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E. F . DEZt EfTION FOEfTIEE ET ', TIMOINE Dans l'opinion publique, la liaison Nature- Forêt est solidement établie. Il faut cees à beaucoup un effort d'imagination pour réaliser que nos espaces habités et cultivés proviennent de défrichements plus ou moins anciens. Cependant, notre mémoire collective est encore porteuse d'images d'une nature forestière préexis- tante, d'ailleurs plus inquiétante qu'ac- cueillante. De plus, les connaissances scientifiques acquises, au cours des der- nières décennies, sur le dynamisme et la stabilité es écosystèmes permettent de mieux comprendre comment, en dehors des conditions climatiques et édaphiques extrêmes et en l'absence des actions de l'homme, ce sont effectivement des éco- systèmes appuyés sur des éléments ar- borés et longévifs qui dominent. Ainsi l'approche écologique actuelle contribue à privilégier l'illustration du concept « Na- ture » par une image « Forêt ». A partir de là, il est évidemment tentant de présenter « la .. forêt comme un mil ieu nature .., puisque les milieux « sau- vages " comportent une bonne part de forêts. Or, en même temps, ·Ia nécessité de gérer les espaces naturels est main- tenant reconnue. l'antinomie entre la gestion et l'état " naturel » n'empêche pas l'emploi de ce langage simplificateur, porteur de confusions. Ce langage ne fa- cilite pas évidemment les prises de déci- sions lorsqu'il faut définir à la fois une politique de développement forestier et une politique de conservation de la na- ture. Pour mieux poser les problèmes, peut-être convient-il d'analyser les mo- dalités de la gestion forestière en termes d'a rti ficiali sati on , ce qui sera tente ci- après. Mais auparavant, il n'est pas inu- tile d'évaluer ce que représentent les forêts dans le patrimoine naturel d'un pays comme la France. FORETS ET PATRIMOINE NATUREL les efforts de ces dernières années pour établir des comptes du patrimoine ont bien montré les difficultés de cet exer- cice. En ce qui concerne pl us preci sé- ment le patrimoine naturel. ur.e première approche est sans doute de faire un in- ventaire des espèces végétales et ani- males. Ainsi, en France par exemple, des données précises sont di3i-Onibles, tout au moins nour le5 plantes vasculaires, les mammifères, reptiles, amphibiens et oiseaux. (1) Un classement des espèces inventoriées peut être fait en les rattachant aux prin- Aménagement et Nature nO 74 cipaux types de milieux « naturels : lit- tora,I, milieux humides, milieux boisés pelouses, montagnes... Un tel classe- ment montre que les mi lieux boisés abri- tent sans doute une part appréciab1e des espèces, mais une part peut être moindre que celle qui pourrait être at- tendue. C'est ainsi que 22,5 % des es- pèces vasculaires (sur un total de 4.762) sont rattachés aux milieux boisés. De même, les pourcentages respectifs sont de 54 % pour les mammifères (sur un total de 100 espèces), de 24,8 % pour les oiseaux (sur un totat de 330 espèces), de 36,3 % pour les reptiles (sur un tota1 de 33 espèces) et de 43,6 % pour les amphibiens (sur un total de 39 espèces). Cette situation permet de mieux compren- dre les mesures actuellement prises dans le cadre de la conservation de la Nature. Ainsi les parcs nationaux comportent, certes, des sites forestiers, mais plus pour l'insertion de ces forêts dans des milieux montagnards ou littoraux que pour leur intérêt propre. Quant aux réserves na- turelles, il faut remarquer qu'elles concernent essentiellement, jusqu'à pré- sent, les milieux humides (marai s, étangs tourbières). l'évaluation du patrimoine naturel, consi- déré comme un inventaire, est évidem- ment très insuffisante. Elle sous-estime le monde vivant le moins connu pn privi,é- giant les espèces bien répertoriées. Mais, de toutes les façons, le patrimoine ne peut se réduire à un inventaire pas plus qu'un moteur ne peut se ramener à une liste de pièces détachées. Ce que nous avons reçu comme hédtage �t ce que nous devons transmettre aux générations futures n'est pas une simple collection d'espèces mais des écosystèmes pro- duits par l'évolution naturelle et par les modifications déjà apportées par l'homme. C'est d'ailleurs au sein de ces écosys- tèmes que les espèces se sont forgées. le patrimoine forestier est plus qu'un conservaroire de gênes. C'est surtout une capacité de production de biomasse et une capacité pédogénétique, avec un stock existant de biomasse et des sols forestiers acquis. Cette valeur peut être amoindrie sans que sa valeur comme conservatoire d'espéces soit sensible- ment diminuée. Par exemple, les éco- fiystèmes forestiers dégradés - maquis, garrigues, friches - abritent autant d'es- pèces et, pour la plupart les mêmes es- pèces. (2) Ils représentent cependant un patrimoine dévalué, avec des sol s dég�a- 5 NI TUIEL dés, des biomasses et des capacités de production plus faibles. En termes d'écosystèmes fonctionnels, les résultats de l'inventaire forestier na- tional frçais, avec les paramètres de superficie, volume sur pied, accroisse- ments bois, en même temps que la répar- tition entre les principales espèces, don- nent une autre évaluation du patrimOine forestier qu'une liste d'espèces. MISE EN VALEUR, AVEC OU SANS " PROJET ", DES ESPACES FORESTIERS. Dans les pays de vieille civilisation, les espaces forestiers ne sont pas restés en dehors d'une mise en valeur, il y a eu et il y a prélèvement de certains pro- duits sélectionnés - que ce soit du bois, des feuill es, du gibier, des écorces, des fruits ou de la litière. Il y a par là même a'tération de la compétition naturelle à l'intérieur des écosystèmes et in stal l ati on d'une certaine artificialisation. Mais pour al ler au-delà de cette constatation aca- démique et pour analyser la grande di- versité des situations, il faut appréhender les espaces forestiers dans leurs contex- tes socio-économiques. Ces espaces, au moins depuis la période historique, ont un statut foncier et social. les bénéfi- ciaires de la mise en valeur sont bien identifiés propriétaires et titulaires de droits d'usage. les décisions de mise en valeur sont pri ses au nom de ces béne- ficiaires qui peuvent adopter deux atti- tudes différentes : la mi;e en valeur est organisée pour répondre à des besoins immédiats, sans préoccupation pour l'avenir, c'est-à-dire sans projet ; des récoltes sont décidées par prélèvement dans un stock existant, comme dans une exploitation minière ; le maintien de l'état boisé n'est pas re- connu comme une contrainte ; la nat.r t biologique des produits est ignorée ; la mise en valeur est organisée pour répondre, certes, à des besoins à cou terme mais aussi avec la perspective de récoltes dans le futur, ce qui suppose le maintien de l'état boisé ; c'est la ca- ractéristique de la gestion d'un projet; l'espace forestier reçoit alors un statut semblable à celui d' une terre de culture ; c'est l'expérience qui a montré, bien avant les études sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers, que la cul· ture " des espaces for estiers comporte obligatoirement à la fois le maintien d'un

