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Le Corbusier Dans ma précédente chronique « L’art d’une vie » en l’honneur du facteur Cheval, certains m’ont répondu au sujet de mon évocation sur Le Corbusier, que je qualifie de dogmatique, que je ne l’avais pas compris ! Pour leur répondre et afin de formuler un avis différent du roman national sur cet architecte adulé, il faut aussi connaître la face cachée de l’homme et avoir un regard sans a priori déférent sur son œuvre. La sagesse populaire à Marseille l’avait baptisé « Le fada » vis à vis de sa cité radieuse et d’autres plus initiés de « Picasso de l’architecture » et un peu avant, juste après guerre de « Céline de l’architecture ». Mais il est vrai que la nation avait besoins d’architectes pour œuvrer à la reconstruction et pas de romancier.
Le Corbusier a toujours fait preuve d’opportunisme et a su vite faire oublier ses errances et s’il n’a pas convaincu Pétain que ses projets d’urbanisme pouvaient servir la « révolution nationale » du régime de Vichy, il a su après guerre, «La page tourne et il faut se décider à l’admettre ! » se refaire une virginité et s’imposer comme l’architecte de référence des années 60.
Ses années oubliées A 30 ans, en 1917, installé à Paris, il rêve, de jouer un rôle actif dans la reconstruction. Pendant 28 ans, où il bâtit une quinzaine de villas, et quelques immeubles, il multiplie des projets radicaux. Ses amis les plus proches sont fascistes, vichystes et antisémites, comme lui. Ils appartiennent tous à la frange d’extrême droite des émeutiers du 6 février 1934 qui pour Le Corbusier, furent «le réveil de la propreté».
En 1940, il écrit à sa mère : (la défaite est une) « miraculeuse victoire. Si nous avions vaincu par les armes, la pourriture triomphait, plus rien de propre n’aurait jamais pu prétendre à vivre».
Et encore, peu après le vote sur le statut des juifs : « Les juifs passent un sale moment ! Leur soif aveugle de l’argent avait pourri le pays! »
«L’argent, les Juifs, la franc-maçonnerie, tout subira la loi juste. Ces forteresses honteuses seront démantelées.»
Et aussi : « Hitler peut couronner sa vie par une œuvre grandiose : l’aménagement de l’Europe ». Et encore : «Il s’est fait un vrai miracle avec Pétain. Tout aurait pu s’écrouler, s’anéantir dans l’anarchie. Tout est sauvé et l’action est dans le pays.»
Il rejoint Vichy dès 1940, y retrouve ses amis et devient conseiller pour l’urbanisme auprès du gouvernement. Aucun de ses projets ne sera retenu. Il publie Urbanisme de la Révolution nationale, Sur les quatre routes, Destin de Paris, la Maison des hommes , nourris d’obsessions hygiénistes et de régénérescence de la race. La perspective des grands ensembles d’immeubles linéaires sans rues, issue des vues aériennes, y réduit les hommes à des silhouettes interchangeables : «L’animal humain est comme l’abeille, un constructeur de cellules géométriques». Sa « standardisation » a d’abord valeur morale : «On fait propre chez soi. Puis on fait propre en soi.»
De retour à Paris en 1942, il devient conseiller technique d’Alexis Carrel et travaille à sa fondation. Qui est Alexis Carrel ? Pionnier de chirurgie vasculaire, il a reçu le prix Nobel de médecine en 1912. Il a adhéré au parti fasciste de Doriot, le PPF, et a milité en faveur de l’eugénisme. Pétain lui confie la direction d’une Fondation pour l’étude des problèmes humains. Son livre « L’homme cet inconnu » connut un succès mondial. Il y développe un eugénisme négatif, c'est-à-dire le projet de l'élimination pure et simple d'humains estimés indésirables. Il propose le conditionnement par le fouet et l’euthanasie pour les plus criminels, aliénés compris. Dans la préface à l'édition allemande de 1936, il écrit : « En Allemagne, le gouvernement a pris des mesures énergiques contre l'augmentation des minorités, des aliénés, des criminels. La situation idéale serait que chaque individu de cette sorte soit éliminé quand il s'est montré dangereux. »
C’est cet homme-là dont il partagera les idées eugénistes, que Le Corbusier a admiré et à qui il a emprunté son lamarckisme en considérant que les qualités des individus s’acquièrent en fonction de l’influence du milieu : l’urbanisme et l’architecture deviennent un modelage de l’homme de l’homme nouveau. Il met au point le Modulor, nouveau nombre d’or de l’espace architectural, mesure idéale de l’espace idéal à partir d’un corps idéal enfermé dans des cellules « radieuses », écrasantes de béton et de verre, aux proportions idéales calculées, d’où toute notion de jouissance et de simple plaisir ont disparu en faveur de la fonctionnalité et de sa froideur.
Une nouvelle opportunité : la reconstruction Sa seconde vie commence, il maquille son passé et échappe à l’épuration. Appelé et soutenu par Claudius-Petit, responsable de la reconstruction de la France, il mettra en œuvre ses anciennes idées et sera même promu président de la Commission d’urbanisme du Front national des architectes, issu de la Résistance.
Ami de Malraux, il incarnera désormais le génie de la France gaulliste.
Et pour Paris la remise au goût du jour du « plan Voisin » C’est le “Poème de l’angle droit” – pour reprendre le titre d’une de ses nombreuses publications – réalisé par le béton, le verre et l’acier. Car la droite est le chemin des hommes, la courbe celui des ânes : “L’âne a tracé toutes les villes du continent. Paris aussi, malheureusement”, déplore-t-il. Grâce à lui, ce vieux Paris “obtus, fermé, étouffant”, est arraché aux “accoutumances séculaires “ et reconstruit comme une “cité linéaire industrielle […], phénomène de mise en ordre implacablement nécessaire mais dont la non-réalisation déclencherait le phénomène destructeur d’une société machiniste. Mille regrets, je ne “charabiaise” pas !” écrit-il à Malraux en 1961.
