

exclusivement dans le but de soigner l’animal. Tout au plus, pouvons-nous supposer qu’il

s’agissait d’un voyageur qui profita de sa propre cure pour y faire soigner l’animal ou encore

qu’il s’agissait d’un animal appartenant à un résident de la ville bénéficiant ainsi de la

gratuité des eaux. La première hypothèse est applicable au cas d’une certaine madame de

Nocé, qui se fit doucher avec son chien, et au cas de Madame de Pers, qui se fi doucher avec

son singe boiteux lors du séjour de Diderot à Bourbonne-les-Bains en 1770126.

                                                            123 Définition « spleen» dans, Le Petit Robert de la langue française, [En ligne], http://petitrobert.bvdep.com/frameset.asp?word=savoir, (Page consultée le 7 avril 2008). 124 Denis DIDEROT, op. cit., p. 602. 125 Denis DIDEROT, « Voyage à Bourbonne et à Langres », dans Œuvres complètes, volume 8, Paris, Le club français du livre, 1972, p. 605. Et, dans Charles-Simon FAVART, « Lettre de M. l’abbé de Voisenon à M. Favart », Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, Libraire, 1808, p. 154. 126 Denis DIDEROT, op.cit., p. 609.  

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4.2 Un problème, la proximité des sexes Tel que le mentionnait Jean-Pierre Picquet, bien que le voyage, particulièrement en

terrain montagneux, fût une entreprise périlleuse, les femmes autant que les hommes

n’hésitèrent pas à se rendre aux eaux les plus éloignées. Quelques femmes ont osé braver les dangers des voyages dans les montagnes. Marguerite, reine de Navarre, dans ses voyages à Cauterets, bravait les dangereux passages des hautes montagnes du Béarn et du Bigorre. Hortense, reine de Hollande, a laissé des souvenirs précieux de son séjour à Cauterets, et de son voyage avec duchesse d’Abrantès à la cascade de Gavarnie, à travers les escarpements et les précipices de la vallée d’Ossone. Des femmes moins courageuses se font porter au Pont-d’Espagne; elles y arrivent après une heure d’ascension […]127.

La clientèle des villes d’eaux se composait autant de femmes que d’hommes. Cela créait

évidemment certains problèmes. Montaigne s’étonna grandement du relâchement des mœurs

de Plombières où se côtoyaient hommes, femmes, prêtres et religieux128. Cette tradition

remontrerait à l’Empire romain durant lequel plusieurs empereurs légalisèrent les bains

mixtes. Comme le laissait entrevoir Montaigne, les autorités locales imposèrent plusieurs

règlements afin de resserrer les mœurs. Ces règlements étaient une nécessité puisque le

thermalisme était une pratique de plus en plus courue. Comme dans toute société, la notion de

règle était élémentaire au bon déroulement de la vie aux eaux.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

                                                            127 Jean-Pierre PICQUET, Voyage aux Pyrénées françaises et espagnoles, dirigé principalement vers les vallées du Bigorre et d'Aragon, suivi de quelques vérités sur les eaux minérales qu'elles renferment, et les moyens de perfectionner l'économie pastorale, Paris, E. Babeuf, 1828, 2e édition (1ère en 1789), p. 148. 128 Michel de MONTAIGNE, « Journal de voyage », Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1962, p. 736. 

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Un bain de Bourbon‐l’Archambault en 1569129 

La promiscuité des sexes et le relâchement des mœurs semblèrent être un problème bien réel

jusqu’au XVIIe siècle, comme en font état les différents récits et comme le démontre cette

représentation d’un bain de Bourbon l’Archambault en 1569. Nous pourrions être tentés de

penser que le problème s’amenuisa au XVIIIe siècle, puisque nous avons rencontré une

quantité moins importante de témoignages visant les indécences des villes d’eaux. Cela

pourrait démontrer l’efficacité de la réglementation. Mais en 1748, Dom Calmet affirmait,

Il est vrai, qu’à Plombières, on se baigne indistinctement homme, femmes, filles, hommes de guerre, prêtres et religieuses dans le même bain, qu’on sue dans la même étuve, qu’on y prend la douge, la chair nue […] il est vrai que tout cela se fait à la vue des baigneurs, s’il arrivoit la moindre légèreté ou la moindre liberté, tout le monde crieroit ou hueroit et l’on chasseroit le coupable. Une autre indécence […] il n’y a que des femmes et des enfants qui servent les baigneurs et les baigneuses, qui aident à les déshabiller pour entrer dans l’étuve ou prendre la douge aux bains et à l’étuve, pour les coucher et les essuyer dans leur lit […]130.

                                                            129 Nicolas de Nicolay, « Un bain de Bourbon-l’Archambault en 1569 », Bibliothèque Mazarine, dans Eugène-Humbert GUITARD, Le prestigieux passé des eaux minérales : histoire du thermalisme et de l'hydrologie des origines à 1950, Paris, Société d'histoire de la pharmacie, 1951, p. 253. 130 Dom CALMET, Traité historique des eaux et bains de Plombières, 1748, dans Fernand ENGERAND, Les amusements des villes d’eaux à travers les âges, Paris, Plon, 1936, p. 211-212.

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L’auteur justifiait la légèreté de mœurs en mentionnant que la société des baigneurs ne

tolérerait aucun écart de conduite et en affirmant que cela s’effectuait de cette façon depuis

des temps immémoriaux. Selon le témoignage du baron de Pierre de Mengin-Fondragon,

cette situation eue cours jusqu’en 1825, époque où les baigneurs revêtaient toujours une

« […] simple chemise de laine nouée sur la poitrine par quatre cordons et descendant aux

jambes131 ».

Une situation similaire se présenta en 1786, lorsqu’un jeune commandant de Malt,

venu au Mont-d’or au même moment qu’Antoine-Grimoald Monnet et sa fille, ne se rendait

au bain que lorsqu’il savait que la fille de ce dernier devait se faire doucher132. L’habillement

nécessaire aux soins pouvait également attirer les regards indiscrets. Lors de la douche,

madame de Sévigné ne conservait qu’une feuille de figuier pour tout habillement, chose

qu’elle considérait fort humiliante133. La proximité des sexes et l’habillement nécessaire à la

prise des eaux pouvaient, tout au long du XVIIIe siècle, créer quelques situations

inconfortables, attirant les diatribes des usagers outrés.

4.3 Les soins en société « La vie à Forges est assez douce, mais bien différente que celle que l’on mène

ordinairement134 ». Outre les mondanités et les divertissements du voyage, la ville d’eaux

elle-même représentait une vie en société bien particulière. Si leurs installations demeuraient

souvent rudimentaires et ne permettaient pas la tenue d’événements mondains, la vie de

société s’exprimait différemment puisque la sociabilité rendait moins pénibles les modalités

de traitements. Ainsi, madame de Sévigné affirmait que lorsqu’elle ne buvait pas elle

s’ennuyait. En effet, à défaut d’une vie remplie de divertissements mondains, la socialisation

s’exprimait lors des traitements.

                                                            131 Pierre de MENGIN-FONDRAGON, Une saison à Plombières, 1825, dans Fernand ENGERAND, Les amusements des villes d’eaux à travers les âges, Paris, Plon, 1936, p. 212. 132 Antoine-Grimoald MONNET, Les bains du Mont-Dore en 1786, voyage en Auvergne de Monnet, inspecteur général des mines, publié et annoté par Henry Mosnier, Clermont-Ferrand, Ribou-Collay, 1887, p. 53. 133 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1978, p. 303. 134 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 2, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 448.

48  

 

J’ai donc pris des eaux ce matin, ma très chère. Ah! qu’elles sont méchantes! […] On va à six heures à la fontaine. Tout le monde s’y trouve. On boit, et l’on fait une fort vilaine mine, car imaginez-vous qu’elles sont bouillantes et d’un goût de salpêtre fort désagréable. On tourne, on va, on vient, on se promène, on entend la messe, on rend les eaux, on parle confidemment de la manière qu’on les rend; il n’est question que de (p. 297) cela jusqu’à midi. Enfin, on dîne. Après dîner, on va chez quelqu’un; c’était aujourd’hui chez moi. Mme de Brissac a joué à l’hombre avec Saint-Hérem et Plancy. Le chanoine et moi nous lisons l’Aristote; […]135.

Alors qu’à la cour les courtisans étaient soumis à une étiquette bien particulière, la

socialisation semblait plus aisée dans les villes d’eaux. Madame de Montpensier expliquait à

propos de la vie à Forges au XVIIe siècle : « On sait tous ceux qui sont arrivés le soir, et

quand il y a un nouveau-venu ou nouvelle-venue, on l’accoste; car c’est le lieu du monde où

l’on fait le plus aisément connaissance136 ». Elle fit de la sorte, la rencontre de deux hommes,

monsieur Berville et monsieur Brays, qui lui tinrent compagnie lors de son séjour. Ils

entrèrent rapidement dans la connaissance de ses affaires domestiques et en causèrent

allègrement. « Ainsi je leur contai tous mes griefs […] Je leur disais : Cela est admirable que

je compte ainsi mes affaires à des gens que je n’ai jamais vus; […]137 ». Plus tard, lors de son

second voyage à Forges en 1657, elle fera d’ailleurs entrer Brays à son service.

La religion semblait tenir un rôle important dans la vie aux eaux. Dans son ouvrage Le

prestigieux passé des eaux minérales publié en 1951, Eugène-Humbert Guitard stipulait que

lorsque le catholicisme devint la religion officielle, deux solutions s’offrirent à l’Église face à

cette hydrologie minée par le paganisme : la condamnation ou l’épurement. Ne pouvant

interdire aux fidèles le secours des eaux, la seconde option fut adoptée138. L’Église attribua

alors différentes sources à des monastères ou à des ordres religieux. Dans ce rythme de vie

réglé religieusement, la messe faisait partie intégrante du quotidien de la clientèle villes

d’eaux139. Outre le service religieux, les ordres religieux étaient également présents à de

nombreuses sources. Selon le témoignage de Mademoiselle de Montpensier, les capucins

étaient présents à Forges. Madame de Sévigné nous apprend également qu’ils étaient présents

à Bourbon-l’Archambault et Le Grand d’Aussy mentionnait la présence des Bénédictins à                                                             135 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, op. cit., p. 296-297. 136 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, op. cit., p. 447. 137 Ibid., p. 450-451. 138 Eugène-Humbert GUITARD, Le prestigieux passé des eaux minérales : histoire du thermalisme et de l'hydrologie des origines à 1950. Paris, Société d'histoire de la pharmacie, 1951, p. 101. 139 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, op. cit., p. 449. 

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Clermont. Notons que les ordres religieux ayant la direction des hôpitaux avaient

généralement la tâche de promulguer des soins aux indigents.

La sociabilité se distinguait allègrement le matin à la fontaine où toute la communauté

se rassemblait pour boire les eaux. La vie sociale s’exerçait également lors de la promenade

et lors des visites. Mademoiselle de Montpensier fut fort visitée durant son séjour à Forges en

1656. Elle affirmait : « J’y fus fort visitée : M. de Longueville y vint, madame sa femme, et

tout ce qu’il y a de personnes de qualité dans la province, beaucoup de dames de Rouen et de

messieurs du parlement; de sorte que ma cour était toujours fort grosse140 ». À Cauterets, un

siècle plus tard, les visites des malades faisaient encore partie de la sociabilité de la cure. À

l’arrivée de l’oncle de madame de Choiseul, l’abbé de Voisenon s’empressa de le présenter

dans la meilleure maison de la ville141.

Cette forme de vie sociale s’exerçait également dans les traitements particuliers.

Lorsqu’elle se rendit à la douche de Vichy, Madame de Sévigné se fit accompagner par deux

de ses femmes de chambre. Derrière un rideau se trouvait une tierce personne qui avait la

tâche de converser et de soutenir la patiente durant la durée du traitement. Dans ce cas, il

s’agissait d’un médecin qui faisait partie du voyage de madame de Noailles. Ce médecin, qui

avait de l’esprit, de l’honnêteté et qui connaissait le monde, lui fit donc la conversation

pendant ses traitements. Après à la douche, puisque le contact brutal et les secousses avaient

été grands, le patiente devait se mettre au lit pendant deux heures afin de se reposer et

d’activer la sudation. Puisqu’il était primordial de ne point sombrer dans le sommeil, son

médecin la divertissait en lui faisant la conversation et en lui faisant la lecture142.

La maladie elle-même contribua à former cette sociabilité propre aux villes d’eaux.

Comme le mentionnait Diderot, « La souffrance et l’ennui rapprochent les hommes […].

Rien n’apprend à l’homme qu’il est homme, comme la maladie qui l’abandonne à la

discrétion de tout ce qui l’environne. Deux malades sont frères ». La nuit à Bourbonne était

déchirée par le bruit des nouveaux arrivants et il était coutume que ces derniers rendent

visitent aux autres le jour venu. Selon Diderot, la formule était celle-ci : « On va dire de

porte à porte : Me voilà. On lui répond de porte à porte : Tant pis pour vous. Dans les visites                                                             140 Ibid., p. 450. 141 Charles Simon FAVART, « Lettre de M. l’abbé de Voisenon à madame Favart », Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, 1808, p. 133. 142 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, op. cit., p. 303. 

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qu’on se rend, la demande est : Comment vous en trouvez-vous? Et la réponse : Tant pis ou

tant mieux ». On disait d’un malade qui ne se soumettait pas à ce rituel qu’il était

insociable143. La maladie avait donc la capacité de rassembler la clientèle des villes d’eaux.

Tissant un réseau de solidarité, la maladie créa une atmosphère propice au contact humain.

Comme c’est toujours le cas, il est toujours plus rassurant d’être accompagné face à la

maladie; la vie de société lors des soins devait promulguer cette sensation de réconfort.

La vogue des eaux minérales sera constante jusqu’aux événements révolutionnaires,

durant lesquels elle connut une accalmie, recevant une clientèle d’exilés. À partir de cette

époque, le nombre de visiteurs chuta considérablement. Selon Adolphe Chéruel, une liste de

la clientèle de Forges en 1791, ne dénombrait qu’une soixantaine de baigneurs. Lors de cette

décennie, la noblesse y vint, non plus pour les amusements et pour y recouvrer la santé, mais

davantage pour se cacher et tâcher d’échapper à la mort. Ce serait d’ailleurs en revenant de

Forges que le duc de La Rochefoucauld fut assassiné à Gisors, en 1792. Ce serait également

dans cette même ville d’eaux que Philippe Nicolas Marie de Pâris, ardent royaliste et ancien

garde du corps du roi, se suicida d’un coup de pistolet, le 20 janvier 1793, après avoir tué

Lepeletier de Saint-Fargeau, qui avait voté l’exécution du roi Louis XVI144.

                                                            143 Denis DIDEROT, op. cit., p. 610-611. 144 Adolphe CHÉRUEL, « Appendice VII », dans Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 2, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 521-522.

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Chapitre 5 : Une vie d’oisiveté

Les sources minérales demeurèrent des lieux envoutés non seulement parce qu’elles

guérissaient mystérieusement, mais parce qu’elles étaient également le prétexte à la fête. La

ville d’eaux devenait ainsi un espace propice à une sociabilité particulière, mais également à

l’oisiveté et l’oubli des soucis d’une vie de routine. Bien que la stratégie médicale que

représentait le voyage aux eaux fût bien réelle, il était impossible de soustraire les plaisirs et

les mondanités de la cure et du voyage. S’affirmait donc cette spécificité du voyage pour

raison de santé tenant à une ambivalence d’un lieu de cure doublée d’un discours scientifique

et de divertissements.

5.1 Mondanités et divertissements du voyage Puisqu’elle en avait les moyens, ce fut l’aristocratie qui bénéficia majoritairement du

voyage pour raison de santé et du thermalisme. Le voyage aux eaux devint une mode

aristocratique teintée des mœurs de cette classe de la société. Les mondanités

transparaissaient dans le voyage puisqu’aller aux eaux signifiait d’abord organiser un voyage

plus ou moins important selon la destination. Voyager était-il un art pour l’aristocratie de

l’époque moderne? Puisque le XVIIe siècle fut grandement marqué par le thermalisme de

cour, nous pouvons imaginer que le voyage devait s’exécuter selon certaines règles, tout

comme la vie de cour était réglée par un code éthique strict. Le voyage aristocratique était

souvent caractérisé par une suite nombreuse. Nous avons pu l’observer dans le cas de

madame de Montespan et madame de Montpensier. D'ailleurs, l’aristocratie se déplaçait dans

les moyens de transport de luxe les plus efficaces de l’époque, laissant transparaître le statut

du voyageur qu’ils contenaient. Ainsi, se rendant à Cauterets en 1761, la duchesse de

Choiseul se fit transporter dans la frégate du maréchal de Richelieu « bien vernie, bien

musquée surtout, et meublée d’un beau damas cramoisi avec des galons et des crépines

d’or145 ». Le maréchal de France François de Bassompierre, blessé gravement à la suite d’une

joute amicale au Louvre en 1605, se rendit aux eaux de Plumieres (Plombières) afin de

soigner une cuisse blessée lors de cet événement.

                                                            145 Charles Simon FAVART, op. cit., p. 124.

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[…] moy je vins aux bains de Plumieres (Plombières) pour ma cuisse, et emmenay avesques moy bonne compagnie de la court outre mes gentilshommes, comme Bellot, Charmeil, Messillac, et le baron de Neufvi. J’avais avesque moy la bande de violons d’Avignon, que La Pierre commande : j’avais une espece de misique, et tous les divertissements qu’un jeune homme riche, desbauché, et mauvais mesnager, pouvait désirer. Ma sœur de Saint-Luc estait venue en Lorraine voir nostre mere; mon frere y estait aussy, et la jeunesse de Lorraine m’accompagnait toujours. Nous menames une douce vie à Plumieres, ou le me gueris entierement146. J’y estais amoureux d’une dame de Remirement, Bourguignonne, nommée madame de Fussé. En fin je ne m’y ennuyay point durant trois mois que j’y sejournay.