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E. F. DEIlIIZllt

(lEfTION FOIlEfTIEIlE ET ',TIlIMOINE Dans l'opinion publique, la liaison Nature­Forêt est solidement établie. Il faut certes à beaucoup un effort d'imagination pour réaliser que nos espaces habités et cultivés proviennent de défrichements plus ou moins anciens. Cependant, notre mémoire collective est encore porteuse d'images d'une nature forestière préexis­tante, d'ailleurs plus inquiétante qu'ac­cueillante. De plus, les connaissances scientifiques acquises, au cours des der­nières décennies, sur le dynamisme et la stabilité cles écosystèmes permettent de mieux comprendre comment, en dehors des conditions climatiques et édaphiques extrêmes et en l'absence des actions de l'homme, ce sont effectivement des éco­systèmes appuyés sur des éléments ar­borés et longévifs qui dominent. Ainsi l'approche écologique actuelle contribue à privilégier l'illustration du concept « Na­ture » par une image « Forêt ».

A partir de là , il est évidemment tentant de présenter « la .. forêt comme un milieu .. nature .. , puisque les milieux « sau­vages " comportent une bonne part de forêts. Or, en même temps, ·Ia nécessité de gérer les espaces naturels est main­tenant reconnue. l'antinomie entre la gestion et l'état " naturel » n'empêche pas l'emploi de ce langage simplificateur, porteur de confusions. Ce langage ne fa­cilite pas évidemment les prises de déci­sions lorsqu'il faut définir à la fois une politique de développement forestier et une politique de conservation de la na­ture. Pour mieux poser les problèmes, peut-être convient-il d'analyser les mo­dal ités de la gestion forestière en termes d'artificialisation , ce qui sera tente ci­après. Mais auparavant, il n'est pas inu­tile d'évaluer ce que représentent les forêts dans le patrimoine naturel d'un pays comme la France.

FORETS ET PATRIMOINE NATUREL

les efforts de ces dernières années pour établir des comptes du patrimoine ont bien montré les difficultés de cet exer­cice. En ce qui concerne plus precisé­ment le patrimoine naturel. ur.e première approche est sans doute de faire un in­ventaire des espèces végétales et ani­males. Ainsi, en France par exemple, des données précises sont di3i-Onibles, tout au moins nour le5 plantes vasculaires, les mammifères, reptiles, amphibiens et oiseaux. ( 1 )

Un classement des espèces inventoriées peut être fait en les rattachant aux prin-

Aménagement et Nature nO 74

cipaux types de milieux « naturels .. : lit­tora,I, milieux humides, milieux boisés pelouses, montagnes... Un tel classe­ment montre que les milieux boisés abri­tent sans doute une part appréciab1e des espèces, mais une part peut être moindre que celle qui pourrait être at­tendue. C'est ainsi que 22,5 % des es­pèces vasculaires (sur un total de 4.762) sont rattachés aux milieux boisés. De même, les pourcentages respectifs sont de 54 % pour les mammifères (sur un total de 100 espèces), de 24,8 % pour les oiseaux (sur un totat de 330 espèces), de 36,3 % pour les reptiles (sur un tota1 de 33 espèces) et de 43,6 % pour les amphibiens (sur un total de 39 espèces).

Cette situation permet de mieux compren­dre les mesures actuellement prises dans le cadre de la conservation de la Nature. Ainsi les parcs nationaux comportent, certes, des sites forestiers, mais plus pour l'insertion de ces forêts dans des milieux montagnards ou littoraux que pour leur intérêt propre. Quant aux réserves na­turelles, il faut remarquer qu'elles concernent essentiellement, jusqu'à pré­sent, les milieux humides (marais, étangs tourbières).

l'évaluation du patrimoine naturel, consi­déré comme un inventaire, est évidem­ment très insuffisante. Elle sous-estime le monde vivant le moins connu p.n privi,é­giant les espèces bien répertoriées. Mais, de toutes les façons, le patrimoine ne peut se réduire à un inventaire pas plus qu'un moteur ne peut se ramener à une liste de pièces détachées. Ce que nous avons reçu comme hédtage �t ce que nous devons transmettre aux générations futures n'est pas une simple collection d'espèces mais des écosystèmes pro­duits par l'évolution naturelle et par les modifications déjà apportées par l'homme. C'est d'ailleurs au sein de ces écosys­tèmes que les espèces se sont forgées. le patrimoine forestier est plus qu'un conservaroire de gênes. C'est surtout une capacité de production de biomasse et une capacité pédogénétique, avec un stock existant de biomasse et des sols forestiers acquis. Cette valeur peut être amoindrie sans que sa valeur comme conservatoire d'espéces soit sensible­ment diminuée. Par exemple, les éco­fiystèmes forestiers dégradés - maquis, garrigues, friches - abritent autant d'es­pèces et, pour la plupart les mêmes es­pèces. (2) Ils représentent cependant un patrimoine dévalué, avec des sols dég�a-

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NI TUIEL dés, des biomasses et des capacités de production plus faibles.

