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http://lamyline.lamy.fr Numéro 133 I Janvier 2016 RLDC I 61 ÉTUDE Perspectives Légalité et conjugalité : le législateur doit épuiser sa compétence Les inégalités créées entre les trois modes de vie en couple par notre droit persistent, nonobstant leur reconnaissance commune par le code civil. Le législateur doit ainsi intervenir et son intervention implique le suivi d’une méthode que la présente étude se propose d’exposer. L ’impression dominante de ces dernières années est que le droit de la famille a exploré ses propres limites et a adopté les positions les plus audacieuses, ainsi qu’en témoignent les lois n° 99-944 du 15 novembre 1999 (JO 16 nov. 1999) relative au pacte civil de responsabilité et n° 2013-404 du 17 mai 2013 (JO 18 mai 2013) ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, cette dernière tout particulièrement. Par-là, il en serait venu à négliger des terrains toujours en friche, moins spec- taculaires dans leur aspect et moins voués à donner libre cours à une rhétorique enflammée, mais qui n’en concernent pas moins plusieurs millions de personnes (en 2011, selon l’enquête « Famille et logements » de l’INSEE, sur 32 millions de personnes déclarant vivre en couple, 7 200 000 vivaient en concubinage, sans compter les 1 300 000 non cohabitantes, et 1 400 000 étaient pacsées), l’on songe ici à la nécessaire harmonisation des régimes juridiques ap- plicables aux concubins, aux partenaires d’un pacte civil de solida- rité et aux personnes mariées. Il est, en effet, bien connu que le législateur organise trois régimes juridiques différents, lesquels appréhendent une situation de fait rigoureusement identique, celle de personnes vivant en couple et ce, sans méconnaître, selon la position prise par le Conseil constitutionnel, le principe constitutionnel d’égalité (Cons. const., 29 juill. 2011, n° 2011-155 QPC). Cette décision a été rendue au sujet de la conformité à la Consti- tution de l’article L. 39 du Code des pensions civiles et militaires de retraite, qui fixe les conditions d’antériorité et de durée du ma- riage, lequel, en vertu de l’article L. 38 de ce même code, permet au conjoint survivant d’un fonctionnaire décédé de percevoir une pension de réversion. Était soulevée, au moyen d’une question prioritaire de consti- tutionnalité transmise par le Conseil d’État (CE, 27 mai 2011, n° 347734), la méconnaissance du principe d’égalité par l’exclusion des personnes vivant au sein d’un couple non marié du bénéfice des dispositions litigieuses précitées de l’article L. 39 du Code des pensions civiles et militaires de retraite. Et le Conseil constitutionnel, en adoptant la position qui fut la sienne, a explicitement considéré qu’au travers des dispositions respectivement édictées par l’article 515-8 du Code civil, s’agissant du concubinage, l’article 515-4 dudit code relatives au pacte civil de solidarité et par « le régime du mariage », « le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui reconnaît l’article 34 de la Constitution, défini trois régimes de vie de couple ». Contrairement à ce qui, parfois, devient un réflexe dans un tel cas de figure ou apparaît, en tout état de cause, comme un recours possible, il n’y a pas lieu de réviser la Constitution pour que le droit s’accorde de manière plus satisfaisante au fait, aux usages de la vie en couple aujourd’hui, car c’est bel et bien au législateur qu’il revient d’agir. Et l’occasion s’y prête. Non seulement au regard du droit à pension de réversion des anciens conjoints, concubins, personnes liées par un pacte civil de solidarité à un fonctionnaire défunt (d’après l’enquête précitée « Famille et logements » de l’IN- SEE, réalisée en 2011, sept agents de la fonction publique sur dix – toutes fonctions publiques confondues – vivent en couple et parmi ceux-ci 64 % sont mariés, 9,9 % pacsés et 26,1 % en concubinage), mais à l’aune des inégalités persistantes qu’engendre, dans notre droit, ce triptyque législatif incongru. À cette fin, il convient de se livrer à un véritable inventaire des dispositions légales qui méritent d’être corrigées. Il s’ensuivrait, assurément, un progrès de l’effec- tivité du principe d’égalité peut-être beaucoup plus décisif encore que ne l’a été l’adoption de la loi précitée du 17 mai 2013. Il semble que l’actualité fournisse, à travers l’examen, par le Parle- ment, de la proposition de loi n° 1856 relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant déposée par M. Le Roux et plusieurs autres députés (TA n° 371, 2014-2015, adopté en première lecture par ÎRLDC 6100 Par Edwin MATUTANO Avocat, Docteur en droit

Légalité Et Conjugalité

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Légalité et conjugalité : le législateur doit épuiser sa compétence

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yline.lamy.fr

Numéro 133 I Janvier 2016 RLDC I 61

Étude

Perspectives

Légalité et conjugalité : le législateur doit épuiser sa compétence

Les inégalités créées entre les trois modes de vie en couple par notre droit persistent, nonobstant leur reconnaissance commune par le code civil. Le législateur doit ainsi intervenir et son intervention implique le suivi d’une méthode que la présente étude se propose d’exposer.