Ces longs et épuisants voyages étaient perçus comme déplaisants par l’aristocratie. Nous

pouvons constater que les voyageurs tentaient de se divertir par différents moyens.

Bassompierre, entouré de sa famille et de nombreux proches, fit son voyage au rythme de la

musique qui accompagna le cortège durant toute la durée du trajet. Si tous les voyageurs ne

prenaient pas la peine de voyageur avec autant de musiciens, l’aristocratie profitait des

différentes étapes dans les grandes villes de France pour prendre part aux divertissements. Se

rendant à Cauterets, l’abbé de Voisenon profita d’une étape à Bordeaux pour assister à la

comédie et à une fête somptueuse.

La conversation était une part intégrante du voyage. La bonne compagnie devait être

un facteur des plus importants puisque, malgré toutes ces mondanités, l’abbé Voisenon

stipulait : « […] si j’étais avec vous (Favart), et mon aimable petite nièce Pardine, ce voyage

me divertirait147 ». De plus, madame de Sévigné démontra l’importance de la bonne

compagnie en formulant que madame de Chaulnes la convainquit de se rendre à Bourbon

plutôt qu’à Vichy, sans qui elle n’aurait pas fait le voyage148. La conversation était un

incontournable des voyages. Elle pouvait être agréable ou détestable. Lors d’un voyage

entrepris vers les bains du Mont d’Or, l’inspecteur général des mines Antoine-Grimoald

Monnet et sa fille se régalèrent des anecdotes divertissantes de leur conducteur de litière149.

La lecture permettait également d’oublier les désagréments du voyage. Bien que le

voyage accablait la marquise de Sévigné, celle-ci se réjouissait de parcourir la vie d’un

empereur romain d’orient. Le voyage était un moment privilégié afin de visiter les curiosités

qui se trouvaient dans les différentes villes rencontrées sur le chemin. Ainsi, l’abbé de

                                                            146 François de BASSOMPIERRE, Journal de ma vie : Mémoires du maréchal de Bassompierre, Paris, Renouard, 1870, p. 170. 147 Charles Simon FAVART, op. cit., p. 123. 148 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 3, Paris, Gallimard, 1978, p. 978. 149 Antoine-Grimoald MONNET, op. cit., p. 54.

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Voisenon, ayant passé une affreuse nuit et ne s’en sentant pas la force, ne put jouir du plaisir

de voir les raretés de la ville de Bordeaux150. Finalement, le voyage représentait l’occasion

de visiter des gens qu’on avait rarement la chance de rencontrer. Conséquemment, lors de son

premier voyage à Vichy, madame de Sévigné tenta d’organiser une rencontre avec sa fille qui

lui manquait péniblement.

5.2 Mondanités et divertissements : l’imaginaire de la ville d’eaux Si les stations thermales les plus à la mode bénéficiaient d’installations adéquates, la

ville d’eau devenait le lieu de somptueuses mondanités et de majestueux divertissements. Le

Grand d’Aussy exprimait que « Quant aux Clermontois, si l’on s’avise d’établir à Mart

quelque jolie salle de bal ou d’assemblée, comme on a établi une guinguette près de la

fontaine de Jaude; je ne doute pas que leurs malades ne s’y portent en foule, et que les

guérisons qui s’y feront ne donnent à l’établissement de la Faculté une célébrité prompte et

brillante151 ». Les bals et la musique étaient courants à Bourbon, la comédie se jouait à

Forges et le théâtre et les ballets occupaient la plus grande partie du temps de l’abbé de

Voisenon dans un lieu aussi hostile que Cauterets. Les fêtes, les plaisirs, les concerts et les

spectacles avaient donc libre cours dans les stations les plus à la mode.

                                                           

Si les infrastructures ne permettaient pas la tenue d’événements et de divertissements

mondains, le jeu, les pique-niques en nature, l’écriture et les promenades à pied ou à cheval

tenaient lieu de divertissements. « Celui (plaisir) que je goute le plus volontiers & qui

s’accorde le mieux avec mon régime, est l’exercice du cheval. Hommes & femmes, nous

nous formons deux fois par jour en escadron, & nous galopons, par-tout où il est possible de

galoper152 ». Alors que la montagne et la nature étaient pratiquement désertées par les

curistes du XVIIe siècle, elles furent, au XIXe siècle, prises d’assaut par l’arrivée d’une

nouvelle génération de curistes plus soucieuse de ses sentiments. Ainsi, au XVIIe siècle, la

promenade se pratiquait en des lieux aménagés comme dans le jardin des capucins de Forges,

où mademoiselle de Montpensier se promenait quatre heures durant l’après-midi. Il s’agissait

d’un petit jardin aux allées couvertes et aménagées de cabinets avec des sièges pour le

 150 Charles Simon FAVART, op. cit., p. 127. 151 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY, op. cit., p. 183. 152 Laurent-Pierre BÉRENGER, « Lettre à M. le Comte de Parn , écrite des Pyrénées par M Bertin » Recueil amusant de voyages (publié par Bérenger et autres), volume 8, Paris, Chez Nyon l’ainé, Libraire, 1787, p. 54.

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repos153. Comme nous le constaterons ultérieurement, la perception de la montagne se

transforma graduellement au cours du XVIIIe siècle et les promenades dans les montagnes

devinrent de plus en plus fréquentes.

[…] elle attachait un point d’honneur à se vanter d’être montée sur ces hautes montagnes et d’y avoir contemplé la beauté de la perceptive […] elle apercevait des choses qu’elle n’avait encore jamais vues. Arrivée tout en haut, elle put se promener à son aise, et le spectacle fut encore bien plus merveilleux pour elle, car de cet observatoire, elle apercevait la cime de toutes les autres montagnes et le fond de toutes les vallées environnantes154.

La promenade en montagne devint une source de plaisir, d’instruction et permit une vision du

monde à travers un nouveau cadre. Ainsi, Monnet en visite au Mont d’Or en profita pour

gravir de haut sommet au grand plaisir de sa fille qui l’accompagnait. De plus, alors qu’il se

plaignait de la vie monotone de Cauterets, les plaisirs de l’abbé de Voisenon semblaient se

réduire aux pâtisseries, au théâtre et à ses sorties en montagne, d’où il put contempler les

nuages sous ses pieds155.

Les divertissements et les amusements étaient prescrits comme ayant une influence

positive sur les effets salutaires des eaux156. L’écho de ces mondanités et amusements eut

pour effet d’attirer une panoplie de gens, malades ou non. Ainsi, lors d’un séjour en Lorraine,

Bassompierre en profita pour se rendre aux eaux de Plombière seulement pour y passer le

temps157. Ne croyez pas pourtant que la source des bains Ne prodigues ses flots qu’à d’infirmes humains; Toujours le plus plaintif n’est pas le plus malade : Il est des maux d’emprunt, des langueurs de parade. Un peuple féminin que Sénac fatigué, Exprès pour s’en défaire, aux bains à relégué : D’autres vont d’habitude à cette eau salutaire, Humecter tous les ans leur chef visionnaire; Plus d’un oisif y vient pour guérir son ennui158.

                                                            153 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, op. cit., p. 448. 154 Antoine-Grimoald MONNET, op. cit., p. 37-38. 155Charles Simon FAVART, op. cit., p. 140. 156 Henri Marie DUCROTAY DE BLAINVILLE, Journal de physique, de chimie, d'histoire naturelle et des arts, volume 1. Paris, Chez Le Jay, Libraire, au Grand Corneille, Barrois, l’Aîné, Libraire, 1777, p. 644. 157 François de BASSOMPIERRE, op. cit., p. 194. 158 Antoine-Marin LE MIERRE, Les Fastes ou les usages de l'année, Paris, Gueffier, 1779, p. 134-135.

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Les « fausses maladies », c’est-à-dire les maladies qu’on inventait afin de bénéficier pour

quelques semaines de la vie des eaux, étaient omniprésentes comme le laissait entrevoir le

poème de Le Mierre. En 1682, le duc de Lauzun, selon les dires de mademoiselle de

Montpensier, se rendit à Bourbon prétextant un mal de poitrine et de bras alors « […] que

l’on savait bien qu’il n’avait fait le malade que pour sortir de Pignerol […]159 ».

Cette clientèle de « faux malades » cachait certains indésirables. Même si le Mont

d’Or n’était pas, en 1786, doté d’une salle dédiée spécifiquement aux jeux, « Les eaux

minérales attirent ces messieurs (escrocs) plus que tous autres lieux où l’on passe, comme

aux eaux, son temps à jouer160 ». Aujourd’hui encore, les stations thermales se caractérisent

par ces somptueux édifices destinés aux jeux. Le casino, héritage des siècles précédents, fut

légalisé dans les villes d’eaux en 1806 par Napoléon Bonaparte. Le décret prohibait tout jeu

de hasard, mais une close permettait quelques exceptions « pour les lieux où existent des eaux

minérales, pendant la saison seulement ». De plus, le ministre de la police promulguait des

ordonnances spéciales afin que puissent se tenir librement les jeux de hasard. Depuis Louis

XIII les autorités essayèrent d’enrayer ce fléau du jeu, mais en vain161.

Trop heureux si le jeu n’y soufflait la ruine, Si tant d’aventurier, vrais oiseaux de rapine, Pleins de l’espoire du gain, autour des tapis verds, Ne sondaient tout-a-coup de vingt pays divers; Si le malade aux maux n’était bien moins en proie, Qu’aux ferres des vautours que l’avarice envoie; Faut-il qu’aux lieux où l’homme a cherché la santé, Il porte avec son mal un mal plus indompté? O passion du jeu! Eh quoi! L’homme en délire, Même avec ses hochets se blesse & se déchire162!

Si les jeux de cartes, comme se plaisaient à y jouer Madame de Sévigné et son entourage,

étaient légaux et permettaient de passer le temps sans trop troubler l’esprit, les jeux de hasard,

par contre, étaient généralement prohibés. Le jeu lors d’une cure thermale représentait pour

Le Mierre une plaie et un mal supplémentaire qui accablaient le joueur déjà malade. Nous

pouvons aisément comprendre pourquoi. Puisqu’il ne suffisait souvent que de souffrir d’une

                                                            159 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 3, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 447. 160 Antoine-Grimoald MONNET, op. cit., p. 54. 161 André JEAN, Villes d’eaux et thermalisme, Paris, Hachette, 1962, p. 47. 162 Antoine-Marin LE MIERRE, op. cit., p. 136-137.

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quelconque affliction pour pouvoir bénéficier du secours des eaux et ainsi côtoyer la haute

clientèle aristocratique, les villes d’eaux devinrent rapidement le repère d’escrocs attirés par

l’appât du gain. Nous émettons également l’hypothèse que les jeux de hasard risquaient de

troubler l’esprit et l’état de sérénité dans lequel le malade devait se présenter pour recevoir

ses soins. En effet, l’anxiété et le stress produits par la perte d’une somme d’argent

substantielle devaient nuire à la cure, diminuant de façon considérable l’action des eaux.

Les divertissements et les mondanités des villes d’eaux pouvaient donc être un facteur

essentiel dans le choix d’une destination et participaient grandement à la sociabilité des lieux.

Les villes aux meilleures sources de divertissement étaient généralement les plus courues.

5.3 Le rôle des correspondances et de la littérature Si les correspondances n’eurent pas toujours la faveur des historiens, elles sont

aujourd’hui le fruit d’études soutenues. Elles permettent de définir une forme de restitution

du voyage. Par exemple, les lettres du premier voyage de la marquise de Sévigné vers Vichy

nous permettent, non seulement de nous renseigner sur les raisons, les aléas et les conditions

de voyage et finalement sur la vie aux eaux elle-même, mais elles nous permettent, dans une

certaine mesure, de retracer les différentes étapes du voyage. Ainsi, nous pouvons affirmer

qu’elle mit sept jours pour se rendre de Paris à Vichy, qu’elle partit le 11 mai et qu’elle arriva

le à Vichy le 18 mai. Elle fit des étapes à Montargis, Nevers et Moulins.

Cependant, nous avons remarqué que la correspondance des villes d’eau avait un

caractère particulier et que nous pouvions l’inscrire parmi les divertissements du voyage et de

la vie aux eaux. Si nous lui consacrons une attention particulière, c’est parce que nous

pouvons affirmer qu’il ne s’agissait pas que d’un simple divertissement. Puisque l’aristocratie

était le principal protagoniste du voyage pour raison de santé et qu’elle en avait la capacité,

nombreuses furent les correspondances relatant les détails du voyage et de la vie aux eaux. Le

voyageur entreprenant son périple gardait donc le contact avec un réseau social. Aux XVIIe et

XVIIIe siècles, la correspondance évoquait surtout l’amitié, mais également la solitude du

voyageur, mettant en scène l’absence et le manque. « Par sa forme, la lettre cherche à

prolonger la convivialité amicale et par l’illusion de l’oralité à donner l’impression d’une

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conversation163 ». Madame de Sévigné, en voyage à Vichy, écrivait à sa fille « Ma bonne, ne

vous fâcher point : je vous écris à six heures du soir, loin des eaux, loin de toute vapeur. C’est

pour me donner de la joie que je veux causer un moment avec vous; j’ai rompu tout autre

commerce164 ». La correspondance pouvait alors s’inscrire comme étant une forme de

continuité à la sociabilité de cour. La prise des eaux devait demeurer une expérience hors du

commun, positive pour les uns, négative pour les autres. Il ne suffisait pas de partager les

sentiments de cette expérience avec les seuls malades présents sur les lieux, mais également

d’en informer les proches, ce qui, croyons-nous, contribua à la propagation du thermalisme

de cour et put influencer, par les récits et les diverses expériences, le choix d’une destination.

L’écriture d’une correspondance semblait réellement avoir l’effet d’un divertissement,

d’un plaisir quasi coupable puisqu’elle devait être régie selon les lois de la cure. La vie de

baigneur étant réglée selon la prise des eaux, il y avait donc des heures établies pour écrire165.

Ainsi, Boileau prit la plume à « dix heures du soir qui est une heure fort extrôrdinaire aux

Malades de Bourbon » afin d’informer Racine de l’amélioration inattendue de sa santé166.

Certains médecins des eaux craignaient que l’entretien d’une correspondance, l’envoi et la

réception de lettres, ne vienne troubler le malade puisqu’il était recommandé de boire les

eaux éloignées de toutes inquiétudes d’esprit167. L’arrivée par la poste, souvent inconstante,

de lettres pouvant contenir de mauvaises nouvelles pouvait ainsi venir troubler la quiétude

des soins. Certains médecins s’opposaient donc à l’entretien d’une correspondance et à

l’écriture lors du séjour aux eaux. Madame de Sévigné s’insurgea d’ailleurs contre cette

mesure affirmant à sa fille, « si les médecins, dont je me moque extrêmement, me défendaient

de vous écrire, je leur défendrais de manger et de respirer, pour voir comme ils trouveraient

de ce régime168 ». La correspondance était d’autant plus importante si les sources de

divertissement étaient pauvres. Comme madame de Sévigné le mentionnait à plusieurs

reprises lors de ses différents voyages à Vichy et Bourbon, sa correspondance avec sa fille

                                                            163 Pierre-Yves BEAUREPAIRE, « La lettre de voyage : première époque : l’âge classique », La Poste, [En ligne], Édition du 7 février 2007, http://www.fondationlaposte.org/article.php3?id_article=18&id_secteur=1&archive=true, (Page consulté le 15 mai 2008). 164 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1978, p. 543. 165 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 3, Paris, Gallimard, 1978, p. 322. 166 Nicolas BOILEAU, Œuvres complètes, Paris, Gallimard, 1966, p. 746. 167 Claude FOUET, Nouveau système des bains et eaux minérales de Vichy, Paris, Pepie, 1686, p. 205. 168 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1978, p. 296. 

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demeurait son unique plaisir169. Près d’un siècle plus tard, l’abbé de Voisenon à Cauterets

attendait toujours sa correspondance avec impatience. Il affirmait que, malgré les ressources

du spectacle : « je m’ennuie; personne ne m’écrit […]170 ». L’arrivée de la poste était très

certainement une des distractions principales dans les stations isolées comme Cauterets et

Barèges.

Avant les événements révolutionnaires, les voyages aux eaux, les stations à la mode et

la douce vie qu’on pouvait y mener, furent chantés par divers littérateurs. Ces récits nous

donnent souvent une vision altérée des lieux et s’inscrivent dans une topologie imaginaire, à

laquelle le voyageur participe à alimenter le caractère mythique de la ville d’eau. En effet,

comme l’explique Dominique Jarrassé, « Autour des sources naquirent des légendes et des

« villes » qui outrepassèrent leur raison d’être originelle de station médicale quasi-

miraculeuse pour participer d’un mythe dont les clés ressortissent aux mots de jeu, amour et

mort171 ».