En termes d'écosystèmes fonctionnels, les résultats de l'inventaire forestier na­tional fr::mçais, avec les paramètres de superficie, volume sur pied, accroisse­ments bois, en même temps que la répar­tition entre les principales espèces, don­nent une autre évaluation du patrimOine forestier qu'une liste d'espèces.

MISE EN VALEUR, AVEC OU SANS " PROJET ", DES ESPACES FORESTIERS.

Dans les pays de vieille civilisation, les espaces forestiers ne sont pas restés en dehors d'une mise en valeur, il y a eu et i l y a prélèvement de certains pro­duits sélectionnés - que ce soit du bois, des feuilles, du gibier, des écorces, des fruits ou de la litière. Il y a par là même a'tération de la compétition naturelle à l'intérieur des écosystèmes et installation d'une certaine artificialisation. Mais pour aller au-delà de cette constatation aca­démique et pour analyser la grande di­versité des situations, il faut appréhender les espaces forestiers dans leurs contex­tes socio-économiques. Ces espaces, au moins depuis la période historique, ont un statut foncier et social. les bénéfi­ciaires de la mise en valeur sont bien identifiés propriétaires et titulaires de droits d'usage. les décisions de mise en valeur sont prises au nom de ces béne­ficiaires qui peuvent adopter deux atti­tudes différentes :

• la mi;e en valeur est organisée pour répondre à des besoins immédiats, sans préoccupation pour l'avenir, c'est-à-dire sans projet ; des récoltes sont décidées par prélèvement dans un stock existant, comme dans une exploitation minière ; le maintien de l'état boisé n'est pas re­connu comme une contrainte ; la natll..rt. biologique des produits est ignorée ;

• la mise en valeur est organisée pour répondre, certes, à des besoins à court terme mais aussi avec la perspective de récoltes dans le futur, ce qui suppose le maintien de l'état boisé ; c'est la ca­ractéristique de la gestion d'un projet ; l'espace forestier reçoit alors un statut semblable à celui d'une terre de culture ; c'est l'expérience qui a montré, bien avant les études sur le fonctionnement des écosystèmes forestiers, que la • cul· ture " des espaces forestiers comporte obligatoirement à la fois le maintien d'un

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systeme de production pérenne et la li­mitation des prelèvements.

L'histoire forestiere française est, sans doute, la meilleure illustration de cette Icnte maturation du concept de culture forestière, à travers les premières ordon­nances royales sur la règlementation de la durée des révolutions des taillis et le nombre de baliveaux jusqu'à la fixation des possibilités par volume - c'est-à­dire les volumes de bois à prélever par hectares et par an - dans les aménage­ments, depuis la seconde moitié du XIXe siècle. Il ne faudrait pas penser cepen­dant, en sc référant à la seule expérience française, que le passage d'une mise en valeur sans projet à une mise en valeur avec projet réponde à une logique unique. Le changement d'attitude du décideur fo­restier dépend de bien d'autres éléments que ceux du seul secteur forestier. La mise en valeur sans projet est encore très dominante à l'échelle mondiale. Même en France, il y a encore coexis­tence de deux types de mise en valeur, même si la proportion d'espaces fores­tiers gérés suivant des projets augmente régulièrement.

Il se:-ait préférable de réserver le terme de gestion il la mise en valeur forestiere avec pro;et, qui s'exprime explicitement par l'existence d'un aménagement ou d'un plan de gestion. Pour les forêts sans pro­jets, les dispositions juridiques concer­nant les défrichements constituent les seules garanties de conservation du patri­moine naturel. Pour les forêts avec pro­jet, où le maintien de l'état boisé est une contrainte acceptée, d'autres pro­blèmes se posent qui seront examinés ci-après.