L ’impression dominante de ces dernières années est que le droit de la famille a exploré ses propres limites et a adopté les positions les plus audacieuses, ainsi qu’en témoignent

les lois n° 99-944 du 15 novembre 1999 (JO 16 nov. 1999) relative au pacte civil de responsabilité et n°  2013-404 du 17 mai 2013 (JO 18  mai 2013) ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe, cette dernière tout particulièrement. Par-là, il en serait venu à négliger des terrains toujours en friche, moins spec-taculaires dans leur aspect et moins voués à donner libre cours à une rhétorique enflammée, mais qui n’en concernent pas moins plusieurs millions de personnes (en 2011, selon l’enquête « Famille et logements » de l’INSEE, sur 32 millions de personnes déclarant vivre en couple, 7 200 000 vivaient en concubinage, sans compter les 1 300 000 non cohabitantes, et 1 400 000 étaient pacsées), l’on songe ici à la nécessaire harmonisation des régimes juridiques ap-plicables aux concubins, aux partenaires d’un pacte civil de solida-rité et aux personnes mariées.

Il est, en effet, bien connu que le législateur organise trois régimes juridiques différents, lesquels appréhendent une situation de fait rigoureusement identique, celle de personnes vivant en couple et ce, sans méconnaître, selon la position prise par le Conseil constitutionnel, le principe constitutionnel d’égalité (Cons. const., 29 juill. 2011, n° 2011-155 QPC).

Cette décision a été rendue au sujet de la conformité à la Consti-tution de l’article L. 39 du Code des pensions civiles et militaires de retraite, qui fixe les conditions d’antériorité et de durée du ma-riage, lequel, en vertu de l’article L. 38 de ce même code, permet au conjoint survivant d’un fonctionnaire décédé de percevoir une pension de réversion.

Était soulevée, au moyen d’une question prioritaire de consti-tutionnalité transmise par le Conseil d’État (CE, 27 mai 2011, n° 347734), la méconnaissance du principe d’égalité par l’exclusion

des personnes vivant au sein d’un couple non marié du bénéfice des dispositions litigieuses précitées de l’article L. 39 du Code des pensions civiles et militaires de retraite.

Et le Conseil constitutionnel, en adoptant la position qui fut la sienne, a explicitement considéré qu’au travers des dispositions respectivement édictées par l’article 515-8 du Code civil, s’agissant du concubinage, l’article 515-4 dudit code relatives au pacte civil de solidarité et par «  le régime du mariage  », «  le législateur a, dans l’exercice de la compétence que lui reconnaît l’article 34 de la Constitution, défini trois régimes de vie de couple ».

Contrairement à ce qui, parfois, devient un réflexe dans un tel cas de figure ou apparaît, en tout état de cause, comme un recours possible, il n’y a pas lieu de réviser la Constitution pour que le droit s’accorde de manière plus satisfaisante au fait, aux usages de la vie en couple aujourd’hui, car c’est bel et bien au législateur qu’il revient d’agir. Et l’occasion s’y prête. Non seulement au regard du droit à pension de réversion des anciens conjoints, concubins, personnes liées par un pacte civil de solidarité à un fonctionnaire défunt (d’après l’enquête précitée « Famille et logements » de l’IN-SEE, réalisée en 2011, sept agents de la fonction publique sur dix – toutes fonctions publiques confondues – vivent en couple et parmi ceux-ci 64 % sont mariés, 9,9 % pacsés et 26,1 % en concubinage), mais à l’aune des inégalités persistantes qu’engendre, dans notre droit, ce triptyque législatif incongru. À cette fin, il convient de se livrer à un véritable inventaire des dispositions légales qui méritent d’être corrigées. Il s’ensuivrait, assurément, un progrès de l’effec-tivité du principe d’égalité peut-être beaucoup plus décisif encore que ne l’a été l’adoption de la loi précitée du 17 mai 2013.

Il semble que l’actualité fournisse, à travers l’examen, par le Parle-ment, de la proposition de loi n° 1856 relative à l’autorité parentale et à l’intérêt de l’enfant déposée par M. Le Roux et plusieurs autres députés (TA n° 371, 2014-2015, adopté en première lecture par

ÎRLDC 6100

Par Edwin MATUTANO

Avocat,Docteur en droit

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