Bien que les récits de voyage aux eaux relatent la maladie, la souffrance et parfois

même la mort, ces éléments demeuraient généralement relégués au second rang, voilés par le

caractère hédoniste des curistes. Le Mercure Gallant de juin 1678 faisait l’éloge de Vichy

« […] les eaux de Vichy ont eu un effet admirable; le beau monde qui s’y est assemblé à bien

contribué à la guérison des malades en y amenant les plaisirs qui ne les ont presque pas

quittés. Le jeu, la bonne chère, la promenade, les concerts de musique ont été les

divertissements de tous les jours et il y a un bal fort souvent […]172 ». La vogue et la

popularité de Forges inspirèrent en 1633, les Divertissements de Forges, dans lesquels, à

travers une histoire d’amour, étaient relatés la vie des eaux et leurs divertissements173. Dans

la tradition, les Amusements étaient des recueils d’anecdotes, mais les Amusements de Spa du

baron de Poellnitz, publié en 1734, marqua la création d’un genre littéraire nouveau dédié

non seulement aux fontaines, mais à la société qui les fréquentait, relatant un style de vie

allègre et agréable, des divertissements et des plaisirs. Le genre connut un succès retentissant

                                                            169 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2 et 3, Paris, Gallimard, 1978, Voyage à Vichy et Bourbon. 170 Charles-Simon FAVART, op. cit., p. 137. 171 Dominique JARASSÉ, « Poétique de la ville d’eau », dans Villes d'eaux en France, Paris, Institut français d'architecture, 1984, p. 145. 172 Mercure Galant juin 1678, cité dans, Paul GERBORD, Loisirs et Santé, Les thermalismes en Europe des origines à nos jours, Paris, Honoré Champion, 2004, p. 43. 173 François COLLETET, Les Divertissements de Forges, mentionné par Dominique JARASSÉ, « Poétique de la ville d’eau », dans Villes d'eaux en France, Paris, Institut français d'architecture, 1984, p. 146.

59  

 

et quelques sources minérales françaises eurent leurs Amusements comme les Passe-temps

agréables des eaux minérales de Bagnères-de-Bigorre paru en 1785 et les Amusements de

Passy paru en 1787174.

Outre les Amusements, les villes d’eaux inspirèrent d’autres représentations littéraires.

Comme le mentionnait Jean-Pierre Picquet à propos de Barèges et de ses paysages, elles

« […] n’appartiennent pas seulement à la médecine; la peinture et la poésie lui rendent

également hommage175 ». Dominique Jarrassé affirmait que la ville d’eau était un « lieu non

poétique», puisque même si de grands poètes firent des séjours aux eaux, la qualité des vers

sur le sujet demeura pauvre176. Néanmoins, le poème Voyage aux eaux de Le Mierre,

contribua à la construction de l’image de la ville d’eaux telle qu’elle était perçue autrefois177.

Le poème est d’autant plus utile qu’il s’insère dans un ensemble de poèmes relatant les

usages de l’année 1777. En examinant la table des sujets dans Les Fastes ou les usages de

l'année, nous remarquons que le voyage aux eaux était devenu si courant qu’il côtoyait des

événements aussi communs que la fête de la nouvelle année, le bal de l’opéra, le carême, la

fête de Pâque et les noces.

Les villes d’eaux étaient donc, malgré les recommandations, un lieu propice à

l’écriture. Boileau s’était fait expliquer que les eaux lui donneraient « […] toute liberté de

lire, et mesme de composer178 ». La comédie, divertissement populaire chez la clientèle des

sources minérales, prit rapidement pour sujet la vie aux eaux. Ainsi, l’abbé de Voisenon

prévoyait faire jouer une comédie qui serait précédée d’un prologue concernant les

installations du théâtre se rapportant aux bains179. Plus tard, à partir de la seconde moitié du

XVIIIe siècle, une nouvelle clientèle viendra profiter de l’environnement de la ville d’eau afin

de s’en inspirer. Ce fut le cas d’une certaine mademoiselle de Saint-Léger qui profita de son

voyage en Auvergne pour de se rendre au Mont d’Or, « lieu enchanteur pour elle; la majesté

de ces montagnes lui élevant l’imagination, elle en profitait pour travailler à un roman

historique180 ».

                                                            174 Dominique JARRASSÉ, op. cit., p. 147-148. 175 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. 204. 176 Dominique JARRASSÉ, op. cit., p. 157-158. 177 Le « Voyage aux eaux » d’Antoine-Marin LE MIERRE, se trouve en annexe 1. 178 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 737. 179 Charles-Simon FAVART, op. cit., p. 168. 180 Antoine-Grimoald MONNET, op. cit., 1887, p. 30.

60  

 

Chapitre 6 : Une vie réglée par les soins

La vie à la ville d’eaux devait être réglée selon les règles de la cure. Les

divertissements devaient également se plier aux horaires des eaux. Si les plaisirs et

mondanités agissaient, en tant que complément de la cure, ils cachaient également une réalité

beaucoup plus sévère. Les souffrances, les maladies et la dureté des soins étaient

généralement reléguées au second rang du voyage aux eaux. Pourtant, pour certains, le

voyage aux eaux était le dernier recours d’une médecine poussée à bout et il était fort

possible de ne jamais en revenir.

6.1 Les divertissements, un supplément à la cure Les amusements et divertissements des villes d’eaux faisaient partie intégrante de la

réalité. Le Journal de physique, de chimie, d'histoire naturelle et des arts de 1777

recommandait, à titre de prescription, les amusements puisqu’ils contribuaient grandement

aux effets salutaires des eaux minérales181. Selon Pierre Jean-Baptiste Le Grand d’Aussy, les

agréments de la société thermale consistaient aux promenades, à la bonne chère et aux

plaisirs182. Les villes d’eaux à la mode devaient donc être en mesure d’offrir ces différents

services puisqu’ils ne faisaient pas qu’attirer une clientèle nombreuse venue strictement pour

se divertir, mais bien parce que ces trois éléments se rapportaient à la cure elle-même. Dans

une brochure datant du XVIIIe siècle, le médecin de Bagnères remplaça même les pratiques

dites dangereuses, employées depuis Hippocrate, par deux moyens selon lui infaillibles :

« […] le plaisir et la promenade. Toute la science médicale est comprise dans cette harmonie

physique et morale, l’âme du monde, qui donne le mouvement des idées et des intérêts vers

les améliorations sociales, résultat inévitable des lumières, découverte de la médecine

universelle! 183 ». Bien que ces trois règles du thermalisme aient eu valeur de soin ou même

de traitement complémentaire, la règle d’or demeura la modération. Il était alors primordial,

au tournant du XVIIIe siècle lorsqu’il s’agissait d’entreprendre une cure thermale, de vivre de

façon régulière et sereine autant lors du voyage que lors de la cure.

                                                            181 Henri Marie DUCROTAY DE BLAINVILLE, op. cit., p. 644. 182 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY, op. cit., p. 183. 183 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. 289.

61  

 

Bien que l’exercice fût recommandé, il fallait éviter les exercices physiques et

mentaux à caractère violent. Ce fut probablement la raison pour laquelle Boileau écrivit à

Racine le 21 juillet, 1687, « Je n’ay pas encore eu de temps pour me remettre à l’estude,

parce que, j’ay esté assez occupé des remedes, pendant lesquels on m’a defendu sur tout

l’application184 ». En effet, selon le médecin du roi Claude Fouet, il était important de se

libérer de toutes inquiétudes de quelques natures qu’elles fussent, puisqu’il avançait que la

tranquillité augmentait de façon prodigieuse le succès des remèdes. Le malade devait donc se

présenter aux eaux avec pour seuls soucis sa santé et le désir de guérir. Au contraire, un

malade troublé par quelques embarras risquait fort, par son chagrin et ses préoccupations, de

porter atteinte à l’efficacité des eaux185. Par exemple, Encosse, se trouvant au pied des

Pyrénées, étant éloigné de tout commerce, ne recelait aucun divertissement excepté celui de

revenir à la santé186. Les traitements devaient alors commencer dans un état d’esprit des plus

serein afin d’assurer la pleine efficacité des eaux187. Mais en d’autres lieux où ils abondaient,

les divertissements n’avaient pas qu’une utilité récréative, il s avaient bel et bien une finalité

curative et les médecins prescrivaient parfois la participation active aux amusements.

La promenade tout comme les divertissements étaient nécessaires au succès de la cure

et prirent rapidement le statut de complément. Nous pouvons imaginer qu’ils pouvaient servir

à masquer la pénible réalité des soins, élément sur lequel nous reviendrons allègrement. Ils

étaient naturellement l’héritage de cette clientèle aristocratique à laquelle une vie sociale de

mondanités et de divertissements était nécessaire. Les divertissements s’inséraient donc dans

le traitement. Boileau redoutait les eaux de Bourbon puisqu’on les disait fort endormantes et

qu’il était strictement interdit de s’endormir après en avoir absorbé. En effet, dormir après

avoir bu les eaux pouvait avoir de fâcheuses conséquences. Diderot stipulait que si un

baigneur avait le malheur de s’endormir après avoir bu les eaux de Bourbonne, cela avait

pour effet d’élever sa chaleur corporelle et de causer de la fièvre : « Les eaux veillées sont

innocentes, les eaux assoupies sont fâcheuses188 ». Ainsi, recommandait-on les plaisirs et les

divertissements, promenades incluses, afin de combattre la fatigue et de rester éveillé après le

repas du midi. Boileau se vit donc accordé la liberté de lire et de composer sous la seule

                                                            184 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 736. 185 Claude FOUET, Nouveau système des bains et eaux minérales de Vichy, Paris, Pepie, 1686, p. 205-206. 186 Laurent-Pierre BÉRENGER, « Voyage de Messieurs de Bachaumont et La Chapelle », Recueil amusant de voyages (publié par Bérenger et autres), Paris, Chez Gay & Gide, Nyon, 1783, p. 57. 187 Claude FOUET, op. cit., p. 205. 188 Denis DIDEROT, op. cit., p. 603.

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restriction de ne pas s’endormir189. Ces activités devaient toujours, selon la règle, être

pratiquées avec modération. Les jeux devaient rester simples, ou selon les termes de l’auteur,

« sans interests ». Les promenades ne devaient pas faire « apprehender le serain » car l’excès

était dangereux. En effet, la prise des eaux sous n’importe quelle forme créait une réaction

humorale qui échauffait « plus que toutes autres réaction » et, il fallait éviter de l’altérer les

humeurs par toute forme d’excès190. Pratiquer la promenade ou quelques exercices de façon

modérée entrait dans la forme du traitement, d’autant plus qu’elle contribuait également à

l’évacuation des humeurs et préparait donc à la prise des eaux. Plus tard, à partir du milieu du

XVIIIe siècle, l’exercice aura toujours un rôle primordial dans la cure thermale, permettant la

préparation des traitements et favorisant l’évacuation des humeurs, mais, comme nous

l’avons précédemment mentionné, elle servit désormais à renforcer la fibre.

« Faire bonne chère» devait faire partie des plaisirs d’un voyage aux eaux. Pourtant,

les repas étaient soumis à des horaires stricts et à une règlementation rigoureuse.

L’on doit regler l’heure du manger sur celle de la boisson […] Pour le dîner, l’on peut boire moitié eau & moitié vin, peur ceux qui ont accoûtumé des viandes qui ne fatiguent point l’estomac, bannir les ragoûts & la pâtisserie, & plus particulierement celles où il y a beaucoup de sucre, dont on ne doit user qu’avec moderation pendant la boisson […]. Nous conseillerions, mais sagement, aux malades de manger chez eux, & non en compagnie, tant parce qu’il faut être extrêmement libre, que parce qu’il est impossible que par complaisance on ne péche, ou en quantité ou en qualité des viandes & nous avons toujours experimenté que les malades qui mangent chez eux, sont plus satisfait des Eaux que les autres, ce qui se trouve plutôt à l’égard des Bourgeois qui vivent regulierement que les personnes de qualité, qui prennent souvent les remedes à leur mode, pensant qu’il suffit de boire les Eaux sans en craindre l’évenement191.

Le corps corrompu et toujours pénétré par l’air était, depuis le XVIe siècle, le fruit d’une

attention toute particulière. La nature de la nourriture et de la boisson ayant un impact direct

sur les humeurs, ces éléments devaient être scrupuleusement choisis. Les siècles suivants

furent donc marqués, chez une minorité de l’élite, par la sobriété alimentaire192. Les régimes

entrepris lors de la cure devaient donc être attentivement observés, dans ces siècles où

l’alimentation faisait l’objet d’analyses.

                                                            189 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 736-737. 190 Claude FOUET, Nouveau système des bains et eaux minérales de Vichy, Paris, Pepie, 1686, p. 214-215. 191 Ibid., p. 212-213-214. 192 Georges VIGARELLO, Le sain et le malsain, Santé et mieux-être depuis le Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, Collection L’Univers historique, 1993, p. 70.

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Comme la prise des eaux minérales influençait également les humeurs, il était

important de régler la vie thermale autour de leur prise. Ainsi, il ne fallait pas altérer

davantage les humeurs par la nourriture. Le régime alimentaire faisait état de traitement

puisque certains aliments avaient la caractéristique d’être médicamenteux pour certaines

afflictions. Ainsi, Boileau se vit recommander le lait d’ânesse pour soigner son aphonie.

Claude Fouet conseillait également de manger dans le confort de sa résidence et déconseillait

la compagnie, ayant remarqué que ces personnes étaient plus sujettes à commettre des excès.

Rongé par l’ennui, lors de son séjour à Cauterets, l’abbé de Voisenon déplorait : « On mène

une vie de religieux; on ne mange pas les un chez les autres […]193 ». Néanmoins, il semble

qu’il ait trouvé un endroit pour fuir sa lassitude.

[…] c’est chez le pâtissier; il fait des tartelettes admirables, des petits gâteaux d’une légèreté singulière, et des petites tourtes composées avec de la crème et de la farine de millet; on appel cela des millassons. Je m’en gave toute la journée; cela fait aigrir mes eaux, cela me rend jaune; mais je me porte bien, et je fais l’amour sur le cul du four194.

Comme nous pouvons le remarquer, selon les différents témoignages, les règles du bon

succès de la cure n’étaient pas toujours respectées, entrainant l’abbé à éprouver plusieurs

malaises lors de son séjour à Cauterets. « Je suis si gonflé de pâtisserie, que j’en crève. Je me

suis baigné malgré mon indigestion dans mon eau soufrée. Le mal de cœur m’y a pris, j’en

suis sorti au bout d’une demi-heure, mais tout en nage, et tout près de tomber en

faiblesse195 ». Le régime alimentaire suivi lors des traitements thermaux était à l’image de la

ville d’eaux, teintée d’une ambivalence. Il pouvait faire partie des plaisirs de la cure tout

comme il pouvait être vécu péniblement.

Bien que les divertissements et les plaisirs durent tenir lieu d’accompagnement et

même de complément aux traitements, ils devaient toujours être selon la règle, pratiqués de

façon modérée. Lors du séjour de l’abbé de Voisenon à Cauterets, le principal divertissement

était le théâtre. La représentation spéciale en l’honneur de la duchesse de Choiseul dut être

annulée puisque celle-ci, affligée de sa santé, mettait tant d’ardeur dans les répétitions que les

médecins craignaient que sa santé en fut altérée. La pratique excessive d’amusements pouvait

ainsi avoir des conséquences fâcheuses sur la santé des malades. Le Journal de physique, de                                                             193 Charles Simon FAVART, « Lettre de M. l’abbé de Voisenon à madame Favart », Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, Libraire, 1808, p. 135. 194 Ibid., p. 133. 195 Ibid., p. 156.

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chimie, d'histoire naturelle et des arts, paru en 1777, stipulait donc que « L’air libre & pur de

la campagne, un exercice modéré, les amusements, contribuent infiniment aux effets

salutaires des eaux minérales. Le gros jeu, les veilles, la bonne-chere en exces, ne font que

trop souvent les causes de leur peu de succès196 ». Ainsi, même dans la seconde moitié du

XVIIIe siècle, la règle d’or du thermalisme, même si elle ne paraissait pas toujours appliquée

avec succès, demeurait la modération.

6.2 Une réalité bien déguisée L’entreprise d’un voyage vers des sources thermales était perçue par plusieurs comme

l’ultime et dernier recours et pouvait aussi bien être le dernier voyage. C’est ainsi qu’une

connaissance de mademoiselle de Montpensier, monsieur Berville, « fit un grand voyage; car

il mourut, deux jours après être parti de Forges, de son apoplexie […]197 ». Bien que les récits

laissaient plus souvent transparaître les divertissements, les plaisirs et la douce vie menée aux

eaux, cette réalité en cachait une autre beaucoup plus sombre. Il suffit d’étudier attentivement

les différents témoignages de baigneurs pour y entrevoir l’ennui, la mort et la maladie sous

leurs formes les plus accablantes.

Les villes d’eaux niaient la mort, renvoyant souvent les malades pour qui il n’y avait

plus d’espoir. Nous apportons l’hypothèse que les autorités des villes d’eaux craignaient que

la mort vienne troubler la quiétude nécessaire pour entreprendre les soins et faire une

mauvaise publicité aux eaux de la ville. L’histoire d’un Sergent d’Artonne en Auvergne vient

appuyer cette hypothèse. Atteint d’une paralysie des bras, des jambes et de l’estomac, il se

rendit à Vichy en 1679 dans un ultime recours. À son arrivée, il rencontra les médecins des

lieux, dont Claude Fouet. À ce moment, il affirma « dès que nous l’eûmes vû dans ce

pitoyable état, nous conseillâmes à sa femme de le reconduire chez elle, apprehendant qu’il

ne fût l’opprobre des Eaux, & qu’il n’y mourût ». Puisqu’on refusait ainsi de le traiter, le

malade envoya sa femme lui quérir les eaux pour qu’il puisse y goûter. À partir de ce

moment, les médecins, voyant que les eaux lui faisaient du bien, décidèrent de le traiter198. Il

en résulta une guérison miraculeuse. Cette histoire serait tombée dans l’oubli et serait

probablement demeurée cachée si le malade était décédé sur les lieux. Il est fort probable que                                                             196 Henri Marie DUCROTAY DE BLAINVILLE, op. cit., p. 644. 197 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 2, Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 451. 198 Claude FOUET, op. cit., p. 204.