Mais Malraux a une toute autre vision de l’avenir pour Paris et la France : « Dans notre civilisation, l’avenir ne s’oppose pas au passé, il le ressuscite. »
Paris – le vieux Paris – a échappé à Le Corbusier. Sa pensée n’en a pas moins nourri toute la réflexion sur la ville au long du XXe siècle. Les créateurs des grands ensembles d’après-guerre, avec leurs tours, leurs barres d’immeubles, leur système de voierie rapide, ont directement puisé dans ses théories.
Le modèle de l’unité d’habitation, qui a donné naissance à ces grands immeubles, est en effet souvent associé aux cités HLM devenues vétustes où se concentrent aujourd’hui les problèmes sociaux, c’est la dérive du Modernisme.
Le plan Voisin, le projet fou de Le Corbusier
Le projet de réaménagement de Paris baptisé le Plan Voisin ou Le Corbusier pour construire son Paris idéal, proposait sans complexe de raser une bonne partie de la rive droite de la ville, soit les quartiers du Marais, du Temple et des Archives. Un délire d’architecte que Marcel Duchamp né la même année que lui a qualifié comme un cas de ménopause masculine précoce sublimée en coït mental.
Oubliés les bâtiments haussmanniens, les hôtels particuliers et les musées… Le Corbusier proposait une vision moderniste issue de son obsession radicale de l’homme idéal et formaté qui doit vivre dans un environnement délimité suivant ses théories de la citée radieuse : construire un immense quartier d’affaires composé de 18 immeubles de 60 étages, entouré d’espaces verts et relié à la banlieue par deux autoroutes de 120 mètres de large. Une géométrie stricte façon «régime totalitaire » et des bâtiments cruciformes, bravo l’artiste !
Durant toute sa carrière, Le Corbusier n’a jamais eu de cesse d’innover dans le domaine du logement collectif, pour offrir de « saines conditions de vie » à la classe populaire, une intention hygiéniste d’un esprit tordu
Le Mouvement moderne Apparu dans les années 1920, le Mouvement moderne, également appelé Modernisme, exerce une influence majeure sur le travail de nombreux architectes. Il se caractérise par un retour au décor minimal et aux lignes géométriques pures. Les matériaux privilégiés sont alors le verre et le béton pour les façades, l’acier et le béton pour la structure des bâtiments.
Le Corbusier fait figure de précurseur au sein de ce mouvement, et y apporte une importante contribution personnelle. Il pose en effet cinq principes architecturaux: les pilotis (la construction est surélevée pour permettre de libérer le niveau du sol au profit d’un espace de circulation des piétons) ; le plan libre (les murs porteurs sont remplacés par des piliers qui libèrent toute créativité pour aménager l’espace et la circulation) ; la façade libre (la suppression des murs porteurs permet la construction de façades en baies vitrées, fenêtres et murs légers) ; la fenêtre-bandeau (des fenêtres de grande longueur qui offrent une vue panoramique et font entrer la lumière ; et le toit terrasse (un toit plat qui peut servir de solarium, terrain de sport, piscine, toit jardin...).
La citée radieuse à Marseille est le premier témoignage de cet idéal d’unité d’habitation, comme l’avait réalisé en son temps Godin et son familistère ou Nicolas Ledoux et sa saline royale d’Arc et Senan.
Si on en reste à l’œuvre du Maître malgré son génie visionnaire de la modernité ses réalisations sacralisées par l’UNESCO font néanmoins bien pales figures en comparaison de nos monuments historiques du passé ou des constructions contemporaines des architectes qui l’ont succédé.
La modernité inondée ou la modernité coulée
Avec «Flooded Modernity», une réplique de l'un des bâtiments les plus emblématiques de Le Corbusier, l'artiste danois Asmund Havsteen-Mikkelsen représente l'état de modernité. Comme un naufrage ! Avec son installation jusqu’au 2 septembre 2018. Floating Modernity était présenté dans le cadre du festival d'art flottant du Vejle Museerne.
Asmund Havsteen-Mikkelsen conçoit une sculpture flottante à l'image de la Villa Savoye, symbole de la fin d'une modernité optimiste.
"La Villa Savoye a joué un rôle majeur dans mon art", a déclaré Le Corbusier. La maison est peut-‐être la construction la plus emblématique du modernisme architectural car elle exprime les Cinq principes de la nouvelle architecture de Le Corbusier en tant que machine vivante. « Comme un vaisseau spatial, la maison a atterri sur la terre avec la promesse d'une nouvelle époque pour un nouvel être humain libéré de l'histoire et vivant dans un monde éclairé rationnellement ». Toujours la même obsession des idéologies du XX ème siècle, du passé faisons table rase, au profit de l’homme nouveau « où il est toujours question d’imposer un mode d’existence unique à l’ensemble des individus »,
Que signifie la modernité en 2018? Où est l'optimisme que le terme reflétait autrefois? Havsteen-Mikkelsen n'est pas sûr. Mais pour lui, il s'arrête lentement.
« J'ai laissé la Villa Savoye échouer dans le fjord Vejle, c'est un commentaire sur l'état de la modernité aujourd'hui ».
Afin d’entretenir la légende, le moindre témoignage de son œuvre devient une relique sanctuarisée :
Cette construction de Le Corbusier, château d’eau désaffecté du début du XXème siècle classé monument historique, construit en imitation d’une tour de guet, reflête bien la pensée de sa démarche architecturale : Château eau tour surveillance.