ARTIFICIALISATION DANS LA GESTION FORESTIERE

L'artificialisation peut être appréhendée par différents aspects, par exemple les modifications durables apportées au sile par l'établissement d'un réseau routier

Aménagement et Nature nO 74

ou d'un réseau de drainage (3). C'est toutefois l'artificialisation dans la mani­pulation des éléments vivants qui sera seule analysée ici.

Dans la mise en valeur sans projet, le prélèvement d'éléments de l'écosystème, peut entrainer la disparition de ces élé­ments. Au contraire, lorsqu'il y a sylvi­culture, c'est le maintien et l'extension

� des éléments recherchés qui sont les ob­� jectifs des actions, en les privilégiant .!:! aux dépens des éléments considérés ! comme sans valeur. En outre, le gestion­

naire est conduit à établir un classement des éhi!ments désirés suivant l'intérêt qu'ils présentent. Or l'histoire forestière montre que le nombre et le classement

� des éléments désirés sont constamment. f � � � � � �

remis en cause.

Cependant, d'une façon générale, dans les économies rurales, proches d'une auto-suffisance, les espaces forestiers apparaissent comme sources d'un grand nombre de produits variés. C'est le dé­veloppement de l'économie de marché qui a entraîné une réduction du nombre des produits forestiers recherchés. Or à chaque type d'économie correspondent des modèles de sylviculture adaptés, qui ont des impacts différents sur la distribu­tion des éléments naturels. Si parmi le stock des éléments naturels ceux consi­dérés comme utiles sont nombreux, l'al­tération apportée par le gestionnaire reste limitée. En même temps, la gestion conserve une certaine flexibilité pour mieux s'adapter aux changements. La ré­duction des éléments recherchés peut ai­ler au contraire jusqu'à la monoculture.

La gestion perd alors en flexibilité.

Cette évolution dans la sylviculture fran­çaise est parfaitement illustrée par la conversion en futaies des taiJlis sous fu­taie, qui, quoique commencée depuis un

siècle et demi, reste encore un problème d'actualité. Dans le régime de taillis sous futaie, il y a poursuite de plusieurs ob­jectifs pour répondre aux deux principaux besoins - bois d'œuvre et bois de chauf· fage. Les différentes especes, par les caractéristiques de leur bois et leurs tempéraments, trouvent leur place dans les réserves ou dans le taillis. Le ges­tionnaire conserve la possibilité, â cha­que coupe, d'infléchir les parts du taillis et des reserves, et, à l'intérieur des ré­serves, les répartitions des espèces et des classes de dimensions. Dans l'en­semble, le traitement entretient une grande diversite d'especes.

Au moment de la conversion en futaie, il y a nécessairement choix d'une espèce principale, même lorsque la conduite d'un peuplement mélangé est souhaitée. Il y a donc une artificialisation plus mar­quée, non par la disparition d'especes, mais par la distribution de la biomasse entre les especes.

Dans le cas ou la gestion ne porte que sur la manipulation des éléments du stock de l'écosystème naturel, il y a déjà deux niveaux d'artificialisation :

• d'abord ell:tcnsion de la place dc� ê!é-

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ments utiles par maîtrise des élément3 sans valeur ; c'est dans ce cas qu'il a pu être dit que le seul instrument du fo­restier est la hache j le traitement en taillis sous futaie est l'illustration de ce modèle ;

• â un autre niveau, il y a culture des éléments naturels désir�s, que la rége­nération soit naturelle, aidée ou artifi· cielle. Le traitement des futaies de chêne, hêtre ou sapin illustre bien une telle ar­tificialisation.