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cette histoire fut enjolivée, peut-être même inventée, s’insérant dans un traité visant à

promouvoir les nouveautés des eaux de Vichy. Elle semble néanmoins confirmer que les

médecins des eaux pouvaient refuser de soigner les malades graves de peur qu’ils y meurent

sur place faisant ainsi de la mauvaise publicité à la station thermale. Dans un autre ordre

d’idée, comme nous l’avons mentionné avec le thermalisme de cour, la bonne publicité était

toujours la bienvenue. Boileau affirmait que ses médecins lui étaient entièrement dévoués et

« […] qu’il n’y en a pas un d’entre eux qui ne donnast quelque chose de sa santé pour me

rendre la mienne. Outre leur affection il y va de leur interest par ce que ma maladie faict

grand bruit dans Bourbon199 ».

La mort revenait toujours préoccuper l’esprit des baigneurs qui côtoyaient des

malades en plus mauvaise condition qu’eux. L’abbé de Voisenon écrivait : « […] je crois que

Prevost mourra auparavant (la fin du voyage) : vous aviez bien vu dans les cartes qu’il avait

la tête en bas; il prétend que l’air d’ici lui est mortel; le vin lui porte à la tête, et l’eau au

ventre; il a l’air d’un revenant qui vient me tirer par les pieds200 ». La mort était bel et bien

présente à la ville d’eaux, pour nous le remémorer, il suffit de mentionner que Madame de

Montespan, favorite de Louis XIV, mourut à Bourbon-l'Archambault en 1707 alors qu’elle

tentait de recouvrer la santé.

Les villes d’eaux n’étaient également pas à l’abri de la maladie infectieuse. Par

exemple, en 1675 mademoiselle de Montpensier ne se rendit pas à Froges puisque la petite

vérole y sévissait. Elle prit les eaux dans sa résidence à Eu201. Une ville d’eaux pouvait donc

être ravagée par la maladie. En effet, ce fut la peste de 1629 et les catastrophes naturelles qui

vinrent interrompre le succès de Plombières au cours du XVIIe siècle. Il fallut attendre le

siècle suivant pour que la ville recouvre sa renommée202. Les nombreux traités portant sur les

eaux minérales laissaient entrevoir toutes les maladies qu’elles pouvaient prétendre guérir,

révélant ainsi la maladie comme étant une réalité de la ville d’eaux. Madame de Sévigné

donna un témoignage de cette réalité : « Il y a ici des gens estropiés et à demi mort qui

cherchent du secours dans la chaleur bouillante de ces puits (les uns sont contents, les autres

                                                            199 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 745. 200 Charles-Simon FAVART, op. cit., p. 166. 201 Anne Marie Louise d'Orléans duchesse de MONTPENSIER, Mémoires de Mlle de Montpensier, volume 3 Paris, Foucault, collection des Mémoires, 1825, p. 376. 202 Fernand ENGERAND, Les amusements des villes d’eaux à travers les âges, Paris, Plon, 1936, p. 210.

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non), c’est une infinité de restes ou de menaces d’apoplexies; c’est ce qui tue203 ». Au XVIIe

siècle, les eaux de Vichy et de Bourbon l’Archambault profitèrent grandement à la santé de la

marquise Sévigné. Lors de son séjour à Vichy en 1676, elle écrivait « Personne ne s’est si

bien trouvé de Vichy que moi, car bien des gens pourraient dire :

Ce bain si chaud, tant de fois éprouvé,

M’a laissé comme il m’a trouvé204 ».

En 1687, à Bourbon, elle expliquait qu’elle ne de devrait quitter un lieu où elle se portait si

bien. Pourtant, elle déplorait le fait que si les eaux portaient un grand secours à certains, elles

étaient inefficaces pour d’autres. Se trouvant à Bourbon la même année, Boileau crut l’espace

d’un instant que sa voix lui revenait, à la fin de ses traitements il annonçait à Racine, « Il faut

donc s’en aller de Bourbon aussi muet que j’y suis arrivé205 ». Le miracle des eaux ne

s’opérait pas toujours laissant les malades sans espoir.

Bien que les autorités tentèrent de masquer cette dure réalité, elle demeurait bien

présente à travers les nombreux témoignages. À Bourbonne, Diderot connut l’amertume de la

maladie lorsqu’il rencontra l’abbé Boudot qui avait perdu l’usage d’une main. Cette rencontre

accablante fut suivie d’un épisode des plus troublants. « J’étais à peine revenu de chez l’abbé

que voilà Mme de Nocé qui arrive et qui m’appelle au secours d’une pauvre désespérée.

C’était une dame de Propiac, la femme d’un receveur des domaines de Dijon, qui s’arrachait

les cheveux à côté de son mari agonisant. J’arrive. J’arrache cette femme au plus affreux des

spectacles. Elle criait […]206 ». Les villes d’eaux recelaient de réels malades désireux de se

plier à toutes les règles de la cure afin de recouvrer la santé. Le spectacle du faste, de la joie,

de l’amusement mêlé aux plaintes des malades souffrant était typique du caractère

antinomique de ce lieu particulier.

                                                            203 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 3, Paris, Gallimard, 1978, p. 322. 204 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1978, p. 317. 205 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 750. 206 Denis DIDEROT, op. cit., 1972, p. 618.

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6  Si la maladie et la mort pouvaient venir interrompre la douceur de vivre des villes

d’eaux, il faut également y ajouter la rudesse des soins. Les mondanités et divertissements

étaient nécessaires afin d’attirer une clientèle aristocratique. Ils servaient également à apaiser

la réalité des soins. Si plusieurs baigneurs voyaient la cure thermale comme la fuite vers un

endroit où il faisait bon vivre, pour plusieurs, les soins représentaient un supplice.

.3 La rudesse des soins

Le témoignage de madame de Sévigné à propos de ses traitements fait état d’une

pénible réalité. À Vichy, en 1676, il fallait d’abord se lever à six heures puisque, comme le

mentionnait le Nouveau système des bains et eaux minérales de Vichy, il fallait prendre les

eaux le plus tôt possible. Les eaux en boissons étaient bouillantes et fort mauvaises au goût.

La douche semblait être une épreuve des plus pénibles, puisqu’elle la comparait au

purgatoire. Conservant pour habillement qu’une seule feuille de figuier, état qu’elle trouvait

fort humiliant, elle se soumettait au supplice de la douche.

Représentez-vous un jet d’eau contre quelqu’une de vos pauvres parties, toute la plus bouillante que vous puissiez vous imaginer. On met d’abord l’alarme partout, pour mettre en mouvement tous les esprits, et puis on s’attache aux jointures qui ont été affligées. Mais quand on vient à la nuque du cou, c’est une sorte de feu et de surprise qui ne se peut comprendre. Cependant, c’est là le nœud de l’affaire. Il faut tout souffrir, et l’on souffre tout, et l’on n’est point brûlées, et on se met ensuite dans un lit chaud, où l’on sue abondamment, et voilà ce qui guérit207.

La sudation avait pour but d’évacuer les humeurs peccantes, elle durait deux heures, pendant

lesquelles il fallait rester éveillé. Madame de Sévigné écrivait à sa fille, « Quand on entre

dans le lit, il est vrai qu’on n’en peut plus : la tête et tout le corps sont en mouvement, tous les

esprits en campagne, des battements partout208 ». La sudation était telle, qu’elle perçait le

matelas209. Elle dut se soumettre à ce traitement durant huit jours, affirmant que la suerie et la

douche étaient des « états pénibles ». La souffrance faisait donc partie du remède, tout

comme le concevait Boileau qui croyait que c’était la volonté de Dieu de se soumettre au

joug de la Medecine210. Lors de son second voyage à Vichy, la marquise Sévigné prit le bain

qu’elle compara à un combat. Les traitements étaient si difficiles à supporter que Claude

                                                            207 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ. op. cit., p. 202. 208 Ibid., p. 202. 209 Ibid., p. 307. 210 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 786.

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Fouet affirmait « […] peu de gens sont assez robustes pour résister aux évacuations du Bain

ou de la Douche, & de la boisson en un même jour […]211 ».

 

 

Façon de prendre la douche à Plombière au milieu du XVIIIe siècle212 

Comme nous l’avons observé, l’entreprise d’un voyage aux eaux était précédée de

précautions qu’il était primordial d’observer et qui pouvaient s’avérer fort pénibles. Boileau

nous dévoilait quelles étaient ces formalités : « Depuis ma derniere letre j’ay esté saigné,

purgé etc. et il ne me manque plus aucune des formalités pretendues necessaire pour prendre

les eaux213 ». En effet, selon Claude Fouet,

                                                            211 Claude FOUET, op. cit., p. 209. 212 Planche gravé de Dom CALMET, Nancy, 1748, dans Eugène-Humbert GUITARD, Le prestigieux passé des eaux minérales : histoire du thermalisme et de l'hydrologie des origines à 1950, Paris, Société d'histoire de la pharmacie, 1951, p. 135. 213 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 736.

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[…] les remedes qui ne doivent pas être les mêmes pour tous les malades; car il faut que les un soient saignez, & les autres non, suivant le temperament des malades, & les nature de leurs maux, & encore l’état auquel ils se trouvent après un long voyage qui remue & alerte souvent les humeurs, quelquefois il faut commencer pas vuider les humeurs des premieres voyes, & en ce cas il est assez à propos de prendre quelques lavemens laxatifs, dont la composition doit être suivant les forces & l’humeur dominante,& le lendemain être purgé avant de boire214.

Ces mesures pouvaient avoir des effets pénibles puisque, suite au traitement, Boileau tomba

en faiblesse de telle sorte qu’il n’arrivait plus à se soutenir215. Le voyage du retour devait

également être entrepris selon plusieurs précautions. Il fallait être purgé avant de

l’entreprendre, et le repos était tout aussi important que lors du premier voyage. De plus,

selon Claude Fouet, les résultats du traitement pouvaient apparaitre un mois ou six semaines

après la prise des eaux. Le cas échéant, il était nécessaire de multiplier les purgations afin

d’évacuer les humeurs abondantes.216

Comme nous l’avons mentionné, les médecins des eaux avaient fort mauvaise

réputation. Les progrès de la médecine et de la chimie permettaient une analyse plus efficace

des eaux et de leurs utilisations. Néanmoins, la médecine des XVIIe et XVIIIe siècles fut

troublée par des querelles intestines divisant la profession entre médecins modernistes et

médecins conservateurs traditionalistes prônant la rassurante médecine d’Hippocrate et de

Galien217. Les malades se retrouvaient donc au centre d’une médecine désorganisée, souvent

inefficace dirigée par des médecins attirés davantage par le profit que par la guérison des

malades. A vous dire le vrai, mon cher Monsieur, c’est quelque chose d’assés fascheux que de se voir ainsi le jouet d’une science très conjectuelle et ou l’un dit blanc et l’autre noir car les deux derniers ne soutiennent pas seulement que le bain n’est point bon à mon mal mais ils pretendent qu’il y va de la vie et citent sur cela des exemples funestes. Mais enfin me voila livré à la Medecine et il n’est plus temps de reculer218.

La médecine des eaux semblait d’autant plus pénible que même si la dévotion des médecins

semblait réelle, le malade se soumettait corps et esprit à cette cure de la dernière chance

laborieuse, mal définie. Les médecins de Vichy n’étaient pas d’accord sur l’idée de faire

prendre un bain à Boileau, se basant sur l’affirmation du médecin Fagon : « […] des

                                                            214 Claude FOUET, op. cit., 1686, p. 206. 215 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 736. 216 Claude FOUET, op. cit., p. 217. 217Renato G. MAZZOLINI, « Les Lumières de la raison : des systèmes médicaux à l’organologie naturalist », dans Histoire de la pensée médicale en Occident. Tome II, De la Renaissance aux lumières, Paris, Éditions du Seuil, 1997, p. 94. 218 Nicolas BOILEAU, op. cit., p. 742.

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exemples de gens non seulement qui n’ont pas recouvert la voix, mais qui l’on mesme perduë

pour s’estre baignez219». Boileau risquait ainsi de voir son état se détériorer. À Cauterets,

l’abbé de Voisenon craignait que madame de Choiseul ne meurt d’une des malheureuses

médecines qu’on lui administrait220. Aussi, les chimistes et les médecins se mirent à émettre

des mises en garde quant aux dangers des eaux mal prises ou bues sans supervision.

On peut dire des eaux minérales, comme de tous les remèdes efficaces, qu’elles sont très-utiles, lorsqu’elles sont employées avec prudences et discernement; elles deviennent nuisibles, lorsqu’on les prend dans des cas auxquels elles ne conviennent pas. On doit donc, en premier lieu, éviter, en général, de donner des eaux minérales à toute personnes qui, ayant des frissons, du mal à la tête, des lassitudes spontanées […] elles conviennent encore moins aux malades qui ont quelques tumeur déjà ancienne221.

Finalement, l’hostilité des lieux, les régimes austères et le rythme de vie quasi

religieuse de la ville d’eaux pouvaient souvent venir ajouter à la dureté des soins.

L’éloignement de la ville et la campagne pouvaient être une source d’ennui, « […] ce cruel

fléau du genre humaine, et surtout des riches222 ». L’abbé de Voisenon, malgré le

divertissement du théâtre et les pâtisseries, trouvait le séjour de Cauterets des plus ennuyants.

Après mûre réflexion Boileau écrivait à Racine, « […] il n’est pas necessaire que vous veniés

vous enterrer inutilement dans le plus vilain lieu du monde et le chagrin que vous auriés

infailliblement de vous y voir ne ferait qu’augmenter celui que j’ay d’y estre223 ». Si le beau

temps pouvait agrémenter le séjour aux eaux, la mauvaise température pouvait attrister de

façon considérable la saison. « Il y a aujourd’hui un mois que je suis parti de Paris; il en reste

encore trois, et cela me paraît d’une longueur exorbitante. Il fait un temps déplorable dans

l’horrible cloaque où je suis. La pluie nous inonde tous les jours224 ». La désillusion de ne pas

guérir venait également ajouter à la mélancolie des malades « […] dans le chagrin de ne point

guérir on a quelque fois des momens où la melancolie redouble225 ».

Il semble alors que tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, les villes d’eaux

réussirent à balancer mondanités, divertissements et plaisirs avec les réalités de la maladie, de

l’ennui et de la mort afin de garder l’équilibre entre cette clientèle hétérogène. Elle permit

                                                            219 Ibid., p. 736. 220 Simon FAVART, op. cit., p. 124. 221 Henri Marie DUCROTAY DE BLAINVILLE, op. cit., p. 642. 222 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. 196. 223 Nicolas BOILEAU, op. cit., Paris, Gallimard, 1966, p. 743. 224 Charles-Simon FAVART, op. cit., p. 135. 225 Nicolas BOILEAU, op. cit., 1966, p. 742. 

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d’un côté à une clientèle venue se divertir de profiter des mondanités et des divertissements et

de l’autre à une clientèle physiquement accablée de trouver remèdes auprès de ces eaux

salutaires.

72  

 

 

Troisième Partie : Un regard évolutif 

 

Chapitre 7 : Vers un nouveau voyage

L

L’étude des correspondances, des mémoires et des traités d’analyses chimiques des

sources minérales, nous a fourni de l’information sur le voyage aux eaux et leurs modalités,

tout en nous éclairant sur les pratiques sociales reliées à cette forme de thérapie. Elle nous a

également révélé certains changements entre le voyage du XVIIe et du XVIIIe siècle. Les

formes du voyage évoluèrent au cours des siècles. Par exemple, le XIXe siècle fut marqué par

la mise au point du réseau ferroviaire permettant la démocratisation du voyage, l’essor d’un

nouveau tourisme et par le fait même, permit l’épanouissement du thermalisme. Bien que la

maladie, la recherche des plaisirs et des mondanités demeurent des causes essentielles pour se

rendre à la ville d’eaux, nous avons observé, dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, que les

voyageurs étaient imbus d’une nouvelle conscience de soi, du territoire et du paysage.

7.1 Une définition : Un nouveau siècle, un nouveau voyage La question « qu’est-ce que les Lumières? » demeure complexe et est sans cesse

revisitée. Afin de comprendre l’influence de ce siècle sur le voyage et sur le thermalisme,

quelques notions doivent être définies. Mentionnons seulement que l’homme éclairé est celui

qui, émancipé de la monarchie et de l’Église, « accède à la connaissance par sa propre

volonté ». Il découvre ainsi un monde teinté d’une multiplicité et d’un relativisme permettant

d’exercer la raison. Cela permit l’émergence de la volonté de « classer et de comprendre, de

réunir et d’associer » donnant une unité à l’esprit critique226. Le livre encyclopédique

représente, selon nous, l’expression concrète de la philosophie des Lumières. Nous pouvons

affirmer sans grande crainte que le voyage, expérience éminemment culturelle, fut influencé

par cette raison et ce rationalisme. Nous apportons l’hypothèse que si des changements

significatifs eurent lieu dans le voyage entre le XVIIe et le XVIIIe siècle, ils se reflèteraient

probablement à l’intérieur des définitions de l’époque. Nous avons ainsi interrogé les

                                                            226 A. BAECQUE et F. MÉLONIO, Lumières et liberté, Les dix-huitième et dix-neuvième siècle, Histoire culturelle de la France, volume 3, Paris, Éditions du Seuil, 2e édition (Première en 1998), 2005, p. 13.

73  

 

définitions du mot voyage dans différents dictionnaires afin de percevoir les signes de cette

éventuelle évolution.

La définition du terme voyage du Dictionnaire universel (1690) de Furetière mettait

l’accent sur l’éloignement géographique et le caractère éducatif. On voyageait par « […]

curiosité pour voir des choses rares, […] pour en faire des relations », pour s’instruire et

apprendre à vivre dans le monde227. La définition de L’Encyclopédie ou Dictionnaire

raisonné des sciences, des arts et des métiers, publié de 1751 à 1772, démontre une certaine

évolution du concept. En premier lieu, il suffit de constater que la définition s’est enrichie,

requérant pratiquement deux pages de l’ouvrage. Le transport de l’individu et l’éloignement

géographique y sont toujours réitérés. Nous pouvons ensuite y déceler l’héritage humaniste

des auteurs des Lumières. D’abord parce que les débris de l’Italie antique sont toujours

dignes de curiosité et parce que l’inévitable caractère didactique du voyage se voit réaffirmé

par la mention des anciens de l’Antiquité. Le voyage y est défini comme étant la meilleure

« école de la vie », ainsi, « […] l’on trouve sans cesse quelque nouvelle leçon dans ce grand

livre du monde; & où le changement d’air avec l’exercice sont profitables au corps & à

l’esprit228 ». Comme nous l’avons précédemment explicité, les bienfaits du voyage reflètent

les préoccupations environnementales de l’époque, mais également les convictions en matière

de santé et de médecine. L’article renvoie par la suite à l’expérience et au regard de l’autre.

Les voyages […] sont au jugement des personnes éclairées, une partie des plus importantes de l’éducation dans la jeunesse, & une partie de l’expérience dans les vieillards. Choses égales, toute nation où règne la bonté du gouvernement, & dont la noblesse & les gens aisés voyagent, a des grands avantages sur celle où cette branche de l’éducation n’a pas lieu. Les étendent l’esprit, l’élèvent, l’enrichissent de connaissances, & le guérissent des préjugés nationaux. C’est un genre d’étude auquel on ne supplée point par les livres, & par le rapport d’autrui; il faut soi-même juger des hommes, des lieux, & des objets.

La définition confirme que les voyages étaient l’affaire d’une élite aisée. Comparativement à

la définition de Furetière, le déplacement sur les lieux devient une nécessité. Il ne suffit plus

de voyager dans « les cartes et dans les livres229 », mais bien d’étudier « les mœurs, les

                                                            227 Antoine FURETIÈRE, « Voyage » et « voyager », Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, article « voyage ». 228 Jean le Rond d’ALEMBERT et Denis DIDEROT, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Neufchâtel, chez Samuel Faulche, 1765, Tome dix-septième, p. 476. 229 Antoine FURETIÈRE, « Voyage », Dictionnaire universel : contenant generalement tous les mots françois, tant vieux que modernes, & les termes de toutes les sciences et des arts, La Haye, Rotterdam, Arnout et Reinier Leers, 1690, article « voyage ».

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coutumes, le géni des autres nations, leur goût dominant, leurs arts, leurs sciences, leurs

manufactures & leur commerce230 ».

Nouveauté importante, la définition met dorénavant l’accent sur le rapport personnel

avec l’autre et son milieu. « Ces forces d’observations faites avec intelligence, & exactement

recueillies de père en fils, fournissent les plus grandes lumières sur le fort & le faible des

peuples, les changements en bien ou en mal qui sont arrivés dans le même pays au bout d’une

génération […]». Dans ce nouvel état d’esprit, à l’image même de l’ouvrage, le but du

voyage est de recenser l’observable, c’est-à-dire les différents peuples et leurs particularités,

afin d’obtenir une base de renseignements sur les différentes populations, leurs mœurs et leur

territoire231.

Au terme voyageur, l’auteur de l’article indiquait qu’il s’agissait d’un individu faisant

un voyage pour différents motifs. Mais, fait intéressant, il s’attarde de façon précise à la

production littéraire de voyage. Stipulant qu’elle pouvait être erronée puisque le voyageur,

devant un récit fragmentaire, était tenté de puiser dans ses lectures afin de combler le déficit,

la relation de voyage était susceptible de tromper son lecteur. Cela donnait ensuite mauvaise

figure à l’ensemble des voyageurs. Les auteurs éclairés insistaient alors précisément sur

l’importance de l’authenticité des renseignements observés232. Cette démarche avait pour but

de redonner de la crédibilité aux voyageurs désireux d’informer par l’exactitude de leur récit.

En effet, nous croyons qu’il ne s’agit plus, à partir de la seconde moitié du XVIIIe siècle, de

simplement divertir le lecteur. Bien que le plus grand plaisir de Bérenger aurait été de

parcourir avec son lecteur quelques-uns des pays chantés par Chapelle et Bachaumont, il

faisait remarquer qu’il ne suffisait plus de cultiver le goût pour l’anecdote, rappelant ainsi le

rôle crucial du voyageur tenant à informer par la justesse de son récit233.

La définition du mot voyage a bel et bien évolué au XVIIIe siècle. Propulsée par les

intellectuels éclairés, une nouvelle conception du voyage prend naissance. Toujours teintée

de ces influences humanistes, elle est dorénavant chargée d’une volonté de recensement des

éléments dignes d’intérêt. L’exactitude des observations portées sur un peuple, faisant foi de

                                                            230 Jean le Rond d’ALEMBERT et Denis DIDEROT, op. cit., p. 477. 231 Ibid., p. 477. 232 Ibid., p. 477. 233 Laurent-Pierre BÉRENGER, Recueil amusant de voyages (publié par Bérenger et autres), volume 1, Paris, Chez Gay & Gide, 1783, p. III.

75  

 

statistiques, doit servir à construire un discours scientifique, tout comme les topographies

médicales représentent les premiers bilans sanitaires effectués sur une communauté. Les

informations recueillies lors des voyages sont donc mises au service de ce nouvel

« universalisme ordonné » des Lumières234.

La mutation des récits de voyage nous intéresse particulièrement parce que nous en

avons été témoins lors de nos recherches. Parallèlement à l’évolution du voyage, telle que

perçue dans les dictionnaires, apparaît un profond désir de recenser les eaux minérales et de

les tester afin de découvrir les ressources naturelles du territoire français. Puisque le voyage

aux eaux signifiait généralement entreprendre un voyage à la montagne, nous avons

également perçu un changement dans la perception des éléments de la nature. Les

témoignages d’horreur semblent graduellement céder la place aux descriptions du sublime et

à la description des sentiments. Une nouvelle forme de voyage paraît se dessiner à l’aube des

événements révolutionnaires.

7.2 Les prémices du voyage patriotique La tradition du voyage littéraire, visant à plaire au lecteur, se poursuivit tout au long

du XVIIIe siècle. Mais au milieu du siècle, la véracité des informations retrouvées dans ces

récits, comme le démontrait la définition de l’Encyclopédie, devint primordiale et le désir

d’informer prit, pour une minorité d’auteurs éclairés, la primauté sur le désir de plaire.

Les Voyageurs sont aux Philosophes ce que les Apothicaires sont aux Médecins. Sur les relations des premiers les Philosophes appuient leurs systèmes; d’après la Pharmacie des autres, les Médecins dictent leurs ordonnances. Si les Apothicaires changent les drogues, les malades meurent, si les Voyageurs mentent, les Philosophes font de faux calculs. Le rôle de Voyageur est donc plus important qu’on ne pense235.

Dans le premier tome du Recueil amusant de voyages, paru en 1783, un marquis anonyme

démontrait, par analogie, l’importance du rôle du voyageur, s’accordant ainsi avec la

définition de l’Encyclopédie.

                                                            234 A. BAECQUE et F. MÉLONIO, op. cit., p. 13. 235 Laurent-Pierre BÉRENGER, op. cit., p. 7-8.

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« Il (le voyage) exige à la fois de la probité & de l’instruction; car en relations, comme

en chymie, on peut tromper par ignorance & par mauvaise foi. D’après cela, peu de choses me

semblent aussi ridicule, & même aussi dangereuses que la rage de faire voyager les jeunes

gens à peine sortis du College236 ». Cette diatribe visait probablement les tenants du Grand

Tour, cette pratique qui, du XVIe siècle au XVIIIe siècle, visait à parfaire l’éducation des

jeunes gens des plus hautes classes de la société européenne, souvent juste après, ou pendant

leurs études237. Cette pratique, selon le marquis, avait pour effet de donner une image non

représentative d’une nation éclairée. De plus, il stipulait qu’il était tout à fait aberrant

d’envoyer des jeunes inaptes à répondre à des questions sur leurs propres terres d’origine et

quérir de l’information sur un autre pays qui n’était pas le leur238. Il s’insurgeait contre le fait

d’envoyer des « […] rejetons imbéciles, faire parade chez l’Etranger de leur fatuité & de leur

ineptie, & exposent par-là une Nation éclairée, à être jugée d’après un sot239 ». Non seulement

il dénonçait les voyageurs partant à l’étranger sans connaître leur propre nation, mais cette

critique laisse également transparaître une appartenance à un territoire, voire à une élite

sociale. Les voyageurs parcourant les contrées étrangères, se devaient d’être bien éduqués

puisqu’ils étaient les représentants de leur nation à l’étranger.

De plus, la mise par écrit d’un voyage requérait une certaine éducation, voire un

certain talent puisqu’elle visait maintenant à informer un public de lecteur.

Il faut en convenir; de tous les objets que peut voir un voyageur, il n’est que ceux dont il se propose de rendre compte, qu’il observe avec une certaine attention. Si je n’eusse voyagé que pour mon seul amusement, j’aurais peut-être porté – tout des regards superficiels : au moins, sur beaucoup de faits et de remarques, je m’en serais fié à ma mémoire; et bientôt ma mémoire les eût oubliés. Engagé, au contraire, par une promesse, à instruire de mes observations mon ami, je me crus obligé d’y mettre plus de soin; et par-tout, je m’imposai la loi de noter, sur les lieux mêmes, ce que j’avais occasion d’y remarquer240.

Le récit informatif devait ainsi se distinguer par son souci d’authenticité. Le Grand d’Aussy

devait néanmoins faire partie de l’élite éclairée puisque son récit semble suivre avec attention

les recommandations de l’Encyclopédie, relevant les mœurs des habitants, mais également les                                                             236 Ibid., p. 7-8. 237 Jean BOUTIER, « Le Grand Tour : Une pratique d’éducation des noblesses Européenne (XVIe XVIIIe siècle) », dans Le voyage à l’époque moderne, Paris, Presses de l'Université de Paris-Sorbonne, 2004, p. 8. 238 Laurent-Pierre BÉRENGER, op. cit., p. 7-8. 239 Ibid., p. 9. 240 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY, Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant haute et bafse auvergne aujourd'hui dept du pay de dôme et du Cantal et partie de celui de la haute loire, Paris, Imp. des sciences et arts, an III (1794), p. VII.

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ressources du pays. Même si le voyage à l’étranger recèle toujours un caractère didactique

important, il est dorénavant primordial de connaître son propre pays et d’en connaître les

ressources. Son Voyage fait en 1787 et 1788 dans la ci-devant haute et bafse auvergne […]

semble également avoir une valeur qu’on pourrait appeler « pré patriotique ». En effet, selon

Gilles Bertrand, « Rares sont avant la Révolution les voyageurs qui se sont contentés de

sillonner leur territoire […]241 ».

EH quoi! Toujours des voyages; disais-je, il y a quelques années, à un de mes amis, homme de lettres, en parcourant chez-lui des livres nouveaux! Quoi! toujours des voyages, de Suisse, d’Angleterre, d’Italie, de tous les états du monde enfin! Et jamais des voyages de France! Nous recherchons, nous lisons avec avidité tout ce qui concerne les pays étranger; et le nôtre, qui dans ses divers provinces offre des mœurs, des usages, des productions, des montagnes, etc., qu’il serait pour nous si utile et si intéressant de connaître; le nôtre, dont la description, bien faite, deviendrait un travail si sûr d’être accueilli par des Français, nous ne le connaissons pas ! Cependant j’avoue qu’elle me fut utile, et que c’est à elle particulièrement que je dois de connaître la contrée dont je parle242.

Le Grand d’Aussy était donc l’un de ces rares voyageurs, conscient de l’ignorance des

Français envers leur territoire. Comme le faisait remarquer Jean-Pierre Picquet, « […] les

étranger connaissent souvent mieux un pays que l’habitant lui-même : familiarisé de bonne

heure avec les objets qui l’environnent, il finit par n’y rien voir que de fort ordinaire243 ».

Bien que les Français parcourant leur propre territoire demeurent une minorité, nous avons

croisé quelques voyageurs désireux de rendre compte des ressources et des mœurs de leur

pays. À la manière de Le Grand d’Aussy et de Jean- Pierre Picquet, Denis Diderot affirmait

« Quand on est dans un pays, encore faut-il s’instruire un peu de ce qui s’y passe. Que

diraient le docteur Roux et le cher baron, si des mille et une questions qu’ils ne manqueront

pas de me faire, je ne pouvais réponde à une seule244 ». Ce fut d’abord dans une ville d’eaux,

Bourbone, qu’il parti explorer son « pays ». Ces trois voyageurs partirent donc explorer la

France. Au-delà de leur conscience sur l’importance d’entreprendre des voyages à travers

                                                            241 Gilles Bertrand, « Aux sources du voyage romantique : le voyage patriotique dans la France des années 1760-1820 », dans Voyager en France au temps du romantisme, Grenoble, ELLUG, Université Stendhal, 2003, p. 36-37. 242 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY, op. cit., p. VI-VII. 243 Jean-Pierre PICQUET, Voyage aux Pyrénées françaises et espagnoles, dirigé principalement vers les vallées du Bigorre et d'Aragon, suivi de quelques vérités sur les eaux minérales qu'elles renferment, et les moyens de perfectionner l'économie pastorale, Paris, E. Babeuf, 1828, 2e édition, (1ère en 1789), p. 76. 244 Denis DIDEROT, « Voyage à Bourbonne et à Langres », Œuvres complètes, volume 8, Paris, Le club français du livre, 1972, p. 597.

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leur pays, leurs récits laissent transparaître un second point en commun. Ils se rendirent tous

dans des villes d’eaux. Jean-Pierre Picquet se rendit dans les Pyrénées françaises et

espagnoles, dans les villes de Cauterets, Luz Saint-Sauveur, Barèges, Bagnères. Le Grand

d’Aussy se rendit en Auvergne visiter les eaux de Clermont et du Mont d’Or. Pour sa part,

Diderot se contenta de décrire Bourbonne-les-Bains.

Le thermalisme contribua-t-il à faire voyager les Français sur leur territoire? Dès la

création de la charge de la surintendance générale des Bains et Fontaines minérales du

royaume, intendants, médecins et scientifiques se rendirent auprès des sources pour tenter

d’en faire l’analyse. Bien que le préambule des lettres patentes créant la charge de la

Surintendance des eaux fasse état d’une certaine conception du royaume et de la santé

collective du peuple, les récits de voyage et les analyses des eaux du XVIIe siècle semblent

absents de cette conscience patriotique245. Comme nous avons pu le constater, il s’agissait

plutôt d’une ultime tentative pour recouvrer la santé, se divertir ou venir y passer une saison

comme c’était la mode. La conscience d’entreprendre un voyage dans le but de parcourir et

de s’informer du territoire français est absente de nos sources du XVIIe siècle. Elle semble

donc apparaître au cours du siècle suivant.

Qu’est-ce qui permit ce renouvellement de la mentalité collective et qui permit au

XIXe siècle de devenir celui du romantisme et le siècle d’or du thermalisme? Ce serait

principalement dans la dernière moitié du siècle, comme nous avons pu l’observer avec les

définitions de l’Encyclopédie, grâce à la pensée des Lumières que ce désir de reconnaissance

du territoire français émergea. Selon Gilles Bertrand, le voyage patriotique aurait été propulsé

par « […] un triple travail de réorientation des mentalités et de l’esprit des voyageurs

français246 ». D’abord au niveau de la représentation du territoire, l’approche mondaine se

substitua au travail de l’administration, des érudits et des scientifiques, par une approche

scientifique et statistique. Ensuite, l’événement révolutionnaire aurait permis, tout en

perturbant les conditions de voyage, la réappropriation d’un pays ayant fait table rase des

anciennes provinces. La réorientation s’est ensuite vue « renforcée par des détails

ethnologiques, l’idée du génie des lieux se nourrit du culte de la nature et de la volonté de

                                                            245 Préambule cité page 20. 246 Gilles BERTRAND, op. cit., p. 37.

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sauvegarder un patrimoine à la fois désiré et perçu comme lointain, objet de savoirs acquis

grâce à l’érudition à la collecte archéologique, à l’observation des roches et des peuples247 ».

Nous avons d’abord voulu inscrire le thermalisme au cœur de l’approche territoriale

promue par les scientifiques et l’élite éclairée. Bien que la ville d’eaux demeure une vogue

mondaine tout au long du XVIIIe siècle, elle demeura un mode de médication suscitant

l’intérêt de la science en plein développement. Selon nous, elle participa, en tant qu’objet

d’intérêt scientifique à promouvoir l’enquête des ressources du territoire. À partir des années

1770, les sources minérales furent le lieu de nombreuses recherches, forçant chimistes,

minéralogistes et géologues à parcourir la France. Joseph Bart Carrère, pour le bon

déroulement de son Catalogue raisonné des ouvrages qui ont été publiés sur les eaux

minérales en général, et sur celles de la France en particulier, dut entreprendre un long

voyage pour atteindre les eaux minérales des Pyrénées. « Cette réunion de l’analyse & de

l’observation fixerait à jamais l’Esprit de la Nation sur cet objet important : elle augmenterait

le nombre de nos connaissances & de nos remèdes; elle nous garantirait, à cet égard, de

l’empirisme qui a subjugué ceux qui nous ont précédés248 ». Ce catalogue, visait à augmenter

la connaissance des ressources du royaume, non seulement par l’analyse chimique, mais

également par son approche statistique. Cette étude, mit donc à contribution médecins,

chimistes et physiciens, répandus dans les différentes Provinces françaises249. Le voyage

scientifique semble généralement démuni d’une valeur patriotique, mais lorsque la Société

Royale de Médecine, dans les années 1780, élabora un projet scientifique à l’échelle du

territoire, afin de connaître ses ressources thermales, celles-ci apparaissent comme un

élément pouvant bénéficier à l’ensemble de la nation.