La situation est bien différente lorsque ce sont des terres précédemment affec­tées à la culture ou au pâturage qui sont reboisées. Historiquement, cette situation a pris de l'importance au milieu du XIX· siècle en France. Il n'y a pas d'espèces d'arbres dans le stock préexistant : !e gestionnaire fait alors appel aux espèces qui ont fait preuve de leurs potentialités, indigènes dans la région ou non. C'est l'origine d'une bonne partie de nos super­ficies actuelles en pins noirs, pin mari­time, épicéa ou châtaignier. En s'ap­puyant sur les connaissances nouvelles sur le comportement des espèces, les plantations utilisent maintenant un ma­tériel végetal enrichi, avec les espèces Nord américaines, notamment sapin d e Douglas et épicén d e Sitra. La culture d'arbres d'origine non indigène ne se li­mite plus aux plantations hors forêt, mais intervient en énrichissement ou substitution dans les espaces dejà fo­restiers. Elle correspond à un nouveau niveau d'artificialisation de plus en plus semblable à l'agriculture et qui sou'ève les mêmes problèmes : nécessité d'une protection phytosanitaire, adaptation d'une fertilisation à des besoins spéci­fiques, amélioration du matériel végétal par choix des provenances, hybridation, clonage. Il n'y a plus en fait de différence de structure entre une plantation de peu­pliers ou de Douglas et une culture de mais, malgré la marge existant dans les niveaux di'nvestissement.

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CONCLUSIONS

Pour évaluer l'impact de la gestion fo­restièrè sur la conservation du patrimoine naturel, il faut interpréter la situation ac­tuelle en la situant dans son évolution historique depuis le début du siècle der­nier. Il faut alors constater en même temps :

• l'extension des superficies forestières qui sont passées de 8.000.000 Ha à , 4.000.000 Ha ;

• un accroissement de la biomasse vé­gétale sur pied, du fait de la conversion en futaies feuillues et des plantations, surtout des conifères.

• une augmentation d'une certaine arti­ficialisation provenant à un premier ni­veau des conversions en futaie, à un ni­veau plus élevé des plantations d'es­

pèces n'appartenant pas au stock d'ori­gine dans les sites.

Une notation des niveaux d'artificialisation au moment de la prise des données de J'inventaire forestier national permettrait de chiffrer avec exactitude les taux ac­tuels. Dans les cas d'artificialisation par plantations d'essences .. exotiques .. , lors­que les données disponibles peuvent être interprétées sans risque d'erreur, les taux, en termes de superficies, restent faibles. les plantations de pin noir ne représentent que 1 ,3 % de la superficie totale, celles de Douglas 1,4 % (4). les risques d'une artificialisation des fo­rêts françaises pouvant porter atteinte au patrimoine naturel restent des plus limités :

• en raison de la variété des sites, dont une partie seulement est apte à une cul­ture d'arbres à investissements élevés ;

• en raison de la structure socio-écono­mique avec une très grande variété de gestionnaires ayant des motivations très diverses.

ET �EC"'ON Pli les Parcs Nature!s RéÇl:on?ux françaiS ont été mis en chantier dès 1 967, Les pre­miers d'entre eux ont été créés entre 1 969 et 1975, et depuis cette date, i ls ont acquis une certaine expérience e n ma­tière de gestion du patrimoine naturel dont est riche le territoire des col-lectl­vités locales qui les constituent.

C'est pourquoi il semble nécessaire, de temps en temps, d'évaluer le chemin parcouru et de tenter un bilan objectif des réussites et des échecs qu'ont pu .connaître les 23 Parcs Naturels Régio­naux, aujourd'hui agréés, et regroupés dans la Fédération des Parcs Naturels de France,

Quelques constatations d'évidence s'im­posent tout d'abord :

1) U n'existe plus en France de territoire dont ·Ie caractère naturel n'ait pas été modifié à un moment ou à un autre par ·l'action de ,l'homme,

Le,s p!us fragiles de CE'!S territoires (zone de piémon�s, estuaires et rivages lacus­tres, forêts et bocages) requièrent en per­manence j' intervention humaine pour as­surer la pérennité de leur caraotère pit­toresque.

Le maintien d'une population locale en activité est donc indispensable pour pou­voir assurer sainement la gestion de ce patrimoine naturel.