Ainsi, nos trois auteurs conscients de l’importance de connaître leur propre pays avant

d’entreprendre des voyages à l’étranger, contribuèrent à la connaissance des eaux minérales

de leur terre natale. Leurs voyages ne se bornèrent cependant pas qu’à esquisser la

description chimique des eaux. Leurs récits s’occupaient également de décrire les mœurs des

                                                            247 Pour de plus amples détails sur le voyage patriotique voir les travaux de Gilles Bertrand, particulièrement « Aux sources du voyage romantique : le voyage patriotique dans la France des années 1760-1820 », dans Voyager en France au temps du romantisme, Grenoble, ELLUG, Université Stendhal, 2003, p. 35-53. 248 Joseph Bart François CARRÈRE, Catalogue raisonné des ouvrages qui ont été publiés sur les eaux minérales en général, et sur celles de la France en particulier, Avec une Notice de toutes les EAUX MINÉRALES de ce royaume, et un Tableau des différens degrés de température de celles qui sont Thermales, Paris, Rémont, Libraire, 1785, p. 6. 249 Ibid., p. III.

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habitants. L’importance de connaître les ressources naturelles de la nation se doubla donc de

l’importance de l’héritage historique des régions visitées250 et des mœurs des habitants.

7.3 Le regard de l’autre Nous avons ensuite inscrit le thermalisme comme participant à la collecte de détails

ethnologiques. Le voyageur français du XVIIe et XVIIIe siècle, même s’il ne faisait que

parcourir son propre pays, allait à la rencontre de l’autre. Il rencontrait ainsi des populations

aux coutumes et aux mœurs qui pouvaient s’avérer fort différentes des siennes. Le voyageur

portait son regard intéressé vers l’autre. En effet, comme le mentionne l’introduction de

l’anthologie Le voyage en France, « Le regard du voyageur n’est ni totalement naïf ni

complètement innocent. […] Il s’agit d’un acte éminemment culturel, chargé de présupposé,

de stéréotypes, de souvenir riche d’un savoir, d’une mémoire251 ». Les voyageurs se rendant

dans les villes d’eaux, lieux souvent éloignés et difficiles d’accès par sa situation

géographiquement montagneuse, se trouvaient rapidement en contact avec une population

montagnarde aux mœurs différentes.

Tout au long des XVIIe et XVIIIe siècles, le regard du voyageur posé sur l’autre

demeurait chargé de préjugés. Les descriptions visaient généralement les différences

apparentes telles l’habillement. Ainsi, à Cauterets en 1761, l’abbé de Voisenon et sa

compagnie furent « […] ranimés ici par l’arrivée journalière d’une horrible quantité

d’Espagnols, qui sont enveloppés dans des manteaux comme des robes de chambre252 ». Le

regard du voyageur venu de la ville, lieu de la haute civilisation, demeura chargé de

superstitions. Se trouvant en des lieux hostiles comme Cauterets, l’abbé de Voisenon,

comparant le lieu à l’enfer, caractérisait ses porteurs comme étant « […] des baragouineurs à

la mine démoniaque […]253 ». L’habitant de la campagne éloigné était généralement perçu

                                                            250 Nous pouvons également mentionné le récit de Jean-Pierre PAPON, Voyage littéraire de Provence contenant tout ce qui peut donner une idée de l'état ancien et moderne des villes, les curiosités qu'elle renferme […], Paris, Barois, 1780. Il y affirme : « Il nous a paru que dans un siècle où tant de personne voyagent, ce serait leur rendre service que de rassembler dans un volume les connaissances qu’elles doivent avoir sur la Provence, & qu’elles n’auraient ni la patience ni le loisir de se procurer. Nous les présentons au Public avec d’autant plus de confiance, que nous croyons pouvoir répondre de leur exactitude » (p. VII). Il se voulait également contenant « […] tout ce qu’un homme éclairé doit être jaloux de savoir [..] » (p. X). 251 Jean M. GOULEMOT, Paul LIDSKY, Didier MASSEAU, Le voyage en France : anthologie des voyageurs européens en France, du Moyen Âge à la fin de l’Empire, Paris, R. Laffont, 1995, p. XI. 252 Charles-Simon FAVART, « Lettre de M. l’abbé de Voisenon à madame Favart », Mémoires et Correspondance littéraires, dramatiques & anecdotique, volume 3, Paris, L. Collin, Libraire, 1808, p. 130-131. 253 Ibid., p. 130-131.

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comme une représentation passée de la civilisation urbaine. Les descriptions des habitants des

villes d’eaux faisaient ainsi souvent état du folklore local254.

Il est venu des demoiselles du pays avec une flûte, qui ont dansé la bourrée dans la perfection; c’est ici où les Bohémiennes puisent leurs agréments […] Tout mon déplaisir, c’est que vous ne voyez point danser les bourrées de ce pays. C’est la plus surprenante chose du monde : des paysans, des paysannes, une oreille plus juste que vous, une légèreté, une disposition, enfin j’en suis folle255.

Ces divergences folkloriques lorsqu’elles n’étaient pas dépeintes sous des traits caricaturaux,

pouvaient revêtir un caractère amusant, divertissant, voire exotique. Par ce contact avec

l’autre, le voyage aux eaux pouvait également avoir une vocation éducative. Antoine-

Grimoald Monnet profita de son voyage au Mont-d’or pour instruire sa fille sur le caractère

particulier des montagnards. La jeune fille fut troublée du spectacle de deux hommes engagés

dans un duel à mains nues.

La dame jaune l’apaisa en lui disant que ces gens-là n’étaient pas de notre espèce, mais des bêtes féroces ayan des crânes et des épaules de fer. J’appris à ma fille à distinguer, à cette occasion, le caractère des montagnards auvergnats de celui des habitants de la Limagne. Les premiers sont francs, farouches et brutaux, mais honnêtes gens; les seconds fins, rusés, fourbes et processifs, cherchant à se supplanter et à se ravir les biens256.

L’élite éclairée portait ainsi son regard cultivé sur les gens des milieux ruraux qu’ils

qualifiaient souvent de « sauvages »257. La présence aux eaux de l’aristocratie instruite

changea même le caractère des habitants de Barèges. En 1789, Jean-Pierre Picquet écrivait,

Les habitudes de luxe et le voisinage du séjour voluptueux des bains ayant altéré le caractère des toyes (jeunes Barégeoises), on aurait tort de chercher une sévérité de mœurs et l’innocence virginale qui n’existe plus, mais qu’on retrouve cependant avec d’honorables exceptions surtout aux villages inaccessibles aux tentatives des étrangers258.

                                                            254 Jean M. GOULEMOT, Paul LIDSKY, Didier MASSEAU, Le voyage en France : anthologie des voyageurs européens en France, du Moyen Âge à la fin de l’Empire, Paris, R. Laffont, 1995, p. XIII. 255 Marie de Rabutin-Chantal marquise de SÉVIGNÉ, Correspondance, volume 2, Paris, Gallimard, 1978, p. 296 et 313. 256 Antoine-Grimoald MONNET, Les bains du Mont-Dore en 1786, voyage en Auvergne de Monnet, inspecteur général des mines, publié et annoté par Henry Mosnier, Clermont-Ferrand, Ribou-Collay, 1887, p. 37. 257 Olivier FAURE, Histoire sociale de la médecine, Paris, Anthropos, 1994, p. 52. 258 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. 200.

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On qualifiait alors la population campagnarde de sauvage et l’élite éclairée se percevait

comme étant les civilisateurs ayant pour projet la « conquête des esprits et la transformation

des mœurs259 ».

Bien que ces descriptions folkloriques se poursuivent tout au long du XVIIIe siècle, le

regard porté sur l’autre évolua graduellement au cours du siècle. Tout comme le stipule la

définition de l’Encyclopédie, les informations, qu’on pourrait aujourd’hui qualifier

d’ethnologiques, avaient pour but d’informer de la force et des faiblesses des peuples. À

l’image des topographies médicales, le XVIIIe siècle devint le théâtre des études sur les

populations et leur environnement, nommées topographies médicales. Comme nous l’avons

mentionné en première partie, l’air était un souci constant pour la santé. Les autorités se

mirent à étudier « les eaux, le sol, la flore, les cultures, la faune et les animaux domestiques,

avant d’en arriver aux constructions humaines et à ceux qui les peuplent […]260 ». Chaque

lieu avait son air, avec les symptômes qu’il provoquait, chaque ville dispensait ses influences

particulières. Bien que les voyageurs éclairés se rendant aux eaux ne firent pas des études

aussi exhaustives que celle lancée en 1776 par l’Académie de médecine afin de cerner

l’origine des épidémies, ils se livraient néanmoins à quelques descriptions. Jean-Pierre

Picquet dénombrait les sources minérales, leurs propriétés et la clientèle de baigneurs, mais il

tenta également de mesurer l’impact du thermalisme sur les communautés locales. Il porta

également une attention toute particulière à la géographie des lieux et à la description des

Pyrénées; il s’intéressa également à la production alimentaire et au climat du pays. Ainsi, le

climat de Barège, la nourriture produite du sol du pays, l’apport des sources minérales,

doublées d’un air pur et vif, en faisaient un lieu propre au recouvrement de la santé261. Les

villes d’eaux devinrent donc des endroits propices à l’étude ethnographique.

                                                            259 Olivier FAURE, op. cit., p. 52. 260 Ibid., p. 51. 261 Voir la description des Pyrénées dans, PICQUET, Jean-Pierre, Voyage aux Pyrénées françaises et espagnoles, dirigé principalement vers les vallées du Bigorre et d'Aragon, suivi de quelques vérités sur les eaux minérales qu'elles renferment, et les moyens de perfectionner l'économie pastorale, Paris, E. Babeuf, 1828, 2e édition, (1ère en 1789), 440 p.

83  

 

Chapitre 8 : Le rôle du thermalisme dans l’évolution de la perception de la

nature

L’étude des perceptions du paysage montagneux entretient un questionnement

perpétuel et complexe entre sciences, littérature, récits de voyage, soucis personnels du moi et

des sentiments. Le regard démystificateur des voyageurs tout au long du Siècle des Lumières

faisant état de l’observation critique, rationnelle et scientifique permet d’éclairer les préjugés,

les peurs ancestrales, les légendes et les croyances magiques de l’imaginaire collectif. Le

tournant de ce siècle est alors un moment fondamental, particulièrement dans la manière

d’aborder les montagnes, puisqu’il contribuera à remodeler les attitudes et les mentalités

collectives.

8.1 L’horreur de la montagne Puisque la majorité des stations thermales se trouve dans l’axe pyrénéen et dans celui

du Massif Central, nous sommes en mesure de nous interroger sur le statut et sur la

perception de la montagne dans la France du XVIIe et XVIIIe siècle. Nous nous proposons de

faire l’analyse de nos sources afin d’y déceler l’apport du thermalisme dans la découverte des

éléments de la nature et plus particulièrement de la montagne. Les quelques descriptions

élaborées au XVIIe siècle lors d’un voyage aux eaux se limitaient généralement à la

description des bains et des traitements, à la vie qu’on y menait ou à quelques curiosités

rencontrées lors des différentes étapes du voyage, faisant plutôt état du désir d’entretenir le

goût de l’anecdote262. Les historiens sont d’accord pour affirmer que, jusqu’à la seconde

moitié du XVIIIe siècle, le paysage resta généralement ignoré. Ainsi, Boileau et la marquise

de Sévigné en voyage à Vichy ne firent presque aucun commentaire face à l’environnement

naturel des villes d’eaux. Tout au plus, madame de Sévigné se contenta-t-elle de décrire la

beauté des promenades de Vichy.

Les voyageurs du XVIIe siècle décrivaient généralement les montagnes avec horreur.

« Ce pays-ci ressemble à l’enfer comme si on y était, excepté pourtant que l’on y meurt de

froid; mais c’est une horreur à glace, comme était la tragédie de Térée. On y est écrasé par

                                                            262 Gilles BERTRAND, op. cit., p. 36-37.

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des montagnes qui se confondent avec le ciel; on y voit de la neige sur la cime […]263 ». Les

endroits naturels terrifiants portaient ainsi des noms faisant référence au royaume des

ténèbres. Par exemple, au mont d’Or, une gorge portait le nom de gorge des Enfers264. Les

montagnes inspiraient d’abord la peur en raison de leur caractère imposant et hostile à

l’implantation humaine. Comme nous l’avons précédemment démontré, les conditions de

voyage difficile venaient ajouter au dégoût de la montagne.

Les chemins par lesquels on y arrive sont incroyables; c’est une chaîne de roches, de torrens, de précipices plus effrayans les uns que les autres : on y voit que des sapins, des ifs, de la verveine, et tout ce qui caractérise la demeure d’un magicien malfaisant ; on y trouve pas d’oiseau, le silence n’y est troublé que par la fonte des neiges qui tombent du haut des montagnes avec un bruit épouvantable. La nature paraît gémir de l’horreur qu’elle se fait à elle-même […]265 ».

Outre par leurs caractères austères et imposants, les montagnes étaient d’abord le fruit

d’une mentalité collective. L’individu, englobé dans une société, entrevoyait le paysage par

un système de représentation qui lui était fourni d’abord par la collectivité. Comme le faisait

remarquer Alain Corbin, « le paysage est une lecture, indissociable de la personne qui

contemple l’espace considéré. Évacuons donc, ici, la notion d’objectivité266 ». Ces

représentations évoluèrent au cours des deux siècles que nous avons étudiés. Les recherches

sur la perception du paysage et particulièrement la découverte des Alpes et des Pyrénées est

depuis un peu plus de dix ans, le fruit d’une attention soutenue.

Nous nous contenterons rapidement d’effleurer les différentes perceptions de la

montagne au XVIIe et au XVIIIe siècle267. Selon Numa Broc, la Renaissance aurait connu un

certain intérêt pour les cimes des montagnes et le XVIIe siècle aurait donc marqué un net

recul des mentalités. L’homme de ce siècle, n’y voyait que « désordre et répugnance268 ». Le

paysage de l’époque avait une forte connotation religieuse et les théories apocalyptiques

avaient cours. Les physiciens et géologues de l’époque insérèrent les montagnes dans leur                                                             263 Charles Simon FAVART, op. cit., p. 130. 264 Pierre Jean-Baptiste LE GRAND D’AUSSY, op. cit., p. 271. 265 Charles Simon FAVART, op. cit., p. 191. 266 Alain CORBIN, L’homme dans le paysage, Paris, Les éditions Textuel, 2001, p. 11. 267 L’ouvrage d’Alain Corbin Le Territoire du vide : L'Occident et le désir du rivage paru en 1988, représente probablement le point tournant de cette recherche sur la perception des paysages. Pour l’histoire des Pyrénées voir entre-autre BRIFFAUD, Serge. Naissance d’un paysage : la montagne pyrénéenne à la croisée des regards, XVIe – XIXe siècles. Toulouse, Université de Toulouse II CIMA- CNRS, 1994. Pour l’histoire des Alpes REICHLER, Claude, La Découverte des Alpes et la question du paysage, Genève, Georg, 2005. 268 Numa BROC, Les montagnes au siècle des Lumière, Paris, Éditions du Comité des Travaux historiques et scientifiques, seconde édition, 1991 (1ère édition en 1966), p. 15.

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lecture du monde physique. « L’œil épouvanté s’arrête au Marboré, au pic de Rolland, au

Mont-Perdu, vieux témoins de la création, pour y découvrir les traces de ces catastrophes qui

ont souvent changé la face du monde269 ». Les uns y percevaient les « stigmates de la

décomposition d'une terre en route vers le néant promis de l'apocalypse, les autres, les traces

d'un relief sculpté par le déluge270 ». La théologie naturelle viendra adoucir ces traits

monstrueux de la terre. Tout comme pour le rivage, si Dieu créa la mer, source de sel271, les

montagnes contenaient les métaux, l’herbe pour le bétail et donnaient naissance aux

fleuves272. Bien que ce fût sous le signe de la théologie, la science avait maintenant son

regard tourné vers la nature et vers la montagne.

Néanmoins, le merveilleux et les superstitions caractériseront ces paysages marginaux

jusqu’au XIXe siècle. Les voyageurs et les habitants des campagnes demeuraient crédules et

superstitieux. Du merveilleux populaire, au merveilleux chrétien, de la superstition, en

passant par la culture classique qui jouait de la mythologie, selon le milieu de culture, les

éléments de la nature étaient empreints de merveilleux. Mers et océans étaient chargés de

créatures marines, les bois et les montagnes étaient peuplés d’esprits maléfiques et de

sorciers.

L’abbé de Voisenon mentionnait que les entourages de Cauterets avaient tous les

aspects terrifiants de la demeure d’un magicien malfaisant. Jean-Pierre Picquet, en voyage

dans les Pyrénées, recueillit le témoignage d’un montagnard superstitieux. « Le premier

homme que je rencontrai et que j’interrogeai sur les curiosités du pays, me dit : Gardez-vous

bien de pénétrer jusqu’aux travaux commencés à la mine d’argent de Marsous! Cet homme

n’était pas idiot; il paraissait de bonne foi et croyait aux sorciers273 ». Jusqu’au XVIIIe siècle,

la constante découverte d’ossements aux formes monstrueuses et inconnues de l’homme

contribua à attiser le mythe des dragons, figures malfaisantes habitant les sombres grottes des

montagnes274.