2) Aucune réglementation contraignante ne peut être appliquée efficacement en matière de protection de la nature si elle ne correspond pas à un consensus pro­fond de l'etlsembl·e des habitants et usa­gers.

Aménagement et Nature nO 74

Toute action de protection doit donc être préparée et soutenue par une campagne de sensib-ilisation et d'in·itiation au niveau des jeunes, des adultes et de tous les ,déci.deurs (élUS et administrateurs).

Le rôle essenti·el de l'éql1ipe -technique d'un Parc Nature! Régiona,1 est d'être en permanence sur le terrain pour parer Et l'émergence des dangers et en faire com­prendre à tous les conséquence,s à long et moyen terme.

3) Opposer développement et protection est un·e mauvaise querelle, et si par mal­heur cette dialeotique prend corps, c'est toujours le développement qui l 'emporte sur la protection.

Il importe donc de présenter l'alternative sous son angle économique.

- Quel développement ?

- A quel prix ?

Pour combien de temps 1 Avec combien de personnes ?

Il faut prouver aux décideurs (élus locaux m'ltamment) que la qualité du milieu natu� re·1 peut être un facteur important de dé­veloppement économique et que l'exploi­tation « en bon père de fami.l.le . des res­sources naturelles est un placement sûr.

4) Dernière constatation qui découle de la précédente. Point n'est besoin de lé­gislation ni de règlementation nouvelle.

I I suffit de créer un état d'esprit qui, à partir des moyellS lég·i sla-tifs et réglemen­taires en vigueur, entraîne une dvnamioue de gestion du patrimoine naturel et con-

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Des opinions alarmistes, basées sur des faits très fragmentaires et mineurs ne doivent pas cacher la contribution de la foresterie française à la conservation du patrimoine naturel, en termes qualitatifs et quantitatifs.

E.F. DEBAZAC Ingénieur en Chet: G_R.E.F.

.xpert consultant de la 1= ••• 0. de l'U. N.B.S.C.D. et de

la Banque Mondiale

(1) Ministère de l'Environnement. Actualitès En· vironnement - les chiffres clés du patrimoine naturel (N° du 15.12.1983).

(2) Actualités Environnement - les chiffres clés du pOltrimoine naturel (N° du 15.12.1983)

(3) E.D. DEBAZAC - Ecologie d'Economie fo· restière dans Ecologie Forestiére (Peysson) _ Gauthier Vil lars - Paris 1979.

(4) BAZIRE (P.) L'Inventaire Forestier Natio· nal - Revue Forestière Française XXXVI. 1984.

verge vers le double objectif de déve.lop­pement économique et de gestion du pa­trimoine naturel.

D'où le slogan maintes fois répété au cours des Assemblées de la Fédération des Parcs Naturels de France :

« Pour un·e gestion dynamique du patri� moi·ne naturel '".

Il ne faut jamais oublier que, contraire­men.t aux Paros Nationaux qui relèvent de la responsabilité directe de l'Etat, les Parcs Naturels Régionaux sont placés sous l'autorité des seu.ls élus locaux (dé­partement et commun·e) qu.i, avec l'aide financière de l'Etat et sous le contrôle des Régions, en assument seu·ls la ges­tion.

Ces élus sont les mandants des popula­tions qui habitent dans les Parcs, c'est­à-dire� dans la plupart des cas, une ma­jorité de cultivateurs et d'artisans ruraux qui ont fait et continuent à faire évoluer le paysage au gré des spéculations -auxquelles souvent i.ls sont soumis, plu­tôt qU'ils ne les maîtrisent.

Ains·i le remembrement, avec ses fu­nestes conséquences dans les régions de bocage, a-t·il été plus imposé par les technocrates que demandé par les pra·ticiens.

Les spécu.lations de monoculture spéCia­lisée et leur cortège de conséquences hasardeuses (production laitière ou éle­vages hors sol, par exemple) n'ont .pas non plus été inventées par les cultiva­teurs de la France de l'Ouest.

Mai·s ,les ohoses étant ce qu'elles sont,