                                                            269 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p.215-216. 270 Édouard LYNCH, Compte rendu Serge BRIFFAUD, Naissance d'un paysage. La montagne pyrénéenne à la croisée des regards, XVIe-XIXe siècles, Tarbes/Toulouse, Archives de Hautes-Pyrénées/Université de Toulouse, 1994, 622 p., sur Ruralia revue de l'association des ruralistes français, [En ligne], avril 1999, http://ruralia.revues.org/document98.html, (Page consulté le 20 mai 2007). 271 Alain CORBIN, op. cit., p. 40. 272 Numa BROC, op. cit., p. 15. 273 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. 138. 274 La montagne découverte, exposition médiathèque Jean-Jacaques Rousseau Chambéry, [En ligne] http://www.bm-chambery.fr/services/expos/montagne2002/images/08g.jpg, (Page consulté le 24 mai 2008).

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Dragon rencontré en montagne275 

 

                                                            275 Johann Jakob SCHEUCHZER, Itinera per Helvetia Alpinas Regiones, sur La montagne découverte, exposition médiathèque Jean-Jacaques Rousseau Chambéry, [En ligne] http://www.bm-chambery.fr/services/expos/montagne2002/images/08g.jpg, (Page consulté le 24 mai 2008).

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La cartographie des XVIIe et XVIIIe siècles niait également le paysage montagnard

réduisant les chaînes de montagnes imposantes à de minces alignements de petits monticules.

Les montagnes avaient simplement été placées par la providence pour séparer des voisins

belliqueux276.

 

Fragment de la carte de la France ecclésiastique, 1735, les Pyrénées277 

 

                                                            276 Lucien FEBVRE, La terre et l’évolution humaine, cité par Numa BROC, Les montagnes au siècle des Lumière, Paris, Éditions du Comité des Travaux historiques et scientifiques, seconde édition, 1991 (1ère édition en 1966), p. 16. 277 Jaillot, BERNARD-JEAN-HYACINTHE, La France ecclesiastique divisée par Archevechez et Evechez dans lesquels se trouvent toutes les abbayes d'hommes et de filles a la nommination du roy, Paris, chez l'auteur, 1736. Cette carte représente un bon exemple des propos tenus par Numa Broc. Il suffit de comparer cette carte avec une carte actuelle pour voir que l’aspect imposant des Pyrénées fut grandement diminué.

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Malgré cette horreur de la montagne, les malades n’hésitaient pas à entreprendre

d’épuisants et dangereux voyages en ces terrains hostiles afin de pouvoir profiter des

bienfaits des sources minérales. Jusqu’au XVIIIe siècle, les voyageurs allaient d’étape en

étape, ignorant la nature et le paysage. Néanmoins, nous croyons que le thermalisme créa un

passage et un contact obligés avec la montagne.

8.2 L’apport du thermalisme dans l’évolution des regards La seconde moitié du XVIIIe siècle représente le triomphe de l’espace et de l’air278.

Comme nous l’avons remarqué à plusieurs reprises, le Siècle des Lumières fut marqué par ce

désir d’investigation promu de plus en plus par une prise de conscience hygiénique. Bien que

l’importance de la qualité de l’air soit présente déjà au XVIIe siècle, elle s’exprime d’une

nouvelle façon au XVIIIe siècle avec la phtisie (tuberculose pulmonaire) et l’oppression

pulmonaire. L’accumulation de la foule en milieu urbain et l’encombrement des lieux

deviennent un enjeu puisque le souffle est dorénavant perçu comme nocif. Les autorités vont

alors tenter d’évaluer l’acte respiratoire et sa relation à l’espace. Ces topographies médicales

font alors partie de ce désir d’enquête, caractéristique au Siècle des Lumières. Le changement

d’air va alors faire état de prescription dans le cas d’oppression pulmonaire.

L’air fut l’objet de plusieurs études scientifiques dans la seconde moitié XVIIIe siècle.

Un constat s’imposa rapidement : les montagnes semblaient représenter un lieu privilégié

pour fuir l’insalubrité de l’air des villes. Elle devint alors un laboratoire d’analyse et les

travaux sur l’air de la montagne se multiplièrent à partir des années 1770279. À l’image de

l’analyse de l’air, de l’environnement et de leur rapport sur le développement des maladies, le

dénombrement et l’analyse des sources minérales voulaient recenser les effets de différentes

eaux de France, sur les « […] différentes maladies, & les différens tempéramens280 ». De

plus, selon certaines théories, l’eau avait une influence directe sur la pureté de l’air. En effet,                                                             278 Titre d’une sous partie de l’ouvrage de Georges VIGARELLO, Le sain et le malsain, Santé et mieux-être depuis le Moyen Âge, Paris, Éditions du Seuil, Collection L’Univers historique, 1993, p. 184. 279 Les recherche sur l’air des montagnes aux XVIIIe et XIXe siècles furent particulièrement traité dans les articles de Michel GRENON, « La qualité de l’air mesurée pas H. –B. Saussure au XVIIIe siècle », Daniela VAJ, « La montagne qui guérit : altitude, médecins et voyages au XIXe siècle », Gilles BERTRAND, « Le laboratoire montagnard de l’astronome Lalande. Du voyage en Italie à ses comptes rendus dans le journal savant (17766-1789) », dans Relation savantes, Voyages et discours scientifiques. Paris, Presse de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, 349 p. 280 François Joseph Bart CARRÈRE, op. cit., p. 3.

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selon le Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle paru en 1763, l’eau aurait été

responsable « […] de l’extrême clarté & salubrité de l’air, en ce que tombant de la moyenne

région, elle le purge des corps hétérogènes, qui y étaient suspendus, & qu’elle entraîne avec

elle281 ».

Les sources minérales représentaient également une des manifestations de la curiosité

scientifique face à la nature.

La connaissance des principes qu’elles (les sources minérales) contiennent n’est pas moins importante : elle nous développe la nature de ces mêmes principes, les signes qui les font distinguer les uns des autres, la voie que la nature suit dans leur formation & leur décomposition, la manière d’opérer leur séparation & leur développement, les moyens d’assurer de leur existence, de déterminer leur action & d’apprécier leurs effets. Ces connaissances sont également utiles aux Chimistes & aux Praticiens282.

« Symbole d’une nature régénératrice283 », les sources minérales, particulièrement

nombreuses dans les montagnes furent le fruit d’études qui se multiplièrent à partir de la

seconde moitié du XVIIIe siècle. Souvent lors d’un voyage dans les montagnes, les

chercheurs en profitaient pour étudier les sources d’eau minérale, constant sujet

d’interrogation. Tous savants aguerris ou scientifiques amateurs émettaient leurs hypothèses

quant à leurs propriétés. Les sources thermales fascinaient davantage par leur chaleur. Le

voyage à la montagne et le voyage pour raison de santé devinrent l’occasion idéale afin

d’étudier la nature. Peu d’auteurs traitant des eaux minérales ont résisté à la tentation

d’expliquer leurs propriétés et leur origine. Chacun émettait hypothèses et théories.

L’Encyclopédie affirmait que les eaux thermales devaient leur chaleur à « un mélange de feu

& de soufre qui se trouvent dans les mines voisines des sources, joint à un alkali qui divise

ces minéraux & les étend dans l’eau […] leur en communique la faculté & les vertus

[…] 284». À peu près à la même époque, Valmont de Bomarecques affirmait que les eaux

minérales devaient leur température à « […] des mélanges de pyrites, qui s’échauffent en se

décomposant qu’à des feux souterrains285 ». Même Denis Diderot en visite à Bourbonne émit

une observation générale sur le caractère thermal des eaux286. Cela démontre les

                                                            281 Jacques Christophe VALMONT DE BOMARECQUES, Dictionnaire raisonné universel d'histoire naturelle, Volume 2, Paris, Chez Didot le Jeune, Musier, Fils, De Hansy, Panckoucke, 1764, p. 254. 282 François Joseph Bart CARRÈRE, op. cit., p. 6. 283 Gilles BERTRAND, op. cit., p. 50. 284 Jean le Rond d’ALEMBERT et Denis DIDEROT, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, Tome seizième, Neufchâtel, chez Samuel Faulche, 1765, p. 267. 285 Jacques Christophe VALMONT DE BOMARECQUES, op. cit., p. 251. 286 Denis DIDEROT, op.cit., p. 613.

90  

 

balbutiements d’une science encore souvent imprécise, mais également le souci de connaître

et de comprendre les ressources de la nature.

La finalité de la connaissance de la nature mena à la connaissance scientifique. La

ville d’eaux de montagne devint ainsi un lieu propice à l’étude ethnographique et naturelle.

Cela eut pour effet de renverser peu à peu les anciennes représentations collectives face au

paysage et au standard de beauté et permit la lente démystification des espaces naturels telles

le rivage, les forêts et les montagnes. Les villes d’eaux en région montagneuse bénéficiaient

donc du double apport de la qualité supérieure de l’air qui se trouvait en altitude et des

propriétés des eaux minérales. De plus en plus, vers la fin du XVIIIe et au début XIXe siècle,

les médecins vont recommander l’air de la campagne, des montagnes ou l’air marin. Le XIXe

siècle verra ainsi naître des Health resorts en haute altitude287. Nous apportons également

l’hypothèse que cette prescription d’aller vers des airs plus purs contribua à faire la renommer

de certaines stations thermales de montagne. Pour l’époque qui nous concerne, il devient de

plus en plus évident que les villes d’eaux deviennent des lieux privilégiés pour le

recouvrement de la santé.

Les voyageurs qui entreprenaient un voyage afin d’aller bénéficier des secours des

eaux salutaires dont recelaient les montagnes de France devaient également entrer en contact

avec les éléments de la nature. Comme le soulignait Claude Reichler, les voyageurs, jusqu’à

la seconde moitié du XVIIIe siècle, voyageaient dans des carrosses fermés négligeant le

paysage288. Cependant, comme nous l’avons étudié en première partie, la précarité des routes

ne permettait souvent pas le passage des véhicules sur roues. Les voyageurs se voyaient alors

contraints de marcher permettant alors un regard sur la montagne et son environnement.

Même si les descriptions des voyageurs demeurèrent accablées d’un caractère horrifique, le

regard obligé vaquait dorénavant sur la nature. De plus, l’émotion d’horreur produite par le

caractère austère de la nature n’est-elle pas une composante essentielle de la recherche du

sublime telle que définie par Joseph Addison? Les malades participèrent donc à créer un

contact obligé avec la montagne.

                                                            287 Daniela VAJ, « La montagne qui guérit : altitude, médecins et voyages au XIXe siècle », dans Relation savantes, Voyages et discours scientifique, Paris, Presse de l’Université Paris-Sorbonne, 2006, p. 226. 288 Conférence de Claude REICHLER « Voyage et découverte de la haute montagne à la fin du XVIIIe siècle », sur le site, Centre de recherche sur la littérature des voyages, [En ligne], http://www.crlv.org/swm/Page_accueil_swm1.php, (Page consulté le 24 mai 2008).

91  

 

Les intendants des eaux, faisant la promotion de leur station, participaient également,

probablement sans le savoir, à rendre plus attrayant le séjour en montagne.

Aussi, plusieurs intendants Dauvergne ont-ils cherché à restaurer et à embellir cet établissement (Montd’Or). Ils ont compris qu’il fallait d’abord construire d’autres hôtelleries, où les baigneurs pussent se loger plus honnêtement et plus décemment, où chaque malade pût avoir sa chambre particulière au lieu de se trouver mêlé à des étrangers dans une grande chambre à plusieurs lits. Puis, les intendants ont été arrêtés par la nécessité d’ouvrir des chemins accessibles à toutes sortes de voitures […]. Il fallait même construire ces chemins avec beaucoup plus de précautions qu’on ne le fait ordinairement, en tenant compte de la mobilité des terrains […]289.

En rendant un certain confort accessible, le voyageur malade était plus libre de profiter des

bienfaits du traitement, mais également, étant moins dégouté par la vie à la ville d’eaux, il

pouvait commencer à ouvrir les yeux sur son environnement.

Dans une autre logique, l’ennui de la ville d’eaux montagnarde, éloignée des

divertissements mondains, créa également un contact entre la nature et le baigneur. L’abbé de

Voisenon qui s’ennuyait à Cauterets fit plusieurs sorties à la montagne et bien qu’il comparait

les lieux à l’enfer, il put expérimenter l’ascension d’une de ces montagnes écrasantes qui

ponctuaient les paysages de la ville pour pouvoir sentir le soufre émanant de la montagne et

voir les nuages sous ses pieds290. Le point de vue nouveau que procurait la cime de la

montagne permit une transmutation de la perception de la montagne.

D’un autre côté, elle attachait un point d’honneur à se vanter d’être montée sur ces hautes montagnes et d’y avoir contemplé la beauté de la perceptive, d’y avoir respiré un air tout différent de celui des plaines […] elle apercevait des choses qu’elle n’avait encore jamais vues. Arrivée tout en haut, elle put se promener à son aise, et le spectacle fut encore bien plus merveilleux pour elle, car de cet observatoire, elle apercevait la cime de toutes les autres montagnes et le fond de toutes les vallées environnantes291.

Ces promenades répétées sur les monts permirent le regard du monde à travers un nouveau

cadre. La montagne dominante devint dominée. Le regard porté par l’homme au pied de la

montagne, s’engouffrant dans la jungle que représente son environnement, est totalement

différent que celui qu’il porte au bout de son ascension. L’aspect terrifiant de la montagne

provenant en partie de son caractère hostile, de son aspect imposant au regard, permettait

difficilement d’émanciper cet élément de la nature de son caractère effrayant. L’homme

                                                            289 Antoine-Grimoald MONNET, op. cit., p. 47. 290 Charles-Simon FAVART, op. cit., p. 140. 291 Antoine-Grimoald MONNET, op. cit., p.37-38.

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parvenu à gravir cette masse imposante et à éviter ses multiples dangers disposait

premièrement d’un point de vue, qui à cette époque, n’avait aucun équivalent. La montagne

n’est plus un obstacle infranchissable, mais un obstacle conquis. « Les bois nous offraient

alors sans peine une douce solitude. Je suis contraint de la chercher ici (Cauterets) sur le

sommet des montagnes. Mais quel ravissant spectacle! Je vois sous mes pieds leurs flancs

environnés de nuages, tandis que leur cime & moi, nous sommes éclairés des rayons du

soleil292 ». Ce témoignage de Monsieur Bertin démontre que la montagne ne paraît plus si

terrifiante une fois gravie. Avec les nuages, les sommets environnants et le monde aux pieds

du grimpeur qui s’offrait en spectacle, apparut le sentiment d’accomplissement, tel que

ressenti par la fille de Monnet. Ce cadre devient également idéal à la réflexion personnelle et

à l’émergence du moi, ce qui, croyons-nous, fait état des prémices du voyage romantique.

Outre les quelques excursions de baigneurs dans les montagnes, les relations de

voyages permirent certainement d’apprivoiser les lieux. Les expéditions et les observations

dans les années 1770, 1780 et 1790 de Ramond de Carbonnières dans les Pyrénées et

d’Horace-Bénédict de Saussure dans les Alpes profitèrent également au renouvellement des

mentalités face aux montagnes. Même si nous sommes encore loin de la montagne loisir, les

balades et les ascensions répétées permirent peu à peu d’apprivoiser cet élément naturel

hostile.

8.3 La découverte sentimentale Les genres de l’écriture sur l’étude et la découverte des éléments de la nature prennent

une multitude de formes. Le traité scientifique en est un parmi tant d’autres. Certains sont

plus aptes à faire état d’une écriture savante, mais nous avons remarqué que les descriptions

dites scientifiques revêtaient également une forte tendance sentimentale. Une dualité semble

s’imposer. Au désir d’informer par l’aspect scientifique et véridique du récit, héritage de la

pensée des Lumières, la composante sentimentale semble vouloir s’affirmer de plus en plus

au cours de la seconde moitié du XVIIIe siècle. Jean-Pierre Picquet écrivait « Tous les

voyageurs tiennent à faire partager les sensations qu’ils ont éprouvées; c’est véritablement là

                                                            292 Laurent-Pierre BÉRENGER, « Lettre à M. le Comte de Parn , écrite des Pyrénées par M. Bertin », Recueil amusant de voyages (publié par Bérenger et autres), volume 8, Paris, Chez Gay & Gide, p. 55.  

93  

 

l’objet de leurs relations293 ». La découverte collective savante, se doubla d’une découverte

personnelle, laissant transparaître le moi et ses émotions. Selon Gilles Bertrand, « Le désir

d’investigation transforme le territoire en un espace pittoresque, suscitant des tableaux au

sein desquels le paysage champêtre, les littoraux ou les montagnes tendent à susciter un plus

grand intérêt que les villes294 ». Nous avons retrouvé une tendance scientifique à travers nos

relations de voyage portant sur les villes d’eaux situées dans les montagnes, mais également

une sensibilité, laissant souvent paraître le moi. Nous pouvons percevoir l’émergence du

voyage romantique défini étant « […] la volonté d’approfondir la relation avec la nature et en

même temps avec les hommes, le souci conjoint du détail et de la vue d’ensemble. […] la

valorisation du moi […] et le besoin de s’immerger corps et âme dans la nature et dans

l’histoire humaine […]295 ».

Nous nous proposons d’examiner, à travers nos différentes sources, ces récits qui

entremêlaient discours d’investigation et discours recherchant l’émotion et l’évolution de la

sensibilité. Bien que le romantisme français ne s’affirme qu’à partir des années 1820, 1830,

un ensemble d’éléments de nature d’ordre sentimental commença à émerger dès la seconde

moitié du XVIIIe siècle.

L’aspect pittoresque des montagnes de l’Auvergne, qui se développaient de plus en plus aux yeux de ma fille, la réjouissait beaucoup. Je voyais avec plaisir qu’il lui élevait l’âme. C’est toujours l’effet qu’une telle contemplation produit sur une âme jeune et ingénue; tandis qu’un pays plat ne tarde pas à ennuyer par son uniformité. […] D’un autre côté, elle attachait un point d’honneur à se vanter d’être montée sur ces hautes montagnes et d’y avoir contemplé la beauté de la perceptive, d’y avoir respiré un air tout différent de celui des plaines296.

Certains récits datant de l’ère prérévolutionnaire étaient ainsi chargés d’éléments permettant

de relier le Siècle des Lumières au siècle romantique. L’inspecteur général des mines Monnet

se rendant aux eaux du Mont d’Or d’écrivit de façon sentimentale les montagnes de

l’Auvergne. Cependant, nous pouvons remarquer qu’il négligeait le moi, s’émancipant de ses

émotions en faisant parler celles de sa fille.

                                                            293 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. 276. 294 Gilles BERTRAND, op. cit., p. 50. 295 Ibid., p. 52-53. 296 Antoine-Grimoald MONNET, op. cit., p.22 et 37.

94  

 

La recherche du sublime semble également faire état de ce préromantisme, « Je serais

d’ailleurs embarrassé de vous peindre l’étonnement, l’horreur & l’admiration dont j’ai été

saisi à leur (les Pyrénées) approche297 ». Monsieur Bertin décrivait ainsi le sublime tel que

décrit par Joseph Addison : « an agreable kind of horror » et qui forma la base de la définition

Edmond Burk au milieu du XVIIIe siècle298. « Le sublime est un principe systématiquement

opposé au beau, principe dont la théorisation accompagne la naissance de l’esthétique299 ». Il

est donc, selon nous, un passage obligé pour atteindre le romantisme et semble être un

élément prédominant du préromantisme français.

C’est une entreprise pour laquelle il faut un peu plus de courage, ou un gout très-vif pour les beaux accidents de la nature. […] Le seul objet vraiment beau qui m’ait frappé, c’est avant d’arriver à Gripp, & près du pic du midi, une superbe cascade qui s’élance à travers des rochers […]. Tous les environs de Bagneres sont charmants. La vallée de Campan mérite sans doute les éloges qu’on se plaît à lui prodiguer : mais la grotte est beaucoup trop fameuse. O combien Gavarnie est au-dessus de tout cela! Combien on paierait cher à Paris un seul de ces effets bizarres & sublimes qu’on rencontre à chaque par sur la route!300

Se formule alors le noyau de la sensibilité de la montagne, entre autres, par ce qui donne du

plaisir et apporte la crainte. Le sublime tel que l’énonçait Bertin était déjà recherché à Paris

avant 1789.

Pour notre recherche nous avons consulté l’ouvrage de Jean-Pierre Picquet, Voyage

aux Pyrénées françaises et espagnoles. Nous n’avons eu accès qu’à la seconde édition parue en

1828. À cette époque, la littérature française se renouvelait au rythme des passions et des

émotions du romantisme. L’ouvrage parut pour la première fois en janvier 1789 et eut, selon

l’auteur, le mérite d’appeler l’attention générale sur les Pyrénées. La seconde édition fut

augmentée et corrigée. « J’ai parcouru la série des écrivains les plus connus qui ont publié

leurs observations sur les Hautes Pyrénées; j’ai voulu reprendre les miennes, et, dans une

seconde édition, corriger ce que quarante années ont apporté de changements dans le

                                                            297 « Lettre à M. le Comte de Parn , écrite des Pyrénées par M. Bertin », dans Laurent-Pierre BÉRENGER, op. cit., p. 52. 298 Conférence de Claude REICHLER « Voyage et découverte de la haute montagne à la fin du XVIIIe siècle », sur le site, Centre de recherche sur la littérature des voyages, [En ligne], http://www.crlv.org/swm/Page_accueil_swm1.php, (Page consulté le 24 mai 2008). 299 Définition de « sublime » dans, Le Petit Robert de la langue française, [En ligne], http://petitrobert.bvdep.com/frameset.asp?word=savoir, (Page consultée le 7 avril 2008). 300 Laurent-Pierre BÉRENGER, op. cit., p. 61-62. 

95  

 

mouvement général imprimé à toutes les connaissances301 ». Ayant parcouru les auteurs les

plus connus qui ont écrit sur les Pyrénées, Picquet réactualisa son regard sur les paysages

pyrénéens.

Dans cette situation sauvage, la fraîcheur et la tranquillité appellent toutes les imaginations : les âmes sensibles vont rêver et s’oublier tout à leur aise, et pour celui qui s’est égaré dans les retraites, les bocages solitaires, auprès des fontaines de Py, de Lassale, de Labbat, y retrouver des souvenirs d’amour, de regrets et de douleur302

Cette citation semblait directement empruntée aux thèmes romantiques, dans un cadre où

chaque élément de la nature était propice au développement d’émotions. Il serait intéressant,

dans le cadre d’une étude comparative, d’étudier à quel point la seconde édition fut

influencée par la littérature romantique émergente des années 1820. Puisque cette seconde

édition faisait particulièrement état d’une sensibilité recherchée, nous pouvons avancer

l’hypothèse qu’elle fut grandement augmentée et actualisée selon les standards romantiques.

Bien qu’il serait téméraire de baser l’étude du paysage de la ville d’eaux sur cette réédition,

chargée des concepts romantiques et du voyage patriotique, il serait intéressant de percevoir

l’influence de quarante années sur les relations de voyage dans les montagnes.

Il fallut attendre que les standards de l’exotisme se transforment pour que les

Français se décident à visiter leur pays. La ville d’eaux, particulièrement celles des montages,

devint à partir de la fin du XVIIIe siècle, des lieux propices au rapprochement de l’homme et

de la nature ainsi qu’à la recherche du sublime et d’émotions. Au XIXe siècle, le changement

collectif de la perception du paysage et la révolution du transport firent de la ville d’eaux un

véritable lieu de villégiature. Il ne s’agit probablement pas d’une coïncidence si le siècle

romantique correspond au siècle d’or du thermalisme. Il semble que la forme du voyage de

santé se transforma au milieu du XVIIIe siècle avec le voyage préromantique. Le voyage aux

eaux se transforma avec l’arrivée de villégiateurs, souvent atteints de mélancolie ou de

spleen, plus soucieux de sentiments que des amusements superficiels de leurs temps. La ville

d’eaux devient alors une étape obligée des itinéraires sentimentaux, ou préromantique. L’on

s’y rendait non plus pour la source elle-même ou pour le plaisir, mais pour son cadre propice

aux émotions et aux sondages des âmes. La cure thermale, stratégie en soi, se doubla ainsi

                                                            301 Jean-Pierre PICQUET, op. cit., p. VIII. 302 Ibid., p. 147.

96  

 

des biens faits de l’air et graduellement de l’esthétisme des paysages permettant la

valorisation du moi et des sentiments, agissant sur l’âme.

Ces témoignages sur l’émergence des émotions, l’expression du moi, l’appréciation du

paysage et le voyage patriotique demeurent cependant des faits isolés. Les événements

révolutionnaires auront sans contredit un impact considérable dans le développement du XIXe

siècle, tel que nous pouvons nous le représenter aujourd’hui. Néanmoins, il demeure

intéressant de percevoir que les changements de la perception du paysage prirent naissance

avant la Révolution.

97  

 

Conclusion 

 

Cette recherche avait pour but d’étudier les caractéristiques et les évolutions du

voyage pour raison de santé à travers la France au XVIIe et au XVIIIe siècle, période marquée

par le rétablissement des pratiques thermales. Les voyageurs se rendaient dans les stations

thermales les plus à la mode, promues au début du XVIIe siècle par l’administration royale et

par les grands du royaume. À l’exception des villes les plus cossues, les stations, tout au long

de cette période, accueillirent leur clientèle dans des infrastructures vétustes souvent jugées

inadéquates. Les installations et le traitement thermal ne connurent aucun changement

significatif permettant une évolution des pratiques. Malgré les apports de la science, les eaux

minérales demeurèrent, pendant les XVIIe et XVIIIe siècles, accablées d’un caractère

superstitieux. En effet, jusqu’à la veille des événements révolutionnaires, le choix d’une

destination demeurait largement lié aux expériences personnelles. Le voyage pour raison de

santé est également à mettre en relation avec la perception du corps, la science et la médecine

de l’époque. Cela conditionna les pratiques thermales et le voyage lui-même. Selon la

perception du corps et en raison des risques que comportait la prise des eaux, le voyage

devait être exécuté selon des règles strictes. Il était perçu comme une étape du traitement,

d’abord puisqu’au XVIIe siècle il permettait, par l’agitation du corps, la dissipation des

humeurs. Plus tard au XVIIIe siècle, lors de la découverte de l’état fibrillaire, les mouvements

du voyage et les chocs provoqués par les mauvaises routes permettaient le renforcement de la

fibre.

Nous avons ensuite remarqué que le voyage et la cure à la ville d’eaux étaient teintés

d’une sociabilité particulière. Premièrement par l’hétérogénéité de sa clientèle et ensuite

parce que la maladie et les traitements créaient une ambiance propice au contact de l’autre.

La sociabilité s’exprimait également à travers les divertissements qui ponctuaient les étapes

du voyage et la cure elle-même. Ayant la fonction de complément curatif, les divertissements

participaient à cet inévitable caractère antinomique de la ville d’eaux, celle-ci tenant à la fois

de lieux de maladies et de lieux de plaisir. Puisque littérateurs et médecins participèrent à la

création de l’imaginaire thermal, la souffrance et la maladie, quoique bien réelles,

s’effaçaient derrière la ville d’eau mythique.

98  

 

Nous avons finalement perçu, à travers les dictionnaires de l’époque, une évolution du

terme voyage. Promu par la pensée des Lumières qui permit une approche scientifique et

statistique, le voyage de la fin du XVIIIe siècle fut marqué par le désir de recensement des

ressources naturelles du royaume. Cela eut pour effet de développer, dans une certaine

mesure, une conscience d’appartenance à un territoire. Le thermalisme contribua ainsi, par le

recensement et l’analyse scientifique des ressources thermales, à promouvoir le voyage

patriotique. Le voyage aux eaux et les sources thermales, dont la plupart se trouvaient en

montagne, contribuèrent, en créant un passage et un contact obligé avec les éléments de la

nature, à graduellement émanciper les perceptions horrifiques qui caractérisaient les paysages

montagneux. Munie d’éthers légers et des sources thermales, la montagne passa

progressivement d’élément naturel hostile à un lieu propice au recouvrement de la santé. Se

formula alors le noyau de la sensibilité de la montagne par le sublime. Le voyage aux eaux se

transforma avec l’arrivée de villégiateurs, souvent atteints de mélancolie ou de spleen, plus

soucieux de sentiments que des amusements superficiels de leurs temps. La ville d’eaux

devint alors une étape obligée des itinéraires sentimentaux, préromantiques. Bien qu’elles se

fassent plus discrètes que les pratiques thermales du XIXe siècle, les pratiques thermales des

XVIIe et XVIIIe siècles semblent avoir joué un rôle considérable dans l’histoire culturelle en

France.

Malgré les différents apports de notre recherche, le champ d’études sur le thermalisme

et le voyage pour raison de santé reste largement ouvert. La recherche historique sur le

thermalisme en France à l’époque moderne demeure fragmentaire et pourrait aisément faire

l’objet d’un travail de thèse. De plus, l’historiographie générale sur l’histoire du thermalisme

aurait grand besoin d’être réactualisée par une synthèse digne de ce nom. Qui sera le

successeur d’Eugène-Humbert Guitard…

 

 

99  

 

 

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107  

 

 

Table des annexes 

Annexe 1 : Les fastes, ou les usages de l’année par Antoine-Marin Le Mierre .. 109

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Annexe 1  Annexe 1 : Les fastes, ou les usages de l’année par Antoine­Marin Le 

Mierre 

 

109  

 

 

 

 

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[…] 

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Table des illustrations 

 

Le logis du roi à Vichy au temps de la marquise de Sévigné ................................ 17

Un bain de Bourbon-l’Archambault en 1569 ........................................................ 47

Façon de prendre la douche à Plombière au milieu du XVIIIe siècle ................... 69

Dragon rencontré en montagne ............................................................................. 87

Fragment de la carte de la France ecclésiastique, 1735, les Pyrénées .................. 88

 

 

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Table des cartes 

 

Carte des principales villes d’eaux rencontrées dans notre corpus de source ....... 12

 

 

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Table des matières 

Remerciements ....................................................................................................................... 3

Introduction ............................................................................................................................ 4

PARTIE 1 DES LIEUX VERS LESQUELS ON VOYAGE ........................................................... 8 Chapitre 1 – Géographie des villes d’eaux ..................................................................... 8

1.1 Définir et repérer les villes d’eaux aux XVIIe et XVIIIe siècles ....................... 8

1.2 L’économie des villes d’eaux .......................................................................... 13

1.3 L’évolution des villes d’eaux .......................................................................... 16

Chapitre 2 – La nature des eaux minérales ................................................................... 20

2.1 L’homme devant la maladie ............................................................................ 20

2.2 Des eaux miraculeuses .................................................................................... 22

2.3 L’apport de la science et de la médecine ......................................................... 24

Chapitre 3 – Un voyage aux conditions toujours difficiles .......................................... 30

3.1 Les raisons pour entreprendre un voyage aux eaux ........................................ 30

3.2 Un voyage toujours difficile ............................................................................ 34

3.3 Le voyage comme remède ............................................................................... 37

PARTIE 2 DES PRATIQUES SOCIALES ............................................................................... 42 Chapitre 4 – Une vie de soociété .................................................................................. 42

4.1 La clientèle des villes d’eaux .......................................................................... 42

4.2 Un problème, la proximité des sexes .............................................................. 46

4.3 Les soins en société ......................................................................................... 48

Chapitre 5 – Une vie d’oisiveté .................................................................................... 52

5.1 Mondanités et divertissements du voyage ....................................................... 52

5.2 Mondanités et divertissments: l’imaginaire de la ville d’eaux ........................ 54

5.3 Le rôle des correspondances et de la littérature .............................................. 57

Chapitre 6 – Une vie réglée par les soins ..................................................................... 61

6.1 Les divertissements, un suplément à la cure ................................................... 61

6.2 Une réalité bien déguisée ................................................................................ 65

6.3 La rudesse des soins ........................................................................................ 68

PARTIE 3 UN REGARD EVOLUTIF .................................................................................... 73 Chapitre 7 – Vers un nouveau voyage .......................................................................... 73

7.1 Une définition : Un nouveau siècle, un nouveau voyage ................................ 73

7.2 Les prémices du voyage patriotique ................................................................ 76

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7.3 Le regard de l’autre ......................................................................................... 81

Chapitre 8 – Les rôle du thermalisme dans l’évolution de la perception de la nature .. 84

8.1 L’horreur de la montagne ................................................................................ 84

8.2 L’apport du thermalisme dans l’évoltution des regards .................................. 89

8.3 La découverte sentimentale ............................................................................. 93

Conclusion ........................................................................................................................... 98

Sources ............................................................................................................................... 100

Bibliographie...................................................................................................................... 104

Table des annexes .............................................................................................................. 108

Table des illustrations (dans le texte) ................................................................................. 118

Table des cartes .................................................................................................................. 119

Table des matières .............................................................................................................. 120  

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Résumé 

 

Les XVIIe et XVIIIe siècles marquent le rétablissement du thermalisme et, à l’image

de Michel de Montaigne, pionnier du voyage aux eaux, la France, la saison arrivée, se remet

en marche vers les différentes sources du territoire. Quelles sont les caractéristiques et les

évolutions du voyage pour raison de santé, à travers la France et quelles sont les motivations

de ces déplacements saisonniers? Les réponses se trouvent d’abord au cœur de la destination :

la « ville d’eaux », ancêtre des stations thermales d’aujourd’hui. Elles sont à l’époque des

micros société où, l’espace d’une saison, s’exerce une forme de sociabilité particulière. Ce

sont également des lieux de soins où la médecine occupe un rôle primordial, mais aussi des

aires où les divertissements et les mondanités abondent. S’affirme alors cette spécificité

propre au thermalisme tenant à une ambivalence d’un lieu de cure et d’un lieu propice à

l’oisiveté et aux plaisirs. S’inspirant de cette forme de vie mondaine, littérateurs et médecins

participent à la création de l’imaginaire thermal, la souffrance et la maladie, quoique bien

réelles, s’effaçant derrière la ville d’eau mythique. Finalement, le regard démystificateur des

voyageurs tout au long du Siècle des Lumières faisant état de l’observation critique,

rationnelle et scientifique permit d’éclairer les préjugés, les peurs ancestrales, les légendes et

les croyances magiques de l’imaginaire collectif. Le voyage aux eaux se transforme alors

graduellement avec l’arrivée de villégiateurs, souvent atteints de mélancolie, plus attentifs à

leurs sentiments qu’aux amusements superficiels des villes d’eaux, ce qui permit

l’épanouissement du siècle d’or du thermalisme.

 

 

Mots clé : Histoire, thermalisme, voyage, santé, médecine, montagnes, paysages. 

 

Photo de couverture :

Barèges au XVIIIe siècle, dans André JEAN, Villes d’eaux et thermalisme, Paris, Hachette, 1962, p. 16.